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Le Bulletin Freudienne n°11 Février 1989 -29- CARRÉ LOGIQUE ET QUADRANT DE PEIRCE1 Etienne OLDENHOVE On esquissera - comment Lacan, partant du carré logique d'Aristote, subvertit complètement cette logique de l'énoncé pour y réintroduire la dimension de l'énonciation et ce, en s'appuyant notamment sur le quadrant de Peirce, la distinction du forclusif et du discordantiel de Damourette et Pichon et certains éléments de la logique de Frege. - et comment cet abord logique de la sexuation en redéfinit également les modalités. (30)A. Éléments de la logique d'Aristote Toutes les propositions ( άποφανσις ) élémentaires auxquelles a affaire la logique classique d'Aristote se réduisent à une forme schématique : S est P Cette forme générale se diversifie de plusieurs manières. - selon que l'attribut relève de l'une ou l'autre des dix catégories repérées par Aristote (substance, quantité, qualité, relation, lieu, temps, position, possession, action, passion). - selon la qualité 2 1. Affirmation ( άποφασις ) 2. Négation ( καταφασις ) (C'est la copule qui détermine la qualité) 1 Travail préparatoire pour la journée intercartel de l'A.F. À Bruxelles, le 27.06.87. Cartel constitué par S. Lecoq. J-P. Lebrun., P. Marchal., R. Geeraert., E. Oldenhove. 2 Cette distinction entre qualité et quantité utilisée par Aristote mais pas nommée par lui (Elle fut nommée par Apulée).

Carré logique et quadrant de peirce

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  • Le Bulletin Freudienne n11Fvrier 1989

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    CARR LOGIQUE ET QUADRANT DE PEIRCE1

    Etienne OLDENHOVE

    On esquissera- comment Lacan, partant du carr logique d'Aristote, subvertit compltement cette logique de l'nonc pour y rintroduire la dimension de l'nonciation et ce, en s'appuyant notamment sur le quadrant de Peirce, la distinction du forclusif et du discordantiel de Damourette et Pichon et certains lments de la logique de Frege.- et comment cet abord logique de la sexuation en redfinit galement les modalits.

    (30)A. lments de la logique d'Aristote

    Toutes les propositions ( ) lmentaires auxquelles a affaire la logique classique d'Aristote se rduisent une forme schmatique :

    S est P

    Cette forme gnrale se diversifie de plusieurs manires.

    - selon que l'attribut relve de l'une ou l'autre des dix catgories repres par Aristote (substance, quantit, qualit, relation, lieu, temps, position, possession, action, passion).

    - selon la qualit2 1. Affirmation ( ) 2. Ngation ( ) (C'est la copule qui dtermine la qualit)

    1 Travail prparatoire pour la journe intercartel de l'A.F. Bruxelles, le 27.06.87.

    Cartel constitu par S. Lecoq. J-P. Lebrun., P. Marchal., R. Geeraert., E. Oldenhove.2 Cette distinction entre qualit et quantit utilise par Aristote mais pas nomme par lui (Elle fut nomme par Apule).

  • - selon la quantit (distinction au niveau du sujet de la proposition)

    1. Proposition Universelle: "Attribution ou non-attribution un sujet pris universellement". Ex.: Tout homme est mortel.

    2. Les Particulires: "Attribution ou non-attribution un sujet pris particulirement ou non-universelle-ment". Ex.: Quelque homme est mdecin.

    3. Proposition indfinie: "Attribution ou non-attribution faite sans indication d'universalit ou de particularit". Ex.: L'homme est blanc.

    -31-4. Les Singulires: Ex.: Callias est un homme.

    Mais dans sa syllogistique, Aristote laisse de ct les singulires et traite les indfinies comme des particulires. Il ne retient donc que 4 sortes fondamentales de propositions:

    - Universelle Affirmative: Tout plaisir est un bien.- Universelle Ngative: Aucun plaisir n'est un bien.- Particulire Affirmative: Quelque plaisir est un bien.- Particulire Ngative: Quelque plaisir n'est pas un bien.

    Aristote distingue deux manires de concevoir l'universalit:

    1. une universalit essentielle ( )Le concept y est regard comme exprimant la ncessit d'une essence. Ex.: "Tout triangle quilatral est quiangle".

