CATHERINE

ANDERSON

Danslebleudetesyeux

ROMAN

Traduitdel'américainparFlorenceBertrand

1.

Unroulementdebatterierésonnadanslebar,—arquantlafindu

morceau.Lechanteurdecountryhululadanslemicro,saluadeson

Stetsonunejoliefemmevêtuederouge,etseremitàgrattersa

guitare.L'airsemblavibrerdemusique,témoignantdelaqualitéde

l'acoustiquequifaisaitduChapsleclublepluspopulairedeCrystal

Falls,dansl'Oregon.

Toutentapantdupiedaurythmedelamélodie,HankCoulterposa

unepièceenéquilibresursonpouceetl'expédiad'unepichenette

verslachopedebièrevideposéeaucentredelatable.Lapièce

lançadeséclairsdanslalumièredesstroboscopes,seretournaen

décrivantunarc,heurtalebordduverreettombaàcôté.Les

compagnonsdeHanks'esclaffèrent.L'und'euxpoussaunechope

pleineverslui.

—Culsec,monvieux!

Lesautressejoignirentàluibruyamment.

—Culsec!Culsec!

Hanks'exécutaenriant.Ils'étaitquerelléavecsonfrèreaîné,Jake,

dansl'après-midi,etétaitbienrésoluàsedébarrasserdesa

mauvaisehumeur.Souslesacclamationsenthousiastesdesesamis,

ilreposad'ungestesecleverrevidesurlatable.EricStone,assisà

sagauche,leremplitaussitôt.

—Recommence,ordonna-t-ilencriantpoursefaireentendre

par-dessuslamusique.Etessaiedebienviser,cettefois,sinontu

serasivremortavantminuit.Tuenesàcombien?Trois?

—Cinq,rectifiaHank.Etjenepeuxpasmepermettred'êtresaoul.

J'aidesprojetspourplustard.

—Commetoutlemonde!

EricrelevalégèrementsonStetsonafindescruterlebar,sesyeux

marronpétillanttandisqu'ilpassaitlesfillesenrevue.

—J'aidesvuessurlapetitebrune,là-bas.

Hankl'avaitremarquéeaussi.Elleavaitunsourireaguichantetune

façonderemuerleshanchesquiréchauffaitlesangd'unhomme.

—Vas-y,vieux,répondit-ilavecunclind'œil.Peut-êtrequetu

aurasdelachance.

AcceptantlapiècequeluitendaitPeteWitherspoon,Hankvisaà

nouveaulachope.Mêmesisavieenavaitdépendu,ilauraitété

incapablededirecommentilenétaitarrivéàparticiperàcejeu.Il

venaitauChapsleweek-endpours'amuserunpeu,boirequelques

bièreset,avecunpeudechance,terminerlasoiréeavecunejolie

femme.Sesaoulerd'aussibonneheuren'avaitjamaisfaitpartiede

sesprojets,maismaintenantqueleconcoursavaitcommencé,ilne

pouvaitplussedéfiler.

Unefoisdeplus,lapiècemanquasonbut,ricochantcontreleverre

avantd'allerroulersurlapiste.JoeMichaelséclataderireet

plongealamaindanssapochepourychercherdelamonnaie

pendantqueHankvidaitd'untraitlecontenudelachope.

Assiseàunetablevoisine,CarlyAdamsobservaitlecow-boy.Ses

cheveuxavaientlacouleurducaramelquesonamieBessavaitfait

l'autresoir.Ellen'avaitaucuneidéedel'âgequ'ilpouvaitavoir.Une

trentained'années,peut-être,ouunpeuplus.Évalueravecprécision

l'âgedequelqu'unexigeaitdel'entraînementet,étantdonnéqu'elle

n'avaitrecouvrélavuequ'unesemaineauparavant,ellen'avaitguère

eul'occasiondepratiquercegenred'exercice.

Peuimportait.Enfin,enfin,ellepouvaitregarderunhomme!Pas

étonnantquesescopinesd'écoleaientpassétantdetempsà

chuchoteretàglousseracausedesgarçons...

Ellen'auraitsudirecequilafascinaitparticulièrementchezlui.

Contrairementauxautrescow-boysprésents,vêtusenstylecountry

plutôtvoyant,ilportaitunechemiseunietoutesimple,àlacouleur

unpeupasséeaulavage,unjeandélavéetdesbottessolides,aubout

usé.Peut-êtresedistinguait-ildelamasseparcequ'ilneportaitpas

dechapeau-ouparcequ'ilétaitsiséduisantqu'ilauraitdetoute

façonattiréleregarddesfemmes.

Sonriregraveétaitcommunicatif,etsonsouriretranquilledonnait

enviedesourireenretour.Heureusementpourlui,lanouvellepièce

tombadansleverre.Visiblementsoulagé,ilsebalançasursachaise

etreportasonattentionsurlejoueursuivant.

Carlysefélicitad'êtreseuleetdepouvoirlecontempleràloisir.

Bessl'auraittaquinée,ellelesavait.Hé!Carly,c'estjusteuntype

commelesautres!aurait-elleditNeledévisagepascommeça.Les

gensvontpenserquetuesbizarre.Malgrétout,Carlynepouvait

s'empêcherdefixerleschosesetlesgensqu'ellevoyaitpourla

premièrefois.N'était-cepasnormal,aprèsvingt-huitanspassés

danslenoir?

Ellenepouvaitdétachersonregarddecethomme.Elleneselassait

pasd'admirersesépauleslarges,lesmusclesquisaillaientsousle

tissudesachemise.Elleaimaitmêmelamanièredontilsetenait,la

têtepenchée,attentifaujeu.Sapostureétaitdétendue,bras

légèrementécartésducorps,poucesglissésdansleceinturondecuir

quientouraitseshanchesminces.Chaquefoisquesachaise

s'inclinaitversl'arrière,unegrosseboucleargentéescintillaitàsa

taille.

Ilétaitmagnifique,décida-t-elle.Àsonavis,toutaumoins,etrien

d'autrenecomptait.Undélicieuxfourmillementlaparcourutalors

qu'ellel'observait.

Unejeunefemmeauxcheveuxd'unrouxflamboyants'approchade

latable.Sesgrandsyeuxvertsétaientlourdementmaquillés.Le

cow-boylevalatête,souritetsecoiffadesonStetsonavantde

l'escortersurlapiste.

Carlylessuivitduregard.Deloin,elleavaitdumalàvoir

nettement.Uninstant,elledistinguaitleschoses,puistoutdevenait

flou.Lecouplesemitàdanserausondelamusique.Lecow-boy

faisaittournoyersacavalièreavecdesgesteshabilesetprécis,

lâchantsamainàintervallesrégulierspourlafairepassersousson

bras.Detempsàautre,larousses'éloignaitpourdécrireuncercle

autourdelui,tapantdupiedàunrythmerapide,seshanches

ondulantavecgrâce,seslongscheveuxcascadantdanssondos.

Carlyéprouvaunviolentpincementd'envie.Illuifaudraitdesmois

pourmaîtriserl'artdumaquillage,etellen'apprendraitsansdoute

jamaisàdisciplinersesbouclesblondes.

Lemorceaus'achevabrusquementetlesilencesoudainlaramenaau

présent.Lecow-boyavaitpasséunbrasautourdesacompagnepour

luifairequitterlapiste.Parmilafouledesdanseurs,unepetitejeune

femmebruneluiattrapalebrasetluimurmuraquelquechoseà

l'oreille.Ilsourit,sepenchapourdéposerunbaisersurlajouedela

rousse,puisregagnalapisteavecsanouvellepartenaire.

Toutàcoup,commes'ilavaitsentisaprésence,lecow-boylevales

yeuxverselle.Prisesurlefait,Carlyrougitjusqu'auxoreilleset

parcourutduregardavecanxiétélafouledesdanseurs,cherchant

Bessquidansaitdepuisprèsd'uneheure.Commentlaretrouver

parmitouscescorpsindistinctsquis'agitaient?

Carlvselevaetpassaentrelestablespoursedirigerversles

toilettes.Elleauraitjurésentirleregardducow-boysursondos.

Désireusedes'échapperrendantquelquesminutes,elleaccélérale

pas.Peut-êtrel'aurait-iloubliéelorsqu'elleretourneraitasatable.

Quandils'agissaitdesfemmes,Hankavaitunemémoired'éléphant.

Deretouràsaplace,ilgardal'œilsurlecoinopposédubar,guettant

descheveuxblonds.Lorsquelajeunefemmerevintdestoilettes,il

larepéraaussitôtetnefutpasdéçu.Elleétaitaussibellequ'illui

avaitsembléaupremiercoupd'œil.

Ill'observadiscrètementtandisqu'elletraversaitlasalle.Il

connaissaitlaplupartdesfemmesquifréquentaientleChapsle

week-end,maisilnel'avaitencorejamaisvue.Elleavaitdelongs

cheveuxblondsetbouclés,destraitsdélicats,degrandsveuxbleus,

etunebouchesensuellequinedemandaitqu'àêtreembrassée.Son

chemisierroseépousaitsasilhouette,révélantdepetitsseinsronds

etunetaillefine.

HankdonnauncoupdecoudeàEricetdésignalablonded'unléger

signedetête.

—Tulaconnais?

Ericlaregardaavecattention.

—Pasencore.

Hanksemitàrireetrepoussasachaise.

—Laissetomber,monvieux.Jel'aivuelepremier!

Carlyseraiditàlavueducow-boybrunquis'avançaitverselle.Le

cœurbattantàtouteallure,ellesedétourna,fixantsonregardsurle

verredebièrequiétaitdevantelledepuisledébutdelasoirée.

Ilallaitsansdouteparleràquelqu'unassisàunetablederrière.

Ducoindel'œil,ellelevits'arrêteràcôtédesachaise.Deloin,ilne

luiavaitpassemblésigrand.Ellelevalatêteetsetrouvafaceàdeux

yeuxmagnifiques,d'unbleuprofondquiluirappelaunlagon

tropicalqu'elleavaitvuenphotoquelquesjoursplustôt.

Sabouchelargeetfermesouriait,révélantdebellesdentsblanches.

Sonteinthâlémettaitenvaleursestraitsbiendessinés.Ilavait

d'épaissourcilsbruns,unnezfinetdroit.

—Bonsoir,dit-il.

Unseulmot,toutsimple.Pourtant,letimbregravedesavoixsuffit

àfaires'accélérerlepoulsdeCarly.

—Bonsoir,parvint-elleàrépondre.

Unelueurespiègledansaitdanslesyeuxducow-boy.

—Voulez-vousm'accordercettedanse?demanda-t-ilenlui

tendantlamain.

Pendantuneseconde,Carlynesutquedire.Puissoncerveause

remitenmarche.

—Oh!Euh...Non...Jenepeuxpas.Jesuisdésolée.

Ilaccrochalespoucesàsaceintureetregardapar-dessussonépaule.

—Vousêtesavecquelqu'un?

—Uneamie.Elledanse.

Lescommissuresdeseslèvresseretroussèrentenunlégersourire.

—Jevoulaisdireunhomme.

—Oh!

Carlysesentitstupide.

—Je...non.Jenesuispasavecunhomme.

Illuitenditdenouveaulamain.

—Danscecas,venezastiquerlaboucledemonceinturonpendant

quelquesminutes.

Interloquée,Carlybaissauninstantlesyeuxsurlabouclede

ceinturonenquestion.

—Jevousdemandepardon?

Iléclataderire,pritunechaiseetlaretournapours'yasseoirà

califourchon.Puisilrepoussasonchapeauenarrièreetposasurelle

unlongregard,ladétaillantdelatêteauxpieds,s'arrêtantsurses

basketsblanches.

—Ceneseraitpasvotrepremièresoiréedansunbardecountry,par

hasard?

—Si.

Carlysongeaqu'ilétaitunpeuivre.Comptetenudelaquantitéde

bièrequ'ellel'avaitvuingurgiter,celan'avaitriend'étonnant.

—MonamieBessadoreladanseenligne.Jesuisvenueregarder.

—Cequiexpliquelesproblèmesdelangue,jesuppose.C'estun

peucommequandonvadansunpaysétranger.

—Eneffet,acquiesçaCarly.Etc'estintéressant.J'aitoujours

entendudirequeleshommesétaientcensésretirerleurchapeauen

entrantquelquepart.Ici,toutlemondeenporteun.

—Retirersonchapeau?répéta-t-il,feignantd'êtrehorrifié.Un

cow-boynepeutpasdansersanssonStetson!Ilsesentàmoitiénu

etperdl'équilibre.Ilnes'enséparequepourdormiretmêmeàce

moment-là,illegardeaupieddulitencasd'urgence.

Carlysemitàrire.Cethommeluiplaisait;iln'avaitpaspeurdese

moquerdelui-même.

—Quanduncow-boyvousdemanded'astiquerlaboucledeson

ceinturon,c'estuneautremanièredevousinviteràdanser,

expliqua-t-il.

—Jevois...,réponditCarly,lesjouesbrûlantes.

Ilarquaunsourcil.

—Alors,qu'endites-vous?

—Jenepeuxpas.

Ellelançaunregardpaniquéverslesdanseurs.Elles'étaittoujours

enorgueillied'êtreprêteàtoutessayer,maissonopérationétaittoute

récenteetelleneparvenaitpasencoreàmarchernormalement.

—Jenesaispas.Çaparaîtdifficile,etjen'aiaucunecoordination.

—Cen'estpasaussidifficilequeçaenal'air,assura-t-il,refoulant

sonobjectiond'ungestedésinvolte.Nevousinquiétezpas.J'ensais

assezpournousdeux.

AvantqueCarlyaiteuletempsdeprotester,illasaisitparlepoignet

etseleva,l'obligeantàl'imiter.Puisilpassalebrasautourdesa

tailleetluifrayauncheminverslapiste.Lorsqu'ilseretournavers

elle,illuifitunclind'œiletsourit.

—N'ayezpaspeur.Toutlemondedoitapprendreàunmoment

donné.Etcen'estpastrèsdifférentdesdansesnormales.

Carlyn'osapasluiavouerqu'ellen'avaitjamaisdansédesavie.

Autourd'elle,desgenssedéplaçaientavecaisance.Desfemmes

tournoyaientdanslesbrasdeleurpartenaire,exécutantdespascom-

pliqués.Ellesentitlasueurperlersursonfront.

—Jevousassurequejenesaisvraimentpasdanser.

—Biensûrquesi,affirma-t-ilenprenantsamaindroite.Arrêtezde

regarderlesautresetconcentrez-voussurmoi.

Ellelevalesyeuxetilluisourit.

—C'estbien.

Ilcommençaàdanser,décrivantunmouvementlentdebalancier

assezfacileàsuivre.

—Nousallonsfairesimple.

—Simple,oui.C'estexactementcequ'ilmefaut,acquiesça-t-elle,

légèrementhorsd'haleine.

Illadévisagealonguement.

—Bonsang!Vousêtessuperbe.Jesupposequeleshommesvous

ledisentsansarrêt.

Carlyleregarda,avecl'impressiondes'êtreendormieetdefaireun

rêvedélicieux.Illatrouvaitsuperbe?Mêmes'ilmentait,ellevoulait

lecroire.Justependantunpetitmoment...

Illuifitexécuterquelquespasautourdeluietelleluimarchasurle

pied.

—Oh!jesuisdésolée!Jevousaifaitmal?

Iléclataderireetresserrasapriseautourdesataille.

—Nevousinquiétezpas,monchou.Essayonsdenouveau,dans

l'autredirectioncettefois.Là,vousvoyez?Facilecommebonjour.

Carlyconstataavecravissementquec'étaiteneffetsimple.Illui

suffisaitdesuivresoncavalier,sansprendred'initiative.

Leregardducow-boyseposadenouveausurelle.

—Vousn'êtespasd'ici,manifestement.Quandjevousai

remarquée,toutàl'heure,j'aicruquemoncœurallaits'arrêterde

battre.Assiselà,vousaviezl'aird'unange.

Unange?Carlynesefaisaitaucuneillusion,maisc'étaitun

complimentadorable.

—Jeviensd'arriverdanslarégion.Jevaisfairemamaîtriseici,à

CrystalFalls,àpartirdeseptembre.

—Ah!Celaexpliquequejenevousavaisjamaisvueavant.D'où

venez-vous?

—DePortland.

—Oh!Unecitadine,hein?Pasétonnantquenousneparlionspas

lemêmelangage.Tournezàdroite,ajouta-t-il,laguidantdeson

corpsavantd'exécuterlepas.Vousavezlesplusbeauxyeuxque

j'aiejamaisvus.Jevousjurequ'ilsbrillaientcommedesétoiles,

depuisl'autrecôtédelasalle.Vousportezdeslentillesdecontact?

Personnen'adesyeuxaussibleusnaturellement.

Durantsesétudesàlafaculté,Carlyavaitentendudeshommesdire

cegenredechoseàsesamiesdanslesbarsducampus.Desphrases

toutesfaitesdedragueurs,riendeplus.Illadraguait,et...Oh!c'était

merveilleux!Toutesavied'adulte,elleavaitvécuenmarge,rêvant

d'êtreremarquéeàsontour.Enfin,enfin,celas'étaitproduit.Mieux

encore,ilétaitséduisantetcharmant.Elleavaitl'impressiond'êtrela

princessed'undescontesdeféesquesamèreluilisaitlorsqu'elle

étaitenfant.

—Non,jeneportepasdelentilles,répondit-elleavecunrire,

battantdespaupières.Ilssonttoutcequ'ilyadeplusnaturel.

—Sansblague!Cedoitêtremonjourdechance.Vousêteslaplus

joliefemme,ici.

Carlysavaitpertinemmentqu'illuidisaitcequ'ilcroyaitqu'elle

voulaitentendre.Ilavaitvujuste:c'étaitcequ'ellevoulaitentendre.

C'étaitsontour!Unefolleexcitationcouraitdanssesveines.Juste

pourunefois,ellen'allaitpasanalyser,s'interrogerous'inquiéterà

l'idéequ'ilpourraitlafairesouffrir.Elleattendaitcetinstantdepuis

toujoursetavaitbienl'intentiond'ensavourerchaquedélicieux

millièmedeseconde.

—Jem'appelleHankCoulter,dit-ild'unevoixgraveetrauque,et

pourtantcurieusementdouce.

—CarlyAdams.

IIsepenchaverselle.

—Pardon?

Ellerépétasonnom.

—Enchanté,Charlie.Plusqu'enchanté,même!

—Carly,rectifia-t-elle.

Ilhochalatêteensouriant.Carlyn'insistapas.Lorsquelemorceau

seraitterminé,illaraccompagneraitàsatableetellenelereverrait

sansdoutejamais.

Ilsemouvaitavecunegrâceimpressionnantepourunhommeaussi

bienbâti,soncorpsmuscléesquissantdesmouvementsharmonieux

pourlaguider,seshanchesmincesbougeantaurythmedela

musique.AvantqueCarlyneréalisecequiluiarrivait,illafit

tournoyerdevantlui,puisrevenirsurlapointedespiedsetpasser

soussonbras.

—You-hou!s'écria-t-ilquandelleeutexécutéunparfaitpasde

swing.

Illuifitunclind'œil,glissaunbrasautourdesatailleetl'attiratout

contreluipourl'entraînerdansunefigurequ'elleparvintàsuivreet

quil'époustoufla.

LecœurdeCarlymanquaunbattement,etsoncorpstoutentierlui

parutvibrer.C'étaitsiétrange!Elleéprouvaitdesfourmillements

partout,au-dedanscommeau-dehors.Ils'éloignabrusquement,puis

luirepritlamainavantdetoucherleborddesonchapeauensigne

derespect.Enfin,ilrepritsaplacefaceàelle,sonregardd'unbleu

intensesoudéausien,unetensionétrangesurlestraits.

Carlybaignaitdansl'euphoried'unplaisirvisuelqu'ellen'avait

jamaisconnuauparavant.Unhommeluifaisaitl'amouravecses

yeux!Ellevoyaitsesépauleslargessepencherverselleetson

parfum-unmélanged'odeurmasculine,d'eaudeCologne,decuiret

decotonséchéausoleil-avaitsurelleuneffetenivrant.

Bientroptôtàsongoût,lamusiquecessa.Ellesedégageadeses

brasetsourit.

—Merci.Jemesuisbienamusée,finalement.

Illuiattrapalamain.Seslongsdoigtss'enroulèrentautourdeson

poignet.Sapaumeétaitchaudeetlégèrementcalleuse,prouvantque

latenuedecow-boyn'étaitpasqu'uncostumedestinéàséduire.

Commeellel'interrogeaitduregard,ilsouritetresserrasonétreinte.

—Nepartezpas,jevousenprie.Passezlasoiréeavecmoi.

Avantqu'elleaiteuletempsderépondre,l'orchestreentonnales

premièresmesuresdeResteavecmoicesoir.

Hankéclataderire.

—Commesurcommande,non?

Illarepritdanssesbrasetsemitàchanteraveclamusique.Quandil

arrivaaurefrain,Carlyriaitdesiboncœurquetoutegênesétait

envolée.Illafittournoyerdeplusbelle,aupointqu'elleeutpresque

levertige.

—Jet'enprie,monchou,nedispasnon,murmura-t-ilàsonoreille.

J'enauraislecœurbrisé.

Carlysereculapourleverlesyeuxverslui.

Elleavaitconsciencequ'elleauraittoutintérêtàmettreuntermeà

cetinterludeavantquecelanel'entraînetroploin.Or,bizarrement,

lesavoiretdéciderdelefaireétaientdeuxchosesbiendifférentes.

Aurait-ellejamaisuneautrechancecommecelle-ci?

—Jesuisavecuneamie,répondit-elleàregret.

—Laisse-latomber.

—Jenepeuxpasfaireça!

Ill'entouradesesbrasetpressalevisagecontresescheveux.

—Peut-êtrequ'ellevarencontrerquelqu'unetteplanterlà,dit-il

avecunepointed'espoirdanssavoixgrave.

—Peut-être,concéda-t-elletoutensachantqueBessneferait

jamaisunechosepareille.

—Entre-temps,resteavecmoi,insista-t-ildoucement.

Carlyhochalatêtesansriendire.Ellesentitqu'unsourirese

dessinaitsurleslèvresducow-boy.

Quandlemorceaupritfin,illaguidaverslestables.Lorsqu'ils

arrivèrentauborddelapiste,larousses'avançaetluidemandaune

danse.

Carlytentadesedégager.

—Celanem'ennuiepas,Hank.

Illuiétaitfaciledeparlerd'untonconvaincant;elleétaithabituée

depuistoujoursàs'effacerdevantlesautresfemmes.

—Jet'assure.Vat'amuser.

Ilserrasesdoigtsplusfort.

—Désolé,dit-ilàlarousseavecunsourired'excuse.Jesuisépuisé.

Nousallonsnousasseoirunpeu.

Ellehaussalesépaulesets'éloigna.Carlylasuivitdesyeux.

—Vraiment,Hank,celanem'ennuiepas.Elledansebien,tandis

que...moipas.

—Tuesfabuleuse,etilesthorsdequestionquejetelaissetoute

seule.Mescopainssejetteraientsurtoicommedesmouchessurdu

miel.

Ill'entraînadansuncoinpluscalme,aufonddubar.Lenuagebleuté

defuméedecigarettesquiplanaitdansl'airpiquaitlesyeux

sensiblesdeCarly,etuneforteodeurdebièrerégnait.

—Nouspouvonspeut-êtrebavarderici,suggéra-t-ilenluitirant

unechaise.D'habitude,lebruitnemegênepas,maiscesoir,si.Je

veuxtoutsavoirsurtoi.

Carlyfutsoulagéedes'asseoiretd'échapperàlafumée.Faisant

pivotersachaisepourqu'ilssoientfaceàface,Hankpritplaceàcôté

d'elle.

—Parle-moidetoi,Charlie.

—Carly,corrigea-t-elledenouveau.

Ilacquiesça.

—D'accord.Parle-moidetoi.

—Iln'yapasgrand-choseàdire...

—Tuasquelâge?

—J'auraivingt-huitansaumoisd'août.

—Etmoitrente-deuxendécembre.

Ilarquaunsourcil.

—Quelgenredemaîtrisevas-tufaire?

—Jesuisinstitutrice.J'aipassédeuxansàenseigneràdesenfants

non-voyants.Maintenant,jeveuxobtenirunemaîtriseenéducation

spécialisée.

—Vraiment?

Unelueuramuséepétillaitdanssonregard.

—J'adorelesinstitutrices!ajouta-t-il.

—Ahbon?

—Biensûr.Ellesforcentunhommeàrecommencerjusqu'àcequ'il

aittoutjuste.

Carlyneputs'empêcherderire.Àcetinstant,laserveuseleur

apportalesbièresqueHankavaitcommandéesenpassantdevantle

comptoir.

Toutenbuvant,ilexpliquaqu'iltenaitunranchetqu'ilétaitassocié

avecsonfrère.Ilspossédaientquelquescentainesdetêtesdebétail,

etélevaientdeschevaux.

—Alors,tuesunvéritablecow-boy,pasunfaux?

Ilhochalatête,puisdésignasonverre.

—Ilestdéjàvide,ettuasàpeinegoûtéautien.

Ilfitsigneàlaserveuse.

Carlybutdocilementunenouvellegorgéedebière.Iltenditlamain

versellepouressuyerunpeudemousserestéesursalèvre.Son

gesteétaitdoux,sonexpressiontendre.

—Jesuisvraimentcontentdet'avoirremarquée.C'étaitleremède

idéalàmoncafard.

—Pourquoiavais-tulecafard?

Lasecondetournéearriva.Hankréglal'additionetavalaquelques

gouléesavantderépondre.

—JemesuisdisputéavecmonfrèreJakejusteavantdesortir.La

femmedufrèredumaridemasœurfêtesonanniversaire

aujourd'hui.

—Qui?

—La...c'estcompliqué,dit-ilenriant.Bref,cen'estpasvraiment

uneparente.MaggieKendrickestadorable,certes,maissafête

d'anniversairen'estpaslameilleurefaçondepasserunvendredi

soir,demonpointdevue.Jakeestopposéàmonmodedevie.Ildit

quejenevaisnullepartetquejenetrouveraijamaisdefemmequi

envaillelapeinedansunbar.

Illevasachopedanssadirectionetsourit.

—Tueslapreuvevivantequ'ilatort.

Carlyfutflattée.

—Merci.

Ilterminasadeuxièmebière,puisconsidéraCarlyavecattention.

—Àcerythme,tunevasjamaisêtregaie,monchou.Quedirais-tu

d'uncocktail?

Carlyouvritlabouchepourrefuser,puisseravisa.Elleétait

toujourssouscalmantsetlemédecinluiavaitconseillédenepas

consommerplusdedeuxboissonsalcoolisées.Maisellen'avaitbu

quequelquesgorgéesdebièreetellecommençaitàenavoirassez

d'êtretoujoursprudente.

Quandlaserveuseapportalescocktails,Carlyavaitéludéune

dizainedequestionspersonnelles,sebornantàendiretoutjuste

assezàHankpoursatisfairesacuriosité.Ellegoûtaavechésitation

laboissonqu'ilavaitcommandée.

—Qu'est-cequ'ilyalà-dedans?

—C'estunepotiond'amour.Uneseulegorgéesuffitàunefemme

pourtomberamoureusedupremierhommequ'ellevoit.Jesuppose

queçaveutdirequec'estmonjourdechance.

Plutôtl'inverse,songeaCarly.

Elleparvenaitàpeineàcroirequ'elleétaitassiseàcôtédeluietqu'il

nesemblaitavoird'yeuxquepourelle.

—C'esttrèsbon,dit-elleaprèsavoirbuuneautregorgéedu

breuvage.

Illuidécochalesouriresensuelqu'elleavaitadmiréplustôt.De

près,ilétaitencoreplusdévastateur.

—Vas-ydoucement,monchou.C'estpresquedel'alcoolpur,

coupéd'unpeudejusd'orange.Tuasl'habitudedeboiredestrucs

forts?

—Commetoutlemonde,j'imagine.

—Trèsbien.Monbutestdetedétendre,pasdetassommer.

—Tuessaiesdemefaireboire?

—Tuastoutcompris.

Elleéclataderireetbutunenouvellegorgée.

Hanks'efforçaitdedéterminercequ'iltrouvaitdesiattirantchez

elle.Ilavaitrencontréunefouledejoliesfemmesdanslesbars,mais

n'enavaitjamaisdésiréuneàcepoint.Peut-êtreétait-ceàcausede

sonvisagesidoux,desonregardsicandide.Quelleillusion!

Aucunefemmedecetâgen'étaitencoreinnocente.Etenimaginant

que,parquelqueétrangehasard,ellelesoit,elleneviendrait

sûrementpasdansunclubtelqueleChaps.

Pourtant,ilyavaitchezelleuneabsenced'artificequiluiplaisait.

Pourautantqu'ilputenjuger,elleneportaitpasdemaquillage.Ses

cheveuxtombaientenunecascadedebouclessursesépaules,lui

donnantenvied'yenfouirlamain.

Plustard,sedit-il.Quandelleauraitconsomméunpeuplusd'alcool,

ill'inviteraitàdanserdenouveau.Riendetelqu'unslowpour

séduireunefemme.

Desimagesérotiquesflottèrentdanssonesprit.Ilbutunelongue

gorgéedecocktail.Lorsqu'ilvoulutreposersonverre,ilfaillitle

laissertomberetsongeavaguementqu'ilétaitpeut-êtreplusivre

qu'ilnelepensait.

—Çava?

—Trèsbien,répondit-ilavecungrandsourire.Jesuisunpeugai,

c'esttout.Maisbon,c'estpourçaqu'onestlà,non?Pours'amuser!

—Eneffet.

Ellebutunepetitegorgée.

—Mmm...Plusj'enbois,plusjetrouveçabon!

Hanksecalasursonsiègeetl'observa.Ilétaitrarequ'ilflashesur

unefemmeaupointdeluifairedescomplimentssincères.

D'ordinaire,lafinjustifiaitlesmoyens.Àl'exceptiondes

déclarationsd'amour,ilétaitprêtàdirepresquen'importequoipour

attirerunefilledanssonlit.Engénéral,cellesquifréquentaientle

Chapsvenaientpourlesmêmesraisonsqueleshommeset

connaissaientlesrèglestacitesdujeudelaséduction.C'étaitdrôle,

sansconséquence,etlematin,personnen'avaitderegrets.

Celaluiconvenaitparfaitementcariln'étaitpasprêtàsefixer.S'il

l'avaitété,ilneseraitcertainementpasvenuchercheruneépouse

dansunbaroùlescandidatespotentiellesavaientsatisfaitles

fantasmesd'unefouled'autreshommesavantlui.

—T'ai-jeditquetuesabsolumentsplendide?

Unefossettesecreusasursajouequandellesourit.

—Non.Splendideestunmotquejen'auraispasoublié.

—Pardonpourcettenégligence!Tuessplendide.Jen'arrivepasà

croirequec'estmoiquiaieulachancedetevoirlepremier.

Ellefittournersonverreentresesmains,écrasantunegouttede

condensationduboutdudoigt.Lorsqu'ellerelevalesyeuxverslui,

sonregardétaitflouetrêveur.

—Tuavaisraison.Cecocktailestfort.

Hankpoursapartn'enressentaitpasd'effetparticulier.

—Neboispastrop,luiconseilla-t-il.Çapeutassommerd'unseul

coup.

Ilvoulaitqu'ellesedétende,pasqu'ellesoitmalade.Enlevantson

propreverre,ilsedemandauninstants'ilneferaitpasmieuxde

suivresespropresconseils.Illevidanéanmoins.Audiablela

sagesse!L'alcooln'avaitjamaisaffectésesperformancesentant

qu'amant.

Ilsbavardèrentencoredechosesetd'autrespendantquelques

minutes-lepréludeoralausexe,lesdeuxpartenairesfeignant

d'avoirrencontrél'âmesœur-,puisl'orchestrequiavaitfaitune

pauseentamaunnouveaumorceau.Unslow.

HankvoulutentraînerCharliepourallerdanser,maiselleperdit

l'équilibreets'accrochaàluipournepastomber.Ilmitlesmainssur

sesépaulesetparvintàlaretenirbienqu'ilnesoitpasparfaitement

stablelui-même.Conscientsl'unetl'autred'avoirtropbu,ils

éclatèrentderire.

Ilpassaunbrasautourdesatailleetlaguidaverslapiste.Lorsqu'il

l'attiraplusprès,ellesemblafondrecontrelui.Ils'imaginalatenant

ainsiàl'horizontale,peaucontrepeau,membresentremêlés,et

promenalentementlamaindanssondosavantdesepencherpour

luimordillerlelobedel'oreille.Ellegémitdoucement,etilsentit

sespoingssecrispercontresachemise,signequel'attractionétait

mutuelle.

Jetantuncoupd'œilverslasortie,ilsemitàdanserdanscette

direction,entraînantavecluiladouce,lacharmanteCharlie.Quand

ilpoussalaporte,ellelaissaéchapperunpetitcrisurpris;labrise

fraîchedemaicontrastaitaveclachaleurquis'étaitaccumuléeentre

leurscorps.

—Monamie,Bess...,murmura-t-ellesansconviction.Jenepeux

pas...

Hankl'interrompitd'unbaiserardent,profond.Sabouchedouce,

vulnérable,avaitencoremeilleurgoûtqu'ilnel'avaitimaginé.Elle

luirenditsonbaisertimidement,puisrecula.Ilcrutdécelerune

pointed'incertitudedanssesgrandsyeuxbleus.

—Çava?demanda-t-ild'unevoixrenduerauqueparledésir.S'ily

aunproblème,tun'asqu'àledire.

—Non,non.C'estjusteque...

Elles'interrompitetsourit.

—Toutvabien.

C'étaittoutcequeHankavaitbesoind'entendre.Illuipritles

poignets,l'incitantàleverlesbraspourlesnouerautourdesoncou.

Avecunsoupirlangoureux,ellesehaussasurlapointedespieds

poursefaireplusgrandeetsepressacontrelui.

Uneseconde,Hankfutprisdevertige.Ileutl'impressiond'avoir

reçuunedéchargeélectrique.Puistoutepenséerationnellele

déserta.Ilpivotad'unmouvementfluide-endépitdetoutcequ'il

avaitbu,songea-t-ildansunéclairdelucidité-pourplaquerCharlie

contrelemurdeciment.Sesmainsquittèrentsataillepourseposer

sursesseins.Àtraverslescouchesdevêtements,ilsentitses

mamelonssedurciràsoncontact.Elletressaillitlorsqu'illesfit

roulersoussesdoigts.

Vaguement,ilnotasaréaction,sanspouvoirdéfinircequilegênait.

Elleétaitsidélicieuse!Ilnesesouvenaitpasd'avoirjamaisétéaussi

excité.Soncorpsétaitenfeu,enproieàundésirqu'ilnepouvaitpas

satisfairesurunparking...

Sanscesserdel'embrasser,ilpassaunbrasautourdeCharlieet

l'entraînaverssonpick-upflambantneuf,interrompantleurétreinte

letempsdeposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.

—Ilyaunmoteltoutprès.Tuveuxveniravecmoi?

EllejetaunregardpréoccupéversleChaps.

—SiBessnemeretrouvepas,ellevas'inquiéter.

Hankfaillitprotester,maisavantqu'ilaitpuformulersapensée,il

avaitrecommencéàl'embrasser.Ilenoubliaaussitôtcequ'ilavait

eul'intentiondedire.Ilsecontentad'ouvrirlaportièrearrière.La

banquetten'étaitpasl'endroitrêvépourfairel'amour,maissi

Charlierefusaitd'alleraumotel,iln'avaitpaslechoix.Illasouleva

parlatailleetladéposaàl'intérieur,puissehâtadelarejoindre.

Ilnepouvaitplusrêverdetenirsoncorpsnucontrelui.Unteldegré

d'intimitéétaitimpensabledansunparking.Ilsecontentadela

caresseràtraverssesvêtements.Lorsqu'ilsfurentl'unetl'autreau

combledel'excitation,ildéboutonnalejeandeCharlieetenabaissa

lafermeture.Sapeauétaitlisseetbrûlante,commeduvelours

chaufféparlesoleil.

—Que...quefais-tu?demanda-t-elled'unevoixtremblante.

—Attends.

Elleavaitsansdoutepeurqu'iln'utilisepasdeprotection.Ilse

penchapar-dessuslesiègeavant,tâtonnantpourlocaliserlaboîteà

gantsoùilgardaituneboîtedepréservatifs.Lorsqu'ilparvintenfinà

ouvrirlecompartimentetàtrouverlefichupaquet,celui-cilui

échappaetsoncontenusedéversasurlesol.Hankétouffaunjuron.

Ilsongeaàenjamberlesiège,seulement,quelquepartentrela

penséeetl'action,ilseretrouvaentraind'embrasserCharliede

nouveau.

Ilsesentaitcommeunadolescent-foudedésir,etmanquantde

contrôle.Jamaisencoreiln'avaitcouchéavecunefemmesans

utiliserdepréservatif.Unesonnetted'alarmesedéclenchaquelque

partdanssoncerveaualorsqu'ilglissaitlamaindansleslipde

Charliepourtouchersachairmoiteetbrûlante.Ill'ignora.Quelmal

pouvait-ilyavoir?Engénéral,lesfemmesquifréquentaientlesbars

prenaientlapilule.Apartunegrossessenondésirée,oùétaitle

risque?Elleétaittropmignonnepourêtreatteinted'uneMSTetil

savaitpertinemmentquelui-mêmen'avaitrien.

Ellegémitettressaillitsoussacaresse.Unliquidemielleuxse

répanditsursamainetilenfonçaundoigtenelle,luiarrachantun

crideplaisir.Ilfitglisserlejeanetlesliplelongdesesjambes,défit

saproprebraguetteetsecalaentrelescuissesdeCharlie,avant

d'embrasserl'endroitsensiblejusteau-dessousdesonoreille.

—Hank...

—Qu'est-cequ'ilya,monchou?

Toutsoncorpsétaittenduparledésir.Ilpressasonmembredurci

contreelleetperditaussitôtlecontrôle,lespermejaillissantavant

mêmequ'ill'aitpénétrée.

Ellelaissaéchapperunpetitsonplaintif.

—Oh!Bonsang!Jesuisdésolé,murmura-t-il,consterné.Attends.

Net'enfaispas.Donne-moiuneseconde.

Ilprituneprofondeinspiration.Pasdeproblème.Mêmeivre,ilétait

toujourscapabledeseressaisir;ilpouvaitencoreserattraper.D'une

pousséevigoureusedeshanches,ilplongeaenelle.

Hanksentitsedéchirerlafragilebarrièredechairaumomentoùelle

hurla.Ilsefigea,etsonsoufflenefutplusqu'unesériede

halètementsrauquesetdurs.Ilémitunjuron,lesondesespropres

parolesrésonnantétrangementàsesoreilles,etunelumièreexplosa

danssoncerveau.Ilcilla,s'efforçantdedistinguerlevisagede

Charliedanslapénombre.

Elleétaitvierge?

Cefutsadernièrepensée.

L'instantd'après,ilperditconnaissance.

2.

Ungazouilliss'élevaprèsdel'oreilledeHank,lesonserépercutant

douloureusementdanssoncrâne.Ilrestaimmobile,essayantde

comprendrecommentunoiseauavaitpuentrerdanssachambreet

pourquoisonlitd'ordinaireconfortableétaitaussibosseléqu'unsac

depommesdeterre.Prudemment,ilouvritlesyeux.Lesoleil

l'aveugla.Ilgémitettentadeleverlebraspourseprotéger,maisses

épaulesétaientcaléesdansunespacesiétroitqu'ilpouvaitàpeine

bouger.Qu'est-ceque...

Éblouiparlalumièredujour,iln'eutd'abordpaslamoindreidéede

l'endroitoùilsetrouvait.Puis,avecunestupeurgrandissante,il

réalisaqu'ilétaitallongésurlesoldesonpick-up,entreles

banquettesavantetarrière.Ilfixastupidementlaportièreenfacede

lui.L'oiseauquiluijouaitlasérénadeétaitperchésurlavitre

abaissée.

Cui-cui,cui-cui.

Ilavaitl'impressionquesescellulesgrisesavaientétépasséesàla

moulinette.Roulantlentementsurlecôté,ilpritappuisuruncoude.

L'intérieurdupick-upsemitàtourner,etunenauséeluisouleva

l'estomac.Ilcontinuaàregarderlepetitoiseaugrisquiavaitincliné

latêtepourmieuxl'observerdesesminusculesyeuxronds.

—Dégage!

Pasmalin,ça.Saproprevoixluivrillalecrâne.Unbrassurlesiège,

ilattenditqueladouleurs'at-:enuepuissehissaenpositionassise.

Pourquoidiableavait-ildormidanssonpick-up?Ilsesouvenait

vaguementd'êtrevenuenvillelaveilleausoir,maiscequis'était

passéensuiteétaitflou.Ilavaitduprendreunesacréecuite!

D'habitude,danscescas-là,ilverrouillaitsonvéhicule,appelaitun

taxietallaitpasserlanuitaumotel.

Tendantlecoupourregarderdehors,ilreconnutleparkingdéserté

duChaps.Lentement,endésordre,desbribesdesouvenirslui

revinrent.Ilavaitcommencélasoiréeavecsescopainsetilétait

déjàauxtroisquartsivreavantdixheures.Peuaprès,ilavaitdragué

unefille.Uneblonde.Marly?Non,Charlie,c'étaitça.Degrands

yeuxbleus,unvisageangélique,etunesilhouettemenueetbien

faite,soulignéeparunjeanserréetunchemisierrose.Ilsavaient

dansé,bavardéetbuquelquesbières.Puis,dansl'espoirdedétendre

l'atmosphèreetdelavoirselâcherunpeu,illeuravaitcommandé

uncocktail.

Bonsang!Oùavait-ileulatête?LescocktailsmaisonduChaps

étaientleurversiondusuicideaccompagné.Toutecettebièreetun

alcoolfortpardessuslemarché?Pasétonnantqu'ilaitunetelle

gueuledebois!Charlieetluititubaientenquittantlebar.

Hanksefigea.Unfrissonluiparcourutl'échiné.Sessouvenirsd'elle

étaientaussiéparpillésquelesmorceauxd'unpuzzle,les

réminiscencessurgissantparfragments,maisilsesouvenait

clairementd'unechose.Ill'avaitfaitmonterdanssonpick-upetil

avaiteudesrapportssexuelsavecellesurlabanquettearrière.

Sonregardtombasurlessiègesgrisetuneimages'imposaàluile

tempsd'unéclair.Ilpouvaitpresquelavoirlà,étenduesouslui.Ily

avaitunetracedesangséchésurlecuirclair.Unenouvellenausée

luichaviral'estomac.ÔSeigneur!Elleétaitvierge.Vierge!

Commelaveilleausoir,ilsesentitsubmergéparlechocet

l'incrédulité.Combiendefemmesétaientencoreviergesà

l'approchedelatrentaine?Etparmicenombreinfime,combien

d'entreellesfréquentaientdesendroitstelsqueleChaps?Ildevaity

avoirunmalentendu.Ilyavaitforcémentunmalentendu!Peut-être

avait-ellesesrègles,etlafragilebarrièrequ'ilavaitsentieétait-elle

autrechosequ'unhymen.

Non,inutiledechercheràsementir.Aufond,ilsavait.Ilse

souvenaitclairementqu'elleavaitpousséuncridedouleur.Ensuite,

c'étaitlenéant.Avait-ilperduconscience?Ilavaitétéivremortplus

souventqu'iln'auraitpuledire,maisjamaisencoreiln'avaitperdu

connaissance.Pourtant,quelleautreexplicationpouvait-ilyavoir?

Unjuronluiéchappa.Unevierge!Ilnes'étaitpasmontré

particulièrementdoux;iln'enavaitpasvulanécessité.Ilsetortilla

pours'asseoiretsonregardtombasurunetachedesangséchésur

soncaleçon.Lesmainstremblantes,ilremontalafermeturedeson

jean,posalescoudessursesgenouxetsecachalevisageentreses

mains.Aunomduciel,qu'avait-ilfait?Ilavaitoubliélenomde

familledelafilleetn'avaitaucuneidéedelamanièredela

retrouver.

Auboutd'unlongmomentpasséàfixerlafaçadedubar,ilfinitpar

conclurequ'ilneservaitàrienderesterlààbroyerdunoir.Àquoi

s'attendait-ildonc?S'imaginait-ilquelenometl'adressedeCharlie

allaientsoudainapparaîtreengrosseslettresnoiressurlemur?

Ilrampapar-dessuslesiègeavantetlavueduplancherjonchéde

paquetsargentésluiarrachaunnouveaujuron.Direqu'ilmettait

toujoursunpréservatif!

Avait-ildonccomplètementperdulatête?

Unedemi-heureplustard,Hankgaraitsonpick-updevantleranch.

Jakeluifitsignedepuisl'écurie,unénormebâtimentrectangulaire

entôleverte.Hanknesesentaitguèred'humeuràsubirunsermon

deplussursaviesociale.Laveilleausoir,ilavaitenfreinttoutesles

règlespossiblesetimaginables,exactementcommeJakel'avait

avertiqu'illeferaitunjour.Iln'allaitcertainementpasluioffrir

l'occasiondeprendreunairsupérieuretdeluidire:«Jet'avais

prévenu.»

IIdonnauncoupdepieddansundesemballagesenplastiquequi

gisaientsouslapédaledefrein.Unseulfauxpasentrenteetunans.

Iln'yavaittoutdemêmepasdequoienfaireundrame,serassura-

t-il.Aussitôt,unepetitevoixnarquoises'élevadansuncoindeson

cerveau.Biensûr,monvieux...

Ildescenditdupick-up,fitàJakeunvaguesalutdelamain,etse

dirigeaàgrandspasverslamaison.Jakeavaitsansdoutebesoin

d'aideavecundeschevauxetseraitagacéqu'ill'aitignoré,mais

c'étaitsonjourdecongé.Ilavaitenvied'aspirine,detranquillitéet

desilence.Toutlerestepouvaitattendre.Surtoutlesdiscours,les

reproches,etautresfroncementsdesourcilsréprobateurs.

Desjouetsd'enfantsétaientéparpilléssurleplancherciréde

l'entrée.Ilpoussadupiedunevoiture,heurtantaccidentellementle

boutonquiactivaitlemécanismedel'avertisseur.Un«Tut!Tut»

retentissants'élevaderrièreluialorsqu'ilsehâtaitverslacuisine.La

femmedeJake,Molly,setenaitdevantlagazinière,sonfilsGarrett

calésursahanche.Lesoleilentrantparlesfenêtressereflétaitsurla

crinièrerousseetboucléedesabelle-sœur.Uncrayondepapierétait

posésursonoreille,signequ'elleavaitdûtravaillerdanssonbureau

situéaurez-de-chaussée,jonglantentresesdevoirsdemèreet

d'épouseetsacarrièred'agentdechangeetdeconsultantfinancier.

BienqueJakeaitengagéunegouvernanteàpleintemps,Molly

insistaitpours'occuperelle-mêmedeleurenfant.

Ellesetournaetluiadressaungrandsourire.

—Tiens,tiens!Voyonscequelechataramené.

Hankcillaausondesavoix.Ilsedirigeaversleplacard,marchant

enunelignequ'ilespéraitàpeuprèsdroite,ensortitunflacon

d'aspirinedontilversatroiscomprimésdanssapaume.

—Tuasuneminededéterré,observadoucementMolly.

Ilremplitunverred'eau.

—Bonjouràtoiaussi.

—Tesyeuxsontaussirougesqueceuxd'unlapinatteintde

myxomatose.

—Necommencepas...

Hankavalalescachetsetreposaleverreavecunpeuplusdeforce

qu'iln'enavaiteul'intention.

Lebruitsecfittressaillirsonneveuquisetortilladanslesbrasdesa

mèrepourfixerdegrandsyeuxbleusméfiantssurlui.L'instant

d'après,sonmentonsemitàtrembleretilcommençaàhurler.Hank

eutl'impressionquesoncrâneallaitexploser.

—Tuluiasfaitpeur!luireprochaMollyavecunregardaccusateur

toutens'efforçantdeconsolersonfils.

Hankeutenviedeprendresesjambesàsoncou,maisilsavaitqu'il

avaitdéjàtropdechosesàsonpassif.

—Hé!monchou,murmura-t-ilenpassantlamainsurledosdu

bambin.Cen'estquemoi.

Ilsepenchapourpincerlenezdesonneveu,quicessaaussitôtde

hurlerpourluidécocherunsourirebaveux,exhibantquatre

minusculesquenottes.

—Vienslà,monchou.

Radoucie,Mollyluitenditl'enfant.EllesouritenvoyantGarrettse

cramponneraucoudesononcle.

Hankrencontrasonregardpar-dessuslatêtedupetit.

—Excuse-moi,dit-il.Jenevoulaispasêtregrognon.C'est

seulementquej'aiunmaldetêteatroce.

—Voilàcequiarrivequandonboitlameretsespoissons.

Cen'étaitpastoutcequipouvaitarriver,songea-t-il,lesouvenirde

Charlies'imposantbrièvementàsonesprit.

Mollypritleverreetledéposadanslelave-vaisselle.

—Jemefaisdusoucipourtoi,Hank.

—Quelmalya-t-ilàcequejeprenneunpeudebontemps?

—Nemeposepascegenredequestion,àmoinsquetuneveuilles

uneréponsehonnête.

Hankjugealasuggestionraisonnableetn'insistapas.Ilgardale

bébédanssesbrasquelquesinstantsdeplus,puislerenditàMolly.

—Jevaisallerprendrel'air.

—Tuneveuxpasdéjeuner?J'étaissurlepointdefairedestartines

grilléesetdesœufssurleplat.

Àlaperspectivedemanger,Hanksentitsonestomacseretourner.

—Non,merci,répondit-ilensedirigeantverslaportedederrière.

Plustard,peut-être.

IlétaitsurlepointdesortirquandMollyrepritlaparole.

—Jet'aime,Hank.Siçafaitdemoiunecasse-pieds,j'ensuis

désolée.

Hanks'arrêtasurleseuilpourlaregarder.Mollyétaitunedes

personneslesplusgentillesqu'ilaitjamaisrencontrées,etl'affection

selisaitdanssesgrandsyeuxmarron.

—Moiaussi,jet'aime,mêmesituescasse-pieds.

Ellehaussalesépaulesetsourit.

—Pouruntypequiestcenséprendredubontemps,tunerisplus

trèssouvent,tusais.

—C'estnoté.Jetâcheraid'yremédier.

Aprèsavoirrefermélaporte,Hankrestauninstantimmobilesurla

vérandaouvertequicouraitderrièrelamaison.Malgrélesoleilqui

inondaitlacour,lamatinéeétaitfraîchepourunmoisdemai.Le

ventquisoufflaitenrafalesapportaitlasenteurdespins,apaisantla

douleurquiluivrillaitlestempes.

Ilsongeaàs'asseoirsurlesmarchespuisrejetacetteidée.Les

cow-boysentraientsouventparlaportedederrièreet,cematin,il

avaitbesoind'êtreseul.

Ilsedirigeaverslarivièrequiserpentaitàtraverslapropriété.La

roséesedéposaitsursesbottes,assombrissantlacouleurducuir.Çà

etlà,unesauterellejaillissaitdesacachetteetstridulaitautourde

sesjambes.Uneodeurlourdemontaitdelaterremouillée.Ilpritune

profondeinspirationetsentitsedissiperunpeulatensionquilui

nouaitlesépaules.

Lorsqu'ilétaitpréoccupé,c'étaitauprèsdelarivièrequ'ilallaitse

réfugier.Enamontdelamaisonprincipale,côténord,setrouvaitun

endroitplatetherbeux.Ilnesesouvenaitpasdelapremièrefoisoù

ilétaitvenuychercherlapaixetleréconfort;ilsavaitseulement

quelemurmureducourantl'avaittoujoursaidéàmettredel'ordre

danssespensées,mêmeenfant.

Arrivéauborddel'eau,ilselaissatombersurl'herbehumide,en

proieàdesémotionssiconfusesqu'ilneparvenaitpasàles

distinguerlesunesdesautres.Charlie...Àcetinstantprécis,ilaurait

toutdonnépourremonterletempseteffacerlesévénementsdela

nuitdernière.Ilsesouvenaitdel'innocencequ'ilavaitluedansles

yeuxdeCharlieets'accablaitdereproches.Ilavaittoujoursétédoué

pourjugerlesgens.Pourquoi,laseulefoisoùcelaavaitétéd'une

importancevitale,avait-ilignorélapetitevoixquilemettaiten

garde?

Touslesavertissementsdesamèrerevenaientlehanter.Tôtoutard,

Hank,tuvasfairequelquechosequeturegretteras.Àforcedejouer

aveclefeu,onfinitparsebrûlerlesdoigts.Ilavaittoujoursfaitla

sourdeoreille,sedisantquelessermonsmaternelsétaientdusau

fossédesgénérations.Àprésent,ilregrettaitdenepasyavoirprêté

plusd'attention.Maiscommentdiableavait-ilréussiàtombersur

uneviergedepresquetrenteans?

L'espaced'uninstant,ilsentituneboufféedecolèrelegagner.Sion

considéraitlasituationd'unpointdevuerationnel,cedésastreétait

lafautedeCharlie,paslasienne.Aprèstout,ellecherchaitles

ennuisentraînantdansunboui-bouicommeleChaps,etelleles

avaittrouvés.Commentétait-ilcensédevinerqu'ellen'avaitjamais

connud'homme?

Sacolèresedissipaaussivitequ'elleétaitvenue.Aucuneloi

n'obligeaitlesviergesàfaireétatdeleurmanqued'expérience

sexuelle,etaucuneneleurinterdisaitnonplusd'entrerdansunbar.

Cen'étaitpasdavantagelafautedeCharliesielleétaitjolie,eten

aucuncasilnepouvaitlarendreresponsabledesapropreconduite.

Encommandantlescocktails,ilavaitbeletbieneul'intentionde

l'enivrer.Ilyétaitparvenu,etenavaitprofité...

Uneterriblepenséeluivintsoudain.Pourquoiuneviergeaurait-elle

prislapilule?Ets'ill'avaitmiseenceinte?Ildevaitlaretrouver,

s'assurerqu'iln'enétaitrien.

Etdanslecascontraire,queferait-il?

Laréponseavaitjaillidanssonespritavantmêmequelaquestion

n'aitfinideprendreforme.LesCoultern'étaientpashommesàfuir

leursresponsabilités,etunenfantétaitlaplusgrandedetoutes.Iln'y

avaitpas«si»nide«mais»quitiennent.Ildevaitretrouver

Charlie.Letoutétaitdesavoircomment.

Lesoirmême,àdixheures,HankretournaauChaps.Àce

moment-là,l'affluenceétaitàsoncomble.Àpartirdeonzeheures,

descouplescommençaientàseformeretàs'éclipserpeuàpeu.

Entre-temps,Hankvoulaitparleravecunmaximumd'habituésen

espérantquel'und'euxconnaîtraitCharlie.

Deboutprèsdesportes,ilparcourutlafouleduregarddansl'espoir

delavoir.Unnuagegris-bleuflottaitau-dessusdestables.L'odeur

delabière,duwhiskyetdelasueurluiparvint,accompagnéedela

cacophoniedesvoixquiluttaientpoursefaireentendrepar-dessus

levacarmedelamusique.Detempsàautre,uneobscénitéfusaitde

larumeurcommelerefluxd'unégout.

Àprésentqu'ilétaitlà,lessouvenirsdeHankseprécisaient.Iljeta

uncoupd'œilendirectiondelatablequeCharlieavaitoccupée,et

serapellaqu'elleavaitavouénepassavoirdanser.Ilavaitcruqu'elle

parlaitdelacountry,maismaintenantilsedemandaitsielleavait

jamaisdansé.Pareilpouruntasd'autreschoses...Àunmoment

donné,ilavaitcraintqu'ellen'aitpasl'habitudedeboiredel'alcool

fort.Ilavaitaussiremarquéunecertainehésitationdanssaréaction

quandill'avaitembrassée.Ilgrimaçaàcesouvenir.Avait-elledonc

passésaviedansuncouvent?

Ilregrettaitamèrementd'avoirtantbulaveille.S'ilavaitétésobre,il

auraitcomprisquequelquechosenetournaitpasrondetnel'aurait

jamaistouchée.

Avecdes«si»...Ilneservaitàriendeseperdreenregrets.Ils'était

saoulé,etill'avaittouchée.Pointàlaligne.

Ilfitletourdelasalle,s'arrêtantàchaquetablepourselancerdans

lemêmediscours,demandantsiquelqu'unconnaissaitlajeune

femmeblondeavecquiilétaitlaveille.Malheureusement,aucunde

ceuxàquiilposalaquestion,nimêmeGary,lebarman,nel'avait

vueauparavant.Espérantqu'ellereviendraitpeut-être,Hanklaissa

sescoordonnéesàGarypourqu'ilpuissel'avertiraucasoù.

Enquittantlebar,ilseretournasurleseuilunedernièrefois.Depuis

desmois,cetendroitavaitétéunesortedesecondchezlui.

Maintenant,ilsedemandaitpourquoiilyétaitvenusisouvent.

Ilsortit,etunefoishorsdelazoneilluminéeparl'enseigne,s'arrêta

pourscruterleciel.Commedesdiamantssurduveloursnoir,des

milliersd'étoilesscintillaientau-dessusdelui.Enfant,ilavaitaimé

s'asseoirsurlavérandaavecsongrand-pèreMcBridepourles

contempler.Levieilhommel'avaitsouventmisaudéfidechoisirla

plusbrillante,dedétournerleregardetd'essayerdelaretrouver

ensuite.Jamaisiln'yétaitparvenu.

Enserait-ildemêmeavecCharlie?CrystalFalls,banlieue

comprise,comptaitplusdecentcinquantemillehabitants.Sansnom

defamille,autantchercheruneaiguilledansunemeuledefoin.Pour

compliquerletout,Charlierisquaitfortden'êtrequ'unsurnom.

Sonseulespoirétaitqu'ellerevienneauChaps,maisiln'ycomptait

guère.Ilneluirestaitplusqu'às'enremettreaudestin,songea-t-il.

Aprèstout,ilavaitfaittoutcequiétaitensonpouvoir.

3.

Cettenuit-là,Hankrêvaqu'ilétaitunvieilhomme,etqu'iltravaillait

toujoursauLazyJ.Audébut,lerêveétaitagréable.Ilétalaitdela

pailledansunbox,sesépaulesréchaufféesparlesoleilmatinalqui

entraitparlaportegrandeouverte.Ilétaitentouréparl'odeurdes

chevaux,réconfortéparlebruitdeleurssabotssurlesol,etceluides

jumentsquihennissaientdoucementdetempsàautre.

Commesouventdanslesrêves,iln'avaitaucunsouvenirdesavie,

hormislesentimentd'êtreâgéetd'avoirvécuheureux,auprèsdes

chevaux,ainsiqu'ilétaitnépourlefaire.Ilavaitunemerveilleuse

impressiondepaixetdesérénité.

Puisilperçutunbruitdemoteur.Unevoitures'arrêtaau-dehors.Il

seredressaettenditl'oreille.Uneterribleappréhensionl'envahit

sansqu'ilsachepourquoi.Ilposalafourchecontreunmuret

remontal'alléecentraleavecuneanxiétécroissante.Quelquepartau

fonddelui,ilavaitconsciencederêverets'ordonnaitdeseréveiller,

maissoncerveauinsistaitpourjouerlascène.

Unjeunehommebrun,élancé,venaitdedescendred'unevoiture

rougeetpoussiéreuse.AusondespastraînantsdeHank,ilse

retournaetlefoudroyadesonregardbleu.Leregardd'unCoulter.

Hanknel'avaitjamaisvu,maisilsavaitquec'étaitsonfils.

Vingt-cinqanss'étaientécoulésdepuiscettenuitauChapsoùHank

avaitdéfloréuneviergeets'étaitévanouiavantdepouvoirlui

demandersonnomdefamille.

—Quepuis-jepourvous?demanda-t-il.

Lejeunehommeletoisaavecmépris.

—JechercheHankCoulter.

Hankpercevaitsacolèreetsavaitqu'elleéclateraitdèsl'instantoùil

luirévéleraitsonidentité.

