16
Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année nous sommes heureux de vous offrir un numéro spécial de notre revue Guesher. En effet, le prix 2016 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France vient d’être attribué à notre président, le Père Jean Massonnet. Ce prix met en lumière le travail que Jean Massonnet accomplit depuis des années pour faire grandir les relations entre juifs et chrétiens. Son oeuvre – réflexion, écriture, action – est brièvement rappelée dans ce numéro. La remise de ce prix, pour la première fois à Lyon, est aussi l’occasion de présenter l’action de l’Amitié Judéo-Chrétienne dans notre ville. Les relations entre juifs et chrétiens furent souterraines pendant la deuxième guerre mondiale avant de paraître au grand jour. Le rapprochement prendra souvent corps grâce à l’amitié simple et fidèle que se portait un petit groupe d’hommes et de femmes. Des « affaires » difficiles – affaire Touvier, carmel d’Auschwitz – compliqueront cette relation, mais ne parviendront pas à la mettre à mal. Bernard Comte nous retrace dans un article remarquablement documenté cette période qui couvre 70 ans de l’histoire de Lyon. L’Amitié judéo-chrétienne à Lyon c’est aussi le présent : cette année Madame Sylvie Altar, membre de notre association, avec une trentaine de ses élèves a participé à « La marche des vivants » entre Auschwitz et Birkenau au milieu de 12000 jeunes venus du monde entier. Pour commémorer le cinquantième anniversaire de la déclaration conciliaire « Nostra aetate » les chrétiens ont reçu en cadeau deux très beaux et très importants textes juifs : « Faire la volonté de notre Père (qui est) aux cieux. » (Déclaration rabbinique orthodoxe sur le christianisme) et « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir. » (Juifs de France). Ces textes seront présentés dans les conférences que nous organiserons cette année. Ainsi, petite mais très vivante, notre association poursuit la tâche qu’elle s’est assignée : faire en sorte qu’entre Judaïsme et Christianisme la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié se substituent aux malentendus séculaires et aux traditions d’hostilité. En remettant, en décembre dernier, au Cardinal André Vingt-Trois le texte « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir », le Grand Rabbin de France Haïm Korsia annonçait : « Eminence, j’ai une bonne nouvelle : on ne peut jamais divorcer de ses frères ». Oui, nous sommes frères et « aucun de nous ne peut accomplir la mission divine seul 1 ». C’est à la fois une bonne nouvelle et un immense défi. Jean-Marie THOMAS 1 Déclaration rabbinique orthodoxe sur le christianisme– 3/12/2015 – Center for Jewish-Christian understanding and cooperation Amitié Judéo-Chrétienne de France Groupe de Lyon et Région 6 avenue Adolphe Max 69 005 LYON Courriel : [email protected] Site internet : http://www.ajcf-lyon.org SOMMAIRE : page 1 Jean Marie THOMAS : Editorial pages 2-3 Le Prix 2016 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France pour Jean Massonnet pages 4-8 Bernard COMTE : L’Amitié judéo-chrétienne à Lyon pages 8-11 Sylvie ATAR : Les lycéens de Notre Dame de Bellegarde participent à la Marche des Vivants. Témoignages. pages 12-15 Jean MASSONNET : Nos conférences 2015-2016 et prévisions 2016-2017 page 16 Calendrier des fêtes juives et des fêtes chrétiennes

Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016

Cette année nous sommes heureux de vous offrir un numéro spécial de notre revue Guesher. En effet, le prix 2016 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France vient d’être attribué à notre président, le Père Jean Massonnet. Ce prix met en lumière le travail que Jean Massonnet accomplit depuis des années pour faire grandir les relations entre juifs et chrétiens. Son oeuvre – réflexion, écriture, action – est brièvement rappelée dans ce numéro. La remise de ce prix, pour la première fois à Lyon, est aussi l’occasion de présenter l’action de l’Amitié Judéo-Chrétienne dans notre ville. Les relations entre juifs et chrétiens furent souterraines pendant la deuxième guerre mondiale avant de paraître au grand jour. Le rapprochement prendra souvent corps grâce à l’amitié simple et fidèle que se portait un petit groupe d’hommes et de femmes. Des « affaires » difficiles – affaire Touvier, carmel d’Auschwitz – compliqueront cette relation, mais ne parviendront pas à la mettre à mal. Bernard Comte nous retrace dans un article remarquablement documenté cette période qui couvre 70 ans de l’histoire de Lyon. L’Amitié judéo-chrétienne à Lyon c’est aussi le présent : cette année Madame Sylvie Altar, membre de notre association, avec une trentaine de ses élèves a participé à « La marche des vivants » entre Auschwitz et Birkenau au milieu de 12000 jeunes venus du monde entier. Pour commémorer le cinquantième anniversaire de la déclaration conciliaire « Nostra aetate » les chrétiens ont reçu en cadeau deux très beaux et très importants textes juifs : « Faire la volonté de notre Père (qui est) aux cieux. » (Déclaration rabbinique orthodoxe sur le christianisme) et « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir. » (Juifs de France). Ces textes seront présentés dans les conférences que nous organiserons cette année. Ainsi, petite mais très vivante, notre association poursuit la tâche qu’elle s’est assignée : faire en sorte qu’entre Judaïsme et Christianisme la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié se substituent aux malentendus séculaires et aux traditions d’hostilité. En remettant, en décembre dernier, au Cardinal André Vingt-Trois le texte « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir », le Grand Rabbin de France Haïm Korsia annonçait : « Eminence, j’ai une bonne nouvelle : on ne peut jamais divorcer de ses frères ». Oui, nous sommes frères et « aucun de nous ne peut accomplir la mission divine seul1». C’est à la fois une bonne nouvelle et un immense défi. Jean-Marie THOMAS

1 Déclaration rabbinique orthodoxe sur le christianisme– 3/12/2015 – Center for Jewish-Christian understanding and cooperation

Amitié Judéo-Chrétienne de France Groupe de Lyon et Région 6 avenue Adolphe Max 69 005 LYON

Courriel : [email protected] Site internet : http://www.ajcf-lyon.org

SOMMAIRE :

page 1 Jean Marie THOMAS : Editorial pages 2-3 Le Prix 2016 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France pour Jean Massonnetpages 4-8 Bernard COMTE : L’Amitié judéo-chrétienne à Lyon pages 8-11 Sylvie ATAR : Les lycéens de Notre Dame de Bellegarde participent à la Marche des Vivants. Témoignages.pages 12-15 Jean MASSONNET : Nos conférences 2015-2016 et prévisions 2016-2017page 16 Calendrier des fêtes juives et des fêtes chrétiennes

Page 2: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Jean MASSONNET, lauréat du Prix 2016 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF)

Le Comité Directeur de l’AJCF a élu à l’unanimité lauréat du Prix de l’AJCF 2016 Jean Massonnet, fondateur et ancien directeur du Centre Chrétien pour l’Etude du Judaïsme (CCEJ) de l’Université Catholique de Lyon.

Le Prix de l’AJCF lui sera remis le lundi 26 septembre 2016 à 18 h 00

à l’Université Catholique de Lyon (Campus Saint-Paul)10, Place des Archives, 69002 Lyon (derrière la gare de Lyon Perrache).

Jean MASSONNET, né le 24 septembre 1940, ordonné en 1968, est prêtre du diocèse de Lyon.

Après deux ans comme vicaire dans une paroisse de Bourg-en-Bresse, il reprend des études afin de devenir enseignant. Diplômé de l’Institut biblique pontifical de Rome (1975), il a enseigné au Séminaire interdiocésain Saint-Irénée de Lyon (1977-1996), en particulier le Nouveau Testament (lettres de Paul, Actes des apôtres et évangile de Jean). Il a fait plusieurs séjours à Jérusalem, à la Maison St Isaïe puis au Centre chrétien d’études juive connu sous le nom de « Ratisbonne ». Il a étudié le judaïsme dans ces instituts ainsi qu’à qu’à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il reconnaît devoir beaucoup aux enseignements de Pierre Lenhardt. Il fut aussi maître de conférences à la Faculté de théologie (hébreu biblique, araméen, judaïsme et relations judéo-chrétiennes) de l’Université Catholique de Lyon (1990-2005).

Il a été directeur du CCEJ (Centre Chrétien pour l’Etude du Judaïsme), de sa création en 1990 jusqu’à 2005. Le CCEJ a été fondé à l’initiative de la Faculté de théologie de Lyon dont le doyen était Jean-Pierre Lémonon, avec le soutien du Cardinal Albert Decourtray et la participation du Grand Rabbin Richard Wertenschlag.

