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1 Electro-CIEN numéro 85 – Septembre 2011 Clins d’œil sur les journées : Dans l'après-coup de PIPOL5 : « À propos de PIPOL5 à Bruxelles », par D. Rousseau p. 2. Inventions, travaux des lab. : « À l'école du désir, retour sur une expérience en lycée », par S. Dauguet p. 3 – « La déferlante ABA », par M.-A. Saitour p. 4 ; « Quand la poussette fait lien », par M. Pancher p. 5. Eclairages sur l’actualité, notes de lecture… : « Lacan, le briseur de standards », par Fr. Labridy p. 6 ; « Ne pas être fonctionnaire de l'inconscient », par C. Piette p. 7 ; « Le désordre familial et les symptômes de l'enfant, journée doctorale à Paris 8 », par A. Vigué-Camus p. 8 ; « Michel Ocelot ou la subversion du conte » par S. Dauguet p. 9. Nouvelles des stages de formation inter-disciplinaire : « Le 11 juin 2011 à l'ITEP de Morcenx », par J.P. Rouillon p. 9. Messages : Journées Lacan les 8 et 9 octobre à Paris p. 10 ; Journées des laboratoires du CIEN à Bordeaux, le 19 novembre p. 11 ; Erratum p. 11. Trente ans après la mort de Jacques Lacan, « le briseur de standards » 1 , des sujets décidés démontrent la nécessité de son enseignement, véritable boussole pour s'orienter dans un monde contemporain réservant parfois de bien mauvaises surprises 2 . Au tableau des consternations, la norme gourmande dont la société est devenue folle. Or, les travaux des laboratoires publiés ce mois-ci en témoignent, faire acte de civilisation, n'est pas vouloir faire appliquer une norme à tout prix, mais approcher délicatement ce qui, intime au sujet, peut avoir des effets destructeurs sur le lien social. Ce pari renouvelé, c'est celui tenu par ceux qui s'orientent du réel en jeu pour chaque enfant. Sébastien Dauguet, professeur en lycée professionnel, se fait « le lieu d'adresse sur un point d'énigme qui convoquait » 3 l'élève éprouvant « un amer embarras » face aux difficultés du « triplet plaisir, amour, sexe » 4 . Marie- Anne Saitour soutient Floriane, enfant dite autiste, qui « entre en résistance » contre la méthode ABA. Martine Pancher propose à Tania qui a horreur de la sieste une alternative : dormir dans sa poussette. Une offre saisie par la petite fille, qui trouvera là, façon de faire nouage et lien social. Aucun sujet, rappelle Dominique Rousseau, « n'est soluble dans une formalisation de ce que serait la santé mentale », c'est pourquoi, il est bon de rappeler, comme le fait Claire Piette, que « le CIEN reste marqué, dans sa racine, par le souffle singulier » de celui qui a su « mêler l'intransigeance de l'acte avec la douceur de l'accueil, provoquant ainsi la scission entre l'idéal de chacun et la passion dont chacun était "véritablement" animé ». Travailler à arracher le sujet à ce qui de l'Autre, le parasite et le fige, c'est ce qui anime les laboratoires. Beau programme pour le XXI è siècle ! Agnès Vigué-Camus 1 Lire l'article de Françoise Labridy, p. 6 de ce numéro. 2 Être en mesure de répondre aux surprises du monde contemporain – bonnes ou mauvaises – est l'un des enjeux de la « reconquête du Champ freudien » écrivait récemment Judith Miller, « La reconquête du Champ freudien », Le Diable probablement – Pourquoi Lacan, n°9, p. 63. 3 Voir l'article de S. Dauguet p. 3. 4 Prost P., « Les nœuds de l'amour », La lettre mensuelle, n°301, p.22. L'auteur évoque l'ouvrage de Jean-Claude Milner, Le triple du plaisir, 1997, Paris, Éditions Verdier. Edito -CIEN Bulletin électronique des laboratoires

Bulletin électronique des laboratoires · animé ». Travailler à arracher le sujet à ce qui de l'Autre, le parasite et le fige, c'est ce qui anime les laboratoires. Beau programme

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Electro-CIEN numéro 85 – Septembre 2011

Clins d’œil sur les journées : – Dans l'après-coup de PIPOL5 : « À propos de PIPOL5 à Bruxelles », par D. Rousseau p. 2.

Inventions, travaux des lab. : « À l'école du désir, retour sur une expérience en lycée », par S. Dauguet p. 3 – « La déferlante ABA », par M.-A. Saitour p. 4 ; « Quand la poussette fait lien », par M. Pancher p. 5.

Eclairages sur l’actualité, notes de lecture… : « Lacan, le briseur de standards », par Fr. Labridy p. 6 ; « Ne pas être fonctionnaire de l'inconscient », par C. Piette p. 7 ; « Le désordre familial et les symptômes de l'enfant, journée doctorale à Paris 8 », par A. Vigué-Camus p. 8 ; « Michel Ocelot ou la subversion du conte » par S. Dauguet p. 9.

Nouvelles des stages de formation inter-disciplinaire : « Le 11 juin 2011 à l'ITEP de Morcenx », par J.P. Rouillon p. 9.

Messages : Journées Lacan les 8 et 9 octobre à Paris p. 10 ; Journées des laboratoires du CIEN à Bordeaux, le 19 novembre p. 11 ; Erratum p. 11.

Trente ans après la mort de Jacques Lacan, « le briseur de standards »1, des sujets décidés démontrent la nécessité de son enseignement, véritable boussole pour s'orienter dans un monde contemporain réservant parfois de bien mauvaises surprises2. Au tableau des consternations, la norme gourmande dont la société est devenue folle. Or, les travaux des laboratoires publiés ce mois-ci en témoignent, faire acte de civilisation, n'est pas vouloir faire appliquer une norme à tout prix, mais approcher délicatement ce qui, intime au sujet, peut avoir des effets destructeurs sur le lien social. Ce pari renouvelé, c'est celui tenu par ceux qui s'orientent du réel en jeu pour chaque enfant. Sébastien Dauguet, professeur en lycée professionnel, se fait « le lieu d'adresse sur un point d'énigme qui convoquait »3 l'élève éprouvant « un amer embarras » face aux difficultés du « triplet plaisir, amour, sexe »4. Marie-Anne Saitour soutient Floriane, enfant dite autiste, qui « entre en résistance » contre la méthode ABA. Martine Pancher propose à Tania qui a horreur de la sieste une alternative : dormir dans sa poussette. Une offre saisie par la petite fille, qui trouvera là, façon de faire nouage et lien social. Aucun sujet, rappelle Dominique Rousseau, « n'est soluble dans une formalisation de ce que serait la santé mentale », c'est pourquoi, il est bon de rappeler, comme le fait Claire Piette, que « le CIEN reste marqué, dans sa racine, par le souffle singulier » de celui qui a su « mêler l'intransigeance de l'acte avec la douceur de l'accueil, provoquant ainsi la scission entre l'idéal de chacun et la passion dont chacun était "véritablement" animé ». Travailler à arracher le sujet à ce qui de l'Autre, le parasite et le fige, c'est ce qui anime les laboratoires. Beau programme pour le XXIè siècle ! Agnès Vigué-Camus

