« On ne peut pas tuer la vérité » Le Dossier Jean-Claude Duvalier

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  • 8/4/2019 On ne peut pas tuer la vrit Le Dossier Jean-Claude Duvalier

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    On ne peut pastuer la vrit Le DoSSIeR

    JeAN-CLAuDe DuvALIeR

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    Illustration en couverture : Les Disparus de Fort-Dimanche,H (1989). G Boco o o hoo cm c d mmo. C c m co 1946 x Fc, o f cmg o q jc o x cm J-C d.

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    SOMMAIRE1. INTRODUCTION .................................................................................................. 3

    2. CONTEXTE ..........................................................................................................6

    2.1. De Franois Duvalier Jean-Claude Duvalier .................................................. 6

    2.2. Lappareil de rpression tatique ...................................................................7

    3. LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS SOUR LE RGIME DE JEAN-CLAUDEDUVALIER ................................................................................................................. 13

    3.1. Torture et autres formes de traitement cruel, inhumain et dgradant ............... 13

    3.2. Disparitions forces ................................................................................... 17

    3.3. Cas de mort en dtention ........................................................................... 20

    4. LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS EN HATI SONT DES CRIMES AU REGARDDU DROIT INTERNATIONAL ........................................................................................ 22

    4.1. Crimes contre l'humanit ............................................................................ 23

    4.2. Pas de prescription pour les crimes contre lhumanit ................................... 24

    4.3. La torture, crime contre lhumanit ............................................................. 24

    4.4. Les disparitions forces, crimes contre l'humanit ........................................ 25

    5. CONCLUSION .................................................................................................... 27

    6. RECOMMANDATIONS ........................................................................................ 28

    6.1. Recommandations au gouvernement dHati ................................................. 28

    6.2. Recommandations la communaut internationale et au systme des Nationsunies ............................................................................................................... 30

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    Index : AMR 36/007/2011 Amnesty International - septembre 2011

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    1.INTRODUCTION On ne peut pas tuer la justice. On ne peut pastuer la vrit. Jean L. Dominique, dans The Agronomist

    Le retour en Hati de lancien prsident Jean-Claude Duvalier, en janvier 2011, a mis ltathatien face ses obligations dcoulant du droit international dordonner des enqutes surles crimes commis sous son rgime et den poursuivre les responsables. Le recours gnralis

    ou systmatique la torture et aux disparitions forces en Hati entre 1971 et 1986constitue des crimes contre lhumanit. Ni le temps pass ni lexemption des poursuites nepeuvent servir dexcuses pour ne pas mener denqutes ou engager des poursuites contre lesresponsables prsums de ces crimes, y compris Jean-Claude Duvalier.

    La justice est un droit humain. Au cours des 25 dernires annes, les victimes du rgimerpressif de Jean-Claude Duvalier nont pas eu accs la vrit, la justice ni desrparations. Son retour en Hati a raviv des souvenirs douloureux pour de nombreuxHatiens, en particulier ceux qui ont t dtenus dans les prisons tristement clbres desCasernes Dessalines, de Fort Dimanche et du Pnitencier national. Moins de 48 heures aprsson retour, Jean-Claude Duvalier a t inculp par les autorits hatiennes de vol etdtournement de fonds publics commis durant sa prsidence. Des victimes de violations desdroits humains et leurs proches se sont galement fait connatre et ont dpos des plaintes

    contre l'ancien prsident. Ds lors, le procureur de Port-au-Prince a inculp Jean-ClaudeDuvalier de crimes contre lhumanit et ouvert une information judiciaire. Cette dcisioncourageuse des autorits hatiennes dengager des poursuites contre l'ancien chef de l'tat at accueillie favorablement par les dfenseurs des droits humains aux niveaux local etinternational, lesquels ont flicit les autorits pour leur initiative en vue de mettre un terme limpunit persistante dont bnficient les auteurs de crimes commis il y a plus de25 ans1.

    La qute de justice en Hati ira aussi loin que la volont politique des autorits hatiennes lepermettra. Toutefois, ltat hatien est tenu aux termes du droit international dtablir lavrit, de rendre justice aux victimes et de leur accorder des rparations. Sil existe deslments de preuves recevables suffisants et si le parquet russit traduire Jean-Claude

    Duvalier en justice, une tape considrable sera accomplie dans la lutte contre limpunit auniveau mondial. cet gard, la communaut internationale partage la responsabilit deveiller ce que justice soit rendue.

    Amnesty International a recueilli de nombreuses informations propos datteintes aux droitshumains perptres sous le rgime de Jean-Claude Duvalier entre le 22 avril 1971 et le7 fvrier 1986. Des documents publis par lorganisation durant cette priode ont t

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    Amnesty International - septembre 2011 Index : AMR 36/007/2011

    nouveau rendus publics et soumis au procureur de Port-au-Prince pour contribuer lenquteet dmontrer la manire gnralise et systmatique dont ces crimes ont t commis entoute impunit avec l'aval et la complicit du chef de l'tat2.

    Le prsent rapport renforce lappel lanc de longue date par Amnesty International pour que

    justice soit rendue en Hati. Il dcrit le systme rpressif que Jean-Claude Duvalier avaithrit de son pre Franois Duvalier. partir de documents darchives publis par AmnestyInternational et dautres organisations de dfense des droits humains, il permet decomprendre les atteintes aux droits fondamentaux dont la population civile hatienne a tvictime. Enfin, ce document formule une srie de recommandations visant mettre un terme limpunit qui prvaut en Hati pour les atteintes aux droits humains. Il appelle lesautorits accorder des rparations aux victimes et mettre en place des garanties pourobliger les individus rendre compte de leurs actes, faire en sorte que justice soit rendue etempcher le renouvellement de tels crimes.

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    2.CONTEXTE2.1. DE FRANOIS DUVALIER JEAN-CLAUDE DUVALIEREn janvier 1971, trois mois avant sa mort, le prsident Franois Duvalier a amend laConstitution, soctroyant le droit de dsigner son successeur (art. 100)3. Le 21 avril 1971,son fils Jean-Claude Duvalier, qui navait que 19 ans, a prt serment comme prsident vie .

    On sattendait ce que Jean-Claude Duvalier fasse entrer Hati dans une priode de libralisation qui romprait avec la rpression impitoyable et arbitraire exerce par sonpre contre les opposants politiques. Hati avait besoin de changer son image internationalede bastion anticommuniste rpressif. La libralisation na toutefois jamais eu lieu. Legouvernement de Jean-Claude Duvalier a continu de pratiquer le mme niveau de rpressionenvers la population : les droits civils et politiques ntaient pas respects, des prisonnierspolitiques et dopinion ont continu dtre incarcrs sans inculpation ni jugement, le

    recours la torture contre les dtenus est rest la norme et des cas de disparition etdexcution sommaire ont continu dtre signals. Les forces de scurit et les milicesparamilitaires ont continu de commettre des violations des droits fondamentaux de lapopulation hatienne en toute impunit, malgr la rvocation de quelques chefs de larme etdes milices dans la capitale Port-au-Prince et ailleurs4.

    La communaut internationale a modr ses critiques du rgime durant la prsidence deJean-Claude Duvalier, considr comme un dirigeant jeune et inexpriment, qui nemanifestait pas de vritable intrt pour le pouvoir et ny participait pas vraiment. Dans cecontexte, lexistence de prisonniers politiques et dune violence institutionnalise semblaitpeu vraisemblable. Toutefois, si la violence plus sensationnelle de lpoque de FranoisDuvalier ntait plus visible des scnes comme des fusillades dans les rues de Port-au-

    Prince ou des corps attachs sur des chaises tout au long de la route de laroport larpression restait gnralise et systmatique labri des regards de la communautinternationale5.

    Jean-Claude Duvalier avait hrit de dizaines, voire de centaines, de prisonnierspolitiques arrts dans les annes 1960. En juin 1973, les autorits hatiennes avaientfourni les noms de 132 prisonniers qui auraient bnfici d'amnisties. Toutefois, bon nombrede ceux figurant sur cette liste avaient t largis avant lentre en fonction de Jean-ClaudeDuvalier ou nont jamais t revus aprs leur prtendue libration .

    Les prisons et les centres de torture ont continu de coter la vie des centaines depersonnes tout au long de la prsidence de Jean-Claude Duvalier. Au milieu des annes1970, des dissidents et des militants hatiens en faveur de la dmocratie ont affirm que la

    rpression cautionne par ltat sous Franois Duvalier se poursuivait sous la prsidence deson fils6. Des cas darrestation arbitraire, de torture, de mort en dtention, de disparition etdassassinat politique ont continu dtre signals. Toutefois, partir de 1977 les victimesde violations des droits humains semblent avoir t choisies de manire plus slective. Lesautorits hatiennes sen prenaient particulirement aux dirigeants politiques, auxjournalistes, aux syndicalistes et aux opposants prsums du gouvernement. Les dtentions

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    illgales nont pas cess. Des prisonniers taient maintenus au secret pendant de longuespriodes et ils taient souvent torturs et maltraits. Lappareil judiciaire nintervenait quedans les trs rares cas o un large cho tait donn aux dtentions au niveau international.Les forces de scurit et les milices continuaient dagir en toute impunit en dehors du cadrelgal. Les autorits ne reconnaissaient pas les atteintes aux droits humains et les familles et

    les amis des victimes ne recevaient jamais aucune information sur le sort de leurs proches.

    Les informations propos de violations des droits humains en Hati suscitaient rarement desractions au niveau international. Plusieurs facteurs sont lis la diminution du nombre decas de violations des droits humains signals. Lengagement du prsident amricain JimmyCarter en faveur des droits humains, me de la politique trangre [des tats-Unis] , apeut-tre exerc une pression sur Jean-Claude Duvalier et sur son gouvernement pour quilsamliorent la situation des droits humains en Hati. Le pays avait besoin de changer sonimage au niveau international et cest dans ce contexte quil a ratifi en septembre 1977 laConvention amricaine relative aux droits de lhomme et a invit la Commissioninteramricaine des droits de lhomme effectuer une visite en Hati en aot 1978.

