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CAHIER PÉDAGOGIQUE AI-JE DU SANG DE DICTATEUR ? © Gabrielle Desmarchais PRODUCTION Didier Lucien, parrainée par le Nouveau Théâtre Expérimental TEXTE ET INTERPRÉTATION Didier Lucien MISE EN SCÈNE Guillaume Chouinard Didier Lucien CONCEPTION Louis Bond Alain Lucien J. Christian Gagnon Jacinthe Perrault Thomas Godefroid Éric Trottier Pierre Laniel Jasmine Wannaz Du 27 janvier au 11 février 2017 Espace Libre, 1945 Rue Fullum, Montréal

CAHIER PÉDAGOGIQUE AI-JE DU SANG DE …espacelibre.qc.ca/sites/default/files/cahier_pedagogique_ai-je_du... · Duvalier La face cachée de Papa Doc Jean Florival François Duvalier

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CAHIER PÉDAGOGIQUE

AI-JE DU SANG DE DICTATEUR ?

© Gabrielle Desmarchais

PRODUCTION Didier Lucien, parrainée par le Nouveau Théâtre Expérimental

TEXTE ET INTERPRÉTATION

Didier Lucien

MISE EN SCÈNE Guillaume Chouinard

Didier Lucien

CONCEPTION Louis Bond Alain Lucien J. Christian Gagnon Jacinthe Perrault Thomas Godefroid Éric Trottier Pierre Laniel Jasmine Wannaz

Du 27 janvier au 11 février 2017 Espace Libre, 1945 Rue Fullum, Montréal

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RÉSUMÉ DE LA PIÈCE

Un animateur réalise un documentaire sur son pays natal. Affecté par son ignorance, il est envahi par un sentiment d’incomplétude. Un concours de circonstances fortuites le conduit pour la première fois en Haïti où il entreprend de retracer son histoire et comprendre ce qui le relie à son pays d’origine. Sur place, il est confronté aux affres de deux puissants séismes : celui qui vient tout juste de secouer le pays et le sien. D’où vient Didier Lucien ? Pour y répondre, il vous raconte l’histoire de la première république indépendante noire ; il personnifie le président à vie, François Duvalier ; il chante, danse et se dédouble grâce à de la vidéo. Sans pudeur, il vous propose une incursion dans le merveilleux monde de la dictature. INTENTIONS ET PROPOS (par Didier Lucien)

J’ai écrit cette pièce en me basant sur ce que j’ai envie de voir au théâtre. J’ai écrit cette pièce

avec en tête une priorité : décloisonner le théâtre et le rendre accessible au plus grand

nombre, donner à tous une chance de s’y reconnaître, et que le théâtre soit un terreau fertile

propice aux échanges et aux dialogues. Ai-je du sang de dictateur ? est à la fois un récit fictif et

réel inspiré d’éléments autobiographiques et de faits historiques. Elle se veut une incursion

BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR ET INTERPRÈTE

Le comédien Didier Lucien, originaire d’Haïti est arrivé au Québec à l’âge de 3 ans. Il est diplômé du programme d’Interprétation de l’École Nationale de Théâtre du Canada en 1994. Depuis, il multiplie les projets, touchants autant au théâtre qu’à la télévision et au cinéma. Au théâtre, on l’a vu, entre autres, dans les pièces Cabaret des neiges noires, Nicole, Amour, cul et violence, Ladies’ Night, Il n’y a plus rien et La Cage aux folles. Il est reconnu auprès des jeunes grâce à son rôle de Bob Dieudonné-Marcelin Dans une galaxie près de chez vous (les deux films et la série). Au grand écran, il apparait dans les films L’Âge des ténèbres, French Kiss, Émilie et Chorus.

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dans un monde méconnu.

L’intention sous-jacente est de proposer une nouvelle façon de s’ouvrir aux autres, vraie,

sincère, impliquée, sensible et factuelle. Je me raconte à travers Haïti, alors que d’autres

pourraient suivre cette voie et se raconter à travers le Maroc, la France, le Québec, car sont

abordés tout au long de la pièce des questionnements fondamentaux qui n’ont ni barrières ni

frontières. En somme, le but est d’établir que peu importe d’où l’on vient, il est important de

donner une voix à notre passé, mais il est primordial de comprendre notre présent pour mieux

aborder notre futur commun.

Ouvrir nos horizons. Ressentir, le temps d’un instant, ce qu’a vécu l’autre. S’amener à se

reconnaître dans l’autre. Prendre connaissance de nos différences, faire ressortir ce qui nous

réunit. Être ensemble les auteurs du nouveau chapitre de notre histoire.