1 Lire l'article de Françoise Labridy, p. 6 de ce numéro. 2 Être en mesure de répondre aux surprises du monde contemporain – bonnes ou mauvaises – est l'un des enjeux de la « reconquête du Champ freudien » écrivait récemment Judith Miller, « La reconquête du Champ freudien », Le Diable probablement – Pourquoi Lacan, n°9, p. 63. 3 Voir l'article de S. Dauguet p. 3. 4 Prost P., « Les nœuds de l'amour », La lettre mensuelle, n°301, p.22. L'auteur évoque l'ouvrage de Jean-Claude Milner, Le triple du plaisir, 1997, Paris, Éditions Verdier.

Edito

-CIEN Bulletin électronique des laboratoires

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---------------------------------- Dans l'après-coup de PIPOL 5 ------------------------------

Á Bruxelles, où a eu lieu le 2 et 3 juillet derniers, le premier Congrès de l'Euro-fédération de Psychanalyse, sur le thème « La santé mentale existe-t-elle ? », Dominique Rousseau a puisé une énergie nouvelle pour lutter contre l'orthodoxie et l'ennui. À Propos de PIPOL 5 à Bruxelles

Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit.

Charles Baudelaire, extrait de Le Spleen de Paris.

Pratique, théorique, éthique La santé mentale existe-t-elle ? Qui d’entre nous doutait de sa non-existence, avant même que cette

rencontre à Bruxelles n’ait lieu, comme l’a dit Jacques-Alain Miller en fin de PIPOL 5 ? Restait à la démontrer. C’est fait. Comment ? Par les cas cliniques, au pluriel – de Moscou à Tel Aviv, en passant par la Champagne et par Nice. Mais au fond, pourquoi ? Parce que chaque sujet que nous rencontrons ne se montre jamais entièrement soluble dans aucune formalisation de ce que serait LA santé. Voilà pour le point de vue pratique.

De même, aucun cas clinique n’est totalement conforme à la théorie et Jacques-Alain Miller nous l’a assez répété. L’orthodoxie est toujours le voile de savoir sur le trou du savoir. Aussi Lacan s’est-il chargé de faire du Lacan contre Lacan. Moyennant quoi, comme l’avait fait remarquer Mme Judith Miller au cours d’une soirée du « Non-laboratoire » de Paris, quand on fait de la clinique avec Lacan, on évite ce « vice » qui, « dans un bâillement avalerait le monde » : l’ennui !5

Enfin, la raison éthique : la psychanalyse n’est pas chargée de mettre au pas qui que ce soit, en posant comme limite celle du dangereux pour soi-même et pour les autres. Notre époque se marque –entre autres – par l’obsession de « la définition positive », de la « santé mentale »6 ou du « handicap »7, par exemple. Notre civilisation, « positive », matérialiste, gestionnaire, friande de « politiques publiques » dit et écrit dans la loi elle-même ce qui jusqu’alors n’était que cerné, évoqué, approché. Trait de civilisation qui va très bien avec la généralisation du contrat à l’anglo-saxonne dans les relations humaines et la judiciarisation qui l’accompagne. La santé mentale n’y échappe pas : immergée dans « la culture de l’évaluation et des résultats », la tendance à contractualiser la relation praticien-patient dans le champ psychique se fait partout sentir. On peut même se demander si ce n’est pas une ficelle que d’aucuns compteront bien tirer – férocité du surmoi oblige – à l’intérieur d’une politique de la transparence, pour faire valoir la noirceur de la psychanalyse, qui au fond ne respecterait pas le contrat impliqué par la notion de soigner selon la santé mentale. À ce sujet, Roger Litten nous a précisément entretenu du « modèle anglais »8 avec des exigences sans précédent concernant l’évaluation et la transmission des données au début et à la fin de chaque séance. Le contrat promu par le new deal de la santé mentale au Royaume-Uni est simple : le thérapeute est chargé de renvoyer au travail le plus vite possible – et donc à moindre coût – celui qui est « malade » (autrement dit celui qui s’est arrêté de travailler). Les gains seront considérables : de productivité pour cette grande entreprise que serait la société britannique et de bonheur pour cette petite entreprise que serait le citoyen

5 Charles Baudelaire, « Au lecteur », Les fleurs du mal. 6 « État de bien être dans lequel l'individu réalise ses propres capacités, peut faire face aux tensions ordinaires de la vie, et est capable de contribuer à sa communauté », définition OMS. 7 La loi du 11 février 2005 : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un poly-handicap ou d'un trouble de santé invalidant. » 8 Titre de son intervention, », « Le modèle anglais » lors de la séquence « Idéologies et « Etats thérapeutiques » dimanche 3 juillet 2011.

Inventions, travaux des lab-oratoires

Clins d’œil sur les journées

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anglais, chargé, selon l’éthique du self-help, d’utiliser au maximum son capital de bonheur. Ainsi deviendra t-il un merveilleux happynomic de merveilleux happynomics (mot-valise formé de happiness + economics), comme le rappelait P.-G. Guéguen. La pulsion de mort à l’œuvre sous ces tonnes de bonheur n’a pas échappé à notre collègue R. Litten.

Le contrat à 2 sans 3 Pour le patient de M.-H. Brousse9, jusqu’alors « en bonne santé mentale » à l’intérieur du contrat peer to

peer (télécharger des contenus avec l’accord réciproque des partenaires anonymes, mais sans passer par un site internet ou un ordinateur central), rien ne va plus. Car voici que la loi – qui n’est pas le contrat – s’en mêle, interdisant l’échange de « pair à pair » d’œuvres protégées. Le contrat est donc caduc par l’intervention d’un Autre qui vient entraver la jouissance de « petits autres » ne se connaissant pas mais d’accord pour jouir ensemble sans rien payer. Jouis ! Ne jouis pas !, sont les deux faces, obscène et féroce, du Surmoi… « À mesure que la loi paternelle décline, il y a une montée du Surmoi », telle est la thèse de M.-H. Brousse, un corrélat de « l’Autre qui n’existe pas ».

