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IFRA Les Cahiers Numéro spécial / special edition n° 27 janvier–mars 2005 Positions de thèses Les Cahiers d’Afrique de l’est, n° 27 Numéro spécial 2005

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IFRA

Les Cahiers

Numéro spécial / special edition n° 27

janvier–mars 2005

Positions de thèses

Les Cahiers d’Afrique de l’est, n° 27

Numéro spécial 2005

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© IFRA 2005

Positions de thèses :

Ce numéro special des Cahiers d’Afrique de l’Est donne un aperçu des thèses soutenues par l’IFRA et menées actuellement par des jeunes chercheurs, français pour la plupart

This special edition of Cahiers d’Afrique de l’Est gives an overview of theses supported by IFRA, as well as those currently under prepartion by budding researchers, most of whom are French.

Les Cahiers d’Afrique de l’Est, n° 27, janvier – mars 2005

Directeur de la publication Chief Editor Bernard CHARLERY DE LA MASSELIERE

Ce numéro a été mis en page par Judie-Lynn RABAR

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Sommaire / Contents

HAUTES TERRES, TERRITOIRES ET GESTION DES RESSOURCES

Intégration et conflits dans le Nord-Ouest du Kenya par Jean Huchon ....................................................................................... 1

Café, recompositions sociales et territoriales sur les hautes terres du Mont Elgon (Ouganda) par Estelle Uginet ...................................................................................... 5

Usages et représentations du milieu forestier dans un contexte de politique de conservation par Alice Bancet ...................................................................................... 13

Paysannerie des hautes terres et tourisme : l’exemple du Kilimandjaro par Juhane Dascon .................................................................................. 25

RURAL ET URBAIN

Mobilités, usages de la ville et mixité des territoires en pays chagga, pentes sud du Kilimandjaro (Tanzanie) par Gaëlle Brient ..................................................................................... 31

Territoire mobile Maasai en Tanzanie : la ville comme relais pastoral par Maïlys Chauvin................................................................................... 37

ETUDES URBAINES

Pratiques et formes urbaines dans un contexte de mondialisation : exemple de Dar es Salaam, Tanzanie par Cécile Roy......................................................................................... 43

Informal settlement upgrading and low-income rental housing in East Africa par Rasmus Precht ................................................................................... 49

Gender dynamics in home ownership in Kampala, Uganda par Florence Akiiki Asiimwe ................................................................... 55

Encadrements territoriaux, mobilités et perceptions des risques associés au VIH dans le bidonville de Kibera, Nairobi par Matthieu Miralles .............................................................................. 61

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RESEAUX

L’impact des infrastructures sur les activités du lac Victoria dans le cadre de l’intégration régionale: l’exemple de la pêche par Ronan Porhel .................................................................................... 69

Diaspora : Les Grecs en Afrique orientale, fin 19e et 20e siècles par Eleni Lazidou .................................................................................... 75

JUSTICE, POUVOIR ET COMMUNICATION

Conflicting codes and contested justice: witchcraft and the State in Kenya par Katherine Luongo .............................................................................. 81

Les tribunaux de kadhi et l’application du droit islamique au Kenya par Anne Cussac...................................................................................... 89

La reconstruction d’un ordre politique dans l’Ouganda de Y. Museveni (1986 – 2001) : De la réversibilité du chaos ? par Sandrine Perrot.................................................................................. 97

L’objet ethnologique « relations à plaisanteries » dans l’espace est-africain (Tanzanie) : de la construction savante d’une coutume à la restitution des situations sociales de l’utani par Marie-Aude Fouéré.......................................................................... 105

Appropriations africaines des modèles médiatiques occidentaux : analyse comparative des presses du Burkina Faso et du Kenya par Brice Rambaud................................................................................ 113

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HAUTES TERRES, TERRITOIRES ET GESTION

DES RESSOURCES

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.1–4

Intégration et conflits dans le Nord-Ouest du Kenya

Jean HUCHON

S’appuyant sur une analyse de la situation des Pokot, cette étude vise à définir les modèles employés pour intégrer les populations du nord-ouest kenyan à l’État-nation et à examiner sous quelle forme ces modèles sont appropriés par la société locale. Ce travail découle de l’observation de plusieurs conflits, dont certains concernent des communautés de la plaine pastorale, tandis que d’autres opposent des communautés agro-pastorales de montagne à des communautés pastorales de la plaine, et d’autres encore se déroulent au sein des communautés agro-pastorales en montagne. Alors que ces conflits sont généralement interprétés comme étant liés à la culture de la violence, ou de nature politique, autour d’enjeux de production, d’accès aux ressources, ou de conquête territoriale, la démonstration conclut sur la responsabilité des dynamiques d’intégration spatiale.

Travailler sur l’intégration demande une étape préalable de définition de l’objet géographique sollicité en faisant abstraction des stéréotypes qui tendent à le caractériser. Il convient surtout de mettre en avant ses spécificités, de son organisation, des institutions qui gèrent droits et pouvoirs, de ses limites et de ses dynamiques ; en bref, de vérifier les rapports de proximité physique, organisationnelle (économique) et institutionnelle (sociale et politique) qui garantissent le caractère territorial des pays et de l’ethnie. Cette approche conduit à élaborer un modèle territorial à l’échelle du peuplement pokot, pour montrer les dynamiques actuelles insufflées par les politiques d’intégration nationale.

Pour commencer, nous contestons l’hypothèse selon laquelle les pratiques de production façonnent des territoires. Souvent, les limites territoriales des groupes ethniques sont effectivement établies et maintenues entre des sociétés économiquement différentes et indépendantes, et ethniquement séparées mais culturellement intégrées. Cette optique tend à circonscrire les acteurs dans des

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LES CAHIERS DE L’IFRA 2

catégories déterminées, à ne les considérer que dans leur rôle de producteurs et leurs statuts sociaux en tant que tel. Or, les Pokot ne se représentent leur territoire ni en termes exclusivement économiques (économie pastorale ou agricole), ni en termes uniquement socioculturels (suivant les systèmes sociaux). Ils y associent, d’une part, des espaces de production distincts, pastoraux en plaine et agricoles en montagne, et, d’autre part, des espaces sociaux différents, au nord et au sud, dans lesquels les acteurs ne suivent pas forcément les mêmes systèmes d’identification sociale (certains privilégiant le système des classes d’âge, d’autres le système générationnel, alors que d’autres encore se réfèrent plus aisément au système clanique). Aussi, pour définir un territoire pokot, ethniquement homogène, associant des espaces de production apparemment distincts et des espaces régis par des systèmes sociaux différents, la démonstration est fondée sur le rôle central des acteurs, leurs pratiques de production, le degré de pastoralité de leur économie et sur leur capacité à jouer de la pluralité des institutions sociales.

L’étude du processus d’intégration des Pokot à l’Etat est plus particulièrement centrée sur le district de West Pokot. Ce district est envisagé de deux façons : l’une se fie aux données de l’intégration administrative et politique et amène à distinguer le Nord du Sud ; l’autre conduit, comme les premiers agents de développement l’ont fait, à favoriser les critères écologiques et économiques, et revient à différencier les basses terres semi-arides des hautes terres à fort potentiel agricole ; c’est-à-dire les pasteurs pokot qui vivent en plaine, des agropasteurs pokot qui occupent les montagnes.

Conçu comme une zone tampon entre les no man’s land semi-arides du nord et les hauts plateaux fertiles du sud, le district de West-Pokot est aujourd’hui un référent territorial indiscutable, objet de revendications politiques et de conflits sur ses bordures. Quelles sont les manifestations d’une telle représentation Nord / Sud ? De quelle façon le découpage administratif du district en rend-il compte ? Pourquoi continue-t-elle de déterminer le comportement différencié des acteurs du territoire de l’État (administration et élites locales) au nord et au sud du district. Comment les acteurs ont-ils intégré cette représentation et utilisent-ils leur marginalisation pour promouvoir leur propre ascension sociale dans le système Etat ? De quelle manière l’État use-t-il de la violence dans ses tentatives de résolution des conflits qui touchent le nord du district et pourquoi les élites locales évoquent-elles le Nord en usant de formules ayant trait à son caractère

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3 INTEGRATION ET CONFLITS DANS LE NORD-OUEST DU KENYA

marginal, arriéré et isolé, alors même qu’ils en sont les représentants sur la scène nationale ?

La deuxième représentation qui, conformément à l’analyse paysagère, distingue les hautes terres des basses terres, mène à considérer l’insécurité comme une manifestation de la crise du pastoralisme et à promouvoir le développement économique comme instrument de sécurisation de l’espace. Elle sert ainsi de base au développement local des filières commerciales, puis aux programmes de développement actuel de lutte contre la pauvreté. On s’interroge d’ailleurs sur les effets de ces derniers programmes qui, contrairement aux anciennes approches (parc à pâturage et intensification agricole à travers le développement de l’irrigation) qui ciblaient l’intégration des populations aux réseaux économiques nationaux dits modernes dans les années 1950, 1960 et 1970, visent plutôt aujourd’hui à « réintégrer » les populations « vulnérables » dans un système, défini suivant des normes dites « traditionnelles ».

Toutefois, la question centrale de ce travail s’attache plus particulièrement aux politiques suivies par les organisations para-étatiques chargées de la gestion des filières et qui ont pour but d’intégrer les zones de productions locales dans le marché national. Qu’il s’agisse de la filière bétail ou de la filière maïs, ces organisations placent le district de West Pokot dans une position périphérique. La béance entre le secteur de la production et celui de la commercialisation interdit effectivement toute intégration complète des paysans dans l’économie de marché. Les producteurs locaux subissent notamment l’impact des réformes nationales, sans prendre part à leur conception.

Par ailleurs, l’organisation distincte des filières bétail et céréales génère un processus d’évolution différenciée entre les espaces de la plaine et de la montagne. Touchée par une succession de crises climatiques et d’épizooties dans les années 1980 et 1990, la production pastorale est d’autant plus marginale. Les éleveurs ont alors tendance à se tourner vers l’économie de conflit : échanges auprès des bergers guerriers, ventes d’armes, de munitions ou de bétail provenant des raids interethniques. En montagne, au contraire, la vente de l’essentiel des productions agricoles contribue à la multiplication des centres de négoces, à la hausse du niveau de scolarisation, au développement d’un marché foncier ; des preuves irréfutables de l’intégration des producteurs agriculteurs à l’économie de marché.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 4

Ces évolutions s’accompagnent de recomposition et de renforcement territorial, en dehors de toute considération des échanges de complémentarité et des relations de proximité entre le haut et le bas de l’escarpement du Rift. Les communautés remettent notamment en question les rapports qui les lient, organisent l’accès aux ressources et fondent de nouveaux mécanismes d’intégration sociale entre les espaces de production. Ainsi, à la vision d’un seul territoire ethnique homogène s’impose plutôt celle de deux territoires de production distincts entre lesquels naissent de nouveaux conflits.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.5–11

Café, recompositions sociales et territoriales sur les hautes terres du Mont Elgon (Ouganda)

Estelle UGINET

L’Ouganda est le second pays producteur de café robusta (90% de la production). Le domaine de l’arabica est plus limité du fait de conditions de culture plus contraignantes : les pentes du Mont Elgon, du Ruwenzori et la région de Paidha constituent les principaux pôles de production.

Le café ougandais est cultivé au sein de petites exploitations familiales (1.5 hectare en moyenne) et souvent en association (avec du bananier, du maïs ou du manioc). Il est en effet devenu l’affaire de tous : 4 à 5 millions de personnes (soit 25% de la population)1 en vivent.

Les premiers plants ont été introduits par des missionnaires français puis par des planteurs d’hévéa. Le café devient vite une plante coloniale mais dés 1931, les plantations africaines deviennent majoritaires (aujourd’hui, le secteur non africain ne représente que 5 % de la production). Dans les années 40 et surtout 50, le gouvernement colonial « étatise » progressivement les différents maillons de la filière : en 1942, un organisme d’État doté du monopole de la commercialisation du café et ayant le pouvoir de fixer les prix, le Coffee Control Board, est créé. Il deviendra en 1959 le Coffee Marketing Board. Le développement de coopératives, regroupées en unions et considérées comme les relais du pouvoir colonial, répond au besoin d’encadrement de la production.

L’arrivée du général Amin Dada en 1971 puis les années de guerre civile (1981/1986), entraînent le transfert des productions

1 In A .FRANCOIS, « La place et le rôle du café dans les politiques agricoles

en Ouganda », p 143/163, in BART F., CHARLERY B., CALAS B., Caféicultures d’Afrique orientale: territoires, enjeux, et politiques, Karthala, IFRA, 1998, 320 p.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 6

agricoles sur les marchés parallèles (ce que l’on a appelé l’économie du magendo). La restructuration et la reconstruction de l’économie sont enclenchées dans les années 80, au moment où un mouvement général de libéralisation gagne l’Afrique de l’Est par le biais des plans d’ajustement structurel. L’Ouganda a lancé en premier le processus de libéralisation en attribuant des licences d’exportation aux unions de coopératives et aux industriels privés.

La libéralisation de la filière café constitue donc l’enjeu fondamental de ces dernières décennies : si sa première conséquence a été d’enrichir les intermédiaires, le problème est alors de repenser la redistribution des bénéfices entre les différents acteurs. La libéralisation de la filière café en Ouganda s’est en effet faite de façon anarchique, dans un contexte agronomique difficile : les plantations sont vieillissantes et connaissent de graves ennuis phytosanitaires. Toutefois, « étant donné la croissance de la demande internationale pour son café, l’Ouganda semble encore avoir une marge d’expansion de sa production. 2»

Au sein du domaine caféicole, le Mont Elgon occupe une place originale. Volcan isolé à la frontière ougando–kenyane, à 100 km au Nord du lac Victoria, il constitue une zone privilégiée du café arabica. Le développement de la caféiculture a été porté par une population autochtone complexe : les Sebei, pasteurs d’origine nilotique, occupent le versant Nord tandis que les Bugisu, peuple bantou arrivé au 16ème siècle, ont progressivement colonisé les versants sud et ouest.

En pays Gisu, la culture du café s’est véritablement développée dans les années 20, alors que les Sebei s’ y sont intéressés beaucoup plus tardivement suite aux problèmes de vol de bétail et à l’insécurité générée par les Karamojong dés 1986. Ce domaine caféicole a toujours été l’objet d’une politique spécifique : en 1930, le gouvernement installe un système de pépinières, en 1932, le Bugisu Coffee Scheme obtient le monopole sur la vente du café, en 1954 la Bugisu Cooperative Union est créée. Aujourd’hui, le café arabica est toujours cultivé, souvent en association : il est présent sur la totalité du versant, descendant parfois jusqu’à 1200 m (alors que l’aire écologique de l’arabica est théoriquement fixée à 1500 m)3. Mais le vivrier gagne 2 in C.O ABUODHA, « Politiques économiques et production caféière en

Afrique de l’est », p 70, in in BART F., CHARLERY B., CALAS B., Caféicultures d’Afrique orientale: territoires, enjeux, et politiques, Karthala, IFRA, 1998, 320 p.

3 In A.FRANCIOIS, Rapport de mission « Développement montagnard et jeux de frontière : le Mont Elgon », août 2003, p3.

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7 CAFÉ, RECOMPOSITIONS SOCIALES ET TERRITORIALES

également du terrain (notamment la culture de carotte et d’oignon dans les zones situées au dessus de Mbale).

Le Mont Elgon, et plus particulièrement le pays Gisu, est aujourd’hui un monde plein, « saturé ». L’anthropisation des versants y est totale, mais c’est surtout la charge démographique qui est remarquable, les densités pouvant atteindre les 1000 habitants au km², notamment dans la vallée de la Manafwa,.

Le blocage foncier est inévitable à terme. En 1998, le Land Act prévoit une généralisation de la propriété privée, en vue d’encourager la liberté d’entreprise. Les contraintes démographique et maintenant institutionnelles provoquent un morcellement des parcelles, une individualisation et une monétarisation des rapports fonciers. La gestion des ressources foncières ou agricoles se fait donc de plus en plus individuellement. De même, la saturation foncière est proche : aucun front pionnier n’est en effet envisageable ( la présence du Mont Elgon National Park bloquant toute avancée vers les « hauts »).

Enfin, les paysans Gisu doivent faire face à un second type de problème : du fait de la multiplication des intermédiaires au sein de la filière café et de la disparition des coopératives, les agriculteurs sont confrontés à un déficit en terme d’organisation et de gestion.

1 La modification de l’environnement des planteurs :

libéralisation de la filière et contraintes internes - La libéralisation de la filière :

La filière café en Ouganda a largement été modifiée par la libéralisation, à tel point qu’il paraît difficile de parler aujourd’hui de filière. En effet, avant 1990, celle ci était organisée de manière très verticale : l’État contrôlait la totalité des étapes (par le biais du secteur coopératif qui traitait plus de 70 % du café et du Coffee Marketing Board).

En 1990, la libéralisation de la filière a été lancée (très rapidement et très efficacement en Ouganda par rapport à d’autres pays africains). Celle-ci a complètement bouleversé le jeu d’acteurs et la configuration de la filière, si tant est que l’on puisse encore parler de filière.

Les acteurs se sont en effet multipliés, de nombreux intermédiaires sont venus rajouter des relais au sein du processus de production. En outre, une certaine diversification des tâches est à l’œuvre : chacun des acteurs présents dans la filière accomplit et prend

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LES CAHIERS DE L’IFRA 8

en charge désormais une ou plusieurs opérations (par exemple, le producteur peut également transformer son café, ou le transformateur le vendre). Le système coopératif est aujourd’hui moribond ( la Bugisu Coopérative Union seule encore vraiment active s’inscrit désormais dans une logique d’entreprise), le marketing du café est bien souvent laissé à des middlemen qui achètent vite le café mais qui ne se soucient nullement de la qualité et de la juste rémunération donnée au planteur.

Si la libéralisation a eu des impacts positifs (prix payé au producteur en augmentation, développement d’un marché local…), les impacts négatifs sont tout aussi nombreux (désorganisation de la filière, vulnérabilité du planteur accru face à un marché qu’il ne connaît pas et ne maîtrise pas, arrêt des services agricoles et augmentation du coût des facteurs de production).

Les enjeux actuels sont nombreux. La libéralisation a provoqué un éclatement de la filière : elle s’est densifiée et en quelque sorte « horizontalisée » étant donné qu’un seul acteur peut prendre en charge plusieurs opérations . La « filière » actuelle prend donc plus la forme d’un « réseau » à mobiliser et à contrôler. Dans cette perspective, les compétences et les capacités à mettre en œuvre par le producteur ne sont plus d’ordre matériel et technique comme dans l’approche filière, mais d’ordre humain et social : il s’agit pour le producteur d’être capable de mobiliser un réseau d’intermédiaires efficaces et rentables tout autant que de comprendre par la biais d’une bonne information et formation le jeu de l’offre et de la demande. Les enjeux humains et sociaux dans cette nouvelle configuration sont donc primordiaux.

Toutefois, on ne peut encore véritablement considérer la filière comme un réseau : celle ci est en cours de libéralisation, de nombreuses résistances existent.

- Les contraintes internes :

Le contexte montre comment les planteurs du Mont Elgon ont du faire face ces dernières années à de nombreux changements.

Si le blocage foncier est évident, il intervient en outre dans le cadre d’exploitation paysannes familiales. Ce contexte cultural et social joue à la fois comme un facteur aggravant et « solutionnant ». La flexibilité et l’adaptabilité de ce type d’agriculture ont en effet souvent permis aux paysanneries africaines de surmonter les différentes crises qu’elles ont eu à traverser.

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9 CAFÉ, RECOMPOSITIONS SOCIALES ET TERRITORIALES

L’agriculture paysanne, qui est le cadre de la production caféière en pays Gisuu, se caractérise par plusieurs éléments : il s’agit d’une agriculture territoriale (attachée à un terroir), économe en matière d’énergie, peu spécialisée, partiellement marchande et donc plus ou moins autonome4. Elle correspond à un type de rationalité : le producteur cherche avant tout la reproduction du groupe domestique et non la valorisation du capital. Celui ci tente d’optimiser l’utilisation du travail du groupe en fonction de ses ressources et de son degré de vulnérabilité face au risque.

Un certain nombre de contraintes internes sont donc apparues ces dernières années sur le Mont Elkgon et ce dans un contexte « externe » de plus en plus difficile. La contrainte foncière semble être la plus forte, d’autant que le cadre de l’exploitation paysanne et familiale crée certaines rigidités, tour à tour facteurs de tensions et de nouvelles dynamiques.

2 Le degré de vulnérabilité / résilience et les stratégies

mises en œuvre par les producteurs en situation d’incertitude Toutefois, face à ces contraintes externes et internes, le

producteur dispose d’un certain nombre de ressources qu’il peut mobiliser ou non. Ces ressources sont de deux ordres : des ressources matérielles (que l’on nommera « capitaux » comme la terre, l’eau, les ressources financières…) et des ressources immatérielles (que l’on nommera « capacités » )

À partir de cet indicateur ainsi que du niveau de contrainte exercé sur le planteur, on peut définir le degré de vulnérabilité / résilience de ce même planteur. Cette notion de vulnérabilité / résilience a été définie par certains anthropologues du développement5. La vulnérabilité correspond à l’incapacité pour des acteurs à résister à un choc extérieur inévitable et la résilience à la capacité d’une personne à anticiper et à réagir de façon se dégager d’une menace potentielle ou prévisible. « La notion de

4 Sur ces différents points, voir la définition donnée par H. DE France dans

son Précis d’économie agricole, Paris, Karthala, 1997, 368 p. 5 in G.COURADE, CE DE SUREMAIN « Inégalités, vulnérabilités et

résilience : les voies étroites d’un nouveau contrat social en Afrique » p 119/133, in Inégalités et politiques publiques en Afrique, sous la coord. De G.WINTER, Paris, Karthala, 2001, 461 p.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 10

vulnérabilité / résilience est ainsi comprise comme le degré d’exposition et de sensibilité / réceptivité d’un groupe ou d’une personne à des contraintes potentiellement néfastes.6 »

Cette notion nous permet donc de mesurer l’exposition au risque et la réaction des producteurs à ce même risque ou incertitude.

Ce degré de vulnérabilité/ résilience induit la stratégie que va employer le producteur face à la modification de son environnement: ces stratégies sont défensives ou offensives, suivant l’objectif poursuivi.

À leur tour, ces stratégies mises en œuvre affectent la conduite culturale de l’exploitation. Dans le cas qui nous intéresse, le planteur de café peut être amené à :

Reconvertir ses parcelles (totalement ou partiellement) : on verra que cela est peu le cas en pays Gisuu.

Se diversifier (dans le vivrier par exemple) Continuer le café ( il s’agit alors de rechercher de nouveaux débouchés notamment à travers le choix de la qualité, de se repositionner au sein de la filière en diversifiant ses tâches au sein même de la filière, ou d’intensifier sa production)

Le producteur du Mont Elgon se trouve actuellement plongé dans un contexte d’incertitude : son environnement a profondément été bouleversé. Dés lors plusieurs questions restent en suspens :

Quelle « forme » prend aujourd’hui la filière café ? Quels sont les enjeux qu’elle pose au producteur ? Comment celui ci y répond t-il ? Avec quelles stratégies ? Quel impact territorial et social ces stratégies ont-elles ?

Le terrain retenu est celui du versant ougandais du Mont Elgon, il nous paraît en effet intéressant de mettre en relation et de comparer les versants Nord et Sud du Mont Elgon, c’est à dire les stratégies mises en place par les Sebei d’un côté et les Gisu de l’autre. Toutefois, étant donné l’importance de la zone géographique, nous nous focaliserons sur des zones pilotes, comme nous l’avons déjà fait lors de notre premier terrain : une zone dans la vallée de la Manafwa, une zone à proximité de Mbale où les changements agricoles sont très

6 ibid, p 124.

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11 CAFÉ, RECOMPOSITIONS SOCIALES ET TERRITORIALES

importants (Wanale) et une zone dans le district de Kapchorwa, en pays Sebei.

Pour mener à bien cette étude, nous pensions mobiliser deux grandes approches théoriques : la sociologie des organisations et une approche stratégique que la toute récente sociologie du risque résume bien.

La sociologie des organisations sera utilisée afin de caractériser le jeu d’acteurs en recomposition : si l’approche filière et aujourd’hui dépassée, peut-on pour autant parler de réseau ?

L’approche stratégique se situe à une échelle à la fois plus locale et plus individuelle : il s’agit de comprendre les orientations et les ajustements pris par les petits producteurs face à la nouvelle configuration de la filière café. Ceux-ci évoluent en effet dans un environnement de plus en plus incertain mais ils disposent de certaines ressources ou capitaux (nous utiliserons là le concept de capital dans le sens où l’entend) qui leur permettent plus ou moins de faire face (degré de vulnérabilité / résilience à évaluer). En fonction à la fois de leur degré de vulnérabilité et de leurs finalités (objectifs poursuivis) , ils élaborent des stratégies (à long ou court terme, assumées ou non, conscientes ou non).

La démarche de recherche s’appuie totalement sur cette analyse stratégique qu’elle met en relation avec les études sur le risque récentes en géographie. Notre travail s’appuie sur deux hypothèses principales : en premier lieu, les petits producteurs de café du Mont Elgon ne sont pas dans une logique de reconversion mais de diversification de leur système de production. En second lieu, le jeu d’acteurs de la filière est en pleine recomposition et cette recomposition es fait de manière endogène et par le « bas », c’est à dire à l’initiative des producteurs.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 12

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.13–24

Usages et représentations du milieu forestier dans un contexte de politique de conservation

Alice BANCET

La volonté de créer des musées de la nature est une idée qui prend forme aux Etats-Unis au 19ème siècle. Les adeptes du romantisme,7 inquiets du déferlement de la vague industrielle et de l’urbanisation des sociétés, militent pour la mise en réserve d’espaces dans lesquels une nature encore inviolée subsisterait. C’est dans ce contexte qu’en 1872 est créé le premier parc national, le Yellowstone, dont la fonction consiste à préserver pour les générations futures un témoignage du cadre naturel dans lequel l’homme « sauvage », l’Indien, vivait ainsi qu’un « refuge aux maux de la civilisation […] pour la recréation de l’esprit humain »8. Ainsi, l’homme moderne établit-il une séparation territoriale très nette entre la société et la nature conformément à une vision occidentale du monde qui pense la nature comme une entité séparée de la société. Or, cette dichotomie nature/culture ne se retrouve pas dans les cosmologies des sociétés non modernes. Il n’en reste pas moins qu’elle s’est imposée partout où le concept de parcs naturels a été appliqué, ce qui revient à dire dans toutes les régions du monde. Par conséquent, il semble pertinent de nous interroger sur les effets de la coexistence de deux modes de pensée et d’usage du milieu naturel bien distincts en prenant comme objet d’étude l'établissement d’un parc national dans une société à l’origine étrangère à l’idéologie conservationniste. Comment une communauté non moderne, avoisinant un parc national, perçoit-elle des politiques de préservation de la nature qui la mettent à l’écart ? Quels sont les impacts du parc national sur les usages locaux du milieu

7 La figure connue du peintre et écrivain George Catlin (1796-1872) illustre très

bien les premières fascinations et préoccupations à l’endroit d’une nature « sauvage » magnifiée.

8 Cf. COLCHESTER, M., 1995, Nature sauvage, nature sauvée ? Peuples indigènes, zones protégées et conservation de la biodiversité, UNRISD.

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et les représentations des populations à l’endroit de leur environnement ?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de s’interroger sur les rapports concrets et imaginaires que les sociétés tissent avec leur milieu environnant pour comprendre ensuite comment se passe la rencontre entre deux manières de penser l’environnement, l’une endogène, l’autre, exogène. L’anthropologie permet d’avancer dans ces interrogations : cette discipline prônant « la salutaire attitude de suspension de jugements », pour reprendre l’expression de Philippe Descola,9 ses méthodes aident à déconstruire la grille de lecture occidentale du monde et la distinction établie entre la nature et la culture. Cette exigence lui confère une posture idéale pour étudier des liens singuliers que les sociétés non modernes entretiennent avec leur milieu. Nos recherches doctorales se concentrent donc sur l’étude anthropologique des usages et des représentations d’un environnement, cible d’une politique de conservation de la nature. Nous avons élu comme terrain les monts Udzungwa de Tanzanie. La politique de préservation de la faune et de la flore de ce massif forestier s’est renforcée ces dix dernières années. Une superficie importante de forêts tropicales de montagnes a été décrétée parc national. Ainsi, en nous concentrant sur l’étude des dynamiques locales induites par l'établissement de ce parc, nous ambitionnons de dégager les interactions à l’œuvre entre, d’un côté, les modes d’usage et d’appréhension endogènes du milieu et, de l’autre côté, l’idéologie et les politiques conservationnistes promues et appliquées par les autorités nationales et internationales responsables de la conservation du parc d’Udzungwa. Pour mener à bien cette recherche, nous avons conduit des enquêtes ethnographiques dans des villages localisés respectivement à l’est et à l’ouest des monts Udzungwa et dont nous présentons dans une première partie les principaux résultats d’observation de terrain. Une seconde partie expose succinctement les données ethnographiques relatives aux rapports matériels et imaginaires qui lient les sociétés à leur milieu et aux aires de conservation du parc.