Il a soutenu sa thèse de doctorat en 2001 à l’Université Catholique de Lyon : « La compréhension pharisienne de la notion de révélation dans la littérature rabbinique et dans le Nouveau Testament ». De cette thèse sont issus des articles ainsi qu’un ouvrage complet, Aux sources du christianisme – La notion pharisienne de révélation, paru en 2013 chez Lessius.

Membre de longue date de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, il est au Conseil d’administration de l’AJC de Lyon depuis 2005, et il en est le Président depuis 2014.

Guesher 15 page 2

Page 3: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Courte bibliographie

Aux sources du christianisme – La notion pharisienne de révélation, Lessius, 2013. Commentaire de l’épître aux Hébreux, Cerf, avril 2016

Participation à des ouvrages collectifs :

Paul de Tarse, Cerf, Collection Lectio Divina - N° 165, nov. 1996 La Bible d’Alexandrie : Premier Livre des Règnes, Cerf, Collection La Bible d’Alexandrie - N°9, nov. 1997 Le Judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne, Cerf, Collection Lectio Divina - N° 186, mars 2001 Le monde où vivait Jésus, H. Cousin, J.-P. Lémonon, J. Massonnet, éd. du Cerf, 1998. L’accueil de la Torah, Dir. Profac, Lyon, 2007. Le dialogue des Ecritures, Paul Bonny, Isabelle Chareire, Michel Guillaud, Gilbert Jouberjean, Jean Massonnet, Colette Poggi, Christian Salenson, éd. Lessius, 2008. La terre demeure de sainteté : études chrétiennes du judaïsme, dirigé par François Lestang & Marie-Hélène Robert, plusieurs contributions de J. Massonnet, Profac, Lyon, 2011.

Quelques articles de Sens, la revue de l’AJCF :

Sens N°367 – Mars 2012 – Le Christianisme greffé sur le Judaïsme Le Christ, Grand Prêtre « selon la manière de Melkisédeq » (Père Jean Massonnet)

Sens N°358 – Avril 2011 – La Résurrection des morts La Résurrection des morts au fondement du Christianisme (Père J. Massonnet)

Sens Janvier 2010 : Sur l’Épître aux Hébreux Liminaire (J. Massonnet) L’Épître aux Hébreux et la liturgie de Kippour (J. Massonnet)

Textes publiés sur Internet :

Réflexion sur le texte de la Commission vaticane édité à l’occasion des 50 ans de Nostra Aetate Réflexions sur le sens positif du « non » juif à Jésus http://www.ajcf.fr/jean-massonnet-la-lecture-juive-de-l-ecriture.html

Guesher 15 page 3

Page 4: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

L’Amitié judéo-chrétienne à Lyon

Prémices

Le groupe lyonnais d’amitié judéo-chrétienne n’est pas issu, comme on le dit parfois, de l’Amitié chrétienne, association interconfessionnelle créée à Lyon en 1941 sous le double patronage du cardinal Gerlier et du pasteur Boegner pour secourir les juifs en détresse et sauver ceux qui étaient menacés par l’entreprise génocidaire des nazis. Co-présidée par le doyen de la Faculté de droit Pierre Garraud, catholique, et le commerçant protestant Gilbert Beaujolin, elle était animée par le père Chaillet et l’abbé Glasberg avec les pasteurs Roland de Pury et Georges Casalis, les jeunes catholiques Jean-Marie Soutou et Germaine Ribière et des personnalités juives comme le banquier André Weil, délégué par le Consistoire central, l’universitaire Sammy Lattès et l’avocat Charles Lederman, futur élu communiste. La façade légale de l’association a couvert en fait une activité clandestine croissante, illustrée par le sauvetage de 80 enfants juifs à Vénissieux en août 1942 ; cette opération menée aux limites de la légalité par une équipe de chrétiens et juifs a été couverte par le cardinal Gerlier lui-même qui a résisté aux injonctions du préfet. Les liens de solidarité confiante créés alors permettront, dix ans plus tard, d’ouvrir une issue favorable à la scandaleuse affaire Finaly dans laquelle le cardinal Gerlier se trouvait piégé. Les animateurs de cette association dévoués aux sauvetages clandestins ont été dispersés après la guerre, la plupart éloignés de Lyon. Quatre théologiens, les jésuites Henri de Lubac et Joseph Bonsirven, et deux professeurs du séminaire universitaire, l’abbé Joseph Chaine et le sulpicien Louis Richard, ont manifesté leur sympathie envers le judaïsme : après avoir protesté contre le second « statut des juifs » édicté par le très catholique Xavier Vallat1, ils ont publié en Suisse un livre collectif qui réfutait les croyances et les préjugés de l’antijudaïsme chrétien2. Ils s’inscrivaient ainsi dans la suite de l’abbé Jules Monchanin, prêtre lyonnais familier du dialogue avec les juifs et conférencier influent dans les années 1935-

1 Voir C. Ponson (dir.), Les théologiens lyonnais et la persécution contre les juifs, Cahiers de l’Institut catholique de Lyon, n°25 (1994).

2 H. de Lubac, J. Chaine, L. Richard, J. Bonsirven, Israël et la foi chrétienne, Fribourg, Éd. de la librairie de l’université, 1942.

1938 ; présentant aux milieux chrétiens les traditions et la spiritualité du judaïsme, il était allé jusqu’à parler du « judéochristianisme », synthèse eschatologique des deux temps de la Révélation faite aux deux peuples de Dieu. Cependant Monchanin, qui préparait alors son départ pour l’Inde, n’a pas constitué à Lyon de groupe capable de continuer son œuvre. Mais divers penseurs chrétiens ont mené à Lyon le combat contre l’antisémitisme nazi, et aussi, du côté catholique surtout, contre l’antijudaïsme hérité qui favorisait l’acceptation de la législation persécutrice de Vichy. Ils se sont exprimés dans des publications qui défiaient la censure (la revue Esprit d’Emmanuel Mounier, l’hebdomadaire Temps nouveau de Stanislas Fumet) ou lui échappaient (en Suisse), et surtout dans les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins, œuvre des pères Chaillet, de Lubac et Ganne avec leurs amis Joseph Hours et Joseph Vialatoux. Un projet de « Déclaration de la faculté de théologie » critiquant le statut des Juifs de 1941 a été rédigé, mais pas adopté par les autorités. D’autre part, un « Bureau d’études » créé en mai 1941 par le consistoire israélite et dirigé par Léon Algazi pour réagir contre l’antisémitisme réunit des intellectuels juifs (rabbins ou enseignants, écrivains, éditeurs, juristes, la plupart exclus de leur profession) en présence de théologiens catholiques autorisés par le cardinal Gerlier (les pères de Lubac et Chaillet qui vont diriger les Cahiers du Témoignage chrétien, les abbés Joseph Chaine et François Larue) et de protestants autour du pasteur de Pury ; Aimé Pallière, ancien compagnon des catholiques dreyfusards lyonnais devenu un promoteur des institutions juives et du dialogue entre juifs et chrétiens s’y ajoute, tandis qu’Émile Rodet, invité par ses confrères et amis juifs, assiste à certaines réunions3. On a étudié là sérieusement, contre les préjugés et les réquisitoires antisémites, le judaïsme, ses institutions et sa vocation universelle, dont les chrétiens invités prennent la mesure4. Débuts du groupe lyonnais

C’est une initiative privée qui crée à Lyon au lendemain de la guerre 1946 un groupe de rencontre