L'inconscient, limite de la santé mentale Un analyste n’opère pas avec la volonté de faire le bien, car il sait, entre autres, que ça peut mener au

pire. L’idéal est un semblant dont il tâchera de dégonfler la baudruche. Et quand son patient résiste, il aura plutôt à se questionner sans relâche, avec certains autres, sur ce qui ne va pas de son côté : « Dans le tableau clinique, nous y sommes (à la manière du peintre dans Les Ménines de Velázquez) et nous ne saurions nous défalquer ni fermer les yeux sur ces effets », disait J.-A. Miller dans son intervention finale, ajoutant que le contrôle est là pour « laver ces scories rémanentes qui interviennent dans la cure ». Qu’est-ce que cela permet ? Ce que François Ansermet a pointé comme les retrouvailles de la psychanalyse et des neurosciences : l’imprévisible de ce que l’on savait sans le savoir. C’est-à-dire ce qui ne figurera jamais dans aucun manuel de psychiatrie – quelles que soient « les promesses du DSM V »10– ni aucune étude épidémiologique, mais qui figure dans le symptôme et que nous accueillons comme point d’appui possible pour le sujet, en tant que le symptôme touche à la pulsion.

Si tout n’est que santé, voire devoir de santé, si l’Autre n’est que santé, si la société doit venir à bout de ce que Woody Allen définissait pourtant comme « maladie mortelle sexuellement transmissible », c’est-à-dire la vie elle-même, alors comment dire ce qui ne va pas ?

Les interventions se sont closes sur la question fondamentale : qu’est-ce qu’une vie humaine ? Et sur la réponse de la psychanalyse : « c’est une vie, avec un symptôme ! ». Aussi le discours analytique est-il une pratique de « démassification ». La santé mentale est toujours affaire de gouvernement, dit J.-A Miller en conclusion, et un gouvernement n’a de cesse de tenter de récupérer le symptôme. Dans une cure psychanalytique, le sujet trouve « sa solitude et son exil par rapport au discours de l’Autre », car l’Autre n’existe pas, « ce qui existe, c’est l’Un-tout-seul ». Une fois franchi « le mental de l’imaginaire et du symbolique, il s’agit de rejoindre « la partie la plus opaque de la libido », la jouissance, « parcelle de chair qui anime tout l’univers mental ». « L’homme mental parle avec son corps, et en même temps, l’homme corporel – c’est le même – ne parle pas ». Tel sera le paradoxe mis au travail lors de PIPOL 6, en 2013, sur le thème « Parler avec son corps ».

Dominique Rousseau -------------------------- Approche des « choses de l'amour » en classe ------------------

Sébastien Dauguet, professeur d'anglais dans un lycée professionnel trouve le temps de parler avec ses élèves de ce qui, parfois, les embarrasse... À l'école du désir : retour sur une expérience en lycée Sébastien Dauguet, laboratoire « D'où tu m'parles ? » à Rennes

L’apprentissage de la civilité doit-il être un enjeu essentiel pour l’enseignant ? Au terme d’une expérience en Lycée Professionnel, je me suis aperçu que le tact de l’élève ne survenait parfois que dans un second temps, comme effet d’un transfert positif vers l’enseignant. Avec ma classe de Première Boulangerie-Pâtisserie, le rire avait une place de taille. C’est lorsqu’un élève m’a demandé la permission de raconter une

9 « Le surmoi sous l’empire de la logique du peer to peer : variations cliniques », dimanche 3 juillet 2011. 10 Intitulé de l’intervention de Fr. Ansermet, dimanche 3 juillet 2011 : « La psychiatrie aujourd’hui ».

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blague qu’un lien véritable s’est noué avec la classe. Les élèves ont découvert que je pouvais, dans certaines limites, accepter de jouer avec mon image si cela facilitait leur rapport à un réel difficile à soutenir. Cédric, que je devais parfois exclure de cours quand il n’était plus capable de se contenir, m’a démontré le poids de son transfert à mon endroit quand il m’a raconté avoir vu un film dont l’un des personnages, « petit, gros et gay », lui évoquait ma personne. Si j’ai bien sûr été touché dans ma susceptibilité, j’ai vite compris qu’il fallait aller au-delà de ce qui n’apparaissait pas aux yeux de l’élève comme un jugement de valeur. À partir des détails de l’intrigue du film, j’ai pu noter qu’il me donnait à lire une question fondamentale pour lui : comment diriger son désir pour les adolescentes de son âge ? Elle ponctuait un long parcours. Cédric avait en effet déjà profité d’une parenthèse en cours pour me confier sa difficulté à vivre une relation amoureuse qui ait de la valeur à ses yeux. Je lui avais alors répondu que le temps était nécessaire pour ces choses-là, que sa vie ne se jouerait pas seulement dans le temps de son adolescence. Or une telle réponse à ses questions a dû le soulager car il était revenu me voir quelques semaines plus tard pour me préciser qu’il était tombé enfin amoureux et que « c’était bien parti ». Que je sois aux yeux de l’élève « petit, gros et gay » n’avait pas empêché que je sois un lieu d’adresse pour lui sur des points d’énigme qui le convoquaient. Il m’a permis de comprendre qu’au-delà du désir de rire en cours, les élèves de cette classe avaient détourné les documents que je leur donnais à travailler pour me constituer comme témoin de leurs découvertes des choses de l’amour. Fabrice me racontait les progrès de sa relation avec sa compagne, non sans une certaine pudeur à préserver. Matthieu, pour sa part, avait pu évoquer une mauvaise rencontre sous les effets de l’alcool lors d’une fête chez un ami. Quand à Johan, il avait pu parler de ces « gazelles » auprès desquelles il se conduisait comme un « sex-symbol », au risque de dévoiler ce qui l’inquiétait lui aussi dans ses relations à l’Autre sexe. L’humour ne rime pas avec indifférence et favorise de surcroît un transfert vers le savoir. L’enseignant n’a-t-il pas pour fonction de désencombrer le désir de chaque élève qui en fait la demande à partir d’une tâche commune ? C’est en tout cas dans le tressage des individualités que le singulier peut ressortir et devenir enseignant pour les uns et pour les autres.