Contexte

9 Il est l’initiateur d’une nouvelle « anthropologie de la nature ». Cf , entre

autres, 2001, « Par-delà la nature et la culture », Le Débat, n°114, 86-101

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15 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

La mise en réserve d’espaces naturels consiste à enclaver des territoires hautement considérés pour la variété d’espèces animales et végétales qu’ils renferment. L’objectif est de garantir leur conservation par la suppression des éléments jugés perturbateurs à leur maintien et à leur reproduction. Les facteurs les plus souvent invoqués dans le processus de dégradation des milieux naturels et de leur biodiversité sont l’homme et ses activités10. Par conséquent, les stratégies de conservation de la nature les plus fréquemment mises en oeuvre consistent soit à limiter l’usage des ressources naturelles, soit à interdire leur accès. Parmi les différents statuts d’espaces protégés qui ont été instaurés par les fervents défenseurs de la nature, celui de parc national illustre parfaitement la logique d’exclusion des populations qui prévaut dans de nombreux projets de conservation. Cette solution, qui est de loin la plus radicale, est cependant sollicitée par de nombreux lobbies de défense de la nature. L’exemple du parc national Udzungwa de Tanzanie confirme cette tendance.

En 1992, une superficie de 1990 km2 de forêts tropicales sur les montagnes Udzungwa11, « presque surnaturelles »,12 passe du statut de réserves naturelles à celui de parc national. Ce décret est annoncé par les autorités nationales responsables de la gestion des parcs nationaux13 en présence, le jour de l’ouverture officielle du parc, du Prince Bernhard des Pays-Bas, fondateur du World Wild Fund for Nature (WWF). Depuis, le Udzungwa Mountains National Park, l’un des derniers crée en Tanzanie, est fréquemment présenté comme le pendant africain des îles Galapagos qui sont mondialement connues pour leur fort degré d’endémisme. Les forêts pluviales des monts Udzungwa abritent également de nombreuses espèces végétales et animales endémiques.14 Or, les populations établies près des forêts tropicales

10 Telles que la coupe du bois, les feux de brousse, le braconnage, la pression

démographique, l’agriculture, etc. Tous ces aspects sont considérés comme des facteurs de dégradation ou de violation des espaces protégés.

11 Le point culminant est le Mont Luhombero qui s’élève à 2576 mètres. 12 Ce qualificatif, traduit de l’anglais, apparaît dans une description du site,

publiée dans la brochure consacrée aux parcs nationaux et distribuée par les autorités tanzaniennes responsables de la gestion et de la conservation des parcs. De nombreuses expressions utilisées par les promoteurs de ce site, telle que celle de « montagnes spectaculaires », évoquent l’image d’une nature intacte et luxuriante.

13 Soit le Tanzania National Parks Authority (TANAPA). 14 Les monts Meru, Kilimandjaro, Pare, Usambara, Nguru, Ukaguru, Uluguru,

Rubeho et Udzungwa dessinent le fameux Arc oriental est africain qui s’étire

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des versants orientaux pénétraient auparavant dans ces forêts pour collecter les ressources naturelles dont elles avaient besoin. Avant la fermeture définitive de l’accès au parc pour les populations riveraines, TANAPA décide d’octroyer une période de transition initialement fixée à dix ans, durant laquelle les villageois sont autorisés à prélever deux types de produits forestiers : le bois de chauffe et les végétaux collectés à des fins médicinales. Les tradi-praticiens qui désirent se rendre dans le parc pour extraire leur pharmacopée, doivent demander auprès des autorités un permis d’entrée valable pour une durée de trois mois mais renouvelable. Les femmes, auxquelles se joignent leurs enfants, sont autorisées à collecter le bois de chauffe deux fois par semaine avec comme condition préalable l’interdiction d'utiliser un quelconque outil tranchant. Or, plus de dix ans après, ces autorisations d’entrée sont toujours en vigueur. Elles ne réjouissent pas les plus fervents défenseurs de la nature qui revendiquent l’application de la clause de fermeture définitive du parc. Cette situation équivoque traduit de toute évidence une difficulté de taille dans le processus d’application du concept de parc national face aux revendications d’usage des ressources naturelles des populations.

Quelles sont les populations qui vivent autour du parc national d’Udzungwa ? Le parc se déploie dans des aires culturelles, écologiques et administratives extrêmement variées. Par conséquent, les effets de son implantation sur les populations riveraines oscillent en fonction des données historiques, sociales et économiques des nombreuses régions qui jouxtent les limites territoriales de la zone de conservation.

Les populations des monts Udzungwa : pluralité des dynamiques historiques, sociales et économiques Les communautés riveraines du parc d’Udzungwa et leur environnement diffèrent considérablement selon que l’on se situe sur le versant au vent ou sur le versant sous le vent du massif forestier. Dans la zone d’habitation très peuplée qui longe les flancs orientaux, exposés aux vents de mousson, la population s’étend exclusivement sur les plaines de piémont. Elle se compose de groupes ethniques très

des collines Taita du Kenya et se prolongent jusqu’au sud des monts Udzungwa. Toutes ces montagnes d’Afrique orientale présentent des caractéristiques géologiques et écologiques similaires. Elles se seraient formées il y a plusieurs dizaines de millions d’années. D’après WWF, les forêts tropicales humides présentes sur ces îlots montagneux renferment « 40% des espèces de plantes et d’animaux rares ou menacées de Tanzanie ».

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17 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

diversifiés. Les villages se suivent le long de la route Mikumi-Ifakara. Ils appartiennent au district de Kilombero, une division administrative de la région de Morogoro. Sur le versant opposé, la population est nettement plus homogène. Les villages se concentrent dans le nouveau district de Kilolo qui dépend de la région d’Iringa ; ils sont perchés sur les hauteurs du célèbre plateau de la région des Hautes Terres du Sud dénommé « plateau Uhehe ». Ainsi, la chaîne de montagnes Udzungwa forme-t-elle une barrière naturelle entre la région administrative d’Iringa et celle de Morogoro.

Sur le versant sous le vent, les villages, faiblement peuplés,15 sont éparpillés sur ce plateau montagneux qui les rend plus difficile d’accès. Les villageois établis dans ces zones reculées dépendent principalement des ressources prélevées dans les forêts claires de miombo. L’absence de dispensaires et d’électricité accroît la dépendance des populations vis à vis de pratiques d’extraction de végétaux à des fins médicinales et de collecte de bois de chauffe qu’elles recueillent dans ces forêts peuplées d’arbres décidus. A quelques heures de marche de ces zones de miombo, on rencontre des forêts sempervirentes qui recouvrent tous les sommets. Comprises dans la zone de conservation du parc, sur son versant oriental, ces forêts renferment de nombreux mammifères. Il est fréquent que les femmes des villages rencontrent certains d’entre eux hors des limites du parc, tels que des buffles, lorsqu’elles partent à la recherche dans des forêts plus éloignées et touffues les fibres végétales ou milulu qu’elles utilisent pour la fabrication de la vannerie locale.

La dynamique de peuplement du versant ouest remonte à la période précoloniale.16 Jusqu'à l’époque socialiste dite Ujamaa17 des grands travaux communautaires, les populations vivent selon un habitat dispersé. Dans les années 70, celles qui résidaient dans les aires montagneuses les plus enfoncées sont forcées de les abandonner. 15 La faible densité de peuplement qui caractérise de manière générale les

montagnes tanzaniennes est manifeste dans le cas des monts Udzungwa. 16 Les guerres intertribales ont poussé certaines populations du centre à trouver

refuge dans ces montagnes fertiles 17 A la fin des années 1960, Julius Nyerere, acquis à l’idéologie socialiste, oblige

les citoyens tanzaniens à vivre en communauté pour participer ensemble aux travaux agricoles et bénéficier d’un accès aux services de base (l’éducation, les soins de santé). Des opérations de transfert de populations s’organisent à travers tout le pays : 85 % des villageois, délogés de force, sont contraints d’abandonner leurs demeures et surtout un mode de vie fondé sur un habitat dispersé.

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Certains villages présents dans cette zone ont été créés durant la période Ujamaa. D’autres ont vécu un mouvement de recentrement géographique de leurs populations dans des hameaux désignés pour recevoir les infrastructures scolaires, administratives, parfois sanitaires, voire routières. L’ethnie qui domine aujourd’hui est celle des Wahehe.18 La présence d’autres groupes tels que les Wabena, les Wadzungwa, les Wasagara, les Wachagga révèle toutefois une composition ethnique moins homogène que celle que l’on pourrait supposer étant donné leur isolement nettement plus prononcé que les populations établies dans la plaine de Kilombero. Sur le plateau Uhehe, région qui fut le théâtre de nombreuses luttes interethniques puis de violents combats avec les militaires allemands, la mémoire collective évoque des déplacements transversaux à l’intérieur des monts Udzungwa — d’ouest en est — antérieurs à l’époque de l’indépendance acquise en 1961.

Sur le versant est des monts Udzungwa, avant la mise en valeur intensive des plaines de piémont initiée dans les années 60, seuls quelques villages sont présents le long de la chaîne. Ils se positionnent soit à l’extrémité nord, soit dans la moitie méridionale adjacente à la chaîne de montagnes et à la vallée de Kilombero. Durant la première vague de colonisation, les Allemands s’établissent dans le village de Kiberege avant de s’installer dans les hauteurs de Mahenge. Plus tard, dans les années 1920, les colons anglais appliquent les premières mesures d’une politique de conservation dans la vallée de Kilombero et les monts Udzungwa. Ils réduisent drastiquement la coupe de deux espèces d’arbres d’essence indigène, le mvule et le mwawa, qui servaient à la construction de canoës, unique moyen de transport utilisé dans la vallée pour acheminer la production locale de riz.19 Sur la chaîne de montagnes, ils créent de nombreuses réserves forestières.20 À cette époque, les piémonts sont peu peuplés. La grande vague de peuplement débute à la veille de l’indépendance. Elle est organisée par les responsables de la TANU, parti qui milite activement pour la liberté du pays avec à sa tête celui qui devint le Père de la Nation tanzanienne, Julius Nyerere. Peu à peu, des migrants en provenance de 18 Ils ont fait l’objet d’études ethnohistoriques (Cf. la thèse d’Alison Reydmane,

intitulée The Wahehe people of Tanganyika, 1964). 19 Cf. J. Monson, « Canoe-building under colonialism. Forestry & food policies

in the inner Kilombero Valley, 1920-40 », pp. 200-212, Custodians of the land Ecology & culture in the history of Tanzania, Eastern African Studies, 1996.

20 Par exemple, les réserves de Nyumbanito, d’Ukwama, d’Ulangambi, du West Kilombero Scarp, de Mwanihana, de Njerera, etc.

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19 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

régions fort différentes s’établissent dans cette plaine au bon potentiel hydraulique ; les rivières qui prennent leur source dans les montagnes Udzungwa sont bien alimentées tout comme les nappes phréatiques. Les populations s’investissent très tôt dans la culture de riz et de maïs. Des infrastructures sont construites assurant un accès routier et ferroviaire dans la vallée et la plaine de Kilombero21. Un peu plus au nord du versant au vent, la chaîne de montagnes se prolonge en perdant de l’altitude. La population, plus clairsemée, était autrefois majoritairement des Wavidunda répartis entre les montagnes de basse altitude et les villages de piémont. Aujourd’hui, la composition, ethnique est bien plus hétérogène. Depuis les années 1960, les Wandamba, cultivateurs et pêcheurs, originaires de la vallée marécageuse de Kilombero22 ainsi que d’autres populations venues des régions voisines23 ou plus éloignées (les Wangindo, les Wahehe, les Wakinga) s’installent peu à peu dans les nouveaux villages qui bordent les limites actuelles du parc d’Udzungwa, au pied de la forêt tropicale des flancs est de la chaîne. Des groupes de pasteurs (les Wasukuma, les Wamasaai) viennent à la recherche de pâturages. De très nombreux commerçants Wachagga immigrent dans ces nouveaux villages pour établir leurs kiosques, spécialisés dans la vente de biens durables. Dans un de ces nouveaux bourgs, à Mang’ula, les autorités du parc d’Udzungwa ont installé leur headquarter, passage inévitable pour les rares touristes randonneurs (dont le nombre augmente toutefois) qui payent leur droit d’entrée au parc. Ils y côtoient parfois les tradi-praticiens venus demander le renouvellement de leur permis de collecte des végétaux destinés à leur pharmacopée.

Modification des rapports à l’environnement Une mosaïque de populations et d’écosystèmes caractérise donc les régions entourant les monts Udzungwa. Mais quelle est l’histoire des sociétés qui peuplent ces montagnes ? Celle-ci est capitale pour saisir l’évolution de leurs rapports avec leur milieu et leur inscription dans le paysage actuel. L’histoire des monts Udzungwa étant peu connue, une étude ethno-historique et un travail dans les archives sont nécessaires 21 Le gouvernement tanzanien sollicite l’aide du gouvernement chinois pour

construire dans les années 1970 le TAZARA, la ligne de chemin de fer qui relie la Tanzanie à la Zambie.

22 Située à l’extrême sud des monts Udzungwa. 23 Telles que les Wapogoro originaires de Mahenge et les Wambunga de

Kiberege.

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pour tenter de repérer les raisons du peuplement ou du dépeuplement des aires d’habitation établies à l’intérieur et en dehors de la zone de conservation du parc. Nos investigations concerneront plus particulièrement l’histoire des techniques d’irrigation, l’impact des guerres interethniques et l’histoire des activités économiques de montagne. L’objectif est d’établir, dans une perspective diachronique, une grille de lecture de l’évolution des rapports liant les populations des monts Udzungwa à leur milieu.

Des changements dans les rapports à l’environnement se manifestent de manière plus prononcée sur le versant est. Dans le domaine de l’agriculture, on observe un intérêt croissant des villageois de la plaine de Kilombero pour la plantation de canne à sucre depuis la privatisation en 1998 de l’ancienne industrie sucrière nationale, la Kilombero Sugar Company. Des terres qui étaient depuis des années réservées aux productions vivrières (rizicultures ou cultures de maïs) s’orientent désormais vers cette nouvelle culture commerciale. Une petite forêt située dans les piémonts a été récemment vendue à un entrepreneur pour collecter de la résine à des fins commerciales. Une industrie de coupe de bois sud-africaine a racheté une ancienne usine désaffectée pour exporter des essences indigènes extraites des forêts méridionales de la chaîne Udzungwa. Face à cette intensification de l’exploitation économique de la plaine de piémont, la question de la pression foncière devient de plus en plus sensible. En effet, les zones d’habitation et de culture se répartissent sur un territoire qui apparaît de plus en plus étriqué, coincé entre la zone de réserve de gibier de Selous qui comprend une zone tampon et la chaîne de montagne Udzungwa.

Dans la région d’Iringa, sur le massif occidental, l’environnement est moins soumis à de tels changements. Les populations établies sur ces reliefs de haute montagne, spécialisées dans l’agriculture, pratiquent très peu l’élevage pour des raisons à la fois économiques et culturelles. Quelques Wachagga, venus sur ces terres pour implanter la culture du café, ont bénéficié du soutien de TANAPA pour tenter d’introduire un élevage de vaches. D’autres se sont orientés vers la plantation illicite de marijuana sur des terres nichées dans les hauteurs du massif et d’accès difficile. Cependant, pour la majeure partie de la population, les stratégies de subsistance restent sensiblement les mêmes. On note cependant des restrictions de consommation de certaines ressources alimentaires. Ainsi les Wahehe qui s’adonnaient à la pratique cynégétique, sous condition de demande de permis, ne la pratiquent plus aujourd’hui sous peine d’être arrêtés

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21 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

pour délit de braconnage. Cette sanction est la conséquence de l’implantation des nombreux programmes de conservation de la nature dans la région, soutenus par des organisations étrangères qui se sont engagées dans la préservation des écosystèmes des monts Udzungwa. Les programmes de recherches scientifiques qui se sont multipliés sur cette chaîne depuis les années 80 ont sans aucun doute hâté l’adoption de mesures conservationnistes plus strictes.

Représentations du milieu : forte intrication entre le milieu et la cosmologie locale La connaissance du milieu naturel est mêlée d’expériences pratiques et imaginaires. Il est pensé à la fois comme un ensemble complexe apte à fournir à l’homme les matériaux dont il a besoin au quotidien et comme un réservoir de propriétés immatérielles, chargé de forces qui sont la manifestation de génies, d’ancêtres ou encore d’esprits. La pratique généralisée de la sorcellerie en Tanzanie (avec son cortège d’accusations, de recours à des méthodes de désensorcellement, de protection contre les sorts, etc.) témoigne du poids considérable de la croyance en l’existence d’un monde occulte omniprésent. Ses interventions peuvent être sollicitées ou appréhendées à n’importe quel moment. Celles qui sont destinées à provoquer l’affliction sont les plus redoutées par les villageois. Les aboiements nocturnes d’un chien, les pleurs d’un nouveau-né, la perte d’un être cher, l’échec à un examen, la maladie, l’attaque mortelle d’un lion, etc. sont autant de signes pouvant éveiller des soupçons sur une éventuelle manifestation de forces occultes et leur cortège d’infortunes. Seuls quelques personnes, le plus souvent des hommes ou femmes âgées, dotées d’un don de vision du monde occulte ainsi que les waganga wa kienyeji ou guérisseurs sont à même de rendre intelligibles ces signaux observés sous des formes multiples qui peuvent apparaître dans l’environnement domestique, public et naturel que chacun traverse, occupe. Très présents aussi bien dans les villes que dans les villages, les guérisseurs ne chôment pas. Ils représentent un des piliers de la société tanzanienne car ils sont les médiateurs privilégiés entre le monde des hommes et des esprits. La connaissance du monde ésotérique leur confère l’aura dont ils jouissent dans leur communauté. Chacun d’entre eux adopte sa propre méthode thérapeutique, censée soulager le patient des maux qui le tourmentent. Dans les zones rurales, le recours ordinaire à la pharmacopée traditionnelle se décline selon des procédés très variés. Le patient peut être amené à absorber des produits végétaux

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LES CAHIERS DE L’IFRA 22

sélectionnés dans son milieu environnant par le tradi-praticien (grâce à son esprit qui l’aura guidé ou lui aura donné l’injonction lors de ses rêves de ponctionner telle ou telle plante, racine, écorce, etc.). D’autres méthodes consistent à s’enduire d’une crème élaborée par le médecin. Mais qu’en est-il des rapports imaginaires qui caractérisent les relations entre les populations riveraines du parc d’Udzungwa et leur milieu ?

Dans la région, la manifestation de puissances sorcellaires, d’ancêtres, de génies fait partie des événements susceptibles d’intervenir au quotidien. Les guérisseurs renommés sont convoités par les communautés établies autour de la chaîne de montagnes. Pour certains d’entre eux, le recours aux médicaments à base de végétaux extraits dans la zone de conservation est fondamental. Si tous ne dépendent pas de l’extraction des ressources naturelles du parc, certains n’hésitent pas à conclure qu’en cas de fermeture définitive du parc aux populations riveraines, les villageois périront. Par ailleurs, l’histoire des rapports symboliques entre les communautés et les populations nous enseigne qu’auparavant le dieu Bokela logeait sur les cimes de cette chaîne. Des rites propitiatoires étaient organisés pour offrir selon un protocole de règles à respecter les offrandes destinées au dieu. Pour certains, il ne loge plus dans ses montagnes car l’abandon du respect des traditions aurait entraîné sa colère et sa fuite.

Ainsi, la forêt dense du parc d’Udzungwa revêt-elle des qualités imaginaires capitales si l’on se place du point de vue des représentations locales. Elle est un cadre dans lequel des ancêtres, des génies, des esprits sont susceptibles de se loger, de circuler, de guider celui qui implore leur aide ou encore de surprendre n’importe quel passant. Nombreuses sont les femmes qui lors des journées autorisées de ramassage de bois de chauffe s’enfoncent dans les forêts du versant au vent. La rencontre avec un quelconque esprit est plausible à n’importe quel moment. Si certaines relations imaginaires avec les montagnes Udzungwa se sont défaites, il n’en reste pas moins que d’autres, nouvelles et nombreuses, ont été établies. La conception totale de l’homme dans son milieu est à la base d’une forte intrication entre le monde naturel et la cosmologie locale. Ainsi, les rapports symboliques que les communautés entretiennent avec la chaîne de montagnes Udzungwa sont une donnée fondamentale, totalement étrangère à la dualité nature/culture caractéristique de l’idéologie conservationniste. Nous concentrons nos recherches de terrain actuelles sur ces représentations endogènes pour tenter de définir les modes d’appréhension singuliers des populations à l’endroit de leur environnement. L’objectif final est de dégager les causes

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23 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

cosmologiques qui engendrent la résistance des communautés au projet étranger et, à leurs yeux, étrange de la conservation de la nature. La finalité pratique de ces recherches consisterait à suggérer un mode de préservation de la nature qui prendrait en compte le rapport original des populations à leur milieu pour inventer, comme le propose Christophe Grenier,24 de « nouvelles façons d’habiter la Terre ».

Conclusion Le parc national d’Udzungwa, établi sur une chaîne montagneuse, fait figure de laboratoire d’observations privilégié pour éclairer dans une perspective synchronique et diachronique l’évolution des rapports complexes qui lient les populations locales à leur environnement. L’intensification des politiques de conservation dans les sociétés non modernes25, conduit à nous demander comment des conceptions très divergentes du milieu naturel, l’une extérieure – qui consiste à isoler des espaces protégés pour garantir la sauvegarde des écosystèmes – et la seconde endogène, interagissent.

Dans l’état actuel de nos recherches, nous supputons que les pratiques de conservation et leur renforcement génèrent de fortes résistances face à la ferme volonté des autorités d’assurer la conservation des montagnes Udzungwa, et ce, en dépit de l’introduction de plusieurs projets communautaires et de possibilités d’entrée exceptionnelles dans le parcs accordées aux populations riveraines. Pour expliquer les difficultés rencontrées par les acteurs de la conservation, nous jugeons nécessaire d’étudier les substrats cosmologiques qui sont à la base des rapports et des représentations que les populations tissent avec leur milieu. Pour cela, nous avons entrepris de nous concentrer sur l’étude monographique des dynamiques locales (économiques, historiques, sociales) et l’examen minutieux des rapports imaginaires entre les populations et leur milieu.

24 Le géographe Christophe Grenier a étudié dans l’archipel des îles Galapagos

les effets de la conservation sur la population insulaire. Il a publié un livre intitulé Conservation contre nature. Les iles Galapagos, Paris, IRD Editions, coll. Latitudes 23, 2000.

25 Ne serait-ce qu’en Tanzanie, deux nouveaux parcs nationaux ont été récemment crées : le parc national de Saadani et celui du plateau de Kitulo. En totalité, ils couvrent une superficie de 42 000 km2, ce qui représente 22 % du territoire. Si l’on considère l’ensemble des sanctuaires naturels (les parcs, les réserves de gibier et l’aire de conservation du Ngorongoro), plus d’un tiers du territoire tanzanien est consacré à la préservation de la nature.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 24

Les points évoqués ci-dessus constituent une présentation préliminaire de nos premiers résultats de terrain.

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25 USAGES ET REPRESENTATIONS DU MILIEU FORESTIER

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.25–29

Paysannerie des hautes terres et tourisme : l’exemple du Kilimandjaro

Juhane DASCON

La Tanzanie n’est rentrée que tardivement dans le système libéral d’échange (1986, premier accord avec le FMI) et n’a donc commencer à développer le tourisme international que dans les années 1990. Jusque là, le célèbre tourisme de « parcs naturels » d’Afrique de l’Est était essentiellement animé par le Kenya. Ainsi en 1980 le nombre d’entrées touristiques en Tanzanie n’était que de 80 000 personnes contre 500 000 en 1999 (chiffres OMT).

Pourtant, la Tanzanie possède de nombreuses réserves et parcs (40% du territoire est couvert par des aires protégées) qui sont le centre du tourisme régional et de nombreux sommets de renommée dont le Kilimandjaro, le « toit » de l’Afrique. Conscient de son retard en matière de politique touristique et encouragé par les organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, UE, NEPAD), l’État a mis en place des institutions dont l’objectif est de développer cette activité considérée par tous comme une alternative à la crise économique structurelle. Ainsi, le TTB (Tanzanian Tourism Board) et le TANAPA (Tanazanian Natural Parks) sont-ils deux acteurs institutionnels clés de cette politique avec localement des services de contrôle des espaces protégés comme le KINAPA (Kilimanjaro National Park) au Kilimandjaro.

La région du Kilimandjaro s’intègre dans la problématique touristique des hauts lieux montagnards qui ont fait l’objet de la construction d’un mythe, d’une image dans la dynamique des grandes ascensions de la fin du XIXe siècle. Dans la représentation collective (essentiellement occidentale) ces ascensions marquent le début de la mise en désir de l’espace montagnard qui sera ensuite utilisée par l’activité touristique dans une logique de mise en produit. De la

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27 PAYSANNERIE DES HAUTES TERRES ET TOURISME

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ressource essentiellement agricole qu’offrait la montagne, le tourisme a fait évoluer ces espaces vers une autre opportunité de revenus avec la particularité de multiplier et de diversifier les acteurs et les logiques d’acteurs.

La place de la région Kilimandjaro dans le tourisme national est relativement faible (20 000 touristes ont fait l’ascension en 1999) mais dynamise fortement l’activité locale. De nombreux emplois sont liés directement ou indirectement à cette activité : du vendeur de carte postale dans la rue, à l’artisan, du cybercafé au guide formé dans les écoles d’Arusha ou de Moshi, le tourisme fait vivre de nombreuses familles.

La confidentialité du tourisme au Kilimandjaro est liée à la faible offre touristique. En effet, mis à part l’ascension (réservée au plus sportifs) peu d’activités sont à même d’attirer la manne touristique. Cependant, des projets émergent, comme le projet de tourisme culturel à Machame, création d’hôtels…et témoignent de l’importance de la dynamique touristique dans l’espace local.

Au Kilimandjaro, l’activité touristique s’intègre dans une histoire du développement qu’il faut considéré pour bien comprendre l’intégration de cette filière dans le territoire. Cette histoire se caractérise par la place importante que le Kilimandjaro a eu au sein de l’empire colonial puis au sein de l’État tanzanien dans la période post-coloniale de modernisation de l’État. En effet, la culture caféière, implantée par les administrations coloniales et les missions, a placé la montagne au cœur de l’Etat de par les revenus générés.

La modernisation agricole instaurée par les administrations coloniales a eu des conséquences majeure sur l’organisation des paysanneries de montagne, réduisant les populations locales au statut de producteur de l’espace national. Par ailleurs, ces réformes ont rendu les paysanneries dépendantes à plusieurs niveaux : dépendantes des industries, dépendantes des coopératives agricoles qui ont pris en main leur devenir, dépendantes d’une privatisation de l’espace…c’est le concept même de développement qui est au cœur de ces bouleversements puisqu’il a été dès ses prémisses considéré dans une optique verticale du global vers le local. Par ailleurs, la modernisation agricole s’est fondée sur la séparation et la spécialisation des espaces. L’organisation de la montagne et du Kilimandjaro plus particulièrement, est ainsi passée d’une logique verticale de complémentarité des espaces à une logique horizontale de spécialisation productive des terroirs. Cette séparation des espaces, à la

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LES CAHIERS DE L’IFRA 28

base du développement, s’est également appuyée sur les aires protégées issues des idéologies occidentales de préservation environnementales. Ces espaces confisqués, à vocation de préservation et de contemplation, seront ensuite utilisés par le tourisme souvent au détriment des populations locales.

Dans cette histoire du développement, les années 1970 marquent en Tanzanie le début d’une crise structurelle (crise au sens de changement) importante que la crise caféière mondiale des années 1980 n’a pas atténuée. La crise montre les limites du modèle de modernisation agricole colonial et post-colonial. La crise caféière qui frappe le Kilimandjaro est à resituer à l’échelle régionale car elle a concerné toutes les montagnes peuplées d’Afrique de l’Est (Mont Meru, Mont Elgon, Mont Kenya…). La limite du modèle se traduit localement au niveau de la région Kilimandjaro par de fortes mutations sociales (baisse des revenus, changement des rapports de genre, accroissement de la pauvreté) et spatiales (développement des cultures vivrières, émigration, concurrence spatiale…).

