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Progrès en Urologic (2007). 17. 1333-1336 Cancers de la vessie chez les patients neurologiques : analyse d'une série monocentrique Jérôme PARRA (11, Sarah DROUIN (11, Eva COMPERAT (2), Vincent MISRAÏ (11, Emmanuel VAN GLABEKE (1) François RICHARD (I,, Pierre DENYS (3), Emmanuel CHARTIER-KASTLER (1,3), Morgan ROUPRÊT (1) (11 Services d'urologie et (2) dlAnatomo-pathologie de l'Hôpital Pitié-Salpêtrière, Assistance-Puhliqz~e Hôpitaux de Paris, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Université Paris VI, Paris, France, (3) Service de rééducation de l'Hôpital Raymond-Poitzcaré, Gar- ches, Université Paris Ouest, France RESUME Objectif: Rapporter la prévalence, les étiologies et l'évolution des cancers de la vessie dans notre population de patients neurologiques. Matériels et méthodes : Les dossiers des 1825 patients neurologiques suivis dans notre service entre 2000 et 2006 ont été revus rétrospectivement. En cas de tumeur vésicale, les données suivantes ont été relevées : âge, sexe, tabagisme, étiologie de la maladie neurologique, mode de vidange vésical, durée d'évolution de la vessie neuro- logique, mode de découverte, type histologique, grade, stade TNM, traitement entrepris et évolution. Résultats : Huit patients (0,44%) neurologiques ont eu un cancer de la vessie. L'âge moyen a été de 58,8 k 13,7 ans (36-72). Le rapport homme/femme a été de 3. Les vessies neurologiques concernaient : des blessures médul- laires (n=4), une sclérose en plaque (n=l), un spina bifida (n=l), une paraplégie spastique familiale (n=l) et un syndrome périphérique idiopathique (n=l). Trois cas de cancers épidermoïdes (373%) ont été diagnostiqués. Sept tumeurs étaient de haut grade et 7 étaient invasives ( pT2). Le recul moyen a été de 27,8 + 23,5 mois (14- 71). Trois patients étaient décédés. Conclusion : Les cancers de la vessie chez les patients neurologiques avaient une incidence proche de celle de la population générale. En revanche, il y avait davantage de carcinomes épidermoïdes invasifs d'emblée, nécessi- tant des traitements agressifs. Pour autant, seul le GENULF a publié à ce jour un protocole de surveillance adap- à cette population basé sur une cystoscopie/cytologie annuelle au-delà de 15 ans d'évolution. Mots clés : catzcer de vessie, cancer urothélial, cancer épidermoïde, vessie neurologique, hle.~sé médullaire Niveau de ptaeuve : 5 Lcs cancers de la vessie sont fréquents puisqu'on dénombre environ 1 1000 nouveaux cas par an en France. Ces tumeurs représentent la 7""'" cause de décès par cancer chez l'homme et la 10èlne chez la femme [Il. Les cancers de la vessie concernent principalement les sujcts de plus dc 60 ans. Les carcinomes urothéliaux représentent le type histologique le plus fréquent (90%) [l, 21. Les principaux fac- teurs de risque ont déjà été décrits : tabagisme (amines aroma- tiques), carcinogènes industriels (peinture, caoutchouc, colorant, pharmacie, . . .) ou encore l'irritation chronique de la vessie [l, 31. En revanche, les carcinomes épidermoïdes, principale cause de tumeur de vessie dans les zones d'endémie bilharzienne, sont rares dans les pays occidentaux (1.2 à 4.5%) [4]. proportion des carcinomes épidermoïdes semble nettement aug- mentée chez les patients neurologiques, puisqu'elle est de l'ordre de 35% [8-Il]. Les facteurs étiologiques incriminés sont l'irritation chronique liée notamment aux sondages vésicaux continus et dans une moindre mesure intermittents, aux infections itératives du bas appareil urinaire et à l'accumulation de lithiases [7, 8, II]. Le but de ce travail était d'étudier les particularités des cancers de la vessie diagnostiqués chez les patients neurologiques suivis dans notre ser- vice et de confronter nos données avec celle de la littérature. MATERIELS ET METHODES Dans la population des patients neurologiques, ces données épidé- - - miologiques sont moins cohérentes et parfois contradictoires. On a L~~ dossiers des patients pris en charge dans notre service entre ~ensé é en da nt longtemps que les cancers de la vessie étaient plus 2000 et 2006 pour un trouble mictionnel d'origine neurologique, nombreux chez les neurologiques [5, 61. L'amélioration constante centrale ou périphérique, ont été étudiés de faCon rétrospective. de la prise en charge spécifique des blessés médullaires et des - . - - --- - pathologies neurologiques chroniques augmente l'espérance de vie Manuscrit reçu : mai 2007, accepté : août 2007 de ces patients. De facto, l'opportunité de découvrir fortuitement Adresse pour correspondance : Dr M. Rouprft, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service une tumeur de la vessie Ziugmente parallèlement [6-81. Toutefois, $uroio,ie, 47-83 boulevard de I'Hôoital. 75651 Paris cedex 13 certaines données récentes de la littérature tendent à prouver que e-mail : inor~an.roupret@>psl.aphp.fr l'incidence de ces cancers chez les neurologiques est finalement très Ref : PARRA J., DROUIN S., COMPERAT E., MISRA~ V., VAN GLABEKE E.. RICHARD F., DENYS P., CHARTIER-KASTLER E.,ROUPRET M. proche de celle de la population générale [5, 91. En revanche, la Prog, Urol,, 2007, 17, 1333-1336