--------------------------------------- Sur la méthode ABA -------------------------------------

Promoteurs de la méthode ABA, des intervenants pensaient fournir les réponses adéquates aux problèmes rencontrés par Flo, enfant dite autiste… « La déferlante ABA » Marie-Anne Saitour, laboratoire « La chance inventive » à Nice

Flo a huit ans. Elle est accueillie depuis trois ans dans un lieu de vie à la suite d’un placement par l’Aide

Sociale à l’Enfance avec l’accord de ses parents. Elle bénéficie d’une intégration scolaire avec une Auxiliaire de Vie Scolaire et d’Intégration en CP. Elle est suivie par une orthophoniste et une éducatrice. Elle s’initie à la danse. Flo est autiste et depuis son placement, alors qu’elle hurlait à longueur de journée, elle est devenue plus apaisée, capable de vivre en harmonie avec le reste du groupe. Elle parle, elle communique et parfois elle retourne faire une petite pause dans sa « bulle » pour être au calme et se ressourcer. Parfois aussi, elle « crise » quand la situation l’agresse. Elle va être prise charge par un SESSAD utilisant la méthode ABA (Applied Behavior Analysis, qu’on peut traduire comme analyse appliquée du comportement). Or, l’équipe du lieu de vie travaille avec elle en s’appuyant sur le projet d’accueillir cette enfant et non l’autiste, en prenant en compte ce qu’elle lui montre de sa personnalité. Nous accompagnons, nous soutenons, mais sans adopter la posture de spécialiste. Nous tentons d’être la plaque tournante vivante dont elle serait le centre et autour de laquelle gravitent sa famille et des professionnels de différents horizons. Chaque accueil prenant en compte la singularité de chaque enfant. L’équipe travaille donc au cas par cas et pas à pas, dynamisée par ce que lui montre l’enfant qui sait ce qui lui convient.

L’équipe attend l’arrivée du SESSAD avec un peu de scepticisme car les « méthodes » nous effraient mais nous décidons de garder l’esprit ouvert à une nouvelle expérience. L’équipe du SESSAD vient présenter LA méthode, et les modalités de la prise en charge. Le discours est bien huilé, clair, précis : les autistes et l’autisme n’ont aucun secret pour eux. Ayant l’habitude de ces enfants-là, ils pourront répondre à toutes nos questions, si nous en avons, lors de futurs « points » après une période d’observation de l’enfant ! Malgré le peu d’intérêt manifesté par cette équipe pour la vie de l’enfant et celle de son lieu de vie, nous taisons nos craintes…

La déferlante ABA s’est abattue sur nous… l’exemple même de l’application d’une méthode, sans recul ni analyse, qui efface l’existant, qui balaie le chemin accompli et qui réduit à néant ce qui vivait avant son attaque ! Les objectifs sont définis par ce que Flo est sensée être et non pas ce qu’elle est. C’est la négation de l’enfant pour un supposé statut d’autiste qui renvoie à des signes cliniques, à des symptômes, l’enfermant

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dans un système sous couvert de son bien-être. Que faire ? Refuser ? Se rebeller ? Entrer en résistance ? Refuser, nous ne pouvons pas car cette prise en charge est souhaitée depuis longtemps par les parents convaincus de l’efficacité magique de la méthode vantée dans de multiples reportages. Nous rebeller, nous pouvons le faire, après avoir retrouvé nos esprits et le bien fondé de notre démarche professionnelle auprès de cette fillette. Alors, nous argumentons et nous décidons de maintenir le dialogue ouvert afin que tout le monde retrouve sa place avec ses objectifs et ses moyens.

Entrer en résistance ! Ça, c’est ce que nous faisons le mieux, aidées en cela par Flo qui elle-même utilise à merveille cette technique ! Elle refuse les jeux imposés, les images puisqu’elle connait les mots, s’il le faut elle se comporte comme ce que l’on attend d’elle : elle fuit le regard, elle crie, elle s’agite… Le SESSAD ce n’est finalement que cinq heures par semaine et ça ne peut pas nous mettre en péril (!), mais l’enfant manifeste une forte régression, qui signale ses difficultés et confirme nos doutes. Néanmoins, il nous faut composer avec cette approche si différente de la nôtre. En dépit de ces divergences, nous maintenons un cap : provoquer des rencontres, des entrevues avec les différents intervenants pour trouver un terrain d’entente qui permettra à chaque équipe d’avancer dans l’intérêt de l’enfant.

------------------------------------- Du bon usage d'une poussette --------------------------

Il aura fallu quatre mois à Tania pour consentir à une séparation avec l'Autre maternel. Retour sur ce qui a opéré au jardin d'enfants.

Quand la poussette fait le lien Martine Pancher, laboratoire « La chance inventive » à Nice

Tania arrive au jardin d’enfants en septembre 2009. C’est son premier contact avec une collectivité d’enfants. Elle a deux ans. Son papa est de nationalité française d’origine tunisienne et sa maman polonaise a quelques difficultés à parler le français.

L’accueil de Tania est progressif. Les deux premières fois, accompagnée par sa maman pendant une heure, elle rencontre les enfants de son groupe, les professionnels et joue volontiers. La troisième fois, elle reste avec l’une de ses auxiliaires tandis que sa maman remplit les dernières formalités administratives avec moi. Elle émet alors des inquiétudes quant à l’adaptation de sa fille, se demande comment la sieste va se passer. À la maison, elle ne la fait jamais dans son lit. Sa maman guette ses signes de fatigue, la met dans la poussette, sort la promener et elle finit par s’endormir. Quant aux nuits, elle les passe avec ses parents dans leur lit.

Les deux premières semaines Tania pleure, crie, semble complètement paniquée, prend la main des adultes quels qu’ils soient, désigne la porte, veut sortir. Le moindre mouvement de porte accentue sa panique ; elle crie des mots que nous ne comprenons pas. Le matin elle pleure avant de venir. Une fois arrivée, elle refuse d’enlever son manteau et garde son petit sac à dos prête à repartir. Refusant de jouer, elle est aux aguets, prompte à accourir vers l’adulte qui rentre ou sort. Le moment le plus délicat est celui du coucher. Elle refuse de se coucher et crie. Les auxiliaires la rassurent en lui disant qu’elle n’est pas obligée de se coucher, qu’elle peut jouer avec des jeux en mousse, regarder des livres mais rien n’y fait. Elle continue d’exprimer énergiquement sa non envie de rester dans le service, pousse des cris stridents, montre les portes du service.