Comme dans toute période de changement, les sociétés cherchent les moyens de reproduire leur groupe social en modifiant leur logiques de production et en saisissant les ressources disponibles.

C’est dans ce contexte que notre travail cherchera à comprendre les enjeux de l’activité touristique dans une période de changement et son influence sur l’organisation sociospatiale de l’espace montagnard du Kilimandjaro.

- Notre questionnement central sera le suivant :

L’activité touristique, telle qu’elle se développe, n’est-elle qu’un avatar des politiques de développement, ou un véritable moyen de redéfinir la place de la montagne dans l’espace national et un moyen pour les sociétés locales de rompre avec un mode d’intégration très dépendant?

Nous formulons dès à présent une hypothèse de travail, qui sera précisée mais qui permet de montrer dès à présent l’orientation de notre travail :

L’activité touristique est générée de l’extérieur et résulte de la réactivation d’un même modèle de développement fondé sur un partage inégal des bénéfices de l’activité et sur une dépendance des population locales a des acteurs extérieurs.

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29 PAYSANNERIE DES HAUTES TERRES ET TOURISME

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Notre projet de thèse s’inscrit dans la discipline géographique et dans une approche générale que l’on désignera comme « sociale » en géographie. Les concepts d’acteurs, de logiques d’acteurs, de développement local, de ressource et d’organisation sociospatiale de la montagne sont au cœur de notre travail.

Ainsi, le projet de thèse souhaite aborder la question du tourisme au Kilimandjaro par le biais de diverses approches complémentaires :

Une approche diachronique : Nous allons analyser le tourisme dans l’histoire du développement du Kilimandjaro pour comprendre comment cette activité vient s’ajouter à d’autres (culture caféière, commerce lié à la frontière…) et avec quels acteurs dominants. Nous évitons ainsi le biais de nombreux travaux sur le tourisme qui analysent le phénomène à un instant « T » et évacuent de fait de nombreux élément d’explication de la réalité observée. Nous étudierons la manière dont le tourisme s’est peu à peu intégré au modèle agricole dominant et la capacité des paysans à se réapproprier cette ressource extérieure de la montagne dans une période de crise. Le domaine des aires protégées est directement lié à ce questionnement. Application concrète des idéologies de conservation que l’Occident développe dès le XIXe siècle, ces espaces confisqués aux populations locales ont un rôle central dans le développement touristique. Ces espaces de récréation existant sont des espaces dans lesquels le tourisme s’est engouffré bénéficiant de structures de gestion étatique garantissant l’exclusion de l’activité agricole et donc l’exclusivité de l’activité touristique. Ainsi au Kilimandjaro, le KINAPA assure la gestion et la protection des lieux au bénéfice des touristes, des tours opérateurs, de l’État et dans une moindre mesure de la population locale.

Approche multiscalaire et acteurs : Le tourisme est par excellence une activité agissant sur plusieurs échelles : internationale, régionale, nationale, locale. À chaque échelle des acteurs ont un rôle, des pratiques et des représentations différentes. Pour bien appréhender l’imbrication de ces échelles d’actions, le concept d’acteur paraît central. Dans le cadre de la mondialisation, la montagne est un espace offert à une multitude d’acteurs et non plus une ressource uniquement pour la population locale. Interviennent alors des conflits d’usages, des pratiques variées sur un même espace, des conflits de représentation. Pour comprendre la complexité de cette ouverture de l’espace montagnard le recueil

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LES CAHIERS DE L’IFRA 30

du discours des acteurs semble à même de révéler les diverses logiques individuelles et collectives. De nombreuses questions découlent de cette approche : l’activité touristique permet-elle la mise en relation des différents acteurs ? Quelles sont leurs relations ? Le discours international sur le tourisme, développé par les organismes internationaux, est-il approprié par les populations locales ? Quels bénéfices pour quels acteurs, à quelle échelle ?

Une approche par les représentations : Le tourisme est un champ d’application concret pour le concept de représentation de plus en plus utilisé en géographie. Dans ce cadre le Kilimandjaro a une histoire particulière puisqu’il a été dès sa découverte au cœur d’un mythe (le toit de l’Afrique) qui s’est construit et reconstruit au fur et à mesure de son exploration et du développement de la région. Cette imagerie, issue des récits de colons, est aujourd’hui utilisée dans la mise en produit de la montagne. Dans le cadre du tourisme, la montagne devient donc un espace de confrontation des représentations des divers acteurs : Pour les populations locales, le Kilimandjaro est un espace où elles produisent leurs propres systèmes de représentation.

Pour les touristes, et les acteurs du tourisme extérieur, le Kilimandjaro est un espace de projection de représentations construites ailleurs.

Il faut donc comprendre comment ces deux logiques se confrontent, se rencontrent.

Par ailleurs, à travers les représentations nous étudierons le processus de mise en produit de l’espace montagnard. Il s’agit de comprendre qu’elle image de la montagne est véhiculée pour attirer les clients, quel type de touriste pratiquent les hauts lieux montagnards et d’observer à une échelle internationale comment les montagnes sont mise en concurrence.

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RURAL ET URBAIN

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.31–35

Mobilités, usages de la ville et mixité des territoires en pays chagga, pentes sud du

Kilimandjaro (Tanzanie)

Gaëlle BRIENT

Moshi, ville de 200 000 habitants est située sur le piémont sud du Mont Kilimandjaro. Son histoire récente et sa position géographique au cœur d’une région paysanne densément peuplée posent la question de son rôle dans les logiques pluri-territoriales des populations, celles des plus jeunes notamment. La population de la région de Moshi est caractérisée par une utilisation de l’espace définie par des logiques individuelles et collectives en mutation et par la nature et le rôle original de cette petite ville est-africaine.

Les pistes majeures de la recherche ont été élaborées après trois séjours sur le terrain ; une priorité est accordée lors des enquêtes à une approche des pratiques de la population au quotidien, et à la représentation mentale de la ville et de la montagne. Les axes mis en valeur répondent à une question centrale : comment la population du Kilimandjaro s’approprie-t-elle et vit-elle la ville de Moshi aujourd’hui ? Quelles sont les logiques qui expliquent les pratiques nouvelles et anciennes d’occupation et de création des espaces ruraux et urbains ?

Un élément fondamental réside dans la compréhension des mobilités d’une population de plus en plus hétérogène. En effet, être mobile est une nécessité pour la population.

Ces logiques s’inscrivent dans un cadre familial qui concilie dans ses pratiques spatiales une activité agricole avec une (ou plusieurs) activité(s) de commerce. Les logiques urbaines et rurales sont proches, avec quelques nuances… Le commerce n’est pas le même en ville et au village : la vente de productions animales ou de surplus agricoles est la plus importante en milieu rural alors que les petits commerces de proximité ou ambulants prennent le pas à Moshi. Cependant, les

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LES CAHIERS DE L’IFRA 34

ménages mêlent très souvent agriculture, élevage et commerce, ce qui correspond à la stratégie de diversification et de réduction des risques la plus efficace. Cette stratégie touche tous les métiers, et comme ailleurs dans les villes d’Afrique, les salaires des employés publics et privés ne permettent pas un revenu décent.

Le commerce implique souvent des déplacements au niveau du quartier, du village voire de la région (du fait de la spécialisation des marchés comme Kiboriloni) ; il alimente en grande partie les mouvements de population quotidiens entre les villages et Moshi.

L’agriculture fait partie intégrante de toutes les économies familiales et peut conduire également à une utilisation de l’espace fondée sur une mobilité quotidienne, hebdomadaire ou saisonnière. Les lieux de travail et d’investissement sont multiples, appartiennent à plusieurs zones écologiques et géographiques : la montagne, le piémont (souvent par le passage en ville) et la plaine.

Les jardins poly-culturaux sont situés sur les pentes et correspondent aux exploitations familiales traditionnelles26 ; à cause d’une forte pression démographique et du manque de terre dans les villages Chagga, l’acquisition de terres en plaine se généralise, soit par location annuelle soit par octroi de la part de l’État.27 Ces terres sont occupées par des parcelles en monoculture de riz, quand les aménagements pour l’irrigation le permettent, ou de maïs.

L’activité agricole est donc exercée à la fois sur le lieu d’habitation ou à proximité (parfois exclusivement), et hors du lieu d’habitation pour la plupart, à une distance qui peut nécessiter la gestion des déplacements dans le temps (on peut aller au champ le week-end quand la saison l’exige par exemple), avec les frais de transport qu’ils peuvent impliquer. L’on constate que plus la mobilité est grande et les lieux d’activité nombreux, plus le ménage est dans une position économique confortable, avec bien sûr un fort investissement en temps et en main d’œuvre.

26 Elles étaient cultivées en café et banane jusqu’aux années 1990 mais sont

aujourd’hui diversifiées et orientées vers les légumes et les céréales comme le maïs, compte tenu de la baisse d’intérêt de la rente caféière, et donc de la diminution des ressources monétaires dans les villages.

27 C’est le seul moyen d’acquérir le droit d’occupation d’une parcelle en dehors des droits coutumiers, l’octroi est souvent d’une durée de 30 ans (une génération…).

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35 MOBILITES, USAGES DE LA VILLE, MIXITE DES TERRITOIRES

Les analyses montrent que ces mobilités se situent dans une espace que l’on peut qualifier de ruralo-urbain. En effet, les logiques entre ville et village pour chacun des habitants se recoupent.

Lorsque l’on s’attache à une analyse paysagère de la région, on observe que les caractères urbains et ruraux28 sont issus des mêmes logiques d’installation, et que les frontières séparant l’urbain du rural n’apparaissent guère dans un espace où les densités rurales ne permettent pas, comme on peut le faire ailleurs, d’identifier clairement une zone péri-urbaine au-delà des limites administratives de Moshi. L’exemple le plus frappant et caractéristique de ces sociétés paysannes, est le réinvestissement systématique au village. La réussite et le prestige se traduisent par un retour de sa richesse au village et par des constructions de maisons particulières, et les villageois ont le même souci que les citadins d’aménager les abords de route et de sécuriser les propriétés. De plus, les habitants de la ville sont souvent des migrants et le style de vie villageois domine à Moshi (constructions horizontales sur le modèle de la concession familiale).

La notion même de ville est à recontextualiser pour bien saisir la réalité de cette petite ville, lieu de compétitions entre les pouvoirs publics, les logiques d’aménagement étatiques, et les principes coutumiers qui régissent les habitants de la région. Les conflits fonciers sont nombreux et faute de moyens pour les aménageurs, les intérêts locaux sont souvent les gagnants. Les règles coutumières d’occupation de l’espace font ainsi de la ville une annexe des zones villageoises alentours.

Les logiques de mobilités que nous mettons en valeur peuvent être différenciées en fonction des générations et du genre. Les jeunes sont d’une manière générale davantage concernés par les mobilités professionnelles car le marché du travail est peu développé à Moshi. Ceux qui restent dans la région doivent composer avec différents territoires et sont implicitement exclus de leur village d’origine à cause du mode d’héritage de la terre. Cependant, une génération de 30 à 50 ans vit de manière plus claire la multi-spatialité dont nous parlions plus haut, avec un pied qui reste bien ancré au village. Les femmes sont plus mobiles que les hommes à l’échelle intra-régionale (travail agricole diversifié, commerce), les hommes le sont davantage à l’échelle inter-régionale ou nationale (pour ceux qui bénéficient d’un statut d’homme d’affaire ou de cadre supérieur).

28 On s’attache alors à définir les caractères d’une ruralité et d’une urbanité.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 36

Une différenciation s’observe également au niveau spatial. Moshi se trouve au cœur d’une région où se côtoient les villages Chagga des pentes du Kilimandjaro (avec des zones différenciées entre le centre, l’est et l’ouest) et les villages de la plaine, peuplés de façon plus récente et par migrations d’origines diverses (Monts Pare, Mont Kilimandjaro, Plaine Masai…région de Tanga ou d’Iringa). La zone sud est un espace qui se détache des zones du Mont Kilimandjaro, même si elle se situe dans une zone fortement influencée par Moshi et la culture chagga.

Ainsi, ces logiques qui dominent les pratiques spatiales des habitants reflètent une dynamique régionale caractérisée par une grande mixité entre ville et campagne. Par ailleurs, elles sont les éléments de structuration et de recomposition de l’espace urbain. En d’autres termes, les mobilités créent la ville. Ceci constitue le troisième axe de notre réflexion.

Les logiques des populations définissent les principaux usages de la ville. La ville est lieu d’échange et de commerce et est structurée autour de marchés, de circuits de vente, que les migrants créent et s’approprient. Elle est aussi un lieu d’ouverture à la différence culturelle et sociale et pour les plus jeunes une possibilité d’émancipation importante mais parfois illusoire compte tenu du manque de dynamisme du marché de l’emploi à Moshi ; c’est alors souvent une étape vers une ville plus grande, plus prometteuse (comme Dar-es-Salam). Moshi est un lieu de création des réseaux sociaux, par l’entraide qui se met en place entre migrants d’un même village ou d’une même famille. Ces réseaux dessinent dans l’espace urbain des quartiers qui s’agrandissent au rythme des migrations du village à la ville. Elle est également lieu d’affaire, et structure le secteur touristique de la région. C’est aussi un carrefour de transport routier.

La ville de Moshi existe par ces pratiques et son histoire récente définit sa structure actuelle, bien plus que son rôle administratif et la répartition de ses services ou de ses industries déliquescentes. Sa morphologie diffère selon les quartiers et l’on peut voir apparaître une ville où l’on travaille (les quartiers centraux de Mawenzi, Bondeni, Kiusa et Njoro) et une ville où l’on réside (les autres quartiers, où le style de vie est facilement comparé à celui d’un village puisque des mouvements quotidiens les animent et où l’activité agricole est une constante des économies familiales).

Enfin, les mobilités poussent notre analyse vers la compréhension de l’évolution des ancrages familiaux et identitaires. La

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37 MOBILITES, USAGES DE LA VILLE, MIXITE DES TERRITOIRES

ville ainsi appréhendée est une ville appropriée par une population d’origine paysanne principalement, mais également un espace de desserrement du lien identitaire avec le village et les aînés. Son rôle est donc double, à travers l’affirmation de la ville chagga car la région possède une richesse qui est ici canalisée (cadres et enseignants, niveau d’éducation élevé, bourse du café du Kilimandjaro…) et elle est en même temps l’expression des logiques culturelles et religieuses extérieures Moshi intégrant une population d’étrangers (secteurs du tourisme et de l’aide au développement, par la santé et l’éducation) et pour des populations d’autres régions de la Tanzanie et des pays voisins (Kenya, Ouganda…). Les migrants des villages chagga se trouvent aujourd’hui tiraillés entre des pesanteurs locales et familiales, qui alimentent les fiertés autant que les volontés d’émancipation, et les valeurs culturelles et sociales véhiculées par un milieu urbain plus ouvert car fait de métissage. L’engouement religieux pour les nouveaux cultes catholiques ou protestants tels les « new born » ou les « pentecôtistes », dont les pratiques révèlent une égalité de parole et de pouvoir entre hommes et femmes notamment, nous paraissent représentatifs des enjeux identitaires entre une coutume trop pesante associée au milieu rural et une certaine liberté associée au milieu urbain. La même question s’applique aux problèmes liés à la gestion des maladies comme le sida à travers les tabous culturels, ou encore aux questions relatives aux droits de la femme dans la région.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.37–42

Territoire mobile Maasai en Tanzanie : la ville comme relais pastoral

Maïlys CHAUVIN

Présence croissante des Maasai dans les villes Tanzaniennes Depuis une dizaine d’années, en Tanzanie, on observe une mobilité, nouvelle, et croissante des Maasai vers les villes. Localisées au sein de l’espace pastoral maasai (Arusha, Moshi) ou sur ses marges (Dar es Salaam, Iringa), aux limites même de l’espace terrestre, (l’archipel de Zanzibar, pourtant éloigné géographiquement et culturellement car swahili et musulman), les villes attirent les éleveurs à la recherche d’un emploi rémunéré de mlinzi (gardien de nuit/jour) principalement, ou développant un petit commerce (artisanat) dans les lieux touristiques. D’autres à Arusha et Mererani, se transforment en dealers de la fameuse pierre précieuse, la tanzanite. La majorité des travailleurs est représentée par les hommes et la classe d’âge des moranes. Pourquoi les Maasai du nord et centre tanzanien cherchent-ils ainsi à diversifier leur économie pastorale ? La ressource est fragilisée Les discours des Maasai affichent clairement que le recours à des emplois urbains — perçus comme dégradants comme celui de mlinzi — témoigne de leur pauvreté et l’absence d’autres alternatives dans l’espace de départ.

Nos investigations, dans le nord tanzanien (Districts de Ngorongoro, Monduli et Simanjiro région administrative d’Arusha) croisées à une approche historique du système pastoral, des politiques foncières, de l’environnement, et du tourisme, montrent que la combinaison de plusieurs facteurs a effectivement contribué à l’appauvrissement des maasai. Un long processus de réduction des terres et des ressources pastorales (Parcs Nationaux, Game Controlled Areas, blocs de chasse, fermes commerciales, infrastructures de tourisme, couvrent une grande partie du nord tanzanien, et ont été surimposés, à l’ancien espace pastoral des maasai Il Kisongo) combiné

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LES CAHIERS DE L’IFRA 40

aux sècheresses répétées, et aux maladies bovines et caprines persistantes (East Coast Fever en expansion, nouvelle maladie telle qu’Ormilo etc. ) constituent le cadre de la crise du pastoralisme. Dans la période récente, une réforme foncière, a été engagée et a donné naissance aux Land et Village Acts de 1999 qui, en dépit des échecs du voisin kenyan, ouvre la voie à l’individualisation (titre de propriété, mis en place pour sécuriser les droits coutumiers) et de privatisation de la terre. Le risque foncier augmente, les conflits sur les ressources, et la terre se multiplient. Les précipitations sont devenues incertaines (saison de mvuli) et décalées (saisons de mvuli, et masika). Les maladies restent un problème majeur (les services vétérinaires faibles et coûteux). L’année 1997 – 1998 caractérisée (forte sècheresse, suivie de fortes pluies) a constitué une étape importante de déclenchement du phénomène de déplacement vers les villes.

Ainsi, en milieu rural, nos investigations dans deux Districts (Simanjiro, 2003 Monduli, 2004) montre qu’il est aujourd’hui courant qu’un boma29 envoie un, ou deux, de ses membres dans une ville (Moshi, Arusha, Nairobi, Dar etc.).

La ville d’Arusha, nouvel espace-ressource des Maasai de Ketumbeine Dans la ville d’Arusha, des centaines de Maasai réalisent un emploi de gardiennage et recréent des formes de territorialisation maasai par exemple en se regroupant chaque semaine entre gens de même origine géographique. Ces rassemblements sont l’occasion de maintenir un certain niveau de cohésion sociale et identitaire dans un espace relais. Pour nous c’est un bon observatoire du phénomène étudié. Pour les maasai originaires de Ketumbeine30 le recours à la ville (Arusha, et Nairobi) se fait sur le mode d’un ancrage réel, mais partiel et temporaire. La ville a une fonction utilitaire : espace de travail, de collecte du numéraire qui permet par retour au boma, de contribuer à la sécurité alimentaire, et à la construction du troupeau individuel, enfin, de financer, les « nouveaux » besoins (école, etc.). Elle ne constitue pas l’espace d’un déménagement pour toute la famille (« Il n’y a pas de place en ville pour mes vaches »). Déplacements individuels, absence

29 Mot kiswahili qui définit un foyer maasai accueillant une, ou plusieurs familles

et leur(s) troupeau(x), en kimaasai, on parle d’enkang. 30 Nom d’une montagne et du ward administratif à une soixantaine de km, au

nord ouest d’Arusha ;

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41 TERRITOIRE MOBILE MAASAI EN TANZANIE

de logement, sentiment d’habitat réduit, réluctance à la ville (désordre social, pollution) à sa population (mercantile, mauvaises mœurs), envoi de la majorité de l’argent dans l’espace de départ, caractérisent une façon de vivre la ville telle un passage. La ville sert à se construire dans l’espace de départ qui reste celui de l’identification, de la référence et de la projection. Quelques questions … Etudier le rôle et la place de l’individu mlinzi « délocalisé » en ville n’est pertinent que si l’on entre par le réseau des actants (familles, amis, etc.) avec lesquels, selon des degrés, formes et mobilités variés, il se co-développe. Nous dessinons, avec l’informant, la distribution de ces personnes dans l’espace, leurs activités, et leurs liens, selon une approche également temporelle (étapes de l’histoire familiale). Qui est où, fait quoi, quand ? Ce qui nous amène à montrer la multi activité, et la multi spatialité de la « stratégie » jusqu’ à articuler la question du territoire-Etat et de la frontière. Dans le cas de Ketumbeine, on se trouve dans un système montagne-plaine-ville, centré sur la Tanzanie avec un débouché dans l’espace kenyan : marchés au bétail à Bisili (moranes, et ainés, hommes), commerce à Namanga (femmes), emploi de gardien à Nairobi (moranes). Enfin un autre niveau s’ajoute : la contribution de l’élite maasai, aux niveau régional et international.

Le cas d’Arusha doit être comparé à d’autres villes, chaque système de mobilité montre probablement des modèles différents, et des singularités, même s’ils dégagent partiellement des tendances communes. Réversibilité des déplacements, intensité de l’ancrage urbain, apport au système pastoral (etc.) varient selon que la ville est localisée au sein d’un espace pastoral (Arusha), ou en marge (Dar, Zanzibar), selon qu’elle est bien, ou mal, reliée à l’espace de départ (Ngorongoro-Shinyanga). Distance, accessibilité, connexion à l’espace pastoral de départ différencient certainement le « retour » économique dans l’espace de départ, et le degré de friction-érosion culturelle, ainsi que la capacité à entrer dans la multi activité (les maasai qui quittent le Ngorongoro pour les mines de Mwanza et Shinyanga ne reviennent pas aussi souvent au boma, que ceux de Monduli travaillant à Arusha, en raison de la cherté du transport en bus, par exemple ; les mariages mixtes existent chez les premiers, fait que nous n’avons pas du tout observé chez les seconds).

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LES CAHIERS DE L’IFRA 42

La ressource du système pastoral ayant diminué, la difficulté économique devient un facteur de déstabilisation de la structure sociale qui ne parvient plus à réguler. La génération actuelle des moranes — Korianga — est mise en difficulté par la réduction des troupeaux de ses aînés. Elle ne peut plus bénéficier complètement des dons ni de la redistribution qui existaient auparavant entre familles. Quel est son rôle dans la recomposition du système pastoral Maasai et de son identité. Où est son rôle ? Cette classe d’âge divise en quelque sorte l’espace de ses responsabilités : les uns restant au boma, pour assurer les activités de garde, de conduite des troupeaux, et de vente sur les marchés, les autres, partant en ville, à la recherche de numéraire. Certains enfants, ou moranes, (un, deux ou trois par famille) sont envoyés à l’école ce qui signale une nouvelle alternative, pensée dans sa combinaison, aux autres. Les koriangas constituent la génération de la transition que nous explorons.

Nous étudions en réalité la crise du pastoralisme, dans sa dimension transitionnelle. Quelle est la capacité de relance et de recomposition des dynamiques pastorales à travers le développement d’une nouvelle forme de mobilité : les déplacements vers la ville, et emplois urbains. Nous posons la question de la ville comme relais pastoral. Ce relais doit être analysé au sein des autres activités-localisations-mobilités familiales, complémentaires. Cela nous fait entrer dans l’analyse des complémentarités rural-urbain-rural, et montre que l’on ne peut pas avoir une lecture dichotomique ville-campagne. C’est l’occasion de rompre avec une lecture scientifique quasi exclusivement orientée sous l’angle du people of the cattle, de ses traditions, et de son conservatisme. Aujourd’hui, l’espace pratiqué se desserre. Qu’est-ce qu’être Maasai aujourd’hui ? La ville est relais dans un système pastoral qui s’ouvre sur des ressources externes à lui, et qui s’articule dans la combinaison des formes anciennes (transhumance) et nouvelles de la mobilité (emplois urbains), entre économie traditionnelle et économie monétaire. Comment ces mobilités établissent-elles des connections qui concourent à la recomposition du système pastoral, et en réalité, à la recomposition du territoire maasai en cours ?

Cette problématique centrale se décline en diverses interrogations souhaitant comprendre la complexité du processus de la mobilité. Comment les déplacements vers la ville s’intègre à la pratique socio spatiale des maasai (pratiquée et représentée) ? Quelle est sa position, dans le système pastoral, et comment celui-ci l’intègre-t-il ? Comment la ville redéfinit le territoire maasai par la génération actuelle

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43 TERRITOIRE MOBILE MAASAI EN TANZANIE

des moranes, relais générationnel, classe d’âge de la transformation de l’identité maasai en cours et future ?

Les outils conceptuels La ressource

Les ressources internes au système pastoral montre des blocages, il y a donc ouverture, et recherche d’une ressource alternative externe. La ville comme espace ressource complémentaire permet un apport de numéraire dans l’économie familiale. L’école entre, de façon croissante, dans le projet de développement familial multi directionnel (une partie des fils y est envoyée) etc. L’approche historique

Elle nous permet d’intégrer notre problématique dans une échelle temporelle indispensable pour définir les causes du départ de l’espace d’origine, dans leur complexité (étapes historiques, acteurs). La mobilité spatiale et le territoire mobile

Cette approche est au cœur de notre étude. La mobilité chez les maasai est une composante importante de leur identité elle intègre leur technique de production, leur savoir faire, et tient une place centrale depuis toujours dans leurs pratiques spatiales. Nous ne considérons donc pas la mobilité étudiée comme un phénomène nouveau. Nous nous interrogeons sur le formes nouvelles de ces mobilités dans le cadre d’une libéralisation de l’économie. Cela fait appel à une lecture des démarches des différents acteurs aux différentes échelles (locale, nationale, et régionale, et parfois internationale) qui structurent le territoire mobile. Les formes et dynamiques de la mobilité sont décrites: réversibilité, durée, fréquence, saisonnalité, passage etc. également réseaux, champs et système de la mobilité. L’approche socio anthropologique

On ne peut pas définir la pauvreté des pasteurs, ni vérifier l’opportunité du déplacement du pasteur en ville, sans connaître sa position sociale et familiale en fonction de sa classe d’âge, et de sa position par rapport à ses frères. Il est primordial de bien connaître les relations de responsabilités et dépendances, et la structure familiale dans lequel s’inscrit l’informant pour mesurer l’enjeu que représente sa mobilité en ville.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 44

Les représentations Les Maasai ont construit les représentations du monde, et donc

de la ville, dans l’espace pastoral. Quelle est la rencontre entre représentations et pratiques de la ville ? Comment les habitants de la ville, non maasai se représentent à la fois ce peuple, et son incursion dans leur espace ? Comment l’identité maasai, pastorale, se construit dans ces rencontres ? Peut-on être morane et habitant de la ville ?

Les outils méthodologiques L’entretien — libre ou semi dirigé — est notre outil méthodologique principal. Ponctuellement, ces entretiens nous permettent de construire une approche quantitative, par des questionnaires, pour vérifier des intuitions ou travailler avec des échantillons plus importants. le récit de vie, autour de thématiques variées, et parfois changeantes, selon l’évolution de l’information recueillie, ou des données saisonnières locales (sècheresse).

Nous « partons » des maasai walinzi en ville. Leur groupe de réunion sert de plateforme d’organisation (approche participative) d’enquêtes individuelles, et d’observatoire du phénomène de mobilité en ville. Nous remontons l’histoire de leur mobilité individuelle et familiale, et les activités/lieux pratiqués, grâce à des entretiens répétés. Puis nous enquêtons dans les villages d’origines des informants, pour vérifier les informations recueillies, et les compléter auprès de divers acteurs (pastoralistes, agriculteurs, autorités locales, compagnies de chasse, etc.).

Les enquêtes s’organisent autour de trois espaces dans le cas des walinzi de Ketumbeine. Dans l’espace de départ, nous avons retenu quatre villages répartis sur la montagne de Ketumbeine et la plaine qui l’entoure : deux dans les hauts (Olchoro Nyoikie, et Elang Atadapash, caractérisé par l’agro pastoralisme, espace de refuge des pasteurs des plaines dans années 80 – 90, et de conquête agricole par les WA Arusha du Mont Meru) et deux autres dans les bas (Noondoto, et Orkeju Loongishu, où domine le pastoralisme). Dans l’espace d’arrivée, la ville, nos informants sont les walinzi, les acteurs officiels (ONG, Eglises, Etat) et les commerçants de tanzanite. Dans les espaces de l’itinéraire, délimité par les deux précédents (axe de communication, parcours des animaux vers les marchés etc.).