—C'estmoi.

Legarçonserralespoingsets'avançaverslui.

—Espècedesalopard!

Hankvitvenirlecoup,maisnefutpasassezrapidepourl'esquiver.

Lorsqu'ilatterritdanslapoussière,ildemeuraimmobileensongeant

stupidementquesonfilsavaitunboncrochetdudroit.Iltenaitdes

Coulter,indéniablement.

—Jevoulaismeprésenter.Jem'appelleHank.Mamèrem'aappelé

commeçaensouvenirdusalaudquinem'ajamaisdonnésonnom.

*

Hanktressaillitetseredressabrusquement.Unrêve.Cen'étaitqu'un

rêve.Pourtant,ilavaitsemblésiréel!Soncorpsétaittrempéde

sueur.Ilbataillapourselibérerdesdrapsquiluicollaientàlapeau

etsautaàbasdulit.Aspirantl'airàgrandesgoulées,ilsetintau

centredelachambre,lecœurbattantàtoutrompre.

Lentement,laréalitéserefermasurlui.Ilselaissatombersurle

borddulitetsepritlatêteentrelesmains.Lessouvenirsdéfilaient

danssonespritcommelesscènesd'unfilm.Charlie,étenduesous

lui.Àladernièreseconde,encomprenantqu'elleétaitvierge,il

s'étaitretiré,maistroptard.

Ilavaitl'horriblesentimentquelerêveétaitprophétique,qu'ilavait

commisl'impensableetengendréunenfantillégitime.

*

Encoretoutensommeillée,Carlys'assitdansl'undesfauteuilsdu

salonetramenasesjambessouselle.Auxpremièreslueursde

l'aube,raresétaientlessonsquivenaienttroublerlesilencede

l'immeuble.Mêmelecarillonaccrochésouslavérandanetintait

pas.Carlys'étaithabituéeàsamusiquedepuisqueBessetelle

avaientemménagédanscetappartement,troissemainesplustôt.

Dansuneheureoudeux,laplupartdesvoisinscommenceraientà

s'affairer.Certainspartiraientautravail,d'autresiraientpromener

leurpetitchiendanslejardinherbeuxtoutproche.Maispourle

moment,Carlyavaitl'impressiond'êtrelaseulepersonneéveilléeau

monde.Ellen'entendaitmêmepasdevoituresdanslarue,pourtant

fréquentéedurantlajournée.

Elleavaitalluméunebougiepourchasserlesombresetlemauvais

rêvequil'avaitréveillée.Malheureusement,lalueurvacillantene

parvenaitpasàlaréconforter.LevisagedeHankCoulters'imposait

régulièrementàsonespritet,chaquefois,unmélanged'humiliation

etdehonteluibrûlaitl'estomaccommedel'acide.

Elledécidad'allerboireunverredelait.Peut-êtrecelacalmerait-il

sadouleuretsesnerfs.Marchantsurlapointedespiedspournepas

réveillerBess,elleseglissadanslacuisine.Elleétaitentraindese

servirquandlavoixdesonamies'élevaderrièreelle.

—Qu'est-cequetufabriques?

Surprise,Carlysursautaetrenversadulaitsurleplandetravail.

—Bess!Maisquefais-tudebout?

Sonamieappuyasurl'interrupteurdunéon.Éblouie,Carlygrimaça

etétrécitlesyeux.

—Faut-ilvraimentquetuallumes?

Bessmarmonnaquelquechoseàproposdevivrecommedes

vampiresetreplongealacuisinedanslapénombre.

—Combiendetempsfaudra-t-ilpourquetesyeuxsoientcapables

desupporterunelumièrenormale?

—Encorequelquesjours.Jesaisquecen'estpasdrôle,maisj'ai

encoredesproblèmesaveclalumièrevive,réponditCarlyen

recommençantàverserdulaitdanslatasse.Jesuisdésoléede

t'avoirréveillée.Ilfautqu'ondemandeaupropriétairederéparerla

porteduréfrigérateur.Ellegrince.

—Retiretondoigtduverre!ordonnaBess.Tun'esplusaveugle.

Carlyrepliasondoigtautourdelatasse.

—Tunepeuxpasentraînertoncortexvisuelàfonctionnersitune

t'enserspas,tusais,repritsonamie.

—Tuesdemauvaisehumeur...Situretournaistecoucher?

—Grâceàtoi,jesuistoutàfaitréveillée,répliquaBessenétouffant

unbâillement.Tun'aspasréponduàmaquestion.Pourquoies-tu

déjàlevée?

Carlyremitlelaitdansleréfrigérateuretessuyaleplandetravail.

—Quelleheureest-il?

Bessjetauncoupd'œilàsamontre.

—Àpeinecinqheures.C'esttadeuxièmenuitblanche,Carly.Que

sepasse-t-il?Situveuxquenousparlionsdavantagedecequis'est

passél'autresoir,çanem'ennuiepasdet'écouter.

Aprèsavoirprissatasse,Carlypassadevantsonamieetregagnale

salon.Besslasuivitets'installasurlecanapé.Elles'adossaàun

coussin,remontalesjambesetnoualesbrasautourdeseschevilles.

Àlalueurdelabougie,lespâlestraînéesdel'aubeéclairantlavitre

derrièreelle,sescheveuxbrunsressemblaientàunecapedesoiesur

sesépaules.

Entempsnormal,CarlypouvaittoutdireàBess.Là,c'était

différent.Certainsdétailsdel'incidentavecHankCoulterétaientà

lafoistroppersonnelsethumiliants.Elleposasatasseettirasur

l'ourletdesachemisedenuit.

—Jesuisunpeuinquiète,avoua-t-elle.JenecroispasqueHankait

utilisédepréservatif.

Bessécarquillalesyeux.

—Tun'enespassûre?

Carlysecoualatête.Bessétaitdéjàaucourantpourlescalmantset

l'alcool;ilétaitinutiled'enreparler.

—Jenemerendaispasbiencompte...Jemesouviensqu'ils'est

penchépar-dessuslesiègepourprendrequelquechose,maisjecrois

qu'ill'apeut-êtrelaissétomber...ouqu'ilachangéd'avis.

Visiblementsoucieuse,Bessfronçalessourcils.

—Oh!Carly...,murmura-t-elle.Etsituétaisenceinte?

L'estomacdeCarlyseretourna.C'étaitexactementcequ'elle

redoutait.

—Çaaététrèsbref,marmonna-t-elle.Peut-êtrequ'ilnes'estrien

passé.

—Etsic'estlecontraire?Situesenceinte?Sais-tucommentle

contacter?

Carlyredressalementon.

—Jenecomptepasl'avertir,sic'estceàquoitupenses.J'espère

biennejamaislerevoir.

—Situesenceinte,auras-tulechoix?

—Ils'estmisàjurer,luirappelaCarly.Après,jemesuissentiesi

salie...legenredesouillurequinepeutjamaiss'oublier.Jenelui

doisrien.Strictementrien.

—Peut-êtrequenon,maisluiaunedetteenverstoi.D'ailleurs,un

hommealedroitdesavoirqu'ilaengendréunenfant,ettoutenfant

aledroitdeconnaîtresonpère.Ilfaudraquetulecontactes.

—Jenesuispasenceinte.C'estimpossible.Alorsmêmequ'elle

prononçaitcesmots,Carlysutqu'ellesementaitàelle-mêmeen

essayantdeseconvaincredecetteimpossibilité.

—Avoirunenfantbouleverseraitmesétudes,etmêmelecours

entierdemavie.Çanepeutpasarriver!insista-t-ellemalgrétout.

Bessécartalescheveuxquiluitombaientdanslesyeux.

—Espéronsquenon.

Carlyprituneprofondeinspiration.

—Aumoins,celam'auraapportéunechose:jenesuisplusla

dernièreviergedevingt-huitanssurterre.

Besseutunpetitrirenondénuéd'inquiétude.

—C'estvrai.D'icipeu,tuserasplusexpérimentéequemoiettume

donnerasdesconseils.

Carlysecoualatête.

—Unefoism'asuffi,merci.Àmonavis,lesplaisirsdusexesont

largementsurestimés.

—Ças'amélioreavecletemps.Lapremièrefoisestrarement

extraordinaire.

—Siçanet'ennuiepas,jemecontenteraidetecroiresurparole.

Ellen'avaitaucuneenviederetenterl'expérience.

4.

Sixjoursplustard,Carlyfutréveilléeparunaccèsdenausée.

LorsqueBesslatrouvaàgenouxdevantlacuvettedestoilettes,elle

semitàluiépongerlevisageàl'aided'unlingehumideenrépétant«

Ohnon!»commeuneprière.

—Cen'estquelagrippe,parvintàarticulerCarlyentredeux

haut-le-cœur.Lesnauséesnecommencentpassitôt,si?

—Çadépend.

Besss'assitsurlesol,calantsondoscontreleplacard.

—Certainesfemmesenontdèsledépart.

Sesentantunpeumieux,Carlys'assitsursestalons.

—Histoiredenepasprendrederisques,poursuivitBess,nous

devrionspeut-êtreappelerleDrMerrickpournousassurerqueles

médicamentsquetuprendsnepeuventpasnuireaubébé.

—Quelbébé?

Carlyserralespoingscontresesgenouxetplissalesyeuxpour

regardersonamie,dontlestraitsétaientdevenusflous.

—Iln'yapasdebébé,Bess.C'estimpossible.Uneautrenauséela

submergeant,Carlysepenchadenouveausurlacuvette,latête

entrelesmains.

—MonDieu!Quevais-jefaire?Jen'aipasdefièvre.

Normalement,aveclagrippe,onadelafièvre...

Bessposalamainsursonépaule.

—Bon.Pourcommencer,nousn'allonspascéderàlapanique.

—C'estsansdoutequelquechosequej'aimangé,ditCarly

faiblement.

—C'estpossible,acquiesçaBessd'untoncalmeetrassurant.La

nauséepeutêtreprovoquéepartoutessortesdechoses.Nousallons

attendredevoircequisepasse.Sitesrèglessontenretardetsitu

continuesàtesentirmalade,tudevrasfaireuntestdegrossesse.

Carlyavaitdumalàcroirequ'ellevivaitcettescène.

—Dansl'intervalle,repritBess,ilmesemblequ'ilseraitsagede

téléphoneràtonmédecinpourluidemanderdansquellemesureun

fœtuspourraitaffectertavue.Ladystrophiegrillagéeestune

maladiesirarequ'onnesaitjamais.Jenedispasqu'ilyaunbébé!

sehâta-t-elled'ajouter.Jepenseseulementqu'ilvautmieuxparerà

touteéventualité.

—D'accord.

Carlyseredressaavecprécaution.Leboutondelachassed'eau

semblaitflotterdevantelle,sonrefletmétalliquedécrivantunarc

scintillant.

—Jevoisflou.

Besssepenchaetécartauneboucledecheveuxquitombaitsurles

yeuxdeCarly.

—C'estmieux?

—Non.

Carlypressalesdoigtscontrelabasedesoncou,fermalesyeuxet

pritplusieurspetitesinspirations.

—Jesuissûrequ'iln'yapasmatièreàs'inquiéter,affirmaBess.Le

médecint'aavertiequ'ilyauraitdespériodesoùtuverraisflou.

Seremémorantlesmisesengardeduspécialiste,Carlyhochala

tête.Cesaberrationsvisuellesrisquaientdel'affecterfréquemment

durantlestroispremiersmois.C'étaitpourcetteraisonqu'elleavait

choisidesubirsapremièrekératectomieàlafindumoisdemai.

Ainsi,sesproblèmesdevueseraientpourl'essentielréglésavant

qu'ellenereprennesesétudesenseptembre.Parlasuite,étantdonné

quelesaméliorationsapportéesparl'interventionnedureraientpas

éternellement,elleauraitsansdoutebesoind'uneautreopération.

Quelquesminutesplustard,Besslaprécédaitdanslacuisine.Après

avoircomposélenuméroduspécialisteàPortland,elleluitendit

l'appareil.

Lemédecinfutconsternéd'apprendrequeCarlyétaitpeut-être

enceinte.

—Sivousenvisagiezd'avoirunenfant,vousn'auriezjamaisdû

subirlapremièreintervention,dit-ilsèchement.Unegrossessepeut

aggraverlessymptômesdeladystrophiegrillagéeetécourterles

effetspositifsdel'intervention.

—Jevois...,murmuraCarly.

Merricksoupira.

—J'auraisdûinsisterdavantagesurlesdangerspotentielsd'une

grossesse.Maisvousm'aviezdonnél'impressionquevousn'étiez

passexuellementactiveetqu'iln'yavaitpasàs'inquiéterpourcela

dansl'immédiat.J'avaisl'intentiondevousenparlerplus

longuementlorsdevotreprochaineconsultation.

Carlysesouvenaitdelaconversationàlaquelleilfaisaitallusion.Il

avaitraison,biensûr.Elleavaitditqu'ellevoulaitrecouvrerlavue

avantd'entreprendresesétudesdemanièreàavoiruneviesociale

plusnormaleet,peut-être,unerelation.

—Lescirconstancesontchangé,balbutia-t-elle.Jen'avaisrien

planifiédetel,docteurMerrick.C'est...arrivé,voilàtout.

—Jevois.

Ilyeutunfroissementdepapiersàl'autreboutdufil,suivid'unbref

silence.

—Sivousêtesenceinteetsivotreétatécourteleseffetsdela

kératectomie,jevousdéconseillefortementdesubirunenouvelle

opérationavantlanaissancedel'enfant.

Carlyavaittellementmalàlatêtequ'elleavaitdumalàréfléchir.

—Voulez-vousdirequejerisquederedeveniraveugleavant

l'arrivéedubébéetquevousnepourrezrienyfaire?

—Sileseffetsdelakératectomiesedissipentrapidement,cela

indiquequetouteinterventiondurantlagrossesserisqued'être

inefficace.Vousnepouvezavoirqu'unnombrelimitéd'opérations

etdegreffesdecornée.Àquoibonengaspillertouteunesériesi

vousêtesenpleinerechute?Celareviendraitàjeterparlafenêtre

desannéesdevue.

Carlycomprenaitsonraisonnement,maiselleavaitdumalà

l'accepter.

Lemédecins'éclaircitlagorge.

—Pourl'instant,vousn'êtespasabsolumentcertained'être

enceinte,c'estcela?

—Eneffet.

—Lemieuxseraitd'allerfaireuneprisedesang.Vousaurezle

résultattrèsvite.

Carlyentenditdenouveauxfroissementsdepapier.

—Voilà,dit-ilauboutd'uncourtmoment.L'hôpitalSt.Luke,à

CrystalFalls.Jevaisleurenvoyerunfaxcetaprès-midietvous

pourrezyallerpouruneprisedesangdèslundimatin.Commecela,

noussauronsàquoinousentenir.

—Entendu,réponditCarly,lamortdansl'âme.

—Enattendant,nevousinquiétezpastrop.Ilnesertàrien

d'envisagerlepire.Unegrossessepeutaffectertrèsvitecertaines

patientes,alorsqued'autresneconnaissentquetrèspeude

problèmes.Vousferezpeut-êtrepartiedecellesquiontdela

chance.

—J'aidumalàvoirnettement.Lesobjetsdeviennentflous.

—Avez-vousconsultélemédecinquejevousairecommandéà

CrystalFalls?

Unnouveaubruissementdepapier.

—Ahoui.J'ailacopiedesonrapport.D'aprèslui,toutsemblait

normal.C'étaitilyadixjours.

—Oui.

—C'estunexcellentspécialiste,toutàfaitqualifiépouridentifier

d'éventuelsproblèmespostopératoires.Lavisionflouequevous

avezencemomentestsansdouteparfaitementnormale.Mêmesi

votrecornéeestenvoiedeguérison,votrecortexvisueln'apas

encorel'habituded'absorberetd'assimilertoutcequevousvoyez.

Parconséquent,ilvaavoirdesdéfaillancesdetempsentemps.Il

n'estpasraredefixerunobjetsanslevoir,parexemple.Oudevoir

quelquechosequin'estpaslà.Songez-ycommeàunenouvelle

mémoiresurlaquellevousaveztrèspeudecontrôle;commedans

lesrêves,desimagespeuventvousvenirauhasard.

Carlyavaitdéjàfaitl'expériencedevoirdeschosesquin'existaient

pas.CommelatendressedanslesyeuxdeHankCoulter...

—Avecletemps,votrevuevas'améliorer,assuralemédecin.Vous

aurezencoredumalàremarquerlesdétails,leschosesà

l'arrière-plan,etvotreprofondeurdechampseratoujourslimitée,

maisvousverrezplusnettement.Ilfautseulementdonneràvotre

cortexvisuelletempsdes'adapter.

—Sijesuisenceinteetquecelaauneffetaggravantsurma

maladie,combiendetempsfaudra-t-ilpourquejeredevienne

aveugle?

Visiblementalarméeparlatournurequeprenaitlaconversation,

Besss'approchadeCarly.

LeDrMerrickneréponditpastoutdesuite.

—Iln'yapasderéponsestandardàcettequestion,admit-ilenfin.

Toutdépenddelapatiente,delasévéritédelamaladieetd'unefoule

d'autresfacteurs.Vousneremarquerezpeut-êtreaucunchangement

avantdesmois,toutcommeilestaussipossiblequevousperdiezla

vuetrèsvite.

—Sicelaseproduit,docteur,combiendetempsdevrai-jeattendre

avantqu'onm'accordedenouveauuneallocationd'invalidité?

—Dansl'étatactueldelalégislation,vousnepourrezplusêtre

considéréecommeaveugletantquetouteslespossibilités

chirurgicalesn'aurontpasététentéespourrectifierleproblème.

Autrementdit,vousneserezdenouveauconsidéréecomme

non-voyanteparlesystèmequ'aprèsl'échecdunenouvelle

kératectomieetd'unegreffedecornée.

Chancelante,Carlys'appuyaauplandetravail.

—Celaparaîtinjuste!Sijedeviensaveugleetsijenepeuxpas

subird'opérationavantlanaissancedubébé,commentpourrai-je

retourneràl'universitésansaidefinancière?

—Jecomprendsvotredésarroi,maiscen'estpasmoiquiétablisles

lois,réponditlemédecin.Maisn'allonspasimaginerlepireavantde

savoirsivousavezdesraisonsdevousinquiéter.Parmesurede

précaution,vousdevriezarrêterdeprendrelescalmantsquejevous

aiprescrits.Avecunpeudechance,voscornéessontassez

cicatriséesàprésentpourquedesgouttessoientsuffisantes.

Lorsqu'elleraccrocha,Carlyétaitsouslechoc.

—Ehbien,c'étaituneconversationpourlemoinsdéprimante,

annonça-t-elleàBessavantdeluirésumerbrièvementcequ'avait

ditlemédecin.Sijesuisenceinteetsilagrossesseaffectela

kératectomie,jesuisfichuejusqu'aprèslanaissancedubébé.

Bessluipassaunbrasautourdesépaules.Ellesrestèrentimmobiles

unmoment,appuyéesl'unecontrel'autre.

—Situperdslavuedenouveau,ditenfinBess,ilfaudraquetu

fassesunedemanded'allocationpourresteràl'université.Jenepeux

pascroirequ'ilsteforceraientàsubirdeuxopérationsavantdete

l'accorder.

—C'estainsi...Jen'auraiplusqu'àrenonceretàreposerma

candidaturel'anprochain.

—Oh!Carly!Tuastravaillésidurpourenarriverlà!Situ

abandonnes,j'aipeurquetunereprennesjamaistesétudes.Avecun

enfantàélever,ilserad'autantplusimportantquetuaiestamaîtrise.

Nonseulementtuaurasplusdedébouchés,maistuserasmieux

payée.

—J'aimalicence,c'estdéjàça.

Unmaldetêteinsoutenableluimartelaitlestempes.

—J'auraimamaîtrise,Bess.D'unemanièreoud'uneautre.

Seulement,çaprendrapeut-êtrepluslongtempsquejenel'avais

escompté.

Elles'assitàlatable.

—Jen'arrivepasàcroirequ'unechosepareillesoitentrainde

m'arriver...

Lelendemainmatin,elleeutdenouveaulanausée.Àmesurequela

journées'avançait,ellesesentitmieux,cequiluiparutmauvais

signe.Elles'allongeasursonlit,pressantunemaincontreson

abdomen.Unbébé.Elleavaitdumalàcroirequ'uneviepouvait

commencerdemanièreaussisordide.Lesenfantsdevaientêtre

désirésetaimésparleursparents,etnonconsidéréscommedes

erreursoudesaccidents.

Jusque-là,Carlyn'avaitpasvraimentpenséaubébécommeàun

petitêtrehumain,avecdessentimentsetdesbesoins.Àprésent,elle

nepouvaitpluschassercetteimagedesonesprit.Unenfant.

Etmaintenantqu'ellesongeaitàcebébécommeàunindividu,elle

nepouvaitplussouhaiterqu'iln'existepas.Toutejeune,elleavait

rêvéd'avoirdesenfantsunjour.Àl'adolescence,lorsqu'elleavait

commencéàcomprendrequelesgarçonsnes'intéressaientpasàelle

àcausedesacécité,elleavaitrenoncéàsesrêvesdematernitépour

seconcentrersursondésirdedevenirinstitutricepourles

non-voyants.

Ellesepelotonnasurlecôtéets'entouralatailledesesbras,se

sentantsoudainprotectriceenverslariequigrandissaitpeut-êtreen

elle.

Bessentradanslachambreets'assitauborddulit.

—Àquoipenses-tu?

Carlyroulasurledos.

—Jesuisentraind'accepterlespossibilités,Bess.J'aidumalà

définircequejeressens,maisjepenseque...sijesuisenceinte,ilest

demondevoirenverslebébéd'êtreheureuse.Tantpissimavieest

chamboulée!Ceneseraitpaslafindumonde,aprèstout.

Besshochalatête.

—Jesuisd'accord.Ilnesertàriendebroyerdunoir.Situveux

gardercetenfant,nousdevonsêtrepositives.

Carlyfixaleplafond.Quelquesjoursplustôt,elleparvenaità

distinguerlemotifdesmoulures.Àprésent,elleenétaitincapable.

Elleespéraquec'étaitdûaumanquedeclarté.

—Commentpourrais-jefaireautrement?demanda-t-elle.Mamère

avaitquarante-troisansquandelleesttombéeenceintedemoi.Mes

parentsontdûenvisagerlapossibilitédemettrefinàlagrossesse.

S'ilsl'avaientfait,jeneseraispaslàaujourd'hui.

—C'estunedrôledepenséeàportertoutesarie...

Carlypromenalesdoigtssurledessus-de-litenchenille.

—Çam'apermisd'êtrecapabledeprendredurecul.Ilyaeudes

moments,àl'adolescencesurtout,oùj'aiétéamère.Jemeconsolais

enmedisantquej'auraistrèsbienpunepasexister.Bref,jesuis

vraimentcontentequemesparentsaientdécidédemegarder.

—Moiaussi.Lemondeneseraitpaslemêmesanstoi.

Carlysourit.

—Toi,tum'aimes,voilàtout.

Elledemeurasilencieuseuninstant.

—Çan'apasdûêtrefacilepoureuxd'avoirunenfanthandicapé.

Pourtant,jamaisilsnem'ontdonnél'impressionqu'ilsregrettaient

dem'avoireue.Jeleurenseraitoujoursreconnaissante.

—Jenesavaispasquetamèreétaitsiâgéequandellet'aeue,

commentaBess.Crois-tuquesonâgeaitétéunfacteurdansta

cécité?

—Peut-être.

Àvraidire,Carlys'étaitdéjàposélaquestion.Iln'yavaitaucun

antécédentdecataractecongénitaleoudedystrophiegrillagéedans

safamille.

—Peuimporte,reprit-elle.Cequicompte,c'estlaqualitédevieque

j'aieue.Çaaétédur,parfois,maisjemesuisbeaucoupamusée

aussi,etjesuisprêteàcroquerl'aveniràpleinesdents.Celaétant,

commentpourrais-jerefuseràmonbébélachancequemesparents

m'ontdonnée?

—Jecomprends,Carly.Tun'aspasàtejustifier.Jenecroispasque

j'envisageraisunavortementmoinonplus.

Bessluilançaunregardespiègle.

—D'ailleurs,j'aitoujoursvouluêtretata.Ceserarigolodegâterun

bébéetdetelaissergérerlesconséquences.

Carlysemitàrire.

—C'estcequetucrois.Nousvivronssûrementencoreensemble.

—Flûte!Jen'avaispaspenséàça!Tuasraison.Jedevrais

peut-êtreyréfléchiràdeuxfois.

—Certainementpas.Jeveuxquemonbébéaitunetatapourle

gâter.Jen'enaijamaiseu;mamèreétaitfilleunique,etleseulfrère

demonpèreavaitététuéauVietnam.Etcommejesuisvenuetard,

jenaijamaisconnumesgrands-parents.

—C'esttriste.

—Quandonn'ajamaiseuquelquechose,celanevousmanquepas.

—TonbébéauraCricketetmoipourtatas,assuraBess.

LamentiondeleuramieCricketfitnaîtreunnouveausouriresurles

lèvresdeCarly.ElleavaitgrandientouréedeBessd'uncôtéetde

Cricketdel'autre.Touteslestroisétaientdumêmeâge.Devenues

inséparablesàlacrèche,ellesétaientcommedessœursdepuis.

—Jevoudraisbienqu'ellesoitlà.Jesuisraviequ'elleaitétéchoisie

pourparticiperàcesfouillesarchéologiquesenColombie,maiselle

memanque.

—Jetepariequ'ellenagedanslebonheur,réponditBessd'unton

songeur.Jusqu'auxcoudesdanslapoussière,entrainderêver

qu'ellevafaireladécouvertedusiècle.

—Elleatoujoursadorésesalir!ajoutaCarlyensecouantlatête.

Mêmequandonétaitpetites,ellecreusaitpartout.Tutesouviens

desosqu'elleavaitdéterrésdansleparterredeMmeKirkpatrick?

—J'avaispresqueoublié!Ellepensaitquec'étaitundinosaure.En

fait,c'étaitlatombedudogueallemanddeMmeKirkpatrick,etnous

avonsétépuniestouteslestrois.

Bessgloussa.

—Quandj'ypense,nousformonsundrôledetrio!Une

économiste,uneenseignanteetunearchéologue.C'estàse

demandercequ'onaencommun!

—C'estvrai,etjepariequ'ondépenseraitunefortuneentéléphone

sionpouvaitlajoindre.Dommagequesonportablenefonctionne

paslà-bas.

—Elleteferaitlaleçonpendantunedemi-heure,etensuite,elle

voudraittoutsavoirsurHank!

CarlynevoulaitmêmepaspenseràHank.Pourtant,sielleattendait

réellementunenfant,ellesavaitqu'elledevraitaumoinsl'avertir.

—Tul'asvudeprès,Bess?

—Desuffisammentprès.Pourquoi?

—Ilestbeau?

Besseutunrirestupéfait.

—C'estàmoiquetuposeslaquestion?

—Tusaistrèsbienquejenesaispasjugerduphysiquedesgens.

Quandonaétéaveugletoutesavie,labeautéestunconcept

difficileàsaisir.

—Cen'estpeut-êtrepasunemauvaisechose,réponditBess.Nous

sommestoussoumisàunvéritablelavagedecerveau.Lesmédias

nousimposentcertainscritèresdebeautéquenoussuivonstous

commedesmoutons.Jecroisqu'ilseraitpréférabledenepasavoir

depréjugés.

—Demonpointdevue,c'esttrèsdéroutant.Hankm'apluet,surle

moment,riend'autrenem'aparuimportant.Maintenantquejevais

peut-êtreavoirunbébé,ilfautquejesaches'ilest...beauou

seulementordinaire.

—Etsijetedisqu'ilestlaidcommeunpou?

—Jeseraiinquiète.Jevoudraisquemonbébéaitdebonsgènes.

—Ilestséduisant,affirmaBessd'untonrassurant.Trèsséduisant.

Tun'asvraimentaucunsouciàtefairedececôté-là,monchou.

Carlysedétenditunpeu.

—Tantmieux.Çaveutdirequemonbébéaunechancesurdeux

d'êtrebeau.

—Unechancesurdeux?Tun'espasexactementunlaideronnon

plus!Hankettoiallezfaireunbébémagnifique.

Carlysourit.

—Jel'espère.

—Çanepeutpasrater.

LevisagehâlédeHanks'imposaàl'espritdeCarlyetunnœudse

formadanssagorge.

—Çava?demandaBessenlaregardant.Situasbesoind'enparler,

jesuistoujoursprêteàt'écouter,tusais.

Carlysetournasurlecôtéetposalatêtesursonbrasreplié.

—Jesupposequecequim'ennuieleplus,c'estd'avoirétési

incroyablementnaïve.

—Tun'étaispasenétatderéfléchir,luirappelaBess.Untypem'a

ditauChapsquesionpeuttermineruncocktailmaisonetrester

lucide,onadesboissonsgratuitestoutlerestedelasoirée.

—Hankm'aavertiequec'étaitfort,maisjen'aipasréaliséàquel

point.J'aicruquetoutiraitbienaconditiondeleboiredoucement.

—Jecroisquec'estpratiquementdel'alcoolpur!sexclamaBess.

C'estunmiraclequetuaiesencoretenudebout.

—Entoutcas,j'étaisincapablederéfléchirintelligemment.Je

n'auraisjamaisdûsortirdubaraveclui,maisbizarrement,toutmon

bonsenss'étaitenvolé.Jesupposequej'aidûmedirequej'avais

trouvéquelqu'und'exceptionnel...

—Oh!monchou!

—Jen'aiplusdepeine,assuraCarlyavecunsourireforcé.Je

t'assure.Maintenant,jemesenshumiliée,c'esttout.

—Noussommestousnaïfs,audébut,lesgarçonsaussibienqueles

filles.Ilfautavoireulecœurbriséquelquefoispourvoirleschoses

plusclairement.

—Peut-être.

Personnellement,CarlyavaitdumalàcroirequeHankCoulterait

puavoirlecœurbrisé.Sicequ'avaitditBessétaitexact,ilavaitsans

douteprofitédesonphysiquetoutesavie.

—Jenesaisqu'unechose:jeneveuxjamaisrevivreune

expériencepareille.

—Toutlemondeenpasseparlà.Tuchangerasd'avis.

Carlyendoutaitsincèrement.

Lelundimatin,BessconduisitCarlyàl'hôpitalpoursontestde

grossesse.Aprèslaprisedesang,onluiexpliquaqu'onlui

téléphoneraitlelendemainpourluicommuniquerlerésultat.

L'appelvintpeuavantmidilemardi,pendantqueBessétaitpartieà

unentretien.QuandCarlyraccrocha,elletremblaitdetousses

membres.Envisagerlapossibilitéd'êtreenceinteétaitunechose.En

avoirlaconfirmationétaitbiendifférent.

Uneheuredurant,elleerradepièceenpièce,cherchantàs'occuper

etànepasressassersesinquiétudes.Àboutd'idées,ellepritles

livresqu'elleavaitcommandésavantsonopérationafinde

développersoncortexvisuel.Aprèsavoirpasséunedemi-heureà

fixerdesimagesdansuneencyclopédie,luttantpourdéchiffrerles

sous-titres,elleavaitenviedehurler.Elleétaitenceinte!Bientôt,

elledevraitassumerlaresponsabilitéd'unenfant,etelleétaitassise

là,àregarderbêtementunlivre.Elleéprouvaitlebesoind'agir,mais

pourfairequoi?Elleseraitincapabledetravailleravanttroismois

aumoins.

Finalement,elleattrapaseslunettesdesoleiletquittal'appartement

pourallerfaireunepromenade.Celaluipermettraitdestimulerson

cortexvisueldemanièreplusactive.Au-dehors,elletressaillaitau

moindremouvementinattendu-unevoiturequipassait,unoiseau

quis'envolait,unebrancheagitéeparlevent.Non-voyante,elle

avait\écudansunmondegrisetdépourvudemouvement,etilétait

extrêmementdifficiledes'habitueràroutel'activitéquisemblait

normaleauxvoyants.Lesimplefaitdebaisserlesyeuxenmarchant

représentaitundéfi.Letrottoirsemblaitflottersoussespieds,etelle

étaitprisedevertige.

Àquelquesruesdesonimmeuble,Carlypassadevantle

supermarchéetlepetitcentrecommercialoùBessetellefaisaient

leurscourses.Trouverunappartementàproximitédescommerces

avaitétéuneprioritépourellesafinqueCarlynesoitpasbloquéeà

lamaisonenl'absencedeBess.Lesupermarchéfaisaitfaceàune

artèrefréquentée.Carlys'arrêtaaucoindelarueetregardadesdeux

côtés,hésitantàtraverser.Ets'ilyavaitunevoiturequ'ellenevoyait

pasousilesvoituresétaientbeaucoupplusprèsqu'iln'yparaissait?

ElleseremémoralesmisesengardeduDrMerrick.Soncortex

visuelrisquaitdeluijouerdestourspendantquelquetemps.Elle

décidadefairepreuvedeprudenceet,jugeantlesruessecondaires

moinsdangereusespourlespiétons,tournaàgauche.

Perduedanssespensées,Carlynesavaitpasdepuiscombiende

tempsellemarchaitlorsqu'ellearrivaàhauteurd'unvasteterrain

entouréd'uneclôturemétallique.Àl'intérieur,desblocsdeciment

etdepierresculptéeétaientéparpilléssurdegrandespelouses.

Jamaisellen'avaitrienvudetel.

Curieuse,ellerésolutdenepasfairedemi-touravantd'avoir

découvertcequ'étaitcetendroit.Finalement,elleatteignitunportail

imposant.Uneinscriptionselisaitsurl'entréeenformed'arche:

CimetièredeRoseHill.IlfallutàCarlyquelquesinstantspour

déchiffrerleslettres.Uncimetière?Elleretintunfrisson,regardant

lespierrestombalesàtraverslaclôture.Tantdemorts!Jamaiselle

n'avaitimaginéqu'ilpuisseyavoirtantdetombesenunseul

endroit.

Cetteprisedeconsciencelaréconfortaétrangement.Certes,elle

avaitdesproblèmes.Lorsqu'ellepensaitauxconséquencesdesa

grossesse,ellesesentaitprisedepanique.Cependant,elleétait

jeuneet,hormissessoucisdevue,enbonnesanté.Mêmesielle

redevenaitaveugleetsiellenepouvaitobtenirsamaîtrise,elleavait

salicenceenpoche.Danslepiredescas,ellepourraitretournerdans

larégiondePortlandetychercherunposted'enseignante.Lesalaire

neseraitpasmirobolant,etelletireraitprobablementlediableparla

queue,maisavecletempsetl'ancienneté,sasituationfiniraitpar

s'améliorer.Dansl'intervalle,ellesedébrouillerait.Lebébéetelle

s'ensortiraient.

Cesoir-là,Bessrentrad'humeursombre.Ellen'avaittoujourspas

obtenudetravail.

—Cen'estpascommesijecherchaisunposted'avenir!

grommela-t-elleenseservantunverredethéglacé.Jesuisprêteà

acceptern'importequoi,mêmeuneplacederéceptionnisteou

d'employéedebureau.Certainsmedisentquejen'aipasassez

d'expérience,d'autresmejugenttropqualifiée.Vacomprendre.Je

commenceàcroirequejenevaisjamaisrientrouver.

—Maissi,assuraCarly.Ceneserapeut-êtrepascequetuespères,

maistoutvas'arranger.

ElledécidadegardersanouvellepourelleafindelaisseràBessle

tempsdesedétendre.Finalement,elleenparlaaucoursdudîner.

—Onm'aappelée,cematin,pourmedonnerlesrésultatsdemon

test.

Consternée,Besscessademanger.

—ÔMonDieu!J'étaistellementdépriméeparmonmanquede

succèsquej'avaiscomplètementoublié.Qu'est-cequ'ilsontdit?

—Jesuisenceinte.

Laréponsesemblaflotterdansl'airpendantuneéternité.Carlyse

mitàpousserduboutdesoncou-Eaulesharicotsvertsdansson

assiette.

—Ilsensontsûrs?demandaenfinBess

Aprèsavoirposésaserviettesurlatable,Carlyselevapouraller

chercherunverred'eau.Samaintremblaitlorsqu'elleouvritle

robinet.

—Jecroisqueletestestplutôtfiable,Bess.Etilestpositif.

Elleavaitl'estomacretourné,commelapremièrefoisqu'elleavait

faitunsautenparachuteavecCricket.

—Tunevaspasmeféliciter?

Ellebutunegorgéed'eau,puisreposaleverreets'essuyalesmains.

Sonrepasoublié,Besstraversalacuisinepourvenirl'étreindre.

—Oh!Carly!murmura-t-elle.Jenesaispasquoitedire.

Lesmainscrispéessurletorchon,Carlyenfouitlevisagecontre

l'épauledesonamie.

—Iln'yapasgrand-choseàdire,répondit-elleavecunsoupir

tremblant.Jesaisqueçavateparaîtrevraimentidiot...Mamèreest

morteilyaplusdedeuxans,mais...Oh!ellememanquetantence

moment!J'auraistellementenviedeluiparler!

—Veux-tuappelerlamienne?Unefoislacrisecardiaquepassée,

elleprendrasansdoutelanouvelleassezbien.

Carlyritfaiblement.ElleconnaissaitlamèredeBessdepuispresque

toujours,etcelle-cisemettaitdanstoussesétatsàlamoindre

occasion.

—JepourraisessayerdejoindreCricket.Quandelleseseraremise

duchoc,ellemediratoutcequejeveuxentendre.

Bessreculalégèrementetplantasonregarddanslesien.

—Nedevrais-tupasappeleruncertaincow-boyd'abord?C'estson

bébé,aprèstout.

5.

HankCoulterétaitbienladernièrepersonneàquiCarlyavaitenvie

deparler.Sachantqu'ellesemontraitpuérile,elleimplora

néanmoinsBessduregard.

—Tucroisvraimentqu'illefaut?

Bessluitapotadoucementledos.

—Oui,illefaut.C'esttondevoir.

Carlysecoualatête.

—Qu'est-cequejevaisluidire?«Salut!Tuvasbien?Oh!à

propos,jesuisenceinte!»Ets'ilrefusedecroirequecebébéestde

lui?

Besslevalesyeuxauciel.

—Jet'enprie!TuteseraistransforméedeviergeenLolitadujour

aulendemain?S'ilrefusedecroirequec'estsonbébé,c'estun

goujatetceserabondébarraspourtoietpourlebébé.L'important

estquetul'avertisses.

TrouverHankdansl'annuaireserévélapluscompliquéqueprévu.Il

yavaitplusieursCoulter,maisaucunavecceprénom.

—Jesupposequ'ilvafalloirlesessayertous...,murmuraBess.

EllelutlentementunnuméropendantqueCarlypressaitlestouches.

—Zut!marmonna-t-elleenappuyantsurlerécepteurpour

recommencerdezéro.Jen'avaisjamaiscegenredeproblèmequand

jenevoyaispascefichutéléphone!

—Laisse-moifaire,proposaBess.

—Non,ilfautquejem'habitue.Jeconnaisladispositiondes

chiffresparcœur,maismaintenantquetoutmesembleàl'envers.

—Toutestdifférentàprésent,luirappelaBess.S'illefaut,fermeles

yeux.

—Etmoncortexvisuel?Tuestoujoursentraindemeharceler

pourquejelestimule!

—C'estvrai,maiscomptetenudescirconstances,jepensequetu

peuxfaireuneexception.

Àvraidire,Carlyn'étaitpaspresséed'avoirHankà1'autreboutdu

fil.Ellepersévéra,fixantleclavier,s'efforçantdeliercequ'elle

voyaitauxformesqu'elleavaitapprisesautoucher.Toutdevint

flou,puissemitàsautillerdevantsesyeux.Découragée,elleferma

lesyeuxettenditl'appareilàBess.

—Peut-êtrequetudevraislefaire,aprèstout.Jenaivraimentpas

besoindeçamaintenant!

—Calme-toi.S'ildevientdéplaisant,tut'enmoques.D'accord?

—D'accord.

Besscommençaàcomposerchacundesnuméros,passantle

récepteuràCarlydèsquequelqu'undécrochait.Elleétaitarrivéeau

milieudelalistequandelleparlaenfinàunefemmequiditêtrela

mèredeHank.

—Je...euh...enfin,jesupposequ'onpourraitdirequejesuisune

connaissancedeHank,expliquaCarlyaprèss'êtreprésentée.Etj'ai

vraimentbesoindelecontacter.Avez-vousunnumérooùjepeuxle

joindre?

—Avez-voustéléphonéauranch?

—Je...non.Hankm'aparléduranch,maisilnem'apasdit

commentils'appelait.

—C'estcurieux,remarqualafemmed'untonsongeur.

—Oui,enfin...jesupposequ'iln'enapaseuletemps.

—Normalement,repritMmeCoulter,jenedonneraispascegenre

d'informationautéléphone.Maispuisquevousêtesuneamiede

Hank...

Carlyn'étaitpassûred'êtreuneamie,maiss'abstintdelepréciser.

EllesevoyaitmalexpliqueraMmeCoulterlanatureexactedeleurs

relations.Celle-ciluidictalenuméroetCarlylerépéta,faisantsigne

àBessdelenoter.

—Ilseraencoresurlesterres,àcetteheure-ciajoutaMmeCoulter.

Àcetteépoquedel'année,iln'arrêteguèredetravailleravantlanuit.

Maisengénéral,ilasontéléphoneportablesurluietvousdevriez

pouvoirlejoindre.Sinon,vouspouveztoujourslaisserunmessage

ouappelerleLazyJ.

—LeLazyJ.Trèsbien.Merci,madameCoulter.

Carlyraccrocha.BesssehâtadecomposerlenumérodeHankavant

qu'ellenechanged'avis.Carlycherchaàtâtonslamaindesonamie

quandlasonnerieretentitàsonoreille.Unevoixgraveluirépondit.

—Oui?

Carlydéglutit.

—C'estHank?

—Ouais,c'estHank.

CarlyadressaàBessunregarddésespéré.

—Je...euh...iciCarlyAdams.

—Qui?

UnfrissonglacéparcourutCarly.Àpeinecapabled'encroireses

oreilles,ellefermalesyeux.Depuisunesemaineetdemie,cet

hommehantaitsesrêves,etdepuisquelquesjours,ellepassaitle

plusclairdesontempsagenouilléedevantlacuvettedestoilettesà

causedelui.Etilnesesouvenaitpasd'elle?

L'espacedequelquesterriblessecondes,ellerestafigée,sans

réaction.Puisunevaguedefureurdéferlaenelle.Elleabattitle

récepteursursonsocleavanttantdeviolencequ'elleenressentitle

coupjusquedanslecoude.

—Qu'ya-t-il?demandaBesséberluée.Oh!Carly!Qu'a-t-ildit?

—Oui?

LevisagedeBessdemeuraperplexe.

—Quoi?

UnsanglotmontadanslagorgedeCarly.

—Qui!répéta-t-elled'unevoixsuraiguë.C'estcequ'iladit.Qui.Il

nesesouvientpasdemoi!

Bessdevintblême.

—Iladitquoi?

Carlyperdaitrarementsonsang-froid,maislacolèrequi

bouillonnaitenelleexigeaitd'êtreexprimée.Elles'emparadu

téléphoneetlejetadetoutessesforcesàtraverslepetitsalon.

—Ilpeutalleraudiable!

—Carly,calme-toi.Tuesenceinte,souviens-toi.Tunedevraispas

temettredanscetétat.Cen'estbonnipourtoinipourlebébé.

—Quejemecalme.Bon.

Elleenfouitsonvisageentresesmainspendantquelquesinstants,

puislevadenouveaulesyeuxversBess.

—Jenesaispaspourquoij'aidelapeine.Lavérité,c'estquecela

meconvientparfaitement.

Ellefittroispas,puispivotasursestalonsensefrappantlapoitrine

del'index.

—C'estmonbébé!Lemienetuniquementlemien.Ilvientde

renonceràtoussesdroits.Jeneveuxjamaisreparleràcemonstre.

Besslasuivit.

—Commentpeut-ilt'avoiroubliée,Carly?C'étaitilyaseulement

unesemaineetdemie!

—Parcequec'estungoujatvaniteuxetégoïste!Ilm'adraguéeetil

m'afaitboireetpuisil...il...

CarlylançaàBessunregardpleindedétresse.

—Jenesignifierienpourlui,Bess.Rien!

—Oh!monchou!

Refusantd'êtreréconfortée,Carlylevalamainpourl'arrêter.

—Non.Lacompassionestladernièrechosequ'ilmefaut.Dis-moi

plutôtquejemesuisconduitecommeuneidioteetquecetypeest

unsalauddepremièrecatégorie.

—S'ilnesesouvientpasdetoi,çanefaitpasdedoute.

—Bon.

Cariapoussaunsoupirrésolu.

—Jeveuxoublierquejel'airencontré.Àpartirdemaintenant,mon

bébén'apasdepère.Jeneveuxplusjamaisentendreprononcerson

nom.

Ellegagnasachambre,claqualaportederrièreelleetsejetasurle

lit.

Qui?ÔSeigneur!Ellelehaïssait!Commentavait-ilpuavoirdes

relationssexuellesavecunefemmeetnepassesouvenird'elleune

semaineplustard?

*

Hankallumaleplafonnier,s'avançadansl'alléecentraledel'écurie

etregardal'écrandesontéléphoneportable.Unterriblesoupçon

venaitdenaîtredanssonesprit.Carly...Charlie...Lesdeuxnomsse

ressemblaientetilétaitsérieusementivre.Danslevacarmeambiant,

avait-ilmalcomprissonprénom?Enréfléchissant,ilsesouvint

vaguementqu'ellel'avaitcorrigéàceproposàunmomentdonné,

maisilétaittropsaoulpouryprêterattention.«Charlie»suffisait

pourcequ'ilavaitentête-uneliaisonsanslendemain,quise

termineraitàl'aubeparun«Aurevoir,monchou».

Bonsang!Hankn'aimaitguèresesouvenirdel'étatd'espritqui

avaitétélesiencesoir-là.Iln'auraitsudireàquelmomentaujusteil

enétaitvenuàconsidérerlesexecommeunpasse-temps.Ses

parentsnel'avaientpasélevéainsi,etilsauraientététerriblement

déçuss'ilsavaientsu.Presqueautantqu'ill'étaitlui-même.

Ilrappelalenuméroquis'étaitaffichéàl'écran,etcollal'appareilà

sonoreille.Soncœurbattaitàtouteallure,etunesueurfroideperla

sursonfrontalorsqu'ilattendaitqueCharlie-non,Carly!-

reponde.Ils'étaitécouléprèsdedeuxsemainesdepuislafameuse

nuit,etiln'avaitpaseulamoindrenouvelled'elledepuis.Pourquoi

l'appelait-ellemaintenant?

Hankavaitlapénibleimpressiondeconnaîtredéjàlaréponseà

cettequestion.Ilétaitencoretôtpourqu'ellesachesielleétait

enceinte,maisétantdonnélamanièredésagréabledonts'était

terminéeleurrencontre,ilnevoyaitpasd'autreraisonquiauraitpu

l'inciteràlecontacter.

Elleréponditpresqueimmédiatement.

—Carly?dit-il.IciHankCoulter.Jesuisdésoléde...

Ilavaiteul'intentiondeluiexpliquersaméprise,maiselleneluien

laissapasletemps.

—Qui?fit-elled'untonàlafoissarcastiqueetmordant.

Hanksongeaqu'ill'avaitmérité.

—Écoute...Jesaisquelleimpressionj'aidûte|donner,mais...

Elleavaitraccroché.Hankétouffaunjuronetappuyasurlatouche

derappel.Cettefois,lasonnerieserépétainterminablement.De

touteévidence,ellesavaitquiappelaitetrefusaitderépondre.

—Trèsbien,marmonna-t-ild'unevoixrenduerauqueparla

frustration.Tuesfâchée,maisjepourraitoujoursteprendrepar

surpriseplustard.

Ilserenditbrusquementcomptequ'ilparlaittoutseuletjetauncoup

d'œilpar-dessussonépaule.Unecesjumentsl'observaitavec

curiositéenmâchonnantsonavoine.Ilsauvegardalenumérode

Carlydanssoncarnetd'adresses,puisremitl'appareilàsaceinture.

Dansuneheureoudeux,lorsqueCarlynes'attendraitplusàson

appel,ilessaieraitdenouveau.

—C'étaitHank,n'est-cepas?

Lesmainssurleshanches,BesstoisaitCarlyquis'étaitallongéesur

sonlit.

—Commentlesais-tu?

—Siçan'avaitpasétélui,tunem'auraispascriédenepasrépondre

quandletéléphoneasonnépourladeuxièmefois.Qu'a-t-ildit?

—Rien,répliquaCarly.Iln'ariendit.

—Ilabiendûdirequelquechose!

—Jeneluienaipasdonnéletemps,réponditCarlysèchement.Je

luiairendulamonnaiedesapièce!Jeluiairaccrochéaunez

presquetoutdesuiteetjen'aipasdécrochéquandilarappelé.Jet'ai

ditquejenevoulaisplusjamaisluiadresserlaparole!Jene

plaisantaispas.J'aiessayédelemettreaucourant,j'aifaitceque

j'avaisàfaire.Jeneluidoisriendepluset,quoiquetuendises,jene

changeraipasd'avis.

Bessallumalalampedechevet.Carlylevaunbrasets'abritales

yeux.

—Peux-tuéteindreça,s'ilteplaît?

—Jevoudraisvoirtonvisagependantquenousparlons.Tuvas

t'habituer.

—J'ail'impressionquedescouteauxmetranspercentlespaupières!

—Neregardepaslalumière,répliquaBessens'adossantaumur.

Oh!Carly...

—Nevienspasmefairelaleçon,veux-tu?Jesuissérieuse.Cetype

estunsalaud.

—Unsalaudquiaaumoinsessayédeterappeler.Jecomprendsce

queturessens,Carly,jet'assure,etc'esttoutàfaitnormal.Maistu

saiscequejepense?

—Non,marmonnaCarlyd'untonlas.Maisjesuissûrequetuvas

meledire.

—Jecroisquetudevraisaumoinsluiparler.Tuenceintedelui.S'il

estprêtàt'aiderfinancièrement,tuseraisfollederefuser.

—M'aiderfinancièrement?CarlyavaitpeineàcroirequeBess

puissefaireunetellesuggestion.

—Jenel'aipasappelédansl'espoirqu'ilm'offred’argent!C'est

pourçaquetuytenaistant?Parceruetut'étaisditqu'ilcracheraitdu

fric?

Besslevalesmainsenungested'apaisement.

—C'estsonenfant,aprèstout.Maréponseàtaquestionn'estpas

seulementoui,maisdeuxfoisoui.

—Jenedemandepaslacharité.

—Tuasacceptédesboursesspécialespoursuivredesétudes.

Quelledifférenceya-t-il?

Piquéeauvif,Carlyseredressa.

—Quelledifférence?Lesboursessontaccordéesauxplus

démunis,auxmèrescélibatairesetauxhandicapésentreautres.J'y

avaisdroit!Cen'estpaslamêmechosequededemanderl'aumône-

oudemettreunpistoletsurlatemped'untypequiafaituneerreuret

leforceràlapayerpendantvingt-cinqans!

—Tuveuxdirequetutrouveraisjustedepayercetteerreur,toi,et

queluis'entiresansuneégratignure?C'estça?Jenetrouvepasça

trèséquitable,excuse-moi.

—Cen'estpastoiquiesenceinte;cen'estpasàtoid'endécider.

Besscroisalesbras.

—Autrementdit,tuesprêteàacceptermonaidemaispaslasienne.

—Tuesmonamie.Situasbesoindemoiunjour,j'essaieraid'être

làpourtoi.Cen'estpaslamêmechose.Jeneveuxpasdel'argentde

HankCoulter.J'auraisl'impressiondemendier.D'ailleurs,s'ille

proposaitetsij'acceptais,celaluidonnerai:desdroitsqueje

préféreraisqu'iln'aitpas.

—Parexemple?

—Parexemple...jenesaispas.Jemesentiraisredevable,c'esttout.

Jeneveuxpaslerevoir,BessTunecomprendsdoncpas?Chaque

foisquejepenseàcettenuit-là,j'aienviedemourir.

Bessbaissalesyeuxsurlamoquette.

—Carly,àmoinsd'êtretotalementstupide,ildoitbienavoirune

idéedelaraisonpourlaquelletul'asappelé,non?S'ilalemoindre

sensdel'honneur,ilvaessayerdeteretrouver.

—Parcequetut'imaginesqu'ilalesensdel'honneur?s'exclama

Carly,outrée.

Elleselaissaretombersurlelit.

—Ilajuréquandils'estrenducomptequej'étaisvierge.Ilsefichait

dem'avoirfaitmal.Ils'estretiré,ilajuréetils'estévanoui!Et

maintenant,ilnesaitmêmeplusquijesuis!Nemefaispasrireavec

tonsensdel'honneur!

Carlytiral'oreillersursonvisage.

—Jeneveuxplusparlerdetoutça.J'aiunmaldetêteatroce.

ElleentenditBesséteindrelalampe.

—Tuveuxquejet'apportetesgouttes?

—Non,pasencore.Ellessonttrèschères.Jepréfèreattendrede

voirsiladouleurs'envatouteseule.

—Tuasbesoindecesgouttes,maisellessontchères,alorstuvas

souffrirplutôtquedelesprendre?Quetuacceptesl'argentdeHank

ounon,Carly,ilauradesdroits.Tôtoutard,ildemanderapeut-être

àvoirsonenfant.Queferas-tualors?Tuluidirasnon?

Carlyenfouitdavantagesonvisagesousl'oreiller.

—Jeneferaisjamaisunechosepareille.S'ilestassezintelligent

pourdeviner,s'ilmetrouveets'ils'ensoucie,jelelaisseraivoirson

enfant.Maisnet'attendspasàcequeleschosessepassentcomme

ça.Jetedisquec'estunsalaud.Cestypes-làsemoquentpasmal

d'avoirundroitdevisiteoudesavoirsileursenfantsnemanquent

derien.Bessquittalapiècesansrépondre.

Unefoisseule,Carlyroulasurlecôtéetremontasesgenouxcontre

sapoitrine.Qui?Chaquefoisqu'elleseremémoraitlareponsede

Hank,unetellefureurl'envahissaitqu'elleentremblait.Maislepire

étaitquecelaluifaisaitaffreusementmal.Bienplusmalqu'ellene

voulaitsel'avouer.

Hankgardasontéléphoneportableallumétoutelasoirée,se

demandantcommentCarlys'étaitprocurésonnuméro.Trèspeude

gensleconnaissaient,etilsavaitpertinemmentqu'ilneleluiavait

pasdonné.

Àdixheures,ilsouhaitabonnenuitàJakeetàMolly,puismonta

danssachambreafinderappelerCarly.Unefemmeàlavoixgrave

décrochadèslapremièresonnerie,luidonnantl'impressionqu'elle

attendaitprèsdutéléphone.Hanksuttoutdesuitequ'ilnes'agissait

pasdeCarly.Plustôt,savoixavaitétédouce,émue.Cettefemme-ci

parlaitdutonsecd'unsergent-major.

—Je...euh...

Prisaudépourvu,Hanknesutd'abordquedire.

—Jem'appelleHankCoulter.Carlyestlà?

Longsilence.

—Elledort,ditenfinsoninterlocutrice.

Cedevaitêtrel'amiedeCarly,songea-t-il.Ellen'avaitpasl'air

commode.

—Pourriez-vousluidirequej'aitéléphoné,s'ilvousplaît?Ilest

extrêmementimportantquejeluiparle.

Ils'attendaitplusoumoinsàcequ'elleluiraccrocheaunez,comme

Carlyl'avaitfait.

—JesuisBess,répondit-elleaucontraire.LacolocatairedeCarly.

—Ah.Enchanté,Bess.

—Franchement,j'endoute.Etjedoutefortquevoussachiezàquel

pointilestimportantquevousparliezàCarly.

L'estomacdeHanksenouabrusquement,etunterrible

pressentimentlesubmergeadenouveau.

—Malheureusement,repritBess,vousavezratévotrechance.

Maintenant,ellenevouscontacteraplusjamais.Elleaseulement

essayéparcequ'ellesesentaitobligéedevousinformer,etvousne

vousêtespassouvenudequielleétait.Dites-moi,monsieurCoulter,

déflorez-voustantdeviergesàl'arrièredevotrepick-upquevous

n'arrivezpasàentenirlecompte?

Incapablederassemblerassezd'indignationpoursedéfendre,Hank

selaissatombersurleborddesonlit.

—Carlyestenceinte...

—Parvotrefaute,etenunsensparlamienne!s'exclamaBess

d'unevoixfrémissantedecolère.Jen'auraisjamaisdûl'emmener

danscebar,etjen'auraiscertainementjamaisdûlalaisserseule,àla

mercid'unprédateurpervers.

Hankauraitvouludirequ'iln'étaitniunprédateurniunpervers,

maislavéritéétaitqu'ilvoyaitbeaucoupdechosestrès

différemmentdepuiscesoir-là,etqueBessnesetrompaitpasde

beaucoup.IlétaitalléauChapspours'amuseretfinirlasoiréedans

lesbrasd'unefilleaccommodante,sanscomplications.Pourdes

raisonsquiledépassaient,Carlys'étaittrouvéesursonterrainde

chasse.

—Jenesavaispas,dit-il.Sij'avaissuqu'elleétaitvierge,jene

l'auraisjamaistouchée,jevouslejure.Maisellenedonnaitpasce

genred'impression.

—Oupeut-êtrequevousétieztellementsaoulquevousn'étiezpas

enétatd'appréhendercorrectementlasituation.

LamaindeHanksecrispasurletéléphoneaupointquesonpoignet

luifitmal.Dessouvenirsdéfilèrentdanssonesprit-Carlybuvantsa

boissonapetitesgorgéesetplissantlégèrementlenez;résistant

momentanémentlorsqu'ill'avaitentraînéeau-dehors;nesachantoù

mettresesmainslorsqu'ill'avaitembrassée...Bessavaitraison:il

n'avaitpassulirelessignes.

Commefatiguéeparsacolère,Besssoupira.

—Pourcouronnerletout,monsieurCoulter,ajouta-t-elled'une

voixempreintedetristesse,Carlyn'estpasn'importequellevierge.

Elleestnéeaveugle,souffrantdecataractescongénitalesetde

dystrophiegrillagée.Elleasubiuneinterventionpourrecouvrerla

vueilyatoutjustedeuxsemainesetdemie.Avez-vouslamoindre

idéedecequecelaveutdire?

Hankeutl'impressionqu'unprécipicevenaitdes'ouvrirsousses

pieds.

—Aveugle,vousdites?Jesuisdésolé.Descataractesetquelgenre

dedystrophie?

—Grillagée.Elleaffectelasurfacedelacornée.Danslescas

graves,commeceluideCarly,ellecauselacécité.Laseulesolution

estuneinterventionquiconsisteàgratterlasurfacedelacornéeouà

pratiquerunegreffe.Carlyaeusapremièrekératectomieune

semaineavantdevousrencontrer.

Iln'avaitpasenvied'entendrecela.Vraiment,vraimentpasenvie.

—Encemoment,soncortexvisuelestcomparableàceluid'un

nourrisson,poursuivitBess.C'estlapartieducerveauoùlesimages

sontenregistrées,sivousvoulez.Ànotrenaissance,lecortexvisuel

estvierge.CeluideCarlyl'estrestépuisqu'elleestnéeaveugle.À

présentqu'ellepeutenfinvoir,elleadumalàapprendreles

couleurs,àreconnaîtrelesformesdeslettresetdeschiffres,àse

familiariseraveclemondequil'entoure.Ellesouffredemauxde

têteterriblesdusàlastimulationconstantedesavue.Etmaintenant,

grâceàvous,ellenepeutmêmepasprendredecalmantsparce

qu'elleestenceinte.

Hankdéglutitavecpeine.Ilsesentaitauborddelanausée.

—LesoiroùvousavezrencontréCarly,elleétaitvenueavecmoi

auChapspours'asseoiràunetableetregarder.Ellen'avaitjamais

vudegensdanser,etn'avaitvudeshommesquedeloin.Quand

vousavezcommencéàladraguer,elleacruàtoutesvossalades.

