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BRUNO MUNARI, TRANSPARENT, COUPANT ET TENDRE COMME L'HERBE... par Annie Pissard-Mirabel* Un prestidigitateur a disparu... Bruno Munari est mort en septembre dernier, laissant une oeuvre légère, multiple, pleine de surprises et de découvertes. Annie Pissard-Mirabel retrace le parcours d'un créateur qui fut un inlassable curieux du livre et de l'enfance. B runo Munari a touché à toutes sortes d'activités : la sculpture, le graphisme, le design, l'écriture, le cinéma... et dans son oeuvre le livre occupe une place unique et originale. C'est peut-être pour cette raison, parce qu'il est difficile à classer dans tel ou tel secteur artistique, qu'il est mal connu en France où l'on ne s'est jamais beaucoup inté- ressé au design pas plus qu'à l'art contempo- rain italien, et où l'on entretient une pénible ségrégation entre les Beaux-Arts et les métiers d'art. Munari a saisi le livre dans son entier, forme et contenu. Tout au long de sa longue vie, qu'il s'agisse ou non du public des enfants, comme un musicien qui revient sur un thème, il travaille cet objet qui occupe dans son oeuvre une place de choix. Il n'est donc pas étonnant que des gens du livre pour enfants au carrefour de l'art et de l'illustration le défendent et s'intéressent à son travail. Peut-être parce qu'il pose de Dans le brouillard de Milan, ill. Munari, éd. Corraini vraies questions comme : « A quoi sert un livre ? » et qu'en plus il y répond avec sim- plicité : « ça sert à mieux vivre ! ». * Annie Pissard-Mirabel est l'auteur d'un précédent article « À quoi sert un livre ? La réponse de Bruno Munari » dans le catalogue de l'exposition « Livres d'enfance », organisée par Pays-Paysage/Centre national du livre d'artiste (17 rue Jules-Ferry, 87500 Saint-Yrieix-La-Perche), sous la direction de Monique Pauzat. N»185 FEVRIER 1999/101

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BRUNO MUNARI,TRANSPARENT, COUPANT

ET TENDRE COMME L'HERBE...par Annie Pissard-Mirabel*

Un prestidigitateur a disparu... Bruno Munari est morten septembre dernier, laissant une œuvre légère,multiple, pleine de surprises et de découvertes.

Annie Pissard-Mirabel retrace le parcours d'un créateurqui fut un inlassable curieux du livre et de l'enfance.

B runo Munari a touché à toutes sortesd'activités : la sculpture, le graphisme,

le design, l'écriture, le cinéma... et dans sonœuvre le livre occupe une place unique etoriginale. C'est peut-être pour cette raison,parce qu'il est difficile à classer dans tel outel secteur artistique, qu'il est mal connu enFrance où l'on ne s'est jamais beaucoup inté-ressé au design pas plus qu'à l'art contempo-rain italien, et où l'on entretient une pénibleségrégation entre les Beaux-Arts et lesmétiers d'art. Munari a saisi le livre dans sonentier, forme et contenu. Tout au long de salongue vie, qu'il s'agisse ou non du public desenfants, comme un musicien qui revient surun thème, il travaille cet objet qui occupedans son œuvre une place de choix.Il n'est donc pas étonnant que des gens dulivre pour enfants au carrefour de l'art et del'illustration le défendent et s'intéressent àson travail. Peut-être parce qu'il pose de

Dans le brouillard de Milan, ill. Munari, éd. Corraini

vraies questions comme : « A quoi sert unlivre ? » et qu'en plus il y répond avec sim-plicité : « ça sert à mieux vivre ! ».

* Annie Pissard-Mirabel est l'auteur d'un précédent article « À quoi sert un livre ? La réponse de BrunoMunari » dans le catalogue de l'exposition « Livres d'enfance », organisée par Pays-Paysage/Centre nationaldu livre d'artiste (17 rue Jules-Ferry, 87500 Saint-Yrieix-La-Perche), sous la direction de Monique Pauzat.