Encore à ce jour, on fait appel à moi lorsqu’on nécessite « un étranger ». Malheureusement,

ces rôles sont souvent dépourvus de substance. Ces rôles ne sont souvent que des

représentations unidimensionnelles issues de l’imaginaire rétréci et réducteur, de l’idée

éhontée, clichée et stéréotypée que les auteurs se font des étrangers. C’est une des raisons qui

m’ont motivé à créer ce projet. Un besoin viscéral d’incarner un rôle moteur et d’aborder le

sujet de mes origines haïtiennes et de mes nationalités québécoise et canadienne d’une façon

intimiste, intelligente, et inclusive. Enfin avoir l’occasion de me commettre entièrement à la

pratique de mon métier, développer mon jeu et en raffiner les nuances. De plus, grâce à ce

projet, je développerai mes compétences de metteur en scène et créerai des liens privilégiés

avec des artistes québécois accomplis.

FORME

Cette pièce confond les genres littéraires et prend vie à travers les monologues, dialogues,

récits historiques, chansons, et discours politiques. Un seul comédien qui incarne plusieurs

personnages, mais grâce à une mise en scène habile et inventive.

Cette idée de dédoublement d’un personnage est venue suite à un constat : dans nos vies, nous

ne portons pas le même visage tous les jours, nous ne montrons pas toujours les mêmes facettes

de notre personne, selon la personne à laquelle on s’adresse. Plutôt qu’adopter une forme de

monologue avec un seul acteur sur scène, Ai-je du sang de dictateur ? dévoilera les diverses

personnalités du personnage, donnant l’impression au spectateur qu’ils sont plusieurs sur scène,

évoquant les contradictions de nous-mêmes en tant qu’être humain.

La structure détient quelque chose du rêve et s’inspire entre autres de l’univers de David Lynch,

qui entremêle rêve, cauchemar et réalité dans ses œuvres ; ou encore du film 2001, Space Oditty

de Stanley Kubrick, qui se compose par trois sections bien distinctes, mais totalement

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complémentaires.

Soutenu par divers dispositifs scéniques, que ce soit des costumes ou des projections, le

protagoniste sera tantôt animateur, tantôt dictateur ou voyageur. De plus, une scénographie

ingénieuse ainsi qu’une trame sonore riche permettront aux spectateurs d’être transportés

d’un studio de tournage au boudoir d’un dictateur, des paysages d’Haïti aux décombres d’une

maison. Émouvoir sans histoire d’amour. Saisir d’effroi sans démonstration graphique. Ai-je du

sang de dictateur ? est une œuvre à la fois didactique et théâtrale, historique et fictive,

personnelle et collective.

IMPLICATION DU PUBLIC

Dès leur arrivée au théâtre, les spectateurs seront plongés dans une atmosphère et une

ambiance intimiste et chargée : musique, photographies, vidéos, artefacts, bar et cantine. Ils

seront reçus par l’acteur et introduits à lui ainsi qu’aux autres spectateurs le plus intimement

possible. Une fois les liens établis, ils prendront part, à titre d’assistance, au tournage d’un

documentaire. En second lieu, ils seront transportés en Haïti de 1957 à 1971 et incarneront le

peuple haïtien sous la dictature de François Duvalier. Ils seront ensuite témoins d’une

discussion entre deux survivants du séisme de 2010 en Haïti. Les objectifs principaux sont de

faire vivre à chacune des personnes qui prendra part à une représentation de Ai-je du sang de

dictateur ? une expérience mémorable chargée en émotions et à les amener à voir le théâtre

différemment.

Les spectateurs seront aussi des collaborateurs. Ce projet contribuera à éveiller l’intérêt pour

le théâtre chez ceux qui n’en avaient pas auparavant et offrir une expérience singulière et

inspirante à ceux qui y sont habitués. Ce spectacle saura interpeller tous ceux qui désirent

participer à l’émancipation collective, nationale et humaine. Quiconque qui est à la recherche

de sa place dans son propre pays sera interpellé.

RÉFÉRENCES ET INSPIRATIONS (par Didier Lucien)

Depuis 2 ans, je réunis de l’information pertinente à l’écriture de cette pièce. J’ai interviewé des membres de ma famille qui ont vécu en Haïti sous le règne de Duvalier. J’ai rencontré Frantz Voltaire, réalisateur du documentaire sur la dictature de François Duvalier, Au nom du père… Duvalier. De plus, plusieurs reportages et entrevues d’époque, avec et sur Duvalier, sont disponibles au visionnement sur Youtube. Et j’ai aussi trouvé de l’aide à ma recherche et bon nombre de livres très rare au centre Cidhica à Montréal (Centre International de Documentation et d'Information Haïtienne Caribéenne et Afro canadienne).