3 Voir Catherine Poujol, Aimé Pallière (1968-1949). Un chrétien dans le judaïsme, Desclée de Brouwer, 2003.

4 Voir Claude Singer, « Des intellectuels au Consistoire », Revue d’histoire de la Shoah, n° 169, mai 2000.

Guesher 15 page 4

Page 5: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

et de dialogue spirituel, né de l’amitié de deux anciens chefs associés dans le scoutisme français, l’avoué Émile Rodet, des Scouts de France catholiques, et le négociant Alfred Lazare, des Éclaireurs israélites, engagé comme son frère Lucien au maquis juif de Vabre (Corps franc de la Montagne noire5). Ces deux amis s’unissent pour mener à Lyon la tâche à laquelle Jules Isaac appelle juifs et chrétiens : lutter contre l’ignorance mutuelle, mère des préjugés, et particulièrement contre l’héritage de l’antijudaïsme chrétien, source d’antisémitisme chez de nombreux catholiques qui lors du génocide nazi sont restés indifférents ou complices. Émile Rodet et Alfred Lazare réuniront mensuellement chez le premier une quinzaine d’amis, juifs et chrétiens, pour de libres échanges où ils apprennent à se connaître, à se comprendre. Ce groupe privé sans étiquette n’a pas d’abord de lien avec l’Amitié judéo-chrétienne (AJC), créée en 1948 sous l’impulsion de Jules Isaac à la suite de la Conférence internationale de Seelisberg ; celui-ci, assisté du théologien protestant Jacques Martin, y a fait adopter ses propositions pour que les Églises chrétiennes éliminent les traces de leurs traditions antijudaïques. Isaac en visite à Lyon (novembre 1949) obtient l’affiliation du groupe lyonnais à l’association nationale présidée par l’historien Henri Marrou. Il en devient un des pôles, avec Lille et Aix en Provence, et il se structure alors en appelant à sa présidence le pasteur Roland de Pury6, avec le grand rabbin Poliakoff comme vice-président et M. Verchère secrétaire, mais son rapport avec l’AJC n’est pas clair, d’autant plus qu’Isaac n’est pas satisfait de l’orientation donnée au groupe par Rodet, plus philosophe et théologien à ses yeux que militant contre « l’enseignement du mépris », racine chrétienne de l’antisémitisme. Rodet participe cependant jusqu’en 1955-1956 aux conférences nationales qui donnent à l’AJC ses statuts définitifs, après une période troublée où un conflit entre Isaac et Marrou amène celui-ci à quitter dès 1949 la présidence, où Jacques Madaule lui succède. La Chronique sociale de Lyon confie alors à Émile

5 Voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Stock, 1987 (chapitre final « La lutte armée »).

6 Pasteur suisse nommé à la paroisse des Terreaux de Lyon en 1938, R. de Pury (1907-1979) a manifesté dès l’armistice son refus de la défaite. Collaborateur et diffuseur du Témoignage chrétien clandestin et membre de l’Amitié chrétienne, il a été arrêté en 1943 par la Gestapo et détenu au fort de Montluc pendant cinq mois ; prédicateur barthien renommé, il est à Lyon, jusqu’à son départ en 1957, un animateur et inspirateur influent.

Rodet, ami proche depuis les années 20, la réalisation d’un numéro spécial de sa revue Chronique sociale de France intitulé Les juifs et nous (février 1952) sur la relation entre chrétiens et juifs. Rodet ouvre le recueil par une présentation d’Israël, peuple, terre et mystère méconnus des chrétiens, et une vigoureuse analyse des sources de l’antisémitisme moderne (dont « la racine chrétienne entre autres, qu’il faut trancher »). Il réunit ensuite cinq articles de catholiques (les théologiens Paul Démann et Louis Richard, l’historien Joseph Hours et les sociologues Joseph Folliet et Jean Labbens) et quatre d’amis juifs, universitaires ou enseignants dans les écoles juives qui analysent l’attitude des chrétiens à leur égard et les réalités d’Israël et du sionisme (Léon Askenazi, Renée Neher-Bernheim, Marc Breuer, fils de rabbin et membre assidu du groupe lyonnais, et Lucien Lazare). Peu après, il complète cette réflexion dans un article « Les juifs parmi nous 7» sur la présence et la vocation du peuple d’Israël et sur le lien entre antijudaïsme et antisémitisme : l’antisémitisme raciste des nazis était en fait haine et combat contre le « judéochristianisme », témoin du Dieu de la Bible et de l’Évangile dans l’attente et l’espérance de la réunion à la fin des temps. En 1955-56, Jacques Martin, à qui la consécration de pasteur a été longtemps refusée à cause de sa condamnation comme objecteur de conscience, s’est installé à Lyon à la tête d’une librairie protestante. Formé dans le christianisme social, pacifiste, il a combattu de longue date l’antisémitisme comme les nationalismes et s’est lié à Isaac pour lequel il a rassemblé la documentation préparatoire à la conférence de Seelisberg8. Nommé vice-président protestant de l’AJC dès sa création en 1948, chargé du secrétariat de liaison entre les groupes et de la rédaction du bulletin, il seconde à Lyon Me Rodet après l’effacement du pasteur de Pury, parti en mission après 1957. Avec le pasteur luthérien Henry Bruston, lié comme lui à Jules Isaac et actif à combattre «l’enseignement du mépris» comme le nouveau grand rabbin Kling, Martin fait du groupe lyonnais devenu section de l’AJC un des foyers actifs de cette lutte et organise à Lyon les 16 et 17 juin 1957 une rencontre à la fois nationale (révision des statuts de l’association et du lien entre les divers groupes locaux) et internationale (coordination de l’application des dix points de Seelisberg). C’est alors que le cardinal Gerlier apprend l’existence du groupe lyonnais formé

7 Lumière et vie (revue lyonnaise de théologie publiée par les dominicains), n° spécial De l’existence de Dieu (14, mars 1954).

8 La correspondance entre Jules Isaac et Jacques Martin a été publiée dans la revue Sens (2001, n° 78).

Guesher 15 page 5

Page 6: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

sans son accord. D’abord ému par cette initiative interconfessionnelle d’origine laïque, il l’accepte ensuite et l’encourage9. Un nouveau recueil de huit articles10 d’auteurs juifs et chrétiens est publié à Lyon en 1958 : après la présentation du judaïsme contemporain et la méditation sur Israël, son histoire, sa vocation et son mystère, Jacques Martin résume l’histoire de l’AJC et définit sa tâche : lutter certes contre l’antisémitisme et développer la connaissance mutuelle dans une amitié fraternelle, mais surtout affirmer la profonde solidarité spirituelle qui unit dans une vocation commune le peuple d’Israël et l’Église de Jésus Christ.

Nouveaux animateurs

Au milieu des années 60 disparaissent les deux principaux animateurs, Émile Rodet décédé en 1964, et Jacques Martin, consacré pasteur et installé à Genève en 1966. De nouveaux protagonistes prennent le relais : le professeur de philosophie et civilisation musulmanes à l’université Roger Arnaldez11, grand connaisseur des trois monothéismes, préside le groupe jusqu’en 1968 ; il est remplacé ensuite par deux autres catholiques, le jeune historien François Delpech et le grand ami des juifs et conseiller des évêques Charles Favre. Delpech consacrera à la cause du rapprochement judéo-chrétien et de l’évolution de la pensée et des mentalités catholiques l’intelligence lucide et l’engagement dans l’action qui le feront apprécier dans l’Université comme dans les milieux juifs et chrétiens. Il étudie l’histoire du judaïsme français puis de la Congrégation féminine Notre Dame de Sion. Il est un des animateurs des colloques historiques

9 Le Cardinal a échangé à ce sujet une correspondance avec Me Rodet et avec des autorités ecclésiastiques : le P. Sommet, alors recteur du scolasticat jésuite de Fourvière, ainsi que Mgr Liénart, évêque de Lille, et Mgr de Provenchères, archevêque d’Aix, qui ont soutenu les centres d’AJC créés par Isaac dans leurs diocèses.

10 Lumière et vie, 37, mai 1958 (articles d’Émile Touati, Renée Bernheim-Neher, E. Gugenheim et André Chouraki, et de Paul Démann et M.-J. Stassiny, pères de Sion, Yves-B. Tremel, o.p. et Jacques Martin).