Besspoussaunsoupirdefrustration.

—Oh!elleprétendmaintenantqu'ellesavaitparfaitementque

c'étaitdublablaetqu'elleachoisidevivrelemomentprésent!Mais

jelaconnaisdepuistoujours.Quelquepartaufondd'elle,elleagobé

touslespitoyablesmensongesquevousluiavezdébités.Sanscela,

elleneseraitjamaismontéedanslepick-upavecvous.

LecœurdeHankseserradouloureusement.Ilsesouvenaitdes'être

demandésiCarlysortaittoutdroitd'uncouvent.Ilnes'étaitpas

doutéàcemoment-làqu'ilétaitbienprèsdelavérité.Ilavaitétél'un

despremiershommesqu'ellevoyait?Saproprevoixrésonnaàses

oreilles.Vousêtessuperbe.Quandjevousaivue,moncœurafailli

s'arrêterdebattre.Iln'yétaitpasallédemainmorte.

IlnepouvaitenvouloiràBessdesonhostilité.Atterréetsilencieux,

ill'écoutaluiexpliquerlesconséquencesnéfastesquelagrossesse

deCarlyrisquaitd'avoirsursamaladie.

—Sapremièrekératectomienevapeut-êtrepasfaireeffetaussi

longtempsqueprévu,etsonspécialisteluiadéconseilléd'ensubir

unesecondedurantlagrossesse.Comprenez-vouscequecelaveut

dire,Hank?Monamie,quiaattenduvingt-huitanspourvoirenfin,

risquederedeveniraveugleavantmêmelanaissancedubébé.Pour

combledemalchance,ellen'auraplusdroitàuneboursespéciale

pourterminersesétudes,parcequ’officiellement,ellen'estplus

considéréecommeaveugle.

Réprimantunebordéedejurons,Hankpressasonpoingserrécontre

sonfront.

—Sanscompterqu'avoirunbébérevientcher,

repritBess.

—Ellen'apasd'assurance?

—Si,maisellen'estcouvertequ'àquatre-vingtspourcentdeses

frais.

Bessselançadansuneséried'explicationscomplexesqueHank

suivitàpeinetantilavaitdumalàseconcentrer.Commenten

étaient-ilsarrivésàparlercouverturesociale?Carlyétaitenceinte.

Ilavaitbesoindequelquesinstantspourseressaisir,mettrede

l'ordredanssespensées.

—Imaginezlasituationdanslaquelleellevaseretrouver,Hank.

EllesetutpendantcequiparutàHankunmomentinterminable.

—Ehbien?lança-t-elleenfin.Vousn'avezrienàdire?

Hanknetrouvaitrienàdire,eneffet.Laréalitéétaitinfinimentpire

quecequ'ilavaitredouté.Seigneur!Qu'avait-ilfait?

—Donnez-moiuneminute.J'essaiederéfléchir.

—Deréfléchiràquoi?Sivousnel'aidezpas,cettegrossesseva

gâchertoutesavie!

—J'ensuisconscient.

—Vraiment?Illuiafalludixanspourarriverlàoùelleenest.Et

maintenant,aveccebébé,ellenepourrapeut-êtrepasfairesa

maîtrise.C'estdéjàdifficilepourn'importequidepoursuivredes

étudesenétantenceinte.Pouruneaveugle,vouspouvezmultiplier

lesproblèmesparcent.

Hankhochalatête,puissesouvintqu'ellenepouvaitpaslevoir.

—Vousêtestoujourslà?

—Oui,répondit-il,jesuistoujourslà.

—Vousn'êtespasbavard.Vousêtessiobtusquevousn'avezrien

comprisàcequejevousaidit?

Entempsnormal,Hankn'auraittoléréuneremarquedecegenrede

lapartdequiconque.Cependant,encetinstantprécis,ilavait

vraimentl'impressiondel'avoirméritée.Besspouvaitluilancer

touteslesinsultespossiblesetimaginables,c'étaitquandmême

Carlyquiavaitprislecoupleplusdur.Àforcedejoueraveclefeu,

onfinitparsebrûlerlesdoigts.Ilauraitdonnécherpourquecesoit

vrai.Seulement,aulieudegâchersaproprevie,ilavaitgâchécelle

dequelqu'und'autre.

—Vousn'êtespeut-êtrepasbienloind'avoirraison,admit-il.Je

suisencoresouslechoc.

—C'esttoutcequevousavezàdire?Vousêtessouslechoc?

—Vouscroyezquejedoisfairefaceàcegenredesituationtousles

jours?Essayezdevoirleschosesdemonpointdevue!Non

seulementj'aiséduitunevierge,cequiparaîtquasiimpossiblede

nosjours,maisdesurcroîtuneaveugle.Ouplutôt,uneviergequi

étaitaveugleetqui,maintenant,àcausedemoi,risquedele

redevenir.J'essaied'absorbertoutçaetdedécidercequejedois

faire,bonsang!

—Çameparaîtassezévident.

Hankselaissaretombersurlelit.Cen'étaitpaslapremièrefoisqu'il

faisaituneimbécillité,maislàils'étaitsurpassé.

—Vousn'allezpasluioffrird'argent?insistaBessd'unevoix

perçante.Vousn'allezpasluipromettredefaireensortederéparer

votreerreur?Vousnepensezqu'àvous-même!Onvoitbienquece

n'estpasvousquiêtesmaladecommeunchientouslesmatins.Que

cen'estpasvotreavenirquivientd'êtrefichuenl'air!

—Bess,je...

—Qu'est-cequevousvoulezqu'ellefasse?Qu'ellevendedes

hamburgerspourréglerlesdépensessupplémentaires?Ellenepeut

mêmepaslireunmenu!

—Donnez-moiuneminute,Bess.Jenevaispasmedéfiler.

—Quandjevousverraienchairetenos,unportefeuilleàlamain,

jeseraipeut-êtreplusdisposéeàvouscroire.

—Neraccrochezpas.

—Allezvousfairevoir!

—Jenepeuxpasvenirluioffrirdel'argentsijenesaispasoùelle

habite.

—Etjenepeuxpasvousdonnersonadresse.Elleneveutpasvous

revoir,etmaintenantquejevousaiparlémoi-même,jela

comprends.Etàpropos,lecow-boy,vousnevalezpastripette

commeamant!Jenesaispascequis'estpassédansvotrepick-upce

soir-là,maiscen'estsûrementpasunsouvenirqueCarlyvachérir

jusqu'àlafindesesjours.

Surcetteultimeflèche,Bessraccrochabrutalement.Hankresta

immobile,écoutantlatonalité,encorestupéfaitpartoutcequ'il

venaitd'entendre.IlsoutiendraitCarlyfinancièrement,celaallait

sansdire,maisçanesemblaitpassuffisant.

Elleétaitmaladechaquematin?EtàenjugerparcequeBesslui

avaitexpliqué,lanauséeétaitpeut-êtrelemoindredes

désagrémentsqu'elleauraitàsupporter.

Ilnepouvaitpassecontenterdeluidonnerunchèquepoursoulager

saconscienceetpuiss'enaller.

6.

Hankavaitbesoindeparleràquelqu'un,maispasàJake.Assissur

lecanapé,unbrasautourdesépaulesdesajolieépouse,sonfils

endormicontresapoitrine,Jakeoffraitl'imagemêmedela

respectabilité.

Aprèsréflexion,ildécidad'allerdemanderl'avisdesonfrèreZeke.

Celui-ciavaitdeuxansdeplusquelui,maisétaitencorecélibataire.

Ilcomprendraitpeut-êtrecommentunhommepouvaitsefourrer

dansuntelpétrin.

Soulagédevoirlalumièreencorealluméedanslamaison,Hankse

garadansl'alléecirculaire.L'airfroiddelanuitlefitfrissonnerdès

qu'ilsortitduvéhicule.Deuxmoisplustôt,quandilavaitaidéZeke

àemménager,sonfrèreavaitannoncésonintentiond'acheterdes

chaiseslonguesafindepouvoirs'installersurlavérandaouvertele

soiretdecontemplersesterres.Pourlemoment,ellesn'avaientpas

faitleurapparition.

—Salut,Hank!ditZekeenvenantluiouvrir.Qu'est-cequit'amène

àcetteheure?

Riendetelqu'unfrèrepourallerdroitaubut.Uneodeurdepoisson

s'échappadelaporteouverte,etHankdevinaqueZekes'était

mitonnéundecesdélicieuxrepasdontilavaitlesecret.Toutmâle

endurciqu'ilétait,iladoraitcuisiner.Leurmèredisaitàquivoulait

l'entendrequ'ilferaitunjourlebonheurdesonépouse,maisjusqu'à

présent,Zekefaisaitlasourdeoreille.

—Ilfautquejeteparle.J'espèrequejenetedérangepas.

Zekebaissalesyeuxsursamontre.

—Jedoismeleveràl'aube,maisjepeuxteconsacrerunpetit

moment.

Toutensedisantqu'unpetitmomentnesuffiraitsûrementpas,

Hankentra.Lesondelatélévisionalluméedanslesalonluiparvint,

luirappelantquelaterren'avaitpascessédetourner.Cen'était

qu'uneimpressionqu'iltraînaitdepuissaconversationavecBess...

—J'aiplantémestomates,aujourd'hui,annonçaZekeenrefermant

laporte.Situétaisvenuplustôt,jet'auraismontrélejardin.

Hankn'étaitpasd'humeuràparlerjardinage.

—J'aivraimentfoiré,dit-iltoutdego.

—Ahbon?

Zekefronçalessourcils.Laressemblanceentrelesdeuxfrèresétait

frappante.

—Laisse-moideviner...Tut'esbagarrédansunbarettuascasséla

gueuleàuntype.

—Çafaitpresquedeuxsemainesquejen'aipasmislespiedsdans

unbar.Etjevoudraisbienqu'ilsagissed'unehistoiredebagarre.Ce

seraitsacrémentplussimple.

—Acepoint?

Zekeleprécédadanslesalon,éteignitlatélévisionetsedirigeavers

lebar.

—Assieds-toi,dit-ilenindiquantlecanapé.Qu'est-cequeje

t'offre?Unwhiskyirlandais?Écossais?J'aidelabière,situ

préfères.

Hanksecoualatêteets'assit.

—Rien,merci.J'aidécidédeboiremoinsd'alcool.

Labouteilledewhiskyàlamain,Zekes'immobilisa.

—Tunefréquentespluslesbarsettuasdécidédeboiremoins?

—Exactement.

L'expressionstupéfaitedeZekeirritaHank.

—Quoi,tun'espascontent?C'estpourtantbientoiquimeharcèles

depuispresqueunanpourquejelefasse,non?

Unlongsilences'ensuivit.Finalement,Zekereposalabouteille.

—Bonsangdebonsoir,qu'est-cequetuasfait?Çadoitêtre

drôlementsérieuxpourt'avoirconvaincudechangerd'attitude.

Hanksepenchaenavant,lescoudessurlesgenoux,etsepritlatête

entrelesmains.

—J'aimisunefilleenceinte.

Zekeselaissatomberdansunfauteuilvoisinetétenditlesjambes.

Ducoindel'œil,Hanknevoyaitdesonfrèrequesonjean

poussiéreuxetlessemellesusagéesdesesbottes.

—Ah,ditZeke.

Ilyeutunautresilence.

—Bordel!Jenesuispasl'aîné!reprit-il.Pourquoiviens-tume

parlerdeça?C'estàJakequetudevraisledire.

—Jakeestmarié.Jemesentaisplusàl'aiseavectoi,avouaHank.

J'aipenséquetucomprendraispeut-êtremieuxquelui.

—Tutetrompais.Àmoinsquelepréservatifn'aitéclaté,iln'ya

aucuneexcusepourmettreunefilleenceinte.

—Jen'aipasutilisédepréservatif,marmonnaHank.Jelefais,

normalement,maiscettefois-là,je...

Ilhaussalesépaulesavantdepoursuivre.

—Commetuledis,jen'aiaucuneexcuse.J'étaisunpeusaoul.

Hanklevalesyeuxverslevisagesévèredesonfrère.

—Bon,d'accord.J'étaisvraimentsaoul.

—Aupointdenepasterendrecomptedecequetufaisais?

Excuse-moi,maisj'aidumalàlecroire.

—J'aivoulusortirlespréservatifsdelaboîteàgants.Lepaquetm'a

échappéetilssonttoustombésparterre.Onétaitsurlabanquette

arrière,et...

Ildéglutitafinderaffermirsavoix.

—Lavéritécrue,c'estquej'étaistropsaoulpourm'ensoucier.

J'étaisincapablederéfléchir,tucomprends?Jemesuisditqu'iln'y

avaitpasdemalàtaireuneexception.

—Sansblague!Vousavezeudesrelationssexuellesdanston

pick-up?fitZeke,atterré.

—Ellenevoulaitpasalleraumotel.

HankretirasonStetsonqu'iljetasurlecoussinàcôtédeluiet

repoussasescheveuxenarrière.

—Jecomprendsquetuaiesenviedemepasserunsavon,maispour

lemoment,c'estdetesconseilsquej'aibesoin.Pasd'unsermon.J'ai

foiré,jel'admets.Maintenant,ilfautquejetrouvelemoyende

réparerlesdégâts.

Zekesoupiraetsepinçal'arêtedunez.

—Pasfacilederéparercegenrededégâts...

—C'estpirequeça,Zeke.Elleétaitvierge.

—Quoi?

—Tum'asentendu.

Zekeselevaetallaverslebar.

—C'estlecomble!Quelâgea-t-elle?

—Vingt-huitans.J'aiunminimumdeprincipes,figure-toi.Siune

femmeal'aird'avoirmoinsdevingtetunans,jeprendsmesjambes

àmoncou.

LadésapprobationselisaitdanslesyeuxbleusdeZeke.

—Jen'endoutaispas,répondit-ilenouvrantlabouteilledewhisky.

Ilenversaunebonnerasadedansunverreetrevints'asseoirdans

sonfauteuil.

—Tum'asprisparsurprise.Oùdiableas-tudégotéuneviergede

vingt-huitans?

—AuChaps.

—Qu'est-cequ'ellefaisaitlà-bas?Ellevoulaitvivre

dangereusement?

Toutehontebue,Hankdéballal'histoiredanslesmoindresdétails,y

comprislesexplicationsdeBessconcernantlamaladiedeCarly.

Quandileutfini,Zekerestaimmobile,leregardfixésursesbottes.

—Tunevaspasdirequelquechose?demandaHankd'unevoixoù

perçaientlagêneetlatension.

—Riennemevientàl'esprit.

Zekevidalecontenudesonverreentroisgorgées.

—J'aidumalàencroiremesoreilles,Hank!Unefilleaveugle?

Quediablevas-tufaire?

—C'estpourçaquejesuislà.Pourtedemanderconseil.Jenepeux

pasmecontenterdelasoutenirfinancièrementetlalaisserse

débrouillerseule.

Zekeappuyalatêtecontreledossierdufauteuil,puisseredressa.

—Frérot,tuasbesoind'unverre.Tutremblescommeunefeuille.

HankbaissalesyeuxsursesmainsetconstataqueZekeavaitraison.

—Peut-être.Jesuisencoresouslechoc,jecrois.Quandsonamie

Bessacommencéàmeracontertoutça...Jen'arrivepasàcroireque

j'aiepuêtreaussiidiot.EtquecesoitavecunefillecommeCarlyne

faitqu'aggraverleschoses.

—Unwhiskyneteferapasdemal,assuraZeke.Peut-êtrequeça

t'aideraàyvoirplusclair.Tupeuxpasserlanuitsurlecanapé.

—Merci.Jeneveuxpasconduireaprèsavoirbu.Aveclachance

quej'aiencemoment,j'auraissûrementunaccident.

Zekeretournaaubar.

—Excuse-moidetelefaireremarquer,maisj'ail'impressionquetu

asdéjàenfreintcetterègleplusieursfois.

Devantl'airinterrogateurdeHank,ilajouta:

—PourallerduChapsaumotel,parexemple...

—Iln'yaqu'unerueentrelesdeux,expliquaHank,etc'esttoujours

tardlesoir.Detoutemanière,Laplupartdutemps,jefermemon

pick-upetj'appelleuntaxi.

—Jesuisheureuxdel'apprendre.Jen'aimeraispaspenserquetu

prendslevolantenétatd'ivresse.

—Jamais,affirmaHankensoutenantleregarddesonfrère.Jesais

queçapeutteparaîtredifficileacroire,maisengénéral,jeme

conduisdemanièreresponsable.Cequis'estpasséavecCarly

n'avaitriend'habituelpourmoi.

—Commentas-tupualleraussiloinsans...enfin,tusais...sanste

rendrecomptequ'elleétaitvierge?Tun'aspasvuqu'ellemanquait

d'expérience?

—Non.Elleétait...

Hanksetutetfronçalessourcils.

—Tucompteslelaisservieillir,tonwhisky,ouquoi?

Zekeremplitlesverresetrepritsaplace.

—SicetteCarlyreperdlavue,commentdiableva-t-ellepouvoir

continuersesétudessansaidefinancière?Ellevaavoiruntasde

dépensessupplémentairesdurantlagrossesse.Etcommentune

aveugleva-t-ellearriveràs'occuperd'unenfanttoutenessayantde

suivredescours?

L'estomacnoué,Hanksecontentadesecouerlatête.

—Tuasraison,continuaZeke.Couvrirsesfraisnesuffirapas.Je

nesuismêmepascertainquecesoitfaisable.Payerdeuxloyers

pendantdeuxansneseraitpasfacile;tun'enaspeut-êtrepasles

moyens,Hank.

Cetteidéeavaitdéjàtraversél'espritdeHank.

—Elleteplaîtassezpourquetupuissesenvisagerdel'épouser?

demandaZeke.

—Franchement,jen'ensaisrien,avouaHankd'unevoixblanche.

Cettenuit-là,jen'aipasvraimentessayédefairesaconnaissance.

Elleétaitjolie,jevoulaislaséduire.Laconversationn'étaitqu'un

moyenderomprelaglace.Quantàl'épouser...

Ilsoupira.

—C'estlaseulesolutionquimeparaisseenvisageable

financièrement.Leresten'apasvraimentd'importance.

—Tuluiasparlédecettepossibilité?

—Non,jen'enaipaseul'occasion.Elleneveutpasmeparler.

Chaquefoisquej'appelle,elleraccroche.

Zekearquasessourcilsbruns.

—Tuaseudesrelationssexuellesaveccettefemme,etmaintenant

ellerefusedeteparler?

Hankfittournerlentementsonverredewhiskyentresesdoigtset

expliqualemalentenduausujetdunomdeCarly.

—Jenemesuispasvraimentcomportécommeunprince,ce

soir-là.Jenemesouvienspasclairementdecequis'estpassé,

seulementqu'elleacrié.C'estlàquej'aicomprisqu'elleétaitvierge.

Justeaprès...j'aidûperdreconscience.Jemesuisréveilléle

lendemainmatinsurlesoldupick-up.Évidemment,elleavait

disparu.J'aiétémaladed'inquiétudependantplusd'unesemaine;je

nemerappelaispassonnomdefamille,etjenesavaispasoùla

chercher.Ellenem'aappeléquecesoir.

—Ehbien,petitfrère,lemoinsqu'onpuissedire,c'estquela

situationn'estpassimple!Tudevraispeut-êtreallerchezelleetlui

parlerdevivevoix.L'expériencem'aapprisquelesfemmessont

plusdisposéesàécouterquandonestlàenpersonne.

—Ilfaudraquejelaretrouve,d'abord.Elleneveutpasmedonner

sonadresse.

LemaldetêtedeHanks'étaitaggravé.

—Avantdefaireça,ilfaudraaussiquejepréparesoigneusementce

quejevaisdire.Pourdesraisonsévidentes,ellenevapasêtre

enthousiasteàl'idéeden'épouser.Maisj'aibeautourneretretourner

lasituationdansmatête,jenevoispasdemeilleuresolution.Avec

samaladie,ellenepeutpastravailler.EtBessm'aditqueson

assurancenecouvrequequatre-vingtspourcentdesesdépensesde

santé.Lamienneestmeilleureet,siCarlyétaitmafemme,elle

seraitautomatiquementcouverte.

—Mêmepourunemaladiepréexistante?

—J'airelulecontratavantdevenir.Lesnouveauxconjointssont

couvertsaprèsundélaidetroismois.

—Celaseult'économiseraitunefortune,observaZeke.

—Oui,réponditHankaveclassitude.Etvivreensemblereviendrait

moinscheraussi.Uneseulemaison,uneseulesériedecharges,etc.

Jemedisaisquenouspourrionsemménagerdanslechaletaubord

delarivière.Cen'estpasunpalace,maisiln'yauraitpasdeloyeret

jepeuxl'aménagerconvenablement.Jegagneassezbienmavieà

présentetj'aiquelqueséconomies,maisjeneroulepassurl'ornon

plus.

—C'estunedrôledemanièredes'engagerdanslemariage,Hank.

—Jesais.Malheureusement,jen'aiguèrelechoix.

Hankcontemplasonwhiskyd'unairmorose.

—Jen'avaispasprévudememarier,crois-moi.Maiscebébéestle

mien.Toutl'avenirdeCarlydépenddemoietdelafaçondontje

vaisassumermesresponsabilités.

UnlégersouriresedessinasurlevisagehâlédeZeke.

—Continuecommeça,petitfrère,etjevaiscommenceràpenser

quetuasenfinmûri.

Uneboufféed'émotioncomprimalapoitrinedeHank.

—J'aiméritéça,jesuppose.J'aiunpeutardéafairemesfrasques

dejeunesse.

Zekeselaissaallercontreledossierdesonfauteuiletcroisases

longuesjambes.

—C'estlemoinsquel'onpuissedire.J'aifaitlesmiennesà

l'université.

—J'avaisdeuxemplois,pendantmesétudes,luirappelaHank.La

premièreannée,papaétaitentraindefairefailliteetaprès,ilaperdu

leranch.

—C'estvrai.

Zekefronçalessourcilsetsonvisages'assombrit.Hankcompritque

sonfrèrepensaitàleursœurBethanyetàcettepériodedouloureuse

deleurvie.Endépitdessacrificesconsentisparleurpère,l'accident

qu'avaiteuBethanyàdix-huitansl'avaitlaisséeparalysée,etelle

étaitcondamnéeàsedéplacerenfauteuilroulantdepuis.

—C'estvraiqueçan'apasétédrôlepourtoi,admit-il.

—Non.Etensuite,j'aitravaillédurpouréconomiseretreprendrele

ranchavecJake.C'estseulementl'annéedernièrequeleschosesse

sontaméliorées...J'aicommencéàgagnerplus,sansavoiràmetuer

autantautravail.C'étaitlapremièrefoisquejepouvaisprendredu

bontemps,etj'aiunpeuperdulatête.Etmaintenant,Carlyenfait

lesfrais.

Hanksoupira.

—Jen'avaisjamaisimaginéqu'ilm'arriveraitquelquechosedece

genre.Jemesenssi...

Ils'interrompitetsemassalanuque.

—Jenepeuxpasexprimercequejeressens.J'ail'impressiond'être

unsalaud,enpire.

—Tusaiscequeditpapa.Iln'yapasdemeilleurprofesseurquele

regret.

Hankfittournersonverreentresesmains.

—N'enparlonsplus,décréta-t-il.Cequiestfaitestfait,etles

remordsn'ychangerontrien.IlfautquejepenseàCarlyetaubébé.

—Exact.

—Sij'arriveàpersuaderCarlydem'épouser,jepeuxtoutassumer,

financièrement.Monemploidutempsestrelativementflexibleet

mepermettradem'occuperdubébépourqu'ellesoitlibred'étudier.

Jepourraiaussiprendresoind'ellesidesproblèmesseprésentent

durantlagrossesse.

—Commentpenses-tuqu'elleaccueillerataproposition?demanda

Zeke.Ilvafalloirquetutemontresconvaincant.

HankimaginalaprobableréactiondeCarlyetsentitsonmaldetête

empirer.

—Vouspourriezpeut-êtreenvisagerunarrangementtemporaire,

suggéraZeke.Surdeuxans,parexemple.Jusqu'àcequ'elleaitsubi

unenouvelleintervention,obtenusamaîtriseettrouvéuntravail?

quiluipermettedes'ensortir.Avectonsoutienfinancier,

évidemment.

L'idéeétaitséduisante,etHankl'accueillitavecsoulagement.

—Deuxans,cen'estrienencomparaisondetouteunevie.

Continue.

Zekeacquiesça.

—Decettemanière,tupourraisréglersesdépenses,l'aiderdurant

lagrossesseett'occuperdubébépendantqu'ellesuitsescours.

Ensuite,tuluiverseraisunesommeraisonnablepours'installer,et

vousreprendriezl'unetl'autrevotreliberté.Elleseraitàl'abridu

besoin,l'enfantauraittonnomettuauraisautomatiquementundroit

devisite.Cen'estpaslasolutionidéale,maisdenosjours,beaucoup

d'enfantsgrandissentavecdesparentsdivorcés.Etvouspourrezl'un

etl'autrerefairevotrevie.

PourlapremièrefoisdepuissaconversationavecBess,Hank

entrevitunelueurd'espoir.

—Ilestpossiblequ'elleacceptecela,dit-il,songeur.Àcondition

quejepuissel'ameneràmeparlée.évidemment.

—Jen'aipasd'idéemiracleàt'offrirsurceplan.C'esttoile

charmeurdelafamille,petitfrère.Decôté-là,jenet'arrivepasàla

cheville.

—Nedispasdebêtises.

ZekesemitàrireetlançaàHankundescoussins

ducanapé.

—Leschevauxm'adorent.Lesfemmes,c'estuneautreaffaire.

J'appelleunchatunchat,etlesfemmesaimentqu'unhommeleur

racontedesbobardsdetempsentemps.

Ilseleva.

—J'aiunequestion...SiCarlyrefusedetedireoùellehabite,

commentvas-tularetrouver?

—J'aisonnumérodetéléphone.Unboncopainàmoitravailledans

lapolice.Ildevraitpouvoirm'obtenirsonadresse.Leproblèmeva

êtredelapersuaderdem'écouter.

7.

Carlyouvritl'armoireàpharmacie,cherchantàtâtonssurles

étagèresleflaconquicontenaitsasolutiondelavageoculaire.

Depuissonopération,troissemainesauparavant,elleseréveillait

souventlematinaveclespaupièrescollées.

L'avantenfinlocalisée,elleversaunpeudeliquidedanslacuilleren

plastique,sepenchaenavantetLaissalasolutionamollirlacroûte

quis'étaitforméesursescils.Mêmeaprèsavoirterminé,ellevoyait

encoreflou.

Inquiète,elleserenditdanslacuisine.Illuifallutplusieurs

tentativespourréussiràcomposerlenuméroduspécialistede

Portland.Lorsqu'ilréponditenfin,Carlyétaitsibouleverséequ'elle

tremblait.D'unevoixincertaine,elledécrivitsessymptômes.

—Votregrossessea-t-elleétéconfirmée?demanda-t-il.

—Oui,admit-elle,l'estomacnouéparl'angoisse.J'aieulesrésultats

hier.

—Jenevaispasvousraconterd'histoires,Carly.Commejevous

l'aiditdurantnotreprécédenteconversation,unegrossesseaffaiblit

votrerésistanceàladystrophie,parcequel'essentieldesvitamines

etdesélémentsnutritifsquevousabsorbezestdétournéversle

bébé.Dansvotrecas,lamaladiepeutempirertrèsvite.Enbref,

votreproblèmedevisionestpeut-êtredûàlagrossesse.

—Combiendetempspensez-vousqu'ilmeresteavantderedevenir

aveugle,docteurMerrick?

Ellesepréparaaupiretandisquelemédecinprenaitsontempspour

répondre.

—C'estimpossibleàprévoir.

—Ilmarquaunenouvellepause.

—Restonspositifs,d'accord?Cefloupourraitavoird'autres

causes.Voussouffrezpeut-êtred'uneinflammationdespaupières.

Ilsetutdenouveau.

—Pourplusdesûreté,j'aimeraistoutdemêmequevoussoyez

examinée.Celadit,ilseraitridiculequevousfassiezquatreheures

deroutepourveniricialorsquelemédecindeCrystalFallsest

parfaitementqualifiépourvousausculter.Jevaisdemanderun

rendez-vouspourvous,etjevousrappelleraipourvousdireàquelle

heureyaller.

—Merci,docteurMerrick.

—Essayezdenepastropvousinquiéter.Cen'estpasdansvotre

intérêtnidansceluidubébé.

Carlys'entouralatailledesonbras.Lemédecinavaitraison.La

pertedesavisionn'étaitplussonpremiersouci.Elledevaitpenser

aupetitêtrequigrandissaitenelle.

—D'aprèsmesnotes,conclutlespécialiste,vousavezunbilanle7

juillet.Jepourraivousendireplusàcemoment-là.

—Silavisionfloueestuneffetdeladystrophie,devrai-jevenir

plustôt?

Lespécialistehésita.

—Sic'estlecas,Carly,jenepourraipasfairegrand-choseavantla

naissancedubébé.Nousdevonsavanttoutnousassurerquevousne

souffrezpasd'uneinfectionpost-chirurgicale.Sic'estdecelaqu'il

s'agit,moncollèguedeCrystalFallspourravoussoigneraussibien

quemoi.

Aprèsavoirraccroché,Carlymitunetranchedepaindansle

grille-painpuisouvritleréfrigérateuretseplantadevant,cherchant

àvoircequisetrouvaitsurlesclayettes.Rienneluiparut

appétissant,Depuisunesemaine,elleavaitdesenviesdeplats

amers.Elleouvrituncartondelaitchocolaté,puisjetauncoupd'œil

danslesplacardsoùelledénichauneconservedechoucroute.

Lorsqu'elledévissalecouvercle,l'odeurquiluiparvintluisembla

délicieuse.Ellepritunefourchetteetsemitàmangeràmêmele

récipient.Divin!songea-t-elleenbuvantunegorgéedelait

chocolatépourarroserletout.Enthéorie,lacombinaisondes

ingrédientsauraitdûluidonnerdesfrissons.Curieusementce

n'étaitpaslecas.Aucontraire,lemélangesemblaitatténuerses

nausées.

Sonpetitdéjeunerterminé,Carlypritunedoucheets'habilla.En

sortantdelasalledebains,elleconstataqu'ellesesentaitbeaucoup

mieux.Lemalaucœuretlevertiges'étaientpresquedissipés.

Choucrouteetlaitchocolaté.Ellesepromitd'enacheterunstockde

façonàpouvoirdéjeunerainsichaquematin.Àvraidire,elleavait

aussienviedechouxdeBruxelles.Peut-êtrecelan'avait-ilrien

d'étonnant.Elleavaitluquelquepartquelesenviesdurantla

grossesseétaientsouventcauséesparunmanquedeminérauxetde

vitamines.

Ellevenaitdefinirdesebrosserlescheveuxquandonsonnaàla

porte.Elleallaouvrir.Unhommesetenaitsurleseuil.Lesoleil

derrièreluidessinaitunhaloéblouissantautourdesescheveuxet

rendaitsestraitsindistincts.Ellelefixaavecperplexité,lavive

lumièreluitransperçantlesyeuxcommeautantd'aiguilles.

—Re-bonjour,dit-il.

Carlyauraitreconnuentremillecettevoixgraveetchaude.

L'estomacsoudainnoué,ellechancelalégèrementtandisquesa

mainsecrispaitsurlapoignéedelaporte.Elleétaittropstupéfaite

pourparler.Desquestionssansréponsesebousculaientàune

vitessevertigineusedanssatête.Commentl'avait-ilretrouvée?

Pourquois'était-ildonnécettepeine?Etcommentosait-ildire«

Re-bonjour»commes'ilss'étaientquittéslesmeilleursamisdu

monde?

—Tunemereconnaispas?demanda-t-ilavecunrireincrédule.

Carlyn'allaitcertainementpasluiexpliquerquelesoleill'aveuglait.

Ilfitunpasenavant,etsestraitsdécidésdevinrentplusnets.Elle

eutsoudainl'impressionqu'ilenvahissaitl'espace.Ilétaitbeaucoup

plusgrandetpluslarged'épaulesquedanssonsouvenir,etlebleu

éclatantdesesyeuxrivalisaitavecceluiduciel.

Uneseconde,elleenvisageadeluiclaquerlaporteaunezetde

courirseréfugierdanssachambre.Aulieudecela,ellerestaoùelle

était,etsecramponnaauchambranlepournepasperdrel'équilibre.

Vêtud'unjeandélavéetd'unechemisebleue,ilétaitl'imagemême

delamasculinité.Ilsourit,révélantsesdentsblanchesetrégulières.

LecœurdeCarlysemitàbattreàtoutevitesseetelleneput

s'empêcherderegardersabouche,seremémorantleplaisirqu'elle

avaitéprouvélorsqu'ill'avaitembrassée.Cettepenséel'irritaet

l'emplitdehonte.Commentavait-ellepuêtreaussinaïve?Leur

rencontrenesignifiaitrienpourlui.Ilcouchaitsansdouteavecune

femmedifférentechaqueweek-end.

—Va-t'en,parvint-elleàarticuler.

Ilposaunemainsurlechambranleau-dessusdelasienne.

—Tusaistrèsbienquejenepeuxpasfaireça,Carly.J'aiparléà

Bessautéléphone,hiersoir.Jesuisaucourantpourlebébé.

—Besstel'adit?s'écriaCarly,abasourdie.

—Ilfallaitbienquequelqu'unlefasse.C'estmonenfant.J'avaisle

droitdesavoir.

Carlydemeuraunesecondesilencieuse.CommentBessavait-elle

osé?Sonamiesavaittrèsbienqu'elleauraitvoulunejamaisrevoir

Hank.

—Ellet'adonnémonadresseaussi?

—Non,non.Ellen'apasvoulu.Maisj'avaistonnumérode

téléphone.Undemesamisadénichétonadresse.

Carlypressaunemainprotectricesursonventre,lueurrésoluequi

brillaitdansleregarddeHankneluidisaitrienquivaille.À

l'université,elleavaitconnuquelquesfillesquis'étaienttrouvées

enceintesparaccident,etellen'avaitpasoubliélamanièredont

leurspetitsamisavaientréagi.Ilslesavaientencouragéesàsubirun

avortement.SiHankétaitvenudansl'intentiondelapersuaderde

fairequelquechosedecegenre,ilenseraitpoursestrais.

—Jesuisdésolédenepasavoirreconnutonnomquandtuas

téléphonéhiersoir.Avectoutlebruitqu'ilyavaitdanslebar,j'ai

penséquetut'appelaisCharlie.Ilm'afalluunesecondepourfairele

lien,maistuavaisdéjàraccroché.Cen'étaitpasquejeneme

souvenaispasdetoi.Jesuismêmeretournéaubarpourvoirsi

quelqu'unteconnaissait,enespérantteretrouver.Situnemecrois

pas,tupeuxtéléphonerauChapsetdemanderaubarman.

—Jemefichedesavoirsitutesouviensdemoiounon,

affirma-t-ellebienqu'elleaitlecœurserré.Jeveuxquetut'enailles,

c'esttout.

Ilposalepiedsurlepaillasson.

—Tuesenceintedemoi...

Savoixs'étaitfaiterauque.

—Jenepeuxpasfairecommesiderienn'était.

—Jenevaispastedonnerlechoix,répliquaCarly.

LeregarddeHanksesoudaausien.Sesyeuxbleusétaientdevenus

durs,perçants.Aucunsouriren'adoucissaitplussonvisage.

—J'aimeraisteparlerdelafaçondontnousdevrionsgérerla

situation.

—Jevaisavoircebébé,rétorquaaussitôtCarly,tremblante.Situes

venum'offrirdel'argentpourquejemefasseavorter,tupeux

oubliercetteidéeaussivitequetum'asoubliée,moi.Monbébén'es

pasuneerreuràrectifier.Suis-jeclaire?

—Onnepeutplusclaire.Jenesuispaslàpoursuggérerquoique

cesoitdecegenre.Vas-tum'inviteràentreretécoutercequej'aià

dire?

—Tupeuxledireici.

Carlysemoquaitéperdumentdeparaîtredésagréable.Elles'était

conduitedemanièresistupide,cesoir-là!

Ilfronçalessourcils,seredressaetcalalespoucespar-dessussa

ceinture.

—Tuveuxvraimentquetoutlemondedanscetimmeublesoitau

courantdenosaffaires?

—«Nos»affaires?Iln'yapasde«nous»danscetteéquation.

LalueurrésolueréapparutdanslesyeuxdeHank.

—Trèsbien.Jevaisrectifiercequej'aidit.Tuveuxquetoutle

mondesoitaucourantdetesaffaires,àsavoirquetuportesmon

enfant?

—C'estmonenfant,pasletien.

Sonestomacsesoulevatoutàcoupetlegoûtdelachoucroute

qu'elleavaitengloutieluirevintàlabouche.

—Jenevaispasterappelerdanscinqanspourtedemanderde

l'argent,sic'estcequetucrains.Tupeuxt'enallertranquillementet

fairecommes'ilnes'étaitjamaisrienpassé.

—C'estvraimentcequetupensesquejeveuxfaire?M'enaller?

—Jemefichedecequetuveux.

—Quellequesoitl'opinionquetuasdemoi,ellenechangerienau

faitquejesuislepèredecebébé.

—Biologiquementparlant,oui.Commeundonneurdesperme.

UnmuscletressautasurlamâchoiredeHanketCarlyéprouvaune

craintesoudaine.Aveugledenaissance,elleavaitdéveloppéune

sortedesixièmesens,unradarquil'aidaitàjaugerautrui.Cette

nuit-làauChaps,elleavaitsentichezHankunegentillesse

sous-jacentequil'avaitpousséeàluifaireconfiance.Maintenant,

ellesentaitémanerdeluiuneforceetunedéterminationqu'elle

n'avaitpassoupçonnées.

—Peut-êtrenesuis-jequ'undonneurdesperme,Quoiqu'ilensoit,

jemesensdansl'obligationdem'assurerquenilebébénitoin'allez

manquerderien.

Bessm'aparlédetesproblèmesdevueetdesconséquencesque

cettegrossesserisquaitd'avoirsurtonétatdesantéetsurtasituation

financière.Jeveuxfairemonpossiblepourallégertonfardeau.

Carlyeutunhaut-le-corps.

—J'aiunenouvellepourtoi.Jeneveuxpasqueturessentesla

moindreobligationenversmonbébéouenversmoi.Tucroisqueje

t'aicontactépourtedemanderdel'argent?J'avaisseulementle

sentimentquetuavaisledroitdesavoirquetuallaisêtrepère.Je

n'avaispaspourobjectifdet'extorquerdel'argent.

Hankserenditcomptequecetteconversationnemenaitnullepart.

Toutenessayantdemettredel'ordredanssespensées,ilneput

s'empêcherdeseféliciterd'aumoinsunechose:ilavaitchoisiune

femmesuperbepourêtrelamèredesonenfant.Alalumièrecruedu

jour,Carlyavaitdestraitsdélicats,unteintd'ivoireetdegrands

yeuxbleus.Sescheveuxnaturellementblondsétaientstriésde

mèchescouleurmielettombaientsursesépaulesencascadedorée.

SonT-shirtblancetsonjeanserréépousaientsajoliesilhouette,

soulignantdepetitsseinsronds,unetailleminceetdelongues

jambes.

Faceàelle,ilsentitseréveillerdessouvenirsquis'étaientrefusésà

luijusqu'àmaintenant-ilseremémoraitàquelpointelleavait

sembléàsaplaceentresesbras,legoûtenivrantdesesbaisers,le

désirinsenséqu'ilavaiteud'elle.

Cequilefrappaitsurtout,c'étaitlacandeurangéliquequiémanait

d'elle.Ill'avaitremarquéecesoir-là...etignorée.Lesfemmesqui

fréquentaientlesbarsavaientsouventl'airdur;lecœurdeCarly

semblaitserefléterdanssesyeux.

Sesyeux.Ilsétaientsibeauxqu'ilavaitdumalàcroirequ'ilsétaient

malades.Pisencore,l'usagedésinvoltequ'ilavaitfaitdesoncorps

l'avaitpeut-êtrecondamnéeàdesmoisdecécité.Commentdiable

pourrait-elleretourneràl'universitésanssonaide?

Unlégergrincementattirasonattention.Inconsciemmentpeut-être,

elleavaittournésamainsurlapoignéedelaporte,trahissantla

tensionquil'habitait.Sessensenalerte,Hankpromenalentementle

regardsurlevisagedeCarly,etremarquaàquelpointilétaitcrispé.

Était-cedelapeurqu'illisaitsursestraits?

Cettepenséeletroubla.Ilnel'avaitpasforcéeàlesuivre,aprèstout.

Pourautantqu'ils'ensouvenait,elleavaitfonduentresesbrasquand

ill'avaitembrassée.Elleavaitétéconsentantejusqu'aubout.

Peut-êtreétait-celàleproblème,songea-t-il.Elles'étaitabandonnée

àl'instant,donnéeàluisansréserve.Enyrepensantmaintenant,elle

devaits'envouloiretpenserqu'elleavaitdebonnesraisonsdese

méfier.Elleacruàtoutesvossalades.

—Jesuisoccupée,dit-elle.Situasautrechoseàmedire,vas-y.Je

nevaispasrestericitoutelamatinée.

Ilsegrattalanuque,regrettantdenepasportersonchapeau.Un

Stetsonétaittoujoursutiledanslesmomentsdetension.

—Accepterais-tudedîneravecmoi?

Pasbrillant,certes.

UnlégerpliseformaentrelessourcilsdeCarly.

—Commentpeux-tuimaginerunseulinstantqu’accepteraisde

sortiravectoi?

—Jeneparlepasd'undînerauxchandelles.Jemedisais...enfin,tu

sais...quetuseraispeut-êtreplusàl'aiseenterrainneutre.Dansun

lieupublic,nouspourrionsdiscuterdetoutcelaetarriveràune

décision.

—Nousétionsenterrainneutre,ladernièrefois,luirappela-t-elle.

Hanknetrouvapasdeparadeimmédiateàcetteréplique.

—Ettouteslesdécisionsconcernantmonbébém'appartiennent,

ajouta-t-elle.Quandl'enfantseralà,jeteleferaisavoir.Situveux

obtenirundroitdevisite,jenecomptepast'enempêcher.Maisjene

peuxpasavoird'autrecontactavectoi.

LaconversationneprenaitpaslatournurequeHankavaitespérée.

—Carly,s'ilteplaît,je...

Sesyeuxmagnifiquesétincelèrentdecolère.

—Tusaiscequetum'asditjusteavantdeperdreconnaissance?

Hankn'enavaitpaslamoindreidée.Saperplexitédevaitêtre

évidentecarelleredressalementonetpoursuivit:

—Veux-tuquejeterafraîchisselamémoire?Avantqu'iln'aiteule

tempsderéagir,ellelâchalemotetluiclaqualaporteaunez.Hank

sentitsesépauléss'affaisser.Entempsnormal,jamaisiln'employait

delangageobscèneenprésencedefemmesetd'enfants;c'étaitune

règlequeluiavaitenseignéesonpère.Honteux,ilfermalesyeux.

Carlyluiavaitfaituncadeauprécieux,savirginité,etilavaitutilisé

untelvocabulaire?

Déchiréentrel'enviedetambourineràsaporteetcelledes'enaller,

ilrestaunmomentimmobilepuisdécidadepartir.Ilavaitfaitun

premierpas.Carlyluiétaithostile,etàjustetitre.Dansquelques

jourspeut-êtreserait-elleplusenclineàluiparler...

*

LorsqueBessrentra,troisheuresplustard,Carlyluiexpliquaqu'elle

avaitrendez-vouschezlespécialiste.

—Lemédecinpeutmerecevoirà16h45.Celat'ennuieraitde

m'emmener?

—Biensûrquenon.

Bessfronçalessourcils,visiblementinquiète.

—Merrickpense-t-ilquetuesentraindeperdrelavue?

—D'aprèslui,ilyadegrandeschancespourqu'ils'agissed'une

simpleinflammation,réponditCarlyenévitantsonregard.Mais

étantdonnéquejesuisenceinte,ilestaussipossiblequela

dystrophiereprenneledessus.

—Sitôt?Commentest-cepossible?demandaBessenluiposantla

mainsurl'épaule.

—Ilditquelaplupartdesvitaminesquej'absorbesontmaintenant

orientéesverslebébéplutôtqueversmavue.Certainesfemmes

perdentlavuetrèsvite.

Elles'efforçadesourire.

—Ilnesertàriendeselamenter,Bess.Sicelaarrive,tantpis.Pour

l'instant,j'essaiederesterpositive.Pourquois'inquiéteralorsqu'il

nes'agitpeut-êtrequed'uneinfection?

Plustardcetaprès-midi-là,enquittantlecabinetmédicalavecBess,

Carlyluirésumalediagnostic.

—Ilditquetoutvientd'uneinflammationdespaupières,

affirma-t-elleavecungrandsourire.Ilfautquejemettedesgouttes

plussouventetquejereposedavantagemesyeux.Quejefassedes

siestes.

BessdéverrouillalesportièresdesavieilleToyota.

—Ettescornées?Pasdechangement?

Carlymontadanslavoitureetbouclasaceinture.

—Ilaremarquéunepetitedétérioration,avoua-t-ellel'estomac

noué.Maispourlemoment,riendetrèsgrave.Ilvatéléphonerau

DrMerrickpourluiparler.L'undesdeuxmerappellerademain

pourmedonnerplusd'informations.

Bessneditpresqueriendurantletrajetderetour.Unefoisà

l'appartement,elleserenditdanslacuisineetpréparaunthéglacé

pourelleetunverredejusdefruitspourCarly.Puiselleposasur

Carlyunregardsoucieux.

—Tupensesquetuesentrainderedeveniraveugle,n'est-cepas?

—Tuoubliesquej'aiétéaveuglepresquetoutemavie.Sicela

arrive,jemedébrouillerai.

Bienquevisiblementinquiète,Bessn'insistapas.Carlvenfut

soulagée.Ellenevoulaitpasypenserpourl'instant.Lemoment

venu,ellesauraitgérerlasituation.Ellel'avaittoujoursfait.Quand

onnaîtaveugle,onn'apaslechoix.

*

Lelendemain,Bessannulaunentretiend'embaucheafindepouvoir

êtrelàquandleDrMerricktéléphonerait.

L'estomacnouéparlatension,elleattenditpatiemmentqueCarlyait

raccroché.

—Qu'a-t-ildit?

Carlyrepoussasachaise.

—Ilyabeletbienunedétériorationdescornées.

Bessfermalesyeux.

—Lecôtépositif,repritCarly,estquecelanesignifiepas

nécessairementquejevaisredeveniraveugledurantlagrossesse.La

dystrophieestunemaladiecurieuse.Ellepeutprogressertrèsvite

pendantuntemps,puisconnaîtreunerémission.Oul'inverse.

Ellehaussalesépaules.

—Ilnemerestequ'àattendre.J'espèrepouvoircontinueràvoir

pendantquelquesmoisaumoins

—Commentpeux-turestersicalme?Çamerendfolle!

Carlylevalesyeuxauciel.

—Àquoibonhurleroum'arracherlescheveux?

Jedoisacceptercequivaarriver,voilàtout.

*

Lelundisoir,Hankpritsoncourageàdeuxmainsetcomposale

numérodetéléphonedeCarly.Elleréponditàladeuxièmesonnerie.

—Bonsoir,Carly.IciHank.

Ayantbienrépétésondiscours,ils'apprêtaitàcontinuerquandun

déclicrésonnaàsesoreilles,suividubruitdelatonalité.

—Carly?

Pasderéponse.Ilfixal'appareil.Commentdiablepouvait-il

communiqueravecellesiellerefusaitdeluiparler?Apparemment,

elles'attendaitàcequ'ildisparaisseetoubliequ'elleexistait.Que

sonenfantexistait.Ehbien,ellesetrompaitlourdement!Iln'allait

certainementpaslaissersonenfantgrandirsanspère.Etpas

davantageabandonnerlamèredesonenfantalorsqu'elleavait

besoindelui.

Ils'assitàsonbureauetécrivitàCarlyunelonguelettre,lui

demandantpardonpourlaconduiteabominablequiavaitétéla

siennelesoiroùilss'étaientrencontrés.Unefoisdeplus,illuioffrit

sonsoutienmoraletfinancierdurantsagrossesse.Levendredi,

n'ayantpasobtenuderéponse,niparcourriernipartéléphone,ildut

serendreàl'évidence.Sonapprochenefonctionnaitpas.Endernier

recours,ildécidadetenterlabonnevieilleméthodeconsistantà

envoyerdesfleurs.Unedouzainederosesfaisaitparfoisdes

miracleslàoùtoutleresteavaitéchoué...

Allongéesurlesoldevantlatélévision,Carlyplissait:lesyeuxsur

lepuzzlequ'elleessayaitdereconstituer.C'étaitunpasse-tempsqui

l'ennuyaitàmouriretquiluidonnaitl'impressiond'êtreladernière

desidiotes,maisquiétaitcenséaidersoncortexvisuelàidentifier

lesformes.Lasonnettetinta,luioffrantunedistractionbien-venue.

Avalantunedernièrebouchéedechou,ellebonditsursespieds.

L'espaced'uninstant,lapiècetournoyaetlamoquettebeigesembla

onduler.Elles’immobilisa,attendantquesavisionsesoitstabilise

avantd'allerjusqu'àlaporte.

Surleseuilsetenaitunhommemaigre,auvisageflouetrougeaud.

Ilportaitdanssesbrasunelongueboîtequ'ellejugearosepâle.Elle

avaitdumalàdifférencierlesmultiplesnuancesderose,et

commençaitàdésespérerdejamaisyparvenir.

—CarlyAdams?

—Oui.

Ilfitunpasenavantetluitenditlecarton.Sonvisagedevintplus

net.Carlyvitqu'ilétaitjeune,avecdescheveuxrouxetdedrôlesde

petitestachesmarronsurlesjouesetlenez.Destachesderousseur.

Elleenavaitentenduparler,maisc'étaitlapremièrefoisqu'elleen

voyait.Illuiadressaunsourirechaleureux.

—Ellessontpourvous,madameAdams.Ilyaunecartede

l'expéditeuràl'intérieur.

Éberluée,Carlyregardal'hommes'éloignerjusqu'àcequ'ilnesoit

plusqu'unemasseindistinctequisedétachaitsurlevertdela

pelousedel'immeuble.Undélicieuxparfum,reconnaissableentre

mille,flottajusqu'àsesnarines,attirantdenouveausonregardsurla

boîte.

Desroses?

CarlyrefermalaporteetserenditdanslacuisinePuiselleouvritle

carton,retiralepapierdesoie,etlaissaéchapperuncriraviàlavue

desboutonsd'unrougeéclatant.

Mourantd'enviedelesprendreuneparunepourlesexaminer,elle

baissalesyeuxsurlesfleurs,Elleavaittoujoursadoréleparfumdes

roses,maisn'avaitjamaiseul'occasiond'envoirdeprès.Elles

étaientinfinimentplusbellesqu'ellenel'avaitimaginé,etleurs

pétalesdouxcommeduvelours.Quidoncavaitpulesluioffrir?Son

pèrevivaitenArizonaetnedisposaitquedemaigresrevenus.Il1ui

enverraitpeut-êtreunecartepourlaféliciterausu;jetdubébé,mais

lesrosesétaientau-delàdesonbudget

Hank!Ilnepouvaits'agirquedelui.Lapremièreimpulsionde

Carlyfutdelesmettreàlapoubellecommelalettrequ'illuiavait

envoyée,maisellehésita.Ellesoulevaleslonguestigesavec

précaution,inspirantleurparfumdélicat,etsutqu'ellepourraitpas

serésoudreàlesjeter.

ElleseconsolaensedisantqueHankavaitsansdoutecommandé

cesrosespartéléphoneetpayéparcartedecrédit.Iln'avaitjamais

vucesfleurs,cequiatténuaitquelquepeusaréticenceàlesgarder.

BessrentraalorsqueCarlydisposaitladernièrerosedansunpotde

choucroutevidetransforméenvasedefortune.

—Comments'estpassétonentretien?

Besslançasonsacsurlecanapé.

—Nousétionsplusdecinquante.Jen'avaisaucunechance.

—Tutrouverasquelquechoselasemaineprochaine,assuraCarly.

—Oh!s'exclamaBessenvoyantlesroses.Ellessontmagnifiques!

—N'est-cepas?réponditCarlyenreculantd'unpaspouradmirer

sonarrangement.

Lepotnétantpastoutàfaitassezhautetunpeutroplarge,les

fleurss'étalaientdanstouteslesdirectionsformantsurlatableun

bouquetimposant.

—Quilesaenvoyées?

—Nevapastoutgâcher.J'aifaillilesjeter.

—Hank.

BesspritlapetitecartequeCarlyavaitignoréeetlaisséedansles

replisdupapierdesoie.Elleparcourutlemessaged'unairsongeur.

—Mmm...

—Quedit-il?demandaCarly,soucieuse.

—Pasgrand-chose.Seulementqu'ilestvraimentdésoléetqu'il

espèrequetuvasluitéléphoner.

—Ilestoptimiste.

—Lesrosessontchères,Carly,etunelivraisonàdomicileaussi.Il

estévidentqu'ilessaiedefairelapaix.

—Tuleplains,c'estça?Excuse-moi,maisjenevaispasmelaisser

faire.

Besssedirigeaversleréfrigérateuretseservitunverredethéglacé.

—Àmonavis,unhommequienvoiedesrosespours'excuser

mérited'êtreentendudevivevoix.Querisques-tuàl'écouter?

Carlyserapprocha,déplaçantdesfleursçàetlà.Commeelletendait

lamainversunedestiges,ellemanquasonbutetheurtalepot.De

l'eaugiclasuriatable.

Bessprituneépongeetvolaàsonsecours.

—Ças'aggravesivitequeça?

Pourtouteréponse,Carlysecontentadehausserlesépaules

—Réponds-moi,Carly.Tavueavraimentempiréaucoursdela

semaineécoulée?

Carlynevoulaitpasmentir,maiselleavaitdumaladiretouthautla

vérité.

—Unpeu,marmonna-t-elle.J'espèrequec'estdûal'inflammation

despaupières.

—As-tutéléphonéàMerrick?

—Pourquoi?Jemetslesgouttesqu'ilm'aprescrites.Soitellesvont

faireeffet,soitnon.Ilmaditdèsledépartqu'ilnepouvaitrienfaire

contreladystrophie.Lamaladievaprogresseràrythme.

Bessselaissatombersurlecanapé,etcontemplalesrosesun

instant.

—Oh!Carly!Jepensevraimentquetudevraisaumoinsparler

avecHank.Quelmalyaurait-il?

—Bizarrequetuutilisescetteexpression.C'estexactementceque

jemesuisditcesoir-là,quaj'aiperdulatête.Quelmalya-t-il?Et

tusaiscequis'estpassé?Ilm'afaitmal,émotionnellementet

physiquement.

—Seulementparcequ'ilétaitivre,etqu'ilnesavaitpasqu'ildevait

faireattention.Illeregrette,Carly.Nouscommettonstousdes

erreurs.

—Lamienneaétédeluifaireconfiance.Jeneveuxpaslerevoir.Je

neveuxpasluiparler.Encequimeconcerne,iln'existepas!

Bessréfléchit.

—Tuestoujoursattiréeparlui,n'est-cepas?

—Oh!jet'enprie!

—Çasevoitcommelenezaumilieudelafigure.C'estpourçaque

tuestellementdécidéeànepaslerevoir.Tuaspeurd'êtreséduite,

d'oublieràquelpointc'étaithorriblelapremièrefoisetdete

retrouverdanslamêmesituation.

—Jamais!

VoyantqueBesss'apprêtaitàrépondre,Carlyluiimposalesilence

d'ungeste.

—Assez!Commentpeux-tuimaginerunechosepareille?J'aifait

uneerreur,maisçaneveutpasdirequejesuiscomplètementidiote!

—Etlui,iln'apasdroitàl'erreur?

—Tucroisvraimentquec'étaitsapremièreerreurdecegenre?Je

t'enprie!Jen'étaispassapremièreconquête.Seulementnotre

rencontres'estmoinsbienterminéequed'ordinaire.

—Peut-être,maiss'ilavaitcomprisqu'ils'étaitmalconduit?Je

croisqu'ilméritequ'onluiaccordelebénéficedudoute.Iln'yapas

beaucoupd'hommesquisedonnentautantdemalpourassumer

leursresponsabilités.

—JeneveuxpasêtreunedesresponsabilitésdeHankCoulter.

SurquoiCarlytournalestalonsetregagnasachambre.Elles'assit

surleborddulitetenfouitsonvisageentresesmains.Ensonfor

intérieur,ellesavaitqueBessavaitraison.ElleavaitpeurdeHank

Coulter.Ladernièrefoisqu'elleavaitétéseuleaveclui,undésastre

s'étaitproduit.Ellesesouvenaitdumomentoùellel'avaitrevu,

deboutsurleseuil,grandetincroyablementimposant.Cethomme

latroublait,etsoninstinctluisoufflaitdegardersesdistances.

8.

Assisdanslefauteuilinclinable,Hankcommençaitàs'assoupir,

bercéparledessinaniméqueMollyavaitglissédansle

magnétoscopedansl'espoird'amenerGarrettàserendormiraprès

unmauvaisrêve.IlentenditvaguementletéléphonesonneretJake

répondre.

L'instantd'après,sabelle-sœurlesecouait.

—C'estpourtoi,chuchota-t-elle.

Hankpritl'appareiletseleva.

—Allô?dit-ilensedirigeantverslacuisine.

—Bonsoir,Hank.IciBess.J'aiessayédevousappelersurvotre

portable,maisvousn'avezpasrépondu.

Hanktapotasaceinture.

—Oh!J'aidûlelaisserdansmonpick-up.

Ilsefrottalesyeuxpourseréveiller.

—Quesepasse-t-il?Carlyvabien?

—Àvraidire,jecrainsquenon.

Cettefois,Hanksesentitcomplètementréveillé.

—Qu'ya-t-il?

Bessluirelatarapidementlesincidentsdesderniersjours.

—Jecroisquesavuesedétérioretrèsvite.Enplusdecelaetdes

nausées,ellesouffredemigrainesterribles.

—A-t-elleappelésonmédecin?

—Illuiaditqu'ilnepouvaitrienfaire.Jemesuisrenseignéepar

moi-même,etlepronosticn'estguèreoptimiste.Certainesfemmes

deviennentaveuglestrèsvite,enmoinsdetroissemainesdans

certainscas.Àenjugerparcequej'aivu,j'aipeurqueCarlynesoit

decelles-là.

Hanksepassalamainsurlefront.

—Troissemaines?

—Sontempsestcompté,Hank.Elleespèreques'estl'inflammation

desespaupièresquicausesesroublesdelavision,maisjecrois

qu'elleseracontedeshistoires.

—Toutçaestmafaute.Jesuisdésolé.

—Jecommenceàlecroire,eneffet,réponditBessdoucement.

—Ellerefusetoujoursdemeparler.J'aiessayédeluitéléphoner,je

suismêmeallélavoirunmatin.Elleafiniparmeclaquerlaporteau

nez.

—Jel'aiappris,oui.Lesrosessontsplendides,àpropos.Ellen'est

passiméchante,d'habitude.C'estjusteque...lasituationest

terrifiantepourelleetjecroisquevousluifaitesunpeupeur.

Hankpouvaitsongeràpasmald'adjectifspourdécrireCarly.«

Méchante»n'enfaisaitpaspartie.

—J'aisentiqu'elleseméfiaitdemoi,maisjenesaispasaujuste

pourquoi.J'aiconsciencedem'êtremalconduitcesoir-là,maisjene

l'aipasforcéeàmonterdansmonpick-up.

—Jenesaispascequil'inquièteréellement.Ellerefused'enparler.

—Vousn'avezaucuneidée?

—Elleaeuuneexpériencemalheureuseavecungarçon,ilya

quelquesannées.Jenevaispasentrerdanslesdétails,maisill'a

vraimenttraitéed'unemanièreabominable.Ellel'avaitcru.Tout

commeellevousacru.Peut-êtren'a-t-elleplusconfianceenson

proprejugement.