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ETUDES URBAINES

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.43–48

Pratiques et formes urbaines dans un contexte de mondialisation :

Exemple de Dar es Salaam, Tanzanie

Cécile ROY

« Dar es Salaam semble avoir été oubliée du monde. Qui connaît Dar ? Ici, point de guerre, ni de dictature, les médias internationaux ne posent pas les yeux sur un « havre de paix ». Mais pour les (gens) de ce vaste pays, l’un des plus pauvres du globe, Dar existe bien dans le bruit, la fureur…et la lumière. Une ville aux mille opportunités, où tout est possible (…) »31

Si peu de gens ont entendu parler de Dar es Salaam, tout le

monde connaît le terme « mondialisation ». Non seulement le processus se développe aujourd’hui sur toute la planète (Paul Valéry déclarait déjà en 1931 : « le temps du monde fini commence »), mais encore provoque t-il des modifications visibles dans les sociétés et leurs fonctionnements, tant au niveau politique qu’économique ou culturel. « Quand un mot devient populaire, c’est souvent parce qu’il capte la mise en place d’un important changement du monde. Une nouvelle idée doit décrire un nouveau fonctionnement. 32»

Ainsi, la mondialisation doit-elle s’appréhender comme source de nouveaux questionnements pour la science et notamment en géographie. Parmi les objets clefs de la discipline, la ville ou les espaces urbains jouent un rôle considérable dans la diffusion, la gestion et la valorisation de la mondialisation. C’est également en ces lieux de 31 Avoir 20 ans à Dar es Salaam, F. Noy, K. Mlenzi, F.W. Simbeye, Editions

Alternatives, Charles Léopold Mayer, Paris, 2001, 95 p. 32 J.A. Scholte, “The Globalization of World Politics”, in Baylis, J., Smith, S.

(eds.), The Globalization of World Politics. An Introduction to International Relations, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 14

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LES CAHIERS DE L’IFRA 44

concentration que les gens peuvent s’approprier toutes les échelles (du local au global) ainsi que de toutes les métriques (du territoire au réseau).

Notre travail porte alors sur les modalités d’une (re)lecture d’un espace urbain dans un contexte de mondialisation. Quels phénomènes serait-il pertinent d’étudier ? Comment différencier ce qui relève de la mondialisation et ce qui correspond à des évolutions déjà en cours ? Au total, qui fait la ville aujourd’hui et comment la mondialisation la transforme t-elle ? De fait, nous ne réfléchissons pas tant sur les processus de création de mondialités (qui correspondraient aux différents états de la mondialisation) mais sur les conséquences de celles-ci sur la ville et ses habitants.

Mais avant d’aller plus loin, penchons-nous d’abord sur la signification du terme mondialisation. Une analyse diachronique permet dans un premier temps de mettre à jour les différentes périodes phares dans le bouclage de la planète, elle permet ensuite de comprendre les éléments neufs du processus actuel. Au regard de ces derniers, la mondialisation apparaît alors comme un processus complexe et protéiforme, au sein duquel l’adoption d’une pensée basée sur la complémentarité de phénomènes opposés devient indispensable : le local et le mondial, l’uniformisation et la différenciation, la connexion ou l’enfermement sont autant de dynamiques contradictoires constitutives d’un seul et même phénomène.

La nouveauté du processus et ses conséquences se lisent concrètement dans la ville et ses paysages. D’un côté, l’abolition de la distance, vécue ou perçue, modifie les temporalités et le rapport à l’espace (par l’emboîtement de différents niveaux scalaires). De l’autre, la mise en place d’un référent spatial commun à toute l’humanité opère, par un mouvement de rétroaction positive ou négative, une valorisation des lieux et des différentes cultures locales. Enfin, la composante économique de la mondialisation, à travers la diffusion et la généralisation du credo libéral, véhicule toute une série de codes, de normes et de valeurs que certains souhaiteraient volontiers universels. De la mondialisation comme processus, état ou idéologie, les conséquences géographiques et sociales apparaissent clairement dans les espaces urbains.

Encore nous faut-il dégager des critères d’étude à la fois pertinents et significatifs pour lire la mondialisation à l’intérieur même des espaces urbains et analyser comment le processus les modifie ou

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45 PRATIQUES ET FORMES URBAINES

non. C’est ainsi que nous retiendrons deux éléments qui font la ville aujourd’hui. Il s’agit d’un côté des habitants et de leurs pratiques (auxquelles nous pouvons ajouter leurs représentations) et de l’autre la morphologie ou les formes urbaines. Deux volets qui fabriquent, font évoluer et donnent du sens aux espaces urbains. Par ailleurs, chacun des deux critères choisis se développe dans un mouvement de nouvelles configurations spatiales, de nouvelles articulations entre local et global ; des pratiques sociales innovantes émergent tout comme des nouveaux lieux de pouvoir. Pratiques et formes urbaines dans un contexte de mondialisation donnent ainsi naissance à une réinterprétation des espaces et participent ensemble à la création d’une nouvelle géographie de la ville.

D’un point de vue relatif au terrain, l’intérêt de Dar es Salaam réside dans l’expression du paradoxe d’une périphérie mondialisée. Par ailleurs la ville présente des aspects historiques et culturels intéressants : les échanges intenses et anciens, avec l’Inde et le Moyen Orient notamment, ont formé la civilisation swahilie dès le 15ème siècle. Cette forme de mondialisation par le boutre joue un rôle non négligeable aujourd’hui. Par ailleurs, la Tanzanie possède une véritable « culture politique » (Martin, 1988) héritée de la période Nyerere : le socialisme Ujamaa a non seulement marqué les mentalités, mais a aussi véhiculé une certaine idée du monde et de la ville.

Principaux pôles économiques de la Tanzanie, les grandes villes du pays concentrent des activités économiques variées. Elles regroupent dans un second lieu l’accès facilité à l’information sous toutes ces formes et démultiplient les champs du possible. En ce sens, la population les considère comme un symbole de modernité et de potentialités, où les rencontres peuvent offrir un avenir meilleur. Dar es Salaam en est peut être la meilleure illustration. Pour les Tanzaniens, Dar es Salaam est Bongoland : la ville où, pour réussir, il faut mettre en œuvre toute son énergie, sa perspicacité. Les habitants diront qu’ « il faut savoir utiliser son cerveau » (du swahili Bongo signifiant cerveau, intelligence). Il s’agit d’une capitale économique forte de trois millions d’habitants où se regroupent les principaux ministères (la capitale politique, Dodoma, n’abritant que le Parlement), toutes les ambassades, les grandes entreprises, la principale université. C’est ici que les modes se dessinent et ce sont les habitants de Dar que l’on envie et que l’on imite. Une centralité attisée par la croissance urbaine et les migrations, c’est également le lieu où l’on voudrait être, surtout pour les jeunes. Aujourd’hui, la ville s’ouvre, voire même s’offre au monde, le chemin a été long et difficile.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 46

De part sa polarisation forte à l’échelle nationale, nous réalisons que Dar es Salaam est l’incarnation même de cette ouverture au monde, un espace privilégié où peut se lire la mondialisation. Dans le même temps, la ville se situe en position marginale dans un espace mondialisé : une situation paradoxale dans laquelle Dar es Salaam revêt en même temps mais à des échelles différentes deux rôles bien distincts voire contradictoires. Un jeu d’échelles intéressant puisqu’il replace une périphérie de l’espace monde au centre de celui-ci, selon un procédé qui nous oblige nous même à nous abstraire autant que possible de notre espace référentiel.

La mondialisation transforme par ailleurs la ville de façon très rapide, l’échelle temporelle de ces changements se calque d’ailleurs sur notre propre échelle temporelle de recherche, une synchronie qui, pour nous chercheur, devient source d’un vertige tout aussi stimulant que déconcertant.

Notre travail se déroule ainsi en trois grands étapes : des concepts au contexte, nous exposons dans un premier temps les problématiques urbaines en relation avec la mondialisation. Véritable regard sur le monde, elle doit être située dans le temps et l’espace physique et symboliques des acteurs concernés, « du même coup, nous basculons de la mondialisation entendue comme modèle unique vers la diversité des pratiques locales qui viennent décoder tout modèle global intrus » (Panhuys, Zaoual, 2000, p.15). Nous entrons ensuite à Dar es Salaam par le biais des pratiques urbaines en prenant l’espace public et l’espace domestique. Par ailleurs nous nous interrogeons sur la pertinence d’une analyse suivant les différentes communautés présentes en ville ainsi que suivant les quartiers urbains. De la mondialisation par procuration à la mondialisation ignorée (ou le local exalté) en passant par la mondialisation domestiquée (au sens de domus : habiter), nous tentons de définir une certaine typologie des pratiques urbaines vis-à-vis du processus. La façon dont les habitants réagissent, intègrent et gèrent la mondialisation influe dans un dernier temps sur les morphologies urbaines. Nous tentons d’analyser en quoi les bouleversements contemporains « transforment les formes ». Au niveau de la gestion urbaine, quels sont les acteurs des transformations en cours et quels sont leurs buts. Au total, nous réalisons que les effets de la mondialisation participent à la création d’une nouvelle géographie de la ville à travers l’émergence de nouvelles centralités et le renforcement d’autres, de recompositions territoriales jouant à leur tour, à des degrés divers, sur les pratiques des citadins.

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47 PRATIQUES ET FORMES URBAINES

Le choix de notre ville, nous l’avons vu, n’est pas anodin. Cependant, les phénomènes locaux étudiés trouvent des échos dans des analyses élaborées dans différentes localités telles que l’Afrique du Sud (Benit, Gervay-Lambony, 2003), la Corée du Sud (Gelézeau, 2001) ou le Mexique (Garcia Fuentes, Pérez Medina, 1998). L’objectif de notre travail est donc double : mettre en exergue les dynamiques en cours à Dar es Salaam tout en insistant sur les redondances constatées dans d’autres villes en marge de l’espace-monde.

Bibliographie indicative Beaud M., Dollfus O., Grataloup C., Hugon Ph., Kébadjian G., Levy J.

(coor.), Mondialisation, les mots et les choses, Karthala, GEMDEV, 1999, 356 p.

Benit C., Gervay Lambony P., La mondialisation comme instrument politique local dans les métropoloes sud-africaines (Johannesburg et Ukhuruleni) : les « pauvres » face aux « vitrines », Annales de géographie, n° , novembre-décembre 2003, Paris, Armand Colin, p. 628-645.

Braudel F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV-XVIII siècle, 3. Le temps du monde, Armand Colin, Paris, 1979, 922 p.

Dorier-Apprill E. (Dir.), Vocabulaire de la ville, Notions et Références, Edition du temps, Paris, 2001, 189 p.

Garcia Fuentes A., Pérez Medina S., Ségrégation urbaine et « modernisation » : le cas de Mérida, Yucatán, Annales de géographie, juillet-août 1998, n° 602, Paris, Armand Colin, p. 431-445

Gelézeau V., La modernisation de l’habitat en Corée du sud. Usage et image des appartements de type occidental, Annales de géographie, juillet-août, n° 620, 2001, Paris, Armand Colin, p. 405- 424.

Ghorra-Gobin C., Réinventer le sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale, l’Harmattan, Paris, 2001, 266 p.

Lévy J., Lussault M. (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, Paris, 2003, 1033 p.

Martin D.C, Tanzanie, l'invention d'une culture politique, Presses de la fondation nationale des sciences politiques et Karthala, Paris, 1988, 318 p.

Publications

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LES CAHIERS DE L’IFRA 48

C. Roy, Réseaux sociaux et mondialisation dans une périphérie du monde : exemple des associations de Kiwalani (Dar es Salaam, Tanzanie), in Afrique des réseaux et mondialisation, F.Bart, A. Lenoble Bart (dir.), Karthala-MSHA, 2003, 204 p., p. 119-130.

C. Roy, La mondialisation depuis sa périphérie, ou les dynamiques locales de la mondialisation à Dar es Salaam (Tanzanie), Action Concertée Initiative Ville, Allocataires de thèse 2003, Ministère de la recherche, 2003, 198 p., p. 166-170.

A. de Cauna, C. Roy, Rencontres urbaines, les leçons de Dar es Salaam, Port Louis et Saint-Denis, Les cahiers d’outre-mer, Janvier-Mars 2004, 57ème année, 2004, 112 p., p. 32-52.

C. Roy., Etude spatio-temporelle de la rencontre à Dar es Salaam, Les cahiers d’Afrique de l’Est, IFRA, n° 25, Varia, Septembre 2004, p. 43-53.

C. Roy, Etude socio-spatiale des écoles publiques à Dar es Salaam, in Calas B., Dar es Salaam, les territoires d’une agglomération portuaire, Paris, Karthala, à paraître.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.49–54

Informal settlement upgrading and low-income rental housing in East Africa

Theoretical implications and empirical evidence of a comparative study of the impact and untapped

potentials of upgrading projects in Dar es Salaam (Tanzania) and Voi, Kenya

Rasmus PRECHT

Policies aimed at providing housing to low-income households in developing countries, either directly through the public sector or through promotion of private investment into housing, have not been able to meet the ever growing demand for affordable shelter. Most developing country governments, influenced by policy recommendations from international organisations, have gone through the same approaches to low-income housing. Until the 1960s, they practised slum and squatter clearance, and tried to re-house residents in public housing projects, either in rental units or in purchase dwellings. Socially and economically unviable, this approach was abandoned in favour of site-and-service projects that were implemented in the 1960s and 1970s. These were often combined with infrastructure-based settlement upgrading projects, but the approach was capital-intensive and implemented in a top-down manner. Consequently, the lack of ownership led to lack of maintenance and the improvements were unsustainable and insufficient in number. Based on the enabling approach formulated by the UN in 1988 as part of the ‘Global Shelter Strategy for the year 2000’, participatory or community-based settlement upgrading has been the new paradigm since the 1990s.

Research has shown that for a large number of new urban residents, rental accommodation provided by private low-income landlords in informal settlements constitutes the only form of

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LES CAHIERS DE L’IFRA 50

affordable shelter in the city. In some regions, tenants are the majority in informal settlements. A significant proportion of the world’s urban poor may not be able to afford property ownership, or may have household priorities more pressing than that. Therefore, rental housing is the most logical solution for these households (UN-Habitat 2003a, xvii).

Research and policy have long been almost entirely focused on state-aided self-help housing construction as a process towards home ownership. Until the 1980s, research and policy dealing with informal settlements neglected the rental sector (UN-Habitat 2003b, xxii). The results of this neglect were two-fold: There was ignorance about tenants and their living conditions; and those who provided rental accommodation, and as a consequence of this lack of knowledge, there was disinterest on the governments’ side in rental issues, except to convert tenants into homeowners. It was only in the 1980s and 1990s that a lot of work on the functioning of informal rental housing markets was carried out (UN-Habitat 2003b:1). There is recent documentation on who are the actors, their respective strategies and practices, as well as landlord-tenant relationships under certain circumstances. Despite this progress in research, there is still little knowledge about the programmes that might benefit landlords and tenants in informal settlements. Consequently, policies and programmes at national and local level promoting this form of residential tenure are still rare, and aid programmes for rental tenure remain a neglected element of international assistance (UN-Habitat 2003a:166). Governments and international organisations are slowly beginning to recognise the important role played by the rental sector in informal settlements.

In the cities of developing countries facing severe shortages of housing affordable to low-income households, there is a need to increase the quality and quantity of the rental housing stock. One type of project that could promote rental housing is settlement upgrading. Designed under the ideological paradigm of self-help construction of owner-occupied homes, most upgrading programmes’ intervention measures were aimed at helping owners build or improve their houses. Targeted support measures for landlords and tenants as part of upgrading projects were lacking in most projects. Accordingly, evaluations of upgrading projects have not paid systematic attention to the effects on the rental housing sector in the upgraded settlement (UN-Habitat 2003b:145). Moreover, research has not yet looked in

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51 INFORMAL SETTLEMENT UPGRADING, RENTAL HOUSING

detail at the untapped potential for the promotion of low-income rental housing that arises at the moment of the upgrading intervention.

The main objectives are to analyse the changes in the rental housing market in unplanned areas after upgrading and to look at the potential for promotion of the rental housing sector. The specific objectives are:

To assess the quantitative and qualitative changes in the rental housing stock that occur as the response of landlords to increased demand for rental units in the upgraded settlements.

To explore the degree to which tenants are evicted through market forces.

To evaluate the (untapped) potential for the promotion of rental housing provision in upgrading programmes, with a view of identifying tools for future “rental-sensitive” settlement upgrading. It is widely recognized in the existing literature that upgrading

programmes cannot succeed without embracing renting because so many tenants live in unplanned settlements. This is in stark contrast to the fact that most developing countries’ governments and international development agencies are silent on the matter of rental housing. The World Bank, for example, did carry out some important research on rental housing in the past, and its influential policy statement of 1993 did, occasionally, refer to rental housing. However, the Bank has been virtually silent on the issue ever since and has certainly not provided any loans to support the rental-housing sector (UN-Habitat 2003b:181). This study should be of current interest as the World Bank has recently completed a major evaluation of the long-term impact of self-help upgrading in sub-Saharan Africa and is engaging again in the financing of these operations (World Bank 2002), as in Dar es Salaam where a World Bank loan will finance the city-wide upgrading of informal settlements with implementation starting this year.

Few NGOs are currently supporting low-income rental housing. At present, many NGOs seem to be as incognizant to the issues of rental housing as national governments. NGOs involved with tenant organizations, for example, tend to be confrontational, challenging landlords to improve conditions and lower rents. This is largely a consequence of those organizations being most active in central areas, where the different interests of landlords and tenants are most brutally exposed. But NGOs concerned with developing self-

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LES CAHIERS DE L’IFRA 52

help housing options seem to do little to encourage rental housing. They normally only develop programmes for owner-occupation and when they do directly address the problems of tenants, most come up with proposals to turn the tenants into owners (UN-Habitat 2003b:181).

Rental housing has not had an adequate place in the debate on poverty alleviation. Renting in most developing countries is an activity predominantly involving two sets of poor people. Poor landlords produce rental housing for poor tenants. Since the rents of one set of poor people help sustain the incomes of another set of poor people, the role that housing plays in income-generation and household budgets is very important. However, recent debates about poverty alleviation are all too likely to omit the housing question altogether (UN-Habitat 2003b: 179). For UN-Habitat, the rental issue is of importance in the implementation of its Global Campaign for Secure Tenure. In this context, the agency calls for more thinking on the trade-offs between security of tenure and affordability of rental housing and what can be done to mitigate the possible conflicts of interest that may arise between landlords and tenants as a result of the Campaign (UN-Habitat 2003a: xxi). This coincides with the larger framework of the Millennium Development Goals of which Target 11 envisages the improvement of the lives of 100 million slum dwellers by the year 2020. UN-Habitat has also recently launched a sub-regional initiative ‘Cities without Slums’ for Eastern and Southern Africa, which aims at large scale upgrading of informal settlements.

So far, I have undertaken empirical research in the unplanned settlement of Hananasif in Dar es Salaam, Tanzania from December 2004 to February 2005. This settlement was upgraded from 1994 to 2000. In a community-based effort, the area was equipped with storm water drainage to put an end to stagnant waters after heavy rains, and with access roads and water distribution points (water kiosks). After a first phase during which I studied research documents and other material found at the University College of Lands and Agricultural Studies, and consultations with local researchers who have worked on related issues in the past, I conducted in-depth interviews with local leaders (sub-ward and Ten-Cell leaders) in the upgraded settlement. The insights gained from these interviews informed the design of three structured questionnaires, one for landlords, one for tenants and one for property owner who do not rent out rooms. A 5%-sample of 100 households has been randomly selected. So far I have administered the questionnaires to 50 households.

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53 INFORMAL SETTLEMENT UPGRADING, RENTAL HOUSING

In order to ensure that the documented impact on rental housing is truly the result of upgrading, I will have to conduct some comparative research in an unplanned settlement that has not been upgraded yet. The Dar es Salaam City Council is currently preparing the upgrading of 16 informal settlements in Dar es Salaam as part of the World Bank-funded Community Infrastructure Upgrading Programme (CIUP). I have identified one area that has similar characteristics to Hananasif. After completion of the survey in Hananasif, I will study the changes that occurred in this area since 1994 in order to produce data for cross-settlement comparison.

The evaluation of in-depth interviews and the first 50 questionnaires shows the following trends:

i. The rent level has approximately doubled since 1994. Improved accessibility and infrastructure has attracted wealthier tenants and encouraged landlords to create more and better rental accommodation. Existing landlords have improved and enlarged their rental units, and property owners who did not let rooms before 1994 (or those who settled in the area later than 1994) have become landlords. Thus, there seems to be a positive impact on the increase and improvement of the rental housing stock.

ii. Gentrification and upward filtering of housing stock seems to have occurred. Clear estimates are difficult to establish at this stage of the research, but the larger majority of property owners seems to have held on to their homes. Tenants appear to be more affected. According to remaining tenants and landlords, quite a number of tenants have moved out of the settlement since 1994. Some of these tenants only left because of the increased rent level.

iii. The Hananasif upgrading project has not included promotion of rental housing. The survey shows that almost all landlords and many property owners would have been interested in receiving support to increase and improve their rental housing stock. Most of them struggle to find finance for their rental projects. At the same time, income from the letting rooms constitutes an important source of money for many landlord households. For many landlords who retired from work in other sectors, renting out rooms is their only source of income. This reflects the needs of landlords for facilitated access to credit that suits their financial situation. Access to formal credit is still a major obstacle for house owners in unplanned settlements. Income from informal sector activity is not accepted as collateral, which includes receipts for income through informal renting. Hananasif landlords would prefer short-term loans that they can service at small monthly

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LES CAHIERS DE L’IFRA 54

repayment rates. The rent of a certain number of the rooms rented out should go straight to servicing the loan. In case of defaulting, the landlord could be requested to hand over ownership of his rooms to the agency running the loan scheme. Thus the rental rooms themselves would serve as collateral. If such a rental housing loan scheme could have been implemented in Hananasif in the beginning of upgrading, affordability and cost recovery would have been improved by enhancing the house owners’ income and thus capacity to financially contribute to upgrading. This approach would have been compatible with the current enthusiasm for micro-credit. In Eastern Africa, there is an upgrading initiative that has

explicitly focused on rental housing promotion. The Mewani Squatter Resettlement Programme in the secondary town of Voi in Kenya, a cooperative housing society organizes the construction of two-room dwellings for poorer members of a squatter community. While the family occupies one room, the other is rented out. The rental income is used to repay the loans. This programme started in 2000 and was voted one of the “Best Practices 2000” by UN-Habitat. After completion of the research in Dar es Salaam, I will look at this project in order to find out how successful the implementation has been so far and which lessons can be drawn to design rental housing promotion elements that can be integrated into future upgrading programmes in sub-Saharan Africa and elsewhere in the world.

Another interesting initiative would be the Alexandra Renewal Project in Johannesburg, South Africa. In 2003, considerations were underway to encourage small-scale private landlords to build or upgrade property to accommodate up to six tenants (UN-Habitat 2003b:146). Although Alexandra lies outside of the coverage area of IFRA, I am looking into the possibility of including it into my research project later this year.

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55 INFORMAL SETTLEMENT UPGRADING, RENTAL HOUSING

References UN-Habitat (2003a), Facing the Slum Challenge: Global Report on

Human Settlements, Nairobi: UN-Habitat 2003.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.57–62

Gender dynamics in home ownership in Kampala, Uganda

Florence Akiiki ASIIMWE

This research is about gender inequality in homeownership in Kampala, Uganda. Its main objective is to look at factors that inhibit or enable women and men to own houses in Kampala. It is reported that an estimated 85% of housing units in the country are owner occupied representing a stable, secure formal tenure.33 According to the 1991 Housing Census, women headed households account for 70% of renters compared to 30% of men. In terms of ownership, females account for 35% of owners as opposed to 65% of men. It should be noted here that another Population Census was carried out in 2002 but results are yet to be analysed and put to public use. According to the World Bank report, only 7% of women own land in Uganda.34 However not much is known about the gender dynamics of ownership of this land in Kampala. Based on the national statistics of land ownership it can be logically deduced that the same trend of land ownership disparity might exist in Kampala. Lack of ownership of land could also point to lack of ownership of housing. The Uganda Government is at the forefront in addressing all sorts of gender inequalities in all sectors of the economy. To do this a number of affirmative action policies have been designed. It is surprising to see that despite of all these efforts gender inequality in homeownership is evident and persists. Today there is a debate in Parliament on co-ownership of land, but it has dragged on for such a long time forcing one to believe that this is a very tricky issue to decide on. What makes it tricky is the resistance of men and some women parliamentarians to accept co-ownership of property like land and housing. So while we talk of affirmative action policies, when it comes to ownership of land and housing, what we get are double standards especially in regard to married couples. 33 The National Report ISTANBUL+5,(The Republic of Uganda, 2001), p.3 34 Uganda:Growing out of poverty,(Washington, D.C.: The World Bank, 1993)

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There is significant agreement that in many societies both developed and developing, ownership of housing is unequal. However in some cases there is no evidence to show the extent to which this inequality in homeownership is in terms of gender dynamics and more so in urban areas. The Executive Director of UN–Habitat commented that, although the fundamental human rights of women are recognised many women still suffer from the consequences of traditional prejudices and practices and this is more evident in the area of ownership and inheritance of property like land and housing.35 She further notes that although these rights are recognised at the international level, their translation into domestic legislation and policies and their local implementation remain difficult in most parts of the world. However, even where positive legislation exists there are still many factors that limit women’s access to ownership of property.36

Until recently studies in the United Kingdom studies show that women were dependent on men for housing, and where women could afford to enter owner occupation, they tended to buy cheaper, older properties often with missing basic amenities like central heating.37 In Australia studies show that although the government has tried to reduce income discrepancies among men and women through various policies like ‘equal pay’, home purchase is increasingly beyond the means of most single women and more especially lone mothers. The single women who manage to buy or own are separated, widowed, divorced and hence own largely through divorce or maintenance settlements. In the United States of America, it has been noted that although women are becoming first-time homeowners at a faster rate than the general population, the homeownership rate for all women still lags below the national average. It is also noted that despite the progress of women in owning homes and while the single women are closing the gap in this regard, women with children are among the least likely to own homes.38

35 Benschop, M., Rights and Reality: are women’s equal rights to land, housing

and property implemented in East Africa? (United Nations Human Settlement Programme UN-HABITAT , Nairobi, 2002).

36 Ibid. 37 Little, J., Gender, Planning and the Policy Process, (Elsevier Science, London,

1994), p.157 38 Reitz, J., “Women and homeownership”, McAuley Institute 2000.

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59 GENDER DYNAMICS IN HOME OWNERSHIP

While in developed countries homeownership has more to do with income, in many African Societies customary laws and tradition still play an important role in land and housing ownership. Throughout Sub- Saharan Africa, data indicate that, women’s access to and ownership to land and property is severely limited mainly due to customary laws and unfair practice of statutory laws. In Nairobi, for example in 1983 men owned 80% of privately owned housing, while women owned 20% because of customary laws.39 In Nigeria, and Malawi, recent studies show that even when married women contribute to house construction, they are not expected to own the houses but only have access.40

In societies, which ascribe to democratic principles, irrespective of ones marital and gender status, citizens who can afford to own houses, can do so without any difficulties. In most countries there are no legal or cultural barriers that stop either women or men from owning property. Whilst in Uganda, the state policy states that every citizen has the right to own property, in particular houses, the general perception is that women tend to be users rather than owners. For example, although married women live in a house with their husband, they do not actually own the house but simply live in it. If a husband dies, his wife may not always have the right to inherit the house but instead it will be her sons who inherit it. Where a woman has no sons the house may be given to her brother in-law or a male relative of the deceased. This means that women do not own the house but only have access to it. The gender inequality comes about because traditionally women only enjoy the use of a house but may not own it.

The other alternatives to home ownership that are most prevalent are direct purchase or ownership under a mortgage scheme and even here women are disadvantaged. Women are the least educated, the most illiterate, and many times have the poorest paying jobs and thus are not able to buy land or buy a house like their male counterparts.

Apart from the above inequalities, women face cultural taboos that are often associated with women owning land and housing. For

39 Republic of Kenya, National Report prepared for the Fourth World

Conference on women, 1994, Nairobi, p.25 40 Orumari, Y., “The Invisible Contribution of Married women in Housing

Finance and Its Legal Implications: A Case Study from Port Harcourt, Nigeria”, Shelter, Women, and Development Dandekar, H., (ed.), (Ann Arbor: George Wahr Publishing Co. 1993).