11 Roger Arnaldez (1911-2006) a particulièrement étudié les relations entre islam, judaïsme et christianisme dans Trois messages pour un seul Dieu (Albin Michel, 1983) et À la croisée des trois monothéismes (Ibid., 1993). Professeur à l’université de Lyon depuis 1956, il est nommé à la Sorbonne et quitte Lyon en 1968.

de Grenoble (1976) et de Lyon (1978) sur les chrétiens français pendant la Deuxième Guerre mondiale12, où il présente les premières synthèses sur la persécution des Juifs et les réactions chrétiennes ; il amorce peu après la lutte contre les déclarations prétendument documentées et surtout provoquantes de son collègue Faurisson qui nie l’existence des chambres à gaz et l’entreprise génocidaire des nazis. Charles Favre13 est un expert international en matière de psycho-pathologie sociale, spécialiste des phénomènes de préjugé et de rumeur, qui a mis sa compétence au service de la lutte contre l’antisémitisme et de l’ouverture de l’Église catholique au monde juif, en communion avec son épouse, militante au service des persécutés. Conseiller des archevêques successifs, les cardinaux Villot (1965-1967) et Renard (1967-1981), et assisté d’André-Pierre Darteil, il acquiert la totale confiance des responsables de la communauté juive, accrue encore après sa protestation publique contre l’invective lancée par le président de Gaulle au lendemain de la guerre des Six jours contre Israël et le peuple juif « sûr de lui et dominateur ». Peu d’hommes ont associé autant que lui le service de l’Église, et particulièrement des archevêques de Lyon, et celui du peuple juif. Il retrouve alors son ancien camarade d’études le docteur Marc Aron, juif allemand immigré devenu un des dirigeants de la communauté lyonnaise. Avec sa haute conscience et sa profonde humanité, celui-ci développe, avec son ami Gérard Mayer, une généreuse activité pour l’éradication des préjugés antisémites. Convaincu que le rôle des Églises chrétiennes, notamment de l’Église catholique, est décisif, il veut favoriser sans agressivité la poursuite de son évolution en ce domaine en développant la compréhension mutuelle entre juifs et chrétiens, dans l’acceptation des différences et la droiture des relations. Ce groupe, auquel est associé le père Michalon, successeur à Lyon du père Couturier pour un œcuménisme spirituel entre Églises chrétiennes, trouve un foyer d’accueil pour des rencontres privées dans la petite communauté des religieuses de Notre Dame de Sion, surtout quand est placée à sa tête sœur Magda,

12 Dans ces colloques publiés sous la direction de X. de Montclos, Églises et chrétiens dans la Deuxième Guerre mondiale (I, La région Rhône-Alpes et II, La France, Presses universitaires de Lyon, 1978 et 1982), F. Delpech (1935-1982) a présenté les premières synthèses sur la persécution des Juifs et les réactions chrétiennes.

13 Charles Favre est appelé couramment « le docteur Favre » à la suite des études de médecine qu’il a interrompues pour se consacrer à l’étude des psychologies collectives.

Guesher 15 page 6

Page 7: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Marie-Madeleine Manipoud. Celle-ci a collaboré à Rome, pendant le Concile, avec l’équipe du cardinal Bea lors de la gestation difficile de la Déclaration Nostra Ætate, elle a travaillé aussi avec Mgr Etchegaray et Gerhart Riegner. Recevant les uns et les autres, et l’archevêque Mgr Decourtray après 1981, elle mesure les enjeux théologiques et humains du dialogue et s’entend à gérer les affinités et les incompatibilités entre les personnes14.

Trente ans d’amitié sans étiquette

Co-présidé depuis 1969 par Charles Favre et François Delpech, le groupe d’amitié judéo-chrétienne de Lyon associe ainsi des personnalités différentes. Il est brutalement meurtri en 1972 par une manœuvre perverse de Paul Touvier, alors en fuite avec sa famille sous le nom de Berthet, qui réussit à compromettre la communauté jésuite du Châtelard et particulièrement un de ses membres, le père Pasquier qui assistait, du côté catholique, les participants du dialogue judéo-chrétien. Par suite d’un désaccord entre les responsables Favre et Delpech, le Châtelard n’a pas été prévenu de la manœuvre de Touvier qui frappe à la porte de toutes les communautés religieuses du diocèse pour être hébergé et obtenir leur soutien, malgré la consigne donnée par le cardinal Renard de cesser toute aide au criminel condamné. Touvier a été hébergé une nuit au Châtelard, en présence du père Pasquier, avant d’être démasqué et renvoyé, et il diffuse la nouvelle de cet accueil, contraire à l’attitude des militants lyonnais de l’AJC qui manifestent pour protester contre l’impunité du condamné bénéficiaire d’une grâce présidentielle. Le père Pasquier est discrédité aux yeux du rabbin Kling, qui retire son soutien à l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ; celle-ci est alors mise en sommeil - un sommeil qui durera près de trente ans. Subsistent cependant les liens personnels, les concertations pour répondre aux exigences de l’actualité, et les engagements de chacun : Charles Favre reste au comité directeur de l’Amitié judéo-chrétienne de France et à la LICRA (dont la direction nationale comprend deux Lyonnais, le juif Étienne Troller et le protestant René Nodot qui a participé pendant la guerre à l’action de l’Amitié chrétienne) ; François Delpech collabore à «Rencontres chrétiens et Juifs» auprès du P. Braun et de Germaine Ribière, et Marc Aron est à la direction du B’nai Brith et du CRIF régional.

14 Voir Madeleine Comte, Magda, une vie (1923-2005), Lyon, NDS, 2006.

Ainsi le rabbin Richard Wertenschlag, successeur du grand rabbin régional Kling en 1978, soucieux de dialogue dans la vérité et le respect mutuel, nouera un lien amical avec l’abbé Martin Dunand, vicaire épiscopal et délégué de l’archevêché pour les relations avec le judaïsme. Celui-ci avait déjà apporté son soutien, étant curé de Villeurbanne, à la reconstruction après la guerre de la synagogue de la ville, avec une aide allemande. Son ouverture désintéressée et sa finesse facilitent pendant cette période le maintien de relations confiantes. Les protagonistes du dialogue collaborent dans la gestion délicate de l’affaire Faurisson qui enflamme en 1978-79 l’Université Lyon 2, la ville et l’opinion nationale. Ils contribuent à la formation, dans la clarté, d’un front commun contre le négationnisme dans le respect de la légalité républicaine et des libertés universitaires. D’autres actions se poursuivent à Lyon à la veille de l’installation à l’archevêché de Mgr Decourtray (1981), comme les cours de formation donnés, à l’initiative des soeurs de Sion et à l’intention du public catholique, par des théologiens et biblistes comme les pères Kurth Hruby ou Paul Beauchamp - en attendant l’engagement de soeur Brigitte Martin-Chave qui crée dès les débuts de Radio Fourvière, entre autres émissions, celle qu’elle consacre à l’initiation du public chrétien, fort ignorant, pour une connaissance juste du judaïsme d’hier et d’aujourd’hui, émission « Nous connaître » approuvée par ses amis juifs les plus compétents. Le P. Jean Dessellier travaille aux Facultés catholiques en savant précurseur du Centre chrétien d’études du Judaïsme, qui sera inauguré en 1990 par le cardinal Decourtray en présence du rabbin Wertenschlag. Le pasteur Alain Blancy, qui a été traqué pendant la guerre comme sujet allemand et demi-juif, donne le témoignage courageux et convivial d’une forte réflexion sur judaïsme et christianisme - dans l’amitié de soeur Marie-Ruth Lambert, devenue religieuse du Prado après avoir vécu jeune fille la dure expérience de l’assistance des familles internées au camp de Gurs en 1941-42 et le sauvetage de leurs enfants. Ces actions voyantes ou modestes, menées souvent à contre-courant, entretiennent à Lyon un réseau de sympathies et de compétences dont Mgr Decourtray bénéficie à son arrivée à Lyon. Il est déjà préparé par ses études bibliques, par la lecture assidue des récits d’Élie Wiesel et par la méditation du drame de ce qu’on appelle alors l’Holocauste, à lier sa mission d’évêque à celle de témoin prophétique de la conversion de son Église à une nouvelle relation avec le peuple juif. Cette orientation apparaît lors du pèlerinage qu’il fait en compagnie de Charles Favre et du vicaire épiscopal, au lendemain

Guesher 15 page 7

Page 8: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

de son installation, auprès des hauts lieux lyonnais de l’oppression et de la souffrance sous l’occupation nazie : la prison de Montluc, le monument du Veilleur de pierre place Bellecour et le fort de Saint-Genis-Laval. Le Cardinal de Lyon s’engage peu après, aux côtés de celui de Paris Mgr Lustiger, pour la recherche d’une solution à « l’affaire du carmel d’Auschwitz », obtenue par l’accord de 1987, entré en application en 1989-1993. En 1989, le Cardinal, après avoir ouvert les archives diocésaines à la justice qui recherche les soutiens ecclésiastiques dont a bénéficié Paul Touvier, a chargé René Rémond de former une commission d’historiens, dont deux lyonnais, chargés de faire la lumière sur ces complicités dont l’Église, et particulièrement l’archevêché de Lyon, semblent responsables. Avec la participation du père Jean Dujardin, proche des dirigeants de l’AJ-C, et l’aide apportée par Ch. Favre, conseiller du Cardinal, le travail des historiens a profité au progrès dans la clarté du dialogue judéo-chrétien. Le cardinal Decourtray a noué à Lyon une relation de confiance amicale avec le grand rabbin Wertenschlag et s’est attiré la reconnaissance des juifs pour l’ensemble de son action vouée au rapprochement entre chrétiens et juifs dans le respect mutuel, l’amitié et la solidarité. Après sa mort, ce sont les communautés juives, de France et particulièrement de Lyon, qui prennent l’initiative d’un mémorial érigé en hommage à sa mémoire à Jérusalem, sur le mont Sion, qui est inauguré le 15 mai 2000 en présence de nombreuses personnalités ; des plaques commémoratives y célèbrent la mémoire du Cardinal et celles des grands Lyonnais qui ont travaillé dans le même sens, Denise et Charles Favre, Marc et Edith Aron dont les relations amicales continuées ont suppléé l’absence de rencontres institutionnelles.