Besspoussaunsoupirlas.

—C'estpeut-êtreunequestiond'amour-propre.

Franchement,jen'ensaisrien.

—Jevoudraisvraimentl'aider,neserait-cequefinancièrement,

fautedemieux.

—Danscecas,ilvapeut-êtrefalloirvousmontrerplusferme.

—Quevoulez-vousdire?demandaHankenfronçantlessourcils.

—Monamieestenceinteet,qu'ellel'admetteounon,elleestsurle

pointderedeveniraveugle.Elleadesnauséesetdesmauxdetête

presquechaquematin.Jeneparlemêmepasdescomplicationsqui

risquentdesurvenirpendantlagrossesse.Enseptembre,jevais

reprendremesétudesdemaîtriseettravailleràpleintemps.Quiva

s'occuperd'ellesielletombemaladeousielleadesproblèmes

imprévus?Etcommentva-t-ellefairefaceauxdépensesquivont

s'accumuler?

Hanknesutquerépondre.

—Seséconomiesneferontpaslongfeu,repritBess.Lagrossesse

valesengloutiretellen'auraplusd'argentpourunedeuxième

opérationdesyeux.Quefera-t-ellealors?Devra-t-ellerester

aveugleenattendantd'avoirmisdecôtéassezd'argentpourune

intervention?

Hankvoulutintervenir,maisBesspoursuivaitdéjà.

—Entantqu'institutricedébutante,ellenetouchaitpasunsalaire

mirobolant.MêmesielleretourneàPortlandetsiellereprendson

ancienemploi,elleauratoutjustedequoiseloger.Autrementdit,

Hank,ellevaavoirbesoind'unsérieuxcoupdemain.Sivousvoulez

l'aider,jepensequevousdevriezlefaire,etsansattendre.

—Commentpuis-jel'aidersiellerefusedemeparler?

—C'estcequejevousdisaisaudébut.Soyezplusferme!Parfois...

Elles'interrompitetsoupiradenouveau.

—J'aidumalàcroirequejedisça,maisparfoislesfemmes

laissentleursémotionsinfluersurleurbonsens,etCarlytout

particulièrement.Beaucoupdegenshandicapésacceptentleurs

limitesets'yrésignent.PasCarly.Elleétaitdéterminéeàfairetout

cequeCricketetmoipouvionsfaire,avecaussipeud'aideque

possible.Elleaapprisàmonteràbicyclette,àfaireduskate.Elle

avaittoujourslesgenouxetlescoudesécorchés,maisellene

renonçaitpaspourautant.Elletenaitdurcommeferàêtre

indépendante.

Hankécoutait,saisissantmallelienentrelerécitqueluifaisaitBess

etlasituationprésente.

—Maintenant,elleestenceinte,continuaBess,etvousproposezde

jouerl'hommefortetsolidequivoleàsonsecours.Or,Carlyn'est

pasarrivéelàoùelleenestaujourd'huiensereposantsurlesautres.

Vouscomprenez?

—Pasvraiment,avouaHank.

Ilavaitdumalàimaginerunepetitefilleaveuglejuchéesurune

bicyclette.Oùdiablesesparentsavaient-ilseulatête?

—Nousavonstousbesoind'aidedetempsàautre,ajouta-t-il.

—PourCarly,cen'étaitpasl'exception,maislarègle.Elleavaitle

choixentrelaissersacécitécontrôlersonexistenceousebattre

constammentpourmenerunevienormale.Elleatoujoursrefusé

d'êtretraitéedifféremmentdesautres.Ellevenaital'écoletoute

seule;elleportaitsonpropreplateaualacantine;ellegrimpaitàla

cordeengymnastique.Aucollège,elleavaitcomptélenombrede

pasentreleshaiessurlapisteduterraindesportpourpouvoirles

franchircommetoutlemonde.Quandelletombait,elleremettaitla

haieetrepartait.

—Autrementdit,elleesttêtue.

—Têtue,oui,etparfoisdifficile.Maisregardezla!Auriez-vous

devinéqu'elleétaittotalementaveugleilyaunmoisàpeine?

—Non,admit-ild'untonbourru.Oùvoulez-vousenvenir,Bess?

—Carlyneveutpeut-êtrepasdel'aidedesautresmaisçane

signifiepasqu'ellen'enapasbesoin.

—Vousêtesuneamiefantastique,Bess.

—Encemoment,j'aiplutôtl'impressiond'êtreunetraîtresse,

avoua-t-elled'unevoixincertaine.Vousnepouvezpassavoiràquel

pointjemesenscoupable.

—Vousagissezpoursonbien,c'esttout.

—Etjevousrévèledeschosesqu'ellenemepardonnerapeut-être

jamaisd'avoirdites.

Ellehésita,puissejetaàl'eau.

—JecroisquecettegrossesseestdevenueauxyeuxdeCarlyune

nouvellesériedehaies.Enplusdelaméfiancequ'elleéprouve

enversvous,elletientàsedébrouillerseule.D'autresfemmesont

desbébéssansêtremariées.D'autresfemmesparviennentàjoindre

lesdeuxboutsavecunenfant.Ellesn'épousentpasunhomme

qu'ellesn'aimentpasjustepourvivreplusconfortablement.

Hanksemassalanuque.

—Elledoitprendreencomptel'intérêtdenotrebébé.

—Jesais.Maispourelle,c'estpeut-êtreplusfacileàdirequ'àfaire.

Elleveutquesonenfantsoitfierd'elle,plustard.Etàsonavis,elle

neseraadmirablequesiellesedébrouilleparelle-même.

—Alors,quelleestlasolution?

Hankjetauncoupd'œilpar-dessussonépauleafindes'assurerqu'il

étaittoujoursseuldanslacuisine,puisilparlaàBessdela

conversationqu'ilavaiteueavecsonfrèreZeke.

—Sijepouvaislapersuaderdem'épouser,jeleferaissanshésiter.

C'estlaseulesolutionquimeparaissejouable.Nouspourrions

considérerquec'estunarrangementtemporaire,letempsqu'elle

subisseunenouvelleinterventionetqu'elleobtiennesamaîtrise.Si,

àcemoment-là,elleveuttoujourspartir,jeluidonneraiunesomme

d'argentpourqu'ellepuisses'installeretnousdivorcerons.

—Sielleveutpartir?Celaveut-ildirequevousresteriezmarié

danslecascontraire?

Hanks'adossaauplandetravail,lesyeuxfixéssurlaporte.

—Jeseraisouvertàcettepossibilité.Aprèst,qu'est-cequinousdit

quenousn'allonspasnousentendreàmerveilleetêtreheureux?Il

seraitpréférablepournotreenfantquenousrestionsensemble.

Longsilence.

—Allez-y,ditenfinBess.

—Où?demandaHank,surpris.

—Épousez-la.Votrefrèreetvousavezraison,c'estlameilleure

solution.Avectouteslesdépensesauxquellesvousallezdevoirfaire

face,vousn'aurezjamaislesmoyensd'avoirdeuxménagesséparés.

SiCarlypensequec'estunarrangementtemporaire,ellefinirapar

accepter.Croyez-moi.

—Problème...Commentpuis-jel'épouseralorsqu'elleneveut

mêmepasm'adresserlaparole?

—Vousmesemblezloind'êtrestupide,Hank.Servez-vousdevotre

imagination.

—Comment?Jenepeuxpaslaforceràm'épouser.Ilyadeslois

contrecegenredechoses!

—Ilyaaussidesloisquidonnentauxpèrescertainsdroits

inaliénables.Danssasituationactuelle,Carlyn'estpasenmesurede

subvenirauxbesoinsd'unenfant.

Unfrissonparcourutl'échinédeHank.

—Quevoulez-vousdire?

—Vousavezessayélagentillesse.Çaamarché?

—Non.

—Alorspeut-êtrequelemomentestvenudejouerlesméchants.

Elleneprendrapaslerisquedeperdrecebébé,jelaconnais.

Hankn'aimaitguèreletourqueprenaitlaconversation.

—Ellen'apasdefamillequipuisseluivenirenaide?

—Ellen'aplusquesonpère.Ellepourraitallerchezlui,maisilvit

enArizonadansunerésidencepourretraités,loindetout.Iln'yapas

d'écolesautantquejesache,pasdetransportsencommuncequi

veutdirequeCarlynepourraitpastravailler.Souvenez-vousqueles

aveuglesnepeuventpasconduire.Sonpèreferaitdesonmieuxpour

l'aidermaisilaquelquessoucisdesantéetn'estcertainementpasen

mesuredesurveillerunenfantpendantqu'elletravaille.Etilne

pourraitpasfaireletaxitouslesjours.

—Iln'yapersonned'autre?

Venantd'unefamillesiunie,Hankavaitdumalàl'imaginer.

—Pasdefrèrenisœur?

—Carlyestfilleunique.Sonpèreasoixante-treizeans,etsamère

asuccombéàuncancerilyadeuxans.Jeserailà,biensûr,maisje

nevaispasavoirbeaucoupdetempsentremontravailetma

maîtrise.Mêmesijereportaismesétudesàunedateultérieure,il

faudraitquej'aieunemploi.QuantànotreamieCricket,elleesten

Colombieencemoment,surunchantierarchéologique.Ellenepeut

pasrevenirsansmettresacarrièreendanger.

—Jecomprends.

Ilétaitsincère.Ilnevoyaitpaspourquoid'autresqueluiauraientdû

sesacrifierpourvenirenaideàCarly.C'étaitluiquil'avaitmise

danscepétrin;c'étaitàluidel'entirer.

*

Le

lendemain

matin,

au

réveil,

Carly

s'aperçut

avec

consternationquesonstockdechoucrouteetdechouxde

Bruxellesétaitépuisé.Bessétaitdéjàpartieàunentretiendansun

cabinetdevétérinaires,etellen'avaitpasdechauffeuràsa

disposition.Aprèss'êtrehabilléerapidement,ellesebrossales

cheveuxpartitàpiedpourlesupermarchévoisin.Quarante-cinq

minutesplustard,elleétaitderetourdanssarue.Elleavaitl'eauàla

boucheensongeantauxprovisionsqu'elleportaitdanssessacsen

plastiquequiétaientsilourdsqu'elleavaitlesdoigtsengourdis.

Elleavaitpresqueatteintlarésidencelorsqu'elleremarquaun

pick-upbleugarélelongdutrottoir.Commeelles'engageaitdans

l'allée,unhommedescenditduvéhiculeetclaqualaportière.Carly

avaitbeauvoirflou,ellesutaussitôtquec'étaitHank.

Soncœursemitàtambourinerdanssapoitrine.Elleluiavaitdit

clairementqu'ellenevoulaitpaslerevoir.Pourquoirefusait-ildela

laisserenpaix?

Sesbottesrésonnaientsurlemacadamderrièreelle.Carlyfaillitse

mettreàcourirpourluiéchapper,maissafiertél'enempêcha.Elle

n'allaitpasluidonnerlasatisfactiondelavoirs'enfuircommeun

lapineffrayé.

Illarattrapaavantqu'elleaitpus'engouffrerdansl'entrée.

—Attends.Laisse-moiporterçapourtoi.

Ellecontinuaàmarcher.

—Non,merci.Va-t'en!

—Pasquestion.

Carlyavaitlesdoigtscrispéssurlespoignées,maisilparvint

néanmoinsàs'emparerdessacssanseffortapparent.Ellesongeaà

lesluireprendre,maisunseulregardauxépaulesmuscléesdeHank

luiconfirmaquelapartieétaitperdued'avance.

Commes'ilavaitludanssespensées,illuiadressaunpetitsourire.

—Bonjouràtoiaussi.

Ellen'allaitcertainementpaséchangerdesproposbadinsaveclui.

—Nousallonsdiscuter,Carly.

Letonn'étaitplusamicalouespiègle,maisteintéd'unefroide

détermination.

—Situtesensplusensécuritédansunrestaurant,monoffretient

toujours.Maisd'unemanièreoud'uneautre,ilvafalloirquenous

parlions.

—Plusensécurité?répéta-t-elleenprenantsoindegravirles

marchessanstrébucher,cequin'étaitpasuneminceaffaire.Jen'ai

paspeurdetoi.

—Disonsquetuteméfies,alors.

—Jenememéfiepasnonplus.

D'unemaintremblante,ellefouilladanssapocheàlarecherchede

lacléetvisalaserrure,espéranttrouverletroudupremiercoup.

Maisnon.Gagnéeparlafrustration,elletâtonnaenvain.

Hanktransféraundessacsdanssonautremain,luipritlacléet

l'introduisitdanslaserrure.

Aussitôt,Carlyfranchitleseuiletseretournapourluiclaquerla

porteaunez.Ilcalaunpieddansl'interstice,puisbranditlacléetles

provisionsavecunnouveausourire.

—Tun'oubliesrien?

Quelgoujatarrogant,dominateuretimbudelui-même!Carly

auraitvoulunel'avoirjamaisrencontré.Ellejetauncoupd'œilaux

sacsquicontenaientleremèdeàsesnauséesmatinales.Aprèsavoir

faitunedemi-heuredemarchepourallerlesacheter,ellen'allait

certainementpaslelaisserpartiravec.

Elletenditlebras.

—Donne-moimesaffaires.

Ilsourit.

—Pourquetumefermeslaporteaunez?J'aimeraisautantnepas

avoiràcriercequej'aiàdireparletroudelaserrure.Faisonsun

marché.Tum'invitesàentrer,etjetelesrends.Carlyserralesdents.

—Donne-moicessacs,sinon...

—Sinonquoi?

Carlysavaitpertinemmentqu'ilseraitpuérildeproférerdes

menacesqu'ellenepourraitpasmettreàexécution.

—Sinon,j'appellelapolice!

Hankjetauncoupd'œildanslessacs.

—DeschouxdeBruxellessurgeléset...

Ilinclinalatêtepourlireuneétiquette.

—...delachoucroute?Jedoutequecesoitunvolpassiblede

prison.Jevaiscourirlerisque.

—Tuesinsupportable!s'exclamaCarly,passantbrusquementde

l'irritationàlafureur.

Bloquanttoujourslaportedupied,Hankbaissalesbrasetsemblase

détendre,commes'ilétaitprêtapasserlajournéelàsinécessaire.

—Veux-tumefairel'honneurdevenirdéjeuneravecmoi?Ilyaun

endroittoutprèsoùonsertd'excellentescrêpesetdutrèsboncafé.

C'esttrèsfréquenté.Nouspourrionsparlersansattirerl'attention.

Leseulfaitdepenseràmangerunecrêpesuffitàluidonnerun

haut-le-cœur.

—Non.Jeveuxquetumerendesmesprovisionsetquetut'en

ailles.

—J'avaispeurquetudisesça.

Avantqu'elleaitpudevinersonintention,ilpoussalaportede

l'épauleetentra.Carlyrecula,lefixantavecstupeurpendantqu'il

refermaitlebattant.

—Sorsd'ici!cria-t-elle.Tunepeuxpasfaireça!

Ilparcourutlapièceduregard.

—Quivam'enempêcher?Toi?Avecquellearmée?

Ilverrouillalaporte,glissalaclédanslapochedeCarlyetluiremit

lesprovisions.

—J'aiessayéd'êtregentil,Carly.Maintenant,jevaischanger

d'approche.Queçateplaiseounonnousallonsparler.

—Sorsd'ici!Jenetelerépéteraipas.

—Désolé,monchou,maisc'estnon.Jesuistêtufigure-toi.

Carlyréprimanonsansmalsonenviedeluibalancerlesacdepots

dechoucrouteenpleinefigure.

—Qu'est-cequetuespèresenentrantdeforcechezmoi?Tucrois

vraimentquecegenred'attitudevam'inciteràparler?Qu'est-ceque

tuveuxprouver?Quetuesplusfortquemoi?

—S'ilfautenarriverlà,nousavonstouslesdeuxdesennuis.

Ellesedemandacequ'ilvoulaitdireparlà,maisilneluifournitpas

d'explication.Ilcroisalesbras.

—Quantàsavoirsituasenviedemeparleroupas,àcestade,peu

m'importe.J'aiassezdechosesàdire.

Méfiante,Carlyfronçalessourcils.

—Varangertesprovisions,suggéra-t-ild'untonjovial.Netegêne

paspourmoi.Jepeuxparlerpendantquetuesoccupée.

Carlypassarapidementsesoptionsenrevueetconclutqu'elle

n'avaitguèrelechoix.Unhommeimposantetrésolusetenaitdans

sonsalon,bloquantl'uniquesortie.Ilétaithorsdequestionqu'elle

puisselecontourner.Sanscompterqu'ellesesouvenaitavecune

amèrenettetédel'aisanceaveclaquelleill'avaitsoulevéedansses

braspourladéposeràl'arrièredesonpick-uplafameusenuitdeleur

rencontre.Tenait-ellevraimentàlutterphysiquementcontrelui?

Laréponseétaitnon.

Elletournalestalonsetsedirigeaverslacuisineavecune

conscienceaiguëdelaprésencedeHankderrièreelle.

—Jet'écoute,siffla-t-elleenposantlessacssurlepleindetravail.

Tuascinqminutes.Situn'espassorti-d'icilà,j'appellelapolice.

Elleponctuasaphrased'unregardappuyéversletéléphone.

—Nefaispasl'erreurdepenserquejen'oseraipaslefaire.Ma

patienceestàbout.Hanks'adossaàlacloisonquiséparaitlacuisine

dusalonetlançaunregarddésinvolteàl'appareil,puisretirason

Stetsonetl'expédiasurlecanapé.Sanschapeau,ilsemblaitunpeu

moinsgrand,maisCarlynesesentitpasrassuréepourautant.Ilse

passalamaindanslescheveux.

—Ya-t-ilmoyendefaireunpeumarchearrièreetderecommencer

dezéro?

—Non.Iln'yarienquej'aieenviederecommenceravectoi.

ElleversaleschouxdeBruxellessurgelésdansunrécipient,les

recouvritd'eauchaudeetlesmitdanslemicro-ondesavantde

reportersonattentionsursesautrescourses.Ellelaissaunpotde

choucrouteetuncartondelaitchocolatésurleplandetravail.

—C'estcequetumangesaupetitdéjeuner?

—Siçaneteplaîtpas,tupeuxressortirparoùtuesentré.

Ilsoupiraetchangeadeposition,croisantleschevilles.Jamais

auparavantl'appartementn'avaitsemblésiexiguàCarly.Ellen'était

pasencoretrèsdouéepourestimerlatailledesgens,maiselle

jugeaitqu'ilmesuraitplusd'unmètrequatre-vingts.

Elleretiralecouvercledelachoucroute,pritunefourchetteet

commençaàmanger.Ellen'avaitpaslechoix.Siellegardait

l'estomacvide,elleallaitvomirtoutelamatinée.

—Alors?demanda-t-elleentredeuxbouchées.Letempspasse.

Cinqminutesetc'esttout.Ensuite,tut'envas,d'unemanièreou

d'uneautre.

Iljetaunnouveaucoupd'œilautéléphone.

—Noussommesdanscepétrinensemble,toietmoi,dit-il

doucement.Ceseraittellementmieuxsinouspouvionstrouverune

solutionquinousconvienneàtouslesdeux.

Toutenlefoudroyantduregard,Carlyenfournaiunenouvelle

portiondechoucroute.

—Jeneveuxrienavoiràfaireavectoi.Jerisqueraisd'attraper

quelquechose.

Ileutl'audacedesourire.

—Pasdedanger.J'aitoujoursutiliséunpréservatifL'expression

éloquentedeCarlyluifitprendreconsciencedecequ'ilvenaitde

direetilcilla.

—Tuasétémaseuleetuniqueexception.

—C'esttoiquiledis.

—Silapossibilitéd'avoircontractéuneMSTt'inquiète,j'iraisubir

untestetjetemontrerailesrésultats.

Carlyavaitétéinquiète,eneffet,maisellen'allaitcertainementpas

leluiavouer.Ilsauraitalorsqu'elleavaitpassédesheuresàpenserà

leurrencontre.Mieuxvalaitqu'ilcroiequecetteidéeneluiétait

jamaisvenueàl'esprit.

—UneMSTestlecadetdemessoucis,encemoment,

affirma-t-elleavantd'engloutirunenouvellebouchéede

choucroute.

—Jesais.Etc'estpourquoinousdevonsavoiruneconversation.

Leminuteurdumicro-ondesémitunbipsonore.Carlysortitles

chouxdeBruxellesetsemitàlesdévorer,alternantavecla

choucrouteetarrosantletoutdelaitchocolaté.Avecunpeude

chance,Hankallaitêtredégoûtéets'enirait.

Ilsecontentadel'observer,unmélanged'incrédulitéetdecuriosité

consternéesurlestraits.

—Pasétonnantquetuaieslanausée,remarqua-t-il.

—Àvraidire,çaaideunpeu,répondit-elle,unchoudeBruxelles

danslabouche.Etcommentsais-tuquej'aieulanausée?

Uneseconde,ilparutdécontenancé.Puisilseressaisit.

—Laplupartdesfemmesenceintesontdesnausées.Carlysongea

àinsister,maisseravisa.Moinselleprenaitpartàcette

conversation,mieuxc'était.

—Pourunhommesirésoluàparler,tunesemblespasavoir

grand-choseàdire.

—J'yviens.

Carlysedirigeaversl'évieretmouillauneserviette.Commeelle

s'éloignaitdelui,sonvisagedevintunetachefloueetfoncée.Elle

s'essuyalaboucheetrevint.

—Tescinqminutessontpresqueécoulées.

Ilacquiesçaetunmuscletressautasursamâchoire.Carlysesouvint

d'avoirécoutédesromanssurcassetteetdes'êtredemandéàquoi

ressemblaitunmusclequitressautait.Maintenant,enfin,ellesavait.

Ilparaissaitfurieux,résolu,etplusqu'intimidant.Elleavaitle

sentimentqueHankCoulterétaitenmissionetqu'ilnereculeraitpas

avantdel'avoiraccomplie.

—Jesuisvenutefaireuneproposition,dit-ilenfin.

—Unequoi?répéta-t-elle,interloquée.

—Cen'estpascequetupenses.

Ilenfonçalesmainsdanslespochesdesonjean,uneattitudequifit

paraîtresesépaulespluslargesencore.

—Regardonslasituationdemanièrerationnelle,veux-tu?

—Es-tuentraindedirequejenesuispasrationnelle?

—Non,pasdutout,répondit-ilcalmement.Jemesuismalexprimé.

Cequejeveuxdire,c'estquenousdevonsexaminerlasituationsous

toussesaspects,évaluerlesproblèmespotentielsetnosressources

pourlesrésoudre,etessayerdeprendredesdécisionsquisoient

dansl'intérêtdenotreenfantetletien.

—Monenfant,corrigea-t-elle.

UneétincellejaillitdanslesyeuxbleusdeHank

—Notreenfant,répéta-t-il.Jesuissonpère.

—C'estcequetudis.

—Celapeutêtreconfirmétrèsfacilementparuneprisedesang.N'y

pensemêmepas.Jejoueraiunrôleactifdanslaviedemonenfant,

avecousanstacoopération.Etjetepriedecroirequeleschoses

serontplusagréablespourtoisitucoopères.

Carlydéglutit,peinantàavalersabouchéedechou.L'espaced'un

affreuxmoment,ellecrutqu'elleallaits'étrangler.

—C'estunemenace?

—Interprèteçacommetuvoudras.Jesuislepèredecetenfantet

j'aicertainsdroitsinaliénables,sansparlerdemesresponsabilités.

Lajusticemesoutiendrasurcesdeuxpoints.Ilestdanstonintérêt

denepasêtreàcouteauxtirésavecmoi.

C'étaitincontestablementunemenace.L'appétitdeCarlyenfut

coupénetetellelaissaretombersafourchettedanslepotde

choucroute.

—Jenefaisqueciterlesfaits.

Ilcontinua,énonçantlalistedetouteslesraisonspourlesquelles

elleavaitbesoind'aide,dontcertainesqu'iln'auraitpuconnaîtreà

moinsqu'undesesprochesneluiaitlivrécesinformations.Quandil

setut,Carlytremblaitdetoussesmembres.

—Commentsais-tutoutcela?

—Jemesuisrenseigné.Ai-jeditquelquechosed'inexact?

Ellesecontentadelefixersansrépondre.

—Bien.Quantàmoi,reprit-ilensedétachantdumur,jenesuispas

riche,maisjegagnebienmavie.J'aienfreinttoutesmesrèglesde

conduitelesoiroùjet'airencontréeet,àcausedecela,j'ai

bouleversétonexistenceàunpointquirisqued'affectertoutton

avenir.

—Monavenirneregardequemoi.

—Dansdescirconstancesnormales,jeseraisd'accordavectoi.

Maismaintenantquetuesenceinte,c'estdifférent.Ilestdemon

devoird'assurerlebien-êtrematérieletémotionneldenotreenfant.

—PourunCasanovadecomptoir,tusemblesprendrelapaternité

trèsausérieux.

Carlyn'auraitpuenjurer,maisellecrutqueseslèvresavaient

blanchi.

—J'aiméritécetteremarque,jesuppose.

Sapommed'Adammontaitetdescendaitcommes'ilétaitentrain

d'avalerunchoudeBruxellestoutrond.

—Pourlemoment,cependant,laissonsmonpasséendehorsde

cettehistoireetconcentrons-noussurlessolutionsàcegâchis.

Carlyouvritlabouchepourluidirequec'étaitsonaffaire,puisse

ravisa.Ilsavaientdéjàabordécettequestion.

—Demoncôté,reprit-il,jen'aipaslesmoyensderéglertoutesles

dépensesdesantéliéesàtesyeux,pluscellesdelagrossesseetdela

gardedel'enfant,ettesoutenirfinancièrementpendanttesétudessi

nouscontinuonsàvivreséparément.

SesdernièresparolesfirenttressaillirCarly.

—À...vivreséparément?

—Net'énervepasavantdem'avoirentendujusqu'aubout.

—Tune...

Carlydéglutitetprituneprofondeinspirationafindesecalmer.

—Tuesentraindesuggérerquenousvivionsensemble?

Elleéprouvaituneenviederireprochedel'hystérie.

—Tuneparlespassérieusement?

—Jesuisonnepeutplussérieux,maisjeneteproposepasque

nousvivionsensemble.Jeteproposedem'épouser.Etleplustôt

seraitlemieux.

Carlyn'encroyaitpassesoreilles.

—Quoi?

—Tum'asentendu.Etavantquetumontessurtesgrandschevaux,

laisse-moiajouterqu'ils'agiraitd'unarrangementtemporaire-une

mesurededépannage,pourainsidire,enattendantquetuobtiennes

tamaîtrise.Jusque-là,tubénéficieraisdemonassurance-santé,je

régleraistesautresdépenses,jet'aideraisàéleverl'enfantet

j'arrangeraistontransportpouralleràl'université.

Carlylevalamainpourl'interrompre,maisilcontinuaàparler.

—Quandtuaurasterminétesétudesetquetuaurassubiune

nouvelleinterventionpourrecouvrerlavue,jetedonneraiune

sommepourt'installer,nousmettronsfinaumariageetnous

reprendronsl'unetl'autrenotreliberté.Naturellement,je

m'attendraiàavoirundroitdevisitepourmonenfant.Jeteverserai

unepensionmensuellebaséesurmesrevenus.

UnebouleacideremontadanslagorgedeCarly.

—Tuasperdul'esprit!Commentpeux-tuimaginerunseulinstant

quej'envisageraisdet'épouser?Bessn'avaitpasledroitdeterévéler

toutcela!Pasledroit!

—Nevapast'enprendreàBess.Jenevaispasteraconter

d'histoires.Nousnoussommesparlé,eneffet.Maisjen'aipas

obtenutoutescesinformationsparsonintermédiaire.Tuasune

amieloyale.

—Sielleestloyale,commentsais-tuquemonassurancenecouvre

pastousmesfraismédicaux?Commentsais-tuquemonpèreviten

Arizona?

—Jesuisunasdel'Internet.Avecleslogicielsappropriés,onpeut

trouverpresquen'importequoi,mêmelegenredefilmsquelesgens

louent.

Carlynelecrutpasuneseconde.Ilconnaissaittropdedétailsquine

pouvaientvenirquedeBess.Etlatrahisonluifaisaitterriblement

mal.

—Bessesttonamie,Carly,ajouta-t-ilcommes'illisaitdansses

pensées.Ellet'esttrèsattachée.Peut-êtrea-t-ellelaissééchapper

quelquesdétails,maisseulementparcequ'ellepensaitàtonbienetà

celuidubébé.

—Tescinqminutessontterminées,asséna-t-elled'unevoixtendue.

LemuscledelamâchoiredeHanksemitàtressauterdenouveau.

—Jenepartiraipasd'iciavantquenousayonsréglécetteaffaire.

—Oh!quesi!Monbébéetmoin'avonsrienàvoiravectoi.

—C'estlàquetutetrompes.Demonpointdevue,ilsemblepeu

probablequetusoiscapabledesubvenirauxbesoinsdemonenfant.

Carlysaisitletéléphone.

—Sorsd'ici,ouj'appellelapolice.

Ilnebougeapas.

—Jesuissérieuse,Hank.

Elleplissalesyeux,cherchantle9surleclavier.Avantqu'elleaitpu

letrouverautoucher,Hankcoupalaligne.

—J'espéraisvraimentquenouspourrionsdiscutercommedeux

adultesraisonnablesettrouverunesolution.

LafureurdeCarlys'accrut.

—As-tulamoindreidéedunombredefemmesenceintesqui

n'épousentpaslepèredeleurenfant?Personneneleurreproche

d'êtredéraisonnables!

—Cesfemmesn'ontpasàfairefaceauxmêmesproblèmesquetoi.

Turisquesdeperdrelavuedenouveau.

Lacécitéfaisait-elledoncd'elleunêtreinférieur?songeaCarly

avecamertume.Mêmesameilleureamies'étaitretournéecontre

elle.Deslarmesbrûlantesluimontèrentauxyeux.

—J'essaieseulementdefacilitertavieetcelledenotrebébé.

—Jel'aiditetjelerépète:jen'aipasbesoindetonaideetjen'en

veuxpas.

Hankavaitgardélamainsurlerécepteur,l'empêchantdecomposer

lenuméro.

—J'auraispréférénepasenarriverlà,maistunemelaissespasle

choix.

Carlyluidécochaunregardméfiant.

—Crois-tuvraimentquej'accepteraisdevoirmonenfantnaître

danslapauvretéetêtreélevéparunemèreaveugle?Soittu

m'épousesetturestesjusqu'àcequetuaiestraversécettemauvaise

passequej'aicausée,soitjedemandelagardedubébé.

Carlydevintblanchecommeunlingeetsoncorpsluisembla

soudaindeplomb.

—Tuneferaispasunechosepareille.

—Tuveuxparier?

Hanksavaitqu'ilauraittrèspeudechancesd'obtenirgaindecause

auprèsd'untribunal.C'étaitdubluff,riendeplus.Ilnepouvait

qu'espérerqueCarlynes'enrendraitpascompte.

—Jetehais,murmura-t-elle.

Iln'endoutaitpas.SilapâleursoudainedeCarlyluidonnait

l'impressiond'êtreledernierdessalopards,elleluiapprenaitaussi

quesamenaceavaitfaiteffet.D'uncôté,illeregrettait,maisde

l'autreilenétaitsoulagé.Quelqu'undevaitluivenirenaide,etc'était

àluiquecetteresponsabilitéincombait.

Elleledévisagea,leregardtraverséparuneséried'émotions.

L'incrédulité,lechoc,lapeur,lacolère...

—Sorsd'ici,murmura-t-elled'unevoixrauque.Hanklâchale

téléphoneettraversalapiècepourallerreprendresonStetson.

—Necommetspasl'erreurdepenserquejenedemanderaipasla

gardedubébé.Situnemelaissespasd'autrechoix,jen'hésiteraipas

uneseconde.

Arrivéàlaporte,ils'arrêtaetlaregarda.

—Jetedonnedeuxjourspourréfléchir.Ensuite,jeterappellerai.

Soitnousnousmarions,soitjeprendsunavocat.Àtoidevoir.

—Vas-y,prendsunavocat!s'exclama-t-elle.Jem'enmoque.Tune

pourraspasmevolermonbébé.

Tun'asaucuneraisonvalable,etjemebattraijusquaudernier

soufflepourlegarder.Hankfranchitleseuiletseretourna.

—Libreàtoid'essayer.Ceseraaujugededécider.Situveuxcourir

cerisque,vas-y.Pendantqueruréfléchiras,souviens-toid'une

chose.Unavocatcoûtecher,etunprocèsaussi.J'ailesmoyensde

lespayer.Ettoi?

Là-dessus,ilrefermalaporteetrestauninstantimmobilesurle

paillasson,auxprisesavecsaconscience.Lechantagequ'ilvenait

d'exercerlerévoltaitprofondément.Ilétaittentédefairedemi-tour

etd'allerdireàCarlyqu'ilretiraitsesmenaces.Maisavait-ille

choix?Devait-illalaissersedébattredanslamisèrependantqu'il

prendraitdubontemps?

Alorsqu'ilhésitait,unsanglotétoufféluiparvint.Uninstantplus

tard,uneporteclaquadansl'appartement,etilentenditdespleurs

quisemblaientvenirdelachambresituéeàdroitedel'entrée.Il

imaginaCarlysursonlit,levisagepressécontrel'oreiller.

Pourquoidiablesesentait-ilcoupablealorsqu'ilessayaitdefaire

sondevoir?Ilmitlamainsurlapoignée,prêtàlatourner.Àla

dernièreseconde,illaissaretombersonbras.Lemariageétaitla

meilleuresolution-laseulesolution.S'ilcapitulaitmaintenant,ils

seraientderetouràlacasedépart,Carlyrefusantd'accepterle

moindresouetraccrochantchaquefoisqu'iltéléphonerait.

Ilnepouvaitl'accepter.Elleavaitbesoindelui.Illasoutiendrait

donc,qu'elleleveuilleounon.Ettantpissielleleméprisaiten

conséquence.

9.

CarlyétaitdanssachambrequandBessrevintdéjeuner,troisheures

plustard.Lesyeuxgonflésetlenezrougiparlespleurs,elleroula

surlecôtéetserecroquevillasurelle-même,redoutantladiscussion

àvenir.

—Ohé!Carly!Devinequoi!Jecroisquej'aiunjob!Dansun

cabinetdentaire!Ceseraparfait!

Bessouvritlaporteàlavoléeetfitirruptiondanslachambre,

s'arrêtantnetàlavuedeCarlyprostréesurlacouette.

—ÔmonDieu!Quesepasse-t-il?

Carlyseredressaets'assitauborddulit.Lemouvementbrusquelui

fitmonterlesangàlatêteetelleeutl'impressionquesestempes

allaientexploser.Elleregardasonamiesansriendirependantde

longuessecondes.

—Hankestvenu,dit-elleenfin.Bessesquissaunpasverselle.

—Oh!Carly!Tesyeux.Jevoisd'iciquetuasdenouveaumalàla

tête.Laisse-moiallertechercherdelaglace.

—Non,n'yvapas,s'ilteplaît.Carlyseleva.

—Ilfautquejeteparle.

—Dequoi?

—Noussommesamiesdepuisl'âgedecinqans,continuaCarly.

J'avaisentoiuneconfiancetotale.

—Carly,je...

—TuastoutracontéàHankdansmondos!Tuluiasparlédela

possibilitéquejeredevienneaveugle,demonassurance-santé,de

mesfinances,demonpère.Detout,enfin.Pire,jecroisquetul'as

encouragéàseservirdecesinformationscontremoi.Besspâlit.

—Hankafaitdesonmieuxpourtecouvrir,etc'esttoutàson

honneur,maisiladittropdechosesquinepouvaientvenirquede

toi.

Leslarmesluimontèrentauxyeuxdenouveau,etellebattitdes

paupièrespourlesrefouler.

—Ilaffirmequetuesuneamieloyale,etilaraison.Tul'asété.

Carlydéglutit,lagorgenouée.

—Jusqu'àprésent.

—Oh,Carly!

—D'abord,j'aiétéencolère.Maintenant,je...

Elleeutungested'impuissance.

—Pourquoi,Bess?Commentas-tupumefaireunechosepareille?

DeslarmesbrillaientdanslesyeuxdeBess.Commeàboutde

forces,elleselaissatombersurlelit.

—J'aifaitcequejedevaisfaire.Etjel'aifaitpourtoi,Carly.Pas

contretoi.

Carlys'adossaaumur.

—Ilmenacedemeprendremonbébé.Ilditqu'ildemanderala

gardesijerefusedel'épouser.

LaculpabilitésepeignitsurlevisagedeBess.

—Tusavais?

Cen'étaitpasàproprementparlerunequestion.

—Nousn'avonspasabordélesdétails,maisjeluiaiconseilléd'être

plusfermeavectoi.Encequiconcernelagarde,c'estmoiquil'ai

suggéré.

Carlyeutl'impressionquesoncœursebrisait.

—Tu...tuluiasditdemeprendremonbébé?

—J'espèrequevousn'enarriverezpaslà,maislasuggestionvient

demoi,oui.Quelautremoyendepressiona-t-il?Tuasbesoinde

sonaide,Carly.ettuestroptêtuepourl'admettre.J'aitoujours

admirétadéterminationetjecroisquetuesunefemme

remarquable.Maisjepenseque,cettefois,tupousses

l'indépendancetroploin.

—Cen'estpasàtoid'enjuger.C'estdemaviequ'ils'agit.

—Non.Plusseulement.Tuprendsdesdécisionspourdeux,

maintenant.Etcellesquetuasprisesnesontpastrèssages.

—Tun'aspasledroitde...

—Ohsi!Besssereleva.

—J'ailedroit.Jet'aime,Carly,etjevaisaimertonbébé.Jete

connaismieuxquetuneteconnaisparfois.Jecomprendsquetuaies

besoindetedébrouillerpartoi-même,maisilyadeslimites.

L'obstinationnevapastenourrir.Ellenevapassubveniraux

besoinsdubébésitutombesmalade.Ellenevapaspayertesfrais

d'université,nitonassurance,nilesdépensessupplémentairesqui

nevontpastarderàtomber.Sansparlerd'unenouvelleopérationen

juillet.Yas-tuseulementpensé?Quecomptes-tufaire?Rester

aveuglependantquelquesannéesdeplusenattendantd'avoir

économisésouparsoupourpouvoirtel'offrir?

Unnœuds'étaitformédansl'estomacdeCarly.

—Tun'asmêmepasprisrendez-vousaveclemédecinpourun

examenprénatal!luireprochaBess.

—C'estfaux!protestaCarly.J'aiprisrendez-vouslejouroùonm'a

appeléepourconfirmerlagrossesse.Jen'aipaspuenobteniruntout

desuiteetj'aitoutsimplementoubliédeteledire.

—Bon.Jesuiscontentedel'apprendre.Maisiln'enrestepasmoins

quetunepensespasàcebébécommetudevrais,insistaBess.Pas

vraiment.Tun'espasréaliste.

—Jeneseraispaslaseulefemmeàavoirunenfanttouteseule!

protestaCarly.

—Lesautresnefontpasfaceauxmêmesproblèmesquetoi.

Réveille-toi,Carly!Cettefois,ilnes'agitpasd'unjeu.

Elletournalestalons.Carlylasuivitdesyeux,choquée,blessée,

luttantcontreleslarmes.

—C'estdemonenfantquenousparlons!Besss'immobilisasurle

seuil.

—Exactement.Alors,commenceàteconduirecommeunemère.

Outrée,Carlylasuivitdanslesalon.

—Jenemeprostitueraipasdansunmariagesansamour!Bess

s'assitsurlecanapéetrepliasesjambessouselle.

—C'estcequetupenses,queHankauradesexigencessurleplan

physique?

Carlycroisalesbras.

—Nousserionsmariés.Ets'ildécidaitquetoutescesdépenseslui

donnentdroitàcertainescompensations?Jeneveuxpasenrepasser

parlà!

Bessarqualessourcils.

—Commentsais-tuquetun'yprendraispasplaisir?

—Yprendreplaisir?

Àlaseulepenséed'endurerlamêmedouleurdenouveau,Carly

sentitsonventresenouer.

—Tuesfolle!Jamais,tuentends?Jamais!

—Mêmesiçaveutdirequetupourrasgardertonbébé?Hanka

quandmêmedût'attirerplusqu'unpeu,cesoir-là,sinontunete

seraispasretrouvéedanscepétrin!

—Oh!jet'enprie!Ils'estconduitcommeunvraigoujat,cematin.

Ilestentrédeforce,ilarefusédepartir,etilm'amenacée!

—Lafauteàqui?Quandilaessayéd'êtregentil,tul'asenvoyésur

lesroses.

—Jen'arrivepasàcroirequetuprendssonparti!

—Jesuisdetoncôté,Carly.Etducôtédubébé.Hankesttaseule

bouéedesecours.Siturefusessonaide,qu'est-cequetuvasfaire?

Vivred'allocations?Emprunterdel'argentàtonpèrepourtebattre

contreHankautribunal?

—Tusaistrèsbienquejen'imposeraispascefardeauàmonpère.

S'ilpensait,neserait-cequ'uninstant,quejerisquedeperdremon

bébé,ilvendraittoutcequ'ilaets'endetteraitpourl'empêcher.Ila

déjàfaittropdesacrificespourmoi.

—C'estcequefontlesparents,réponditBessdoucement.Peut-être

quetudevraissuivresonexempleetenvisagerdefairequelques

sacrificestoi-même.

*

Hanksepenchapar-dessuslatabledebillard,visaavecsoinet

commençaitàtirerquandsontéléphoneportablesemitàsonner.Il

tressaillit.Aulieud'atteindresonbut,lablanchepartitversla

gauche,heurtauneautrebilleetlasuivitdanslapoche.Illaissa

échapperunjuron.Zekeeutunpetitrire.

—Sauvéparlegong!J'aicruquetuallaismebattreàplatecouture

etempocherlesdixdollars.

Hankavaittirél'appareildesonétui.

—Oui?

—Hank?fitunevoixdefemme,incertaine.Hanklançaàsonfrère

unregardéloquent,puistournaledosàlatable,setassant

légèrement.

—Carly?

—Oui.J'ai...euh...ilfautquejeteparle.Ilnepouvaityavoir

qu'uneseuleraisonàcetappel:elleavaitdécidéd'acceptersa

proposition.Banksesentitpartagéentresonsoulagementet

l'appréhensionqu'ilpercevaitdanslavoixtremblantedeCarly.Il

étaitévidentqueladécisionluicoûtait.

Désireuxdes'éloignerdelatélévisionetduregardinquisiteurde

sonfrère,ilsedirigeaverslesportes-fenêtres.

—Jet'écoute.Pasdeproblème.Quevoulais-tumedire?

—J'ail'impressionquetuesoccupé.Jepeuxrappelerplustard.

Ellesemblaitpresquetropenclineàlefaire.LamaindeHankse

crispasurl'appareil.

—Jenesuispasoccupé,monchou.

Ilsemorditlalèvreaussitôt.Cen'étaitpaslemomentdel'effrayer

ensemontranttropfamilier.

—Jesuischezmonfrère,Zeke.Tun'auraispaspuappeleràun

meilleurmoment,aucontraire.

—Oh!

Ilyeutunsilence.

—Ilestaffreusementtard,insista-t-elle.

Hankbaissalesyeuxsursamontre.Dixheuresetdemie.Pas

vraimentl'heuredesetransformerencitrouille.

—Quevoulais-tumedire?répéta-t-il.

—Je...jenesaispastrèsbienparoùcommencer.

—Jen'aipastrèsbiengérénosconversationsmoi-même,alors

dis-le,etpuisonverra.

Malgréladistance,ilsentaitlatensionquil'habitait.

—Je...j'aibeaucoupréfléchià...tapropositionIls'enétaitdouté.

Toutsoncorpsseraidit.

—Et?

—J'envisage...j'envisageseulement,notebien,del'accepter.

Hanksedétendit.Sielleenvisageaitd'accepter,cen'étaitqu'une

questiondetempsavantqu'ellelefasse.

—Jevois,répondit-ilens'efforçantdedissimulersasatisfaction.

Ilentenditunfroissementdepapier.

—J'aideuxconditions.

Àvraidire,ilavaitl'impressionqu'elleenavaitdressétouteune

liste.

—Oh?Quellesortedeconditions?

—D'abord,jeveuxquetucomprennesquejeterembourseraidès

quepossible.

Hankdoutaitqu'ellesoitenmesuredelefaireunjourets'en

moquait,maisc'étaitundétailqu'ilspourraientréglerplustard.Si

ellesesentaitmieuxàl'idéedelerembourser,iln'allaitpaspro-

tester.

—Entendu.Çanemeposepasdeproblème.

—Jeveuxquetunotestoutestesdépenses,insista-t-elle.Lorsque

nousdivorcerons,nousdéduironscequetuauraisverséautitre

d'unepensionpourl'enfant,etjetedevrailereste.Nousnousmet-

tronsd'accordsurunplanderemboursementmensuelquisoit

adaptéàmesmoyens.

Ainsi,elleavaitexaminélaquestionendétail.Pasdefaveurs.Son

obstinationétaitfrustrante.Pourtant,ilnepouvaits'empêcherde

l'admirerpoursaténacité.

—Trèsbien.Çameconvient.

Ilyeutunbrefsilence.

—Et?demanda-t-il.

—Etquoi?

Hankeutunpetitsourire.

—Tuasditdeuxconditions.Quelleestlaseconde?

Carlyditquelquechosed'unevoixétouffée,etilneputsaisirses

paroles.Ilsecouvritl'oreillepours'isolerdubruitdelatélévision.

—Pardon?

—Pasdesexe,répéta-t-elleàpeineplusfermement.Jeneveuxpas

quetuviennesteplaindredanstroismoisdel'injusticedenotre

arrangement.Pasdesexe,pointàlaligne.Jamais.

Hanksefrottaleboutdunezetsemassalanuque.Jusqu'àcet

instant,iln'avaitpassongéauxmodalitésdeleurvieensemble.Il

avaitétésiconcentrésurladécisiondeCarlyqueriend'autrenelui

avaitsembléimportant.

—Jevois,dit-il.

Sitantétaitquecefûtpossible,lavoixdeCarlydevintplus

tremblanteencore.

—Tun'aspasl'airtrèscontent.

HankfixalesombresquienveloppaientlaterrassedeZeke.

—Cen'estpasça.Disonsplutôtqueçam'inquièteunpeu.

Iljetauncoupd'œilendirectiondesonfrère,quirangeaitlesbilles

ens'efforçantdenepasfairedebruit.

—Jesaisquecetarrangementn'estpasidéal,etjecomprendstes

réserves.Maisdansl'intérêtdenotreenfant,j'espéraisquenous

pourrionsresterouvertsàtouteslespossibilités.

—C'est-à-dire?

—Hankjetaunnouveaucoupd'œilàsonfrère.Zekeavaitfinide

rangeretnefaisaitpasmystèredel'intérêtqu'ilportaitàla

conversation.

—Quej'espéraisquenouspourrionsnoushabituerl'unàl'autreet

aumoinsessayerdefaireensortequeçamarcheentrenous,

expliquaHank.Tudoisadmettrequ'ilseraitpréférablepournotre

enfantquenousrestionsensemble.

—Tun'aspasparlédeçacematin!protesta-t-elled'unevoix

perçante.Tuasditquejepourraisreprendremaliberté.

—Tuseraslibredelefaire.C'estévident,non?J'exploreles

possibilités,c'esttout.Tumedétestesaupointqu'ilteparaît

inconcevablequ'onpuissetomberamoureuxl'undel'autre?

—Oui.

Hankjuraintérieurement.Ilappuyalefrontcontrelavitrefraîche,et

prituneprofondeinspiration.Ildevaitrestercalme,choisirsesmots

avecsoin.Néanmoins,laréponseimmédiatedeCarlyetlapanique

qu'ilavaitperçuedanssavoixétaientunesourced'inquiétude.

—Carly,donne-moiuneréponsehonnête,d'accord?Était-cesi

affreuxl'autresoirquetuaspeuràl'idéed'avoirunerelation

sexuelleavecmoi?

—Oui,avoua-t-ellefaiblement.

Latélévisionsetutbrusquement.Hankjetauncoupd'œilpar-dessus

sonépauleetvitZekeposerlatélécommandesurlatable.

Apparemment,sonfrèrenevoulaitpasmanquerunemiettede

l'échange.Hankappuyadenouveausonfrontcontrelavitre.

—Jesuisdésolédelamanièredontleschosessesontpassées,

murmura-t-ild'unevoixsourde.Tunesaurasjamaisàquelpoint,

Carly.Jedonneraismonbrasdroitpourremonterletempsette

traiterdelamanièredonttuméritaisd'êtretraitée,pourquetuy

prennesplaisir.

—Amen,commentaZekedoucement.

Hankauraitdonnécherpourquesonfrèresetaiseou,mieuxencore,

qu'ildisparaisse.

—Jeneveuxpasenparler,ditCarlyd'unevoixteintéede

frustration.D'ailleurs,j'auraisdûsavoirquetuneseraispas

d'accord.

—Jen'aipasditça,rectifiaHank.Sinousnepouvonspasrepartir

dezéro,alorsévidemmentnousn'auronsjamaisderelations

sexuelles.C'estseulementquej'hésiteàm'enfermerdansdes

promessesquiexcluentlapossibilitédefairedenotremariageun

succès.C'esttout.

—Pasdesexe?soufflaZeke.Nomd'unepipe!Faisattentionàce

quetupromets,monvieux.Deuxans,c'estsacrémentlong!

—Ehbien,ilfautquetucomprennesquelquechose!s'exclama

Carlyàl'autreboutdufil.Encequimeconcerne,j'hésiteàentrer

dansunarrangementquipourraitpeut-êtretournerauvinaigrepour

moi.J'espéraisétablirdesrèglesdebase.

Hankfitmentalementunpasenarrièreets'efforçadeconsidérerla

situationdupointdevuedeCarly.Sansdouteavait-elledesraisons

légitimesdeseméfier;elleleconnaissaitàpeine.Elleleconsidérait

commeunvraisalaud,etilneluiavaitguèredonnéderaisonsde

croirelecontraire...

—Faisons-le,danscecas,dit-ildoucement.

—Faisonsquoi?

—Mettons-nousd'accordsurdesrègles.Jesuistoutàfaitprêtàte

promettrequ'ilnesepasserarien,absolumentrien,entrenoussitu

neleveuxpas.

—Voilàquiestmieux,chuchotaZekeenhochantlatête.

—Commentpuis-jesavoirsijepeuxtefaireconfiance?

Lesnerfstendusàcraquer,Hanksepassalamainsurlevisage.

—Situconsidèresquemaparolen'aaucunevaleur,tun'asaucune

garantiequejetiendrailespromessesquej'aifaitesjusqu'ici.

—Tucroisquejenem'enrendspascompte?

Cetaveutrahissaitàquelpointl'arrangementdevaitluiparaître

précaire.Pasétonnantquesavoixtremble.

Hanks'adossaàlaportecoulissante.TantpissiZekeécoutait.Ilne

voulaitpasqu'ellesemettedanscetétat:cen'étaitbonnipourelle

nipourlebébé.

—Carly,monchou,écoute-moi.D'accord?

Hankserenditcomptequ'ilavaitlaissééchaperunautreterme

d'affection,maistantpis.Toutesavie,.ilavaitentendusonpère

parleràsamèreencestermes.L'imiterluivenaitaussi

naturellementquedeteniruneportepourunefemmeoudeluitirer

unechaise.Detoutefaçon,s'ilsdevaientvivreensemble.ilne

voulaitpasavoiràsurveillerlamoindredesesparolesniàfeindre

d'êtrequelqu'unqu'iln'étaitpas.

—Tum'écoutes?

—Oui,murmura-t-elle.

—Dansmafamille,laparoled'unhommeéquivautàun

engagement.Jenefaispasdepromessesàlalégère,etencoremoins

àunefemme.Sijelefaisais,monpèreetmesquatrefrèresse

chargeraientdemebotterlesfesses.

—Jeserailepremierdanslafile,annonçaZekeavecunpetitrire.

—Oh!fitCarly.

Hankdoutaitqu'ellelecroie.Avantd'avoirrencontrésafamilleet

deleconnaîtremieux,ellecontinueraitcertainementàsedemander

sielleavaitprislabonnedécision.Ilauraitaimépouvoirremédierà

cettesituation,maiscertaineschosesnepouvaientêtrechangéesdu

jouraulendemain.Tisserdesliensdeconfiancedansunerelation

nécessitaitunpeudetemps.

Entre-temps,iln'avaitguèreenviedeprendredesengagementsqui

letiendraientpiedsetpoingsliés.Peut-êtreleschancesdefairede

leurmariageunsuccèsétaient-ellesquasiinexistantes,maisilne

pouvaits'empêcherdepenseràladouceurdeleursbaiserscesoir-là,

devantlebar.Ilyavaiteudelapassionentreeux;ilneluifallait

qu'uneoccasiondelaranimer.S'ilyparvenait,quipouvaitaffirmer

qu'ilsnedécideraientpasderesterensemble?

—Jesaisquejenet'aipasdonnébeaucoupderaisonsdemecroire,

maisjenesuispasunsimauvaistype.

Zekegloussa.

Àl'autreboutdufil,unsilenceassourdissantluirépondit.Un

silenceaussilourdqu'unecondamna-non.

—Jetefaislesermentsolennelqu'ilnesepasserarienentrenoussi

tuneleveuxpas,Carly.Situyréfléchis,est-cequemonacceptation

n'estpastoutaussivalableformuléecommeça?Aufinal,lerésultat

estlemême.Jetelerépète:nousn'auronspasderelationssexuelles

situneledésirespas.

—Çanemeparaîtpasaussi...fixe,protesta-t-ellefaiblement.

—Siunhommenetientpasparole,rienn'estfixe!Tuaurasbeau

m'enfermerdanstouteslespromessesquetuvoudras,tuentreras

quandmêmedanscetarrangementsansgaranties.

—Jeretirecequej'aidit,grommelaZeke.Tun'aspashéritédetout

lecharmedanslafamille,monvieux.Mêmemoi,j'auraispufaire

mieux.

Hankposalamainsurlemicro.

—Tuvaslaboucler,oui?

—Quoi?s'écriaCarlyd'unevoixchoquée.

—Pastoi,assuraHanktrèsvite.Jeparlaisàmonfrère.Ilestlàetil

n'arrêtepasdemettresongraindeseldanslaconversation.

—Ilécoute?

Hankréprimaunjuronet,sentantvenirunmaldetête,pressale

poingcontresonfront.

—Ilestdanslapièce,maisiln'écoutepasvraiment,mentit-il.

—Pardon,marmonnaZekeenhaussantlesépaules.

—Oùenétions-nous?demandaHankàCarly.

—Tudisaisqu'iln'yapasdegaranties.

—Seulementsimaparolen'apasdevaleur.Enrevanche,sielleen

a,tuserasaussiensécuritéavecmaversionquetuleseraisavecla

tienne.

Hankattenditsaréaction.Rien.Ilcommençaàredouterqu'ellene

raccroche.Aufond,leplusimportantétaitqu'elleconsenteà

l'épouser.Peut-êtredevrait-ilacceptersaconditionetessayerdela

fairechangerd'avisplustard?

Ilétaitsurlepointdecapitulerquandellerepritlaparole.

—Jesupposequec'estvrai,dit-elled'unepetitevoix.

Devantsonimpuissance,Hankeutsoudainlagorgeétrangement

nouée.Ilauraitvouluêtreauprèsd'elle.Pourquoi,ill'ignorait.Sa

présencenel'auraitsûrementguèreréconfortée.

—Carly,ilfautquetuaiesconfianceenmoi.insista-t-il

doucement.Jetejurequetuneleregretteraspas.

—J'espèrequenon.

—Çaveutdirequenoussommesd'accord?

—Jen'aipasvraimentlechoix.

Ill'entenditprendreunebrusqueinspiration.

—Situmefaisunprocès,quepenseralejuge?Unefemme

enceinte,sansdouteentraindedeveniraveugle,auchômageetsans

lamoindreperspectivededécrocherunemploi...Jenepeuxpas

risquerdeperdremonbébé.

Hankauraitdonnécherpournepasavoireuàabattrecettecarte.La

véritéétaitqu'iln'avaitjamaisenvisagédeluidisputerlagarde.Le

faitqu'elleaitchoisid'avoircetenfant,endépitducoûtpoursa

propresanté,endisaitlongsursondévouementetl'amourqu'ellelui

portaitdéjà.

—Jesuisfatiguée,reprit-elled'unevoixlasse.Fatiguéedeme

battrecontretoi,contreBess...Tantquejepeuxgardermonenfant,

riend'autrenecompte.Jepeuxsurvivreàn'importequoipendant

deuxans.

Ilnesutquepenserdecettedéclaration.Ellepouvaitsurvivreà

n'importequoi?Maisquediables'imaginait-elle?Qu'ilallaitlui

sauterdessusdèsqu'illuiauraitmislabagueaudoigt?

—Jevoudraitoutcelaparécrit,ajouta-t-elle.

Ilcilla,reportantsonattentionsurlaconversation.

—Tuveuxquejemetteparécritquejenevaispasteharcelerpour

quetucouchesavecmoi?

—Quetunevaspasdemanderlagardedel'enfantaprèsnotre

divorce.

—Oh!Biensûr.Çanem'ennuiepasdesignerundocumentdece

genre.

—Dois-jecomprendrequeçat'ennuieraitdesignerundocument

stipulantquetunevaspasmeharcelerpourcoucheravectoi?

Pouruneétrangeraison,Hankneputréprimerunsourire.Commesi

lesexeétaitpirequelamort!Or,cen'étaitpasvraimentdrôle.

C'étaitsafautesiellevoyaitleschosesainsi.

—Non,biensûrquenon.Situleveuxparécrit,ceserafait.

—Bien.Jepréférerais,oui.

Ilyeutunsilence.

—Entendu.Jem'encharge.

Ellesoupira,etildevinaqu'elleétaitépuisée,eneffet.Dèsqu'ils

auraientréglétouscesdétailscompliqués,ilpourraitprendreles

chosesenmainetessayerdeluifaciliterlavie.

—Etmaintenant?reprit-elle.Tuvas...tuvasvouloirqu'onsemarie

bientôt?

—Plustôttuserascouverteparmonassurance-santé,mieuxcela

vaudra.Siquelquechosetournaitmalavant,lesfrais

s'accumuleraientvite.

Iltentademettredel'ordredanssespensées.

—Lapremièrechoseàfaireestd'organiserlemariagecivil.Il

faudraquenousallionsaupalaisdejusticeremplirlesformulaires

nécessaires.Unmariagecivilteconvient-il?Jesuisprêtàme

marieràl'église,situpréfères.

—Non,jeneveuxpasd'unecérémonieàl'église.Ceseraittrop

solennel.Ilnes'agitqued'unarrangementtemporaire,aprèstout.De

plus,lesmariagesreligieuxcoûtentpluscher.Sinousnemaîtrisons

paslesfrais,jeterembourseraijusqu'àlafindemesjours.

Unsignald'alarmesedéclenchadanslecerveaudeHank.Iln'allait

pascommenceràrognersurtoutsousprétextequ'ellenevoulaitpas

trops'endetterenverslui!Ilouvritlabouchepourleluidire,puisse

souvintdelathéoriedeBessàproposdeshaiesettintsalangue.

C'étaitencoreunequestiondontilspourraientdiscuterplustard.

—Trèsbien.Nousferonssimple.Maisnousauronsbesoinde

témoins.

—As-tuquelqu'unentête?

—J'imaginequemafamillevoudravenir.Celat'ennuie?

—Jesupposequ'ilfaudraquejelesrencontretôtoutard.Autanten

finirtoutdesuite.

Hanktentaenvaind'imaginerleclanCoulters'éclipsant

discrètementaprèslacérémonie.Celanesepasseraitpasainsi.Ils

voudraientcélébrerlemariage,mêmes'iln'étaitquecivil,etils

considéreraientCarlycommeunedesleursdèsqu'elleauraitla

bagueaudoigt.Iln'étaitpasquestiond'«enfinir».Pasaveceux.

—TucomptesinviterBess?demanda-t-il.

—Je...oui,situn'yvoispasd'inconvénient.