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example, those women who are known to own property tend to be given derogatory names and are not regarded in the same high social esteem as men. In some cultures it is said that a woman who owns land will not be respected, and that woman with land are deemed to be big headed and difficult to manage and control.

While it is reported that in Kampala there has been an increase in homeownership little information is available on this ownership in terms of gender dynamics. Related to this there is also lack of information on the factors that inhibit the different categories of men and women owning houses in Kampala. Considering the heterogeneity between men and women the influence of these factors may vary greatly within each gender category. This research therefore will go a long way in filling this information gap.

Literature review This section highlights the relevant sociological literature on homeownership covering international literature and Uganda in particular. It gives a discussion on the various factors that have been identified in the literature accounting for the gender inequality in homeownership. In reviewing the literature, emphasis has been placed on the literature that relates specifically to gender inequality and homeownership. In the literature a number of arguments and debates have been presented to explain why there is inequality between men and women not in terms of accessing housing but in owning housing. Gender inequality in home ownership has been attributed to several factors ranging from the cultural, economic and legal to the psychological. Although these factors are diverse in nature they are interrelated and they reinforce one another to bring about the gender inequality in homeownership.

The literature is presented in relation to the following factors: Income, discrimination, skills, and education. Statutory and customary laws Land as collateral for loans Psychological factors

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61 GENDER DYNAMICS IN HOME OWNERSHIP

Research gap The above literature offers some useful insights in understanding the dynamics of inequality that exist among women and men in owning housing. However, the major gap in the Uganda literature is the inability to explain how the factors mentioned as causing inequality influence and impact on the different groups of middle-income men and women in relation to home ownership in Kampala. That is, how do the factors inhibiting or enabling house ownership impact on single men, single women, married men, and married women). In Kampala, no data collection and comparative analysis efforts have been geared to investigating factors that inhibit men and women in owning housing. Studies in Uganda that came close to explaining the gender variations in homeownership only looked at one type of ownership. Moreover, the respondents were from low-income areas where the majority do not possess title deeds. With this kind of study population it is difficult to discern different gender dynamics in housing ownership. Data for this study will on the contrary be collected from respondents who legally own houses with title deeds and those who are renting.

While there have been a few studies carried out on gender and homeownership in Uganda, most of these studies have been descriptive and lack a detailed analysis of the issues in question. They have not gone in-depth to explain the experiences, views, and perceptions of the various categories of gender in relation to homeownership. That is, they fail to give a comprehensive analysis of the gender dynamics in homeownership. If one is have a proper assessment of inequality in homeownership, there is a need to bring everyone on board and this is the contribution of this study.

In addition, most of the studies have been carried out in low-income areas, which is not the main focus of this study. Low-income housing studies tend to focus on housing access than ownership and in these areas most of the respondents tend not have title deeds. Further more, most of the studies had their focus mainly on women headed households. This study does not only look at this category alone but all categories of gender. This study intends to get the different perceptions, experience of the different categories of men and women that include single men and women: widows, widowers, married men and women about homeownership. In so doing new knowledge will have been generated.

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On the other hand, studies that been carried out else where, have given some insight on dynamics of homeownership but the only problem is that they have been conducted in different social contexts. Findings of this study will be compared with the findings of these other studies.

Area and population of the study The Study will be carried out in Nakawa one of the middle-income communities in the suburbs of Kampala the Capital City of Uganda. The research is interested in middle income areas because of the legal aspect of ownership. As noted in the literature having a title deed indicates ownership. In many low-income communities the legality of ownership is questionable or does not exist at all. The Nakawa division has been selected because of the land tenure system that exists here. Nakawa is one of the few divisions where land is held under leasehold and freehold systems. Most the land in Kampala falls under Buganda Kingdom and hence belongs to the King. Under this system no one is expected to lease the land. Recently however, people have been allowed to lease their pieces of land from Buganda land Board that acts on behalf of Buganda Kingdom. The second reason for choosing Nakawa as a study area is because it is composed of legal owners and renters. Lastly there has been tremendous increase in housing construction in Nakawa in the last ten years by individuals.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.63–69

Encadrements territoriaux, mobilités et perceptions des risques associés au VIH dans le

bidonville de Kibera, Nairobi

Matthieu MIRALLES

Les disparités de perceptions des risques sanitaires associés au VIH-SIDA sont au cœur de notre projet. Ce faisant, notre recherche à la croisée de plusieurs géographies- sociale mais aussi géographie de la santé — a pour dessein de contribuer à la compréhension d’une des composantes majeures de la violence — manifestée notamment par la prostitution — et de la crise urbaine des villes du monde tropicale. (Gallais, 1993) Mais avant de revenir sur les lignes de force de notre étude, il convient de clarifier cette notion de risque fondamentalement polysémique. Qu’entend-on par risques et perception des risques sanitaires associés au VIH-SIDA ?

De manière générale, un risque sanitaire désigne la probabilité d’un évènement sanitaire défavorable ou un facteur qui augmente cette probabilité. S’agissant du VIH-SIDA, les facteurs de risques — de contraction ou de diffusion — se manifestent principalement mais non exclusivement, après le jeu des facteurs biomédicaux, à travers les relations sexuelles non-protégées, le multipartenariat, la prostitution, la fréquentation des prostituées et l’alcoolisme (Zulu et al, 1999). Si l’épidémiologie place ses investigations dans les deux perspectives, les sciences sociales s’intéressent davantage à l’analyse des facteurs de risques et donc aux comportements. Alors que l’épidémiologie part des contaminations effectives pour qualifier le risque et analyser les facteurs de risques, les sciences sociales posent le sida comme une incertitude ou une menace à venir et raisonnent en se basant sur les comportements à risques et les perceptions des risques (Calvez, 2004).

Plusieurs études ont mis en évidence à l’échelle nationale et à l’échelle des bidonvilles de Nairobi le rôle prépondérant des migrations de concert avec d’autres facteurs sociaux dans la prévalence des

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principaux indicateurs de risques comportementaux. (Brockerhoff, 1997).

Cependant à notre connaissance aucune analyse mettant en relation représentations des risques associés au VIH-SIDA, mobilité et contextes sociaux susceptibles d’être territorialisés n’a été menée à Kibera. Dans ces recherches, le rôle de la mobilité est soit analysé dans une perspective diffusionniste — ces études dans une optique épidémiologique et de prévention identifient la dynamique de l’épidémie à travers les migrations — soit à travers la situation sociale des individus dont les pratiques migratoires sont considérées. Deux voies complémentaires, constitutives de cette deuxième approche, permettent de prendre en compte le rôle des pratiques migratoires et des faits sociaux tels que la prostitution et la multipartenariat dans l’analyse des risques. Une première voie consiste à s’intéresser à la dimension relationnelle dans lesquelles cette transmission est susceptible d’advenir. Une seconde voie prend en compte les modalités sociales, telles que les contextes socio-culturels illustrés notamment par les encadrements communautaires et les normes qui en découlent, intervenant dans les perceptions des risques de transmission du VIH.

De manière générale dans les sciences sociales, la conjonction du contexte social et de la mobilité induiraient soit des changements des comportements sexuels à risques soit une adaptation différente aux risques manifestée dans les représentations. S’agissant des comportements, ces recherches s’appuient sur des enquêtes quantitatives. L’analyse de l’adaptation aux risques, à travers les représentations individuelles, se base plutôt sur des enquêtes qualitatives. Notre recherche procède de cette deuxième approche. Elle vise à montrer que la mobilité et la diversité des situations sociales des individus, inscrites dans des matrices territoriales socioculturelles et socio-économiques, favoriseraient une adaptation aux risques hétérogène dans Kibera.

Ces deux phénomènes — migrations et différenciation socio-spatiale de la population — au cœur des recherches en géographie sociale et culturelle ont contribué à dessiner la morphologie socio-spatiale de la ville de Nairobi. Les migrations ont en effet participé au peuplement de la ville et à la formation de vastes bidonvilles. Au sein de ceux-ci, et notamment dans Kibera, se profilent des regroupements communautaires mais aussi une stratification socio-spatiale déterminée par les revenus. Nous formulons l’hypothèse que ces espaces au sein

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65 ENCADREMENTS TERRITORIAUX, MOBILITES, PERCEPTIONS, VIH

du bidonville sont démarqués par l’hétérogénéité sociale de la population, ses pratiques sociales et les encadrements communautaires.

Ce maillage socio-spatial hétérogène, susceptible de se manifester sous forme de territoire, coincide-t-il avec une différenciation spatiale des représentations des risques ?

Dans un premier temps, notre recherche a pour objectif de repérer des supports socio-culturels homogènes. Dans Kibera, ce phénomène se manifeste dans des quartiers tels que Kisumu Ndogo — le petit Kisumu — où la population luo serait prédominante. Le quartier de Raila serait lui en majeure partie habitée par de jeunes migrants luo.

Les données sociales, culturelles et économiques inhérentes à un territoire influenceraient et contraindraient des individus et des groupes à des adaptations différentes aux trois risques : multipartenariat et relations sexuelles non-protégées, prostitution. Ce risque, fréquent au sein de certains groupes de jeunes femmes, manifeste probablement la violence sociale qu’elles subissent au quotidien. En effet, si les indicateurs de risques du VIH-SIDA dépendent de facteurs immédiats de croyances, d’attitudes et de perceptions à l’égard du SIDA, ils sont aussi liés à des déterminants contextuels d’ordre socio-culturel et socio-économique (Lalou, 2003).

Dans le même temps, au regard de l’importance du fait migratoire dans l’histoire de vie des Kenyans résidant à Nairobi et plus spécifiquement dans le contexte de Kibera, notamment à travers le mouvement de va-et-vient — les migrations circulaires — avec les régions d’origine, notre recherche s’interroge sur le rôle de ce phénomène dans la différenciation des représentations des risques. En d’autres termes, au regard de l’extrême pauvreté de franges de la population de Kibera, les mobilités contribuent-t-elles à modifier l’adaptation aux risques, en raison notamment des conditions de survie imposées par ce milieu d’accueil aux migrants s’y installant ? Nous postulons ici que les représentations des risques et les pratiques qui en découlent peuvent être conditionnées par les pratiques migratoires susceptibles de vulnérabiliser les individus. Cette interrogation n’est pas donc disjointe de notre première perspective de recherche.

En effet, notre objectif général est d’analyser les interactions systémiques entre territoires, mobilité et représentations des risques. Selon, notre hypothèse la mobilité et le territoire, à travers l’histoire migratoire des acteurs et les contextes socio-culturels et socio-économiques, n’agiraient pas indépendamment comme ressorts de

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l’adaptation aux risques mais pourraient former un système susceptible d’induire des représentations différenciées des risques. Basée sur des méthodes qualitatives, notre enquête souhaite dégager les lignes de force de ce système. Les relations entre ces trois phénomènes ont déjà été mises en lumière dans les bidonvilles de Nairobi sans toutefois prêter attention à une différenciation socio-spatiale au sein même du bidonville de Kibera. (Zulu et al, 1999). En effet, l’enquête menée au sein de quatre bidonvilles — Kibera, Majengo, Kahawa North et Embakasi — a mis en lumière que l’extrême faiblesse des ressources économiques qui caractérise la vie de ces bidonvilles est un facteur favorisant les comportements sexuels à risques. Les migrants s’installent dans ces bidonvilles en raison du faible coût des loyers. Si les hommes ont plus de possibilités de trouver un emploi comme gardien ou dans des manufactures, les femmes pourraient parfois être contraintes de recourir à la prostitution — quand les petits travaux ménagers et les activités commerciales informelles ne leur permettent pas de subsister pour survivre mais aussi pour assumer les responsabilités familiales dont elles ont la charge.

Par ailleurs, outre les liens de réciprocité entre ces faits, l’intérêt de notre approche est de dresser une typologie des territoires en fonction des représentations des risques afin de dresser une carte des risques dont l’utilité a déjà été soulignée par Lagrange (Calvez, 2004).

Enfin, en filigrane de la question des relations entre risques et ces deux phénomènes constitutifs de l’organisation spatiale contemporaine des villes kenyanes, se profile un dernier enjeu. Celui de la gestion des risques par les encadrements entre les différents espaces pris en compte dans notre étude. Peut-on observer une différenciation spatiale ? Quelle est la part de l’implication communautaire et celle des pouvoirs publics ?

Notre problématique de recherche s’articule ainsi en trois grandes orientations. La première s’interroge sur la définition de cette catégorie de risques et les fondements d’une approche géographique des risques associés au VIH-SIDA, à travers les recherches faites dans les sciences sociales. A quelles conditions, cette catégorie de risques forme-t-elle un objet géographique ? Dans une deuxième étape, il conviendra de considérer les liens entre représentation des risques, mobilité et contexte social. Enfin le dernier axe de notre cadre conceptuel est fondé sur la pertinence du concept de territoire à Kibera. Ce phénomène est-il une clé d’analyse des représentations des risques?

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67 ENCADREMENTS TERRITORIAUX, MOBILITES, PERCEPTIONS, VIH

Objectifs et hypothèses Dans un premier temps, cette recherche a pour objectif d’identifier les unités spatiales homogènes au regard des traits sociaux, démographiques, économiques et culturels singuliers aux groupes y résidant. Au cours de notre deuxième étape, il s’agira de cerner l’adaptation aux risques parmi les personnes en situation de sédentarité et de mobilité, très probablement dans les quartiers de Silanga et de Gatwikira.

Selon notre hypothèse les données sociales, culturelles et économiques inhérentes à un territoire pourraient influencer les représentations et l’adaptation des individus et des groupes à des risques tels que la prostitution et les relations sexuelles non-protégées. Nous postulons en effet que l’adaptation individuelle aux risques est dépendante du contexte avec lequel l’individu interagit au même titre qu’elle peut être liée à son histoire de vie et à ses caractéristiques personnelles telles que l’âge et le genre. Selon notre deuxième hypothèse, les représentations des risques se modifient en fonction des situations de sédentarité ou de mobilité, mais aussi selon le type de déplacement. Les formes de mobilité considérées ici sont la migration interne et le déplacement de courte durée (Lalou & Piché, 2003).

Enfin, notre dernier objectif est d’analyser les interactions entre territoires, mobilité et adaptation aux risques et de cerner d’éventuels liens systémiques. Selon notre hypothèse la mobilité et le territoire, à travers l’histoire migratoire des acteurs et le contexte socioculturel, n’agiraient pas indépendamment comme facteur de risque mais pourraient former un système susceptible d’induire des risques différenciés spatialement. Il conviendrait, donc, de dresser une typologie des territoires en fonction des représentations des risques et des principaux facteurs la conditionnant. Dans cette perspective, le modèle de la formation socio-spatiale définie par Di Méo se profile comme une approche opportune pour les identifier. En effet, l’outil méthodologique constitué par la formation socio-spatiale permettrait « d’évaluer la dimension territoriale, d’en cerner le cas échéant les limites, de préciser ses logiques et ses lacunes. Cette grille d’analyse permettrait à notre recherche d’identifier les stratégies individuelles et de groupes. Elle pourrait permettre également d’identifier les réalités géo-économiques qui servent de support sensoriel et opérationnel aux pratiques et aux représentations sociales »(Di Méo, 2001).

Notre enquête sur l’adaptation aux risques s’appuie sur la typologie « grid group » définissant quatre types de contextes sociaux qui

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orientent et contraignent les possibilités d’actions des individus et les justifications qu’ils peuvent mobiliser. Ces contextes sont construits à partir des deux dimensions sociales des individus : l’appartenance ou non à un groupe, et la prescription ou non des rôles sociaux. L’analyse porte sur les réseaux sociaux déjà constitués et qui, pour la prévention, relèvent des groupes cibles (jeunes, femmes) repérés par l’épidémiologie. À partir de la monographie de chacun de ces groupes, l’étude cherche à rendre compte des filtres que chaque type de contexte social peut engendrer dans la perception des risques et dans l’interprétation des recommandations de la prévention. Cette méthode porte de façon centrale sur les relations entre les perceptions des risques et l’attachement à des types particuliers de relations sociales. La juxtaposition des différents contextes sociaux — si ceux-ci s’inscrivent dans les limites des quartiers de notre étude — exprimés au fil des discours pourrait être constitutives de territoires.

Pour appréhender les relations entre les mobilités, les contextes sociaux susceptibles de se manifester sous forme de territoire et les perceptions des risques, dans les différents groupes d’âge et de genre, des discussions de groupes ciblées sur les thèmes exposées et les pratiques migratoires — migration interne et de courte durée — peuvent être menées avec des hommes et des femmes de cinq groupes d’âge (13-17 ; 18-24 ; 25-49, 25-49 et 50 ans et plus). Deux autres enquêtes pourraient être menées avec des leaders communautaires et des acteurs sociaux et communautaires. De telles enquêtes pourraient nécessiter un interprète quant les pratiques exclusives par la population des langues vernaculaires le requièrent.

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69 ENCADREMENTS TERRITORIAUX, MOBILITES, PERCEPTIONS, VIH

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Calvez, M., 2004, La prevention du sida, les sciences socials et la definition des risques,Rennes, PUR, 196p

Di Méo, G, 2001, Géographie sociale et territoires, Nathan, Paris, 317p

Gallias, J., 1993, Les tropiques, terre de risques et de violences, Paris, Colin, 278p

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RESEAUX

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.71–75

L’impact des infrastructures sur les activités du lac Victoria dans le cadre de l’intégration

régionale

L’exemple de la pêche

Ronan PORHEL

De la nécessité d’une approche approfondie de l’intégration régionale dans les PED Depuis le rétablissement de l’ East African Community (EAC) le 30 novembre 1999, les trois États membres, le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie ont voulu redonner une pertinence à la stratégie d’intégration régionale. Alors que les expériences passées ont confirmé la faible efficacité des structures régionales sur le continent africain tant en terme d’accélérateur des échanges (commerce intra-régional inférieur à 10 %) que d’accélérateur de croissance d’après le premier rapport sur l’intégration régionale en Afrique préparé par la commission économique pour l’Afrique (CEA) présenté à Addis Abeba en mars 2002, les instigateurs de cette « renaissance » restent persuadés que la régionalisation pourra être le moteur de la transformation des économies nationales et le meilleur moyen à une insertion au sein de l’économie mondiale.

Néanmoins bien que la stratégie choisie suive fidèlement les grandes étapes de l’intégration institutionnelle (de l’union douanière à l’union politique), nous pouvons y relever une insistance particulière sur la coopération sectorielle s’appuyant sur l’apport des acteurs de la région telle qu’elle peut s’observer dans la SADC. Ainsi la volonté de se doter de structures institutionnelles indispensables à la création d’un environnement commun se doublerait de la mise en place de projets sectoriels régionaux tels que la gestion du Lac Victoria et la réhabilitation des corridors.

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L’intégration de ces espaces suppose de faire participer l’ensemble des territoires à la dynamique régionale en tissant un maillage d’infrastructures du local au régional : l’ensemble deviendrait de ce fait un grand marché susceptible d’exploiter toutes ses potentialités en terme de complémentarité de ses structures productives et permettre de concrétiser pleinement les avantages d’une région construite autour d’un pôle de croissance régionale. Un tel projet espère faciliter le flux des investisseurs étrangers indispensables au financement de nouvelles activités.

Au préalable cela nécessite de la part des pouvoirs publics de présenter aux éventuels investisseurs un espace non pas vierge mais comportant déjà des raisons de s’y installer. C’est à dire que les sous-régions défavorisées doivent s’inscrire dans cet espace en cours d’intégration en créant les conditions de leurs attractivités à partir d’un facteur qui prendrait en considération la composante spatiale de la croissance endogène : la mise en place d’un « capital public spatialisé »41 s’attachant au développement de services publics comme les transports, les télécommunications, la recherche etc…pourrait renforcer la productivité des autres facteurs et de ce fait les avantages du territoire. La stratégie 2001-2005 de l’EAC entre dans cette optique puisqu’elle cherche à améliorer la coopération en terme d’infrastructures.

Les nouvelles approches du régionalisme, s’inspirant largement de l’économie géographique considèrent comme majeur le rôle des infrastructures, particulièrement dans les PED. Les principales institutions internationales dont la Banque Mondiale reconnaissent que la croissance et le développement ne peuvent démarrer dans ces pays sans un investissement d’ampleur dans les infrastructures censées renforcer les conditions sociales de la population et améliorer la circulation des biens. Cette condition engage non seulement l’État mais également l’ensemble des acteurs privés susceptibles d’agir sur ces projets, notamment l’aménagement du territoire. Cela suppose une étude poussée des spécificités territoriales de la région.

De l’ensemble des moyens d’intervention du pouvoir régional, les infrastructures notamment de transports semblent les plus appropriées pour rendre un territoire compatible avec les exigences de compétitivité et de connexion des activités au marché national, régional ou mondial :

41 A Akanni-Honvo et A Léon (1998).

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73 L’IMPACT DES INFRASTRUCTURES ET PECHE

Les infrastructures peuvent-elles permettre à des activités d’atteindre une taille critique susceptible de leur faire bénéficier d’économies d’échelle, d’économies d’agglomération (en raison du développement des autres activités dans un même site) de manière à les rendre compétitives au niveau régional puis mondial.

L’impact des infrastructures sera efficiente, selon les études d’O.Hirschman42, à condition qu’une ou plusieurs « activités directement productives » (ADP) soient déjà existantes pour profiter d’une politique sectorielle. La faiblesse du potentiel d’investissement de la zone nous invite à choisir quel secteur serait le plus à même de bénéficier dans un premier temps et de diffuser par la suite des bienfaits d’un tel projet.

Le secteur de la pêche est essentiellement concentré au sein du lac Victoria. Partagé entre les trois pays il représente un seul écosystème dont la gestion est confiée depuis 1994 au LVEMP (Lake Victoria Environmental Management Project), le développement de la pêche suppose dés lors une intense coopération entre les partenaires dans le cadre de l’EAC et chaque projet sectoriel ne peut être envisagé qu’au niveau régional.

Dans ce cadre quelles sont les contraintes et quelle place les infrastructures auraient-elles dans le développement de ce secteur à l’avenir ? Quel est l’avis des acteurs sur cette question ? Mon hypothèse est la suivante : les pêcheries sont modernes et

ont déjà une stratégie régionale voir mondiale, cependant la contrainte d’un épuisement des ressources pour cause de pollution et de comportements anarchiques des pêcheurs et la présence d’équipement trop souvent inadaptés aux conditions du marché rendent le secteur peu soutenable à terme. Une politique globale des infrastructures de transport ne permettrait-elle pas une rationalisation du secteur au niveau régional et un développement d’activités complémentaires conduisant à des emplois induits ?

Je retiendrais la définition de C. Kessides pour qui les infrastructures représentent la structure, l’équipement et l’aménagement de long terme ainsi que les services qu’elles fournissent, que ces derniers soient utilisés pour le processus de production ou pour l’utilisation finale des ménages. Au sens restreint elles se limitent aux transports et à l’énergie.

42 O.Hirschman (1964)

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LES CAHIERS DE L’IFRA 74

En visitant les sites de pêche, quelles infrastructures (routes, électricité, etc.) semblent déterminantes dans la réussite du secteur ? Quels sont les avantages et les inconvénients de chacun des sites ? La recherche d’une plus grande rapidité dans le mouvement des marchandises, et davantage de fiabilité suffiront-elles à intensifier les échanges source de compétitivité ?

La gestion de la pêche s’inscrit-elle dans une politique plus large de développement ? En quoi une politique d’infrastructure en faveur de la pêche pourrait-elle favoriser la constitution d’un « capital spatial » source de productivité pour les autres secteurs et susceptible de ce fait d’améliorer l’attractivité du territoire et d’attirer des IDE?

Les conflits d’intérêt étant souvent responsables de l’échec des dernières initiatives régionales, l’optique d’un projet régional de rationalisation du secteur pourrait-il satisfaire l’ensemble des parties ou conduirait-il à une configuration gagnant-perdant qu’il faudrait alors gérer ?

Quel est le rôle des ethnies dans l’organisation du secteur ? L’influence des réseaux culturels est-elle significative dans la création des marchés et les échanges frontaliers ?

Axe méthodologique : il s’agit dans un premier temps de concentrer l’étude sur un état des lieux du secteur de la pêche en interrogeant les institutionnels et notamment l’EAC, les différents gouvernements nationaux, le LVEMP puis les acteurs privés. Existe-t-il un diagnostic partagé sur les avantages et les contraintes du secteur de manière à aboutir à un projet commun ?

L’objectif de ce projet est d’étudier le potentiel réel du secteur de la pêche dans l’optique d’un projet d’infrastructure régional. L’analyse de terrain a permis une étude par région avec la rencontre des différents acteurs du secteur de la pêche autour du lac Victoria, qu’ils soient institutionnels ou civils. Les résultats synthétiques en sont les suivants :

Le secteur de la pêche ne peut-être géré que régionalement dans la mesure où le lac Victoria constitue un seul écosystème, ainsi chaque mesure entreprise par un pays crée des externalités au profit ou au détriment des autres États. Le potentiel de croissance du secteur est contraint par les ressources qui tendent à s’épuiser, néanmoins une rationalisation de l’activité permettrait une poursuite de son développement sans toutefois représenter

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75 L’IMPACT DES INFRASTRUCTURES ET PECHE

obligatoirement le véritable secteur porteur dont la zone aurait besoin.

Le rôle des infrastructures (routes et électricité) dans ce contexte est primordial dans le sens où elles permettraient une optimisation de l’utilisation des prises, en évitant le gaspillage, et ouvriraient la perspective de nouveaux débouchés géographiques en particulier le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Mais la soutenabilité du secteur dépend également de la capacité des pêcheries à diversifier leur production, encore trop focalisées sur le filet de perche, et de la mise en place d’un système de règles acceptées par tous les belligérants et dont le contrôle serait assuré.

Alors que l’ensemble des acteurs (pêcheurs, pêcheries, ministères) semblent partager le fait que l’avenir du secteur de la pêche passe par une politique régionale, les initiatives de court terme ne coïncident pas toujours avec leurs déclarations. Tant que des conflits persistent au niveau régional les acteurs privilégient leurs visions traditionnelles : nationale pour les autorités publiques, locale pour les entreprises. Ainsi le refus de l’Ouganda de ratifier un accord sur la taille minimale des perches avant de l’accepter sous la pression des médias et des autres pays, est révélateur de la fébrilité de l’exécutif quant à l’application des décisions prises en commun et ne peut que ralentir le changement de comportements de la part des acteurs. Une redéfinition des objectifs dans l’intérêt de tous semble nécessaire et une harmonisation des règles doit éliminer toute hésitation à terme.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 76

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.77–81

Diaspora : Les Grecs en Afrique orientale, fin 19e et 20e siècles

Eleni LAZIDOU

Notre recherche sur les diasporas a commencé en 1999, avec l’étude de la diaspora yoruba en Côte d’Ivoire, puis en Angleterre. Il s’agissait alors, pour nous de réfléchir sur une diaspora africaine en Afrique et en Europe. Notre problématique était de savoir quelle était l’influence des pays d’accueil sur l’organisation des ces communautés en diaspora, ainsi que leurs particularités, du fait qu’elles ont évolué dans des contextes différents.

Pour notre thèse de doctorat, nous avons emprunté, en quelque sorte, le chemin inverse en étudiant une diaspora européenne, en l’occurrence la diaspora grecque, en Afrique orientale. Notre problématique consiste, en effet, à savoir, étant donné le contexte historique dans lequel cette diaspora a évolué, quel processus a contribué à sa formation.

À travers cette étude, nous voulons mettre en lumière le processus de formation de la diaspora grecque en Afrique orientale tout au long du 20e siècle. Cette diaspora très peu étudiée, alors qu’elle a contribué à la transformation du paysage urbain et rural de l’Afrique orientale. En effet, ce sont ces Grecs qui ont, pour la plupart, construit le chemin de fer en Tanzanie pendant la colonisation allemande et qui ont, aussi, contribué au développement de la culture du café et du sisal dans la région. A travers nos recherches de terrain et d’archives en Afrique et en Europe, nous avons constaté que le processus de formation de cette diaspora était lié à la fois au contexte historique colonial et grec. Notons, ici, que le cas des Grecs en Afrique orientale est plus particulier que celui des autres communautés grecques de l’étranger, car, ils étaient originaires, pour la plupart, des territoires qui ne faisaient pas partie de l’État grec au début du 20e siècle. Ainsi, un grand nombre de pionniers en Afrique orientale n’a jamais vécu dans les frontières nationales grecques.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 78

La question de matrice À partir de nos recherches dans les registres de la mission orthodoxe et de l’Ambassade grecque à Nairobi, nous avons conclu que la majorité de ces Grecs étaient originaires des îles Ténédos et Imbros, de l’Asie Mineure, mais aussi, de Chypre et des îles de la mer Egée. Or, la Convention de Lausanne de 1924 a contraint, entre autres, les Grecs de quitter définitivement les territoires de l’Asie Mineure et les îles Ténédos et Imbros. C’est ainsi, qu’une grande partie de la diaspora grecque du Kenya et de la Tanzanie s’est retrouvée à partir les années 1920, dépourvue de territoire d’origine, dans une sorte d’exil éternel.