Nouveau départ

Le 1er mai 2001, le bureau de l’AJ-C de Lyon, présidé par Ch. Favre15, fait part à ses amis de la reprise des activités du groupe de Lyon et sa région, rendue possible par l’accord du grand rabbin régional

15 Le nouveau bureau formé le 29 mars 2001 a nommé Charles Favre président du groupe, assisté de cinq vice-présidents (Alfred Lazare, co-fondateur du groupe, les protestants Frédéric Kirchner et Suzanne Anstett, et les catholiques Paul Saint-Pierre et Bernadette Rodet, fille du fondateur) et du secrétaire général Jean-François Bodin, journaliste à RCF ; Jean-Charles Mallen, avocat catholique et l’abbé Maurice Gardès, vicaire général, sont membres du bureau.

Richard Wertenschlag assuré que les maladresses de 1972 peuvent être oubliées. Ce bureau organise dans les années suivantes une série de réunions et de conférences, données notamment par les pères Dujardin et Desbois, par le grand rabbin régional en 2004 et par le président national de l’AJC Paul Thibaud en janvier 2005. L’ensemble de ces interventions éclaire les nouvelles orientations qui président à la relance du groupe lyonnais. Cependant la manière très personnelle dont Charles Favre gère le réseau de ses nombreuses relations amicales ou conflictuelles suscite des difficultés, reproches de direction « hégémonique » du groupe et désaccords sur la responsabilité de la rupture de 1972, qu’il attribue à F. Delpech (décédé en 1982) et aux jésuites lyonnais, ce qui provoque le pénible différend qui l’oppose à Bernadette Rodet. Il abandonne en 2005 la présidence, laissant la place à Patrick Laudet, professeur de lettres et diacre pour le diocèse de Lyon, porté par une équipe plus jeune, avec Jean-Jacques Bloch comme vice-président et la présence de l’abbé Jean Massonnet, membre du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme et alors responsable à l’Université catholique du Centre chrétien pour l’étude du Judaïsme ; celui-ci aura à cœur le développement de la réflexion théologique et des échanges spirituels entre juifs et chrétiens. Un nouveau conseil d’administration élu pour 3 ans en 2005 comporte 3 vice-présidents, juif (Jean-Jacques Bloch), catholique (Jacques Joatton) et protestant (Hélène Reboul), et deux personnalités qui se succéderont à la présidence après le départ de Patrick Laudet, par une double innovation : pour Mme Claude Lévy, celle d’une présidence juive et féminine et pour le père Jean Massonnet, directeur du Centre catholique d’Études juives à l’Université catholique de Lyon, celle d’un membre du clergé catholique lyonnais. Les conférences historiques ou théologiques concernent souvent le rapport judéo-chrétien, notamment en rapprochant les thèmes des Écritures respectives, bible juive et nouveau Testament chrétien, et en développant le dialogue entre les croyants des deux voies qui préparent l’avènement du royaume de Dieu. Des visites d’une journée sont organisées après celle des synagogues du Comtat, notamment au camp des Milles en Provence, lieu de souffrance, au Chambon sur Lignon, lieu de salut par la solidarité et à Grenoble où le groupe local a reçu les Lyonnais. Des étudiants y participent, avec de jeunes professionnels, dont des universitaires.

Bernard COMTE

Guesher 15 page 8

Page 9: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Les lycéens de Notre Dame de Bellegardeparticipent à la marche des vivants

En grande partie grâce à l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon (AJCL) un groupe de 33 élèves de Première et de Terminale du Lycée Notre-Dame de Bellegarde (Neuville-sur-Saône) a travaillé en transdisciplinarité, Histoire-Français, toute l’année scolaire 2015-2016 pour faire la Marche des Vivants organisée par le fonds social juif unifié (FSJU). Créée en 1988, La Marche des Vivants est le nom d’un programme pédagogique international qui a pour but de favoriser la transmission de l’Histoire et de la Mémoire de la Shoah. Pendant trois jours, les milliers de participants venus du monde entier découvrent les lieux de vie des Juifs de Pologne – le « Yiddishland », le musée juif de Varsovie, les sites des ghettos de Varsovie et de Cracovie et les lieux de destruction, Auschwitz 1 et Birkenau. Les élèves ont fait une plongée de découverte dans la très riche histoire des Juifs en Pologne qui donne des traces de vie de ces personnes afin de contrecarrer la tentative d’anéantissement et d’effacement des juifs d’Europe. La personnification de la catastrophe génocidaire permet de faire des morts non pas des « absents » mais, comme le dit Ricœur, des « vivants d’hier [...] qui apportent une dimension supplémentaire à l’histoire de la Shoah qui se construit sans cesse ». La mise en perspective à plusieurs échelles de cette étude, européenne, française et lyonnaise, menée par les élèves pose des éléments de réflexion sur la mémoire, l’histoire et l’humanisme. Le travail préparatoire entamé en octobre 2015 consistait à travailler sur des parcours de survivants, d’enfants cachés ou de sauveurs. Les élèves ont assisté à la commémoration de la rafle de la rue Sainte-Catherine. Ils ont passé une journée au musée mémorial d’Izieu. Ils ont reçu de nombreux partenaires dont le père Jean Massonnet, président de l’AJCL. «La qualité humaine du travail mené montre le chemin parcouru chez ces lycéens au cours d’une expérience dont on ne sort pas indemne et qui donnera sans aucun doute du fruit» (Marie Musset).

Sylvie ALTAR Professeur d’histoire et accompagnatrice

Commémoration de la rafle de la rue Sainte Catherine, le 7 février 2015, en compagnie de Serge Klarsfeld

Guesher 15 page 9

Page 10: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Témoignages d’élèves

H. : « Notre visite se déroulera dans le sens inverse, nous allons commencer par la fin », avait dit la guide avec un accent polonais marqué. « Je vous emmène voir les chambres à gaz et les fours crématoires ». Ca y est. Nous y voilà. Il était environ neuf heures et demie du matin peut être dix, et nous débutions par ce que je redoutais le plus.[…] Nous sortîmes de l’immonde bâtisse et les lar-mes envahirent mes yeux déjà rougis et humides par tant d’émotions. De l’air. Un peu en retrait du groupe, une amie et moi tentions de reprendre nos esprits. No-tre professeure nous rejoignit et, en nous prenant dans ses bras nous dit « pleurez un bon coup les filles… pleurez puis écoutez un maximum, car aujourd’hui vous devenez témoins ».

D. : J’ai découvert tellement de choses sur le peuple juif et sa culture, j’ai pu la célébrer pour ceux qui ne le peu-vent plus et n’ont pas eu le droit de le faire. J’avais l’im-pression de l’observer de l’extérieur et d’en faire partie à la fois […] c’était comme si on était uni autour d’un respect et d’une compréhension de l’autre, et qu’on cé-lébrait tout simplement la vie pour ceux qui ne le pou-vaient plus.

C. : J’ai encore en tête les barbelés qui encerclaient les camps, la grande porte d’entrée […] et cela sera gravé en moi pour toujours, et tout ça grâce à vous !

A. : Peu de personnes comprennent qui sont les juifs. Je ne le savais pas avant de vivre cette expérience. Aujourd’hui, j’ai les idées plus claires, et je suis curieuse, affamée d’en savoir plus sur ces millions de personnes qui après tant de siècles gardent l’espoir. Le cliché et l’image erronée que j’avais créés à cause des dires des uns et des autres sont partis. La Marche des Vivants, c’est la possibilité pour chacun de voir plus clairement le monde. C’est un puits d’humanité et de valeurs universelles qui nous rapprochent les uns et les autres. J. : J’ai eu une prise de conscience sur ma vie, ma famille, mes amis, et surtout cet épisode de l’histoire qui me touche tant. […] à Birkenau, même si c’était vide, l’immensité m’a coupé le souffle et je ne saurai expliquer pourquoi ce camp m’a ouvert les yeux sur tout. J’ai explosé en larmes, ça m’a touché plus que tout. J’ai ressenti pendant cette journée des émotions et

des sensations que je ne pensais jamais vivre [...] et en fait plus j’écris, plus je me rends compte que je ne peux toujours pas mettre de mots dessus. […].