Après quinze jours d’accueil progressif difficile, Tania partira avec sa mère en Pologne sans qu’elle ait trouvé un quelconque apaisement dans ce nouveau lieu de vie. À son retour, tout est à recommencer : elle continue de pleurer et une fois arrivée c’est la même panique qui s’empare d’elle et qui est à son comble au coucher. L’équipe est découragée, démunie devant cette petite fille pour qui rien ne semble faire lien entre la maison et la collectivité. Utilisant les propos de la mère – Tania ne faisait pas la sieste à la maison, mais s'endormait dans la poussette –, j'ai alors l'idée de proposer à la maman de descendre la poussette dans le service afin que l'horreur du coucher, de la sieste ou du lit ne soit pas sans alternative. Pari réussi : au coucher Tania est contente de retrouver sa poussette, ne monte pas forcément dedans, ne dort pas pour autant mais au moins la vue de sa poussette l’apaise. Au fil des jours, elle va se mettre à dormir dans la poussette, entre trente et quarante-cinq minutes. Elle y passe le temps des siestes du premier trimestre à se reposer. Elle n’est plus sur le qui vive. Son angoisse s’est estompée. Nous avons trouvé enfin quelque chose qui fasse le lien entre sa maison et la collectivité.

En décembre, la poussette est toujours dans le service mais, au moment de la sieste, les auxiliaires désignent à Tania son lit en lui indiquant qu’elle peut venir y dormir quand elle en a envie. Son mieux être est significatif un peu avant les vacances de Noël : elle arrive à investir peu à peu les camarades, les activités

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et n’est plus autant préoccupée par les mouvements des portes, enfin elle semble s’autoriser à jouer et à se détendre.

Mi-décembre après le déjeuner, ignorant sa poussette, Tania se dirige vers son lit, se déshabille, se couche et s’endort peu après. Dès lors, les couchers sont pour elle, qu’elle dorme ou non, des moments qu’elle accueille en souriant. Les auxiliaires laissent la poussette encore quelques jours dans le service puis finissent par la sortir ; la transition entre la poussette et le lit ayant été faite !

Le moment de la sieste a été le plus compliqué pour Tania, dans son adaptation au jardin d'enfants, mais c'est aussi celui qui lui a permis, une fois apprivoisée, de faire le lien avec les autres. Quel plaisir de la voir revenue des vacances de Noël épanouie, contente de retrouver ses pairs et… son lit. Que de chemin parcouru en quelques mois par cette petite fille !

Françoise Labridy évoque trois temps fort de la rentrée Lacanienne. Claire Piette extrait ce qui, du documentaire de Gérard Miller Rendez-vous chez Lacan, donne un portrait vivant du psychanalyste allant à l'encontre des idées toutes faites sur ce « type étonnant ». Lacan, le briseur de standards

Le 5 septembre 2011, en regardant Rendez-vous chez Lacan, je trouve que : Gérard Miller réussit son pari de faire passer au plus grand nombre le plus singulier de chacun. Son film,

sobre et précis transmet la praxis de Lacan. Comment dès la première rencontre par téléphone ou en présence physique, Lacan réussit à se mettre à la portée de la voix de celui qui s'adresse à lui, à crocheter son désir, piquant d'emblée dans les points de jouissance, tout en donnant l'amour des mots par l'attention qu'il y prête, cernant ceux qui font souffrir, ceux qui font mouche à tout coup et ravagent et sur lesquels la cure aura à revenir. Avec sa présence intense, vigilante, énigmatique, il pratiquait le déchiffrage, cernait le noyau dur avec lequel l'analysant et lui auraient à compter. Il pouvait souffler le froid ou le chaud, serrer d'un côté, lâcher de l'autre, jouer et jouter sur le temps, l'argent, la présence/l'absence, la consistance des corps. Comme disait Guy Briole, il pouvait être dur dans l'acte, mais sa douceur permettait de continuer l'analyse.

J'ai retrouvé dans ces témoignages des analysants de Lacan, cette ouverture au désir que j'avais eu à la lecture de certains textes des Ecrits11, ce dégagement d'un espace, cette trouée d'espoir dans le désespoir qui m'écrasait alors et qui m'a conduit à rencontrer un analyste. En lisant Lacan, je n'étais plus seule, à me désespérer ; le tissage de ses mots, reliait cette désespérance singulière à l'universel de la condition humaine. Sa définition de la folie me fit ainsi l'effet d'une bouée de sauvetage :

« Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est la virtualité permanente d'une faille ouverte dans son essence.

Loin qu'elle soit pour la liberté « une insulte », elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre.

Et l'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté. »12,

La folie, fidèle compagne de la liberté, ombre de son mouvement et limite. Ces phrases dont je fis un poème me maintinrent hors de l'eau, me permettant de quitter l'espace où je me noyais pour nager dans un autre, celui de l'apprentissage incessant d'une liberté à construire, dans lequel se soutenaient les questions qui m'assaillaient : folle/pas folle la guêpe, trop/pas assez, garçon/fille, femme ? …

Dans ma lecture, du Le diable probablement - Pourquoi Lacan13, je glane aussi ce qui m'a touchée. Ce qui surgit c'est le vif, le vivant de Lacan dans la plupart des témoignages. Pour Catherine Clément, sa

voix, feutrée et sonore tout à la fois, entrecoupée de pauses et de syncopes, orateur inouï et inclassable. Pour Philippe Sollers, c'est le corps qui sort de la voix et pas le contraire. Ce qui lui était spécifique était sa façon de penser en parlant. Pour François Regnault, les fragments poétiques dans ses écrits. Agnès Afflalo, un analysant à qui Lacan fait des séances très courtes, entend soudain sa voix dans son dos, qui lui dit : « alors

11 Lacan J., Écrits, Paris, Éditions du Seuil, 1966. 12 Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Paris, Ecrits, 1966, p. 176. 13 Le Diable probablement – Pourquoi Lacan, n°9.

Eclairages sur l’actualité, Notes de lecture…

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très cher, vous prendrez bien le temps de vous installer ». La surprise la plupart du temps, Lacan avait toujours une longueur d'avance sur ce qu'ils disaient, ce décalage leur permettait de pouvoir faire de l'humour sur eux-mêmes. François Cheng, dit comment Lacan le sollicitait, sans relâche, il était dans la fièvre, dans la tension et l'urgence. Il ne jouait pas au maître. Leur séparation fut douloureuse : Lacan lui fit don de ces mots : « vous avez à assumer deux cultures et deux langues. Traitez votre vie comme un texte. » Une mine pleine de pépites encore à lire et à savourer... mais aussi de multiples petites leçons cliniques sur les singularités irréductibles.