    Pendant de nombreuses annes, pratiquement aucune information sur les prisonnierspolitiques ne filtrait dHati. Les prisonniers remis en libert ou exils nosaient pas parler parpeur des reprsailles pour eux-mmes ou leurs proches qui taient rests en Hati. Dans untel cadre, le terme prisonnier politique doit tre interprt dans le sens le plus large. Un trsgrand nombre de personnes ont t emprisonnes alors quelles navaient pas eu la moindreactivit politique, cause dune erreur technique ou de rancunes personnelles ou pour desdlits trs mineurs. Dans la plupart des cas, aucune procdure judiciaire ntait engage etles dtenus continuaient dtre rgulirement torturs.

    Durant ses 15 ans au pouvoir, Jean-Claude Duvalier sest appuy sur le systme et lappareilde rpression tatique que son pre avait mis en place : les mmes centres de dtention,forces de scurit et milices, un systme judiciaire inoprant et un climat dimpunit.Toutefois sous Franois Duvalier la rpression tait exerce publiquement, avec un mpristotal pour la vie humaine et la dignit et sans aucun effort pour dissimuler les violations.Sous Jean-Claude Duvalier la rpression est devenue plus slective, systmatique et secrte,mais les mmes mthodes, et dans une large mesure les mmes acteurs, ont continu dtreutiliss.

    2.2. LAPPAREIL DE RPRESSION TATIQUEToutes les catgories de la socit hatienne ont t prises dans le mcanisme de larpression tatique. Des officiers de larme, des responsables gouvernementaux et desmembres de milices ont utilis les arguments politiques qui sous-tendaient la rpressiontatique pour dissimuler des vendettas personnelles, acqurir ou maintenir un pouvoirpersonnel et semparer de terres ou de biens dans tout le pays.

    2.2.1. LES FORCES ARMES DHATILes Forces armes dHati (FADH) taient llment central du gouvernement hatien et de larpression tatique. Durant des dcennies elles ont t la seule institution tatique prsentedans la plus grande partie du pays. Sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, onestimait que les FADH comptaient 9 000 membres, dont 4 000 taient bass Port-au-Prince. Elles remplissaient des tches gnrales de maintien de lordre et de scurit

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    publique ; toutefois des units spcialises avaient des missions plus spcifiques consistant contrler les opposants au gouvernement. Les FADH supervisaient les prisons hatiennesainsi que la police, mal entrane et mal quipe.

    2.2.2. LE CORPS DES LOPARDSLe Corps des Lopards a t cr en 1973 par Jean-Claude Duvalier comme force de scuritpersonnelle afin de consolider le pouvoir prsidentiel et de rduire linfluence des autresbranches des FADH, de manire empcher les coups dtat militaires. Cette force dlitecomprenait 600 800 membres entrans par des militaires amricains la tactique decontre-insurrection. Bien que dirigs par Himmler Rbu, les Lopards restaient sous lecontrle direct de Jean-Claude Duvalier. Dans les annes 1980, les Lopards ont assum lamajorit des fonctions de la police et ils sont intervenus dans la plupart des questions depolitique intrieure7.

    2.2.3. LA GARDE PRSIDENTIELLELa garde prsidentielle dpendait directement de Jean-Claude Duvalier et comptait environ600 membres. Outre la garde du prsident, elle surveillait le reste de larme et rapportait

    Jean-Claude Duvalier tout signe de dloyaut.

    2.2.4. LA POLICE MILITAIRELa police militaire, qui faisait partie des FADH, remplissait des fonctions de surveillancegnrale et tenait des fichiers sur la population. Elle tait place sous le contrle direct duquartier gnral des FADH.

    2.2.5. LA POLICE RURALELa police rurale tait une force de police centralise dploye dans les zones rurales. Elletait sous le commandement direct des chefs de section, responsables de lapplication de laloi dans les rgions rurales.

    2.2.6. LES VOLONTAIRES DE LA SCURIT NATIONALE (TONTONS MACOUTES)Lexpression crole tonton macoute (pre fouettard) tait utilise dans tout le pays pourdsigner les Volontaires de la scurit nationale (VSN), une milice arme qui relevaitdirectement du prsident et dont les membres taient considrs comme les principauxagents de la rpression politique.

    Cette milice de bnvoles, instaure par Franois Duvalier la suite de deux invasionsrprimes brutalement la fin des annes 1950, a rapidement pris en charge bon nombredes tches de larme et de la police. Elle na eu aucune existence lgale jusquen 1962,malgr ses activits multiples. Toutefois, en novembre 1962, Franois Duvalier a promulguun dcret crant officiellement les VSN. Aux termes de ce dcret, les membres de la milicerelevaient directement du prsident, ne recevaient pas de salaire, taient forms par desofficiers mais ne faisaient pas partie des forces armes, et pouvaient porter des armes. Les

    Constitutions de 1971 et de 1983 ont raffirm le contrle du prsident sur les VSN.

    De 1958 1977, les activits des VSN ont t caractrises par leur brutalit extrme.Durant les 14 ans de la prsidence de Franois Duvalier et les six premires annes aupouvoir de son fils, des milliers dHatiens ont t tus, torturs, emprisonns de manirearbitraire ou ont t victimes de disparition force. On na pas oubli les vnements comme

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    le massacre en 1964, par les VSN, de plusieurs centaines de personnes dans la ville deJrmie (dpartement de Grande-Anse). En 1977, aprs 20 ans de rpression exerce par lesVSN, lopposition politique, les syndicats, les organisations tudiantes et la presseindpendante navaient certainement pas disparu.

    Au fil des ans, des informations ont fait tat dune ventuelle rforme, voire dune dissolutiondes VSN. Cette milice tait toutefois toujours trs visible dans lensemble du pays durant lesannes 1980. On estimait 9 000 le nombre des tontons macoutes au milieu desannes 1980. Des membres de ladministration locale et du gouvernement, dont desministres, des maires et des chefs de section, faisaient galement partie des VSN.

    UN POUVOIR SANS LIMITESLes Volontaires de la scurit nationale disposaient dun pouvoir pratiquement sans limite, enparticulier dans les rgions rurales o ils taient dans une certaine mesure le seul lien avec lesautorits de Port-au-Prince.

    Si cest un VSN qui ma mis en prison, il peut me librer quand il veut, cest bien le problme. [] Sil veutme garder pendant trois mois, il me garde trois mois ; sil veut me garder deux mois, il me garde deux mois,cest comme a. (Traduit de langlais)

    Tmoignage recueilli par Amnesty International dun ancien prisonnier dtenu en 1980.

    En dcembre 1975, lhebdomadaire Le Petit Samedi Soira publi sous forme de lettreouverte au prsident une dnonciation des atrocits commises par les tontons macoutes .Cette lettre, signe par 32 citoyens de Galette Potonier (commune des Irois, dpartement deGrande-Anse), dcrivait certaines des atrocits que les VSN avaient fait subir la populationlocale.

    LES VSN FONT TOUT DE MANIRE ARBITRAIRE Depuis leur [les VSN] cration, cette zone est devenue une boucherie humaine. On ne saurait numrer les atrocitsqui ont t commises. Les gens sont privs mme de leurs modestes moyens de subsistance, souvent battus jusqutre rduits en une bouillie sanglante, sans aucun recours ni aucune explication des miliciens de la rgion. Ils fonttout de manire arbitraire

    La torture attendait le voleur. Les soi-disant gardiens de la paix lui ont inflig un traitement horrible : le pauvrehomme a t frapp coups de gourdin ; ils ont pris plaisir lui assener des coups de trique lestomac, en lefrappant aux ctes. Outre des lsions ici et l, on a constat des fractures de la colonne vertbrale. Le pauvre hommeest mort dans des souffrances atroces le 4 novembre 20 h devant tout le monde. Tout cela est arriv parce qu'iln'avait pas de quoi acheter sa libert8. (Traduit de langlais)

    Le Petit Samedi Soir, dcembre 1975.

    Lanne 1977 a connu quelques changements ; la rpression des opposants prsums estdevenue plus slective tout en continuant faire partie du paysage hatien. Au dbut desannes 1980, les VSN ont concentr leurs efforts sur la surveillance troite et les arrestationsarbitraires.

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    2.2.7. FORT DIMANCHEFort Dimanche tait une base militaire situe la priphrie nord de Port-au-Prince, proximit de La Saline, contenant une prison pour des dtenus politiques. Sous FranoisDuvalier, des prisonniers politiques ont t maintenus au secret pendant plusieurs annes Fort Dimanche, sans jugement et sans avoir la possibilit de contester le bien-fond de leur

    arrestation et de leur dtention.

    LES CONDITIONS DE DTENTION FORT DIMANCHETmoignage dun ancien prisonnier libr en change de lambassadeur amricain enlev (janvier1973).

    Les cellules individuelles ont en gnral 7 pieds de haut et 3 de large. Certaines sont des niches o leprisonnier peut rester allong ou recroquevill, mais il lui est impossible de sy tenir debout. Les cellulescollectives de trois mtres par trois, logent parfois jusqu 15 prisonniers. On doit dormir tour de rle,accroupi ou debout. Il nexiste aucune ouverture pour laration de la cellule. La lumire du jour ny entre pas.Une ampoule de forte intensit y est allume jour et nuit. Aussi un grand nombre de prisonniers souffrent de lavue. De plus il est impossible pour les prisonniers de faire des exercices physiques. Ils nont pas accs desterrains o ils peuvent recevoir de lair ou du soleil. La porte de la cellule leur est ouverte deux fois par jour. Lematin trois heures pour un bain- torture : un seau deau froide jet sur le corps, et au moment o le gelierouvre les verrous pour apporter cette maigre ration de nourriture9.

    La rputation de Fort Dimanche sous Franois et Jean-Claude Duvalier tait celle dunendroit o les prisonniers entraient, mais do la majorit ressortaient morts oudisparaissaient. Non seulement les prisonniers politiques taient maintenus dans desconditions inhumaines et dgradantes, mais des excutions extrajudiciaires avaient aussilieu. En 1979, la suite dune visite en Hati, la Commission interamricaine des droits delhomme a donn les noms de 17 prisonniers excuts sommairement Fort Dimanche le7 aot 1974 et en mars 1976.