E. : Maintenant, arrive le moment où je dois mettre des mots sur ce que j’ai vécu.[…] Ce qui fut le plus dur fut, sans aucun doute la vision de tous ces cheveux humains amassés derrière ces immenses vitres. Cela peut paraître idiot mais c’est la seule chose vivante qui appartenait à tous ces gens. […] Puis nous avons marché, juste pour marcher, par pour comprendre, mais pour être là en ce moment et se souvenir. L’arrivée sur les rails fut un moment exceptionnel qui m’a terriblement touchée.

A. : Je tenais à vous dire que D. et moi-même avons tenues à parler de la Marche des vivants à notre classe en cours de philosophie (avec notre professeure principale). Au début, nous appréhendions et ne savions pas si tout le monde serait réceptif. Finalement notre récit à fait l’unanimité. Les visages étaient bouleversés et les élèves étaient captivés. Il n’y a pas eu un seul bavardage. Ce sont d’ailleurs nos camarades qui nous ont demandé à plusieurs reprises de leur parler de notre voyage. […] C’était un moment très fort, de partager ça avec une vingtaine d’autres personnes. Ils avaient tous conscience sans exception de l’ampleur du projet et sont d’ailleurs pour la plupart très tentés de faire la Marche des vivants […]. C. : Autour de moi, de nombreuses personnes (ma famille, mes amis ou connaissances) m’ont demandé de leur raconter mon voyage, j’ai essayé d’utiliser les mots les plus adaptés mais ils ne peuvent pas se rendre compte de ce que nous avons vécu, de ce que j’ai vécu.

P. : Je ne sais pas si mettre des mots permettra d’effacer mes souvenirs et ma peine ou les rendra au contraire plus réels. Tout ce que je sais c’est qu’ils sont là, les mots font des rondes dans mon esprit et s’ils ne peuvent sortir par ma bouche ils se doivent de sortir par ma plume […]…A Auschwitz tout est démultiplié, tout est trop, tout est plus. Je me rappelle m’être demandé « Pourquoi suis-je ici ? » Ça non plus je ne le comprenais pas. Comment avais-je pu vouloir venir de mon plein gré dans un tel endroit ? Si on me l’avait demandé dans le camp d’Auschwitz 1 avant d’entreprendre la marche jusqu’au camp d’Auschwitz-Birkenau je n’aurais su répondre. […]

Guesher 15 page 10

Page 11: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Je m’étais dit que personne ne pourrait oublier, que personne ne pourrait jamais plus commettre de tels actes, que notre monde devait tourner autour de valeurs telles que la paix et de l’unité. Mais quand je regarde le monde autour de moi, je vois qu’il n’en est rien, que de part et d’autres existent des camps, que les gens sont parqués, qu’ils doivent fuir, qu’ils sont massacrés. […]Les actes de barbaries et d’inhumanité sont nombreux sur tous les continents et ils ne choquent plus ou peu : nous vivons avec, nous semblons nous adapter au pire et peu s’insurgent. […] Je reviens de ce voyage pleine d’enseignements, d’espoir mais aussi d’indignation parce que j’ai l’impression que nous n’avançons pas, que nous n’avons rien retenu…

H. : J’écris ce texte plusieurs semaines après notre visite du musée d’Auschwitz I […] Je ne me rappelle plus l’ordre des pièces. Mais peu importe l’ordre. Les images de chacune des salles vont et viennent en moi comme un ballet incessant. L’une d’entre elle, tout particulièrement : dans une des chambres, lugubres malgré les fenêtres ouvertes, tout au fond de l’enceinte, exposés sous une vitrine de verre, des vêtements d’enfants, de bébés. C’en

était trop ! […] J’ai pleuré. J’ai pleuré comme si je connaissais les victimes de ce drame. J’ai pleuré comme si j’étais en deuil.

A. : Après vient la marche entre les deux camps. Ce moment est inoubliable pour moi […] . En effet, nous avons pu parler à d’autres jeunes qu’ils soient Français, Canadiens, Israéliens … Cette marche nous a aussi permis de réfléchir sur la cruauté humaine de cette époque, mais aussi sur celle de nos jours. Après avoir réalisé cette marche, l’arrivée sur Birkenau fut mon meilleur moment du voyage. En effet, nous avons pu voir enfin, si je puis dire, ce porche dont nous avions tant entendu parler. Mais ici, nous ne le voyions pas de manière triste mais plus comme un message d’espoir pour les années futures. En effet, des jeunes du monde entier posaient leur plaquette avec des mots personnels, se prenaient dans les bras en se demandant comment cela a-t-il pu arriver ? Mais ce qui est aussi marquant et auquel je pense toujours aujourd’hui, c’est la magnifique musique en fond qui nous accompagnait et les drapeaux de toutes origines qui flottaient dans le ciel.

Lycéens en Pologne

Guesher 15 page 11

Les lycéens déposent sur les rails à Auschwitz des planchettes portant les noms de victimes ou des messages d’hommage. (Photo lamontagne.fr)

L’assemblée générale de notre association aura lieu le

Jeudi 29 septembre à 18h30à la Maison diocésaine – salle Gerlier6 avenue Adolphe Max 69005 Lyon

Au cours de cette rencontre Madame Sylvie Altar nous rapportera l’expérience vécue à Auschwitz-Birkenau

avec une trentaine de ses élèves ors de « La Marche des Vivants ».

Chacun de vous, adhérent ou non adhérent est convié à cette rencontre

Page 12: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Arrivés au terme de l’année académique qui vient de s’écouler (2015-2016) je propose une reprise des événements qui nous ont marqués à divers titres en tant que membres de notre association. Ils sont de trois sortes. D’abord ceux qui concernent l’ensemble de notre société et dont les médias se sont faits largement l’écho : une sinistre série d’attentats islamistes de janvier 2015 à mars 2016. Le premier (Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes) appartient à l’exercice précédent 2014-2015, mais il restait dans toutes les mémoires lorsque fut abordé l’exercice 2015-2016. Il y eut ensuite, le 13 novembre 2015, la série d’attentats à St Denis aux abords du stade de France, dans les 10e et 11e arrondissements de Paris puis le massacre dans la salle de spectacle du Bataclan. Enfin, le 22 mars 2016, Bruxelles était touchée dans son aéroport (Zaventem) et son métro (Maelbeek).

Mais ces sombres nuées de mort furent traversées par des initiatives lumineuses, porteuses de vie. D’abord deux textes adressés aux chrétiens de la part de leurs frères juifs : la « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir » de la part de cinq juifs français et « Faire la volonté de notre Père des Cieux. Vers un partenariat entre juifs et chrétiens », texte signé par 25 rabbins orthodoxes d’Israël, d'Europe et des USA (d’autres signatures se sont ajoutées par la suite). Ces messages sont une réponse à la remise en cause radicale effectuée chez les chrétiens, spécialement au cours du demi-siècle passé, en ce qui concerne leur relation au peuple juif et à sa tradition. Si ces orientations se confirment, et cela ne tient qu’aux deux parties en cause, nous pouvons envisager l’ouverture d’une nouvelle ère, d’une alliance à la mesure des énormes défis auxquels nous sommes affrontés. La commission vaticane a promulgué le 10 décembre 2015 un texte qui fait le point sur les relations judéo-chrétiennes du point de vue catholique officiel : « “Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables” (Rm 11, 29) ». Ce texte est « une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50e anniversaire de Nostra ætate (n. 4) ». Il se présente comme un encouragement à continuer dans le sens inauguré par le concile Vatican II. Ces trois déclarations

seront reprises et commentées lors de trois conférences dans l’année qui s’ouvre. Enfin, troisième série d’événements, cette fois au niveau modeste de notre association, particulièrement pour ceux qui y ont participé : une série de cinq conférences, différentes, mais pour lesquelles a été proposé un « fil rouge » commun susceptible de donner une certaine unité à l’ensemble. Le but était de montrer comment le « patrimoine commun » aux Juifs et aux chrétiens est en mesure d’offrir à notre société des perspectives cohérentes qui rendent possible un vivre ensemble (mis en question aujourd’hui) et une orientation positive vers un avenir qui ne soit pas une impasse.