Cancers de la vessie chez les patients neurologiques : analyse d’une série monocentrique

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Progrès en Urologic (2007). 17. 1333-1 336

Cancers de la vessie chez les patients neurologiques : analyse d'une série monocentrique

Jérôme PARRA (11, Sarah D R O U I N (11 , Eva COMPERAT (2), Vincent MISRAÏ (11, Emmanuel VAN G L A B E K E (1) François R I C H A R D (I,, Pierre D E N Y S (3), Emmanuel CHARTIER-KASTLER ( 1 , 3 ) , Morgan ROUPRÊT (1)

( 1 1 Services d'urologie et (2) dlAnatomo-pathologie de l'Hôpital Pitié-Salpêtrière, Assistance-Puhliqz~e Hôpitaux de Paris, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Université Paris VI, Paris, France, (3) Service de rééducation de l'Hôpital Raymond-Poitzcaré, Gar-

ches, Université Paris Ouest, France

RESUME

Objectif: Rapporter la prévalence, les étiologies et l'évolution des cancers de la vessie dans notre population de patients neurologiques.

Matériels et méthodes : Les dossiers des 1825 patients neurologiques suivis dans notre service entre 2000 et 2006 ont été revus rétrospectivement. En cas de tumeur vésicale, les données suivantes ont été relevées : âge, sexe, tabagisme, étiologie de la maladie neurologique, mode de vidange vésical, durée d'évolution de la vessie neuro- logique, mode de découverte, type histologique, grade, stade TNM, traitement entrepris et évolution.

Résultats : Huit patients (0,44%) neurologiques ont eu un cancer de la vessie. L'âge moyen a été de 58,8 k 13,7 ans (36-72). Le rapport homme/femme a été de 3. Les vessies neurologiques concernaient : des blessures médul- laires (n=4), une sclérose en plaque (n=l), un spina bifida (n=l), une paraplégie spastique familiale (n=l) et un syndrome périphérique idiopathique (n=l). Trois cas de cancers épidermoïdes (373%) ont été diagnostiqués. Sept tumeurs étaient de haut grade et 7 étaient invasives ( pT2). Le recul moyen a été de 27,8 + 23,5 mois (14- 71). Trois patients étaient décédés.

Conclusion : Les cancers de la vessie chez les patients neurologiques avaient une incidence proche de celle de la population générale. En revanche, il y avait davantage de carcinomes épidermoïdes invasifs d'emblée, nécessi- tant des traitements agressifs. Pour autant, seul le GENULF a publié à ce jour un protocole de surveillance adap- té à cette population basé sur une cystoscopie/cytologie annuelle au-delà de 15 ans d'évolution.