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Munari était un enfant de la province deVénétie. En 1926, il arrive à Milan où il pas-sera sa vie. Milan au début du siècle est déjàcette ville bouillonnante et vivante, indus-trielle et culturelle, réveillée, créative, élé-gante. Il y a à Milan des galeries qui ontbeaucoup compté dans l'histoire de l'art. Onest en pleine période futuriste. Les futuristessont des jeunes gens décapants, ils aiment lavitesse, le métal et veulent tout révolutionnerdu A au Z et surtout les lettres et les mots deA à Z. Munari a 22 ans quand il participepour la première fois à l'une de leurs exposi-tions. S'il a plutôt été attiré par des peintrescomme Balla ou Prampolini, c'est plutôtdans le second futurisme qu'il se fond, celuiqui a fait connaître en Italie les autres mou-vements artistiques européens comme le Bau-haus, les surréalistes, etc. Pendant les annéestrente, Munari expérimente, explore. Il atoujours revendiqué cette liberté d'expéri-menter - de jouer dit-il aussi, ce qui est pourlui la même chose.

Si Munari est à la tête du mouvement milanais,il n'en a jamais adopté en totalité le goût de lavitesse et de la rapidité, à cause de son intérêt

pour l'observation de la nature qui n'entraiten rien dans l'optique futuriste (il aimait lescailloux, les brins d'herbe, les grenouilles...).Munari se réclame de toutes les tendancesartistiques, il n'est pas préoccupé par l'unitéde son œuvre. Il cherche dans la transparence,le mouvement, la communication visuelle. Aune époque de sa vie, il parle de « fare vederel'aria » (« rendre l'air visible » : c'est le titredonné à l'exposition qui lui a été consacrée auMusée des Arts Décoratifs à Zurich en 1995) 1.Ses recherches, il les décrira dans plusieursouvrages théoriques (une quarantaine de titrespubliés en Italie) ou des cours (à Harvard, àMilan).

Pour vivre, il travaille dans des studios d'artgraphique, des revues. Il conçoit des mises enpages, des couvertures de livres. Il ht aussibeaucoup de revues. C'est là qu'il établit sonrapport personnel entre l 'art et la vie. Iln'affiche aucune « attitude » dite d'artiste.Sa créativité est concentrée dans son travail.Sans vouloir un art pour tout le monde, ilvoudrait que les objets de la vie quotidiennesoient plus beaux. Il voudrait que plus degens participent à l'émergence de l'art.

1. Catalogue de l'exposition « Fare vedere l'aria / Die luft sicht bar machen ». Édité par Claude Iichtensteinet Alfredo W. Haberbi - Musée des Arts décoratifs. Zurich, éditions Lars Muller, 1995.

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Son esthétique n'est pas mécaniste. Sonfuturisme est léger, ludique, il y introduit lehasard et l'inutile. Son état d'esprit le metde plain pied avec les enfants. Il écrit : « J'aitoujours été curieux de voir ce que l'on pou-vait faire d'une chose, en plus de quoi elleservait d'habitude ».

Munari et Marinetti, le « pape » des futuristes,avaient travaillé sur le thème de la planchetactile. Il s'agit d'oeuvres à toucher, deplanches recouvertes de matériaux procurantdes sensations différentes : aiguilles de gramo-phone, râpes à fromage... Du côté de Munari,cette œuvre préfigure les recherches de maté-riaux que l'on trouve dans les « Pré-livres »,un peu plus tard. Depuis 1949 jusqu'à la fin,Munari travaille sur une série de livres qu'ilappellera « livres illisibles ». Illisibles parcequ'il n'y a pas de texte, rien à lire. En mêmetemps, ils seront le mode d'emploi, la struc-ture nue de l'objet qui s'appelle livre. Danstoutes les versions que l'on connaît des livresillisibles, des plus précieux (tirages très limi-tés) à ceux pour les enfants, c'est bien de celaqu'il s'agit, et que seul un designer pouvaitfaire comprendre : quel est cet objet, commentest-il conçu ? à quoi peut-il servir ? Munarirevient longuement sur le thème futuriste s'ilen est de la machine. Mais il y apportel'humour, l'ironie plus exactement, ce quimarque une sorte de détachement par rapportau futurisme. Les Machines est un livre pourenfants rigolo qui représente et décrit desmachines amusantes tenant de Rube Golberget de Marcel Duchamp, avec un rien deréflexion sur l'idée de progrès. La technologie,les engrenages sont décrits avec sérieux, mêmes'il s'agit d'une « machine à agiter la queuedes chiens paresseux » ou d'un « distributeurde raisins secs » ou « d'une machine à respi-rer les fleurs artificielles.» Ce livre vient enfind'être publié en France (chez CERA-nrs Edi-tions). On attend encore la publication de RoséneU'insalata, « Les rosés dans la salade », fine

« Moteur à lézard pour tortues fatiguées »,in Les Machines de Munari, Cera-nrs

initiation à l'art du pochoir avec les épluchuresde légumes. Pourtant rien de plus facile et demoins coûteux à organiser comme atelier à labibliothèque ou ailleurs ! Une livre de chicoréesrouges de Trévise pour commencer...