Le mardi 6 septembre 2011, c’est la colère de Jacques-Alain Miller qui tonne, puis une décision qui aura des suites de bouleversements encore imprévisibles

Ce fût une soirée mémorable, étrange, inhabituelle, dans son déroulement, coup de tonnerre dans la chute. D'abord une conversation entre Jacques-Alain Miller et Philippe Sollers, orchestrée par Martin Quenehen, une joute oratoire enflammée. Il fut question d'un temps que les plus jeunes ne connaissent pas. Lorsque Lacan fut chassé de l'Ecole Normale Supérieure par ceux-là même qui l'y avaient invité. Jacques-Alain Miller s'aperçut qu'il portait les stigmates de l'histoire quand on lui refusa une salle à l'E.N.S. récemment, pour faire un séminaire avec ses étudiants. Et puis apparaît progressivement ce qui s'est déroulé depuis le 16 août autour de la publication du Séminaire …ou Pire14, temps pendant lequel Jacques-Alain Miller réalise puis s'élève contre cet excès d'annulation de son nom par les éditions du Seuil et nous apprend qu'il vient la veille de les quitter pour entrer aux éditions de la Martinière. A cette annonce la salle se lève dans un bel élan. Une ovation est faite à celui qui a consacré sa vie et l'essentiel de son travail à rendre accessible l'enseignement de Lacan. Ce qui s'inaugure, ce soir, marque le début d'une reconquête de la vérité.

Françoise Labridy

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Ne pas être fonctionnaire de l'inconscient

Le film de Gérard Miller Rendez-vous chez Lacan, comme Vie de Lacan15, n'a pas l'ambition d'être une biographie objective mais cherche à dresser un portrait subjectif puisqu'il est animé par le désir de G. Miller de faire connaître au grand nombre ce que Lacan a été pour lui : un type étonnant, « capable d'ouvrir des portes qui auraient toutes les raisons du monde de rester fermées ».

L'objectif de cette description est d'y recueillir l'authentique. Le film se construit donc à partir de témoignages de jeunes qui ne l'ont pas connu de son vivant, de celui de Judith Miller et de certains analysants de Lacan ; il s'étend à sa présentation clinique pour arriver aux élèves de l'ENS et se clôture par le témoignage de son frère, Jacques-Alain Miller.

Dès les premières minutes, Lacan est peint comme quelqu'un d'extravagant de par la singularité de sa personne, dans l'écoute de ce qui lui était rapporté par ses patients : une sorte de « présence attentive » mêlant l'intransigeance de l'acte avec la douceur de l'accueil, provoquant ainsi la scission entre l'idéal de chacun et la passion dont chacun était « véritablement » animé.

Nous n'étions pas sans savoir que Lacan avait inventé la séance à durée variable ainsi qu'une grille tarifaire variable faisant valoir ainsi le cas par cas de la clinique. Ce « singulier » fonctionne comme un leitmotiv tout au long du film. Déjà dans sa thèse, Lacan prend le contrepied de ses maîtres dans la présentation de malades puisqu'il fait « entendre tout le sel d'une expérience singulière ». Mais le singulier réside aussi dans l'espace du 5 rue de Lille puisque la sphère du privé et du public trouvait à se brouiller afin de lui donner une nouvelle configuration.

Enfin, La singularité de Lacan à l'ENS est remarquable de par son ampleur de savoir brassant les différentes disciplines et par le fait que jamais son auditeur ne puisse prévoir ce qui va être dit, invitant ainsi un public extrêmement bigarré.

Dans cet espace-là aussi, Lacan se situait dans le registre de l'équivoque de la langue. G. Miller réussit à nous faire saisir comment de la sphère privée – celle de son cabinet d'analyste – où

pour Suzanne Hommel, l'acte de Lacan a fait passer la « gestapo » à un « geste à peau » – à la sphère publique, sa parole « résonnait pour chacun de manière particulière ».

J. Miller évoque le désir décidé de son père à résister au fonctionnariat de toutes choses humaines et Éric Laurent souligne que « l'intérêt majeur de Lacan était celui de la psychanalyse et d'intéresser chacun qui venait le voir à une dimension d'un intérêt au-delà de ce qui était ses intérêts évidents. » : n'est-ce pas encore tout à fait singulier ?

14 Lacan J., Le séminaire Livre XIX …ou pire (1971-1972), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Éditions du Seuil, 2011. 15 Miller J.-A., Vie de Lacan, Navarin éditeur, septembre 2011.

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Le portrait de Lacan se termine par les traits que J.-A. Miller lui attribue, notamment celui de « vivre dans le présent avec une anticipation », et d'être resté décidé à vivre jusqu'à la dernière seconde. La manière dont sont établis les séminaires permet effectivement à chacun de sentir encore le mouvement singulièrement vivant de la parole de Lacan.

Le CIEN reste marqué dans sa racine de ce souffle singulier puisque l'éclosion des laboratoires est fondée sur l'accueil du singulier quelque soit le lieu où l'on professe pour donner au vivant droit de cité.

Ce film est une relance à ne pas céder sur ce qui fonde notre désir, nourri de la singularité qu'a été Jacques Lacan.

Claire Piette

------------------------ Au Département de psychanalyse de Paris 8 ---------------------

Le désordre familial et les symptômes de l'enfant Journée doctorale au Département de Paris 8 Mardi 14 juin 2011-09-24

Si la journée organisée, en juin dernier, par le Département de Psychanalyse de l'Université de Paris 8 a d'emblée pris le contrepied de l'approche nostalgique d'un ordre familial disparu, c’est qu’au sein des sections cliniques du Département les étudiants apprennent l'art de la clinique lacanienne. Or, dans ces lieux, ce qui se dévoile de la trame de l'histoire d'un sujet, c'est « l’ordre fou, labile, menaçant, pathologique » des familles16. À notre époque, ce « noyau pathogène » prend des formes variées et oscille entre la poursuite effrénée d'un idéal familial et celle de l'hédonisme de la tribu. Quels sont les effets de ces embrouilles sur les enfants ? Par quels symptômes – souffrances mais aussi inventions subjectives – les enfants répondent-ils aux désordres familiaux et à l'actualité du malaise de notre culture ?

Poser ces questions suppose d'approcher le « ça ne va pas » qu'un enfant exprime avec son corps ou avec des mots. Indice d'un savoir à conquérir pour Freud, le symptôme est pour Lacan ce que chacun « a de plus réel en soi »17. De cette proposition puissante de la psychanalyse, pédiatres, sociologues, psychiatres ont été invités à débattre.