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Voici la liste des livres que j’ai lu et qui m’ont servi de référence : Duvalier La face cachée de Papa Doc Jean Florival François Duvalier : Papa Doc et les tontons macoutes, la vérité sur Haïti Bernard Diederich Les comédiens Film réalisé par Peter Glenvile, scénario de Graham Greene. Femmes de dictateur Diane Ducret Catéchisme de la révolution Jean M. Fourcand La violence dans l’esclavage des colonies française au XVIIIe siècle Mémoire de maitrise de Néba Fabrice Yale The tragedy of Haïti Noam Chomsky La révolution au pouvoir Bréviaire d’une révolution Mémoires d’un leader du tiers monde Éléments d’une doctrine François Duvalier Le code noir Première version de Jean-Baptiste Colbert (promulguée par Louis XIV), puis deuxième version promulguée par Louis XV. Un peuple prospère et pacifique, Les Taïnos Carmen Bernand Récit d’un survivant du séisme en Haïti, sous les décombres de l’hôtel Montana Marc Perreault L’énigme haïtienne, échec de l’état moderne en Haïti Pierre Étienne Sauveur The dictator’s handbook, why bad behavior is almost always good politics Bruce Bueno De Mesquita et Alastair Smith

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HISTOIRE D’HAÏTI De la découverte, à la première République noire indépendante, la dictature de François Duvalier et les séismes.

À l’origine, l’île d’Ayiti, c’est-à-dire «Terre des hautes montagnes», était peuplée par les Taïnos ou Arawaks, peuple semi-sédentaire pacifique. Lorsque Christophe Colomb accosta pour la première fois le 5 décembre 1492, l’île comptait probablement plusieurs centaines de milliers d’habitants. La défaite de l’armée de Napoléon Bonaparte lors de la bataille de Vertières en 1803 est à l’origine de la création de la République d’Haïti qui devient en 1804 la première République noire indépendante. Haïti est aussi le seul pays francophone indépendant des Caraïbes. Haïti, ou la République d’Haïti, en créole haïtien Ayiti et Repiblik Dayiti, est un pays des Grandes Antilles occupant le tiers occidental de l’Île d’Hispaniola (soit 28773 km2 environ). Sa capitale est Port-au-Prince et son point culminant est le pic la Selle avec 2680 mètres d’altitude.

Après avoir été une des premières destinations de la Caraïbe dans les années 1950, 1960 et 1970 et avoir raté la transition démocratique après la chute des Duvalier (François Duvalier dit « papa doc » et Jean-Claude Duvalier dit « baby doc »), Haïti surnommé « La Perle des Antilles » fait l'expérience d'une démocratie renaissante et tente de s’organiser et de se reconstruire après le violent séisme du 12 janvier 2010.

Quelques dates importantes…

1492 : débarquement dans l'île par les Européens ayant à leur tête Christophe Colomb.

1517 : autorisation de la traite des Africains par Charles Quint.

1650-1660 : arrivée des premiers colons français.

1685 : promulgation du Code noir par Louis XIV.

1697 : séparation de l'île entre France et Espagne, à la suite du traité de Ryswick.

1791 : révolte des esclaves.

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1793-1794 : affranchissement des esclaves de Saint-Domingue, puis abolition générale de

l'esclavage.

1804 : indépendance d'Haïti.

1862 : reconnaissance de l'indépendance par les États-Unis.

1915-1934 : occupation américaine.

1957 : élection de François Duvalier à la présidence de la République.

1971 : Jean-Claude Duvalier succède à son père le 22 avril 1971.

1986 : fuite et exil de Jean-Claude Duvalier.

1988 : Leslie Manigat est porté au pouvoir à la suite des élections organisées par l'armée; s’en

suivront la même année, deux coup d'État, d'Henri Namphy , puis de Prosper Avril.

1990 : élection de Jean-Bertrand Aristide (victime d'un coup d'État le 30 septembre 1991, il

revint au pays le 15 octobre 1994 pour finir son mandat après trois ans d'exil).

1996 : élection de René Préval.

2001 : 2e mandat de Jean-Bertrand Aristide.

2004 : démission et exil forcé de Jean-Bertrand Aristide. Mise en place d'un gouvernement ad

interim avec Boniface Alexandre.

2006 : nouveau mandat de René Préval.