    LES EXCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES FORT DIMANCHEEmmanuel Joseph, ancien membre des Lopards dtenu Fort Dimanche, a fait le rcit suivant10 :

    Souvent la nuit, nous entendions passer le peloton de la mort. On appelait des camarades qui nerevenaient jamais. Le bruit lugubre des balles assassines parvenait jusqu' nos cellules. Daucuns pleuraienten silence, dautres pleuraient pour les mes de ces patriotes inutilement fauchs.

    2.2.8. LES CASERNES DESSALINES ET LE SERVICE DTECTIFLe Service dtectif (SD) tait la police politique de Duvalier base dans les CasernesDessalines ct du palais prsidentiel. la fin des annes 1970, ce service tait placsous les ordres du chef de la police de la capitale, le colonel Jean Valm. Ses quelque200 membres taient chargs de la dtention et de linterrogatoire des auteurs prsums decrimes politiques. Toutes les personnes souponnes dinfractions de nature politique taientemmenes dans un premier temps aux Casernes Dessalines pour y tre interroges avant leurtransfert la prison de Fort Dimanche, galement place sous le contrle de Jean Valm. Lesprisonniers transfrs Fort Dimanche restaient en permanence sous l autorit du SD.

    Maintenus au secret, ils taient placs lisolement cellulaire pendant de longues priodes

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    interrompues uniquement par des sances dinterrogatoire. Lun des 12 prisonniers librsen janvier 1973 a dcrit les conditions dans lesquelles il avait pass sept mois lisolementaux Casernes Dessalines.

    La prison des Casernes se compose dune sorte de carr en mur avec un couloir au milieu. Celui-ci est bord

    de chaque ct de cinq cellules individuelles. Chaque cellule mesure six pieds de long et trois de large. Enarrivant, le prisonnier est dshabill et laiss nu dans la cellule qui contient uniquement un vieux matelassale [] Ce nest quaprs un trs long sjour quon vous permet un bain ou une coupe de cheveux. Quant moi, jai d attendre sept mois pour me laver et me faire couper les cheveux aux Casernes Dessalines.

    la vrit, aux Casernes Dessalines je nai jamais t tortur : jy ai subi un interrogatoire suivi dun longsjour au cachot. Ensuite, je fus transfr au Fort Dimanche.

    Toutefois, certains prisonniers taient torturs ou soumis un traitement cruel, inhumain oudgradant durant leur interrogatoire aux Casernes Dessalines. Le djaktait souventmentionn dans les tmoignages de prisonniers comme tant lune des mthodes de torturele plus couramment inflige tant aux hommes quaux femmes.

    Ils mordonnent de me mettre debout. Le chef me demande si je suis communiste. Je rponds par langative. Je suis encadre par deux hommes. Tout coup, ils me giflent et me brisent une dent.. Aprs lesgifles, ils se saisissent de moi et mattachent, ils semparent de fouets en nerf de boeuf et me frappent detoutes leurs forces. Aprs que le premier bourreau se soit arrt de frapper, le deuxime dit : "Dans un instantje vais te faire avouer que tu es communiste. Bon, nous allons la djaker". Ils prennent leurs btons, leurscordes et me djakent, et recommencent me frapper. Aprs mavoir battue, ils me dlient et je tombe assisesur le sol.

    2.2.9. LE SIGE DE LA POLICE ET LES RECHERCHES CRIMINELLESLe Service des recherches criminelles tait situ dans le principal poste de police de lacapitale11. Il grait aussi cet endroit un centre de dtention non officiel ; la plupart despersonnes qui y transitaient taient des suspects de droit commun ou avaient t expulsesdes tats-Unis, des Bahamas ou dailleurs. Selon certaines sources, les conditions dedtention caractrises par un rgime plus strict et de longues priodes lisolementcellulaire taient pires qu Fort Dimanche.

    Les dtenus taient semble-t-il rgulirement torturs dans les locaux des Recherchescriminelles. Le sort de plusieurs personnes qui y avaient t transfres na jamais tlucid. Danciens prisonniers affirment que les excutions sommaires y taient galementcourantes.

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    LES EXCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES DANS LES LOCAUX DES

    RECHERCHES CRIMINELLESTmoignage sous serment dun ancien officier de larme dtenu au Pnitencier national de janvier1981 juillet 1982

    Au moins 150 personnes ont t excutes pendant ma dtention au Pnitencier national. Les personnes quidevaient tre excutes taient emmenes aux Recherches criminelles avec dautres. Par exemple,15 personnes taient emmenes aux Recherches criminelles et seulement cinq revenaient. Je demandais ceux qui revenaient o taient les autres ; ils me disaient ainsi quaux autres qui leur posaient la question queles prisonniers qui ntaient pas revenus avaient t tus. La mthode dexcution tait semble-t-il lasuivante : Selon les personnes qui revenaient, le prisonnier tait trangl et tu dans les locaux desRecherches criminelles au moyen dun tissu spcial destin cet usage, un tissu solide qui tait nou autourde son cou. (Un Majore Prisontransfr des recherches criminelles au Pnitencier national ma dit la mmechose). Le corps tait mis dans une voiture et conduit la nuit dans un quartier de Port-au-Prince o il y avait

    beaucoup de voleurs, puis jet hors de la voiture aprs avoir reu une balle. Le but tait de faire croire que lespersonnes tues taient des voleurs. (Traduit de langlais)

    2.2.10. LE PNITENCIER NATIONALLe Pnitencier national est la principale prison civile dHati. Sous la prsidence de Jean-Claude Duvalier, de nombreux prisonniers politiques y ont t dtenus pendant plusieursmois, voire plusieurs annes, sans inculpation ni jugement, avec des prisonniers de droitcommun. Les conditions de dtention taient apparemment moins dures qu Fort Dimancheou aux Casernes Dessalines ; les mauvais traitements taient toutefois trs rpandus. LePnitencier national connat un problme grave de surpopulation. Des prisonniers ont affirmquils taient obligs de partager une cellule de moins de 13 mtres carrs avec 40 50 autres dtenus. Des prisonniers politiques y seraient morts par manque de soins. Des

    prisonniers ont affirm : Il y avait une partie de la prison qui tait entirement secrte, unesorte de prison dans la prison [] Nous ne savions pas ce qui se passait dans cette partie de

    la prison o il y avait les petits cachots12. (Traduit de langlais)

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    ON NE PEUT PAS TUER LA VRIT LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS SOUS JEAN-CLAUDE DUVALIER

    Index : AMR 36/007/2011 Amnesty International - septembre 2011

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    3.LES VIOLATIONS DES DROITSHUMAINS SOUR LE RGIME DEJEAN-CLAUDE DUVALIER

    Les violations des droits fondamentaux des prisonniers politiquescommenaient le plussouvent par une arrestation arbitraire suivie de la dtention prolonge au secret sansinculpation ni jugement. Les autorits ne reconnaissaient gnralement pas que despersonnes taient incarcres dans ces conditions, hormis dans les rares cas o un individutait remis en libert la faveur d'une amnistie prsidentielle et son nom rendu public.

    Les personnes prives de libert qui sont maintenues en dtention arbitraire et au secretselon le bon vouloir des responsables de lapplication des lois ne sont pas suffisamment

    protges contre la torture et les mauvais traitements et elles chappent la protection de laloi. Elles risquent donc encore plus dtre soumises la torture ou dautres traitementscruels, inhumains et dgradants et dtre victimes dexcution extrajudiciaire ou dedisparition force.

    LA DTENTION PROLONGE SANS INCULPATION NI JUGEMENTBienvenue Thodore, sergent de larme, arrt en juillet ou en aot 1979, a t accus de trahison et decomplot contre le gouvernement. Il aurait t dnonc par lun de ses subordonns quil avait rprimand pouravoir dit lors dun conflit du travail quil voulait tuer tous les grvistes. En 1980, en rponse aux demandesdinformations dAmnesty International, le gouvernement avait refus de reconnatre la dtention de

    Bienvenue Thodore. Toutefois, en 1982, danciens prisonniers ont affirm lavoir vu au Pnitencier national13.

    Jocelyn Bochard a t arrt le 16 novembre 1979 aprs avoir eu semble-t-il des contacts avec un dirigeantpolitique vivant en exil. Il a pass cinq mois lisolement dans une cellule obscure aux Casernes Dessalineso il aurait t pass tabac. Il a ensuite t transfr au Pnitencier national.

    Eric Alcindor, marin, a t arrt en aot 1979 en possession dun journal dopposition. Il a t maintenu lisolement aux Casernes Dessalines pendant deux ans avant dtre transfr au Pnitencier national.

    Amnesty International avait adopt Bienvenue Thodore, Jocelyn Bochard et Eric Alcindor commeprisonniers dopinion. Ils ont t librs dans le cadre de lamnistie prsidentielle davril 1985.

    3.1. TORTURE ET AUTRES FORMES DE TRAITEMENT CRUEL, INHUMAIN ETDGRADANT

    La torture et les autres formes de traitement cruel, inhumain et dgradant constituent desviolations du droit international. Sous la prsidence de Jean-Claude Duvalier, le recours latorture tait gnralis et systmatique pour arracher des aveux, punir et susciter la peur. Laplupart des informations recueillies par lorganisation propos des actes de torture et desmauvais traitements infligs aux dtenus proviennent des victimes elles-mmes ou detmoignages de codtenus qui ont vu les traces de torture sur le corps des victimes.

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    Amnesty International - septembre 2011 Index : AMR 36/007/2011

    Reprsentation de la mthode de torture dite du djak. DEBRET, Jean Baptiste, Feitors

    corrigeant des ngres, planchelithographie dans Voyage pittoresque et historique

    au Brsil, vol. II, planche 25, 1835. Domaine public.

    Celles-ci taient tortures en prison oualors quelles taient dtenuesarbitrairement dans des casernes delarme et des postes de police. Laplupart des tmoignages dont dispose

    Amnesty International indiquent quela torture tait utilise aux CasernesDessalines Port-au-Prince, ainsi quFort Dimanche et au Pnitenciernational. Dautres informations propos dactes de torture et demauvais traitements mentionnent descasernes ou des postes de police dansdautres rgions dHati, notamment Cayes dans le sud du pays, Croixdes Bouquets dans la priphrie de lacapitale et Hinche (dpartement du

    Centre).Par ailleurs lorganisation a reu des informations crdibles de diverses sourcesindpendantes selon lesquelles les chefs de section et les responsables locaux de la policegraient des petits centres de dtention, parfois leur domicile, o des mauvais traitementsauraient t infligs. Parmi les mthodes de torture dcrites dans les tmoignages recueillispar Amnesty International figurent les coups de bton sur la tte ou dautres parties du corpset la station debout immobile pendant de trs longues priodes ; les dtenus taientgalement attachs dans la position dite du perchoir du perroquet ou du djak14.