    2. une universalit extensive ( )Le concept y est regard comme exprimant la totalit des individus d'une espce ou des espces d'un genre. Ex.: "Tous les corbeaux sont noirs"

    Dans sa syllogistique, Aristote privilgie l'interprtation extensive de l'universalit.Quant au sens donner la particulire, l aussi, Aristote reste un peu flottant. Doit-on l'entendre comme une partielle qui affirme ou nie le prdicat d'une partie seulement du sujet l'exclusion du reste, ou doit-on y voir simplement une indtermine qui n'exclut pas que ce qui est dit de quelque puisse aussi s'appliquer tous.Aristote la dfinit comme une partielle ( ) mais dans sa syllogistique, elle est traite rellement comme une indtermine.("Un au moins, mais sans limitation").

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    Thorie des propositions opposes

    Aristote distingue deux manires de nier une proposition. Une proposition a donc deux opposes.Celle qui lui est oppose contradictoirement ( ) et celle qui lui est oppose comme sa contraire ( ) (exprimant donc l'incompatibilit de deux propositions entre elles : ces deux propositions ne peuvent tre vraies ensemble mais

  • sans pour autant former alternative, ce qui les distingue des contradictoires).

    Les contradictoires ne peuvent tre ni toutes les deux vraies, ni toutes les deux fausses, de sorte que de la vrit ou de la fausset de l'une quelconque d'entre elles, on peut conclure la fausset ou la vrit de l'autre.Tandis qu'en prsence de deux contraires, si l'on peut toujours conclure de la vrit de l'une la fausset de l'autre puisqu'elles ne tolrent pas leur commune vrit, en revanche de la fausset de l'une, on ne peut rien conclure sur l'autre car elles peuvent tre toutes les deux fausses.U.A. et U.N. peuvent tre toutes deux fausses si les deux Particulires sont vraies, l'une et l'autre.

    Subcontraires: les deux particulires qui peuvent tre toutes les deux vraies mais non pas toutes les deux fausses.

    Subalternes: les deux propositions qui, ayant mme qualit, s'opposent en quantit: la vrit de l'universelle impliquant celle de la particulire, la fausset de la particulire impliquant celle de l'universelle.

    Mais Aristote n'tait pas tout fait d'accord avec ces deux dernires oppositions.

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    - Pour les subcontraires: Aristote considre que la P.A. et la P.N. ne sont opposes que d'une manire verbale. Pour lui, on ne peut regarder comme vraiment opposes deux propositions qui peuvent tre vraies ensemble et qu'on peut donc poser simultanment. - Pour les subalternes: il ne les envisage mme pas puisqu'aucun rapport de ngativit ne joue entre elles et puisque la vrit de l'universelle n'est pas seulement compatible avec celle de la particulire correspondante mais qu'elle l'implique ncessairement.

    "Quadrata formula" d'Apule (IIe sicle)

    Logique modale (chez Aristote)

    Au niveau du vocabulaire:1. On entend par "possible":

  • - tantt ce qui est son sens propre, la ngation contradictoire de l'impossible, et en cette acception ce qui est ncessaire est, a fortiori, possible. (le "PUR POSSIBLE")

    -tantt, s'il nous choque de dire que le ncessaire implique le possible et si nous voulons au contraire opposer les deux, nous en

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    restreignons le sens pour le limiter ce qui n'est ni impossible,ni ncessaire, ce qui peut tre (non-impossible), mais qui peut aussi ne pas tre (non-ncessaire). (le "POSSIBLE BILATERAL")

    2. Une semblable ambigut plane sur le mot contingent.

    - En un premier sens, il est pris comme la ngation contradictoire du ncessaire ( le "NON-NECESSAIRE")- Souvent, on l'entend aussi comme signifiant ce qui, la fois, peut tre ou ne pas tre: c'est alors un "CONTINGENT BILATERAL" dont le sens se confond avec celui du "POSSIBLE BILATERAL".