Mots clés : catzcer de vessie, cancer urothélial, cancer épidermoïde, vessie neurologique, hle.~sé médullaire Niveau de ptaeuve : 5

Lcs cancers de la vessie sont fréquents puisqu'on dénombre environ 1 1000 nouveaux cas par an en France. Ces tumeurs représentent la 7""'" cause de décès par cancer chez l'homme et la 10èlne chez la femme [I l . Les cancers de la vessie concernent principalement les sujcts de plus dc 60 ans. Les carcinomes urothéliaux représentent le type histologique le plus fréquent (90%) [ l , 21. Les principaux fac- teurs de risque ont déjà été décrits : tabagisme (amines aroma- tiques), carcinogènes industriels (peinture, caoutchouc, colorant, pharmacie, . . .) ou encore l'irritation chronique de la vessie [ l , 31. En revanche, les carcinomes épidermoïdes, principale cause de tumeur de vessie dans les zones d'endémie bilharzienne, sont rares dans les pays occidentaux (1.2 à 4.5%) [4].

proportion des carcinomes épidermoïdes semble nettement aug- mentée chez les patients neurologiques, puisqu'elle est de l'ordre de 35% [8-Il]. Les facteurs étiologiques incriminés sont l'irritation chronique liée notamment aux sondages vésicaux continus et dans une moindre mesure intermittents, aux infections itératives du bas appareil urinaire et à l'accumulation de lithiases [7, 8, II]. Le but de ce travail était d'étudier les particularités des cancers de la vessie diagnostiqués chez les patients neurologiques suivis dans notre ser- vice et de confronter nos données avec celle de la littérature.

MATERIELS ET METHODES

Dans la population des patients neurologiques, ces données épidé- - -

miologiques sont moins cohérentes et parfois contradictoires. On a L~~ dossiers des patients pris en charge dans notre service entre ~ e n s é é en da nt longtemps que les cancers de la vessie étaient plus 2000 et 2006 pour un trouble mictionnel d'origine neurologique, nombreux chez les neurologiques [5, 61. L'amélioration constante centrale ou périphérique, ont été étudiés de faCon rétrospective. de la prise en charge spécifique des blessés médullaires et des - . - ~ - --- -

pathologies neurologiques chroniques augmente l'espérance de vie Manuscrit reçu : mai 2007, accepté : août 2007 de ces patients. De facto, l'opportunité de découvrir fortuitement Adresse pour correspondance : Dr M. Rouprft, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service

une tumeur de la vessie Ziugmente parallèlement [6-81. Toutefois, $uroio,ie, 47-83 boulevard de I'Hôoital. 75651 Paris cedex 13 certaines données récentes de la littérature tendent à prouver que e-mail : inor~an.roupret@>psl.aphp.fr

l'incidence de ces cancers chez les neurologiques est finalement très Ref : PARRA J., DROUIN S., COMPERAT E., M I S R A ~ V., VAN GLABEKE E.. RICHARD F., DENYS P., CHARTIER-KASTLER E.,ROUPRET M. proche de celle de la population générale [5, 91. En revanche, la Prog, Urol,, 2007, 17, 1333-1336

J. Parra et coll., Progrès en Urologie (2007) 17, 1333-1334

Pendant cette période, 1825 patients neurologiques ont consulté ou ont été hospitalisés pour des motifs médicaux éclectiques : dysurie, rétention aiguë ou chronique, trouble irritatif, hématurie ou infec- tions urinaires a répétition, lithiase ...

En cas de diagnostic d'une tumeur vésicale, le bilan initial systéma- tique consistait en : une résection sous anesthésie générale avec analyse anatomopathologique, une cytologie urinaire et un scanner abdomino-pelvien en pré-opératoire. La scintigraphie osseuse n'a été réalisée qu'en cas de tumeur invasive à l'anatomopathologie ou de doute sur une localisation secondaire osseuse au décours de l'examen clinique (toucher pelvien ou altération manifeste de l'état général). Pour les patients pour lesquels une tumeur de vessie avait été diagnostiquée lors du suivi neuro-urologique, les données sui- vantes ont été relevées rétrospectivement: âge, sexe, exposition tabagique, étiologie de la maladie neurologique, mode de vidange vésical, durée d'évolution de la vessie neurologique, mode de découverte de la tumeur, type histologique, grade, stade TNM, trai- tement entrepris et évolution.

1. L'âge moyen au diagnostic a été de 58,8 + 13,7 ans (36-72). Le rapport homme/femme a été de 3. Les étiologies des vessies neuro- logiques étaient liées a : une blessure médullaire (n=4), une scléro- se en plaque (n=l), un spina bifida (n=l), une paraplégie spastiquc familiale (n=l), un syndrome périphérique idiopathique (n=l).

