114
Bulletin d’information Les éditions des JOURNAUX OFFICIELS Diffusion de jurisprudence, doctrine et communications N° 656 Publication bimensuelle 1 er mars 2007

Bulletin d’information - Cour de cassation€¦ · l’arrêt de cassation qui la saisissait, peu important que l’assemblée plénière de la ... (loi du 9 juillet 1991) 364

Embed Size (px)

Citation preview

Bulletind’information

Directiondes Journaux

officiels26, rue Desaix

75727 Pariscedex 15

renseignements :01 40 58 79 79

[email protected]

Commande :par courrier

par télécopie :01 45 79 17 84

sur Internet :www.journal-officiel.gouv.fr

Prix : 5,20 €ISSN 0750-3865

Les éditions desJOURNAUX OFFICIELS

Diffusion de jurisprudence, doctrine et communications

N° 656

Publication bimensuelle

1er mars 2007

19107656couv.indd 119107656couv.indd 1 23/02/2007 09:17:5623/02/2007 09:17:56

23/02/2007V

alidJO

Bulletind’information

Communi ca t i on s

Jur i sprudenc e

Doc t r in e

2•

Bulletin d’informationEn quelques mots…

•1er mars 2007

En quelques mots…

Par avis rendu le 21 décembre dernier, la Cour de cassation,

dans une affaire où le harcèlement moral et la discrimination

syndicale invoqués par un salarié supposait, pour apporter la

preuve de tels faits, le rappel, par le salarié s’en disant victime,

de sanctions disciplinaires amnistiées, a précisé que leur amnistie ne pouvait avoir pour

effet d’empêcher ce dernier de les invoquer au soutien d’une demande tendant à

établir qu’il a été victime de faits de harcèlement moral ou

de discrimination syndicale. Il appartient en conséquence au juge saisi de rechercher si ces sanctions sont de nature

à caractériser les faits allégués par le salarié, les termes de

l’article 133-11 du code pénal - interdisant le rappel de telles

sanctions - ne pouvant s’opposer à une telle recherche

Par deux arrêts d’assemblée plénière rendus également le 21 décembre dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question des revirements de jurisprudence et de leurs effets sur les parties au litige, dans le prolongement des travaux que le groupe de travail présidé par le professeur Molfessis avait consacrés à cette question en 2004, préconisant notamment que la Cour de cassation admette la possibilité de moduler dans le temps les effets des revirements de jurisprudence, en appréciant au cas par cas les situations et les motifs impérieux d’intérêt général justifiant cette modulation

JurisprudenceCommunications

3•

1er mars 2007En quelques mots…

•Bulletin d’information

Elle a ainsi, dans une affaire de presse et d’atteinte à la présomption d’innocence, écarté - en l’espèce et sur le fondement de l’article 6 §1 de

la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - l’application de

la règle spécifique au délai de prescription propre aux actions

fondées sur une atteinte à la présomption d’innocence, délai qui déroge au droit commun en

imposant au demandeur d’introduire l’instance dans les trois mois de la publication du texte incriminé mais

aussi d’accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant sa volonté de poursuivre l’instance

engagée. En effet, pour la Cour, l’application de cette règle au litige dont elle était saisie aurait abouti à

priver le demandeur d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 précité, l’application immédiate de l’interprétation nouvelle d’un arrêt

rendu après l’introduction de l’instance le privant d’un accès au juge. Ce

faisant, la Cour privilégie les principes de sécurité juridique et la protection du droit d’action en justice pour une atteinte aux droits de la personnalité. Le même arrêt précise en outre que

« la publication d’un communiqué judiciaire ordonnée par le juge des

référés ne prive pas la victime d’une atteinte à la présomption d’innocence

du droit d’agir devant les juges du fond pour obtenir l’allocation de

dommages-intérêts »

Elle a en outre, par un autre arrêt d’assemblée plénière du même jour, réaffirmé, là aussi au nom de la sécurité juridique et de garantie d’un procès équitable, une jurisprudence constante depuis un arrêt de chambre mixte du 30 avril 1971, rappelant l’irrecevabilité du moyen de cassation reprochant à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, peu important que l’assemblée plénière de la Cour de cassation ait rendu, dans une autre instance et postérieurement à l’arrêt saisissant la juridiction de renvoi, un arrêt revenant sur la solution exprimée par ce dernier

Doctrine

4•

Bulletin d’informationTable des matières

•1er mars 2007

Table des matières

* Les titres et sommaires des arrêts publiés dans le présent numéro paraissent, avec le texte de l’arrêt, dans leur rédaction définitive, au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du mois correspondant à la date du prononcé des décisions.

Jurisprudence

Cour de cassation (*)

I. - AVIS DE LA COUR DE CASSATION Séance du 21 décembre 2006

Contrat de travail, rupture Page 6

II. - ARRÊTS PUBLIÉS INTÉGRALEMENTA. - Arrêt du 21 décembre 2006rendu par l’assemblée plénière

Presse Page 26

B. - Arrêts du 21 décembre 2006rendu par l’assemblée plénière

Cassation Page 50

III. - TITRES ET SOMMAIRES D’ARRÊTS- ARRÊTS DES CHAMBRES Numéros

Action en justice 359-360

Alsace-Moselle 361-459

Appel civil 362

Arbitrage 363

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) 364

Atteinte à l’autorité de l’Etat 365

Atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne 366

Avocat 367

Bail commercial 368-369

Bail d’habitation 370

Banqueroute 371

Communauté entre époux 372

Compétence 373

Conflit de juridictions 374

Conflit de lois 375-376

Contrat d’entreprise 377 à 379

Contrat de travail, durée déterminée 380

Contrat de travail, exécution 381 à 384

Contrat de travail, rupture 381-385 à 387

Contrats et obligations conventionnelles 388-389

Convention européennedes droits de l’homme 390

Conventions internationales 391

Cours d’assises 392-393

Délais 394

Divorce, séparation de corps 395 à 398

Douanes 399

Droit de rétention 400

Elections professionnelles 401 à 403

Emploi 404

Entreprise en difficulté (prévention et règlement amiable) 405

Entreprise en difficulté 406 à 408

Etat civil 409

Etranger 410

Expert judiciaire 411-412

Expropriation pour caused’utilité publique 413

Frais et dépens 414

Fraudes et falsifications 415

Impôts et taxes 416-417

Intérêts 443

Juge de l’exécution 418

Juridictions correctionnelles 419

Lois et règlements 420

5•

1er mars 2007Table des matières

•Bulletin d’information

Majeur protégé 421

Mariage 422

Mineur 423

Nationalité 424

Navigation maritime 425

Partage 426

Pêche maritime 425

Peines 427-428

Prescription civile 429

Presse 430 à 432

Procédure civile 433 à 436

Procédures civiles d’exécution 437

Propriété 462

Propriété littéraire et artistique 438 à 440

Protection de la natureet de l’environnement 441-442

Protection des consommateurs 443 à 445

Protection des droits de la personne 446

Prud’hommes 401-403

Représentation des salariés 447

Responsabilité du faitdes produits défectueux 448

Révision 449

Saisie immobilière 450

Sécurité sociale 451

Sécurité sociale, accident du travail 452-453

Sécurité sociale, allocations diverses 454

Sécurité sociale, assurances sociales 455

Séparation des pouvoirs 456-457

Société à responsabilité limitée 458

Société d’aménagement foncieret d’établissement rural 459

Statut collectif du travail 386-460-461

Succession 462-463

Syndicat professionnel 464

Terrorisme 465

Testament 466

Transports terrestres 467

Travail 468

Travail réglementation 469-470

Vente 370-438-471-472

Cours et tribunaux Numéros

Jurisprudence des cours d’appel relative au référé

Référé 473-474

Jurisprudence des cours d’appel relative au bail rural

Bail rural 475-476Séparation des pouvoirs 477

Un an d’application de la loide sauvegarde des entreprises

Entreprise en difficulté(loi du 26 juillet 2005) 478 à 480

Jurisprudence des cours d’appelrelative à la faute grave

Contrat de travail, rupture 481 à 483

Autre jurisprudence des cours d’appel

Communauté entre époux 484Conflit de juridictions 485Fondation 486

Doctrine Pages 103-104

6•

Bulletin d’informationJurisprudence

•1er mars 2007

Jurisprudence

Cour de cassation

I. - AVIS DE LA COUR DE CASSATION

SÉANCE DU 21 DÉCEMBRE 2006

Titre et sommaire Page 6

Avis Page 6

Rapport Page 8

Observations Page 25

Contrat de travail, ruptureEmployeur - Pouvoir disciplinaire - Sanction - Sanction discriminatoire - Caractérisation - Preuve -

Moyen de preuve - Mention d’une sanction amnistiée.

L’amnistie de sanctions disciplinaires ou professionnelles dont bénéficie un salarié ne peut avoir pour effet de l’empêcher d’invoquer ces sanctions au soutien d’une demande tendant à établir qu’il a été victime de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale ; dès lors, le juge saisi ne peut refuser de rechercher si ces sanctions sont de nature à caractériser les faits allégués par le salarié.

AVIS

LA COUR DE CASSATION,

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile ;

Vu la demande d’avis formulée le 28 septembre 2006 par le conseil des prud’hommes de Brive-la-Gaillarde, reçue le 3 octobre 2006, dans une instance opposant Monsieur Guy X… à la SA CD Trans, et ainsi libellée :

« L’article 133-11 du code pénal dispose qu’il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation.

Comment une juridiction prud’homale peut-elle concilier le respect de cette interdiction générale avec l’obligation de statuer lorsqu’elle est saisie d’une demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination syndicale et que le demandeur entend caractériser l’existence d’un harcèlement et d’une discrimination en se fondant sur la succession des sanctions disciplinaires prononcées contre lui par son employeur, lesdites sanctions étant amnistiées au jour de la demande ? »

7•

1er mars 2007Jurisprudence

•Bulletin d’information

Sur le rapport de Madame le conseiller référendaire Manes-Roussel et les conclusions de Monsieur l’avocat général Foerst, entendu en ses observations orales ;

EST D’AVIS que L’amnistie de sanctions disciplinaires ou professionnelles dont bénéficie un salarié ne peut avoir pour effet de l’empêcher d’invoquer ces sanctions au soutien d’une demande tendant à établir qu’il a été victime de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale ; dès lors, le juge saisi ne peut refuser de rechercher si ces sanctions sont de nature à caractériser les faits allégués par le salarié.

M. Canivet, P. Pt. - Mme Manes-Roussel, Rap., assistée de M. Roublot, auditeur. - M. Foerst, Av. Gén.

8•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

PLAN

Introduction

I. - Cadre factuel et procédural

II. - Recevabilité de la demande d’avis

A. - Au regard des règles de forme

B. - Au regard des règles de fond

1. - Question de droit

2. - Question nouvelle

3. - Difficulté sérieuse

4. - Nombreux litiges

III. - Le cadre légal

A. - L’amnistie des sanctions disciplinaires

1. - Le contexte général et le fondement de l’amnistie

2. - Le droit positif

a) La Constitution

b) Le droit commun de l’amnistie

c) L’article 133-11 du code pénal

1° L’économie générale

2° Les conditions d’application

2.1. - Existence d’une loi d’amnistie

2.2. - Le prononcé d’une sanction amnistiable

2.2.a. - Sanction visée par la loi

2.2.b. - Sanction non exclue

2.2.c. - Sanction ne constituant pas un manquement à la probité, à l’honneur et aux bonnes mœurs

2.3. - Conditions d’application dans le temps

3. - La portée de l’article 133-11 du code pénal

B. - Le harcèlement moral et la discrimination syndicale

1. - Le harcèlement moral

a) Notion et portée

b) Régime de la preuve

2. - La discrimination syndicale

a) Notion et portée

b) Régime de la preuve

IV. - Eléments de réponse

A. - La lettre des articles 11 et 12 de la loi d’amnistie de 2002

B. - La finalité de l’extension du principe de l’amnistie aux sanctions disciplinaires

C. - La jurisprudence sur la portée de l’amnistie

D. - Des raisons spécifiques

E. - Des raisons pratiques

Rapport de Mme Manes-RousselConseiller rapporteur

9•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

IntroductionPar la demande d’avis formée par le conseil de prud’hommes de Brive-la-Gaillarde (Brive), la Cour de cassation est invitée à se prononcer, en substance, sur le point de savoir si le principe de l’interdiction posée par l’article 133-11 du code pénal est opposable au juge prud’homal saisi d’une demande de dommages-intérêts présentée par un salarié pour des faits de discrimination syndicale et de harcèlement moral.

Après l’exposé du cadre factuel et procédural (I), l’examen de la recevabilité de la demande d’avis (II) seront examinés successivement le cadre légal (III) et les éléments de réponse à la question (IV).

I. - Le cadre factuel et procédural

Le litige [au principal] oppose M. X… à son employeur, la société CD Trans.

M. X… a été engagé en 1982 en qualité de conducteur par la société Doumen. En 1995, par application de l’article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail, son contrat de travail a été transféré à la société GT location centre Ouest puis, à compter du 1er juin 2000, à la société CD Trans.

Le 5 février 2001, il a été désigné délégué syndical.

Le 9 novembre 2001, le salarié a écrit au procureur de la République de Brive pour lui faire part de menaces reçues dans le cadre de son travail. Le 15 octobre 2002, il s’est constitué partie civile dans la procédure ouverte contre X pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime.

Le 9 janvier 2003, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de Brive d’une demande tendant à la condamnation de son employeur, la société CD Trans, à lui payer d’une part, diverses sommes à titre de salaires, de primes et d’indemnités non perçus et d’autre part, de dommages-intérêts en raison de la discrimination syndicale et du harcèlement moral dont il prétend avoir été victime.

Le 22 octobre 2003, le conseil de prud’hommes de Brive a sursis à statuer sur les demandes de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale et du harcèlement moral, a condamné la société CD Trans à payer au salarié des sommes à titre de rappel de salaires et en remboursement de l’abattement sur frais de repas, avec intérêts à compter du 10 janvier 2003, a débouté le salarié du surplus de ses demandes et l’a condamné à rembourser la somme allouée provisoirement sur les primes d’ancienneté.

Sur appel interjeté par le salarié, la cour d’appel de Limoges, le 24 mai 2004, a confirmé ce jugement dans toutes ses dispositions et a renvoyé l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Brive pour poursuite de l’instance.

Le 27 octobre 2004, cette juridiction a prononcé le sursis à statuer jusqu’à l’issue de la procédure pénale en cours.

Le 12 mai 2005, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Limoges a confirmé l’ordonnance de non-lieu prise par le juge d’instruction de Brive le 4 février 2005.

L’affaire est revenue devant le conseil de prud’hommes de Brive à l’audience de jugement du 22 juin 2006. A cette audience, le salarié, se fondant sur les articles L. 412-2, L. 122-45 et L. 122-49 du code du travail, a demandé à la juridiction saisie de dire et juger qu’il avait été victime de discrimination syndicale et de harcèlement moral au sein de la société CD Trans, en conséquence, de condamner son employeur au paiement d’indemnités à ce titre. Au soutien de ses demandes il fait état, en substance, de divers faits ayant motivé une procédure de licenciement initiée le 14 mars 2001 dont l’autorisation a été refusée par l’inspecteur du travail le 20 avril 20011, une mise à pied conservatoire privée d’effet par la décision de l’inspecteur du travail et deux avertissements prononcés le 27 juillet 2001 et le 20 novembre 2001. Selon lui, la multiplication des mesures prises contre lui depuis sa désignation en qualité de délégué syndical jusqu’à la cessation de son activité en 2003, de nature disciplinaire ou liées à sa rémunération, caractériserait la discrimination syndicale subie dans l’exercice de son activité et dans sa rémunération. Elle expliquerait, en outre, la dégradation de ses conditions de travail et le syndrome anxio-dépressif développé.

La société CD Trans, qui conclut au débouté du salarié, fait valoir que le rappel de ces sanctions serait interdit par l’article 11 de la loi no 2002-1062 du 6 août 20022 qui porte amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles et par l’article 133-11 du code pénal.

Par jugement avant dire droit du 28 septembre 2006, le conseil de prud’hommes de Brive a saisi la Cour de cassation d’une demande d’avis rédigée en ces termes :

« L’article 133-11 du code pénal dispose qu’« il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation ».

Comment une juridiction prud’homale peut-elle concilier le respect de cette interdiction générale avec l’obligation de statuer lorsqu’elle est saisie d’une demande en dommages et intérêts pour harcèlement et

1 Selon le juge de renvoi, les recours introduits par l’employeur contre cette décision n’ayant pu aboutir par l’effet de la loi d’amnistie du 6 août 2002.

2 JORF du 9 août 2002 (ci-après « loi du 6 août 2002 » ou « loi de 2002 »).

10•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

discrimination syndicale et que le demandeur entend caractériser l’existence d’un harcèlement et d’une discrimination en se fondant sur la succession des sanctions disciplinaires prononcées contre lui par son employeur, lesdites sanctions étant amnistiées au jour de la demande ? »

II. - Recevabilité de la demande d’avis

A. - Au regard des règles de forme

La procédure suivie et les diligences accomplies par le conseil de prud’hommes de Brive satisfont aux conditions de forme prévues aux articles 1031-1 et 1031-2 du nouveau code de procédure civile.

Le dossier de cette affaire, qui contient les observations des parties comparantes et l’avis du procureur de la République3, est parvenu complet au greffe de la Cour de cassation le 3 octobre 2006.

B. - Au regard des règles de fond

L’article L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire énonce que « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation qui se prononce dans le délai de trois mois de sa saisine.

Il est sursis à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à l’avis de la Cour de cassation ou, à défaut, jusqu’à l’expiration du délai ci-dessus mentionné. Toutefois, les mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires peuvent être prises.

L’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande. Il est communiqué aux parties ».

Cette disposition a été abrogée par l’article 3 de l’ordonnance no 2006-673 du 8 juin 2006, à l’exception de la seconde phrase du deuxième alinéa qui ne l’est qu’à compter de la date d’entrée en vigueur du décret portant refonte de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire4.

L’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit désormais ce qui suit : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ».

Quatre conditions cumulatives sont donc posées par l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire.

La question doit être une question de droit (1), nouvelle (2), qui présente une difficulté sérieuse (3) et se pose dans de nombreux litiges (4).

1. - Est considérée comme répondant à cette exigence la question de pur droit. Serait ainsi sanctionnée par une décision de non-lieu à avis les questions formulées de manière trop factuelles, c’est-à-dire mélangées de droit et de fait et ainsi insuffisamment dégagées des faits de l’espèce. La question, en ce qu’elle interroge la Cour sur la portée de l’interdiction, qui est formulée en termes abstraits et généraux et se réfère à un texte de loi, est incontestablement une question de droit.

2. - Selon la doctrine de la Cour de cassation, une question de droit peut être nouvelle, soit parce qu’elle concerne l’application d’un texte nouveau soit parce qu’elle n’a jamais été tranchée par la Cour.

La demande d’avis porte précisément sur le caractère conciliable de l’interdiction posée par l’article 133-11 du code pénal avec l’office du juge prud’homal dans le cadre d’un litige opposant un salarié à son employeur pour des faits de discrimination syndicale et de harcèlement moral. Le juge qui nous saisit entend écarter comme non pertinent l’arrêt du 6 mai 1997, précité5 parce qu’il a été rendu dans le cadre d’une procédure pénale. Je suis également d’avis que cet arrêt n’est pas pertinent. En effet, cet arrêt concerne le rappel, dans une décision pénale, d’une peine frappée par l’amnistie et ce pour motiver le prononcé d’une nouvelle sanction. La chambre criminelle en a logiquement conclu qu’en se déterminant ainsi, en fonction d’un élément que la loi lui fait interdiction de prendre en considération, la cour d’appel a méconnu les principes et les textes susvisés. Il ne constitue donc pas un « précédent ».

La chambre sociale de la Cour de cassation a été saisie d’une question connexe6. Elle n’y a pas répondu car les motifs critiqués par le pourvoi étaient surabondants.

L’absence de décision pertinente permet de considérer que la question soumise est nouvelle.

3 Qui considère inopportun de soumettre cette question à la Cour de cassation en raison de la réponse qui aurait été donnée à celle-ci dans un arrêt du 6 mai 1997 rendu par la chambre criminelle (pourvoi n° 96-82.328, arrêt n° 2565, Bull. crim. 1997, n° 176).

4 A ce jour, le décret n’a pas été adopté.5 La chambre criminelle était saisie d’un pourvoi qui reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir, pour des motifs pris de la violation des

articles 23 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, 133-11 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, rappelé l’existence d’une condamnation amnistiée. Elle a accueilli le pourvoi au motif qu’en se déterminant pour le prononcé de la peine en fonction d’un élément que la loi lui fait interdiction de prendre en considération la cour d’appel a méconnu les principes et les textes susvisés. En l’espèce, les juges du fond, avant de prononcer la peine en partie privative de liberté, ont relevé que l’intéressé avait déjà été condamné par un arrêt du 9 janvier 1995 pour non-représentation d’enfant, ce qui « dénot[ait] de sa part un refus manifeste d’exécuter les décisions judiciaires ». L’arrêt attaqué a dès lors été annulé.

6 Soc., 15 février 2006, pourvois n° 04-41.666 et n° 04-41.667, Société Bouygues bâtiment contre M. X… A la différence que, dans ces espèces, c’était l’employeur qui invoquait des faits ayant justifié la sanction disciplinaire ultérieurement amnistiée afin d’établir que la discrimination syndicale alléguée par le salarié était justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’appartenance syndicale.

11•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

3. - Selon les auteurs7, une difficulté est sérieuse lorsque la question posée pourrait donner lieu à plusieurs solutions divergentes d’égales pertinences de la part des juridictions du fond en sorte que la demande d’avis vise à prévenir le risque de contrariété de jurisprudence.

La question sérieuse est en outre celle qui commande l’issue du litige8. La question qui est aujourd’hui soumise répond manifestement aux exigences du texte.

4. - La dernière condition édictée par l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire doit être comprise, selon la doctrine, comme visant l’hypothèse des « séries ». Ainsi, selon le garde des sceaux, M. Kiejman, la Cour de cassation pourra refuser d’être consultée si « la demande porte sur une question singulière, individuelle et peu susceptible d’être posée à nouveau »9. Cependant, cette condition est appréciée de façon libérale, voire est délaissée par notre Cour10, pour deux raisons essentielles. La première d’ordre technique, un problème d’information se posant à l’évidence pour les juges du fond qui ne disposent, pas plus que la Cour de cassation elle-même, d’instruments de mesure fiables leur permettant de vérifier l’existence de litiges nombreux en cours dont l’issue dépend de la réponse à la question posée. La seconde tenant au caractère « auto-contradictoire »11 du texte : comment une question de droit véritablement nouvelle et se posant au juge du premier degré, pourrait-elle en outre intéresser une pluralité de litiges en cours ?

La doctrine rappelle en outre que l’objectif de la procédure d’avis étant d’unifier la jurisprudence et de prévenir l’encombrement de la Cour de cassation, les conditions tenant à la difficulté et à la nouveauté de la question de droit doivent l’emporter. Cette dernière exigence viendrait donc seulement au soutien des trois premières. Il en résulterait qu’une question d’espèce serait exclue de la procédure d’avis.

Il me semble enfin que cette dernière exigence a été édictée pour permettre à la Cour de cassation de se prononcer sur des questions qui présentent un intérêt pratique manifeste12 de nature à prévenir des divergences de jurisprudence.

En ce qui concerne la demande d’avis dont notre Cour est saisie, l’existence de « nombreux litiges » n’est pas avérée. La réponse à la question posée présente cependant un intérêt pratique certain dans la mesure où, dans la matière concernée par l’avis - harcèlement moral et discrimination syndicale -, le salarié se heurte à la difficulté de rapporter la preuve des faits allégués. En effet, mais j’y reviendrai, le salarié qui se prétend victime de tels agissements doit présenter au juge des éléments de faits - et non de simples allégations - susceptibles d’en caractériser l’existence. Il reviendra alors à l’auteur supposé d’établir que ses actes sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l’appartenance syndicale ou des motifs objectifs étrangers à tout harcèlement. Il en résulte que la charge de la preuve pèse dans un premier temps sur le salarié. S’il n’établit pas la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu’il présente au soutien de ses allégations, le procès s’arrête là. Même si, en droit du travail, la preuve est libre et que les témoins de ces faits sont en principe protégés - les collègues qui témoigneraient ne pouvant être licenciés en raison de leur témoignage hostile à l’employeur - il s’avère en pratique que le salarié se heurte à une difficulté sérieuse tenant à l’administration de cette preuve dans le contexte particulier du monde du travail où la dépendance économique des témoins à l’égard d’un des acteurs du débat justifie souvent l’absence de témoignages donnés à l’appui des faits allégués par le salarié. Il découle de ce qui précède que la réponse à la question posée est de nature à déterminer l’issue de nombreux litiges.

III. - Le cadre légal

Deux types de textes sont concernés par la demande d’avis. Ceux relatifs à l’amnistie des sanctions disciplinaires et ceux relatifs au harcèlement moral et à la discrimination syndicale.

A. - L’amnistie des sanctions disciplinaires

1. - Le contexte général et le fondement de l’amnistie

Au sens étymologique, le terme « amnistie » vient du mot grec « amnêsia » qui signifie « perte totale de mémoire ».

A l’origine, cette mesure avait une vocation essentiellement politique puisqu’elle était destinée à pacifier le climat de tension qui avait prévalu dans les rapports entre Etats, entre Etats et individus ou entre individus eux-mêmes13.

La première amnistie remonte à l’an 403 avant Jésus-Christ. Elle a été votée à Athènes à l’initiative de Thrasybule. Ce général et politicien athénien, rentré d’exil pour renverser le gouvernement oligarchique14 des

7 Voir, notamment, M. Jean Buffet, « la saisine pour avis de la Cour de cassation » BICC n° 516 du 15 juin 2000 et son exposé devant les premiers présidents de cours d’appel réunis à la Cour de cassation le 29 mars 2000, en ligne sur le site de la Cour de cassation ; M. Frédéric Zenati « la saisine pour avis de la Cour de cassation », in Dalloz, 1992, Chroniques, p. 247.

8 Mme Anne-Marijke Morgan de Rivery-Guillaud, « la saisine pour avis de la Cour de cassation » JCP 1992, I, p. 3576 reprenant les travaux préparatoires de la loi de 1991 (rapport de M. Hyest, également cité par M. Henri-Michel Darnanville « la saisine pour avis du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation » AJDA, 2001, Chroniques, p. 416) ; Frédéric Desportes « la procédure d’avis en matière pénale. La nouvelle procédure et les modalités de mise en œuvre », BICC n° 550 du 15 février 2002.

9 Sa réponse, lors des débats parlementaires au sénat (JORF Sénat, 7 mai 1991, p. 883).10 M. Jean Buffet, son exposé devant les premiers présidents de cours d’appel réunis à la Cour de cassation le 29 mars 2000,

précité.11 Ibidem.12 En ce sens, voir notamment, le rapport de Mme Ingrid Andrich, dans l’avis n° 005 0009 du 21 octobre 2005 (Bull. 2005, Avis,

n° 8).13 Gallo Blandine Koudou, « Amnistie et impunité des crimes internationaux » in Droits fondamentaux, n° 4, janvier-

décembre 2004.14 Du grec oligos, peu, et arkhê, commandement, est une forme de gouvernement dans laquelle la plupart des pouvoirs sont

détenus par une petite partie de la société (typiquement la plus puissante que ce soit par richesse, force militaire, cruauté ou influence politique).

12•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

Trente tyrans d’Athènes15 et rétablir la démocratie dans la Cité, proposa à l’assemblée des citoyens de voter une loi pour consacrer l’oubli des divisions antérieures. La loi de Thrasybule donne à la notion d’amnistie son caractère d’oubli volontaire puisqu’institué. Ainsi appréhendée, cette loi est, a priori, conforme à l’étymologie même du terme amnistie.

Accueillie par le droit romain, elle s’est maintenue dans l’Ancien Droit. La Révolution française ne l’a pas supprimée. Plusieurs textes portant amnistie furent ainsi promulgués en l’an X, notamment au profit des rebelles vendéens.

« L’amnistie est un processus juridique surprenant par l’effet radical qu’il impose : on oublie tout, rien ne s’est passé »16. Par l’effet de l’amnistie, l’événement, réputé comme n’ayant jamais eu lieu, emporte effacement de l’infraction, arrêt des poursuites et extinction de la peine, quelle que soit la gravité des faits reprochés à leurs auteurs. Les prisonniers retrouvent leur liberté, les exilés leur maison et les condamnés leur virginité. L’amnistie a ainsi « une utilité première et immédiate, celle de la pacification définitive après la lutte, celle de la volonté affirmée d’un retour à la normale »17. Cette mesure est ainsi assimilée à « une réconciliation offerte au corps social, un artifice pour pouvoir continuer à vivre ensemble après la lutte »18. Il s’agit ainsi de clore définitivement le conflit, d’y mettre un « point final »19.

L’amnistie poursuit une seconde finalité, plus éloignée du sens étymologique et de l’inspiration politique qui présida initialement à son adoption. A l’idée d’oubli, il convient désormais d’associer celle de pardon. Celle-ci est, du reste, contenue implicitement dans cette définition donnée par le Vocabulaire juridique et selon laquelle l’amnistie est une « mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux (ces faits étant réputés avoir été licites, mais non pas ne pas avoir eu lieu) »20. C’est la volonté clairement exprimée par le promoteur de la loi d’amnistie de 200221.

2. - Le droit positif

a) La Constitution

L’article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles concernant : la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ».

La loi d’amnistie est votée dans les mêmes conditions que les lois ordinaires et elle est soumise, le cas échéant, au contrôle du Conseil constitutionnel.

Ce dernier a jugé, dans sa décision du 11 janvier 199022, que le législateur peut, dans un but d’apaisement politique ou social, enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effacant les condamnations qui les ont frappés ; il lui appartient alors de décider quelles sont les infractions et, le cas échéant, les personnes auxquelles doit s’appliquer le bénéfice de l’amnistie. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce qu’il délimite ainsi le champ d’application de l’amnistie dès lors que les catégories retenues sont définies de manière objective.

Traditionnellement, sous la Ve République, une loi d’amnistie générale est adoptée au début du mandat du président de la République. Mais des lois d’amnistie particulières ont été également adoptées à la suite d’événements exceptionnels ou de périodes troubles.

Cette mesure législative exceptionnelle qui dépouille rétroactivement certains faits de leur caractère délictueux ne relevait, jusqu’à la réforme du code pénal en 1992, que des lois particulières strictement interprétées par le juge pénal23.

b) Le droit commun de l’amnistie

Le droit commun de l’amnistie est régi par les articles 133-9, 133-10 et 133-11 du code pénal qui y ont été introduits à titre permanent par la loi du 22 juillet 1992 portant réforme du même code. Dans l’esprit du législateur, une telle introduction devait permettre d’éviter la répétition de leur contenu dans chaque loi d’amnistie. « Les lois futures n’auront plus qu’à prévoir tel ou tel effet particulier qu’elles souhaiteraient donner à l’amnistie qu’elles édicteront »24.

- Selon le premier de ces textes, « l’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne sans qu’elle puisse donner lieu à restitution la remise de toutes peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu être accordé lors d’une condamnation antérieure ».

15 Gouvernement oligarchique composé de trente magistrats appelés tyrans, qui succède à la démocratie athénienne à la fin de la guerre du Péloponnèse, pendant moins d’un an, en 404. Cette Constitution est imposée aux Athéniens par le général spartiate Lysandre après la reddition d’Athènes négociée par l’un des futurs Trente tyrans, Théramène, en 404. L’Ecclésia (l’assemblée du peuple athénien) s’est opposée à ce régime mais, avec l’appui d’une garnison spartiate, les Trente, emmenés par Critias, imposent un régime de terreur, ne réservant les pleins droits de citoyens qu’à leurs 3 000 partisans. Leurs adversaires peuvent être condamnés sans aucun jugement. Ceux qui luttent contre cette dérive sont impitoyablement éliminés, tel Théramène, condamné à boire la ciguë. En janvier 403, après sept ou huit mois de pouvoir, les Trente Tyrans sont chassés par Thrasybule.

16 Stéphane Gacon et Suzanne Citron, « Amnistie - Les contraintes de la mémoire officielle », in Oublier nos crimes : L’amnésie nationale, une spécificité française ?, p. 100.

17 Ibidem.18 Ibidem.19 Expression empruntée à la loi argentine n° 23-492 du 12 décembre 1986 portant amnistie, dite « Loi de point final » (Ley de punto

final).20 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henry Capitant, 3e édition, Paris, PUF, 1992, p. 49.21 Communiqué du conseil des ministres du 3 juillet 2002. Selon le garde des sceaux, le projet d’amnistie présenté au parlement,

qui « s’inscrit dans la tradition républicaine des lois d’amnistie adoptées après chaque élection présidentielle »… « s’attache à mieux concilier le geste de pardon, qui est l’inspiration de l’amnistie, avec les nécessités de la répression ».

22 Décision n° 89-271 DC (JORF, 13 janvier 1990).23 Jean Pradel, Droit pénal général, Cujas, édition 2002/2003, p. 319 à 320.24 Rapport de Philippe Marchand, au nom de la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale, n° 896, p. 271

à 272.

13•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

- Selon le deuxième de ces textes, « l’amnistie ne préjudicie pas aux tiers ».

La Cour de cassation et le Conseil d’Etat font une application régulière de ce principe général de droit commun.

Il est ainsi admis par le Conseil d’Etat que des faits amnistiés peuvent être retenus par un ordre professionnel pour refuser une inscription au tableau de l’ordre25.

De même, la Cour de cassation applique régulièrement ce principe. C’est ainsi que la chambre criminelle a jugé que les parties civiles peuvent demander réparation du préjudice subi du fait d’une infraction amnistiée. En effet, précise-t-on, « l’amnistie, si elle entraîne l’effacement de la peine, ne peut porter atteinte aux droits des tiers et reste sans effet sur les conséquences d’ordre civil des faits délictueux »26. De même, la chambre commerciale a jugé « qu’en vertu de l’article 23 de la loi du 4 août 1981 et dans le but d’assurer la sauvegarde, au profit des tiers intéressés, des preuves déjà acquises au moyen d’une procédure pénale, ladite procédure concernant une infraction amnistiée peut être versée aux débats d’une instance portant sur les intérêts civils liés à cette infraction »27.

- Le troisième de ces textes, étant précisément à l’origine de la demande d’avis, fera l’objet d’une étude particulière (c). Seront ainsi examinées l’économie générale (1°), puis les conditions d’application (2°) et la portée de l’article 133-11 du code pénal (3°).

c) L’article 133-11 du code pénal

1° L’économie générale

L’article 133-11 du code pénal consacre le principe selon lequel l’amnistie est l’oubli de la faute. Il précise ainsi qu’« est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation ».

Cette obligation d’effacement s’impose en particulier au casier judiciaire28 et au sommier de police technique du ministère de l’Intérieur29. Cependant, cette obligation n’entraîne pas la destruction des archives judiciaires, notamment pas celle des minutes, arrêts et décisions des juridictions.

Dans la loi d’amnistie du 6 août 2002, il est toutefois précisé, ce qui ne figurait pas dans la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie30, que l’amnistie n’empêche pas le maintien des mentions relatives à des faits amnistiés dans les fichiers de police judiciaire31. Cette disposition est destinée à garantir l’efficacité de ces fichiers tout en respectant la logique de l’amnistie, qui efface les condamnations mais ne fait pas disparaître les faits eux-mêmes32.

De même, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution d’une publication qui aurait été ordonnée par le juge à titre de réparation, ce qui est souvent le cas en matière de diffamation par voie de presse.

L’article 133-11, alinéa 3, du code pénal a en outre tranché une difficulté qui revenait de manière récurrente à l’occasion de l’adoption des différentes lois d’amnistie et qui tenait à la portée ratione personae de cette interdiction. Il s’agissait en effet de déterminer si l’interdiction devait être limitée aux seules personnes qui, dans l’exercice de leurs fonctions, ont eu connaissance des faits amnistiés33 ou bien si cette prohibition devait s’étendre erga omnes34. L’article 133-11 du code pénal a opté en faveur de la portée limitée de l’interdiction du rappel des peines ou des sanctions amnistiées. Il s’ensuit que n’y sont pas soumis ceux qui ont connu la peine ou la sanction en dehors d’une fonction, qu’elle soit publique ou privée35.

2° Conditions d’application

L’application de l’article 133-11 du code pénal suppose le respect de trois conditions : l’existence d’une loi d’amnistie (2.1), le prononcé d’une sanction disciplinaire ou professionnelle amnistiable (2.2) et la réunion des conditions d’application dans le temps de la loi d’amnistie (2.3).

25 CE 8 avril 1970, n° 72676, Rec. Lebon (les faits amnistiés étaient de nature à établir que le demandeur ne remplissait pas les conditions de moralité requises pour l’exercice de la profession d’architecte).

26 Crim., 4 janvier 1991, pourvoi n° 87-81.995. 27 Com., 15 juillet 1987, Bull. 1987, IV, n° 186 : « il s’ensuit que, saisie contre M. X… d’une demande en paiement des dettes de

la société nouvelle et dès lors qu’elle retenait que celui-ci avait exercé les mêmes activités d’abord au sein du cabinet X… puis sous le couvert de la société IEC et de la société nouvelle, c’est à bon droit que la cour d’appel s’est appuyée sur la déclaration de culpabilité du juge pénal dans la procédure suivie contre M. X… à raison de faits commis dans le cadre du cabinet X… ».

28 Article 769 du code de procédure pénale.29 Article 773-1 du code de procédure pénale.30 Ci-après la « loi de 1995 ».31 Article 17 de la loi de 2002.32 Allocution du garde des sceaux, M. Perben, à l’occasion de la discussion générale du projet de loi portant amnistie au Sénat

(23 juillet 2002).33 Solution retenue par la loi d’amnistie n° 74-643 du 16 juillet 1974. 34 Solution retenue par les lois d’amnistie n° 81-736 du 4 août 1981 et 88-828 du 20 juillet 1988, ci-après, respectivement « loi de

1981» et « loi de 1988 ».35 La ratio legis de cette limitation s’explique par les inconvénients que subiraient nécessairement les victimes ou leurs ayants

cause privés de la possibilité de mentionner les faits dont ils ont souffert. La seule évocation d’événements historiques - tels que l’amnistie des Communards ou les conséquences judiciaires de la décolonisation algérienne - tomberait théoriquement sous le coup de la loi (rapport de Ph. Marchand, précité).

14•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

2.1. - L’existence d’une loi d’amnistie

Les sanctions disciplinaires et professionnelles ont été spécialement incluses dans le champ des lois d’amnistie depuis 1905. Les lois d’amnistie sont sorties du strict domaine pénal pour s’étendre à ce type de sanctions, après bien des réticences toutefois. Ainsi que le souligne la doctrine36 « pendant tout le XIXe siècle, on regardait comme un axiome que l’amnistie était sans effet en matière disciplinaire : le pardon législatif ne regardait que le domaine pénal, il demeurait sans force en dehors de ce cadre ». La tendance s’est infléchie au XXe siècle et l’apparition des premières lois étendant le pardon aux sanctions disciplinaires ou professionnelles sont intervenues ; ainsi pour les sanctions professionnelles ou disciplinaires prononcées contre des avocats ou des officiers publics ou ministériels.

Toutefois, il a fallu attendre la loi d’amnistie de 1981 pour que les fautes disciplinaires sanctionnées par un employeur, personne morale ou physique de droit privé, soient comprises de manière générale dans le champ d’application de l’amnistie. Cette innovation est issue non du projet de loi gouvernemental mais d’amendements émanant du groupe communiste et du groupe socialiste à l’Assemblée nationale37. Elle était motivée par un objectif de justice sociale visant à rétablir dans leurs droits les militants syndicaux et les représentants du personnel les plus fréquemment sanctionnés au sein de l’entreprise pour avoir voulu défendre leur outil et leurs conditions de travail ou les intérêts de tous les travailleurs et le maintien du potentiel économique de leur pays38.

Le garde des sceaux, M. Badinter, se montra hostile à l’adoption de cette disposition pour des raisons essentiellement juridiques tenant au fait que ces sanctions disciplinaires s’inscrivaient dans le cadre de rapports de pur droit privé échappant dès lors au domaine d’intervention des lois d’amnistie39.

Selon la doctrine40, la justification de l’extension des règles de l’amnistie aux sanctions disciplinaires prises par le chef d’entreprise dépend de la nature de la sanction disciplinaire et du fondement du pouvoir répressif reconnu au chef d’entreprise. Si on considère que la faute disciplinaire est une faute contractuelle, dans l’exécution du contrat de travail, et que le chef d’entreprise, en prenant une sanction disciplinaire, se borne à se prévaloir des droits qu’il tient du contrat, on se trouve exclusivement dans le domaine des rapports de droit privé et l’idée d’amnistie s’appliquant à une peine répressive prononcée par les organes d’une institution perd toute justification. Si, au contraire, on estime que le chef d’entreprise exerce un pouvoir répressif, qui vise au bon fonctionnement d’une « institution », ou d’une « collectivité sociale qu’est l’entreprise »41, et ne se réduit pas à l’exercice d’un droit de nature contractuelle, l’extension du champ d’application des règles de l’amnistie aux sanctions disciplinaires prises par lui s’explique. Selon la doctrine, en se prononçant pour cette extension, la loi d’amnistie du 4 août 1981 a opté pour le second courant qui fonde le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise sur sa fonction au sein du groupe social formé par l’entreprise, c’est-à-dire sur l’analyse institutionnelle42.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 20 juillet 198843, que le législateur peut, dans un but d’apaisement politique ou social, étendre le champ d’application de la loi d’amnistie aux sanctions disciplinaires ou professionnelles prononcées dans le cadre d’un contrat de travail entre deux personnes privées, ni la tradition républicaine44 ni la volonté du constituant ne s’y opposant. A cet égard, le Conseil constitutionnel précise qu’on ne saurait déduire des termes de l’article 34 de la Constitution, qui ne concernent pas seulement le droit pénal, et de la place qui y est faite à l’amnistie que la Constitution aurait limité la compétence du législateur en matière d’amnistie au domaine des crimes et délits et, plus généralement, des infractions pénalement réprimées.

2.2. - Le prononcé d’une sanction amnistiable

L’application de l’article 133-11 du code pénal suppose que la sanction soit « amnistiable ». Sera dès lors exclue du champ d’application de l’amnistie une mesure qui ne répondrait pas à la définition de sanction45. Selon l’article L. 122-40 du code du travail, « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations

36 R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas 2e édition, pages 1109 à 1135.37 Sur les débats parlementaires, voir, notamment, Denis Perier Daville, « La loi du 4 août 1981 portant amnistie », GP, 3 septembre

1981, p. 393.38 Intervention de M. Lederman pour le parti communiste (Discussion au sénat, séance du 21 juillet 1981, p. 949 à 950). Voir

également l’intervention de M. Suchod, du parti socialiste, qui appelait de ses vœux l’adoption de ces amendements destinés à combler le vide juridique bien incompréhensible pour le citoyen ordinaire qui constatait que la loi d’amnistie permettait d’élargir des détenus condamnés parfois à des peines d’emprisonnement ferme de six mois, tandis que, dans l’entreprise, des sanctions parfois graves conservaient leur plein effet (Discussion à l’Assemblée nationale, troisième séance du 29 juillet 1981, p. 508).

39 Selon le garde des sceaux, M. Badinter, « les sanctions disciplinaires qui interviennent de façon regrettable, parfois détestables au sein d’entreprises privées, s’inscrivent dans le cadre de rapports de pur droit privé. Cette situation n’est pas satisfaisante en équité, mais il ne paraît pas possible de la modifier dans le cadre d’une loi d’amnistie » (discussion au Sénat, séance du 21 juillet 1981, p. 941 et 942) ; « Il demeure que traditionnellement, l’amnistie ne peut effacer que les infractions pénales ou des infractions disciplinaires commises, dans des rapports de droit public, soit par des fonctionnaires, soit par des personnes relevant des ordres professionnels. Les rapports de droit privé ont traditionnellement été exclus du champ d’application des lois d’amnistie » (discussion à l’Assemblée nationale, troisième séance du 29 juillet 1981, p. 509).

40 Jean Savatier « L’amnistie des sanctions disciplinaires dans les entreprises » (Loi du 4 août 1981), Droit social, n° 9 et 10, septembre-octobre 1981, p. 609.

41 Nicole Catala, « L’entreprise », Dalloz 1980, n° 327.42 Jean Savatier, précité.43 Décision n° 88-244 DC (JORF du 21 juillet 1988, p. 9448).44 Le Conseil constitutionnel rappelle que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée qu’autant elle aurait donné

naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, au sens de l’alinéa premier du préambule de la Constitution de 1946 ; que « si dans leur très grande majorité les textes pris en matière d’amnistie dans la législation républicaine intervenue avant l’entrée en vigueur du préambule de la Constitution de 1946 ne comportent pas de dispositions concernant, en dehors des incriminations pénales dont ils ont pu être l’occasion, les rapports nés de contrats de travail de droit privé, il n’en demeure pas moins que la loi d’amnistie du 12 juillet 1937 s’est écartée de cette tradition ; que dès lors, la tradition invoquée… ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme ayant engendré un principe fondamental reconnu par les lois de la République… »

45 Voir, 2e Civ., 20 septembre 2005 (Bull. 2005, II, n° 222) : « la décision d’omission du tableau (ordre des avocats) ne constituant pas une sanction disciplinaire ou professionnelle, l’article 11 de la loi d’amnistie du 6 août 2002 n’avait pas vocation à s’appliquer ».

15•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ». La sanction disciplinaire est une peine prononcée par l’employeur à raison d’une faute commise par le salarié.

2.2.a. - Cette condition est remplie lorsqu’elle est visée par la loi d’amnistie

Dans la loi d’amnistie de 2002, le chapitre III de la loi d’amnistie de 2002 est spécialement consacré à l’amnistie des sanctions disciplinaires et professionnelles.

Selon l’article 11, alinéa premier, de la loi, « Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles. »

Aux termes de l’article 12, alinéa premier, de la loi, « Sont amnistiés, dans les conditions prévues à l’article 11, les faits retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur ».

Le garde des sceaux46, commentant l’économie générale de ce texte, précise que, s’agissant des sanctions disciplinaires et professionnelles, comme en 1995, les articles 11 à 13 prévoient que les faits commis avant le 17 mai 2002, en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou qu’ils sont retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur, sont amnistiés de plein droit.

2.2.b. - Cette condition suppose également que les faits n’entrent pas dans le champ d’application des exclusions énoncées par la loi d’amnistie.

L’article 11, alinéa 3, de la loi de 2002 précise que, lorsque ces faits ont également donné lieu à une condamnation pénale, leur amnistie est subordonnée à l’amnistie de la condamnation. Ce qui suppose donc que ces faits ne correspondent pas à des infractions exclues de l’amnistie par l’article 14 de ladite loi.

Le chapitre IV de la loi de 2002 concerne les exclusions de l’amnistie. Il comporte un seul article, l’article 14, qui contient 49 paragraphes. Le dispositif ainsi mis en place qui est « le plus restrictif de tous ceux adoptés depuis le début de la Ve République… permet de concilier l’oubli du passé et la nécessaire efficacité du droit pénal »47. La facilité apparente de l’adoption de ce texte ne doit cependant pas cacher la réalité des questions de principe qui ont été débattues48 et qui portaient d’une part, sur le maintien de l’usage des lois d’amnistie49 et d’autre part, sur la délimitation des infractions exclues50.

Sont notamment exclues du bénéfice de l’amnistie prévue par la loi de 2002, qu’elles aient été reprochées à des personnes physiques ou à des personnes morales, aux termes de l’article 14, 2° et 11° de ladite loi, les :

« Délits de discrimination prévus par les articles 225-1 à 225-3 et 432-7 du code pénal et L. 123-1, L. 412-2 et L. 413-2 du code du travail ;

Délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral prévus par les articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal ».

Les exclusions des délits prévues aux deuxième et onzième paragraphes de l’article 14 sont justifiées51 par l’atteinte qui a été portée à la dignité de la personne, au droit de la personnalité ou à la famille. Ces exclusions figuraient déjà dans la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie52.

Toutefois, en cas de condamnation pénale, l’amnistie s’applique également, ce qui constitue une nouveauté par rapport à la loi de 1995, si est intervenue la réhabilitation - légale ou judiciaire - du condamné. Cette innovation est justifiée par les dispositions de l’article 133-16 du code pénal qui prévoient que la réhabilitation produit les mêmes effets que l’amnistie (dans une telle hypothèse, l’amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles jouera de plein droit, même s’il s’agit de faits qui n’auraient pu être amnistiés en raison du quantum de la peine prononcée ou parce qu’ils faisaient partie de la liste des exclusions de l’article 14).

Dans les lois d’amnistie de 1995 et de 2002, et à la différence de celle de 1988, les dispositions relatives à la réintégration des représentants du personnel licenciés pour faute n’ont pas été reprises - non plus celles qui organisaient la réintégration de plein droit dans leur établissement des étudiants ou lycéens ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires53.

46 Circulaire du garde des sceaux du 6 août 2002 relative à l’application de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie (JORF du 10 août 2002).

47 Exposé de M. Lanier, rapporteur de la commission des lois du Sénat.48 Laurence Leturmy, « Brèves remarques sur les débats parlementaires et la loi d’amnistie du 6 août 2002», Droit Pénal - Ed. Juris-

classeur, octobre 2002, chronique n° 34.49 Ainsi, Arnaud Montebourg, lors des débats devant l’Assemblée nationale, le 3 août 2002, soulignait « qu’aux fils des

amendements, le nombre des infractions exclues du champ d’application de l’amnistie a crû de façon inflationniste, de sorte que nous nous demandons pourquoi la majorité ne décidait pas tout bonnement de renoncer à amnistier » ; ou René Dosière, devant la commission mixte paritaire, qui notait que « l’extension considérable de la liste des infractions exclues de l’amnistie donnait le sentiment que le projet de loi n’était pas assumé ».

50 Notamment l’exclusion du champ d’application de l’amnistie de certaines sanctions prononcées par l’employeur dans le contexte des conflits sociaux (voir, à cet égard, l’article de Laurence Leturmy, précité).

51 Circulaire du garde des sceaux du 6 août 2002, précitée.52 Ci-après la « loi de 1995 ».53 Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 juillet 1998, avait jugé contraire à la Constitution certaines dispositions de

l’article 15 II de la loi d’amnistie de 1998 en ce qu’elles prévoyaient la réintégration de droit du salarié licencié après le 22 mai 1981 pour une faute autre qu’une faute lourde ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation commise à l’occasion de sa fonction de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d’entreprise ou de délégué syndical. Selon lui, une telle mesure risquait de mettre en cause la liberté d’entreprendre de l’employeur - choix de ses collaborateurs -, était de nature à nuire au respect des droits et libertés des personnes étrangères aux faits amnistiés et de ceux qui ont pu en subir des conséquences dommageables puisqu’elle autorisait la réintégration dans des hypothèses de coups et blessures volontaires ayant pu revêtir un caractère de réelle gravité et qu’elle permettait la réintégration dans tous les cas où la faute lourde aurait été constituée par une infraction autre que celle de coups et blessures.

16•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

2.2.c. - Par ailleurs, selon l’article 11, alinéa 4, de la loi de 2002, les fautes constituant des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l’honneur ne peuvent être amnistiées que par une mesure individuelle du président de la République. La demande d’amnistie peut être présentée par toute personne intéressée dans un délai d’un an à compter soit de la promulgation de la loi soit de la condamnation définitive.

Ces notions ont été précisées par des instructions ministérielles émises à l’occasion de la précédente loi d’amnistie54 et par la jurisprudence55.

Le manquement à la probité est caractérisé lorsqu’il y a atteinte frauduleuse aux biens56.

L’atteinte aux bonnes mœurs n’est pas précisée par la jurisprudence. Elle peut recouvrir le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles.

L’atteinte à l’honneur correspond57 à des actes attentatoires à l’intimité de la vie privée58, méconnaissant le secret professionnel ou portant atteinte à la liberté du travail59.

2.3. - Conditions d’application dans le temps

L’application de l’article 133-11 du code pénal suppose également que les conditions d’application dans le temps de la loi d’amnistie soient réunies. Les conséquences de l’amnistie sur les sanctions disciplinaires sont en effet différentes selon le stade de la procédure disciplinaire auquel intervient la promulgation de la loi d’amnistie.

Dès l’instant où la sanction a été prononcée et exécutée avant la promulgation de la loi, elle ne peut être remise en cause. Il est de jurisprudence constante que la loi d’amnistie n’a pas d’effet rétroactif et qu’elle ne peut avoir pour effet de remettre en cause une sanction prononcée avant son entrée en vigueur60.

Et si une procédure contentieuse est en cours, la sanction n’est pas affectée par la mesure d’amnistie. Il en est ainsi même lorsque la sanction prononcée et notifiée avant la promulgation de la loi n’a pas été exécutée. Ainsi en est-il d’un licenciement disciplinaire notifié au salarié avant la promulgation de la loi mais dont le préavis est encore en cours d’exécution. Dans cette hypothèse, le licenciement est définitivement acquis à la date de promulgation de la loi et ne peut être remis en cause même si le préavis se poursuit au-delà de la loi d’amnistie61.

En revanche, quand le licenciement disciplinaire n’a pas été encore notifié, il ne peut plus l’être, quand bien même l’employeur aurait obtenu, avant la loi d’amnistie, l’autorisation de licenciement lorsqu’elle est requise. Dès lors que les faits invoqués à l’appui de la sanction entrent dans le champ d’application de la loi d’amnistie, ils ne peuvent plus donner lieu à sanction62.

3° La portée de l’article 133-11 du code pénal

Il résulte des articles 11 et 12 de la loi d’amnistie de 2002 que les faits commis avant le 17 mai 2002, en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou qu’ils sont retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur, sont amnistiés de plein droit. Ces faits ne peuvent dès lors plus servir de fondement à une sanction disciplinaire63.

La Cour de cassation juge que, dans les rapports entre les parties, l’amnistie n’efface pas de droit les conséquences financières que la sanction du fait amnistié a pu entraîner64.

Les procédures contentieuses destinées à statuer sur les conséquences civiles de la faute amnistiée demeurent donc recevables devant la juridiction prud’homale ou, en ce qui concerne les salariés protégés, devant la juridiction administrative.

54 Circulaire du 21 août 1995.55 Circulaire DRT n° 2002/17 du 16 septembre 2002 et commentaire à la semaine sociale Lamy, n° 1093 ; Marc Canaple et Adeline

Toullier, « L’amnistie et le droit de l’entreprise », Les petites affiches, 12 juin 2003, n° 117, p. 4.56 CE 18 novembre 1996 (Recueil Lebon, n° 161910 : « Le détournement et [la] communication à des tiers de documents

commerciaux et sociaux internes à l’entreprise que [le salarié] avait au préalable photocopiés… constituent un manquement à la probité… l’application de la loi d’amnistie susvisée doit donc être écartée » CE, 25 avril 1984, n° 39515 (le détournement à son profit d’une cotisation syndicale) ; Soc., 7 décembre 2004, pourvoi n° 02-44.199 : les faits fautifs pour une « salariée d’avoir, dans le seul but de percevoir des commissions, réalisé en 1993 et 1994 des affaires nouvelles en persuadant faussement les assurés qu’elles étaient conformes à leur intérêt… caractérisaient un manquement de la salariée à la probité et étaient exclus du bénéfice de l’amnistie ».

57 Définition retenue par le Lamy social, n° 1060 et 1062.58 Ainsi, la violation du secret des communications téléphoniques (Soc., 22 février 2002, pourvoi n° 00-41.064 : « l’installation par

[le salarié] d’un dispositif d’écoute destiné à enregistrer les conversations de ses supérieurs hiérarchiques sur le lieu du travail constituait un manquement à l’honneur qui se trouvait de ce fait exclu du champ d’application de la loi d’ amnistie du 3 août 1995 »).

59 CE, 16 mars 1990, n° 98054 : le fait de s’être « rendu coupable de violences sur la personne : d‘un [salarié] qui se proposait de rejoindre son poste de travail en dépit du mouvement de grève observé par une partie du personnel de l’entreprise… portent atteinte à la liberté du travail [et] constituent un manquement à l’honneur, exclu du bénéfice de l’amnistie ».

60 Soc., 21 mars 2001, pourvoi n° 99-40.972 (« dès lors qu’une sanction disciplinaire a été prononcée et exécutée avant la promulgation de la loi d’amnistie, celle-ci n’a pas d’effet sur le licenciement déjà intervenu ») ; ou encore Soc., 2 avril 1992, Bull. 1992, V, n° 240 (« la loi d’amnistie du 20 juillet 1988 n’ayant pas d’effet rétroactif, elle ne pouvait avoir d’effet sur un licenciement prononcé avant son entrée en vigueur ») ; Soc., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-45.760 « Attendu… que la loi d’amnistie du 6 août 2002 n’ayant pas d’effet rétroactif, la cour d’appel a exactement retenu qu’elle ne pouvait avoir d’incidence sur un licenciement prononcé avant son entrée en vigueur » ; Soc., 1er décembre 2005, Bull. 2005, V, n° 350 (« La rupture du contrat de travail étant intervenue par l’envoi par l’employeur de la lettre de licenciement, antérieurement à la date de l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie du 6 août 2002, celle-ci n’a pas d’incidence sur les faits fautifs antérieurs mentionnés dans la lettre de licenciement »).

61 Soc., 8 juillet 1992, Bull. 1992, V, n° 442 (« la rupture du contrat de travail étant devenue définitive dès le 27 mai 1988, par la réception par le salarié de la lettre de congédiement, soit antérieurement à la date de la loi d’amnistie du 20 juillet 1988, celle-ci n’a pas d’effet sur le licenciement déjà intervenu, peu important que le préavis se soit poursuivi jusqu’au 31 juillet 1988 »).

62 Soc., 29 juin 1994, Bull. 1994, V, n° 215.63 Soc., 28 novembre 2001, pourvoi n° 99-45.388. 64 Soc., 29 mai 1985, Bull. 1985, V, n° 93 : « Il résulte des articles 14, 19 et 22 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie

que sont amnistiés les faits commis antérieurement au 22 mai 1981 ayant été retenus comme motifs de sanctions disciplinaires ou professionnelles prononcées par un employeur mais que cette loi n’a toutefois d’effet rétroactif dans les rapports des parties que dans la mesure où elle le prévoit expressément. Viole donc ces textes et encourt la cassation le jugement qui condamne un employeur à payer à un salarié mis à pied avant le 22 mai 1981 le montant des salaires correspondants qu’il avait retenus ainsi que les congés payés afférents alors que la loi du 4 août 1981 n’efface pas de droit les conséquences financières que la sanction de faits amnistié a pu entraîner ».

17•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

Chaque partie conserve le droit d’invoquer les faits amnistiés pour établir le bien-fondé de ses droits au regard de la sanction contestée, quand bien même celle-ci est amnistiée. Ce principe a été rappelé à maintes reprises en faveur du salarié65, mais aussi de l’employeur66.

Le salarié protégé semble avoir toujours intérêt à l’annulation contentieuse d’une autorisation de licenciement dès lors que celle-ci lui ouvrirait le droit à réintégration que la loi d’amnistie lui refuse67.

En revanche, si la sanction amnistiée n’a aucune incidence financière, la procédure devient sans objet et justifie un non-lieu à statuer sur le bien-fondé de la sanction68.

Il découle de cette jurisprudence que la portée de l’interdiction du rappel des sanctions disciplinaires amnistiées est plus limitée que la seule lecture de l’article 133-11 du code pénal ne le laissait supposer.

B. - Le harcèlement moral et la discrimination syndicale

La dignité de la personne et la protection de sa santé physique et mentale au travail figurent au nombre des droits fondamentaux dont le respect s’impose dans l’entreprise et qui sont garantis par de nombreux textes tant internationaux69 que nationaux70. Les dispositions visant à lutter contre le harcèlement moral et la discrimination syndicale occupent dès lors une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur national pour assurer l’effectivité de ces droits fondamentaux.