La matinée a été consacrée à interroger les nouveaux désordres familiaux. Mme Laurence Gavarini, directrice de l'Ecole doctorale observe que « l'on est passé aujourd'hui d'une mort annoncée de la famille à une déploration du lien social dans lequel est pris la famille ». Edwige Antier s’alarme des signes de souffrance manifestés par certains enfants victimes de traumatismes, de violences… Pédiatre, elle porte une attention extrême aux propos de l'enfant à l'instar du psychanalyste, dit-elle. Oui, acquiesce Alain Abelhauser, mais le psychanalyste conserve à ces dires une certaine opacité. L'enfant doit pouvoir faire l'expérience que l'Autre ne sait pas tout. Pour François de Singly, sociologue, si la famille continue à être un pivot de l'ordre social, ce n'est plus tant le père, mais l'enfant qui, à l'heure de la recomposition de la tribu, lui donne une stabilité. Un constat que la psychanalyse éclaire, faisant valoir que l’enfant est devenu la cause qui condense une modalité civilisée, fragmentée de la jouissance. C'est dans cette jouissance – dite objet a – que Lacan situait la capacité des familles à perdurer18.

Logiquement, l'après-midi a été consacrée à explorer cette piste. Philippe Lacadée, ancien vice-président du CIEN, précise que « le savoir, la jouissance et l’objet a » sont offerts sous des modalités différentes par des parents à leur enfant, à travers lalangue dans laquelle celui-ci est bercé dès son plus jeune âge.

Yves Claude Stavy retrace son travail avec Alain, qui « a envoyé balader l’imposture du Nom-du-Père depuis son plus jeune âge». Au terme de dix ans de rencontres, ayant pris acte des phénomènes de corps isolés par l'enfant, l'analyste favorise son devenir : un goal au « saut singulier ». Si l'enfant s'est fait un corps au fil des entretiens, il est aussi devenu « destinataire de sa propre perplexité ».

Au fil de la journée, la question du désordre des familles s'est déplacée vers celle de l'énigme éprouvée par l'enfant à l'égard du désir de l'Autre. Ainsi Alain a trouvé via le tracé de la lettre une façon d'arrimer son être de langage par une invention soutenue par le désir de l'analyste. C'est ce que cette journée nous a enseigné.

Agnès Vigué-Camus

--------------------- princes et princesses dans le cinéma d'animation ------------------

16 Extrait de l’argument de la journée. 17 Ainsi que l'a rappelé Gérard Miller en ouverture de la journée. 18 Hellebois Ph., « Éditorial », La Cause Freudienne n°65 – La famille Résidu, pp. 7-8.

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Michel Ocelot ou la subversion du conte : quelques notes à l’occasion de la sortie de Les Contes de la nuit

L’approche des maux de l’enfance par le conte n’est pas forcément de mode à une époque où les objets de

consommation sont proposés pour saturer le manque de chacun. Cet art de la parole et de la représentation a conservé cependant une place majeure dans le cinéma d’animation de Michel Ocelot au point qu’il y retrouve ses lettres de noblesse. Son Princes et princesses projeté dans les salles en 2000 a été suivi d’une série pour la télévision intitulée Dragons et princesses en 2010, dont est issu Les Contes de la nuit, au cinéma en juillet dernier. Ces films d’animation en ombres chinoises et papiers découpés sont tous construits sur le même modèle et pourtant invitent à la diversité des rencontres : un jeune garçon et une jeune fille se retrouvent en compagnie d’un vieux projectionniste dans un cinéma abandonné et donnent vie à des contes tirés du monde entier qu’ils réécrivent parfois en fonction du message qu’ils souhaitent partager. Chacun des contes est raconté tel un rêve : son sens ne se dévoile pas de prime abord et c’est à chaque spectateur d’y mettre du sien pour cerner ce qui le convoque dans l’intrigue resserrée qui lui est proposée. Un point de réel se trouve mis en jeu dans chaque histoire et il appartient au génie du réalisateur de ne pas tenter d’en masquer la portée formatrice pour un public enfantin toujours considéré avec sérieux. Dans un univers où les rapports de force contribuent à exclure le jeune héros, celui-ci doit se laisser guider par son désir pour se dégager des impasses ordinaires. Chaque conte narre comment il construit son destin à partir d’une justesse de son positionnement face à un événement équivoque ou grâce à un pas de côté qui lui permet de ne pas reproduire les erreurs de ses prédécesseurs. Ceci nous introduit au tranchant d’une éthique qui repose sur la capacité du sujet à déjouer les pièges de la jouissance. L’objet est dévalorisé, relégué au statut de déchet, quand il enchaîne le personnage : à la satisfaction du comblement, le scénario oppose les joies d’un désir pris dans les lois du signifiants. Le monde que nous montrent les contes de Michel Ocelot n’est pas sans entrer en résonance avec la conjoncture actuelle. Les princesses, souvent exigeantes, évoquent une loi intraitable avec laquelle le jeune héros doit manœuvrer. L’amour, qui permet à la jouissance de condescendre au désir quand il assume les différences, intervient néanmoins comme un moyen plus confortable de suppléer à l’impossible écriture du rapport sexuel. Bien des contes dévoilent avec finesse les stratégies des personnages pour que l’issue à laquelle ils aboutissent se situe du côté d’une singularité radicale respectueuse de l’invention de chacun. Ainsi, un jeune homme préférera épouser une sorcière qu’une princesse, un prince et une princesse pourront se fiancer après bien des péripéties une fois que chacun aura pris l’apparence et le sexe de l’autre, un jeune cordonnier fera fortune en ayant préféré écouter ses rêves plutôt que le discours commun. C’est par conséquent à la subversion de l’idéal que nous convie Michel Ocelot, celle qui, obligeant à la perte délicate d’un morceau de soi qui semblait cher, ouvre la voie à une humanité renouvelée. Il convient dès lors de ne pas bouder son plaisir et de profiter de la projection de quelques uns des contes en trois dimensions pour découvrir ou redécouvrir la portée du trait de leur réalisateur19.