Ellesemblaitencorehésitante,incertaine.Hankauraitvoulu

pouvoirtrouverdesmotspourlarassurer.

—Bessestcommeunesœurpourmoi,ajouta-t-elle.Ence

moment,jesuisfâchéecontreelle,maisjenepeuxpasl'exclure.

—Ettonpère?

—Non.Ilsesentiraitobligédevenir,etiln'apaslesmoyensde

s'offrirunbilletd'avion.Lemariagenesignifierarien,detoute

façon.Jenevoisaucuneraisondel'inviter.Jeluitéléphoneraiquand

toutseraterminé.

Unmariagequinesignifieraitrien?Cetteidéeallaitàl'encontrede

touslesprincipesqu'onavaitinculquésàHank,maisilétaitleseulà

blâmer.Toutétaitsafaute.C'étaitluiquiavaitimaginéceplan

insensé.

—Bon,dit-il.Ilvoudraprobablementvenirpourlanaissancedu

bébé.Decettemanière,iln'aurapasàpayerdeuxvoyages.

—Exactement.Etpuis,jemesentiraiplusàl'aisesitoutesttrès

simple.

Hankespérapouvoirconvaincresamèredevoirleschosesdela

mêmemanière.MaryCoulteradoraitlesfêtesdefamille;elle

insisteraitàcoupsûrpourorganiseruneréception.

—Jepasseraiquelquescoupsdefillundimatinpourmerenseigner,

etjet'appelleraiaprès.

—Je...D'accord.Lundi?

—Lundisansfaute.

Elleraccrochasansluidireaurevoir.Unpeudécontenancé,ilremit

letéléphoneàsaceinture.Derrièrelui,Zekeleurpréparaitunverre.

—Ehbien?

Hankallas'asseoirsuruntabouret.

—Elleacceptedem'épouser.

—Tun'aspasl'airravi.

Ilpritlewhisky-cocaquesonfrèreluitendaitetessuyadupoucela

condensationquis'étaitforméesurleverre.

—Jel'yaiforcée...J'ail'impressiond'êtreledernierdessalauds.

—Parfois,petitfrère,lavienenousdonnepaslechoix.Siune

femmeabesoind'uncoupdemain,c'estbienelle.

—ElleapeurquejenemetransformeenRoméoàlasecondeoù

ellediraoui.

—Tueshumain,aprèstout.

Hankfaillits'étrangleravecsaboisson.

—Jenemesuisjamaisimposéavecunefille!Jenevaispas

commencermaintenant.

—Jesais,Hank.MaislesexeasonimportanceQu'est-cequetu

comptesfairependantdeuxans?Avoirdesaventuresàdroiteetà

gauche?

Hankémitunbruitdédaigneux.

—Tuplaisantes!Jeseraiunhommemarié.

Zekeacquiesça.

—Exactement.Ceneseraitpastongenre.Cequetecondamneà

l'abstinence,àmoinsqu'ellenechanged'avis.

—Jenevaispasmefairetropd'illusionsàcesujet.Jeluiaidonné

maparoledenepasfairepressionsurelle,etjecomptebienlatenir.

—Certes.Maisquecelateplaiseounon,unhommeadesbesoins

physiques.Untypefrustré,mêmedetempéramentplacide-et

laisse-moitedirequecen'estpastoncas-risquededevenirdifficile

àvivre.

—Jenesuispascoléreux,protestaHank.

—Tun'espasnonplusdouxcommeunagneau.Vivreavecune

femmesanslatoucher,êtreavecelletoutletemps,peutcréerdes

tensionsdansn'importequellerelation.

—Jeferaiavec,réponditHankenfaisanttournersonverreentreses

doigts.Silesdouchesfroidesnemarchentpas,j'iraibosseraux

écuriesjusqu'àcequejetombedesommeil,maisjenelaharcèlerai

pas.Elleaassezsouffertàcausedemoi.

Zekeluidécochaunregardperçant.

—Tuneseraispasentraindecommenceràavoirdessentiments

pourcettefille?

—Dessentiments?Sûrementpas!Elleauncaractèreàfairese

damnerunsaint.

—Jevois.

—Çam'étonnerait,réponditHankavecunriresansjoie.Ellene

ressembleàaucuneautrefemmequejeconnaisse.Elleestdifficile,

exaspérantemême,Netrouvantpaslesmots,ilsetut.

—Et?

—Adorable,murmuraHank.Siadorablequejeméritelefouetpour

l'avoirtouchée.

—Adorable?

Zekeeutunlargesourire.

—Ehbien...

—Quoi?GrognaHankagacé.

—Atasanté,Roméo!ditZekeenleveantsonverre.Tuesfichu!

10.

Lelundimatin,àdixheuresmoinslequart,Carlybuvaitunthé

quandletéléphonesemitàsonner.Sachantquec'étaitsansdoute

Hank,ellebonditdesachaisecommesielleavaitétépiquéeparune

guêpe.Puisellehésita,sefrottantlesmainssursonjean,réticenteà

répondre.

Àlacinquièmesonnerie,ellerassemblasoncourageetdécrocha.

—Allô?

—Bonjour.

Savoixgraveétaitamicale.Carlyimaginaitpresquesonsourire

tranquilleetenfutagacée.

—Commentval'estomac,cematin?demanda-t-ilsansprendrela

peinedeseprésenter.

Entempsnormal,unequestionanodinesursasantén'auraitpas

gênéCarly.VenantdeHank,ellesemblaitindiscrèteet,surtout,

possessive.C'étaitdesonsystèmedigestifqu'ils'agissait,toutde

même!

—Trèsbien,mentit-elle.

—Pasdenausée?Tantmieux.Etlatête?Avoirlamigraineétait

presquedevenunormal,pourelle.C'étaitseulementquandla

douleursefaisaitlancinantequ'elleétaitobligéedes'allonger.

—Çavaaussi,merci.

—Bien,bien.

Unlégercrissementluiparvint,évoquantlebruitd'unstylocontre

unesurfacedure.|

—Jeviensdetéléphoneraupalaisdejustice,repritHank.L'Oregon

n'exigeaucuneprisedesangluiexamenmédical.Uncertificatde

publicationdesbanssuffira,aprèsquoinouspourronsprendre

rendez-vousavecunjugedepaixpourlacérémonie.

Quedirais-tudevendrediaprès-midi?

—Pourlemariage,tuveuxdire?

Carlynes'étaitpasattendueàcequeleschosesaillentaussivite.

—Oh!C'estdans...euh...quatrejours!Pourquoiétait-ilsipressé?

——Jesais,répondit-il,maisiln'yaaucuneraisond'attendre.

Autantquecesoitréglédèsquepossible.

Quecesoitréglé?Elleneputs'empêcherdepenserquec'étaitune

drôled'expressionpourparlerd'unmariage.Desonmariage.

—Çava?demanda-t-il.

—Trèsbien,mentit-elledenouveau.

Àvraidire,elleétaithorriblementnerveuse.Nerveuseaupoint

d'avoirlecœurbattantetdespicotementssurlapeau.Vendredi?

Ellesesouvenaitdelahâteaveclaquelleilavaittirésurses

vêtementsetéjaculésursescuisses,tantilétaitimpatientdela

posséder.Etvoilàqu'ilallaitaussiviteenbesogneàprésent.Quelle

garantieavait-ellequ'iltiendraitparole?

—Jesuis...auxanges.

—Essaiedenepastefairetropdesoucipourcemariage,dit-ilau

boutd'unmoment.D'accord?Jeneveuxpasquetuaiesmalàlatête

àcausedeça.Penses-ycommeàundétailpratique.

Commentsavait-ilqu'elleavaitdesmauxdetêteaumoindrestress?

ParBess,évidemment.Etcommentpouvait-ils'imaginerqu'elle

allaitêtreconvaincueparsonargument?Cemariagen'avaitrien

d'unsimpledétailpratique!Elleseraitcoincéedansunranchperdu,

àdeskilomètresdelaville,sansmoyendetransport.Elledépendrait

entièrementdeHankCoulter.Cettepenséenefitqu'ajouteràson

angoisse.Elleétaithabituéeàsedébrouillerparellemême.Àpartir

demaintenant,elleallaitrenonceraucontrôledesaproprevie.Iln'y

auraitpasdemagasinsaccessiblesàpied,elleseraitcoupéedu

mondeAurait-elleseulementaccèsàuntéléphone?

—Apropos,jemesuisoccupédecepapier.

Aussitôt,ellereportasonattentionsurlaconversation.

—MonfrèreZekeaététémoindemasignaturePasderelations

sexuellesàmoinsquetuneledésires.Pasdedemandedegarde

aprèsledivorce.J'aiaussiinclusuneclauseconcernantlasomme

quej'aipromisdeteremettre.Situveuxquej'ajouteautrechosetu

n'asqu'àmeledire.

IlsemblaitsiconciliantquecelaéveillalessoupçonsdeCarly.S'il

croyaitvraimentqueledocumentleliaitsurleplanjuridique,ne

serait-ilpasplusréticentàinclured'autresconditions?

—Quellevaêtretasolutionàproposdeceproblème?

—Queveux-tudire?

Sedemandants'ilfaisaitexprèsdenepascomprendre,Carlyserra

lesdents.

—Jeparledufaitquetunevaspasavoirderelationssexuelles

pendantdeuxoutroisans,murmura-t-elle,l'estomacnouéparla

tension.As-tul'intentionde...tusais...continuercommeavant?

—Sortirleweek-end,tuveuxdire?

C'étaitunefaçonpoliededécrirelachose.

—Oui.C'estcequetucomptesfaire?

—Jeseraimarié,rétorqua-t-ilcommesisaréponsesuffisait.Jene

sortiraipasavecd'autresfemmes.Celareviendraitàrompremes

vœux.

Génial!Ilseraittoutàelle,frustrationsexuelleincluse.

—Quevas-tufaire,encecas?

—Ilyeutunautresilence,suiviparunsoupirlas.

—C'estmonproblème,Carly.Fais-moiconfiancepourlegérer.

Non.C'étaitsonproblèmeàelle!Etelleneluifaisaitabsolument

pasconfiance.

—Carly,reprit-ilcommes'illisaitdanssespensées,jet'aipromis

queceseraitunmariageblancamoinsquetun'endécides

autrement.J'airédigéundocumentquitelegarantitparécrit.Que

puis-jefaired'autrepourquetusoisconvaincue?Dis-le-moietjele

ferai.

—Laissetomber,répondit-elled'unevoixcreuse.Jetais

seulement...laissetomber.

Vendredi...Ets'ilétaitalcoolique?Violent?Lalistederisquesétait

sansfin.Cesoir-là,auChaps,illuiavaitparugentiletBesssemblait

avoirconfianceenlui,maintenant.Maisquesavaient-ellesvraiment

deHankCoulter?Rien.S'ilétaitivremortchaquesoirdela

semaine,ellenes'enapercevraitqu'aprèsl'avoirépousé.

—Tueslibre,cetaprès-midi?demanda-t-il,coupantcourtàses

réflexions.

LecœurdeCarlymanquaunbattement.

—Pourquoi?

—Ilyaundélailégalàrespecteraprèsl'obtentiond'uncertificatde

publicationdesbans.Detroisjours,jecrois.Nousdevonsnous

occuperdespapiersaujourd'huioudemainpourpouvoirnous

mariervendredi.

—Oh!

CarlytirasursonvieuxT-shirtettapotasescheveux,encore

ébouriffésaprèslanuit.

—Àquelleheure?

—Versdeuxheures,çat'irait?

Elleréfléchituninstant.

—Situesvraimentdécidéàfaireça,jesupposequeoui.

—J'ysuisdécidé,dit-ilfermement.Veux-tuquejet'exposema

situationfinancière?

—C'estinutile,merci.

—Tuessûre?Tutesentiraispeut-êtrerassuréesituavaisunevue

d'ensembledelasituationetsitusavaisquenousn'avonspasd'autre

possibilité.

Carlydoutaitfortquecelapuisselarassurerd'unequelconque

manière.Ellen'étaitmêmepassûred'êtrecapablederéfléchirde

façonrationnelle.Peut-êtreseshormonesluijouaient-ellesdes

tours;elleavaitl'impressiond'êtreconstammentàcran.

—Non,çaira,parvint-elleàrépondre.

—Àtoutàl'heure,alors.Etunedernièrechoseavantquetu

raccroches...

—Quoi?

—Pourrions-nousessayerdenousdireaurevoir,cettefois,comme

desgenscivilisés?Jusqu'ici,tum'asraccrochéaunezàchacunede

nosconversationstéléphoniques.

Ilavaitparléd'untontaquin,etellefaillitsourire.Puisellese

ressaisitetserraleslèvres.Ellen'allaitpasselaissercharmerparlui

denouveau.Baissersagardeétaitdangereux.

—J'aimeteraccrocheraunez.Çamedonneunesatisfaction

perverse.

Brefsilence.

—J'aimesatisfairelesfemmes,répondit-ilenfind'unevoix

amusée.Netegênepas.

Carlylaissaretomberlerécepteursursonsocle,ensouriantmalgré

elle.

*

Hankarrivaàdeuxheuresprécises.Ilfrappatroispetitscoupssecsà

laporteetattendit.

LorsqueCarlyapparutenfinsurleseuil,elletenaittroischemisiers

surdescintres.ElleportaitungrandT-shirtblancpar-dessusune

jupeàfleursrosesetrouges.Hankremarquasespiedsnus,ses

chevillesfinesetsesmolletsfermesavantdereportersonattention

sursonvisage.Untypeauraitputomberplusmalpourunmariage

forcé,songea-t-il.Nettementplusmal.

—Jesuisdésolée,dit-elle.J'avaisl'intentiond'êtreprête.

Ellerepoussasesbeauxcheveuxenarrière.

—J'aiunproblèmeunpeugênantet,puisqueBessn'estpaslà,j'ai

penséquetupourraism'aider.

—Quelgenredeproblème?

—Jenesaispasencoreassortirlescouleurs,expliqua-t-elleen

levantleschemisiersplushautpourqu'ilpuisselesinspecter.

Peux-tumedirelequeldestroisvalemieuxavecmajupe?

L'und'euxétaitorangeetconstelléd'étoilesvertesetmauves.Hank

avaitdumalàimaginerqu'ellepuisseenvisagerdelemettreavec

unejupeàfleurs.

—Jenesuispasunexpert,maissij'étaistoi,jechoisiraisleblanc.

Ellepivotasursestalons.

—Jerevienstoutdesuite.

Ilentraetrefermalaporte.

—Prendstouttontemps.

Commeellesedirigeaitverssachambre,ellecommençaàretirer

sonT-shirt.Hankaperçutlebasdesondosnuetunbrasmince,puis

laporteseferma,leprivantduspectacle.Ils'assitsurlecanapépour

l'attendre.

Deuxminutesplustard,elleressortit.Hanklevalesyeuxetréprima

àgrand-peineunsourireappréciateur.Ellesefrottaleboutdunez,

quiviraaurose.

—Mercidetonaide.Çava,commeça?

Elleétaitsplendide.Etsiadorable,sipeusûred'elle-mêmequ'il

mouraitd'enviedelacouvrirdecompliments.Maiscen'était

sûrementpasunebonneidée.

—Tuessuperbe,dit-ilenselevant.Sij'avaissuquetuallaisêtre

aussiélégante,j'auraischangédechemise.

Elleportaunemainàsagorgeetreculad'unpas

—Tuasraison.Unejupeesttrophabillée.J'auraisdûmettreun

pantalon.Excuse-moiuneminutependantque...

Hanktenditlebrasetluipritlepoignet.

—Tuesparfaitecommetues,assura-t-il.Jeplaisantais.

Commeelles'étaitraidieàsoncontact,ilsehâtadelalâcher.Ilyeut

unsilence.Hankcherchaquelquechoseàdire,maisaucune

remarquespirituelleneluivenant,ilsecontentad'unsimple:

—Ehbien?Tuesprête?

Ellefrottaitlepoignetqu'ilvenaitdetouchercommesielleredoutait

qu'ilsoitcontaminé.

—Aussiprêtequejepeuxl'être.

—Tuaurasbesoindetonsac.

—Oh!Biensûr.Ilfautquejeprennemespapiers.Dois-jeaussi

présenterunextraitdenaissance?

—Non.Seulementunepièced'identité.

Ellesedirigeaverslacuisineetrevintpresqueaussitôtmunied'un

petitsacnoirtoutjusteassezgrandpourcontenirunportefeuille.

—Tuvoyagesléger.

—Quoi?

Hanksecoualatête.

—Rien.Allons-y.

Unefoisdehors,ellebataillapourfermerlaporteàclé.Se

souvenantdesparolesdeBess,Hankréprimal'enviedeluiproposer

sonaide.Commeill'observaitensilence,ilremarquaquesesmains

tremblaient.Elleétaitnerveuse,songea-t-il,préoccupé.Ilsavait

pertinemmentquec'étaitàcausedelui.Iltentadeseremémorerla

fameusenuitdeleurrencontre-surtoutlafin.Lesimagesqui

flottaientdanssatêteétaientvaguesetconfuses,maispourune

raisonoupouruneautre,cettejeunefilleavaitpeurdelui.

Jeunefille?Hanktressaillitàcettepensée.Elleavaitvingt-huitans,

bonsang!Soncerveaudevaitseramollir!Pourtant,ilnepouvaitse

débarrasserdel'idéequ'elleétaitaussitimide,aussipeusûred'elle

qu'uneadolescente.

Alaquatrièmetentative,elleparvintenfinàintroduirelaclédansla

serrure.Ilvoulutl'aideràmonterdanslepick-up,maisellese

dérobaetsedébrouillaseule.Hankfermalaportièreetcontournale

véhiculepourallers'installerauvolant.Carlyétaitraidecommeun

piquetsursonsiège.L'espaced'uneseconde,ilnecompritpascequi

avaitpularendreplusanxieuseencore,puisilsesouvintdecequi

s'étaitpasséladernièrefoisqu'elleétaitmontéedanscepick-up.

Lespaumesmoites,ils'engageadansleflotdecirculationetjetaun

coupd'œildanssadirection.

—Quellebellejournée!dit-elleenfin,rompantlesilence.

Ilsaisitavecsoulagementlaperchequ'elleluitendait.

—C'estundescharmesdeCrystalFalls,affirma-t-il.Lesoleily

brilleplusdetroiscentsjoursparanenmoyenne.

—Vraiment?Commec'estintéressant!ÀPortland,ilpleut

presqueaussisouvent.

Surlepointdedire:«Vraiment?»luiaussi,Hankseretintavant

quelaconversationnevirepourdebonauridicule.

—Tusaiscequ'onditàproposdesgensdel'Oregon?Ilsne

bronzentpas,maisilsrouillent!

Elleeutunpetitriresuraigu.

—Saufici.

—Oui.Ici,onbronzeetonalecancerdelapeaucommetoutle

monde.

Hanks'arrêtaàunfeurouge.Carlyétaitencoretendue,mais

s'efforçaitden'enrienlaisserparaître.

—J'adorelecielici,affirma-t-elle.Ilestd'unbleusiintense!C'est

unedespremièreschosesquej'aivues,tusais.

—Tuhabitaisdéjàiciquandtuassubitonopération?

—Nousavionsemménagédansl'appartementlasemained'avantet

nousavonsfaitl'alleretretouràPortlandpourl'opération.C'étaitun

peucompliquéévidemment,maisBessdevaitêtresurplaceauplus

tôtpourcommenceràchercherunemploi.

Hanksefélicitaintérieurementquel'amitiédesdeuxjeunesfemmes

aitsurvécuàcetteépreuve.IlavaitcraintquelerôlejouéparBess

necauseunerupturedéfinitive.LefaitqueCarlyaitpardonnéce

qu'elleavaitconsidérécommeunetrahisondelapartdesonamieen

disaitpluslongsurellequebiendesdiscours.

Quelquesminutesplustard,Hanksegaralelongdelarue

principale.Carlydescenditetpartitendirectiondupalaisdejustice

sansl'attendre.Ilsehâtadelarejoindre,puislapritparlesépauleset

passasursagauche,laplaçantentrelesvitrinesetlui.

—Pardon,dit-ilalorsqu'ellel'interrogeaitduregard.Unhomme

devraittoujoursmarchercôtérue.D'aprèsmonpère,c'estunedes

règlesdeconduited'ungentleman.

—Iln'apasentenduparlerdumouvementféministe?

—Duquoi?

Ellelevalesyeuxaucieletsourit.

—JesaisquenousnesommespasàPortland,maiscen'esttoutde

mêmepasleboutdumonde,ici.

—Toutdépenddesgensqu'onfréquente.Nousautres,ranchers,

avonsnospropresfaçonsdepenser,surtoutencequiconcerneles

femmes.

—Ahbon?

Hanksehâtadeclarifiercequ'ilvenaitdedire.

—C'estassezpeuconnu,maislesfemmesderanchersaffirment

avoirlancélemouvementféministe,affirma-t-il.

—Vraiment?fit-elled'untonamusé.

—Ellesn'ontjamaiseubesoind'allermanifesterpourobtenir

l'égalitédesdroits.Elleslesontacquisalasueurdeleurfrontilya

plusd'unsiècle.Prendsmamère,parexemple.C'estunevraie

dame,maisjel'aivuemateruntaureau,fairelesfoins,etenmême

tempss'occuperdelamaisonetdesenfantsetprépareràdînerpour

vingtpersonneslesoirvenu.Monpèreditquec'estunesacrée

femme,etilaraison.Ilsavaientchacunleurrôle,biensûr,maisle

soir,quandmonpèrerentraitdeschamps,ilpouvaitenfilerun

tablieretsemettreàfairelacuisineaussivitequ'elleenfilaitunjean

etdesbottespourtravaillerau-dehorsaveclui.Touteslestâches

étaientpartagées.

—Çaparaîtmerveilleux.

—Oui.Mamèreestadorableetmonpère...tunevaspastarderà

fairesaconnaissance.C'estunhommeàlafoismoderneetattachéà

unecourtoisied'unautretemps.Ilesttoutàfaitpourquelesfemmes

occupentdespostesàresponsabilité,maisilpensequ'aucunhomme

nedoitleurmanquerderespect.

Ilsavaientatteintlesmarchesdupalaisdejustice.

—Jesuistellementnerveusequej'ailesmainstoutesmoites,

avoua-t-elle.

—Àproposdumariage?

Ellehochalatête.

—J'auraisvraimentpréféréqu'ilyaituneautresolution.

HankrepoussasonStetsonpourmieuxvoirlevisagedeCarlyetlui

souritgentiment.

—Toutirabien.Jetelepromets.

Ellehochadenouveaulatêteetseredressa.

—Comptetenudescirconstances,nousn'avonspasd'autrechoix.

Jelesais.

Ellesedétournaets'engageadanslevasteescalier.Hankremarqua

qu'elleplissaitlesyeuxpourseconcentreretcompritqu'elleavait

dumalàdistinguerleborddesmarches.

—C'estmoncortexvisuel,expliqua-t-elleenvoyantqu'il

l'observait.J'appréciemallaprofondeurdechamp,lescreuxetles

contours.

—Ah.

Unefoisenhaut,ilpoussalesdoublesportesets'effaçapourla

laisserentrer.Puisillapritparlecoudeetlaguidaversl'ascenseur.

—Nouspouvonsmonterparl'escalier,protesta-t-elle.

—J'aitravaillédurtoutelamatinée,mentit-il.

Lesportesmétalliquesserefermèrentderrièreeux.Hankpressale

boutondutroisièmeétageets'adossaàlamaincourante,lesbras

croisés,observantCarlyàladérobée.Ellerestaaucentredela

cabine,triturantfébrilementl'ansedesonsacdemainetsetapotant

lescheveux.Ilauraitdonnécherpourqu'ellepuissesedétendreun

peu.

—Ilnefautpass'enfairetouteunemontagne,tusais.Danscinq

minutes,ceserafini.

Elleacquiesçaavantdeluiaccorderunsourirehésitant.Hankeut

l'impressionquelesoleilvenaitdesurgirdederrièreunnuage.Elle

avaituneboucheencœur,laplusjoliequ'ilaitjamaisvue.

—Çamefaitundrôled'effet.C'estlapremièrefoisquejeme

marie.

Ilneputréprimerunpetitrire.

—Àvraidire,moiaussi.

L'ascenseurs'immobilisaavecunpetitsursautetlesportes

s'ouvrirent.Illaprécédaverslebureauetlafitentrer.Quelques

instantsplustard,ilsavaientenmainleformulaireàremplir.Carly

tenaitlepapiersoussonnezpourdéchiffrerlescaractères.Hankla

regardaavecperplexité.Ellesemblaitdevoirétudierchaquelettre

afindepouvoirreconnaîtreunmot.

—Pourquoiya-t-iltantdepolicesdifférentes?grommela-t-elle.

Parfoisles«a»ontunepetitequeue,d'autresfoisnon!Çamerend

folle!

Hankexaminalesmotsetlalumièresefitdanssonesprit.N'étant

pashabituéeàliredeslettres,Carlyessayaitdeleslierauxformes

qu'elleavaitmémoriséesautoucher.

Soucieuxdeluiépargnerunsurcroîtdefrustration,ilsemitàluilire

leslignestouthaut,cequiluivalutunregardcourroucéde

l'employé.Hankneluiaccordaaucuneattention;ilnevoulaitpas

passerdesheuresdanscebureau.

—Cen'estqu'unformulairestandard,murmura-t-ilàl'oreillede

Carly.Est-ilabsolumentnécessairequejelisetout?

—J'aimesavoircequejesigne.

Hanksemitàlirelalignesuivante.Avantdesavoirquellemouche

l'avaitpiqué,ilenavaitaltérélaformulation.

—Jeprometsencejour,commença-t-ildoucement,d'êtrel'esclave

sexuelledemonmari,denepasluiposerdequestionsetdeluiobéir

entouteschoses,mêmes'ilestaffreusementviolentetdérai-

sonnable.

Elleécarquillalesyeuxetluiarrachalepapierdesmains.

—Quoi?

L'espaced'unhorriblemoment,Hankcrutqu'ilavaitcommisune

erreurenlataquinant.Puiselleravalaunrireetlevalesyeuxauciel.

—Tuesimpossible!Cen'estpascequiestécrit.

—Exactement.C'estunformulairestandard.

Ellesoupira.

—Oh!trèsbien!Montre-moioùjedoissigner.

Ilpointal'espacedudoigt.Avecunemouedeconcentration,elle

griffonnasonnom,appuyantsurlestyloaupointdelecasser.

Fascinéparsabouche,Hankoubliacomplètementleformulaire.

IlauraitvolontierscédésapartduLazyJjustepourpouvoir

l'embrasserdenouveau.

—J'aiécritdroit?demanda-t-elleavecinquiétude.

Pasprécisément,maisiln'allaitpasleluidire.

—C'esttrèsbien,répondit-ilenajoutantsasignatureàlasienne.

Aprèsavoirmontréleurspiècesd'identitéàl'employé,ilsfurent

libresdepartir.Commeilsretournaientversl'ascenseur,Carly

soupira.

—Jesuiscontentequecesoitterminé.

Hanksesentaitsoulagéluiaussi,sanssavoiraujustepourquoi.Ce

n'étaitqu'uneformalité,aprèstout.Ilsregagnèrentlepick-upen

silence.Cettefois,Hanknetentapasd'aiderCarlyàyprendreplace.

Avantdedémarrer,ilsetournaverselle.

—Voudrais-tuallerdéjeunerquelquepart?

Elleparutsurprise.

—J'aidéjàmangé.

—Boireuncafé,alors?

Illuisemblaitimportantdepasserunmomentavecelleavantle

mariage.Peut-êtresesentirait-ellemoinsstresséesiellele

connaissaitunpeumieux.

—Non,merci,dit-elleavecunsourirepouratténuerl'impactdeson

refus.Jen'aipasledroitdeboireducafé.Cen'estpasbonpourle

bébé.

Hankauraitpuluidresserunelistedetouteslesboissons

inoffensivespourlebébéqu'elleauraitpuchoisirdansunbar,mais

ildécidadenepasinsister.Ilétaitévidentqu'ellen'avaitpasenvie

deresteraveclui.

Letrajetderetoursefitdanslesilence.LorsqueHanksefutgaréle

longdutrottoir,ilcoupalecontact.

—Ehbien,àvendredi,jesuppose.

Ellehochalatête,sesdoigtstriturantunboutondesonchemisier.

—Pourrais-tuvenirmechercherenallantaupalaisdejustice?

Bessaétérappeléepourundeuxièmeentretiendansuncabinet

dentaireaujourd'hui.C'estbonsigne,maissielledécrocheleposte,

ilestpossiblequ'elledoivetravaillervendredi.

—Pasdeproblème,réponditHank.Verstroisheuresetdemie?

—Ceseratrèsbien.

Ellerestaimmobileuninstant,cherchantvisiblementquelquechose

àdire,puisellesoupira.

—Ehbien,jeferaismieuxd'yaller.Àvendredi.

—Entendu.

Avantderefermersaportière,elleluiadressaunsourirenerveux.

—Aurevoir.

Hanklasuivitdesyeuxtandisqu'elles'éloignaitlelongdutrottoir.

Vendredi.

Dansquatrejours,ilsseraientmariés.

11.

Cesoir-là,Hankallavoirsesparents.Ilavaitbeauconnaîtrepar

cœurtoutcequil'entourait,ileutl'impressionquelascènese

déroulaitdansunautreuniverslorsqu'ils'assitàlatabledecuisine.

Samèreétaitinstalléeenfacedelui,sonpèreàsadroite.

—Tuessûrquetuneveuxrien?demandaMary.Jeviensdefaire

ducafé.

Hankavaitdéjàlesnerfsàfleurdepeau.Iln'avaitcertespasbesoin

decaféine.Ilsecalasursachaiseenchêne.

—Non,merci.

Marybutunegorgéedethéetreposasadélicatepetitetasseau

reborddoré.

—C'estgentild'êtrevenu.Ilyaquelquetempsquenousnet'avons

pasvu.

—Noussommesdébordés,àcetteépoquedel'année.Jakeetmoi

sommesencoreentraindemarquerlespoulains,etcettesemaineon

nousaamenéquatrechevauxàdresser.

LeregarddeHankseportasurlemurprèsdelafenêtre,oùsixséries

d'empreintesdigitalesavaientétémouléesdansduplâtre-unepour

chaquemembredelatribuCoulter.Lessiennesluisemblaientsi

petitesqu'ilavaitpeineàcroirequ'ellesaientpuluiappartenir.Il

songeasoudainqu'unjourprochain,ilverraitpeut-êtrecellesdeson

filssurcemêmemur.

—Çavabientôtsecalmer,ajouta-t-il.

—Tantmieux.Jakeettoitravailleztropdur.

Hankcherchaenvainuneentréeenmatièrequiluipermettrait

d'annoncerlanouvelleendouceuràsesparents.Ilrejetauneidée

aprèsl'autre,tandisqueletic-tacdelavieillehorlogeenformede

théièreluisemblaitplussonoreàchaquesecondequipassait.

—J'aiquelquechoseàvousdire,dit-ilenfin.Préparez-vousàun

choc.

Maryeutunhaut-le-corpstandisqueHarvfronçaitlessourcils,

fixantsurluileregardbleuetperçantquil'avaittoujoursintimidé

enfant.

—Jenesaispasparoùcommencer,alorsjevaisallerdroitaubut.

Ilmarquaunepause,puissejetaàl'eau.

—Jememarievendredi.

Sesparentsledévisagèrent,incrédules.Samère,unepetitefemme

dodueauxcheveuxbrunsàpeinestriésdegris,posaavecprécaution

satassesursasoucoupe,souritd'unairhésitantetjetauncoupd'œil

verssonmari.

—Jesuisdésolée,dit-elleenriant.Jedeviensunpeusourde.

J'auraisjuréquetuviensdedirequetuvastemarier.

Hankacquiesça.

—Tuasbienentendu.

—Jenesavaismêmepasquetuavaisunepetiteamieattitrée!

Hankn'avaitpasmentiàsesparentsdepuissapetiteenfance,etil

n'allaitpascommenceràprésent.

—Ceschoses-làarriventtrèsvite,parfois.

—Tuasditvendredi?répétasamère.

Elleportaunemainàsagorge,lesyeuxsoudaindouxetbrillants.

—C'estsirapide!

—Jesaisqueçadoitvousparaîtreprécipité.Jesuisdésolédene

pasvousavoiravertisplustôt.

Harvtapotasapochedechemise,cherchantlepaquetdecigarettes

auquelilavaitrenoncéquatreansplustôt.

—Depuisquandconnais-tucettefemme,fiston?

—Depuisuncertaintemps,réponditHankd'untonévasif.

—Tul'aimes?demandasamèreavantdesemettreàrire.Question

idiote!Tunel'épouseraispassicen'étaitpaslecas.

Siseulementilssavaient!Hankfutreconnaissantàsamèred'avoir

réponduàsaproprequestion.S'ilpouvaitl'éviter,ilpréféraitnepas

avoiràentrerdanslesdétailsdesarelationavecCarly.

Maryplissalefront.

—Tuasditvendredi?

Hankhochalatête.

—Seigneur!Maisc'estdanstroisjours!

—Nousallonsfaireçasimplement,maman.Ellen'apasdefamille

ici.Ceseraunecérémoniecivile,riendeplus.

Maryparutdépitée.

—Maistunevoispasd'inconvénientàcequej'organiseunepetite

réception,toutdemême?Nouspouvonsfêtercelaici.Quelgenre

demariageserait-ces'iln'yavaitpasderéceptionaprès?

—Carlyetmoinevoulonspasderéception.Noussommeseuh...

enfin...c'estassezsoudain...etnousvoulonsévitertoutletralala...

—Unmariagen'estpasuniquementdestinéauxmariés,intervint

sonpère.Ilestpourlafamilleaussi.Sitamèreveutorganiserune

réception,jenevoispaspourquoiellenedevraitpaslefaire.

Résoluàlesconvaincre,Hankcherchaunargumentdepoids,

susceptibledesatisfairesesparents.

Nada.Puisilcommitl'erreurderegardersamère;elleavaitlesyeux

pleinsdelarmes.

—Tunevastemarierqu'uneseulefois,dit-elled'unevoix

tremblante.

Pasnécessairement,songeaHank,maislemomentétaitmalchoisi

pourlefaireremarquer.

—Jetiensàmarquerl'événement,reprit-elle.Tuesnotrefils!

Commentunhommeétait-ilcensétenirtêteàsamèrequandcelle-ci

étaitauborddeslarmes?Hankretirasonchapeauetleposasurla

chaiseàcôtédelui.Bonsang!Ilpouvaits'opposersansproblèmeà

unhomme.Curieusement,cen'étaitjamaisaussifacileavecune

femme.Etmaintenant,ilenavaitdeuxàsatisfaire.

—C'estdéjàasseztristeden'avoirqu'unecérémoniecivile,

continuaMary,savoixdevenantplustendueàchaquemot.Maisne

rienfêterdutout?Nousn'auronspasdephotos,pasdesouvenirsà

partagerenfamille!Et...

Souslatable,lepèredeHanklepoussadupied.Hankcompritqu'il

avaitperdulabatailleetlevalamain.

—Maman?

Ellecontinuaitàparler.

—Maman?Hé!Vas-tumelaisserplacerunmot?

Marysetut,maisluiadressaunregardlourdde

reproche.

—Sijedisoui,peux-tumepromettresolennellementd'organiser

quelquechosedetrès,trèssimple?

Ellehochalatête.

—Oui,biensûr.Jepeuxfairesimple.

—Alors,c'estd'accord,cédaHank.Maisilfautqu'iln'yaitquetrès

peud'invités,seulementlesmembresdelafamille.

—Trèspeud'invités,répétaMary,aussitôtragaillardie.Pasde

problème.Ceseraplusintime.

Ellecilla,refoulantseslarmes,ets'essuyalesjoues.

—Jesuisdésolée.Cen'estpastouslesjoursqu'undevosenfantsse

marie!Jeneconçoispasqu'onpuissefaireleschosesautrement.

Hankavaitreçulemessage.Cinqsurcinq.Tantquesamèrene

mettaitpaslespetitsplatsdanslesgrands,uneréceptionn'avaitrien

dedramatique,aprèstout.

—Carly,tuasdit?Queljolinom!repritMary.Quandallons-nous

larencontrer?

Hanksefrottalementon.

—Ellevaêtretrèsoccupée,cettesemaine,àfairesesbagagesetà

sepréparerpourlacérémonie.Ilvousfaudrasansdouteattendrele

jourdumariage.

—C'estdommage.

Hankétaitd'accord,maisilnevoulaitpasimposeràCarlytrop

d'épreuvesàlafois.Unefoislemariagepassé,safamilleauraittout

loisirdefairesaconnaissance.

Iltrituralamosaïqueenharicotscenséeêtreundessous-de-platqui

ornaitlecentredelatable.Ill'avaitfabriquéepourlafêtedesMères

uneéternitéauparavant.Sonpèrel'avaitrecouverted'unepâtede

fibredeverreafindeprotégerlemotif,uncoqmalcentré,affligé

d'unstrabismeprononcéetd'unecrêteendentsdescie.Lepauvre

volatileavaitl'aird'avoirétéassomméparuncoupdemarteau.

—Commentest-elle?insistaMary.

Hankréfléchituninstant.

—Blonde,jolie.

Leregarddesonpèresedurcit.

—Pasdanslegenrevulgaire,ajouta-t-il.Sescheveuxsont

naturellementblonds,couleurmiel,avecdesmèchesplusfoncées.

Elleneportepasdemaquillage,oupresquepas.Sijedevaisla

décrireenquelquesmots,jediraisqu'elleressembleàunange-

commeceuxqu'onvoitpeintssurlesplafondsdeséglises.

HarvsedétenditetMarysourit.

—Elledoitêtreadorable.

Elles'emparad'unstyloetd'unefeuilledepapieretsemità

griffonnerdesnotes.

—IlfaudrainviterlesKendrick,dit-elleenjetantuncoupd'œilvers

Hank.

Ileutunevisiondusalondesesparentspleinàcraquer.

—HormisRyan,lesKendricknefontpasvraimentpartiedela

famille,maman.

—C'esttoutcomme.BethanyestuneKendrick,àprésent.EtRyan

vaforcémentleurparlerdumariage.

Elleentrepritdedresserunelistequi,sousl'œileffarédeHank,ne

tardapasàprendredesproportionsalarmantes.

—EtnousnepouvonspaslaisserdecôtélesparentsdeMolly.

Hankadressaunregardsuppliantàsonpère.Harvréprimaun

sourireamusé.

—Ilsnepourrontpeut-êtrepasvenir,machérie.Ilfaudraitqu'ils

descendentdePortlandenvoiture,etnousneleurdonnonsguèrede

temps.

Hankpriapourquesonpèreaitraison.Sicinquantepersonnes

débarquaientpourassisteràlacérémonie,commentl'expliquerait-il

àCarly?

—Jepensevraimentqu'ilvaudraitmieuxn'inviterquelafamille

proche.J'aiquatrefrèresetunesœur,dontdeuxquisontmariéset

quiontdesenfants.Nousnetiendronspastousdanslebureaud'état

civil,sansparlerdesparentséloignés...

—Net'inquiètepas,ditMary.Jem'occupedesdétails.

C'étaitjustementcequiinquiétaitHank.Lesdétails.Pourquoi

fallait-ilquelesfemmescompliquenttout?

Marylevalesyeuxverssonmari.

—NousnedevonspasoublierSlyetHelen.

HarvlançaàHankunregarddebiais.

—Jesupposequenon.

UnefossettesecreusadanslajouedeMary.

—NotreHankquisemarie!Tun'aspasdumalàycroire,Harv?

Quandilaannoncéqu'ilavaitquelquechoseànousdire,je

m'attendaisàtoutsaufàça!

—C'estunesurprise,poursûr.

Harvrepoussasachaise.

—Hank,pendantquetamèrefaitlalistedesinvités,tupeuxvenir

augarageavecmoi?J'aiquelquechoseàtemontrer.

Sepréparantàuninterrogatoireenrègle,Hanksuivitsonpère.Harv

neledéçutpas.

—Qu'est-cequisepasse?demanda-t-ild'unevoixsourde,dèsque

laportefutrefermée.

—Rien,papa.Jememarie,c'esttout.

—Autantquejesache,tunefréquentespersonne.Ettuarrivesici,

fiercommeunpaon,nousannoncerquetutemaries?

—Écoute,papa...

—Gardetessaladespourtamère.Elletecroit.Dis-moilavérité.

Hanks'exécuta,relatanttoutel'affaire,ycomprislamanièredontil

avaitcontraintCarlyàl'épouser.Àmi-chemindurécit,Harvse

laissatombersurunelaitièreenfer-blanc.Verslafin,samâchoire

tressaillait,signequ'ilserraitlesdents.Sesyeuxbleusétincelaient

decolère.

—Jesuisdésolé,papa,conclutHanklorsqu'ileutterminé.Jesais

quejet'aidéçu.

—Jenesuispasfierdetoi,mongarçon.Jecroyaist'avoirélevé

autrement.

—Siçapeutteconsoler,j'aiapprisunedureleçon.Mamanme

répétaittoutletempsqu'unjouroul'autre,j'auraisdesennuis.Elle

avaitraison,saufquecen'estpasmoiquisouffre.Quoiqu'ilarrive

entreCarlyetmoi,jenefréquenteraiplusjamaislesbars.

Sonpèreseredressa.

—Fréquenterlesbars?Letermeestunpeufaiblequandonparle

desesaouleretdedéflorerdesfillesàl'arrièred'unpick-up.

Hanknetrouvarienàdirepoursadéfense.Leslarmesauxyeux,il

affrontaleregarddurdesonpère.

—Tusaiscequiestlepire?

—Non.Quoi?

LagorgedeHanksenoua.

—Carlyestexactementlegenredefillequej'auraischoisiesi

j'avaiseuassezdebonsenspourenchercherune.Elleestdouceet

jolie,etgentille,avecjusteassezdecaractèrepourmegardersurle

droitchemin.

Ilsoupiraetdonnauncoupdepieddansunefeuillesèchequis'était

faufiléesouslaporte.

—Chaquefoisquejelaregarde,jemedemandecommentj'aipu

penserqu'elleétaitunehabituéedesbars.Etcommejenesavaispas

qu'elleétaitvierge,jen'aipasprisdeprécautionsparticulières.Jelui

aifaitmal,j'ensuissûr.Elleseméfiedemoi,àprésent.

—Jenem'inquiètepastroppourça,rétorquasonpère.Tutrouveras

lemoyendel'apprivoiser.

Hankn'enétaitpassisûr.

—Peut-être.

Harvselevalourdement.Hankattenditquesonpèreluidise«Jete

l'avaisbiendit»ouqu'ill'accabledereproches.Aulieudecela,

Harvlepritparlesépaules,leregardadanslesyeuxetsourit

tristement.

—J'auraispréféréquetunemettespascettepauvrefilledansune

situationpareille,jenevaispasprétendrelecontraire.Maispuisque

tul'asfait,jesuisfierdevoirquetuassumestesresponsabilités.

Hanks'étaitattenduàtoutsaufàcegenrededéclaration.

—C'estmonenfant,papa.Iln'yaaucundoutelà-dessus.Cette

grossessevagâcherlaviedeCarly.sijen'intervienspas.

—Beaucoupd'hommesprendraientleursjambesàleurcou.

—J'aiétéélevémieuxqueça.

Harvacquiesça.

—Dansdescirconstancesnormales,jen'auraisjamaisapprouvé

quetulacontraignesàt'épouser,maisriennemeparaîtnormaldans

votresituation.

C'étaitlemoinsquel'onpuissedire,songeaHank.

Harvsourit,puisluitapotalebras.

—Elleauraunefamillepourlasoutenir,àpartirdemaintenant.

Hankjetauncoupd'œilàlaportequicommuniquaitaveclacuisine.

IlavaitparfoisétéexaspéréparleclanCoulter,sinombreuxetsi

étroitementsoudé.Maintenant,ilseréjouissaitdesonexistence.Sa

mèreprendraitCarlysoussonaileetilpouvaitcomptersurJakeet

surMollypourl'accueillirchaleureusementauranch.Carlyse

sentiraitpeut-êtreunpeuintimidéeaudébut,maisHankétait

persuadéqu'ellenetarderaitpasàaimersafamillepresqueautant

quelui.

—Elleauraaussiquelqu'undebienàsescôtés,commentaHarv

doucement.

Surpris,Hankinterrogeasonpèreduregard.Cedernierbaissala

têteetdonnaàsontouruncoupdepieddanslafeuille.

—Quandunhommeélèvedesfils,ilatendanceàprésenterdelui

uneimageflatteuse,histoiredemontrerl'exemple.J'aifaitmapart

d'erreurs,deschosesdontjen'aijamaisparlédevantvous,les

garçons.

Illevalesyeux,l'airpenaud.

—Moiaussi,j'aicourulesfillesetfaitlabringue.Jenevoulaispas

memarier.Jenemevoyaispasencombréd'uneribambellede

gaminsànourrir.

Sûrementpas,pasmoi!Etpuisj'airencontrétamère...

IlfitàHankunclind'œil.

—J'aieulecoupdefoudrepourelleetj'aipassélesmoissuivantsà

prendredesdouchesfroides.C'étaitunefillebien.Ellen'étaitpasdu

genreàselaisserrenverserdanslefoinsansavoirlabagueaudoigt.

Jen'avaispasd'autrechoixquedel'épouser.Sonpèreafaillifaire

uneattaque!Iladitquej'étaisunvoyou,unbonàrien,quejela

feraissouffrir,etilarefusédenousdonnersabénédiction.Ilétait

fouderagequandons'estsauvésetqu'ons'estmariésquandmême.

—Grand-pèrenet'aimaitpas?s'exclamaHank,incrédule.

Harveutunlégerrire.

—Ilavaitraison.J'étaisunvoyoudoubléd'unbonàrien.

IlplantasonindexsurletorsedeHank.

—Ilfallaitunefemmecommetamèrepourmeremettresurles

rails,etellem'yagardédepuis.Tongrand-pèreafinipar

m'accepter.QuandJakeestarrivé,ons'entendaitbien,luietmoi.Et

çaaduréjusqu'àsamort.

Harvesquissaunsourireamusé.

—Tusaislesdernièresparolesqu'ilm'adites?«TraitemaMary

commeilfaut,sinon,jetejurequejereviendraid'outre-tombepour

tebotterlesfesses,gamin.»

Hankneputs'empêcherderire.Ilavaitencoredumalàcroireque

sonpèreaitpucourirlesfemmes.

—EtpuisquelepèredeCarlyn'estpaslàpourledire,c'estmoiqui

leferaiàsaplace,repritHarvenétrécissantlesyeux.Traite-la

commeilfaut,sinon,c'estmoiquitebotterailesfesses!

—Net'inquiètepas,papa.Mesfrasquessontterminées.Danspeu

detemps,j'élèveraiunenfantetjemepeindraisousunjourmeilleur

quejenelesuis,moiaussi.

—Jesais,réponditHarvenhochantlatête.Jet'aiélevé,non?

Commeils'apprêtaitàretournerdanslacuisine,Hanklerappela.

—Papa...Ilyaunedernièrechose...

Harvseretournavivement.

—Sic'estunemauvaisenouvelle,garde-lapourplustard.J'enai

entenduassezpouraujourd'hui.

—Non,cen'estriendegrave.

Hanksefrottalanuque,choisissantsesmotsavecsoin.

—Çam'ennuiedetedemanderçaparcequejesaisquetun'aimes

pasavoirdesecretsvis-à-visdemaman,maisdanscecasprécis,

pourrais-tugarderpourtoilagrossessedeCarlypendantquelques

jours?

—Jepréféreraisnepasavoiràlefaire,réponditHarvenfronçant

lessourcils.

—Jesaisetjecomprends.C'estjusteque...ehbien,situledisà

maman,ellevaenparleràBethany.Enunriendetemps,toutela

familleseraaucourant.Jenevoudraispasquequelqu'unfasseun

fauxpasetqueCarlysesentehumiliéelejourdesonmariage.

Harvacquiesça.

—Trèsbien,fiston.Jetedonneunesemaine,pasunjourdeplus.

Tamèreetmoin'avonspasdesecretsl'unpourl'autre.

—Quelquesjourssuffiront,promitHank.C'estpourCarly,pas

pourmoi.Peut-êtrequecelanel'ennuieraitpas.Beaucoupde

femmessontenceintesavantdesemarierdenosjours,maisonne

saitjamais.Savien'ariend'ordinaire.

Harvsefrottalementon,faisantcrissersabarbenaissante,plus

grisequebruneàprésent.

—Tamèreseraraviepourlebébé,tusais.Elleneporteraitjamais

dejugementsurcegenredechose.

—Cen'estpasçaquim'inquiète,soupiraHank.Pasuneseconde.

C'estjustequeCarlynevousajamaisvus.Elleabesoind'unpeude

tempsavantquemamansemetteàs'extasieretàl'inonderde

cadeauxpourlebébé.

Harvs'esclaffaetlepoussaverslaporte.

—Tuferaismieuxderentreravantqu'elleinvitelamoitiédelaville

àtonmariage.

Hankespéraquesonpèreplaisantait,maisquandilregagnala

cuisine,Maryétaitdéjàautéléphone,parlantàtouteallureàsasœur

Bethany.

—Oui,disait-elle,vendrediaprès-midiàseizeheures!Commeça,

sanscriergare!Ilditqu'elles'appelleCarly.Oui,ehbien,tuconnais

tonfrère.Ilnes'estjamaistraînéàquatrepattes,maisilamarchéà

septmois.Rienn'achangé.

HankentenditlavoixétoufféedeBethanyàl'autreboutdelaligne.

Ilimaginasasœur,assisedanslefauteuilroulantultramoderneque

sonmariRyanavaitfaitfabriquerspécialementpourelle,sesyeux

marronpétillantdejoie.

Maryéclataderireettenditl'appareilàHank.

—Elleveutavoirtouslesdétails.Jetelapasse!

Levendredisuivant,àquinzeheurestrenteprécises,Hanksonnaà

laportedeCarly.Enattendantqu'ellevienneluiouvrir,ilvérifiale

nœuddesacravateaméricaine,redressalesépaulespourajustersa

vesteentweedets'assuraquelaboucledesonceinturonétaitbien

centrée.Ilsesentaitnerveux;unefinepelliculedesueurperlaitsur

sapeau.

Lejourdesonmariage.

Lorsqu'ilentendittournerlapoignée,ilcachalebouquetdemariée

danssondosetplaquaunsourirequ'ilespéraitamicalsurseslèvres.

Puislaportes'ouvritetsonsouriresefigea.Ilrestabouchebée.

L'anges'étaittransforméenfemmefatale.

Carlyarboraitunfourreaud'unblancscintillantdotéd'undécolleté

quidonnaitunsensnouveauaumot«plongeant».Letissuépousait

touteslescourbesdesoncorpsravissantetlajupeétaitagrémentée

d'unefentequimontaitjusqu'àmi-cuisse,révélantpresque

entièrementunejambefuselée.Elledonnaitl'impressiondes'être

maquilléeàlatruelleetsescheveuxformaientdepartetd'autrede

satêteunemassedebouclesblondesquisemblaitassezrigidepour

qu'onypiquedesdécorationsdeNoël.

—Bonjour,dit-elled'unevoixincertaine.Hankétaitincapable

d'articulerunson.

—Bessavaitpréparéunerobepourmoi,maisj'aiperduunbouton,

poursuivit-elleenlissantletissusurseshanches.Jemesuispiquéle

doigtenessayantdelerecoudreetj'aisaignésurlebustier.

Savoixétaitdevenueperçante.

—Cetterobe-ciappartientàBess.Jel'aitrouvéetoutaufonddeson

placard.Jesuisnullepourchoisirdesvêtements.Çava?

Larobeauraitétélerêveérotiquedetouthommenormalement

constituésiCarlyl'avaitaccompagnéedetalonsaiguilles,aulieude

quoiellearboraitdessandalesblanchestoutessimples,quicréaient

uncontrastepourlemoinssaisissantavecsatenue.Encoresousle

choc,Hankentraetrefermalaporte.

—Tut'esmisdumaquillage,dit-ilenfin.

Elleposasurluiunregardhésitant.Lebleudesesyeuxétaitpresque

éclipsépardesdemi-lunesd'ombreàpaupièresverte.

—Jen'enmetsjamais,d'habitude.Ilafalluquejem'yprenneàtrois

fois.

Hanknefutguèresurprisparsonaveu,mêmesi,pourunepremière

tentative,ilyavaitrelativementpeudecoulures.Ilconsidérasajolie

boucherecouverted'unrougevif,l'épaissecouchedemascaraqui

recouvraitsescils,etsongeaqu'elleavaitdûemprunterlatroussede

maquillagedeBeth.Lesteintesauraientdavantageconvenuàune

brune.

Ilfutbrusquementramenédesannéesenarrière,ausoiroùsasœur

avaitassistéàsonpremierbal.Leursparentsavaientétéappelésà

l'écuriepouruneurgence.Chargéd'attendrequelevétérinairerap-

pelle,Hankétaitleseulmembredelafamilleprésentdanslamaison

quandBethanyavaitémergédelasalledebains,ressemblantde

manièrefrappanteàCarlyàprésent,levisagetartinédecouleurs

criardes,arborantunecoiffureàfairepeur,lescheveuxcollésparla

laque.

LaseuledifférenceétaitqueBethanysavaitqu'elleavaitl'air

affreux,alorsqueCarlynes'endoutaitpas.

Uneseconde,Hankenvisagead'êtrelâche.Ilnevoulaitpasluifaire

depeine.Maisd'unautrecôté,ilnepouvaitpassetaireetlalaisser

sortirdanscetétat.Plustard,lorsqu'ellecomprendraitàquelpoint

sarobeetsonmaquillageétaientdéplacés,ellesesentiraithumiliée

chaquefoisqu'ellesesouviendraitdujourdesonmariage.

L'hésitationdutseliresursonvisage,carCarlyportaunemainàson

cœur.

—Jesuishideuse,n'est-cepas?

—Tunepourraisjamaisêtrehideuse.

Ilposalepetitbouquetsurlecanapéetseretournaverselle.

—C'estjustequecetterobeesttropsexypourunmariage.Tes

cheveuxsontbeaucoupplusbeauxnaturellement,ettuestrop

maquillée.

Elleparutatterrée.

—MonDieu!

Ellefitvolte-face,puispivotadenouveauetl'imploraduregard.

—Peux-tum'aideràchoisirunerobeplusappropriée?

Hankavaitl'intentiondefairebienplus.Ilretira!savesteet

retroussasesmanchesenlasuivantdanslachambre.Descartons

étaientempiléspartoutsurlelit,signequ'elleavaitdéjàfaitses

bagagespouremménagerdanslechalet.Parchance,elleavaitlaissé

quelquestenuessurdescintres.Lorsqu'elleouvritleplacard,les

yeuxdeHanktombèrentsurunerobebleupâletoutesimple.

—Celle-ciseraparfaite,affirma-t-il.

—Etmescheveux?Etlemaquillage?

—Ilsetrouvequejesuisunexpertenlamatière,répondit-il.

J'aidaismasœurBethanyàsepréparerquandellesortait.

Ilbaissalesyeuxsursamontre,serésignantàêtreenretardpourla

cérémonie.

—Peux-turetirercetterobe,enfilerunpeignoiretmeretrouver

danslasalledebains?

Quelquesinstantsplustard,quandCarlyapparutsurleseuil,Hank

ajustaitlatempératuredel'eau.Ellesemordillalalèvreenlevoyant

s'approcher,ungantmouilléàlamain.Illuinettoyalevisageà

l'aided'unelotiondémaquillante,puisl'attiraverslelavabo,la

forçantdoucementàbaisserlatêtepourqu'illuimouilleles

cheveux.Ellepoussaunpetitcristupéfait.

—Jamaisjenemesuissentieaussihumiliée,murmura-t-elle.

—Cen'estpastafaute.Tun'aspasl'habitudedescouleurs,ettune

voispaslespaillettes.

Ilappliqualeshampooing,prenantsoindenepasluienfairecouler

danslesyeux,aprèsquoiilluirinçarapidementlescheveux.Les

fessesrondesdeCarlysepressaientcontresonentrejambeetce

contactluirappelalecontratqu'ilsavaientpassé,ravivantsa

déterminationàlafairechangerd'avisàcesujet.

—Là,dit-ilenluienveloppantlescheveuxd'uneserviette.Oùestle

maquillage?

Elleluidésignaunepetitetrousseprèsdulavabo,Hanckl'ouvrit,

inspectantrapidementlecontenuavantd'ensortirtroisobjets

seulement,dumascara,dufardàjoues,etunrougeàlèvresrose

pâle.

Deboutdevantlui,Carlyl'observa,tendue,lesyeuxécarquillés,

alorsqu'ilsemettaitautravail.Del'avisdeHank,elleavaitunteint

parfait,quin'exigeaitaucuneretouche.Cependant,ilcomprenait

qu'elledesiresemontrersoussonmeilleurjourpourfairela

connaissancedesafamille.Unsoupçondemaquillagelarendrait

plussûred'elle.

—Larègledebaseestqu'ilvauttoujoursmieuxsepasenmettre

assezqued'enmettretrop,expliqua-t-ilenappliquantunecouchede

mascarasurseslongscilssoyeux.L'idéeestd'avoirl'airnaturel.

—Nousallonsêtreenretardàcausedemoi,chuchota-t-elle.

Ledevantdupeignoirbâillaitlégèrement,révélantunsoutien-gorge

endentelledélicateetlanaissancedesesseins.Auprixd'ungros

effort,Hankréussitl'exploitdefixersonregardsurlevisagede

Carly.

—Cen'estpastafaute.J'auraisdûvenirplustôt.

—Tesparentsserontfâchés?

Ilappliquaunetouchedecouleursurseslèvres.

—Jenecroispas,dit-ilenluifaisantunclind'œil.S'ilssontunpeu

agacésd'avoirattendu,ilsl'oublierontdèsqu'ilsaurontvuleurjolie

belle-fille.

Quandileutterminé,ilretiralaserviettequiretenaitsescheveux.

Ilstombèrentenmèchessouplesethumidessursesépaules.Fasciné

parsabeauté,Hanklespeignapuislesmitenplaceduboutdes

doigts.

—Voilà,çayest,annonça-t-il.Coursmettretarobeetnous

pourronspartir.

Ellejetauncoupd'œilnerveuxàlaglace.

—Ilfautquejemesèchelescheveux.Jenepeuxpasyallercomme

ça.

—Letempsqu'onarrive,ilsserontpresquesecs,affirma-t-il.Etils

serontmagnifiques.

Carlyneparutguèreconvaincue.

—JesuisundonJuan,souviens-toi.Jesaisdequoijeparle.

Elleregagnalachambre,lebousculantaupassage.Lorsqu'elleen

ressortit,quelquesminutesplustard,elleétaitsuperbeavecsarobe

bleupâleetsessandalestoutessimples.

—Tuesabsolumentparfaite.

Lesparolesavaientjaillid'elles-mêmes.Hankétaitsincère.Elle

étaitparfaiteeneffet,innocenteetnerveuse,timideetincertaine.

—Jeserail'hommeleplusfierdupaysenentrantaupalaisde

justiceàtonbras,ajouta-t-ilenluioffrantlebouquet.

—Oh!Hank,tun'auraispasdû!murmura-t-elle,lesyeuxbrillants

delarmes.Ellessontmagnifiques.

Elleinspiraprofondémentleurparfum.

—Desoeillets?Cesontmespréférés.

Hankcompritbrusquementqu'elledevaitidentifierlesfleursàleur

odeur.Illaregardaeffleurerdélicatementunpétale.

—Ça,c'estunemarguerite.

Àsontour,iltouchaunpétalecouleurlavande.

—Voiciuneorchidéesauvage.Etlà,cesontdesjacinthesdesbois.

—Mercibeaucoup.Ellerougitlégèrement.

—J'aitoujoursadorélesfleurs-parcequ'ellessententsibon,je

suppose.Mêmequandjenepouvaispaslesvoir,jelesappréciais.

Hanksepromitintérieurementdeluienoffrirsouventàpartirde

maintenant.Ilplongealamaindanssapoche.

—J'ai...euh...j'aiaussiachetéautrechose.Elleluidécochaun

regardstupéfait.