65 Soc., 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46.627 : « Mais attendu que l’amnistie n’effacant pas les conséquences financières de la sanction et le salarié pouvant poursuivre, si la sanction a été irrégulière, un tel effacement et la réparation de son préjudice, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel, saisie d’une telle demande et répondant aux conclusions, a apprécié la régularité de la mutation prononcée au vu des éléments soumis à son examen et l’a annulée avant de statuer sur ses conséquences ;Et attendu qu’après avoir constaté d’une part que la sanction annulée avait réduit le salarié à des attributions sans caractère commercial en le privant de tout contact avec la clientèle et d’autre part que les fonctions antérieurement exercées par lui existaient toujours dans l’entreprise, la cour d’appel a pu, abstraction faite d’un motif surabondant, ordonner la réintégration de l’intéressé dans lesdites fonctions et lui allouer une somme en réparation d’un préjudice dont elle a souverainement apprécié la nature et l’étendue ».

66 Soc., 21 juin 1989, Bull. 1989, V, n° 457 où il a été jugé que, selon l’article 15 de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988, sont amnistiés, dans les conditions fixées à l’article 14, les faits retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur ; qu’en conséquence, les pourvois formés contre des décisions des juges du fond annulant des sanctions disciplinaires sans conséquence financière sont devenus sans objet, mais les employeurs sont recevables à critiquer ces décisions en ce qu’elles les ont condamnés à payer des dommages-intérêts aux salariés (arrêts n° 1 et 2) ; voir aussi Soc., 8 avril 1992, pourvoi n° 89-42.192 (« Vu les articles 19 et 23 de la loi d’amnistie du 20 juillet 1988 ; Attendu que M. X…, salarié de la société CGEE Alsthom et délégué syndical à l’établissement de Mérignac, a été sanctionné le 14 avril 1988 par une mise à pied de trois jours, pour avoir distribué des tracts dans l’établissement pendant les heures de travail ; qu’il a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir le paiement de dommages-intérêts compensant la perte de salaires qu’il avait subie du fait de cette sanction ;Attendu que pour condamner la société à verser des dommages-intérêts au salarié, le conseil de prud’hommes énonce que les faits reprochés au salarié sont amnistiés et que la sanction étant de plein droit annulée, M. X… est fondé en sa demande de paiement des salaires perdus ;Attendu, cependant, que l’amnistie n’efface pas de droit les conséquences financières de la sanction ; que, s’il est exact que les faits étaient amnistiés, en application de l’article 15 de la loi du 20 juillet 1988, en sorte qu’il ne pouvait plus être fait état de la sanction, il incombait au juge prud’homal de rechercher si la demande en paiement d’une indemnité pour compenser le salaire perdu était fondée ; qu’en statuant comme il l’a fait, le conseil de prud’hommes a violé les textes susvisés ») ; ou encore, Soc., 19 juillet 1994, pourvoi n° 90-44.013 (« Attendu que si le moyen formé contre l’arrêt, du chef de la sanction elle-même, est devenu sans objet en raison de l’amnistie, l’employeur demeure recevable à critiquer cette décision dans ses conséquences financières… Mais attendu qu’hors toute dénaturation, la cour d’appel après avoir retenu que le premier grief d’abandon de poste n’était pas établi, a constaté que le second, fondé sur l’absence du salarié, se situait après un entretien préalable alors que le salarié était allé consulter son syndicat ; qu’en l’état de ces constatations, c’est dans l’exercice du pouvoir qu’elle tient de l’article L. 122-43 du code du travail qu’elle a dit que la sanction était disproportionnée avec la faute commise ; que le moyen n’est pas fondé »).

67 CE, 27 novembre 1981, Rec., p. 450 (« Il résulte du premier alinéa du II de l’article 14 de la loi du 4 août 1981 que l’amnistie des faits retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur contre un représentant élu du personnel ou un délégué syndical n’entraîne pas de plein droit la réintégration dans l’entreprise. L’annulation de l’autorisation de licenciement pour faute grave du salarié protégé pouvant avoir, notamment en ce qui concerne la réintégration, des effets plus larges que ceux que comporte l’amnistie, le recours formé par le salarié protégé qui a été licencié conserve son objet, même après l’intervention de la loi du 4 août 1981. L’annulation par un tribunal administratif d’une autorisation de licencier pour faute grave un salarié protégé pouvant avoir au profit du salarié des effets plus larges que ceux que comporte l’amnistie, la requête formée par l’employeur contre le jugement du tribunal annulant l’autorisation de licenciement n’est pas davantage devenue sans objet »).

68 Soc., 3 mai 1989, Bull. 1989, V, n° 326 ; voir aussi 19 mars 2003, pourvoi n° 01-41.871.69 S’agissant du harcèlement moral, voir l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme du 29 juin 2000 sur

le harcèlement moral dans les relations du travail ; l’avis adopté par le Conseil économique et social au cours de sa séance du 11 avril 2001 « Le harcèlement moral au travail » par Michel Debout, rapporteur (Chapitre 1, I) ; l’article 26, alinéa 2, de la Charte sociale européenne ; l’article premier de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne de Nice, du 6/7 décembre 2000 ; la résolution adoptée par le Parlement européen en septembre 2001 sur la question du harcèlement moral et pour des initiatives communautaires qui, notamment, préconise l’extension du champ d’application de la Directive-cadre 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JOCE, L. 183, p. 1 à 8) et l’adoption d’une Directive particulière (Laurent Vogel, « Harcèlement moral et législation : pour une approche collective intégrée dans la politique de santé au travail », BTS newsletter, n° 19/20, septembre 2002) ; s’agissant de la discrimination syndicale, voir la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 23), Convention n° 111 et Recommandations n° 111 de l’OIT relatives à la discrimination en matière d’emploi et de profession, ratifiées par la France par une loi n° 81-357 du 15 avril 1981 (JORF, 17 avril 1981) ; l’article 13 du Traité CE, la Directive 76/207/CEE, du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail (JOCE, L. 39 du 14 février 1976, p. 40), la Directive 2000/78, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOCE, L. 303, du 2 décembre 2000, p. 16), le Préambule et l’article 16 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du 9 décembre 1989 ; voir également la Directive 97/80/CE, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (JOCE, L 14, du 20 janvier 1998, p. 6) pour le rapprochement opéré par le juge national en ce qui concerne le régime probatoire en matière de discrimination syndicale avec celui instauré par la Directive 97/80 ; l’article 14 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (dite CEDH).

70 S’agissant du harcèlement moral, le principe général du respect de la dignité humaine est rappelé par le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, alinéa premier ; par le deuxième considérant de la décision n° 94-343 DC du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 : « … la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » ; de même, dans sa décision n° 2001-455 du 12 janvier 2002 (JO, 18 janvier 2002, considérant 83), le Conseil constitutionnel a décidé que les droits du salarié contre les agissements incriminés par l’article L. 122-49 du code du travail concernent les droits de la personne au travail ; le principe de non-discrimination est quant à lui rappelé dans plusieurs textes à caractère général, à savoir la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946.

18•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

1. - Le harcèlement moral

a) Notion et portée

Manquement caractérisé et particulièrement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles, le harcèlement moral fait, depuis la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale71, l’objet de dispositions particulières intégrées dans le code du travail et le code pénal.

L’article L.122-49, alinéa premier, du code du travail dispose qu’« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Le harcèlement moral est donc défini comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel72.

Cette notion a également été intégrée dans le code pénal dont l’article 222-33-2, qui reprend la même définition que celle de l’article L. 122-49 du code du travail, réprime d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende l’auteur du délit.

La gravité de cette faute est telle que l’article L. 122-49, alinéa 3, du code du travail frappe d’une nullité de plein droit toute rupture du contrat de travail qui résulterait du harcèlement moral73.

L’article L. 122-50 du même code prévoit en outre expressément que l’auteur d’un harcèlement moral est passible de sanction disciplinaire.

La loi de modernisation sociale n’ayant pas prévu toutes les incidences du harcèlement dans l’entreprise, la jurisprudence est venue compléter le dispositif ainsi mis en place en adaptant le droit commun aux situations concrètes74. Il a ainsi été jugé que le salarié harcelé pourra prendre acte de la rupture du contrat de travail75 ou demander la résolution judiciaire du contrat de travail76. Dans ces deux hypothèses, si le harcèlement est établi, le salarié obtiendra des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de la gravité du manquement, le harcèlement moral engage la responsabilité civile de son auteur lorsqu’il est commis intentionnellement puisque, selon l’arrêt X…77, « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité à l’égard de celui-ci »78.

Le harcèlement dont se rend coupable un salarié envers un autre salarié engage en outre la responsabilité de l’employeur79. Cette conséquence découle directement de l’obligation faite à l’employeur de prendre toutes les mesures « nécessaires en vue de prévenir » le harcèlement, édictée par l’article L. 122-51 du code du travail. La portée de l’obligation de prévention mise par la loi à la charge de l’employeur en matière de harcèlement moral et de son incidence sur les principes qui gouvernent le droit à réparation a été précisée par un arrêt du 21 juin 200680. Par cet arrêt, la chambre sociale a cassé, au visa des articles L. 122-49, L. 122-51 et L. 230-2 du code du travail, ce dernier texte interprété à la lumière de la Directive-cadre n° 89/391/CEE, un arrêt de la cour d’appel de Montpellier qui avait exonéré de sa responsabilité l’employeur pour des faits de harcèlement moral commis par un salarié de son entreprise à l’encontre d’un autre salarié, en l’absence de faute de l’employeur. La responsabilité de l’employeur est dès lors une responsabilité objective81.

L’article L. 122-51 du code du travail met ainsi à la charge de l’employeur une obligation qui n’est pas une simple obligation de moyens mais qui doit s’analyser comme une obligation de sécurité de résultat82 tendant à assurer l’effectivité du droit fondamental des salariés à ne pas subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de leurs conditions de travail susceptible de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel83.

71 Ci-après « loi de modernisation sociale ».72 Sur le contenu de cette définition voir, notamment, « La notion de harcèlement moral dans les relations de travail » par B. Lapérou,

RJS 6/00, p. 423 ; Béatrice Lapérou-Scheneider, « Les mesures de lutte contre le harcèlement moral », Revue de droit social du 3 mars 2002, p. 313.

73 Et notamment, du licenciement, voir Soc., 4 avril 2006, pourvoi n° 04-43.929.74 Comme elle l’avait déjà fait avant l’adoption de la loi de modernisation sociale en prenant en compte le harcèlement pour

disqualifier les fausses démissions (voir notamment Soc., 16 juillet 1987, pourvoi n° 85-40.014 ; Soc., 16 décembre 1993, pourvoi n° 90-43.039).

75 Soc., 26 janvier 2005, Bull. 2005, V, n° 23.76 Soc., 15 mars 2000, RJS 2000, n° 626.77 Assemblée plénière, 14 décembre 2001 (Bull. 2001, Ass. plén., n° 2).78 C. Bouty ,« Harcèlement moral et droit commun de la responsabilité civile », Revue de droit social 2002, p. 695.79 Soc., 27 octobre 2004 (Bull. 2004, V, n° 267 ; DS 2005, p. 100 note Roy-Loustanau, RJS, 1/05 n° 4).80 Soc., pourvoi n° 05-43.914, Bull. 2006, V, n° 223.81 Sur les commentaires relatifs à cet arrêt, voir « Harcèlement moral et responsabilités au sein de l’entreprise : l’obscur

éclaircissement », C. Radé, Droit social n° 9/10, septembre-octobre 2006, p. 826 ; Sur le nouveau fondement de la responsabilité de l’employeur garant de la santé et de la sécurité des salariés sur leur lieu de travail, voir « L’émancipation de l’obligation de sécurité de résultat et l’exigence d’effectivité du droit », P. Sargos, Semaine juridique, éd. social, n° 14, 4 avril 2006, 1278 ; « De l’obligation de sécurité de l’employeur au droit à la santé des salariés », S. Bourgeot et M. Blatman, Revue de droit social n° 6 juin 2006, p. 653.

82 A l’instar de ce qui a été décidé concernant la protection des salariés contre le tabagisme (Soc., 29 juin 2005, Bull. 2005, V, n° 219).

83 Cette lecture découle logiquement de la lettre de l’article L. 122-51 du code du travail qui oblige l’employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir de tels agissements, mais également de la finalité de la Directive-cadre 89/391/CEE, ainsi que la Charte sociale qui engage les Etats à assurer l’exercice effectif du droit à la protection sociale et sa transposition en droit interne par l’article L. 230-2- I et II du code du travail qui évoque expressément l’exigence de prévention notamment en ce qui concerne les risques liés au harcèlement moral tel qu’il est défini à l’article L. 122-49 du code du travail.

19•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

Le survol rapide des conséquences particulièrement lourdes de ces agissements pour la victime, l’auteur et le responsable statutaire de l’auteur salarié démontre que notre droit positif entend donner pleine effectivité aux droits fondamentaux reconnus au travailleur dans l’entreprise. Demeure la question de la preuve de ces agissements, difficile à rapporter dans ce contexte bien particulier qui met en présence des parties appartenant ou liées à l’entreprise. Le législateur, pour garantir l’effectivité de ce droit fondamental, a dès lors été conduit à aménager le régime de la preuve.

b) Le régime de la preuve

- En ce qui concerne le mode de preuve, le législateur n’a prévu aucune disposition spécifique. Le droit commun s’applique donc. En droit du travail, la preuve étant libre, les éléments de preuve qui peuvent être produits sont indéfinis (témoignages, écrits, aveux, note de service, courriers, courriels…).

- Des mesures de protection spécifiques ont cependant été édictées en faveur des témoins. C’est ainsi que l’article L. 122-49, alinéa 2, du code du travail interdit toute discrimination, directe ou indirecte, qui frapperait les témoins ayant déposé en justice et relaté les agissements définis par l’alinéa premier. Notamment, sont nulles et de plein droit les sanctions qui ont pu être prononcées contre eux en conséquence de leurs témoignages.

- De même, s’agissant des règles de procédure, la loi de modernisation sociale, tenant compte du caractère spécifique de ce contentieux, a procédé à des aménagements dérogatoires au droit commun.

Ainsi, aux termes de l’article L.122-53 du code du travail, il est permis aux syndicats représentatifs dans l’entreprise d’exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions relatives au harcèlement moral en faveur d’un salarié de l’entreprise, s’ils justifient d’un mandat écrit de l’intéressé. L’intéressé peut toujours intervenir à l’instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment. Le même dispositif existe notamment dans le cadre de la lutte contre les discriminations84.

- Le régime de la charge de la preuve a également été aménagé en faveur du salarié par la loi de modernisation sociale. C’est ainsi que l’article 169 de cette loi prévoyait l’insertion dans le code du travail d’un article L. 122-52 rédigé en ces termes : « En cas de litige relatif à l’application des articles L. 122-46 et L. 122-49, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utile ».

Au titre des réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a considéré que « les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositifs critiqués ne sauraient dispenser celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle la décision prise à son égard… procéderait d’un harcèlement moral… au travail »85.

Les deux premières phrases de l’article L. 122-52 du code du travail ont dès lors86 été remplacées dans la loi n° 2003-6 du 3 janvier 200387 par une phrase ainsi rédigée : « En cas de litige relatif à l’application des articles L. 122-46 et L. 122-49, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

Ces nouvelles dispositions sont conformes au droit communautaire. En effet, la Directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique88 dispose en son article 8, consacré à la charge de la preuve, que :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

2. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l’adoption par les États membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants.

3. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales.

84 Article L. 122-45-1, alinéa premier, du code du travail issu de la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 qui dispose que « Les organisations syndicales représentatives au plan national, départemental, pour ce qui concerne les départements d’Outre-mer, ou dans l’entreprise peuvent exercer en justice toutes actions qui naissent de l’article L. 122-45, dans les conditions prévues par celui-ci, en faveur d’un candidat à un emploi, à un stage ou une période de formation en entreprise ou d’un salarié de l’entreprise sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé, pourvu que celui-ci ait été averti par écrit et ne s’y soit pas opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’organisation syndicale lui a notifié son intention. L’intéressé peut toujours intervenir à l’instance engagée par le syndicat. » On le voit, le pouvoir d’intervenir des syndicats est plus large dans le cadre de la lutte contre les discriminations. Un dispositif similaire existe également dans le cadre du travail temporaire, du contrat à durée déterminée, du licenciement économique.

85 Décision n° 2001-455 DC du 11/12 janvier 2002 (JORF, 18 janvier 2002, p. 1053, considérant 89). Au titre des réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a également rappelé que l’aménagement de la charge de la preuve prévu à l’article L. 122-52 nouveau du code du travail ne pouvait trouver à s’appliquer en matière pénale ni avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d’innocence (considérant 84). Voir, à cet égard, Crim., 23 mai 2006, pourvoi n° 05-86.646.

86 Comme le précise le professeur Favoreu, ces réserves revêtent une force certaine puisque « La loi ne peut être considérée comme compatible avec la Constitution que si elle est interprétée conformément aux réserves formulées par (le juge constitutionnel) » « L’impact des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel », Semaine juridique Lamy, 2002, n° 1059, pages 16 et 17.

87 Dite « loi Fillon », portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques (JORF, 4 janvier 2003, p. 255).

88 JOCE, L. 180 du 19 juillet 2000, p. 86.

20•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent également à toute procédure engagée conformément à l’article 7, paragraphe 2.

5. Les États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ou à l’instance compétente. »

Le mécanisme d’administration de la preuve mis en place par le nouvel article L. 122-52 du code du travail se décompose donc en trois temps89. Dans un premier temps le plaignant présente un faisceau d’indices ou d’éléments objectifs certains (témoignages, certificats médicaux, notes de services, courriers, courriels…) permettant, en raison de leur précision et de leur concordance, de présumer l’existence du harcèlement moral. Il n’y a pas à proprement parler un renversement de la charge de la preuve mais un aménagement dans l’administration de celle-ci et ce en faveur de la victime, qui n’aura pas à apporter la preuve du harcèlement moral mais seulement de faits concordants tendant à en prouver l’existence. Comme le souligne la doctrine90 « On se situe à mi-chemin entre la preuve du harcèlement moral et la présomption de celui-ci ».

Une fois le faisceau d’indices établi, le défendeur devra prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans une ultime étape, le juge est appelé à trancher. C’est ainsi qu’il est précisé que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. On le voit, le juge n’est pas cantonné à un rôle purement passif mais il peut jouer un rôle actif dans l’administration de la preuve (nomination d’expert, audition de témoins…).

L’existence du harcèlement moral relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond91.

Cet aménagement de la preuve au profit de la partie demanderesse n’est pas nouvelle. Elle a également été instaurée en faveur des victimes de discrimination92.

2. - La discrimination syndicale

a) Notion et portée

Divers textes prohibent les discriminations syndicales dont sont victimes les salariés. Ainsi, les articles L. 122-45 du code du travail et 225-1 et suivants du code pénal répriment les refus d’embauche, les sanctions et les licenciements dont sont victimes les personnes en raison de leurs activités syndicales.

Selon l’article L. 122-45 du code du travail, « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération… de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine… de ses activités syndicales ou mutualistes…

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire visée à l’alinéa précédent en raison de l’exercice normal du droit de grève.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux alinéas précédents ou pour les avoir relatés.

En cas de litige relatif à l’application des alinéas précédents, le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Toute disposition ou tout acte contraire à l’égard d’un salarié est nul de plein droit. »

Cette disposition insérée dans le code du travail par la loi n° 82-689 du 4 août 198293 a fait l’objet de nombreuses modifications de rédaction depuis son origine94.

Parallèlement à ces textes généraux qui répriment les discriminations dans leur ensemble, le code du travail contient des articles dont l’objet exclusif est de lutter spécifiquement contre les mesures anti-syndicales.

89 B. Lapérou-Scheneider « Les mesures de lutte contre le harcèlement moral », précité.90 Ibidem.91 Voir, notamment, Soc., 27 octobre 2004, Bull. 2004, V, n° 267 (et commentaires Claude Roy-Loustaunau in Droit social, n° 1,

janvier 2005, p. 100 ; Marie Hautefort, « Harcèlement moral : la chambre sociale de la Cour de cassation prend position » in Jurisprudence sociale Lamy, 2004, n° 156 ; Semaine sociale Lamy, 2004, n° 1193, p. 11) ; Soc., 23 novembre 2005, Bull. 2005, V, n° 334 (commentaires Semaine sociale Lamy, 2005, Bull. 2005, V, n° 334 ; Jean Savatier « Harcèlement moral. Pouvoir d’appréciation des juges du fond » in Droit social n° 2 février 2006, p. 229) ; Soc., 31 octobre 2006, pourvoi n° 05-41310 ; Soc., 25 octobre 2006, pourvoi n° 05-40.725.

92 Voir infra la discrimination syndicale. Selon certains auteurs (M.T. Lanquetin « La preuve de la discrimination : l’apport du droit communautaire », Droit social, 1995, n° 5, p. 435 ; Edouard Dubout, « Tu ne discrimineras pas… », l’apport du droit communautaire au droit interne, Droits fondamentaux, n° 2, janvier-décembre 2002). Cette administration de la preuve quasi identique en matière de discrimination et de harcèlement est le signe d’une volonté de protection accrue de la victime dans des domaines où la question de la preuve est essentiellement délicate.

93 Loi relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, dite « loi Auroux » (JORF, du 6 août 1982).94 La loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (JORF, n° 267 du 17 novembre 2001)

constitue une étape marquante en ce qu’elle complète le dispositif de protection par des dispositions spécifiques relatives au régime de la preuve - protection des témoins et aménagement de la charge de la preuve. La dernière modification de ce texte date de la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes (JORF, n° 71 du 24 mars 2006). Il ajoute des dispositions spécifiques de protection envers les femmes et leur rémunération.

21•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

Ainsi, selon l’article 412-2 du code du travail, « Il est interdit à tout employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l’embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l’avancement, la rémunération et l’octroi d’avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement.

Il est interdit à tout employeur de prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer au lieu et place de celui-ci.

Le chef d’entreprise ou ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l’encontre d’une organisation syndicale quelconque.

Toute mesure prise par l’employeur contrairement aux dispositions des alinéas précédents est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts.

Ces dispositions sont d’ordre public. »

L’article L. 481-3 du même code réprime pénalement les mesures anti-syndicales interdites par l’article L. 412-2, alinéa premier (amende de 3 750 euros et, en cas de récidive, d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 7 500 euros ou de l’une de ces deux peines seulement).

L’interdiction de toute discrimination vise l’ensemble des salariés ayant une activité syndicale. L’exercice d’une activité syndicale n’est pas nécessairement lié à l’adhésion à une organisation déterminée. Ainsi, un salarié peut être victime de discrimination syndicale sans être délégué syndical dès lors qu’il est licencié pour son activité syndicale95. Mais l’existence d’une discrimination peut également être caractérisée par une disparité de situation entre les délégués d’un même syndicat96.

L’intérêt des articles L. 122-45 du code du travail et 225-1 et suivants du code pénal par rapport aux articles L. 412-2, alinéa premier, et L. 481-3 du code du travail réside dans les sanctions qui y sont attachées97. Dès lors, l’article L. 412-2 précité doit être combiné avec l’article L. 122-45 du code du travail, qui demeure une pièce fondamentale dans l’arsenal législatif contre les discriminations de toutes sortes98.

Les domaines où s’exercent les discriminations sont multiples (à l’occasion de l’embauche99, de l’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction100, du déroulement de la carrière101, de l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire102, de la rémunération103).

Spécialement en matière d’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur, de nombreux arrêts sanctionnent, sur le fondement de l’article L. 412-2 du code du travail, les employeurs ayant prononcé des mesures disciplinaires ou des licenciements fondés sur des considérations d’ordre syndical. Le licenciement d’un salarié ordinaire, sans mandat de représentation et sans protection particulière, provoqué par son activité syndicale, tombe sous le coup de l’article L. 412-2 du code du travail mais également sous celui de l’article L. 122-45 qui dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses activités syndicales.

S’agissant de la discrimination en matière de rémunération, elle se déduit de l’existence d’une différence de traitement non justifiée par des raisons légitimes et objectives par l’employeur. Les militants syndicaux peuvent s’appuyer sur la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation qui, depuis un arrêt X…104, affirme que « la règle de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes étant une application de la règle plus générale « à travail égal, salaire égal », (…) l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause soient placés dans une situation

95 Crim., 5 mars 1991, Bull. crim. 1991, n° 112 (Juris-Data, n° 1991-701082).96 Soc., 25 juin 2002, Bull. 2002, V, n° 218 (RJS 2003, n° 54).97 JurisClasseur travail, Traité, fasc. 12-30 : droit syndical dans l’entreprise.98 Sur la coexistence des articles L. 122-45 et L. 412-2 du code du travail, v. C.A. Riom, 2 mars 1987 : D. 1987, jurispr. p. 427,

note E. Wagner : « il semble que ces deux articles puissent coexister sauf à considérer comme tacitement abrogée dans l’article L. 412-2 l’expression « les mesures de discipline et de congédiement » qui relèvent à présent de l’article L. 122-45 tandis que les autres mesures de discrimination continuent à donner lieu à dommages-intérêts dès lors que l’abus de droit est établi ».

99 Par exemple, le fait d’inclure dans un questionnaire d’embauche une rubrique touchant à l’appartenance syndicale est de ce point de vue parfaitement répréhensible (Soc., 13 mai 1969, Bull. 1969, V, n° 314 ; D. 1969, jurispr. p. 528 ; JCP 1970, 88824).

100 De manière générale, caractérise une discrimination la prise en compte de l’activité syndicale par l’employeur dans ses décisions relatives à l’organisation du travail des salariés syndiqués (Crim., 19 mai 1987, pourvoi n° 86-91.960) ; ou encore une cour d’appel, statuant en référé, qui constate que la réorganisation du travail décidée par l’employeur n’était pas justifiée par l’intérêt de l’entreprise mais tendait uniquement à une discrimination aux dépens des intéressés en raison de leur appartenance syndicale, ordonne à bon droit la réintégration dans leur ancienne équipe de travail des deux salariés, afin de faire cesser ce trouble manifestement illicite (Soc., 19 oct. 1999, RJS 1999, n° 1476).

101 Selon notre jurisprudence, la discrimination syndicale résulte d’une part, de la constatation d’une différence de traitement qui peut découler pour un salarié d’un déroulement de carrière différent des autres salariés et d’autre part, du fait que cette différence de traitement n’est pas imputable à l’insuffisance professionnelle du salarié et a débuté lors de sa désignation en qualité de délégué syndical et s’était traduite par des tentatives de licenciements, des avertissements et des menaces (Soc., 11 octobre 2000, pourvoi n° 98-43.472 ; RJS 2000, n° 1263 ; V. également Soc., 26 avril 2000, Bull. 2000, V, n° 151).

102 Constitue ainsi une discrimination prohibée le fait pour un employeur d’infliger à un délégué syndical des avertissements, non fondés et décidés en considération de son activité syndicale, et de présenter une demande d’autorisation de licenciement abusive dans le cas d’espèce (Soc., 16 janv. 1985, Bull. 1985, V, n° 37 ; JCP G 1985, IV, 123 ; Dr. ouvrier 1986, p. 350). De même, la concomitance de la sanction et de l’adhésion à un syndicat ou de la prise de fonction syndicale est un indice fort de l’existence d’une discrimination syndicale. Ainsi, une mesure disciplinaire fondée sur la qualité du travail prise peu de temps après la désignation comme délégué syndical à l’encontre d’un salarié ancien n’ayant jamais fait l’objet d’observations sur son travail peut être tenue pour liée à l’activité syndicale ; la coïncidence entre la sanction et la manifestation d’une activité syndicale autorise à faire jouer une présomption de fait (Crim., 17 févr. 1981, RPDS 1981, somm. p. 195 ; Dr. ouvrier 1981, p. 358).

103 La contravention à ces dispositions est en principe établie dès lors qu’il est acquis que, du jour de l’engagement syndical, la carrière et/ou la rémunération du salarié ont évolué défavorablement par rapport à l’époque antérieure ou aux autres salariés. De nombreux arrêts sanctionnent l’employeur qui pratique des discriminations en matière de rémunération ou d’évolution de carrière fondées sur des considérations d’ordre syndical (par exemple, le fait de priver un délégué syndical d’une augmentation salariale au mérite dès lors que l’intéressé n’a jamais fait l’objet de reproche de la part de son employeur au cours des dix-neuf années passées à son service - Soc., 28 juin 1994 : RJS 1994, n° 1283 - ou de décider de la suppression collective d’une prime : Soc., 22 oct. 1985, Dr. ouvrier 1986, p. 352).

104 Soc., 29 oct. 1996 (Bull. 1996, V, n° 359, p. 255 ; Juris-Data n° 1996-004012).

22•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

identique ». Il est acquis que le principe « à travail égal, salaire égal » serve de fondement à une action en dommages-intérêts lorsqu’un délégué syndical perçoit une rémunération moindre que les salariés se trouvant placés dans une situation identique105.

b) Le régime de la preuve

Pour que la preuve de la discrimination soit rapportée, il convient non seulement que la différence de traitement soit caractérisée mais encore que le motif de cette différenciation illégitime, puisque liée à l’affiliation ou l’activité syndicale, soit établi. Cette preuve étant difficile à rapporter, son régime a été adapté, selon une méthode éprouvée par la Cour de justice des Communautés européennes, de telle manière à faire peser sur le défendeur, dès lors que l’apparence d’une discrimination est établie du fait d’une inégalité de traitement, la charge de justifier la mesure, la décision ou le comportement qui lui est reproché106.

Pèse donc sur l’employeur une obligation de justification dès lors que la différence est établie. Il devra fournir les raisons objectives et licites de cette différence avérée. Il lui appartient ainsi de justifier que le traitement différent est le résultat de décisions dans lesquelles l’appartenance syndicale ou tout autre élément illégitime n’est pas intervenu.

Ce régime spécifique de la preuve en matière de discrimination, qui s’inscrit dans la droite ligne d’une Directive européenne relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, a d’abord été appliqué par la Cour de cassation107 avant d’être consacré par le législateur dans la loi du 16 novembre 2001108.

Le régime mis ainsi en place par le législateur est très comparable à celui instauré dans le cadre de la répression des faits de harcèlement moral109. Ce mécanisme d’administration de la preuve se décompose en trois temps110. La charge de la preuve pèse dans un premier temps sur le salarié, qui doit établir les faits susceptibles de caractériser la discrimination syndicale alléguée.

A cet égard, il convient d’observer que, malgré les multiples modifications dont a fait l’objet l’article L. 122-45 du code du travail, son quatrième alinéa n’a jamais été remanié, contrairement à l’article L. 122-52 du code du travail111. Cet article prévoit désormais que le salarié ne doit plus seulement « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement », mais « établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ».

Cependant, la jurisprudence112 exige du salarié non qu’il se contente de faire état de simples allégations mais qu’il justifie d’éléments de faits précis et concordants susceptibles de caractériser une discrimination syndicale113.

L’employeur mis en cause et qui conteste le caractère discriminatoire devra prouver, quant à lui, que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat114.

Le juge devra ensuite former « sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles »115.

IV. - Les éléments de réponse

A l’issue de cette étude, une seule réponse me semble s’imposer tenant en ces termes : « une juridiction prud’homale, saisie d’une demande en dommages-intérêts pour des faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale, ne peut, sur le fondement de l’article 133-11 du code pénal, refuser d’apprécier si la succession des sanctions disciplinaires amnistiées qui ont été prononcées contre le salarié est de nature à caractériser les faits ainsi allégués ». Le principe de l’interdiction posée par l’article 133-11 du code pénal doit dès lors s’effacer au profit du respect de l’effectivité de la protection des droits fondamentaux.

Cette réponse découle notamment de la lettre des articles 11 et 12 de la loi d’amnistie du 6 août 2002 (A), de la finalité de l’extension du principe de l’amnistie aux sanctions disciplinaires (B) et de notre jurisprudence sur la portée de l’amnistie (C).

105 Soc., 15 déc. 1998, Bull. 1998, V, n° 551. Est ainsi victime de discrimination le salarié accomplissant, avec un coefficient identique, une même qualification et une ancienneté comparable, le même travail que les autres salariés de l’atelier mais percevant une rémunération moindre que celle allouée à ces derniers et sans que l’employeur puisse donner une explication à cette différence de traitement (Soc., 4 juill. 2000, Bull. 2000, V, n° 263, Juris-Data n° 2000-002844).

106 Pour une étude complète de l’apport du droit communautaire au droit interne, voir Edouard Debout « Tu ne discrimineras pas… », l’apport du droit communautaire au droit interne », in Droits fondamentaux, n° 2, janvier-décembre 2002, p. 47 à 62.

107 Soc., 28 mars 2000 (Bull. 2000, V, n° 126 ; RJS 2000, n° 498 ; Dr. soc. 2000, p. 589 ; RPDS 2000, p. 291) ; Soc., 4 juillet 2000 (Bull. 2000, V, n° 264 ; RJS 2000, n° 1109) ; voir déjà C.A. Paris, 21 février 1997 : Dr. ouvrier 1997, p. 224. - C.A. Paris, 14 janvier 1998 : Dr. ouvrier 1998, p. 285. - C.A. Riom, 19 janv. 1999 : AJ-CFDT juillet 1999, n° 137, p. 18. - Soc., 15 déc. 1998 (Bull. 1998, V, n° 551 p. 412 ; RJS 1999, n° 513 ; Dr. soc. 1999, p. 187) ; Soc., 5 octobre 1999, Bull. 1999, V, n° 363 p. 266 ; Dr. soc. 1999, p. 1119) Soc., 23 novembre 1999 (Bull. 1999, V, n° 447 ; D. 2000, inf. rap. p. 46 ; RJS 2000, n° 498).

108 Précitée, note de bas de page n° 94.109 Voir supra B-1-b, « le régime de la preuve du harcèlement moral ».110 Ibidem.111 A la suite des réserves interprétatives opérées par la Conseil constitutionnel (voir décision n° 2001-455 précitée).112 Voir, notamment, Soc., 23 novembre 1999 (Bull. 1999, V, n° 447) ; 23 octobre 2001 (Bull. 2001, V, n° 330 ; commentaire RJS

2002, n° 36) ; Soc., 3 avril 2002, pourvoi n° 00-42.583 (commentaire RJS 2002, n° 697). 113 Pourrait-il en être autrement compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel précitée ?114 Soc, 26 avril 2000 (Bull. 2000, V, n° 151 ; commentaire RJS 2000, n° 685 ; Lamy social 2006, n° 2571 ; Lamy comité d’entreprise,

n° 151-3) ; Soc., 6 juillet 2005, pourvoi n° 03-44.645 (commentaire la Semaine juridique, édition sociale, n° 15, p. 35, obs. J.Y. Kerbourc’h) ; Soc., 4 juillet 2000, (Bull. 2000, V, n° 264, commentaire N. Rérolle « Charge de la preuve de la discrimination syndicale : confirmation de la jurisprudence » in Jurisprudence sociale Lamy, 2000, n° 65) ; Crim., 6 janvier 2004 (Bull. crim. 2004, n° 4, p. 10 ; RJS 2004, n° 434) ; Soc., 28 février 2001, pourvoi n° 98-45.681 (commentaire Juris-Data n° 2001-008509, reconnaissance de mesures discriminatoires ; au contraire en présence d’allégation non étayée, Soc., 3 avril 2002 : RJS 2002, n° 697).

115 Article L. 122-45, alinéa 4, du code du travail.

23•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

A. - La lettre des articles 11 et 12 de la loi d’amnistie de 2002

On l’a vu, il résulte de la lettre de ces dispositions que seuls les faits commis avant le 17 mai 2002, en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou qu’ils sont retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur, sont amnistiés de plein droit. Ces faits ne peuvent dès lors plus servir de fondement à une sanction disciplinaire. On le voit, ces faits ne sont amnistiés qu’en ce qu’ils peuvent être retenus ou qu’ils sont retenus comme motifs de sanction disciplinaire.

Il découle des termes mêmes de ces dispositions que peuvent être invoqués les faits, voire la sanction elle-même, à d’autres fins.

L’article 14 de la loi d’amnistie de 2002 fournit un autre argument de poids en faveur de cette lecture, me semble-t-il. Il résulte en effet du deuxième et onzième alinéa de cet article que les délits de discrimination syndicale (article L. 412-2 du code du travail) et de harcèlement moral (article 222-33-2 du code pénal) sont exclus de l’amnistie.

Imagine-t-on en opportunité, en équité et en droit, pouvoir refuser l’admission de ces preuves alors que le salarié se plaint justement d’être victime de faits susceptibles de constituer des délits qui ne peuvent être couverts par l’amnistie ?

B. - La finalité de l’extension du principe de l’amnistie aux sanctions disciplinaires

Il résulte des débats parlementaires que l’extension de l’amnistie aux sanctions disciplinaires était motivée par la volonté de rétablir dans leurs droits les militants syndicaux et les représentants du personnel les plus fréquemment sanctionnés au sein de l’entreprise pour avoir voulu défendre leur outil et leurs conditions de travail ou les intérêts de tous les travailleurs et le maintien du potentiel économique de leur pays.

Cette mesure d’amnistie constitue dès lors une mesure de protection édictée en faveur des salariés. A quel titre le juge pourrait-il refuser d’examiner des éléments de preuve fournis par la personne même que l’interdiction est supposée protéger alors que, en droit du travail et en droit social, le principe de faveur autorise l’interprétation des règles d’ordre public d’une manière plus favorable pour le salarié ? Ce principe de faveur joue tout particulièrement quand il s’agit de l’exercice des droits de la défense du salarié116.

C. - La jurisprudence sur la portée de l’amnistie

Il résulte en effet de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat que, dans les rapports entre les parties, l’amnistie n’efface pas de droit les conséquences financières que la sanction du fait amnistié a pu entraîner117. Chaque partie conserve le droit d’invoquer les faits amnistiés pour établir le bien-fondé de ses droits au regard de la sanction contestée, quand bien même celle-ci est amnistiée. Ce principe a été rappelé à maintes reprises en faveur du salarié mais aussi de l’employeur118. Ainsi, le salarié protégé a toujours intérêt à l’annulation contentieuse d’une autorisation de licenciement dès lors que celle-ci lui ouvrirait le droit à réintégration que la loi d’amnistie lui refuse119. Le juge est donc tenu, dans ces hypothèses, de se déterminer en tenant compte de ces éléments de fait et de preuve fournis par les parties.

Il est constant que, depuis 1992, l’interdiction de rappel des peines ou sanctions amnistiées est limitée aux seules personnes qui ont connu la peine ou la sanction dans le cadre d’une fonction. Dès lors, elle n’est pas opposable au salarié au bénéfice duquel l’interdiction a été édictée. Toutefois, la demande d’avis nous interroge sur la portée de cette interdiction au regard de l’office du juge prud’homal.

A cet égard, la jurisprudence précitée, élaborée alors que le principe de l’interdiction du rappel des sanctions amnistiées s’imposait à tous, y compris au salarié, est très explicite. Le juge peut être conduit à examiner les faits amnistiés puisque l’amnistie n’efface pas de droit les conséquences financières que la sanction du fait amnistié a pu entraîner et que chaque partie conserve le droit d’invoquer les faits amnistiés pour établir le bien-fondé de ses droits au regard de la sanction contestée, quand bien même celle-ci est amnistiée120.

La seule réserve opérée par notre jurisprudence tient en l’absence d’incidence financière de la sanction amnistiée121.

Dans l’espèce au principal, le salarié, membre d’une organisation syndicale, au bénéfice duquel le principe de l’amnistie des sanctions disciplinaires a été adopté, invoque des sanctions injustifiées et amnistiées dont il aurait été victime. Selon lui, ces éléments sont de nature à prouver qu’il a été victime de mesures discriminatoires en raison de son appartenance à un syndicat et qu’il a fait l’objet de harcèlement moral et que sa demande de dommages-intérêts à ce titre est fondée. Il me semble que cette espèce répond dès lors parfaitement aux exigences de notre jurisprudence.

D’autres raisons spécifiques tenant, notamment, à la nature du contentieux dont est saisi le juge au principal milite en faveur de la réponse qui est ainsi proposée.

116 Selon G. Cornu, l’ordre public est conçu d’une manière particulière en droit social et en droit du travail : « Les règles de l’ordre public social sont impératives, mais elles souffrent des dérogations, à la seule condition que celles-ci soient plus favorables aux salariés » (Vocabulaire juridique, 7e édition, PUF, Association Henri Capitant ; Jurisclasseur travail, Traité - Fasc 1-36, « Soumission aux lois impératives » ; J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 21e édition, p. 53 à 55).

117 Voir supra III, A-3°- « La portée de l’article 133-11 du code pénal ».118 Ibidem.119 Ibidem.120 Voir supra III, A-3° - « La portée de l’article 133-11 du code pénal ».121 Ibidem.

24•

Bulletin d’informationAvis de la Cour de cassation

•1er mars 2007

D. - Des raisons spécifiques

Le litige au principal s’inscrit dans le cadre de la défense de droits fondamentaux dont le respect s’impose dans l’entreprise et qui, on l’a vu, sont garantis par de nombreux textes tant internationaux que nationaux122.

Il me semble dès lors que la seule réponse possible dans le but d’assurer l’effectivité de la protection de ces droits fondamentaux consiste nécessairement à conclure à la portée limitée de l’article 133-11 du code pénal, en l’espèce.

Une réponse contraire serait, me semble-t-il incompatible avec le droit communautaire, européen et international123.

En outre, le principe même de l’amnistie est très controversé non seulement en droit international124 mais aussi en droit interne, dans la société civile, dans le monde politique125 et dans la doctrine126. Imagine-t-on alors pertinemment privilégier un principe contesté au détriment de la protection de droits fondamentaux universellement reconnus et protégés ?

E. - Des raisons pratiques

Des raisons pratiques, tenant notamment à la difficulté de rapporter la preuve exigée, plaident également en faveur d’une réponse qui permettrait au principe de l’interdiction posée par l’article 133-11 du code pénal de s’effacer au profit du respect de l’effectivité de la protection des droits fondamentaux.

En effet, il me semble en outre délicat de refuser l’admission des preuves litigieuses alors que la charge de la preuve pèse en premier lieu sur le salarié, que cette preuve est difficile à rapporter et que le salarié ne dispose peut-être que de ces seuls éléments pour établir les faits de discrimination et d’harcèlement allégués.

122 Voir supra III, B.123 A ma connaissance, aucune décision pertinente n’a été adoptée par une juridiction internationale, mais il ne fait guère de doute,

selon moi, que le principe même d’effectivité s’oppose à toute autre décision. 124 Voir notamment en droit international la difficile cohabitation du caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité et du

pouvoir d’amnistie reconnu au législateur. A ce sujet, voir Crim., 1er avril 1993 (Bull. crim. 1993, n° 143) et les développements récents qui constituent un revirement de la Cour de cassation. Par un arrêt du 23 octobre 2002 (Bull. crim. 2002, n° 195), la Cour de cassation a estimé que « la loi mauritanienne du 14 juin 1993 portant amnistie ne saurait recevoir application sous peine de priver de toute portée le principe de compétence universelle ». En d’autres termes, la loi d’amnistie mauritanienne n’est pas opposable en France.

125 Voir les débats parlementaires au moment du vote de la loi d’amnistie de 2002, (supra III, A-2-c, 2.2.b.).126 Voir, ainsi, G. Lorho « Pour en finir avec l’amnistie », éd. techniques, Droit pénal, juillet 1994 ; professeur Stoos, cité par F. Clerc

in « L’amnistie en Suisse », Mélanges en l’honneur du Doyen Bouzat, 1980, p. 136.

25•

1er mars 2007Avis de la Cour de cassation

•Bulletin d’information

Par jugement du 28 septembre 2006, le conseil des prud’hommes de Brive-la-Gaillarde a sollicité l’avis de la Cour de cassation sur la question suivante :

« L’article 133-11 du code pénal dispose “qu’il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation”.

Comment une juridiction prud’homale peut-elle concilier le respect de cette interdiction générale avec l’obligation de statuer lorsqu’elle est saisie d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination syndicale et que le demandeur entend caractériser l’existence d’un harcèlement et d’une discrimination en se fondant sur la succession des sanctions disciplinaires prononcées contre lui par son employeur, lesdites sanctions étant amnistiées au jour de la demande ? »

En l’espèce, un salarié d’une société de transport a saisi le conseil de prud’hommes de Brive-la-Gaillarde d’une demande tendant à la condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts en raison de la discrimination syndicale et du harcèlement moral dont il se prétend victime.

Ces faits étant amnistiés au jour de la demande, le conseil des prud’hommes peut-il faire état de ceux-ci pour apprécier si la succession des sanctions disciplinaires amnistiées qui ont été infligées au salarié sont de nature à caractériser l’existence d’une discrimination syndicale et d’un harcèlement moral ?

La lecture de l’article 133-11 du code pénal conduit à répondre par la négative puisque l’interdiction de rappeler l’existence d’une sanction disciplinaire est absolue, la seule exclusion concernant les minutes des jugements et arrêts déjà rendus.

Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont cependant apporté quelques tempéraments à cette règle en jugeant que, dans les rapports entre les parties, l’amnistie n’efface pas de droit les conséquences financières que la sanction du fait amnistié à pu entraîner ; chaque partie conserve le droit d’invoquer les faits amnistiés pour établir le bien-fondé des ses droits au regard de la sanction contestée, quand bien même celle-ci est amnistiée.

C’est ainsi que par un arrêt du 29 mai 1985 (Bull. 1985, V, n° 93) la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que « la loi d’amnistie du 4 août 1981 n’effacait pas de droit les conséquences financières que la sanction des faits amnistiés avait pu entraîner ».

Dans le même sens, la chambre sociale a jugé le 21 juin 1989 (Bull. 1989, V, n° 957) que « sont amnistiés dans des conditions fixées à l’article 19 de la loi d’amnistie du 20 juillet 1988, les faits retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur ; qu’en conséquence, les pourvois formés contre des décisions des juges du fond annulant des sanctions disciplinaires sans conséquences financières sont devenues sans objet, mais les employeurs sont recevables à critiquer ces décisions en ce qu’elles les ont condamnés à payer des dommages-intérêts aux salariés ».

Ce principe selon lequel chaque partie conserve le droit d’invoquer les faits amnistiés pour établir ses droits au regard de la sanction contestée quand bien-même celle-ci serait amnistiée a été réaffirmé à plusieurs reprises par votre Cour, en faveur du salarié mais aussi de l’employeur.

Dans l’espèce qui fait l’objet de la présente demande d’avis, le salarié qui est membre d’une organisation syndicale invoque des sanctions amnistiées dont il a été victime. Selon lui, ces sanctions étaient injustifiées et sont de nature à prouver qu’il a été victime de mesures discriminatoires en raison de son appartenance à un syndicat et qu’il a fait l’objet d’un harcèlement moral, faits qui justifient selon lui l’octroi de dommages-intérêts.

Les sanctions disciplinaires amnistiées prononcées à l’encontre de ce salarié ayant eu pour lui des incidences financières puisqu’il sollicite des dommages-intérêts, l’espèce me parait répondre parfaitement aux exigences de la jurisprudence que je viens d’évoquer.

Aussi, la réponse à la question pourrait être la suivante :

L’amnistie n’efface pas les conséquences financières de la sanction amnistiée.

Il en résulte qu’une juridiction prud’homale, saisie d’une demande en dommages-intérêts pour des faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale, ne peut refuser d’apprécier si la succession des sanctions disciplinaires amnistiées qui ont été prononcées contre le salarié est de nature à caractériser les faits allégués à l’appui de sa demande.

Observations de M. FoerstAvocat général

26•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

II. - ARRÊTS PUBLIES INTÉGRALEMENT

A. - ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2006 RENDU PAR L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Communiqué Page 26

Titre et sommaire Page 26

Arrêt Page 27

Rapport Page 29

Avis Page 44

COMMUNIQUÉ

Un demandeur en justice, qui agit en se conformant, pour le délai d’exercice d’une action en justice, à l’interprétation donnée à cette date par la Cour de cassation du texte relatif à la prescription de l’action, peut-il se voir priver d’un droit processuel régulièrement mis en œuvre par l’effet d’une interprétation nouvelle qu’il ne pouvait connaître à l’époque ?

Telle est la question que l’assemblée plénière de la Cour de cassation a eu à résoudre le 21 décembre 2006, dans le prolongement des travaux que le groupe de travail présidé par le professeur Molfessis avait consacrés à la question des revirements de jurisprudence en 2004.

Dans son rapport remis au premier président de la Cour de cassation le 30 novembre 2004, le groupe de travail avait suggéré que la Cour de cassation admette la possibilité de moduler dans le temps les effets des revirements de jurisprudence, en appréciant au cas par cas les situations et les motifs impérieux d’intérêt général justifiant cette modulation.

C’est dans cet esprit que l’assemblée plénière a statué sur l’obligation de réitérer tous les trois mois des actes interruptifs de prescription pour l’action fondée sur une atteinte à la présomption d’innocence, en soulevant d’office la question de l’effet dans le temps d’un revirement de jurisprudence intervenu sur ce point au mois de juillet 2004 et en instaurant à ce sujet un débat particulier.

Justifiant sa décision au regard des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour a jugé qu’on ne pouvait appliquer à la victime d’une atteinte à la présomption d’innocence une obligation de réitération des actes interruptifs que la Cour de cassation n’imposait pas à la date de son action, dès lors que l’application immédiate de l’interprétation nouvelle, résultant d’un arrêt de la deuxième chambre du 8 juillet 2004, aurait eu pour effet de la priver d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 susvisé, en lui interdisant l’accès au juge.

Comme l’a souligné le rapport du groupe de travail présidé par le professeur Molfessis, imposer aux justiciables l’application d’une règle qu’ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique et à contredire illégitimement leurs prévisions.

S’il appartient à la Cour, au vu des éléments d’information qui lui sont fournis par le débat contradictoire, d’apprécier s’il existe une disproportion manifeste entre les avantages attachés à la rétroactivité de principe du revirement et les inconvénients qu’emporte cette rétroactivité sur la situation des justiciables, la protection du droit d’action en justice pour une atteinte aux droits de la personnalité fait partie des exigences du procès équitable que la Cour doit prendre en considération.

PresseProcédure - Prescription - Interruption - Nécessité - Domaine d’application - Action en réparation

fondée sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence commise par voie de presse - Condition.

Les dispositions de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; ces dispositions d’ordre public imposent au demandeur, non seulement d’introduire l’instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d’accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l’adversaire son intention de poursuivre l’instance ; si c’est à tort qu’une cour d’appel a écarté le moyen de prescription, alors qu’elle constatait que le demandeur en justice n’avait

27•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d’appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge.

ARRÊT

La première chambre civile a, par arrêt du 7 mars 2006, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;

Les demandeurs invoquent, devant l’assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bouzidi, avocat de la société La Provence et du directeur de la publication de la société La Provence ;

Un mémoire et des observations complémentaires en défense ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Tiffreau, avocat de Mme X… ;

Le rapport écrit de M. Lacabarats, conseiller, et l’avis écrit de M. Legoux, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2000), que le journal Le Provençal a publié le 14 février 1996 un article intitulé « ils maltraitaient leur bébé - Digne : le couple tortionnaire écroué » ; que, s’estimant mise en cause par cet article dans des conditions attentatoires à la présomption d’innocence, Mme X… a assigné la société éditrice du journal et le directeur de la publication en réparation de son préjudice devant un tribunal de grande instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société La Provence et le directeur de la publication du journal font grief à l’arrêt d’avoir écarté le moyen tiré de la prescription de l’action, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 que les actions fondées sur une atteinte à la présomption d’innocence commise par l’un des moyens visés à l’article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité ; que la société La Provence faisait valoir la prescription de l’action dès lors que la déclaration d’appel étant du 17 mars 1998, Mme X… n’avait fait aucun acte susceptible d’interrompre le cours de la prescription, laquelle était acquise le 17 juin 1998 ; qu’en décidant que le moyen tiré de la prescription doit être écarté aux motifs que la prescription édictée par l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 n’est pas la même que celle prévue par l’article 65 pour les infractions prévues par cette loi et qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner la question de l’inaction de Mme X… depuis l’appel de la société La Provence, l’action ayant été valablement introduite devant le tribunal dans le délai prévu par l’article 65-1, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Mais attendu que les dispositions de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; que ces dispositions, d’ordre public, imposent au demandeur, non seulement d’introduire l’instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d’accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l’adversaire son intention de poursuivre l’instance ; que si c’est à tort que la cour d’appel a écarté le moyen de prescription alors qu’elle constatait que Mme X… n’avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d’appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société La Provence et le directeur de la publication du journal font grief à l’arrêt d’avoir dit qu’ils avaient porté atteinte à la présomption d’innocence de Mme X…, alors, selon le moyen :

1°) que l’atteinte à la présomption d’innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement ; qu’en retenant que le titre et le texte de l’article litigieux présentent sans nuance Mme X… comme une « tortionnaire » ayant maltraité son bébé, en indiquant qu’elle a reconnu ce fait et en concluant que « la joie de cette jeune famille vient de tourner au cauchemar », que les faits ainsi présentés sont bien considérés comme établis sans réserve à l’encontre de Mme X… présentée d’emblée comme coupable de mauvais traitements à enfant, ayant reconnu les faits alors qu’elle les contestait, et qu’une procédure judiciaire en cours allait aboutir, en ce qui la concerne, à une ordonnance de non-lieu, la cour d’appel n’a pas par là-même relevé que l’écrit litigieux contenait des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité et a violé l’article 9-1 du code civil ;

2°) que l’article litigieux ne contenait aucunes conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ; qu’en décidant que le titre et le texte de l’article présentent sans nuance Mme X… comme une « tortionnaire » ayant « maltraité son bébé parce qu’il pleurait », en indiquant qu’elle a reconnu ce fait et en concluant que « la joie de cette famille vient de tourner au cauchemar », que les faits présentés

28•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

sont bien considérés comme établis sans réserve à l’encontre de Mme X…, la cour d’appel, qui ne précise pas si la mère avait contesté les faits postérieurement à la garde à vue, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9-1 du code civil ;

3°) que l’article litigieux ne contenait aucunes conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ; qu’en décidant que les faits présentés sont bien considérés comme établis sans réserve à l’encontre de Mme X…, en ajoutant qu’une procédure judiciaire en cours allait aboutir en ce qui concerne la mère à une ordonnance de non-lieu, la cour d’appel s’est ainsi prononcée par un motif inopérant dès lors qu’elle devait se placer à la date de parution de l’article et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9-1 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’article du journal Le Provençal présentait sans aucune réserve ou nuance Mme X… comme une « tortionnaire » ayant maltraité son enfant, ce dont il résultait que l’article contenait des conclusions définitives tenant pour acquise sa culpabilité, la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, en déduire qu’il avait été porté atteinte au respect de la présomption d’innocence et a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société La Provence et le directeur de la publication du journal font grief à l’arrêt de les avoir condamnés à payer à Mme X… une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°) qu’ils contestaient tout préjudice de Mme X…, indiquant qu’un communiqué rectificatif avait été publié après une ordonnance de référé rendue le 3 juin 1996 ; qu’en élevant à 100 000 francs le montant des dommages-intérêts, motifs pris de la nature et de la forme de la publication opérée et de la mauvaise foi manifeste des appelants, ajoutant que le journaliste, alerté par une association locale sur la portée de son article au regard d’une enquête en cours, loin d’adopter un comportement de retrait et d’apaisement, s’est cru autorisé à répondre à cette association, le 29 février 1996, qu’il maintenait la totalité des termes de son article, la cour d’appel, qui ne précise pas en quoi consistait la mauvaise foi, a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

2°) qu’ils contestaient tout préjudice de Mme X…, indiquant qu’un communiqué rectificatif avait été publié après une ordonnance de référé rendue le 3 juin 1996 ; qu’en élevant à 100 000 francs le montant des dommages-intérêts, motifs pris de la nature et de la forme de la publication opérée et de la mauvaise foi manifeste des appelants, ajoutant que le journaliste, alerté par une association locale sur la portée de son article au regard d’une enquête en cours, loin d’adopter un comportement de retrait et d’apaisement, s’est cru autorisé à répondre à cette association, le 29 février 1996, qu’il maintenait la totalité des termes de son article, la cour d’appel, qui se fonde sur la réponse faite par le journaliste dans une lettre personnelle à une association, postérieurement à la publication de l’article litigieux, pour retenir la mauvaise foi, s’est fondé sur un motif inopérant dès lors que cette correspondance n’a pas été publiée et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9-1 du code civil ;

Mais attendu que la publication d’un communiqué judiciaire ordonnée par le juge des référés ne prive pas la victime d’une atteinte à la présomption d’innocence du droit d’agir devant les juges du fond pour obtenir l’allocation de dommages-intérêts ;

Et attendu que la mauvaise foi n’étant pas une condition d’application de l’article 9-1 du code civil, justifiée seulement par la constatation d’une atteinte publique au respect de la présomption d’innocence, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a retenu par une décision motivée que Mme X… avait subi un préjudice et a fixé le montant de son indemnisation ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Ass. plén., 21 décembre 2006Rejet

N° 00-20.493. - C.A. Aix-en-Provence, 6 avril 2000

M. Canivet, P. Pt. - M. Lacabarats, Rap. - M. Legoux, Av. Gén. - SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Tiffreau, Av.

29•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

I. - Rappel des faits et de la procédure

Le 13 février 1996, le journal La Provence a publié un article intitulé « ils maltraitaient leur bébé - Digne : le couple tortionnaire écroué ».

L’article comportait un sous-titre ainsi conçu : « Le petit Killian, né le jour de Noël, était maltraité par ses parents (…) qui ne supportaient pas ses pleurs. Le bébé a été hospitalisé, souffrant de plusieurs fractures. Le couple a été écroué ». En page intérieure du journal, il était notamment indiqué que « placés en garde à vue, Romuald Y…, 27 ans, et Véronique X…, 26 ans, tous deux Rmistes, ont reconnu avoir frappé leur jeune fils Killian parce qu’il pleurait ».

Le 11 avril 1996, Mme X… a assigné la société Le Provençal, société éditrice du journal, et son directeur de la publication en paiement de dommages-intérêts pour atteinte à la présomption d’innocence.

Par jugement du 5 février 1998, le tribunal de grande instance de Marseille a accueilli la demande et condamné les défendeurs à payer à Mme X… la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Les parties condamnées ont interjeté appel du jugement le 17 mars 1998.

Par arrêt du 6 avril 2000, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, après avoir écarté le moyen de prescription de l’action invoqué par les appelants, a confirmé le jugement sur le principe de la condamnation et a élevé à 100 000 francs le montant des dommages-intérêts alloués à Mme X….

Cet arrêt a été signifié le 3 août 2000 et frappé de pourvoi le 2 octobre 2000 par la société La Provence, qui vient aux droits de la société Le Provençal, ainsi que par le directeur de la publication du journal.

Un mémoire ampliatif a été déposé le 2 mars 2001. Mme X…, qui a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, a déposé un mémoire en défense le 21 janvier 2003.

Orienté vers la première chambre, le pourvoi a fait l’objet le 7 mars 2006 d’un renvoi en assemblée plénière.

II. - Analyse succincte des moyens

Le pourvoi comporte trois moyens de cassation.

Le premier moyen concerne la prescription de l’action.

Il invoque une violation des articles 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 et 9-1 du code civil.

Les actions fondées sur ces dispositions étant soumises à la courte prescription de trois mois, la cour d’appel ne pouvait écarter le moyen de prescription dès lors que Mme X… n’avait, après la déclaration d’appel du 17 mars 1998, accompli dans ce délai aucun acte susceptible d’interrompre le cours de la prescription.