Sébastien Dauguet

Dans la rencontre avec l’enfant psychotique, l’éducateur se confronte, s’il n’est pas aveuglé par le savoir Jean-Pierre Rouillon rend compte d'une journée de formation à l'Institut Thérapeutique Éducatif et

Pédagogique de Morcenx qui eut lieu le 11 juin dernier. Le 30 juin 2011 Dans la rencontre avec l’enfant psychotique, l’éducateur se confronte, s’il n’est pas aveuglé par le savoir

du discours du maître, s’il ne se laisse pas aller à la fuite du sens, à un impossible, à quelque chose qu’il ne peut ni penser, ni écrire. Dans la rencontre, quelque chose de la faille, de la béance qui est au cœur du rapport du parlêtre à la jouissance et au réel, vient sourdre, résonner. C’est à ce point que le dialogue avec un psychanalyste peut permettre à l’éducateur de ne pas reculer devant cette faille, mais plutôt de s’en saisir pour repérer dans ce qui se présente comme des comportements insensés, une logique à l’œuvre, celle de la défense du sujet contre le réel. La psychanalyse ne se présente pas alors comme un nouveau savoir

19 Je tiens à remercier Isabelle Guillermic-Goebels pour sa relecture précise de ce texte et ses conseils judicieux.

Nouvelles des formations inter-disciplinaires

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permettant de rendre compte des symptômes et des troubles, un savoir donnant des réponses toutes prêtes, mais comme une éthique prenant acte de la singularité du sujet.

L’enfant psychotique, de devoir faire avec son corps et la parole, « sans le secours d’aucun discours établi », doit élaborer un savoir singulier, à nul autre pareil, pour se dessiner un trajet dans les embrouilles de l’existence. Pour l’élaborer, pour le mettre en forme, l’enfant qui est accueilli en institution, doit trouver un partenaire qui a chance de lui répondre. Pour cela, ce partenaire doit consentir à se faire docile à la position du sujet.

Il ne s’agit pas là d’une méthode, d’un savoir faire, d’un guide infaillible, mais plutôt de prendre le pari de la surprise et de la contingence. C’est en acceptant de parler de ce qui ne va pas, de ce qui se présente comme insensé, mais aussi de ce qui le touche et le concerne, qu’un éducateur peut dans une conversation à plusieurs, écrire le trajet de cette rencontre avec un enfant en l’amenant sur des chemins inédits où la vie se fraye un lieu en deçà ou au-delà des excès et des débordements de la jouissance qui l’envahit.

C’est cette expérience de la conversation que les intervenants de l’ITEP de Morcenx ont consenti à mettre en œuvre lors de cet après-midi. Á partir du témoignage d’une personne sur sa rencontre avec un enfant qui se présente comme désarrimé, perdu, qui s’offre au regard et aux coups de l’autre, une conversation s’est petit à petit instaurée. Au fil du dialogue, les trouvailles du sujet, ses inventions dans la rencontre avec chacun, ont pu émerger, se dire, indiquant comment il convoquait chacun dans une rencontre où le corps était au premier plan. Mais, s’il s’agissait d’un corps pris dans le transitivisme, il échappait pourtant à l’aliénation du rapport spéculaire. Il s’agissait aussi d’un corps ne trouvant pas son unité dans la parole de l’Autre, ne s’orientant pas à partir de son désir. Cela nous a permis de tracer ce chemin difficile qui va des événements de sens aux événements de corps, de passer de l’enseignement classique de Lacan à son tout dernier enseignement, celui que nous dévoile Jacques-Alain Miller dans son cours.

En passer par les événements de corps, ce n’est pas seulement réitérer sans fin le traumatisme, ce peut-être aussi dans la rencontre avec un partenaire, trouver les voies d’une satisfaction qui vient border la jouissance en la soustrayant à la seule douleur d’exister. C’est alors faire l’expérience d’un rapport vivifiant où la joie peut écarter le parlêtre du retour de la grimace du réel. C’est ce chemin que nous avons eu le bon- heurt de parcourir cet après-midi en faisant le pari qu’il ne mènerait pas nulle part. Jean-Pierre Rouillon

Dans la rencontre avec l’enfant psychotique, l’éducateur se confronte, s’il n’est pas aveuglé par le savoir

-------------------------------------------- Journées Lacan -------------------------------------

Les 8 et 9 octobre prochains à Paris

Pour en savoir plus : http://www.causefreudienne.net/

------------------------------- Journées des laboratoires à Bordeaux ----------------------

Messages

Nous sommes nombreux à avoir découvert l'enseignement de Lacan, à différents moments de notre existence, à y puiser des ressources pour

continuer à soutenir nos fonctions, les tâches diverses que nous menons dans le monde pour y vivre, pour travailler dans différents secteurs du champ

social. Lacan par ses textes, aère les possibles, insuffle de l'espoir, de la joie dans les moments les plus durs.

Ce moment exceptionnel des « Journées Lacan », les membres de chaque ACF, mais aussi tout ceux qui travaillent dans le champ freudien, CEREDA, CIEN, RI3... et tous les amoureux de la parole sont invités à y participer par

leurs présences, leurs interventions. Nous sommes donc attendus nombreux à ces Journées qui vont témoigner de la façon dont la praxis lacanienne oriente

aussi la nôtre. – Françoise Labridy

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Le 19 novembre prochain

Voir la suite de l 'argument en pièce Voir la suite de l 'argument en pièce jointejointe

-------------------------------------------------- Erratum ----------------------------------------

Une disparition fâcheuse a affecté l'article d'Ariane Chottin « Peurs d'enfants » publié dans le numéro 84. La première phrase de l'article s'est évanouie et avec elle les références du texte dont il était question. Sachez donc, chers lecteurs que « Ma pérégrination vers l'ouest est l'un des trois romans chinois écrit par le japonais Nakajima Atsushi en 1942. »

ElectroElectro --CIENCIEN

Chacun est invité à contribuer aux rubriques de ce journal électronique en adressant des textes ne

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Merci à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce numéro.

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Souvent nous avons été invités à intervenir dans des situations difficiles où nous disait-on la violence allait atteindre la limite de ce qui fait lien social, que ce soit dans des écoles maternelles, dans des collèges, mais aussi dans d’autres institutions spécialisées (médico-sociales et de justice). Y répondre par une mise en place de conversations directement dans ces lieux de vie, avec les enfants et adolescents ou les partenaires de diverses disciplines (enseignants, éducateurs, magistrats, etc.) fut une solution proposée par les laboratoires de recherche du CIEN. Mais très vite il apparut que la conversation, dont l’efficacité s’est révélée dans l’après-coup, ne devait pas être la seule réponse. Ainsi, un laboratoire, regroupant des experts auprès des tribunaux et magistrats, a travaillé sur le sens donné par la justice au passage à l’acte agressif et sur le traitement qu’elle en fait […].