    Chez Aristote, les deux notions du possible ( ) et du contingent ( ) sont peu prs indiscernables. Il emploie les deux mots indiffremment et dans l'usage qu'il a fait de ce possible-contingent, il a vari entre trois acceptions diffrentes:

    - il l'a d'abord laiss flotter confusment entre le pur- possible et le possible-contingent bilatral- puis il en a limit le sens au pur-possible- puis il l'a limit au possible-contingent bilatral.

    Ainsi ce qu'on appelle couramment "les quatre modalits aristotliciennes", dont s'inspirrent la plupart des thories ultrieures des modalits, se rduisent rellement trois, dont l'une porte seulement un double nom:

    - l'impossible (modalit simple)- le ncessaire (modalit simple)- le possible contingent (modalit compose: conjonction du pur-possible et du non-ncessaire)

    Note: Le Non-Ncessaire = le contradictoire du ncessaire L'impossible = le ncessaire ne pas (le contraire du ncessaire).

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    B. Ce que devient le carr logique dans la logique contemporaine.1. Quelques critiques de la logique contemporaine par rapport la logique d'Aristote.

    - La logique d'Aristote regarde comme catgoriques des propositions qui sont hypothtiques.- Ses universelles et ses particulires qu'elle traite comme simples et lmentaires, sont dj complexes.

  • - Elle ne songe pas prciser si elle donne ou non ses propositions une porte existentielle.- Quand elle s'avise d'noncer un jugement d'existence, elle le fait entrer dans le mme cadre que tous les autres, traitant ainsi l'existence comme un attribut, prdicable d'une substance au mme titre qu'une qualit.- Elle n'a que trs imparfaitement saisi l'originalit des propositions singulires par rapport celles qui ont pour "sujet" un concept, et sur lesquelles repose toute sa thorie du raisonnement.

    2. Rappel trs succinct de la r-laboration de la logique des propositions

    a. Distinction entre "forme propositionnelle", c'est--dire schma abstrait d'un nonc propositionnel (quivalent d'une quation en math.) Ex.: x = yz. (Au minimum, une place vide y apparat qui rend indtermine sa valeur de vrit)et "proposition (concrte)" o des constantes empiriques viennent saturer les variables (quivalent d'une galit en math.)Ex.: 6 = 2x3.

    b. Aux notions traditionnelles de sujet et de prdicat, vont tre substitues celles de fonction et d'argument.

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    Toute proposition peut s'analyser comme une fonction sature par un ou plusieurs arguments. Ce qui caractrise une fonction, c'est que son expression f(x) comporte une place vide, celle de l'argument (l'indtermination de la lettre x symbolisant cette vacuit). Un prdicat peut donc tre regard comme une sorte de fonction.Le nom du sujet joue le rle d'argument et transforme en une proposition (ex.: Pierre est mortel) ce qui n'tait jusque l qu'une simple fonction propositionnelle.Argument et sujet sont deux choses diffrentes.Le mot de "sujet" est quivoque. Il dsigne tantt le terme qui sert de sujet grammatical l'nonc propositionnel, tantt l'individu porteur d'attributs dont ce terme est le nom. Or c'est bien le nom du sujet qui sert d'argument la fonction propositionnelle dans le cas o on a affaire une proposition singulire. Mais il n'en va pas de mme avec les propositions gnrales classiques - Universelles ou Particulires - o le terme qui sert de sujet grammatical ne dsigne pas un vrai sujet, un individu, mais exprime rellement une fonction.Et il n'est pas vrai non plus quinversement, tout argument soit le sujet de l'nonc propositionnel o il figure. On le voit ds qu'on passe une fonction plusieurs places d'arguments.Ex.: Pierre aime Marie.Pierre et Marie sont tous deux arguments de la fonction x aime y.De mme, la notion de fonction propositionnelle est plus gnrale que celle de prdicat.Dans ce schma de la fonction entrent les phrases verbales et les propositions de relations, au mme titre que les propositions attributives (seules retenues dans la logique "classique").

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  • 3. Individualisation des variables et propositions singulires.

    En saturant une fonction par son argument, ou si l'on veut, en substituant la variable x d'une forme propositionnelle f (x) une constante individuelle x1, on obtient une proposition: proposition singulire puisque c'est le nom d'un individu qui y figure comme argument. Le passage d'une fonction ou d'une forme propositionnelle une proposition se fait donc en individualisant la variable.