Le deuxième moyen concerne l’existence d’une atteinte à la présomption d’innocence, contestée par les demandeurs au pourvoi.

Le moyen est divisé en trois branches.

- 1re branche : violation de l’article 9-1 du code civil. La cour d’appel n’aurait pas relevé que l’écrit litigieux contenait des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ;

- 2e branche : défaut de base légale au regard du même texte, la cour d’appel n’ayant pas précisé si la mère avait, postérieurement à la garde à vue, contesté les faits reconnus au cours de celle-ci ;

- 3e branche : défaut de base légale au regard du même texte, la cour d’appel s’étant prononcée par un motif inopérant tiré d’une décision de non-lieu postérieure à la parution de l’article.

Le troisième moyen se rapporte à l’indemnisation allouée à Mme X…

Il est divisé en deux branches.

- 1re branche : violation de l’article 455 du nouveau code de procédure civile. La cour d’appel n’aurait pas précisé en quoi consistait la mauvaise foi reprochée à l’organe de presse sur laquelle elle se fondait pour élever le montant des dommages-intérêts ;

- seconde branche : défaut de base légale au regard de l’article 9-1 du code civil. La cour d’appel, pour retenir la mauvaise foi des auteurs de la publication, se serait fondée sur un motif inopérant tiré de circonstances postérieures à la parution de l’article.

III. - Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger

Les principales questions de droit posées par le pourvoi sont les suivantes :

1. - Quelles sont les circonstances caractérisant une atteinte à la présomption d’innocence ?

2. - Quelles sont les règles applicables à la prescription de l’action en réparation du dommage causé par la publication de propos attentatoires à la présomption d’innocence ?

Rapport de M. LacabaratsConseiller rapporteur

30•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

3. - A supposer qu’un revirement de jurisprudence se soit produit sur la question du régime de prescription applicable à l’action, ce revirement doit-il s’appliquer aux procédures engagées antérieurement ?

IV. - Discussion citant les références de jurisprudence et de doctrine

A. - La protection de la présomption d’innocence

C’est une loi du 4 janvier 1993 qui a inséré dans le code civil un nouvel article 9-1 pour consacrer la présomption d’innocence en tant que « droit subjectif de la personnalité » (B. Ader, Légipresse n° 203, II, p. 95) ouvrant à son bénéficiaire le secours des actions en justice propres à le protéger, que ce soit au fond ou en référé.

Modifié déjà à deux reprises, le 24 août 1993 et le 15 juin 2000, l’article 9-1 du code civil est actuellement ainsi conçu :

« Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce, aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ».

L’article 9-1 du code civil, construit sur le modèle de l’article 9 relatif à la protection de la vie privée, présente la caractéristique de s’intéresser à la mise en œuvre du droit, pour définir d’une manière relativement précise le cadre procédural dans lequel l’action du juge peut se situer et les modalités de son intervention.

Ces précisions, particulièrement bienvenues dans un domaine susceptible de mettre en cause le principe fondamental de la liberté d’expression et ses éventuelles restrictions, laissent néanmoins aux parties et au juge une marge d’incertitude non négligeable portant aussi bien sur la notion même de présomption d’innocence que sur l’articulation du texte avec d’autres règles protectrices des droits de la personnalité ou sur les conditions de la saisine des juridictions.

Avant d’examiner les quelques arrêts se rattachant aux questions posées par le pourvoi, il n’est pas inutile de situer la protection de la présomption d’innocence dans le contexte international.

1. - Le contexte international de la protection de la présomption d’innocence

Les textes internationaux soulignent de manière constante que le principe de la présomption d’innocence est « une garantie essentielle des justiciables dans un Etat de droit » (P. Auvret, jurisclasseur de droit de la communication, art. 9-1, fasc. 3770, n° 4).

Ainsi, l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, dispose que « toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

De même, l’article 48-1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que « tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

Il faut surtout citer, en droit positif, l’article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui énonce que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

Quelles que soient leurs différences de rédaction, au demeurant mineures, ces textes présentent une double caractéristique :

- le lien opéré entre protection de la présomption d’innocence et instance pénale, le bénéfice du droit étant réservé à celui qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale ;

- l’indétermination des auteurs potentiels d’une atteinte à la présomption d’innocence et des circonstances susceptibles de la caractériser.

Cette indétermination a été en grande partie levée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour l’application de l’article 6 § 2 susvisé.

Si plusieurs décisions de la Commission ou arrêts de la Cour européenne ont envisagé la question de la violation de la présomption d’innocence par des autorités judiciaires (Com. EDH, 30 mars 1963, Autriche c/ Italie ; CEDH, 25 mars 1983, X… c/ Suisse, requête n° 8660/79 ; CEDH, 25 août 1993, X… c/ Autriche, requête n° 13126/87) ou par d’autres autorités publiques (CEDH, 10 février 1995, X… c/ France, requête n° 15175/89 : « une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’autres autorités publiques »), la question des atteintes commises par voie de presse a également été abordée, comme l’une des limites admissibles au principe de la liberté d’expression.

On sait que ce principe présente une force particulière dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, fondée sur l’article 10 § 1 de la Convention, avec des formules de nature à frapper l’esprit, telles que le rôle de « chien de garde » dévolu à la presse (CEDH, 26 novembre 1991, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni ; CEDH, 2 mai 2000, X… et autres c/ Norvège, requête n° 26132/95) ou l’affirmation selon laquelle « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou

31•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (CEDH, 7 décembre 1976, X… c/ Royaume-Uni, requête n° 5493/72).

La presse doit dès lors jouer un rôle essentiel dans les sociétés démocratiques et, « si elle ne doit pas franchir certaines limites, notamment quant à la réputation et aux droits d’autrui, et à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes questions d’intérêt général » (CEDH, 23 septembre 1994, X… c/ Danemark, requête n° 15890/89), en s’exprimant « de bonne foi, sur la base de faits exacts » et « en fournissant des informations fiables et précises dans le respect de l’éthique journalistique » (CEDH, 21 janvier 1999, X… et Y… c/ France, requête n° 29183/95 ; sur le principe de la liberté d’expression : J.F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, LGDJ 3e édition, n° 64 et suivants ; G. Cohen-Jonathan, jurisclasseur de droit de la communication, fascicule 7300, n° 2 à 58 ; G. Dutertre, extraits-clés de jurisprudence, éditions du Conseil de l’Europe, p. 298 et suivantes).

Rappelons enfin que le principe de la liberté d’expression ne doit pas être envisagé seulement du côté de celui qui diffuse des informations ; il implique aussi le droit pour le public d’en recevoir (CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni).

Malgré l’importance du principe de la liberté d’expression, son exercice comporte des devoirs et des responsabilités et est soumis à diverses restrictions - qui doivent « s’interpréter strictement » (CEDH, 21 janvier 1999, X… c/ Pologne, requête n° 25716/94) - prévues par l’article 10 § 2 de la Convention pour le respect des autres droits garantis par la Convention.

Au nombre de ces restrictions jugées légitimes figure la protection de la présomption d’innocence et il appartient dans un tel contexte au juge de rechercher « si un juste équilibre » a été respecté entre les droits et libertés en conflit (CEDH, 26 septembre 1995, X… c/ Allemagne, requête n° 17851/91).

Selon la jurisprudence européenne, la présomption d’innocence n’interdit à la presse ni de diffuser des informations ou des opinions sur des affaires judiciaires en cours, ni même de publier des photographies d’un suspect (CEDH, 22 mai 1990, X… c/ Suisse, requête n° 11034/84 ; 11 janvier 2000, News Verlag GMBH c/ Autriche).

Mais elle doit le faire en s’abstenant de « déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale » (CEDH, 29 août 1997, X… c/ Autriche, requête n° 22174/93). Pour la Cour, il y a atteinte à la présomption d’innocence lorsqu’une personne est présentée « sans nuance ni réserve » comme responsable d’une infraction, dans des conditions qui d’une part incitent le public à croire en cette responsabilité d’autre part préjugent de l’appréciation des faits par les juges compétents (CEDH, 10 février 1995, X… c/ France, requête n° 15175/89).

2. - La protection de la présomption d’innocence en droit interne

En droit français, la présomption d’innocence constitue également pour les individus une garantie essentielle : prévue, avant que le code civil n’y consacre certaines de ses dispositions, par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (« Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable »), elle appartient au droit positif en tant que norme de valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision 80-127 DC, 19-20 janvier 1981 ; décision 89-258 DC, 8 janvier 1989 ; décision 95-360 DC, 2 février 1995 ; décision 99-411 DC, 16 juin 1999).

Cette force particulière interdit d’en faire une valeur subordonnée, cédant devant le principe fondamental de la liberté d’expression. En réalité, il s’agit de normes équivalentes dont il appartient au juge d’opérer la conciliation par la recherche d’un « juste équilibre », selon la formule précitée de la Cour européenne des droits de l’homme, entre les intérêts de la personne mise en cause et ceux des auteurs des informations susceptibles de lui porter préjudice (P. Auvret, op. cit., n° 7).

Depuis la promulgation de l’article 9-1 du code civil, la jurisprudence de la Cour de cassation et celle des juges du fond ont apporté de nombreuses précisions sur les conditions d’application du texte (a) et sur les règles de procédure qui doivent être suivies (b).

a) Conditions d’application de l’article 9-1 du code civil

- Bien que l’atteinte à la présomption d’innocence commise par voie de presse puisse être considérée comme une forme particulière de diffamation, l’article 9-1 du code civil en a fait un droit civil de la personnalité autonome bénéficiant d’une protection particulière, non soumise aux règles de fond et de procédure prévues par la loi du 29 juillet 1881 (C.A. Paris, 13 octobre 2000, Dalloz 2000, IR, p. 302 ; T.G.I. Paris, ordonnance de référé, 6 mars 2001, Légipresse 2001, n° 182, 1, p. 75 ; T.G.I. Saint-Etienne, ordonnance de référé, 10 juillet 2002, Légipresse 2002, n° 195, 1, p. 122 ; T.G.I. Paris, ordonnance de référé, 4 avril 2003, n° 203, 1, p.104).

La solution a été consacrée par la Cour de cassation :

2e Civ., 8 juillet 2004, Bull. 2004, II, n° 387 : « Les abus de la liberté d’expression prévus par la loi du 29 juillet 1881 et portant atteinte au respect de la présomption d’innocence peuvent être réparés sur le fondement unique de l’article 9-1 du code civil ».

1re Civ., 21 février 2006, pourvoi n° 04-11.731 : « Les règles de forme prévues par la loi du 29 juillet 1881 ne s’appliquent pas à l’assignation fondée sur les dispositions de l’article 9-1 du code civil ».

32•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

Certes le texte sur la prescription de l’action a été inséré dans la loi du 29 juillet 1881, mais le législateur en a fait une disposition particulière dont nous verrons que la rédaction, différente de celle du texte sur la prescription de l’action en diffamation, a suscité des difficultés d’interprétation.

- Il résulte du texte même de l’article 9-1 du code civil que son domaine est limité à la relation des affaires judiciaires pénales en cours. Celui qui est mis en cause par la presse à l’occasion d’une affaire d’une nature différente, par exemple un litige prud’homal ou fiscal, ne peut agir sur le fondement de ce texte (C.A. Paris, 21 septembre 1993, Dalloz 1993, IR, p. 224). Il en va de même si les propos incriminés se rapportent à une procédure en cours devant le Conseil de la concurrence (C.A. Paris, 15 juin 1999, Légipresse 1999, n° 163, III, p. 94).

- Mais si l’article de presse concerne bien une affaire pénale, la personne en cause peut se prévaloir du droit à la présomption d’innocence tant qu’une décision de condamnation n’est pas définitive.

On pouvait légitimement s’interroger sur ce point dans la mesure où, pris à la lettre, l’article 9-1 ne vise que la situation de la personne mise en cause publiquement au cours de l’enquête ou de l’information judiciaire. Certaines décisions avaient ainsi considéré que la présomption d’innocence n’existait plus dès lors qu’une condamnation était intervenue (T.G.I. Paris, ordonnance de référé, 23 juin 1994, RTD Civ. 1995, p. 325, obs. J. Hauser).

La Cour de cassation a clairement tranché le débat en faveur du maintien de la présomption d’innocence, même après un premier jugement de condamnation, tant que des voies de recours sont ouvertes à l’intéressé (1re Civ., 12 novembre 1998, Bull. 1998, I, n° 313). La personne qui a interjeté appel d’un jugement pénal de condamnation peut donc continuer à agir pour atteinte à la présomption d’innocence si, par exemple à l’occasion de la relation de cette condamnation et des faits sanctionnés, le journaliste ne prend pas les précautions requises pour ne pas tomber sous le coup de l’article 9-1 (C.A. Paris, 2 août 2002, Légipresse 2002, n° 197, 1, p. 154).

- Encore faut-il préciser ce qui caractérise une atteinte à la présomption d’innocence.

Les commentateurs de la loi du 4 janvier 1993 rappellent que la presse a pu craindre une interprétation large par les tribunaux de cette notion et une restriction illégitime au droit qui lui était reconnu jusqu’alors de rendre compte des affaires judiciaires en cours (C. Bigot, Les annonces de la Seine, 25 novembre 1996, p. 5 ; B. Ader, « le respect de la présomption d’innocence par la presse…10 ans après ! », Légipresse 2003, n° 203, II, p. 95). Mais les principales décisions des juges du fond rendues sur le fondement du nouveau texte ont montré que les tribunaux n’entendaient pas sanctionner la simple relation par les journaux des soupçons ou charges pesant sur un individu (T.G.I. Paris, 7 juillet 1993, JCP 1994, II, 22306, obs. C. Bigot et J.Y. Dupeux ; C.A. Rouen, 20 septembre 1993, JCP 1994, II, n° 22306, obs. C. Bigot et J.Y. Dupeux ; T.G.I. Paris, ordonnance de référé, 18 septembre 1995, Légipresse 1995 n° 122, 1, p. 113).

Seule l’affirmation non équivoque par l’auteur de l’article de presse d’une conviction de culpabilité est de nature à caractériser la faute sanctionnée par l’article 9-1 du code civil, de sorte qu’il a été possible de considérer que ce texte en réalité, s’il est ainsi interprété, « consacre implicitement le droit pour les entreprises de presse de rendre compte des affaires judiciaires » (T.G.I. Paris, ordonnance de référé, 18 septembre 1995, précité).

La Cour de cassation a confirmé la nécessité d’adopter une conception stricte de ce qui est susceptible de constituer une atteinte à la présomption d’innocence. Elle a ainsi jugé, le 6 mars 1996 (1re Civ., 6 mars 1996, Bull. 1996, I, n° 123), que l’atteinte à la présomption d’innocence n’est caractérisée que lorsque les écrits litigieux contiennent « des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité » d’une personne.

Cette conception a été reprise en des termes identiques le 10 octobre 1999 (1re Civ., 19 octobre 1999, Bull. 1999, I, n° 286) puis le 2 mai 2001 (1re Civ., 2 mai 2001, Bull. 2001, I, n° 115) et le 12 juillet 2001 (1re Civ., 12 juillet 2001, Bull. 2001, I, n° 222, JCP 2002, II, 10152, note J. Ravanas, « la liberté d’information dans les affaires judiciaires en cours »). Un arrêt de la deuxième chambre du 20 juin 2002 (Legipresse 2003, n° 198, III, p. 5, obs. B. Ader) a relevé, pour les approuver, les termes d’un arrêt d’appel ayant énoncé qu’il est permis à la presse, en citant le nom d’une personne majeure mise en cause, de rendre compte des affaires judiciaires en cours d’instruction dès lors que les journalistes n’assortissent la relation des faits d’aucun commentaire de nature à révéler un préjugé de leur part quant à la culpabilité de la personne. Si un arrêt du 8 juillet 2004 (2e Civ., 8 juillet 2004, Bull. 2004, II, n° 387) a retenu que l’atteinte à la présomption d’innocence était constituée par la présentation d’un individu « comme coupable » d’une infraction, l’exigence de propos contenant « des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité » de l’intéressé a été reprise plus récemment (1re Civ., 21 février 2006, pourvoi n° 04-11.731).

Comme l’a écrit M. Gridel (« liberté de la presse et protection civile des droits modernes de la personnalité en droit positif français », Dalloz 2005, chronique p. 391), « l’article 9-1 du code civil n’est pas une atteinte à la liberté de l’information. Il est donc parfaitement permis, dans un article de journal, un livre, un reportage radiodiffusé ou télévisé, de relater et commenter les éléments connus d’une affaire pénale en cours de traitement policier ou juridictionnel et, pour ce faire, d’énoncer les faits, de donner les noms, prénoms, âges, photos des personnes concernées (sauf protagonistes mineurs), les soupçons pesant sur tel ou tel, les témoignages intervenus, la description du subtil mécanisme de la fraude reprochée, les divers points de vue possibles […] Il est seulement exigé, en pratique, que la publication intervenue soit empreinte d’une tonalité laissant honnêtement place au doute possible dans l’esprit du lecteur, auditeur, téléspectateur […] l’article 9-1 du code civil prohibe seulement le préjugement de culpabilité ».

33•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Il résulte des différents arrêts de la Cour de cassation que ne suffisent pas à constituer une atteinte à la présomption d’innocence :

- le fait de relater les charges pesant sur une personne (1re Civ., 6 mars 1996) ;

- le fait de privilégier dans la relation des faits ces éléments à charge (1re Civ., 19 octobre 1999), même s’il peut se dégager de l’ensemble de l’article une « impression manifeste de culpabilité » (1re Civ., 12 juillet 2001) ;

- le fait de rapporter sans parti pris les déclarations des enquêteurs (2e Civ., 13 novembre 2003, Légipresse 2004, n° 208, 1, p. 10).

En revanche, il y a violation de l’article 9-1 du code civil si les charges sont présentées comme accablantes et devant entraîner une condamnation évidente, « le juge qui dirait le contraire ne pouvant que se tromper » (1re Civ., 2 mai 2001) ou lorsque le journaliste présente des affirmations relatives à la participation d’une personne à une infraction dénuées de toute réserve (2e Civ., 8 juillet 2004).

- La presse peut-elle faire état des aveux d’une personne ? En principe, la simple reproduction des déclarations d’une personne ayant admis sa culpabilité est possible, pourvu que les journalistes n’y ajoutent pas des commentaires qui confirment leur propre conviction sur la culpabilité (J.H. Robert, jurisclasseur de droit civil, art. 9-1, n° 35).

b) Les règles de procédure applicables à la protection de la présomption d’innocence

La principale difficulté qui est apparue à ce sujet est celle de la prescription des actions engagées pour atteinte à la présomption d’innocence. Pour la comprendre, il faut rapprocher deux textes :

- l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la prescription des actions pour les infractions prévues par la même loi ;

- l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, introduit dans cette loi par la loi du 4 janvier 1993, sur la prescription des actions pour atteinte à la présomption d’innocence.

Selon le premier de ces textes, la prescription se trouve acquise après trois mois révolus à compter soit du jour de la commission de l’infraction, soit du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite, s’il en a été fait. Il en résulte que l’action pour l’une quelconque des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 doit être engagée dans les trois mois du premier acte de publication des propos susceptibles de caractériser l’infraction et que cette prescription doit ensuite être régulièrement interrompue tous les trois mois par un acte manifestant sans équivoque la volonté du demandeur de voir poursuivre son action. Ce régime de prescription est considéré, même devant les juridictions civiles, comme étant d’ordre public et le juge est tenu de relever d’office le moyen (2e Civ., 24 juin 1998, Dalloz 1999, somm. p. 164, obs. C. Bigot ; 2e Civ., 29 novembre 2001, Bull. 2001, II, n° 180).

De son côté l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que l’action engagée en vertu de l’article 9-1 du code civil se prescrit « après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité ». S’il est clair que le délai initial de prescription est le même que pour les infractions de presse et doit être apprécié de la même manière, le texte ne dit rien en revanche sur l’éventuelle nécessité d’un renouvellement trimestriel de l’interruption de la prescription.

Le droit commun de la prescription n’exige pas une telle interruption, l’engagement de l’action en justice préservant le demandeur d’une éventuelle extinction de l’instance par prescription (C. Bigot et J.Y. Dupeux, Dalloz 1997, jurisprudence p. 165). Mais le particularisme du droit de la presse et le souci de préserver la liberté d’expression, au besoin par des obstacles de procédure opposés à l’action en justice, ne doivent-ils pas attraire l’action pour atteinte à la présomption d’innocence dans la sphère de ce droit ?

Les premières décisions rendues ont été contradictoires.

Le tribunal de grande instance de Paris a d’abord estimé que le demandeur n’avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l’action engagée (T.G.I. Paris, 25 mai 1994, cité par C. Bigot et J.Y. Dupeux, Dalloz 1997, jurisprudence p. 165), mais la cour d’appel de Paris a décidé le contraire le 5 juillet 1994 (Dalloz 1995, somm. com. p. 266, obs. J.Y. Dupeux). L’arrêt de la cour d’appel de Paris affirmant la nécessité d’une réitération trimestrielle de l’interruption de prescription a été censuré le 4 décembre 1996 par la Cour de cassation au visa de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 (2e Civ., 4 décembre 1996, Bull. 1996, II, n° 279).

Les juges du fond ont suivi cette décision (C.A., 6 avril 2000, JCP 2000, IV, 2906 ; C.A. Paris, 13 octobre 2000, Dalloz 2000, IR, p. 302) mais la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence le 8 juillet 2004 (2e Civ., 8 juillet 2004, Bull. 2004, II, n° 387 ; Dalloz 2004, jurisprudence, p. 2956, note C. Bigo ; J. Leblois-Happe, AJDP, 11 novembre 2004, p. 411 ; B. Beignier et B. de Lamy, JCP 2005, I, 143). La Cour énonce dans cet arrêt que les dispositions spéciales de l’article 65-1, d’ordre public, dérogent au droit commun, de sorte que le délai de trois mois court à nouveau à compter de chaque acte interruptif de la prescription abrégée prévue par le texte. Cette décision traduit la « volonté unificatrice des règles procédurales applicables au procès de presse » (B. Beignier et B. de Lamy, op. cit.) mise en œuvre par la Cour de cassation.

Des décisions ont été rendues, depuis cet arrêt, par les juges du fond pour tirer les conséquences de la nouvelle jurisprudence. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi décidé le 22 mars 2005 (Legipresse 2005, n° 222, 1, p. 89) qu’est prescrite l’action fondée sur l’atteinte à la présomption d’innocence lorsqu’aucun acte interruptif de prescription n’a été accompli par l’appelant entre l’appel et ses premières conclusions, signifiées plus de trois mois après l’appel.

34•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

Le régime applicable à la prescription des actions pour atteinte à la présomption d’innocence ayant ainsi changé par l’effet d’un revirement de jurisprudence, il convient d’en analyser les conséquences sur les actions introduites antérieurement.

B. - Effets des revirements de jurisprudence

Un groupe de travail présidé par le professeur N. Molfessis a été chargé à la Cour de cassation de réfléchir à l’insertion dans le temps des revirements de jurisprudence et à l’opportunité d’instaurer, dans le système juridique français, un droit transitoire des revirements de jurisprudence.

Il n’est pas contestable que le revirement de jurisprudence fait partie de la vie du droit.

Le rapport remis au mois de novembre 2004 par le professeur Molfessis (ci-après désigné comme étant le rapport Molfessis) souligne à cet égard que « les revirements de jurisprudence sont la manifestation de la vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un droit sans revirement de jurisprudence […] serait au fond un droit entièrement sclérosé » (rapport, p. 14 ; dans le même sens : Y. Chartier, « les revirements de jurisprudence », in « L’image doctrinale de la Cour de cassation », La Documentation française 1994, p. 150 : « une jurisprudence qui ne se modifie pas est souvent aussi une jurisprudence qui se dessèche »).

La difficulté tient au fait que toute jurisprudence est par nature rétroactive, puisque la décision de justice statue nécessairement sur des actes ou faits du passé, même si elle peut avoir également vocation à en régir les conséquences futures.

J. Rivero l’a souligné pour la jurisprudence administrative, par une démonstration intégralement transposable à la jurisprudence judiciaire : « L’arrêt de règlement n’ayant pas cours dans notre droit, il n’y a pour le juge qu’une technique de formulation de la règle de droit : il énonce, dans les considérants, de façon plus ou moins explicite, la formule générale dont il va déduire la solution du cas particulier qui lui a été soumis.

Il en résulte nécessairement que, dans la mesure où le juge procède ainsi, en vertu de son pouvoir normatif, à une modification de la règle antérieure, la règle nouvelle va produire effet, non à partir du jugement, dont le prononcé lui confère l’existence, mais à l’égard des faits ou des actes sur lesquels il statue. Or, au moment où le fait s’est déroulé, où l’acte a été pris, la règle jurisprudentielle était, par hypothèse, fixée dans un certain sens. Ce n’est cependant pas cette règle, en vigueur à l’origine du litige, qui lui sera appliquée, mais celle que le juge lui substituera au terme de celui-ci. Il y a donc bien rétroactivité de la règle jurisprudentielle, non seulement à l’égard des données du litige à propos duquel elle a été élaborée, mais encore, dans la mesure où le juge s’en tiendra à la nouvelle règle, à l’égard de tous les litiges semblables dont il a été saisi avant la décision qui fait jurisprudence, et qui seront tranchés postérieurement à celle-ci » (« Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle », AJDA 1968, doctr., p. 15 à 18).

De même, le doyen Carbonnier affirmait dans son Traité de droit civil que « le revirement est rétroactif par nature ; la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce que les particuliers avaient pu faire sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne » (Droit civil, tome 1, n° 31, p. 109 et n° 34, p. 113).

Pour prendre un exemple tiré de la présente affaire, l’appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille a été formé en 1998, à une époque où la Cour de cassation n’exigeait pas que le délai de prescription soit interrompu tous les trois mois. Le caractère rétroactif de la jurisprudence impliquerait que le revirement opéré par la Cour au mois de juillet 2004 soit opposé à Mme X… pour constater la prescription de son action, faute d’acte interruptif intervenu après la déclaration d’appel du 17 mars 1998.

Cette conséquence n’est-elle pas choquante ?

Le rapport Molfessis note que la dénonciation des effets néfastes des revirements de jurisprudence est ancienne.

P. Voirin avait en effet observé dès 1959 que les revirements affectaient « des actes que leurs auteurs sur la foi de la jurisprudence, avaient cru réguliers au moment où ils les ont conclus » (« Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences », JCP 1959, I, 1467, cité par le rapport Molfessis, Litec 2005, page 5).

Plus récemment, indépendamment de l’article précité de J. Rivero, C. Mouly a aussi attiré l’attention sur les dangers de tels revirements, par une opinion qui manifestait la nécessité de ménager la prévisibilité du droit et de combattre l’insécurité juridique provoquée par les revirements de jurisprudence (« Les revirements de jurisprudence », L’image doctrinale de la Cour de cassation, La Documentation française 1994, p. 123 ; « Comment rendre les revirements de jurisprudence prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n° 33 ; « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ? », Les petites affiches, 4 mai 1994, n° 53 ; « le revirement pour l’avenir », JCP 1994, I, 3776).

Cet auteur résume comme suit les effets contestables des revirements rétroactifs :

- La rétroactivité d’un revirement « fausse les données (et) spolie ceux qui se sont engagés en fonction de l’état du droit antérieur ; elle mine la prévisibilité et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte au principe supérieur de sécurité juridique ». Dans le même sens, le doyen Carbonnier a noté que les revirements engendrent l’insécurité puisque la solution nouvelle, issue du revirement, sera de plein droit applicable à des affaires qui s’étaient nouées dans une confiance dans la solution ancienne (J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion 1996, p. 59) ;

- La rétroactivité d’un revirement de jurisprudence est même « pire que celle des autres arrêts puisqu’elle conduit à sanctionner ceux-là mêmes qui se sont conformés au droit antérieur » (C. Mouly, JCP 1994, précité). La rétroactivité comporte dès lors « le risque de contredire les prévisions et anticipations des acteurs, alors que c’est le droit lui-même qui les avait rendues parfaitement légitimes » (rapport Molfessis, p. 15). Les sujets de droit peuvent donc être sanctionnés, sans préavis, pour des actes ou des abstentions qui n’étaient pas illicites au moment où ils ont été commis.

35•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

- Lorsque les revirements affectent une large part de la population et lorsqu’ils interviennent en matière contractuelle, leur effet rétroactif peut entraîner des conséquences particulièrement graves, notamment par la désorganisation du marché qu’ils occasionnent et les coûts qui en résultent. C. Mouly a relevé sur ce point (op. cit., p. 325) que « lorsque, le 9 février 1988, la Cour de cassation a subitement déclaré que l’article 1907 du code civil s’appliquait au régime de l’intérêt débiteur des comptes-courants, alors qu’elle admettait le contraire depuis un siècle et demi, le ministère des finances a évalué à 50 milliards de francs le coût de la rétroactivité de cette décision ».

A ces observations, il convient d’ajouter deux choses :

- D’abord, le fait que le caractère rétroactif du revirement de jurisprudence entraîne un dévoiement de la règle de droit et un affaiblissement de sa force de conviction. « Les normes juridiques fournissent à leurs destinataires un guide et un cadre pour leur action. Elles donnent aux sujets de droit des repères et des modèles pour déterminer leur conduite » (rapport Molfessis, p. 16). La rétroactivité du revirement entraîne une perturbation dans cet ordonnancement et introduit une versatilité des règles de nature à en affecter l’autorité ;

- Par ailleurs, la rétroactivité des revirements comporte des inconvénients propres à la matière pénale. La contribution de D. Rebut, reproduite en deuxième partie du rapport Molfessis (p. 95 et s.), démontre combien les revirements perturbent les règles d’application dans le temps des lois pénales, au risque tantôt d’une « véritable insécurité procédurale », tantôt d’une « atteinte à l’exigence constitutionnelle et internationale de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères qui s’applique sans aucun doute aux solutions jurisprudentielles, même si la chambre criminelle a expressément jugé le contraire ».

On voit apparaître dans ces différents propos les idées de prévisibilité du droit et de sécurité juridique ainsi que celle de confiance légitime, qui ont pris une dimension essentielle dans l’ordre juridique contemporain :

- Ainsi, en droit européen, le principe de sécurité juridique est explicitement visé par la Cour européenne des droits de l’homme dans certaines de ses décisions (par exemple, X… c/ Belgique, 13 juin 1979, requête n° 6833/74 : « le principe de sécurité juridique [est] nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire » ; en ce sens également, X… c/ France, 10 novembre 2004, requête n° 67335/01, Dalloz 2006, jurisprudence p. 53, note D. Zerouki-Cottin). La Cour de justice des Communautés européennes y fait aussi référence (par exemple : arrêt Melle X… c/ Sabena, 8 avril 1976, aff. C-43/75).

Souvent utilisé en combinaison avec le principe de sécurité juridique, le principe de confiance légitime est apparu en droit communautaire avec l’arrêt du 12 juillet 1957 (Aff 7/56) dans lequel la Cour évoque « la sauvegarde de la confiance légitime dans la stabilité » des situations juridiques. Il a été consacré dans l’affaire Commission c/ Conseil du 5 juin 1973, confirmé par l’arrêt X… c/ Commission du 3 mai 1978 (aff. 112-77). L’arrêt X… du 5 mai 1981 (aff. 112-80) a promu ce principe en « principe fondamental de la Communauté ». La Cour a déclaré, dans une affaire concernant la réglementation agricole, et en particulier les montants compensatoires, qu’un opérateur « peut avoir eu légitimement confiance que pour des opérations irrévocablement engagées par lui parce qu’il a obtenu, sous caution, des certificats d’exportation comportant préfixation du montant de la restitution, aucune modification imprévisible n’interviendra qui aurait pour effet, de lui causer des pertes inévitables ».

Dans le droit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’« espérance légitime » a permis à la Cour européenne de sanctionner certaines applications rétroactives de dispositions législatives (arrêts X… et Y… c/ France, 6 octobre 2005, requêtes n° 1513/03 et 11810/03, RTD Civ. 2005, p. 743 ; arrêt X… c/ France, requête n° 67847/01, 14 février 2006, RTD Civ. 2006, p. 261 et s., obs. J.P. Marguénaud).

- La jurisprudence française fait application des mêmes principes.

Les idées de sécurité juridique, accessibilité du droit et confiance légitime ne sont pas étrangères à la décision n° 99-421 rendue par le Conseil constitutionnel le 16 décembre 1999 (Rec. Cons. const. 1999, p. 136 ), décision dans laquelle le Conseil a retenu que l’intérêt général qui s’attache à la codification est une finalité qui « répond […] à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; […] l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la garantie des droits requises par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».

La jurisprudence judiciaire fait explicitement référence au principe de sécurité juridique dans diverses décisions, notamment :

- 1re Civ., 4 octobre 2005, Bull. 2005, I, n° 352 : « pour l’application de l’article 17 de la Convention de Bruxelles, modifiée, du 27 septembre 1968, la reconnaissance du caractère international de la situation s’apprécie, pour des motifs de sécurité juridique, au moment de la clause attributive de juridiction » ;

- 2e Civ., 15 novembre 2005, Bull. 2005, II, n° 288 : « Ne méconnaît pas le principe de non-discrimination entre travailleurs masculins et féminins, au regard de l’âge auquel un conjoint survivant de sexe masculin peut bénéficier d’une pension de réversion, la cour d’appel qui retient qu’il résulte de l’arrêt [X… c/ Guardian Exchange Assurance Group (aff. c-262/88)] rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 17 mai 1990, que pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, l’égalité de traitement exigée par l’article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne (devenu l’article 141 du Traité de l’Union européenne) ne pouvait être invoquée que pour les prestations dues au titre de périodes d’emploi postérieures au 17 mai 1990 » ;

36•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

- Com., 6 décembre 2005, Bull. 2005, IV, n° 240 : « En mettant en œuvre les critères de substituabilité admis par la doctrine économique et adoptés par la jurisprudence antérieurement aux pratiques sanctionnées, la cour d’appel a légalement justifié sa décision au regard du principe de la sécurité juridique et de la qualification du marché pertinent ».

Le Conseil d’Etat l’a également consacré, dans un arrêt du 24 mars 2006 (Dalloz 2006, p. 1224 ; P. Cassia, « la sécurité juridique, un « nouveau » principe général du droit aux multiples facettes », Dalloz 2006, chron. p. 1190) en énonçant qu’« il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées ».

Quant à l’idée de confiance ou d’espérance légitime, elle apparaît dans la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, lorsque ces juridictions ont écarté l’application de la loi du 4 mars 2002, dite loi « anti-Perruche », aux litiges en cours lors de son entrée en vigueur (1re Civ., 24 janvier 2006 et CE, 24 février 2006, RTD Civ. 2006, p. 263, obs. J.P. Marguénaud).

La Cour de cassation peut-elle, au nom des mêmes principes, prendre des mesures transitoires pour limiter aux situations à venir les effets d’un revirement de jurisprudence ?

Avant d’examiner la question au point de vue du droit interne, il convient de donner quelques indications sur les effets du revirement de jurisprudence en droit comparé et en droit européen.

1. - Le revirement de jurisprudence en droit comparé et droit européen

a) Droit comparé

Au cours de ses travaux, le groupe de travail dirigé par le professeur Molfessis a sollicité des études de droit comparé sur les effets des revirements de jurisprudence.

Des éléments d’information ont été recueillis, d’une part sur le droit allemand (F. Ferrand, « la rétroactivité des revirements de jurisprudence et le droit allemand », rapport sur les revirements de jurisprudence, Litec 2005, p. 81 à 93), d’autre part sur les systèmes de common law (« La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : systèmes de common law », sous la direction de Mme Muir-Watt, rapport sur les revirements de jurisprudence, Litec 2005, p. 53 à 71).

- L’Allemagne et sa législation, contrairement à la France, reconnaissent expressément aux juridictions suprêmes le droit de procéder à un « développement du droit ». Le pouvoir créateur de droit de la jurisprudence se trouve ainsi consacré.

En principe, le revirement de jurisprudence produit un effet rétroactif. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a décidé à cet égard que le principe d’absence de rétroactivité des lois ne pouvait être en principe appliqué aux décisions des tribunaux, car ceux-ci seraient alors tenus par leur jurisprudence même si elle s’avérait erronée ou inadaptée aux conditions sociales, politiques ou économiques. (C. const. féd, 1er sénat, 11 nov.1964, BverfGE 18, p. 240). « La Cour fédérale de justice applique en principe immédiatement sa jurisprudence nouvelle, même lorsque la demanderesse avait par exemple cru, au vu de l’ancienne solution préalable au revirement, que son action en paiement d’honoraires se prescrivait par trente ans et non deux ans. » (C. féd. justice, 7e civ., 21 déc. 1972, BGHZ 60, p. 98).

Parfois cependant, la Cour fédérale de justice adopte une attitude tenant davantage compte de la sécurité juridique. Ainsi, dans une affaire opposant un créancier saisissant sur le fondement d’un gage conventionnel et un autre créancier saisissant qui revendiquaient tous les deux le prix d’adjudication du bien, les juges de révision [ou juges de cassation dans la terminologie française] ont constaté que leur ancienne jurisprudence selon laquelle le gage conventionnel n’était pas reporté sur le prix de vente de la chose avait été abandonnée trois ans plus tôt. Mais, dans le même arrêt, ils ont rejeté la demande du saisissant contractuel en faisant valoir que son adversaire avait pu se fonder en toute bonne foi sur l’ancienne jurisprudence (C. féd. justice, 7 mars 1972, NJW 1972, p. 1045). « Il est remarquable que, même dans une hypothèse où le revirement est antérieur de quelques années, la Cour fédérale de justice ait tenu compte de la bonne foi et de la confiance d’une partie en la jurisprudence existant au moment où cette partie avait lancé sa mesure d’exécution » (F. Ferrand, op. cit., p. 89).

- Royaume Uni et autres systèmes de Common Law :

Il existe dans ces systèmes plusieurs types de procédés permettant d’atténuer l’effet de surprise causé par le revirement de jurisprudence :

- la technique de l’overruling consistant pour la House of Lords à déclarer de manière officielle qu’une de ses décisions n’a plus valeur de précédent ;

- la pratique du distinguishing consistant à « distinguer » le revirement pour présenter la nouvelle décision comme un simple prolongement, un affinement d’une jurisprudence existante, ou à limiter la portée d’un précédent aux faits qu’il fut amené à régir : distinguihing a precedent to its own facts (I. Rorive, in : « Le revirement de jurisprudence, étude de droit anglais et de droit belge », éd. Bruylant 2003 p. 144) ;

- l’obiter dictum, consistant à annoncer un changement logiquement imminent, le juge indiquant lui-même dans quelles circonstances, non réalisées dans l’espèce qui lui est soumise, il opterait pour une solution différente, incitant par là même au distinguishing lors du prochain contentieux ;

- Not following : la position d’arrêts pour le moins originaux, sinon rebelles est signalée comme « s’écartant de ».

37•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

La Chambre des Lords a récemment admis, à titre dérogatoire, qu’un changement assumé de jurisprudence puisse ne produire ses effets que pour l’avenir. Elle l’a fait dans l’hypothèse où une obligation d’information renforcée était imposée à un établissement de crédit à l’égard d’une caution, en précisant que cette obligation ne pouvait valoir que pour l’avenir, les contrats de cautionnement conclus avant la date de prononcé de l’arrêt n’étant pas concernés par la norme jurisprudentielle nouvelle (Royal Bank of Scotland c/ X… (n° 2) 2002, 2 AC 773).

Aux Etats-Unis, le Prospective overruling consiste à appliquer aux revirements de jurisprudence un régime transitoire fondé sur des principes analogues à ceux qui commandent l’application de la loi dans le temps. La rétroactivité cède au profit de l’effet prospectif ou pour l’avenir. Selon l’étude susvisée intégrée au rapport Molfessis, si la constitutionnalité de cette technique est admise, sa pratique décroît devant la Cour suprême fédérale et n’est appliquée que par certaines cours suprêmes des différents Etats (op. cit., p. 63).

Indépendamment de ces éléments d’appréciation de droit comparé, il convient d’examiner les conditions dans lesquelles les cours européennes règlent la question de la rétroactivité de la jurisprudence.

b) Droit européen

– Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme :

Plusieurs observations doivent être présentées au sujet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme :

- La Cour ne s’est pas directement prononcée sur une éventuelle contrariété du caractère rétroactif des revirements avec les droits et libertés définis par la Convention.

Elle a, bien au contraire, rappelé dans plusieurs décisions d’irrecevabilité ou arrêts répondant à une critique du principe du revirement de jurisprudence (décision X… et Y… c/ Lettonie du 23 octobre 2001, requête n° 57381/00 ; arrêt X… c/ Roumanie, du 21 mai 2002, requête n° 29968/96 ; décision K… c/ Lettonie du 21 octobre 2004) qu’elle a « pour seule tâche, conformément à l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les parties contractantes. En particulier, elle n’est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, ou pour substituer sa propre appréciation à celle des juridictions nationales, sauf si, et dans la mesure où, ces erreurs lui semblent susceptibles d’avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention ». La Cour ajoute que, « pour autant que les requérants se plaignent aussi du revirement de jurisprudence de la Cour suprême de justice, [elle] estime qu’il s’agit là des modalités d’application du droit interne, qui échappent à sa compétence. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 sur ce point. »

- Dans une affaire X… c/ Belgique jugée le 13 juin 1979, requête n° 6833/74, la Cour s’est accordée la possibilité de limiter dans le temps les effets de ses décisions en considérant que « le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire, dispense l’Etat belge de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs au prononcé du présent arrêt » (paragraphe 58) : s’agissant de la situation juridique des enfants adultérins, la Cour européenne interprète la Convention à la lumière des conditions d’aujourd’hui, mais elle n’ignore pas que des différences de traitement entre enfants « naturels » et enfants « légitimes » ont, durant de longues années, passé pour licites et normales dans beaucoup d’États contractants. L’évolution vers l’égalité en ce domaine a progressé lentement et la Cour en tient compte en n’obligeant pas l’Etat concerné à donner à son arrêt, qui condamne la législation belge, un effet rétroactif qui remettrait en cause des situations juridiques considérées par les justiciables belges comme acquises.

- L’application rétroactive d’une jurisprudence nouvelle peut se trouver en contradiction avec les exigences de la Convention et de la Cour en matière d’accessibilité et de prévisibilité du droit.

Il convient à cet égard de rappeler que la Convention exige que les atteintes légitimes aux droits garantis se fondent sur une « loi ». Or, selon la Cour de Strasbourg, « dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété en ayant égard, au besoin, à des données techniques nouvelles » (CEDH, X… c/ France, 27 avril 1990, requête n° 11801/85). La loi ainsi conçue, qui inclut la jurisprudence, doit être prévisible et doit comporter des normes énoncées « avec suffisamment de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite en s’entourant au besoin de conseils éclairés, être à même de prévoir, à un degré raisonnable, dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé » (arrêt Sunday Times c/ Royaume-Uni du 26 avril 1979, paragraphe 47).

Par ailleurs, le citoyen doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé, même si la Cour n’exige pas que ces conséquences soient prévisibles avec une certitude absolue et tient compte de la nécessité pour le droit de s’adapter aux changements de situations. Le degré de précision requise de la loi varie en fonction de la gravité de l’atteinte possible aux droits garantis : plus l’atteinte est importante, plus les textes doivent être précis. Dans des domaines voués par leur nature à évoluer en fonction d’un contexte social ou économique, la loi peut être adaptable et moins précise. La Cour énonce ainsi dans l’affaire Groppera Radio AG et autres c/ Suisse, du 28 mars 1990 : « la portée des notions de prévisibilité et d’accessibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte en cause, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires ».

La Cour tient souvent compte du destinataire de la norme : s’il s’agit de spécialistes, la Cour se montre moins exigeante sur le degré de prévisibilité de la « loi », comme dans l’affaire Groppera Radio AG précitée, où le requérant était une société commerciale désireuse d’exercer une activité transfrontière de radiodiffusion.

La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences

38•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, l’arrêt X… c/ Royaume-Uni du 13 juillet 1995, requête n° 18139/91, paragraphe 37). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte. (Arrêt X… c/ France du 15 novembre 1996, requête n° 17862/91).

- La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer, non sur l’application rétroactive d’une jurisprudence en matière de prescription, mais sur la mise en œuvre d’un délai de prescription dans un arrêt X… et autres c/ Royaume-Uni, du 22 octobre 1996, requêtes n° 22083/93 et 22095/93.

A propos de la prescription applicable à l’action en réparation de dommages intentionnels comme le viol et l’attentat à la pudeur, la Cour européenne a été saisie sur le fondement de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle du droit d’accès à un tribunal. Les requérantes invoquaient la violation de cette disposition en raison du délai de prescription de six ans courant à partir de l’âge de la majorité qui leur fut appliqué par les juridictions civiles britanniques et qui, selon elles, portait atteinte à la substance même de leur droit d’accès à un tribunal en les empêchant d’obtenir réparation de sévices sexuels subis dans leur enfance. La Cour rappelle sa jurisprudence habituelle en matière de droit d’accès à un tribunal, droit qui n’est pas absolu et se prête à des limitations imposées par les Etats membres qui disposent d’une certaine marge d’appréciation, à condition que ces limitations « ne restreignent pas l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. » La Cour, après un rappel des finalités des délais de prescription pour agir, à savoir assurer la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contredire, prévenir des risques d’injustices susceptibles de se produire à partir d’éléments de preuve rendus incomplets ou douteux du fait du temps passé, juge qu’en l’espèce le droit anglais de la prescription accordant aux requérantes à compter de leur dix-huitième anniversaire un délai de six ans pour entamer une instance civile ne porte pas atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal, une instance pénale pouvant être engagée sans délai de prescription sous réserve de preuves suffisantes.

La Cour relève que le délai est « même plus long que ceux que prévoient certains traités internationaux en cas de dommages corporels », que son point de départ et son calcul ne font pas l’objet de solutions homogènes dans les Etats européens et qu’ils ont été plusieurs fois examinés par le législateur britannique. Elle juge donc que les restrictions portées du fait de cette prescription sont proportionnées au but légitime poursuivi et que la Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation à celle des autorités internes quant à la meilleure politique à adopter à cet égard (paragraphe 56).

Dans l’affaire X… et autres c/ Belgique du 22 juin 2000, requêtes n° 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, la Cour a été appelée, au visa de l’article 7, à se prononcer sur l’application immédiate par la Cour de cassation belge d’une nouvelle loi portant de trois à cinq ans le délai de prescription de l’action publique en matière de délit. Cette solution avait pour effet, en l’espèce, d’étendre le délai durant lequel les faits pouvaient être poursuivis, dans des conditions affectant les requérants. La Cour relève qu’en Belgique, les règles de prescription sont désormais considérées comme des lois de procédure et s’appliquent immédiatement aux procédures en cours. La Cour suit le gouvernement belge qui soutenait que l’article 7 a pour seule portée d’empêcher que, une fois acquise, la prescription de l’action publique soit remise en question. C’est seulement dans un tel cas qu’il y aurait rétroactivité : la loi nouvelle devrait en effet « remonter dans le temps » par rapport à son entrée en vigueur pour pouvoir mettre à néant une prescription acquise. La Cour énonce que la situation de l’espèce « n’entraîne cependant pas une atteinte aux droits garantis par l’article 7 car on ne peut interpréter cette disposition comme empêchant, par l’effet de l’application immédiate d’une loi de procédure, un allongement des délais de prescription lorsque les faits reprochés n’ont jamais été prescrits » (paragraphe 149). La Cour conclut à la non-violation de l’article 7 de la Convention.

– Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes :

La question de l’application dans le temps des décisions de justice s’est posée, pour la Cour de justice, non à propos des revirements de jurisprudence mais à l’occasion des recours portant sur l’interprétation ou la validité des actes communautaires.

Le pouvoir de modulation dans le temps des décisions de justice trouve aujourd’hui un fondement textuel dans l’article 231 du Traité sur le recours en annulation des actes communautaires. Aux termes de ce texte, « si le recours est fondé, la Cour de justice déclare nul et non avenu l’acte contesté. Toutefois, en ce qui concerne les règlements, la Cour de justice indique, si elle l’estime nécessaire, ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. » La Cour peut donc décider au cas par cas de déroger aux principes régissant l’annulation contentieuse et notamment au caractère rétroactif de l’annulation. Une telle annulation peut ne prendre effet que pour l’avenir :

un arrêt F.G. Roders Bv du 11 août 1995 rappelle que la rétroactivité des décisions de justice est la règle et que la Cour de justice n’admet d’y déroger qu’à titre exceptionnel, principe et exceptions que l’arrêt résume comme suit : « selon une jurisprudence constante, l’interprétation que, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 177 du Traité, la Cour de justice donne d’une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’ elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies […]. Une limitation des effets de l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation apparaît tout à fait exceptionnelle […]. En effet, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de

39•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur, et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission ».

L’une de ces exceptions, le nombre élevé de personnes intéressées, a été retenu par l’arrêt X… c/ Sabena du 8 avril 1976 (aff. C-43/75) pour justifier l’absence de rétroactivité de la solution adoptée dans une affaire concernant l’article 119 sur l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes : « Compte tenu du nombre élevé de personnes intéressées, de telles revendications, imprévisibles pour les entreprises, pourraient avoir des effets graves sur la situation financière de celles-ci, au point d’acculer certaines d’entre elles à la faillite […] des considérations impérieuses de sécurité juridique, tenant à l’ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés, empêchent en principe de remettre en cause les rémunérations pour des périodes passées. L’effet direct de l’article 119 ne peut être invoqué à l’appui de revendications relatives à des périodes de rémunérations antérieures à la date de l’arrêt, sauf en ce qui concerne les travailleurs qui ont introduit antérieurement un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente. » L’arrêt est donc d’application rétroactive seulement pour les recours pendants.

D’autres décisions ont confirmé cette modulation dans le temps, par exemple, l’arrêt X… c/ Guardian Royal Exchange Assurance Group du 17 mai 1990 (aff. C-262/88), selon lequel : « à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, [la Cour peut] être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer l’interprétation que, saisie par voie de question préjudicielle, la Cour donne d’une disposition ».

Mais indépendamment de ces exceptions, la rétroactivité de la jurisprudence reste le principe, comme le souligne l’arrêt du 27 mars 1980, Salumi et Denkavit Italiana (aff. n° 66 et 128-129/79 et 61/79) pour le recours en interprétation : « l’interprétation que, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 177, la Cour de justice donne d’une règle du droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies ».

2. - Le débat en droit interne

La question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence a fait l’objet de discussions et propositions doctrinales (a) et provoqué une évolution de la jurisprudence (b).

a) Le débat doctrinal

Les auteurs qui n’admettent pas les effets imprévisibles des revirements de jurisprudence et qui déplorent l’absence d’un « droit transitoire des revirements de jurisprudence » (C. Atias, « L’image doctrinale de la Cour de cassation », Dalloz 1993, chronique XXIX, p. 134) ont formulé des propositions tendant à garantir la stabilité de ses interprétations et applications. Ces propositions s’appuient essentiellement sur la nécessité de préserver la sécurité juridique (C. Rade, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, chron., p. 988, n° 5 : le justiciable est « créancier de sécurité juridique à l’égard de l’Etat ») et sur le principe de confiance légitime, dont on a déjà relevé l’importance dans l’ordonnancement juridique contemporain. L’accessibilité du droit est également en cause puisque, comme l’a souligné F. Mermoz (« L’application dans le temps de l’obligation d’information du médecin », Les Petites Affiches, 13 mars 2002), « accorder un caractère rétroactif à la jurisprudence revient à nier la possibilité pour les citoyens de connaître le droit ».

Encore faut-il d’une part déterminer si l’instauration d’un droit transitoire des revirements de jurisprudence est juridiquement et techniquement possible, d’autre part tenter d’en définir le cadre et les modalités.

Certains auteurs contestent le droit, pour les tribunaux, de moduler l’application dans le temps de leurs décisions, pour plusieurs raisons :

- Permettre au juge de moduler dans le temps les effets de ses décisions serait contraire à la prohibition des arrêts de règlement prévue par l’article 5 du code civil (F. Pollaud-Dulian, « A propos de la sécurité juridique », RTD Civ. 2001, p. 487 ; A. Bolze, « La norme jurisprudentielle et son revirement en droit privé », RRJ 1997-3, p. 855; V. Heuze, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence - une réaction entre indignation et incrédulité », JCP 2005, I, 130). A cet argument, il a été répliqué que l’article 5 interdit seulement au juge de « transformer une décision » en loi, en l’appliquant au-delà des parties dont il doit trancher le litige (rapport Molfessis, p. 36). « Pas plus que le revirement lui-même, la modulation dans le temps, dès lors qu’elle ne vaut de façon obligatoire que dans le cadre du litige qui en est l’occasion, ne possède de caractère réglementaire » (rapport Molfessis, p. 37 ; dans le même sens : P. Morvan, « Le revirement de jurisprudence pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, chron., p. 247, n° 6) ;

- Reconnaître au juge un tel pouvoir méconnaîtrait le fait que la jurisprudence ne saurait être reconnue comme source du droit (V. Heuze, op. cit., n° 8). Sur ce débat classique, le rapport Molfessis estime qu’il est aujourd’hui « peu contestable » (rapport, p. 12) que la Cour de cassation soit créatrice de règles de droit : « les décisions par lesquelles elle pose un nouveau principe ou encore retient une interprétation innovante, distincte de celle qui prévalait jusque-là, ont indéniablement vocation à avoir un effet normatif » ;

- La modulation dans le temps des revirements de jurisprudence méconnaîtrait l’obligation pour le juge de statuer sur les litiges qui lui sont soumis et de faire bénéficier une partie d’une solution jurisprudentielle estimée plus satisfaisante que la précédente (V. Heuze, op. cit., n° 10 et 16). Cette objection attire légitimement l’attention sur la situation de la partie qui obtient le revirement mais qui, avec l’absence de rétroactivité, n’en bénéficierait pas personnellement.

40•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

La situation de cette partie a été spécialement analysée par le groupe de travail présidé par le professeur Molfessis (rapport, p. 42 et s.). Le groupe de travail a estimé que, dans l’hypothèse où le juge déciderait de moduler dans le temps les effets de sa décision et d’empêcher qu’elle ait un caractère rétroactif, aucune circonstance ne justifiait de déroger à l’absence de rétroactivité en faisant profiter du revirement le justiciable qui a été à son origine. Selon le rapport Molfessis, l’établissement d’une telle distinction contreviendrait aux dispositions de l’article 5 du code civil.

Les plaideurs auront-ils toujours intérêt à former un recours pour obtenir un revirement dont ils ne tireront aucun bénéfice ? A cela, le rapport Molfessis répond en ces termes :

« La solution préconisée consiste à n’admettre la modulation dans le temps que dans des hypothèses très limitées, déterminées par le juge dans la décision même qui est à l’origine du revirement. Le plaideur qui souhaite un revirement de jurisprudence et fait preuve d’inventivité pour solliciter le changement de solution a toujours intérêt à former un pourvoi. Il lui sera donné l’occasion de plaider sur la rétroactivité de l’éventuel revirement. Il pourra alors exposer les raisons pour lesquelles la rétroactivité, qui reste le principe, doit bien opérer au cas litigieux. En outre, la Cour de cassation pourra toujours annoncer son revirement en ayant recours à des techniques préventives, comme l’obiter dictum, ce qui redonnera alors vigueur aux pourvois du moment que la solution nouvelle sera applicable » ;

- il convient d’ajouter qu’il a été aussi proposé que le juge, plutôt que de borner dans le temps les effets de sa décision, développe des techniques propres à renforcer la sécurité juridique, telles que le recours à la théorie de l’apparence (X. Lagarde, « Jurisprudence et insécurité juridique », Dalloz 2006, chron., p. 678).

A supposer que la légitimité de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence soit admise, comment faut-il l’organiser ?

Cela suppose de déterminer d’une part les hypothèses justifiant une dérogation au principe de la rétroactivité de la jurisprudence, d’autre part les modalités de cette modulation.

En ce qui concerne les hypothèses susceptibles de justifier l’instauration d’un droit transitoire des revirements de jurisprudence, les auteurs qui y sont favorables observent généralement que la modulation n’est pas nécessaire dans tous les cas, car certains revirements ne nuisent à personne (rapport Molfessis, p. 18, qui cite le revirement améliorant la situation d’individus sans nuire à personne) et d’autres ne sont pas de nature à méconnaître les anticipations des justiciables (rapport Molfessis, p. 19, qui cite le cas d’une jurisprudence qui rendrait valide une stipulation contractuelle qui ne l’était pas sous l’empire de la jurisprudence antérieure).

En revanche, les mêmes auteurs considèrent que la décision de revirement heurte les anticipations légitimes des justiciables « à chaque fois qu’un comportement a été ou aurait pu être orienté par la solution que le revirement entend abandonner » (rapport Molfessis, p. 19). Il appartiendrait alors au juge d’expliciter les paramètres permettant d’exercer le pouvoir de modulation d’une manière cohérente et justifiée (rapport Molfessis, p. 40). A cette fin, le juge devrait :

- soit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité du revirement et rechercher s’il existe entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients une « disproportion manifeste » en faveur de ceux-ci ;

- soit mettre en évidence un motif impérieux d’intérêt général justifiant l’exception à la règle générale de rétroactivité.

Certains auteurs (C. Mouly, « Le revirement pour l’avenir », JCP 1994, I, 3776, n° 21) estiment que les critères retenus par la jurisprudence européenne pour apprécier s’il faut limiter au futur les effets des décisions judiciaires sont parfaitement transposables en droit interne :

- le grand nombre de personnes concernées ;

- les conséquences financières importantes ;

- l’imprévisibilité du revirement ;

- le soutien apporté aux pratiques antérieures ;

- la sécurité juridique.

Le même auteur évoque la notion d’avantage, comme critère du choix offert au juge :

- si le revirement supprime un avantage, il ne s’applique pas à l’intéressé ;

- si le revirement crée un avantage, il s’applique.

Ce critère est toutefois contesté par d’autres auteurs (T. Bonneau, « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement », Dalloz 1995, chron. p. 24 et s., qui souligne le caractère arbitraire du critère, le revirement pouvant être avantageux pour une partie sans l’être pour l’autre).

Pour certains (P. Morvan, op. cit., n° 10), le concept d’équité, tiré de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constituerait un critère adéquat du revirement pour l’avenir, qui interviendrait par exemple lorsque le principe de rétroactivité entraînerait des conséquences manifestement excessives ou contraires à l’intérêt général et méconnaîtrait le droit des justiciables à un recours effectif.

C. Rade (op. cit., n° 15) a tenté également de déterminer les critères justifiant d’évincer l’application immédiate d’une jurisprudence nouvelle. Tel serait ainsi le cas d’une jurisprudence conduisant à annuler des actes

41•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

juridiques valablement formés sous l’empire d’une jurisprudence antérieure, à établir une règle de prescription qui n’existait pas auparavant, à instaurer une nouvelle obligation de faire ou de ne pas faire en matière de responsabilité civile.