2008 : le Premier ministre Jacques-Édouard Alexis est démis de ses fonctions par une motion de

censure du Sénat, à la suite des émeutes de la faim. La même année, quatre cyclones ont ravagé

le pays et causé d’énormes dégâts matériels aux infrastructures routières et au secteur agricole.

12 janvier 2010 : tremblement de terre majeur dans la région de Port-au-Prince (7.0 sur l'échelle

de Richter). Le premier ministre déclare plus de 100 000 morts probables. Mort des ministres de

la Justice, de l'Économie et du Tourisme dans l'effondrement du palais présidentiel. Le président

et le premier ministre en réchappent de peu. La mission de l'ONU est dévastée par

l'écroulement de son quartier général à Haïti (22 de leurs membres et plus de 150 casques

bleus, dont le chef de mission, sont morts ou portés disparus....)

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1er janvier 1804 : Haïti devient la 1ère République noire libre du monde

En devenant indépendante le 1er janvier 1804, Haïti, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, acquiert un fort statut symbolique. Première guerre perdue par une armée européenne face à des insurgés extra-européens depuis plusieurs décennies, première révolte servile couronnée de succès dans l’Histoire moderne, première République noire libre du monde. Voici ce qu’ont accompli les révolutionnaires haïtiens entre la cérémonie de Bois Caïman du 14 août 1791 et le jour de la proclamation de l’indépendance. Saint-Domingue : une colonie dont la prospérité est fondée sur la traite négrière

La colonie de Saint-Domingue, installée sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola (la partie orientale étant une colonie espagnole), a été fondée en 1627. Peuplée à l’origine d’Amérindiens Arawaks, la démographie de l’île va être rapidement modifiée. En effet, dès le début de la présence européenne, à force de maladies et de massacres perpétrés par les Espagnols, la population passe de 1,6 million à 60 000 entre 1492 et 1507. Très rapidement et face à l’échec de faire venir massivement des Européens dans cette île, la mise en valeur économique de l’île va se faire par l’importation d’esclaves noirs (pratique utilisée aussi bien par les Espagnols que par les Français). Saint-Domingue devient pour la France sa colonie la plus prospère, grâce à la production de sucre et de café. Elle fournit la moitié des productions mondiales durant le 18ème siècle. Mais la situation démographique et politique y est très complexe. Tandis que les esclaves, importés massivement durant tout le 18ème siècle, finissent par constituer la majeure partie de la population (environ 400 000 esclaves pour 450 000 habitants à la veille de la Révolution française), la société blanche est elle-même traversée de tensions, entre les « Grands blancs » (nobles et bourgeois qui sont devenus de grands propriétaires terriens) et les « petits blancs » (employés, ouvriers, petits commerçants, etc.). À cela s’ajoute la présence de « gens de couleur libres » (mulâtres libres et noirs affranchis) mais dont l’égalité juridique n’est dans les faits pas reconnue par les colons blancs. La Révolution française : tergiversations parisiennes et tensions locales

La Révolution française est vue comme une opportunité par toutes les factions de la colonie de Saint-Domingue : – Les colons y voient l’occasion d’instaurer la liberté du commerce en mettant fin au système de l’Exclusif de Colbert (qui impose à la colonie de commercer avec la France). – Les « gens de couleur libres » y voient l’occasion de gagner l’égalité des droits qui leur est refusée par les colons. – Quant aux esclaves, ils seront gagnés progressivement par l’idée de conquérir leur liberté dont la Révolution française a fait un étendard.

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Les réactions à ces revendications seront diverses et précipiteront la révolution haïtienne : – Les colons obtiennent initialement gain de cause : ils auto-décrètent, contre Paris, la liberté du commerce et parviennent, appuyés par Paris, à éviter de concéder l’égalité aux gens de couleur libres et aux esclaves. – Les gens de couleur libres commencèrent à mener des révoltes, durement réprimées (Vincent Ogé et plusieurs centaines de mulâtres insurgés pour l’égalité des droits seront exécutés en février 1791), ce qui poussera les gens de couleur libres à s’allier ultérieurement aux esclaves. – Les esclaves n’obtiennent rien. Le parti « pro-esclavagiste » parvient à donner un statut constitutionnel à l’esclavage en mai 1791.