    Les prisonniers politiques arrts par le Service dtectif taient maintenus au secret sanspouvoir rencontrer leur famille, un avocat ou un mdecin et ils taient systmatiquementinterrogs. Ces conditions de dtention favorisaient le recours la torture sans restrictions et

    en toute impunit.Les dtenus risquent davantage dtre torturs quand les voies de recours lgales, judiciairesou administratives sont inefficaces ou inexistantes. Ceci signifie souvent quil ny a aucunmoyen de sanctionner les responsables de ces actes. En Hati, les agents de ltat ont eurecours la torture et aux mauvais traitements en pensant quils nauraient pas rendrecompte de leurs actes et ils ont souvent affirm quils excutaient les ordres de leurssuprieurs.

    LA TORTURE FORT DIMANCHEDclaration sous serment de JM Washington, en 1980.

    Jai t arrt le 17 mars 1977 proximit de mon domicile de Port-au-Prince par cinq tontons

    macoutes en uniforme bleu jean. On ne ma pas indiqu le motif de mon arrestation ni de ma dtention et jenai jamais t formellement inculp. Jai t menott et emmen directement Fort Dimanche.

    Ds mon arrive la prison politique de Fort Dimanche on ma emmen dans une salle dinterrogatoire. Ils sesont mis me frapper parce que, selon eux, javais dit du mal du gouvernement. Ils mont frapp coups depoing de leurs mains bagues, coups de bton et et coups de pied. Du sang coulait de ma bouche et demes oreilles et je me suis vanoui plusieurs reprises. La deuxime fois que jai repris connaissance jai vu

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    Index : AMR 36/007/2011 Amnesty International - septembre 2011

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    plusieurs de mes dents dans une mare de sang par terre. Les coups taient dune telle brutalit que je naiplus rien vu de lil droit pendant des mois et que jai compltement perdu laudition dun ct. Javais tout levisage enfl cause des coups. I ls ont cess de me frapper quand je me suis vanoui une dernire fois, jenen pouvais plus. Je nai jamais t autoris consulter un mdecin pendant les deux annes que jaipasses Fort Dimanche.

    Je suis rest sept mois compltement seul dans une cellule minuscule sans fentre [] ils ont ensuite amensept autres prisonniers. Parmi eux se trouvait un homme expuls des tats-Unis [] Jacques, un autreoccupant de la cellule, qui tait dans un tat de grande faiblesse son arrive est rapidement tombgravement malade [] Je pense quil tait en train de mourir de la tuberculose. Un jour ils sont venus lechercher et je nai plus jamais entendu parler de lui. Les six autres personnes qui ont t amenes dans macellule avaient t sauvagement battues, comme moi [ ...] Je voudrais ajouter que lorsque FJ, lexpuls, a tamen dans la cellule, il avait t battu avec une telle violence quon ne voyait plus ses yeux et quil taittotalement dfigur.

    Jai t libr aprs avoir t dtenu pendant 24 mois Fort Dimanche. I ls ne mont jamais inculp ni fourni lamoindre explication pour le traitement quils mont fai t subir. (Traduit de langlais)

    Dans la majorit des cas ports la connaissance dAmnesty International, des membres duService dtectif ont tortur des prisonniers aux Casernes Dessalines pour obtenir desinformations sur leurs activits politiques et les contraindre dnoncer dautres opposantsprsums du gouvernement. Lorganisation na connaissance daucun cas dans lequel lesautorits hatiennes auraient men une enqute sur une plainte dpose par un dtenu pourtorture ou mauvais traitements15.

    YVES RICHARD, ARRT DE MANIRE ARBITRAIRE, TORTUR ETEXPULSYves Richard tait secrtaire gnral de la Centrale autonome des travailleurs hatiens (CATH). Il a t arrtle 22 dcembre 1980 car on le souponnait d activits politiques et subversives 16 .

    Je fus arrt sans mandat 10 heures du matin au cours dune runion que je tenais au bureau desrespects pres salsiens avec 35 ouvriers exploits de la compagnie DESDAN. Sans crier gare, un groupe de tontons macoutes fit irruption dans la salle, et sans autre forme de procs ils se mirent rosser lesouvriers. Le camarade syndicaliste Simon Jean-Baptiste fut tu dune balle tire par les tontonsmacoutes de Jean-Claude Duvalier. Je fus emmen avec les autres ouvriers la caserne Dessalines o nousfmes interrogs sous la torture et accuss pour la premire fois dtre des incendiaires et des agitateurscommunistes. partir de ce moment, je fus dfinitivement spar des autres ouvriers et transfr dans unecellule souterraine cache sous le Palais national, qui ne recevait pas la lumire du jour. Grce la lampelectrique des gardiens, jai pu cependant apercevoir des squelettes, probablement ceux danciensprisonniers, tendus sur le sol. Il me semblait vivre un cauchemar lintrieur dune immense tombe sous lePalais national17.

    Yves Richard a t libr et expuls vers Curaao.

    Sous le rgime des Duvalier, la plupart des avocats, journalistes et intellectuels delopposition ont t soit emprisonns soit expulss dHati. Les militants des droits humainsont t contraints de suspendre leurs activits de recueil et de diffusion dinformations surles atteintes aux droits fondamentaux commises en Hati. Il tait donc difficile dobtenir desinformations sur le recours la torture et aux mauvais traitements dans le pays. Toutefois, les

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    Amnesty International - septembre 2011 Index : AMR 36/007/2011

    tmoignages danciens prisonniers ou de leurs proches ainsi que danciens membres delarme ou des forces de scurit hatiennes qui avaient trouv refuge dans dautres paysbrossent un tableau alarmant de lutilisation persistante de la torture et dautres formes demauvais traitements contre les prisonniers durant toute la priode o Jean-Claude Duvalier at au pouvoir18.

    Pendant les annes 1970 et 1980, Amnesty International a lanc frquemment des appelsen faveur de personnes qui avaient t arrtes dans des circonstances o lorganisationestimait quelles risquaient dtre tortures. Le gouvernement hatien na toutefois jamaisfourni de rponse concrte sur ces cas. Le chef de ltat et les autorits judiciaires nemanifestaient aucune volont de faire face cette pratique, de lempcher ou dordonner desenqutes, alors que le droit hatien rige la torture en infraction pnale.

    Le Code pnal hatien en vigueur sous le rgime de Jean-Claude Duvalier rigeait en infractionpnale les actes de torture commis au moment de larrestation ou pendant la dtention :article 302. Si [l'individu arrt, dtenu ou squestr] a t soumis des tortures

    corporelles, le coupable sera puni de mort19.

    LE DJAKAUX CASERNES DESSALINESTurneb Delp, chirurgien et membre fondateur du Parti national dmocratique progressiste hatien (PNDPH) at arrt laube du 1er novembre 1984 Port-de-Paix en mme temps quEstve Ren, Joseph Mirtilien,

    Jean-Paul Duperval et Paulux St-Jean. Les policiers qui les ont interpells dans la rue navaient pas de mandatdarrt. Ces hommes nont pas t informs des motifs de leur arrestation 20.

    Turneb Delp a t emmen aux Casernes Dessalines Port-au-Prince o il est rest jusqu la fin dedcembre 1984, date de son transfert au Pnitencier national. Il a t remis en libert le 30 avril 1985.Pendant sa dtention aux Casernes Dessalines il a t maintenu au secret dans une cellule en sous-sol dunpeu plus de quatre mtres de long et un mtre de large. Il tait compltement isol, changeant simplementquelques mots avec les gardiens au moment de la distribution des repas.

    Il a dclar : Aux Casernes Dessalines, le personnel nous harcle continuellement : oralement, menace debastonnade. Tout refus dobir est suivi de bastonnade. Jai subi 43 interrogatoires par le chef de la police, lesministres dtat, de lIntrieur et de la Dfense nationale, par le chef de la scurit du Palais national, lesmembres de la commission denqute nationale (personnel militaire). Linterrogation portait sur les aspectssuivants : activits politiques et sociales en Hat i, croyances politiques, appartenance politique, donnesbiographiques, connaissances militaires, lutte arme, le PNDPH, son comit central et vulgarisation desnoms.

    Aux Casernes Dessalines, Turneb Delp a t tortur cause de son refus de rpondre certainesquestions . Il a dclar : Ils promettent de ne plus vous frapper si vous collaborez avec eux. I l a tsoumis plusieurs formes de torture, notamment des coups, des gifles, et le djak, mthode dans laquelle lavictime a les bras et les jambes plis et attachs ensemble ; elle est ensuite suspendue un bton pass

    dans le creux des genoux et des coudes, ce qui la met en position accroupie, le dos rond. Dans cette position, on vous laisse rouler par terre, on vous applique une bastonnade aux fesses, cuisses et au dos. Lestortures psychologiques consistaient en menaces de mort, isolement, humiliation, privation des objetsessentiels comme les vtements, leau, une brosse dents, rveil brutal en pleine nuit et nudit complte.

    Turneb Delp a t accus de complot contre la scurit de ltat ; il na toutefois pas t jug. Remis enlibert le 30 avril 1985 la faveur dune amnistie gnrale proclame par Jean-Claude Duvalier, il a t

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    autoris quitter Hati pour les tats-Unis.

    3.2. DISPARITIONS FORCESDurant les 15 annes au pouvoir de Jean-Claude Duvalier, lune des mthodes de rpression

    tatique les plus courantes consistait faire disparatre des personnes.

    Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitionsforces (Convention contre les disparitions forces) quHati a signe en 2007, dfinit ladisparition force comme l'arrestation, la dtention, l'enlvement ou toute autre forme deprivation de libert par des agents de l'tat ou par des personnes ou des groupes depersonnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'tat, suivi du dnide la reconnaissance de la privation de libert ou de la dissimulation du sort rserv lapersonne disparue ou du lieu o elle se trouve, la soustrayant la protection de la loi 21 .