En ce qui concerne les modalités du revirement pour l’avenir, plusieurs types de préconisations ont été faites, parmi lesquelles :

- celle de W. Dross (« La jurisprudence est-elle seulement rétroactive ? », Dalloz 2006, chron., page 472) qui propose que la Cour de cassation dise, « non pas le juste qui est et qui sera jusqu’à nouvel ordre, comme le ferait un souverain éclairé, mais le juste qui était au moment où la situation juridique litigieuse est née » ;

- celle de P. Morvan (op. cit., n° 15) qui décrit trois méthodes possibles de modulation :

- soit la solution nouvelle est déclarée applicable aux situations ou actes juridiques postérieurs à l’arrêt ainsi que - par égard pour le principe d’égalité devant la justice - aux actions introduites avant le revirement qui seraient encore pendantes ;

- soit la solution nouvelle est déclarée applicable aux seuls situations ou actes juridiques nés et aux instances introduites postérieurement à l’arrêt de revirement, le justiciable à l’origine de celui-ci n’en tirant aucun bénéfice ;

- soit le juge repousse les effets de son revirement à une date future ;

- celle de C. Mouly (« Le revirement pour l’avenir », JCP 1994, I, 3776 ; « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ? », Les Petites Affiches, 13 mars 2002) qui estime que la date d’effet d’un revirement pourrait être celle de la publication de l’arrêt de revirement au Bulletin ;

- celle du rapport Molfessis (p. 40 et 49) qui souligne essentiellement la nécessité d’instaurer au cas par cas un large débat sur l’éventuelle modulation dans le temps des effets d’un revirement de jurisprudence et de motiver spécialement la décision rendue sur cette question.

b) le débat jurisprudentiel

Saisie à de nombreuses reprises, depuis quelques années, de pourvois contestant, au nom de la sécurité juridique, le droit pour le juge d’appliquer une jurisprudence nouvelle à des actes accomplis ou à des circonstances survenues à une époque où la jurisprudence était différente, la Cour de cassation a répondu généralement que cette sécurité juridique ne saurait « consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée (ou « immuable » ou « constante »), l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit » ou, selon certains arrêts, « de la loi » (1re Civ., 21 mars 2000, Bull. 2000, I, n° 97 ; 3e Civ., 2 octobre 2002, Bull. 2002, III, n° 200 ; Soc., 7 janvier 2003, pourvoi n° 00-46.476 ; Soc., 25 juin 2003, Bull. 2003, V, n° 206 ; Soc., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-45.486 ; Soc., 28 janvier 2004, pourvois n° 02-40.173 et 02-40.174 ; Soc., 25 février 2004, pourvoi n° 02-41.306 ; Soc., 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46.737 ; Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 02-42.615 ).

Les arrêts cités ont été rendus :

- dans un cas où le demandeur s’était vu opposer une jurisprudence nouvelle ne permettant plus d’invoquer le défaut de conformité de la chose vendue afin d’échapper à l’exigence du bref délai prescrit pour l’engagement de l’action en garantie des vices cachés (1re Civ., 21 mars 2000) ;

- dans un litige où l’action d’un syndic engagée au nom de la copropriété avait été déclarée irrecevable pour non-conformité du mandat d’agir aux exigences imposées par une jurisprudence postérieure à la délibération de l’assemblée générale ayant donné le mandat (3e Civ., 2 octobre 2002) ;

- dans des affaires prud’homales où la nullité de clauses de non-concurrence figurant dans des contrats de travail résultait de décisions postérieures de la chambre sociale, rendues le 10 juillet 2002 (notamment : Soc., 10 juillet 2002, Bull. 2002, V, n° 239), exigeant une contrepartie financière ;

- dans des affaires de licenciement dont la légitimité a été appréciée au regard de solutions jurisprudentielles postérieures à la date de ces mesures (Soc., 25 juin 2003 ; Soc., 28 janvier 2004 ; Soc., 18 janvier 2005 ; Soc., 23 février 2005) ;

- dans un litige mettant en cause le plafond de garantie de l’AGS pour la prise en charge des salaires d’un salarié d’entreprise en liquidation judiciaire, une jurisprudence de la Cour de cassation étant appliquée à une créance salariale déjà prise en charge er réglée par l’AGS (Soc., 26 novembre 2003).

Parfois, le rejet des moyens tendant à l’absence de rétroactivité du revirement a donné lieu à des motivations particulières :

- Ainsi, à propos de la mise à la charge d’un médecin d’une obligation d’information qui n’était pas exigée par la jurisprudence à la date d’un accouchement ayant causé des blessures à l’enfant, un arrêt de la première chambre du 9 octobre 2001 (Bull. 2001, I, n° 249) comporte la motivation suivante : « Un médecin ne peut être dispensé de son devoir d’information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu’un risque grave ne se réalise qu’exceptionnellement ; que la responsabilité consécutive à la transgression de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par son enfant, alors même qu’à l’époque des faits la jurisprudence admettait qu’un médecin ne commettait pas de faute s’il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ; qu’en effet, l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée » ;

42•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

- Un arrêt de la deuxième chambre du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, II, n° 361), rendu à propos du point de départ de la prescription applicable à une action fondée sur un contrat d’assurance, énonce, pour rejeter un moyen contestant l’application au litige d’une prescription qui n’était pas celle en vigueur lors de l’engagement de l’action, que

« Les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime invoquées pour contester l’application d’une solution restrictive du droit d’agir, résultant d’une évolution jurisprudentielle, ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l’évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit » ;

- Les arrêts précités rendus par la chambre sociale le 28 janvier 2004 rejettent explicitement des moyens tirés de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en retenant que « l’application par les juges du fond d’une interprétation jurisprudentielle - fût-elle postérieure à l’introduction de l’instance - ne saurait constituer une violation de l’article 6 § 1 de la Convention » ;

- Certains arrêts de la chambre sociale, rendus à propos de clauses de non-concurrence, ont cherché à justifier spécialement l’application immédiate de la jurisprudence précitée du 10 juillet 2002 en retenant que « l’exigence d’une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l’impérieuse nécessité d’assurer la sauvegarde et l’effectivité de la liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle » (Soc., 17 décembre 2004, Bull. 2004, V, n° 346 ; Soc., 30 mars 2005, pourvoi n° 02-46.114 ; sur cette motivation : P. Sargos, « L’horreur économique dans le rapport de droit », Dr. soc. 2005, p. 123).

La solution de principe est la même en matière pénale puisque la chambre criminelle juge que « le principe de non-rétroactivité ne s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle » (Crim., 30 janvier 2002, Bull. crim., n° 16).

Malgré cette tendance assez générale, la Cour de cassation a parfois tenté de moduler dans le temps les effets des règles de droit ou même de ses décisions.

On peut à cet égard évoquer un arrêt de la chambre commerciale du 12 avril 1988 (Bull. 1988, IV, n° 130) qui énonce que « Le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit, cette règle prescrite pour la validité même de la stipulation d’intérêts est d’application générale et il ne peut y être dérogé, en matière d’intérêts afférents au solde débiteur d’un compte-courant, sauf à ce que, à l’égard de ces intérêts, ses effets ne remontent pas au-delà de la date d’entrée en vigueur du décret du 4 septembre 1985, qui a déterminé le mode de calcul du taux effectif global lorsqu’il s’agit d’un découvert en compte ».

Il faut aussi citer un arrêt de la première chambre du 6 juin 2000 (Bull. 2000, I, n° 179) qui, pour déclarer recevable l’action judiciaire engagée par les victimes d’une contamination par le virus de l’immunodéficience humaine pour obtenir une indemnisation complétant l’offre d’indemnisation faite par le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, retient qu’en l’espèce l’acceptation de l’offre était intervenue à une date où les victimes n’étaient pas en mesure d’apprécier la portée exacte de leur acceptation de l’offre quant à leur droit d’agir contre les tiers responsables de la contamination.

Enfin, la Cour s’est reconnue le pouvoir de limiter la portée de textes susceptibles de produire leurs effets à l’égard d’actes ou de faits du passé. Ainsi, pour les lois interprétatives, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis la possibilité de refuser leur application, sauf « impérieux motif d’intérêt général », à des litiges en cours (Ass. plén., 23 janvier 2004, Bull. 2004, Ass. plén., n° 2 : « si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; [que] cette règle générale s’applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l’Etat n’est pas partie au procès »).

On peut rapprocher de cette décision celles de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant, au visa de l’article 6 § 1 de la Convention, la pratique de lois de validation de nature à rendre vaine la poursuite de certaines procédures judiciaires (X… c/ France du 14 février 2006, requête n° 67847/01 ; X… c/ France du 11 avril 2006, requête n° 60796/00 ; X… c/ France du 18 avril 2006, requête n° 66018/01 ; X… c/ France du 2 mai 2006, requête n° 72038/01).

Puisque la Cour de cassation se reconnaît le pouvoir d’écarter des textes produisant leurs effets sur des faits du passé et modifiant les attentes légitimes des justiciables, pourquoi ne pas le faire pour sa propre jurisprudence lorsqu’elle change les données jurisprudentielles disponibles à la date de naissance du litige ou d’engagement de la procédure ?

Telle était la question posée par C. Mouly lorsqu’il observait que « puisque la Cour de cassation dispose déjà d’un certain pouvoir pour déterminer l’entrée en vigueur des lois, il n’est pas inconcevable de lui laisser fixer aussi le régime transitoire de ses arrêts de principe et de revirement » (« Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ? », Les Petites Affiches, 4 mai 1994, n° 19). Dans le même sens, C. Rade observait (op. cit., n° 17) que la Cour de cassation jouit d’un privilège exorbitant qui l’autorise à écarter une disposition légale ou réglementaire jugée contraire au principe de sécurité juridique tout en ignorant son existence pour sa jurisprudence.

C’est précisément pour mettre fin à ce paradoxe que la deuxième chambre de la Cour de cassation a, le 8 juillet 2004 (Bull. 2004, II, n° 387), écarté l’application de la règle nouvelle de prescription qu’elle instaurait pour l’action de l’article 9-1 du code civil à une procédure engagée antérieurement en énonçant que « si c’est à tort que la cour d’appel a décidé que le demandeur n’avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l’action engagée, la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que

43•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

La solution est radicalement contraire à la jurisprudence précédemment exposée, notamment à un autre arrêt de la deuxième chambre rendu le même jour pour un autre type de délai de prescription (2e Civ., 8 juillet 2004, Bull. 2004, II, n° 361), de sorte qu’il appartiendra à l’assemblée plénière de trancher le débat instauré par ces arrêts.

44•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

LES FAITS ET LA PROCÉDURE

Le 13 février 1996, le journal Le Provençal rend compte d’une affaire judiciaire. Il met en cause un couple suspecté de maltraitance à enfant et notamment la mère, Mme X…, interpellée, placée en garde à vue, puis mise en examen. Mme X… estime que le journal n’a pas respecté sa présomption d’innocence et elle fait valoir un préjudice que le tribunal de grande instance de Marseille, par jugement du 5 février 1998, indemnise en lui allouant une somme de 50 000 francs. Sur appel du journal, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 6 avril 2000, élève l’indemnisation à la somme de 100 000 francs. C’est l’arrêt attaqué par le pourvoi formé par la SA La Provence et le directeur de la publication le 2 octobre 2000. Le renvoi devant l’assemblée plénière a été ordonné par arrêt du 7 mars 2006 de la première chambre civile, au visa des articles L. 121-4, L. 131-2, alinéa 3, et L. 131-3 du code de l’organisation judiciaire.

LES MOYENS PROPOSÉS

Le pourvoi fait valoir trois moyens de cassation :

Le premier moyen revendique une identité des régimes de prescription des articles 65 et 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 et, considérant que l’acte d’appel du défendeur au pourvoi du 17 mars 1998 n’a été suivi d’aucun acte interruptif de prescription, celle-ci serait acquise depuis le 17 juin 1998.

Le deuxième moyen reproche à l’arrêt attaqué de n’avoir pas dit en quoi l’article de presse tenait pour acquise la culpabilité ni précisé à quel moment certains des faits ont été reconnus et, enfin, d’avoir tiré argument de l’ordonnance de non-lieu rendue pourtant après la parution de l’article de presse, anachronisme qui priverait l’arrêt de base légale.

Le troisième et dernier moyen reproche à l’arrêt attaqué de n’avoir pas caractérisé la mauvaise foi qu’il tient pour acquise et de se fonder sur une correspondance d’un journaliste, postérieure à l’article litigieux.

LES TEXTES CONCERNÉS

Les textes invoqués à l’appui des prétentions sont les articles :

- 9-1 du code civil :

Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.

- 65 de la loi du 29 juillet 1881 :

L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait.

Toutefois, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée.

Les prescriptions commencées à l’époque de la publication de la présente loi, et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois mois à compter de la même époque, seront, par ce laps de trois mois, définitivement accomplies.

- 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 :

Les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence commise par l’un des moyens visés à l’article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité.

L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, visé par l’article 65-1, énumère parmi les moyens susceptibles de véhiculer une atteinte au respect de la présomption d’innocence la catégorie d’article de presse en cause. Ce point ne fait pas objet de débat. Pas plus que la qualification des faits d’atteinte à la présomption d’innocence, dont l’examen ne pourrait être envisagé qu’en cas de rejet du premier moyen. Cependant, les deuxième et troisième moyens tentent vainement de remettre en cause cette qualification, la cour d’appel ayant justifié sa décision.

LA QUESTION DE PRINCIPE POSÉE

La question de principe posée à la Cour, contenue dans le premier moyen, est celle de savoir si l’action en réparation d’une atteinte au respect de la présomption d’innocence, ouverte sur le fondement des

Avis de M. LegouxAvocat général

45•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

articles 9-1 du code civil et 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, se prescrit dans les conditions du droit commun ou dans celles de la courte prescription de l’article 65 de la même loi. Par corollaire, si cette dernière est retenue, son application dans le temps devra être déterminée.

** *

Deux lectures antonymiques de l’article 65-1 sont affrontées. D’une part, celle qui fournit sa motivation à l’arrêt attaqué et qui tient le délai de trois mois pour, à la fois, interruptif et suspensif. Elle laisse la procédure engagée dans ce délai se dérouler selon le droit commun, sans qu’il soit besoin de renouveler par un acte quelconque la volonté de poursuivre l’action. D’autre part, une lecture plus proche du droit commun des médias. Elle épouse les modalités de prescription de l’article 65 et impose au titulaire du droit l’obligation de renouveler tous les trois mois sa volonté de poursuivre l’action par un acte interruptif de prescription.

Plusieurs approches permettent de cerner cette notion de prescription : l’analyse du texte législatif sur la protection de la présomption d’innocence, que le législateur a inscrit dans le code civil et dans la loi sur la liberté de la presse, la recherche de la cohérence de cette loi et, enfin, l’existence d’une jurisprudence antérieure.

L’analyse textuelle

La prescription de l’action fondée sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence a été introduite par le législateur dans la loi sur la liberté de la presse par un article 65-1. Celui-ci est placé immédiatement après l’article 65 qui énonce les modalités de mise en œuvre de l’action résultant des infractions de presse. Or, la rédaction de ces deux articles n’est pas identique. Pour les infractions de presse, le texte indique précisément les modalités d’interruption de la prescription, tandis qu’en matière de présomption d’innocence la loi pose le principe, fixe le délai d’engagement de l’action, mais reste muette sur les modalités de l’interruption de la prescription.

On pourrait penser que cette différence traduit la volonté du législateur d’organiser deux régimes obéissant à des règles distinctes et, puisque l’article 65 précise ses modalités de mise en œuvre, les règles de l’article 65-1, qui n’en précise pas, devraient être nécessairement différentes. L’originalité de cette opinion est de prendre à rebours la distinction du droit commun et du droit spécifique. En effet, si la loi sur la presse comporte, notamment dans son article 65, une règle spéciale qui fait de ce texte une dérogation au droit commun, cette conception reviendrait à dire que l’article 65-1 est une dérogation au droit de la presse. Il y aurait ainsi deux prescriptions, l’une de droit commun de la presse, l’autre de droit commun général, qui deviendrait une exception.

Le défaut de ce raisonnement est qu’il se détruit lui-même. A inverser la notion de droit commun, il fait fi de la notion de courte prescription mais aussi de la cohérence globale de la loi sur la presse.

La cohérence de la loi sur la presse

Cette cohérence se retrouve dans la nature des actions qui peuvent être exercées. Si les infractions de presse sont des incriminations pénales, on doit remarquer la parenté entre les actions civiles qui les accompagnent ou qui peuvent être exercées séparément et les actions fondées sur l’atteinte à la présomption d’innocence. Les deux types d’actions sont d’autant plus proches que l’atteinte à la présomption d’innocence constitue en fait une diffamation exercée sous une autre forme. Leur but consiste à prévenir toute atteinte à l’honorabilité des personnes et le régime de courte prescription se justifie par le fait qu’elles constituent une restriction à la liberté fondamentale protégée qu’est la liberté d’expression.

On peut donc raisonnablement soutenir que si le législateur a choisi d’insérer dans le droit de la presse la mise en œuvre de l’action fondée sur l’atteinte au respect de la présomption d’innocence, c’est pour lui faire épouser les règles relatives à la prescription de l’article 65. L’analyse du texte, la nature commune des actions, l’exception spéciale et d’ordre public qu’elles constituent à une liberté fondamentale militent en faveur d’une règle de prescription commune.

Cette communion de destin n’est d’ailleurs pas nouvelle. Le doyen Guerder dans son analyse de l’évolution de la jurisprudence civile en matière de presse (Rapport de la Cour de cassation 1999) remarque déjà que la jurisprudence a « harmonisé les règles applicables aux procès de presse, pour aboutir à un modèle unique, commun aux juridictions civiles et pénales ». Et il cite le doyen Carbonnier qui s’interrogeait sur le point de savoir si la loi du 29 juillet 1881 n’était pas « un système juridique clos, se suffisant à lui-même, arbitrant une fois pour toutes tous les intérêts en présence, y compris les intérêts civils ». La jurisprudence a donc harmonisé les règles et, il y a peu de temps, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la même cause qui lui était soumise.

Le précédent jurisprudentiel

A l’origine, la Cour considérait que l’article 65-1 n’empruntait rien au corpus relatif à la presse et devait obéir au droit commun. Dans un arrêt du 4 décembre 1996 (pourvoi n° 94-18.896) rendu par la deuxième chambre civile, elle a censuré la décision d’une cour d’appel qui avait déclaré prescrite l’action au motif qu’aucun acte de poursuite n’avait été effectué pendant les trois mois écoulés après le jugement. Elle soutenait ainsi la thèse du droit commun selon laquelle, après l’introduction de l’action - pour autant qu’elle respecte le délai de trois mois pour être mise en œuvre - l’action est soumise à une prescription continue qui s’éteint en même temps que l’action, par une décision définitive. Mais, dans un esprit de poursuite de l’harmonisation des règles applicables aux procès de presse, la Cour a opéré un revirement de jurisprudence.

Dans un arrêt du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, II, n° 387, pourvoi n° 01-10.426), rendu toujours par la deuxième chambre, la Cour a décidé d’aligner les modalités de la prescription de l’article 65-1 sur celles de l’article 65. Après avoir énoncé que les abus de la liberté d’expression, c’est-à-dire aussi bien l’atteinte à la réputation

46•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

que l’atteinte au respect de la présomption d’innocence, pouvaient être réparés sur le fondement unique de l’article 9-1 du code civil, elle a décidé, par un revirement jurisprudentiel, que le délai trimestriel de prescription abrégée courait à nouveau après chaque acte interruptif de prescription. Elle soumettait ainsi les atteintes à la liberté d’expression aux mêmes règles de prescription abrégée et rappelait la relativité du principe de la liberté d’expression, en montrant que si la démocratie peut souffrir de l’absence de ce principe, elle peut souffrir aussi de son abus.

Cet arrêt ne fixe pas seulement une nouvelle lecture du droit de la presse. Il pose en même temps la question de l’application dans le temps du revirement de jurisprudence. En effet, l’arrêt du 8 juillet 2004 a été rendu dans un cas d’espèce où les justiciables avaient engagé leur action sous l’empire de la jurisprudence précédente de 1996. La Cour a, dans ces conditions, considéré que l’application immédiate de son arrêt pouvait aboutir à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Aussi, elle a décidé d’affirmer sa jurisprudence nouvelle mais de ne pas l’appliquer à l’instance qu’elle jugeait, au motif que « l’application immédiate… à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Un point final doit donc être mis à l’hésitation sur le régime de prescription des actions en matière de presse qui évitera, de plus, une situation de revirement sur revirement, avec les conséquences qu’elle pourrait avoir sur la sécurité juridique du droit de la presse. Je ne vois aucune raison nouvelle, depuis le 8 juillet 2004, de s’écarter de cette jurisprudence et mon avis est de la reconduire dans la présente instance en cassant sur le premier moyen sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres.

En revanche, la crainte de priver la victime d’un procès équitable est-elle aujourd’hui toujours justifiée ? Autrement dit, la décision sur le fond n’épuise pas le débat car, confirmant une norme nouvelle, prononcée mais non appliquée, elle doit se préoccuper des effets de son insertion dans le droit positif, en raison de son application à des faits antérieurs. Et c’est un autre débat.

** *

Le temps, il faut bien en convenir, constitue notre élément vital ; quand nous en sommes dépossédés, nous nous trouvons sans appui, en pleine irréalité ou en plein enfer. E. M. Cioran - La chute dans le temps.

La création d’une norme s’arrête-t-elle à la norme ?

Le fait est là : l’action qui a abouti à la décision de revirement du 8 juillet 2004 a été engagée le 14 février 1997. Dans la présente affaire, l’action a été engagée antérieurement, le 11 avril 1996. Comment pourrait-on redouter de priver la victime d’un procès équitable dans un cas et ne pas le redouter plus encore lorsque le justiciable a engagé son action auparavant ? Même en tenant compte du moment auquel, faute d’acte interruptif de prescription, celle-ci a été acquise, le 17 juin 1998, on se situe encore six ans avant l’arrêt de revirement.

Si la Cour devait décider d’appliquer sa nouvelle jurisprudence en raison du fait qu’elle est fixée maintenant depuis plus de deux ans, le justiciable qui s’en est vu refuser le bénéfice en 2004, alors qu’il avait engagé son action postérieurement à celle de l’instance en cours, ne pourrait-il pas y voir une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

Les difficultés posées par l’application d’un revirement de jurisprudence ne sont pas nouvelles et les deux juridictions européennes aussi bien que le Conseil d’Etat ont été amenés à prendre position. Des organismes, groupes de recherche, syndicats, comme d’autres praticiens ont contribué à la réflexion en la matière. A la Cour de cassation, un groupe de travail a été constitué, présidé par le professeur Molfessis, qui a remis son rapport au premier président le 30 novembre 2004 (ci-après dénommé « Le Rapport »).

La Cour va donc devoir nécessairement préciser les effets dans le temps qu’elle entend attacher à sa décision et, par la construction du temps juridique, elle va réaliser l’état du droit.

« Le revirement jurisprudentiel est rétroactif par nature »

C’est l’aphorisme qu’utilisait le doyen Carbonnier dans son cours d’introduction au droit pour définir les caractères de la jurisprudence. Le juge, en effet, statue pour le présent et pour l’avenir sur une action engagée - par définition - dans un état de droit antérieur, qui a fourni au plaideur les raisons d’engager son action. Si la jurisprudence change, il peut avoir le sentiment d’une insécurité juridique, voire d’une injustice, et perdre de sa confiance dans les institutions publiques. Les effets négatifs des revirements de jurisprudence sont réels mais ils ne sont pas systématiques. Il existe des revirements qui sont attendus avec intérêt par les intervenants au procès, autant que par la doctrine, et tous n’appellent pas nécessairement une modulation de leurs effets. Enfin, il faut remarquer que c’est notamment avec des décisions de cette nature que la Cour crée de nouvelles normes ou se trouve en demeure d’adapter sa jurisprudence à une législation nouvelle. Le revirement concourt à l’évolution du droit au même titre que les autres sources.

Des cas, certainement, peuvent prêter à controverse, comme cette décision de la première chambre civile du 9 octobre 2001 (Bull. 2001, I, n° 249, pourvoi n° 00-14.564) très commentée et très contestable, où un médecin était jugé responsable de n’avoir pas informé une patiente de risques médicaux exceptionnels, lors d’un acte pratiqué en 1974, alors que l’obligation d’information n’est apparue qu’en 1998. La Cour avait fondé sa décision sur le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine en considérant que « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée ».

47•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Il ne s’agissait pas en l’occurrence d’un revirement de jurisprudence mais de l’application de la règle de rétroactivité pour un acte pratiqué avant l’obligation d’information et il n’est pas impossible que d’autres actes, antérieurs à l’obligation mais poursuivis avant cet arrêt de 2001, aient reçu une réponse judiciaire différente. Ces décisions se situent dans un contexte d’inflation des règles juridiques, loi ou normes d’autre nature, d’enchevêtrement de ces règles et d’explosion des recours judiciaires, qui modifie l’équilibre entre l’ordre public et le droit subjectif.

Ce mouvement, aujourd’hui, présente deux caractères. Il s’accélère et se diversifie : le droit international devient une source importante de droit interne, les autorités administratives indépendantes élaborent des décisions qui créent des normes, les opérateurs économiques appellent à la création de nouvelles régulations, les droits de l’homme et les principes fondamentaux des nations démocratiques appellent des traductions juridictionnelles, les mouvements d’opinion mettent en cause le modèle représentatif. Cette complexification va toujours croissant et ni les codifications ni les lois générales ne produisent d’allégement. Le professeur Terré a pu parler à cet égard de « cliquet anti-retour ».

La Cour de cassation doit respecter un équilibre difficile entre l’application d’un droit toujours plus riche et le maintien de la permanence de l’ordre juridique. Son rôle s’en trouve renforcé dans le système juridique du pays et la place devant des interrogations nouvelles. La rétroactivité et son aménagement font partie des outils qu’elle se donne pour, comme le dit le Professeur Zenati, transformer la casuistique en logique juridique. Mais la réponse que la Cour doit apporter à cette question s’inscrit dans une problématique qui ne se pose pas qu’à elle.

Les exemples

La Cour européenne des droits de l’homme a une approche pragmatique, qu’elle a forgée par sa jurisprudence et dont l’arrêt X… c/ Belgique (requête n° 6833/74), du 13 juin 1979 est représentatif. Elle part du principe que l’ordre juridique doit être prévisible mais elle y apporte plusieurs tempéraments. Tout d’abord en modulant la prévisibilité relativement à la qualité des justiciables, à la nature de la norme en cause et à son importance. Ensuite, elle affirme que la prévisibilité ne doit pas faire obstacle à l’évolution du système juridique. Enfin, qu’un revirement de jurisprudence opéré par la Cour suprême d’un Etat ne saurait constituer en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle met donc en œuvre une approche pragmatique qui repose sur un examen spécifique de la cause et non sur l’application d’un principe général.

La Cour de justice des Communautés européennes pose pour principe la rétroactivité de la jurisprudence. Elle admet, cependant, des exceptions comme dans son arrêt X… c/ Sabena (aff. C-43/75), du 8 avril 1976. En l’espèce, la non-rétroactivité a été justifiée par un examen des conséquences que pouvait avoir l’arrêt et la Cour de justice a utilisé une formule qui en souligne l’importance « des conséquences impérieuses de sécurité juridique, tenant à l’ensemble des intérêts en jeu… » Donc, un principe clairement affirmé et des exceptions rares.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur une matière qui n’est pas à proprement parler un revirement de jurisprudence mais dont les conséquences sont comparables, s’agissant de l’annulation d’un acte administratif, dont l’effet est nécessairement rétroactif (C.E. n° 255886 du 11 mai 2004 arrêt « A.C. ! »). Il a défini l’office du juge qui doit rechercher si l’effet rétroactif emporte des conséquences excessives ou si l’intérêt général s’attache au maintien temporaire des effets de l’acte annulé.

Dans ces hypothèses il doit prendre en considération « d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu’il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre des actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ».

Cet arrêt, bien qu’il ne soit pas une décision de revirement, indique cependant les exigences sévères auxquelles doit se soumettre - du point de vue du Conseil d’Etat - le juge qui envisage de moduler l’effet rétroactif de sa jurisprudence.

La Cour de cassation n’est pas encore allée jusqu’à ce point, sauf à dire que l’arrêt de revirement du 8 juillet 2004, qui énonce une norme mais ne l’applique pas, est déjà une modulation. Par défaut, certes, mais qui soumet une décision à un critère temporel. Elle a, cependant, annoncé que son office lui permettait de procéder à des revirements sans que l’on puisse se prévaloir d’un droit acquis à la reproduction permanente de sa jurisprudence. On en trouve l’expression dans des arrêts rendus par différentes chambres avec des formulations voisines, telles que dans cet arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, II, n° 361, pourvoi n° 03-14.717 à ne pas confondre avec l’arrêt de la même chambre et du même jour, pourvoi n° 01-10.426 - Bull. 2004, II, n° 387 - dont il a été question plus haut) : « Mais attendu que les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime invoquées pour contester l’application d’une solution restrictive du droit d’agir résultant d’une évolution jurisprudentielle, ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l’évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit ».

Si le principe général de rétroactivité du revirement de jurisprudence ne fait pas l’objet de controverse devant les juridictions européennes et françaises, la modulation dans le temps du principe participe d’une évolution des esprits qui ne se satisfait plus de voir dans la jurisprudence uniquement la « bouche de la loi ». Une observation réaliste du rôle de la jurisprudence amène à reconnaître qu’elle crée des règles, que celles-ci

48•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

peuvent prendre la forme d’un revirement, que le revirement parfois présente des inconvénients et qu’en conséquence, il lui incombe de maîtriser son insertion dans le droit positif. Mais cette progression logique ne convainc pas sans que subsistent des réticences.

Les réticences

Cette capacité, pour la jurisprudence, à considérer à la fois la norme et les modalités de sa mise en œuvre, ainsi que l’extension de ses compétences au regard de la loi, ne vont pas sans soulever un certain nombre de réticences qui tiennent notamment au rapprochement des articles 2 du code civil « … la loi n’a point d’effet rétroactif » et 5 « Il est défendu au juge de prononcer par voie de disposition générale… » avec l’article 3 de la Constitution « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants… » On parle de gouvernement des juges, de dépossession du législateur, de confusions des pouvoirs. Lors des Entretiens de Saintes de février 2006, le bâtonnier Vatier exprimait l’étonnement souvent remarqué devant l’évolution respective des sources du droit et l’extension du contrôle juridictionnel de conventionnalité. Il parlait de « dégénérescence de la loi » au regard de « l’accroissement du pouvoir judiciaire » et il définissait cette évolution en termes de concurrence, en stigmatisant l’absence de « légitimité » du juge. Il est vrai que la loi nationale se trouve soumise à un double contrôle, du juge constitutionnel et des deux ordres juridictionnels. Certains y voient une atteinte à sa légitimité.

On peut remarquer que le nombre de lois soumises à l’examen du Conseil constitutionnel est devenu considérable. Sa saisine est quasiment systématique par les partis des oppositions politiques successives, qui tentent de faire invalider des lois dont ils n’ont pu empêcher l’adoption. Ce processus montre, à l’usage, que la loi, expression de la volonté nationale, n’entre en application qu’après la décision d’une juridiction. Le juge judiciaire n’y a aucune part, contrairement au contrôle de conventionnalité et au contrôle des lois de validation.

Le contrôle de conventionnalité découle de l’appartenance de la France à un ordre juridique européen qui se superpose à l’ordre juridique national. Le juge est le gardien de la compatibilité de l’un à l’autre, c’est-à-dire de la conventionnalité des lois. Or, la Convention européenne des droits de l’homme est de plus en plus invoquée ; elle a perdu son rôle de « garantie collective » des droits de l’homme pour devenir un ordre juridique en soi, d’application directe, source d’une jurisprudence qui dit le droit en France, et le juge français doit veiller à son application.

Les lois de validation, de l’ordre de dix à vingt par an, permettent au législateur de s’affranchir de l’interdiction qui lui est faite d’adopter des lois rétroactives de nature civile (puisqu’en matière pénale l’interdiction a valeur constitutionnelle). Elles viennent limiter les effets rétroactifs d’une jurisprudence - hormis, naturellement, les décisions passées en force de chose jugée - dont l’application directe aurait un impact disproportionné, comme dans la décision de l’assemblée plénière du 24 janvier 2003 (Bull. 2003, Ass. plén., n° 3, pourvoi n° 01-41.757). La Cour y a rappelé que si le législateur pouvait adopter des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme lui demandait de justifier d’impérieux motifs d’intérêt général. Or, le contrôle qu’opère la Cour, en application de la Convention européenne sur le caractère impérieux de l’intérêt général invoqué par le législateur, pourrait poser une interrogation sur le rôle du juge : ne tenterait-il pas de se donner la légitimité qu’il retire au législateur ? La Cour européenne des droits de l’homme ne s’érigerait-elle pas, par l’intermédiaire des juridictions suprêmes nationales, en législateur ?

Mais ce qui a changé doit-il être vécu en termes de séparation des pouvoirs et de lutte d’influence ? Comme l’indiquait le premier président Canivet dans une intervention du 13 novembre 2006 à l’Académie des sciences morales et politiques : « la jurisprudence devrait être comprise comme un dispositif d’alerte incitant le pouvoir législatif ou réglementaire à en tirer toutes les conséquences ».

Avec l’intervention du juge européen, c’est tout le théâtre qui a changé. La notion de droit national devient bien imprécise tant celui-ci est interpénétré avec le droit européen et international. Les accords internationaux modifient le droit autant qu’ils le font des relations entre les pouvoirs publics. C’est le législateur qui soumet l’ordre juridique français à l’ordre juridique européen comme il se soumet lui-même à devoir adapter la législation, voire modifier la Constitution, afin de maintenir la compatibilité du droit national avec l’évolution du droit et des structures politiques de l’Europe. Dans ces conditions, poser les relations entre la justice et le pouvoir législatif en termes d’opposition et non d’harmonisation revient à méconnaître le principe de séparation des pouvoirs non pas en le dépassant mais en ne le remplissant pas. Il n’y a pas irruption de l’autorité judiciaire dans un domaine qui n’est pas le sien. La Cour ne doit pas à elle-même l’extension de son contrôle. Il y a seulement évolution des relations internationales avec la construction et la réunification de l’Europe sous le gonfalon des droits de l’homme. Il n’appartient pas à la Cour de ralentir ce mouvement mais de l’accompagner. Voudrait-elle ne pas le faire, qu’elle pourrait y être contrainte par les règles européennes auxquelles le législateur lui a demandé de se conformer.

Quelle modulation ?

Les critères de la modulation sont le point central de la question. Le Rapport propose des paramètres qui encadreraient le pouvoir accordé au juge, sans pour autant établir une « grille contraignante ». Il suggère une double démarche : d’une part, une évaluation des inconvénients qui pourraient être entraînés par l’application rétroactive de la décision et, d’autre part, la recherche d’un éventuel « impérieux motif d’intérêt général ». La trame de ces propositions repose sur une balance des avantages de la rétroactivité avec ses inconvénients, une sorte de critère de proportionnalité qui évoque la jurisprudence européenne.

La jurisprudence des Cours européennes ainsi que du Conseil d’Etat ont déjà eu à se prononcer sur la modulation des revirements. Les critères qu’ils ont dégagés ne sont pas éloignés de la recherche avantages/inconvénients. Ils ont en commun le pragmatisme, qui repousse l’élaboration d’un principe général qui

49•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

pourrait, devant la diversité des pourvois, se révéler dangereux et la volonté de justifier leur choix au cas par cas. La notion de proportionnalité, c’est-à-dire l’absence de conséquences excessives, et celle de disproportion manifeste sont au cœur de la réflexion, ainsi que la notion de prévisibilité.

Enfin, la motivation spéciale de chaque décision, le « procès dans le procès » marquerait l’examen successif de la question de fond, puis de celle des conditions de la rétroactivité.

Le Rapport suggère que la modulation soit précédée d’une demande aux parties de leurs observations, sur le modèle de l’article 1015 du nouveau code de procédure civile. La difficulté qui apparaît dans le présent pourvoi est qu’il n’y a pas que les parties à l’instance qui sont intéressées à la solution du litige, et particulièrement dans l’hypothèse d’une décision d’application immédiate. En effet, si la Cour prononce une telle décision, le justiciable qui s’est vu refuser l’application de la jurisprudence au moment du revirement peut estimer, rétroactivement aussi, qu’il a fait l’objet d’une rupture d’égalité devant la justice. Il y a là une difficulté qui montre que si le débat judiciaire accueille un débat entre les parties, on fait des parties le juge des intérêts d’autres justiciables.

La cour doit-elle moduler ?

La nécessité de la jurisprudence née du revirement a déjà été affirmée. Son application ne peut plus être différée. La difficulté qui apparaît du fait de l’ordre dans lequel les pourvois sont examinés ne doit pas avoir de conséquence sur l’étendue des pouvoirs juridictionnels de la Cour. Celle-ci n’est pas maîtresse de l’ordre dans lequel les pourvois lui parviennent ni de leur nombre ni du point de savoir combien d’actions toujours pendantes ont été engagées avant ou après l’arrêt de revirement. Si elle attendait un autre pourvoi pour confirmer le revirement en lui accordant une pleine rétroactivité, elle retarderait l’application de sa propre jurisprudence pour une durée inconnue. Que devraient faire les juridictions du fond ?

La Cour de justice des Communautés européennes, dans son arrêt X… c. Sabena (aff. C-43/75), déjà cité, a placé très haut le niveau des conditions susceptibles de faire échec à la rétroactivité : « considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés ». Celles-ci ne sont pas réunies dans ce pourvoi dont l’objet est de confirmer votre jurisprudence sur la prescription de l’action fondée sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence. La Cour de justice ajoute, paragraphe 71, en posant comme principe général de droit, que « l’on ne saurait cependant aller jusqu’à infléchir l’objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu’une décision de justice peut entraîner pour le passé ». Principe repris par la Cour européenne dans son arrêt X… c/ Belgique (requête n° 6833/74), déjà cité.

Le présent pourvoi ne justifie aucun des critères de modulation qui ont été évoqués. On doit ajouter que la prévisibilité du revirement ne devait pas échapper à la demanderesse ni, a fortiori, à son conseil.

D’une manière générale le revirement de jurisprudence n’est pas totalement imprévisible. Dès lors que la loi n’est pas explicite, et c’est le cas de l’article 65-1 de la loi sur la liberté de la presse, l’incertitude doit demeurer sur l’interprétation que le juge lui donnera. Quand bien même une jurisprudence de la Cour de cassation fixe une interprétation, la juridiction conserve la possibilité d’en changer. La loi elle-même pourrait venir confirmer une interprétation ou la contredire. La doctrine, par ses analyses et ses controverses, indique également que l’hésitation demeure et que la question ne fait pas l’objet d’un consensus. L’existence, enfin, de décisions du fond en sens contraire ne fait pas mystère de l’incertitude jurisprudentielle que l’observateur doit intégrer dans sa réflexion.

Le rôle du praticien du droit qui conseille son client est central dans ce contexte. Il a un devoir de mise en garde, d’information sur ce que l’on peut attendre de la marche de l’instance, avec les incertitudes qu’elle comporte. Sa responsabilité peut être mise en jeu. Dans le cas d’espèce, le professionnel ne pouvait ignorer que si la prescription de l’article 65 ne soulève aucune hésitation, celle de l’article 65-1, bien qu’ayant fait l’objet d’une décision de la Cour de cassation en 1996 dans le sens du droit commun, et l’arrêt de revirement n’étant pas encore intervenu, n’avait pas la force d’une loi ni celle d’une jurisprudence constante. Devant le choix entre deux modes de prescription, il pouvait conseiller le mode procédural qui semblait le plus protecteur de son action et, bien qu’il n’en décèle aucune obligation encore, mettre en œuvre par précaution un processus d’interruption trimestriel de la prescription.

La matière en cause doit aussi être considérée : le droit des médias est mutable. Il suit les bouleversements provoqués par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il reflète une société de l’instant où le besoin de justice répond à un temps court, où l’information brute et vite dite supplante le journalisme d’analyse. La prescription courte s’attache à cet état de fait.

Un dernier motif milite encore dans le sens de l’application immédiate et rétroactive. Le pourvoi concerne le droit de la presse et il s’agit de savoir si une prescription longue ou courte doit s’imposer et, surtout, quand. S’agissant d’une restriction à la liberté fondamentale protégée qu’est la liberté d’expression, la nouvelle jurisprudence doit s’appliquer au plus tôt.

** *

La Cour est donc en mesure, par une dialectique du temps, d’affermir le système des droits et devoirs de la loi sur la liberté de la presse et, du même coup, de confirmer sa volonté d’intégrer la notion de temps - et son aménagement éventuel - parmi les facteurs de création jurisprudentielle.

Mon avis est de casser l’arrêt qui vous est soumis sur le premier moyen sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres et, en motivant spécialement votre décision sur sa pleine rétroactivité, la laisser, dès son prononcé, produire la plénitude de ses effets.

50•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

B. - ARRÊTS DU 21 DÉCEMBRE 2006 RENDUS PAR L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Titre et sommaire Page 50

Arrêts Page 50 et 51

Rapports Page 52 et 55

Avis commun aux deux pourvois Page 62

CassationMoyen - Irrecevabilité - Cas - Moyen tendant à faire revenir la Cour sur sa doctrine - Evolution ou

revirement de jurisprudence postérieur à la saisine de la juridiction de renvoi - Absence d’influence.

Le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable, peu important que, postérieurement à l’arrêt qui saisit la juridiction de renvoi, l’assemblée plénière de la Cour de cassation ait rendu, dans une autre instance, un arrêt revenant sur la solution exprimée par l’arrêt saisissant la juridiction de renvoi.

ARRÊT N° 1Mme Y… s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier (2e chambre, section B), en date du 9 octobre 2001.

Cet arrêt a été cassé partiellement le 1er avril 2003 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Nîmes qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 7 juin 2005 rectifié par arrêt du 21 mars 2006 ;

Un pourvoi ayant été formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, M. le premier président a, par ordonnance du 20 mars 2006, renvoyé la cause et les parties devant l’assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lesourd, avocat de la société La Briocherie ;

Un mémoire et des observations sommaires en défense ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Richard, avocat de Mme Y… ;

Le rapport écrit de M. Loriferne, conseiller, et l’avis écrit de M. de Gouttes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

(…)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 7 juin 2005), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 1er avril 2003, pourvoi n° 01-18.019), que la société La Briocherie (la société), preneuse à bail de locaux à usage commercial appartenant à Mme X…, a sollicité, en octobre 1997, la diminution du loyer ;

Attendu qu’invoquant un arrêt rendu dans une autre instance par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 23 janvier 2004, la société fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en révision du loyer commercial, alors, selon le moyen, que l’article L. 145-38 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1168, n’était pas applicable en la cause, le litige étant né avant l’entrée en vigueur de cette loi, et qu’il résulte de ce texte, dans sa rédaction initiale, qu’indépendamment de toute modification des facteurs locaux de commercialité, le loyer du bail révisé doit être fixé à la valeur locative lorsque celle-ci se trouve inférieure au prix du loyer en cours ; qu’en rejetant la demande de révision de loyer commercial en baisse, formée par la société La Briocherie, en estimant qu’il lui incombait d’apporter la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation en baisse de plus de 10 % de la valeur locative, la cour d’appel a violé les articles L. 145-33, alinéa 1, et L. 145-38, alinéa 3, du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l’article 2 du code civil ;

Mais attendu que le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable ;

51•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Ass. plén., 21 décembre 2006Rejet

N° 05-17.690. - C.A. Nîmes, 7 Juin 2005.

M. Canivet, P. Pt. - M. Loriferne, Rap., assisté de M. Barbier, greffier en chef - M. de Gouttes, P. Av. Gén. - SCP Lesourd, SCP Richard, Av.

ARRÊT N° 2 M. Jean-Michel X… s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux (1re chambre, section C) en date du 27 octobre 1999 ;

Cet arrêt a été cassé le 25 mars 2003 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Toulouse qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 4 octobre 2004 ;

La chambre commerciale, financière et économique a, par arrêt du 28 février 2006, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Richard, avocat de la société Centea ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Laugier et Caston, avocat de MM. Jean-Michel et Patrice X… ;

Le rapport écrit de M. Loriferne, conseiller, et l’avis écrit de M. de Gouttes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

(…)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 4 octobre 2004), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 25 mars 2003, pourvoi n° 00-22.064), qu’aux termes de deux actes du 27 mai 1992, la société de droit belge HSA Banque d’épargne (la banque), aux droits de laquelle se trouve la société Centea, a consenti à M. Jean-Michel X… un prêt garanti par la caution hypothécaire de M. Patrice X… et Mme Isabelle X… sur un bien situé en France ; que les échéances du prêt n’ayant pas été respectées, la banque a fait délivrer un commandement de saisie immobilière à M. Jean-Michel X…, M. Patrice X… et Mme Isabelle X… (les consorts X…), lesquels ont déposé un dire, en invoquant la nullité du prêt au motif que la banque n’avait pas reçu l’agrément prévu par l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984 pour effectuer des opérations de banque en France ;

Attendu qu’invoquant un arrêt rendu dans une autre instance par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 4 mars 2005, la société Centea fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré nul le prêt consenti aux consorts X…, alors, selon le moyen :

1°) que, pour la période précédant l’entrée en vigueur de la deuxième Directive 89/646/CEE du 15 décembre 1989, l’article 59 du Traité CEE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose en principe à ce qu’un Etat membre restreigne la libre prestation de services en imposant à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d’obtenir un agrément pour pouvoir exercer son activité en France ; qu’il s’oppose en principe à plus forte raison à ce qu’un Etat membre anéantisse cette liberté en imposant en fait à l’établissement de crédit étranger de s’installer en France pour obtenir cet agrément ; que la législation française alors applicable constituait une négation de la liberté de prestations de services incompatible avec les dispositions du droit communautaire ; qu’en décidant néanmoins que la société Centea était tenue d’obtenir un agrément pour réaliser en France des opérations de crédit, au motif qu’un tel agrément constituait une restriction à cette liberté compatible avec les dispositions du droit communautaire, la cour d’appel a violé l’article 59 du Traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Rome le 25 mars 1957 ;

2°) que, subsidiairement, la méconnaissance par un établissement de crédit de l’exigence d’agrément, au respect de laquelle est subordonné l’exercice de son activité, n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a conclus ; qu’en décidant néanmoins que le prêt consenti aux consorts X… par la société Centea était nul, au seul motif que celle-ci ne bénéficiait pas de l’agrément à l’époque du prêt, la cour d’appel a violé l’article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier ;

Mais attendu que le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Ass. plén., 21 décembre 2006.Rejet

N° 05-11.966. - C.A. Toulouse, 4 octobre 2004

M. Canivet, P. Pt. - M. Loriferne, Rap., assisté de M. Barbier, greffier en chef - M. de Gouttes, P. Av. Gén. - SCP Richard, SCP Laugier et Caston, Av.

52•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

I. - Rappel des faits et de la procédure

La société « La Briocherie » (la société), preneuse à bail de locaux à usage commercial appartenant à Mme X…, a sollicité, en octobre 1997, la diminution du loyer.

Par jugement du 5 septembre 2000, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Montpellier a fixé le loyer à la baisse et, par arrêt du 9 octobre 2001, la cour d’appel de Montpellier a confirmé ce jugement.

Sur pourvoi de Mme X…, par arrêt du 1er avril 2003, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, seulement en ce qu’il avait fixé le loyer annuel révisé à une certaine somme.

Cette cassation était prononcée au visa de l’article L. 145-38, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’article 26 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi Murcef », au motif que la cour d’appel avait fixé le loyer révisé à la valeur locative en retenant le caractère manifestement excessif du loyer fixé amiablement, alors qu’elle constatait l’absence d’évolution des facteurs de commercialité (la troisième chambre réaffirmait ainsi sa jurisprudence initiée par plusieurs arrêts du 27 février 2002, faisant application aux instances en cours des dispositions de la loi du 11 décembre 2001, texte qualifié d’interprétatif1).

Par arrêt du 7 juin 2005, la cour d’appel de Nîmes, statuant comme cour de renvoi, a infirmé le jugement et débouté la société de sa demande en révision du loyer.

La cour d’appel retient que, sous l’empire du texte applicable à l’époque, la demande en révision devait être fondée sur une modification matérielle avérée des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, laquelle n’était pas établie en l’espèce.

C’est l’arrêt attaqué (un arrêt rectificatif de la même cour, du 21 mars 2006, a rectifié l’arrêt attaqué quant à la charge des dépens et la désignation de la partie appelante. Il ne semble pas avoir fait l’objet d’un pourvoi).

L’arrêt de la cour de Nîmes a été signifié le 4 juillet 2005.

La Société La Briocherie a formé un pourvoi le 27 juillet 2005.

Une ordonnance du premier président de la Cour de cassation du 5 août 2005 a réduit à trois et deux mois le délai de dépôt des mémoires.

Le mémoire ampliatif, déposé le 30 septembre 2005 et signifié le 3 octobre 2005, comporte une demande en paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Mme X… a déposé le lundi 5 décembre 2005 des observations sommaires en défense tendant à l’irrecevabilité et au rejet du moyen, et comportant une demande en paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Une requête en retrait du rôle, déposée le 24 octobre 2005 par Mme X…, a été rejetée par ordonnance du 18 janvier 2006.

Un mémoire en défense a été déposé le 5 février 2006 au nom de Mme X…

L’affaire a été fixée devant l’assemblée plénière.

La procédure devant la Cour de cassation parait régulière.

II. - Exposé du moyen unique

La société fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de sa demande en révision du loyer commercial.

Le moyen invoque une violation des articles L. 145-33, alinéa 1, et L. 145-38, alinéa 3, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l’article 2 du code civil.

Il soutient que l’article L. 145-38 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1168, n’étant pas applicable en la cause, le litige étant né avant l’entrée en vigueur de cette loi, il résulte du texte, dans sa rédaction initiale, qu’indépendamment de toute modification des facteurs locaux de commercialité, le loyer du bail révisé doit être fixé à la valeur locative lorsque celle-ci se trouve inférieure au prix du loyer en cours.

A l’appui de son pourvoi, la demanderesse sollicite le bénéfice de la jurisprudence résultant de deux arrêts rendus par l’assemblée plénière le 23 janvier 2004 2, ayant expressément écarté l’application de l’article L. 145-38 modifié aux litiges nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la « loi Murcef », et elle fait valoir que, depuis cette date, la troisième chambre civile applique la même jurisprudence.

1 3e Civ., 27 février 2002, Bull. 2002, III, n° 50, p. 42 et n° 53, p. 46.2 Bull. 2004, Ass. plén., n° 1, p. 1 et n° 2, p. 2.

Rapport de M. LoriferneConseiller rapporteur

53•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Le mémoire en défense prétend que le moyen est irrecevable, en invoquant le principe selon lequel est irrecevable le moyen de cassation qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée.

III. - Identification des points de droit faisant difficulté à juger

L’examen de la recevabilité du moyen est préalable :

Dans la mesure où il invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt rendu dans la même affaire, alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée, le moyen est-il recevable ? Faut-il, à cet égard, prendre en considération le fait qu’un arrêt rendu dans une autre affaire par l’assemblée plénière, antérieurement à l’arrêt attaqué, est revenu sur la jurisprudence affirmée par la troisième chambre ?

Le moyen pose, au fond, la question de savoir si la loi du 11 décembre 2001 doit s’appliquer au litige opposant les parties alors que l’instance avait été introduite avant la promulgation de cette loi et, dans la négative, si le texte initial de l’article L. 145-38 du code de commerce permettait la fixation du loyer révisé au montant de la valeur locative.

IV. - Discussion

A. - La recevabilité du moyen

1. - La question de principe

Il convient de se reporter sur ce point aux développements figurant dans le rapport établi sur le pourvoi n° 05-11.966 qui est soumis à l’assemblée plénière au cours de la même audience que le présent pourvoi.

2. - L’application à l’espèce

Le moyen invite directement notre Cour à revenir sur ce qui a été jugé dans cette affaire par la cour de Nîmes le 7 juin 2005, en conformité de l’arrêt de cassation de la troisième chambre civile du 1er avril 2003 qui l’avait saisie. Le mémoire ampliatif se prévaut d’un revirement de jurisprudence opéré par l’assemblée plénière dans une autre affaire, après l’arrêt de la troisième chambre, mais avant l’arrêt de la cour de renvoi.

Le mémoire en défense invoque la règle de l’irrecevabilité du pourvoi. Il soutient que le seul fait qu’un revirement de jurisprudence soit intervenu est indifférent et souligne que l’arrêt de la chambre mixte de 1971 a été rendu dans des circonstances analogues.

L’assemblée plénière devra décider s’il y a lieu, ou non, de revenir sur sa jurisprudence relative à l’irrecevabilité du moyen.

B. - Examen du moyen

Il n’y a pas lieu de reprendre ici la discussion ayant précédé l’adoption par l’assemblée plénière des arrêts du 23 janvier 2004, dont les éléments ont été développés dans le rapport de Mme Favre, conseiller rapporteur de cette affaire, et les conclusions de M. de Gouttes, premier avocat général3.

Pour l’affaire qui nous occupe, il faut préciser les points suivants :

1) Dans un arrêt du 24 janvier 1996, dit « arrêt Privilèges »4, la troisième chambre civile de la Cour de cassation affirmait que le prix du bail révisé en application de l’article 27 du décret du 30 septembre 1953 ne peut, en aucun cas, excéder la valeur locative.

Développant sa jurisprudence sur la fixation du loyer révisé, la même chambre retenait ensuite qu’indépendamment de toute variation des facteurs locaux de commercialité, le loyer devait être fixé à la valeur locative dès lors que celle-ci se trouvait inférieure au prix du loyer5.

2) L’article 26 de la loi du 11 décembre 2001 a introduit une modification au texte de l’article L. 145-38 du code de commerce (ancien article 27 du décret du 30 septembre 1953), qui privait de fondement la jurisprudence de la troisième chambre.

3) Par plusieurs arrêts du 27 février 20026, la troisième chambre a alors modifié sa jurisprudence en faisant une application immédiate du texte nouveau qualifié d’interprétatif. Elle a ainsi estimé que le loyer révisé ne peut être fixé à la valeur locative que si la preuve est rapportée d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.

L’arrêt rendu le 1er avril 2003 dans la présente affaire constitue une application de cette jurisprudence.

4) Par deux arrêts du 23 janvier 20047, l’assemblée plénière :

- a écarté l’application de la loi du 11 décembre 2001 aux instances en cours ;

- a considéré qu’il résultait de l’article L. 145-38 du code de commerce, dans sa rédaction initiale, que le loyer du bail en révision ne peut excéder la valeur locative.

3 BICC n° 615 du 15 mars 2004, p. 11 et suiv.4 3e Civ., 24 janvier 1996 (société Privilèges c/ époux X…), Bull. 1996, III, n° 24, p. 16.5 3e Civ., 30 mai 2001, Bull. 2001, III, n° 71, p. 54.6 Cf. note 1.7 Cf. note 2.

54•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

La doctrine a, dans l’ensemble, bien accueilli ces décisions8.

5) La troisième chambre civile a aligné sa jurisprudence sur celle de l’assemblée plénière par plusieurs arrêts des 8 février, 22 mars et 5 avril 20059, en retenant que l’article L. 145-38 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 11 décembre 2001, n’était pas applicable en l’espèce et qu’il résulte de ce texte, dans sa rédaction initiale, qu’indépendamment de toute modification des facteurs locaux de commercialité, le loyer du bail révisé doit être fixé à la valeur locative lorsque celle-ci se trouve inférieure au prix du loyer en cours.

6) Il en résulte que l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 7 juin 2005 aujourd’hui attaqué se trouve en contradiction, sur le fond, tant avec les décisions de l’assemblée plénière invoquées par le pourvoi qu’avec la jurisprudence actuelle de la troisième chambre civile.

Si l’assemblée plénière décide de ne pas rejeter le moyen comme irrecevable, elle devra donc statuer sur celui-ci et s’interroger sur le maintien de la jurisprudence issue de ses arrêts du 23 janvier 2004.

8 Voir notamment Roger Perrot, Procédures 2004, n° 3, p. 9, n° 49 ; Marc Billiau, La semaine juridique, édition générale, n° 10, 3 mars 2004, II, 10030 ; Joël Moneger, La semaine juridique, éd. entreprise et affaires, n° 14, 1er avril 2004, 514 ; Pierre-Yves Gautier, Dalloz 2004, jurisprudence, p. 1108 ; Jean-Denis Barbier, Administrer, n° 364, mars 2004, jurisprudence, p. 21.

9 3e Civ., 8 février 2005, pourvoi n° 03-20.798 ; 22 mars 2005, pourvois n° 03-21.105 et 04-11.878 ; 5 avril 2005, pourvoin° 04-12.311.

55•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

I. - Rappel des faits et de la procédure

Aux termes de deux actes du 27 mai 1992, la société de droit belge HSA Banque d’épargne (la banque), aux droits de laquelle se trouve la société Centea, a consenti à M. Jean-Michel X…, un prêt garanti par la caution hypothécaire de M. Patrice X… et Mlle Isabelle X… sur un bien situé en France.

Les échéances du prêt n’ayant pas été respectées, la banque a fait délivrer un commandement de saisie immobilière à M. Jean-Michel X…, M. Patrice X… et Mlle Isabelle X… (les consorts X…), lesquels ont déposé un dire, en invoquant la nullité du prêt au motif que la banque n’avait pas reçu l’agrément prévu par l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984 pour effectuer des opérations de banque en France.

Les consorts X… ayant interjeté appel du jugement qui les déboutait de leur contestation, la cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 13 août 1996, a ordonné un sursis à statuer jusqu’aux décisions à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour de cassation, dans le cadre d’un autre pourvoi, sur la compatibilité de l’agrément imposée par l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984, devenu article L. 511-10 du code monétaire et financier, avec les dispositions des articles 59 et 61, paragraphe 2, du Traité de Rome.

Ces décisions étant intervenues1, la cour d’appel de Bordeaux, par un second arrêt du 27 octobre 1999, a confirmé le jugement déféré en retenant que, pour la période précédant l’entrée en vigueur de la Directive 89/646 CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, l’agrément n’était exigé que pour les établissements qui s’installaient en France ou s’y livraient de manière habituelle à des opérations de crédit, ce qui n’était pas le cas de la société Centea, et que les conditions auxquelles la Cour de justice avait subordonné l’exigence d’un agrément ne se trouvaient pas réunies en l’espèce.

Cet arrêt a été cassé par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 mars 2003, aux motifs que la banque n’avait jamais contesté être un établissement de crédit et devait, pour exercer son activité en France avant l’entrée en vigueur de la Directive 89/646, obtenir l’agrément imposé par les articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984, lequel agrément était conforme aux conditions exigées pour sa validité par la Cour de justice des Communautés européennes (la chambre commerciale réaffirmait ainsi sa jurisprudence initiée par l’arrêt « Parodi » du 20 octobre 1998, cf. note 1).

Par arrêt du 4 octobre 2004, la cour d’appel de Toulouse, statuant comme cour de renvoi, a réformé le jugement, déclaré nul le prêt consenti par la banque aux consorts X…, et dit que ceux-ci étaient redevables du solde dû en capital après déduction de toutes les sommes versées, avec intérêts au taux légal sur cette somme résiduelle à compter du 1er juin 1993.

La cour d’appel retient qu’à la date de souscription du prêt litigieux, le texte imposant l’agrément préalable n’était pas contraire aux dispositions du Traité de Rome et que la loi du 24 janvier 1984 étant d’ordre public, tout contractant pouvait se prévaloir de l’absence d’agrément pour demander la nullité du prêt.

C’est l’arrêt attaqué.

L’arrêt de la cour de Toulouse a été signifié le 29 novembre 2004 à la société Centea à Anvers (l’article 643 du nouveau code de procédure civile s’applique).

La Société Centea a formé un pourvoi le 21 février 2005.

Une ordonnance du premier président de la Cour de cassation du 1er mars 2005, réduisant à quatre et deux mois le délai de dépôt des mémoires, a été notifiée le 4 mars à la société Centea.

Le mémoire ampliatif du 4 juillet 2005, comporte une demande en paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le mémoire en défense de MM. Jean-Michel et Patrice X…, du 2 septembre 2005, comporte une demande en paiement de 3 000 euros au même titre.

Le mémoire ampliatif a été signifié le 1er juillet 2005 à Mlle Isabelle X… qui n’a pas constitué avocat.

Par arrêt du 28 février 2006, la chambre commerciale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, en a ordonné le renvoi devant l’assemblée plénière.

La procédure devant la Cour de cassation paraît régulière.

II. - Exposé du moyen unique

La banque fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré nul le prêt consenti aux consorts X… et d’avoir décidé que ceux-ci sont uniquement redevables du solde dû en capital après déduction de toutes les sommes versées, avec intérêts au taux légal sur cette somme résiduelle à compter du 1er juin 1993.