La cérémonie du Bois Caïman, début de la révolution haïtienne

Cette situation entraîne une série de soulèvements. Le 14 août 1791, à Bois Caïman, une cérémonie vaudou réunissant des esclaves « marrons » (c’est-à-dire ayant fui leur maître) est considérée comme la date symbolique du début de la révolution haïtienne. Elle décide en effet de la révolte. Dans les jours qui suivent, les plantations sont incendiées et un millier de blancs massacrés. Malgré la répression, la révolution haïtienne ne s’arrêtera plus, d’autant que les mulâtres se révoltent dans le même temps. Les mois qui suivent sont d’une grande complexité car de nombreuses factions nouent et dénouent des alliances, rendues encore plus complexes par l’intervention des Espagnols. L’affranchi Toussaint-Louverture, un des leaders de la révolution haïtienne, s’allie finalement

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aux révolutionnaires français qui ont officiellement aboli l’esclavage le 4 février 1794 à Paris. Toussaint-Louverture, grâce aux renforts venus de métropole, parvient à prendre le contrôle de l’île et à repousser les Espagnols et les Anglais qui avaient profité des troubles pour s’installer dans des parties de Saint-Domingue. Paris le nomme gouverneur de la colonie de Saint-Domingue. En 1798, les envoyés de la métropole constatent que les troupes n’obéissent qu’à Toussaint-Louverture, ce qui les amène à retourner en métropole. En 1800 éclate la « guerre des couteaux ». Aidé de ses adjoints, Henri Christophe (un affranchi) et Jean-Jacques Dessalines (juridiquement esclave jusqu’à l’abolition de l’esclavage), Toussaint-Louverture bat les troupes mulâtres menées par le général Rigaud qui continuaient à contester son autorité. En janvier 1801, il chasse les Espagnols de la partie orientale de l’île d’Hispaniola, alors réunie sous son pouvoir. En juillet de la même année, il fait adopter une Constitution autonomiste qui lui donne par ailleurs les pleins pouvoirs sur l’île. Napoléon Bonaparte cherche à reconquérir l’île

Bonaparte, qui dirige la France depuis 1799, n’accepte pas la situation face à laquelle Toussaint-Louverture le met. Il décide alors, appuyé en cela par les milieux coloniaux mais également par les dirigeants mulâtres défaits par Toussaint-Louverture lors de la « guerre des couteaux », de reconquérir l’île. Une expédition de 30 000 personnes vogue en bateaux vers Saint-Domingue. Cette opération de reconquête connue comme « l’expédition de Saint-Domingue » est dirigée par le général Charles Leclerc. Face à la puissance de l’armée française, les insurgés haïtiens sont défaits au bout de quelques mois. Toussaint-Louverture doit se rendre en mai 1802 aux autorités françaises, qui l’exileront en France malgré les promesses faites lors de sa reddition. Emprisonné au Fort de Joux (Jura), Toussaint-Louverture mourra le 7 avril 1803, sans avoir connu la fin de la révolution haïtienne dont il était pourtant certain de l’issue victorieuse. La France doit quitter l’île, Haïti devient indépendante

Mais deux raisons vont à nouveau retourner la situation : – Désormais dirigée par le cruel général Rochambeau, l’armée française se livre à de sanglantes exactions. – Les anciens esclaves noirs et les mulâtres prennent conscience que le vrai objectif de l’expédition est le rétablissement de l’esclavage (qui est d’ailleurs rétabli en Guadeloupe à l’automne 1802). Alors que le camp de Toussaint-Louverture s’était divisé (Dessalines s’était rallié à la France au début 1802 après avoir été défait par l’armée de Leclerc, et avait même participé à l’arrestation de Toussaint-Louverture) et que celui des mulâtres (Pétion, Boyer) était revenu à Saint-Domingue en appui de l’armée française, ces deux camps se coalisent et se révoltent contre la France. Dessalines devient le commandant des insurgés. Le 18 novembre 1803, l’armée française est défaite à Vertières et Rochambeau doit capituler dans la foulée. C’est la fin de l’expédition de Saint-Domingue, dont le bilan humain est très lourd.

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Le 1er janvier 1804, la colonie de Saint-Domingue n’est plus. Elle fait place à un nouvel Etat : Haïti (du nom utilisé par les Arawaks pour désigner leur île : Ayiti). Dessalines se proclame gouverneur (puis empereur) et fait massacrer l’essentiel de la population blanche dans les mois qui suivent (environ 5000 victimes), de peur qu’elles n’appellent des puissances étrangères à venir briser la République naissante. La France reconnaîtra l’indépendance d’Haïti en 1825 par la voix du roi Charles X. Le nouveau pays devra en contrepartie payer une indemnité de 90 millions de francs or, qui sera intégralement payée entre 1825 et 1883.

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FRANÇOIS DUVALIER

Reproduced by permission of Archive Photos, Inc.