    Larticle 17 de la Dclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitionsforces, adopte en 1993 par lAssemble gnrale des Nations unies, dispose que tout acte conduisant une disparition force continue d'tre considr comme un crime aussi

    longtemps que ses auteurs dissimulent le sort rserv la personne disparue et le lieu o ellese trouve et que les faits n'ont pas t lucids .

    JOSEPH PARDOVANY DISPARU DEPUIS 1983Joseph Pardovany, un mcanicien pre de cinq enfants, a t arrt le 8/9 septembre 1983 Port-au-Prince,probablement en raison de ses liens avec Sylvio Claude, dirigeant du Parti dmocrate-chrtien hatien (PDCH).Les autorits hatiennes nont pas reconnu la dtention de cet homme. Amnesty International a appris audbut de 1984 quil tait dtenu aux Casernes Dessalines. Toutefois, Joseph Pardovany ne faisait pas partiedes 37 prisonniers politiques largis la faveur de lamnistie proclame en avril 1985 par Jean-ClaudeDuvalier. On ignore tout de son sort.

    Les disparitions forces imputables aux agents de ltat sont parmi les violations les plusabominables des droits humains qui ont t perptres durant les 15 annes du rgime de Jean-Claude Duvalier, la fois en raison de leur ampleur dans la petite rpublique, de leur cruaut etde la dure de ce crime.

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    DISPARITION

    ROCK CHARLES DEROSE(alias Jrme Jean),41 ans mcanicien, a t arrt le 12 novembre1981 lors dune descente de police sondomicile de Port-au-Prince. Il tait membre duParti unifi des communistes hatiens (PUCH).Les activits communistes taient riges eninfraction pnale depuis 1969 en Hati. Rock

    Charles Derose a t incarcr aux CasernesDessalines o il aurait t tortur. Legouvernement a refus de reconnatre quiltait dtenu. Des tmoins ont toutefois dclar Amnesty International quil tait incarcr et

    faisait partie des prisonniers que les autorits avaient emmens vers unedestination inconnue. Selon certaines sources, au moment de son arrestationRock Charles Derose tentait de crer un syndicat dans lusine o il travaillait. Ilavait t arrt en octobre 1960 et dtenu pendant trois mois pour avoirparticip un meeting de la Fdration des tudiants hatiens.

    DTENTION ARBITRAIRE ET TORTURE

    JOSEPH LAFONTANT, avocat et secrtaire gnral de laLigue hatienne des droits humains, a t arrt le28 novembre 1980. Il avait dfendu plusieursprisonniers dopinion adopts par AmnestyInternational lors de leur procs en aot 1980, quiavait dbouch sur leur condamnation neuf ansdemprisonnement. Il quittait le tribunal de Port-au-

    Prince o il tentait d'assister 60 ouvriers de labrasserie nationale menacs darrestation quand il at interpell et emmen de force par cinq hommes encivil. Il aurait t sauvagement tortur avant dtre

    remis en libert en dcembre 1980. Joseph Lafontant a t tu en 1988.

    DISPARITION

    JEAN LALANEa t arrt le 9 septembre 1983 lors dunedescente de police son domicile de Port-au-Prince. Il taitau nombre des membres du Parti dmocrate-chrtienhatien (PDCH) arrts ce jour-l, dont Mrs Briole. Sonfils Aubet Lalane a galement t arrt le mme jour et

    dtenu pendant trois mois aux Casernes Dessalines avantdtre remis en libert. Un ancien prisonnier a affirm que

    Jean Lalane tait lun des trois dtenus quil avait vus enmars 1984 alors quils taient emmens de leur cellule aux Casernes Dessalines, latte recouverte dune cagoule.

    DTENTION ARBITRAIRE ET TORTURE

    GRARD DUCLERVILLE, un militant catholiquelac, a t arrt le 28 dcembre 1982. Durantsa dtention il a t interrog propos duprogramme radio Messe du Matin quilanimait rgulirement sur Radio Cacique. Il at remis en libert le 7 fvrier 1983 sansavoir t inculp. Il a d recevoir des soins

    lhpital, notamment des greffes de peau, la suite des svices que les policiers luiavaient infligs. Cet homme a dclar Amnesty International : Ils mont djaketont commenc me frapper coups de matraque [...] J'ai d recevoir 70 coups dematraque. Au bout dun moment jai senti que ctait trop dur pour moi et que je nepouvais plus le supporter. Je leur ai dit : Les gars, au lieu de me torturer commecela, vous feriez mieux de me tuer et d'en finir [...]' (traduit de langlais). GrardDuclerville a t adopt comme prisonnier d'opinion par Amnesty International.

    DISPARITION

    WILLIAM JOSMA,ingnieur, aurait t arrtpar des membres des forces de scurit Carrefour, un quartier de Port-au-Prince, le3 avril 1981. Candidat pour la municipalit de

    Moron (Jrmie) aux lections lgislatives de1979, il avait fait partie de ceux que le gouvernement avait obligs ret irer leurcandidature. Aprs avoir t dtenu 15 jours aux Casernes Dessalines, il a ttransfr au Pnitencier national o il a t maintenu au secret jusquen janvier1982. Des codtenus ont affirm lavoir vu alors quil tait emmen en janvier1982 vers une destination inconnue, apparemment parce quil avaitconnaissance dune tentative dinvasion qui avait eu lieu au dbut du mois pardes exils hatiens. Dans une communication officielle adresse lorganisationen fvrier 1984, les autorits ont reconnu que William Josma tait dtenu etaccus d'tre un terroriste. Aucune autre information na toutefois t fourniesur son lieu de dtention ni sur son tat de sant. Amnesty International lavaitadopt comme prisonnier dopinion.DTENTION ARBITRAIRE

    GRGOIRE EUGNE,fondateur du Parti social-chrtien dHati (PSCH) et diteur du magazineFraternit, a t arrt par la police sondomicile le 18 juin 1984 et emmen auxCasernes Dessalines Port-au-Prince. Desexemplaires du dernier numro de Fraternitont

    t saisis ainsi que sa voiture et son matriel dimprimerie. Grgoire Eugne a tremis en libert le lendemain, mais plac en rsidence surveille jusquen septembre.Un mois avant son arrestation, le ministre de lIntrieur avait promulgu un dcretqui interdisait toutes les activits et les groupes politiques hormis ceux duprsident .

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    Crdits photos : ROCK CHARLES DEROSE, JOSEPH LAFONTANT, JEAN LALANE, GRGOIRE EUGNE, FRANK BLAISE, JOSEPH BIEN-AIM, et MRS BRIOLE DR ;

    GRARD DUCLERVILLE, WILLIAM JOSMA, EVANS PAUL, SYLVIO CLAUDE, et JOCELYN BOCHARD Amnesty International

    DTENTION ARBITRAIRE ET TORTURE

    EVANS PAUL,journaliste RadioCacique, un mdia indpendant, a tarrt le 16 octobre 1980 laroportde Port-au-Prince. Il rentrait de NewYork o il avait interview lancienprsident hatien, Paul EugneMagloire, qui vivait en exil. Dtenu ausecret pendant 10 jours aux Casernes

    Dessalines, il a t libr sans avoirt inculp. Le juge qui a ordonn sa remise en libert lui a dit quil avait tarrt cause de ses missions la radio, considres subversives . EvansPaul a racont Amnesty International ce quil avait subi : Plusieurs personnesarmes de gourdins [] mont violemment frapp. Un homme [] a pass unlong bton entre mes jambes et mes bras. Jtais comme une balle. Jai eulimpression que tout mon corps allait se briser. Ils mont ensuite frapp coupsde bton. Un moment jai pens que jallais mourir. Ils mont donn quelque chose boire. Puis ils ont recommenc, ctait encore pire. La peau de mes fesses taitarrache. Je saignais abondamment. Cela ne les a pas rebuts. On peut dire aucontraire que la vue de mon sang les excitait encore plus. Quand jtais sur lepoint de mourir ils mont dtach et tran jusqu une cellule obscure. On nyvoyait rien. (Traduit de langlais)

    DTENTION ARBITRAIRE

    FRANK BLAISE,70 ans, a t arrt sans mandat le25 aot 1983 Petit-Gove, deux mois aprs sonretour en Hati aprs son retour des tats-Unis, o ilavait pass une quinzaine dannes. Des policiersen uniforme lont emmen aux Casernes Dessalines.Aprs un interrogatoire superficiel il a t jet dansune cellule obscure, sale et humide o il a t

    maintenu lisolement, en sous-vtements, jusquau 19 novembre, date laquelle

    il a t libr sans la moindre explication. Frank Blaise a dcrit les mauvaisesconditions de dtention, la nourriture insuffisante et labsence de soins mdicauxaux Casernes Dessalines. On ne lui a fourni aucune explication sur sa dtentionarbitraire, mais il a dclar Amnesty International quil pensait que sonarrestation pouvait tre lie au rle quil avait jou, en tant quagronome, pouramliorer les conditions de vie des ouvriers agricoles ainsi qu un livre quil avaitrdig propos de la rforme agraire en Hati.

    DTENTION ARBITRAIRE ET TORTURE

    SYLVIO CLAUDE, pasteur et membre delopposition, a t arrt plusieurs reprisesentre 1979 et 1983. Cest ainsi que le 22 fvrier1979 il a t arrt avec un ami par un groupe

    de tontons macoutes son domicile deMirebalais (dpartement du Centre). Selon destmoins, les deux hommes ont t menotts etpasss tabac avant dtre emmens auxCasernes Dessalines. On l'a ensuite battu et on

    lui a administr des dcharges lectriques sur la plante des pieds. Puis il a tmis dans un avion et expuls vers la Colombie. Rentr en Hati quelques mois plustard, il a annonc, en juillet 1979, la cration du Parti dmocrate-chrtien hatien(PDCH). Arrt le 30 aot 1979, il a t dtenu aux Casernes Dessalines puistransfr au Pnitencier national o il a t inculp d activits subversives .Remis en libert le 30 avril 1980, il a de nouveau t arrt la mi-octobre dans lecadre dune nouvelle vague de rpression en Hati. En aot 1981, Sylvio Claude et

    25 coaccuss ont t dclars coupables dincendie volontaire et de complotcontre la scurit intrieure de ltat. Vingt-deux dentre eux, dont Sylvio Claude,ont t condamns 15 ans demprisonnement assortis de travaux forcs. Leurpeine a t ramene six ans en aot 1982 la suite dun appel et dun nouveauprocs. Des observateurs internationaux ont affirm que ni le premier procs ni ledeuxime navaient respect les normes internationalement reconnues. Ils ont tgracis par le prsident en septembre 1982 et remis en libert. Sylvio Claude a tdtenu pendant deux jours en dcembre 1982 et, arrt nouveau en octobre1983, il a t incarcr pendant 77 jours aux Casernes Dessalines sans treinculp. Amnesty International le considrait comme un prisonnier dopinion. SylvioClaude a t tu le 30 septembre 1991.