La première branche du moyen invoque une violation de l’article 59 du Traité de Rome du 25 mars 1957, lequel, pour la période précédant l’entrée en vigueur de la Directive 89/646/CEE, doit être interprété en ce

1 CJCE 9 juillet 1997, SCI Parodi C/ Banque Albert de Bary ; Com., 20 octobre 1998, Bull. 1998, IV, n° 246, p. 204, pourvoi n° 93-17.988 (dit arrêt Parodi).

Rapport de M. LoriferneConseiller rapporteur

56•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

sens qu’il s’oppose en principe à ce qu’un Etat membre restreigne la libre prestation de services en imposant à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d’obtenir un agrément pour pouvoir exercer son activité en France, de telle sorte que la législation française alors applicable était incompatible avec les dispositions du droit communautaire.

La seconde branche, subsidiaire, est tirée d’une violation de l’article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier, la cour d’appel ne pouvant déclarer nul le prêt au seul motif que la banque ne bénéficiait pas de l’agrément, alors que la seule méconnaissance de cette exigence n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats ainsi conclus.

A l’appui de son pourvoi, la demanderesse sollicite le bénéfice du revirement de jurisprudence résultant de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière le 4 mars 20052, qui a décidé, dans une affaire similaire :

- d’une part, que la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l’exigence d’agrément, au respect de laquelle l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier, subordonne l’exercice de son activité, n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a conclus ;

- d’autre part, que l’exigence d’un agrément pour qu’un établissement bancaire ayant son siège hors de France puisse effectuer des prêts en France était incompatible avec le droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts.

Le mémoire en défense soutient que les deux critiques du pourvoi sont irrecevables comme se heurtant à la doctrine de l’arrêt de cassation du 25 mars 2003 rendu dans la présente affaire et invoque la jurisprudence constante selon laquelle est irrecevable le grief qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée. Il conclut également, sur le fond, au rejet du pourvoi.

III. - Identification des points de droit faisant difficulté à juger

L’examen de la recevabilité du moyen est préalable : dans la mesure où il invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt rendu dans la même affaire alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée, le moyen est-il recevable ? Faut-il, à cet égard, prendre en considération le fait qu’un arrêt rendu par l’assemblée plénière, dans une autre affaire, est revenu sur la jurisprudence antérieurement affirmée par la chambre commerciale ?

La première branche du moyen pose la question de la compatibilité avec les principes communautaires, à l’époque où le prêt litigieux a été consenti, du texte exigeant un agrément pour qu’un établissement bancaire ayant son siège hors de France puisse effectuer des prêts en France.

La seconde branche évoque les conséquences de l’absence de cet agrément sur la validité du prêt consenti.

IV. - Discussion

A. - La recevabilité du moyen

1) La question de principe

Lorsqu’un arrêt de cassation émane d’une chambre de la Cour de cassation ou d’une chambre mixte, la juridiction de renvoi conserve son entière liberté de décision et n’est pas tenue de se conformer à la décision de la Cour de cassation sur le point de droit qui a fait l’objet de la censure3.

Cette « plénitude de juridiction » de la juridiction de renvoi est consacrée par l’article 638 du nouveau code de procédure civile aux termes duquel « l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation »4.

Si la juridiction de renvoi résiste à la solution donnée par un arrêt de cassation (essentiellement lorsque la cassation est prononcée pour violation de la loi) en statuant dans le même sens que la décision censurée par cet arrêt et si la décision de la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens, l’article L. 131-2, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire oblige à renvoyer l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Dans ce cas, lorsqu’une nouvelle cassation intervient, l’article L. 131-4, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire dispose que la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci.

Mais aucun texte ne règle le sort du pourvoi formé contre la décision de la cour de renvoi lorsque celle-ci a fait sienne l’analyse juridique de l’arrêt de cassation qui l’a saisie et s’y est conformée, quelle que soit la formation de la cour suprême dont émane cet arrêt de cassation. Peut-on, dans le cadre d’un nouveau pourvoi, formé par une autre partie, demander à la Cour de cassation de se contredire sur le point de droit qu’elle a déjà tranché à propos de la même affaire ou doit-on, au contraire, considérer que ce point, sur lequel la juridiction de renvoi s’est prononcée conformément à l’arrêt de cassation, est définitivement jugé ?

2 Ass. plén., Bull. 2005, Ass. plén., n° 2, p. 3.3 Voir Loïc Cadiet, « Droit judiciaire privé », Litec 3e édition, n° 1992, p. 849.4 Voir « Droit et pratique de la procédure civile » 2005/2006, sous la direction de Serge Guinchard, Dalloz, n° 553800 et suivants.

57•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

La solution à cette question ne s’est pas imposée avec évidence. Ainsi, sont souvent cités5 deux arrêts en sens contraires, rendus à quelques jours d’intervalle par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 1838 :

Le premier arrêt, du 17 janvier, énonce que « l’arrêt attaqué a adopté, sur ce moyen, la doctrine de l’arrêt de la Cour de cassation précité et a rejeté les moyens produits par P… sur cette question ; que, dès lors, ce dernier ne peut être recevable à présenter et faire valoir le même moyen devant la Cour ».

Le second arrêt, rendu le 21 février sur les conclusions du procureur général Dupin, retient au contraire « qu’aucune disposition législative ne s’oppose à ce qu’une partie qui a été assignée dans un précédent pourvoi comme défenderesse, se présente ensuite comme demanderesse en cassation contre l’arrêt intervenu par suite de l’arrêt de cassation rendu sur le pourvoi de l’autre partie ».

La jurisprudence s’est fixée à partir d’un arrêt rendu le 30 avril 1971 par la chambre mixte sur les conclusions du premier avocat général Lindon6, dans les termes suivants :

Que l’arrêt attaqué a été rendu sur renvoi, après annulation par la cour de cassation d’une décision… que la cour d’appel a suivi la doctrine de l’arrêt de la cour de cassation ; que le moyen se borne à reprendre les motifs de la décision annulée ; or attendu que l’article 15 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit la possibilité de saisir la cour de cassation, laquelle doit alors statuer en assemblée plénière, lorsque le deuxième arrêt rendu dans la même affaire, entre les mêmes parties procédant en la même qualité, est attaqué par les mêmes moyens ; qu’au contraire, la cour de cassation ne peut être appelée à revenir sur la doctrine affirmée en son premier arrêt lorsque la juridiction de renvoi s’y est conformée ; qu’il en résulte que n’est pas recevable le moyen par lequel il est seulement reproché à la cour de renvoi d’avoir statué en conformité de l’arrêt de cassation qui l’a saisie.

Ce n’est pas le pourvoi mais le moyen qui est déclaré irrecevable par la chambre mixte, la décision rendue par la juridiction de renvoi qui statue dans le sens de l’arrêt de cassation qui l’a saisie pouvant toujours être attaquée par d’autres moyens.

Au-delà de l’argumentation juridique exprimée dans l’arrêt, tirée d’une lecture a contrario d’un texte antérieur au code de l’organisation judiciaire, on peut se demander si la solution d’irrecevabilité du moyen qui demande à la Cour de cassation de revenir sur la doctrine qu’elle a affirmée et à laquelle s’est conformée la cour de renvoi n’a pas surtout été dictée par des raisons de bonne administration de la justice, celles-là mêmes que mettait en avant le premier avocat général qui estimait que le pourvoi était irrecevable comme tendant à un objet qui prolongerait indéfiniment le procès et qui dépouillerait de toute sécurité les justiciables.

Un commentateur de cet arrêt7 observait à cet égard : en l’absence de rébellion, on conçoit la possibilité de mettre un terme au débat ; il faut seulement constater que cela suppose un accroissement d’autorité de la Cour de cassation.

Quelque mois plus tard, par un arrêt du 12 juillet 19718, la chambre criminelle reprenait presque textuellement la solution adoptée par la chambre mixte, mais en se référant à l’article 619 du code de procédure pénale.

Postérieurement, toutes les chambres de la Cour de cassation ont adopté la même position, avec quelques variantes de rédaction9, l’énoncé du principe empruntant généralement l’une des formulations suivantes :

Le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable.

Le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué en conformité de la doctrine de l’arrêt de cassation qui l’avait saisie, est irrecevable.

Le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée, est irrecevable.

Cette solution a également reçu la consécration de l’assemblée plénière dont un arrêt du 9 juillet 1993 retient que la juridiction de renvoi s’étant conformée à l’arrêt de cassation, le moyen est irrecevable10.

Selon le professeur Molfessis11, ce ne sont pas moins de deux cents arrêts que permet de dénombrer Légifrance, en quelque vingt-cinq ans (dont plus de cinquante publiés).

La doctrine mentionne, en général sans le critiquer, le principe posé par la Cour de cassation.

5 Conclusions du premier avocat général Lindon - Ch. mixte, 30 avril 1971 - JCP 1971, II, n° 16800. Nicolas Molfessis, chronique : « Doctrine de la Cour de cassation et reconnaissance des précédents », RTD civ. 2003, p. 567.

6 Ch. mixte, Bull. 1971, Ch. mixte, n° 8, p. 9 - JCP 1971, II, n° 16800.7 Hébraud, RTD civ. 1971, p. 691.8 Bull. crim, 1971, n° 228, p. 555.9 A titre d’exemples :

Ch. mixte 22 juin 1973, Bull. 1973, Ch. mixte, n° 2, p. 3 ;1re Civ., 1er mars 1972, Bull. 1972, I, n° 68, p. 63 ; 18 mars 1986, Bull. 1986, I, n° 69, p. 66 ;2e Civ., 26 octobre 2000, Bull. 2000, II, n° 145, p. 102 ; 30 avril 2003, pourvoi n° 00-21.704 ;3e Civ., 21 juin 1978, Bull.1978, III, n° 261, p. 200 ; 8 novembre 2005, pourvoi n° 03-70.120 ;Com., 17 novembre 1980, Bull. 1980, IV, n° 376 ; 12 janvier 1988, Bull. 1988, IV, n° 12, p. 9 ; 24 octobre 1995, pourvoi 93-16.076 ; 9 juillet 2002, Bull. 2002, IV, n° 121, p. 129 ; 4 mars 2003, pourvoi 01-03.410 ;Soc., 9 avril 1987, Bull. 1987, V, n° 194, p. 125 ; 26 septembre 2002, pourvoi n° 00-40.176 ; 17 juin 2003, pourvoi n° 02-43.321 ; 7 avril 2004, Bull. 2004, V, n° 113, p. 101 ;Crim., 19 octobre 1971, Bull. crim. 1971, n° 269, p. 663 ; 8 juin 1977, Bull. crim, n° 209, p. 519 ; 15 octobre 1997, Bull. crim, n° 339, p. 1123 ; 5 octobre 2004, Bull. crim, n° 231, p. 830.

10 Bull. 1993, Ass. plén., n° 13, p. 21 - conclusions du premier avocat général Jéol.11 Voir note n° 5.

58•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

MM. Boré12 formulent l’appréciation suivante : Les procès doivent avoir une fin et il est peu satisfaisant qu’un débat de droit déjà tranché puisse être perpétuellement recommencé devant la cour suprême, à la requête de plaideurs infatigables et obstinés, pour qui les frais ne comptent pas. Il serait également fâcheux, pour la dignité de la cour régulatrice du droit, que celle-ci puisse dire deux fois le droit en sens contraire, dans le même procès. Mais il peut y avoir quelque injustice, si un revirement de jurisprudence est intervenu entre-temps, à ce que le plaideur déjà jugé ne puisse en bénéficier, en formant un pourvoi contre l’arrêt de la juridiction de renvoi. Aussi, plutôt que de fulminer une irrecevabilité dont le fondement textuel est incertain, la Cour de cassation pourrait se contenter de rejeter au fond les pourvois qui l’invitent à revenir sur sa doctrine lorsqu’elle ne le désire pas.

Il convient cependant de relever que l’arrêt « fondateur » de la chambre mixte a précisément été rendu dans une espèce où un revirement de jurisprudence s’était produit postérieurement à l’arrêt de cassation ayant saisi la juridiction de renvoi dont la décision était attaquée. Comme dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur au nouveau pourvoi se prévalait de ce revirement mais son moyen n’a pas été jugé recevable.

Le professeur Molfessis (cf. note 5), voit dans cette irrecevabilité « une manifestation de la technique du précédent ». Selon lui, toute la subtilité de la décision était dans ce jugement d’irrecevabilité. D’un côté, le défendeur ne peut que se réjouir de la cohérence d’une solution qui conduit à taire les débats en dépit du revirement de jurisprudence survenu. Où s’exprime l’idée même de sécurité juridique. De l’autre, en déclarant le moyen irrecevable, la Cour de cassation parvient à éviter l’affirmation d’une solution contraire à celle consacrée par voie de revirement. Elle esquive l’alternative diabolique, en se dérobant au jugement.

Ce sont avant tout des considérations d’ordre pratique qui sont mises en avant pour justifier le principe d’irrecevabilité posé par la Cour de cassation : mettre un terme aux procès, couper court aux manœuvres des plaideurs, éviter à la Cour de cassation le risque d’avoir à se déjuger dans un même procès, favoriser une certaine sécurité juridique.

En l’absence de disposition textuelle limitant les pourvois, on peut effectivement craindre que chacune des parties ne saisisse à tour de rôle la Cour de cassation pour lui demander de statuer dans un sens contraire à ce qu’elle a déjà jugé au profit de son adversaire et ce, pourquoi pas, même après la décision d’une cour de renvoi conforme à un arrêt de cassation de l’assemblée plénière qui l’a saisie, le demandeur au nouveau pourvoi caressant l’espoir d’un revirement à son profit. Le procès ne pourrait alors connaître son terme qu’avec le rejet du dernier pourvoi.

En limitant le débat, l’irrecevabilité du moyen critiquant une décision conforme à ce qui a été jugé dans la même affaire par la Cour de cassation est destinée à répondre aux impératifs d’une bonne administration de la justice.

L’irrecevabilité a ainsi pour effet de conférer à ce qui a été jugé par la cour de renvoi un caractère irrévocable.

L’originalité de la solution est ainsi tout entière dans le fait que la doctrine de la Cour de cassation ne devient plus contestable que lorsqu’elle a été consacrée par le juge de renvoi… C’est l’absence de rébellion qui vient ainsi clore le débat et empêcher le procès de se prolonger au fond13. Le point de droit est fixé par le premier arrêt, sous condition d’entérinement par la juridiction de renvoi14.

Dans une telle analyse, comment l’existence d’un revirement de jurisprudence postérieur à l’arrêt de cassation ayant saisi la cour de renvoi serait-elle susceptible d’avoir une incidence alors que la solution apportée à l’affaire par la cour de renvoi ne peut plus être remise en cause ? L’irrecevabilité du moyen empêche le réexamen de l’affaire. Sur ce point, le litige est irrévocablement jugé. Tel était bien le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre mixte du 30 avril 1971.

Sans revenir sur la règle admise depuis 1971, peut-on envisager d’introduire des exceptions au principe de l’irrecevabilité du moyen qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait. Autrement dit, peut-on conserver la règle jurisprudentielle de l’irrecevabilité tout en l’écartant dans certaines hypothèses à définir de façon purement prétorienne ?

Dans une telle perspective, il faudrait alors poser en principe que le moyen qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait est irrecevable sauf si… ou, à moins que…, ou encore, que ce moyen n’est recevable que si…

Sur le plan de la procédure civile, il convient d’abord de s’interroger sur la compatibilité d’une telle approche avec le régime de la fin de non-recevoir.

Définie par l’article 122 du nouveau code de procédure civile comme un moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, la fin de non-recevoir est un moyen de mettre fin à l’instance en niant l’existence même de l’action. L’irrecevabilité ne préjuge en rien du bien-fondé de la prétention.

Ainsi considérée sur le terrain du droit d’agir, hors de tout examen de la prétention au fond, la fin de non-recevoir est-elle susceptible de connaître des exceptions qui obligeraient, dans tous les cas, à un examen préalable du fond de l’affaire pour savoir si les conditions d’ouverture de cette exception sont ou non réunies ?

En outre, l’exception spécifique proposée par le mémoire ampliatif n’est pas sans soulever diverses interrogations d’ordre juridique.

12 « La cassation en matière civile », Dalloz, 3e édition, n° 133-11 et suiv.13 N. Molfessis, ibidem.14 Hébraud, cf. note 7.

59•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Le demandeur sollicite en effet le bénéfice d’un revirement de jurisprudence résultant d’un arrêt de l’assemblée plénière rendu dans une autre affaire, postérieurement à l’arrêt de cassation intervenu dans la procédure à laquelle il était partie.

Cependant, l’idée d’une application obligatoire ou automatique, à une instance en cours, d’une solution juridique dégagée par l’assemblée plénière à l’occasion d’une autre affaire, est-elle compatible avec les dispositions de l’article 638 du nouveau code de procédure civile relatives aux pouvoirs conférés au juge de renvoi (hors l’hypothèse de l’article L. 131- 4, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire devenu L. 431-4, alinéa 2) et ne se heurte-t-elle pas à la prohibition des arrêts de règlement résultant de l’article 5 du code civil ?

Ce qui est ici en débat, ce n’est pas la reconnaissance du rôle créateur de droit de la jurisprudence lorsqu’elle émane de la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, c’est l’affirmation de son caractère obligatoire pour toutes les juridictions.

Si l’on voulait développer l’idée jusqu’à son terme, ne faudrait-il pas alors créer un nouveau cas exceptionnel d’ouverture à cassation qui serait la non-conformité de la décision attaquée à la solution dégagée par l’assemblée plénière à l’occasion d’un revirement de jurisprudence intervenu dans une affaire soulevant une question identique ?

On observera également que, dans un contexte où sont mis en lumière certains effets néfastes attachés à la rétroactivité des revirements de jurisprudence et où s’est engagée une réflexion sur la modulation dans le temps des effets de ces revirements, la thèse du demandeur au pourvoi pourrait conduire à élargir le champ de l’effet rétroactif.

Enfin aucune règle de droit positif ne semble autoriser à attacher des effets juridiques différents aux revirements de jurisprudence, selon la formation de la Cour de cassation qui en est à l’origine. Sans parler des revirements éventuels des cours supra-nationales…

Par ailleurs, sur le plan de l’application du droit, la distinction avancée par le mémoire ampliatif afin de permettre, dans des situations particulières, d’écarter la fin de non-recevoir opposée au moyen, nécessite pour sa mise en œuvre la réunion de plusieurs éléments dont certains pourraient être de nature à conduire la Cour de cassation, saisie du nouveau pourvoi, à procéder à un examen approfondi du fond de l’affaire, voire des faits de l’espèce. Ainsi, pour déterminer la recevabilité du moyen, devraient notamment être appréciés :

- le caractère identique ou similaire de la question posée à la cour de renvoi et de celle tranchée par l’assemblée plénière dans une autre instance (totalement identique, identique pour partie, similaire par analogie ou selon un raisonnement a contrario…) ;

- la réalité du revirement de jurisprudence allégué (le rapport du groupe de travail sur les revirements de jurisprudence présidé par le professeur Molfessis relevait à cet égard : « il n’est pas douteux que l’identification des revirements de jurisprudence soulève de considérables difficultés ») ;

- la contrariété de la décision de la cour de renvoi à la solution résultant du revirement (totalement contraire, manifestement contraire, partiellement contraire…) ;

- les normes retenues par l’assemblée plénière à l’appui de son revirement (une norme unique, plusieurs normes combinées, une hiérarchie de normes…).

Etc.

Certaines recherches peuvent s’avérer complexes et la question peut se poser de savoir si elles entrent dans le champ de l’examen de la recevabilité d’un moyen développé à l’appui d’un pourvoi.

2) L’application à l’espèce

La première branche du moyen invite directement notre Cour à revenir sur ce qui a été jugé dans cette affaire par la cour de Toulouse le 4 octobre 2004, en conformité de l’arrêt de cassation de la chambre commerciale du 25 mars 2003 qui l’avait saisie.

Le mémoire ampliatif soutient que la règle de l’irrecevabilité du moyen, telle qu’elle résulte de notre jurisprudence, doit recevoir une exception dans l’hypothèse où un revirement de jurisprudence est intervenu entre-temps et lorsque le demandeur au pourvoi se prévaut d’une règle issue d’un Traité. Il invoque en outre le droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

On peut observer que la règle en cause a précisément été initiée à l’occasion d’un pourvoi dans lequel un demandeur se prévalait d’un revirement de jurisprudence et que les défendeurs au présent pourvoi n’ont pas invoqué « un droit acquis à une jurisprudence figée », au sens où cette expression est entendue15 mais une irrecevabilité permettant d’écarter le moyen sans examen au fond. Par ailleurs, l’interprétation de la règle interne au regard du Traité constituait l’objet du litige sur lequel la Cour de cassation et la cour de renvoi se sont prononcées dans le même sens. Enfin, les parties ont bénéficié d’un procès dont il n’est pas allégué qu’il n’aurait pas présenté les garanties exigées par la CEDH.

Le mémoire ampliatif fait en outre valoir que la seconde branche du moyen n’invite pas notre Cour à revenir sur la doctrine de l’arrêt du 23 mars 2003, cet arrêt ne s’étant nullement prononcé sur le point de savoir si le défaut d’agrément de la banque entraînait ou non la nullité du contrat de prêt, de telle sorte que cette branche du moyen serait recevable.

15 1re Civ., 21 mars 2000, Bull. 2000, I, n° 97, p. 65 ; 9 octobre 2001, Bull. 2001, I, n° 249, p. 157 ; Soc., 12 novembre 2002, pourvoi n° 00-45.414 ; 2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14.717.

60•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

Le mémoire en défense expose au contraire que si le défaut d’agrément n’avait pas été de nature à conduire à l’annulation des prêts, la chambre commerciale n’aurait pas prononcé la censure de l’arrêt de la cour de Bordeaux, la question du défaut d’agrément devenant alors surabondante.

Il sera ici précisé que le pourvoi des consorts X… porté devant la chambre commerciale invoquait un moyen unique, tiré de la violation de l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984, pour reprocher à la cour de Bordeaux d’avoir rejeté l’opposition à commandement de saisie pour nullité de l’acte de prêt et ordonné la poursuite de la procédure. L’arrêt du 25 mars 2003 retient qu’en statuant comme elle l’a fait (c’est-à-dire en rejetant les contestations des consorts X… relatives à la nullité du prêt pour défaut d’agrément de la banque, ainsi qu’il résulte de l’exposé des faits), la cour d’appel a violé ce texte.

L’assemblée plénière devra décider s’il y a lieu de revenir sur sa jurisprudence relative à l’irrecevabilité du moyen et, dans la négative, si la seconde branche du moyen est, ou non, recevable au regard de cette jurisprudence.

B. - Examen du moyen

Il n’y a pas lieu de reprendre ici la discussion ayant précédé l’adoption par l’assemblée plénière de l’arrêt du 4 mars 2005, dont les éléments ont été développés dans le rapport de M. Paloque, conseiller rapporteur de cette affaire, et les conclusions de M. de Gouttes, premier avocat général16.

Pour l’affaire qui nous occupe, il faut préciser les points suivants :

1) Par arrêt du 9 juillet 1997, la CJCE, a dit pour droit :

« Pour la période précédant l’entrée en vigueur de la deuxième Directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la Directive 77/780/CEE, l’article 59 du Traité CEE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d’obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément :

- s’impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l’Etat membre de destination ;

- soit justifié par des raisons liées à l’intérêt général telles que la protection des consommateurs ;

- et soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes ».

2) L’arrêt de la chambre commerciale rendu le 25 mars 2003 dans la présente espèce a retenu que le prêt ayant été consenti avant l’entrée en vigueur de la Directive 89/646/CEE du Conseil du 15 décembre 1989, il s’en déduisait qu’en application des articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984 devenus les articles L. 511-5 et L. 511-10 du code monétaire et financier, les établissements prêteurs devaient obtenir l’agrément imposé par les textes susvisés, pour exercer en France leur activité, fût-ce à titre occasionnel et sous forme de libre prestation de services, et que cet agrément était conforme aux trois conditions exigées, pour sa validité, par l’arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes.

3) L’arrêt de l’assemblée plénière du 4 mars 2005, rendu dans une espèce similaire :

- pose en principe que la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l’exigence d’agrément, au respect de laquelle l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier, subordonne l’exercice de son activité, n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a conclus ;

- rappelle la teneur de l’arrêt de la CJCE et approuve une cour d’appel d’avoir considéré que la législation française alors applicable, allant au-delà de ce qui était objectivement nécessaire pour protéger les intérêts qu’elle avait pour but de sauvegarder, était incompatible avec les dispositions du droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts.

Cet arrêt de l’assemblée plénière prévient le risque d’une divergence de jurisprudence entre la première chambre et la chambre commerciale quant à la sanction civile frappant les opérations effectuées par un établissement de crédit dépourvu d’agrément. Il marque en outre un revirement de jurisprudence sur l’appréciation de la conformité au droit communautaire du droit français applicable à l’époque des faits.

La doctrine s’est montrée réservée sur le refus de prononcer la nullité des contrats conclus par un établissement de crédit dépourvu d’agrément.

MM. Mestre et Fages17 s’interrogent sur la justification et la portée de cette prise de position, se déclarant fidèles à l’idée que l’agrément d’un professionnel protège aussi les intérêts particuliers de ses cocontractants.

M. Delpech18 estime que l’assemblée plénière suscite davantage d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses.

M. Bonneau19 pense qu’on peut ne pas être convaincu par le refus de l’assemblée plénière de sanctionner, par la nullité, les actes effectués en violation du monopole bancaire et qu’on ne peut pas systématiquement

16 BICC n° 621 du 15 juin 2005, p. 3 et suiv.17 RTD civ. 2005, Chroniques, p. 388.18 Dalloz 2005, sommaires commentés, p. 836.19 La semaine juridique. éd. entreprise et affaires, n° 18, mai 2005, p. 690.

61•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

écarter toute sanction civile en cas de violation d’un monopole professionnel. Il ajoute : il convient, à notre sens, d’admettre la nullité des actes conclus en violation d’un monopole si celui-ci est nécessaire à la protection de la clientèle.

M. Stoufflet20 affirme qu’il y a des raisons sérieuses de ne pas être convaincu par le refus de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de faire une place à la protection individuelle des clients dans son analyse du monopole bancaire et de sa finalité. Il relève notamment que le dispositif légal a aussi pour but d’assurer la sécurité individuelle de chacun de ceux qui font appel aux services d’un établissement de crédit déterminé.

M. Piedelièvre21 écrit de son côté : il n’est pas certain que la solution admise par l’assemblée plénière soit la meilleure. Sa formulation n’est d’ailleurs pas excellente, car elle présente une certaine ambiguïté… Il est nécessaire de protéger à la fois l’intérêt général et l’intérêt particulier du cocontractant. Le fait qu’aucun texte ne prévoit la nullité n’est pas de nature à l’empêcher d’intervenir en ce domaine.

4) La chambre commerciale a rapidement aligné sa jurisprudence sur celle de l’assemblée plénière, consacrant successivement, par deux arrêts des 7 juin 200522 et 22 novembre 200523, la solution adoptée par cette assemblée sur chacun des deux points tranchés.

5) Il en résulte que l’arrêt de la cour de Toulouse du 4 octobre 2004, aujourd’hui attaqué, se trouve en totale contradiction, sur le fond, tant avec la décision de l’assemblée plénière invoquée par le pourvoi qu’avec la jurisprudence actuelle de la chambre commerciale.

Si l’assemblée plénière décide de ne pas rejeter le moyen comme irrecevable en sa totalité, elle devra donc statuer sur celui-ci et s’interroger sur le maintien de la jurisprudence issue de son arrêt du 4 mars 2005.

20 Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2005, p. 48.21 Gazette du Palais, 5 juin 2005, p. 32.22 Com., 7 juin 2005, Bull. 2005, IV, n° 125, p. 135.23 Com., 22 novembre 2005, pourvoi n° 01-15.370.

62•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

Les deux présents pourvois posent, au-delà du problème de la recevabilité des moyens de cassation, la question de principe des effets dans le temps et du caractère éventuellement rétroactif des revirements de jurisprudence opérés par l’assemblée plénière de la cassation : doit-on admettre ou non la recevabilité du moyen invitant la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son premier arrêt lorsqu’une décision d’assemblée plénière postérieure au premier arrêt de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence ?

La question ainsi posée s’inscrit dans le cadre du débat plus général sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle nouvelle, qui a donné lieu ces derniers temps à une doctrine abondante, à un rapport d’un groupe de travail présidé par le professeur Nicolas Molfessis et à un colloque organisé par la Cour de cassation le 12 janvier 20051.

Les enjeux de ce débat sont importants car il touche tout à la fois aux principes de sécurité et de prévisibilité juridique, qui fondent la confiance légitime des justiciables, mais aussi à la mission d’unification de la jurisprudence qui appartient à l’assemblée plénière de la Cour de cassation ainsi qu’au rôle de la jurisprudence, qui doit nécessairement évoluer et s’adapter aux évolutions de la société et du droit international.

Afin de répondre à cette question de principe soulevée par les deux pourvois, il convient de procéder à une démarche en trois temps, à savoir :

I. - L’identification des points de droit à juger dans les deux affaires.

II. - La doctrine actuelle de la Cour de cassation et ses justifications.

III. - Les solutions à envisager dans ces deux affaires.

Pour ce qui concerne le rappel des faits et de la procédure, il y a lieu de se reporter à l’exposé complet qui en est fait dans le rapport du conseiller rapporteur.

** *

I. - L’identification des points de droit à juger dans les deux affaires

A. - S’agissant du pourvoi n° 05-11.966 (société « Centea » c. consorts X…) :

1. - L’arrêt attaqué est l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Toulouse du 4 octobre 2004, rendu sur renvoi après cassation (arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 mars 2003), qui a déclaré nul le prêt consenti aux consorts X… par la Banque de droit belge (HSA banque d’épargne, devenue la société Centea) au motif que cette banque n’avait pas reçu l’agrément prévu par l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984 pour effectuer des opérations de banque en France.

Cet arrêt a été rendu :

- après un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 9 juillet 1997 (SCI Parodi c/ Banque Albert de Bary, aff. C-222/95), par lequel la Cour de justice des Communautés européennes, saisie en interprétation dans le cadre d’une autre affaire, a donné son interprétation sur le problème de la compatibilité de l’obligation d’agrément bancaire avec les articles 59 et 61-2 du Traité de Rome ;

- en conformité avec l’arrêt rendu dans la présente affaire le 25 mars 2003 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a fait application de la jurisprudence ancienne de cette chambre au terme de laquelle l’établissement de crédit belge devait, pour exercer son activité en France avant l’entrée en vigueur de la Directive CE n° 89/646, obtenir l’agrément imposé par les articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984, agrément regardé alors par la chambre commerciale comme conforme aux conditions de validité exigées par la Cour de justice des Communautés européennes ;

- mais en contradiction avec un arrêt ultérieur de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 4 mars 2005, rendu dans une autre affaire similaire, qui a opéré un important revirement par rapport à la jurisprudence antérieure de la chambre commerciale en déclarant la législation française anciennement applicable en matière d’agrément bancaire incompatible avec les dispositions du droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts et qui a considéré que la seule méconnaissance de l’exigence d’agrément par l’établissement de crédit belge n’était pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il avait conclus.

2. - Le moyen du pourvoi comprend deux branches :

- selon la première branche, la cour d’appel de Toulouse aurait violé l’article 59 du Traité de Rome en décidant que l’établissement prêteur belge était tenu d’obtenir un agrément pour réaliser en France des opérations de crédit, une telle exigence constituant une restriction à la libre prestation de services incompatible avec les dispositions du droit communautaire ;

1 Cf. Rapport émis le 30 novembre 2004 à M. le premier président Canivet par le groupe de travail présidé par M. Nicolas Molfessis et Colloque de la Cour de cassation du 12 janvier 2005 : « Pour une modulation dans le temps des revirements de jurisprudence » (JCP 2005, éd. gén. 26 janvier 2005, n° 4).

Avis de M. de GouttesPremier avocat général

63•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

- selon la seconde branche, la cour d’appel de Toulouse aurait violé l’article 15 de la loi du 24 janvier 1984 (devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier) en prononçant la nullité du prêt consenti alors que la seule méconnaissance de l’exigence d’agrément n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats ainsi conclus.

3. - La question de principe essentielle et préalable à l’examen du pourvoi est celle de la recevabilité du moyen : peut-on ou non admettre la recevabilité du moyen qui reproche à la cour d’appel de renvoi d’avoir statué en conformité avec l’arrêt de cassation l’ayant saisie et dans la ligne de la jurisprudence ancienne de la chambre commerciale, mais en contradiction avec un arrêt ultérieur de l’assemblée plénière de la Cour de cassation rendu après l’arrêt de la cour de renvoi dans une affaire similaire et ayant opéré un revirement en mettant fin à la jurisprudence antérieure de la chambre commerciale ?

En d’autres termes, la question posée est celle des effets dans le temps d’un revirement de jurisprudence opéré par l’assemblée plénière la Cour de cassation : un tel revirement peut-il justifier un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’une cour d’appel de renvoi saisie d’une affaire similaire, qui a statué en conformité avec le premier arrêt de cassation l’ayant saisie, alors que la décision de revirement de l’assemblée plénière a été rendue, comme en l’espèce, après l’arrêt de la cour de renvoi ?

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’assemblée plénière déciderait de ne pas déclarer irrecevable le moyen en sa totalité qu’elle aurait à statuer sur les deux branches du moyen et à s’interroger sur le maintien de la jurisprudence issue de son arrêt du 4 mars 2005, face à l’arrêt attaqué de la cour d’appel de Toulouse qui se trouve en totale contradiction, sur le fond, tant avec la décision de l’assemblée plénière du 4 mars 2005 qu’avec la jurisprudence actuelle de la chambre commerciale.

B. - S’agissant du pourvoi n° 05-17.690 (SARL La Briocherie c. Mme X…)

1. - L’arrêt attaqué est l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Nîmes du 7 juin 2005, rendu sur renvoi après cassation (arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 1er avril 2003), qui a appliqué aux instances en cours la disposition regardée comme interprétative de la loi dite « Murcef » du 11 décembre 2001 modifiant l’article L. 145-38 du code de commerce (fixation du loyer des baux commerciaux révisés) et qui a débouté en conséquence la société « La Briocherie » de sa demande en révision du loyer commercial au motif notamment que, sous l’empire du texte applicable à l’époque, la demande en révision devait être fondée sur une modification matérielle avérée des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, laquelle n’était pas établie en l’espèce.

Cet arrêt a été rendu :

- en conformité avec l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 1er avril 2003, concernant la présente affaire, qui s’inscrivait lui-même dans la ligne de la jurisprudence d’alors de cette chambre (cf. 3e Civ., 27 février 2002, Bull. 2002, III, n° 50 et 53), au terme de laquelle la loi nouvelle « Murcef » avait un caractère interprétatif et était applicable aux instances en cours devant la Cour de cassation ;

- mais en contradiction avec les arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 janvier 2004, rendus dans une autre affaire, qui ont opéré un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure de la troisième chambre civile et qui ont exclu l’application rétroactive de la loi « Murcef » en se fondant sur les critères de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir « le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable », qui s’oppose, sauf pour « d’impérieux motifs d’intérêt général », à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice.

2. - Le moyen du pourvoi, dans une branche unique, reproche à la cour d’appel de Nîmes d’avoir débouté la société « La Briocherie » de sa demande en révision du loyer commercial en faisant application rétroactive de la loi « Murcef » en la cause alors que le litige était né avant l’entrée en vigueur de cette loi.

A l’appui de son grief de violation des articles L. 145-33, alinéa 1, et L. 145-38, alinéa 3, du code de commerce, le moyen du pourvoi sollicite le bénéfice de la jurisprudence résultant des deux arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 janvier 2004 ayant expressément écarté l’application de l’article L. 145-38 modifié aux litiges nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi « Murcef ».

Il faut souligner ici que les arrêts de l’assemblée plénière du 23 janvier 2004 sont venus s’intercaler entre l’arrêt de cassation de la troisième chambre civile du 1er avril 2003 et l’arrêt de la cour d’appel de renvoi de Nîmes du 7 juin 2005.

3. - La question de principe posée par ce pourvoi est donc celle de la recevabilité du moyen reprochant à la cour d’appel de renvoi d’avoir statué en conformité avec l’arrêt de cassation qui l’a saisie et dans la ligne de la jurisprudence antérieure de la troisième chambre civile, mais en contradiction avec un arrêt ultérieur de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, rendu entre le premier arrêt de cassation et l’arrêt de la cour d’appel de renvoi dans une affaire similaire et qui a opéré un revirement jurisprudentiel en mettant fin à la jurisprudence antérieure de la troisième chambre civile.

En d’autres termes, la question posée ici est de savoir si un revirement de jurisprudence opéré par l’assemblée plénière de la Cour de cassation s’impose à une cour d’appel de renvoi saisie d’une affaire similaire lorsque l’arrêt de l’assemblée plénière vient s’intercaler entre le premier arrêt de cassation et l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.

** *

64•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

II. - La doctrine actuelle de la cour de cassation : l’irrecevabilité du moyen reprochant a une cour d’appel de renvoi d’avoir statué en conformité avec l’arrêt de cassation qui l’a saisie

Depuis un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 30 avril 19712, il est de jurisprudence constante qu’est irrecevable le moyen qui reproche à une cour d’appel de renvoi d’avoir statué en conformité avec l’arrêt de cassation l’ayant saisie.

A. - Cette solution ne s’est cependant pas imposée avec évidence3 :

1. - Au regard des textes, d’une part, il faut rappeler que lorsqu’un arrêt de cassation émane d’une chambre de la Cour de cassation ou d’une chambre mixte, la juridiction de renvoi conserve son entière liberté de décision et n’est pas tenue de se conformer à la décision de la Cour de cassation sur le point de droit qui a fait l’objet de la censure : cette « plénitude de juridiction » de la juridiction de renvoi est consacrée par l’article 638 du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel « l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation »4.

Si la juridiction de renvoi résiste à la solution donnée par un premier arrêt de cassation et si la décision de cette juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens, l’article L. 131-2, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire oblige à renvoyer l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Dans ce cas, lorsqu’une nouvelle cassation est prononcée, l’article L. 131-4, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire dispose que la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de l’assemblée plénière sur les points de droit jugés par celle-ci.

Mais aucun texte ne règle le sort du pourvoi formé contre la décision de la cour de renvoi lorsque celle-ci fait sienne l’analyse juridique de l’arrêt de cassation qui l’a saisie et s’y conforme alors qu’un revirement de jurisprudence ultérieur a été opéré par un arrêt de l’assemblée plénière, rendu dans le cadre d’un nouveau pourvoi formé par une autre partie.

2. - Au regard de la jurisprudence, d’autre part, des hésitations s’étaient manifestées à l’origine, ainsi que le révèlent deux arrêts en sens contraire rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 1835 :

- le premier arrêt, en date du 17 janvier 18355, énonçait que « l’arrêt attaqué avait adopté, sur le moyen, la doctrine de l’arrêt de la Cour de cassation et avait rejeté les moyens produits sur cette question ; que, dès lors, le demandeur n’était pas recevable à présenter et faire valoir le même moyen devant la Cour ».

- mais le second arrêt, en date du 21 février 18356, sous la présidence de Portalis et sur les conclusions du procureur général Dupin, retenait au contraire qu’aucune disposition législative ne s’oppose à ce qu’une partie qui a été assignée dans un précédent pourvoi comme défenderesse se présente ensuite comme demanderesse en cassation contre l’arrêt intervenu par suite de l’arrêt de cassation rendu sur le pourvoi de l’autre partie.

B. - Il a fallu attendre l’arrêt rendu le 30 avril 1971 par la chambre mixte de la Cour de cassation, sur les conclusions du premier avocat général Lindon, pour que la jurisprudence se fixe en la matière.

Les attendus de cet arrêt méritent d’être cités ici :

« Attendu que l’arrêt attaqué a été rendu sur renvoi, après annulation par la Cour de cassation d’une décision… ; que la cour d’appel a suivi la doctrine de l’arrêt de la Cour de cassation ; que le moyen se borne à reprendre les motifs de la décision annulée ;

Or attendu que l’article 15 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit la possibilité de saisir la Cour de cassation, laquelle doit alors statuer en assemblée plénière lorsque le deuxième arrêt, rendu dans la même affaire entre les mêmes parties procédant en la même qualité, est attaqué par les mêmes moyens ;

Qu’au contraire, la Cour de cassation ne peut être appelée à revenir sur la doctrine affirmée en son premier arrêt lorsque la juridiction de renvoi s’y est confirmée ;

Qu’il en résulte que n’est pas recevable le moyen par lequel il est seulement reproché à la cour de renvoi d’avoir statué en conformité de l’arrêt de cassation qui l’a saisie ».

Ainsi, comme on le voit, ce n’est pas le pourvoi lui-même mais le moyen qui est déclaré irrecevable par la chambre mixte, la décision rendue par la juridiction de renvoi qui statue dans le sens de l’arrêt de cassation l’ayant saisie pouvant toujours être attaquée par d’autres moyens qui n’ont pas été examinés ou qui concernent des points de droit nouveaux abordés par la cour de renvoi7.

2 Cf. Ch. mixte, 30 avril 1971, Bull. 1971, Ch. mixte, n° 8, p. 9, concl. Lindon, JCP 1971, II, 16800 et RTD civ. 1971, observ. Hebraud.

3 Cf. P. Hebraud, RTD civ. 1971, p. 692.4 Cf. « Droit et pratique de la procédure civile » 2005/2006, sous la direction de Serge Guinchard, Dalloz n° 553800 et suiv. et

« Droit judiciaire privé » de Loïc Cadiet, Litec 3e éd. n° 1992, p. 849.5 Cf. Crim., 17 janvier 1935 - Rép. Dalloz, 1847, V cassation n° 126.6 Cf. Crim., 21 février 1835 - Sirey 1835, I, 307.7 Cf. 2e Civ., 25 octobre 1973, Bull. 1973, II, n° 275, p. 220 et 1re Civ., 22 novembre 1977, Bull. 1977, I, n° 427, p. 339.

65•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

C. - Depuis l’arrêt de la chambre mixte du 30 avril 1971, cette même solution a été constamment appliquée par la Cour de cassation8

Ainsi, quelques mois plus tard, la chambre criminelle, dans un arrêt du 12 juillet 19719, a repris presque textuellement la solution adoptée par la chambre mixte, mais en se référant à l’article 619 du code de procédure pénale.

Postérieurement, toutes les chambres de la Cour de cassation ont adopté la même solution, avec quelques variantes de rédaction, en empruntant généralement, comme énoncé du principe, l’une des formulations suivantes :

« Le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable »,

ou : « Le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué en conformité de la doctrine de l’arrêt de cassation qui l’avait saisie, est irrecevable » ;

ou : « Le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s’y est conformée, est irrecevable » ;

Cette même solution a reçu la consécration de l’assemblée plénière dans un arrêt du 9 juillet 199310, qui a retenu que « la juridiction de renvoi s’étant conformé à l’arrêt de cassation, le moyen est irrecevable ».

Selon le professeur Molfessis11, ce ne sont pas moins de 200 arrêts similaires qu’a dénombré Légifrance en quelque 25 ans, dont plus de 50 publiés.

D. - Les justifications de cette jurisprudence sont de deux ordres

1. - Au plan de l’argumentation juridique, l’arrêt de la chambre mixte de 1971 s’est fondé sur une lecture a contrario d’un texte antérieur au code de l’organisation judiciaire : l’article 15 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit la possibilité de saisine de l’assemblée plénière lorsque le deuxième arrêt rendu dans la même affaire et entre les mêmes parties procédant en la même qualité est attaqué par les mêmes moyens. Il en est déduit, a contrario, que la Cour de cassation ne peut pas être appelée à revenir sur la doctrine affirmée en son premier arrêt lorsque la juridiction de renvoi s’y est conformée.

Cette argumentation juridique n’est cependant pas à elle seule suffisante : le fait que soit prévue la saisine de l’assemblée plénière lorsque la cour d’appel de renvoi refuse de s’incliner12 n’exclut pas nécessairement la possibilité d’examiner un pourvoi frappant un arrêt s’inclinant devant la Cour de cassation. Il ne découle pas, en effet, de la lettre des textes que le réexamen d’une affaire soit limité à l’hypothèse d’un conflit entre le juge de cassation et le juge de renvoi. Admettre l’irrecevabilité peut laisser entendre que la solution retenue par la Cour de cassation devient une doctrine incontestable dès lors que la cour de renvoi choisit de s’incliner. Pourtant, techniquement parlant, le premier arrêt de cassation n’est pas revêtu d’une autorité de chose jugée empêchant sa remise en cause puisque les juges de renvoi ont la faculté de se rebeller13. Il faudrait dès lors considérer, pour justifier l’irrecevabilité, que c’est l’arrêt de renvoi qui donne sa pleine force juridique à la « doctrine » de la Cour de cassation qu’il choisit d’adopter. Mais cette aptitude des juges de renvoi à attribuer à la décision de la Cour de cassation une « puissance doctrinale définitive »14 ne s’impose pas en elle-même.

2. - En réalité, au-delà de cette argumentation juridique, il apparaît que ce sont surtout des motifs de politique judiciaire tenant à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice qui ont inspiré la solution d’irrecevabilité du moyen demandant à la Cour de cassation de revenir sur la doctrine qu’elle a affirmée et à laquelle s’est conformée la cour de renvoi.

Ce sont précisément ces raisons qu’avaient mises en avant le premier avocat général Lindon lui-même dans ses conclusions :

- d’une part, faisait-il observer, la raison puissante tirée des droits des parties doit dicter cette solution : « si un tribunal ou une cour d’appel a jugé un point de droit au cours d’un même procès entre primus et secondus dans un certain sens, la même juridiction ne pourra, dans le même litige, juger sur ce même point de droit dans un sens contraire. C’est là une règle établie pour assurer aux justiciables la sécurité dont ils ont besoin et ne pas prolonger indéfiniment le procès ».

En d’autres termes, la Cour de cassation ne peut se déjuger dans la même affaire et « donner raison à l’un pour lui donner tort ensuite » ;

8 Cf. 1re Civ., 1er mars 1972, Bull. 1972, I, n° 68, p. 55, JCP G 1973, II, 17311, obs. J.P., D. 1973 jur. p. 57, note Besson, RTD civ 1973, p. 157 obs. Hébraud ; Ch. mixte, 22 juin 1973, Bull. 1973, Ch. mixte n° 2, p. 3 ; Crim., 8 juin 1977, Bull. crim, n° 209, p. 519 ; 3e Civ., 21 juin 1978, Bull. 1978, III, n° 261, p. 200 ; Com., 17 novembre 1980, Bull. 1980, IV, n° 376, p. 303 ; 1re Civ., 18 mars 1986, Bull. 1986, I, n° 69, p. 66 ; Soc., 9 avril 1987, Bull. 1987, V, n° 194, p. 125 ; Com., 12 janvier 1988, Bull. 1988, IV, n° 12, p. 9 ; Crim., 15 octobre 1997, Bull. crim. 1997, n° 339, p. 1123 ; 2e Civ., 26 octobre 2000, Bull. 2000, II, n° 145, p. 102 ; Com., « Chronopost », 9 Juillet 2002, Bull. 2002, IV, n° 121, p. 129, RTD civ. 2003, p. 567, obs. N. Molfessis ; Soc., 7 avril 2004, Bull. 2004, V, n° 113, p. 101 ; Crim., 5 octobre 2004, Bull. crim. 2004, n° 231, p. 830 ; 3e Civ., 8 novembre 2005, pourvoi n° 03-70.120 ; Ass. plén., 9 juillet 1993, Bull.1993, Ass. plén., n° 13, p. 21, D. 1993 jur. p. 469, JCP G 1993, II, 22122, concl. Jéol, note Pollaud-Dulian, etc.

9 Cf. Crim., 12 juillet 1971, Bull. crim., n° 228, p. 555.10 Cf. Assemblée plénière, 9 juillet 1993, Bull. 1993, Ass. plén., n° 13, p. 21, conclusions du premier avocat général Michel Jéol.11 Cf. Nicolas Molfessis, chron. : « Doctrine de la Cour de cassation et reconnaissance des précédents » RTD civ. 2003, p. 567.12 Le renvoi devant l’assemblée plénière doit être ordonné « lorsque, après cassation d’un premier arrêt ou jugement, la décision

rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens » (article L. 131-2 du code de l’organisation judiciaire).13 On estime généralement qu’une première cassation n’exerce sur la juridiction de renvoi qu’une « autorité de fait » (cf. F. Rigaux :

« La nature du contrôle de la Cour de cassation », Bruylant, 1966, n° 72, p. 106).14 Cf. N. Molfessis, observ. sous Com., 9 juillet 2002, RTD civ. 2003, p. 569.

66•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

- d’autre part, soulignait-il, il y va de la garantie d’une bonne administration de la justice : « Si vous admettez la recevabilité du moyen (…), déclarait-il, ce n’est pas une porte que vous ouvrirez, mais une écluse (…). Avec tous ces plaideurs que n’effraient ni la longueur ni le coût des procès, les procès prendront l’allure de ces matchs de tennis qui se jouent en cinq sets (…). Les procès seront marqués du signe de l’incertitude jusqu’à votre décision ; ils dureront entre huit et dix ans ; et enfin votre Cour verra augmenter de je ne sais quel pourcentage et de façon stérile le nombre des pourvois ; car vous vous exposerez à juger deux fois ou trois toutes les affaires dans lesquelles l’une des parties est l’un de ces organismes qu’on appelle à la Bourse « établissements institutionnels » et qu’on peut appeler au palais les plaideurs de main-morte ».

3. - Par ailleurs, au regard du délicat problème de l’application dans le temps des revirements de jurisprudence, il faut souligner que la solution de l’irrecevabilité offre l’avantage d’éluder la question très controversée de la rétroactivité des effets de changements de jurisprudence, en permettant d’éviter une application de la nouvelle jurisprudence aux « instances en cours », avec les inconvénients de la rétroactivité qui ont été bien analysés dans le rapport du groupe de travail présidé par le professeur Molfessis, déjà cité15.

Comme le relève ici le mémoire en défense en faveur des consorts X… (pourvoi n° 05-11.966), il est critiquable que le bénéficiaire d’une cassation puisse se voir opposer une nouvelle doctrine de la Cour de cassation qui a été consacrée postérieurement au dépôt du pourvoi, lequel était techniquement irrecevable au moment de sa formation ; le plaideur en cassation a droit à ce que sa cause soit jugée avec un minimum de stabilité des règles gouvernant son litige.

C’est ce qu’a rappelé aussi le Conseil d’Etat dans son rapport public de 200616, en soulignant que le principe de confiance légitime impose de ne pas tromper la confiance que les administrés ont pu, de manière légitime et fondée, placer dans la stabilité d’une situation juridique, en modifiant trop brutalement les règles de droit.

Il s’agit là d’une application des principes de sécurité juridique, de prééminence du droit et de la garantie du procès équitable consacrés par la Convention et la Cour européenne des droits de l’homme.

4. - Quant à la doctrine, elle a approuvé, dans sa majorité, la jurisprudence constante instaurée depuis l’arrêt de 1971.

Ainsi, le professeur Pierre Hébraud, commentant l’arrêt de la chambre mixte du 30 avril 197117, observait que « en l’absence de rébellion, on conçoit la possibilité de mettre un terme au débat » tout en constatant que « cela suppose un accroissement de l’autorité de la Cour de cassation (…). La solution de l’irrecevabilité, dispensant de choisir, permet à la fois de laisser au plaideur le bénéfice de la situation acquise et d’éviter de caractériser une divergence de jurisprudence » (…). Ainsi, ajoutait-il, « par une sorte de choc en retour, la fréquence croissante des revirements de jurisprudence suscite un moyen de s’en préserver ».

De son côté, M. Molfessis18 estime que cette solution de l’irrecevabilité est « une manifestation de la technique du précédent… Toute la subtilité de la décision est dans ce jugement d’irrecevabilité. D’un côté, le défendeur ne peut que se réjouir de la cohérence d’une solution qui conduit à taire les débats en dépit du revirement de jurisprudence survenu. Où s’exprime l’idée même de sécurité juridique. De l’autre, en déclarant le moyen irrecevable, la Cour de cassation parvient à éviter l’affirmation d’une solution contraire à celle consacrée par voie de revirement. Elle esquive l’alternative diabolique, en se dérobant au jugement » et sans avoir à se prononcer sur l’application dans le temps d’une jurisprudence nouvelle.

Quant à MM. Jacques et Louis Boré19, ils relèvent que « les procès doivent avoir une fin et qu’il est peu satisfaisant qu’un débat de droit déjà tranché puisse être perpétuellement recommencé devant la Cour suprême, à la requête de plaideurs infatigables et obstinés pour qui les frais ne comptent pas. Il serait également fâcheux, pour la dignité de la Cour régulatrice du droit, que celle-ci puisse dire deux fois le droit en sens contraire dans le même procès ».

Les mêmes auteurs ajoutent toutefois : « Mais il peut y avoir quelque injustice, si un revirement de jurisprudence est intervenu entre temps, à ce que le plaideur déjà jugé ne puisse en bénéficier, en formant un pourvoi contre l’arrêt de la juridiction de renvoi. Aussi, plutôt que de fulminer une irrecevabilité dont le fondement textuel est incertain, la Cour de cassation pourrait aussi se contenter de rejeter au fond les pourvois qui l’invitent à revenir sur sa doctrine lorsqu’elle ne le désire pas ».

Comme on le voit, ce sont avant tout des considérations d’ordre pratique qui sont mises en avant pour justifier le principe d’irrecevabilité posé par la Cour de cassation : il s’agit de mettre un terme au procès, de couper court aux manœuvres des plaideurs, d’éviter à la Cour de cassation le risque d’avoir à se déjuger dans un même procès et de favoriser une certaine sécurité juridique. L’irrecevabilité « a le mérite de désencombrer les rôles de la Cour de cassation, d’accroître l’autorité des arrêts de cassation et d’empêcher la prolongation du litige »20.

La conséquence de cette irrecevabilité, comme l’ont relevé notamment les professeurs Hébraud et Molfessis, est de conférer à ce qui a été jugé par cour de renvoi un caractère irrévocable.

15 Cf. Rapport du groupe de travail sur les revirements de jurisprudence du 30 novembre 2004, p. 16 et suiv. Voir aussi Patrick Morvan : « Le revirement de jurisprudence pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n° 4, p. 247 et suiv.

16 Cf. Conseil d’Etat : « Sécurité juridique et complexité du droit », Rapport public 2006, la Documentation française, Etudes et documents, n° 57, p. 283.

17 Cf. Pierre Hebraud, RTD. Civ. 1971, p. 691.18 Cf. Nicolas Molfessis, Chron. RTD. Civ. 2003, p. 567.19 Cf. J. et L. Boré : « La cassation en matière civile », Dalloz, 3e éd. n° 133 - n°11 et suiv.20 Cf. Note J.P. sous 1re Civ., 1er mars 1972, JCP 1973, II,1731.

67•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Pour le professeur Hebraud21 « le point de droit est fixé par le premier arrêt, sous condition d’entérinement par la juridiction de renvoi ».

Pour le professeur Molfessis, « l’originalité de cette solution est ainsi toute entière dans le fait que la doctrine de la Cour de cassation ne devient plus contestable que lorsqu’elle a été consacrée par le juge de renvoi… C’est l’absence de rébellion qui vient ainsi clore le débat et empêcher le procès de se prolonger au fond ».

Le paradoxe de cette situation est que c’est l’arrêt de renvoi qui, en quelque sorte, donne sa pleine force juridique à la « doctrine » de la Cour de cassation qu’il choisit d’adopter. Une telle aptitude des juges de renvoi à attribuer à la décision de la Cour de cassation une « puissance doctrinale définitive »22 peut, il est vrai, prêter à discussion.

** *

III. - Les solutions à envisager dans les présentes affaires

A. - Le problème préalable de l’écran de la fin de non-recevoir

La question initiale qui se pose est de savoir si l’irrecevabilité du moyen affirmée depuis l’arrêt de la chambre mixte de 1971 doit être analysée comme une fin de non-recevoir qui ferait obstacle à tout autre examen, conformément à l’article 122 du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

La particularité de la fin de non-recevoir est en effet d’être préalable à l’examen au fond : si elle est « reçue », le fond ne peut être abordé.

Mais, dans notre cas, il faut se demander précisément si l’irrecevabilité peut être « reçue » indistinctement, comme l’avait affirmé la chambre mixte en 1971.

On peut en douter pour plusieurs raisons :

a) d’une part, cette irrecevabilité ne résulte d’aucun texte : comme on le sait, il n’y a pas de disposition qui règle le sort du pourvoi formé contre la décision de la cour de renvoi lorsque celle-ci se conforme à l’analyse juridique de l’arrêt de cassation l’ayant saisie, l’article L. 131-2 du code de l’organisation judiciaire ne visant que le cas où la juridiction de renvoi résiste à la solution donnée par un premier arrêt de cassation. L’on est donc en présence d’une irrecevabilité instituée de façon prétorienne et d’une construction purement jurisprudentielle ;

b) d’autre part, cette irrecevabilité n’est pas fondée sur l’autorité de la chose jugée : le premier arrêt de cassation n’est pas revêtu d’une autorité de chose jugée qui empêcherait sa remise en cause puisque les juges de renvoi ont la faculté de se rebeller ;

c) enfin, le verrou ou l’écran procédural que représente l’irrecevabilité peut-il résister à l’application d’une norme supérieure d’effet direct lorsque le revirement de l’assemblée plénière est fondé sur une telle norme ? C’est ce que nous aurons également à déterminer.

Il apparaît dès lors qu’il faut, à tout le moins, « moduler » le régime de l’irrecevabilité.

Cette modulation pourra être regardée, selon son étendue, soit comme un simple aménagement du régime de l’irrecevabilité, par l’introduction de conditions dans l’exercice de la fin de non-recevoir elle-même, soit comme une véritable suppression de l’irrecevabilité de principe affirmée depuis 1971.

** *

B. - La recherche de critères a introduire dans le régime de l’irrecevabilité

Un premier élément est évidemment à prendre en considération : l’identité ou la similitude nécessaires de la question posée à la cour de renvoi et de celle tranchée par l’assemblée plénière dans une autre instance. Cette question n’aura pas à être abordée ici puisque cette similitude n’est pas discutée dans les deux affaires en cause.

Hormis ce premier élément, quatre critères principaux me semblent devoir être pris en considération :

- la date du revirement de jurisprudence ;

- le niveau de la formation de la Cour de cassation qui a rendu l’arrêt de revirement ;

- la hiérarchie ou le niveau des normes applicables au litige ;

- le caractère effectif ou non de l’effet rétroactif du revirement à l’égard des parties.

21 Cf. P. Hébraud, RTD. civ. 1971, p. 691.22 Cf. M. Molfessis, chron. RTD. civ. 2003, p. 569.

68•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

1. - Le critère de la date du revirement de jurisprudence

Dès l’abord, une première distinction semble devoir être opérée en fonction de la date à laquelle est intervenu l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière :

a) Soit l’arrêt de revirement s’est intercalé entre le premier arrêt de cassation et l’arrêt de la cour d’appel de renvoi. Il a été rendu après le premier arrêt de cassation, mais avant l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.

Dans ce cas, la cour d’appel de renvoi, au moment où elle a statué, pouvait et devait savoir qu’elle consacrait une position qui, pour être celle du premier arrêt de cassation, n’en avait pas moins été désavouée par l’assemblée plénière dans un arrêt de principe.

Peut-on dès lors considérer que la cour de renvoi a rendu un arrêt inattaquable ?

Certes, à ce stade, la cour d’appel de renvoi avait la faculté, comme on le sait, de se rebeller contre la doctrine résultant de l’arrêt de l’assemblée plénière.

Certes, en toute rigueur, l’arrêt de l’assemblée plénière ne mettait un terme qu’au seul litige qu’il tranchait.