Premières années et accession au pouvoir

Il s'inscrit en 1928 à l'École de médecine de Port-au-Prince, puis commence à pratiquer dans les régions rurales. Il s'attire alors la faveur des populations pour son aide à la lutte contre le typhus, le pian et d'autres maladies de l'extrême pauvreté. Il y gagnera aussi son surnom de « Papa Doc ». En 1939, il épouse Simone Ovide, une infirmière que l'on appellera plus tard Maman Simone, avec laquelle il aura trois filles ainsi qu'un fils. Duvalier fréquente à cette époque l'ethnologue Lorimer Denis, spécialiste du culte vaudou et militant de la cause noire. Il partage ses idées, qu'il développe dans les articles qu'il écrit pour des revues nationalistes comme Les Griots. Il y défend notamment l'idée que la lutte des classes, en Haïti, s'illustre par l'opposition entre les Noirs et les Mulâtres, et que les premiers sont appelés à diriger le pays au détriment des seconds. Duvalier s'appuie sur les relations de Lorimer Denis pour rencontrer Daniel Fignolé avec lequel il participe à la fondation du Mouvement des Ouvriers Paysans en 1946 dont il devient secrétaire général. Sa popularité dans les campagnes et son introduction dans les milieux politiques incitent le président Dumarsais Estimé à le nommer en 1946, directeur de la Santé Publique. En 1949, il devient ministre de la Santé Publique et du Travail. Après s'être opposé au coup d'État de Paul Magloire, qui renverse Estimé en 1950, il est poussé à l'exil et s'engage dans l'opposition. Profitant de la chute de Magloire et de l'amnistie décrétée en 1956, il se porte candidat à la présidence de la République dans un climat d'agitation sociale et d'instabilité politique : entre

François Duvalier, issu d’une famille originaire de Martinique, surnommé « Papa Doc », né à Port-au-Prince le 14 avril 1907 et mort dans la même ville le 21 avril 1971, est un médecin et homme politique haïtien. Il fut président de la République d’Haïti de 1957 à 1971, dictateur (« président à vie ») à partir de 1964. Son règne fut marqué par la corruption et l’utilisation de milices privées, les tontons macoutes.

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décembre 1956 et juin 1957, cinq gouvernements provisoires se sont succédé, le parlement a été dissous et des factions de l'armée continuent à s'affronter. Duvalier fait campagne avec un programme qui vise à flatter la majorité afro-haïtienne en s’appuyant sur un discours raciste « pro-négritude » (ou « noiriste ») visant l’élite des mulâtres. Les élections sont organisées le 22 septembre 1957 par le général Antonio Kébreau, président du Conseil Militaire du Gouvernement. Duvalier est élu avec 69,1% des voix, son principal adversaire Louis Déjoie ne recueillant que 28,3%. Consolidation du pouvoir

Dix mois après son accession au pouvoir, en juillet 1958, François Duvalier doit affronter une tentative de coup d'État. Il réagit en instaurant l’état de siège et en exigeant du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets. Il écarte de l'armée les officiers qui ne lui sont pas fidèles, interdit les partis d’opposition et mène une politique de répression. Avec l'aide du chef de la police Clément Barbot, il organise la milice des Volontaires de la Sécurité Nationale, plus connue sous le nom de ses membres, les Tontons macoutes. Ce groupe paramilitaire de 5 000 à 10 000 membres, inspiré des chemises noires de l'Italie fasciste, ne touche aucun salaire. En 1959, alors qu'il est soigné à l'hôpital pour une crise cardiaque, un commando tente de débarquer sur l'île. Le chef de la police secrète, Barbot, fait alors appel à la marine américaine pour empêcher l'opération. Sitôt rétabli, Duvalier fait emprisonner Barbot, qu'il soupçonne de vouloir prendre le pouvoir, et l'accuse de complot contre l'État. Barbot sera finalement assassiné par les Tontons macoutes en 1963 avec ses deux frères et d’autres compagnons. En quelques années, Duvalier devra faire face à une dizaine d'attentats, de tentatives de renversement et d'invasions. Il en tire parti à chaque fois pour renforcer son image de défenseur de la patrie, éliminer ses adversaires et durcir son pouvoir personnel. Il asservit l'armée, entretient la corruption, supprime les libertés civiles et institutionnalise la terreur : massacres, exécutions sommaires, pillages et viols deviennent le quotidien du pays. S'appuyant sur le climat de guerre froide et sur le cas de la révolution cubaine, il exploite la peur du communisme pour justifier la répression et obtenir le soutien des États-Unis. Le 25 juin 1960, il prononce à Jacmel un discours qui met en relation l'orientation politique de son régime et l'aide américaine. En avril 1961, deux ans avant la fin de son mandat, il réécrit la Constitution et organise une élection présidentielle à candidat unique. Il obtient 1,32 million de voix, et aucun vote contre. Réélu pour un autre mandat de six ans, il prononce la dissolution du Parlement. En réaction à l'opposition de l'église catholique romaine, il expulse plusieurs prêtres, l'archevêque de Port-au-Prince, Mgr Poirier, et deux évêques, ce qui lui vaut son excommunication en 1961. Trois ans plus tard, il expulse les jésuites. À la suite de ce qui s'apparente à une tentative d'enlèvement de ses deux enfants, il commandite le massacre du 26 avril 1963 où plusieurs