    4. Mais on peut aussi gnraliser la variable.

    C'est ce qui nous donne les propositions quantifies. Pour obtenir, en partant d'une fonction ou d'une forme propositionnelle, une proposition, il y a un autre moyen que d'individualiser les variables, c'est de les lier. Ce qui peut encore se faire de deux faons: universellement ou existentiellement.

    Ex.: x f(x) "Pour tout x, ou quel que soit x, x satisfait f ou vrifie f"

    Une variable lie se distingue d'une variable libre.A une variable libre, on peut substituer une constante.Une telle formule est donc essentiellement ouverte.Au contraire, une formule dont toutes les variables sont lies est close: elle est devenue une proposition ayant, malgr la prsence de variables, une signification dtermine et fixe.L'autre faon de lier une variable est celle du x.Au lieu de dire d'une fonction qu'elle est vrifie pour toutes les valeurs possibles de l'argument, on peut aussi avoir besoin d'exprimer que parmi ces valeurs, il en existe au moins une qui la vrifie. Il faut alors lier la variable sous la condition de l'existence.On crira xAinsi x f(x) signifiera "il existe un x (au moins) tel qu'il vrifie f".

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    On appelle ces deux oprateurs ( x et x ) qui transforment une fonction en une proposition, des quantificateurs.

    5. La ngation dans les propositions quantifies

    Parmi les propositions gnrales, on a donc des universelles et des existentielles. A cette premire distinction, vient s'en superposer une autre par la distinction des affirmatives et des ngatives. Mais la ngative peut, ici, s'introduire de deux faons diffrentes, selon qu'elle affecte la fonction elle-mme ou le quantificateur.Autre chose est, par exemple, nier universellement une fonction, autre chose est nier l'universalit de la fonction: dans le premier cas, c'est dire que quel que soit x, il vrifie non-f :

    et dans le second, c'est dire qu'il n'est pas vrai que tout x, quel qu'il soit, vrifie f.

  • On obtient ainsi six propositions:

    Mais seules quatre sont rellement distinctes.Car il y a quivalence entre Universelle Ngative et Non Existentielle et entre Existentielle Ngative et Non Universelle.Dire, en effet, que la fonction n'est vrifie par aucune valeur de la variable (Universelle-Ngative), c'est dire qu'il n'existe pas d'argument qui vrifie la fonction (Non-Existentielle).Et dire, d'autre part, qu'il existe au moins une variable pour laquelle la fonction n'est pas vrifie (Existentielle Ngative), c'est dire qu'il n'est pas vrai que tous les arguments la vrifient (Non-Universelle).

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    On peut donc crire les quivalences

    (Universelle Ngat.) (Non-Existentielle)

    (Existentielle Ngat.) (Non-Universelle)

    D'o, il suit d'abord qu'une proposition gnrale supporte toujours d'tre exprime l'aide de l'un quelconque des deux quantificateurs ou, autrement dit, qu'une existentielle se laisse traduire en termes d'universalit et rciproquement.En substituant non-f f dans les quivalences prcdentes et en appliquant la loi de double ngation, on obtient:

    Ce qui signifie:"Tout x vrifie f" quivaut "Il n'existe pas de x qui vrifie non-f"et"Il existe un x qui vrifie f" quivaut "Il n'est pas vrai que tout x vrifie non-f".

    Puisque les quatre propositions gnrales rellement distinctes (non quivalentes) se laissent construire partir de l'un ou l'autre des quantificateurs et puisqu'il y a quivalence entre les deux ttrades ainsi obtenues, on peut disposer ces diverses propositions sous la forme de 2 carrs logiques qui sont quivalents et dont chacun prsente entre ses diffrents postes, la relation caractristique de ce carr.

  • Universalit Existence

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    Deux carrs logiques dans la logique contemporaine

  • : formules retenues par Lacan dans son laboration du tableau de la sexuation.