Nousdevronsavoirdesalliances,pourlacérémonie.Maisquandje

suisalléàlabijouterie,jen'aipaspurésisteràlatentation.Ilouvrit

lapetiteboîteenveloursbleunichéeaucreuxdesapaume.

—Jenesavaispascequiteplairait,alorsj'aichoisiquelquechose

quimefaisaitpenseràtoi.

Ilsortitdesonécrinunebaguedefiançailles,uncercledediamants

minusculesdisposésautourd'unjoyauplusgros,étincelant,au

centre.IllaglissaaudoigtdeCarlyensefélicitantdesonchoix.La

bagueétaitravissante,nitropvoyantenitropinsignifiante,etle

motifdélicatconvenaitparfaitementàCarly.

—Jesuiscontentqu'ellet'aille.Carlylevalamain,l'airtroublé.

—Ilnefallaitpas,Hank.Elleadûtecoûterunefortune.

—Pastantqueça.

Illaregarda,seprenantàregretter...ilnesavaitquoiaujuste.Que

leschosesnesoientpasdifférentes?Qu'iln'aitpulademanderen

mariagedemanièreplusconventionnelle?

—Puisquenousallonsnousmarier,autantfaireleschosescomme

ilfaut.Danslepiredescas,tupourrastoujoursladonnerànotrefils

ouànotrefilleunjour.

Elleparutsoudainméfiante.

—Danslepiredescas?

Ils'étaitmalexprimé,réalisaHank.Iljetauncoupd'œilàsamontre.

—Noussommesdéjàtrèsenretard.Nousferionsmieuxd'yaller.

—C'estunetrèsjoliebague,Hank.Merci.

Ellenesemblaitpasdéborderdejoieàlaperspectivedelaporter,et

Hanksupposaquelesenssymboliquedubijoulagênait.Unebague

defiançaillesétaitlapromessed'unavenirpartagé,etunealliance

scellaitcettepromesse.Enpassantlabagueaudoigtd'unefemme,un

hommedéclaraitsienne.

Hankn’avaitriencontre

Jamaisunefemmeneluiavaitautantplu.

12.

HanketCarlyfurentenretardàleurpropremariage.Detrente-cinq

minutesseulement,maispourceuxquiétaientarrivésàl'heure

convenue,l'attenteavaitétélongue.Lesmembresdesafamillese

tenaientaucoudeàcoudedanslasalleexiguë,fébrilesetimpatients,

transpirantdansleurshabitsdudimanche.Deboutderrièreune

petitetabledisposéelelongdumurdufond,lejugedepaixarborait

uneminesombreetirritée.

LorsqueHankpoussalaporte,Carlyseblottitcontrelui,unemain

crispéesursaveste,l'autretenantétroitementsonbouquet.Ilsongea

àlarassurer,puisilaperçutsesparentsetdécidadeleslaisserfaire.

Ilavaittoujourspucomptersurleurgentillesse.

Àcôtédelui,Carlyétaitraidecommeunpiquet.Instinctivement,

Hankpassaunbrasautourdesesépaules,s'efforçantdeluifaire

comprendrequ'ilsétaiententourésdegensamicauxprêtsà

l'accueilliràbrasouverts.

Lemagistratlesfoudroyaduregard.Ilétaitclairqu'ilavaithâtede

commencer,maisHankserefusaitàbousculerCarly.Ilétaithorsde

questionqu'elledise«oui»sansavoiraumoinsétéprésentéeàceux

quiallaientassisteràlacérémonie.Ilserattraperaitplustarden

offrantaujugeungénéreuxpourboire.

—Papa,maman,voiciCarly.Carly,jeteprésentemesparents,

MaryetHarvCoulter.

Hankn'avaitjamaisétéaussifierd'êtreunCoulterqu'encetinstant.

Samères'avançaavecunsourireravi,lesbrasouverts.

—Jem'appelleMary,machèrepetite,maisj'espèrequevous

m'appellerezmaman.Jesuissiheureusedefairevotre

connaissance!

Endépitdesanervosité,Carlysemblaretrouversonnaturel.Elle

esquissaundecessourireséblouissantsquiavaienttournélatêtede

HanklefameuxsoirauChaps.

—Moiaussi,jesuiscontentedevousrencontrer.Hankm'a

tellementparlédevous!

Maryétaitauxanges.Ducoindel'œil,HankvitBesssedétacherdu

groupe.Ellesouritmaisrestaenretrait,visiblementdésireusedene

pasinterromprel'échange.HarvétreignitCarlyavecchaleur,

lançantàHankunregardapprobateurpar-dessussonépaule.

—VousressembleztantàHank!commentaCarly.

Harveutunpetitrire.

—LamarquedesCoulter.Mesfilsensonttousaffligés.

MaryvintétreindreHankàsontour.

—Elleestsuperbe,monpetit.Absolumentsuperbe.

—Merci,maman.C'estvraimentquelqu'underemarquable.

Àprésent,touslesmembresduclanCoulterétaientaucourantdela

maladiedeCarlyetdesesproblèmesdevision.Harvavaittenu

paroleetn'avaitpassoufflémotdelagrossesse,maisiln'avaitpas

estiménécessairedetairelesautresinformationsqueHankluiavait

données.

—C'estextraordinaire,chuchotaMary.Onnediraitjamaisqu'elle

étaitaveugleilyapeudetemps.

HankallaitreprendresaplaceaucôtédeCarlyquandsonpèrela

présentaàZeke,lequell'embrassasurlajoueavantdel'entraîner

verssesfrèresjumeaux,IsaiahetTucker.Hanksefrayaenhâteun

chemindanslafoulepoursechargerdesprésentation.Lorsqu'il

enroulaunbrasautourdesataille,«5etressaillitcommes'ill'avait

touchéeavecuncharbonardent.

Hankraffermitsonétreinte,etrencontraleregardamusédeTucker.

—Monchou,voicimonfrèreTucker.Tucker,CarlyAdams.

—Carlyplissalesyeux,fixantlesjumeaux.

—ÔmonDieu!s'exclama-t-elle,consternée.

Jecommenceàvoirdouble.

Tuckeréclatad'unriresonore.Isaiah,lepluscalmeetleplusréservé

desdeux,secontentadesourire.

—Non,moncœur,tunevoispasdouble.IsaiahetTuckersont

jumeaux,expliquaHank.J'aimoi-mêmedumalàlesdistinguer,

parfois.

—Vraiment?

Carlylesétudiaavecunecuriositémêléedestupeur.

—J'aientenduparlerdesjumeaux,biensûr,maisjen'enavais

encorejamaisvu.

EllelevalesyeuxversHank.

—Ilsteressemblentbeaucoup.

—Commeledisaitpapa,nousnousressemblonstous.

—Parlez-nousdevous,Carly,ditTuckeravecchaleur.Mamana

ditquevousétiezinstitutrice?

—Oui,eneffet.J'aiprisuncongésabbatiquecetteannéepourfaire

mamaîtrise.Visiblementintéressé,Isaiahintervintàsontour.

—Vraiment?Dansquellematière?

IgnorantquetoutelafamilledeHankétaitdéjàinforméedesa

maladie,Carlyexpliquaqu'ellesouffraitdedystrophiegrillagéeet

qu'ellesouhaitaitsespécialiserdansl'enseignementdesmalvoyants

—C'estfantastique!commentaTucker.Jepariequ'onmanque

d'enseignantsdanscedomaine.

Laconversationsepoursuivitpendantquelquesminutes,puis

TuckeremmenaCarlyversleursœurBethany,quivenaitd'ouvrir

uneécoled'équitationpourenfantshandicapés.Lesdeuxjeunes

femmesavaientdoncdéjàunpointcommun.Hankregardatourà

toursafutureépouseetsesfrèresjumeaux,soulagéquetoutsemble

sepassersansanicroche.Avantlafindelajournée,Carlyaurait

sansdouteétéséduiteparchacundesmembresdesafamille,qu'elle

leveuilleounon.

Certaindelalaisserendebonnesmains,Hanksaisitl'occasionde

s'occuperdesdétailsdedernièreminuteaveclejugedepaix.

Contrairementàl'impressionqu'avaiteueHank,Carlyétaitenproie

àunmalaisecroissant.Elles'étaitattendueàunecérémonieintime.

Aulieudecela,ildevaityavoiraumoinsunevingtainede

personnes,peut-êtredavantage,ettouscesvisagesinconnuslui

donnaientlevertige.Jamaisellenesesouviendraitdetouslesnoms.

Pisencore,ilétaitévidentquelesamisetparentsdeHankcroyaient

qu'ils'agissaitd'unvéritablemariage,d'uneunionpourlemeilleuret

pourlepire.Sachantqu'iln'enétaitrien,Carlysesentait

affreusementcoupable.

Lemensongeluirépugnait,etfeindred'aimerunhommequ'elle

connaissaitàpeineétaitleplusgrosmensongedesavie.Ellen'avait

encommunavecHankqueleurbébé.Dansdeuxoutroisans,ils

divorceraientetsuivraientchacunsaproprevoie.

Commentétait-ellecenséeregardercesgensenface,sourireetse

conduirecommesic'étaitleplusbeaujourdesavie?

C'étaitunechosequedesignerdespapiersetdes'unirpourdes

raisonsfinancières.Fairepassercetarrangementpourunvéritable

mariageetlaisserunefamillel'accueillirensonseinavectantde

sincérité,c'étaituneautreaffaire.Bethanyétaitsiamicaleetsi

intéressantequeCarlyl'avaitaiméesurlechamp.QuantàRyan

Kendrick,sonmari,c'étaitungrandcow-boybrunetélancé,avec

desyeuxbleuspétillantsetunsourirechaleureux.Defait,ilsétaient

toussigentilsqueCarlyduts'obligeràgardersesdistances,ne

voulantnitroplesaimernilesencourageràl'aimerparcequ'elle

savaitquecemariagen'étaitqu'unsimulacre.

AyantconversésuffisammentlongtempsavecBethanypournepas

paraîtreimpolie,Carlysedétourna,cherchantenvainHankdu

regard.Commes'ilavaitdevinésondésarroi,Zekesurgitsoudainà

côtéd'elleetluipritlamain.

—Vousavezpeur?

Carlyluilançaunregardabattu.

—Jesuisterrifiée.

—Hankestparlà,dit-ilenlaguidantàtraverslafoule.Toutle

mondeestnerveux,voussavez.C'estnormal.Danscinqminutes,ce

seraterminé.

Aucontraire,songeaCarly,danscinqminutes,celaneferaitque

commencer.

—Jenepeuxpastrompertoutlemondeainsi,

murmura-t-elle,sachantqueZekeavaitétéprésentlevendredi

précédentlorsqu'elleavaitacceptél'offredeHankautéléphone.Ils

pensentquec'estunvraimariage.Elleluipressalamain.

—Faites-moisortird'ici,Zeke.Jevousenprie.

Jenepeuxpascontinuer.

Illadévisagea,inquietetconsterné,puisilraffermitsaprisesursa

main.

—Hank!Hé!Hank!appela-t-ilenfaisantsigneàsonfrère.Ta

fiancéeabesoindetoi.

Carlyauraitvouludisparaîtredansuntroudesouris.Maintenant,

touslesregardsconvergeaientsurelle.

Zekeluipressalamaindenouveau.

—Nevousinquiétezpas.Personnenesaitdequoivousvoulezlui

parler.

—Carlyserenditcomptequ'elles'accrochaitàluicommeunenfant

perdu,maislorsqu'elletentadesedégager,ilresserrasonétreinte.

—Nevousenfuyezpas,murmura-t-ild'unevoixgravesisemblable

àcelledeHankquec'enétaittroublant.Hankarrive.Parlez-lui,au

moins.

UnevesteentweedapparutsoudaindevantlesyeuxdeCarly.

—Qu'ya-t-il,monchou?

LavoixdeHank.Carlysepenchaverslui,soulagéequeZekela

lâcheenfin.

—J'aidécidéquejenepouvaispasmemarier,dit-ellefaiblement.

Cen'estqu'unmensonge.Ungros,unépouvantablemensonge.Jene

peuxpas,voilàtout.

Hankluientouralesépaulesdesonbrasetsepenchaplusprès.Sa

présence,soncontactapaisèrentlesnerfsdeCarlytelunbaume,ce

quiluiparutlecombledel'ironie.

—Hé!rienn'achangé,luidit-il.Cen'estqu'undétailtechnique.

—Paspourtamère.

Illuimassal'épauledoucement.

—Ellealafibrematernelle.Mêmelesenfantsduquartier

l'appellent«Mamie».Calme-toi,monchou.Souviens-toides

raisonspourlesquellesnousavonspriscettedécision.

Carlyhochalatêtedocilement.

—Nousdevonspenserànotrebébé,poursuivit-il.D'accord?

Ellehochalatêtedenouveau,sedemandantpourquoilaproposition

semblaitsiraisonnablequandilenparlaitetsiinsenséelorsqu'elle

setrouvaitseuleaveclespenséesquisebousculaientdansson

esprit.

—Dansquelquesjours,assura-t-il,nousdironslavéritéàmes

parentsetnouslesmettronsaucourantdenosprojets.D'accord?

—Ilsmemépriseront.Ilscroirontquejemesuisserviedetoi.

—Non,pasdutout.Ilspenserontquetuesunejeunefemme

merveilleuse,etpleinedecourage,quifaitdesonmieuxdans

l'intérêtdesonenfant.

Besslesrejoignit.HankluiexpliquaenquelquesmotsqueCarly

avaitdesdoutes.

—Tunepeuxplusfairemarchearrière,àprésent,affirmaBess.Tu

aspristadécision,Carly.Vas-y.Penseaubébéetoublietoutle

reste.

Acetinstant,lejugedepaixréclamalesilence.

Bessajustalesfleursdubouquet,s'adressantàCarlydansunsouffle.

—Ilfautquetulefasses,Carly.Cessederéfléchir.

Valà-basavecHanketrépondsauxquestions.Lesmotsneveulent

riendire.

—Depuisquand?

—DepuisqueHankettoienavezdécidéainsi.

Hankallaseplaceràlagauchedujugeetredressalesépaules.À

cettedistance,ilressemblaitdemanièrefrappanteàZeke.

L'estomacretourné,Carlyredoutauninstantd'êtremalade.C'aurait

étélecomble!Delàoùellesetenait,ellenepouvaitdistinguerles

deuxfrèresl'undel'autre.Peuimportait.Zeke,Hank...Ellen'aurait

puaffirmerhonnêtementavoirunepréférence.Peuimportaitaprès

toutdesavoirquielleallaitépouser,tantqu'elleauraitunmaripour

réglerlesfactures.Cen'étaitqu'unsimulacresordide,unsacrilègeet

uneinsulteàtoutcequ'ilyavaitdeplussacré.Elleavaitpeineà

croirequ'elleétaittombéesibas.

—C'estinjustedetrompersafamilleetsesamisdecettemanière.

LecœurdeCarlytambourinaitcontresescôtes.

—Ilssonttoussigentilsavecmoi...

Bessremitunenouvellefleurenplaceetsourit.

—Justement.Tuasbeaucoupdechance.IlsVOITcomprendre

pourquoituasfaitcechoix,etilss'enréjouiront.

UnetêtesombresurgitsoudaindevantlesyeuxdeCarly.Ellefaillit

bondir.Zekeluieffleural'épaule.

—Votreamiearaison.Leplusimportant,pourlemoment,c'estma

nièceoumonneveu.Nevousinquiétezpaspourlesautres.S'ilsne

voientpaspourquoicemariageétaitnécessaire,vouspouvez

comptersurmoipourleleurfairecomprendre.

Besssourit.

—Jen'avaispasréaliséquevousécoutiezlaconversation.

Zekeluirenditsonsourire.

—J'aiuntalentpourtendrel'oreillequandjenedevraispas.

IlposasurCarlyunregardamicaletsonexpressions'adoucit

encore.

—Sérieusement,monchou,vousn'avezpasd'autrechoixpossible.

Etn'ypensezpascommeàunetromperie.Laseulechosequi

importe,c'estlebien-êtredevotreenfant.

Emportantcettepenséedanssoncœur,Carlyallasemettreàcôté

d'unhommequ'elleconnaissaitàpeine,afindedevenirsonépouse

devantlaloi.

Hankprononçasesvœuxlepremier.IlretournalespaumesdeCarly

verslehautcommelevoulaitlatradition,lestenantdanslessiennes

avantderépéteruneàunelesphrasesdujugedepaix.

—Àcompterdecejour,cesmainsserontlàpourteréconforter

quandtuaurasduchagrin,tedonnerforceetcouragequandtuauras

peur,teprotégerencasdedanger.

DeslarmesapparurentdanslesyeuxdeCarly,troublantsavisionau

pointqu'ellenevoyaitmêmeplusHank.Enrevanche,ellevoyaitses

mains,etsavaitqu'iltenaitdéjàlapromessequ'ilvenaitdeluifaire

luidonnantforceetcouragealorsquelesdeuxabandonnaient.Elle

entenditconfusémentlerestetsesparolesrésonnerdanssatêteen

unesuitedemotsdésordonnés.

—CarlyJaneAdams,repritlejugedepaix,répétezprèsmoi...

Elleobéit,promettantd'aimeretd'honorerHankCoulterjusqu'àce

quelamortlessépare.Elleétaitsibouleversée,sinerveuse,qu'elle

auraitrépétén’importequoi.

Elleparvinttantbienquemalauboutdelacérémonie.Enfin,Hank

glissal'allianceàsondoigtetelleluirenditlapareilled'unemain

tremblante.Lorsquelejugelesdéclaramarietfemme,ellecrutque

sesjambesallaientsedérobersouselle,maislebrasdeHankétait

là,fermeetsolideautourdesataille,pourlasoutenir.Informéqu'il

pouvaitdésormaisembrasserlamariée,ilsecontentadedéposerun

baiserlégeretimpersonnelsurseslèvres,unbaisersifugacequ'il

tenaitplusdurêvequedelaréalité.

C'étaitfini.Carlyetluiseretournèrentpourfairefaceàleursinvités.

Tousseprécipitèrentpourlesféliciter.

Ensuite,Carlyfitcequ'onattendaitd'elle,signantsonnomaubas

d'undocumentqu'elledistinguaitàpeineavantdequitterlepalais

dejusticeaubrasdeHank.Letrajetjusqu'àlamaisondesesparents

sedérouladansleflou.Unefoisarrivée,Carlyfitmachinalement

toutcequ'elleétaitcenséefaire,avecl'impressiond'êtreprisonnière

d'uncauchemar.Desvoixs'élevaientautourd'elle,unbrouhahaqui

pénétraitsestympansetemplissaitsatêtesansylaisserdetraces.

Hanknelaquittapasd'unesemelle.Elleseraidissaitchaquefois

qu'illatouchait,etpourtantilpassaitsouventlebrasautourdesa

taille,commepourlarassurer.

Aprèsavoirfaitletourdelapiècepouréchangerquelquesmots

avecchacun,Bessvintlesrejoindreprèsdelacheminée.

—C'estuneréceptionfantastique!dit-elle.Jen'arrivepasàcroire

queMaryaitpuorganisertoutcelaaussivite.

—Mamèreestextraordinaire,réponditHank.Elleadorerecevoir,

etelleauntalentpourça.

—Toutestparfait,intervintCarly.Quandjepenseàtoutlemal

qu'elles'estdonné,jemesensaffreusementcoupable.

Hanks'étaitdéjàexcusépourlenombredesinvitésetlefaitquesa

mèreaitinsistépourorganiseruneréception.Àcemomentprécis,

Marycommençaàfaireletourdelapièceavecunplateaude

canapés.Lorsqu'ellearrivaàleurhauteur,Carlypritunepetite

assietteetenchoisitpolimentquelques-uns.

—Mmm!fitBessengoûtantunchampignonfarci.Délicieux!

Hankseservitàsontour,félicitasamèrepoursespréparatifsetla

remerciaunefoisdeplus.

—Cen'estrien,protestaMary.Tumeconnais,j'adorefairece

genredechoses.

ElleadressaàCarlyunsourirechaleureux.

—Etc'estuneoccasionspéciale.

Puiselles'éloigna,parcourantlapièceduregardpours'assurerque

sesinvitésnemanquaientderien.

—S'ilyaquelquechosequetun'aimespas,neteforcepasà

manger,chuchotaHankàsanouvelleépouse.Jesaisquetuas

l'estomacfragileencemoment.

Carlysecoualatêteensouriant.

—J'étaissinerveuseaujourd'huiquej'aioubliédedéjeuner.Çame

feradubiendegrignoterunpeu.J'aitendanceàêtrebarbouillée,si

jeresteàjeun.

Elleparvintàmangertroispetitsgâteauxsalésgarnisdefromageet

décorésd'olivesvertes.PuisHankremarquaqu'ellehésitait.

—Tropriche,peut-être?

Commeellehochaitlatêtepresqueimperceptiblement,Hankse

hâtadeterminersapropreassietteetéchangeaaveclasienne.Elle

luiadressaunregardreconnaissant.

—Merci,Hank.Jenevoudraispasblessertamèreenneprenant

rien.Hanks'enétaitdouté,etcelanefaisaitqueconfirmeràsesyeux

combienCarlyétaitdouceetattensive.Quelquesminutesplustard,

elleleprouvaunefoisdeplusens'extasiantsurlegâteauqueMary

avaitconfectionné.

—Toutestfantastique,commenta-t-elleeneffleurantdudoigtles

joliesserviettes.Personnen'auraitpurêverd'uneplusbelle

réception,Mary.Merciinfinimentdevousêtredonnétoutecette

peine.

—Appelez-moimaman,répétaMary.Etjenemesuispasdonné

tantdemal.J'étaisraviedepouvoirlefaire.

ZekeadressaàCarlyunsouriretaquin.

—Voustenezlecoup?Noussommesunefamilleplutôt

exubérante.Çanevousintimidepas,j'espère?

Carlysemitàrire.

—Toutlemondeestsigentilquejenesuispasdutoutintimidée.

C'étaitvrai,jusqu'àuncertainpoint.Elletrouvaitlafamillede

Hanksympathique.Commentaurait-ilpuenêtreautrement?

Pourtant,celanesignifiaitpasqu'ellesesentaitàl'aise.Depuisla

cérémonie,Hanks'étaitmisàlatoucherfréquemment,etd'une

manièrequ'ellepercevaitcommepossessive.Chaquefoisqu'il

enroulaitlebrasautourd'elle,soncœursemettaitàcogneràtoute

allure,etelledevaitsefaireviolencepourrespirernormalement.Et

s'ilavaitchangéd'avisàproposdeleuraccord?Jusqu'àmaintenant,

ilneluiavaitpasremisdedocumentécrit,ainsiqu'ils'yétait

engagé.

Aucentredesfestivités,Carlyn'avaitguèreletempsdes'attardersur

cettepensée,maissoninquiétudedemeuraitàl'arrière-plan,prêteà

ressurgirchaquefoisquesonmariposaitlamainsurelle.

HankremplitlesflûtesàChampagne,puissejoignitàCarlypour

porteruntoastàleuravenir.Enbuvantlevinpétillant,ilneput

s'empêcherdecontemplersanouvelleépouseavecfierté.Sidifficile

quesoitlasituation,elles'étaitconduiteavecgrâceetdignitéet

avaitconquislerespectdetous.

Souslesapplaudissementsdesinvités,iltintsamaindanslasienne

pourcouperlegâteau,puisdéposaunepetitetranchesurune

assietteenpapierornéederubansetdefleursargentées.Carlylui

offritgentimentlapremièrebouchée,aprèsquoiilpiquaunepetite

partsursafourchetteetlafitmangeràsontour.

Hankgardaunbrasautourdesépaulesdesafemmetandisquetous

portaientuntoastàleurbonheur.CefutHarvquicommença,disant

queMaiyetluiétaientravisd'accueillirCarlyauseindeleur

famille,etqu'ilssouhaitaientauxjeunesmariéstoutlebonheur

possible.

Lorsquelesflûteseurentétérempliesdenouveau,Jake,l'aînédes

filsCoulter,pritlarelève.

—Celasemblevraimentétranged'êtreici,dit-il.J'aivumonpetit

frèregrandir,j'aimisdespansementssursesgenouxégratignés,je

l'aisurveilléducoindel'œilàl'adolescencequandilsebagarrait.Je

supposequejem'étaisimaginéqu'ilresteraittoujoursmonpetit

frère,queriennechangeraitjamais.

Lesyeuxbrillants,Jakelevasonverre.

—Bienvenuedansnotrefamille,Carly.Félicitations,petitfrère.

Tousmesvœuxàvousdeux.

Zekes'avançaàsontour.

—Moiaussi,j'aidumalàcroirequemonpetitfrères'estmarié.En

leregardantaujourd'hui,j'airemerciélecieldenepasêtreàsa

place.

Toutlemondeéclataderire.ZeketournasonregardversCarly.

—Pourl'essentiel,toutaumoins.Jedoisdirequ'ilyaeudes

momentsoùjel'aienvié.Jamaisjenaivudemariéeaussi

ravissante!

Lesfemmesroucoulèrent.

—Oh!Commec'estmignon!Deleurcôté,leshommes

exprimèrentbruyammentleuraccord.

—Biendit,Zeke!

ZekebutunegorgéedeChampagne,puisreportasonattentionsur

lesjeunesmariés.

—Maintenant,jecommenceàmedemanderpourquoitues

toujourslà,petitfrère.Sij'avaisuneépouseaussibelle,j'auraishâte

d'entamermalunedemiel!Maryserécriaaussitôt.

—Nousn'avonsmêmepasmangélegâteau!Etilsn'ontpasencore

ouvertleurscadeaux!

HankauraitdonnécherpourqueCarlyetluipuissents'éclipserde

bonneheure.Iln'étaitpassûrqu'elletiennelecoupencorebien

longtemps.D'uncôté,ilétaitreconnaissantàsonpèreetàZeke,qui

savaientl'unetl'autrequelemariagen'étaitquetemporaire,dene

pasavoirtrahilesecret.D'unautrecôté,ilcomprenaitaussiqu'il

devaitêtreéprouvantpourCarlyd'endurertouscessouhaitsde

bonheuréternel,sansparlerdesallusionsaufaitqueHankdevait

êtrepressédepartirafindeconsommerleurunion.

IlfutheureuxdevoirCarlymangerunepartentièredegâteau.

Lorsquetoutlemondefutservi,lesinvitésserassemblèrentdansle

salonpendantquelesnouveauxmariésouvraientleurscadeaux.

Hankn'avaitjamaisvuautantd'appareilsménagersréunis,etoublia

vitequileuravaitoffertquoi.Parchance,sabelle-sœurMollytenait

uneliste,etilsepromitdelaremercierplustard.

Quandtouslescadeauxeurentétéouverts,Hankpassaunbras

autourdesépaulessafemmeetfitavecelleletourdesinvités,

remerciantchacund’êtrevenu.Carlyserradesmainsetselaissa

étreindredebonnegrâce,semontrantparticulièrementadorableet

reconnaissanteenversMary.

HankauraitpusepasserdurizetdulancerduIbouquet,maissa

mèreavaitprévutouslesdétails.ISousunepluiederiz,ilentraîna

sonépouseversIsonpick-up,garédanslarue.Avantdemonter.

Carlyseretournapourlancersonbouquet.

—Parici!criaBess.Sijel'attrape,j'auraipeut-Iêtredelachance!

Carlyéclataderire.

—Levoilà!

Lebouquets'envola,maispasendirectiondeIBess,commeCarly

enavaiteul'intention.Au1contraire,lesfleursvirèrentversla

gaucheetheur-ItèrentZekeenpleinepoitrine.Ilréagitinstinctive-

Iment,attrapantlebouquetpourl'empêcherdetomber.Puisilfit

unegrimacequidéclenchal'hilaritégénérale.

—Pasquestion,grommela-t-il.Jeneseraipaslesuivant.Jereste

célibataire!

IltentaderemettrelesfleursàBess,quisecoualatête.

—Non.C'estvousquil'avezattrapé.Vousêtescoincé!

ToutlemonderiaitencorequandHankaidaCarlyàmonterdansle

pick-up.Sansréfléchir,ilsepenchapar-dessusellepourluiattacher

saceinture,puisajusterlalanièreentraversdesapoitrine.Ce

faisant,lesjointuresdesesdoigtseffleurèrentleseindeCarlyqui

prituneinspirationchoquée.Ilsefigea.L'espaced'uninstantchargé

detension,ilssedévisagèrent,Hankconscientdelamanièredontla

pointedumamelons'étaitdurcieàsontoucher.

Ilseressaisittrèsviteetrefermalaportièrepassager.Quandilprit

placeauvolant,Carlys'étaitrecroquevilléeprèsdelaportière,les

brasétroitementserrésautoursataillemincecommesiellevoulait

luihurlerdenepaslatoucher.

Hankdémarraetappuyasurlapédaled'accélérateurLeurmariage

commençaitmal.

13.

HanktraversalesterresduLazyJendirectionduchalet.Lefaisceau

despharesdécoupaitunetranchedoréedanslesépaisbosquetsde

pins,créantunjeud'ombresdansantesparmilestroncsd'arbres.

Au-delà,lesboisétaientplongésdansuneobscuritémenaçante.

Carlysepressaitcontrelaportière.Vaguementnauséeuse,ellefixait

l'universflouderrièrelavitre,regrettantdenepouvoirretourner

danssonappartementetdormirdanssonlit.Lesévénementsdela

journéel'avaientépuisée.Sonvisageluifaisaitmalàforced'avoir

tropsouri.

—Çava?demandaHank.

Çanepouvaitallermieux!Elleétaitmariéeàunquasi-inconnu,et

c'étaitleurnuitdenoces.ElleespéraitqueHanktiendraitparole,

maisnepouvaits'empêcherdecraindrequ'ilaitchangéd'avis.Elle

regrettaitàprésentdenepasavoirinsistépourqu'illuiremettele

documentoùils'engageaitàdesrelationsplatoniques.Lajournée

avaitétésifrénétiquequ'ellen'yavaitpassongéavantqu'ilsoittrop

tard.

—Oui,répondit-elle.Jesuisfatiguée,c'esttout.

—Moiaussi.Çan'apasétéfacile.

Àvraidire,ellesoupçonnaitquelasoiréeàvenirseraitencoreplus

pénible.Mariée...Chaquefoisqu'elleypensait,elleavaitdumalà

respirer.

Ils'arrêtaprèsd'unbâtimentsombreettrapu,éteignitlesphareset

coupalecontact.

—Nousysommes,annonça-t-il.C'estseulementsonpetitchalet,

avecdeuxchambres.Riendeluxueux,maisnouspouvonsfaire

quelquestravaux.J'aipenséquetuseraisplusàl'aiseiciquedansla

maisonprincipale.Ainsi,tuaurasplusd'intimité.

Encetinstantprécis,Carlysemoquaitéperdumentdesavoiràquoi

l'endroitressemblait.Ellenedesiraitqu'unechose:s'allongersurun

litpropre,depréférenceseule,etdormir.

—Restelà,ordonna-t-il.Jevaisfaireletour.Ilfaitnoircomme

dansunfour,etlesolestinégal.

Ilsepenchapar-dessuslesiègepourattrapersonsacdevoyage.

Lorsqu'ilouvritlaportière,laveilleuseduplafonds'alluma.La

lumièrevivebrûlalesyeuxdouloureuxdeCarlyetuneboufféedair

froids'engouffradansl'habitacle.Àsongrandsoulagement,il

refermalaportière,lareplongeantdansl'obscurité.

Quelquessecondesplustard,ilcognaàsavitre.Carlyseredressaet

retirasaceinture.Ileffleurasoncoudeetellesetourna,pensantqu'il

luitendaitlamainpourl'aideràdescendre.Aulieudecela,illaprit

parlatailleetladéposatranquillementsurlesol.Pendantcesbrèves

secondesdecontact,Carlysentitlaforcedesesépaulesetdeses

bras,lesmusclessolidesquiseraidissaientsoussavesteen

lainage...

Ilpassaunbrasautourd'ellepourlaguiderverslamaison.

—Désolépourlesornières.Laplupartdutemps,personnen'habite

icietnousn'avonspasentretenulejardin.Faisattention.

Enhautdesmarches,illalâchapourouvrirlaporte,puiss'effaça

afindelalaisserentrer.EndépitdelachaleurdeHankqui

l'enveloppait,Carlyfrissonnaenfranchissantleseuil.Ilallumaune

lampedesolquibaignalapièced'unelumièretamisée.

—Bessm'aditquelalumièrevivetefaisaitmalauxyeux,dit-il,

alorsj'aimisduquarantewattsicietdanslachambre.J'espèreque

çaaideraunpeu.

Celaaidaitinfiniment,eneffet,etelleavaitdumaiàcroirequ'ilait

puêtresiattentionné.

—C'estfantastique,Hank.Mercid'yavoirpensé.

—J'ailaisséleslampesdelacuisineetdelasalledebainsenl'état,

maissiellessonttropfortes,dis-le-moietjem'enoccuperai.

Ilrefermalaporte,puisretirasavesteetlalançanégligemmentsur

unfauteuil.Encoreglacée,Carlysefrictionnalesbrastouten

parcourantlepetitsalonduregard.Àsadroite,unecheminéeen

galetsoccupaittoutunpandemur.Uncanapéencuiretdes

fauteuilsassortisétaientplacésfaceà1'âtre,évoquant

immédiatementdansl'espritdeCarlydessoiréesd'hiverpassées

devantunfeupétillant.Au-delàducanapé,ellevitunetable

ancienneetdeschaises.

—J'aipréparéunfeu,poursuivitHank.Veux-tumettremavesteen

attendantquelapièceseréchauffe?

Àvraidire,ilnefaisaitpastrèsfroid.Carlysavaitquesesfrissons

étaientdavantagedusàlanervositéqu'àlatempératureambiante.

—Çava,merci.

Hanksedirigeaverslacheminée.Deloin,sestraitsdevenaient

indistinctsetlescontoursdesasilhouetteélancées'estompaient.

Pourtant,vêtudesachemiseblanche,ilsemblaitencorepluslarge

d'épaulesqued'ordinaire.

Ilsebaissapourallumerlefeu.Desflammesambréess'élevèrent

aussitôtencrépitant,l'enveloppantd'unhalodoré.LecœurdeCarly

manquaunbattementetsonpoulss'accéléra.Malgrétoutcequi

s'étaitpassé,elleneputs'empêcherdesongerausoiroùilss'étaient

rencontrés.Sesbaisersl'avaientfaitfondre,etellesesouvenaitdela

chaleurdesesmainsdesmotstendresqu'illuiavaitdits.Comme

chaquefois,unnœudglacéseformaaucreuxdeM.entrealors

qu'elleseremémoraitladouleurquiavaitsuivi.

Ellesavaitqu'ilseraitvaindechercheràsedéfendres'iltentait

d'exercersesdroitsmaritaux.Àcettepensée,sanervosités'accrutet

ellesentitlanauséel'envahir.

—Ilnevapastarderàfairepluschaud,ditHanketserelevanteten

setournantverselle.

Lebleudesesyeuxétaitintenseettroublant.Carlvs'efforçade

vidersonesprit,maissespenséestraîtressespersistèrent.Danspeu

detemps,pourlemeilleuroupourlepire,ellesauraitsiHank

Coulterétaitunhommedeparole.

Iltraversalapiècelentement,d'unpasàlafoissoupleetpuissant,

s'arrêtadevantelleetsourit.Sonexpressionnetrahissaitrien.

—Aimerais-tuvisiterlamaison?

—Oh!Oui,biensûr.

Ilcontournalecomptoirquiséparaitlacuisinedupetitsalon.

—Voicilacuisine,dit-ilenluiadressantunregardespiègle.Etle

coinsalleàmangerquisertaussidetabledejeuxetbureau.

Ilindiquauneporteau-delà.

—Là,c'estlachambrequidonnesurl'arrière.

Mesaffairesysont.

Inclinantlatête,ildésignauneautrepièce.

—Etvoicilachambreprincipale.

Carlyeutunpetitrirenerveuxtandisqu'iltendaitlebraspour

allumerleplafonnier.Aprèsunebrèvehésitation,elleluiemboîtale

pas,sereprochantd'êtreunesotte.S'ilrevenaitsursapromesseet

insistaitpourqu'ilsaientdesrelationssexuelles,elleysurvivrait.

Jusque-là,ilneluiavaitpassemblécruel,seulementégoïsteet

irréfléchi.

—Commejeteledisais,cen'estriend'extraordinaire,etcen'est

pastrèsgrand,s'excusa-t-ilalorsquelleparcouraitlapiècedes

yeux.

—C'estmachambre?

—Oui.J'aidemandéàlagouvernanted'yfaireleménageàfond.

Elleanettoyélestiroirsetlesétagères.Iln'yapasbeaucoupde

placards,maisildevraityavoirassezdeplacepourtesaffaires.

—Jen'aipastantdevêtementsquecela,répondit-elleense

penchantpourtapoterlematelas.Étantaveugle,jenemesuisjamais

préoccupéedelamode.

Hankhochalatête.

—Lasalledebainsestsurlagaucheensortantdelachambre.Situ

veuxprendreunedouchetutrouverasdesserviettesetdesgants

propresdansleplacardenfacedulavabo.

—Entendu,merci.

Ilretournadanslesalonpouryprendreunepartiedesesbagages.

—As-tufaim?demanda-t-ilenluitendantlavalise.

Àlaseulepenséedemanger,Carlysesentitbarbouillée.

—Non,non.Jenepourraisrienavaler.

Ilpassaunemaindanssescheveux,puiss'éclaircitlagorge.

—Bon,fit-ilavecunlégersourire.Jepensequejevaismefairedes

œufsaubacon.Tuessûrequetuneveuxpastejoindreàmoi?Les

canapésetlegâteaudemamèremesemblentdéjàloin.

Carlysecoualatête.

—Non,merci.Vas-y.Jevaisseulementmerafraîchiravantd'aller

mecoucher.

Emportantsavalise,Carlysedirigeaverslasalledebainsavec

l'espoird'avoirletempsdeprendreunedoucheetdesecoucher

avantqueHankaitfinidecuisiner.

Quandellepressal'interrupteur,ellefutmomentanémentéblouie

parlalumièreviveduplafonnier.Ellecillaetrefermalaporte,

décontenancéedeconstaterqu'iln'yavaitpasdeverrou.L'idéeque

Hankpouvaitentreràtoutmomentlamettaitmalàl'aise,maiselle

n'avaitguèrelechoix.Plissantlesyeuxpourépargnersescornées

sensibles,elleposasavaliseparterre,puissedévêtit.

Elleétaitsousladouchedepuisquelquesminutesàpeinequandune

odeurécœuranteluiparvint,dubacon.L'airluisemblasoudain

saturédegraisse,commesileventilateurdelasalledebainss'était

transforméenpoêleàfrire.Elleeutunbrusquehaut-le-cœuret

déglutitprécipitamment,maislasensation!denauséenefitque

s'intensifier.Elleallaitvomir.

Carlyserinçalescheveuxenhâte,sortitdelabaignoireetattrapa

uneservietteavantquesonestomacnesesoulèvepourdebon.

*

Pendantquelebaconétaitentraindecuire,Hankavaitretirésa

chemiseblanche.Torsenu,ilcassaitunœufdanslapoêlequandun

bruitétrangeluifittendrel'oreille.OnauraitditqueCarlyavaitdes

haut-le-cœur.Iléteignitlegazetcourutàlasalledebains.

—Carly!Çava?

—Ne...n'entrepas!Çava.Çavab...bien.

Ellen'endonnaitpasl'impression.Hankmitlamainsurlapoignée

etentenditCarlyvomirdenouveau.N'ytenantplus,ilentrebâillala

porte.Enveloppéed'uneserviette,elleétaitàgenouxdevantla

cuvettedestoilettes,sesmainsfinescrispéessurlalunette.Hank

entra.Ellelevitducoindel'œiletresserraaussitôtlaserviette

autourdesesseins.

—Va-t'en!Jenesuispashabillée.

Unspasmelasecouatoutentière.

—Sorsd'ici,s'ilteplaît,hoqueta-t-elle.J'aibesoind'êtreseule.

Pasquestion,songeaHank.Ilpritungantpropredansleplacardet

lemouilla.Puisils'agenouilladerrièreelle.

—Tiens,monchou,dit-ilenglissantunemainautourdesataille.

LamaindeCarlyserefermasursonpoignet.Laserviettecommença

àglisser,etellelaissaéchapperunmiaulementdedétresse.

—Cen'estrien.

Hanklâchalegantetattrapalachemisedenuitqu'elleavaitlaissée

surlelavabo.

—Toutvabien,moncœur.Jevaistecouvrir.

IlsentitlesmusclesdeCarlysenouersoussonpoignet.L'instant

d'après,soncorpsseconvulsadenouveau,frappéparunenouvelle

vaguedenausée.Ellenevomitrien.Pouravoirconnucegenre

d'expérienceaprèsquelquesbonnescuites,Hanksavaitcombiences

haut-le-cœurétaientdouloureux.Ilsesouvenaitaussiqu'ilavaitété

épuiséaprès.

Lorsquelesspasmessefurentapaisés,illasoutintd'unbrastouten

faisantpasserlachemisedenuitpar-dessussatête.Commeillui

prenaitlamainpourluifaireenfilerunemanche,ellerésista,

s'accrochantobstinémentàlaserviette.

—Jenelalaisseraipastomber,promit-il.Donne-moitamain.

C'estbien.

Petitàpetit,ilparvintàl'habiller.

—Tuvois?Tuescomplètementcouverte.

LevêtementamplerecouvraitàlafoisCarlyetlaserviette.Ellese

laissaallercontresonépaule,etlecœurdeHankfitunbonddanssa

poitrine.Tantbienquemal,ilsemitendevoirdeséchersescheveux

mouillés,froidscontresontorsenu.Elles'appuyafaiblementcontre

luitandisqu'ils'affairait.

—J'avaistellementmalaucœur...,murmura-t-elle.Lebacon...

—Oh!Jesuisdésolé.Jen'yavaispaspensé.

—Moinonplus.Jenesavaispasquel'odeurmerendraitmalade.

Hankauraitdonnécherpouréchangersaplaceaveclasienne.Elle

semblaitàboutdeforcesettremblaitdetoussesmembres.

—Jesuislà,monchou.Jen'aipasbeaucoupd'expérienceauprès

desfemmesenceintes,maisjevaisapprendreaufuretàmesure.

Ilrepritlegant,lemouillad'eaufroideetluiépongealevisage.Elle

plissalenez,fronçantlessourcils.Sonvisageétaitstriédemarques

noires,vestigesdumascaraqu'ilavaitappliquésursescilsendébut

d'après-midi.Illuinettoyalesjoues,puisluisoulevalementonpour

lacontempler.Elleétaitsplendide,bellecommeunange,

exactementtellequ'ill'avaitdécriteàsonpère.Saufqu'elleétait

réelleetd'autantplusadorable.Maiselleavaitpassétoutesavie

dansunebulle,jusqu'aumomentoùilétaitarrivépourlafaire

éclater...

—J'espèrequelafraîcheurvatefairedubien.Çamarchetoujours,

pourmoi.

—Hmm...,murmura-t-elleens'appuyantdavantagecontrelui.

Uneboufféededésirl'envahit,etilserralesdents,s'envoulantde

réagirainsi.Ilnevoulaitpasluifairepeur.

—Quandceserafini,jetemettraiaulit.Peut-êtrequetupourras

t'endormir.

Sanscriergare,ellefutsecouéedenouveauxhaut-le-cœur.Hankla

pritparlesépaulesetlasoutintenattendantquelacrisepasse.La

violencedesesspasmesl'inquiétait,pourelleetpourlebébé.Illui

épongealevisageetlecoudenouveau.Lafraîcheursemblala

soulager,etellepoussaunsoupirtremblant.

—C'estsihumiliant.

Savoixétaitempreinted'unerésignationimpuissante.Ému,Hank

posalefrontsurlatêtedeCarly.

—Nedispasdebêtises.Ilarriveàtoutlemonded'êtremalade.

Ellefrissonnait.Ilsecontentadelatenirpendantunmoment.

Ensuite,illasoulevaetlaportajusquedanslachambre.Ilsentaitses

cuissesnues,moitesetchaudessursesavant-bras.

Carlygémitlorsquesatêtetouchal'oreillerpuisellerepoussa

faiblementl'ourletdesachemisedenuit,s'efforçantdecouvrirses

jambes.Hankl'aidaientirantsurletissu.Sesdoigtsentrèrenten

contactavecsachaircrémeuse,etdesimagesdéfilèrentdanssa

mémoire,leramenantausoiroùill'avaitrencontrée.Lesouvenirde

sapeaudouceetsoyeuse!quandilavaitabaissésonjean...

—Ilfautquejeretournedanslasalledebains,protesta-t-elleense

redressant.Jevaisencorevomir!

Hanks'empressad'allerchercherunecorbeillegarnied'un

sac-poubelle.Carlyroulasurlecôtépassaunbrasautourdu

récipientetposalementonsurlebord.Nesachantquefaire,il

s'assitprèsd'elleetluilissalescheveux.

—Est-cequetuasmangéquelquechosedepuislepetitdéjeuner,à

partlesquelquescanapéschezmesparents?

Ellesecoualatêtepresqueimperceptiblement.

Hankjetauncoupd'oeilàsamontre.Vingtetuneheures.Elle

devaitavoirl'estomaccomplètementvide,etilsavaitquelafaim

suffisaitparfoisàprovoquerdesnausées.Unmomentplustard,son

corpsseconvulsa,etelleremontabrusquementlesjambes,heurtant

lahanchedeHank.Sonvisages'altéra.Àlalueurquivenaitdela

salledebains,ilvitqu'elleétaitaffreusementpâle.

Ilselevaetgagnalacuisine,résoluàappelersamère.Siquelqu'un

pouvaitluidonnerunconseil,c'étaitbienMaryCoulter.Elleavait

élevésixenfants,Maryréponditenriant.Àenjugerparlevacarme,

laréceptioncontinuaitàbattresonplein.

—Maman,c'estHank.Carlyestvraimentmalade.Elleades

haut-le-cœur,maisellenevomitpas.Jesuisunpeuinquiet.

—Elleadûattraperlagrippe.Tun'aspasdemédicamentspourun

estomacbarbouillé?

Hanklaissaéchapperunsoupirlas.

—Cen'estpaslagrippe,maman.Elleestenceinte.Jenepeuxpas

luidonnern'importequoi.Jerisqueraisdefairedumalaubébé.

Ilyeutunlongsilence.

—Jevois,ditenfinMary.

Hanksereprochadenepasluiavoirannoncélanouvelleavecplus

dedélicatesse.Ilenavaitpourtanteul'intention.

—Çanevapasdutout,dit-ilensepassantlamaindansles

cheveux.Jenesaisvraimentpasquoi

—Quandj'étaisenceinteetquej'avaislanausée,Mesbiscuitssalés

etdelalimonademefaisaienttoujoursdubien.

—Çam'étonneraitqu'elleréussisseàenmanger.

Iljetauncoupd'œilendirectiondelachambre;Carlysemblait

s'êtreapaisée.

—Ilfautquetuluifassesprendrequelquechose,repritsamère.Tu

asdesbiscuitssalés?

—Non,maisjepeuxallervoirs'ilyenaauranch.

—Etdelalimonadeàtempératureambiante.Detoutespetites

gorgéesetdetoutpetitsmorceauxdebiscuits.Siellemangetrop

vite,ellevarecommenceràvomir.Siçanemarchepas,appelleles

urgencesetdemande-leursitudoisl'amener.Jenesuispas

médecin.

—Merci,maman.Marysoupira.

—Derien,Hank.Appelle-moidemainmatinpourmedonnerdes

nouvelles.

Hankreconnutletondesamère.

—Jesuisdésolédet'avoirannoncélagrossesseaussibrutalement.

Jevoulaistelediredèsquepossible,unefoislemariagepassé.

—Unbébé,Hank!Commentdiableest-cearrivéIlouvritla

bouchepourrépondre,maisnetrouvapassesmots.Ilavaittoujours

eudumalàabordacegenredesujetavecsamère.

—C'estarrivé,voilàtout,secontenta-t-ildedire.

—Ehbien,c'estuneexcellentesurprise.Etdirequenous

commençonsàêtreàcourtdeChampagnealorsquenousavonsune

autreraisondenousréjouir!UnnouveaupetitCoulterestenroute.

Hanksepinçal'arêtedunez.Àmoinsquesonpèrenelabâillonne,

samèreallaitannoncerlanouvelleàtoussesinvitésdèsl'instantoù

elleauraitraccroché.Ehbien,tantpis!Lesecretn'auraitpuêtre

gardétrèslongtempsdetoutemanière.Celaluiéviteraitlapeine

d'avoiràinformertoutlemonde.Finalement,ceseraitmoinsgênant

pourCarly.

Lorsqu'ilretournadanslachambre,quelquessecondesplustard,

Carlyavaitfermélesyeux.Illuidéplaisaitdeladéranger,maisilne

voulaitpasqu'elleseréveilleensonabsenceetsedemandeoùil

étaitpassé.Illuieffleural'épaule.

—Jevaisallertechercherquelquechosepourlesnausées.Ça

m'ennuiedetelaisserseule,ajouta-t-ilalorsqu'ellesetournaitvers

lui.S'ilfautquej'ailleaumagasin,jeseraipartienvironune

demi-heure.Çaira?

Commeellemurmuraitquelquesparolesindistinctes,Hankremonta

lescouverturessurellepourqu'ellen'aitpasfroid.

—Jevaismedépêcher.D'accord?Ellehochalatête.

*

Carlyauraitvouludormir,maislesaccèsdenauséeétaientsi

fréquentsqu'elleneparvenaitpasàs'assoupir.Elletentadechanger

deposition,sanssuccès.Sonestomacétaitbarbouilléquoiqu'elle

fasse.

Unenouvellevaguedenauséel'assaillit,pirequelesprécédentes.

Après,ellerestaunmomentimmobilelefrontposésurleborddela

corbeille,lesyeuxfixéssurlatacheblancheetflouedusacen

plastique.sedemandantcequeHankétaitalléchercher.Elle

ignoraitl'heurequ'ilpouvaitêtre.Toutcequ'ellesavait,c'estqu'il

devaitêtretard.ElleavaitdumalàcroirequeHanks'étaitrhabillé

pourallerluiacheterunremèdecontrelesnausées.C'étaitgentilde

sapart.Elleseditvaguementqu'ilétaitpeut-êtremoinségoïste

qu'ellenel'avaitcru.

Commesilefaitdepenseràluiavaitsuffiàlefairerevenir,elle

entenditarriverlepick-up.Quelquesinstantsplustard,lefaisceau

despharesbalayalapièce.Uneportièreclaquapeuaprès,etunbruit

debottesrésonnasurlesmarches.Hankavaitunedémarche

reconnaissable,décidéemaistranquille,légèrementtraînante.Carly

rangeasoigneusementcetteinformationdanssamémoire.Sisavue

venaitàluifaireentièrementdéfaut,elleauraitpeut-êtrebesoinde

seremémorersonpas.

Hankentradanslamaisonavecmilleprécautions,espérantsans

doutequ'elles'étaitendormie.Siseulement!Ellen'ouvritpasles

yeuxlorsqu'ils'approchadoucementdulit.

—Jesuisréveillée,murmura-t-elled'unevoixsirauquequ'ellela

reconnutàpeine.

—Commentçava?demanda-t-ilavecsollicitude.

—Pareil.

—Jelecraignais.Jerevienstoutdesuite,d'accord?

Ilquittalapièceetelleentenditunfroissementdesacenpapier,

suividubruitdesesbottessedirigeantverslacuisine.Uneminute

plustard,ilétaitderetourdanslachambre.

—EtvoicileremèdedesCoulterpourlanauséebiscuitssaléset

limonade.

Carlysecramponnaàlacorbeille.

—Jenepeuxpasmangerça.Jevaisvomir.Ilallumalalampeet

posaleverresurlatabledechevet.Ensuite,ils'assitauborddulit,

sestraitsbiendessinés,clairementvisiblesàlalumière.

—Tuasl'estomacvide.C'estpourquoitun'arrivespasàvomir,lui

fit-ilremarquerenouvrantunpaquetdebiscuitssalés.Ilfaut

prendredepetitbouchéesetdepetitesgorgées.

Illuiretiralacorbeilleetlaposaparterre.

—Essayonslalimonade,pourcommencer.Tuassansdoutela

gorgetropsèchepouravalerquoiquecesoit.

—Jenepeuxpas,protestaCarly.Ilglissaunbrassoussesépaules

etluisoutintlatête,puisportaleverreàseslèvres.

—Justeunpeu,monchou.Carlyétaittropfaiblepourdiscuter.Elle

butunetoutepetitegorgée.Àsagrandesurprise,elleappréciale

goûtdelaboisson.Illevaleverrepourluiendonnerunpeuplus,

puisilluifitreposerlatêtesurl'oreilleretluitenditunbiscuit.

—Laisse-lefondresurtalangue,luiconseilla-t-il.Onvatefaire

mangernivuniconnu.Qu'endis-tu?Peut-êtrequetonestomacne

s'apercevraderien.

SalogiqueéchappaitàCarly,maisHankétaitdéterminé.Elle

s'exécutaetfutétonnéelorsquesonestomacsemitàgronder.Hank

eutunpetitrire.

—Tuvois?

Iljetauncoupd'œilàsamontre.

—Onattendtroisminutesetonrecommence.Lesilences'installa

entreeux.Carlyavaitperdutoutenotiondutemps.Ellesavait

seulementqueHankluiavaitdonnécinqgorgéesdelimonade,sans

douteàtroisminutesd'intervalle,etellecommençaitàsesentir

mieuxlorsqu'ilrepritsoudainlaparole.

—Cequ'ilnousfaut,c'estunpeudeconversation,jesupposequetu

n'asguèreenviedebavarder...C'estdoncàmoidem'encharger...!

Ilappuyalescoudessursesgenoux.

—C'estunepremièrepourmoi.Jenetrouverienàdire,constata-t-il

avecunregardenbiaisteintéd'espièglerie.C'estpeut-être

l'environnement.Laplupartdutemps,quandjesuisdansune

chambreavecunefemme,laconversationn'estpasunepriorité.

Priseaudépourvuparsaremarque,Carlynesutcommentréagir,

maisildétournaaussitôtsonattentionenclaquantdanssesdoigts.

—Oh!J'oubliais...,dit-ilenplongeantlamaindanssapochepour

entirerundocument.Notreaccord,expliqua-t-il.Lefameuxpapier

quidit«Pasceprocèspourobtenirlagardedel'enfant»,et<Pasde

galipettespourHank».

Illemitsurlatabledechevet,àbonnedistanceduverrede

limonade.

—Jesuisdésolédenepastel'avoirdonnéàl'appartement.J'avais

l'intentiondeteleremettreenmêmetempsquelebouquetetles

bagues,etpuistuasouvertlaporteet...

Ils'interrompit,tirasurlelobedesonoreilleetsourit.

—...nousavonsété...euh...occupésparautrechose.

Illaissasesparolesensuspensuninstant.

—Danstoutelaprécipitation,j'espèrequejene:aipasblesséeen

suggérantquetuchangesderobe.Tuétaissuperbe,vraiment.C'était

justeunpeutropsexypourunmariage.

Carlyfixalafenêtreilluminéeparleclairdelune.Elleétaitgênée

parsescompliments.Ilsluirappelaientavecquellefacilitéelle

s'étaitlaissébernerlesoirdeleurrencontre.Ilnelatrouvaitpas

jolie,nel'avaitjamaistrouvéejolie,etelleavaitétéidiotedemonter

danscepick-upaveclui.

Illuieffleuralescheveux.Elletressaillitetluidécochaunregard

méfiant.Hankl'observait,lefrontbarréparunpli.

—Bon,j'aiditquelquechosequit'apeinée.Dis-moicequec'est.

—Rien.

Riend'important,detoutemanière.Ellenevoulaitpasyattacher

d'importance.

—Faut-ilquejereviennesurtoutcequej'aidit,pointparpoint,et

quejedevinetoutseul?

—C'estsansintérêt.

—Hmm.

Sontondisaitclairementqu'iln'étaitpasconvaincu.Illuisoulevala

têtepourluioffrirencoreunpeudelimonade,puisluitenditun

nouveaubiscuit.Pendantqu'elleattendaitquelegâteaufondedans

sabouche,ilsemitàpasserenrevuetoutessesparoles.

—J'aiditquej'étaisdésolédenepast'avoirdonnélepapiercet

après-midi.

Ilmarquaunepause,étudiantsaréaction.

—Non,cen'estpasça.Ilsouritetcontinua.

—Ensuite,j'aimentionnélebouquetetlesbagues,dit-ilsansla

quitterdesyeux.Cen'estpasçanonplus.Monscoreestlamentable.

Jen'aiplusqu'uneseulechance,aprèsquoijesuisfichu.Ensuite,j'ai

dit...

Carlyavalalemorceaudebiscuit.

—Veux-tuarrêter,s'ilteplaît?C'estridicule.

—Danslemille!s'exclama-t-il.Tuesfâchéeparcequejet'aidit

quetuétaissuperbe.

Carlypromenanerveusementlamainsurlacourtepointesoyeuse.

Elleauraitdonnécherpourqu'ilcessedelaregarderainsi.

—Jen'aimepasquetumefassesdescompliments.C'esttout.

—Jevois.

Lesilenceretombaentreeux.Auboutd'unmoment,Bankle

rompit.

—Peux-tum'expliquerpourquoi?

Commeellenerépondaitpas,ilposauneautrequestion.

—Çat'inquiètedesavoirquejetetrouvebelle?Ellenevoulaitpas

enparler,maisilétaitclair

quïln'allaitpaslâcherprise.

—Çamemetmalàl'aisequetudisesdeschosesalorsquejesais

quetunelespensespas.

—Qu'est-cequitefaitcroirequejenelespensepas?

Carlyeutsoudainl'impressiondemanquerd'air.Comment

répondreàcettequestion?Ellenetenaitpasàluiavouerqu'aucun

homme,avantlui,neluiavaitaccordéunregard.Saisieparun

besoindésesperédes'éloignerdelui,elleseredressa.Aussitôt,elle

futprisedevertige.

—Hé!

Hanklaretintparlesépaules.

—Situnerestespastranquille,tonjolipetitminoisrisquedese

retrouverlenezdanslacorbeille.

—Tunevasdoncpastetaire?s'écria-t-ellealorsmêmequ'il

l'obligeaitàserallonger.

—Qu'est-cequej'aiencoredit?

—«Tonjolipetitminois»!Iln'estpaspetit,pourcommencer,et

encoremoinsjoli.Jenesuispasjolie,etjeneveuxpasqu'onme

disequejelesuis.C'estclair?

Ilgardalesmainssursesépaules,l'empêchantdeseredresser.

—Calme-toi.Jeneveuxpasquetusoismalade.Illuimassa

doucementlesépaulesàtraverslalonguechemisedenuit.

—C'estdetouteévidenceunsujetsensible.Jesuisjdésoléd'en

avoirparlé.Nousendiscuteronsplustard.D'accord?

—Jeneveuxpasendiscuterplustard.Neledispas,c'esttout.

Sesouvenantdesparolesqu'ilavaitprononcéescesoir-là,elleleva

lesyeuxverssonvisagehâlé.Vousai-jeditquevousêtessuperbe?

ÔSeigneur,ellel'avaitcru!Ellenesavaitpaspourquoicelalui

faisaitaussimal,maisforceétaitdeconstaterqu'elleavaitl'im-

pressionquedeslamesdecouteauluitransperçaientlecœur.

—Neledispas,répéta-t-elle.

Hanklarelâchaetrecula,passantunemaindanssescheveuxencore

ébouriffésparsonchapeau.Ellecrutqu'ilallaitinsister,prétendrela

mainsurlecœurqu'elleétaitlaplusbellefemmequ'ilaitjamaisren-

contrée,cequiseraitunmensongedeplus.Aulieudequoiilsourit.

—Serait-cenotrepremièrechamailleriedejeunesmariés?

—Comment?fitCarly,décontenancée.

—Encoreunproblèmedevocabulaire?Onneditpasça,à

Portland?

Elleeutenviedesourire,etsentitsonexaspérationredoubler.

—Jesaisparfaitementcequeçaveutdire!

—Tantmieux.Situdoistechamailleravecmoi,autantconnaîtrela

définitiondumot.