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maisons ont été incendiées avec leurs occupants et des dizaines de personnes assassinées par balles ou encore enlevées pour ne plus jamais être revues. Lors de ce massacre, de nombreux haut-gradés des forces armées d'Haïti, soupçonnés d'être opposés à son pouvoir, sont entre autres ciblés.

Culte de la personnalité

En 1968, Duvalier rencontre l'ambassadeur du Guatemala David Tercero Castro, dernier ambassadeur du Guatemala à Haïti. Pour échapper à toute incertitude électorale, Duvalier se proclame président à vie en juin 1964, après un nouveau référendum qui l'approuve à 99,99 %. Libre de toute opposition, ses adversaires ayant été éliminés ou exilés à l'étranger, il modifie les couleurs du drapeau haïtien, qui devient noir et rouge au lieu de bleu et rouge, impose l'affichage de son portrait dans les rues, les bâtiments publics et les établissements scolaires. L'exil des cadres politiques, administratifs et techniques, le détournement des ressources de l'économie haïtienne mène le pays à la faillite, le PIB chutant de 40 % entre 1960 et 1970. En 1966, Duvalier reprend contact avec le Vatican et obtient le pouvoir de nommer la hiérarchie catholique haïtienne. Perpétuant un nationalisme noir, il réussit ainsi à renforcer son emprise sur l'île par le contrôle des institutions religieuses. Parallèlement, il ranime les traditions du vaudou, les utilisant pour consolider son pouvoir : il prétendait être lui-même un hougan et a délibérément modelé son image sur celle du Baron Samedi pour se rendre encore plus imposant. Il portait souvent des lunettes de soleil et parlait avec un fort ton nasal associé au Lwa. À la mort de John Fitzgerald Kennedy, il déclara que l'assassinat était la conséquence d'un sort qu'il lui avait jeté.

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En 1970, atteint par la maladie, il désigne son fils de 19 ans, Jean-Claude Duvalier comme héritier de sa dictature. Cette modification constitutionnelle est validée par le référendum de 1971. Il meurt quelques mois plus tard, le 21 avril 1971, après 13 ans et demi de pouvoir absolu. Son fils, qui sera surnommé « Baby doc », lui succède dès le lendemain. Profanation du tombeau

Le 8 février 1986, quand tombe le régime des Duvalier, la foule s'en prend au mausolée de « Papa Doc », qui sera détruit à coups de pierres et à mains nues ; le cercueil est sorti, la foule danse dessus puis le met en morceaux ; elle s'empare du corps du dictateur pour le battre rituellement. Pendant cette journée, on dénombre une centaine de victimes, essentiellement des tontons macoutes.

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LES TONTONS MACOUTES

Le nom de Tonton Macoute doit son origine au personnage folklorique du vieux paysan haïtien, qui portait un costume bleu et rouge et un grand sac en bandoulière appelé « macoute ». Dans la tradition haïtienne, ce personnage est devenu l'équivalent du croque-mitaine, du Père Fouettard ou du Bonhomme sept-heures qui effraie les enfants. Les tontons macoutes sont aussi appelés « bonhommes-bâton » en créole. Destinée à assurer la protection rapprochée du président, cette milice de plusieurs milliers d’hommes répondait à l'idée de Duvalier de faire de chaque Haïtien un défenseur de la « Révolution ». Ses membres, ne touchant aucun salaire, firent de l'extorsion et du crime organisé leurs moyens de subsistance. Ils se sont fait rapidement une sinistre réputation en raison des violations graves des droits de l’homme dont ils se sont rendus coupables contre les opposants politiques et les populations civiles (viols, tortures, meurtres, arrestations arbitraires, massacres…). L’extrême violence de ses membres et le recours aux superstitions favorisaient l’arbitraire du régime de Duvalier, muselant toute tentative d’opposition dans la population. Après la chute de la dictature duvaliériste, l'expression « macoutisme » sera employée pour désigner les régimes politiques qui s'appuient sur la corruption, tout en faisant usage de la violence contre les opposants et les civils. D'une manière plus générale, le macoutisme s'applique aussi à une forme de terrorisme institutionnel.