    De ces huit formules des deux carrs logiques quivalents de la logique contemporaine, il est intressant de remarquer que Lacan n'en retient que quatre (considres par la logique contemporaine comme deux deux quivalentes) pour tablir son tableau de la sexuation.Il met du ct gauche, deux formules qui sont considres en

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    position d'alternative ou de contradiction dans le carr logique (contemporain si l'on peut dire):

    Et il fait de mme du ct droit avec des formules considres comme strictement quivalentes:

    Pour illustrer cela, on pourrait faire le schma suivant.Je mets d'abord les quatre formules retenues par Lacan pour l'laboration de son tableau de la sexuation aux places qu'elles occupent dans le carr logique contemporain,

    et j'indique par des flches les dplacements qu'il leur fait subir sans prtendre aucunement que le tableau de la sexuation veuille reproduire les places du carr logique mais pour indiquer qu'il y a un dplacement.

    6. Enfin, pour indiquer trs brivement la chose, et pour dire que ces deux carrs logiques de la logique contemporaine ne sont pas simplement superposables celui d'Aristote-Apule, je donne l'analyse en logique contemporaine des propositions universelles et particulires classiques.L'universelle affirmative classique s'crira:

    "Pour tout x, si x est homme, alors x est mortel".

    Ce qui indique

  • - qu'il ne s'agit pas d'une proposition simple mais d'une proposition complexe ( deux fonctions)

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    - qu'il ne s'agit pas d'une catgorique mais d'une hypothtique (les deux fonctions y sont lies par un rapport d'implication tout en ayant un argument commun)

    - que la proposition universelle classique n'a, comme telle, aucune porte existentielle (en logique contemporaine d'ailleurs, l'universelle quivaut une non-existentielle). Tout a est b = il n'existe pas de a qui soit non b.

    Quant la particulire classique, il s'agit aussi d'une proposition complexe.Elle s'crira:

    Ce qui indique:- que la liaison ici est une conjonction - que contrairement l'Universelle, la Particulire est une catgorique- que la Particulire a une porte existentielle expresse.

    La particulire classique est une existentielle double, affirmant la fois l'existence d'un a et sa conjonction avec b.Dire "Quelques cygnes sont noirs" signifie qu'il y a des tres qui conjoignent les deux proprits d'tre des cygnes et d'tre noirs.C'est cette duplicit de la particulire classique qui risque de rendre ambigu sa ngation, laquelle peut porter soit sur l'existence, soit sur la conjonction.

    J'ai fait ce long dtour pour montrer que les formules logiques utilises dans le tableau de la sexuation ne sont ni superposables celles de la logique classique, ni superposables celles de la logique contemporaine.

    C. La faille. La bance.Tout cela est, reconnaissons-le, trs beau, sduisant mme et l'on

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    pourrait croire qu'on est arriv au bout de nos efforts. Il n'en est rien.Lacan est venu subvertir ce bel agencement avec, au dpart, un petit "ne" dit expltif qui, ne servant soi-disant rien, tait vou l'oubli. C'est en effet partir de la question de la ngation que Lacan va rintroduire dans une logique qui se voulait purifie du sujet de l'nonciation, la question du sujet et celle de la jouissance, de ce qui ne sert rien.Il s'agit l d'un travail monumental et je me contenterai pour ma part de rappeler l'usage qu'il fait du Quadrant de Peirce pour commencer subvertir cette logique de l'nonc (qui d'une certaine faon se voudrait muette).Suzy Lecocq prendra ensuite le relais et parlera de ce que Lacan a pu faire des deux dimensions de la ngation repres par Damourette et Pichon (le forclusif et le discordantiel).Et enfin, Pierre Marchal poussera le questionnement du ct de Frege, de son effort de fonder logiquement l'arithmtique et

  • notamment la suite des nombres entiers, de l'importance du zro et du "un" ainsi que de l'ensemble vide pour fonder le "Il y a de l'Un", pour mnager ainsi la place du sujet.

    Le quadrant de Peirce, Lacan y recourt frquemment. Il en parle ds le sminaire sur l'Identification (notamment dans la sance du 17.01.62.) Et il reprend cela dans trois sances de son sminaire intitul "L'acte analytique" (7.02.68; 28.02.68; 6.03.68).C'est l-dessus que je m'appuierai.Ce quadrant, vous le connaissez bien.

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    Dans ce schma, la fonction trait va remplir celle du sujet et la fonction verticale va remplir celle de l'attribut du prdicat.Il me semble que l o l'on situerait spontanment les quatre propositions d'Aristote, c'est de cette faon:

    Univer. Affirm.