Mode de découverte

Une hématurie macroscopique a été révélatrice dans 4 cas. Deux tumeurs ont été diagnostiquées fortuitement pendant la prise en charge neurologique. Un seul patient a présenté une intoxication tabagique de l'ordre de 25 paquetsiannées dans ses antécédents. La durée moyenne de sondage a été de 46,2 + 4,4 mois (20-65) en cas de sondage intermittent (n=3) et de 55,2 + 10,6 mois (40-72) en cas de sondage à demeure (n=4). Parmi eux, 2 patients ont eu un carci- nome épidermoïde.

Anatomopathologie

Quatre cas (50%) de carcinomes urothéliaux, 3 cas (37,5?4) de car- cinomes épidermoïdes et 1 cas (1 2,5%) de tumeur indifférenciée ont Pour la surveillance carcinologique, les examens complémentaires ont

été réalisés à intervalles réguliers en fonction du stade d'invasion initial été diagnostiqués. Sept tumeurs étaient des lésions de haut grade et 7 tumeurs étaient invasives d'emblée (pT2).

et du grade d'origine, comme dans la population générale confonné- ment aux recommandations nationales du comité de cancérologie de l'Association Française d'urologie [12]. Concernant la récidive tumo- rale, il pouvait s'agir soit d'une récidive locale dans l'appareil urinaire ou d'une localisation à distance (ganglionnaire ou métastatique).

Statistique

Compte-tenu de la taille limitée de l'échantillon étudié, une analyse statistique descriptive a été conduite. Une analyse de la survie actuarielle selon la méthode de Kaplan Meier a également été menée. Pour la survie, la date du diagnostic a été considérée comme la date d'origine jusqu'à la date de la récidive tumorale du décès ou de la dernière visite au moment de la clôture de l'étude. Le logiciel Statview'O a été utilisé pour les analyses statistiques.

RESULTATS

Population

Au total, 8 patients neurologiques ont présenté un cancer de la ves- sie, soit 0,44% de notre population d'origine. Les principales carac- téristiques cliniques de ces patients sont rapportées dans le Tableau

Survie

Le recul moyen a été de 29,l * 23,l mois (14-71). Trois patients sont décédés dans un délai médian de 23 mois (14-26). Deux patients ont récidivé sur un mode métastatique après traitement radical. La courbe de survie des 8 patients est présentée dans la Figure 1 .

DISCUSSION

D'un point de vue épidémiologique, certains auteurs ont rapporté une incidence brute des cancers de la vessie chez les neurologiques de l'ordre de 2 à 10% [ l , 91. L'hypothèse d'une fréquence accrue de tumeur de vessie chez le neurologique reposait initialement sur des résultats issus d'études nord-américaines provenant d'hôpitaux mili- taires. L'analyse du tabagisme a révélé une fréquence accrue dans cette population de vétéran (Corée, Vietnam) par rapport à la popu- lation générale, devenant un ainsi un biais confondant [6, 131. Cer- taines études rétrospectives récentes, portant sur plus de 30 000 patients neurologiques, ont montré une prévalence située entre 0,11% et 0,39%, finalement comparable à celle que nous rapportons

Tableau 1. Principales caractéristiques anatomo-cliniques des 8 patients neurologiques avec une tumeur vésicale.

cas 1 cas 2 cas 3 cas 4 cas 5 cas 6 cas 7 cas 8

5'e.x.e Feminin Masculin Masculin Masculin Masculin Masculin Masculin Féminin

Tahagirine Non Non Non Oui Non Non Non Non

E~rologie Blessé mSdullaire Spina Bifida Blessé inédullaire Paraplégie famil. Blessé médullaire SEP Blessé iiiSdullaire SEP

Diri-&e d'&iolutio,i (moiî) 360 540 490 602 1 XO 264 192 84

Mude ~,idai~ge virical auto-sondage miction spontanée sondc à demeure sonde à demeure sonde a demeure sonde à demeure auto-sondage auto-sondage

Mode de décoiir.<~rie

Ili~lologie

Sladc

Grade

Tïaiiement

R4cidive

.~l~itllI

Suivi en n1oi.s

hématurie

epidennoïde

pT2NOMO

Haut

Pelvectomie ant.