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LES CATASTROPHES NATURELLES EN HAÏTI

Les cyclones, ouragans, tempêtes tropicales, pluies torrentielles, crues, inondations, tremblements de terre touchent régulièrement Haïti. La saison des ouragans s’étend du mois de juin jusqu’à la fin du mois de novembre. 12 janvier 2010 : un séisme d'une magnitude supérieure à 7, sur l'échelle de Richter, secoue la capitale haïtienne Port-au-Prince ainsi que sa proximité. L’ampleur des pertes humaines et des dégâts matériels entraîne une importante mobilisation de la communauté internationale. En plus d'être un des pays les plus pauvres au monde, Haïti a été frappée au fil des ans par de nombreuses catastrophes naturelles. Aucune n'a cependant l'impact du tremblement de terre qui secoue le pays le 12 janvier 2010. Un choc d'une magnitude évaluée entre 7 et 7,3 sur l'échelle de Richter provoque un véritable désastre, détruisant des milliers de bâtiments et faisant, selon des estimations qui se précisent dans les semaines suivant le drame, plus de 20.0000 morts. L'état d'urgence est proclamé, mais le chaos règne à tous les niveaux. Le gouvernement, le système de santé ainsi que les services d'approvisionnement en besoins fondamentaux sont complètement désorganisés, particulièrement à Port-au-Prince, une ville de plus d’1 million d'habitants située à courte distance de l'épicentre. Des efforts sont déployés afin de venir à la rescousse des victimes, dont certaines seront retrouvées vivantes dans les décombres des bâtiments. Mais la situation, notamment au niveau des transports, ne facilite pas la tâche des Haïtiens et de l'aide internationale qui arrive dans les jours qui suivent. De fait, une importante mobilisation se fait dans le monde afin de venir à la rescousse des habitants. Une rencontre des ministres de plusieurs pays a lieu à Montréal le 25 janvier, et une autre, plus importante, est prévue en mars aux Nations unies. Des secours arrivent entre-temps. La situation sur le terrain reste néanmoins précaire et des inquiétudes sont exprimées quant à la menace d'une éventuelle épidémie. Enfin, des observateurs s’interrogent sur l’orientation à donner à la reconstruction du pays, une tâche que, dans la meilleure des hypothèses, on évalue à plusieurs années.

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QUESTIONS ÉVENTUELLES À POSER À VOS ÉLÈVES - Pensez-vous qu’il est important de connaître sa propre histoire afin de mieux comprendre

celle de son pays et de ses origines ?

- Pensez-vous que mieux connaître l'histoire de son pays d'origine peut aider à définir notre identité ?

- La mémoire collective est-elle importante afin de ne pas reproduire les erreurs du passé ? - En tant que société, qu’est-ce que cela nous apporte d'en savoir davantage sur les autres

cultures qui nous entourent ? - Comment un pays peut se relever après des années marquées par la dictature et les

catastrophes naturelles ? - Nommez des dictateurs qui ont marqué le courant de l'histoire. Nommez des pays actuels

en dictature. - Que connaissez-vous sur l'histoire d’Haïti ? - Savez-vous combien d’Haïtiens vivent au Québec ? Et à quel rang se situe cette communauté

parmi les groupes démographiques ?

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SOURCES UTILISÉES POUR LE CAHIER PÉDAGOGIQUE Histoire d’Haïti http://fr.wikipedia.org/wiki/Haiti http://sos-racisme.org/1er-janvier-1804-independance-dhaiti François Duvalier http://fr.wikipedia.org/wiki/François_Duvalier http://haiticulture.ch/Drapeau_national http://cahierslibres.fr/2014/10/haiti-duvalierisme Les Tontons Macoutes http://en.wikipedia.org/wiki/Tonton_Macoute http://nles.com/Haiti-Tonton-Macoutes-Patch Les catastrophes naturelles en Haiti http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=1072 http://www.lavie.fr/dossiers/haiti/ AUTRES ŒUVRES DE RÉFÉRENCES Liste des catastrophes naturelles en Haïti www.fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_catastrophes_naturelles_à_Haïti Documentaire // Chronique de Haïti : « La vie quand même » www.youtube.com/watch?v=7uUnv6byT6U Documentaire // Haïti, d’un Duvalier à l’autre (1981) www.youtube.com/watch?v=dzCxtbXfGYE