    Tout trait est vertical

    Part. Ng. Et Part. Affirm.

    Univers. Ng. Quelques traits Aucun trait sont verticaux n'est vertical etQuelques traits ne sont pas verticaux

    Lacan, la suite de Peirce, fait remarquer que l'Universelle Affirmative est vrifie dans les deux quadrants suprieurs,que l'Universelle Ngative (Nul trait n'est vertical) est vrifie dans les deux quadrants de droite (puisque dans ces deux quadrants, "il n'y a nul trait")que la Particulire Affirmative se vrifie dans les deux quadrants de gauche (j'y constate l'existence de traits verticaux)et que la Particulire Ngative se vrifie dans les deux quadrants infrieurs.

    On voit donc que les deux universelles se fondent sur l'exclusion d'un quadrant (celui d'en bas gauche - celui de la diversit) tandis que les particulires se fondent sur l'exclusion d'un quadrant (celui d'en haut droite).

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  • Ce quadrant est vide.Et c'est l que Lacan repre la place du sujet. C'est aussi la place du trait unaire (et celle du Nom du Pre).

    Quadrant logique de Peirce

    U.A. -(-1) -1

    P.A. U.N.

    P.N.

    Ce quadrant vide illustre bien l'Universelle Affirmative. En effet, si l'on dit "Tout trait est vertical", a veut dire "Quand il n'y a pas de verticale, il n'y a pas de trait".Reprenant alors Freud, Lacan avance que Freud promulgue l'Universelle Affirmative suivante "Tout Pre est Dieu".Il nous fait remarquer que s'il n'y en a pas de Dieu, il est toujours vrai que le pre soit Dieu. Simplement, la formule n'est confirme que par le secteur vide du quadrant.

    Revenant quatre sances plus tard sur ce schma de Peirce, Lacan fait remarquer que "dans la structure de la classe, ce qui est essentiel, ce n'est pas un rapport d'inclusion mais un rapport d'exclusion". La classe suppose toujours le classement. Les mammifres, c'est ce qu'on exclut des vertbrs par le trait mamme.Le fait primitif, dit-il, c'est que le trait unaire peut manquer, qu'il y a d'abord absence de mamme. Ensuite, on peut dire "Il ne peut se faire que la mamme manque": -(-1)Le sujet comme tel est -1.Le sujet d'abord constitue l'absence de tel trait. C'est le sujet qui introduit la privation. Ce n'est qu' partir du pas possible que le rel prend place. Il n'y a que du pas possible l'origine de toute nonciation. C'est le sujet qui en effaant les traits de

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    la chose fait le signifiant. Le sujet fonde l'exception.Et l'exception exige la rgle.La seule vritable assurance de l'Universelle Affirmative est l'exclusion d'un trait ngatif: -(-1) (C'est ce qu'on retrouve au niveau de la partie gauche du tableau de la sexuation).Dans la partie droite, par contre, il n'y a pas d'exception ( )et de ce fait, il n'y a pas d'universelle, il n'y a pas de "La femme", il y a le "pas toute dans la fonction phallique" ( ).Dans le sminaire "L'acte analytique", Lacan poursuit et insiste. C'est l (dans cette case vide) o il n'y a pas de trait qu'est le sujet.C'est l qu'est le sujet parce qu'il n'y a pas de trait. Partout ailleurs, les traits sont masqus par la prsence ou l'absence du prdicat. Pour marquer le fait que c'est le "pas de trait" qui est essentiel, on peut noncer l'Universelle Affirmative de la faon suivante: "Pas de trait qui ne soit vertical".

  • Cet nonc est plus essentiellement vrai au niveau de la case vide. "Il n'y a de traits que verticaux" veut dire, rpte-t-il, "L o il n'y a pas de verticaux, il n'y a pas de traits".Telle est la dfinition recevable du sujet en tant que sous toute l'nonciation prdicative, il est essentiellement ce quelque chose qui n'est que reprsent par un signifiant pour un autre signifiant. Que le sujet puisse fonctionner comme n'tant pas est ce qui nous apporte l'ouverture grce quoi peut se rouvrir un examen du dveloppement de la logique.