    DTENTION ARBITRAIRE ET TORTURE

    JOCELYN BOCHARDa t arrt le16 novembre 1979 aprs avoir eu semble-t-ildes contacts avec un dirigeant politiquevivant en exil. Il a pass cinq mois lisolement dans une cellule obscure aux

    Casernes Dessalines o il aurait t pass tabac. Il a ensuite t transfr au Pnitenciernational. Amnesty International lavait adoptcomme prisonnier dopinion. Il a t libr enavril 1985 la faveur dune amnistieprsidentielle sappliquant aux prisonniers

    politiques ; il avait pass prs de six ans en prison sans avoir jamais t inculp.

    DISPARITION

    JOSEPH BIEN-AIM, un veuf quinquagnaire, pre dehuit enfants, a t arrt son domicile le 13 mai 1983.Ce membre du Parti dmocrate-chrtien hatien (PDCH)avait dj t dtenu du 29 septembre 1979 au31 dcembre 1981. Une de ses filles a dclar en 1986 Amnesty International que le lendemain de larrestationde son pre elle stait rendue au sige de la police o onlui avait dit quil avait t emmen aux Casernes

    Dessalines. Mon pre a disparudepuis cette date. Nous n'avons plus aucunenouvelle de lui. Nous navons ni pre ni mre. Nous sommes huit enfants seuls lamaison. Il ny a personne pour nous aider, pour payer la nourriture, lcole, rien dutout.

    DISPARITION

    MRS BRIOLE,membre des Volontaires de la scuritnationale (VSN) et sympathisant du Parti dmocrate-chrtien hatien (PDCH), aurait t arrt le 9 septembre1983 Port-au-Prince, en mme temps que dautresmembres du PDCH dont certains ont t librs par lasuite. Selon certaines sources, Mrs Briole avait sonchquier sur lui quand il a t arrt et les membres des

    forces de scurit lont emmen dans une banque o il a t contraint de retirer etde leur remettre 1 800 dollars (1 250 euros). Certains affirment quil a t emmen la caserne de Croix des Bouquets et abattu deux jours aprs son arrestation.Toutefois, selon une autre information parvenue Amnesty International, uncodtenu aurait vu Mrs Briole et deux autres prisonniers Jean Lalane et Joseph

    Pardovany emmens hors de leurs cellules aux Casernes Dessalines en mars1984, la tte recouverte dune cagoule.

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    Les disparitions forces provoquent chez les proches des victimes une souffrance dchirante.Ne sachant pas si l'tre aim est mort ou s'il est encore en vie, ils ne peuvent pas faire leurdeuil et se retrouvent dans l'impossibilit de rsoudre certains problmes juridiques oumatriels. Pour eux, la disparition force continue indfiniment, et cest pour cette raisonquelle est considre comme un crime continu22 .

    Dans certains cas de disparition force, le corps de la victime finit par tre retrouv, parfois la suite dune enqute. Toutefois, dans la plupart des cas, on considre au bout dun certaintemps que la ou les personnes ont t tues et que leurs restes ont t dissimuls pourempcher que les responsables aient rendre compte de leurs actes.

    La disparition force a t utilise en Hati pour liminer des opposants politiques, dessyndicalistes et des dfenseurs des droits humains, ainsi que dautres personnes considrescomme reprsentant une menace pour le pouvoir ou les intrts de ltat. En 1986, AmnestyInternational a appel les autorits hatiennes ordonner une enqute sur la disparition deplusieurs centaines de personnes pendant les annes 1970 et 198023. Les responsablesbnficient jusqu ce jour dune impunit totale et, dans bien des cas, les familles des

    disparus ignorent toujours le sort de leurs proches.

    Sous les gouvernements de Franois et de Jean-Claude Duvalier, le secteur de Titanyen, lapriphrie nord de Port-au-Prince, tait connu pour tre le lieu o ont t dissimuls lesrestes de plusieurs opposants politiques qui y avaient t enlevs puis excuts. Selon desinformations fournies par danciens prisonniers politiques, des tombes anonymes dans lacour de Fort Dimanche contiennent aussi les restes de dtenus.

    Jacques Emmanuel Bonheur et Augustin Auguste, membres du PDCH, sont deux victimes dedisparition force dont le cas a t rvl par Amnesty International. Arrts respectivementen dcembre 1985 et en janvier 1986 ils ont ensuite disparu .

    AUGUSTIN AUGUSTE DISPARU DEPUIS JANVIER 1986Selon certaines sources, Augustin Auguste a t arrt le 28 janvier 1986 Port-au-Prince par des membresdes VSN. Il aurait t vu lhpital militaire puis emmen Fort Dimanche o il aurait t tu par balle le3 fvrier. La famille de cet homme na jamais t informe officiellement de son sort.

    Sa fille a dclar Amnesty International : Le 28 janvier 1986 mon pre est sorti. Jusqu prsent il nestpas revenu. Nous ne savons pas o il est pass. Mardi nous avons t voir un de nos cousins lHpitalmilitaire. Il nous a dit lavoir vu lHpital militaire accompagn des tontons macoutes arms demachettes. Il avait la tte casse donc on tait venu avec lui dans cet hpital en vue de lui panser les plaies.Et puis aprs on est retourn avec lui au Bureau de supervision gnrale [le sige des tontons macoutes Port-au-Prince] et il nest pas revenu encore. Et aprs on me dit quon la conduit Fort Dimanche, et cest lquon la excut.

    Augustin Auguste avait dj t arrt plusieurs reprises en raison de son appartenance au PDCH.

    3.3. CAS DE MORT EN DETENTIONTout au long de la prsidence de Jean-Claude Duvalier des personnes sont mortes alorsquelles taient dtenues par les forces de scurit. Le nombre de cas signals laisse

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    penser que les dtenus ont t victimes dexcution extrajudiciaire ou quils sont morts dessuites de torture, de maladie ou de manque de nourriture et de soins. En 1977, AmnestyInternational a dclar quen Hati des conditions dhygine pouvantables, les maladies,les mauvais traitements, la privation de nourriture, la torture et les excutions arbitrairesdciment les prisons. Hati est un des pays o la mortalit parmi les prisonniers est la plus

    leve24 .

    TMOIGNAGE DUN PRISONNIER Le 23 janvier 1973, on comptait 105 prisonniers politiques Fort Dimanche dans le quartier de La Saline Port-au-Prince, une centaine dans les cachots du Pnitencier national rue Centre Port-au-Prince, unecinquantaine dans des cellules individuelles et collectives aux Casernes Dessalines sous lautorit spciale dugnral Brton Claude et un nombre indtermin dans des prisons provinciales, Saint-Marc, aux Gonaves, Ouanaminthe, etc. Au total, le nombre de prisonniers politiques localiss et toujours en vie dans les prisons deDuvalier slevait 400 environ. (Traduit de langlais)

    Tmoignage dun ancien prisonnier politique libr en 1973.

    En 1973, la presse hatienne a fait tat dun message que des prisonniers avaient fait sortirclandestinement de Fort Dimanche et qui rvlait que 60 prisonniers taient morts entre1971 et 197325. Quatre ans plus tard, le nombre de morts en dtention Fort Dimancheavait plus que doubl. Entre 1972 et 1977, plus de 150 prisonniers seraient mortsdinanition ou des suites de diverses maladies lies aux conditions inhumaines de dtention.Ainsi, la tuberculose, endmique ntait pas contrle ni traite par les autorits mdicalesde la prison. Des excutions ont galement t signales durant ces annes.

    Hubert Legros, avocat, serait mort de tuberculose en dcembre 1975 dans la cellule n 6 deFort Dimanche. Pierre Laurent, tailleur, est mort de tuberculose la mme anne dans lacellule n 8. Les prisonniers tuberculeux partageaient leur cellule avec des codtenus quintaient pas malades. Un prisonnier libr en 1977 a dclar quil y avait 200 prisonniers

    entasss dans la prison de Fort Dimanche. tout moment 50 au moins taienttuberculeux. Nous devions partager 18 verres pour boire. Le taux de mortalit taitnaturellement lev car les malades transmettraient leurs microbes aux autres. Ds quequelquun mourait, il tait remplac [] Les gens mouraient toujours de tuberculose ou dediarrhe26. (Traduit de langlais)

    Les familles des prisonniers ntaient pas informes quand ils taient malades, ni mmequand ils mouraient. Les informations sur la mort ou ltat de sant des dtenus nepouvaient tre obtenues quauprs des anciens prisonniers. Les autorits hatiennes nontreconnu aucun dcs Fort Dimanche.

    Les documents publis par lorganisation en 1986 signalent le cas de deux hommes morts endtention la caserne de Hinche (dpartement du Centre). En janvier 1983, Pierre Joseph a

    t battu mort. Deux ans plus tard, le 15 janvier 1985, Roland Nol, employ du ministredu Commerce, a t arrt Hinche. On a appris que des soldats lavaient battu lelendemain dans la cour de la caserne. Ils lauraient dshabill et lui auraient attach les mainsavant de le suspendre et de le frapper. Roland Nol est mort le 21 janvier 1985 27. On ne sauraprobablement jamais combien de prisonniers sont morts en dtention. Seule une liste partiellepeut tre dresse partir des tmoignages danciens prisonniers.

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    4.LES VIOLATIONS DES DROITSHUMAINS EN HATI SONT DESCRIMES AU REGARD DU DROITINTERNATIONAL

    Ce sont des hommes, et non des entitsabstraites, qui commettent les crimes dont larpression simpose, comme sanction du droitinternational. Jugement rendu lissue du procs des principaux criminels de guerre devant le Tribunal mili taire international de Nuremberg, les

    30 septembre et 1er octobre 1946.