Je développerai un peu plus loin le contenu et l’apport de ces exposés et présenterai ensuite la liste des conférences prévues pour 2016-2017. Mais auparavant je vous propose de suivre dans leur ordre chronologique ces trois types d’événement. Il ne s’agit pas d’établir une comparaison entre eux. La première série a eu une résonnance médiatique extrême alors que la dernière ne concerne que ceux de notre association qui y ont pris part. Mais on verra comment, au niveau de notre expérience personnelle, se succèdent menaces de mort et projets de vie, illustration des contradictions de notre temps. Les cinq conférences de 2015-2016 ont été réunies en un livret que vous pourrez consulter en tant que membres de l’association (voir site ajcf.lyon.org). Le texte de trois d’entre elles est le résultat de prises de notes à partir d’un enregistrement, avec accord du conférencier auquel j’ai soumis le texte. Le style oral s’en ressent. Pour l’une d’entre elles, sur Hillel, je me suis inspiré du contenu que j’ai présenté à ma manière, et dont j’endosse la responsabilité, le conférencier ne se sentant pas en mesure de livrer un texte sous son nom. En revanche, le texte sur le fondamentalisme est dû d’un bout à l’autre à la plume de l’auteur.

Le « fil rouge » proposé aux cinq conférenciers et mentionné plus haut propose en chaque cas : réception de la tradition, ouverture à autrui et confiance en l’avenir.

Nos conférences 2015-2016 et prévisions 2016-2017

Rétrospective

Guesher 15 page 12

Page 13: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Une condition s’impose : mettre en œuvre, à l’intérieur de nos propres confessions, juive et chrétienne, ces valeurs communes ; elles pourront alors s’exprimer à un autre niveau, social, politique, dans le monde profane. Nous n’avons pas à imposer notre religion ou ses pratiques à quiconque, mais nous ne pouvons pas renoncer au sens de l’homme que nous recevons du message qui nous fait vivre. Voici, suggérés en quelques lignes, les points forts de chaque conférence.

Monsieur Michaël Bar Zvi est docteur en philosophie. Il a étudié à la Sorbonne et à Paris IV, puis a enseigné à Tel Aviv. Il a dirigé le département de l’éducation de l’Agence juive jusqu’en 2009. Il intervient sur Radio J et propose des émissions sur le sionisme. Auteur de nombreux ouvrages, il traite de la relation entre pensée juive et philosophie politique. Son thème de prédilection est le sionisme, dont traite son dernier ouvrage : « Israël et France, l’alliance égarée » (Les

Provinciales, 2014). Sa présentation de « l’héritage d'Israël dans la culture française, une alliance spirituelle » est un cri d’alarme : la présence d’Israël dans la culture française s’efface. Or « le peuple français a été fondé en tant que peuple sur le modèle de la nation juive ». La transmission est cassée, les grandes figures bibliques de notre culture reculent dans l’ombre. Le Juif réel, celui qui se construit dans un sionisme fondé sur la tradition vivante qui le porte, est de moins en moins compris. Ce discours vigoureux est propre à stimuler, voire choquer dans certaines prises de positions au niveau politique, mais il est salutaire d’en accueillir le message de fond : notre culture (on pourrait élargir à l’Europe) gagnerait à se fonder sur son héritage judéo-chrétien pour conserver sa cohérence et son ouverture à l’avenir.

Le personnage de Charles Péguy est présenté par Monsieur Marc Gaucherand dans « Péguy et le judaïsme ». Le conférencier est docteur en philosophie ;

Guesher 15 page 13

Evénements Conférences AJCF Lyon

Textes juifs & catholiques

7-9 janvier 2015 : Attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes le 9 janvier. Au total 21 morts en trois jours (23 novembre 2015).

13 novembre 2015 : Massacre du Bataclan précédé du mitraillage à St Denis aux abords du stade de France, et aussi dans les 10e et 11e arrondissements de Paris. On compte au total 130 morts et 413 blessés, « dont 99 en situation d’urgence absolue » (Wikipédia).

5 novembre 2015 : « L’héritage d’Israël dans la culture française, une alliance spirituelle ».

23 novembre 2015 : « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir » de la part de cinq juifs français.

1 décembre 2015 : « Péguy et le judaïsme ».

3 décembre 2015 : « Faire la volonté de notre Père des Cieux. Vers un partenariat entre juifs et chrétiens ».

10 décembre 2015 : « “Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables” (Rm 11, 29). Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50e anniversaire de Nostra ætate (n. 4) ». Texte de la Commission vaticane pour les relations religieuses avec le judaïsme.

2 février 2016 : « L’exil des Juifs parmi les nations ».

22 mars 2016 : Attentat à l’aéroport de Bruxelles (Zaventem) et dans métro (station Maelbeek) : 32 victimes décédées et 90 blessés.

9 mars 2016 : « Comment le monothéisme peut-il lutter contre le fondamentalisme ? Un regard juif. »

20 mars 2016 : « Hillel l’Ancien ou Hillel le Babylonien ».

Page 14: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

il intervient en Licence et Master à l’Institut Marc Perrot et au Collège Supérieur dont il est un des administrateurs. Charles Péguy pourrait illustrer le type d’homme que Michaël Bar Zvi aimerait voir se profiler. Dans l’œuvre de cet auteur, le judaïsme est un fil continu qui court dans la prose comme dans la poésie. Son engagement dans l’affaire Dreyfus est si prégnant que toute son existence « peut être comprise comme une montée vers l’événement » suivie d’un « déploiement à partir de ce dernier ». Très engagé dans le combat socialiste, jusqu’à l’utopie qu’il ne craint pas d’endosser, il envisage la « cité harmonieuse » de laquelle aucun homme ne peut être exclu. « Aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d’injustice et de haine ». Sa démarche associative l’oppose à l’idéologie marxiste et le conduit à rompre avec le parti socialiste lorsque ce dernier adopte en 1899 un principe de censure. Son combat en faveur de l’exclu Dreyfus est en cohérence avec cette vue inclusive. Plus encore, son amitié avec des Juifs républicains l’ouvre au messianisme juif, inspirateur de l’idéalisme républicain. Mais sa perception proprement religieuse du judaïsme attendra son retour à la foi. Là encore se concrétisent ses convictions inclusives : jamais il n’adoptera la théorie de la substitution, si courante à son époque. « L’espérance chrétienne descend de l’espérance juive ». Dans notre marche vers la « cité harmonieuse », Péguy et un témoin qui peut nous inspirer.

Monsieur le Rabbin Menahem Bitton exerce à Valence. Il est un habitué de l’AJC et préside l’association « Parole commune » qui rassemble une grande diversité de participants. Il habite Villeurbanne où il enseigne dans une école. « L’exil des Juifs parmi les nations » est assez spontanément compris comme une punition. Menahem Bitton propose une voie positive et finalement optimiste, pour faire apprécier l’exil, et ceci à l’aide d’exemples simples et très concrets. Le dernier exil est celui qui est déclenché après la destruction du Temple en l’an 70. Il est une conséquence de la « haine gratuite » qui a sévi auparavant entre les Juifs. La sanction pédagogique est une ouverture pour la vie : « vous n’avez pas voulu vous entendre entre frères et entre personnes du même peuple ; vous allez devoir vous entendre avec des personnes étrangères ». Juifs et non Juifs devront apprendre à se voir. Les Juifs s’habitueront à porter un regard positif sur les nations, et ces dernières apprendront à regarder l’autre, et finalement cet Autre dont il est témoin. C’est la lumière de la rédemption ; « l’exil a vocation l’illuminer l’humanité entière ».

Édouard Robberechts est maître de conférences à l’Institut d’Études et de Culture Juives à l’Université d’Aix-Marseille. Son doctorat en philosophie traite de « l’altérité chez Paul Ricœur ». Il est bien connu chez nous, à la Faculté de Théologie où il enseigne et participe à des séminaires de recherche, et à la synagogue Keren Or où il enseigne. La réflexion qu’il propose relève d’une criante actualité : « Comment le monothéisme peut-il lutter contre le fondamentalisme ? Un regard juif ». Le fondamentalisme prend position par rapport au texte ; dans un sens plus large, le texte peut être une idéologie. Dans tous les cas il s’agit d’un donné fixe, d’une révélation pleine, à recevoir comme tels, sans ouverture à la recherche, à l’interprétation. L’obéissance s’impose sans liberté. Le monothéisme juif, dont héritent les chrétiens, s’offre au contraire comme une révélation ouverte, des « lettres creuses » qui laissent place à une recherche infinie et à la liberté de celui qui s’y adonne. Il est une école de vie, donne un espace de respiration qui ne peut manquer d’avoir d’heureuses conséquences pour les relations entre humains. En revanche, est-il besoin de rappeler quels types de sociétés engendre le fondamentalisme ? On tirera un grand profit de ces pages claires, riches et denses.