Dès 1942, il travaille comme graphiste chezl'éditeur Giulio Einaudi. Au cours d'uneréunion de travail chez l'éditeur, Munaris'étant lancé dans une théorie sur le livrepour enfants, Einaudi le prend au mot et luipropose de créer une collection. Ce seradonc « Tanti Bambini » en 1972 qui compor-tera 66 titres (dont Rodari). Il réalise aussides couvertures et des maquettes de livrespour adultes. C'est aussi chez Einaudi qu'ilpublie un de ses textes théoriques importantsCodicce ovvio (Code évident en 1971).Codicce ovvio est une sorte de catalogue deses propres créations, vu sous l'angle de cequ'elles apprennent à voir, à observer. Cecode, en somme, c'est ce qui reste quandl'enfant a dit que le roi était nu. Munariregarde aussi la photographie. Celle qu'il lui

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A

Les Pré-livres, Danese

arrive de pratiquer, celle des autres. Deprès, de loin. Son œil zoome. Il regarde uncaillou, il éloigne son regard. De loin onaurait dit une île (Da lontano era un'isola,Einaudi, 1984) est un livre de photographieartistique, scientifique, pour l'œil de tous.Munari travaillera encore un certain tempspour Einaudi, pour une revue littéraire lan-cée par Italo Calvino, entre autres. En 1988,à la demande de la Bibliothèque communalede Bologne, il participe à la plus pertinenteexposition qu'une bibliothèque ait jamaisréalisée, « le design du livre » (« Disegnare illibro »). Une enfilade de couvertures et dejaquettes de livres présentées et regroupéespar le scénographe Andréa Rauch fait com-prendre l'importance du design de la cou-verture d'un livre, et les vraies raisons duchoix de chacune. Le travail de Munari estalors visible dans son ensemble et illustre cequ'il déclare : « La couverture d'un livre estune publicité qui signale au lecteur que celivre va l'intéresser. C'est à cela que la cou-verture d'un livre doit servir et aussi à le dif-férencier des autres livres dans la vitrine...On sait bien que chacun voit ce qu'il connaît

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déjà. Il faut donc établir une connexion avecsa mémoire visuelle : les étiquettes d'eauminérale ne ressemblent pas à celles du vin ;chaque personne a en tête des formes et descouleurs correspondant à ses centres d'inté-rêt et c'est à partir de cela que l'on peutconcevoir la forme d'un message de commu-nication, pour la couverture d'un livrecomme pour le reste. »

Munari n'a pas travaillé qu'à plat. C'est unsculpteur, et il s'est aussi intéressé à la tech-nique de fabrication des objets, jouant un rôletrès important dans cette recherche d'adéqua-tion entre l'usage, la forme et la technique defabrication. Dans la série d'objets entre livreset sculptures, amusons-nous un moment avec« les sculptures de voyage », chose légère encarton replié. Une sorte d'origami. Une sculp-ture donc, que l'on peut emporter en voyagepour décorer sa chambre d'hôtel. Quand on ena assez, on la jette.

Dans le monde très effervescent des années68, Munari, qui est alors un des artistespiliers de la galerie de Bruno et JacquelineDanese (véritable pépinière d'artistes et decréations, initiatrice du concept d'art indus-

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LES PRE-LIVRES

« Ces Uvres, tout petits car ils doivent tenir dans les mains d'un enfant de trois ans peuventêtre constitués de matériaux divers, avec différentes reliures, différentes couleurs et chaquevolume portera le même titre : LIVRE. Le titre figurera de telle façon qu'il sera toujoursdroit, quelle que soit la façon de le tenir. La couverture portera le titre, même si on tient lelivre à l'envers, grâce à la quatrième de couverture. Le résultat est que le « message »contenu dans le livre opère ainsi par symétrie, quelle que soit la façon de le manipuler, rap-pelant ces phrases que l'on peut lire, en commençant aussi bien à droite qu'à gauche. Lemessage dont on parle n'est pas un message de type littéraire comme on en trouve dans lescontes et qui conditionne l'enfant en encourageant plus la répétition que la créativité. Voilàpourquoi ces petits livres ne sont que des stimulations visuelles, tactiles, sonores, ther-miques, matérielles. Ils doivent transmettre la sensation que les livres sont ainsi, remplis desurprises variées. La culture est faite de surprises, c'est-à-dire de la découverte de ce quel'on ignorait. Mais il faut être prêt à les recevoir et ne pas les refuser, de peur qu'elles nefassent s'écrouler les places fortes que nous nous sommes construites. »