    Les actes de torture, les disparitions forces, les arrestations arbitraires et les excutionsextrajudiciaires qui ont t perptrs sous le rgime de Jean-Claude Duvalier constituent des

    crimes au regard du droit international. Certains de ces actes peuvent tre assimils descrimes contre lhumanit lesquels sont reconnus comme des crimes au regard du droitinternational depuis la Seconde Guerre mondiale. Les crimes contre lhumanit sontreconnus pour leur gravit particulire et pour leur caractre inacceptable pour la consciencede l'humanit. Ces crimes sont si graves quils concernent non seulement les victimes, lessurvivants ou ltat en question, mais aussi lhumanit tout entire28. Ils relvent de lacomptence universelle29, ce qui signifie que tout tat peut ouvrir une enqute et engagerdes poursuites contre des individus souponns de crimes contre lhumanit.

    Jean-Claude Duvalier est inculp de crimes contre lhumanit commis en Hati alors mmeque de tels crimes ne sont pas encore dfinis dans le Code pnal hatien. Toutefois, cescrimes relevant du droit international, Hati est tenu douvrir une enqute sur ces violations,dengager des poursuites pour crimes contre lhumanit et de permettre aux victimesdaccder la justice, de connatre la vrit et dobtenir des rparations.

    Il existe un nombre suffisant de tmoignages et de nombreuses allgations qui laissent penser que des crimes contre lhumanit ont t commis sous le rgime de Jean-ClaudeDuvalier. Cela justifie dans le cas prsent une analyse de la dfinition des crimes contrelhumanit et la prsentation darguments tayant le recours au droit pnal international.

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    4.1. CRIMES CONTRE L'HUMANITLa prohibition des crimes contre lhumanit est reconnue comme faisant partie du droitinternational coutumier depuis la Seconde Guerre mondiale. Tous les tats sontjuridiquement tenus de sanctionner les auteurs de crimes contre lhumanit, de les extrader

    vers un pays capable de les sanctionner, ou de les livrer une juridiction pnaleinternationale, quelle quait t la qualification explicite de ces crimes dans le droit interne infractions pnales ou non au moment o ils taient commis. Puisque les crimes contrelhumanit sont universellement reconnus comme des crimes au regard du droit international et quils ltaient au moment o ils taient commis en Hati les autorits hatiennesdoivent veiller ce que les responsables de ces crimes soient poursuivis en justice, jugs etcondamns la hauteur des faits avrs.

    Dans les annes 1990, les crimes contre lhumanit ont t inscrits dans plusieursinstruments internationaux, notamment les statuts des tribunaux pnaux internationaux pourlex-Yougoslavie et pour le Rwanda (TPIY et TPIR). La jurisprudence de ces tribunauxinternationaux a fait progresser la comprhension actuelle des crimes contre lhumanit. Lescrimes contre lhumanit sont par ailleurs dfinis et rigs en infraction pnale dans les

    codes pnaux de nombreux pays travers le monde.

    Ils sont dfinis dans le Statut de Rome de la Cour pnale internationale (CPI) comme tantdune telle gravit quils menacent la paix, la scurit et le bien-tre du monde . Dansdautres instruments internationaux ils sont qualifis d affront la conscience [] et [d]offense grave et odieuse la dignit intrinsque de la personne humaine30 .

    Le Statut de Rome dfinit en outre les crimes contre lhumanit comme des actes commisdans le cadre d'une attaque gnralise ou systmatique lance contre toute population civileet en connaissance de cette attaque. Le meurtre, la torture, les disparitions forces,lemprisonnement ou toute autre forme svre de privation de libert physique en violationdes rgles fondamentales du droit international constituent des crimes contre lhumanit

    lorsque ces actes sont commis dans le cadre dune attaque avec les caractristiquesnonces plus haut31.

    Les tats sont tenus dempcher les violations flagrantes du droit international relatif auxdroits humains qui constituent des crimes au regard du droit international. Ils doiventgalement mener sans dlai des enqutes srieuses, approfondies et impartiales, et, le caschant, prendre des mesures contre les responsables prsums de tels agissementsconformment au droit interne et international. Ils doivent permettre aux victimes daccder la justice et des voies de recours utiles, et notamment des rparations pleines et entires.

    Les crimes commis en Hati entre 1971 et 1986 sous le rgime de Jean-Claude Duvalierconstituent des crimes contre lhumanit en raison de leur nombre, de leur ampleur, de leurgravit et de leur caractre systmique. Ces actes constituaient des crimes contre lhumanitlorsquils ont t commis et cest toujours le cas aujourdhui. Les crimes de cette nature sontimprescriptibles et limmunit de poursuites ne saurait servir dexcuse pour ne pas dfrerles responsables la justice.

    Par consquent, aux termes du droit international, ltat hatien est tenu denquter sur lesallgations sous-jacentes aux charges formules contre Jean-Claude Duvalier et dengager des

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    poursuites son encontre dans le cas o des lments de preuve recevables viendraienttayer ces charges. Conformment aux normes internationales relatives lquit desprocs, les ventuelles poursuites doivent tre ouvertes devant un tribunal ordinaireprsentant toutes les garanties dquit tant pour laccus que pour les victimes. Si leresponsable prsum est dclar coupable, sa peine doit tre proportionnelle aux crimes

    commis.

    4.2. PAS DE PRESCRIPTION POUR LES CRIMES CONTRE LHUMANITLes crimes contre lhumanit sont imprescriptibles. Le temps pass ne rduit donc pas laresponsabilit de ltat de mener des enqutes et dengager des poursuites contre lesresponsables de crimes contre lhumanit32.

    Il existe une jurisprudence de plus en plus importante manant de tribunaux nationaux etinternationaux qui tous reconnaissent et renforcent le principe selon lequel les crimes contrelhumanit et dautres crimes au regard du droit international, comme la torture et ladisparition force, ne sont pas limits dans le temps et sont imprescriptibles, quelles quesoient les dispositions de la lgislation interne du pays qui juge ces crimes.

    Le Code dinstruction criminelle hatien prvoit un dlai de prescription de 10 ans compterdu moment o le crime a t commis si aucune procdure na t ouverte durant cettepriode. Cette disposition sapplique lhomicide et dautres crimes dont la torture (art.466). Des avocats hatiens minents ont rcemment fait valoir que la justice hatienne nepouvait pas poursuivre Jean-Claude Duvalier pour crimes contre lhumanit car ce crime nestpas encore reconnu dans les lois du pays et cause de la prescription prvue par le Codedinstruction criminelle33. Toutefois, en tant que membre de la communaut des nations,Hati est tenu dengager des poursuites contre les responsables de crimes internationauxperptrs sous le rgime de Jean-Claude Duvalier. La norme du droit international qui imposecette obligation ltat hatien se substitue toute norme du droit national.

    La prohibition de la torture et des disparitions forces sont des normes impratives (juscogens)du droit international auxquelles il ne peut en aucun cas tre drog. En 1980,lorsquil a ratifi la Convention de Vienne sur le droit des traits adopte en 1969, Hati areconnu le principe selon lequel il nest pas possible de droger une norme ayant atteint lestatut dejus cogens34. Larticle 53 de cette Convention dispose : Est nul tout trait qui, aumoment de sa conclusion, est en conflit avec une norme imprative du droit internationalgnral. Aux fins de la prsente Convention, une norme imprative du droit internationalgnral est une norme accepte et reconnue par la communaut internationale des tatsdans son ensemble en tant que norme laquelle aucune drogation nest permise et qui nepeut tre modifie que par une nouvelle norme du droit international gnral ayant le mmecaractre.

    4.3.

    LA TORTURE, CRIME CONTRE LHUMANITLa pratique de la torture est expressment prohibe par le droit international. La protectioncontre la torture fait partie intgrante de la Dclaration universelle des droits de lhomme(art.5), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 7), et de laConvention amricaine relative aux droits de lhomme (art. 5 (2)). La protection contre latorture en cas de conflit arm est galement nonce par les Conventions de Genve (art.3 commun).

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    La prvention de la torture et la sanction de cette pratique sont galement lobjetdinstruments internationaux spcifiques, en particulier la Dclaration sur la protection detoutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains oudgradants, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumainsou dgradants, la Convention interamricaine pour la prvention et la rpression de la torture

    et le Statut de la Cour pnale internationale (Statut de Rome). Les deux derniers instrumentsont dfini la torture comme un crime international aux termes du droit des nations (jusgentium)quel que soit le lieu o de tels actes ont t commis et quelle que soit lanationalit de la victime ou des auteurs du crime.

    La prohibition de la torture a t accepte comme partie du droit international coutumier et,en tant que telle, elle doit tre respecte par tous les tats, y compris Hati, mme sil naratifi aucun des traits prohibant expressment cette pratique. Les tribunaux internationauxet nationaux ont labor une jurisprudence abondante lappui de ce point de vue mmedans des cas o la torture ntait pas prohibe par la lgislation nationale du pays concern.

    La prohibition de la torture a galement t reconnue comme norme imprative du droit

    international (jus cogens) laquelle il ne peut tre drog hormis par une autre norme ayantle mme statut. Par consquent, la prohibition de la torture comme norme imprative dudroit international se substitue toute lgislation nationale, y compris la Constitution ou leCode pnal hatiens.

    Lorsque la torture est commise dans le cadre dune attaque gnralise ou systmatiquecontre la population civile et quand lauteur de tels agissements sait que son comportementfait partie de lattaque, ou doit en faire partie, la torture est considre comme un crimecontre lhumanit35.

    4.4. LES DISPARITIONS FORCES, CRIMES CONTRE L'HUMANIT linstar de la torture, les disparitions forces sont considres comme des crimes contre

    lhumanit lorsquelles sont commises dans le cadre dune attaque gnralise ousystmatique36.