—Jen'aipaslamoindreintentiondemechamailleravectoi.

—Commenceàmedirecequej'aioupasledroitdedire,etnous

allonsnouschamailler,monchou.C'estinévitable.

—Jen'essaiepasdetedirecequetudoisounedoispasdire.

—Ahnon?

—Non.C'estjustequejen'appréciepasquetudisesdeschosesque

tunepensespas.Etjesuissûrequetunepensespasréellementque

jesuissuperbe.

—Ehbien,disdonc!Ilsefrottalenez.

—Maintenant,tumediscequej'ailedroitdepenser?Ondiraitque

j'aiépouséunefemmeautoritaire.

Carlysecouvritlesyeux.Soncœursaignaitquandelleleregardait.

Commentétait-ilpossibled'éprouverunetellesouffranceetd'avoir

enviederireenmêmetemps?

—Va-t'en,veux-tu?Jevoudraisdormir,maintenant.

—Jesuistondistributeurofficieldebiscuitsetdelimonade.Jene

m'eniraipasavantquetuaiesmangéaumoinscinqgâteauxsalés.

Elletenditlamain.

—Trèsbien.Donne-les-moi,etjelesmangerai.Jen'aipasbesoin

quetusoisprésent.

—Mamèreaffirmequetudoislesmangerlentement.Siçane

t'ennuiepas,jevaisrester.

—Çam'ennuie.Jeveuxquetut'enailles.

—Cen'estpasdansnotrecontrat.

Carlyabaissalebraspourledévisager.

—Notrequoi?

Ildésignad'ungesteledocumentpliésurlatabledechevet.

—Notrecontrat.Ilstipulequejeneferaipaspressionsurtoipour

avoirdesrelationssexuellesetquejeneréclameraipaslagardede

l'enfant.Maisiln'yapasunseulmotlà-dedansdisantquetupeuxte

débarrasserdemoiquandçatechante.Siç'avaitétéunedetes

conditions,jenel'auraisjamaissigné,ajouta-t-ilavecunlent

sourire.

Carlysouritmalgréelle,puissursautalorsqu'iltenditlamainet

effleuralecoindesabouche.

—Voilàcefabuleuxsourire.Notequejen'aipasdit«superbe».Tu

neviendraspasmedirequejesuispascoopératif.

—Jeveuxdormirmaintenant.

—Onenadéjàparlé.Tuasàpeinecommencéàgrignoterle

troisièmebiscuit.

—Tuesimpossible!

—Jecroisqueçaadéjàétédit.Nousavonsbesoind'unnouveau

sujetdeconversation.Sijeteparlaisduranch?

Sansattendresonaccord,ilselançadansunmonologueapaisantau

sujetduLazyJ.Ilcommençaparévoquerl'incendiequiavait

dévastélamaisonprincipalepeuaprèslemariagedeJakeetde

MollyIlrelatalesétapesdelareconstruction,expliquantqueJakeet

luiavaientutiliséduboisprovenantdeleurspropresterres.

—Jecroyaisqu'ilfallaitfairesécherleboisavantdes'enservir,

remarqua-t-elletandisquelesommeillagagnait.

—C'estlecas.Nousavonspayéuneentreprisepourletraiter.

Ils'interrompitletempsdeluioffrirunegorgéedelimonade,

l'encourageaàreprendreunmorceaudebiscuit,puisseremità

parler.

Carlys'assoupissaitlentement,bercéeparletimbregraveetchaud

desavoix.Illuidécrivitleurscow-boys,commençantparShorty,

unpetithommetrapuauxcheveuxcouleursabledontlemeilleur

amiétaitunaffreuxchienbâtardbaptiséBartquimordaittoutle

monde,ycomprissonmaître;puisilévoquaLevi,untypemaigre

auxyeuxvertsetpétillantsquiparlaitavecunfortaccentduSud,et

quipossédaitunvieuxpick-upbaptiséMandy,queseulunréseau

compliquédecintresetdefildeferempêchaitdetomberenruine.

Detempsàautre,illuisoulevaitlatêtepourluidonnerdela

limonadeetdesmorceauxdebiscuit.Bientôt,elleeutmangéles

cinqgâteaux.Ellesesentaitsiensommeilléequ'elleavaitdumalà

garderlesyeuxouverts.

—Tulesaimesbeaucoup,n'est-cepas?murmura-t-elle

—Lesbiscuits?

Elleritdoucement.

—Non.ShortyetLevi.

Hankhaussalesépaulesetsemassalanuque.

—Oh!Enunsens,jesuppose,oui.Shortyestunpeugrincheuxet

Leviadesidéestellementarrêtéesqu'ilenestagaçant,maisilssont

touslesdeuxtrèsloyaux.

IlsemitàparlerdeDanno,unjeunedégingandéàlatignasse

flamboyanteetauvisagecriblédetachesderousseur,quin'étaitpas

trèsfutémaisquiavaitunappétitd'ogre,aupointqu'ilauraitpu

mangerunâne.

—Jepensaisqu'ondisaitmangerunbœuf.Mangerunâne?C'est

unedrôled'expression,non?Enfin,jen'ensaisrien,aprèstout.Je

n'aijamaisvud'âne.

—Ahnon?

UnelueuramuséeapparutdansleregarddeHank.

—Ilmesemblepourtant,monchou,quetuenasundevanttoi.

Sonsourires'éteignitetilfitminederemonterlescouvertures.

—Commentval'estomac?

Carlyétaitfrappéeparsaréférenceàl'âne.Voulait-ildireparlà

qu'ilregrettaitlamanièredontils'étaitconduitlefameuxsoirau

Chaps?Pourtant,autantqu'elles'ensouvenait,ilnes'étaitjamais

vraimentexcusé.

—Jemesensmieux,dit-elleaprèsquelquesinstantsdesilence.

—C'estbien.LeremèdeCoultersembleefficace.Illuitenditun

autrebiscuitetsemitàluiraconterdesanecdotestiréesdelavie

quotidienneauranch.Bienqu'intéressée,Carlyavaitdeplusenplus

demalàresteréveillée.Àunmomentdonné,lesondelavoixde

Hankdevintdeplusenpluslointain,etellesombradansunsommeil

épuisé.

Hanksetutetregardasonépouseendormie.Sescheveuxavaient

séchéenéventailsurl'oreiller.Àlafaiblelueurdelalampe,ses

mèchesondulantesbrillaientcommedel'orfonduauquelse

mêlaientçàetlàquelquestouchesargentées.Seslongscils

projetaientdesombresarachnéennessursesjouesetsabouche

tendrenedemandaitqu'àêtreembrassée.

Ellecroyaitnepasêtrebelle.Seigneur!Qu'avait-ilditoufaitpour

luifairecroireunechosepareille?Luifaireunenfantavaitété

criminel.Pournepasl'avoirréconfortéeensuite,ilauraitméritéune

racléemémorable.Maisluifairepenserqu'ellen'étaitpasl'image

mêmedelaperfection?

C'étaitimpardonnable.

Carlyétaituneénigme.Elleneressemblaitàaucunedesfemmes

qu'ilavaitconnues.Ilnes'enplaignaitpas,loindelà,maisilne

savaitpascomments'yprendreavecelle.Ilpassaitleplusclairde

sontempsàsurveillercequ'ildisaitdecraintedel'offenseroudelui

fairepeur,etleresteàs'excuser.

Sesentantlui-mêmeassezlaspours'endormir,ils'étiraensoupirant

etsongeaavecenvieaulitquil'attendaitdanslapetitechambre.À

cetinstantprécis,n'importequellepaillasseluiauraitparuconfor-

table.Cependant,ilhésitaitàlaisserCarlyseule.Etsielleavait

besoindeluidurantlanuit?Lescloisonsintérieuresétaienten

rondinsetleboisabsorbaitlessons.Danslachambredufond,il

risquaitdenepasl'entendre.

Ildécidadesemettreàcôtéd'elle,surlacourtepointe.Ainsi,ilserait

làsielleseréveillait;ilneresteraitqu'unmoment,sedit-ilen

éteignantlalampe.

Àpeineallongé,ils'endormit.

Unpeuplustard,CarlyseréveillaetdécouvritHankprèsd'elle.Le

clairdeluneadoucissaitsestraits,etsonvisagehâléressemblait

presqueàcelui|d'unjeunegarçon.

Laperspectivedepartagersonlitavecluinel'enchantaitguère.Et

s'ildevenaitpartropamicaldanssonsommeil?Elleenvisageadele

secouer,maisilétaittardetilluirépugnaitdeleréveiller.Ilfaisait

froiddanslapièce.Avecunsoupir,ellelerecouvritdela

courtepointe.Commeellelebordait,ilmurmuraquelquechoseet

changeadeposition.Puisilentrouvritlesyeuxetlaregardad'unair

perplexependantplusieurssecondes.

Lorsqu'illareconnut,illuiadressaunsourireensommeillé.

—Salut,Charlie.

Puisilserendormit.

Carlyl'observa.Charlie.Ilneluiavaitpasmenti,comprit-elle.

Cettenuit-là,aubar,iln'avaitpascomprissonnom,bienqu'ellel'ait

corrigépardeuxfois.Lorsqu'ilavaitaffirméqu'ill'avaitcherchée,

ellenel'avaitpasvraimentcru.Àprésent,ellesedemandaits'ilne

luiavaitpasditlavérité.

Quoiqu'ilensoit,celanechangeaitrien.Elleétaittoujoursla

dernièred'unelonguesériedeconquêtes-unefemmedeplus

séduiteunvendredisoir.Pourtant,curieusement,celalarasséréna

desavoirqu'ilnel'avaitpasoubliéetoutdesuite.

Gardantcettepenséeblottieaufonddesoncœur,ellesombrade

nouveaudanslesommeil.

14.

Lelendemainmatin,Hankselevaàl'aube.Ensortantdelasallede

bainssurlapointedespieds,ils'arrêtaaupieddulitpour

contemplerCarly.Elleétaitplongéedansunsommeilprofond,le

visageencoremarquéparlesnauséesdelaveille.Malgrétout,elle

étaitbelle.Unedesesmainsreposaitgracieusementsurl'oreiller.Il

eutenviedesepencheretdel'éveillerd'unbaiser.

C'étaitdelafolie.Ellen'étaitpasprêteàacceptercela,etilavaitjuré

denepaslatoucher.Àregret,ilseglissahorsdelachambreet

gagnalacuisinepourfaireducafé.Quelquesminutesplustard,il

quittaitlamaison,unetassefumanteàlamain.Ilbutsapremière

gorgéeaupieddesmarches,promenantsonregardsurleranchetle

paysageteintéderosepâle.Lesoleiln'allaitpastarderàselever,et

desrayonsdorésviendraientilluminerlescimesdesarbresqui

bordaientleschamps.

Ilpartitverslesécuries.Unefoislescorvéesmatinalesterminées,il

serendraitenvilleafind'allerchercherlerestedesaffairesdeCarly.

Elleavaitfaitsesbagagesavantlemariage,etlescartonsattendaient

àl'appartementqu'onviennelesrécupérer.Elleavaitétésimalade

laveilleausoirqu'ilnevoulaitpasluidemanderdeveniraveclui.

Avecunpeudechance,ilseraitderetouravantqu'ellesoitréveillée.

*

Hankrentraauchaletàhuitheuresmoinsvingt.

IlvenaitdeposerlepremiercartondanslesalonlorsqueCarly

émergeadelasalledebains,enveloppéed'uneservietteblanche.

—Oh!s'écria-t-elleavantdebattreenretraiteWecipitamment,

claquantlaporte.

—Jevaischercherunautrecarton,lança-t-il.Tupeuxenprofiter

poursortir!

Laportes'entrouvrit,etunœilbleuseposasurlui.Unsourireaux

lèvres,Hankressortit.Lorsqu'ilrevint,ildécidaderemettrele

déchargementàplustardetdepréparerlepetitdéjeunerpourCarly.

Quandellefitsonapparitionpeuaprès,joliepommeuncœurdans

unjeanetunchemisierrose,Hankétaitassisàtable,savourantune

tassedecafé.

—Lepetitdéjeunerestprêt.

—Oh!Je...euh...laplupartdutemps,jeneprendspasdepetit

déjeunernormalsitôtdanslajournée.

Ildésignalatable.

—Crois-moi,monchou,cepetitdéjeuner-làn'ar.endenormal.De

lachoucrouteenconserve,deschouxdeBruxellesetdulait

chocolaté.Quedis-tudemamémoire?

Elleeutunsourirehésitant.

—Ilnefallaitpastedonnertoutcemal.

Hankpoussaunechaisedupied.

—Ehbien,c'estfait,alorsassieds-toietmange.

Ellepritplaceàcôtédeluietilremarquaqu'elleavaitrassembléses

cheveuxenqueuedecheval.Illespréféraitlibres;illuisemblait

dommagedecachercesjoliesboucles.Ilsecalasursachaisepour

mieuxlacontempler.Toutesavie,ilavaitentendul'expression«un

teintdepêche»,sansjamaiscomprendrecequeceladésignait.

Maintenant,ilcomprenait.LevisagedeCarlyétaitparfait,sapeau

pâleetlissecommedelacrème.

Ilneselasseraitjamaisderegardersonpetitnezdroit,ses

pommettesfragiles,sessourcilsblondsdélicatementarqués

au-dessusdesesgrandsyeuxexpressifs.Pasbelle?Chaquefois

qu'ilsesouvenaitdesesparoles,ilavaitlecœurserré.Siuneautre

femmeavaitditcela,ilauraitétésceptique,songeantqu'ellecillaità

lapêcheauxcompliments.MaisCarlyétaitdifférente.Quandellese

regardaitdanslaglace,ellenevoyaitpeut-êtrepascequetoutle

mondevoyait-unejeunefemmeravissante,avecdesyeuxdans

lesquelsunhommepouvaitseperdre.

Aulieudedévorersonpetitdéjeuner,elleposauneserviettesurses

genoux,puishésita.Elleparaissaitsigênéequ'ilsedemandas'ilne

devraitpasquitterlatable.Maisnon,décida-t-il.Plustôtellese

détendraitensaprésence,mieuxcelavaudrait.

—Jen'aimisnibeurreniseldansleschouxdeBruxelles,

précisa-t-il.

Ellelespoussaduboutdesafourchette.

—C'estparfait.Jelespréfèrenature.

Ellepritd'aborddepetitesbouchéesdélicates,portantfréquemment

laservietteàseslèvres.Aprèsuneminute,cependant,sonappétit

l'emporta,etellesemitàmangeravecenthousiasme,laissant

échapperdepetitssonsappréciateurstoutendégustantsa

choucroute.

Hanksesurpritàregretterqu'ellenesecomportepasainsiaveclui.

Puisilsesouvintqu'ellel'avaitfait,unefois,etqu'ilavaitratésa

chance.

Ellecessabrusquementdemâcheretfixasurluisesyeuxbleuset

lumineux.

—Qu'ya-t-il?

Ilrepoussasonchapeau.

—Rien.Ondiraitquec'estbon.

EllepiquasafourchettedansunchoudeBruxellesetleluioffrit.

—Merci.Lematin,jemecontentedesœufsoffertsparOmeletteet

Cocotte.

—Pardon?

—Nospoules.Nouslesavonsbaptiséesàpartirdeplatsd'œufs.

Sur-le-plat,À-la-coque,Florentine,expliqua-t-ilavecunpetit

haussementd'épaules.C'estcucul,hein?Mollyestsentimentale.

Quandlespoulescessentdepondre,elleleslaissefinirleurvie

tranquillementdansunchamp.Onnelesmangequesiellesfontune

crisecardiaque.

Carlyleregardaavecsurprise.

—Vousneleurtordezpaslecou?

—Mollymetueraitsij'essayais!Detempsentemps,jebatsdes

brasetj'agitemonchapeau,histoiredeleurfairepeur,maisçane

marchejamais.

Elleengloutitlechouavecunplaisirmanifeste.Ensuite,ellebutdu

laitchocolatéetessuyalamoustachequis'étaitforméesursalèvre

supérieure.

—C'estfabuleux!Mercid'yavoirpensé.C'estmonremèdecontre

lanauséematinale.

—Tonremède?Tuessûrequecen'estpaslacause?

Sajoueétaitdéjàgonfléeparunautrechou.

—Hmm.

Illaissaéchapperunrireamuséetbutunegorgéedecafé.

D'ordinaire,ilprenaitsonpetitdéjeunerauranch.Convaincueque

letauxdecholestéroldesemployésallaitêtremultipliépardix,

Mollys'arrachaitlescheveuxenvoyantlesquantitésdebeurreetde

crèmequ'utilisaitlanouvellecuisinière.Hank,poursapart,nes'en

plaignaitpas.

—Tun'espasuneobsédéedelacuisineminceur,aumoins?

demanda-t-ilmalgrélui.

Elleluilançaunregardtimide.

—J'aimemangersain,maisjen'enfaispasuneobsession.

Àenjugerparsonpetitdéjeuner,Hanksedemandaleurdéfinition

delacuisinesaineétaitlamême.

—Tuesvégétarienne?

—Ohnon!

—Tantmieux.Etdis-moi,cesplatsétaienttespréférésavantquetu

soisenceinte?

Carlyplissalenez.

—Non.J'enmangeaisdetempsentemps,maispastrèssouvent.

Hankfutsoulagédel'entendre.Etintrigué.

—Etdonc,unbeaumatin,tut'eslevéeettuassuquelachoucroute,

leschouxdeBruxellesetlelaitchocolatéétaientcequ'iltefallait?

—Pasexactement.J'aid'abordmangéquatrekilosdecornichons.

Quatrekilosdecornichons?Hankréprimaunfrissonhorrifié.

—D'unseulcoup?

—Non.Ilm'afalludeuxjours.

Mêmealors,ellen'avaitpaschômé,songeaHank.

—L'essentiel,c'estqueçat'aitfaitdubien,commenta-t-iltandis

qu'elleseredressait,l'airrassasié.Commentvatonestomac,

maintenant?

Ellerougitlégèrementetsemitàdébarrasserlatable.

—Trèsbien.Merciencore.C'esttrèsgentilàtoidet'enêtre

souvenu.

Gentil.Ilavaitmarquéunpoint.Saufqu'ilpercevaitdanslavoixde

Carlyuntroublequil'inquiétait.

Ellemarquaunepauseavantd'allerversl'évier.

—Etmerciaussipourlalimonadeetlesbiscuitshiersoir.Jene

m'attendaispasàcequetuaillesfairedescoursesàuneheure

pareille.

—Çat'afaitdubien.C'esttoutcequicompte.

—Oui,enfin...commença-t-elleavecunsourirehésitant.C'était

quandmêmetrèsgentil.

Deuxpointsensafaveur.Hankl'observauninstanttandisqu'elle

faisaitlavaisselle.Jakel'avaitrécemmentaidéàinstallerdes

robinetsmodernes,maislavieillepompemanuelleaubordde

l'évierfonctionnaittoujours.

—C'estuneantiquité,expliqua-t-ilàCarly.L'eauvient.droitd'une

source.

Elleluilançaunregardstupéfait,puisactionnalapompeetfitun

bondenarrièrelorsquel'eaujaillitdubec.

—Oh!C'estlapremièrefoisquejevoisça.

Hankcompritsubitementqu'ilyavaitunefouleliechosesqu'elle

n'avaitjamaisvues.Soncœurseserra.Elleavaitsansdouteespéré

vivremilleexpériencesnouvellesaprèssonopération,etvoilà

qu'elleétaitsurlepointderedeveniraveugle.Certes,ellenesavait

pascombiendetempscelaprendrait,maisiln'étaitpassûrquece

soitunebonnechose.Asaplace,ilauraitpréférésavoir,afinde

profiteraumaximumdutempsqu'illuirestait.

Pendantqu'elleachevaitdemettredel'ordredanslacuisine,ilalla

chercherd'autrescartons.Lorsqu'ilrentraavecledernier,elleleva

lesyeux.

—Oùpuis-jemettremesaffaires?

Hankposasonchargementsurlesol.

—Oùtuveux.Tuescheztoi,ici,àprésent.

Illaregardaprendreunpetitcoussindanslecartonqu'ilvenait

d'ameneretpromenerdoucementlesdoigtsdessus,lesyeuxclos.Le

sourirequisedessinasurseslèvresluidonnaenviedesourireaussi.

—Tuytiens?

Elleacquiesça.

—C'estmamèrequil'afait,quandj'étaispetite.Elleavaitbrodé«

Jet'aime»dessusavecdugrosfilpourquejepuissesuivreles

lettresavecmesdoigts.

Hankessayad'imaginerlapetitefillelisantcesmotsduboutdes

doigts.Jusqu'àcetinstant,ilnesétaitjamaisrenducompteàquel

pointlavieétaitdifférentepourlesaveugles.

—Sijeposaistoutsurlecanapépourquetulerangesàtongoût?

suggéra-t-il.Commeça,tusaurasoùleschosessetrouvent.

Ellehochalatête,etilssemirentautravailtouslesdeux.Ilnefallut

quepeudetempsàHankpourviderlescartons.Ensuite,ilaida

Carlyàranger,luidemandanttoujoursoùellevoulaitmettrechaque

objet.

Ilavaituneconscienceaiguëdechacundesesgestes,detoutesses

expressions-lamanièredontellecaressaitdetempsàautrele

coussinbrodéetunpetitoursauxoreillesdéchiréesquesonpèrelui

avaitoffertdesannéesplustôt.Sestrésorsétaienttousdesobjets

qu'ellepouvaittoucherouserrercontreelle.

—Tun'aspasdephotos,observa-t-il.

—Non,c'estvrai.

Elleparcourutduregardsesvêtementsetpossessions.

—Jepourraispeut-êtredemanderàpapadem'enenvoyer

quelques-unes.J'adoreraisvoirunephotodemamère.Etdelui,

biensûr.

Ellen'avaitjamaisvusesparents?Hanksefigeaetlaregarda.Bien

sûrquenon!comprit-il.Elleétaitaveugleencoreunmoisplustôt.

—Çateparaîtétrange,dit-elle.Quejeneconnaissepasmes

parents.

Hanks'assitsursestalons.

—Pasétrange.Plutôtau-delàdemacompréhension,jesuppose.

Intellectuellement,jesaisquelesaveuglesnepeuventpasvoir.

Maisjen'aijamaisvraimentsongéàcequecelasignifiaitau

quotidien.Nejamaisvoirlevisagedesamère...J'aidumalà

l'imaginer.

Lesyeuxbrillants,Carlysedétourna.

—Jel'aivue,maispasdelamanièredontlesautresvoient.Elleme

tenaitsursesgenouxetmelaissaittouchersonvisage.

Lescommissuresdeseslèvresserelevèrent.

—Elleétaittrèsbelle.

SavoixtremblaitetHankdevinaquesamèreluimanquait

terriblement.Nesachantquedire,ilseremitàtriersesaffaires.Un

instantplustard,iltrouvaunvieuxrubanenpiteuxétatauquelon

avaitfaittroisnœudsetdontonavaitattachélesdeuxextrémités.

—Tuveuxgarderçaoujelejette?

Perplexe,ellefixauninstantlefragmentdetissu.Puisunsourire

radieuxsedessinasursonvisage.

—Oh!C'estmonanneaud'amitié.Pose-leici,àcôtédemes

vêtements.Jeluitrouveraiuneplaceplustard.

—Qu'est-cequec'estqu'unanneaud'amitié?demandaHank,

intrigué.

—Lecerclesymbolisel'éternité.LesnœudsreprésententCricket,

Bessetmoi,etnousrappellentquenousseronstoujoursamies.

Cricketmel'adonnéjusteavantmondépartpourl'université.C'était

lapremièrefoisquej'allaisquittermafamilleetmesamis.

Elleallaprendreleruban.Fermantlesyeux,ellelaissasesdoigts

courirsurlesnœuds,puisportalesatineffilochéàsajoue.

—Lespremiersmois,quandj'avaislemaldupays,jemesentais

toujoursmieuxaprèsl'avoirtouché.

—Vousêtesvraimenttrèsproches,n'est-cepas?

Ellehochalatêteetposadoucementlerubansurunepilede

vêtements.

—CricketetBesssontcommedessœurspourmoi.Nousformions

untrioindomptable.Ellesontétémesguidesvisuelspendanttoute

majeunesse.

Ileutunpetitrire.

—Tesguidesvisuels?

—Sanselles,jen'auraisjamaissurvécuàl'enfance,répondit-elle,

unsourirecreusantunefossettesursajoue.

—Bessm'aditquetufaisaisduvéloettoutessortesd'autres

choses.Tesparentstelaissaientfaire?

Hanksentitsonestomacsenouerenl'imaginant

—Ilspensaientquej'étaisuneenfantnormaleàtouspointsdevue,

saufquejenevoyaispas.

—Tuasvraimentfaitduskateboard?Tun'avaispaspeur?

—Dequoi?

—D'avoirunaccident.Detomberd'untalus...jenesaispas.De

tout,jesuppose.

Carlysemitàrire.

—Souviens-toiquejesuisnéeaveugle.Jen'avaisjamaisvude

talus.Jenevoyaispaslesobstaclesdevantmoi.J'auraispeut-être

peurmaintenant,maispasàl'époque.

Ellerejetalatêteenarrièreetfermalesyeux.

—J'adoraislasensationdevitesse,leventquifouettaitmonvisage.

C'étaitmerveilleux,soupira-t-elleenleregardantdenouveau.La

seulechosequis'enestrapprochée,c'estquandj'aifaitduparachute

avecCricketjusteavantmondépartpourl'université.

—Duparachute?Tuassautéd'unavion?

—Jen'avaisaucunconceptdel'altitude.Jen'avaispaspeurdutout.

Hanksesentitglacérienqued'ypenser.

—Ilpeutyavoirunventtrèsfort,là-haut.

Ellel'interrogeaduregard.

—Tuasessayé?

—Oui.Etsoittuavaisenviedemourir,soittuétaiscomplètement

dingue.Etsileventavaitemportésavoixetquetun'avaispas

ouverttonparachuteàtemps?

—Jen'aipassautéseule.Ilyavaitunmoniteuravecmoi.

Ilfutsoulagédel'apprendre,maisilnepouvaitypensersansavoir

enviedelasecouercommeunprunierpouravoirtentél'expérience.

—N'empêchequec'estunsportdangereux.

—Commelesautàl'élastique,etlesgenslepratiquentquand

même.

—Tun'astoutdemêmepasessayé?

—Non.Ilfallaitsauterduhautd'unpont.J'avaispeurquel'élastique

casseetquejetombeàl'eau.Hankremarquasatensionsoudaine.

—Tuavaispeurdetomberdansl'eaumaispasdet'écraserpar

terre?

Ellebaissalatêteetfitminedes'intéresserauxchaussettesqu'elle

pliait.

—L'eaumeterrifie.Elleentredansmesoreilles,jen'entendsplus

rienetjeperdstoutsensdel'orientation.Sousl'eau,jenesaisplus

oùestlasurface.Etquandjeremonteàlasurface,jenesaispasoù

estïarive.J'ainagéavecBessetCricketquelquefois,maisjen'yai

jamaisvraimentprisplaisir.

Ellealladanslachambreafind'yrangerunepiled'affaires.

Quelquesinstantsplustard,Hanklevalesveuxetvitqu'elle

regardaitparlafenêtre,endirectiondesenclos.Commeil

s'approchait,ellefutparcourued'unfrisson.

—Leschevauxsontbeaucoupplusgrandsquejenel'imaginais.

—Tun'enavaisjamaisvu?

—Si,maisàlatélévision,etilsn'avaientpasl'airsiimposants.

Hankhochalatête,songeur.Parmoments,durantlecoursdeleur

conversation,ilavaitcrucommenceràcomprendrecequ'être

aveuglesignifiait.Etpuiselledisaitautrechose,etilserendait

comptequ'iln'enavaitpaslamoindreidée.Vivredanslenoirtotal,

nejamaisvoirl'aube,nejamaisregarderlesoleilsecoucher...

Ilbaissalesyeuxsurelle,s'efforçantdesaisircequ'elleéprouvait,

maisc'étaitimpossible.Lemondeentierettoutcequ'ilcontenait

étaientnouveauxpourelle.Hanks'appuyaàl'encadrementdela

fenêtreetseretournaverselle.

—Queleffetcelafait-ildevoirpourlapremièrefois?

Ellepianotanerveusementsurlavitre.Ilremarquaqu'ellechangeait

deposition,s'éloignantdeluisansenavoirl'air.

—C'estdéconcertant,avoua-t-elleentapantdel'onglesurleverre.

Jesaisqueleverreestlà,maisjenelevoispas.Bessaffirmequeles

rayonsdusoleiletlesimagessereflètentàsasurface,maisjene

remarquepasceschoses-là.

Hanksuivitsonregard.Unefois,quandilétaitenfant,ils'était

cognéàunebaievitréeetavaitfaillisecasserlenez.

—Lesfenêtrespeuventêtredifficilesàvoirpourn'importequi.

—Jesuppose.

Ellesouritetfronçalessourcilsd'unairsongeur.

—Certainsobjetsmesemblentàl'envers.

—Quelgenred'objets?

—Oh!deschosesinsignifiantes!

Ellehaussalesépaules.

—Deschosesquej'aimémoriséesautoucherilyadesannéeset

quisemblentfaussesàprésent,bizarrement.

—Parexemple?

—Leclavierdutéléphone,lesrobinetsd'eauchaudeetfroide,les

lettres,leschiffres.C'estcommesi...

Leplisecreusasursonfront.

—Quandjecomposeunnumérodetéléphone,parexemple.Sije

fermelesyeux,toutvabien.Maissijelesouvre,touts'embrouille,

jetapeletroisaulieuduun.C'estpareilavecleslettres.

Ellepromenalentementlesdoigtssurlavitre.

—Quandonlitlebraille,onsuitlecontourdesbosses.Onimagine

lalettre,quimontelelongdevotrebrasetjusquedansvotre

cerveau,etonlastockeàl'intérieurdesoi.Onnelavoitpas.Onl'a

ensoi.Etmaintenant,elleestau-dehorset,pourmoi,c'estcommesi

ellesétaitretournée,qu'elleétaità1'envers.J'ignoresid'autresont

lamêmeexpérience.Peut-êtresuis-jebizarre.

—Ondiraitquetudécrisuneformededyslexie.Peut-êtreas-tudu

malàjugerdesrelationsspatiales.

—C'estvraiqueçarappelleladyslexie.C'esttoutcequ'ilme

fallait,unproblèmed'apprentissageenplusdureste!

Hanksemitàrire.

—Jedoutequetusoisdyslexique,monchou.Tusaiscequime

vientàl'espritquandjet'écoute?Deslettresreflétéesdansun

miroir.Ellessemblentàl'envers.Ilestsansdoutenormalquetuaies

desdifficultésaudébut.Larétinefonctionneunpeucommeun

miroir,enconduisantdesimpulsionsd'imagesaucerveau.Peut-être

quecesimpulsionssontembrouilléesencemomentetqueles

imagesseretrouventàl'envers.

—Tucrois?demanda-t-elleavecespoir.

Hanksavaitqu'iln'auraitpasdûlatoucher,maisilneputrésisterà

latentation.Ilpinçadoucementleboutdesonadorablepetitnez.

—Oui,assura-t-il.Cessedet'inquiéter.Mêmesituesdyslexique,

cedontjedoutesérieusement,cen'estpasundrame.

Ellen'enparaissaitpassisûre.

*

Cesoir-là,pendantqueleurdînermijotaitsurlefourneau,Hank

suggéraàCarlydetéléphoneràsonpère.

Ellehésita.

—Çam'ennuiedetecauserdesdépensesdetéléphone.

Ilsortitl'appareilportablequ'ilgardaitàsaceintureetleluitendit.

—J'aiunabonnementdetroiscentsminutesquicouvrelesappels

longuedistance.Engénéral,jen'enutilisemêmepaslamoitié.Tu

peuxparleraussilongtempsquetuvoudrasetcelanemecoûtera

pasunsou.

Elleplissalesyeux,regardantletéléphone,puisleluirendit.

—Leschiffressonttroppetitspourmoi.Peux-tucomposerle

numéro?

Hankappuyasurlestouchestandisqu'elleluidictaitlenuméropuis

ilserenditdanslesalonetallumalatélévision,feignantderegarder

lesinformationspendantqu'ellebavardaitavecsonpère.

—Papa?commença-t-elled'unevoixtremblante.

Ellesemitàparler,expliquantàArtAdamslesraisonsdeson

mariagetemporaireavecHank.

—Ilatenuàm'aider,dit-elled'unevoixhachée.Enfindecompte,

ilaétésiconvaincantquejen'aipaspurefuser.Jet'auraisinvité,

maiscelasemblaitabsurdequetudépensestoutcetargentpourfaire

levoyagealorsqu'ilnes'agissaitqued'uneformalité.

«Convaincant?»songeaHankhonteux.Illuiavaitfaitdu

chantage,oui.

—Jesais,repritCarlydoucement.J'aidelachancequ'ilme

soutienne.

Ilyeutunlongsilence.

—Non,papa.Cen'estpasça.Nous...nousavonsunarrangement.Il

sembled'accord.

Ilyeutunenouvellepause.

—Jen'auraipaslecœurbrisé,papa.C'estseulementun

arrangement,quelquechosequ'ilm'aproposédefairepourlebébé

etpourmoi.Nousn'avonspasd'autresattentes,nil'unnil'autre.

Quandjeseraienmesuredemedébrouillerseule,nousmettronsfin

aumariage.

Enfin,laconversationroulasurd'autressujets,etCarlydevintplus

gaie.

—-Tuasdansélelindyhop?Cedoitêtrequelqu'und'extraordinaire

pourt'avoirpersuadédedanser!

Unsoupir.

—Àpropos,c'estquoi,lelindyhop?

Laréponsedesonpèredéclenchal'hilaritédeCarly.

—Jesuistrèscontentepourtoi.Çamefaitplaisirdesavoirquetu

t'amusesbienlà-bas.

Hankseréjouitintérieurementqu'ellesoitsiprochedesonpère.

Celaluirappelaitlesliensqu'ilavaitavecsaproprefamille.

Pourtant,bientropviteàsongoût,Carlymitfinàlaconversation.

—C'estletéléphonedeHank,ajouta-t-elle.Jeneveuxpasabuser.

Ilfaillitintervenirpourluidirequ'ellepouvaitparleraussi

longtempsqu'elleenavaitenvie,maisilnevoulaitpasqu'ellesache

qu'ilavaitécouté.Ilsongeaqu'elleavaitcouvertl'essentiel;il

pourraittoujourslapersuaderdefaireusagedesonabonnementà

l'avenir.

—Merci,Hank,dit-elledoucementenluirendantl'appareil.Çam'a

faitplaisirdeluiparler.

Elleétaitsincère,illevitàlachaleurdesonsourireetàl'éclatdeses

beauxyeux.

—Commentest-il?

—Drôle.Merveilleux.Ilatoujoursétéunrocpourmoi.

Hanképrouvaunabsurdepincementdejalousie.Ilvoulaitêtrecelui

surquiellecomptait.D'oùdiablejettepenséevenait-elle?Ildevait

garderbienprésentàl'espritqueCarlyn'avaitpaslamoindre

intentiondevoirlemariageperdurer.S'ilcommençaitas'imaginer

qu'ilsétaientensemblepourtoujours,ils'exposaitàd'amères

déceptions.

Désireuxdesechangerlesidées,illuiproposade1'emmenervisiter

lesécuries.

—Jenesuispassûred'êtreprêteàvoirdeschevauxdeprès,

avoua-t-elleenchemin.

Hanksemitàrire.

—Tuasfaitduskateboard.Leschevauxsontbeaucoupmoins

dangereux,crois-moi.

—C'esttoiquiledis.

Al'entréedel'écurie,elles'arrêtaenvoyantunejumentdontlatête

dépassaitpar-dessuslaportedesonbox.

Nonsansréticence,elleselaissaentraîneràl'intérieur.Hankse

demandasic'étaitl'animalouluiquilarendaitleplusnerveuse.

—Ilesténorme!

—Elle,corrigeaHankentendantlamainpourgratterl'arrièredes

oreillesdelajument.Elles'appelleSugar.C'estunealezane.

—Jecroyaisquevouséleviezdesquarterhorses.

—Alezandésignelacouleurdelarobe,paslarace.

Ilpointaledoigtversunchevalàlatêtegrise.

—Celui-làestunisabelle.Récemment,ilacommencéàmordre,et

sapropriétairel'aenvoyéicipourqu'onluiréapprennelesbonnes

manières.Dansleboxd'àcôté,c'estunejumentbaie.

Carlysecoualatête.

—J'aiencoredumalaveclesdifférentesnuancesderose.Jene

pourraijamaisapprendrelescouleursdeschevaux.

—Ilsnet'entiendrontpasrigueur.

Illapritparlamain,l'attirantplusprès.

—Sugarn'estpasdangereuse.

Etmoinonplus,songea-t-il.

—Net'inquiètepas.Elleneteferapasdemal.

Elletenditlamain,puislaretiraauderniermoment.

—Elleadesdents,non?

—Biensûr.Maisellenemordpas.

—Tuenescertain?

Hanktenditlamainverslabouchedelajument.Sugarcrutqu'il

allaitluioffrirunesucrerieetremualeslèvrescontresapaume.

—Tuvois?J'aiencoremamain.

IlsaisitlepoignetdeCarlyetmitsesdoigtsmincessouslenezdela

jument.

—N'aiepaspeur.

—ÔmonDieu!

Raidedetension,ellefermalesyeux,visiblementconvaincue

qu'elleallaitylaisserlamoitiédesonbras.Auboutd'unmoment,

ellerouvritlesyeuxetgloussaensentantleslèvresduchevallui

chatouillerlapaume.Hanksongeaqu'ilauraitaiméfairedemême.

—Elleestsidouce...,murmura-t-elle.

—Commeduvelours,acquiesça-t-il,sesouvenantdelatexturede

sesjambeslaveilleausoir.

Illâchasonpoignet.

—Tupeuxlacaresser,situveux.Elleestadorable.

Carlyhésitaetilsemitàrire.

—Jenetediraispasdelefairesitucouraislemoindrerisque.Cette

jumentestsigentillequ'onpourraitdéposerunnouveau-néàses

pieds.

Carlys'avançad'unpas,touchalesoreillesdeSugar,etpromenala

mainsursacrinière.

—Tuessimignonne.

CommesiSugaravaitreconnuuneâmesensible,ellesemità

réclamerd'autrescaresses.

—Jecroisqu'ellem'aimebien!s'exclamaCarlyenriant.

Commentlecontraireaurait-ilpuêtrepossible?Hankaussil'aimait

bien.Peut-êtreplusquederaison.Troubléparlesémotionsqu'elle

éveillaitenlui,ilsedétourna.

—VoiciSunset,l'étalondeMolly,annonça-t-ildevantlebox

suivant.Mollyestarrivéeunjourauvolantd'uneToyota,tirantun

énormevan.Sunsetétaitdedans,quipiaffaitethurlaitàréveillerun

mort.Lepauvreavaitétéfouettéjusqu'ausang.C'estcommeçaque

MollyarencontréJake.

Carlys'approchaduboxetposaunregardbouleversésurlarobe

noiredel'étalon.

—C'estaffreux,dit-elledoucement.Quiavaitfaitça?

—L'exdeMolly,uncertainRodneyWells.Unbeausalaud.

Hanksefrottalementon.

—Pardon.Jevaissurveillermonlangage.

—Tonlangagenemechoquepas,Hank,assura-t-elleenréprimant

unsourire.J'aientendubienpire.

—Vraiment?

—Jesuisalléeenfac,souviens-toi.D'aborddansunétablissement

spécialisépourlesnon-voyants,puisàl'universitédePortland.Sur

lescampus,lelangageestplutôtrelâché.

Ellereportasonattentionsurlecheval.

—PourquoiMollya-t-elleamenéunétalonblesséici?C'est

Tuckerquiestvétérinaire,non?

—TuckeretIsaiah.Ilssontassociés.

Ilentouradubraslecoudel'étalon.

—Mollyn'étaitpasàlarecherched'unvétérinaire.Elleavaitbesoin

d'unpsychologuepourchevaux.Sunsetavaitétérenduàmoitiéfou

parlesmauvaistraitementsqu'ilavaitsubis.

—Jakeestpsychologuepourchevaux?

—Disonsqueluietmoisavonscommentprendreleschevaux.

Certainespersonnesdisentqu'ilsnousécoutent.Mollyaentendu

parlerdeJakeparunentraîneuretelleaamenéSunseticidans

l'espoirqueJakepourraitlesoigner.

Àenjugerparsonaisanceavecl'étalon,ilétaitclairqueHankavait

undon,eneffet.

—C'estvrai?

—Quoi?demanda-t-ilavecunregardinterrogateur.

—Tuleurparlesàl'oreilleetilst'écoutent?

Illuidécochaunsouriretaquin,révélantsesdentsblanches.

—Jepeuxparleràtonoreillequandtuvoudras.

Carlysesouvintdesfrissonsqu'elleavaitéprouvésentresesbraset

seraiditlégèrement.

—Çaira,merci.

Sonsourires'élargitetilluifitunclind'œil.

—Pourrépondreàtaquestion,non,cen'estpasvrai.Jeme

débrouille,voilàtout.Aufond,leschevauxsontexactementcomme

lesgens,avecleurspeursetleursphobies.Ilyadeschosesqu'ils

aimentetd'autresqu'ilsdétestent.Certainsentraîneursdelavieille

écoleutilisentdesméthodesplutôtdures.D'autressontplusdoux,

maisilsontquandmêmetendanceàadopterlamêmeapprochequel

quesoitl'animal.Jakeetmoisuivonsnotreinstinctetnousprenons

notretemps,engardanttoujoursàl'espritquechaquechevalest

différentetqu'ilapeut-êtrebesoind'êtretraitédifféremment.

Unelueurespièglepétilladanssesyeuxbleuciel.

—Enunsens,ilssontcommelesfemmes.

—Tuasfroid?demanda-t-ilenlavoyantsefrotterlesbras.

—Non.

Ellementait,maisellenevoulaitpasleluiavouer.Ilneportaitpas

devesteetauraitpeut-êtreproposédepartagersachaleur

corporelle.D'unemaintimide,elleeffleuralesnaseauxdel'étalon.

—N'aiepaspeur,murmuraHank.Mollyl'achangé.Ilestaussi

douxqu'unétalonpeutl'être.

Carlyretiraprécipitammentsamain.

—Queveux-tudireparlà?

Hanksouritetsedétourna,s'avançantplusloindansl'écurie.Carly

luiemboîtalepas,admirantmalgréellesesmouvements

harmonieux,seslonguesjambeslégèrementarquéesàhauteurdes

genoux.

—Lesboxferméssontvacants?s'enquit-elle,curieuse.

—Non,ilssontoccupéspardesmèresavecleurpoulain.Elles

dormentdéjà.

Auboutdel'allée,illuidésignadeuxboxplusvastesquelesautres.

—C'estlàquelesjumentsmettentbas,expliqua-t-il.Ellespeuvent

s'allongerconfortablementetétendreleursjambes.C'estaussilà

quenousmarquonsleschevaux.

—Vouslesmarquez?répétaCarlyd'untondésapprobateur.

Elleavaittoujoursestiméqu'ils'agissaitlàd'unepratiquecruelle.

—Pascommetul'entends.Laplupartdesgensnemarquentplus

leurschevauxaufer.

Ilconsidérauninstantsonvisageindigné,puissemitàrireetfit

minedesegratterlanuque.

—Àprésent,onleurmetunesorted'étiquetteàl'oreille,unpeu

commequandunefemmevasefairepercerlesoreilles.Leschevaux

lespluscoûteuxontdespucesimplantéessouslapeau,lesautresont

untatouageàl'intérieurdulobe.Ilsnesouffrentpas.

—Oh!fit-elle,soulagée.

Hankjetauncoupd'œilàsamontre.

—Nousdevrionsrentreràlamaison.Leragoûtvaêtreprêt.

Ilpassadevant,songeantauxpetitesamiesqu'ilavaitamenéesau

ranchparlepassé.Laplupartavaientdétestéleschevaux.Carlyne

semblaitmêmepasavoirremarquélecrottin,etcelaseconfirma

quandellemitlepieddansuntastoutfrais.

—Oh!

Ellesecouasajambe,essayantdedélogerlamassenauséabonde.

—Oh!beurk!C'estcequejepense?s'écria-t-elleenscrutantson

pied.

—Situpensesquec'estducrottindecheval,tuasunprix

d'excellence,répliqua-t-ilenfaisantdemi-tourpourlaprendrepar

lebras.

Alorsqu'ils'attendaitàcequ'ellesoitfurieuse,elleéclataderireet

regardaautourd'elleaveclaminesoupçonneusedequivientde

s'aventurerenterrainminé.

Illuifitcontournerlespilesfumantes,souriantdelavoirsecouersa

chaussuretouslesquelquespas.Unefoisdehors,elles'arrêtapourla

nettoyersurl'herbe.Hanksebaissaetlapritparlachevillepour

inspecterlasemelle.Àsoncontact,elletressaillitetfaillitbasculer

enarrière.

—Hé!

Illaretintparlataille.Dèsqu'elleeutrecouvrél'équilibre,ilreporta

sonattentionsurlachaussure.

—Frotteencoreunpeu,luiconseilla-t-il.

Lorsquelasemellefutpropre,ilseredressa.Carlyplissalenezetlui

sourit.

—Undesinconvénientsd'avoiruncortexvisuelmalentraîné...Je

nepeuxpasdécelerlesirrégularitéssurlesol.Jen'aisuquele

crottinétaitlàqu'aumomentoùilafait«chplof»sousmonpied.

Hankéclataderire,heureuxquesonépouseaitlesensdel'humour.

*

Étendusurledos,lesbrascroiséssouslatête,Hankcontemplaitle

plafondencèdredelapetitechambresurlequellalumièredelalune

dansait,suivantlemouvementdesarbresquisebalançaientdevant

lafenêtreaugréduvent.Ilnepouvaitpasdormir.IlpensaitàCarly,

àlafaçontimidedontelleavaitcaresséleschevauxaudébut,et

avecchaleurensuite;àsonrirequandelleavaitmarchédansle

crottin;àsasurpriselorsqu'ilavaittouchésacheville;àsaner-

vosité,plustard,lorsqu'ilsétaientrentrésàlamaison.

Elleétaitsibellequeçaluifaisaitmaldelaregarder.Ilauraitaimé

pouvoirleluidire,maiss'illefaisait,ellecroiraitquec'étaitun

clichédeplus.Elleleluiavaitclairementsignifiélaveilleausoir.

Pasdedoute,ilétaitvraimentmalpartiavecelle.Aumieux,ilne

pouvaitqu'espérerobtenirsonamitié.Ilavaitcru,peut-être

stupidement,queleurmariagepourraitfonctionner.Or,plusilla

côtoyait,plusilétaitconvaincud'avoirgâchésachance.Certains

ratagesnepouvaienttoutsimplementpasêtreréparés.Elles'était

persuadéqu'undeuxièmeroundavecluiseraitaffreux,etilne

voyaitpascommentlafairechangerd'avis.

L'amitiéseraitmieuxquerien,certes.Lorsqu'elledemanderaitle

divorceets'enirait,ilspourraientresterencontactetœuvrer

ensembleàêtreparents,dansl'intérêtdeleurenfant.

Hanksoupiraetfermalesyeux.L'amitié.Pasfaciledes'ensatisfaire

alorsqu'ilallaitpasserdeuxansavecunefemmesuperbe.

Seulement,voilà,danslavie,onn'avaitpastoujourscequ'on

voulait.

15.

Aucoursdesjoursquisuivirent,Hanksefixapourobjectifde

devenirl'amideCarly.Pourcela,ilfallaitqu'ellecommenceàêtreà

l'aiseaveclui.Ilsemitdoncàluitéléphoneràdifférentsmoments

delajournée,justepourbavarderunpeu.Illatrouvaitsouvent

occupéeàentraînersoncortexvisuel.Unaprès-midi,elleinspectait

lestiroirsdecuisine,identifiantlesustensilesautoucher.

—Ilyauntruclà-dedansquejeneconnaispas,dit-elle.Iladeux

poignéesarticulées,avecunesortedepetiteboîteauboutpercéede

trous.Jen'aiaucuneidéedecequec'est.

Hankréfléchituninstant.

—Unpresse-ail?

—Excuse-moi,répondit-elle,feignantlagravité.C'estàtoiqueje

poselaquestion.

Ilsemitàrire.

—Cedoitêtrelepresse-ail,répéta-t-il,expliquantcommenton

écrasaitlestêtesd'ailépluchéesàl'aidedel'objet.Çamarchedu

tonnerre.

—Hmm.Unpresse-ail.Jevaislemettresurmalistedechosesà

essayer.Quandpouvons-nouspresserdel'ail?

Hankraccrocha,unsourireauxlèvres.Laplupartdesgensauraient

étégênésdenepasavoirreconnuunpresse-ail,maisCarlyse

laissaitporterparlecourant,déterminéeàdécouvrirunmaximum

dechosesaussivitequepossible.

Àd'autresmoments,iltéléphonaitalorsqu'ellefaisaitsesexercices

devisionquotidiens.Lespécialisteluiavaitdonnédespostersà

afficheraumur.L'unmontraitlescouleursfondamentaleset,

au-dessous,lesnombreusesnuancesquel'onobtenaitenles

mélangeant.Unautrerassemblaitlesformesetsymboles-carrés,

rectangles,triangles,figuresenhuit,etc.Carlypassaitdesheuresà

s'entraîneràlesreconnaître.Unmatin,Hankentraetlasurpriten

traindefairecequiressemblaitàunpuzzled'enfant.Ellesehâtade

remettrelespiècesdanslaboîteetlaglissasouslecanapé,

visiblementgênéequ'ilsachequ'elleavaitdumalàmaîtriserune

activitéquineposaitaucunproblèmeàunenfantdecinqans.Cette

découvertepermitàHankdemieuxsaisirl'ampleurducombat

qu'elleavaitentrepris.

Afindepasserplusdetempsensacompagnie,ildécidadeprendre

sesrepasauchalet.Ilsemitàmangerdesœufspochéssurdupain

grilléaupetitdéjeunerparcequel'odeurdefrituredonnaitlanausée

àCarly.Àmidi,ilsecontentaitdesandwiches,etlesoir,ilmettait

untablierpouraiderCarlyàpréparerledîner.

Quandilsavaientterminéetrangélacuisine,ill'emmenaitparfoisà

lamaisonprincipalerendrevisiteàJakeetàMollyous'installait

avecelleausalonpourregarderlatélévisionoubavarder.Lorsqu'ils

étaientseuls,latensionentreeuxétaitpalpable.Enmarchant,ellese

tenaitàdistanceetnedisaitpasgrand-chose.Àlamaison,elle

prenaitplaceenfacedelui,ettrituraitnerveusementsesvêtements

oulafranged'uncoussin.Souvent,prétextantlafatigue,elleallaitse

coucherdebonneheure.

OnavaittoujoursditàHankqu'ilavaitplusdecharmequetousses

frèresréunis.Ils'efforçades'enserviravecCarly.Enfindecompte,

cefutluiquitombasouslecharme.

Lecourageétaitsanscontesteletraitdecaractèrequ'iladmiraitle

plus,etCarlyserévélaêtrelapersonnelapluscourageuseetlaplus

déterminéequ'ilconnaisse.Bienqu'ilsoupçonnâtsavuedese

détériorer,ellenelaissaitjamaisentendrequ'elleétaitinquièteou

qu'elleavaitdesdifficultés.

Quandilrentraitauchaletdurantlajournéeafindevoircomment

elleallait,illatrouvaitsouventpenchéesurleslivresqu'elleavait

apportés.Parfois,ellefeuilletaitunvolumeintituléQu'est-ceque

c'est,unglossairevisueldesobjetsdetouslesjours.D'autresfois,

elletravaillaitàidentifierleslettresde1'alphabet.Lespetits

caractèresl'obligeaientàgarderlenezcolléàlapage.Souvent,un

coudesurlatable,ellesemassaitdistraitementlatempe,commesi

elleavaitmalàlatête.

Hankauraitvoululuidemanderpourquoielle>etorturaitainsi.

Bientôt,ellenepourraitplusvoirlamoindrelettre,sansparlerdela

reconnaître.Aquoibons'infligerdesmauxdetêtesansraison?

S'accrochait-elleàdefauxespoirs?Croyait-ellequ'ellen'allaitpas

perdrelavuedurantsagrossesse?

*

Cinqjourss'étaientécoulésdepuisleurmariage.Lemercredi

après-midi,Hankrentraàlamaisonal'improvistepourchangerde

chemiseettrouvadenouveauCarlyplongéedanssalecture.Cette

fois,ilneputsetairepluslongtemps.

—Monchou,nepourrais-tumieuxutilisertontemps?

Elleluiadressaunregardsurpris.

—Pourquoidis-tuça?

Hanks'exhortaàlaprudence.

—D'aprèstonmédecin,ilestpossiblequetuperdeslavueavantla

naissancedubébé.Siçaarrive,àquoicelateservira-t-ildepouvoir

reconnaîtreleslettresdel'alphabet?

Ils'attendaitàmoitiéàcequ'ellesemetteencolère.Àsaplace,il

n'auraitcertainementpasappréciéqu'onluirappellequ'ilallait

redeveniraveugle.Carlysecontentadesourire.

—Certainespatientesaffectéesdedystrophiegrillagéen'ontpasde

problèmeparticulierdurantleurgrossesse.

—Donc,tavueestrestéestable?

—Pastoutàfait,non.

Hankréprimaungrognement.

—Cen'estpasbonsigne,n'est-cepas?dit-ilprudemment.

—Non.

LesouriredeCarlys'atténua,puisrevint.

—Lamaladieestimprévisible.Touslespatientssontdifférentset

touteslesgrossessesaussi.Jepréfèreresteroptimiste.

Hanknedemandaitpasmieuxquederesteroptimiste,seulementil

nevoulaitpasqueCarlysoitdéçue.Elleavaitremarquéquesavue

baissait,maisn'osaitpasencoreaffronterlavérité.

—J'aiconnudespatientsquinesontjamaisdevenuscomplètement

aveugles,reprit-elle.Ilspouvaientquandmêmevoirunpeu.Quisait

simoncasestvraimentgrave?

Elleavaitdéjàététotalementaveugle,songea-t-il.Pouvait-ilyavoir

plusgravequecela?

—Enplusdeladystrophie,jesuisnéeavecdescataractes

congénitales,expliqua-t-elle.Toutlemondesupposequemacécité

étaitdueauxdeuxaffections,maiscen'estpasforcémentvrai.Ellea

puêtrecauséeparlescataractes.Peut-êtrequeladystrophieétait

relativementbénigneaudépartetqu'elles'ests'aggravéeaufildu

temps.

Nesachantquerépondre,Hankselaissatombersurunechaiseet

étudiasonvisagemince.D'uncôté,ilcomprenaitsonraisonnement

etsonfolespoir.Del'autre,ilserendaitcomptequesavuese

détérioraitrapidement.Silui,l'avaitremarqué,commentavait-elle

pul'ignorer?

Peut-êtres'enétait-elleaperçue,etchoisissait-elletoutsimplement

deresteroptimistejusqu'aumomentoùlesorts'abattraitsurelle.

Faceàsonsourirerésolumentgai,ilavaitenviedepleurer.

—Ehbien,jesupposequ'ilfautattendre.Peut-êtreauras-tudela

chance.

Elleacquiesça.

—Jet'enprie,nevapascroirequejemeberced'illusions.Jesais

quec'estpeuprobable.

Ellereposalementonsursamainetplissalégèrementsesbeaux

yeux,fouillantsonvisage.

—Tuparaisinquiet.Iln'yaaucuneraisondel'être.

Hanksefrottal'arêtedunez.Inquiet?C'étaitpeudire.

—Jesuisunegrandefille,Hank.Silepirearrive,jeferaiface.

L'idéed'êtreprisonnierdunoirdesmoisdurantleterrifiait.Carly,

enrevanche,nemanifestaitaucunepeur.

Commentpouvait-elleresteraussicalme,nepaspleurer,exploser

decolère,serrerlespoingsetenvouloiraumondeentier?Jamaisil

nel'avaitvueabattue.Aucontraire,ellesemblaitenpaix.Illa

dévisagea,compritqu'ellesavaitàquois'enteniretqu'elle

accepteraitsonsort.

—Tutefatigueslesyeuxenlisantconstamment.

—J'ail'habituded'avoirmal.

—Pourquoinepasprofiterduprésentetattendretaprochaine

opérationpourentraînertoncortexvisuel?Tuverrasmieuxetce

seraplusfacilepourtoi.

Ellerefermasonlivreetallachercherunverred'eauàlacuisine.

—Jepourraisattendre,maisjeperdraisdutemps.

—Vraiment?Tuastoutetaviedevanttoi!

Elleseretourna,leverreàmi-chemindeseslèvres.

—Sichaqueinterventionestunsuccèsetproduitlerésultat

escompté,jepourraivoirpendantvingtans,peut-êtretrente,avant

derejeterlesgreffes.Maissiellesnemarchentpas?

L'estomacdeHanksenoua.

—Queveux-tudire?

Carlypromenalesdoigtssurleverre,attrapantdesgouttesd'eau,

puiss'essuyalamainsursonjean.

—Iln'yaaucunegarantie.LeDrMerricknepeutrienpromettre.

Desdizainesdefacteurspeuventaffecterlerésultat,neserait-ce

qu'unvirusouunvaccincontrelagrippe,etcauseruneaggravation

delamaladie.Etparfois,lesinterventionsnemarchentpasdutout.

Hankdéglutitavecpeine,etsoudaincefutluiquieutenviedeserrer

lespoingsetdehurler.Était-elleentraindeluidirequ'ellene

recouvreraitpeut-êtrejamaislavue?

—Mêmesitoutvabien,mesjoursdevisionserontcomptés.Si

quelquechosetournemal...

Sonregards'assombrit.

—C'estimpossibleàdire.J'aipeut-êtrequinzeansdevision,

peut-êtrecinq,peut-êtreriendutout.Lesachant,situétaisàma

place,perdrais-tuuneseulejournée?

Peut-êtreriendutout.

—Non,admitHank,atterré.Jesupposequenon.

—Exactement.Chaqueminuteestuncadeau.

Ellebutunelonguegorgéed'eau,puisreposaleverresurleplande

travail.

—Lecortexvisuelestunesortedebanquededonnées.Toutceque

jevoisaujourd'hui,toutceque

jemaîtrisevisuellement,resteradansmamémoire.Simon

opérationsedéroulebienl'étéprochain,ilmefaudrapeut-être

quelquesjourspourmeréorienter,maistoutcequej'apprends

maintenantmeserautile.J'auraidéjàfaitdesprogrèsenmatièrede

lecture,j'auraimoinsdemalàcomposerunnumérodetéléphone.Si

j'utilisejudicieusementletempsquej'aimaintenant,jeseraimieux

préparéepourprofiterdemavieàl'avenir.

Hankavaitlagorgenouéeparl'émotion.Unfaroucheinstinct

protecteurmontaenlui.Ilauraitvoululaserrerdanssesbras,la

protéger.Malheureusement,lamaladieétaitunmonstrecontre

lequelilétaitimpuissant.

Ilregardaparlafenêtrelesrayonsdusoleilquifiltraientàtraversles

arbres.Carlyn'avaitqueleprésent.Iln'avaitpasvraimentcompris

celajusqu'àcetinstant.Leprésent...Faceàdetelsrisques,ilaurait

courudehors,seseraitrassasiélesyeuxdetout-desfleurs,desbrins

d'herbe,dusouffleduventdanslesarbres.Ilneseraitsûrementpas

restéàlamaisonlenezdansunlivre.

—Çameparaîtunepiètrefaçondepasserlesjournées.

—Quesuggères-tu?

Unefossettesecreusasursajoueetellesoupira,leregardsoudain

rêveur.

—Destasdechoses.Maisàquoibonrêverdel'impossible?

—Situpouvaisfairecequetuveuxtoutdesuite,queferais-tu?

Carlyhaussalesépaules.

—J'aitoujoursvouluapprendreàconduire...maismême

maintenant,mavuen'estpasassezbonne.Unjour,peut-être.

—Et?

Ilattendituneseconde.