o u i

Vivant

71

fortuit*

épidermoïde

pT3NOMO

Haut

CPTIBricker

Non

Décédé (cancer)

14

hématurie

épidermoïde

pT3NOMO

Haut

CPTIBricker

Non

Décédé (cancer)

26

hématurie

urothélial

pT2NOMO

Haut

CPTiBricker

Non

Vivant

14

f~~rt l i i t*

urothélial

pT2NOMO

Bas

RTV

Non

Vivant

14

impériosité

urothélial

pTlNOMO

Haut

RTV+BCG

Non

Vivant

55

dysurie

indifférencié

pT2NOMO

Haut

CPTIBricker

Non

Vivant

19

hématurie

urothélial

pT3NIMO

Haut

Pelvectomic

Oui

Décédé (caiicer)

20

* fortuit- pendant la prise en chargc ncuro-urologique (UCRM. cchogi-aphic \cricale, endoscopie diagnosriquc. ..)

1334

J. Parra et coll., Progrès en Urologie (2007), 17, 1333-1334

dans notre série (0,44%) [3, 9, 141. Enfin, une analyse statistique détaillée a permis de comparer l'incidence de ces tumeurs chez les neurologiques par rapport à celle de la population générale. Les résultats sont a priori similaires dans ces deux populations [5].

En réalité, la particularité des cancers de la vessie chez les patients neurologiques est liée à la fréquence accrue des carcinomes épider- moïdes. Ce type histologique est rare dans les pays occidentaux (1,2 à 4,5% des tumeurs), éloignées des zones d'endémie bilarzhiennes. Nous en avons diagnostiqué 37,5% à partir de notre population d'o- rigine. Le cancer épidermoïde peut représenter jusqu'à 52% des cas de tumeurs chez les blessés médullaires [8, 111. Parmi les facteurs de risque incriminés, l'inflammation chronique du réservoir vésical (cathétérisme permanent ou intermittent, lithiase vésicale, bactériu- rie asymptomatique, . . .) semble en partie responsable de la propor- tion importante de carcinomes épidermoïdes [3, 7, 151. En effet, le risque de développer un cancer épidermoïde de vessie serait de 10% après 10 années de sonde à demeure [7, 1 1, 151. Les traumatismes locaux liés aux sondages intermittents itératifs seraient moins sus- ceptibles d'être responsables d'une métaplasie capable de progres- ser vers un carcinome épidermoïde [IO, 161. Il faut souligner que le sondage intermittent demeure un facteur de risque par rapport à la miction naturelle [6]. D'autre part, le cyclophosphamide est de plus en plus utilisé en traitement de fond des formes progressives de sclérose en plaques résistantes à l'interféron. Cela n'apparaît pas explicitement dans notre série rétrospective de patients neurolo- giques car cette approche thérapeutique est récente. Cependant, les patients ayant une sclérose en plaques avec des troubles miction- nels nécessitant des sondages évacuateurs itératifs et traités par cyclophosphamides, cumulent donc les risques carcinologiques [6]. Il faudra être particulièrement vigilant dans ces populations à l'ave- nir et l'histologie de ces tumeurs pourrait être différente de celles observées jusque-la [ l , 21.

La plupart des tumeurs de notre série ont été révélées par une héma- turie macroscopique. Ce symptôme est pour le moins banal chez les neurologiques porteurs d'une sonde vésicale, d'une lithiase ou d'une infection chronique. Pour autant, l'hématurie ne doit jamais être négligée dans cette population où le diagnostic carcinologique est souvent tardif [5, 14, 171. En effet, quatre de nos patients ayant eu des épisodes de saignement ont été diagnostiqués avec des tumeurs invasives et de haut grade. Il faut souligner que la cytologie urinai- re a une mauvaise sensibilité pour la détection des tumeurs épider- moïdes [4, 81. Elle reste toutefois rentable pour les cas de carcino- mes urothéliaux. Certains outils de biologie moléculaire utilisés dans les urines comme le Bladder Tumor Antigen ne sont pas plus fiables car leur fonctionnement est altéré par la présence d'une leu- cocyturie chronique [18].