Certes, enfin, accueillir le pourvoi revient à placer la Cour de cassation dans le dilemme délicat entre l’application - rétroactive - du revirement ou le maintien d’une solution qui n’est plus conforme à sa jurisprudence, ce que permettrait d’éviter précisément la solution de l’irrecevabilité.

Mais l’arrêt de revirement d’assemblée plénière fixe cependant, une fois pour toute, le point de droit en cause, conformément à la mission d’unification de la jurisprudence dévolue à la Cour de cassation ; il est revêtu d’une autorité telle qu’il modifie l’état de droit.

Dès lors, la cour d’appel de renvoi, statuant après l’intervention de cet arrêt, ne peut ignorer cette modification, dotée d’une autorité normative particulière puisqu’elle émane de la plus haute formation de la Cour de cassation.

Dans un pareil contexte, la recevabilité du pourvoi est compatible avec le « principe de sécurité juridique » qui implique, comme le rappelle le professeur Molfessis23, « que les citoyens soient en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables », compte-tenu également des évolutions raisonnablement prévisibles de la jurisprudence24.

Si, en effet, une juridiction supérieure est intervenue pour clarifier définitivement un point de droit donné, il est difficilement concevable qu’une juridiction inférieure statue postérieurement en un sens opposé sans que son arrêt puisse être contesté. Il convient alors de garantir aux justiciables un accès au droit effectif.

Sans doute l’admission de la recevabilité du pourvoi ouvre-t-elle la porte à de nouveaux recours.

Mais une telle solution pourrait rester circonscrite à l’hypothèse particulière d’un revirement intervenu antérieurement à la décision de la cour d’appel de renvoi et être en principe écartée lorsque le revirement intervient postérieurement à une décision de renvoi appliquant la doctrine de l’arrêt de cassation ;

b) Soit l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière intervient après l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.

Dans ce cas, la cour d’appel de renvoi, au moment où elle a statué, ignorait le revirement de jurisprudence qui allait être opéré quelques temps plus tard par l’assemblée plénière dans une affaire similaire.

En acceptant, parce qu’un revirement est intervenu postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de renvoi, d’examiner au fond le moyen du pourvoi, on ouvre la porte sur une délicate alternative, consistant :

- soit à confirmer l’arrêt de la cour de renvoi, nonobstant la position adoptée par l’assemblée plénière, ce qui reviendrait à négliger le revirement, donc à introduire une incohérence dans la jurisprudence de la Cour de cassation, sauf à tenter ici l’ébauche d’un « droit transitoire des revirements de jurisprudence » qui exclurait l’application d’une nouvelle règle jurisprudentielle aux affaires ayant antérieurement donné lieu à cassation et renvoi ;

- soit à casser l’arrêt de la cour de renvoi pour tenir compte du revirement, ce qui reviendrait à donner raison à la partie à qui l’on avait antérieurement donné tort (et réciproquement) mais aussi à sanctionner les juges d’appel pour n’avoir pas tenu compte d’une jurisprudence qui n’existait pas au moment où ils ont statué.

L’avantage de la solution de l’irrecevabilité du moyen serait évidemment de permettre d’éviter ce dilemme.

2. - Le critère du niveau de la formation de la cour de cassation qui a rendu l’arrêt de revirement

Le fait que le revirement de jurisprudence émane d’un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation et non pas d’un arrêt d’une chambre de cette cour paraît devoir aussi être pris en considération : l’assemblée plénière a pour mission l’unification de la jurisprudence dévolue à la Cour de cassation ; ses arrêts de principe fixent le point de droit en cause et sont revêtus d’une autorité particulière qui modifie l’état de droit. Il existe indéniablement une force normative spécifique attachée aux décisions de la plus haute formation de la Cour de cassation.

La conséquence que l’on peut en tirer est qu’une cour d’appel de renvoi ne devrait pas consacrer une position qui a été désavouée par l’assemblée plénière, spécialement lorsque l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière s’est intercalé entre le premier arrêt de cassation et l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.

Si la cour d’appel de renvoi se comporte de la sorte, il est normal qu’un pourvoi soit formé contre son arrêt et il serait également normal que l’assemblée plénière, au lieu d’opposer une irrecevabilité, puisse examiner au fond le pourvoi pour réaffirmer sa jurisprudence unificatrice.

23 Cf. N. Molfessis : « Les revirements de jurisprudence », rapport remis à M. le premier président Canivet, Litec 2005.24 Cf. en ce sens : 1re Civ., 7 mars 2006 - D. 2006, n° 42 p. 2894 et suiv.

69•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

Toutefois, dès lors que cette solution est liée à la mission spécifique de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, il n’y a pas lieu, me semble-t-il, de l’étendre au cas où les revirements sont le fait d’une chambre de la Cour de cassation - que ce soit la chambre qui a précédemment statué ou une autre chambre - compte tenu, par ailleurs, de l’existence de la procédure de renvoi en chambre mixte prévue par l’article L. 131-2, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire.

3. - Le critère de la hiérarchie des normes applicables

Un autre critère, sans doute déterminant, qui est à prendre en considération ici est celui du niveau de la norme sur laquelle s’est fondé l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière : s’il s’agit d’un texte international ou d’une norme internationale supérieure ayant primauté sur le droit interne et d’applicabilité directe, comme la Convention européenne des droits de l’homme ou le droit communautaire, l’obligation pour les juridictions françaises de se soumettre aux exigences de la Convention de Strasbourg ou du Traité CEE, sous le contrôle effectif de juridictions supranationales, constituent des arguments très importants en faveur de la recevabilité du moyen invitant la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt dès lors que l’arrêt de revirement ultérieur de l’assemblée plénière s’est fondé sur de telles normes supérieures.

A défaut, le risque serait de voir la responsabilité de l’Etat susceptible d’être engagée pour violation par la Cour de cassation du droit communautaire ou de la Convention européenne des droits de l’homme, comme nous le préciserons plus loin25, ou même sur le fondement de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire.

Or l’examen de la jurisprudence montre qu’au contraire, la Cour de cassation n’a pas hésité dans le passé à déclarer plusieurs fois irrecevables des moyens qui l’invitaient à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors pourtant que ces moyens invoquaient l’application de normes internationales, qu’il s’agisse de la Convention européenne des droits de l’homme26 ou du droit communautaire27.

L’admission de la recevabilité du moyen impliquera cependant que l’on vérifie aussi que l’arrêt de revirement fondé sur la supériorité de la norme internationale n’a pas pour effet de faire rétroagir le changement de jurisprudence sur un acte ou un fait passé qui était soumis, à l’époque de sa réalisation, à une jurisprudence substantiellement différente. En ce cas, en effet, on risquerait d’entrer en conflit avec une autre norme internationale, à savoir le principe de prévisibilité, de sécurité juridique et de prééminence du droit, ainsi que le droit à un procès équitable, tels qu’ils ont été consacrés par la Cour européenne des droits de l’homme28 comme par la Cour de justice des Communautés européennes29. La Cour de cassation elle-même a fait application de ces principes, par exemple pour mieux encadrer les lois de validation30, mais aussi, dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004, pour permettre une modulation dans le temps de la rétroactivité d’une jurisprudence nouvelle31.

Il y a lieu de rappeler que ces principes impliquent notamment qu’il soit donné « à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire »32, ou encore qu’il soit « possible au requérant de prévoir le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation et de savoir qu’au moment où il les a commis, ses actes pouvaient entraîner une sanction », une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible étant nécessaire au minimum33.

En d’autres termes, une approche combinatoire des effets des normes internationales en concours peut être aussi nécessaire.

25 Cf. notamment les arrêts de la CJCE « X… » du 30 septembre 2003 (aff. C-224/01) et « Traghetti del Mediterraneo » du 13 juin 2006.

26 Cf. pour l’application de la CEDH :- en matière civile : Soc., 4 octobre 2001 (pourvoi n° 99-21.231) ; 10 décembre 2002 (pourvoi n° 00-41.722) ; 2e Civ., 23 septembre 2004 (pourvoi n° 02-21.193) ;- en matière pénale : Crim., 24 mai 2000 (pourvoi n° 99-84.668) ; 21 juin 2000 (pourvoi n° 99-86.487) ; 4 septembre 2002 (pourvoi n° 01-87.143).

27 Cf. pour l’application du droit communautaire :- en matière civile : Soc., 4 mai 1999 (pourvoi n° 96-44.567) ; 20 octobre 2004 (pourvoi n° 02-46.655) ;- en matière pénale : Crim., 27 avril 2000 (pourvoi n° 99-83.500) ; 24 mai 2000 (pourvoi n° 99-84.668) ; 10 janvier 2001 (pourvoi n° 00-80.072).

28 Arrêts « X… c/ Belgique », du 13 juin 1979 (requête n° 6833/74) ; « X… c/ Belgique » du 29 novembre 1991 (requête n° 12849/87) ; « X… et autres c/ France » du 28 octobre 1999 (requêtes n° 24846/94, 34165/96 et 34173/96) ; « X… c/ Grèce » du 28 mars 2000 (requête n° 41209/98).La Cour européenne module cependant la prévisibilité en fonction de la nature de la norme en cause, de son importance et de la qualité des justiciables, en considérant, par une approche pragmatique, que la prévisibilité ne peut pas faire obstacle à l’évolution du système juridique et qu’un revirement de jurisprudence opéré par la Cour suprême d’un Etat ne saurait constituer en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

29 Cf. CJCE, arrêt « X… c. Sabena » (aff. C-43-75) du 8 avril 1976, dans lequel la Cour de Luxembourg a justifié la non-rétroactivité par un examen des conséquences que pouvait avoir l’arrêt (« conséquences impérieuses de sécurité juridique, tenant à l’ensemble des intérêts en jeu »).

30 Cf. Assemblée plénière, 24 janvier 2003 (dite loi « Aubry II », Bull. 2003, Ass. plén., n° 3, p. 4) ; Soc., 24 avril 2001, Bull. 2001, V, n° 130, p. 101 ; 31 mars 2003 (pourvoi n° 01-21.390) ; 2 avril 2003 (pourvoi n° 01-40.422) ; 1re Civ., 29 avril 2003 (Dalloz 2003, AJ, 1435).

31 Dans l’arrêt du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, II, n° 387, p. 323), concernant un revirement portant sur le point de départ de la prescription d’une action en matière de presse, la deuxième chambre civile a écarté l’application de la nouvelle règle à l’égard de l’affaire qui avait suscité le revirement, en retenant que « si c’est à tort qu’une cour d’appel a décidé que le demandeur n’avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l’action engagée sur ce fondement, la censure de sa décision n’est cependant pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle nouvelle de prescription dans l’instance en cours, à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

32 Cf. CEDH : arrêts des 27 octobre 1993 et 22 octobre 1997 (« X… c. Grèce », req. n° 24628/94).33 Cf. en matière pénale : arrêt de la CEDH « X… c/ France » du 10 octobre 2006 (Req. n° 40403/02).

70•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

4. - Le critère du caractère effectif ou non de l’effet rétroactif du revirement à l’égard des parties :

Il y a lieu de se référer à cet égard aux critères mis en avant par le rapport du groupe de travail présidé par le professeur Molfessis et par d’autres auteurs34, qui font observer que si tous les revirements de jurisprudence se saisissent par hypothèse de faits antérieurs, tous ne déjouent pas à l’identique les anticipations des justiciables. Le seul fait que le revirement produise son effet sur « une affaire en cours » ne signifie pas nécessairement qu’il produise un effet réellement rétroactif.

En transposant les distinctions opérées par le doyen Bach à propos de l’application dans le temps des « lois »35, il est possible en effet de distinguer, du point de vue des conséquences d’un revirement de jurisprudence sur une « affaire en cours », entre deux catégories d’arrêts de revirement : ceux qui produisent un effet rétroactif effectif et ceux qui n’en produisent pas :

- si le revirement consiste à appliquer un régime substantiel nouveau à un acte ou un fait passé, ce régime étant différent de celui qui était applicable lors de la réalisation de cet acte ou lors de la survenance de ce fait, ce revirement déjoue les prévisions des parties et trompe, en quelque sorte, le justiciable sur la solution à laquelle il pouvait croire, son comportement ayant été ou ayant pu être orienté par la solution que le revirement entend abandonner. Un tel revirement a un effet rétroactif préjudiciable ;

- en revanche, si la jurisprudence nouvelle résultant du revirement consiste à appliquer un régime nouveau à une situation en cours ayant pris naissance dans le passé mais sans sanctionner différemment la survenance d’un acte ou d’un fait passé ou sans remettre en cause les conditions initiales de conclusion d’un contrat, le revirement ne peut se voir reprocher son caractère rétroactif.

Le rapport du groupe de travail présidé par le professeur Molfessis fournit en ce sens plusieurs exemples de revirements sans rétroactivité préjudiciable : tels ceux qui visent à améliorer, en la modifiant, la situation juridique des justiciables sans préjudice pour un tiers ou ceux qui préjudicient à l’une des parties au litige sans pour autant avoir méconnu ses anticipations (par exemple, l’admission de la nullité d’un contrat pour cause immorale alors qu’une partie ignorait le caractère immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat) ou encore les revirements qui rendent licite une stipulation contractuelle qui ne l’était pas sous l’empire de la jurisprudence antérieure, sans déjouer les prévisions des parties - sauf à supposer que l’une d’entre elles ait volontairement inséré dans un contrat une stipulation affectant sa validité, ce qui rendrait cette partie indigne d’une protection contre l’application d’une jurisprudence nouvelle au contrat qu’elle avait antérieurement conclu (l’exemple est donné à cet égard du revirement de jurisprudence en matière de détermination du prix dans les contrats-cadres, qui n’a pas déjoué les anticipations légitimes des contractants).

On relèvera cependant que la distinction ainsi proposée entre les deux catégories de revirements, si intéressante soit-elle, ne sera pas toujours aisée à mettre en œuvre.

** *

C. - L’application de ces critères en l’espèce

1. - En ce qui concerne le pourvoi n° 05-17.690 (SARL « La Briocherie » c. Mme X…)

a) S’agissant du critère de la date du revirement de jurisprudence, la particularité de ce pourvoi est que les arrêts de revirement en cause de l’assemblée plénière (23 janvier 2004) ont été rendus avant l’arrêt de la cour d’appel de renvoi de Nîmes (7 juin 2005) et qu’ils se sont donc intercalés entre le premier arrêt de cassation de la troisième chambre civile (1er avril 2003) et l’arrêt de la cour de renvoi.

Ce cas de figure est dès lors bien différent de celui qui avait été soumis à la chambre mixte le 30 avril 1971, dans lequel le revirement de jurisprudence avait été opéré « après » que la cour d’appel de renvoi ait statué.

Dans notre cas, la cour d’appel de renvoi de Nîmes, à la date où elle a statué, savait qu’elle consacrait une solution qui, même si elle était conforme au premier arrêt de cassation de la troisième chambre civile, avait été désavouée dans des arrêts de principe par l’assemblée plénière, c’est-à-dire par la plus haute formation de la Cour de cassation, dont la mission est d’unifier la jurisprudence et de fixer l’état du droit.

Il paraît donc difficile, en l’espèce, d’admettre qu’une cour d’appel statue postérieurement et en connaissance de cause dans un sens opposé à celui arrêté par l’assemblée plénière. Il y va de l’autorité des arrêts de l’assemblée plénière et du respect du principe de sécurité juridique.

Le critère de la date du revirement de jurisprudence milite donc ici en faveur de l’admission de la recevabilité du pourvoi.

b) S’agissant du critère du niveau de la formation qui a rendu l’arrêt de revirement, il y a déjà été répondu : les arrêts de revirement en cause émanent de l’assemblée plénière, qui est la plus haute formation de la Cour de cassation. Sa mission normative et unificatrice de la jurisprudence justifie qu’elle puisse déjuger une chambre qui, en connaissance de cause, maintient une jurisprudence ancienne désavouée par l’assemblée plénière.

34 Cf. Rapport du groupe de travail présidé par M. Nicolas Molfessis sur les revirements de jurisprudence, 30 novembre 2004, tome 1, p. 21-22. Voir aussi P. Fleury-Le-Gros, « Contribution à l’analyse normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne », Thèse, préface de L. Bach, P. Mayer et postface de J. Petit, éd. Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèse, vol. 43, février 2005.

35 Cf. L. Bach : « Contribution à l’étude du problème de l’application des lois dans le temps », RTD civ. 1969, p. 405 à 468 : L. Bach, prolongeant la théorie du doyen Roubier (cf. « Les conflits de lois dans le temps », Sirey 1929, T. 1, p. 26 et suiv.), se fonde sur la distinction entre, d’une part, les lois régissant des faits ou actes antérieurs à son entrée en vigueur, lesquelles sont rétroactives, et les lois régissant des faits ou actes postérieurs à son entrée en vigueur, lesquelles sont non-rétroactives, d’autre part, les lois d’application générale, qui régissent toutes les situations en cours et futures, et les lois d’application non générale, qui excluent certaines de ces situations.

71•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

c) S’agissant du critère de l’effectivité de l’effet rétroactif du revirement à l’égard des parties, peut-on considérer, dans l’affaire de la SARL « La Briocherie », que l’on est en présence d’un revirement à effet rétroactif « effectif », à savoir, selon la définition proposée plus haut, en présence d’un revirement qui déjoue les prévisions raisonnables des parties et qui applique à un acte ou un fait passé un régime substantiel nouveau, différent de celui qui était applicable lors de la réalisation de cet acte ou de ce fait ?

Il ne le semble pas : la solution retenue par les arrêts de revirement de l’assemblée plénière du 23 janvier 2004 a consisté à dire qu’en matière de réévaluation des loyers, le mode de calcul instauré par la loi « Murcef » de 2001 n’est pas applicable aux situations en cours ayant pris naissance dans le passé et donc à affirmer la survie de la loi ancienne à l’égard des baux conclus antérieurement.

Un tel revirement ne s’analyse donc pas en l’application rétroactive d’un régime substantiel nouveau mais en une application et une survivance du régime antérieur.

On peut dès lors considérer que ce revirement préserve même davantage la prévisibilité des solutions que la jurisprudence issue des arrêts de la troisième chambre civile du 27 février 200236 qui, en admettant le caractère interprétatif de la loi « Murcef » et son applicabilité aux instances en cours devant la Cour de cassation, avait changé les règles du jeu en cours de partie pour ces situations en cours.

d) S’agissant du critère de la hiérarchie des normes applicables, les arrêts de revirement de l’assemblée plénière dans l’affaire de la SARL « La Briocherie » présentent la particularité de s’être fondés sur une norme supranationale : l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant le droit à un procès équitable.

Les motifs de l’assemblée plénière méritent d’être rappelés ici : « Attendu que si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que cette règle générale s’applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l’Etat n’est pas partie au procès. Attendu qu’il ne résulte ni des termes de la loi, ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu répondre à un impérieux motif d’intérêt général pour corriger l’interprétation juridictionnelle de l’article L. 145-38 du code du commerce et donner à cette loi nouvelle une portée rétroactive dans le but d’influer sur le dénouement des litiges en cours ».

Quelles que soient les controverses qu’a soulevées cette solution, la mobilisation d’une norme supranationale et d’une jurisprudence établie de la Cour européenne des droits de l’homme pour trancher ce difficile problème d’application de la loi dans le temps n’est pas sans conséquence en l’espèce. Elle signifie, que, pour l’assemblée plénière, les précédents arrêts de la troisième chambre civile retenant l’application immédiate de la loi aux instances en cours se plaçaient en contradiction avec lesdites normes européennes. Dès lors, comment refuser d’examiner le pourvoi formé contre une décision qui a adopté une telle position ? En choisissant l’irrecevabilité, le risque est de valider une position regardée désormais comme contraire au droit à un procès équitable garanti tant par la Cour européenne que par les juridictions françaises et d’encourir ainsi une condamnation des juges européens. Malgré la pertinence des arguments évoqués, en son temps, par le premier avocat général Lindon, il faut reconnaître que le principe de sécurité juridique milite en ce cas en faveur de la recevabilité du pourvoi, de manière à pouvoir censurer l’arrêt de la cour d’appel de renvoi incompatible avec la doctrine de l’assemblée plénière.

Refuser d’examiner en l’espèce le pourvoi aboutirait, en outre, à une situation étrange : alors que les parties au litige tranché par l’assemblée plénière se sont vu appliquer les dispositions antérieures à la loi « Murcef », les parties ici en cause bénéficieraient de l’application rétroactive du texte. Ainsi, en dépit des principes européens et de la prise de position de l’assemblée plénière, la loi serait tantôt rétroactive tantôt non rétroactive, selon que la cour d’appel de renvoi s’est, ou non, rebellée.

Il paraît dès lors préférable d’admettre que les arrêts de revirement de l’assemblée plénière du 23 janvier 2004 ont exprimé une fois pour toutes le droit conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et que la cour d’appel de Nîmes aurait dû s’y conformer.

2. - En ce qui concerne le pourvoi n° 05-11.966 (société centea c. consorts X…) :

Si le même constat peut être fait que dans l’autre pourvoi en ce qui concerne le critère du niveau de la formation de la Cour de cassation qui a rendu l’arrêt de revirement (dans les deux cas, l’assemblée plénière), l’appréciation est différente pour les trois autres critères :

a) S’agissant du critère de la date du revirement

La particularité de cette seconde affaire est que l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière (4 mars 2005) a été rendu, cette fois, « après » l’arrêt de la cour d’appel de renvoi de Toulouse (4 octobre 2005).

Nous nous trouvons donc ici dans un cas de figure semblable à celui qui avait justifié l’arrêt de la chambre mixte du 30 avril 1971, initiateur de la jurisprudence sur l’irrecevabilité.

Dans ce cas, la cour d’appel de renvoi de Toulouse, à la date où elle a statué, ne pouvait pas savoir que l’assemblée plénière opérerait plus tard un revirement pour déclarer incompatible avec le droit communautaire l’exigence de l’agrément imposé à une banque belge pour qu’elle puisse réaliser en France des opérations de crédit.

36 Cf. 3e Civ., 27 février 2002, Bull. 2002, III, n° 50, p. 42 et RTD CIV. 2002, p. 599, obs. N. Molfessis.

72•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

La cour d’appel de Toulouse, statuant comme cour de renvoi, n’a fait qu’adopter une position conforme à l’arrêt de cassation de la chambre commerciale du 25 mars 2003 qui l’avait saisie, mais aussi conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière37, qui consacrait alors l’obligation d’agrément pour tout établissement de crédit étranger venant effectuer des opérations en France.

En ce cas, accepter d’examiner au fond le moyen du pourvoi parce qu’un revirement est intervenu postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de renvoi pourrait conduire aux inconvénients soulignés en 1971 par le premier avocat général Lindon du point de vue de la politique judiciaire et de la sécurité juridique et ce, quelle que soit la solution retenue, que l’on confirme le premier arrêt de cassation ou que l’on casse l’arrêt de renvoi pour tenir compte du revirement ultérieur.

Dès lors, si l’on se place du seul point de vue de la date de l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière, les arguments en faveur de l’irrecevabilité du moyen ne sont pas négligeables.

Il est vrai cependant qu’un autre point de vue pourrait aussi être envisagé, consistant à prendre en compte la date de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes qui a déterminé le revirement ultérieur de l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Cet arrêt a, en effet, été rendu par la Cour de Luxembourg le 9 juillet 1997, soit à une date bien antérieure à l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 4 octobre 2004. La cour d’appel de Toulouse aurait donc pu tenir compte de l’interprétation des juges européens sur la non-compatibilité de l’obligation d’agrément bancaire avec les articles 59 et 61-2 du Traité de Rome.

Mais il reste une interrogation : pouvait-on exiger de cette cour de renvoi qu’elle anticipe sur une interprétation que l’assemblée plénière de la Cour de cassation n’a rallié elle-même qu’ultérieurement ?

b) S’agissant du critère de l’effectivité de la rétroactivité du revirement à l’égard des parties

Si l’on se réfère aux distinctions proposées plus haut sur ce point, il peut sembler, à la première analyse, que l’on soit en présence ici d’un revirement qui produit un effet rétroactif : l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière du 4 mars 2005, rendu dans une affaire similaire, revient à appliquer un régime substantiel nouveau, celui de la pleine liberté de prestation de services en France pour un banque étrangère, à l’égard d’un acte conclu dans le passé (le prêt consenti par la Banque belge aux consorts X… en 1992), ce régime étant différent de celui qui était applicable lors de la réalisation de cet acte (régime de l’agrément alors nécessaire pour toute banque étrangère venant effectuer des opérations bancaires en France). De surcroît, l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière du 4 mars 2005 vient contredire un arrêt bien antérieur de la cour d’appel de renvoi du 4 octobre 2004, arrêt qui s’alignait lui-même sur un premier arrêt de cassation du 25 mars 2003 et sur une jurisprudence alors constante de la chambre commerciale.

Mais, en poussant plus loin l’analyse, on est amené à constater, à l’inverse, que le revirement n’a pas déjoué les prévisions ou anticipations des consorts X…, puisque c’est M. Jean-Michel X… lui-même qui a pris l’initiative de conclure le contrat de prêt avec une banque belge, en considérant donc les conditions d’octroi de ce prêt comme valables, et que ce n’est que plus tard que les consorts X… sont venus contester la validité dudit prêt, pour tenter de contrer la procédure de saisie immobilière engagée contre eux en raison du non-paiement des échéances de remboursement du prêt.

Les consorts X… ne peuvent donc soutenir que la validité du prêt constatée par l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière vient remettre en cause les conditions initiales de conclusion du contrat, ni qu’elle a un effet préjudiciable au regard de leurs premières prévisions.

L’on est proche ici de l’un des cas de figure évoqués dans le rapport du groupe de travail présidé par M. Molfessis : celui du revirement qui rend licite et valide une stipulation contractuelle qui ne l’était pas sous l’empire de la jurisprudence antérieure mais qui ne déjoue pas les prévisions des parties (sauf dans l’hypothèse où l’une des parties aurait volontairement inséré dans un contrat une stipulation affectant sa validité, ce qui rendrait alors cette partie indigne d’une protection contre l’application de la jurisprudence nouvelle, ainsi que le relevait le rapport du groupe de travail).

c) S’agissant du critère de la hiérarchie des normes applicables

Deux normes internationales sont en cause dans l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière du 4 mars 2005 : le droit communautaire et la Convention européenne des droits de l’homme.

c-1) Au regard du droit communautaire : l’arrêt de l’assemblée plénière du 4 mars 2005, opérant un important revirement par rapport à la jurisprudence antérieure de la chambre commerciale, déclare que la législation française anciennement applicable en matière d’agrément bancaire (articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984, applicable avant l’entrée en vigueur de la Directive CE n° 89/646) était incompatible avec les dispositions du droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts, telles qu’interprétées par l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 9 juillet 1997 (« SCI Parodi c. Banque Albert de Bary »).

Le principe de la primauté du droit communautaire38, son effet direct en droit interne et le contrôle vigilant de son application qu’exerce la Cour de justice des Communautés européennes conduisent dès lors à se demander s’il n’y a pas lieu de faire, dans ce cas, une exception à la règle de non-rétroactivité et, même si l’on se trouve en présence d’un arrêt de revirement postérieur à l’arrêt attaqué, de faire application de cet

37 Cf. arrêts de la chambre commerciale des 20 octobre 1998 (Bull. 1998, IV, n° 246, p. 204, « Sté Parodi c. Banque Albert de Bary ») ; 9 octobre 2001 (Rev. droit bancaire 2001, note Crédot) ; 4 juin 2002 (Rev. droit bancaire 2002, p. 181, note Crédot et Gérard) ; 9 avril 2002 (pourvois n° 99-19.487 et 98-20.102) ; 25 mars 2003 (pourvoi n° 00-22.064).

38 Cf. en ce sens : arrêts de la CJCE « X… c. ENEL (aff. 6-64) » du 15 juillet 1964 et « X… » du 9 mars 1978 (aff. 106/77). Arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation « Cafés Jacques Vabre » du 24 mai 1975, Bull., n° 4, p. 6. Arrêt du Conseil d’Etat « X… », Rec. Lebon, p. 190, du 20 octobre 1989.

73•

1er mars 2007Arrêts publiés intégralement

•Bulletin d’information

arrêt de revirement de l’assemblée plénière parce qu’il se fonde sur une norme internationale supérieure dont il a donné une interprétation conforme à celle retenue dans une décision plus ancienne de la juridiction européenne.

La primauté et l’applicabilité directe du droit communautaire ont en effet pour objectif de commander l’éviction par nos juridictions nationales de toute norme susceptible de contredire l’une de celles qui constituent le droit de l’Union européenne.

Or, faire prévaloir la jurisprudence ancienne prônant l’irrecevabilité du pourvoi reviendrait à maintenir une solution contraire au droit communautaire et à motiver peut-être un recours ultérieur devant la Cour de justice des Communautés européennes.

De surcroît, pourrait être engagée en ce cas la responsabilité de l’Etat pour violation du droit communautaire par une juridiction statuant en dernier ressort, conformément à une jurisprudence maintenant bien établie de la Cour de justice des Communautés européennes39.

Il suffit de rappeler à cet égard l’arrêt de la Cour de Luxembourg du 30 septembre 2003 (aff. C-224/01), aux termes duquel « eu égard au rôle essentiel joué par le pouvoir judiciaire dans la protection des droits que les particuliers tirent des règles communautaires, la pleine efficacité de celles-ci serait remise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie s’il était exclu que les particuliers puissent, sous certaines conditions, obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à une décision d’une juridiction d’un Etat membre statuant en dernier ressort ».

Dans son arrêt plus récent « Traghetti del Mediterraneo » du 13 juin 2006, la Cour du Luxembourg a ajouté que « des considérations analogues liées à la nécessité de garantir aux particuliers une protection juridictionnelle effective des droits que leur confère le droit communautaire s’opposent, de la même manière, à ce que la responsabilité de l’Etat ne puisse pas être engagée au seul motif qu’une violation du droit communautaire imputable à une juridiction nationale statuant en dernier ressort résulte de l’interprétation des règles de droit (…) ou d’une appréciation des faits et des preuves (…) effectuée par cette juridiction ».

La seule exception à cette jurisprudence serait le cas dans lequel la décision judiciaire nationale non conforme au droit communautaire serait devenue définitive ou « passée en force de chose jugée », après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus par ces recours. Dans cette hypothèse, la Cour de justice de Luxembourg estime en effet que le principe de coopération découlant de l’article 10 CE ne peut pas imposer à la juridiction nationale d’écarter les règles de procédure interne afin de réexaminer et d’annuler la décision judiciaire pourtant contraire au droit communautaire40.

Mais tel n’est pas le cas dans les présentes affaires, puisque l’on n’est pas en présence de décisions devenues définitives et que, de surcroît, la règle interne d’irrecevabilité ne résulte que d’une construction jurisprudentielle fondée principalement sur des considérations de politique judiciaire.

Dans le cas où l’assemblée plénière éprouverait néanmoins des hésitations à faire ainsi produire un effet rétroactif à un arrêt de revirement postérieur à l’arrêt attaqué rendu sur le fondement du droit communautaire, la question d’un recours préjudiciel en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européennes pourrait aussi être envisagée.

Mais l’utilité d’un tel recours préjudiciable paraît incertaine : d’une part, en effet, la Cour de justice des Communautés européennes s’est déjà prononcée par son arrêt du 9 juillet 1997 concernant le problème posé en l’espèce et par ses arrêts du 30 septembre 2003 (aff. C-224/01) et « Traghetti del Mediterraneo » concernant la responsabilité de l’Etat. D’autre part, la détermination des effets dans le temps des changements de jurisprudence peut être regardée comme une question relevant principalement des autorités nationales.

c-2) Au regard de la Convention européenne des droits de l’homme : le demandeur au pourvoi, pour s’opposer à la solution traditionnelle de l’irrecevabilité, qui a pour conséquence de permettre le maintien d’une jurisprudence antérieure devenue désuète, fait également référence au principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée », qui a été consacré par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 21 mars 200041 et dont on sait qu’il trouve sa source dans le principe du droit au procès équitable découlant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ce fondement de l’article 6 § 1 de la Convention européenne peut être ici un élément déterminant : il conduit logiquement à considérer que la solution fondée sur une norme supranationale doit l’emporter sur la solution jurisprudentielle de droit interne, justifiée principalement par des considérations de politique judiciaire, et qu’il convient donc d’écarter la jurisprudence issue de l’arrêt de la chambre mixte du 30 avril 1971. A défaut, en cas de décision d’irrecevabilité puis de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, une condamnation de la France pourrait être encourue .

c-3) Qu’il s’agisse de l’application du droit communautaire ou de la Convention européenne des droits de l’homme, ces arguments en faveur de la recevabilité, s’appuyant sur la primauté de la norme supranationale, doivent être cependant combinés, comme nous l’avons déjà relevé, avec le respect d’une autre norme internationale : celle de la prévisibilité, de la sécurité juridique, de la prééminence du droit, de la confiance légitime et de la garantie du procès équitable, norme qui a été consacrée également par la Cour européenne

39 Cf. notamment arrêts de la CJCE du 30 septembre 2003 (aff. C. 224/01, Rev. CJCE - I -, p. 10239) et « Traghetti del Mediterraneo » du 13 juin 2006 (aff. C. 1973/03, Rev. Dr. fisc. 2006, n° 36, p. 1492 et suiv., comm. M.C. Bergerès et Revue mensuelle Lexis Nexis, Jurisclasseur Europe, août-septembre 2006, p. 9 et suiv., comm. Denys Simon).

40 Cf. CJCE, 16 mars 2006, affaire C-234/04 « X… c. Schlank & Schick » Gmbh ; 13 janvier 2004, affaire C. 453/00, Rec. p. I - 837 (« Kühne et Heitz ») ; 1er juin 1999, affaire C-126/97, Rec. p. I - 3055 (« Eco Swiss »).

41 1re Civ., 21 mars 2000, Bull. 2000, I, n° 97, p. 65 et Soc., 12 novembre 2002.

74•

Bulletin d’informationArrêts publiés intégralement

•1er mars 2007

des droits de l’homme et la Cour de justice des Communautés européennes et qui s’oppose à une rétroactivité venant déjouer les prévisions raisonnables des justiciables et contrarier la solution à laquelle ils pouvaient légitimement croire.

Mais il a été précédemment indiqué que, dans la présente affaire, l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière, même s’il est postérieur à la décision de la cour d’appel de renvoi, ne peut être regardé comme déjouant les prévisions initiales des consorts X…, puisque ces derniers avaient sollicité eux-mêmes le prêt auprès de la banque belge et avaient considéré donc, a priori, que ce prêt était valable.

** *

EN CONCLUSION

Au terme de cette analyse, il apparaît que deux solutions s’offrent à vous :

- devant la complexité du problème, vous pouvez estimer préférable de vous en tenir à la solution la plus simple de l’irrecevabilité des moyens, qui présente l’avantage de la commodité et qui peut répondre à des préoccupations de politique judiciaire ;

- il me semble cependant que, en dépit des avantages de politique judiciaire que peut présenter cette première solution, l’assemblée plénière devrait s’orienter aujourd’hui vers une seconde solution, consistant à moduler le régime de l’irrecevabilité en introduisant de nouvelles distinctions dans l’application de ce régime.

A cet égard, après avoir examiné les différents critères susceptibles d’être pris en compte, il paraît nécessaire de distinguer deux situations :

- si l’arrêt de revirement de jurisprudence de l’assemblée plénière a été rendu avant la décision de la cour d’appel de renvoi qui a statué en conformité avec le premier arrêt de cassation l’ayant saisie, l’autorité qui s’attache aux décisions de la plus haute formation de la Cour de cassation devrait faire obstacle à ce qu’une juridiction inférieure statue postérieurement en un sens opposé, même s’il n’y a pas « d’autorité de la chose jugée » procéduralement parlant et même s’il s’agit d’un autre litige simplement similaire.

Il conviendrait donc, dans ce cas, de mettre fin à la solution traditionnelle de l’irrecevabilité ;

- si, en revanche, l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière intervient après l’arrêt de la cour d’appel de renvoi la solution de l’irrecevabilité du moyen, telle qu’elle a été consacrée depuis 1971, devrait être maintenue dans son principe.

Mais il y aurait lieu désormais d’apporter une exception à ce principe dans le cas où l’arrêt de revirement de l’assemblée plénière a fait application d’un traité ou d’une norme supranationale primant sur le droit interne, d’applicabilité directe et dont le respect est contrôlé par une juridiction supranationale - tels la Convention européenne des droits de l’homme ou le droit communautaire - et lorsque ce revirement ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique et au droit à un procès équitable, consacrés également par le droit européen. A ces conditions, l’écran de l’irrecevabilité devrait céder devant la primauté et la force de la norme supranationale, au risque, sinon, de voir la responsabilité de l’Etat susceptible d’être mise en cause pour violation de cette norme.

Cette exception, qui ouvrirait la porte à la recevabilité du moyen par l’effet de la primauté de la norme internationale applicable et même dans le cas d’un revirement postérieur à l’arrêt de la cour d’appel de renvoi, devrait cependant, à mon sens, ne concerner que les arrêts de revirement émanant de l’assemblée plénière, en considération de l’autorité particulière qui s’attache à l’interprétation et l’application des normes et traités internationaux par la formation suprême de la Cour de cassation.

Pour ce qui concerne les deux affaires en cause, les conséquences en seraient les suivantes :

La recevabilité du moyen du pourvoi ne devrait pas soulever de difficultés dans le cas du pourvoi n° 05-17.690 (« SARL La Briocherie »), puisque tous les critères précédemment dégagés sont réunis en ce sens.

Mais cette recevabilité pourrait être aussi admise dans le cas du pourvoi n° 05-11.966 (« société Centea »), en dépit de la date du revirement postérieur à l’arrêt de la cour d’appel de renvoi, pour les raisons précédemment explicitées : parce que ce revirement est fondé sur une règle du droit communautaire primant sur le droit interne et d’effet direct, dont l’assemblée plénière a donné une interprétation conforme à celle retenue par une décision de la Cour de justice de Luxembourg qui est elle-même antérieure à l’arrêt de la cour d’appel de renvoi et parce que ce revirement ne contrevient pas ici à cette autre norme européenne qu’est le principe de sécurité juridique et le droit au procès équitable.

A supposer ainsi admise la recevabilité du moyen dans les deux cas, l’assemblée plénière aura, par voie de conséquence, à examiner au fond chacun des deux pourvois.

Elle ne pourra alors, à mon sens, que confirmer la doctrine résultant de ses arrêts des 23 janvier 2004 et 4 mars 2005, en cassant :

- d’une part, l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 7 juin 2005 qui, comme le lui reproche le moyen unique du pourvoi n° 05-17.690, contredit directement la doctrine de l’assemblée plénière résultant de ses arrêts du 23 janvier 2004, qui ont exclu l’application rétroactive de la loi « Murcef » ;

- d’autre part, l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 4 octobre 2004 qui, comme le lui reprochent les deux branches du moyen du pourvoi n° 05-11.966, est devenu incompatible avec la doctrine définie par l’assemblée plénière dans son arrêt du 4 mars 2005, tant en ce qui concerne l’exigence de l’agrément de la banque étrangère (première branche) que le prononcé de la nullité du prêt consenti par cette banque (seconde branche).

75•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

III. - TITRES ET SOMMAIRES D’ARRÊTS

ARRÊTS DES CHAMBRES

N° 359

Action en justiceFondement juridique. - Pouvoirs des juges. - Fondement précis. - Portée. - Recherche d’office du fondement de nature à justifier la demande (non).

Le juge n’est pas tenu de rechercher d’office les dispositions légales de nature à justifier une demande dont il est saisi sur le fondement d’un texte déterminé.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-17.379. - C.A. Riom, 12 mai 2005.

M. Weber, Pt. - Mme Gabet, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - SCP Vincent et Ohl, Av.

N° 360

Action en justiceIntérêt. - Appréciation. - Moment.

L’intérêt à agir s’apprécie au moment de l’introduction de l’action en justice.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Cassation

N° 05-13.484. - C.A. Versailles, 19 janvier 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Kriegk, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Av.

N° 361

Alsace-MoselleProcédure civile. - Exécution forcée. - Exécution sur les biens immeubles. - Adjudication. - Contestation. - Délai. - Expiration. - Fin de non-recevoir. - Caractère d’ordre public. - Portée.

La fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai prévu à l’article 159 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle présente un caractère d’ordre public et, comme telle, doit être relevée d’office par le juge.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 05-18.758. - C.A. Colmar, 24 juin 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Sommer, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Av.

N° 362

Appel civilActe d’appel. - Validité. - Conditions. - Signature. - Avoué. - Avoué nominativement constitué. - Défaut. - Portée.

L’article 901 du nouveau code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel est signée par l’avoué.

Est régulière une déclaration d’appel comportant les mentions exigées et revêtue de la signature d’un avoué, peu important que le signataire ne soit pas l’avoué nominativement constitué dès lors qu’il n’est pas contesté que l’avoué signataire était mandaté par l’avoué constitué pour signer l’acte en ses lieux et place.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Cassation

N° 05-14.943. - C.A. Basse-Terre, 22 novembre 2004.

Mme Favre, Pt. - M. Loriferne, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Bachellier et Potier de la Varde, Av.

N° 363

ArbitrageSentence. - Recours en annulation. - Cas. - Arbitre ayant violé une règle d’ordre public. - Violation d’une règle d’ordre public. - Contrôle du juge. - Etendue. - Limites.

Le contrôle des sentences arbitrales par le juge de l’annulation ne peut en aucun cas porter sur le fond.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.395. - C.A. Paris, 25 novembre 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Falcone, Rap. - SCP Bachellier et Potier de la Varde, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Foussard, Av.

N° 364

Astreinte (loi du 9 juillet 1991)Liquidation. - Inexécution de la décision de justice. - Appréciation. - Contrefaçon. - Décision condamnant la contrefaçon de marques. - Usage du signe à titre de dénomination sociale ou de nom de domaine. - Portée.

76•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

L’usage d’un signe à titre de dénomination sociale ou de nom de domaine caractérise la poursuite des actes de contrefaçon, constitués par le dépôt et l’usage de marques, ayant donné lieu à condamnation sous astreinte, lorsque ce signe est employé pour désigner une entreprise, ou son point d’achat, offrant à la vente des produits ou services pour lesquels les marques reprenant ce signe ont été jugées contrefaisantes.

Com. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 04-11.344. - C.A. Paris, 21 novembre 2003.

M. Tricot, Pt. - M. Sémériva, Rap. - M. Casorla, Av. Gén. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, Av.

N° 365

Atteinte a l’autorité de l’ÉtatAtteinte à l’administration publique commise par les particuliers. - Rébellion. - Eléments constitutifs. - Elément matériel. - Résistance violente. - Notion.

Ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations la cour d’appel qui relaxe du chef de rébellion après avoir relevé que le prévenu s’était débattu au moment de son interpellation et avait pu se libérer avant de prendre la fuite, le délit étant caractérisé par tout acte de résistance active à l’intervention d’une personne dépositaire de l’autorité publique, même sans atteinte physique à l’encontre de cette personne.

Crim. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-87.106. - C.A. Paris, 15 novembre 2005.

M. Cotte, Pt. - M. Delbano, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Peignot et Garreau, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 366

Atteinte a l’intégrité physique ou psychique de la personneAtteinte volontaire à l’intégrité de la personne. - Violences. - Circonstances aggravantes. - Violences sur une personne chargée d’une mission de service public. - Personne chargée d’une mission de service public. - Définition.

La qualité de personne chargée d’une mission de service public ne peut se déduire de la seule appartenance de la victime de violences volontaires à Electricité de France, sans caractériser les actes personnellement accomplis par elle se rattachant directement à l’exécution de l’une des missions de service public spécifiquement imparties à cette société.

Dès lors encourt la cassation l’arrêt de la cour d’appel qui se borne à relever que les deux victimes de violences volontaires, respectivement hôtesse d’accueil et responsable d’une agence d’Electricité de France, participaient à des titres différents à la gestion et au bon fonctionnement de cette agence de cet établissement public chargé d’une mission de service public et qu’elles ont été agressées dans l’exercice de leurs fonctions.

Crim. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 05-84.222. - C.A. Toulouse, 1er juin 2005.

M. Cotte, Pt. - Mme Caron, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén. - SCP Defrenois et Levis, Av.

N° 367

AvocatDiscipline. - Peine. - Interdiction temporaire. - Effets. - Abstention de tout acte professionnel. - Portée.

Il résulte des articles 173 et 186 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que l’avocat suspendu d’exercice et remplacé dans ses fonctions par un administrateur doit s’abstenir de tout acte professionnel.

Il s’en déduit que l’expédition à l’administrateur, sur demande de ce dernier, du courrier libellé à l’adresse du cabinet administré ressortit à la gestion de celui-ci et n’engage pas la responsabilité de La Poste.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-19.367. - C.A. Grenoble, 27 juin 2005.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - Me Jacoupy, SCP Defrenois et Levis, Av.

N° 368

Bail commercialPrix. - Révision. - Demande. - Recevabilité. - Conditions. - Détermination.

Le mémoire qui est notifié à partie adverse, préalablement à la saisine du juge, est un acte distinct de la demande initiale en révision du prix du bail commercial révisé, il produit d’autres effets et sa notification ne vaut pas demande préalable.

Par suite, viole les articles 10 et 14, alinéa premier, de la délibération n° 094 du 8 août 2000 relative à la révision des loyers des baux d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en Nouvelle-Calédonie, textes identiques à ceux applicables en métropole, la cour d’appel qui déclare recevable une action en révision du prix d’un bail commercial en dépit de l’absence de demande en révision préalable à la notification du mémoire.

3e Civ. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 05-18.259. - C.A. Nouméa, 16 octobre 2003 et 14 avril 2005.

M. Weber, Pt. - M. Betoulle, Rap. - M. Bruntz, Av. Gén. - SCP Richard, Me Capron, Av.

N° 369

Bail commercialRenouvellement. - Domaine d’application. - Ensemble des lieux loués. - Conditions. - Indivisibilité.

En cas de sous-location partielle d’un local dans lequel le fonds de commerce n’est pas exploité, le locataire principal n’a droit au renouvellement du bail pour l’ensemble des lieux loués qu’en cas d’indivisibilité matérielle ou conventionnelle de ceux-ci.

3e Civ. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 05-17.572. - C.A. Rennes, 30 mars 2005.

M. Weber, Pt. - M. Terrier, Rap. - M. Bruntz, Av. Gén. - SCP Le Bret-Desaché, Me Hémery, Av.

N° 370

1° Bail d’habitationBail soumis à la loi du 6 juillet 1989. - Transfert. - Bénéficiaires. - Détermination.

2° VenteImmeuble. - Droit de préemption de certains locataires ou occupants de logements. - Loi du 31 décembre 1975. - Obligations du bailleur. - Notification préalable. - Destinataire. - Détermination.

77•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

3° VenteImmeuble. - Droit de préemption de certains locataires ou occupants de logements. - Loi du 31 décembre 1975. - Obligations du bailleur. - Notification préalable. - Destinataire. - Détermination.

4° VenteImmeuble. - Droit de préemption de certains locataires ou occupants de logements. - Loi du 31 décembre 1975. - Obligations du bailleur. - Notification préalable. - Défaut. - Droit de substitution du locataire (non).

1° Il ne résulte pas de l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 décembre 2001, que la dévolution du bail au conjoint survivant soit exclusive de sa dévolution aux descendants du défunt.

2° La notification de l’offre de vente, prévue à l’article 10-I de la loi du 31 décembre 1975, ne s’impose qu’à l’égard du locataire qui occupe effectivement les lieux.

3° L’article 6 du décret n° 77-742 du 30 juin 1977 ne s’appliquant qu’en faveur des mineurs sous tutelle et des majeurs protégés, la notification de l’offre de vente, prévue à l’article 10-I de la loi du 31 décembre 1975, est faite à un locataire tant pour lui personnellement qu’en sa qualité d’administrateur légal de son enfant mineur.

4° Le non-respect du droit de préemption du locataire, prévu à l’article 10-I de la loi du 31 décembre 1975 dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 1994, n’entraîne que la nullité de la vente et n’ouvre aucun droit de substitution au profit de celui-ci.

3e Civ. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 04-15.679 et 04-17.329. - C.A. Paris, 25 mars et 10 juin 2004.

M. Weber, Pt. - M. Dupertuys, Rap. - M. Bruntz, Av. Gén. - SCP Gatineau, SCP Delvolvé, SCP Defrenois et Levis, Me de Nervo, SCP Lesourd, Av.

N° 371

1° BanqueroutePeines. - Peines complémentaires. - Interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise ou personne morale. - Durée. - Article L. 653-11 du code de commerce. - Application.

2° BanqueroutePeines. - Peines complémentaires. - Faillite personnelle. - Durée. - Article L. 653-11 du code de commerce. - Application.

3° BanqueroutePeines. - Peines complémentaires. - Faillite personnelle. - Durée. - Article L. 653-11 du code de commerce. - Application.

1° En prononçant, le 8 février 2006, quinze ans d’interdiction de gérer à l’égard du prévenu déclaré coupable de banqueroute, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article L. 653-11, alinéa premier, du code de commerce, tel qu’il résulte de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, dès lors que les dispositions de cet article sont applicables aux procédures en cours en vertu de l’article 191 7° de ladite loi (arrêt n° 1).

2° La condamnation du prévenu déclaré coupable de banqueroute, le 7 septembre 2005, à huit ans de faillite personnelle entre dans les prévisions de l’article L. 653-11,

alinéa premier, du code de commerce tel qu’il résulte de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, les dispositions de cet article étant applicables aux procédures en cours en vertu de l’article 191 7° de ladite loi (arrêt n° 2).

3° L’arrêt prononcé le 9 mars 2005, condamnant le prévenu, déclaré coupable de banqueroute, à vingt ans de faillite personnelle, qui n’a pas acquis force de chose jugée le 1er janvier 2006, date d’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, doit être annulé et la durée de cette mesure doit être fixée à quinze ans, en application des dispositions de l’article L. 653-11, alinéa premier, du code de commerce résultant de ladite loi (arrêt n° 3).

Arrêt n° 1 :

Crim. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 06-81.862. - C.A. Paris, 8 février 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Degorce, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, Av.

Arrêt n° 2 :

Crim. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-85.922. - C.A. Aix-en-Provence, 7 septembre 2005.

M. Cotte, Pt. - M. Chanut, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Foussard, Av.

Arrêt n° 3 :

Crim. - 8 novembre 2006.Rejet et annulation partielle

N° 05-85.271. - C.A. Grenoble, 9 mars 2005.

M. Cotte, Pt. - M. Dulin, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, Av.

N° 372

Communauté entre épouxPartage. - Lésion. - Rescision. - Action en rescision. - Actes susceptibles. - Détermination. - Portée.

L’action en rescision pour lésion est admise contre tout acte qui a pour objet de faire cesser l’indivision entre les anciens époux, encore qu’il fût qualifié de vente, d’échange et de transaction ou de tout autre manière.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-11.465. - C.A. Riom, 27 avril 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Monéger, Rap. - SCP Laugier et Caston, SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 373

CompétenceCompétence territoriale. - Règles particulières. - Procédures civiles d’exécution. - Débiteur demeurant à l’étranger. - Juge de l’exécution. - Juge du lieu d’exécution de la mesure.

La compétence attribuée au juge du domicile du débiteur par l’article 211 du décret du 31 juillet 1992 n’est pas exclusive de l’application de l’article 9, alinéa 2, du même décret, dont les dispositions d’ordre public donnent compétence au juge de l’exécution du lieu d’exécution de la mesure lorsque le débiteur demeure à l’étranger.

78•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

Le juge, dans le ressort duquel est situé l’un des immeubles du débiteur demeurant à l’étranger, est compétent pour autoriser des inscriptions d’hypothèques sur ses biens immobiliers situés en dehors de son ressort.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 04-19.138. - C.A. Aix-en-Provence, 28 mai 2004.

Mme Favre, Pt. - M. Moussa, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Bachellier et Potier de la Varde, Me Bouthors, Av.

N° 374

Conflit de juridictionsCompétence internationale. - Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000. - Compétence en matière d’assurances (articles 8 à 14). - Article 9 § 1 b. - Tribunal du lieu où le demandeur a son domicile. - Détermination. - Application des règles internes de l’Etat.

Sont applicables à la détermination de la compétence internationale en matière d’assistance les règles de compétence en matière d’assurances prévues par les articles 8 et suivants du règlement du conseil du 22 décembre 2000 ; l’article 9 § 1 b précisant que l’assureur domicilié sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait devant les tribunaux de son domicile, le tribunal territorialement compétent devait être déterminé par application des règles internes de cet Etat.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 04-15.276. - T.I. Lyon, 20 janvier 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gueudet, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - Me Ricard, Av.

N° 375

Conflit de loisApplication de la loi étrangère. - Interprétation par le juge français. - Appréciation souveraine. - Portée.

Une cour d’appel qui fait application d’une loi étrangère régissant le régime matrimonial des époux, l’interprète souverainement comme permettant à l’épouse mariée sans contrat d’acheter seule un bien immobilier.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.201. - C.A. Montpellier, 24 mai 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Monéger, Rap. - SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, Av.

N° 376

Conflit de loisRégimes matrimoniaux. - Régime légal. - Détermination. - Critères. - Premier domicile matrimonial.

La loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat est déterminée principalement en considération de la fixation de leur premier domicile conjugal.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.253. - C.A. Aix-en-Provence, 19 mai 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Gorce, Rap. - SCP Laugier et Caston, SCP Gatineau, Av.

N° 377

Contrat d’entrepriseDéfinition. - Différence avec le contrat de vente. - Contrat portant sur un travail spécifique pour les besoins du donneur d’ordre.

Constitue un contrat d’entreprise et non un contrat de vente le contrat par lequel un négociant en vin confie à une distillerie la réalisation d’un produit ne correspondant pas à des caractéristiques déterminées à l’avance par cette dernière mais destiné à satisfaire aux besoins particuliers exprimés par le négociant.

Com. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-11.694. - C.A. Bordeaux, 16 novembre 2004.

M. Tricot, Pt. - M. Potocki, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - Me Odent, Me Ricard, Av.

N° 378

Contrat d’entrepriseResponsabilité de l’entrepreneur. - Assurance. - Assurance responsabilité du constructeur. - Garantie obligatoire. - Domaine d’application. - Secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur. - Activité de maçon. - Définition. - Portée.

L’activité de maçon déclarée par un entrepreneur à son assureur responsabilité ne couvre pas celle de couvreur.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-18.145. - C.A. Fort-de-France, 2 juillet 2004.

M. Weber, Pt. - M. Paloque, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boullez, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, Av.

N° 379

Contrat d’entrepriseSous-traitant. - Action en paiement. - Action directe contre le maître de l’ouvrage. - Assiette. - Dette du maître de l’ouvrage à l’égard de l’entrepreneur. - Paiement. - Preuve. - Charge.

A l’occasion de l’exercice de l’action directe du sous-traitant, le maître d’ouvrage supporte la charge de la preuve de la date et du montant de la somme versée à l’entrepreneur principal.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-18.482. - C.A. Reims, 23 mai 2005.

M. Weber, Pt. - Mme Lardet, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - Me Foussard, Me Copper-Royer, Av.

N° 380

Contrat de travail, durée déterminéeQualification donnée au contrat. - Demande de requalification. - Requalification par le juge. - Effets. - Indemnité de requalification. - Naissance de l’indemnité. - Moment. - Détermination. - Portée.

Si les indemnités liées à la rupture du contrat de travail naissent à la date de cette rupture et incombent à l’employeur qui l’a prononcée, l’indemnité de requalification d’un contrat de

79•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

travail à durée déterminée naît dès la conclusion de ce contrat en méconnaissance des exigences légales et pèse ainsi sur l’employeur l’ayant conclu.

Soc. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 05-41.723. - C.A. Douai, 31 janvier 2005.

M. Sargos, Pt. - M. Béraud, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - SCP Gatineau, Av.

N° 381

1° Contrat de travail, exécutionEmployeur. - Pouvoir disciplinaire. - Sanction. - Conditions. - Faute du salarié. - Prescription. - Délai. - Point de départ. - Connaissance des faits par l’employeur. - Détermination.

2° Contrat de travail, ruptureLicenciement. - Licenciement disciplinaire. - Faute du salarié. - Faute grave. - Caractérisation. - Nécessité.

1° Aux termes du premier alinéa de l’article L. 122-44 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu en même temps à l’exercice de poursuites pénales.

Une cour d’appel qui fait ressortir que l’employeur d’un chirurgien-dentiste n’a pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de la teneur des faits reprochés à ce salarié qu’à la date à laquelle l’instance ordinale a statué sur les manquements professionnels qu’ils constituaient et qui constate que le licenciement a été prononcé moins de deux mois après la décision ordinale, décide exactement que la poursuite disciplinaire n’était pas prescrite.

2° Si la méconnaissance de dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes peut être invoquée par l’employeur d’un chirurgien-dentiste salarié à l’appui d’un licenciement pour faute grave, la décision prise par la juridiction ordinale quant à ce manquement et à sa sanction disciplinaire n’a pas autorité de chose jugée devant le juge judiciaire. Il appartient au juge prud’homal de rechercher, alors même qu’une clause du contrat de travail stipule que le salarié peut être licencié sans indemnité en cas de sanction prononcée par le conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes pour faute professionnelle grave, si ce manquement présente le caractère d’une faute grave au sens de l’article L. 122-6 du code du travail.

Soc. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 04-47.683. - C.A. Lyon, 17 septembre 2004.

M. Sargos, Pt. - M. Gillet, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - SCP Richard, SCP Monod et Colin, Av.

N° 382

Contrat de travail, exécutionHarcèlement. - Harcèlement moral. - Préjudice. - Réparation. - Cumul avec la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles. - Possibilité. - Conditions. - Détermination.

La législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son affection par la sécurité sociale.

Soc. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 05-41.489. - C.A. Paris, 20 janvier 2005.

M. Sargos, Pt. - M. Trédez, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 383

Contrat de travail, exécutionMaladie du salarié. - Maladie ou accident non professionnel. - Inaptitude au travail. - Inaptitude consécutive à la maladie. - Reclassement du salarié. - Proposition d’un emploi adapté. - Emploi disponible. - Notion.

Le reclassement par mutation du salarié déclaré inapte par le médecin du travail auquel l’employeur est tenu de procéder en application des dispositions de l’article L. 122-24-4 du code du travail doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l’entreprise, l’employeur ne pouvant être tenu d’imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail à l’effet de libérer son poste pour le proposer en reclassement à un autre salarié.

Soc. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 05-40.408. - C.A. Douai, 26 novembre 2004.

M. Sargos, Pt. - M. Trédez, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau, Av.

N° 384

Contrat de travail, exécutionObligations du salarié. - Obligation de loyauté. - Etendue. - Portée.

Les renseignements relatifs à l’état de santé du salarié ne peuvent être confiés qu’au médecin du travail ; il en résulte que lorsque l’employeur procède au licenciement d’un salarié dont le handicap a été reconnu par la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, il ne peut lui reprocher de n’avoir pas fourni d’information préalable sur son état de santé ou son handicap qu’il n’a pas à révéler. Une telle abstention, qui n’est pas fautive, ne peut dès lors priver le salarié, après qu’il ait reçu notification de son licenciement, du droit de se prévaloir de son handicap, afin de bénéficier des avantages que lui donnent l’article L. 323-7 du code du travail en matière de délai-congé et d’un accord d’entreprise prévoyant une indemnité de licenciement majorée.

Soc. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-41.380. - C.A. Orléans, 13 janvier 2005.

M. Sargos, Pt. - M. Béraud, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - SCP Gatineau, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 385

1° Contrat de travail, ruptureClause de non-concurrence. - Validité. - Conditions. - Contrepartie financière. - Montant dérisoire. - Effet.

2° Contrat de travail, ruptureClause de non-concurrence. - Nullité. - Effets. - Réparation du préjudice. - Etendue. - Détermination.

1° Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie.

2° Le respect par un salarié d’une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier le montant.

80•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

Soc. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 04-46.721. - C.A. Grenoble, 28 juin 2004.

M. Sargos, Pt. - Mme Capitaine, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - Me Odent, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 386

1° Contrat de travail, ruptureDate. - Fixation. - Manifestation de volonté. - Manifestation de l’employeur. - Applications diverses.

2° Statut collectif du travailConventions collectives. - Dispositions générales. - Application. - Action en justice. - Invocation par une partie. - Office du juge. - Détermination. - Portée.

1° Si la rupture du contrat de travail se situe à la date d’envoi de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception notifiant le licenciement, le préavis ne court qu’à compter de la présentation de la lettre.

2° Lorsqu’une partie invoque l’application d’une convention collective, il incombe au juge de se la procurer par tous moyens, au besoin en invitant les parties à lui en procurer un exemplaire.

Soc. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 05-42.323. - C.A. Fort-de-France, 25 mars 2004.

M. Sargos, Pt. - M. Linden, Rap. - M. Mathon, Av. Gén. - SCP Célice, Blancpain et Soltner, Av.

N° 387

Contrat de travail, ruptureLicenciement. - Cause. - Cause réelle et sérieuse. - Faute du salarié. - Faute grave. - Office du juge.

Le juge saisi de la contestation d’un licenciement doit apprécier les éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis conformément aux règles applicables audit licenciement sans être lié par la qualification pénale que l’employeur a donnée aux faits énoncés dans la lettre de licenciement ; lorsque l’employeur procède à un licenciement pour faute grave, en reprochant à son salarié d’avoir commis une diffamation, il lui appartient d’établir la preuve de la réalité et de la gravité de la faute qu’il prétend privative de l’indemnité de licenciement et du délai-congé.

Soc. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-41.504. - C.A. Paris, 19 janvier 2005.

M. Bailly, Pt (f.f.). - M. Béraud, Rap. - SCP Gatineau, Me Spinosi, Av.

N° 388

Contrats et obligations conventionnellesCaducité. - Caractérisation. - Applications diverses.

Ayant constaté qu’aucune des parties ne s’était souciée de faire dresser le bilan d’activité stipulé à l’accord provisoire relatif à l’exploitation d’une clinique ni ne prouvait que le seuil de rentabilité auquel était subordonné le sort de la convention avait été ou non atteint, le juge du fond a fait ressortir la caducité du contrat et, partant, la perte de valeur juridique des obligations qu’il contenait.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-11.775. - C.A. Aix-en-Provence, 11 mai 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - SCP Richard, SCP Boulloche, Av.

N° 389

Contrats et obligations conventionnellesNullité. - Exception de nullité. - Mise en œuvre. - Conditions. - Moyen de défense à une demande d’exécution d’un acte juridique non encore exécuté.

L’exception de nullité peut être invoquée afin de faire échec à la demande d’exécution de l’acte juridique qui n’a pas encore été exécuté.

Encourt donc la cassation l’arrêt qui, pour déclarer des caution irrecevables à invoquer l’exception de nullité du cautionnement qu’elles ont souscrit à l’effet de garantir un prêt, énonce que cette exception ne peut être opposée au prêteur postérieurement à l’expiration du délai de prescription de cinq ans en cas d’exécution du contrat de prêt alors que l’acte juridique en exécution duquel le prêteur agit à l’encontre des cautions est non pas le contrat de prêt mais le cautionnement garantissant celui-ci.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-12.080. - C.A. Angers, 22 octobre 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Charruault, Rap. - M. Cavarroc, Av. Gén. - SCP Richard, Me Capron, Av.

N° 390

Convention européenne des droits de l’hommeArticle 6 § 1. - Violation. - Défaut. - Cas. - Application immédiate d’une présomption de régularité de certains actes des organismes de sécurité sociale au regard de l’agrément des agents chargés de leur mise en œuvre. - Conditions. - Impérieux motif d’intérêt général. - Applications diverses. - Article 73 de la loi n° 2000-1199 du 18 décembre 2003.

L’application de l’article 73 de la loi n° 2003-1199 n’est pas contraire aux principes consacrés par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que, sans incidence sur le règlement du fond du litige ni sur le droit pour le débiteur de la contribution de contester le bien-fondé du redressement, elle obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général caractérisés par la nécessité d’éviter le développement d’un contentieux de nature à mettre en péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et par suite la pérennité du système de protection sociale.

Les charges exposées par un laboratoire pharmaceutique, en relation avec la mission de pharmacovigilance incombant aux visiteurs médicaux, par application de l’article L. 5122-11 du code de la santé publique, ainsi que les frais engagés pour l’organisation de congrès à caractère scientifique, étrangers à la présentation des médicaments fabriqués et à la prospection des praticiens, n’entrent pas dans l’assiette de la contribution instituée par l’article L. 245-1 du code de la sécurité sociale.

Il incombe à la société qui prétend s’exonérer de justifier du montant des charges qu’elle a exposées au titre de sa mission de pharmacovigilance.

2e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-30.838. - C.A. Versailles, 5 octobre 2004.

Mme Favre, Pt. - M. Thavaud, Rap. - Mme Barrairon, Av. Gén. - SCP Gatineau, SCP Bachellier et Potier de la Varde, Av.

81•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

N° 391

1° Conventions internationalesAccords et conventions divers. - Convention de La Haye du 25 octobre 1980. - Aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. - Article 3. - Déplacement illicite. - Définition. - Cas.

2° Conventions internationalesAccords et conventions divers. - Convention de La Haye du 25 octobre 1980. - Aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. - Article 13 § b. - Non-retour de l’enfant. - Obligation d’ordonner le retour de l’enfant. - Exclusion. - Cas. - Exposition de l’enfant à un risque grave de danger physique ou psychique. - Caractérisation. - Défaut. - Applications diverses.

1° Ayant relevé que les témoignages produits établissent que le séjour en Angleterre de la mère et de ses enfants ne correspond en rien à une situation provisoire, la mère exerçant une activité salariée et les enfants étant inscrits au jardin d’enfants, et qu’après l’échec de la tentative de réconciliation du couple, le père, revenu en France, n’a pas rendu visite à ses enfants ni déposé plainte pour déplacement illicite, de sorte qu’il a bien admis le principe de leur installation en Grande-Bretagne, c’est à bon droit qu’une cour d’appel décide qu’est illicite au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et constitue une atteinte au droit de garde amiablement convenu, le déplacement des enfants en France intervenu sans concertation, à la seule initiative du père.

2° Justifie légalement sa décision la cour d’appel qui, après avoir relevé que l’enquête de police effectuée en Angleterre à la demande du père n’a pas établi de situation de danger, que les services sociaux britanniques ne disposent d’aucun dossier concernant les enfants et qu’en outre le directeur de l’établissement dans lequel ils sont scolarisés n’a relevé aucun signe de mauvais traitement, estime souverainement, sans considérer que les conditions de vie actuelles des enfants constituent un obstacle à leur retour, que le certificat médical, établi plus de trois mois après le déplacement des enfants, alors que ceux-ci vivent avec leur père, lequel n’a pas jugé utile d’évoquer de risque de maltraitance lors de son audition devant les services de police auxquels il a donné son accord, non suivi d’effet, pour un retour amiable des enfants en Angleterre, et les griefs retenus à l’encontre de la mère ne sont pas suffisamment caractérisés pour justifier le non-retour des enfants au lieu de leur résidence habituelle.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-15.692. - C.A. Aix-en-Provence, 7 avril 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Vassallo, Rap. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 392

1° Cour d’assisesDébats. - Procès-verbal. - Mentions. - Réponses aux questions. - Indication du nom de chaque accusé. - Nécessité.

2° Cour d’assisesDébats. - Témoins. - Serment. - Constatations nécessaires.

3° Cour d’assisesQuestions. - Forme. - Circonstances aggravantes. - Référence à une autre question portant sur le fait principal. - Nécessité.

1° Selon l’article 379 du code de procédure pénale, le président peut ordonner, d’office ou sur la demande des parties, la mention, au procès-verbal des débats, des réponses des accusés. Le nom de chaque accusé doit être précisé.

2° La cassation est encourue s’il ne résulte pas expressément des mentions du procès-verbal que des témoins acquis aux débats, qui ont été introduits dans la salle d’audience, ont déposé après avoir prêté le serment prescrit par l’article 331, alinéa 3, du code de procédure pénale.

3° La question relative à une circonstance aggravante doit se référer à une autre question portant sur le fait principal imputé à l’accusé.

Crim. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 06-81.331. - Cour d’assises de la Haute-Garonne, 3 février 2006.

M. Cotte, Pt. - M. Pelletier, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, SCP Thouin-Palat, Av.

N° 393

Cour d’assisesQuestions. - Forme. - Viol. - Définition. - Loi du 23 décembre 1980. - Faits antérieurs. - Question posée dans les termes de la loi applicable au moment des faits.

Dès lors que les faits retenus par la décision de renvoi comme constitutifs de viol sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1980, la cour et le jury doivent, à peine de nullité, être interrogés sur la culpabilité de l’accusé dans les termes de l’article 332, alinéa premier, du code pénal en sa rédaction applicable au moment des faits, qui, incriminant le viol et le définissant par ce seul terme, soumet à la cour et au jury le point de fait auquel ils doivent répondre.

Crim. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 06-80.655. - Cour d’assises du Pas-de-Calais, 13 décembre 2005.

M. Cotte, Pt. - M. Corneloup, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén. - Me Spinosi, Av.

N° 394

DélaisAugmentation en raison de la distance. - Domaine d’application. - Juge des référés. - Délai de comparution.

Aucun texte ne fixant le délai de comparution devant le juge des référés, les dispositions des articles 643 et 645 du nouveau code de procédure civile, qui ont pour objet d’en augmenter la durée, ne sont pas applicables.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 06-10.714. - C.A. Paris, 22 juillet 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Boval, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - Me Blanc, SCP Gatineau, Av.

82•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

N° 395

Divorce, séparation de corpsProcédure. - Voies de recours. - Régime. - Loi nouvelle. - Application dans le temps.

Selon l’article 33 IV de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, l’appel et le pourvoi en cassation sont formés, instruits et jugés selon les règles applicables lors du prononcé de la décision de première instance.

Dès lors, viole ce texte une cour d’appel qui prononce le divorce pour altération définitive du lien conjugal alors que sur assignation délivrée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le premier juge a prononcé le divorce pour rupture de la vie commune.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 05-20.798. - C.A. Aix-en-Provence, 5 juillet 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - SCP Bachellier et Potier de la Varde, Me Cossa, Av.

N° 396

Divorce, séparation de corpsRègles spécifiques au divorce. - Effets du divorce. - Effets à l’égard des époux. - Effets quant aux biens. - Point de départ. - Report à la date de la cessation de la cohabitation et de la collaboration. - Collaboration. - Caractérisation. - Défaut. - Applications diverses.

Le fait pour un mari de se porter caution solidaire de son épouse pour le paiement des loyers et charges dues par celle-ci en sa qualité de locataire, postérieurement à leur séparation, ne constitue pas un fait de collaboration au sens de l’article 262-1, alinéa 2, du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-21.013. - C.A. Douai, 8 septembre 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - Me Capron, Av.

N° 397

Divorce, séparation de corpsRègles spécifiques au divorce. - Effets du divorce. - Effets à l’égard des époux. - Effets quant aux biens. - Point de départ. - Report à la date de la cessation de la cohabitation et de la collaboration. - Portée.

En cas de report, le divorce prend effet dans les rapports entre époux en ce qui concerne leurs biens à la première heure du jour fixé pour la date où ils ont cessé de cohabiter et de collaborer.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-21.629. - C.A. Orléans, 26 septembre 2005.

M. Ancel, Pt. - M. Falcone, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Delaporte, Briard et Trichet, Av.

N° 398

Divorce, séparation de corpsRègles spécifiques au divorce. - Prestation compensatoire. - Attribution. - Forme. - Capital. - Montant. - Détermination. - Nécessité. - Portée.

Il résulte des articles 274 et 275 du code civil dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 que lorsque la prestation compensatoire prend la forme d’une attribution de biens en propriété, sa valeur doit être précisée dans la décision qui la fixe.

Viole ces textes une cour d’appel qui ne précise pas, dans le dispositif de l’arrêt, le montant de la prestation compensatoire ainsi que la valeur qu’elle retient pour le bien immobilier attribué à ce titre.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-16.997. - C.A. Aix-en-Provence, 9 octobre 2003.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - Me Cossa, SCP Ancel et Couturier-Heller, Av.

N° 399

DouanesAgent des douanes. - Pouvoirs. - Droit de communication. - Etendue. - Documents. - Exclusion. - Remise de deux appareils aux fins du recensement de leurs composants.

La remise aux agents des douanes de deux appareils aux fins du recensement de leurs composants ne peut être assimilée à la communication de documents, au sens de l’article 65 du code des douanes, relatif au droit de communication de l’administration.

Com. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-11.386. - C.A. Paris, 25 novembre 2004.

M. Tricot, Pt. - M. Truchot, Rap. - M. Casorla, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 400

Droit de rétentionBénéficiaire. - Obligations. - Conservation de la chose retenue. - Portée.

Le droit de rétention ne dispense pas le rétenteur de procéder aux diligences nécessaires à la conservation de la chose retenue, avec la possibilité de réclamer le remboursement des frais ainsi exposés.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.429. - C.A. Montpellier, 22 septembre 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, SCP Vincent et Ohl, Av.

N° 401

1° Elections professionnellesComité d’entreprise et délégué du personnel. - Collèges électoraux. - Répartition du personnel. - Accord entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées. - Défaut. - Compétence de l’inspecteur du travail. - Portée.

2° Prud’hommesCassation. - Arrêt. - Arrêt de cassation. - Cassation sans renvoi. - Applications diverses.

1° En l’absence de tout accord avec les organisations syndicales sur l’intégration du personnel administratif dans le deuxième collège, le chef d’entreprise doit saisir l’inspecteur du travail. En l’absence de décision de ce dernier, l’élection n’est pas valablement organisée.

83•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

2° Il y a lieu à cassation sans renvoi d’un jugement ayant décidé à tort que des élections professionnelles avaient été valablement organisées, la cour de cassation pouvant mettre fin au litige en prononçant l’annulation des élections.

Soc. - 8 novembre 2006.Cassation sans renvoi

N° 06-60.007. - T.I. Caen, 6 janvier 2006.

M. Sargos, Pt. - Mme Farthouat-Danon, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - Me Foussard, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Av.

N° 402

Elections professionnellesComité d’entreprise et délégué du personnel. - Opérations électorales. - Modalités d’organisation et de déroulement. - Protocole d’accord préélectoral. - Objet. - Détermination. - Portée.

L’accord préélectoral qui détermine la répartition des personnels et des sièges entre les collèges conformément aux articles L. 423-3, alinéa 2, et L. 433-2, alinéa 6, du code du travail, s’impose aux parties, même s’il n’est pas unanime ; il en est de même pour la date limite de dépôt des listes de candidats et la date du scrutin, fixées par l’accord. En présence d’un tel accord, l’inspecteur du travail n’a pas compétence pour modifier l’accord de répartition et sa saisine par un syndicat qui conteste l’accord ne suspend pas le processus électoral.

Soc. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-60.283. - T.I. Rennes, 30 juin 2005.

M. Sargos, Pt. - M. Bouret, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - Me Haas, SCP Gatineau, Av.

N° 403

1° Elections professionnellesComité d’entreprise et délégué du personnel. - Opérations électorales. - Modalités d’organisation et de déroulement. - Second tour. - Organisation. - Initiative. - Détermination.

2° Prud’hommesCassation. - Arrêt. - Arrêt de cassation. - Cassation sans renvoi. - Applications diverses.

1° Il appartient à l’employeur d’organiser un second tour en cas de vacance partielle des sièges à l’issue d’un premier tour. La demande tendant à ce qu’il lui soit enjoint d’organiser ce second tour peut être formée plus de quinze jours à compter de la proclamation des résultats du premier tour.

2° Il y a lieu à cassation partiellement sans renvoi d’un jugement ayant décidé à tort qu’une demande tendant à l’organisation d’un deuxième tour d’élections professionnelles dans une entreprise était irrecevable, la Cour de cassation pouvant, par application de l’article 627 du nouveau code de procédure civile, mettre fin au litige de ce chef en décidant que cette demande est recevable, le renvoi étant limité aux points restant en litige.

Soc. - 8 novembre 2006.Cassation partiellement sans renvoi

N° 06-60.036. - T.I. Dijon, 27 janvier 2006.

M. Sargos, Pt. - Mme Farthouat-Danon, Rap. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Me Blondel, Av.

N° 404

EmploiTravail dissimulé. - Sanction. - Indemnisation. - Domaine d’application.

L’indemnité forfaitaire de l’article L. 324-11-1 du code du travail est due quel que soit le mode de rupture de la relation de travail.

En conséquence, elle peut être demandée après qu’un contrat d’apprentissage a pris fin à son terme.

Soc. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-40.197. - C.P.H. Bordeaux, 8 novembre 2004.

M. Sargos, Pt. - Mme Slove, Rap. - M. Foerst, Av. Gén.

N° 405

Entreprise en difficulté (prévention et règlement amiable)Règlement amiable. - Organes de la procédure. - Mandataire ad hoc. - Pouvoirs. - Etendue. - Détermination.

Viole les articles L. 210-9, L. 227-6 du code de commerce et L. 611-3 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et l’article 8 du décret du 27 décembre 1985, l’arrêt qui, pour annuler le jugement, relève que la gérante d’une société, placée sous contrôle judiciaire lui faisant notamment interdiction de gérer et d’administrer toute société, n’a pas perdu sa qualité de dirigeante de droit par le seul effet de cette décision et qu’elle était seule habile à représenter la société, alors que la désignation d’un mandataire ad hoc pour suppléer la carence de la dirigeante impliquait une mission de représentation légale de la société.

Com. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-14.712. - C.A. Nîmes, 10 mars 2005.

M. Tricot, Pt. - Mme Pinot, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - SCP Tiffreau, SCP Nicolaÿ et de Lanouvelle, Av.

N° 406

1° Entreprise en difficultéRedressement judiciaire. - Patrimoine. - Période suspecte. - Nullité de droit. - Domaine d’application. - Etat liquidatif de communauté homologué après la date de cessation des paiements contenant des dispositions relatives aux créances alimentaires ou de prestation compensatoire (oui).

2° Entreprise en difficultéRedressement judiciaire. - Patrimoine. - Période suspecte. - Nullité de droit. - Paiement de dettes échues. - Domaine d’application. - Abandon de la quote-part d’un bien immobilier au titre de l’accomplissement d’un devoir de secours. - Exclusion.

1° L’état liquidatif de communauté compris dans la convention définitive réglant les effets du divorce ou de la séparation de corps sur demande conjointe, conclue après la date de cessation des paiements, n’échappe pas aux nullités des actes accomplis pendant la période suspecte, même si cet acte contient des dispositions relatives aux créances alimentaires ou de prestations compensatoires.

2° L’abandon de la quote-part d’un bien immobilier, au titre de l’accomplissement d’un devoir de secours, ne constitue pas le paiement d’une dette non échue au jour du paiement, au sens de l’article L. 621-107 3° du code de commerce.

Com. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 04-18.650. - C.A. Aix-en-Provence, 22 juin 2004.

84•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

M. Tricot, Pt. - Mme Pinot, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - Me Blanc, Av.

Note sous Com., 7 novembre 2006, n° 406 ci-dessus

Cet arrêt illustre une nouvelle fois la difficile articulation entre les règles du droit de la famille et les exigences des procédures collectives.

La jurisprudence de la chambre commerciale concernant les créances alimentaires est fixée notamment par deux arrêts remarqués du 8 décembre 2003 (Bull. 2003, IV, no 151 et 152) décidant que la créance née de la prestation compensatoire qui présente pour partie un caractère alimentaire n’a pas à être déclarée au passif du débiteur soumis à procédure collective (premier arrêt), que la créance alimentaire peut être payée sans avoir été déclarée au passif du débiteur soumis à procédure collective et que cette créance d’aliments, dette personnelle de ce débiteur, doit être payée sur les revenus dont il conserve la disposition ou bien être recouvrée par la voie de la procédure de paiement direct ou de recouvrement public des pensions alimentaires.

Par le présent arrêt, d’abord la chambre a précisé sa position relative au sort de l’état liquidatif de communauté réglant les effets du divorce ou de la séparation de corps sur demande conjointe au regard des nullités de la période suspecte. En décidant que l’état liquidatif n’échappe pas aux nullités des actes accomplis pendant la période suspecte, même si cet acte contient des dispositions relatives aux créances alimentaires ou de prestations compensatoires, elle rejoint celle qui a été adoptée par la première chambre (1re Civ., 25 janvier 2000, Bull. 2000, I, n° 19) décidant que l’état liquidatif compris dans la convention de divorce homologuée avant le prononcé de la liquidation judiciaire du mari est susceptible d’être annulé sur le fondement des nullités de la période suspecte (déjà sous l’empire de la loi de 1967, la chambre mixte, par arrêt du 6 décembre 1985, Bull. 1985, Ch. mixte, n° 1, s’était prononcée en faveur de l’application des inopposabilités de la période suspecte au partage réalisé par les époux dans leur convention jointe au jugement de divorce sur requête conjointe), étant cependant précisé que lorsque le prononcé de la liquidation judiciaire est antérieur à l’homologation de la convention de divorce ou de séparation de corps, ce sont les règles du dessaisissement qui doivent s’appliquer (Com., 26 avril 2000, pourvoi n° 97-10.335).

Ensuite, la chambre a été conduite à préciser que la pension alimentaire fondée sur le devoir de secours peut prendre la forme de l’abandon d’un bien en nature à l’époux créancier et que l’accomplissement du devoir de secours sous cette forme n’entre pas dans le champ de l’article L. 621-107 3° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (cf. déjà 2e Civ., 29 septembre 1982, Bull. 1982, II, n° 115, admettant le principe de l’abandon d’un bien en nature affecté ou attribué à l’époux créancier au titre du devoir de secours après le divorce ou de prestation compensatoire).

Cette position qui révèle une appréciation restrictive du domaine des nullités de la période suspecte témoigne du souci de la chambre commerciale de concilier les deux ordres de règles.

N° 407

Entreprise en difficultéRedressement judiciaire. - Période d’observation. - Gestion. - Contrats en cours. - Résiliation de plein droit. - Conditions. - Détermination.

La résiliation de plein droit d’un contrat en cours prévue à l’alinéa 3 de l’article L. 621-28 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, qui doit nécessairement être constatée par le juge-commissaire, suppose que l’administrateur ait opté

expressément ou tacitement pour la continuation du contrat ; il s’ensuit qu’en l’absence d’option expresse ou tacite de la part de l’administrateur pour la continuation, le contrat non exécuté par celui-ci n’est pas résilié de plein droit.

Encourt dès lors la cassation l’arrêt qui, ayant constaté que ni l’administrateur ni le cocontractant n’avait exécuté le contrat qui était en cours au jour du jugement d’ouverture, retient que ce contrat s’était trouvé résilié de plein droit un mois après le jugement d’ouverture et que la demande en revendication formée plus de trois mois après cette date était tardive.

Com. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-17.112. - C.A. Rennes, 12 avril 2005.

M. Tricot, Pt. - Mme Orsini, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - SCP Gatineau, Av.

Note sous Com., 7 novembre 2006, n° 407 ci-dessus

Cet arrêt se prononce sur les conditions d’application de l’alinéa 3 de l’article L. 621-28 du code de commerce qui prévoit la résiliation de plein droit des contrats en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective, à défaut de paiement d’une somme d’argent et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles.

La cour d’appel avait retenu que le contrat, qui était en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective, s’était trouvé résilié de plein droit dans la mesure où ni l’administrateur ni le cocontractant n’en avait demandé l’exécution ; elle en avait déduit que la demande en revendication intervenue plus de trois mois après la résiliation de plein droit du contrat avait été formée hors délai.

La chambre commerciale censure cet arrêt.

Elle précise que la résiliation de plein droit prévue à l’alinéa 3 de l’article L. 621-28 du code de commerce suppose que l’administrateur ait préalablement opté pour la continuation du contrat, soit de manière expresse (spontanément, Com., 20 juin 2000, Bull. 2000, IV, n° 130, ou après mise en demeure), soit de manière tacite (Com., 3 décembre 1996, Bull. 1996, IV, n° 302) : ce n’est que dans cette hypothèse d’un contrat tout d’abord « continué » que pourra jouer la résiliation de plein droit prévue audit article.

Contrairement à ce qu’elle a retenu lorsqu’est en cause la résiliation de plein droit prévue à l’alinéa premier de l’article L. 621-28 du code de commerce (Com., 18 mars 2003, Bull. 2003, IV, n° 47), la chambre commerciale précise, de manière incidente, que la résiliation de plein droit prévue à l’alinéa 3 doit nécessairement être constatée par le juge-commissaire qui, conformément à l’article 61-1 du décret du 27 décembre 1985, en fixera la date ; il s’agit de limiter les incertitudes quant au point de départ du délai de revendication ou du délai supplémentaire pour déclarer la créance résultant de la résiliation.

N° 408

Entreprise en difficultéResponsabilité. - Dirigeant social. - Action en comblement. - Pluralité de dirigeant de droit ou de fait. - Solidarité. - Exclusion. - Portée.

Aucune solidarité n’existe entre les dirigeants de droit et de fait d’une même personne morale au regard de l’action en paiement de l’insuffisance d’actif de celle-ci, le juge ayant seulement, en application de l’article L. 624-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, la faculté de dire que les condamnations seront exécutées avec ou sans solidarité.

85•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

Il en résulte que l’action en paiement de l’insuffisance d’actif engagée dans le délai légal contre un dirigeant n’interrompt pas la prescription à l’égard des autres dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait.

Com. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-16.693. - C.A. Paris, 7 juin 2005.

M. Tricot, Pt. - M. Delmotte, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - Me Blanc, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, Av.

Note sous Com., 7 novembre 2006, n° 408 ci-dessus

Le principe selon lequel il n’existe aucune solidarité entre les dirigeants de droit et de fait d’une même personne morale au regard de l’action en paiement de l’insuffisance d’actif avait déjà été énoncé par la chambre commerciale dans un arrêt non publié du 26 octobre 1999 (pourvoi n° 97-10.464) qui constituait un revirement par rapport à un précédent arrêt du 2 juillet 1991 (Com., pourvoi n° 89-18.561), lequel avait été critiqué par la doctrine (Adrienne Honorat, Dalloz 1991, Sommaires commentés, p. 329).

L’absence de solidarité en pareil cas a pour conséquence que l’action en paiement de l’insuffisance d’actif engagée dans le délai légal contre un dirigeant n’interrompt pas la prescription à l’égard des autres dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait.

N° 409

Etat civilService de l’état civil. - Fonctionnement. - Dommage. - Réparation. - Action en responsabilité. - Défendeur. - Détermination. - Portée.

Une action, qui met en cause le fonctionnement du service de l’état civil d’une commune, doit être dirigée contre l’Etat et non contre la commune dès lors que le maire et les agents communaux assurent le service public de l’état civil au nom de l’Etat.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 04-10.058. - C.A. Nancy, 10 juin 2003.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - SCP Bachellier et Potier de la Varde, SCP Peignot et Garreau, Av.

N° 410

EtrangerMesures d’éloignement. - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire. - Prolongation de la rétention. - Ordonnance du juge des libertés et de la détention. - Ordonnance mise en liberté. - Possibilité. - Conditions. - Mise en mesure pour l’autorité administrative de présenter ses observations. - Nécessité.

Méconnaît le principe de la contradiction consacré tant par l’article 16, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile que, de manière spécifique, par l’article 14 du décret n° 2004-1215 du 17 novembre 2004, le juge des libertés et de la détention qui, saisi sur le fondement de l’article 13 de ce texte par un étranger maintenu en rétention administrative, décide de sa propre initiative la mise en liberté de l’intéressé sur le fondement de l’article 14 précité, sans qu’il résulte des mentions de l’ordonnance ou des pièces de la procédure que l’autorité administrative ait été préalablement mise en mesure de présenter ses observations sur ce point.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation sans renvoi

N° 05-20.478. - T.G.I. Paris, 7 septembre 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Ingall-Montagnier, Rap. - SCP Peignot et Garreau, Av.

N° 411

1° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Inscription. - Assemblée générale de la cour. - Président. - Délégué. - Désignation. - Possibilité.

2° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Réinscription. - Assemblée générale de la cour. - Procès-verbal. - Mentions. - Présence des rapporteurs désignés et du ministère public. - Portée.

3° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Inscription. - Assemblée générale de la cour. - Décision. - Refus. - Motivation. - Nécessité (non).

1° Le président de la juridiction peut désigner un délégué pour présider l’assemblée générale des magistrats du siège statuant sur la demande d’inscription sur la liste des experts.

2° Dès lors que le procès-verbal de ladite assemblée mentionne la présence des rapporteurs désignés et du ministère public, ces mentions emportent présomption que les rapporteurs désignés et le représentant du ministère public ont été effectivement entendus par l’assemblée générale.

3° Aucune disposition de la loi du 29 juin 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004 ou du décret du 23 décembre 2004 pris pour son application, n’impose la motivation des décisions de refus d’inscription initiale en qualité d’expert, à titre probatoire, pour une durée de deux ans, dans une rubrique particulière, d’une liste dressée par une cour d’appel.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 06-11.399. - C.A. Rennes, 4 novembre 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Lafargue, Rap. - Me Foussard, Av.

N° 412

1° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Réinscription. - Assemblée générale de la cour. - Procès-verbal. - Mentions. - Présence des rapporteurs désignés et du ministère public. - Portée.

2° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Réinscription. - Commission. - Avis. - Composition de la commission. - Indication. - Défaut. - Portée.

3° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Réinscription. - Commission. - Avis. - Motivation. - Nécessité. - Portée.

4° Expert judiciaireListe de la cour d’appel. - Réinscription. - Assemblée générale de la cour. - Procès-verbal. - Mentions. - Défaut de participation des membres de la commission à la délibération. - Indication. - Nécessité. - Portée.

1° La mention, dans le procès-verbal de l’assemblée générale des magistrats du siège d’une cour d’appel se prononçant sur l’inscription ou la réinscription d’un expert, de la présence

86•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

des rapporteurs désignés et du ministère public emporte présomption que ceux-ci ont été effectivement entendus par l’assemblée générale.

2° Encourt l’annulation la décision de l’assemblée générale des magistrats du siège d’une cour d’appel qui refuse la réinscription d’un expert alors que l’avis défavorable de la commission instituée par l’article 2 II de la loi du 29 juin 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, n’indiquait pas le nom des magistrats qui la composaient.

3° La commission instituée par l’article 2 II de la loi du 29 juin 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, émet, selon l’article 14 du décret du 23 décembre 2004, un avis motivé sur la candidature d’un expert qui sollicite sa réinscription.

Dès lors, encourt l’annulation la décision de l’assemblée générale des magistrats du siège d’une cour d’appel qui refuse la réinscription d’un expert au vu de l’avis non motivé de la commission de réinscription.

4° Selon l’article 15, alinéa 2, du décret du 23 décembre 2004, les magistrats membres de la commission instituée par l’article 2 II de la loi du 29 juin 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, ne participent pas à la délibération portant sur la réinscription des experts.

Par suite, doit être annulée la décision de l’assemblée générale des magistrats du siège d’une cour d’appel refusant la réinscription d’un expert, dès lors qu’il ne résulte pas des mentions du procès-verbal de décision de cette assemblée que les magistrats de la cour d’appel, membres de la commission, n’ont pas participé à la délibération portant sur la réinscription des experts.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Annulation partielle

N° 06-14.589. - C.A. Dijon, 28 novembre 2005.

M. de Givry, Pt (f.f.). - M. Grignon Dumoulin, Rap. - M. Benmakhlouf, Av. Gén. - SCP Richard, Av.

N° 413

Expropriation pour cause d’utilité publique

Indemnité. - Immeuble. - Situation juridique de l’immeuble. - Plan d’occupation des sols. - Parcelle expropriée classée pour partie en zone naturelle. - Déclaration d’utilité publique de mise en compatibilité avec une opération d’urbanisme. - Effet. - Soumission automatique au droit de préemption urbain institué antérieurement sur les zones d’urbanisation future (non).

Une déclaration d’utilité publique emportant mise en compatibilité du plan d’occupation des sols d’une commune avec une opération d’urbanisme ne peut avoir pour effet, en l’absence d’une nouvelle délibération du conseil municipal instituant un droit de préemption sur une partie de la parcelle expropriée reclassée en zone d’urbanisation future, de soumettre automatiquement celle-ci au droit de préemption urbain institué antérieurement dans une zone de ce type.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-17.462. - C.A. Orléans, 14 juin 2005.

M. Weber, Pt. - Mme Boulanger, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - Me Cossa, Me Haas, SCP Thouin-Palat, Av.

N° 414

Frais et dépensEléments. - Ecoutes téléphoniques. - Convention du 16 novembre 1995 conclue entre France Télécom et le ministère de la justice. - Opposabilité au juge taxateur (non).

La convention en date du 16 novembre 1995 conclue entre France Télécom et le ministère de la justice est inopposable au juge taxateur en matière de frais de justice criminelle, correctionnelle et de police ; il appartient au juge d’apprécier souverainement la juste rémunération due à la partie requise.

Arrêt n° 1 :

Crim. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 06-83.104. - C.A. Metz, 14 février 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Palisse, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Tiffreau, Av.

Arrêt n° 2 :

Crim. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 06-86.154. - C.A. Montpellier, 11 juillet 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Palisse, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Tiffreau, Av.

N° 415

Fraudes et falsificationsTromperies. - Tromperie sur la nature, l’origine, les qualités substantielles ou la composition. - Denrées alimentaires. - Coquilles Saint-Jacques. - Trempage. - Absence d’usage professionnel établi. - Appréciation souveraine.

Constitue le délit de tromperie le trempage des coquilles Saint-Jacques, procédé dont les juges du fond apprécient souverainement qu’il ne correspond pas à un usage professionnel établi, et qui, en accroissant le taux d’humidité du produit au détriment de la proportion de protéines, entraîne, sans que les consommateurs en soient informés, une altération des qualités substantielles de cette marchandise ainsi qu’une modification de sa teneur en principes utiles.

Crim. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 06-80.318. - C.A. Rennes, 8 décembre 2005.

M. Cotte, Pt. - Mme Guihal, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 416

Impôts et taxesEnregistrement. - Droits de mutation. - Mutation à titre onéreux de meubles. - Cession de droits sociaux. - Cession donnant le droit à la jouissance d’immeuble. - Objet. - Appréciation. - Portée.

Ayant retenu que l’acquisition de la totalité des actions d’une société avait conféré à son propriétaire, en fait et en droit, à raison de la parfaite maîtrise juridique qu’il exerçait sur les organes de la société cédante, le droit à la jouissance de l’immeuble au sens des articles 728 du code général des impôts et 292 de l’annexe II du même code, dans le seul but de réaliser puis de revendre un ensemble immobilier, dans des murs, initialement à destination hôtelière, ainsi rachetés, une cour d’appel en a déduit à bon droit que la cession des parts était réputée avoir eu pour objet ledit immeuble.

87•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

Com. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-13.870. - C.A. Chambéry, 25 janvier 2005.

M. Tricot, Pt. - M. Salomon, Rap. - Me Balat, SCP Thouin-Palat, Av.

N° 417

Impôts et taxesImpôt de solidarité sur la fortune. - Assiette. - Déduction. - Dette litigieuse ou contestée (non). - Durée à considérer.

Pour être déductible de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune, une dette doit être certaine au jour du fait générateur de l’impôt, soit au 1er janvier de l’année d’imposition, ce qu’elle n’est pas en cas de litige ou de contestation et aussi longtemps que dure ce litige ou cette contestation.

En conséquence, viole les articles 885 D et 768 du code général des impôts, ensemble les articles 2044, alinéa premier, et 2052, alinéa premier, du code civil, la cour d’appel qui retient que le montant de la dette qui doit être déduit de l’assiette imposable est celui qui a été fixé par l’arrêt d’une cour d’appel, alors qu’elle avait relevé que le débiteur s’était pourvu en cassation contre cet arrêt et qu’une transaction réduisant le montant de la dette avait été conclue postérieurement entre ce dernier et ses créanciers, ce dont il résultait que la transaction avait seule mis fin à la contestation, rendant la dette rétroactivement certaine dans le montant qu’elle avait ainsi fixé.

Com. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 04-16.419. - C.A. Versailles, 29 avril 2004.

M. Tricot, Pt. - M. Truchot, Rap. - SCP Thouin-Palat, SCP Delaporte, Briard et Trichet, Av.

N° 418

Juge de l’exécutionPouvoirs. - Décision fondant les poursuites. - Condamnation prononcée. - Montant. - Précision sur l’application de la TVA. - Défaut. - Portée.

Saisi d’une difficulté d’exécution, le juge de l’exécution peut retenir que la TVA est due sur le montant de la condamnation prononcée, sans porter atteinte à l’autorité de la chose jugée par le jugement qui, servant de fondement aux poursuites, ne comportait aucune précision sur ce point.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.860. - C.A. Paris, 25 novembre 2004.

Mme Favre, Pt. - M. Moussa, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 419

Juridictions correctionnellesDébats. - Publicité. - Domaine d’application. - Requête en matière d’astreinte (article L. 480-7 du code de l’urbanisme).

Aucune disposition du code de l’urbanisme ne déroge à la règle de la publicité des débats lorsque la juridiction correctionnelle est saisie de toute demande relative à une astreinte prononcée en application de l’article L. 480-7 dudit code.

Crim. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 06-80.882. - C.A. Pau, 5 janvier 2006.

M. Cotte, Pt. - M. Blondet, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 420

Lois et règlementsAbrogation. - Expropriation forcée à des immeubles communs à des époux. - Article 2208 du code civil. - Abrogation par l’article 53 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985. - Effets. - Point de départ. - Détermination.

L’article 2208 ancien du code civil, qui ne constituait pas une disposition déterminant le droit de poursuite des créanciers au sens de l’article 57 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, a été abrogé par l’article 53 de ladite loi à compter de son entrée en vigueur, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la date de naissance de la créance.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-17.201. - C.A. Montpellier, 1er avril 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Taÿ, Rap. - SCP Richard, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Av.

N° 421

Majeur protégéDispositions générales. - Actes. - Nullité. - Cause. - Insanité d’esprit. - Action post-mortem. - Conditions. - Introduction d’une action en ouverture de tutelle ou de curatelle avant le décès de l’auteur de l’acte. - Caractérisation. - Cas.

C’est à bon droit, ayant souverainement relevé que la propriétaire de l’immeuble, domiciliée en Allemagne, est décédée après avoir été placée sous le régime allemand de la curatelle, équivalent au régime français, à la suite d’une demande formée avant son décès et qu’elle était atteinte d’un trouble mental important au moment de la signature des deux procurations, qu’une cour d’appel décide, en application de l’article 489-1 du code civil français, d’annuler les ventes.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-12.353. - C.A. Aix-en-Provence, 1er décembre 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Vassallo, Rap. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Jacoupy, Av.

N° 422

MariageDevoirs et droits respectifs des époux. - Droits sur le logement de la famille. - Acte de disposition. - Acte pris par un époux. - Consentement du conjoint. - Défaut. - Effets. - Nullité. - Action en nullité. - Délai de prescription. - Domaine d’application. - Etendue.

La résiliation par un époux sans le consentement de son conjoint d’un contrat d’assurance relatif à un bien commun n’encourant la nullité, en application de l’article 215, alinéa 3, du code civil, que dans la seule mesure où ce bien est affecté au logement de la famille, l’action en nullité est soumise à la prescription d’un an prévue par ce texte.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-19.402. - C.A. Amiens, 20 juin 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Chardonnet, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - SCP Richard, Me Cossa, Av.

88•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

N° 423

1° MineurAdministration légale. - Administrateur légal. - Acte devant être accompli avec autorisation judiciaire. - Autorisation du juge des tutelles. - Autorisation postérieure à l’accomplissement de l’acte. - Effets. - Confirmation de l’acte (non).

2° MineurAdministration légale. - Administrateur légal. - Représentation du mineur. - Domaine d’application.

1° L’ordonnance d’un juge des tutelles autorisant la souscription de parts de sociétés civiles de placement immobilier postérieurement à la réalisation de celle-ci par le représentant légal d’un mineur ne constitue pas une confirmation de cet acte.

2° Il résulte de la combinaison des articles 389-3 du code civil, L. 341-2 et L. 341-4 du code monétaire et financier qu’est autorisé le démarchage, par un établissement de crédit, d’une personne majeure agissant en qualité de représentant légal d’un mineur.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 04-15.799. - C.A. Reims, 14 avril 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Gorce, Rap. - M. Cavarroc, Av. Gén. - SCP de Chaisemartin et Courjon, SCP Boré et Salve de Bruneton, Me Carbonnier, Av.

Note sous 1re Civ., 7 novembre 2006, n° 423 ci-dessus

Cet arrêt permet d’aborder deux questions, l’une relative à la confirmation des actes passés par le représentant légal d’un mineur sans l’autorisation préalable du juge des tutelles, l’autre relative à l’étendue de la protection des mineurs en matière de démarchage bancaire ou financier.

Une souscription de parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) avait été réalisée par l’administrateur légal d’un mineur sans l’accord préalable du juge des tutelles ; pouvait-elle être régularisée au moyen d’une autorisation postérieure de celui-ci ?

Les actes faits par un tuteur sans autorisation du conseil de famille sont atteints d’une nullité relative qui ne peut être invoquée que par le mineur ou son représentant légal. Cette nullité, attachée au dépassement de ses pouvoirs par le tuteur, peut néanmoins disparaître soit par la confirmation de l’acte, soit par la prescription de l’article 1304 du code civil (Ass. plén., 28 mai 1982, Bull. 1982, Ass. plén., n° 3).

Si la confirmation peut prendre la forme, en cours de tutelle, d’une réitération de l’acte, conforme aux conditions légales, l’arrêt précise qu’elle ne peut prendre la forme d’une simple autorisation, a posteriori, du juge des tutelles.

L’arrêt du 7 novembre 2006 réaffirme donc, plus d’un siècle après celui des chambres réunies du 21 mai 1897 (DP 1897, I, p. 277) que l’autorisation donnée au représentant légal d’un mineur, pour être valable et garantir ses intérêts, doit être préalable à l’acte.

La protection du mineur qu’organise la loi relative au démarchage bancaire ou financier s’étend-elle à son représentant légal ?

L’article L. 341-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 1972 qui était applicable en l’espèce, interdisait le démarchage d’un mineur.

Les juges du fond avaient considéré que la banque avait fait souscrire des parts de SCPI à un mineur, la circonstance

qu’elle se fût adressée non pas directement au mineur mais à son représentant légal étant sans incidence sur la licéité du démarchage.

La première chambre casse l’arrêt de la cour d’appel au motif que le démarchage, par un établissement de crédit, d’une personne majeure agissant en qualité de représentant légal d’un mineur, est autorisé. Celui-ci n’est donc pas concerné par les règles d’interdiction prévues pour la protection des mineurs.

N° 424

NationalitéNationalité française. - Acquisition. - Modes. - Acquisition à raison du mariage. - Déclaration. - Enregistrement. - Action en contestation du ministère public. - Prescription. - Délai de deux ans. - Point de départ. - Découverte de la fraude. - Appréciation souveraine.

Une cour d’appel apprécie souverainement la découverte de la fraude au sens de l’article 26-4, alinéa 3, du code civil.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 04-15.936. - C.A. Paris, 25 mars 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Monéger, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - SCP Ghestin, Av.

N° 425

1° Navigation maritimeCode disciplinaire et pénal de la marine marchande. - Infractions. - Usurpation de l’exercice du commandement d’un navire. - Eléments constitutifs.

2° Pêche maritimeInfractions. - Entrave au contrôle ou à la visite de navire ou embarcation. - Eléments constitutifs.

1° Pour l’application des dispositions du code disciplinaire et pénal de la marine marchande, l’expression de « capitaine » désigne le capitaine ou, à défaut, la personne qui exerce, régulièrement, en fait, le commandement du navire.

Le fait pour toute autre personne de prendre indûment ce commandement est constitutif du délit prévu et réprimé par l’article 45 de ce code.

2° Lorsque, de par son champ d’application, le décret-loi du 9 janvier 1852 régissant, par des dispositions spéciales, l’exercice de la pêche maritime trouve à s’appliquer, toute personne, autre que le capitaine en titre du navire ou celui qui est autorisé à le substituer, faisant entrave, en mer, au contrôle ou à la visite d’un navire de pêche, se rend coupable du délit prévu et réprimé non pas par l’article 7 de ce texte, qui vise le seul capitaine, mais par l’article 8 du même texte.

Crim. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 06-83.092. - C.A. Douai, 26 janvier 2006.

M. Cotte, Pt. - M. Le Corroller, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 426

PartageEvaluation des biens. - Date. - Détermination. - Epoque du partage. - Portée.

Ne donne pas de base légale à sa décision au regard de l’article 890 du code civil une cour d’appel qui, s’agissant de l’évaluation de biens successoraux à partager, applique à

89•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

une estimation immobilière réalisée par un expert l’indice des prix à la construction entre la date de l’expertise et celle de la jouissance divise, sans préciser en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle de la valeur des biens à l’époque du partage.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-18.879. - C.A. Toulouse, 22 juillet 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Chauvin, Rap. - SCP Le Bret-Desaché, SCP Vuitton, Av.

N° 427

PeinesNon-cumul. - Poursuites séparées. - Confusion. - Domaine d’application. - Dispense de peine (non).

Les dispositions de l’article 132-4 du code pénal sont inapplicables lorsqu’est sollicitée une mesure de confusion avec une précédente décision ayant prononcé une dispense de peine.

Crim. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-85.181. - C.A. Rennes, 9 août 2005.

M. Cotte, Pt. - Mme Thin, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - Me Hémery, Me Rouvière, Av.

N° 428

PeinesPeines complémentaires. - Publicité et affichage. - Fraudes et falsifications. - Restriction de l’affichage par extraits aux chefs de condamnation pour lesquels la peine d’affichage est prévue. - Nécessité (non).

L’article L. 216-3 du code de la consommation autorisant les juges qui prononcent une condamnation du chef de tromperie à ordonner l’affichage intégral de la décision, ils ne sont pas tenus, lorsqu’ils en ordonnent l’affichage par extraits, de le restreindre aux seuls chefs de condamnation pour lesquels cette peine complémentaire est prévue.

Crim. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 06-81.087. - C.A. Lyon, 18 janvier 2006.

M. Cotte, Pt. - M. Palisse, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén. - Me Blanc, Av.

N° 429

Prescription civilePrescription quinquennale. - Article 2277 du code civil. - Application. - Conditions. - Créance. - Nature. - Détermination. - Portée.

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance et le créancier d’une indemnité d’occupation ne peut obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-11.994. - C.A. Montpellier, 7 décembre 2004.

M. Weber, Pt. - M. Foulquié, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 430

PresseAbus de la liberté d’expression. - Définition. - Matière du licenciement d’un salarié. - Portée.

Justifie légalement sa décision de débouté d’une demande de condamnation pour contravention de diffamation non publique relativement à des faits énoncés dans une lettre de licenciement, la cour d’appel qui constate qu’ont été respectées les dispositions impératives du droit du licenciement, lesquelles sont exclusives de l’application de la loi du 29 juillet 1881.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-19.011. - C.A. Amiens, 4 mars 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Crédeville, Rap. - M. Cavarroc, Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Bachellier et Potier de la Varde, Av.

N° 431

PresseImmunités. - Discours ou écrits devant les tribunaux. - Exceptions à l’immunité. - Conditions. - Détermination.

Il résulte des dispositions de l’article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, qui sont d’ordre public, que les écrits produits devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation ; que cette règle, destinée à garantir aussi bien la sincérité du témoignage que la liberté de la défense, ne reçoit d’exception que dans le cas où les faits diffamatoires sont étrangers à la cause et s’ils concernent l’une des parties, à la condition que l’action ait été réservée par le tribunal devant lequel l’écrit est produit.

Crim. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 06-83.120. - C.A. Grenoble, 26 janvier 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Guirimand, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén. - Me Le Prado, Av.

N° 432

1° PresseProcédure. - Action en justice. - Action devant la juridiction civile. - Recevabilité. - Conditions. - Accord des victimes de discrimination. - Domaine d’application. - Exclusion. - Cas.

2° PresseAbus de la liberté d’expression. - Définition. - Injure. - Injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. - Caractérisation. - Défaut. - Cas.

1° Une cour d’appel qui a constaté que la Ligue pour la défense des droits de l’homme et du citoyen avait fondé son intervention volontaire sur les articles 7, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et entendait défendre le principe qu’il n’y a pas de peine sans loi, celui de la liberté de pensée et celui de la liberté d’expression, et non assister les victimes d’une discrimination, en a déduit, à bon droit, que l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 lui était inapplicable.

2° Ne constitue pas un trouble manifestement illicite l’affichage d’une photographie qui se présente comme la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène, qui n’a pas pour objectif d’outrager les fidèles de religion catholique ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience,

90•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

de sorte qu’elle ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 05-15.822 et 05-16.001. - C.A. Paris, 8 avril 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Crédeville, Rap. - M. Sarcelet, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, SCP Roger et Sevaux, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 433

Procédure civileActe de procédure. - Nullité. - Cas. - Irrégularité de fond. - Défaut de capacité d’ester en justice. - Applications diverses. - Service de l’aide sociale à l’enfance.

La direction générale des interventions sanitaires et sociales d’un département n’a pas la personnalité morale et ne peut ester en justice.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation sans renvoi

N° 04-05.097. - C.A. Rennes, 6 septembre 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - SCP Ancel et Couturier-Heller, Me Brouchot, Av.

N° 434

Procédure civileDroits de la défense. - Principe de la contradiction. - Violation. - Cas. - Décision fondée sur l’absence au dossier d’une pièce invoquée par une partie et figurant au bordereau.

Le juge ne peut fonder sa décision sur l’absence au dossier d’une pièce invoquée par une partie, qui figurait au bordereau des pièces annexé à ses dernières conclusions et dont la communication n’avait pas été contestée, sans inviter les parties à s’en expliquer.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 05-12.102. - C.A. Orléans, 7 septembre 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - Me Luc-Thaler, Av.

N° 435

Procédure civileInstance. - Désistement. - Effets. - Article 700 du nouveau code de procédure civile. - Condamnation. - Possibilité.

C’est à bon droit qu’une cour d’appel a statué sur la demande formée sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile par un intimé après le désistement de l’appelant, dès lors qu’il résulte de l’article 399 du même code que le désistement emporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l’instance éteinte.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 05-16.611. - C.A. Bourges, 24 janvier et 25 avril 2005.

Mme Favre, Pt. - Mme Leroy-Gissinger, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 436

Procédure civileOrdonnance sur requête. - Rétractation. - Recours. - Exclusivité. - Portée.

La voie de la rétractation, instituée par l’article 496 du nouveau code de procédure civile, étant ouverte contre une ordonnance rendue sur requête et relevant de la compétence exclusive du juge qui l’a prononcée, la tierce opposition incidente formée contre cette ordonnance devant un autre juge est en conséquence irrecevable.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 05-16.691. - C.A. Paris, 15 avril 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Loriferne, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Defrenois et Levis, Me Foussard, Av.

N° 437

Procédures civiles d’exécutionMesures d’exécution forcée. - Saisie-attribution. - Cas. - Employeur faisant l’objet d’une saisie-attribution de la part d’un salarié. - Compensation entre le salaire et une créance de l’employeur. - Limites.

L’employeur qui fait l’objet d’une saisie-attribution de la part d’un salarié ne peut se prévaloir de la compensation de plein droit prévue par les articles 1289 et 1290 du code civil que dans la limite de la fraction saisissable du salaire.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Rejet

N° 05-14.535. - C.A. Lyon, 31 mars 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Moussa, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Av.

N° 438

1° Propriété littéraire et artistiqueDroits d’auteur. - Droits moraux. - Droit au respect de l’œuvre. - Atteinte. - Caractérisation. - Cas. - Altération de l’œuvre. - Portée.

2° VenteGarantie. - Eviction. - Bénéficiaires. - Conditions. - Bonne foi. - Caractérisation. - Défaut. - Applications diverses.

1° L’exploitation d’une œuvre dans une compilation, mode d’exercice du droit patrimonial cédé, n’est de nature à porter atteinte au droit moral de l’auteur qu’autant qu’elle risque d’altérer la première ou de déconsidérer le second.

2° La personne qui a délibérément participé à la violation du droit d’un artiste-interprète en mettant en vente un enregistrement qu’elle savait lui être faussement attribué ne peut obtenir la garantie de celui dont elle est l’ayant cause, eût-elle agit sur sa demande et ses indications.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-13.454. - C.A. Paris, 23 janvier 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - M. Cavarroc, Rap. - SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Blondel, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, Av.

91•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

N° 439

Propriété littéraire et artistiqueDroits d’auteur. - Droits patrimoniaux. - Droit de reproduction. - Monopole reconnu à l’auteur. - Dérogations. - Courte citation. - Définition. - Exclusion. - Cas. - Reproduction intégrale d’une œuvre. - Format. - Absence d’influence.

La reproduction intégrale d’une œuvre, quel que soit son format, ne peut s’analyser comme une courte citation.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 05-17.165. - C.A. Paris, 2 février 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Marais, Rap. - SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 440

Propriété littéraire et artistiqueŒuvre de l’esprit. - Protection. - Conditions. - Originalité. - Caractérisation. - Nécessité.

Ne caractérise pas l’originalité d’un ouvrage la cour d’appel qui fonde sa décision sur l’absence d’antériorité de toute pièce et le caractère nouveau des choix opérés pour sa présentation, ces choix fussent-ils arbitraires, sans caractériser en quoi ces choix portaient l’empreinte de la personnalité des auteurs.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 05-16.843. - C.A. Bastia, 27 avril 2005.

M. Ancel, Pt. - Mme Marais, Rap. - SCP Laugier et Caston, Av.

N° 441

Protection de la nature et de l’environnementAbandon d’ordures, déchets, matériaux ou autres objets. - Contravention de dépôt d’ordures sans autorisation. - Dépôt sur l’accotement d’une voie communale. - Dépendance du domaine public communal. - Recherche nécessaire.

Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui, pour relaxer le prévenu de la contravention réprimée par l’article R. 632-1 du code pénal, retient que des gravats, déposés par l’intéressé sur un terrain lui appartenant, en bordure d’une voie communale, n’empiètent pas sur la chaussée, sans rechercher si l’accotement de la voie, sur lequel elle relève expressément la présence d’une partie des déchets, ne constitue pas une dépendance du domaine public communal

Crim. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 06-85.603. - C.A. Lyon, 24 mai 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Guihal, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén.

N° 442

Protection de la nature et de l’environnementEau et milieux aquatiques. - Cours d’eau. - Pollution. - Eléments constitutifs. - Atteinte directe ou indirecte d’un canal, d’un ruisseau ou d’un cours d’eau.

Il appartient aux juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, de rechercher si un effluent polluant

a atteint, directement ou indirectement, un canal, un ruisseau ou un cours d’eau, dont l’écoulement peut être intermittent, ou encore un plan d’eau avec lequel ils communiquent.

Crim. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 06-85.910. - C.A. Bourges, 29 juin 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Guihal, Rap. - M. Charpenel, Av. Gén.

N° 443

1° Protection des consommateursClauses abusives. - Définition. - Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. - Contrôle de la Cour de cassation.

2° IntérêtsAnatocisme. - Conditions. - Etendue. - Détermination. - Portée.

1° Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives, sous le contrôle de la Cour de cassation, les clauses qui ont clairement pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat.

2° L’article 1154 du code civil n’exige pas que, pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus au moins pour une année entière au moment où le juge statue, mais exige seulement que la capitalisation soit ordonnée sous les conditions posées par l’article susvisé.

Arrêt n° 1 :

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 04-15.645. - C.A. Grenoble, 16 mars 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gallet, Rap. - Mme Petit, P. Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat, Av.

Arrêt n° 2 :

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 04-15.890. - C.A. Grenoble, 10 février 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gallet, Rap. - Mme Petit, P. Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Gatineau, Av.

Arrêt n° 3 :

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 04-17.578. - C.A. Grenoble, 1er juin 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gallet, Rap. - Mme Petit, P. Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Gatineau, Av.

N° 444

Protection des consommateursClauses abusives. - Définition. - Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations. - Contrôle de la Cour de cassation.

Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives, sous le contrôle de la Cour de cassation, les clauses qui ont clairement pour objet ou pour effet de créer, au détriment

92•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 04-15.646. - C.A. Grenoble, 30 mars 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gallet, Rap. - Mme Petit, P. Av. Gén. - SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Peignot et Garreau, Av.

N° 445

Protection des consommateursCrédit à la consommation. - Défaillance de l’emprunteur. - Action. - Délai de forclusion. - Point de départ. - Date de formation du contrat. - Applications diverses. - Contestation de la régularité de l’offre préalable.

Il résulte de l’article L. 311-37 du code de la consommation, en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 11 décembre 2001, que le point de départ du délai biennal de forclusion opposable à l’emprunteur qui conteste la régularité de l’offre préalable, par voie d’action ou d’exception, est la date à laquelle le contrat de crédit est définitivement formé ; et il résulte de l’article L. 311-16 du même code que lorsque l’offre préalable stipule que le prêteur se réserve le droit d’agréer la personne de l’emprunteur et que l’agrément ne parvient à la connaissance de celui-ci qu’après l’expiration du délai de sept jours suivant l’acceptation, alors devenue caduque, le contrat de crédit ne devient parfait qu’après que cet emprunteur a manifesté son intention d’en bénéficier.

Dès lors, viole ces dispositions la cour d’appel qui, pour décider que l’exception d’irrégularité de l’offre préalable avait été soulevée postérieurement à l’expiration du délai de forclusion, retient que le contrat de crédit avait été définitivement formé, à défaut d’agrément exprès de l’organisme prêteur, lors de la mise à disposition des fonds, alors que, l’agrément n’ayant pas été donné par le prêteur dans le délai légal à partir de l’acceptation de l’offre préalable par l’emprunteur, le contrat de prêt ne pouvait être définitivement formé et, partant, le délai de forclusion ne commençait à courir qu’à compter de la manifestation par cet emprunteur de son intention de bénéficier du crédit qui lui avait été finalement consenti.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-12.354. - C.A. Versailles, 16 décembre 2003.

M. Ancel, Pt. - M. Gallet, Rap. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Coutard et Mayer, Av.

N° 446

Protection des droits de la personneRespect de la vie privée. - Domaine d’application. - Présentation interne de locaux d’habitation.

Le droit de chacun au respect de sa vie privée s’étend à la présentation interne de ses locaux d’habitation, de sorte que l’utilisation faite des photographies qui en sont prises demeure soumise à l’autorisation de la personne concernée.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 05-12.788. - C.A. Douai, 27 mai 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Monod et Colin, Av.

N° 447

Représentation des salariesRègles communes. - Contrat de travail. - Licenciement. - Mesures spéciales. - Domaine d’application. - Salarié mandaté pour le suivi d’un accord de réduction du temps de travail. - Condition.

Le mandat de suivi d’un accord de réduction du temps de travail qu’un syndicat peut donner à un salarié en application de l’alinéa 4 de l’article 19 VI de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 est distinct du mandat de négociation dudit accord ; il doit être exprès pour ouvrir droit à la période de protection de douze mois à compter de la fin du mandat de suivi prévue par l’alinéa 9 de ce texte. A défaut, la période de douze mois court à compter de la signature de l’accord.

Soc. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-41.058. - C.A. Douai, 17 décembre 2004.

M. Sargos, Pt. - Mme Morin, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - SCP Peignot et Garreau, SCP Gatineau, Av.

N° 448

Responsabilité du fait des produits défectueuxProduit. - Défectuosité. - Définition. - Produit n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. - Caractérisation. - Applications diverses.