(texte extrait de « Cosa nasce cosa »).

triel) rencontre Giovanni Belgrano, péda-gogue italien, personnalité intéressante et ori-ginale, qui nourrit l'ambitieux projet de faireentrer l'art à l'école. Le mouvement « Proget-to Scuola » est l'occasion d'importantes dis-cussions qui dureront plusieurs années dansle mouvement éducatif italien. Un importantcolloque a eu lieu en 1976. Il s'intitulait« Giocare con l'arte » (Jouer avec l'art). Ceprojet vaste et libertaire finira par se briser.Du fourmillement de cette époque, plusieurschoses sont nées. L'école des Beaux-Arts deMilan (la fameuse Brera) ouvre un atelieraux enfants. L'idée et le contenu des atelierssont de Munari. Plusieurs personnes, anima-teurs, émules divers prendront la relève pen-dant plusieurs années, comme Cocca Frige-rio, personne la plus proche des conceptionsde Munari. Dans ce contexte, Danese éditedes jeux. Il s'agit de « proposer aux enfantsdes objets susceptibles de développer leurcréativité, de les aider à comprendre formeset couleurs ». C'est une démarche pédago-gique : le sens et la forme s'apprennent parl'exploration visuelle, mais dans une attitudeouverte, de partage et de créativité.

Les « Pré-Livres » sont une autre façon defaire entrer l 'art à la maison, à la biblio-thèque. Les « Pré-Livres » sont constituésd'un coffret contenant des petits livres car-rés au format parfait. Qu' y a-t-il à l'inté-rieur ? Tout. Une histoire, un mode d'emploidu livre, la beauté qui surgit et instaure unmoment de silence. On n'a pas assez mesurél'importance des « Pré-livres », ces objetséducatifs parfaits : ils ont été mal diffusés (àla Ligue de l'Enseignement, ils dormaient àla cave), considérés comme trop chers parles bibliothèques municipales, ce qui était unmauvais calcul, taxés de façon élevée par leservice des douanes, comme les jouets. Ce nesont pas des livres, aurait déclaré un jour undouanier-chef, car il n'y a rien à lire. Uncertain nombre (ceux de la cave) ont été dif-fusés par Elisabeth Lortic. La bibliothèquede Levallois, la Cité des Sciences, le ConseilGénéral de la Seine-Saint-Denis, entreautres ont suivi, mais ces achats n'ont passuffi à les sauver.

En 1983, Danese publia encore l'albumTanta Gente avec le Musée d'Art Modernede New York. Sous jaquette transparente,

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Munari propose des feuillets de papiersvariés. Certains contiennent des fragmentsde textes, d'autres des fragments d'images.A chacun de créer son livre, relié par deuxpetits boulons.

S'il y a de tout cela quelques leçons à tirer,c'est que les bibliothèques pour enfants (dumoins un certain nombre d'entre elles) ont ledevoir, me semble t-il, d'acheter les livres ima-ginés par les artistes. Il s'agit d'éviter descatastrophes culturelles (la disparition des« Pré-livres » en est une) et de permettre à desartistes de continuer à expérimenter. Acheterun peu moins d'albums « moyens » et un peuplus de « très beaux », bref affirmer un rôlepossible de la bibliothèque dans la créationartistique. En Italie, une association,OPLA^,liée à la bibliothèque publique de Merano, aunord de l'Italie, cherche à constituer un heu etune collection pour les livres qu'elle nomme« livres artistiques ». Un catalogue, sousforme de CD-Rom est en cours de réalisation.Munari a beaucoup écrit sur le livre engénéral, la lecture, l'art et les enfants : sestextes ne sont pas du tout traduits en fran-çais et la publication d'un recueil des plusimportants serait vraiment utile pour tous.Dans les années quatre-vingts, Munari aencore enrichi sa panoplie de la lecture enimaginant « l'abitacolo ». Cet habitacle des-sine dans la maison ou dans la chambre desenfants un lit, bien sûr, mais surtout unespace personnel. Sorte de cabane légère.Comme souvent, c'est un poème qui décritl'objet imaginé :

«. . . c'est un placenta d'acier plastifiéun endroit où méditer et en même tempsun endroit où écouter la musiquequ'on aime.Un endroit pour recevoirun endroit pour dormirune tanière légère et transparente... ».