    Ltat hatien a accept dtre tenu de respecter les normes nonces dans la Conventionamricaine relative aux droits de lhomme en ratifiant cet instrument en 1977. Bien que laConvention ne prohibe pas expressment les disparitions forces, elle donne aux tats partieslobligation de protger le droit la vie, la reconnaissance de la personnalit juridique, lavie de famille et le droit de ne pas faire l'objet d'une dtention arbitraire. La prvention desdisparitions forces nest valable que si ces droits sont protgs. Quand l'tat ne protge pasces droits, comme cela tait le cas en Hati sous le rgime de Jean-Claude Duvalier, lesdisparitions forces deviennent une pratique courante laquelle ltat a recours pourrprimer des opposants ou dtracteurs prsums du gouvernement, et notamment desjournalistes, des syndicalistes, des dirigeants politiques, des millitants des droits humains etdes tudiants.

    Les disparitions forces sont des crimes continus et, mme lorsquelles ne constituent pasdes crimes contre lhumanit, elles demeurent des crimes au regard du droit international. Laprohibition des disparitions forces est galement devenue une norme imprative du droitinternational laquelle il ne peut en aucun cas tre drog. Ceci signifie que la prohibition

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    est universelle et quelle sapplique tout tat, quil ait ou non ratifi des instruments quiprohibent expressment les disparitions forces. Bien que le Code pnal hatien nementionne pas les disparitions forces, Hati est tenu aux termes du droit international deprvenir de tels actes, de mener des enqutes, de sanctionner les responsables et daccorderdes rparations pleines et entires aux victimes ou leurs proches.

    La jurisprudence internationale a tabli que la disparition force tait un crime continu etimprescriptible. Ce principe a t raffirm en 2004 par la Cour interamricaine des droitsde lhomme dans laffaire des Surs Serrano Cruz c. El Salvador. La Cour a conclu que [ladisparition force] constitue un acte illgal qui entrane des violations multiples et continuesde plusieurs droits protgs par la Convention amricaine et met la victime dans un tatdimpuissance totale, ce qui implique dautres crimes connexes ; cest un crime contrelhumanit.La responsabilit internationale de ltat est aggrave quand la disparition est unlment des pratiques tatiques37.

    Qui plus est, la Cour estime quil ne fait aucun doute que la disparition force depersonnes est un crime continu qui constitue une forme complexe de violation des droits

    humains et que, mme dans les annes 1970, elle tait considre comme telle par le droitinternational relatif aux droits humains. La disparition force signifie un rejet flagrant desvaleurs intrinsques la dignit humaine et des principes les plus fondamentaux sur lesquelsle systme interamricain et la Convention amricaine elle-mme sont fonds38.

    Par ailleurs, Hati est tenu de respecter les arrts de la Cour interamricaine et sajurisprudence. En ne respectant pas lobjet de ces arrts, ltat hatien manquerait sesobligations en tant que membre de lOrganisation des tats amricains (OEA) et du systmeinteramricain.

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    5.CONCLUSIONJean-Claude Duvalier a dirig Hati pendant 15 ans avec un mpris total pour les droits du

    peuple hatien. Les auteurs des atteintes graves aux droits humains commises durant cesannes continuent bnficier dune impunit totale.

    Dans les annes 1970 et 1980, Amnesty International a recueilli des informations sur lapratique de larrestation arbitraire, de la dtention au secret et de lemprisonnementprolong sans inculpation ni jugement. Des cas de torture, de disparition force etdexcution extrajudiciaire dopposants prsums ont galement t signals. Ces cas sontconsidrs comme des violations graves du droit relatif aux droits humains, qui constituentdes crimes au regard du droit international et des crimes contre lhumanit car ils ont tcommis dans le cadre dune attaque gnralise et systmatique contre des civils hatiens.

    Hati est tenu par le droit international de mener des enqutes approfondies sur ces

    violations des droits humains, quelle que soit la date laquelle elles ont t commises. Ilappartient en outre Hati de traduire en justice les auteurs de violations des droitshumains et de les sanctionner sil existe des lments charge suffisants. Analyser lesviolations des droits humains commises sous le rgime de Jean-Claude Duvalierexclusivement dans au regard de la lgislation hatienne n'aboutira qu' prenniserl'impunit.

    Les lments disponibles tendent confirmer que les actes de torture, les disparitionsforces et les excutions extrajudiciaires taient une politique tatique sous Jean-ClaudeDuvalier et quils taient commis par des agents de ltat appartenant des institutionsplaces directement sous son contrle. En tant que commandant en chef des Forcesarmes hatiennes, de la police et des Volontaires de la scurit nationale, Jean-ClaudeDuvalier exerait un contrle juridique et effectif sur les individus responsables de ces

    violations graves du droit relatif aux droits humains. De ce fait, il savait, ou aurait dsavoir, que des violations des droits humains taient perptres par ses subordonns et ilaurait d les empcher et obliger leurs auteurs rendre compte de leurs actes.

    Le retour de Jean-Claude Duvalier en Hati aprs presque 25 ans en exil et louverture duneenqute pour crimes contre lhumanit donnent au gouvernement hatien loccasion de faireen sorte que les victimes de Duvalier aient accs la vrit et la justice et quellesreoivent des rparations.

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    6.RECOMMANDATIONS6.1. RECOMMANDATIONS AU GOUVERNEMENT DHATIExcuses de ltat et reconstruction dune mmoire collective Reconnatre la responsabilit de ltat dans les violations graves des droits humainsperptres par le pass et publier des excuses officielles du chef de ltat, le prsidentMichel Martelly.

    laborer un programme de reconstruction de la mmoire collective dHati partirdinvestigations approfondies sur les violations des droits humains commises sous le rgimede Jean-Claude Duvalier.

    Respecter les droits des victimes Mettre en place les mcanismes ncessaires, y compris des voies de recours juridiquesou des programmes administratifs, pour garantir le droit des victimes de connatre la vrit etdavoir accs des voies de recours efficaces ainsi que leur droit dobtenir des rparations, savoir la restitution, lindemnisation, la radaptation, la satisfaction et les garanties de non-rptition.

    Diffuser, par le biais de mcanismes publics et privs, des informations sur toutes lesvoies de recours auxquelles les victimes peuvent avoir accs.

    Prendre les mesures ncessaires pour garantir le respect de la vie prive des victimes etde leurs reprsentants et pour les protger contre les menaces, l'intimidation ou lespressions.

    Fournir une assistance juridique aux victimes.

    Mettre tous les moyens diplomatiques et autres la disposition des victimes vivant l'tranger afin de garantir leur accs la justice.

    Mettre en place un mcanisme permettant aux victimes et leurs proches relevantdautres juridictions en Hati ou faisant partie de la diaspora hatienne de dposer desplaintes et de se constituer partie civile dans les procs.

    Promouvoir et prendre en compte les principes noncs dans les Principesfondamentaux et directives concernant le droit un recours et rparation des victimes deviolations flagrantes du droit international des droits de lhomme et de violations graves dudroit international humanitaire.

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    Lenqute sur les violations des droits humains commises sous le rgime de Jean-ClaudeDuvalier doit tre approfondie, effective et impartiale Il y a lieu de veiller ce que les autorits judiciaires disposent de moyens appropris etsuffisants pour poursuivre lenqute sur les crimes qui auraient t commis par Jean-ClaudeDuvalier ou par ses subordonns et, le cas chant, solliciter laide de la communautinternationale et des organes des Nations unies pour obtenir des moyens supplmentaires.

    Les autorits judiciaires doivent utiliser tous les moyens lgaux disponibles pour tablirla vrit et engager des poursuites, traduire en justice et sanctionner tous les auteurs et lescommanditaires de violations graves des droits humains et des crimes au regard du droitinternational commis sous le rgime de Jean-Claude Duvalier.

    Lenqute doit tre mene srieusement et non pas constituer une simple formalitdestine demble tre inefficace. Elle doit avoir un but et tre diligente par l'tat commetant son propre devoir lgal et non un exercice superficiel fond sur linitiative prive desvictimes ou de leurs proches.

    Il importe de faire clairement savoir aux autorits judiciaires que toute plainte dposecontre des responsables prsums de crimes au regard du droit international devant lesautres juridictions hatiennes doit tre dment prise en considration et intgre au dossier.

    Appliquer la jurisprudence des tribunaux nationaux, rgionaux et internationaux Prendre en considration, dans les poursuites pour crimes contre lhumanit, lajurisprudence dcoulant tout particulirement des dcisions de la Cour interamricaine desdroits de lhomme, des tribunaux nationaux, du Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie et du Tribunal pnal international pour le Rwanda.

    Ratifier les principaux instruments internationaux relatifs aux droits humains Ratifier les traits internationaux suivants relatifs aux droits humains ou y adhrer sansmettre de rserves prohibes ni de dclaration interprtative quivalant une rserve :

    LaConvention internationale pour la protection de toutes les personnes contre lesdisparitions forces (quHati a signe mais pas encore ratifie) et la Conventioninteramricaine sur la disparition force de personnes. La disparition force doit galementtre rige en infraction dans le Code pnal. La dfinition doit tre confrorme larticle 2 dela Convention internationale, mais elle doit galement, linstar du Statut de Rome,sappliquer aux individus qui nont aucun lien avec ltat.

    LaConvention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains oudgradants. Introduire explicitement dans la lgislation nationale la dfinition de la torturenonce larticle 1 de la Convention et la classification de la torture comme crime auregard du droit international conformment larticle 4 de la Convention, ce qui permettrait

    Hati dexercer la comptence universelle de la Convention.

    LeStatut de Rome de la Cour pnale internationale (quHati a sign mais pas encoreratifi). Introduire dans le Code pnal des dfinitions explicites des crimes de gnocide, descrimes de guerre et des crimes contre lhumanit ainsi que des actes criminels spcifiquesrelevant de chacune de ces catgories, par exemple la disparition force, la torture, la

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    perscution, etc. Le Code pnal doit galement reflter les principes gnraux du droit pnal.

    LaConvention sur l'imprescriptibilit des crimes de guerre et des crimes contrel'humanit.

    Incorporer dans la lgislation nationale les dispositions des traits relatifs aux droitshumains et des traits internationaux quHati a ratifis, et en particulier une dispositionprvoyant que les procdures pnales et les peines prvues pour les actes de gnocide, lescrimes de guerre et les crimes contre lhumanit sont imprescriptibles et que ltat est tenudextrader les personnes souponnes ou accuses davoir commis de tels crimes oudengager des poursuites leur encontre. Toute