À travers notre recherche doctorale, nous allons essayer de montrer de quelle façon ces Grecs ont réussi à se former en diaspora et de quelle manière l’Etat grec a représenté pour eux leur matrice d’origine, en remplaçant dans leur imaginaire, leurs territoires d’origine. La question, ici, est de savoir si, finalement, le territoire d’origine n’est pas plutôt rattaché à l’idée de présence humaine qu’à celle de l’espace. Et pour parler en image, la maison de notre mère n’est-elle pas celle dans laquelle elle vit et non pas celle dans laquelle elle a vécu ?

Cependant, à travers les archives et des entretiens réalisés sur le terrain, il ressort clairement que le nouvel État grec a remplacé, dans la conscience collective, ces territoires perdus et est devenu, pour ces Grecs, leur seule référence territoriale possible, leur matrice. A travers cet exemple de la diaspora grecque, nous constatons aussi, que la conscience ethnique peut jouer un rôle parfois plus important dans la construction de l’identité d’une diaspora que la terre d’origine. L’attachement de la diaspora grecque au nouvel État grec montre bien que cet État est devenu pour celle-ci la seule frontière possible d’une expression libre de son ethnicité.

En réalité, l’exode forcé des Grecs de l’Asie Mineure, de Thrace orientale, des îles et de la Mer Noire vers l’État grec pendant les années 1920 a croisé à jamais le destin de tout l’hellénisme. Tous ces Grecs, qui dans chaque territoire avaient leurs propres coutumes et des identités régionales distinctes, ont été obligés de partager le même espace, celui de l’État grec de la Convention de Lausanne. De la même manière, les Grecs de l’Afrique orientale, originaires pour la plupart de l’Asie Mineure, des îles, de Chypre mais aussi de la Grèce continentale ont croisé leurs destins à des milliers de kilomètres de leurs terres d’origine. Les Grecs alors, à ce moment-là, se sont retournés vers leur glorieuse histoire antique pour se ressourcer, mais aussi pour gommer leurs divergences. C’est ainsi qu’ils vont procéder à des collectes

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79 DIASPORA : LES GRECS EN AFRIQUE ORIENTALE

d’argent afin de soutenir financièrement l’État grec en guerre, à plusieurs reprises. En effet, le fait que dans leurs territoires d’origine il n’y avait plus d’autres Grecs, les a amenés, très vite, à comprendre qu’ils devaient faire le deuil de leurs anciens territoires. C’est pourquoi ils ont soutenu l’État grec, devenu le seul territoire où ils pourraient se sentir chez eux, du fait aussi que, le plus souvent, plusieurs membres de leurs familles s’y sont installés.

La question d’identité Selon Michel Cahen, le recours au passé modifie, en même temps qu’il construit l’ethnie, par l’intervention symbolique de facteurs sociaux anciens et en partie ou largement disparus qu’il provoque, le comportement et la réponse du groupe relativement au phénomène interpellatif contemporain. (…) l’ethnicité est l’expression contemporaine de rapports sociaux du passé, mémorisés culturellement.

Or, c’est justement ce qu’on constate aussi dans le cas de l’identité grecque aussi bien en Grèce que dans les diasporas. Plus précisément, le recours à l’antiquité grecque a construit l’identité grecque moderne, tout en la modifiant et a servi de réponse aux phénomènes historiques contemporains tout au long du 20è siècle.

La question du nombre Dans le cadre de l’Afrique orientale, nous avons pu constater que si les Grecs de la Tanzanie se sont organisés beaucoup plus vite que ceux du Kenya ou de l’Ouganda, c’était, aussi, grâce à leur nombre important. Le fait alors que les Grecs en Tanzanie ont été beaucoup plus nombreux que ceux dans les autres pays de la région, les a amenés à s’organiser très vite en association et à jouer le rôle de pilier pour les communautés périphériques, c’est-à-dire celles du Kenya ou encore de l’Ouganda. À travers nos recherches, nous avons pu constater que le nombre accru d’une population dans un pays d’accueil crée divers besoins d’organisation, mais surtout contribue à l’éveil du sentiment identitaire et d’appartenance à un groupe. La question du réseau Toutefois, nous ne pensons pas que c’est le nombre qui détermine une diaspora, mais plutôt la capacité de ses membres à communiquer entre eux et avec leur pays d’origine, en d’autres termes leur capacité à se

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LES CAHIERS DE L’IFRA 80

construire en réseaux. Le terme ‘réseau’ qui au départ servait à désigner un filet pour prendre des oiseaux, des poissons ou du gibier, à partir de la seconde moitié du 19e siècle s’applique aussi par abstraction à un ensemble de personnes en liaison entre elles, directement ou indirectement.

Pour les auteurs étudiant les diasporas, l’existence des réseaux constitue une condition sine qua non pour qu’on puisse parler de diaspora. A travers notre recherche, il sort clairement que les membres de la diaspora grecque au Kenya et surtout en Tanzanie entretenaient des relations entre eux, mais aussi avec la Grèce, même bien avant la création des premières communautés organisées, c’est-à-dire les kinotites. C’est pourquoi nous pensons d’ailleurs que le réseau précède la diaspora. Plus précisément, si les membres d’un peuple vivant dans un pays d’accueil donné ne ressentent pas le besoin d’entretenir des relations entre eux, ils ne ressentiront pas non plus le besoin de se constituer en communautés organisées. Les correspondances entretenues entre les différentes communautés grecques en Afrique orientale sont la preuve des liens qui les unissaient, malgré les centaines ou les milliers de kilomètres qui les séparaient parfois.

La question de cristallisation À partir des années ‘50, commence une nouvelle ère pour les communautés grecques de l’Afrique orientale. Le nombre de leurs membres augmente considérablement et leur objectif premier devient l’amélioration des conditions de vie et la protection de leurs intérêts sur place. Jusqu’aux années ‘65 et malgré les Indépendances, les Grecs ignoraient l’objectif de Nyerere qui était l’africanisation des institutions et la nationalisation des terres. Ainsi, avec les nationalisations, les Grecs ont été contraints de quitter la Tanzanie et, grâce aux réseaux de diaspora, ont réussi à s’installer dans d’autres pays de l’Afrique orientale, tel que le Kenya, mais aussi l’Afrique du Sud ou le Zimbabwe. Beaucoup ont décidé de s’installer en Grèce et un grand nombre d’entre eux y vit toujours.

Cependant, malgré les nationalisations, le nombre de Grecs en Tanzanie reste toujours plus important que celui des Grecs du Kenya ou de l’Ouganda. Le Kenya et l’Ouganda en ont toujours accueilli un nombre bien moindre. Cependant, l’État grec a décidé d’installer son Ambassade dès le départ au Kenya. Et, grâce à l’amitié entre le Président Kenyatta et son homologue de Chypre, l’Archevêque Makarios, la mission orthodoxe grecque s’est installée aussi au Kenya.

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81 DIASPORA : LES GRECS EN AFRIQUE ORIENTALE

En conclusion, nous voudrions souligner que le nombre de Grecs qui résident aujourd’hui encore au Kenya et en Tanzanie n’est certes plus aussi important qu’avant. Cependant, les communautés grecques y sont toujours présentes et essayent d’inventer de nouveaux mécanismes de réorganisation face aux mutations sociales intervenues aussi bien en Afrique qu’en Grèce.

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JUSTICE, POUVOIR ET COMMUNICATION

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.83–90

Conflicting codes and contested justice:

Witchcraft and the State in Kenya

Katherine LUONGO

My dissertation investigates the ways conflicts between state authorities and Africans over “witchcraft”-related crimes constituted an important space in which larger questions of who and what determined justice, law, and order were contested in twentieth century Kenya. My project entails close-readings of a range of “witchcraft” murder and assault cases occurring in Kenya throughout the colonial era and examines how the intersections of “witchcraft,” justice, law, and order have been understood, imagined, felt, and discussed by state and non-state actors. It analyzes various “critical moments” at which violence related to “witchcraft” has challenged state authority and analyzes the historical ineffectiveness of law and state policies in dealing with such violence. My thesis addresses how contemporary discourses, actions and policies concerning “witchcraft”-related violence mirror those of the colonial-era. It argues that while popular discourse continues to employ “witchcraft” as a metaphor for and explanation of misfortune, the post-colonial Kenyan State’s discourse on “witchcraft” continues to construct “witchcraft” as a convenient category-of-the-State, mobilized to explain away persistent underdevelopment and disorder.

My project uses oral sources in order to elucidate the ways in which Africans’ attitudes towards “witchcraft” and law have changed (or not) and to develop perspectives on “witchcraft” and related crimes inaccessible through archival research alone. My research contributes to Kenyan and African studies by treating contests over “witchcraft”-related crimes as central, critical means by which to investigate and understand the construction of state power in Kenya. It supplements scholarship on violence and literature about “witchcraft” by identifying and analyzing “witchcraft” not as an anthropological curiosity, but as a popularly and practically recognized source of violence in contemporary Kenya. And, my research engages

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LES CAHIERS DE L’IFRA 84

and advances cross-regional and theoretical approaches to “witchcraft” and state power.

My archival research—conducted over four summers and one Fulbright-Hays dissertation year in the Kenya National Archives (KNA), the Public Record Office (PRO) and various libraries across Britain, Kenya and the U.S.—revealed a range of witchcraft murder and assault cases in several different British colonies in East and West Africa. Such cases were particularly numerous and well-documented in Kenya, and the most high-profile “witchcraft” murder case of the colonial period, Rex versus Kumwaka s/o Mulumbi, was tried in Nairobi during 1931. These cases foreground the numerous instances in which colonial definitions and “local” understandings of “witchcraft” came into contest. Also, these cases highlight key moments when British and African conceptions of justice and crime collided. Colonial-era “witchcraft” cases neither settled the meanings of “witchcraft,” law, justice, and crime, nor effectively articulated what role the state should take in relation to them. Rather, these cases introduced many of the terms which inform the present-day Kenyan state’s negotiation of law, crime, and justice.

The broad subjects of administration, law, and witchcraft have long interested Africanist scholars. Literature on administration has explained the mechanisms of colonial and contemporary governance (Ghai & McAuslan, 1970; Ambler, 1988). Scholars have also established that far from being hegemonic, administrative control was often contradictory, tenuous, and ad-hoc (Berman & Lonsdale, 1990; Cooper, 1996). Yet, recent scholarship demonstrates that colonial administration created a strong distinction between state and public that continues to influence present-day governance in Kenya (Robertson, 1997; Thomas, 2003). My project expands existing scholarship by employing “witchcraft” as a new category through which to analyze fault-lines and fissures in administrative control.

Scholarship examining law in Africa has focused on relationships between “customary” law and the state. Early scholars cataloged “customary” law, treating it as a closed and static system (Rattray, 1929; Schapera, 1955). Subsequent work pointed out that new “social situations” of colonialism rendered “customary” law that dated from the precolonial era open to change, but did not assign the state an active role in rearticulating and implementing it (Balandier, 1951; Gluckman, 1965). In contrast, recent research foregrounds the state’s dominant role in constituting “customary” law (Chanock 1985; Mann & Robertson, 1991). Alternatively, literature addressing colonial

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85 WITCHCRAFT AND THE STATE IN KENYA

officials’ opposition to codifying “customary” law (Shadle, 1999) and scholarship analyzing the role of “customary” law in present-day governance and society suggests instead that “customary” law comprised an easily flexible body of rules and norms which predated colonialism, changed according to circumstance, and continue to do so today (Cohen & Odhiambo, 1992; Widener, 2001.) My research departs from this literature by addressing the fraught ways in which “customary” law was fashioned and re-fashioned by state officials and Africans in contests over “witchcraft” and related crimes.

Early scholarship on African “witchcraft” aimed to debunk the irrationality of “witchcraft,” and figure it as a rational response to the social and material environments (Evans-Pritchard, 1937; Gluckman, 1955). Recent literature has not strayed far from this model, focusing on how “witchcraft” is a reaction to and explanation of the social, economic, and political problems of “modernity” (Geschiere 1995, 1998; Masquelier, 1997). Scholarship on Southern Africa is especially concerned with tracing the ways in which “witchcraft” was a matrix of generational conflict over and resistance to apartheid (Comaroff, 1993; Niehaus, 2001), and how it draws upon insecurities and gives rise to anxieties about urban living in the post-apartheid era (Ashforth, 2000). My research expands this scholarship by analyzing the intersection of “witchcraft” and politics in the fresh context of Kenya. Further, instead of treating “modernity” as a “catch-all” category, my project traces and theorizes how the content and meaning of “modernity” varied according to socio-historical context.

Literature on “witchcraft” in East Africa, particularly for Kenya, is considerably less developed than scholarship on West and Southern Africa. Middleton and Winter’s 1963 edited volume is the most recent monograph on the broad subject of “witchcraft” in East Africa. Researchers have examined “witchcraft” ordinances as part of larger studies on legal administration in Kenya (Mutungi, 1977; Anderson, 1992) and have studied “witchcraft” practices and beliefs among specific ethnic groups in Kenya (Fadiman, 1993; Waller, 1993; Ciekawy, 1998). My research brings legal and ethnographic studies of “witchcraft” together and investigates the ways in which administrative and ethnographic knowledge intersected or not.

My dissertation thus contributes to the larger literatures on law, administration, and “witchcraft” in Africa by analyzing how crimes related to “witchcraft” tested the state’s attempts to construct order and administer justice in Kenya. It argues that “customary” law was not a rigid system constructed “on the spot” through the self-

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LES CAHIERS DE L’IFRA 86

interested maneuverings of colonial officials and with limited input by “local” authorities. “Customary” law related to “witchcraft” and the type of justice this law produced, persisted outside the bounds of the state legal system and alongside state conceptions of what constituted justice. Overall, competing ideas about how to define and achieve “justice” in the context of “witchcraft”- related crimes existed because the state lacked the material and epistemological means to deal effectively with the complexities of “witchcraft.”

My dissertation also argues that “witchcraft” was not simply a category of “the native,” but equally a category of the state. “Witchcraft” cases in colonial Kenya suggest that “witchcraft” represented perceptions of dislocation and disruption, of the unsaid and the unthinkable, as frequently for state officials as they did for Africans. These cases demonstrate that British authorities were aware that “witchcraft” did not denote a bounded, pre-existing category, but was instead fluidly defined and invoked to delineate a range of Africans’ beliefs and practices.

These cases also show that “witchcraft” in colonial Kenya was not “modern” in any sense other than it was engaged in the “here-and-now.” In a reverse of the popular scholarly paradigm that locates the “modernity” of “witchcraft” in the politics of the everyday, “modernity,” in its valorizing aspect, was squarely the provenance and preoccupation of the state in colonial Kenya, a condition that in may ways persists into the present. Such cases also demonstrate that though “witchcraft” control was a politicized state concern across the British Empire, “witchcraft” was not invoked by Africans as a targeted means of political resistance in colonial Kenya.

During 2004, I spent several months doing detailed readings of British colonial archival documents on “witchcraft” and related criminal cases in the Kenya National Archives (KNA) in Nairobi and researching these issues in other libraries across Nairobi. At the KNA, I examined provincial and district reports produced by British administrators in Kenya, judicial reports from the Attorney General’s Office and the High Court of Kenya and the High Court of Appeal for Eastern Africa, and legislative reports from the Kenya Legislative Council. Also, at the KNA and in other Kenya libraries, I researched correspondence and private papers generated by British administrators, colonial and metropolitan newspaper reports, and colonial-era and contemporary monographs, journal articles and theses on “witchcraft” and law unavailable in the U.S and Britain.

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87 WITCHCRAFT AND THE STATE IN KENYA

I employed questions like: When, why, how and through whom did incidences or accusations of “witchcraft” enter colonial records and become the focus of official concern? (Das, 1989). How is an “event” transformed into a “crime” in these records? (Amin, 1995). To what extent did discussions of “witchcraft” contain “fictive” elements that transformed accounts of “witchcraft” from isolated or serialized events into narratives that were broadly intelligible to British officials? (Davis, 1987). How did colonial discourses about “witchcraft” rely on “culturally reasonable conjecture” to understand and manage it? (Stoler, 1992). Did colonial knowledge about “witchcraft” add up to a usable “colonial lexicon” that British authorities across the empire could use in dealing with “witchcraft”? (Hunt, 2000) How did the literary conventions of colonial reports shape what was said and what was not said in discussions of “witchcraft?” (Bornstein, 2000). What do “fragments” of non-state actors’ voices in the archives tell us about gaps in state control? (Pandey, 2000).

These colonial and contemporary sources suggest that “witchcraft”-related violence has been a consistent societal problem and has challenged the State at several “critical moments.” They also suggest that the state’s responses to such violence remain largely unchanged up to today. Drawing on these sources, I broadened the scope of my project to examine cases of “witchcraft”-related violence stretching into the post-colonial period and to address various “critical moments” and their implications for the Kenyan State’s present-day policies and practices.

First, my research additionally revealed that during a two-year period in the early 1940s, more than ten percent of the capital murder cases tried in the Supreme Court of Kenya was directly related to the defendants’ belief that the deceased had “bewitched” him or her. Faced with the glut of “witchcraft”-related capital murder cases and cognizant of the international furor caused by the death penalty verdicts in the 1931 Rex versus Kumwaka trial, the court developed an ad hoc policy of sentencing to death, but recommending to the Governor-in-Council’s clemency, murder defendants who were able to convince the court of their “real but mistaken belief” in the deceased’s “witchcraft.” Claims of the deceased’s “witchcraft” remain a viable defense to murder charges in contemporary Kenya.

Second, my research revealed that during the anti-colonial Mau Mau revolt of the 1950s the State broke with its policy of not using “occult” methods to deal with “witchcraft”-related violence and

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LES CAHIERS DE L’IFRA 88

instead used “witchcraft” to combat “witchcraft” activities which various state and non-state actors perceived as key pillars of Mau Mau violence. Heeding calls from British and African officials on-the-ground in Mau Mau strongholds, the State organized a series public and openly sponsored “witchcraft cleansings” conducted by “witchdoctors” in the state’s employ who ritually burned the “witchcraft” paraphernalia belonging to the “witches” who were alleged to offer Mau Mau fighters ritual protection, to administer the Mau Mau oath, and to terrorize local populations with threats or acts of “witchcraft.” The State induced close to 1,000 “witches” to surrender themselves and their paraphernalia during this campaign. The State’s employ of “occult” methods and means to deal with “witchcraft”-related violence remains an accepted and viable strategy in present-day Kenya.

Third, my research reveals that during the early 1960s, the infant post-colonial State launched a campaign to counter “witchcraft” and “witchcraft”-related violence. Various state officials, including President Jomo Kenyatta, (re)mobilized colonial discourse and publicly decried “witchcraft” as a “superstitious” barrier to development. Yet, the State simultaneously issued permits for “witchdoctors” to conduct government-sponsored cleansings of alleged “witches” whose activities had precipitated waves of anti-“witch” violence and resulted in the killings of several alleged “witches.” The aims of this campaign were bi-fold. First, it sought to restore order and assert the State’s authority by stemming the tide of violence against the “alleged” witches. Second, the campaign was part of the new State’s effort to construct itself as both “African”—considering local beliefs and practices in its policies—and “modern”—concerned with detrimental sway that “superstition” held over its citizens. This campaign was effective in the short-term, but did not have long-term results. Indeed, the Kenyan State continues to apply these strategies to periodic waves of “witchcraft”-related violence.

Reading archival and oral sources in conversation, I also conducted 30 interviews of elderly Kenyans in Nairobi and Machakos District (a central site of colonial and contemporary “witchcraft” activities and the home district of some Kenya’s most notorious “witches”). Ethnographic research generated a range of perspectives and information absent from the archives, confirming archival information, and at odds with archival data. I enjoyed intellectual and cultural challenges of “doing” ethnography despite occasional difficulties such as having to hitch-hike to interview in the back of a

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89 WITCHCRAFT AND THE STATE IN KENYA

bread truck and being spat upon an informant. Fortunately, reading in the IFRA library had prepared me with the knowledge that elderly Wakamba spit to offer baraka, or blessings.

From archival and published sources, I identified market towns in Machakos where notable “witchcraft”-related criminal cases had occurred during the colonial era. I traveled to these towns and sought out their most elderly residents and younger townspeople with reputations as “local historians.” Using a combination of English and Kiswahili and with the help of a Kikamba translator, I conversed with these townspeople in sittings lasting two to three hours each about “witchcraft” beliefs and practices generally and also engaged them in conversations about colonial legal cases and various “critical moments” in order to learn how these events were remembered or not. While in the field, I also drew upon popular and material culture (Burke,1996) and rumor, gossip, and sentiment (Price, 1998; White, 2000; Stoler, 2001) to understand the roles that ideas about “witchcraft,” “justice,” and the “state” play in the negotiation of everyday life in contemporary Kenya. In examining my data I attended not only to what was “spoken” about “witchcraft,” but also to “silences” surrounding it, in order to learn what was left unsaid and what was deemed unspeakable (Trouillot, 1995).

My ethnographic research revealed that “witchcraft” beliefs and practices in Machakos District are widespread, consistent and prevalent. Interviewees generally described “witchcraft” alternately as a substance which could be “bought” and as a set of inherited, malevolent powers used to harm others for material gain or for the pleasure of exercising power. In most cases, interviewees stated that they were unfamiliar with colonial and contemporary legislation dealing with “witchcraft.” Most interviewees shared the opinion that violence against “witches” was a more effective at preventing “witchcraft” than was prosecuting “witches” in court, although they knew the State forbids killing generally. Asked if they thought “witchcraft” had increased or decreased over their lifetimes, most interviewees stated that they had seen “witchcraft” increase and attributed this increase to decreased retributive violence against “witches” although various sources indicates increases in the reports of such violence since the colonial period.

When queried about “witchcraft” murder cases such as Rex versus Kumwaka and about the various “critical moments” elaborated above, most interviewees professed no knowledge of the events or stated that they had heard of them only in passing. Elderly

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LES CAHIERS DE L’IFRA 90

interviewees in the particular market towns in Machakos where the Mau Mau “witch cleansings” were held were able to describe the “cleansings” and their aims, but younger interviewees from these towns and interviewees of all ages from other towns were unfamiliar with them. The continued belief that violence is the most effective means to deal with “witches,” the persistence of “witch-killing” cases up to the present day, and the lack of knowledge about or memory of the State’s efforts to combat “witchcraft”-related violence suggests that these efforts have been ultimately unknown or unimportant to the very people who they have been meant to address.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.91–98

Les tribunaux de kadhi et l’application du droit islamique au Kenya

Anne CUSSAC

Le Kenya, Etat laïc et de population majoritairement chrétienne, possède l’originalité de reconnaître l’application du droit coranique aux populations musulmanes, en matière de statut personnel. L’État confère aux tribunaux islamiques, reconnus dans la Loi fondamentale, un statut constitutionnel. Ce projet propose donc de s’interroger sur les éventuels conflits de normes que cela peut susciter, le droit islamique n’étant pas toujours conforme au droit commun. L’objectif est également de se demander dans quelle mesure l’application de la sharia peut représenter un moyen d’affirmation d’une sociabilité islamique particulière ou un défi au regard de l’intégration des musulmans à l’État. D’un point de vue interne à la « communauté » musulmane, il s’agit de comprendre en quoi les tribunaux de kadhi reflètent des différences de pouvoir, d’autorité et de prestige. Enfin, de façon plus générale, ce projet vise à réfléchir au problème de la reconnaissance du droit coranique dans un État non islamique.

Au Kenya, les musulmans représentent entre 10 et 20 % de la population selon les estimations les plus crédibles. Etant de ce fait considérés comme « minoritaires », ils jouissent cependant de l’application de la loi coranique en matière de statut personnel. De plus, l’État kenyan, laïc, reconnaît les tribunaux islamiques (tribunaux de kadhi), dans sa Constitution (section 66). Ces tribunaux sont un héritage historique, résultant de l’époque du Sultanat de Zanzibar. A l’origine présents uniquement le long du littoral de l’océan Indien, leur implantation fut étendue à l’ensemble du pays au moment de l’indépendance, pour permettre à tous les musulmans kenyans de se conformer à la loi islamique en matière de mariage, de divorce et d’héritage.

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En raison de la relative ouverture démocratique dans les années 1990, les autorités kenyanes ont amorcé un processus de révision constitutionnelle, toujours en cours, et dans lequel la question des juridictions islamiques a pris une importance particulière. Les débats touchèrent en particulier à l’extension éventuelle de leurs compétences aux questions commerciales ainsi qu’à leur statut constitutionnel, équivalent aux yeux de certaines églises chrétiennes, à favoriser l’islam au détriment des autres religions.

Enfin, la foi musulmane, dans la région, fait l’objet d’une attention particulière, liée au contexte global de lutte anti-terroriste depuis le 11 septembre 2001. Le Kenya ayant lui-même été victime d’attentats, contre l’ambassade américaine à Nairobi en 1998 et contre le Paradise Hotel à Mombasa en 2002, les autorités envisagèrent l’adoption d’une loi anti-terroriste. Ce projet fut largement condamné par les musulmans qui, se sentant particulièrement visés et s’estimant menacés dans la pratique de leur foi, se mobilisèrent très fortement dans le cadre des débats relatifs au futur statut des tribunaux islamiques dans la Constitution.

Par delà la question juridique posée par l’existence de tribunaux chargés d’appliquer la loi islamique dans un État laïc, l’idée est de se demander quels sont, pour les musulmans, les enjeux posés par la présence de ces juridictions, dans le cadre de leur affirmation en tant que groupe et dans le cadre de leurs relations à l’État séculier.

Cette étude est contemporaine, mais il sera important de revenir sur l’histoire et les origines des juridictions islamiques, afin de comprendre le rôle qu’elles ont pu jouer dans l’affirmation d’une sociabilité musulmane. Une attention particulière sera portée aux débats récents relatifs au statut des tribunaux de kadhi dans la future Constitution.

Il est par ailleurs important de souligner l’application restreinte de la sharia au Kenya : elle ne s’applique qu’en matière de statut personnel, et non pas dans le domaine commercial ou criminel. Son usage est donc relativement restreint, d’autant plus qu’elle ne concerne que les musulmans. Elle est enfin facultative pour ces derniers, qui ont toujours la possibilité de recourir au droit commun.

L’islam au Kenya est caractérisé par sa diversité. Si la majorité des fidèles kenyans sont d’obédience sunnite, une minorité d’entre eux sont de confession chiite. De plus, les musulmans kenyans sont aussi bien des Africains que des Arabes ou des Indo-pakistanais.

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93 LES TRIBUNAUX DE KADHI

L’étude de l’application de la sharia au Kenya ne s’envisage pas uniquement sous son angle juridique, mais également pour ses aspects historique, sociologique et politique, qui constituent autant d’axes de recherche.

Du point de vue historique, l’étude devra déterminer les causes du maintien de juridictions religieuses dans un État qui n’est pas musulman et qui, depuis son indépendance, se revendique laïc. L’extension progressive de la juridiction islamique de la frange côtière à l’ensemble du pays sera également un point à étudier, notamment en raison des débats que cela a pu susciter, mais aussi pour la signification que cela a pu revêtir pour les musulmans kenyans ne vivant pas sur la Côte. Enfin, l’évolution historique du recours aux tribunaux de kadhi sera appréhendée. Il faudra alors déterminer si cette évolution, qu’elle soit positive ou négative, illustre un attachement plus ou moins fort des fidèles à ces institutions ou si elle est plutôt liée à des mutations politiques, les musulmans jouissant d’une liberté variable d’appliquer la loi coranique selon les époques. Dans un contexte de relative ouverture démocratique, il sera en particulier intéressant de chercher à établir un parallèle avec une éventuelle variation de l’usage de ces tribunaux et d’en rechercher une explication, qu’elle tienne à une plus grande liberté d’expression ou à une volonté croissante d’afficher sa foi.