La conférence de Monsieur Alain Amsallem « Hillel » était riche d’enseignements. Le conférencier a renoncé à livrer son texte dont il signalait un manque dans l’indication des sources. J’ai donc repris moi-même ce thème, m’inspirant en partie de l’exposé de Monsieur Amsallem avec d’autant plus d’aisance que je me suis largement retrouvé dans son exposé sur ce grand maître. Hillel et son école ont insufflé au judaïsme une ouverture dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. La patience de Hillel, son sens de l’accueil, son attachement à la tradition et à la communauté, sont devenus proverbiaux. Surtout, la capacité qu’il reconnaît à tout israélite d’exprimer le sens de la Torah rend possible un réel vivre ensemble tellement en question aujourd’hui. Imaginons en effet, transposé dans la société, l’effet qu’aurait la confiance qu’il fait au peuple lorsqu’il déclare : « Laissez-les trouver la solution ; l’Esprit Saint est sur eux ; s’ils ne sont pas prophètes, ils sont fils de prophètes. ».

Prospective

L’histoire continue. Comme signalé plus haut, notre actualité a été marquée par deux magnifiques textes rédigés par des Juifs à l’adresse des chrétiens. Ils seront

Guesher 15 page 14

Page 15: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

repris et commentés dans des conférences proposées pour l’année qui vient. Celui des rabbins orthodoxes le sera par l’un des signataires, le Grand Rabbin Marc Raphaël Guedj et celui des Juifs français par Madame Daniela Touati, membre de la communauté Keren Or.

Le texte de la commission Vaticane, publié dans la même période que les deux précédents, fait le point sur l’état des relations de l’Église catholique avec le judaïsme ; texte ouvert au débat, qui sera présenté en ce sens par le Rabbin Nissim Malka de la Grande Synagogue et moi-même qui ai déjà écrit un commentaire à ce sujet.

Madame Nicole Bornstein, présidente du CRIF Auvergne-Rhône-Alpes nous entretiendra de l’antisémitisme, une réalité malheureusement toujours actuelle et à l’égard de laquelle il faut rester en éveil.

La dernière proposition résulte d’une recherche

commune à la Faculté de Théologie et à l’ISTR de Marseille. Au terme de ce travail a été édité l’ouvrage collectif Le dialogue des Écritures (Lessius (2007). Dans ce cadre, Madame Colette Poggi a présenté l’hindouisme et moi le judaïsme. Or, chacun de nous deux, écoutant l’autre, a relevé de nombreux points communs, la pointe en étant pour l’hindouisme l’expérience du « Je suis », pour le judaïsme le « Je » de Moïse, l’étonnante conscience de soi de Hillel (D. Flusser, « Hillel’s self-awareness and Jesus », Immanuel, 4 (1974), p. 31-36) et la formule Aniwaho prononcée lors de Soukkôth, et enfin pour le christianisme le “Je suis” de Jésus. La causerie que nous envisageons voudrait montrer comment trois religions, hindouisme, judaïsme et christianisme convergent vers un absolu, point commun d’attirance, non atteint, mais dynamisme de leurs orientations de fond.

Jean MASSONNET

Guesher 15 page 15

Programme des conférences 2016-2017 (toutes à 20h30) :

Conférencier et thème Date Lieu

Grand Rabbin Marc Raphaël Guedj : commentaire du texte des rabbins orthodoxes : « Faire la volonté de Notre Père des cieux ».

Premier trimestre octobre ou novembre

à définir

Daniela Touati : commentaire du texte des Juifs français « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir ».

mardi 15 nov. 2016 6 av. Adolphe Max69005 Lyon

Nissim Malka – Jean Massonnet : débat sur le texte de la commission vaticane « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables (Rm 11,29) » (10 décembre 2015).

mardi 7 février 2017 Grande synagogue 13 quai Tilsitt 69002 Lyon

Nicole Bornstein : l’antisémitismemercredi 9 mars 2017 B’nai B’rit

9 av. Leclerc69007 Lyon

Colette Poggi – Jean Massonnet : le « Je suis » dans l’hindouisme, le judaïsme et le christianisme.

mardi 2 mai 2017 Fac. Théologie, 23 place Carnot

69002 Lyon

Page 16: Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon ... · Bulletin de liaison de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon et sa région N°15 - septembre 2016 Cette année

Calendrier 2016 - 2017 / 5777 Fêtes et commémorations juives Fêtes chrétiennes

lundi 3 et mardi 4 octobre Roch Hachanamercredi 12 octobre Yom Kippourdu lundi 17 au dimanche 23 octobre Souccotlundi 24 et mardi 25 octobre Chemini Atseretmardi 25 octobre Sim’ hat Torahmardi 1er novembre Toussaintdu dimanche 27 novembre au 24 décembre Temps de l’Aventdu dimanche 25 décembre au dimanche 1er janvier 2017

Hanouka

dimanche 25 décembre Noëldimanche 8 janvier Epiphaniesamedi 11 février Tou Bichvatdu mercredi 1er mars (Cendres) au 15 avril Carêmejeudi 9 mars Jeûne d’Estherdimanche 12 mars Pourimdu dimanche 9 avril au dimanche 16 avril Semaine saintedu mardi 11avril au mardi 18 avril Pessahdimanche 16 avril Pâqueslundi 24 avril Yom Hashoa

mardi 2 mai Yom Haatzmaout

jeudi 5 mai Ascension

du mercredi 31 mai au jeudi 1er juin Chavouot

dimanche 4 juin Pentecôte

Attention : les fêtes juives commencent la veille au soir des dates civiles indiquées sur ce tableau. Pour plus de détails sur les fêtes juives: www.calj.net/fr ou www.lamed.fr (les rendez-vous de l’année juive). Pour les fêtes chrétiennes : http://cnpl.cef.fr/ Les chrétiens orthodoxes ont un calendrier un peu différent . Roch Hachana = nouvel an juif. Jour de la proclamation de la royauté de Dieu sur le monde et jour du jugement.Yom Kippour = jour du grand pardon, jeûne et prière.Souccot = fête des cabanes, en souvenir des 40 ans passés au désert après la sortie d’Egypte.Chemini Atseret = solennité de clôture du huitième jour après Souccot.Sim’ hat Torah = fête de la joie de la TorahToussaint = fête de tous les saints, reconnus et inconnus. Avent = venue. C’est le temps de l’attente et de la préparation de Noël.Hanouka = fête des lumières qui dure huit jours. Elle commémore la victoire des Maccabées sur les Syriens, ainsi que le miracle qui a permis à la lumière du chandelier de brûler pendant huit jours. Epiphanie = manifestation. C’est la fête de Jésus qui se manifeste aux nations (cf. les «rois mages «).Tou Bichvat = le nouvel an des arbresLe mercredi des Cendres est un jour pénitentiel (jeûne), qui marque le début du Carême. Jeûne de prières demandé par Esther lorsqu’elle s’apprêta à intercéder en faveur des Juifs auprès du roi Assuérus.Pourim ( = les sorts) célèbre le miracle qui a sauvé les Juifs en Perse, vers – 480, grâce à la reine Esther.Semaine sainte : notamment : Jeudi Saint : dernier repas (la Cène) et institution de l’Eucharistie. Vendredi Saint : Passion et mort de JésusPessah = fête de la sortie d’Egypte.Pâques = résurrection de Jésus, le jour où les juifs fêtaient Pessah.Yom Hashoa = jour du souvenir de la Shoa.Yom Haatzmaout = fête de l’indépendance de l’État d’Israël. Ascension : Jésus s’élève vers le ciel et disparaît aux yeux de ses disciples.Chavouot (= les semaines), exactement sept semaines après Pessah. On célèbre le don de la Torah sur le Mont Sinaï.Pentecôte ( = 50e jour après Pâques). L’Esprit-Saint vient sur les apôtres et Marie réunis au Cénacle.

Guesher 15 page 16