Munari devant son « abitacolo », 1971,in Munari l'art est un métier, Philippe Sers éditeur/Vilo

La méthode de création munarienne consisted'abord à poser le problème : « De quoi abesoin un enfant de huit ans ? D'un lit,d'une bibliothèque, d'une table, d'élémentsde rangements pour ses affaires et d'éclairage.Il a besoin d'un espace autonome. Y a t-il desmurs disponibles partout ? Voici une structureunique, qui répond à la question posée, quin'encombre pas visuellement et qui peut setransformer et être personnalisée à volonté. »L'habitacle est diffusé par la société « Robots ».Il constitue un support parfait d'expositionde livres, un stand, que l'on installe très viteet qui ne pèse pas lourd.En 1994 dans la revue de design internationalDomus (n°760), apparaît un objet qui pourraitsembler une sorte de synthèse finale du travailde Munari, c'est « il libro letto », le livre-lit ou lelivre lu, comme on voudra, car en italien, celas'écrit de la même façon.« C'est un Ut pliantc'est un livre habitableon peut faire un petit sommeentre les pages

2. Opla, BMoteca Civica - 39012 Merano. Italie.

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où de petits rêves sont déjà là.Chaque livre est un lithabité à sa façonpar chacun de nous ».

Ce livre qui fait rêver n'existe pour le momentqu'à titre de maquette. Il est constitué de pagesréalisées dans différents tissus et ces pages sont« reliées » entre elles par de grandes ferme-tures éclair. Il est donc possible de défaire lespages et de les assembler à son gré, le texte quifigure au bas de chacune constituant toujoursune courte histoire. « Les Trois Ourses » etquelques autres (vous pouvez vous y joindre)rêvent de le voir réaliser ! Imaginez unebibliothèque pour les enfants meublée d'habi-tacles, de livres où rêver, de pré-livres et delivres illisibles !

Depuis plus de vingt ans Munari travaillaitavec les éditeurs Maurizio et Marzia Corraini3

à Mantoue. On leur doit la publication de plu-sieurs livres (dont les dernier livres « illisibles »,les belles rééditions de Dans la nuit sombre,Dans le brouillard de Milan, Alfabetiere ainsi

que l'édition de projets anciens, commeRomilda la grenouille et Bonne nuit tout lemonde en plusieurs langues). Une expositioncircule par leurs soins. En décembre 1998, onpouvait voir à Castelfranco en Vénétie uneexposition d'oeuvres de Munari bien choisies,présentées dans la maison natale du peintreGiorgione. Encore une confirmation, par lechoc des époques, que décidément dans cetteœuvre, rien n'est à jeter.

Bruno Munari est mort le 29 septembre der-nier. Son rire joyeux, ses créations jamaispesantes sont restés dans ses pages, commeune surprise permanente.

Sources :- S. Casciani : Arte Industriale, Arcadia Edizioni, 1988- G. lista : Le Livre Juturiste, Panini, 1984- C. Solaris : Storia delFurutismo, Editori Ruiniti,1992- A. Tanchis : Munari, l'art est un métier, Sers/Vilo,1987

Revues :Abitare, n° 366 ; Domus, n° 760 ; Opus, n° 16 ;La Revue des livres pour enfants, n° 110Association des amis de Bruno Munari :I Munariani, Chantai Rossati, 33 Via Lattanzio -20137 Milano (Italie).

Livres de Munari disponibles en France :- Les Machines de Munari, CERA NRS, 1998,119 F- Le Prestidigitateur jaune, Ed. Corraini, 1998,110 F- Bonne nuit tout le monde, Ed. Corraini, 1998,110 F- Valise Bruno Munari. Comprend 14 livres (dontcertains titres épuisés) conception Alix Romero,1998, 6000 F.

Diffusion Les Trois Ourses,2 passage Rauch, 75011 Paris. Tél. 0145 40 93 93

3. Éditions Corraini : 5 Via Madonna délia Vittoria - 46100 Mantova. Tél. (0376) 322753, Fax (0376) 365566

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