Du point de vue juridique, la place des tribunaux de kadhi par rapport aux juridictions de droit commun et l’articulation de la sharia au droit commun sont les aspects les plus fondamentaux. Des points particuliers du droit islamique, tels que la polygamie, la répudiation unilatérale de la femme par son époux ou les unions entre des personnes mineures sont, en effet, autant de questions qui peuvent poser problème au regard du « droit de l’État » et il importe d’évaluer, d’une part, comment les deux ordres juridiques s’articulent et, d’autre part, comment sont solutionnés les éventuels conflits de normes. Du côté de l’État, il s’agit de comprendre si la légitimation des tribunaux de kadhi et de leur statut constitutionnel traduit une certaine reconnaissance de la foi musulmane ou plutôt une volonté de gagner les faveurs de la minorité religieuse, à des fins politiques ou électorales par exemple. Enfin, l’appel à ces juridictions est facultatif pour les musulmans. Il importe donc de se demander si tous y ont recours et, le cas échéant, quelles catégories de fidèles les utilisent et pourquoi.

Du point de vue sociologique, le sens que donnent les fidèles à l’existence de juridictions islamiques est élémentaire pour réfléchir à leur rapport à l’État. La possibilité d’appliquer une législation

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LES CAHIERS DE L’IFRA 94

« dérogatoire » doit amener à réfléchir à l’intégration des musulmans à l’État. De plus, il convient de s’interroger sur l’éventuelle contribution de ces tribunaux à la formation d’une conscience communautaire et à la socialisation islamique. Là encore, l’évolution de leur utilisation peut être révélatrice. Par ailleurs, la signification de l’application de la sharia pour les femmes est un aspect très important. Le droit islamique est souvent considéré comme peu favorable à la femme. Cependant, son application par les tribunaux de kadhi peut également être un moyen d’émancipation et d’affirmation des femmes musulmanes kenyanes et il est nécessaire d’évaluer l’attachement de ces dernières à cette juridiction.

Enfin, l’aspect politique du sujet tient aux questions de pouvoir, d’autorité et de prestige qui entourent la nomination des kadhis. Il s’agit de se demander qui sont les kadhis et particulièrement de savoir s’ils sont issus de groupes particuliers, longtemps considérés comme « plus musulmans » (Swahili, Arabes ou Somali). De plus, la nomination de ces juges islamiques et le fait qu’ils soient des fonctionnaires désignés par le gouvernement peut produire des effets en terme de légitimité et de respectabilité des kadhis. La dimension politique est également liée au projet de réforme constitutionnelle, engagé à partir des années 1990. Celui-ci a soulevé la question du maintien du statut constitutionnel des tribunaux de kadhi et plusieurs aspects posent problème. Il s’agit à la fois de l’impact qu’ont pu exercer ces débats sur les relations entre chrétiens et musulmans, mais aussi de la réflexion qu’ils ont pu provoquer au sujet d’une réforme de ces juridictions et d’une éventuelle extension de leurs compétences. Enfin, la manière dont les fidèles ont vécu ces débats et leur mobilisation ou non pour la défense du statut des tribunaux de kadhi peuvent être révélatrices de leur volonté plus ou moins affirmée de défendre leurs valeurs religieuses.

L’application de la loi islamique au Kenya revêt avant tout une dimension symbolique : ayant un champ d’utilisation limité, elle traduit une certaine reconnaissance par l’État des sociabilités musulmanes. La possibilité de se marier, de divorcer et d’hériter en accord avec la loi religieuse est certes primordial au regard de la foi, mais constitue également un gage de considération par l’État. Le recours aux juridictions islamiques, étant optionnelle pour les musulmans, est aussi un signe fort d’appartenance communautaire. En effet, dans un État non islamique où les musulmans sont considérés comme « minoritaires », la sharia touche à une dimension emblématique de l’identité : dans la mesure où son utilisation concerne exclusivement les

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95 LES TRIBUNAUX DE KADHI

populations de confession musulmane, le recours à la loi islamique, même dans des cas limités, illustre l’idéal de « communauté » des fidèles, qui se réfèrent tous à la même loi d’essence divine. L’aspect symbolique de la sharia est très fort pour les femmes et le recours aux tribunaux de kadhi, auxquels elles peuvent s’adresser pour demander le divorce, témoigne d’un statut de la femme musulmane kenyane qui n’est pas si subalterne.

Paradoxalement, le recours à la loi islamique constitue également une expression du manque d’unité des musulmans du Kenya, à travers l’usage des tribunaux de kadhi. Dans ce pays, même si la majorité des fidèles sont de confession sunnite, une petite partie d’entre eux sont chiites. Or, les kadhis étant exclusivement sunnites, il est probable que les musulmans chiites n’aient pas recours aux tribunaux islamiques. L’utilisation facultative de ces juridictions, traduit par ailleurs un sentiment d’appartenance à la « communauté » musulmane plus ou moins fort. De ce point de vue, le cas des Indiens est notable : historiquement, ils utilisent peu ces tribunaux car dès leur établissement au Kenya, ils résolvaient leurs différends dans le cadre de la famille étendue ou de conseils d’associations volontaires. Parallèlement, un accroissement du recours aux tribunaux de kadhi, à l’origine essentiellement utilisés par des Swahili mais aujourd’hui de plus en plus par d’autres Africains, illustre la volonté croissante d’affirmer son identité musulmane. Le recours aux tribunaux islamiques, qui a pu exprimer une distinction de la part des Swahili côtiers, est ainsi devenu un élément de la sociabilité musulmane. La création de telles juridictions au-delà de la zone côtière, pour les musulmans non swahili ou non arabes, a pu revêtir une importance particulière dans le cadre de cette affirmation de leur identité religieuse. La nomination aux postes de kadhi et de Chief Kadhi reflète également les relations de pouvoir et de prestige entre les divers groupes musulmans : si la désignation à ces fonctions se fait selon une procédure de service public et si n’importe quel musulman devrait pouvoir être nommé, ces positions sont en réalité essentiellement occupées par des Swahili, témoignant du prestige encore fort de ce groupe par rapport aux autres musulmans.

L’application de la loi coranique reflète la complexité de la relation des musulmans kenyans à l’État. Ceux-ci souhaitent à la fois une meilleure reconnaissance de leur foi par l’État, mais également une moins grande participation des pouvoirs publics à leurs affaires. La nomination des kadhis témoigne bien de cette tension : désignés par les autorités gouvernementales, de plus en plus de fidèles souhaiteraient

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LES CAHIERS DE L’IFRA 96

que ces juges soient choisis par leurs pairs, dans un soucis d’indépendance. La question de la réforme de la Constitution et du statut des tribunaux de kadhi dans la Loi fondamentale constitue également une illustration des rapports des musulmans à l’État : la défense de l’intégrité religieuse, dans un environnement jugé, sinon « hostile », du moins largement dominé par les valeurs chrétiennes, est fondamentale pour s’affirmer en tant que groupe. Tous ces débats autour des tribunaux de kadhi, juridiction ancienne et d’application relativement restreinte, ont pu leur donner une actualité nouvelle, avec en particulier des questionnements sur leur champ d’application et sur leur signification pour les fidèles. Mais l’aspect symbolique de ces tribunaux est également élémentaire : leur défense traduit peut-être la tendance générale des musulmans kenyans à exprimer des idées unanimes dès lors que les valeurs islamiques sont perçues comme menacées par la sécularisation et la christianisation. Les enjeux de la réforme constitutionnelle et du statut des tribunaux de kadhi ont enfin suscité l’opposition de certaines Eglises chrétiennes, induisant une relative dégradation des relations entre musulmans et chrétiens et une radicalisation des deux parties autour de l’affirmation réciproque de leurs valeurs. La mobilisation autour de la défense des tribunaux de kadhi exprime un nouveau positionnement des musulmans par rapport à l’État : ils ne se posent plus seulement en groupe marginalisé, mais aussi en minorité active dont les droits devraient être protégés.

Les recherches sont orientées autour de cinq thématiques : L’articulation entre le droit islamique et le droit commun ; la signification de l’application de la sharia et de l’existence des tribunaux de kadhi pour les musulmans (en terme d’identité, de statut), leur sens pour les femmes musulmanes ;

l’évolution du recours à ces juridictions ; le statut des tribunaux islamiques et des kadhi, l’étendue de leurs compétences ;

les enjeux de la réforme constitutionnelle en la matière (mobilisation des musulmans autour de la défense des juridictions islamiques, opposition entre musulmans et certains chrétiens sur la question). L’approche méthodologique choisie est monographique, mais

avec une dimension comparatiste liée, d’une part, à l’évolution historique de la place et de l’utilisation des tribunaux de kadhi et, d’autre part, à des comparaisons éventuelles avec d’autres pays où les

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97 LES TRIBUNAUX DE KADHI

musulmans, bien que non majoritaires, jouissent de l’application de la sharia dans certains domaines (Inde par exemple). Il sera également intéressant de comparer l’utilisation des juridictions islamiques sur la Côte, islamisée de longue date, et dans l’intérieur du pays, où l’islam fut introduit plus récemment. Cette islamisation plus ou moins ancienne selon la situation géographique est, en effet, un des aspects fondamentaux de l’islam est-africain.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 98

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Jamal L. Nasir, The Islamic Law of Personal Status, London : Graham and Trotman, 1990 (1ère édition en 1986), 358 pages.

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Joseph Schacht, Introduction au droit musulman, Paris: Maisonneuve et Larose, 1999 (1ère édition en 1964: An Introduction to Islamic Law, Oxford: Oxford University Press), 252 pages.

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J. Spencer Trimingham, Islam in East Africa, Oxford : Clarendon Press, 1964, 198 pages.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.99–106

La reconstruction d’un ordre politique dans l’Ouganda de Y. Museveni (1986 – 2001) :

De la réversibilité du chaos ?

Sandrine PERROT

« Miraculé » du chaos militaire, politique et économique de l’époque aminienne et obotiste des années 1970–1980, l’Ouganda s’affichait au milieu des années 1990 comme l’un des rares exemples africains de reconstruction étatique réussie, l’épicentre d’une croissance et d’une stabilisation régionale. La prise de Kampala par la National Resistance Army-Movement de Yoweri Museveni, le 26 janvier 1986, avait initié le processus de réhabilitation et enclenché le cercle vertueux de la reconstruction d’un ordre politique grâce à la pacification de la majeure partie de son territoire, au redressement de son économie, à sa croissance continue et à l’introduction d’institutions politiques originales (démocratie sans parti et structure décentralisée des Conseils Locaux, anciens Conseils de Résistance). « Enfant chéri » des institutions financières internationales, exhorté par Washington en tant que représentant d’une « nouvelle génération de leaders », le Président Museveni avait renforcé sa stature régionale depuis son soutien bienveillant aux troupes rwandaises du FPR dans leur prise de pouvoir à Kigali en 1994 et sa collaboration à la chute de Mobutu en 1997. Pourtant, le verrouillage politique qui suivit l’élection présidentielle de 1996, l’impopularité croissante de la deuxième implication militaire de l’Ouganda au Congo en 1998, le ralentissement économique, les scandales politico-financiers qui éclaboussèrent les premiers cercles du pouvoir et la résurgence des phénomènes de violence lors du scrutin de 2001 ternissent à présent l’image de cette « success story. » Près de vingt ans après cette prise de pouvoir, l’exemple ougandais se prête à l’examen des processus de reconstruction d’un ordre politique. Mon travail doctoral vise à juger autant de ses avancées que de ses retours en arrière, de ses originalités que de ses limites. Elle donne l’occasion

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LES CAHIERS DE L’IFRA 100

de revenir sur la trajectoire d’un régime présenté comme un modèle pour l’Afrique et de distinguer entre mythes et réalités.

La notion de reconstruction d’un ordre politique recouvre la restauration tridimensionnelle de l’autorité, de l’efficacité et de la légitimité de l’Etat : l’autorité en tant qu’instauration d’une sécurité élémentaire, contrôle du territoire, de l’armée, des organes de sécurité. Pour se reconstruire, l’État doit affirmer son entreprise hégémonique, systématiser sa domination et imposer la suprématie de son autorité en faisant reconnaître son droit légitime à commander et à se faire obéir ; l’efficacité comme reconstitution d’un centre capable de prendre des décisions et de les faire appliquer ou de les mettre en œuvre et de les voir produire l’effet attendu, soit la restauration d’une capacité à extraire des ressources et à les sécuriser mais aussi d’une capacité à les redistribuer ; la légitimité enfin est la clef de voûte de tout cet édifice socio-politique. Bien que non indispensable, dans la mesure ou la réhabilitation de l’État et sa reconstruction demeurent possible sans légitimité, elle assure au processus sa durabilité. Elle génère l’acceptation du nouvel ordre politique et amorce l’étape ultérieure d’institutionnalisation de l’ordre politique, son inscription dans le temps.

On peut distinguer trois grandes périodes qui marquent les principales étapes du processus de reconstruction de l’État ougandais : la première (1986 – 1991) est une phase de pacification et de réhabilitation. Après presque vingt ans de guerre civile, d’exactions de l’armée et d’anomie politique, le retour partiel à la sécurité, la réforme de l’armée et la pacification de l’Ouganda « utile » constituaient les conditions sine qua non de la reconstruction politique et économique du pays. Cette restauration durable de la paix dans tout le sud du pays reste la plus grande réussite du régime de Museveni. Au niveau économique, le ralliement, d’abord réticent, du gouvernement aux principes économiques libéraux (avec l’adoption d’un austère Plan d’ajustement structurel en 1987) marquait sa réconciliation avec les bailleurs de fonds étrangers et la reprise d’un flux d’aide financière extérieur. Enfin, sur la scène politique, l’implantation du système administratif pyramidal des Comités de Résistance (aujourd’hui Conseils Locaux) et la politique inclusive dite « de Mouvement », solution d’abord transitoire visant à échapper à la force centrifuge des particularismes et autres communautarismes, avaient assuré une stabilité politique assez longue pour permettre à la lente reconstruction étatique de se mettre en place.

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101 LA RECONSTRUCTION D’UN ORDRE POLITIQUE

Lors de la seconde période (1992 – 1996), les retombées positives des déverrouillages successifs de l’économie ougandaise auréolaient de succès les réformes auxquelles le gouvernement s’était astreint de 1987 à 1992. La persévérance de Museveni à atteindre les objectifs et les échéances qui lui avaient été fixés en dépit des premiers écueils, avait convaincu la communauté internationale de sa crédibilité et permit au régime de s’assurer la confiance des bailleurs, dont il devint l’« enfant chéri. » Si les privatisations engagées depuis 1988 étaient restées jusque là trop timides et si des progrès restaient à accomplir en matière de fiscalité et de dépenses budgétaires, Museveni était parvenu à imposer des mesures de redressement économique décisives (libéralisation du taux de change, déréglementation des prix, incitation au secteur privé, adoption d’un cadre légal moins restrictif, abandon des monopoles de commercialisation, baisse des dépenses publiques…). La stabilisation de l’économie ougandaise en 1992 venait ponctuer une lente mise en adéquation des points de vue entre le gouvernement et les IFI et le gouvernement montrait des signes forts de son engagement à poursuivre les réformes (secteur public, privatisation, lutte contre la corruption, baisse des dépenses militaires et l’annonce d’une prochaine démobilisation d’un tiers au moins des forces armées).

Le redémarrage économique de l’Ouganda, sa stabilisation et sa pacification dans un contexte régional de récession économique et de dégradation politique assuraient au régime un avantage comparatif qui lui permit de s’ériger, dès le début des années 1990, comme un modèle africain de gouvernance. Pendant quatre années (1992-1996), la success story ougandaise et le capital confiance du président ougandais étaient à leur apogée. On louait alors autant ses résultats économiques, que son ouverture politique. A la même époque en effet, l’État se dotait d’une nouvelle Constitution, fondation normative et légale du nouvel État. Le premier scrutin national de 1996 devait consolider les acquis politiques et apporter une légitimité non plus charismatique mais légale au régime. La paix semblait s’annoncer au Nord du pays. Et, la stabilité macro-économique permettait d’entretenir la croissance. Cette modélisation de l’État ougandais et la légitimité intérieure et extérieure du régime participaient à l’émergence du pays en tant que sous-puissance régionale et pôle de stabilisation potentiel de la région. Depuis la prise de pouvoir du RPF à Kigali en 1994 et sa contribution à la chute de Mobutu au Zaïre en 1997, l’Ouganda en effet s’imposait comme un acteur incontournable des recompositions politiques de l’Afrique médiane.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 102

Mais la reprise de la guerre en 1994 au Nord et sa régionalisation avec l’entrée en scène du Soudan, nouveau mécène de la rébellion de la Lord’s Resistance Army (LRA) était la limite la plus sérieuse au succès ougandais. Longtemps euphémisée, la rébellion se trouvait désormais au centre d’une politique régionale de déstabilisation guerrière, qui au milieu des années 1990 touchait non seulement la frontière Nord de l’Ouganda mais aussi, via la création soutenue par Khartoum de plusieurs foyers insurrectionnels, une partie de la frontière occidentale.

Au niveau politique, les élections de 1996, qui devaient symboliser l’institutionnalisation d’un ordre politique apaisé, montraient également les limites d’un État en changement et ses approximations démocratiques. La politique inclusive dont le régime avait originellement fait sa carte de visite avait laissé place depuis le scrutin au réinvestissement massif des postes clés par les piliers du Mouvement. À travers les promesses d’ouverture politique, transparaissaient les manœuvres dilatoires visant à renforcer la main mise du Mouvement sur le pouvoir et les considérations politiciennes de survie politique. La constitutionnalisation du régime en 1994 avait durci des règles du jeu restées jusque là fluides et temporaires et renforcé la monopolisation du pouvoir par le Mouvement à travers l’obstruction légale de l’opposition traditionnelle. À la fin de cette période de « consolidation », la stabilité de la scène politique se confondait dangereusement avec son immobilisme. L’idéal de démocratie populaire était devenu un motif d’exclusion des partis traditionnels, maintenus dans un état végétatif dont la réversibilité, peu probable à court terme, ne pourrait intervenir qu’après une phase de transition pour permettre aux anciens partis de se reconstruire et à de nouvelles forces d’émerger.

D’un point de vue économique enfin, les effets positifs du dividende paix ressentis au cours des dix premières années du régime commençaient à se tasser et à rendre plus évidente la fragilité du piédestal sur lequel reposait l’Ouganda. Les résultats macro-économiques avaient été obtenus dans une large mesure grâce à l’apport massif et ininterrompu de fonds étrangers qui avait permis la mise en œuvre des réformes et des grands chantiers (la rénovation des infrastructures, la gratuité de l’éducation primaire, le développement du réseau routier, la lutte contre le sida…). Mais si le redémarrage économique du pays ne pouvait se passer de ce catalyseur financier, l’aide, qui, aujourd’hui encore, finance plus de la moitié du budget ougandais, perpétuait la dépendance du pays vis-à-vis des bailleurs et

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103 LA RECONSTRUCTION D’UN ORDRE POLITIQUE

creusait sa dette extérieure sans pour autant modifier en profondeur la nature de l’économie ougandaise. Elle soulignait le problème de la viabilité du modèle ougandais en mode autonome et du peu de capacités financières, productives et humaines locales dont il disposait pour soutenir les conditions d’une croissance durable et poser les jalons d’un développement économique sur le long terme, c’est-à-dire d’un accroissement de la production et des revenus intérieurs qu’une redistribution plus juste des revenus.

L’engagement ougandais dans le conflit zaïrois de novembre 1996 initiait le début de la troisième phase (1996 – 2001), marquée par les ambiguïtés et le développement des contradictions du régime. Malgré les avancées considérables du régime en termes de sécurité, de développement économique et de libéralisation politique, les dérives affairistes de l’armée ougandaise au Congo-Kinshasa (ancien Zaïre), les failles de l’application d’un libéralisme économique « sauvage » (lourdes disparités régionales entre le Nord et le Sud notamment, corruption, détournement de l’aide), et le durcissement du régime vis-à-vis de l’opposition rendaient plus visibles les limites du modèle économique ougandais. Depuis 1998, le pouvoir vacillait sous les coups de boutoir des scandales politico-financiers de la privatisation et du système bancaire, de la montée des oppositions internes, de son échec à mettre un terme au conflit du Nord et des dérives de l’armée au Congo. Surtout, les guerres congolaises creusaient une brèche dans le capital confiance accordé au Président Museveni, en tant que symbole paroxystique des dérives maffieuses de certains officiers de l’UPDF enrichis par le business de guerre et de la criminalisation de l’État.

Sur la scène politique, les élections de 2001 marquaient un tournant dans la gestion de l’opposition par le pouvoir. A travers les victoires électorales incontestables remportées jusqu’à présent haut la main sur une opposition rendue peu crédible, le régime de Museveni avait offert l’image d’un régime solide, capable de résister aisément aux pressions de l’opposition. La violence utilisée par le gouvernement, bien que parfois excessive, s’exerçait alors sur une opposition marginalisée et dans des zones périphériques. Cette violence sélective n’entamait guère la popularité de Museveni dans le Sud du pays ni même son image extérieure. Le recours en 2001 à une violence non nécessaire et moins sélective et l’abandon des engagements du gouvernement vis-à-vis de la démocratisation (notamment vis-à-vis du respect des urnes), constituaient à l’inverse un signe évident de fragilisation croissante de la légitimité du pouvoir. Car malgré son

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LES CAHIERS DE L’IFRA 104

échec électoral, la candidature contre Museveni de Kiiza Besigye, un homme du sérail, ancien médecin personnel et compagnon d’armes du Président ougandais, avait ébranlé l’unité du Mouvement et charrié le mécontentement de l’aile progressiste et réformatrice du Mouvement qui s’inquiétait du prolongement sine die de l’interdiction du multipartisme, de l’escalade de la corruption au sein du régime et du durcissement du gouvernement vis-à-vis de l’opposition et de la presse.

Le bilan du régime de Yoweri Museveni nous offre donc un tableau en clair-obscur. À l’évidence, depuis 1986, l’Ouganda traversait la plus grande période de stabilité politique que le pays ait connu depuis l’indépendance. Le régime pouvait inscrire à son actif d’éclatantes réussites en matière de domestication de l’armée, de reprise économique, de libéralisation politique et de respect des droits de l’Homme. La franche atténuation du niveau de violence (à l’exception notable du Nord du pays) et sa régression flagrante en tant que mode de régulation économique et politique avaient légitimé les restrictions politiques du no-party system et la gouvernance militarisante du régime. L’ouverture politique du régime n’avait certes pas entamé le contrôle exercé par le pouvoir sur les principaux enjeux, grâce à la maîtrise sélective et tactique de l’équilibre entre extension et restriction des libertés politiques, entre sécurisation du pouvoir et répression, entre cooptation et intimidation. Mais son image d’« autoritarisme bienveillant » suffisait à combler son déficit démocratique et son manque de légitimité légale-rationnelle. Sa stabilité était assurée par son immense popularité, sa crédibilité et les espoirs de reconstruction qu’il générait. Le régime s’appuyait sur la légitimité charismatique et la force de conviction du chef de guerre victorieux et des « Résistants » quadragénaires de la NRA. Museveni était considéré comme un Homme providentiel, au chemin pavé de bonnes intentions, et dont la présence au pouvoir était présentée comme un atout pour le pays en matière de participation politique, de liberté et de sécurité. Enfin, mentor de la « nouvelle génération de leaders » africains, louée par Washington, Museveni avait joué de « l’exceptionnalité » ougandaise en matière de stabilisation et de reconstruction internes et de grands succès comme dans la lutte contre le sida pour obtenir des financements, reconquérir la respectabilité internationale du pays et légitimer son interventionnisme militaire sur la scène régionale.

La reconstruction de l’ordre politique en Ouganda comportait cependant deux limites de taille : une limite géographique qui séparait le Sud / Sud-Ouest du pays, économiquement et politiquement

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105 LA RECONSTRUCTION D’UN ORDRE POLITIQUE

« utile » au régime et le Nord / Nord-Est du pays, où l’accession au pouvoir du NRM-A avait coïncidé avec le début de son instabilité et de l’exacerbation de sa marginalisation politico-économique. L’étude diachronique et contextualisée de la reconstruction étatique ougandaise nécessitait en effet de dépasser un relativisme satisfait, consistant à atténuer les écarts, faiblesses ou déficits du gouvernement de Museveni sur le simple argument que son bilan était, malgré tout, bien meilleur que celui de ses prédécesseurs ou de ses voisins africains. De fait, ses pesanteurs économiques, ses limites démocratiques ou ses dérapages militaires étaient passés quasiment inaperçus jusqu’en 1998, date de sa seconde aventure militaire au Congo. Sans tomber dans l’excès inverse qui consisterait à nier les apports manifestes du régime, il fallait cependant s’interroger sur les questions de fond que soulevait notre problématique sur la reconstruction de l’ordre politique en Ouganda, concernant notamment sa longévité en termes d’acceptation et d’institutionnalisation. Les « malformations » de l’histoire politique ougandaise avaient-elles été résolues ? Pouvait-on parler d’un réaménagement en profondeur des règles du jeu politique dans le domaine symbolique ou distributif ? L’État ougandais détenait-il aujourd’hui les moyens de sa perpétuation ?

Au fil du temps, les arguments usés de la « démocratie de Mouvement », caution de la paix et de la stabilité, avaient perdu la pertinence historique de leurs débuts. Les anciens guérilleros des années 1980 étaient devenus des bureaucrates de 60 ans en costume-cravate et avaient, pour beaucoup, troqué leurs idéaux révolutionnaires contre une vision plus pragmatique de leur carrière politique. Les membres originels du Mouvement tenaient encore fermement les leviers de la scène politique et militaire. L’usure du pouvoir, le népotisme et le verrouillage politique renforcé après les élections de 1996 avaient érodé leur popularité. Et leur monopolisation des circuits de décision était désormais mise au défi de la génération montante du Mouvement, ambitionnant qu’une ouverture politique redistribuerait les cartes du pouvoir. Des aspirations populaires et paysannes de ses débuts, le NRM s’était transformé en un mouvement élitiste, gouverné par une étroite clique de membres historiques, d’entrepreneurs politico-militaires et de proches de Museveni, dont la « famille élargie » du Président ougandais constituait le noyau central.

Occultées par le discours de la sphère dirigeante, les pratiques patrimoniales et clientélistes, quoique plus souterraines, n’en étaient pas moins persistantes voire renforcées depuis l’érosion de la popularité du régime. Non seulement les lignes de fracture ethno-

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LES CAHIERS DE L’IFRA 106

régionales et religieuses, n’avaient pas disparu mais de nouvelles s’étaient formées au sein du groupe dominant. Le déroulement violent des élections de 2001 et ses avatars ne furent que l’aboutissement convergent des deux logiques de blocage de l’opposition et de militarisation des enjeux. Il soulignait également l’articulation intime entre le choix du régime politique et le processus de reconstruction d’un ordre politique ainsi que la distinction de taille entre un État stable et un État reconstruit et consolidé. Les vieux démons de l’ordre ancien (ethnicité, néo-patrimonialisme, militarisme, violence d’État, corruption et affaiblissement des institutions civiles) avaient resurgi. Les idéaux révolutionnaires du NRM se trouvaient confrontés à la realpolitik de la conservation du pouvoir et la crise structurelle de la démocratie de Mouvement, le durcissement des oppositions internes et la perte de crédibilité extérieure du gouvernement de Museveni, faisait désormais vaciller l’équilibre politique semi-autoritaire que le régime maintenait depuis 1986.

Le régime de Museveni s’était donc heurté à l’épreuve de l’institutionnalisation du pouvoir. A ce titre, l’Ouganda perdait son statut d’exception pour rejoindre la norme d’une majorité de pays africains confrontés à la contradiction apparemment irréductible entre la consolidation démocratique et la survie politique du régime. Le cas ougandais soulignait les interactions complexes en jeu dans le phénomène multidimensionnel de l’institutionnalisation du pouvoir, où se mêlaient les conditions socio-économiques du pays, ses contraintes structurelles, les stratégies des acteurs autant que le rôle de l’environnement extérieur. Le processus d’institutionnalisation, faut-il le rappeler, même une fois engagé, reste toujours réversible et ouvert à une pluralité d’issues possibles. Il n’existe ni de pré-requis ni de prédestination à sa réussite.