Justifie légalement sa décision condamnant le fournisseur de béton à réparer le préjudice corporel subi par l’utilisateur au contact du produit, l’arrêt qui, après avoir constaté que les conditions générales de vente, qui ne comportaient aucune information quant à la composition du produit, se bornaient à faire état de risques allergiques, de rougeurs ou de brûlures et à recommander l’usage de gants et lunettes sans appeler l’attention du client sur l’ensemble des mesures de protection à prendre pour éviter tout contact avec la peau et de laver immédiatement les parties du corps exposées, retient en conséquence que l’offre du produit ne garantissait pas la sécurité à laquelle le client pouvait légitimement s’attendre.

1re Civ. - 7 novembre 2006.Rejet

N° 05-11.604. - C.A. Montpellier, 14 décembre 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Gridel, Rap. - SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Le Prado, Av.

N° 449

RévisionCas. - Fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès. - Doute sur la culpabilité. - Cas.

Constituent des éléments inconnus de la juridiction au jour du procès de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du requérant la production par ce dernier de documents établissant que, dans un temps très voisin de celui de l’incendie, il se trouvait à près de 80 kilomètres, au domicile de ses grands-parents, où il avait reçu la visite d’un médecin.

Crim. - 15 novembre 2006.Annulation

N° 06-85.104. - C.A. Paris, 24 novembre 2003.

M. Cotte, Pt. - Mme Ponroy, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén.

93•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

N° 450

1° Saisie immobilièreProcédure. - Nullité. - Audience éventuelle. - Renvoi. - Demande. - Portée.

2° Saisie immobilièreConversion en vente volontaire. - Nécessité. - Cas. - Remise par la partie à son avocat de ses titres de propriété ou, à défaut, de tous documents de nature à justifier sa propriété.

1° La partie, sur la demande expresse de laquelle a été renvoyée l’audience éventuelle, n’est pas recevable à invoquer la nullité de la procédure en se prévalant de cette décision, qu’elle a elle-même sollicitée.

2° Il résulte de l’article 744 du code de procédure civile que la conversion en vente volontaire est obligatoire lorsque la partie saisie a remis à son avocat ses titres de propriété ou, à défaut, tous documents de nature à justifier de sa propriété.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-11.068. - T.G.I. Fontainebleau, 15 décembre 2004.

Mme Favre, Pt. - Mme Leroy-Gissinger, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Roger et Sevaux, Av.

Note sous 2e Civ., 9 novembre 2006, n° 450 ci-dessus

La deuxième chambre civile a rendu, le 9 novembre 2006, en matière de saisie immobilière, un arrêt qui marque une évolution dans sa jurisprudence habituelle en matière de procédure d’audience éventuelle et qui clarifie l’état du droit pour ce qui est de la conversion de la vente en vente volontaire.

I. - Depuis 1980 (2e Civ., 22 octobre 1980, Bull. 1980, II, n° 220, commenté à la Gazette du palais, février 1981, p. 67, par J. Viatte), la deuxième chambre civile sanctionne par la cassation, au visa de l’article 690 du code de procédure civile, les jugements qui ordonnent le renvoi de l’audience éventuelle. Selon une formule reprise dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation juge qu’il n’est « au pouvoir ni des parties, ni du tribunal de modifier la date de l’audience éventuelle fixée dans la sommation » (2e Civ., 16 juillet 1993, Bull. 1993, II, n° 265 ; 2e Civ., 1er juillet 1999, pourvoi n° 97-19.005).

Cette jurisprudence est fondée sur le fait qu’aucun texte ne permet de remettre cette audience à une date différente de celle qui a été fixée par la sommation de prendre connaissance du cahier des charges. En effet, l’article 690 du code de procédure civile dispose que :

- « la sommation indique les jours et heures d’une audience éventuelle où il sera statué sur les dires et observations qui auraient été formulés » ;

- « l’audience où seront jugés les dires sera la première audience utile après le trentième jour de la dernière sommation, outre les délais prévus pour les ajournements » ;

- « dans le cas où il y aurait eu des dires, il sera statué à l’audience indiquée, sans autre formalité ni avenir, les parties comparantes ou non ».

L’emploi du futur marque le caractère impératif de la règle et l’absence d’autre formalité ou convocation des parties manifeste le souci des rédacteurs du texte d’imposer un rythme rapide à la procédure de saisie.

Cette jurisprudence s’explique également par le fait que les délais imposés par le code de procédure civile en matière de saisie immobilière, qui sont sanctionnés par la déchéance de la procédure (article 715 du code de procédure civile), sont d’ordre public.

Ainsi, ont été cassés des jugements qui, statuant après renvoi de l’audience éventuelle, avaient rejeté une demande tendant à la nullité de la procédure en raison du renvoi intervenu, alors même que le rejet était motivé par le fait que le débiteur ne s’était pas opposé à la demande de renvoi (2e Civ., 1er juillet 1999, pourvoi n° 97-19.005 ; 2e Civ., 14 septembre 2006, pourvoi n° 05-16.515) ou que les parties étaient d’accord pour le renvoi (2e Civ., 13 juin 2002, Bull. 2002, II, n° 133 ; 2e Civ., 14 avril 2005, pourvoi n° 03-18.063).

La cassation est encourue même si la partie qui se prévaut de l’irrégularité de la procédure devant la Cour de cassation n’a pas fait valoir cet argument devant le tribunal (2e Civ., 20 novembre 2003, pourvoi n° 02-10.411).

De même, ont été cassés des jugements qui avaient motivé le renvoi de l’audience éventuelle par la nécessité d’assurer le respect du principe de la contradiction (2e Civ., 20 mars 2003, pourvoi n° 01-14.685 ; 2e Civ., 27 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 257 ; 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-18.678) ou par le fait que seules les plaidoiries avaient été renvoyées (2e Civ., 28 janvier 2006, pourvoi n° 04-20.767).

Une seule décision, restée isolée, avait semblé marquer une limite à la faculté d’invoquer la nullité de la procédure en raison du renvoi de l’audience éventuelle. Il s’agit d’un arrêt du 5 juin 1996 (2e Civ., 5 juin 1996, pourvoi n° 94-11.539), dans lequel la deuxième chambre a rejeté le moyen de cassation présenté par un débiteur saisi, pris de ce que l’audience éventuelle avait fait l’objet de plusieurs renvois. La chambre a retenu que « n’ayant pas formé de recours contre les décisions successives de report de l’audience éventuelle, le débiteur, qui avait lui-même conclu pour cette audience sans invoquer l’irrégularité de ces remises n’est pas recevable à attaquer, de ce chef, le jugement qui a statué sur les dires dont le tribunal était saisi ».

Le présent arrêt apporte une limite aux cas dans lesquels une partie, généralement le débiteur saisi, peut se prévaloir de l’irrégularité de la procédure à raison du renvoi dont l’audience éventuelle a fait l’objet.

Dans cette espèce, le débiteur saisi, qui avait déposé un dire avant l’audience éventuelle avait, le jour de celle-ci, sollicité un renvoi, ce à quoi le créancier poursuivant s’était opposé. Le tribunal avait fait droit à cette demande et le débiteur, le jour de l’audience sur renvoi, avait invoqué la nullité de la procédure en raison du renvoi prononcé. Le tribunal a rejeté la demande, en retenant que le débiteur ne pouvait se prévaloir d’un état de la procédure à l’origine duquel il se trouvait.

La deuxième chambre a rejeté le moyen de cassation dirigé contre cet arrêt et fondé sur la jurisprudence habituelle en matière de renvoi de l’audience éventuelle, en retenant que le débiteur n’est pas recevable à invoquer la nullité de la procédure en se prévalant d’une décision (la décision de renvoi) qu’il avait lui-même sollicitée.

Cet arrêt permet de ne pas faire peser, sur le créancier poursuivant qui s’était opposé à la demande de renvoi, les conséquences d’une erreur du tribunal et d’un comportement, éventuellement déloyal, de la part du débiteur.

II. - L’article 744 du code de procédure civile dispose :

« Après la publication du commandement, la partie saisie pourra demander que l’adjudication soit faite aux enchères en justice ou devant notaire, sans autre formalité que celles qui sont prescrites pour les ventes de biens appartenant à des mineurs.

A cet effet, la partie saisie remettra à son avocat ses titres de propriété ou à défaut, tous documents de nature à justifier la propriété, et si cette justification a été faite, la conversion sera obligatoire ».

Malgré la précision de ce texte, la jurisprudence, et la doctrine, n’étaient pas d’une clarté totale. En effet, certains arrêts avaient permis de penser que, même lorsque le débiteur avait justifié de

94•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

sa propriété, la conversion en vente volontaire restait du pouvoir d’appréciation souverain du juge de la saisie (2e Civ., 4 octobre 1972, Bull. 1972, II, n° 233 et 2e Civ., 12 janvier 1994, Bull. 1994, II, n° 26). Des arrêts plus récents avaient rappelé que le juge disposait d’un pouvoir souverain d’appréciation pour décider s’il y a lieu de faire droit à la demande de conversion lorsque les conditions légales de la conversion ne sont pas réunies, ce qui renvoyait à la justification de la propriété (2e Civ., 10 novembre 1998, pourvoi n° 96-21.767 et 2e Civ., 4 février 1999, pourvoi n° 97-10.164 ; 2e Civ., 12 février 2004, Bull. 2004, II, n° 66 ; 2e Civ., 8 avril 2004, pourvoi n° 02-18.456 et 2e Civ., 14 avril 2005, pourvoi n° 03-18.160).

L’arrêt du 9 novembre 2006 permet de mettre un terme à toute hésitation : dès lors que la partie a justifié de sa propriété par la remise de ses titres ou de tout autre document de nature à justifier de la propriété à son avocat, la conversion est obligatoire et le juge ne dispose pas de pouvoir d’appréciation.

N° 451

Sécurité socialeCotisations. - Recouvrement. - Contrainte. - Opposition. - Office du juge. - Etendue. - Détermination. - Portée.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale, saisi d’une opposition à contrainte, ne peut accorder une remise des majorations de retard ni dispenser le débiteur des frais de signification de la contrainte et des actes de procédures nécessaires à son exécution tout en jugeant l’opposition partiellement mal fondée.

2e Civ. - 9 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-15.932. - T.A.S.S. Chaumont, 4 avril 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Loriferne, Rap. - M. Kessous, Av. Gén. - SCP Peignot et Garreau, Av.

N° 452

Sécurité sociale, accident du travailCotisations. - Taux. - Fixation. - Etablissement. - Etablissements industriels et commerciaux. - Sièges sociaux et bureaux des entreprises. - Tarification particulière des risques d’accident du travail et de maladies professionnelles. - Exclusion. - Cas. - Groupements sans but lucratif.

La tarification particulière des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles, réservée aux sièges sociaux et aux bureaux des entreprises par l’article premier III de l’arrêté du 17 octobre 1995, s’applique à des établissements industriels et commerciaux caractérisés par la recherche d’un profit et non pas à des groupements sans but lucratif tels que des associations.

2e Civ. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-10.790. - Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, 4 novembre 2004.

Mme Favre, Pt. - Mme Duvernier, Rap. - Mme Barrairon, Av. Gén. - SCP Gatineau, Me de Nervo, Av.

N° 453

Sécurité sociale, accident du travailMaladies professionnelles. - Dispositions générales. - Prestations. - Recouvrement. - Modalités. - Détermination. - Portée.

Aux termes du paragraphe IV de l’article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, la charge résultant de l’application des paragraphes II et III de ce texte est supportée définitivement par la branche accidents du travail et maladie professionnelles du régime général de sécurité sociale, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les prestations, indemnités et majorations prévues par les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale dont les droits sont rouverts, y compris en cas de faute inexcusable de l’employeur, au profit des victimes d’affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussière d’amiante.

2e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle sans renvoi

N° 06-10.456. - C.A. Lyon, 15 novembre 2005.

Mme Favre, Pt. - Mme Renault-Malignac, Rap. - SCP Peignot et Garreau, Av.

N° 454

Sécurité sociale, allocations diversesAllocation spécifique de cessation anticipée d’activité. - Attribution. - Conditions. - Détermination. - Portée.

Il résulte du décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 qu’une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité peut être versée aux ouvriers de l’Etat relevant du ministère de la défense qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d’établissement de construction navale de ce ministère, pendant des périodes au cours desquelles étaient traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle et qu’ils remplissent certaines conditions.

Cette allocation leur est versée directement par l’établissement qui les employait et qui a la charge de verser la retenue pour pension au fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’Etat.

Par suite, encourt la cassation l’arrêt qui fait droit à la demande d’un ancien ouvrier de l’Etat, désormais salarié d’une chambre de commerce, de versement par une caisse régionale d’assurance maladie d’une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité, alors qu’il résultait de ses énonciations que celui-ci n’avait pas la qualité de salarié ou d’ancien salarié de construction et de réparation navale, mais celle d’ancien ouvrier de l’Etat, de sorte que sa demande devait être présentée auprès du ministère de la défense.

2e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation sans renvoi

N° 05-10.900. - C.A. Caen, 26 novembre 2004.

Mme Favre, Pt. - Mme Coutou, Rap. - Mme Barrairon, Av. Gén. - SCP Piwnica et Molinié, Me Foussard, Av.

N° 455

Sécurité sociale, assurances socialesPrestations (dispositions générales). - Frais médicaux. - Honoraires du praticien. - Secteur à honoraires différents. - Autorisation d’exercice. - Titre requis. - Equivalence. - Appréciation. - Office du juge. - Etendue. - Détermination. - Portée.

C’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation du sens et de la portée des documents qui leur était soumis, notamment de l’avis de la caisse nationale d’assurance maladie, que les juges du fond décident qu’un médecin ayant exercé dans un Etat membre de l’Union européenne justifie y avoir acquis un titre équivalent à celui d’ « ancien chef de clinique

95•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

des universités-assistant des hôpitaux » exigé en France pour être admis à pratiquer en secteur à honoraires différents dit secteur II.

2e Civ. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-14.352. - C.A. Bordeaux, 24 février 2005.

Mme Favre, Pt. - M. Thavaud, Rap. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 456

Séparation des pouvoirsCompétence judiciaire. - Exclusion. - Cas. - Nécessité d’apprécier la légalité, la régularité ou la validité d’un acte administratif. - Domaine d’application. - Appréciation de la légalité d’une clause contractuelle d’indexation des tarifs des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés.

La légalité d’une clause contractuelle d’indexation de marchés publics communaux, qui permet aux parties de réactualiser les tarifs des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés, dont la fixation incombe à la commune au regard de l’article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales, suscite une difficulté sérieuse qui relève, par voie de question préjudicielle, de la compétence de la juridiction administrative.

1re Civ. - 14 Novembre 2006.Cassation

N° 04-20.009. - C.A. Paris, 28 septembre 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Ingall-Montagnier, Rap. - SCP Piwnica et Molinié, SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, Av.

N° 457

Séparation des pouvoirsCompétence judiciaire. - Exclusion. - Cas. - Nécessité d’apprécier la légalité, la régularité ou la validité d’un acte administratif. - Domaine d’application. - Appréciation de la légalité d’une clause contractuelle d’indexation des tarifs des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés.

La légalité d’une clause contractuelle d’indexation de marchés publics communaux, qui permet aux parties de réactualiser les tarifs des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés, dont la fixation incombe à la commune au regard de l’article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales, suscite une difficulté sérieuse qui relève, par voie de question préjudicielle, de la compétence de la juridiction administrative.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 04-20.009. - C.A. Paris, 28 septembre 2004.

M. Ancel, Pt. - Mme Ingall-Montagnier, Rap. - SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, SCP Piwnica et Molinié, Av.

N° 458

Société a responsabilité limitéeGérant. - Rémunération. - Fixation. - Modalités. - Décision ordinaire des associés prévue par les statuts. - Défaut. - Portée.

En présence d’une clause statutaire prévoyant que la rémunération de la gérance est fixée par une décision ordinaire des associés, il n’appartient pas aux tribunaux, saisis par le gérant en l’absence d’une telle décision, de la déterminer mais à ce dernier de solliciter à cette fin une décision collective des associés.

Com. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 03-20.836. - C.A. Amiens, 30 septembre 2003.

M. Tricot, Pt. - M. Pietton, Rap. - M. Casorla, Av. Gén. - SCP Nicolaÿ et de Lanouvelle, SCP Le Griel, Av.

N° 459

1° Société d’aménagement foncier et d’etablissement ruralPréemption. - Nullité de plein droit de la déclaration. - Conditions. - Détermination.

2° Alsace-MosellePropriété immobilière. - Acte translatif de propriété. - Acte sous seing privé. - Rédaction d’un acte authentique dans un délai de six mois. - Point de départ à l’égard d’une SAFER. - Date de la décision de préemption.

1° Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui retient qu’une déclaration de préemption d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) encourt la nullité pour n’avoir pas respecté le délai de deux mois prévu à l’article L. 412-8 du code rural sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la SAFER avait été préalablement mise en demeure par voie d’huissier de justice de réaliser l’acte authentique.

2° Le délai de six mois, prévu à l’article 42 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, ne court à l’égard de la SAFER qu’à compter de la date de sa décision de préemption rendant la vente parfaite et non à compter de celle de la promesse de vente initiale à laquelle elle était demeurée étrangère.

3e Civ. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 05-15.475. - C.A. Colmar, 17 mars 2005.

M. Weber, Pt. - M. Philippot, Rap. - M. Bruntz, Av. Gén. - Me Cossa, SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

N° 460

Statut collectif du travailAccords collectifs. - Accords d’entreprise. - Accord national sur les 35 heures de la SNCF du 7 juin 1999. - Réduction du temps de travail. - Travail à temps partiel. - Effets. - Refus du salarié. - Portée.

L’article 62 de l’accord national sur les 35 heures de la SNCF du 7 juin 1999 qui dispose que « sauf demande explicite, les salariés exerçant leur activité à temps partiel... voient leur durée annuelle du travail réduite à due proportion de celle des salariés à temps complet » implique que la réduction de la durée du travail ne pouvait être imposée aux salariés à temps partiel qui la refusent.

Soc. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 04-44.930. - C.A. Lyon, 23 avril 2004.

M. Sargos, Pt. - Mme Grivel, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - Me Odent, Av.

96•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

N° 461

Statut collectif du travailConventions collectives. - Conventions diverses. - Convention nationale du sport du 28 octobre 1999. - Domaine d’application. - Fédération française de la voile.

La convention collective nationale du sport est applicable à la Fédération française de voile au seul motif que celle-ci est membre du Comité olympique et sportif de France (COSMOS), signataire de cette convention.

Soc. - 15 novembre 2006.Rejet

N° 05-43.507. - C.A. Paris, 17 mai 2005.

M. Texier, Pt (f.f.). - M. Rovinski, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Av.

N° 462

1° SuccessionAcceptation pure et simple. - Acceptation tacite. - Appréciation souveraine.

2° SuccessionOption successorale. - Bénéficiaire. - Définition. - Héritier du successible. - Applications diverses.

3° PropriétéBiens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées. - Acquisition de plein droit par l’Etat. - Portée.

1° Il appartient au juge du fond d’apprécier les faits d’où peut résulter l’acceptation tacite d’une succession.

2° L’héritier de celui qui est appelé à une succession sans avoir pris parti dispose de tous les droits de son auteur ; dès lors, un héritier qui accepte la succession de sa grand-mère décédée moins de trois ans après le décès de sa propre mère sans avoir manifesté une quelconque volonté d’acceptation ou de renonciation à la succession de ses parents peut, en se prévalant des dispositions de l’article 781 du code civil, exercer, du chef de cet ascendant, le doit d’option héréditaire qui lui a été transmis et renoncer à la succession de ses arrière-grands-parents.

3° Les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’Etat ; l’acquisition par l’Etat des biens visés aux articles 539 et 713 du code civil se produit de plein droit même en l’absence de toute formalité d’envoi en possession ou de déclaration de vacance.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 03-13.473. - C.A. Dijon, 18 février 2003.

M. Ancel, Pt. - Mme Trapero, Rap. - SCP Thouin-Palat, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Vincent et Ohl, Av.

N° 463

SuccessionRenonciation. - Créancier de l’héritier renonçant. - Acceptation de la succession en lieu et place de son débiteur. - Effets. - Limites. - Détermination.

Le créancier autorisé à accepter la succession en lieu et place de son débiteur, en application de l’article 788 du code civil, ne devient pas héritier du défunt. Son action est sans incidence

sur l’option exercée par le renonçant, dont la part accroît à ses cohéritiers, qui sont tenus de payer les dettes successorales au prorata de leur part héréditaire.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation

N° 03-30.230. - T.A.S.S. Hauts-de-Seine, 26 novembre 2002.

M. Ancel, Pt. - Mme Chardonnet, Rap. - SCP Gatineau, SCP Bachellier et Potier de la Varde, Av.

N° 464

Syndicat professionnelReprésentativité. - Présomption légale. - Bénéfice. - Exclusion. - Syndicat non mentionné dans la liste des organisations représentatives sur le plan national.

La décision du ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement reconnaissant la représentativité de la Fédération banques assurances et sociétés financières Unsa dans le champ d’application de la convention collective nationale de branche « sociétés d’assurance » ne permet pas à elle seule à ce syndicat, qui ne figure pas sur la liste des organisations syndicales présumées représentatives au niveau national telle qu’elle résulte de l’arrêté du 31 mars 1966, de bénéficier de cette présomption.

Soc. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 06-60.002. - T.I. Paris 9e, 29 décembre 2005.

M. Sargos, Pt. - Mme Perony, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - Me Le Prado, SCP Gatineau, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

N° 465

TerrorismeInfractions en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. - Compétence et procédure. - Compétence. - Tribunal correctionnel de Paris. - Faits ne constituant pas des actes de terrorisme et ne relevant pas de sa compétence à un autre titre. - Renvoi de la procédure au ministère public aux fins de se pourvoir ainsi qu’il avisera. - Obligation.

En matière répressive, la compétence des juridictions étant d’ordre public, il appartient aux juges correctionnels de vérifier cette compétence. Selon les articles 706-19 et 706-20 du code de procédure pénale, lorsque le tribunal correctionnel de Paris constate que les faits, dont il est saisi en application de l’article 706-17 du code précité, ne constituent pas des actes de terrorisme et ne relèvent pas de sa compétence à un autre titre, il est tenu de se déclarer incompétent et de renvoyer le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera.

Crim. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 06-85.275. - C.A. Paris, 9 juin 2006.

M. Cotte, Pt. - Mme Caron, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén.

N° 466

TestamentLegs. - Legs particulier. - Chose léguée. - Fruits et intérêts. - Droits du légataire particulier. - Point de départ. - Détermination. - Portée.

97•

1er mars 2007Arrêts des chambres

•Bulletin d’information

Le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu’à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie.

1re Civ. - 14 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-16.561. - C.A. Chambéry, 10 février 2003 et 11 mai 2004.

M. Ancel, Pt. - M. Taÿ, Rap. - SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Nicolaÿ et de Lanouvelle, Av.

N° 467

Transports terrestresMarchandises. - Responsabilité. - Perte ou avarie. - Action en responsabilité. - Extinction. - Domaine d’application. - Dommage non apparent lors de la réception.

L’extinction de l’action contre le voiturier pour avarie, prévue par l’article L. 133-3 du code de commerce, lorsque, dans les trois jours, non compris les jours fériés, qui suivent celui de la réception des objets transportés, le destinataire n’a pas notifié au voiturier, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée, sa protestation motivée, concerne tous les dommages, y compris ceux non apparents lors de cette réception.

Com. - 7 novembre 2006.Cassation partielle

N° 04-17.128. - C.A. Riom, 28 avril 2004.

M. Tricot, Pt. - M. Potocki, Rap. - M. Lafortune, Av. Gén. - SCP Monod et Colin, Me Blanc, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, Av.

Note sous Com., 7 novembre 2006, n° 467 ci-dessus

Une machine-outil ayant subi un choc au cours de son transport par route, le destinataire a notifié au voiturier, dans le délai de trois jours édicté par l’article L. 133-3 du code de commerce, une première protestation concernant diverses avaries. Par une seconde lettre, envoyée postérieurement à l’expiration de ce délai, le destinataire a protesté pour une autre avarie. Pour condamner le voiturier à indemniser le destinataire malgré le dépassement de ce délai, la cour d’appel a retenu que les réserves faites par le destinataire expriment globalement que des dommages existaient et que l’énonciation de chacun des désordres subis par le matériel, et notamment ceux qui ne sont pas apparents, n’est pas nécessaire à la validité des réserves. L’arrêt est cassé, au visa de l’article L. 133-3 du code de commerce, car l’extinction de l’action contre le voiturier pour avarie ou perte partielle, lorsque, dans les trois jours, non compris les jours fériés, qui suivent celui de la réception des objets transportés, le destinataire n’a pas notifié au voiturier, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée, sa protestation motivée, concerne tous les dommages, y compris ceux non apparents lors de cette réception.

N° 468

1° TravailInspection du travail. - Inspecteur du travail. - Procès-verbaux. - Compétence. - Entreprise de transports sanitaires.

2° TravailDroit syndical dans l’entreprise. - Délégués syndicaux. - Contrat de travail. - Résiliation conventionnelle. - Possibilité pour l’employeur (non).

3° TravailHygiène et sécurité des travailleurs. - Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. - Délit d’entrave. - Entrave à son fonctionnement. - Eléments constitutifs. - Elément matériel. - Défaut de présentation des documents mentionnés par l’article L. 236-4 du code du travail. - Demande préalable de communication des documents par le comité. - Nécessité (non).

1° Le transport par ambulances, constituant un complément du service public de la santé, est exclu des dispositions de la loi d’orientation des transports routiers du 30 décembre 1982 et se trouve soumis aux dispositions des articles L. 6312-1 et suivants du code de la santé publique ainsi qu’au décret du 30 novembre 1987 relatif aux transports sanitaires.

Il en résulte que les établissements ayant pour activité principale un service d’ambulance ne relèvent pas de l’article L. 611-4 du code du travail visant les entreprises soumises au contrôle technique des ministères chargés, notamment, des transports, pour lesquelles les attributions des inspecteurs du travail sont confiées aux fonctionnaires de ce département ministériel et que, dans ces conditions, l’inspecteur du travail est compétent pour dresser procès-verbal dans les établissements de cette nature, conformément à l’article L. 611-1 dudit code.

2° Les dispositions législatives soumettant à des procédures particulières le licenciement des salariés investis de fonctions représentatives, ont institué au profit de tels salariés, et dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l’employeur de poursuivre par d’autres moyens la résiliation des contrats de travail.

Par suite, est à bon droit déclaré constitué le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical reproché à un chef d’entreprise à la suite du départ négocié d’un représentant du personnel employé selon un contrat de travail à durée déterminée, alors que l’inspecteur du travail, consulté à l’issue du contrat en application de l’article L. 425-2, alinéa 2, du code du travail, avait constaté l’existence de pratiques discriminatoires prises à l’égard dudit salarié et refusé la rupture des liens contractuels, le contrat du salarié devenant ainsi, en application des articles L. 122-3-10 et L. 412-18 du même code, un contrat de travail à durée indéterminée ne pouvant être rompu qu’après autorisation administrative.

3° Commet le délit d’entrave au fonctionnement régulier du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail l’employeur qui, en méconnaissance de l’article L. 236-4 du code du travail, ne présente pas à cet organisme le bilan annuel de la situation générale de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail dans son établissement ainsi que des actions de prévention.

Aucune disposition légale n’impose audit comité de formuler une demande préalable de communication des documents mentionnés dans ce texte pour que soit caractérisé l’élément intentionnel de l’infraction.

Crim. - 14 novembre 2006.Rejet

N° 05-87.554. - C.A. Aix-en-Provence, 8 novembre 2005.

M. Cotte, Pt. - Mme Guirimand, Rap. - M. Fréchède, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 469

Travail réglementationRèglement intérieur. - Contenu. - Clause contraire aux stipulations conventionnelles. - Portée.

98•

Bulletin d’informationArrêts des chambres

•1er mars 2007

Selon l’article L. 122-35 du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir aucune clause contraire aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise ou l’établissement.

Par suite, viole ce texte et l’article 27 de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000, applicable dans l’entreprise, l’arrêt qui n’écarte pas l’application des disposition du règlement intérieur relatives à la procédure disciplinaire contraires aux stipulations conventionnelles.

Soc. - 7 novembre 2006.Cassation

N° 04-41.390. - C.A. Rennes, 18 décembre 2003.

M. Sargos, Pt. - M. Chauviré, Rap. - M. Foerst, Av. Gén. - SCP Waquet, Farge et Hazan, Av.

N° 470

Travail réglementationRepos et congés. - Congés payés. - Caisse de congés payés. - Régimes particuliers. - Bâtiment et travaux publics. - Affiliation obligatoire. - Critère. - Activité réelle. - Preuve. - Charge. - Détermination.

En présence d’un objet social faisant état de prestations de nature à entraîner adhésion obligatoire à la caisse des congés payés du bâtiment, il incombe à l’entreprise de démontrer que son activité réelle n’entre pas, en tout ou en partie, dans le champ d’application de cette obligation.

Soc. - 15 novembre 2006.Cassation

N° 05-19.124. - C.A. Aix-en-Provence, 14 juin 2005.

M. Sargos, Pt. - M. Barthélemy, Rap. - M. Allix, Av. Gén. - Me Odent, SCP Defrenois et Levis, Av.

N° 471

VenteImmeuble. - Contenance. - Différence de plus d’un vingtième. - Action en diminution du prix. - Mise en œuvre.

- Obligation pour le vendeur de restituer partie du prix. - Préjudice subi par le vendeur. - Préjudice indemnisable (non). - Portée.

Viole l’article 1147 du code civil la cour d’appel qui condamne une société d’architectes à garantir le vendeur de la partie du prix à restituer aux acquéreurs en raison d’un déficit de superficie, alors que la restitution du prix à laquelle un contractant est condamné ne constitue pas un préjudice indemnisable

3e Civ. - 8 novembre 2006.Cassation partielle

N° 05-16.948. - C.A. Lyon, 31 mai 2005.

M. Weber, Pt. - Mme Gabet, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - SCP Boulloche, Av.

N° 472

VenteImmeuble. - Lésion. - Rescision. - Droit d’option. - Exercice. - Exercice par un acheteur en liquidation judiciaire. - Autorisation préalable du juge-commissaire. - Nécessité (non).

Une cour d’appel, qui retient exactement que les dispositions de l’article L. 622-16 du code de commerce ne s’appliquent pas à la rescision pour lésion puisqu’il s’agit non d’une vente mais de la mise à néant d’une vente antérieurement réalisée, en déduit à bon droit que l’option en faveur de la restitution de l’immeuble prise, en application de l’article 1681 du code civil, par le liquidateur de l’acheteur assigné par le vendeur en rescision pour lésion, ne requiert pas l’autorisation préalable du juge-commissaire.

3e Civ. - 8 novembre 2006.Rejet

N° 05-17.773. - C.A. Poitiers, 17 mai 2005.

M. Weber, Pt. - M. Jacques, Rap. - M. Gariazzo, Av. Gén. - Me Bouthors, SCP Boré et Salve de Bruneton, Av.

99•

1er mars 2007Cours et tribunaux

•Bulletin d’information

Jurisprudence des cours d’appel relative au référé

N° 473

RéféréSauvegarde d’éléments de preuve avant tout procès. - Décision. - Conditions. - Absence de procès engagé au moment où la demande est présentée. - Exclusion. - Cas. - Débat préalable devant le juge du fond. - Nécessité.

L’application de l’article 145 du nouveau code de procédure civile par la voie de référé suppose qu’aucun procès ne soit engagé au moment où la demande est présentée, ce qui est incompatible avec la nécessité d’un débat préalable devant le juge du fond dans le cas où il lui appartient d’apprécier, avant toute recherche ou examen des preuves, les caractéristiques de l’objet breveté et de l’objet incriminé en mettant en œuvre, le cas échéant, la facilité introduite par l’article L. 615-5-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit le renversement de la charge de la preuve lorsque le brevet porte sur un procédé d’obtention d’un produit.

C.A. Paris (14e ch., sect. B), 17 novembre 2006 - R.G. n° 06/07481.

Mme Feydeau, Pte - Mmes Provost-Lopin et Darbois, Conseillères.

06-299.

N° 474

RéféréUrgence. - Applications diverses. - Arbitrage. - Mesures provisoires ou conservatoires. - Exclusion. - Cas. - Demande tendant à voir dire qu’il n’y a « plus rien à arbitrer ».

Si la clause compromissoire n’exclut pas, en cas d’urgence et tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, la faculté de saisir le juge des référés aux fins de mesures provisoires ou conservatoires, la demande d’une société tendant à voir dire qu’il n’y a « plus rien à arbitrer » et donc qu’il n’y a pas lieu à constitution du tribunal arbitral excède le pouvoir reconnu exceptionnellement à la juridiction étatique statuant en l’application des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile.

C.A. Paris (14e ch., sect. B), 17 novembre 2006 - R.G. n° 06/ 07363.

Mme Feydeau, Pte - Mmes Provost-Lopin et Darbois, Conseillères.

Sur la faculté de saisir le juge des référés aux fins d’ordonner des mesures provisoires ou conservatoires dans l’attente de la constitution du tribunal arbitral, à rapprocher :

- 1re Civ., 5 décembre 2005, Bull. 2005, I, n° 463, p. 391 (cassation) et les arrêts cités.

06-293.

Jurisprudence des cours d’appel relative au bail rural

N° 475

Bail ruralBail à ferme. - Bailleur. - Bailleurs indivis. - Bail consenti par un seul. - Décès. - Coïndivisaires héritiers du bailleur. - Effet.

Selon l’article 815-3 du code civil, les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires. Ceux-ci peuvent donner à l’un ou à plusieurs d’entre eux un mandat général d’administration. Un mandat spécial est nécessaire pour la conclusion et le renouvellement des baux.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1122 du code civil, on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention.

Dès lors, n’est pas nul le bail rural consenti sur des biens indivis, sans mandat spécial, par un seul des indivisaires, le père, qui décède en laissant pour héritiers ses enfants coïndivisaires, ceux-ci étant tenus, s’ils acceptent purement et simplement la succession de leur père, de garantir les conventions passées par leur auteur, notamment un bail rural, qu’ils aient eu ou non la volonté de ratifier cet acte.

C.A. Rennes (7e ch.), 28 septembre 2006 - R.G. n° 04/05465

Mme Laurent, Pte - M. Garrec et Mme Lafay, Conseillers

Dans le même sens que :

- 3e Civ., 29 novembre 2000, Bull. 2000, III, n° 175, p. 122 (rejet) et l’arrêt cité.

07-41.

Cours et tribunauxLes décisions des juges de première instance ou d'appel publiées dans le Bulletin d'information de la Cour de cassation sont choisies en fonction de critères correspondant à l'interprétation de lois nouvelles ou à des cas d'espèce peu fréquents ou répondant à des problèmes d'actualité. Leur publication n'engage pas la doctrine des chambres de la Cour de cassation.

Dans toute la mesure du possible - lorsque la Cour s'est prononcée sur une question qui se rapproche de la décision publiée - des références correspondant à cette jurisprudence sont indiquées sous cette décision avec la mention « à rapprocher », « dans le même sens que », « à comparer » ou « en sens contraire ».

Enfin, les décisions présentées ci-dessous, seront, lorsque les circonstances le permettent, regroupées sous un même thème, visant à mettre en valeur l’état de la jurisprudence des juges du fond - ou d’une juridiction donnée - sur une problématique juridique précisément identifiée.

100•

Bulletin d’informationCours et tribunaux

•1er mars 2007

N° 476

Bail ruralBail à ferme. - Cession. - Enfant du preneur. - Demande d’autorisation de cession. - Conditions. - Etendue. - Détermination.

Aux termes de l’article L. 411-64 du code rural, le preneur évincé en raison de son âge peut céder son bail à l’un de ses descendants ayant atteint l’âge de la majorité, dans les conditions prévues à l’article L. 411-35 du même code.

Ainsi, la cession de bail doit être autorisée lorsque le cessionnaire justifie qu’il remplit les conditions lui permettant de reprendre le bail. En effet, la fille du cédant, candidate à la reprise, domiciliée à proximité immédiate des biens litigieux, est titulaire d’un brevet professionnel agricole option « responsable d’exploitation agricole », diplôme attestant de sa capacité professionnelle en vertu de l’article R. 331-1 du code rural. Elle verse également aux débats une demande d’attribution d’aide à l’installation des jeunes agriculteurs dans laquelle elle s’engage à exercer la profession d’agriculteur à titre principal pendant une durée minimale de dix ans, une promesse de cession du matériel et du cheptel rachetés à son père, ce dernier s’engageant, de surcroît, à lui consentir un bail à ferme sur les bâtiments d’exploitation, une étude prévisionnelle d’installation pour la reprise de l’exploitation familiale et un courrier du préfet attestant, d’une part, qu’elle dispose de l’autorisation d’exploiter les terres constituant l’exploitation de son père, d’autre part, qu’elle est en règle au regard du contrôle des structures.

Par ailleurs, le fait que la cessionnaire possède un diplôme de coiffeuse n’est pas de nature à mettre en doute le sérieux et la crédibilité de son projet d’installation agricole. De même, son souhait de s’associer au sein d’un GAEC à disposition duquel elle mettrait les terres données à bail ne peut constituer un motif de refus de cession du bail, l’article L. 411-37 du code rural permettant une telle mise à disposition.

C.A. Douai (3e ch.), 1er juin 2006 - R.G. n° 05/07485.

Mme Merfeld, Pte - Mmes Convain et Berthier, Conseillères.

07-39.

N° 477

Séparation des pouvoirsActe administratif. - Appréciation de la légalité, de la régularité ou de la validité. - Question préjudicielle. - Sursis à statuer. - Nécessité. - Bail rural. - Bail à ferme. - Congé. - Validité subordonnée à l’application du statut du fermage, laquelle dépend de la légalité d’un arrêté préfectoral.

Aux termes de l’article L. 411-3 du code rural, après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l’autorité préfectorale fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d’une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-87, alinéa 1, L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3.

Il résulte de ce texte que les parcelles, dont la superficie est inférieure aux maxima définis par lesdits arrêtés, ne sont pas soumises au statut du fermage mais au droit commun du louage de choses prévu aux articles 1713 et suivants du code civil.

Ainsi, lorsque la validité du congé délivré par les bailleurs, ceux-ci n’ayant pas respecté les dispositions de l’article L. 411-47 du code rural, est subordonnée à l’application ou non du statut du fermage, laquelle dépend de la légalité d’un arrêté préfectoral disposant que ce statut est accordé au preneur de toute parcelle d’une superficie inférieure à un seuil fixé par cet acte,

en l’espèce 1,5 hectares, lorsque les limites de cette parcelle sont communes, pour les 3/5 au moins, à des parcelles que le preneur cultive déjà, la question préjudicielle, tirée de l’illégalité de cet arrêté préfectoral au motif qu’il ajoute une dérogation non prévue à l’article L. 411-3 précité, doit être posée uniquement si la disposition réglementaire contestée a vocation à s’appliquer à la parcelle litigieuse donnée à bail.

Dans l’affirmative, il doit donc être sursis à statuer dans l’attente de la réponse du tribunal administratif, seul compétent pour connaître de la validité d’un arrêté préfectoral, les premiers juges ne pouvant, pour prononcer la nullité du congé, se contenter de relever l’absence de procédure administrative engagée en vue d’obtenir la nullité de l’arrêté ou l’absence du caractère sérieux de l’exception d’illégalité, celle-ci conditionnant pourtant la solution du litige, ni arguer du fait que les dispositions de l’article L. 411-3 du code rural n’ont pas de caractère d’ordre public alors que le préfet doit prendre les arrêtés visés par cet article.

C.A. Reims (ch. soc.), 13 décembre 2006 - R.G. n° 05/01036.

M. Kunlin, Pt. - MM. Lecuyer et Mansion, Conseillers.

07-40.

Un an d’application de la loi de sauvegarde des entreprises

N° 478

Entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005)Liquidation judiciaire. - Effets. - Impossibilité pour le débiteur d’exercer une autre activité. - Domaine d’application. - Exclusion. - Cas. - Détermination.

Les dispositions de l’article L. 641-9 III du code de commerce, dans leur rédaction résultant de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, n’étant pas encore applicables en l’espèce, une personne physique mise en liquidation judiciaire peut s’inscrire au registre du commerce et des sociétés pour l’exercice d’une autre activité professionnelle indépendante.

C.A. Orléans (ch. com), 21 décembre 2006 - R.G. n° 06/02484

M. Remery, Pt. - Mme Magdeleine et M. Garnier, Conseillers.

07-30.

N° 479

Entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005)Prévention des difficultés. - Procédure de conciliation. - Poursuite par le créancier. - Délais de paiement accordé au débiteur. - Conditions. - Détermination.

Selon les termes de l’article 28 du décret nº 2005-1677 du 28 décembre 2005, pris en application de l’article L. 611-7 du code de commerce, alinéa 5, le débiteur poursuivi au cours de la procédure de conciliation par le créancier peut assigner ce dernier devant le président du tribunal qui a ouvert cette procédure et demander des délais de paiement, la demande étant portée à la connaissance de la juridiction saisie des poursuites, qui sursoit à statuer jusqu’à la décision se prononçant, en la forme des référés, sur les délais.

Dès lors, introduit une condition que le texte ne prévoit pas le créancier qui, pour s’opposer au sursis à statuer, soutient à tort qu’il n’est pas applicable si les poursuites ont été engagées antérieurement au jugement d’ouverture.

C.A. Versailles (13e ch.), 19 octobre 2006 - R.G. n° 06/01788.

M. Besse, Pt. - Mme Andreassier et M. Deblois, Conseillers.

07-31.

101•

1er mars 2007Cours et tribunaux

•Bulletin d’information

N° 480

Entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005)Responsabilités et sanctions. - Responsabilité pour insuffisance d’actif. - Domaine d’application. - Exclusion. - Cas. - Procédure collective en cours. - Notion.

En vertu de la combinaison de l’article 190 de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 posant le principe de son entrée en vigueur au 1er janvier 2006 et de l’article 191 comportant une exception à l’application de ce texte nouveau aux procédures en cours, doit être appliquée la loi nouvelle à défaut de procédure en cours, en l’espèce, à défaut de décision ayant ouvert avant le 1er janvier 2006 une procédure d’action en responsabilité pour insuffisance d’actifs ou de faillite personnelle contre le dirigeant social de la personne morale, peu important alors que l’assignation aux fins d’ouverture de la procédure ait été délivrée antérieurement au 1er janvier 2006.

C.A. Riom (ch. com), 29 novembre 2006 - R.G. n° 06/00519.

Mme Bressoulaly, Pte - Mme Javion et M. Despierres, Conseillers.

07-32.

Jurisprudence des cours d’appel relative à la faute grave

N° 481

Contrat de travail, ruptureLicenciement. - Cause. - Cause réelle et sérieuse. - Faute du salarié. - Faute grave. - Applications diverses. - Attitude indécente d’un salarié responsable de magasin.

Les manifestations de l’attitude indécente d’un salarié, responsable de magasin, à l’égard de plusieurs collègues féminines, vendeuses, constitue une faute grave rendant impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis.

Dès lors, des faits commis par un responsable de magasin usant de sa qualité pour harceler et effectuer des pressions sur les vendeuses en position d’infériorité professionnelle sont constitutifs d’une faute grave.

C.A. Lyon (ch. soc.), 4 janvier 2006. - R.G. n° 04/04651.

M. Vouaux-Massel, Pt. - M. Gervesie et Mme Vilde, Conseillers.

07-37.

N° 482

Contrat de travail, ruptureLicenciement. - Cause. - Cause réelle et sérieuse. - Faute du salarié. - Faute grave. - Applications diverses. - Falsification comptable opérée par un caissier.

Le fait, pour un caissier, de remettre à plusieurs reprises sciemment à son employeur des pièces comptables dont il avait altéré la teneur tant intellectuelle que matérielle constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une gravité telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Dès lors, l’intention de nuire à l’employeur n’étant pas établie, il y a lieu de requalifier le licenciement prononcé pour faute lourde en licenciement pour faute grave.

C.A. Nouméa (ch. soc.), 14 juin 2006. - R.G. n° 04/509.

M. Stoltz, Pt (f.f.). - M. Potee et Mme Amaudric du Chaffaut, Conseillers.

07-36.

N° 483

Contrat de travail, ruptureLicenciement. - Cause. - Cause réelle et sérieuse. - Faute du salarié. - Faute grave. - Applications diverses. - Utilisation à des fins personnelles d’un véhicule de l’entreprise.

L’utilisation, à l’insu de l’employeur, d’un véhicule de l’entreprise à des fins personnelles ayant conduit, de manière prévisible, à une grave détérioration de l’engin, constitue une faute grave.

C.A. Nouméa (ch. soc.), 12 avril 2006. - R.G. n° 05/470.

M. Stoltz, Pt (f.f.). - M. Potee et Mme Amaudric du Chaffaut, Conseillers.

07-38.

Autre jurisprudence des cours d’appel

N° 484

Communauté entre épouxPartage. - Evaluation des biens. - Date. - Fixation. - Modalités. - Détermination. - Portée.

Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision et si le jugement en divorce prend effet dans les rapports entre époux, en ce qui concerne leurs biens, dès la date d’assignation, la date de l’évaluation des biens doit être celle du jour le plus proche du partage.

C.A. Agen (1re ch. civ.), 17 janvier 2006 - R.G. n° 03/00962.

Mme Latrabe, Pte (f.f.) - M. Tcherkez et Mme Auber, Conseillers.

07-33.

N° 485

Conflit de juridictionsCompétence internationale. - Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000. - Article 5 § 1.

La rupture brutale de relations commerciales entre deux sociétés ne peut engager la responsabilité contractuelle de la société qui en est à l’origine, au sens de l’article 5 § 1 du Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, cette responsabilité relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5 § 3 du Règlement.

C.A. Rennes (ch. com.), 27 juin 2006 - R.G. n° 05/08240.

M. Le Guillanton, Pt. - Mmes Nivelle et Cocchiello, Conseillères.

07-34.

N° 486

FondationCapacité. - Capacité de recevoir des legs. - Conditions. - Conditions de reconnaissance d’utilité publique. - Dérogation. - Cas. - Affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à une fondation reconnue d’utilité publique. - Applications diverses.

Il ressort des dispositions de l’article 20 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 modifiée par la loi n° 90-559 du 4 juillet 1990 qu’une fondation reconnue d’utilité publique telle que la Fondation de France peut « abriter » la réalisation d’une œuvre d’intérêt général à but non lucratif, lorsqu’il lui a été fait une affectation irrévocable de biens, droits ou ressources, par une personne qui n’a pas pu ou pas voulu créer une fondation au

102•

Bulletin d’informationCours et tribunaux

•1er mars 2007

sens de l’article 18 de la loi précitée et que cette affectation prend la dénomination de « fondation » même si elle ne constitue pas une personne morale distincte.

Il s’ensuit qu’une fondation créée dans ces conditions ne nécessite pas d’être reconnue d’utilité publique pour recevoir un legs, les dispositions de l’article 18-2, alinéa premier, de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 qui prescrivent la nécessité d’une telle reconnaissance pour recevoir un legs ne s’appliquant pas aux fondations créées sous l’égide d’une fondation reconnue

d’utilité publique, comme la Fondation de France, mais aux seules fondations qui disposent d’une personnalité morale distincte.

T.G.I. Paris (2e ch., 1re sect.), 30 octobre 2006 - R.G. n° 01/13874.

Mme Sarda, Pte (f.f.) - Mme Lucat et M. Vert, V-Pts.

07-35.

103•

15 novembre 2007

•Bulletin d’information

I. - DROIT CIVIL

1. Responsabilité contractuelle et délictuelle

Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle- Jean Mouly, « Quelle faute pour la responsabilité civile du salarié ? », in Le Dalloz, 16 novembre 2006, n° 40, p. 2756-2763.

2. Droit de la famille

Autorité parentale- François Boulanger, observations sous 1re Civ., 17 janvier 2006, Bull. 2006, I, n° 10, p. 9, in La semaine juridique, édition générale, 8 novembre 2006, n° 45, p. 2051-2054.

Exercice - Exercice par les parents séparés - Droit de visite et d’hébergement - Bénéfice - Refus - Conditions - Motifs graves - Caractérisation - Cas.

Régimes matrimoniaux- Frédéric Vauvillé, observations sous 1re Civ., 31 janvier 2006, Bull. 2006, I, n°48, p. 49, in Revue juridique personnes et famille, juillet-août 2006, n° 7/8, p. 14-15.

Avantages matrimoniaux - Définition - Exclusion - Cas - Bien financé par des deniers communs conventionnellement requalifié de propre par les époux.

3. Propriété littéraire et artistique

Propriété littéraire et artistique- Emmanuel Dreyer, « La réforme du dépôt légal », in Communication, commerce électronique, novembre 2006, n° 11, p. 35-37.

- Séverine Dusollier, « L’introuvable interface entre exceptions au droit d’auteur et mesures techniques de protection », in Communication, commerce électronique, novembre 2006, n° 11, p. 21-24.

- Thierry Lambert, « Les droits des universitaires sur leurs créations intellectuelles », in La semaine juridique, édition générale, 8 novembre 2006, n° 45, p. 2039-2043.

4. Droit de la consommation

Protection des consommateurs- Dimitri Houtcieff, observations sous Ch. mixte, 22 septembre 2006, Bull. 2006, Ch. mixte, n° 7, p. 21, in La semaine juridique, édition générale, 8 novembre 2006, n° 45, p. 2061-2063.

Cautionnement - Principe de proportionnalité - Personnes pouvant s’en prévaloir - Personne physique ayant souscrit le cautionnement postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003.

II. - PROCÉDURE CIVILE

Compétence- Mathias Audit, observations sous 1re Civ., 23 mai 2006, Bull. 2006, I, n° 258, p. 226, in Le Dalloz, 16 novembre 2006, n° 40, p. 2798-2800.

Compétence matérielle - Tribunal d’instance - Crédit à la consommation - Compétence exclusive - Portée.

III. - DROIT DES AFFAIRES

1. Contrats commerciaux

Contrats et obligations conventionnelles- Patrick Chauvel, observations sous Com., 28 juin 2005, Bull. 2005, IV, n° 140, p.150, in Le Dalloz, 16 novembre 2006, n° 40, p. 2774-2777.

Consentement - Dol - Réticence - Applications diverses - Violation d’une obligation précontractuelle d’information - Conditions - Détermination

2. Droit des sociétés

Société civile immobilière- Bernard Saintourens, observations sous Ch. mixte, 16 décembre 2005, Bull. 2005, Ch. mixte, n° 9, p. 19, in Revue des sociétés, avril-juin 2006, n° 2, p. 327-333.

Assemblée générale - Convocation - Délai - Computation - Modalités - Détermination - Portée

Société commerciale (règles générales)- François Pasqualini, observations sous Com., 6 décembre 2005, Bull. 2005, IV, n° 246, 271, in Revue des sociétés, avril-juin 2006, n° 2, p. 323-326.

Comptes sociaux - Publicité des comptes - Dépôt au greffe - Omission - Effets - Désignation d’un mandataire - Titulaire de l’action - Détermination - Condition.

3. Procédures collectives

Entreprise en difficulté- Antoine Mazeaud, observations sous Ch. mixte, 7 juillet 2006, Bull. 2006, Ch. mixte, n° 5, p. 17, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1064-1065.

Liquidation judiciaire - Actif - Unité de production - Cession - Effets - Obligation de reprise des salariés par le cessionnaire - Inobservation - Sanction - Détermination.

Doctrine

104•

Bulletin d’information

•15 novembre 2007

IV. - DROIT SOCIAL

1. Elections professionnelles

Elections professionnelles- Gérard Couturier, observations sous Soc., 12 juillet 2006, Bull. 2006, V, n° 250, p. 236, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1067-1069.

Comité d’entreprise et délégué du personnel - Obligations de l’employeur - Organisation de l’élection - Enregistrement des candidatures - Portée.

2. Sécurité sociale

Sécurité sociale, contentieux- Philippe Coursier, observations sous 2e Civ., 12 juillet 2006, Bull. 2006, II, n° 197, p. 189, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1071-1072.

Preuve - Procès-verbaux des contrôleurs de la sécurité sociale - Opérations de contrôle - Redressement - Observations adressées à une société - Etendue - Détermination - Portée.

3. Travail

Contrat de travail, exécution- Marie-Thérèse Lanquetin, observations sous Soc., 3 mai 2006, Bull. 2006, V, n° 160, p. 155, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p.1048-1050.

Salaire - Egalité des salaires - Atteinte au principe - Défaut - Conditions - Eléments objectifs justifiant la différence de traitement - Applications diverses.

- Christophe Radé, observations sous Soc., 20 juin 2006, Bull. 2006, V, n° 217, p. 207, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1051-1052.

Employeur - Obligations - Paiement de la rémunération - Cessation - Justification - Exclusion - Cas.

- Christophe Radé, observations sous Soc., 20 juin 2006, Bull. 2006, V, n° 218, p. 208, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1054-1055.

Employeur - Redressement et liquidation judiciaires - Créances des salariés - Assurance contre le risque de non-paiement - Garantie - Domaine d’application - Créances résultant de la rupture du contrat de travail - Condition.

- Claude Roy-Loustaunau, observations sous Soc., 10 mai 2006, Bull. 2006, V, n° 167, p. 161, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1046-1048.

Employeur - Redressement et liquidation judiciaires - Créances des salariés - Créances résultant de l’exécution du contrat de travail - Créance née à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective - Régime applicable - Détermination - Portée.

Contrat de travail, rupture- Antoine Mazeaud, observations sous Soc., 21 juin 2006, Bull. 2006, V, n° 224, p. 214, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1062-1063.

Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Applications diverses - Transfert du contrat de travail d’un salarié - Conditions - Application de l’article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail.

Représentation des salariés- Françoise Favennec-Héry, observations sous Soc., 5 juillet 2006, Bull. 2006, V, n° 237, p. 226, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1069-1071.

Règles communes - Statut protecteur - Portée.

- Jean Savatier, observations sous Soc., 12 juillet 2006, Bull. 2006, V, n° 254, p. 240, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1065-1067.

Cadre de la représentation - Unité économique et sociale - Reconnaissance - Reconnaissance résultant d’un accord collectif - Effets - Etendue - Détermination.

Travail réglementation- Claude Roy-Loustaunau, observations sous Soc., 28 juin 2006, Bull. 2006, V, n° 233, p. 222, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1044-1046.

Formation professionnelle - Contrat de qualification - Inexécution par l’employeur de ses obligations - Portée.

V. - DROIT PÉNAL

Assurance- David Noguéro, observations sous Crim., 16 mai 2006, Bull. crim. 2006, n° 133, p. 487, in Le Dalloz, 16 novembre 2006, n° 40, p. 2771-2774.

Primes - Non-paiement - Mise en demeure - Résiliation du contrat - Encaissement sans réserves d’une prime venue à échéance antérieurement - Acte manifestant la volonté non équivoque de renoncer (non).

Société- Bernard Bouloc, observations sous Crim., 28 février 2006, Bull. crim. 2006, n° 55, p. 213, in Revue des sociétés, avril-juin 2006, n° 2, p. 389-397.

Société en général - Abus de biens sociaux - Action civile - Recevabilité - Etat - Versement de subventions publiques - Préjudice direct (non).

Travail- François Duquesne, observations sous Crim., 14 mars 2006, Bull. crim. 2006, n° 75, p. 283, in Droit social, novembre 2006, n° 11, p. 1057-1058.

Transports - Transports routiers publics et privés - Réglementation - Conditions de travail - Chef d’entreprise - Responsabilité pénale - Cumul de condamnations du chef d’entreprise et du préposé en raison des mêmes manquements - Possibilité (non).

VI. - DROITS DOUANIER ET FISCAL

Impôts et taxes- Philippe Neau-Leduc, « Crédit d’impôt pour la production d’œuvres phonographiques », in Communication, commerce électronique, novembre 2006, n° 11, p. 38-40.

VII. - DROITS INTERNATIONAL ET EUROPÉEN - DROIT COMPARÉ

Conflit de juridictions- Thierry Garé, observations sous 1re Civ., 28 mars 2006, Bull. 2006, I, n° 176, p. 154 et n° 177, p. 155, in Revue juridique personnes et famille, juin 2006, n° 6, p. 15-16.

Effets internationaux des jugements - Reconnaissance ou exequatur - Conditions - Compétence du tribunal étranger - Choix n’ayant pas pour but d’échapper aux conséquences d’un jugement français - Caractérisation - Défaut - Portée.

Pour vous abonner aux publications de la Cour de cassation, complétez ce bulletin d’abonnement et retournez-le à la Direction des Journaux officiels, 26, rue Desaix, 75727 Paris Cedex 15

Je souhaite m’abonner1 :

❒ Au bulletin des arrêts des chambres civiles, pour une durée d’un an(référence d’édition 25) : 220,60 €2

❒ Au bulletin des arrêts de la chambre criminelle, pour une durée d’un an(référence d’édition 29) : 152,10 €2

❒ Au bulletin d’information, pour une durée d’un an(référence d’édition 91) : 91,80 €2

❒ Au bulletin du droit du travail, pour une durée d’un an(référence d’édition 97) : 15,00 €2

❒ A l’index annuel des arrêts civils, pour une durée d’un an(référence d’édition 81) : 19,00 €2

❒ A la table annuelle des arrêts criminels, pour une durée d’un an(référence d’édition 87) : 14,90 €2

❒ Au bulletin des arrêts des chambres civiles + bulletin des arrêts de la chambre criminelle + index annuel des arrêts civils + table annuelle des arrêts criminels, pour une durée d’un an(référence d’édition 37) : 381,60 €2

❒ Au bulletin des arrêts des chambres civiles + bulletin des arrêts de la chambre criminelle + bulletin d’information + index annuel des arrêts civils + table annuelle des arrêts criminels, pour une durée d’un an(référence d’édition 49) : 470,40 €2

❒ Abonnement annuel D.O.M.-R.O.M.-C.O.M. et Nouvelle-Calédonie uniquement par avion : tarif sur demande

❒ Abonnement annuel étranger : paiement d’un supplément modulé selon la zone de destination, tarif sur demande

Nom :

Prénom :

N0 d’abonné (si déjà abonné à une autre édition)

N0 de payeur :

Adresse :

Code postal :

Localité :

Date : Signature :

❒ Ci-joint mon règlement par chèque bancaire ou postal, à l’ordre de la Direction des Journaux officiels.

1 Nos abonnements ne sont pas soumis à la TVA.2 Tarifs d’abonnement pour la France pour l’année 2006, frais de port inclus.

Bulletin d’abonnement aux bulletins de la Cour de cassation

191076560-000307

Imprimerie des Journaux officiels, 26, rue

Desaix, 75727 Paris Cedex 15 No D’ISSN :

0750-3865

No de CPPAP : 0608 B 06510

Le directeur de la publication : le conseiller à

la Cour de cassation, directeur du service de

documentation et d’études : Alain LACABARATS

Reproduction sans autorisation interdite -

Copyright Service de documentation et d’études

Le bulletin d’information peut être consulté sur le

site internet de la Cour de cassation :

http://www.courdecassation.fr

Photos : Luc Pérénom, Grigori Rassinier

Direction Artistique :

Bulletind’information

Directiondes Journaux

officiels26, rue Desaix

75727 Pariscedex 15

renseignements :01 40 58 79 79

[email protected]

Commande :par courrier

par télécopie :01 45 79 17 84

sur Internet :www.journal-officiel.gouv.fr

Prix : 5,20 €ISSN 0750-3865

Les éditions desJOURNAUX OFFICIELS

Diffusion de jurisprudence, doctrine et communications

N° 656

Publication bimensuelle

1er mars 2007

19107656couv.indd 119107656couv.indd 1 23/02/2007 09:17:5623/02/2007 09:17:56

23/02/2007V

alidJO