Le rythme et la méthode de suivi des patients neurologiques ne sont pas consensuels pour autant et demeurent très hétérogènes [15, 191. Des protocoles de diagnostic précoce ont été proposés par quelques équipes spécialisées sans pour autant faire la preuve de leur efficacité. Cette surveillance repose notamment sur une cys- toscopie annuelle et une cytologie chez les patients paraplégiques à partir de 10 ans d'évolution de la vessie neurologique [ I l , 14, 191. Les surcoûts engendrés par ces protocoles sont parfois criti- qués compte tenu de leur faible rentabilité diagnostique. Concer- nant les sociétés savantes ou les comités d'experts, seul le Groupe d'Etudes de Neuro-Urologie de Langue Française (GENULF) a émis des recommandations pour la réalisation d'une surveillance complémentaire chez les patients à risque carcinologique dans le cadre des vessies neurogènes (blessé médullaire, spina bifida). Sur

- 1.0

0.9-

Od-

0.7-

9s- 0.5 - 04 - 03 - 0.2 - 0.1 -

TEMPS (mois)

OD10 * 1 I I I 1

20 30 40 IO 60 70

Figure 1. Courbe de survie selon Kaplan-Meier pour les 8 patients neurologiques ayant présenté un cancer de la vessie.

le plan vésical, la surveillance se base sur l'association de la cys- toscopie associée à des biopsies au moindre doute, complétée par cytologie urinaire. En l'absence de preuve d'une efficacité des pro- grammes de dépistage dans les populations à risque, il apparaît logique de proposer ces examens de façon annuelle chez les patients ayant un ou plusieurs des facteurs de risque suivants : tabagisme et âge supérieur à 50 ans, entérocystoplastie ou agran- dissement vésical depuis plus de 10 ans, neuro-vessie évoluant depuis plus de 15 ans [20].

CONCLUSION

Les cancers de la vessie chez les patients neurologiques ont finale- ment une incidence assez proche de celle de la population généra- le. En revanche, on détecte davantage de carcinomes épidermoïdes invasifs d'emblée, nécessitant des traitements agressifs. Il semble légitime de surveiller étroitement les patients qui ont une neuro- vessie ancienne et qui doivent avoir recours au sondage (auto ou hétéro) fréquemment. En attendant la position des comités de can- cérologie ou de neuro-urologie de l'Association Française d'Urolo- gie, la seule recommandation scientifique dans ce domaine a été émise à ce jour par le GENULF qui préconise au moins une cys- toscopie annuelle et une cytologie au-delà de 15 ans d'évolution de la vessie neurogène.

R E F E R E N C E S

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SUMMARY

Bladder cancer in neurological patients : analysis of a single-cent- re series

Objective : To report the prevalence, aetiologies and coilcse of'bluclu%r cancer in our populufio17 ofne~irological patients.

Materials and methods : The case files of 1.825 ne~irz>logical putient.~ ,fillowed in our department between 2000 and 2006 were retrospecti- vely reviewed. The,following data were recorded in patients with blad- der tumour : age, gender; smoking, uetiology of'thr nezirologiccil dis- ease, voiding mode, kistory ofneurogenic bladder; mode of'discoveyi: hi.stologica1 type, grade, TNM stage, tr-eutment and outcome.

Rerz4lt.s : Eiglit neurological patients (0.44%) developed bladder can- cev. The mearz age was 58.8 13.7 ,vears (range : 36-72 ,vear.s). Tlze male/female sex ratio was 3. Neurogenic bladder was due to: spinal cord inj~11ÿ. (n = 4), multiple .sclero.si.s fi7 = 1). spina hijida (11 = I), .familial spastic paraplegia (n = 1) and idiopathicperipheral syndrome (II = 1). Thr~ee case.s oj'sq~iamous ce11 carcinonza (37.5%) were dia- gnosed. Seven tlirnours were higk grade and 7 were invasive (? pT2). The nzeun ,follo~)-up was 27.8 i 23.5 moïiths (range: 14-71 months). Three patients have died.

Concl~~sion : The incidence of'bladder cancer in ne~irological patients is similar to that of tlze generul population. However; more inzmediate- /y invasive squamous ce11 carrinomas are observed requiring aggres- sive treatmerzt, but no consensus concerning a suri~eiliance protocoi adapted to this populution has been published.

Key words : hladder carcinoma, transitiorzul cell, squatnous cell. rzeurogenic bladder; spinal cord itzjucv.