Cédant à la tentation autoritaire, le régime avait sérieusement entamé le capital démocratique qu’il avait engrangé jusqu’alors. L’effritement concomitant de sa popularité était pourtant de bien mauvais augure au moment où s’ébauche la perspective, après modification constitutionnelle, d’un troisième mandat pour Museveni en 2006. Sa succession politique, l’un des maigres indices mis à notre disposition pour juger de l’institutionnalisation du pouvoir, constituait à l’évidence un enjeu de taille et un test de résistance de l’État ougandais selon que Museveni quittera ou non le pouvoir de son plein gré en laissant à son successeur, quel qu’il soit, les ressources nécessaires à une transition politique porteuse de stabilité.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.107–112

L’objet ethnologique « relations à plaisanteries » dans l’espace est-africain

(Tanzanie)

De la construction savante d’une coutume à la restitution des situations sociales de l’utani

Marie-Aude FOUERE

L’expression générique de « relations à plaisanteries » est apparue en ethnologie au début du 20ème siècle. Elle a été utilisée pour désigner des pratiques sociales variées, géographiquement éloignées, que le comparatisme fonctionnaliste des années 1940 s’est empressé d’unifier au vu de leur similarité structurelle. Longtemps cantonnées dans le champ disciplinaire de l’ethnologie, où elles se sont imposées comme un classique des monographies à partir des années 1960, ces pratiques sont en passe de devenir un des grands thèmes politiques rassembleurs dans l’Afrique de ce début de siècle. À la recherche d’un fondement proprement africain du lien social, nombre d’intellectuels et d’hommes politiques voient en effet dans les relations à plaisanteries un savoir endogène à promouvoir dans la prévention des conflits interethniques.

Utani en Tanzanie, banungwe en Zambie, senankuya au Mali, dendiragaa au Burkina Faso : ces termes constituent quelques exemples parmi la multitude de désignations locales, parfois strictement régionales, d’autres fois transnationales, qui ont été regroupées sous le concept de « relations à plaisanteries » au vu de la grande similarité des pratiques qu’ils désignent. Selon la définition classique qui se développe en ethnologie et trouve son apogée dans les travaux fonctionnalistes des années 1950, l’expression « relations à plaisanteries » renvoie à des rapports spécifiques qui s’instaurent soit entre certains membres d’un même groupe de parenté, soit entre clans, soit entre ethnies. Ces relations impliquent l’adoption de comportements particuliers, qui comprennent l’énonciation de plaisanteries ou de moqueries et l’exécution d’actes d’entraide. Ainsi,

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LES CAHIERS DE L’IFRA 108

les textes ethnologiques portant sur la parenté à plaisanteries en Tanzanie indiquent qu’un petit-fils peut appeler sa grand-mère « ma femme » et une petite-fille son grand-père « mon mari ». En retour, un grand-père appelle sa petite-fille « ma femme » et une grand-mère son petit-fils « mon mari ». Un homme peut plaisanter avec son oncle maternel, se moquer de lui et lui voler des affaires. Dans le second type de relations à plaisanteries distingué par l’ethnologie classique, les membres de lignages ou de clans liés se doivent entraide ou assistance dans les moments difficiles. Les partenaires à plaisanteries conduisent les funérailles d’un membre du groupe avec lequel ils sont liés. Ils participent aux dépenses, creusent la tombe et enterrent le mort ; ils préparent la cuisine et nettoient la maison de la famille endeuillée. Certains auteurs précisent que les partenaires à plaisanteries sont présents lors de la cérémonie d’investiture des chefs de clan avec lesquels ils ont établi des relations à plaisanteries. Ils effectuent en outre les rites funéraires de ces chefs. La caractéristique la plus marquant de ces rapports renvoie aux comportements des partenaires à plaisanteries. Quand ces derniers se rencontrent, ils s’insultent ou se raillent, et peuvent aller jusqu'à l’injure ou aux coups. Tout individu peut entrer chez son partenaire à plaisanteries, boire les réserves de bière et se servir dans les stocks de nourriture. Les mêmes comportements ont été répertoriés par les premiers observateurs dans le cadre des relations à plaisanteries entre groupes ethniques. Ce sont les relations à plaisanteries interethniques qui sont principalement discutées dans la thèse.

L’adoption d’un point de vue déconstructiviste permet de dévoiler les présupposés essentialistes, a-historiques et a-politiques qui sous-tendent la notion de « relations à plaisanteries ». En effet, cette catégorie ethnologique repose sur une conception normative de la société, selon laquelle les normes sociales sont le moteur des actions individuelles, agissant tel un pouvoir de coercition sur les pratiques individuelles. Ce qu’ignore cette perspective normative, c’est le hiatus entre théorie et pratique. Recourir au vocabulaire du droit est une facilité stylistique et stratégique qui évite d’avoir à étudier non pas ce que les individus disent faire, mais ce qu’ils font. Si la perspective juridique a été décisive dans l’avènement du paradigme structuralo-fonctionnaliste en ethnologie (perspective adoptée par Radcliffe-Brown), elle a aussi alimenté les théories symbolistes, en particulier dans l’approche proposée par Marcel Griaule. En second lieu, ce type d’approche promeut un schème essentialiste qui fait des groupes sociaux des entités homogènes aux caractéristiques immuables. Enfin,

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109 RELATIONS A PLAISANTERIES

il se caractérise par un déni de l’histoire et un refus de prendre en compte les rapports de force entre groupes sociaux. Ainsi, il insiste sur le bon fonctionnement du groupe (que ce soient le clan, la caste ou l’ethnie), sur la reproduction des modes d’organisation et des représentations qui le fondent, passant sous silence les dysfonctionnements, la conflictualité et les stratégies de légitimation du pouvoir. La société est perçue comme une entité homogène, sans clivages entre groupes, sans points de rupture ni heurts entre générations, entre hommes et femmes, entre regroupements sociaux autour d’intérêts propres. Dans cette optique, les relations à plaisanteries ne seraient donc rien de moins qu’une « coutume » ou une « tradition » dans le sens classique du terme, c’est-à-dire une institution transmise telle quelle au cours du temps sans jamais subir d’inflexions.

Un aperçu des difficultés rencontrées sur le terrain pour saisir l’usage du concept swahili d’utani, classiquement traduit par « relations à plaisanteries », et les formes de mise en œuvre des pratiques qu’il désigne vient étayer cette entreprise réflexive sur une catégorie ethnologique savante. L’ensemble des propos qui m’ont été tenu sur l’utani, et l’ensemble des assignations du terme utani à des situations d’interaction, présentent par endroit une parfaite concordance avec les données ethnographiques textuelles. Mais ils se caractérisent aussi par des variantes, des contradictions, des zones de flous, brefs des multiplicités discursives et pratiques que les écrits ethnologiques classiques tendent à gommer. Je m’appuie sur trois types de matériaux pour attester des multiplicités discursives auquel le terme utani donne lieu. En premier lieu, je relate une partie de mon expérience de terrain, et souligne ma perplexité face aux emplois de terme utani par les acteurs locaux. Je cite des écrits swahilis modernes (journaux principalement) qui témoignent d’un usage de ce terme très différent de celui qu'évoquent les écrits ethnologiques. Enfin, je passe en revue les variations dans les définitions du terme utani dont attestent les dictionnaires de swahili. A partir de ces différents lieux, je mets en lumière le hiatus qui existe entre définition ethnologique et définitions locales du terme utani, hiatus qui m’amène à poser quelques hypothèses explicatives discutées dans la suite du travail.

Un retour historique sur les rapports entretenus par les unités socio-politiques de Tanzanie permet de se dégager de la catégorie savante de « relations à plaisanteries » et de reconstituer les logiques de l’émergence et de la reproduction des pratiques auxquelles elle renvoie. Il apparaît qu’à l’époque précoloniale, ces relations, nées des frictions constantes entre unités socio-politiques, se caractérisaient par une

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LES CAHIERS DE L’IFRA 110

dissymétrie dans la détention du pouvoir. Elles renvoyaient plus particulièrement aux formes d’association locales et fluctuantes entre les groupes détenteurs du pouvoir militaro-politique et les groupes faiblement organisés. En couplant les informations disponibles sur les modes d’organisation sociale des populations de Tanzanie, on est amené à affirmer que les pratiques aujourd’hui désignées par l’appellation utani doivent être conçues comme des compromis locaux et fluctuants, entre des groupes eux-mêmes mobiles (dans un sens géographique, mais aussi morphologique). Elles sont bien plus liées aux situations de contact conflictuel entre membres de groupes étrangers, situations où transparaissent des rapports de force variables, qu’elles ne sont le résultat de la passation d’alliances codifiées. En outre, les supposés contractants n’étaient pas sur un pied d’égalité, comme le suggère pourtant les reconstructions historiques des ethnologues précédents. C’est à la suite de stratégies, mises en place soit par le plus faible dans le but de n’être pas entièrement assimilé ou détruit, soit par le plus fort pour légitimer sa prise de pouvoir sur des dépendants, que de tels pactes ont pu prendre forme. On peut donc dire que les relations à plaisanteries sont déterminées par la construction politique des groupes sur une aire géographique aux contours flous. Elles sanctionnent l’état des relations inégalitaires à un moment donné dans un espace donné. En outre, les relations d’utani n’ont pas aboli l’asymétrie des rapports de pouvoir qui les fondent, mais ont au contraire permis de reproduire ces rapports inégalitaires en maintenant les groupes dans leurs positions respectives. À l’époque coloniale, les relations à plaisanteries se sont perpétuées à travers les réaménagements des rapports de force entre les sociétés locales. Elles ont aussi connu un processus de fixation suite à leur codification juridique et à l’appropriation des catégories ethniques imposées par le colonisateur. Le cas particulier de l’espace Uluguru, dans la région de Morogoro en Tanzanie, illustre localement les analyses précédentes présentées à l’échelle de l’espace est-africain.

Une analyse inspirée des travaux de l’anthropologie linguistique vient dévoiler les logiques identitaires et les rapports de pouvoir qui se trouvent au cœur des interactions présentes. L’observation des situations d’interaction montre que les relations à plaisanteries puisent dans les référents identitaires classiques de l’espace social dans lequel elles sont mises en œuvre, en même temps qu’elles constituent une modalité des positionnements identitaires individuels et collectifs. Contre l’idée que les identités seraient des entités figées, transmises telles qu'elles au cours d’une histoire sans histoire, on constate qu'elles

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111 RELATIONS A PLAISANTERIES

se caractérisent par des assignations au présent qui les produisent et les reproduisent à chaque rencontre entre locuteurs. En second lieu, la réactualisation des frontières des groupes, c’est-à-dire l’assignation de l’interlocuteur dans une catégorie donnée, permet de reproduire les schèmes de pouvoir passés pour les adapter à la situation présente. Dans le cadre des relations à plaisanteries, les individus jouent avec les modes de relations hiérarchiques passées entre les groupes ethniques et claniques, mais aussi professionnels, nationaux, etc., et les réactualisent pour définir les relations hiérarchiques contemporaines. En Tanzanie, la référence aux rapports de pouvoir passés, historiques ou fictifs, entre les groupes ethniques est une pratique courante dans l’utani. Elle sert de fondement pour réaffirmer une position de dominant, ou pour contrecarrer les tentatives d’un des locuteurs de se poser comme dominant.

Enfin, le travail de thèse s’achève par une réévaluation de l’usage de la thématique des « relations à plaisanteries » dans l’espace public actuel. On défend l’idée que les caricatures politiques et le comique de la dérision s’inspirent des pratiques de relations à plaisanteries pour dénoncer les rapports de force qui s’exercent entre les différents niveaux de la société tanzanienne. En outre, depuis une petite dizaine d’années, on constate l’émergence d’un discours politique local qui a récupéré la construction conceptuelle savante de « relations à plaisanteries » pour mettre en lumière l’existence de mécanismes indigènes anciens (les « savoirs locaux ») de règlement des conflits et de promotion de la solidarité interethnique. Cet argumentaire selon lequel les pratiques nommées utani, senankuya, dendiragu, etc. constituent des modes traditionnels de résolution des conflits repose sur la réappropriation de la construction ethnologique des relations à plaisanteries comme « tradition africaine » et sur leur réactualisation aux enjeux présents.

En d’autres termes, les observateurs sont aujourd’hui les témoins du processus de construction d’une « néo-tradition ». Les pratiques de relations à plaisanteries, multiples et fluides, au cœur de la production et de la reproduction des frontières identitaires, sont en instance d’être institutionnalisées par les discours savants. La lecture univoque d’une histoire africaine mythifiée rend légitime cette institutionnalisation, cette réification des façons de faire locales, et affiche clairement ses objectifs idéologiques. Faisant fi non seulement de la réalité historique des lieux d’émergence ponctuels de ces relations et des ressorts politiques qui les sous-tendent, mais aussi de leurs conditions opératoires en situation, à savoir l’existence de hiérarchies

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LES CAHIERS DE L’IFRA 112

identitaires et politiques, nombre d’intellectuels et d’hommes politiques réduisent les relations à plaisanteries à des mécanismes d’évacuation des tensions psychologiques et sociales, à mi-chemin entre l’obédience à la théorie fonctionnaliste et la fidélité à la théorie symboliste. La puissance structurante de la « bibliothèque coloniale » sur la pensée africaine moderne est donc bien visible dans le cas des discours sur les relations à plaisanteries. Une majorité d’intellectuels et d’hommes politiques semblent se contenter de s’approprier des discours pré-constitués, qui leur indiquent les limites de ce qui peut être énoncé. Le rôle de cette nouvelle catégorie dans la construction discursive et pratique des Etats-nations d’Afrique est une piste qui reste à explorer.

La présente thèse s’est attaquée à l’évidence, à la familiarité qui entourent le concept de « relations à plaisanteries » et en font un élément du sens commun ethnologique. Elle s’est donnée pour objectif d’opérer une relecture épistémologique des catégories de pensée et des paradigmes classiques de la discipline ethnologique. C’est en sortant du carcan des théories juridico-fonctionnalistes et symbolistes, en s’éloignant des cohérences fonctionnelles qui ensevelissent les rapports de pouvoir que les logiques qui fondent les pratiques regroupées sous l’étiquette de « relations à plaisanteries » par l’ethnologie classique ont pu être dévoilées. La naissance de la catégorie savante de « relations à plaisanteries » est venue supprimer toute référence aux rapports de force entre sociétés, pour lui substituer une vision romantique des groupes humains vivant en harmonie grâce à la passation de traités de paix respectées « à la lettre ».

Contre cette forme d’africanisme, le travail de thèse s’est attaché à traquer les enjeux politiques qui rendent compte de le production et de la reproduction des pratiques sociales en question. Il propose en conclusion la seule définition possible du concept d’utani, si l’on suit fidèlement la logique explicative adoptée ici : l’utani est un signifiant qui est utilisé pour désigner des situations sociales variées, plus ou moins codifiées, dans lesquelles les pratiques mises en œuvre par les individus ont pour objet conscient ou non d’affirmer un certain état de pouvoir par la manipulation des catégories identitaires disponibles dans l’espace social considéré et par la manipulation des représentations sociales qui sont associées à ces catégories. Cette définition me semble suffisamment souple pour pouvoir intégrer la variabilité et la fluidité des pratiques selon les contextes de leur émergence. On n’aura donc jamais fini de « faire le tour » de l’utani parce que les modes d’association entre ce signifiant flou et un ensemble de pratiques sociales ne cessent de se modifier.

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IFRA ~ Les Cahiers, N° 27, pp.113–118

Appropriations africaines des modèles médiatiques occidentaux

Analyse comparative des presses du Burkina Faso et du Kenya

Brice RAMBAUD

Notre mémoire de DEA, soutenu en juin 2004, intitulé « Négociation africaine des modèles médiatiques occidentaux. Le cas de la presse togolaise » avait pour objectif d’appréhender le développement d’une pratique importée durant la colonisation et sa réinterprétation par les élites togolaises en fonction d’un contexte sociopolitique donné, de stratégies propres, de modes de pensée et de communication préexistants. Pour le doctorat, la volonté d’approfondir le même objet de recherche s’est accompagnée du désir de réaliser une analyse comparative de la presse en Afrique francophone et en Afrique anglophone, héritières de modèles politiques différents. Les cas retenus devaient ainsi finalement être le Burkina Faso et le Kenya, pour le dynamisme de leur système médiatique. L’analyse part d’un constat : l’incroyable différence qualitative et quantitative, en 2005, de la presse burkinabé et de la presse kenyane, alors que ce média a été importé à la même période, fin du XIXe siècle, dans les deux pays. Pourquoi tant de différences entre les 180 000 exemplaires quotidiens et le rôle de contre-pouvoir du journal kenyan The Daily Nation et les 6 000 exemplaires quotidiens du burkinabé Le Pays, dont l’influence politique reste limité ? Pourquoi un tel écart entre le langage formel, reprenant le « facts, facts, facts » du journalisme anglais, d’une presse kenyane très « british » et le langage imagé, très imprégné d’oralité, d’une presse burkinabé très « africanisée » ? Ces questions nous ont conduit à nous interroger sur les dynamiques d’importation et d’appropriation de la presse en Afrique subsaharienne. Notre étude est en premier lieu une analyse de

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LES CAHIERS DE L’IFRA 114

la réception et du développement d’un modèle de communication transféré dans un milieu sociopolitique différent de celui qui l’a vu naître. Le terme « modèle » est ici défini par deux aspects complémentaires : il représente d’une part la construction intellectuelle d’une réalité, qui constitue avant tout une aide à la réflexion, et, d’autre part, une production sociale qui sert de référence pour une reproduction. L’intérêt de cette recherche est multiple. Acteurs et témoins des évolutions sociopolitiques, les médias informent sur les représentations, les mythologies, les aspirations de la société dans laquelle ils s’inscrivent. De plus, la comparaison des presses anglophones et francophones en Afrique permet d’observer l’influence des structures traditionnelles et des modèles laissés par les anciens colonisateurs sur les Afriques contemporaines.

Travail d’archives et de documentation,43 entretiens avec journalistes, directeurs de publication et enseignants en journalisme ont structuré les deux mois passés au Kenya à la fin de l’année 2004, avec deux mouvements principaux : l’étude de l’histoire de la presse au Kenya (diachronie) et l’analyse de la presse dans le système médiatique en 2004 (synchronie). La mission a également permis de constituer le corpus de recherche, indispensable pour l’analyse de contenu de la presse. Corpus essentiellement constitué des quotidiens The Daily Nation, The Standard, The People et de quelques hebdomadaires, l’analyse se focalisant sur la presse d’information générale. Le cadre théorique de cette thèse très socio-anthropologique se situe au carrefour des influences des Cultural Studies et de Georges Balandier. De ce dernier, nous reprenons la démarche interprétative « dynamiste », c’est-à-dire dynamique et critique,44 qui a pour référent méthodologique le principe d’une structure sociale toujours à l’œuvre. Concernant le transfert de modèle, nous pensons, à l’image de Bayart, que « tout emprunt est réinvention »,45 que tout modèle importé en Afrique subit une hybridation entre répertoires importés et répertoires autochtones. Cette problématique de la re-création lors de la réception du modèle s’inscrit, au niveau des sciences de l’information et de la 43 Ce travail a été principalement réalisé aux Archives Nationales, aux archives

des groupes Nation et Standard, à la bibliothèque de l’Université de Nairobi – le département consacré à la communication et au journalisme dispose d’un centre de recherche, l’African Council for Communication Education (ACCE) – et à celle de l’Université Daystar.

44 Démarche détaillée notamment dans G. Balandier (1967). Anthropologie politique. Paris : PUF Quadrige.

45 J.-F. Bayart, L’Etat en Afrique (1989). La politique du ventre. Paris : Fayard, p.50.

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communication, dans un mouvement de pensée qui met en exergue l’activité du récepteur de message : les Cultural Studies. Cette école constate que les lectures des messages (écrits, audiovisuels, etc.) faites par les publics sont très différentes selon les individus, leurs caractéristiques socioculturelles, leurs attentes. Elle insiste sur le contexte social de la réception.46 La pluralité des contextes de réception induit une pluralité dans l’interprétation. Le récepteur donne le sens du message qu’il reçoit ; il en devient le co-constructeur.47 Importation et appropriation Les premiers journaux sont introduits en Haute-Volta et au Kenya à la fin du XIXe siècle par des missions chrétiennes. Les religieux publient proverbes, histoires, chants entendus et, par le biais du journal, continuent l’habitude de lecture. Si en Haute-Volta la presse reste confessionnelle et à destination de l’administration coloniale avant la Première guerre mondiale, le Kenya voit fleurir rapidement une presse privée. À l’origine de cet essor : une certaine tradition anglaise de liberté de la presse et des intérêts économiques nés de la création d’un nouveau marché. En 1902, Alibhai Mulla Jeevanjee, riche commerçant indien, crée à Mombasa The African Standard, qui devient rapidement le journal le plus lu en Afrique de l’Est. Toujours en activité en 2005, The Standard demeure la plus ancienne publication kenyane.

L’appropriation de la presse par les Africains se réalise dans le cadre de la politisation des instruits. La contestation de la domination des colonisateurs passe aussi par la presse. Elle vient plus tôt dans les colonies anglophones que dans les colonies francophones. Dès le début des années 1920, naît une presse kenyane très politisée, très critique. Ces journaux représentent une voix alternative au discours colonial officiel et un moyen pour l’élite africaine en formation de s’exprimer politiquement. Ils coexistent avec une presse privée dynamique. Dans les années 1950, tous les organes politiques ont leur journal. La Kikuyu Central Association (K.C.A.) publie notamment Tangazo. En Haute Volta, il faudra attendre les années 1940 pour voir apparaître une presse « autochtone » contestatrice, même si le pays avait connu Trait d’Union, journal catholique, dans les années 1930. De

46 Lire R. Hoggart (1957). The uses of literacy. Londres : Essential books, Fair

Lawn. 47 Lire S. Hall, « Codage/décodage » in Réseaux n°68, pp. 29–39.

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LES CAHIERS DE L’IFRA 116

1946 à 1960, une dizaine de titres sont créés, dont le principal est l’Observateur en 1955.

Acculturation et domination L’importation de la presse durant la colonisation, ainsi que son appropriation par les instruits durant la lutte pour l’indépendance, font de cette pratique un produit et un facteur d’acculturation, définie par Balandier comme « l’imposition d’une culture étrangère à des partenaires devenus dépendants ».48 Est introduite une pratique politique exogène — qui s’insère dans un cadre institutionnel également exogène — véhiculée par un nouveau mode de communication en rupture avec l’oralité traditionnelle : l’écrit. La presse constitue en Afrique un « transfert total » : de technique, de pratique, de représentations, de connaissances.49

Le développement très différent des presses du Burkina Faso et du Kenya n’empêche pas une diffusion du modèle identique. L’importation-appropriation suit une diffusion verticale, à laquelle se superpose une diffusion horizontale. La nouveauté venue d’occident vient se répandre de haut en bas de la pyramide sociale, avant de se démocratiser. Au centre de la diffusion, l’élite dispose d’un rôle stratégique. Pour faire connaître leurs revendications, les instruits s’appuient sur les organes politiques et sur la presse. En 1928, Jomo Kenyatta issu de la K.C.A. édite Muigwithania. La presse a représenté un moyen d’accès au politique pour les Africains. A l’instar de Kenyatta, l’appropriation du modèle a constitué, pour l’élite qui en a pris l’initiative, une stratégie de conquête du pouvoir. Résultat de domination externe – la dépendance au Nord –, le transfert de modèle est aussi un facteur de domination interne.

Prégnance du politique On remarque la prégnance du politique dans l’acquisition et le développement du modèle de la presse. La presse s’est développée selon les libertés ou restrictions décidées par les pouvoirs en place, en lien direct avec le contexte international, avec trois phases principales : colonisation / indépendance / libéralisation. On constate que durant la 48 G. Balandier (1994). Le dédale. Pour en finir avecle XXe siècle. Paris : Fayard, p.

89. 49 Lire A.-J. Tudesq (1998). L’espoir et l’illusion. Actions positives et effets pervers des

médias en Afrique subsaharienne. Talence : Editions de la MSHA, pp. 17–51.

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117 APPROPRIATIONS AFRICAINES DES MODELES MEDIATIQUES OCCIDENTAUX

période du parti unique — dès les indépendances dans les deux pays, mais beaucoup plus longue au Kenya qu’au Burkina — le choix éminemment politique de monopole étatique de l’information ou de pluralisme laissé à la presse a été décisif pour le développement du modèle. Le contrôle gouvernemental de la presse en Haute-Volta a considérablement freiné la démocratisation de cette pratique. À l’inverse, lorsque Jomo Kenyatta décide de composer avec la liberté de presse, après l’indépendance de 1963, il permet à une presse privée déjà bien implantée — notamment The Daily Nation, quotidien créé en 1958 — de continuer son expansion, sa diversification et sa structuration. De nombreux magazines apparaissent dans les années 1960 / 70. Les tirages augmentent. Des formations au métier de journaliste voient le jour. Malgré cette euphorie, les discours restent consensuels et peu critiques envers le pouvoir, sous Kenyatta puis sous Moi. Il faudra attendre la libéralisation de 1991 pour voir la presse dénoncer le régime. Le pluripartisme arrive au Kenya en même temps qu’une presse alternative très critique. Mais le paysage médiatique change moins dans ce pays qu’au Burkina Faso, où les premiers journaux privés, indépendants du gouvernement, apparaissent en 1990 et surtout en 1991, comme par exemple le satirique Le Journal du Jeudi ou le quotidien Le Pays. L’étatique Sydwaya permet à des opposants de s’exprimer dans ses colonnes. Les langues se délient grâce aux médias et la presse revit, même si les nouveaux journaux sont souvent éphémères.

Nécessaire absorption sociale Outre l’importance du facteur politique, l’analyse comparative nous montre que, pour une appropriation « réussie », le modèle de la presse doit être absorbé par le social. Le succès d’un modèle transféré comme celui de la presse dépend de l’acquisition d’autres modèles importés, notamment celui de l’écrit et de l’économie de marché. La trajectoire de la presse doit être prise en compte parallèlement aux phénomènes d’alphabétisation, d’urbanisation, d’évolution sociale. Le Kenya a connu une alphabétisation croissante ainsi qu’un développement économique assez efficace qui a permis la constitution d’une classe moyenne urbaine intéressée par le fait politique et qui a permis le financement des journaux par la publicité. La presse burkinabé, en revanche, peine à élargir son lectorat devant une situation économique très difficile, un faible taux d’alphabétisation (à peine 30 % de la

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LES CAHIERS DE L’IFRA 118

population en 200250) et une forte ruralité, où la presse n’arrive pas. Le taux de pénétration de la presse dans ce pays était de 1 % en 1999 — contre 15 % au Kenya.51 Malgré ses faibles tirages,52 malgré une production encore assez artisanale et une distribution concentrée à Ouagadougou, le tableau n’est pas sombre pour la presse burkinabé. Cette dernière est vivante, composée d’environ cinquante journaux, dont quatre quotidiens, de nombreux hebdomadaires et « irrégulomadaires ». Très empreinte d’oralité dans son style d’écriture, mélangeant faits et commentaires comme le modèle de la presse française, c’est une presse d’opinion, très intégrée au politique. Elle ne peut cependant rivaliser avec une presse kenyane bien distribuée sur le territoire, avec cinq grands quotidiens d’information,53 une importante presse hebdomadaire et plus de 70 magazines — dont certains, comme Parents, atteignent les 40 000 exemplaires mensuels en 2005. Possédant un fort degré de mimétisme avec la presse anglaise, son modèle de référence, la presse kenyane a une écriture formelle, séparant faits et commentaires, et un format tabloïd omniprésent. Les « manières de faire » des anciennes métropoles sont ainsi copiées, notamment parce que celles-ci ont laissé leur système scolaire et forment encore de nombreux diplômés. Un « marché des modèles » (avec concurrence entre pays producteurs au niveau international) se joue toujours, principalement par les flux universitaires et les actions de coopération.

Les résultats retranscrits dans cette position de thèse ne sont que partiels. Si le terrain a été réalisé pour la presse kenyane, la mission au Burkina Faso aura lieu durant l’été 2005. Les résultats présentés ne prennent pas en compte l’analyse de contenu et l’étude du lectorat, qui constitueront les prochaines étapes de l’analyse comparative. Celle-ci met cependant déjà en lumière deux transferts de modèles, deux appropriations, deux développements de la presse. Elle montre qu’il existe une différence fondamentale entre modèles et pratiques : l’homogénéisation apparente des modèles au niveau mondial masque en réalité des divergences de pratiques.

50 Source : PNUD (2003). Rapport pays suivi des objectifs du millénaire pour le

développement. 51 Souce : A.-J. Tudesq (1999). Les médias en Afrique. Paris : Ellipses, p. 12. 52 Par exemple, pour les quotidiens, l’Observateur Paalga tirait en 2003 à 6 000

exemplaires, Le Pays également à 6 000, Sidwaya à 4 000 et l’Express du Faso, seul quotidien produit hors de la capitale, à 2000.

53 En 2005, The Daily Nation diffuse à 180 000 exemplaires par jour, The Standard à 65 000, The People à 53 000, Taifa Leo à 30 000 et Kenya Times à 25 000.