—Quoid'autre?

—Sij'étaisriche,jevoyagerais.

—Oùirais-tu?

—Partout.

Sonregarddevintplusrêveurencore.

—Jeverraistoutcequejepeuxvoiravantdeperdrelavue-latour

Eiffel,lesgrandespyramides,ledésertduSahara,lemontEverest.

Elleeutunpetitrire,lesonflottantharmonieusementdansl'air.

—J'adoreraisvoirunchameau.

—Unchameau?

Del'avisdeHank,leschameauxétaientsûrementlescréaturesles

pluslaidesqu'ilaitjamaisvues.

—Oui.Etunzèbre.Peut-êtremêmeuntigre,sijepouvaislefaire

sansêtredévorée!Jesupposequeçatesemblestupide.

Aucontraire,ilsongeaitqu'elleétaitlapersonnelaplus

extraordinairequ'ilaitjamaisconnue.Iladoraitvoirsonvisage

s'illuminerquandelleparlaitdesesrêves.

UnevaguedetristessesubmergeaHank.

—Sij'avaisdel'argent,jet'emmèneraisdanstouscesendroits.

Nousferionsnosbagagesetnouspartirionssur-le-champ.

LevisagedeCarlys'assombrit.

—Jenevoulaispastefairedepeine.Tufaisdéjàtantdechoses,

bienplusquetunedevrais,enfait,etjet'ensuistrèsreconnaissante.

Ilnevoulaitpasdesareconnaissance,bonsang!Cequ'ilvoulait,

c'étaitlarendreheureuse.

Unepenséesoudaineluivint.Peut-êtrenepouvait-ilpasl'emmener

enÉgypteniàParis,maisilpouvaitsedébrouillerpourcequiétait

desleçonsdeconduiteetdescréaturesexotiques.

—Quandas-turendez-vousaveclespécialiste?

—Cedevaitêtrele7juillet,maisjel'airepousséaulundid'après.

—Pourquoi?J'auraisput'emmenerle7.

—Jenesavaispassituavaisquelquechosedeprévupourle

week-endférié.

Àvraidire,Hankavaitoubliéquele4-Juillettombaitunvendredi.

—Ilyauraunrepasdefamilleici,c'esttout.Lesoir,nous

emmèneronssansdoutelesenfantsaufeud'artifice.

—Aufeud'artifice?répéta-t-elle,lesyeuxbrillantd'excitation.

—Tuveuxyaller?

—Ceseraitgénial!Siçanet'ennuiepas,évidemment.

—J'adorelesfeuxd'artifice,affirma-t-il.Jenemanqueraiscelui-là

pourrienaumonde.

Ilyavaittantdechosesqu'ellen'avaitjamaisvues-ettantd'autres

qu'elleneverraitpeut-êtrejamais.Peuimportaitqu'ellesluisoient

familières.Ilyprendraitplaisir,parcequeceseraituneexpérience

touteneuvepourelle.

—Quandnousironsenvillepourtonrendez-vous,nouspasserons

lanuitsurplace.

—Pourquoi?Monrendez-vousestàquatorzeheures.Nous

pouvonsfacilementfairel'alleretretourdanslajournée.

—Non.Nousallonsenprofiterpourfairequelquesvisites.

D'abord,nousironsdanslesgorgesdelaColumbiaet,sinousavons

letemps,peut-êtreaumontSt.Helen.

—Maisnousn'avonspaslesmoyensde...

—Nediscutepasavectonmari.Quandnous^tourneronsà

Portlandlesoir,nousdîneronsdansnrestaurantchicetnous

prendronsunechambredansunhôtelcinqétoiles.

—Mais...

—Etlemardi,nousironsnousamuser.

—Cen'estpasnécessaire.Toutcelavacoûterr.d'autantplusqu'il

nousfaudradeuxchambres.

Elleréfléchissaittrop.Hankréprimaunsourire.

—Net'inquiètepaspourlesfinances,d'accord?J'aimerais

t'emmenerauzoodePortlandlemardi,etjeneveuxpasquenous

soyonsbousculés.

Carlyécarquillalesyeux.

—Auzoo?

Hanksemitàrireetseleva.

—Tuverrasdeschameaux,deszèbres,desgirafes,deséléphantset

peut-êtremêmeuntigre.Jenesaispasaujustecequ'ilya.

Unsourireravisedessinalentementsursonvisage.

—Auzoo?

Ellesemblaitsiexcitéequ'iln'auraitpasétésurprisdelavoirsauter

dejoie.Defait,ellecourutversluiets'agrippaauxmanchesdesa

chemise,lesyeuxpétillants.

—Oh!Hank!Ceserafantastique.Unzèbre?Jevaisvoirunvrai

zèbre,vivant!

—Peut-êtreunzèbre,corrigea-t-il,regrettantqu'ellenesoitpas

alléejusqu'ànouerlesbrasautourdesoncou.S'ilsenontun.

Elleneparutpasl'entendre.

—Etunchameau!

Riantauxéclats,elles'éloignaenvirevoltant.Sonsensdel'équilibre

étaituntantinetprécaire,etHankdutglisserlespoucesdansles

passantsdesonceinturonpournepaslaprendredanssesbras.

—Lezoo!Quelleidéefabuleuse!J'aihâted'yaller!

QuandHankpartit,quelquesminutesplustard,elledressaitlaliste

detouteslescréaturesqu'elleyverrait.Comptetenudesa

profession,Hanknetenaitpasparticulièrementàpassersajournée

auprèsd'untasd'animaux,maisilsouriaitcommeunidiotensortant

delamaison.Illuiavaitoffertdesdiamants,etelleavaitrépondu

parunsourirehésitantetun«merci»poli.Illuioffraitunesortieau

zoovoirdeschameauxetdeszèbres,etelleavaitfaillisejeteràson

cou.

Bonsang!Peut-êtreavait-ilchoisidemauvaisappâts.

Plustardcejour-là,Carlys'escrimaitdenouveausurleslettresde

l'alphabetlorsqu'elleentenditunvéhicules'approcher.Cen'étaitpas

lepick-updeHank,quironflaitcommeuntracteuretqu'elleaurait

reconnuaussitôt.

Sedemandantquivenait,ellerefermasonlivre,s'avançaversla

fenêtreetregardaau-dehors.Unvieuxpick-upFordgrisétaitgaré

devantlavéranda.Leconducteurendescendit.C'étaitHank.

Ilgrimpalesmarchesd'unpastranquille,luifitsigneenlavoyant

derrièrelavitreetouvritlaported'entrée.

—Tuesoccupée,monange?

—Je...non,pasvraiment.

Illuiadressaungrandsourire.

—Parfait.Alorsallons-y.

—Où?

—Faireunepromenade,répondit-il.Viens.N'aiepasl'airsi

soupçonneuse.DonJuanatirélaleçondeseserreurs.

Carlyrepoussasescheveuxenarrière.

—Quelqu'unvamevoir?Jesuisaffreuse.

—Seulementmoi,etjetrouvequetuesmagnifique.

Éberluée,Carlylesuivitnéanmoinsjusqu'aupick-up.Saconfusion

redoublalorsqueHankcontournalevéhiculeets'installacôté

passager.Elles'avançadavantageetregardaparlavitreouverte.

—Pourquoies-tuassislà?

—Parcequetuvasconduire.Monte,dit-ilensortantunebièredu

packposésurlesiègeàcôtédelui.

LecœurdeCarlymanquaunbattement.

—Quoi?

Ilfitunclind'œiletdécapsulalacanette.

—Leçondeconduite.Tutesouviens?Unedeschosesquetuas

toujoursrêvédefairependantquetupeuxencore.Cessedeme

regardercommeçaetmonte.

—Jenepeuxpasconduire!Jevoistrèsmaldeloin!

—Fais-moiconfiance,monchou.

Ilbutunelonguegorgéedebièreetémitunlégersifflement.

—Allons-y.

Carlyluiavaitfaitconfianceunefoisalorsqu'ilavaitbu,etsavait

trèsbienoùcelal'avaitmenée.

—Tuboisdel'alcool.

—J'aitravaillésousunsoleildeplombtoutelajournée.Jeme

désaltère,cen'estpaslamêmechose.

—Ilyaunedifférence?

—Oui.Crois-moi,jesuisbienplacépourlesavoir.Vas-tumonter,

oui?

—Jenepeuxpasconduire.Tuasperdulatête?

—Oùestpasséel'intrépideCarlyquifaisaitduskateboardetsautait

enparachutesansrienvoir?

—Elleestdevenuesensée.

—Oufroussarde?répliqua-t-ilavecunregardmoqueur.

JamaisCarlyn'avaitététraitéedefroussarde.Elleouvritlaportière

etseglissaauvolant.

—Sijenoustuetouslesdeux,ceseratafaute.

—Çan'arriverapas,affirma-t-ilendésignantlaroute,lacanetteà

lamain.Onvaprendredescheminsetàtraverschamps.J'aiapprisà

conduiredanscettebagnolequandj'avaisdixans.Jevoyaisàpeine

par-dessuslevolant.

Carlyprituneprofondeinspirationetexaminaletableaudebord

poussiéreux.Ilneressemblaitpasdutoutàceluidel'autrepick-up.

Iln'yavaitpresquepasdeboutons,etaucungadget.

—Qu'est-cequejefais?

Hankluiexpliquaàquoiservaientlespédales,puisconsacraun

momentàluimontrercommentchangerdevitesse.

—Surceterrain,tun'irassûrementjamaisau-delàdelaseconde,

maisunefoisquetusauraspasserlesdeuxpremièresvitesses,tu

n'auraspasdeproblèmeaveclesautres.Maintenant,gardelepied

surlapédaled'embrayageetdémarreTitine.

—Commentsais-tuquecetenginestunefille?

—Parcequ'elleexigebeaucoupd'attentionetqu'elleesttotalement

imprévisible.

—Charmant...

Ilsourit.

—J'auraispufairepire,maisbon.Onyvaoutucomptesresterici

jusqu'àlatombéedelanuit?

Carlysuivitsesinstructions,etpoussauncrid'effroiquandle

moteurrugit.

—ÔmonDieu!

—Détends-toi.Tantquetuaslepiedsurlapédale,tucontrôles

tout.Là,c'estbien.Maintenant,accélèreunpeupourvoir.

Quelquesinstantsplustard,quandHanklajugeaprête,Carlylâcha

lapédaled'embrayage.Lepick-upbonditenavant,lemoteurtoussa

etcala.

—Qu'est-cequej'aifaitdemal?

Carlyétaitsinerveusequ'ellepouvaitàpeinerespirer.Sesjambesse

mettaientàtrembleràchaquefoisqu'elleappuyaitsurlespédales.

—Cen'estpasunebonneidée,marmonna-t-elle.J'appréciequetuy

aiespensé,Hank,vraiment,mais...

—Arrête,veux-tu?Tutedébrouillestrèsbien.Toutlemondecale,

audébut.Ilfautunpeud'entraînementpourapprendreà

synchronisertesgestes,âcherl'embrayageaumomentoùtu

accélères.

Unpeud'entraînement?Carlyredémarra.Àsasecondetentative,le

véhiculefitunnouveaubondenavant,maislemoteurnecalapas.

—Onavance!cria-t-elle,paniquée,lesmainscrispéessurle

volant.Etmaintenant?Qu'est-cequejefais?

Unarbresurgitdevantelle.

—ÔmonDieu!Unarbre,Hank!Qu'est-cequejefais?

—Tournelevolant.

Ill'empoignalui-même,l'aidaàcontournerl'obstacle,puisluitapota

lebras.

—Tuvois?Facilecommebonjour.

Ilpointadudoigtunepistecreuséed'ornièressurleurdroite.

—Vaparlà.Lechemincontourneungrandchampplushautoùon

peutfairedemi-toursansproblème.

Carlypritleviragetropserré,puiscompensaàl'excès,maisfinit

néanmoinspars'engagersurlapiste.Elleroulaaupas,manœuvrant

tantbienquemalpouressayerd'éviterlesnids-de-poule.Auboutde

quelquesminutes,ellesedétenditunpeu.

—Jeconduis!dit-elle,émerveillée.Jesuisentraindeconduire!

Hanksouritetsecalasursonsiège,savourantsabière.

—Oui,ettut'entirescommeunepro.Quelleimpressionçafait?

—L'impressiond'avoirlemondeàmespieds!

Elleappuyasurl'avertisseur.

—C'estencoremieuxqueleparachutisme!Merci,Hank.Je

n'arrivepasàcroirequetum'asconfiétonpick-up.

—Moncœur,cettevieillebagnoleestindestructible.C'estuneFord

1949,etons'ensertauranchpourtouslesgrostravaux.Ellea

encaissédescoupsdecornes,descoupsdepied,elleapercutéplus

d'arbresetderochersquejenepeuxencompter.Situyfaisungnon

supplémentaire,iln'yapasdemal.

Quelquesminutesplustard,ilsatteignaientl'endroitdudemi-tour.

Hankinclinalatêteverslepare-brise.

—Faisattentionàlaclôture.

Acetinstantprécis,unrayondesoleilsereflétasurlepare-brise

poussiéreux.Carlyplissalesyeux.

—Quelleclôture?

Hankseredressasursonsiège.

—Cetteclôture-là!Arrête!Freine!

Carlyabattitlepiedsurlapédale...d'accélérateur.Lemoteurrugit,

lepick-upbonditenavant,etellevitenfinlaclôture-aumomentoù

elleladéfonçait.

—Nomde...!criaHank.Attentionauxvaches!

—Auxvaches?

AvantqueCarlyaitpulesvoir,sansparlerdeleseriter,lepick-up

grimpaletalusd'unfosséd'irrigationets'envola.Deuxsecondes

plustard,ilsatterrissaientaubeaumilieuduchamptandisqueles

vachess'enfuyaientdanstouslessensenpoussantdes

mugissementsaffolés.

Aprèsladisparitiondesbovins,lesilences'abattitsurleslieux.Le

moteuravaitcalé.Carlyétaitparalyséesurplace,lesmains

scotchéesauvolant.QuantàHank,iltenaittoujourssacanettede

bière,dontlecontenudécoraitàprésentledevantdesachemise.

—Nomd'unepipe...,murmura-t-il.C'étaitplusexcitantqueprévu.

Carlyétaitauborddeslarmes.

—Çava?luidemanda-t-il.

Elleacquiesça.

—Oh!Hank,jesuisdésolée!parvint-elleenfinàarticuler.J'aiété

éblouieparlesoleil.Jenevoyaisplusrien.Lesvachesn'ontrien,au

moins?

—Leurlaitatourné,poursûr,répondit-ild'unevoixétrange,

tendue.Tuasvulatêtequ'ellesfaisaient?

—Non.Jen'aivuqueleursderrières.

Iléclatad'unriresonore,quilesecouatoutentier.Ilrittellementque

sabouteillevideluiéchappaetroulasurleplancher.Ilritàs'entenir

lescôtes,jusqu'àcequeleslarmescoulentsursesjoues.

Lorsqu'ilsecalmaunpeu,Carlypritlaparole.

—Jenevoispascequ'ilyadedrôle!

Sansqu'ellecomprennepourquoi,ilrepartitdanssonfourire.

—Tuesdevenufou?Cen'estpasdrôle.J'aidétruittaclôture,

abîmétonpick-up,etfaillituertesvaches!

—Jepeuxréparerlaclôture,lepick-upn'apasd'importanceetles

vachessontseulementunpeusecouées,répondit-ilens'efforçantde

reprendresonsérieux.Ellesn'ontpasvudefemmeauvolantdepuis

Bethany.

Ilpoussaunsoupiretsemassaleventre.

—Oh!ilyavaitlongtempsquejen'avaispasriautant!

Illuiadressaunfaiblesourire.

—Jeretirecequej'aidittoutàl'heure.Tupeuxallerassezvitepour

avoirunaccident,mêmeici.Tuesexceptionnellementdouée.

Puisilseredressa,prituneprofondeinspirationetexpulsal'air

lentement.

—Ehbien,poursuivit-ilendésignantlevolant,voyonssicebébé

vadémarrer.

—Ohnon!Jeneconduisplus.

—Biensûrquesi.Tunousasamenésicisansencombre,non?

Ilsortituneautrecanettedupack.Dèsqu'iltournalacapsule,unjet

debièrejaillitdugoulot,l'atteignantenpleinvisage.Lamousse

dégoulinasursessourcilssombresetlelongdesesjoues.Illaissa

échapperunjuron.

Carlys'esclaffa.

—Apparemment,iln'yapasquelesvachesquiontétéunpeu

secouées!

Hanklafoudroyaduregard.

—Jenevoispascequ'ilyadedrôle!

Elleportaunemainàsabouche,étouffantungloussement.Cette

fois,cefutellequifutprised'unfourire.

Aprèsdînercesoir-là,Hanksortitlejeudedamesqu'ilavaitapporté

encatiminiàlamaisonàsonretourduranch.

—Tuasdéjàjoué?demanda-t-ilàCarly.

Elles'approcha,regardantlaboîteaveccuriosité.

—Àquoi?

—Auxdames.C'estunjeudesociété.

Elles'assitetplantalescoudessurlatable,observantsesgestesavec

fascinationtandisqu'ildépliaitledamieretyplaçaitlespions.

—BessetCricketyjouaient.Jenepouvaisqu'écouter.

—Ehbien,cesoir,monchou,tuvasjouer.

—C'estcompliqué?

C'étaitsifacilequec'enétaitennuyeuxàmourirpourHank,maisil

s'abstintdeleluidire.

—Pastrop.

—Quellecouleurveux-tu,rougeounoir?s'enquit-ilenlui

montrantdeuxpions.

—Rouge.Quellessontlesrègles?

Hanklesluiexpliqua.Quelquesminutesplustard,Carlyjouaitavec

gravité,siexcitéeparmomentsqu'elleenbondissaitdesachaise.

—Jet'aieucettefois!s'écriait-elle.Jesuisbonne,non?

Sicompétentequ'ellesoitdevenueaucoursdelasoirée,elle

confondaitfréquemmentlescouleurs,utilisantlespionsdeHank

pourluienprendred'autres.

Lapremièrefoisquecelaseproduisit,ils'apprêtaitàprotester

quandilvitunsourirepleindefiertésursonvisage.Ilneput

articulerunseulmot.

Toutesavie,Hankavaitjouépourgagner.Lesmembresdesa

familleluiavaientsouventreprochéd'avoirunpeutropl'espritde

compétition.Gagnern'étaitpastout,prétendaient-ils.Jamaisil

n'avaitcompriscettephilosophie.Àquoibonjouersionnevoulait

pasgagner?

C'étaitunequestionàlaquellepersonneneluiavaitjamaisfournide

réponsesatisfaisante.Àprésent,c'étaitchosefaite.Carlyyétait

parvenuesansmêmelesavoir.Enlaregardant,enl'entendantrire,il

avaitcomprisquegagnern'étaitvraimentpasleplusimportant.

Parfois,ilétaitinfinimentplussatisfaisantdesefairebattreàplate

coutureetd'êtrerécompenséparlesourireradieuxdugagnant.

Aprèslapartie,ilattenditqueCarlyaitfinidanslasalledebains

pours'yrendreàsontour.Croyantl'avoirentenduesortir,il

s'engageadanslecouloir,vêtudesonseuljean.Commeilatteignait

laporte,celle-cis'ouvrit,livrantpassageàCarlyenveloppéed'une

serviette.

—Oh!s'exclama-t-elle,enpercutantsapoitrine.

—Oups!

Hankmitlesmainssursesépaulesnuesafindeprévenirsachute.

—Pardon.Jecroyaisquetuavaisterminé.

—Non,je...

Elles'interrompitetlevalesyeux.Leursregardssesoudèrent.Hank

essayadelalâcher,maissoncerveaunesemblaitpasenmesurede

communiqueravecsesmains.Elleétaitadorable,avecsescheveux

rassemblésenunchignonébourifféausommetdesatête,etsapeau

douce,encorehumideaprèsladouche,sentaitdélicieusementbon.

Unlégerparfumderosesflottaitautourd'elle,quiluidonnaitenvie

desepencherdavantagepourmieuxl'inspirer.Etilmouraitd'envie

del'embrasser.

Pendantunmomentquisembladureruneéternité,ellefixason

torse.Quandellerelevaenfinlatête,

Hankvitpalpiteruneveineàlabasedesagorge.Sescilscouleurde

miels'abaissèrentlentementet,qu'elleenaiteuounonl'intention,

seslèvress'entrouvrirentensigned'invitation.

IlsemblaàHankquel'airs'étaitchargéd'électricité.Ilsentaitla

présencedeCarlydanstouteslesparticulesdesoncorps.La

servietten'étaitqu'unemincebarrièreentreeux.Ilimaginaqu'elle

tombaitsurlesol,qu'ilpromenaitlesmainssurcettepeausoyeuse...

Peut-êtresepencha-t-il.Peut-êtrelut-ellesonintentionsurses

traits...Hankrevintsurterrealorsqu'elletentaitdesedégager,les

yeuxétincelantsdecolère.

—Non,dit-elled'unevoixétouffée.Non,s'ilteplaît.

Elles'étaitmiseàtrembler.Illalâchaaussitôt.

—Carly,je...

—Plusjamais!s'exclama-t-elleenreculant,cramponnéeàsa

serviette.Tut'esmoquédemoiunefois.Çanet'apassuffi?

Elles'engouffradanssachambreetclaqualaporte.Lecœurde

Hankcognaitdanssapoitrine.Ilselaissaallercontrelechambranle,

indifférentàl'arêteenboisquis'enfonçaitdanssondos.Ils'était

moquéd'elle?Oùdiableétait-ellealléechercherça?

Ilsedirigeaverslachambreetmitlamainsurlapoignée,réprimant

l'envied'entrersansyêtreinvité.

—Carly,pouvons-nousdiscuter?

—Non!Iln'yarienàdire.Etsituessaiesdenouveaude

m'embrasser,jem'envais.

Ilposalapaumesurl'épaispanneauenboisquilesséparait.

—Sijenemetrompe,tuasprisplaisiràm'embrasser,cesoir-là.Je

nemesouvienspeut-êtrepasbiendureste,maisjemesouvienstrès

biendeça.

Silence.

—Jemetrompe?Tuyasprisplaisiroupas?

—Oui.Voilà,tuescontent?Quelleidiotejesuis!Va-t'en!

Laisse-moitranquille.

Ilappuyalefrontcontrelaporte.

—Situyasprisplaisir,Carly,pourquoil'idéedem'embrasserde

nouveautemet-elleencolèreàcepoint?

—Parceque!

Parceque.C'étaituneréponsepourlemoinsévasive.

—Çanemeditpasgrand-chose.

—Tantpis.Tun'aurasriend'autre.

—Monchou,s'ilteplaît,nepouvons-nous...

—Non!Situveuxuncorpscomplaisant,trouves-enunenville.Je

suisdéjàpasséeparlà.Jet'aiavertidèsledépart:pasdesexe.J'étais

sérieuse.

Ilavaitreçulemessage,cinqsurcinq.Ilcommençaitaussià

soupçonnerquesarépugnanceémanaitd'autrechosequedela

douleurphysiquequ'ilavaitpuluiinfliger.«Uncorpscomplaisant?

»Hankouvritlabouchepourprotester,pourluidirequeleur

rencontreavaiteuplusd'importancequecelaàsesyeux,maisles

motsserefusèrentàlui.S'iln'avaitpasséduitCarly,ilauraitcouché

avecuneautre.Desrapportssexuelsdénuésdesensétaientsa

distractionhabituelleleweek-end.

Nemedispasquejesuisbelle,avait-ellesuppliélesoirdeleur

mariage.Tun'espassincère.Ilavaitétédécontenancé,alors.

Maintenant,ilnecomprenaitquetropbien.Ellesavaitqueleur

étreinten'avaiteuaucuneimportancepourluiet,parconséquent,

qu'elle-mêmen'enavaitaucune.Etcelal'avaitblesséesi

profondémentqu'elleneguériraitpeut-êtrejamais.

Hanksedétournaets'adossaaumurducouloir.Quefaire,à

présent?IlétaitentraindetomberamoureuxdeCarly,etl'idéequ'il

puisselatoucherluirépugnait.

Ilallasecoucher,emportantcettecertitudeaveclui.

Cettenuit-là,ilsetournaetseretournadanssonlitsansparvenirà

trouverlesommeil.Alorsquel'aubeapprochait,ils'apaisaenfin,en

regardantlespremièreslueursdujoureffleurerl'horizon.Un

nouveaudébut,songea-t-il,regrettantqueCarlyetluinepuissent

repartirdezérodelamêmemanière,laissantlesténèbresderrière

euxpoursedirigerverslecielbleu.

Maiscomment?Lavien'étaitpasuntableaunoir.Ilnepouvaitpas

effacercequis'étaitpassécettenuit-là.Ilnepouvaitqueluidire

qu'ilregrettaitetlasupplierdeluipardonner.

Commecettepensées'imposaitàlui,ilseraidit.Danslalettrequ'il

luiavaitécrite,ilavaitexprimésesregretssincèresetluiavait

demandépardon.Etsiellen'avaitpaslucettemauditelettre?

Ilseredressabrusquement.Mêmesielleavaitessayé,sonécriture

étaitdifficileàdéchiffrer.Elleavaitdéjàdumalàlirelescaractères

imprimés,alorslereste...Biensûrqu'ellenel'avaitpaslue!Ilétait

idiotd'avoirimaginélecontraire.

Ilselevaenhâteetenfilasonpantalon.ÔmonDieu!Ilnes'étaitpas

excusé!Ilsesouvenaitdeluiavoirditautéléphonequ'ilétait

désolé,maisjamaisilnel'avaitfaitdevivevoixoudufondducœur.

Laseulefois,depuis,oùils'enétaitapprochéavaitétélesoirde

leursnoces,quandils'étaitcomparéàunâneenplaisantant.

Jamaisparolen'avaitétéaussijuste.Ilétaitunâne!

16.

—Réveille-toi,monchou...J'aiunesurprisepourtoi.

Carlys'arrachaausommeil,s'efforçantdefocalisersonregardsurle

visagehâlépenchésurelle:desyeuxbleus,unemâchoiredécidée,

unebouchefermequiesquissaitunsourirerévélantdesdents

éclatantesdeblancheur.Hank.Elleseraiditetfutsoudain

parfaitementréveillée,lesouvenirdeleuréchangelaveilleausoir

luirevenantclairementàl'espritenmêmetempsqu'uneboufféede

rancune.

—C'estl'heuredudéjeuner?demanda-t-elleenprenantappuisur

uncoude.

—Pastoutàfait.

LesouriredeHanks'élargit.Ilbranditunsacenplastiqueoù

s'étalaientdegrosseslettresrouges.

—J'aiécumétouteslespapeteriescematin,etjet'aitrouvéun

cadeau.

Elletentaenvaindevoiràtraversleplastiquesemi-transparent.

—Qu'est-cequec'est?

—Unesurprise.

Ilposalesacsurlatabledechevet.

—Tunetesenspasbien,cematin,monchou?

—Çavamieuxmaintenant.J'aitropdormi,etj'aieulanauséeen

meréveillant.

—Tuaspristonremède?

Ellesecoualatête.

—Jevaistechercherdelalimonadeetdesbiscuits,dit-ilense

dirigeantverslacuisine.

Lorsqu'ilrevint,Carlys'étaitassiseettentaitderemonterledrapsur

elle.

—Net'enfaispas,dit-ilcommes'ilavaitludanssespensées.

Seslèvresesquissèrentunsourired'autodérision.

—J'airarementvudechemisedenuitpluschaste.Tuescouverte

despiedsàlatête.

Ils'assitsuruncoussinàcôtéd'elle,posaleverredelimonadeetlui

tenditlepaquetdebiscuits.

—Cen'estpasuncadeautrèsexcitant,j'enaipeur,maisj'aipensé

qu'ilpourraitt'aideràmémoriserleslettres.

Illuifitunclind'œil.

—Desaide-mémoire,monchou.

Stupéfaite,Carlyleregardaouvrirlaboîte.Ellen'eutpasmême

besoindesepencherpourlirelalettreengrasquifiguraitsurla

premièrecarte.

—Oh!

Sesyeuxlapicotèrentbrusquement.

—Quelgentilcadeau!

Hankjetauncoupd'œildanssadirectionetvitqu'elleétaitaubord

deslarmes.

—Bonsang,moncœur,nepleurepas!Cesontdescartes,pasun

collierdediamants.

C'étaitl'attentionquilatouchait,lefaitdesavoirqueHankavaiteu

cetteidéeetqu'ilavaitpassétoutelamatinéeàallerdemagasinen

magasin.

Ilmitlapiledecartesaucreuxdesapaumebronzée.

—C'estcool,non?Plusbesoindet'abîmerlesyeuxpourlire.Tu

reconnaîtrasleslettresenunriendetemps.

Lagorgenouée,incapabled'articulerunson,Carlyacquiesça.Elle

nesavaitplustrèsbienoùelleenétait.Laveilleausoir,elleaurait

pulefrappertantelleétaitfurieusecontrelui.Àprésent,elleaurait

voululeserrercontreellepourleremercierdesagentillesse.

Commentsesémotionspouvaient-ellesbasculerainsid'unextrême

àl'autre?

Elleposalesbiscuitsetbutunegorgéedelimonade.

—Nousleslaisseronsenordrealphabétiquepourcommencer,dit-il

enluimontrantlapremièrecarte.Çatedonneraunpointde

référencepourlesreconnaître.

Ilarquasesépaissourcilsbruns.

—Etlapremièreest...

—Jepeuxlesmémorisertouteseule,Hank.

Elleavaitobtenuunelicence,etilvoulaitluiapprendrel'alphabet?

—C'esthumiliant,marmonna-t-elle.J'ail'impressiond'avoircinq

ans.

—Toncortexvisueln'estpastrèsvieux,etlesaide-mémoire

marchentmieuxquandc'estquelqu'und'autrequilesmontre,

réponditHankenriant.JevaistefaireuneleçonclasséeXpour

adulte.Qu'endis-tu?

MontrantleA,ilseleva,écartalespansdesachemiseetexposason

estomac.

—A,commeabdos,dit-ilenbandantsesmuscles.

Carlyécarquillalesyeux,fascinée.Leduvetsombredesontorse

dessinaitunebandequiallaitens'étrécissant,pourdeveniruneligne

minceàlatailledesonjean.

Ilbranditlacartesuivante.

—B,commebiceps.

Surquoi,ilretirapromptementsachemisepourluimontrersesbras.

Carlyenavaitsentilaforceetnefutguèresurprisedevoirles

musclessaillants.Mêmesi,laveille,ellen'avaiteud'yeuxquepour

sontorse.

—Çava?

Redoutantqu'ilnes'interrompe,ellehochalatêtestupidement.

Bientroptôt,ilbranditl'unedesdernièrescartes.

—X,commeclasséX,dit-ilavecunsouriretranquille.

LeregarddeCarlytombasurlaboucleargentéedesonceinturon.

Elles'enrenditcompteetrougitjusqu'àlaracinedescheveux.Les

yeuxbleusdeHanks'assombrirentetrestèrentrivésauxsiens

pendantcequisemblaunmomentinterminable.Puisilluimontra

lesdernièrescartes,lesposasurlapetitetableetremitsachemise.

Carlyréprimaunsoupir.

—Merci,Hank.Taversiondel'alphabetestbeaucoupplus

distrayantequelamienne.

—Jesuiscontentqu'elleteplaise,dit-ilenserasseyant.Parceque

nousallonsrecommencer.

Carlyn'étaitpassûrequesoncœurpuissesupporterautant

d'excitation.LesouriredeHanks'effaçatandisqu'ilpréparaitles

cartespourunsecondtour.Levisagegrave,illuimontraleA.Ses

beauxyeuxprirentuneteintegris-bleu,rappelantàCarlyunciel

d'oragequ'elleavaitvuquelquetempsauparavant.

—A,commeâne,commença-t-ild'unevoixsourdeetrauque.

Aimerais-tumegravercemotsurlefront?J'airéaliséhiersoirque

jenet'avaisjamaisditàquelpointj'avaishontedelamanièredontje

mesuisconduitavectoicesoir-là,auChaps.J'aivraimentétéle

dernierdessalauds.

Priseaudépourvu,Carlyrestasansvoix.

—B,commebutor.Jet'aiprivéed'uneannéeentièredevue.

Savoixsefitplusgraveencore,etsesjouesmincessecreusèrent

davantagetandisqu'ilserraitlesdents.

—Jenepeuxpasrevenirenarrière,nimêmeespérermerattraper.

Quandtudeviendrasaveugle,ceseramafaute.Jedonnerais

n'importequoipourréparer,maisc'estimpossible.

Carlyavaitcruuntempsquecethommen'étaitqu'unplay-boy

égoïste,quinesesouciaitquedelui-même.Àprésent,ellevoyait

deslarmesbrillerdanssesyeux.

Ellenevoulaitpasqu'ils'accableainsi.Àsamanière,ilavaitessayé

deserattraperet,aucoursdesdeuxannéesàvenir,ilcontinueraità

lefaire.

—Nedispascela,Hank,jet'enprie.

—C,commeCasanova,coureurdejupons,poursuivit-il

impitoyablement.Monpasse-temps,leweek-end,étaitdecourirles

femmes.Tut'estrouvéesurmonterraindechasse,etj'aijetémon

dévolusurtoisansmeposerdequestions.

Ilbranditlacartesuivante.

—D,commedétestable,dépravé.

Illaissatomberlescartessurlatable.Quandillevalesyeuxvers

elle,sonregardendisaitbienplusqu'ilnepouvaitexprimerpardes

mots.

—Ilm'estvenuàl'esprithiersoirquetun'avaissansdoutejamais

lumalettre.

Carlys'envoulaitàprésentdenepasmêmeavoiressayé.

—Jenevaispasdirequejeregrettel'existencedubébé,reprit-il.Ce

seraitindigned'unpère.Maistunepeuxpassavoiràquelpointje

regrettelamanièredontleschosessesontpassées.

Illuieffleuralescheveux,tendrement,avecprécaution.

—Tuméritaismieux.Etsij'avaisétésobre,j'auraisfaitensortede

tedonnermieux.

—Oh!Hank,àquoibon...

—Laisse-moifinir.

Ildéglutitavecpeine.

—Jen'aicomprisqu'hiersoiràquelpointjet'aifaitdumal.

Maintenant,tuaspeurd'avoirdesrelationsintimesavecunhomme.

Ilmarquaunebrèvepause.

—Jeseraismoinspeinésic'étaitseulementmoiquetuvoulais

éviter,maisj'ailesentimentquecen'estpaslecas.Etsavoirqueje

t'aiôtétoutdésird'êtreavecunautremerendmalade.

Carlyfermalesyeux.

—Cen'estpastoujoursaffreux,moncœur.Aveclabonne

personne,lesexepeutêtremerveilleux.Magique,fantastique,plus

délicieuxquetunepeuxl'imaginer.

Carlyentrouvritlespaupières;ellenesavaitquedire.Ellesavait

seulementqu'ellenepouvaitsupporterdevoirtantdechagrindans

sonregard.

—Jeveuxaussiquetusachesquetuesbelle.J'étaisivre,cesoir-là,

jel'admets.Maisjesaistoutdemêmereconnaîtreunejoliefemme

quandj'envoisune.J'étaissurlapistededansequandjet'aiaperçue.

Àpartirdecemoment-là,jen'aipluseud'yeuxquepourtoi.

Ellenes'étaitjamaisvraimentattendueàcequ'illuidemande

pardon,etcertainementpasdecettemanière,sanssechercher

d'excuses,sanstenterdeseprésentersousunjourplusfavorable.

Sesparolesvenaientducœur-etellesétaientdifficilesàprononcer,

elles'enrendaitcompte.

—Unjour,untypevateregarderettomberfouamoureuxdetoi.

Illuipritlementon,effleurantdupoucelarondeurdesajoue.

—Quandçaarrivera,nelaissepaslesouvenirdecequejet'aifait

gâchercemoment-là.Aielafoi.Fais-luiconfiance.Saisisl'instantà

pleinesmains.

—Hank,je...

—Écoute-moi.S'ilteplaît.

Illuilâchalementonetsepassalamainsurlefront.

—Jenemesouvienspasexactementdecequej'aifait.Jesais

seulementquej'aitoutgâchéetquejet'aifaitmal,etjeleregrette

plusquejenepeuxledire.Nejugepastousleshommesd'après

moi,ajouta-t-ild'unevoixtremblante.Situfaiscetteerreur,tu

manqueraslemeilleurdelavie.

Incapabled'articulerunmot,Carlyacquiesça.

Hanksemitdebout.

—Unedernièrechose...

Ellelevalesyeux,sedemandantcequ'ilvoulaitencoreajouter.

—Maintenant,jecomprendsmieuxàquelpointtuétaisréticenteà

venirvivreiciavecmoi.Jesaisquetun'esguèreenclineàmecroire,

maistun'aspasàt'inquiéter.J'airefusédepromettrequoiquecesoit

quandtumel'asdemandé.Jevaislefaireàprésent.Pasdesexe.

Jamais.Sicelapeutrendrelesdeuxannéesàvenirplussupportables

pourtoi,moncœur,tuasmaparole.

IlpritsonStetsonetsortitdelachambre.Carlylesuivitdesyeux,

souslechoc.Elleavaitpeineàcroirequ'illuiaitdemandépardon

avectantd'émotion,maiselleétaitconvaincuedesasincérité.Cela

nechangeaitrien,etpourtant,curieusement,celachangeaittout.

Ellesecouvritlevisagedesesmains.Pourlapremièrefoisdepuis

cettenuit-là,elles'autorisaàréfléchiràcequis'étaitpassé,àse

remémorerdepetitsdétailsauxquelselles'étaitrefuséàpenser.Elle

nepouvaitplusseconsidérercommeunevictimeinnocente.Les

parolesqueHankavaitprononcéesl'obligeaientàconsidérerles

événementsnonpastelsqu'elleauraitvoululesvoir,maistelsqu'ils

s'étaientréellementdéroulés.Ellesesouvintquetoutsoncorpsavait

vibréd'excitationlorsqu'ill'avaitinvitéeàdanser.Qu'ilsavaientri

ensembletandisqu'illuiapprenaitlespas.Qu'ilavaitsulamettreà

l'aiseendépitdesamaladresse.Qu'elleavaitprisplaisiràbavarder

aveclui,etqu'ill'avaitécoutéeavecattention.

ElleavaitblâméHankpourcequiavaitsuivi,rejetanttoute

responsabilité.Maissielleregardaitleschosesenface,n'était-elle

pasaumoinsautantàblâmerquelui?

Plusd'unefois,durantlasoirée,elleavaitsongéàmentionnerson

handicap.Auderniermomentelleavaitrenoncé,depeurqu'ilnela

laissetomber.Ellen'avaitpasrefusélorsqu'illuiavaitcommandéun

cocktail.Pourtant,ellesavaitqu'ilétaitdéraisonnabledeboirede

l'alcoolalorsqu'elleétaitsoustraitement.Cen'étaitpassousla

contraintequ'elleavaitabandonnétouteprudenceetbulecocktail.

C'étaitsontour.Leurrencontreavaitsemblésimagique!Était-ce

vraimentlafautedeHanksielleétaitsurunnuageetqu'ellerêvait

d'uncontedefées?Ilnel'avaitpasobligéeàsortiraveclui.Ellelui

avaitrendusonbaiserdesonpleingré,etn'avaitpasprotestéquand

ill'avaitconduiteàsonpick-up.

Àpartirdecemoment-là,quiétaitvraimentresponsabledecequi

s'étaitpassé?Hanknel'avaitpasforcée.Unefoisdeplus,elleavait

abandonnétouteprudence,voulantvivrel'expérienceetensavourer

chaqueseconde.Àn'importequelmoment,elleauraitpuluidire

qu'ellen'avaitjamaisfaitl'amour.ConnaissantHankcommeellele

connaissaitàprésent,elleétaitsûrequ'ilauraitarrêté.D'ailleurs,il

avaitarrêtédèsqu'elleavaitcrié.

Ellefixalescartesqu'ilavaitlaisséestombersurlatable.Bcomme

butor?Ellenepouvaitenresterlà.Ilnedevaitpaspasserlerestede

savieàsereprocheruneerreurquiavaitétélasienneaussi.

*

Hankvenaitdebanderlajambed'unjeunechevaletsortaitdubox

quandunevoixféminines'élevaderrièrelui.Par-dessussonépaule

ilvitlasilhouettedeCarlysedétachersurleseuil,nimbéed'unhalo

desoleil.

—Hé!fit-ilenposantlerouleaudepansementsuruneétagère.

Qu'est-cequit'amènedansl'antredudiable?

Elleeutunpetitrireetentra.Ellen'étaitpastoutàfaitaussi

nerveusequelorsdesapremièrevisite,maisellejetanéanmoinsun

regardinquietauchevalsursadroite,toutentriturantfébrilement

lesboutonsdesonchemisier.

—J'ai...euh...ilfautquejeteparle.Peux-tum'accorderquelques

minutes?

—Biensûr.

Àcetinstant,LeviémergeadubureauetadressaàCarlyunsalut

amical.Ellesouritetéchangeaquelquesmotsaveclui.Puisellese

retournaversHank,lesuppliantduregard.

—Jeteprometsdenepasteretenirlongtemps,maisj'aimeraiste

parlerenprivé.

HankattrapasonStetsonaccrochéàunepatèreprèsdel'entrée.

—Pasdeproblème.Jenesuisjamaisoccupéaupointderefuser

quelquesminutesàunejoliefemme.Allonsfaireuntouraubordde

larivière.

Carlyréglasonalluresurlasiennealorsqu'ilssortaientdel'écurie.

Hankneputs'empêcherderemarquerqu'elleavaitcroisélesbras

autourdesataille.Ilétaitévidentqu'elleétaitmalàl'aise,etcela

l'inquiéta.Dequoipouvait-ellebienvouloirluiparler?

Lorsqu'ilsatteignirentlecoursd'eau,illaconduisitversuntalus

herbeuxetluifitsignedes'asseoir.Ellerefusaetrestadebout,le

regardrivéausol.Ilsebalançad'unpiedsurl'autre,croisalesbraset

attendit.

—Je...jenesaispasparoùcommencer,dit-elle,hésitante.

LecœurdeHankseserra.Ilavaitladésagréableimpressionqu'elle

allaitluiannoncerqu'ellenevoulaitplusvivreaveclui.

—Commenceparledébut,monchou.Situparsmal,tupeux

revenirenarrière.

Ellehochalatête,puislevaversluidesyeuxbrillantsdelarmes.

—C'estvraimentétranged'êtreuneadolescenteaveugle.

Hankfutunpeuétonnéparcetteentréeenmatièremaisn'enmontra

rien.

—Aulycée,jerêvaisqu'ungarçonallaitm'inviteràsortiraveclui.

Legarçonlepluspopulairedel'école,biensûr,ajouta-t-elleavecun

petitriresansjoie.Tantqu'àrêver,autantvoirleschosesengrand.Il

nes'agissaitpasd'avoirlebéguinpourquiconque;jenecomprenais

rienàcegenredesentiment.BessetCricketgloussaientsansarrêtà

proposdesgarçons,maismoij'avaisdumalàm'imagineràquoiils

ressemblaient.

Ellemarquaunepause.

—Jemedemandaiscequ'étaientlesbiceps,continua-t-elled'une

voixtremblante.Etoùilsétaient.Jenevoyaisqu'entouchant,et

aucungarçonnem'avaitproposéd'explorersoncorps.Les

descriptionsnem'aidaientpas.Monseulpointderéférence,pourles

relations,c'étaitlescontesdeféesquemamèremelisaitquand

j'étaispetite.D'oùmonrêveàproposduprincedel'écolequi

tombaitamoureuxdemoi.J'étaislevilainpetitcanard,l'aveugleque

touslesgarçonsévitaient.

Ilnevoyaitpastrèsbienoùellevoulaitenvenir,maisécoutaitsans

l'interrompre,émuparladouleurqu'illisaitsursonvisage.

—Jusqu'àl'âgeadulte,jen'aiéprouvéaucundésirsexuel.Durant

mesétudes,j'aidécouvertquec'étaitnormalchezlesaveugles.

Alorsquelaplupartdesjeunesdécouvrentleursexualité,euxnele

fontpas.Ilsn'ontpasdestimulusvisuel,etnemûrissentpas

sexuellementcommelesautres.

—Jecomprends,murmura-t-il.

Elleparutsoulagée.

—Vraiment?Çadoitêtredifficileàimaginer,pourquelqu'unqui

voit.J'avaisuneidéedeceàquoiressemblaitmoncorps,maiscelui

desgarçonsétaitunmystère.Cesoir-là,auChaps,j'aiétéstupéfaite

quetuviennest'asseoiràmatable.Endehorsdetouteslesautres

différencesphysiquesquej'avaisremarquéespendantqueje

t'observais,j'avaisdumalàcroirequetupuissesêtreaussigrand.

Beaucoupplusgrand...etbeaucoupplusfortquemoi.

—Tum'observais?répéta-t-ilensouriantmalgrélui.

—Oui.Je...euh...

Ellerougit,gênée.

—Jenesaispaspourquoituasattirémonattention,maistul'asfait.

J'aiàpeineremarquélesautreshommes...Bref,commetul'assans

doutedeviné,aucunprincecharmantn'estjamaisvenupendantque

j'étaisaulycée.

Carlyregardaauloinpendantunmoment,puiselleseremitàparler.

—Àl'université,c'étaitpareil.Pasdeprince.J'aicesséd'espérer

qu'ilvienneunjour.

QuandelleregardaHankdenouveau,sesyeuxbrillaient.

—Etpuis,jesuisalléeauChapsavecBess,dit-elledoucement.Et

soudain,ilétaitlà,ilmesouriaitetilm'invitaitàdanser.C'était

commedansmonrêve,maisenmieux,parcequejepouvaisenfin

comprendrelepourquoidetouscesgloussementsetchuchotements.

Iladitleschosesquej'avaisrêvéd'entendre-quej'étaisbelle,qu'il

m'attendaitdepuistoujours.Ilm'adonnél'impressionquej'étaisla

seulefemmedanslasalle.

—Oh!Carly,jesuistellementdésolé!Jedonneraisn'importequoi

pourremonterletempsetêtreleprincequetuméritais.

Ellesecoualatête.

—Non,tunecomprendspas.Jesavaisquetuavaisditces

choses-lààunefouled'autresfemmes,etquec'étaitseulementun

moyendemedraguer.Êtreaveugleneveutpasdireêtreidiote.Une

femmen'arrivepasàl'âgedevingt-huitanssansavoiraumoins

quelquesnotionsdelavie...J'aichoisidetecroire,Hank.Tu

comprends?C'étaitmontour.Aprèsavoirattendupendantdes

années,celam'arrivaitenfin!Jenevoulaispastoutgâcheren

parlantdemacécité.J'avaispeurquetumevoiesautrementetque

tut'enailles.Jenevoulaispasnonplusquetusachesquejen'avais

jamaisfaitl'amour.Letempsdecettesoirée,jevoulaisêtrecomme

toutlemonde.

Savoixdevintunmurmure.

—Monsouhaits'estréalisé.Tunem'aspastraitéedifféremment

desautresfemmesqueturencontraisdanslesbars.Tum'asditce

quejevoulaisentendre.Tuasdanséavecmoi.Tum'asoffertun.

erreet,defilenaiguille,nousnoussommesretrouvésdanston

pick-up.Àn'importequelmoment,j'auraispudirequelquechose.

Tuasendossétoutelaresponsabilitédecequis'estpassécesoir-là,

etjusqu'àmaintenant,jet'ailaisséfaire.Maislavérité,c'estquej'ai

agienconnaissancedecause.Cen'estpastafautesij'aifeintd'être

quelqu'unquejen'étaispas-etsij'aiétédépasséeparles

événements.

—Commetoutlemonde?répétaHank.

Pouruneraisonétrange,cechoixdemotsletroublaitplusquetout

lereste.Oubliantmomentanémentsadécisiondenepaslatoucher,

ill'attiradanssesbras.L'espaced'uninstant,elleseraiditpuiselle

selaissaallercontrelui.

Ilenfouitlevisagedanssescheveux,etrestaimmobile,absorbant

l'aveuqu'ellevenaitdeluifaire.Lorsqu'ilsongeaitauxfemmesqu'il

avaitrencontréesdanslesbars,leursvisagesseconfondaientdans

sonesprit.Maisjamaisiln'oublieraitceluideCarly,l'expression

émerveilléedesonregard,lacourbeadorabledesabouchequand

ellesouriait,labontéquisemblaitémanerd'elle.

Ilnevoulaitsurtoutpasqu'elledeviennecommetoutlemonde.Plus

ilapprenaitàlaconnaître,pluselleluisemblaitremarquable.

Ilnesavaitquerépondre.Cequiletourmentaitleplus,c'étaitqu'elle

avaitvujuste.S'ilavaitétéaucourantdesacécité,ilaurait

certainementtrouvéuneexcusepoliepourprendrecongéd'elle.

Pareils'ilavaitsupoursavirginité.Oui,ilseraitparti,celanefaisait

aucundoute.Etqueseserait-ilpasséalors?Carlyauraitfinipar

rentreràlamaisonavecBess,etn'auraitpassouffertdel'expérience.

Ouunautrequeluiauraittentédelaséduire...

Acettepensée,Hanksentitunfaroucheinstinctdepossession

l'envahir.Ilavaitenvied'enfermerCarlydanssesbrasetdeneplus

jamaislalaisserpartir.L'idéequ'unautrehommepuisselatoucher

luiétaitintolérable.

Ils'étaitmalconduitetregrettaitamèrementseserreurs.Avecle

temps,peut-êtreCarlyfinirait-elleparl'aimeretluiaccorderune

secondechance,seprit-ilàespérer.

Carill'aimait,entièrementetdetoutessesforces.Cen'étaitplusle

sensdudevoirquigouvernaitsesactions,maisl'amour.Ilne

pouvaitsupporterl'idéedelaperdre.Ilsavaitqu'iln'avaitpasété

facilepourelledeluirévélersessentimentslesplusprofondset

d'admettrequ'elleavaitjouéunrôlecettenuit-là,aubar.Ilnel'en

aimaitquedavantage.

Auboutd'unmoment,ilrassemblaassezdevolontépourrelâcher

sonétreinte.Laprenantparlamain,illaguidaversletalusherbeux.

—Assieds-toiavecmoi,dit-ild'unevoixrauqueetpressantequi

parutétrangeàsespropresoreilles.

—Jet'aidérangéassezlongtemps,répondit-elleenjetantunregard

verslesécuries.

—S'ilteplaît.J'aibesoinquetucomprennescertaineschoses,

Carly,etilvamefalloirquelquesminutespourtelesexpliquer.

Ellefouillasonregard.Hanknesutpascequ'elleylut,maisdansle

sien,ilnevitquetendresse.Ilsrestèrentimmobilesquelques

secondes,perdusdansletourbillondeleursémotions,lesdoigts

entremêlés,lespaumesjointes.

Finalement,elleacquiesçaetilss'assirentl'unàcôtédel'autre.

—Monenfanceaétéplusfacilequelatienne,maisj'aiconnuma

partdeproblèmes,commença-t-il,songeantaupassé.Jeneveux

pasdirequemesparentssedisputaientouquej'étaisbattu,seule-

mentquelavieétaitdure.Lemarchédelaviandes'étaiteffondré

danslesannéessoixante-dix.Nousétionsdepetitsproducteurs,

comparésauxgrandesentreprises.J'étaistoutpetitquandmonpère

adûlicenciersesemployés.Après,ilafaittoutletravailseul,avec

nous.Jemelevaisàl'aubeavecmesfrèrespourtravailleravant

d'alleràl'école,etquandjerentrais,jeretournaisauxchamps.Les

chosessesontarrangéespeuàpeu,maismonpèreavaitcontracté

desdettespoursemaintenirenactivité,etilfallaitrembourserles

emprunts.Nousn'avionspasd'argent.Étantleplusjeune,j'aiaussi

étéledernieràquitterlamaison.Amesurequemesfrèrespartaient

pourl'université,j'assumaisdeplusenplusdecorvées.

Hanksepassalamainsurlevisageensoupirant.IlsentaitqueCarly

l'observaitmaisnepouvaitserésoudreàlaregarder.

—Quandj'aiterminélelycée,j'étaisfoudejoie.Jemedisaisqu'il

nemerestaitqu'unétéauranchetqu'ensuite,jeseraislibre.

Ileutunsouriresansjoie.

—Quandj'yrepense,j'aiunpeuhonte.Monpèreavaitbesoinde

moi,etmoij'avaishâtedem'enaller.

Etpuisilm'ademandédereporterd'unanmonentréeàl'université.

J'étaisfurieux.Mesparentsavaientaidémesfrèrespendantleurs

étudesetjem'étaistoujoursditqu'ilsferaientpareilpourmoi.Et

voilàqu'ilm'annonçaitqu'ilétaitàcourtd'argent.Jen'aipassu

comprendre;jetrouvaisinjustequ'ilmedemandecesacrifice.

—Maistuasfiniparalleràl'université?

—Oui,avecunanderetard.Lorsquel'étésuivantestarrivé,jen'y

tenaisplus.Jemevoyaisdéjàvivrelabelleviesurlecampus,faire

lafêteetsortiravecdejoliesfilles.Maisçanes'estpaspassé

commeça.

—Qu'est-ilarrivé?

Hankretirasonchapeauetlefittournerentresesmains.

—Tuasrencontrémasœur,Bethany.Troismoisavantmondépart

pourl'université,elleaeuunaccidentquil'alaisséeparalysée.Mes

parentsavaientuneassurance-maladiemais,commelatienne,elle

necouvraitpastout.Etlesmédecinscroyaientqu'uneopérationlui

permettraitpeut-êtrederecouvrerl'usagedesesjambes.Monpère

auraitdonnétoutcequ'ilavaitetplusencorepourtentercette

chanceet,aucoursdel'annéequiasuivi,c'estprécisémentcequ'ila

fait.Ilaempruntédel'argentetanégligéleranchpourêtreau

chevetdeBethanyàPortland.Cemoisdejuin-là,justeaprès

l'accident,j'étaisjeuneetjenepensaisqu'àmoi.J'auraispurenoncer

àl'universitéetresterauranchpouraider,maisj'avaisdéjàpatienté

unanetc'étaitmontourdeprendredubontemps.

Ilsourittristement.

—C'étaitmontour.Tun'espaslaseuleàavoiréprouvécegenrede

sentiment.J'adoraismesparentsetmasœur,maisjemouraisd'envie

departir.Jenesaisissaispasencoreclairementl'ampleurdenos

difficultésfinancières.

Ilhaussalesépaulesetpassalamaindanssescheveux.

—Leranchétaitcommeunbouletàmesyeux-unboutdeterre

sansvaleurquiavaitruinémonpère.J'allaisfairedesmiracles,

trouvermieux,devenirquelqu'un.Jen'avaispasunetrèshaute

opiniondemonpère.Pourmoi,c'étaitunrancherquisedébattait

poursurvivre,avecdevieillesbêtesdansl'étable,destracteurshors

d'âge,etdesdettesàn'enplusfinir.

Carlycomprenaitqu'ilaitressenticela.Àdix-huitans,laplupartdes

jeunesn'étaient-ilspaségoïstes?

—Aprèsl'accidentdeBethany,monpèreadûsedéclareren

faillite.

Hankfixalaforêtquibordaitlesprairies.

—Ilaperduleranch.Ilatoutperdu.J'aidûprendredeuxpetits

boulotspourpouvoirresteràlafac.Laviesurlecampusn'apasété

lagrandefêtequejem'étaisimaginée.Etquandj'aienfinobtenu

mondiplôme,plusriennem'attendait.LeLazyJappartenaitàun

autre;mesparentsn'avaientplusrien.

Carlysuivitsonregard,plissantlesyeux.

—Commentas-tufaitpourrécupérerleranch?

—C'estunelonguehistoire,maistouts'estbienterminé.J'aimûri.

J'aicommencéàavoirlatêtesurlesépaules,dumoinsjelecroyais...

Jakeetmoiavonsdécidédenousassocierenvuederacheternotre

propreranch.Aprèsmesétudes,jesuisrevenu,jemesuisfait

embauchercommecow-boyetj'aiéconomisétoutl'argentqueje

gagnais.J'aitravaillécommeunebrute,sansjamaisprendrele

tempsdem'amuser.Finalement,letypequiavaitachetéleLazyJa

faitfailliteàsontour,etJakeetmoiavonspuracheterlapropriété

pourunebouchéedepain.

Hanksouritàcesouvenir.

—Enplusdubétail,nousavonsdécidéd'élevernotreproprerace

dechevauxetdemettresurpiedunservicededressagepour

compléternosrevenus.Audépart,nousavonspenséqueceseraitun

à-côté,maiscelas'estavérébienpluslucratifquelereste.

—Oùveux-tuenvenir,Hank?

—J'yarrive.

Ilcueillitunbrind'herbeetlecoinçaentresesdents.

—Quandnousavonscommencéàgagnerdel'argent,leschosesont

changépourmoi.Pourlapremièrefoisdemavie,j'avaislesmoyens

dem'offrirquelquesjouets-unpick-upneuf,unesellefaitemain,

d'autrestrucsquejen'auraisjamaispuavoiravant...Bref,j'aiunpeu

perdulatête.

Ilseforçaàlaregarder,etjetalebrind'herbe.

—J'aiétéélevécommeilfaut,maispendantunmoment,j'aioublié

toutcequemesparentsm'avaientappris.Aulieuderesterdansle

droitchemin,j'aichoisid'enfreindrelesrègles.Jemedisaisqueje

nefaisaisdemalàpersonne.Jecroyaissincèrementquej'étais

toujourslemêmeHank,maisquejem'amusais,pourunefois.En

fait,jen'étaispluslemême.Lentement,insidieusement,lemodede

viequej'avaisadoptéetlesgensquejefréquentaism'avaient

changé.Jenel'aicomprisquelematinoùjemesuisréveillédans

monpick-up,avecuneépouvantablegueuledeboisetlevague

souvenird'unejoliepetiteblondequej'avaisrencontréelaveille.

Ilmarquaunepause.

—Quandj'aireprismesesprits,jemesouvenaisàpeined'elle.La

mémoirem'estrevenueparbribes...Jemesuissouvenudel'avoir

remarquéeetdraguéesansmedemanderunesecondecequ'elle

éprouvait,sansm'ensoucierlemoinsdumonde.Jelavoulais,tout

simplement,etj'étaisrésoluàl'avoir.Alors,jeluiaidébitétousles

clichéshabituels,etjeluiaioffertuneboissonfortepourqu'elle

perdesesinhibitions.

Hanksetutetpritunebrèveinspiration,sefaisantviolencepour

direàCarlylanauséequil'avaitgagnéàlavuedusangsurlesiège

dupick-up.

—Çaaétécommesiunelumièreexplosaitdansmoncrâne.J'ai

comprisàquelpointj'avaischangé,etj'aicomprisaussiqueje

n'aimaispasl'hommequej'étaisdevenu,etquejenelerespectais

pas.Jen'avaismêmepasprislapeinederetenirtonnomdefamille.

Iln'avaitpasd'importance.Lematinvenu,jen'avaispasl'intention

deterevoir.

Carlydétournarapidementlesyeux.

—Jesaisquecesoir-lànesignifiaitrienpourtoi.

—Tutetrompes,Carly!Lelendemainmatin,ilsignifiaitplusque

jenepourraisteledire.Àquelmomentavais-jefranchilaligne?

Quandavais-jecesséderespecterlessentimentsdesautres?Deme

soucierdesfemmesavecquijecouchais?Toutcequejevoulais,

c'étaitnepasprendrederisques.Etavectoi,jenemesuismêmepas

donnécettepeine.

Ellereposalementonsursesgenouxrepliés.

—Peuimporte,àprésent.Tum'asprésentétesexcusesetjet'ai

présentélesmiennes.Nousnepouvonspasrevenirenarrièreet

changercequiestarrivé.Nousnepouvonsqu'allerdel'avant.

Ilsecoualatête.

—Ilfauttirerlaleçondeseserreurspourdevenirmeilleur.Ce

soir-làm'adonnéunchoc.Jevoulaisdésespérémentteretrouver,et

jenepouvaispas.J'avaisdescauchemars,jemeréveillaisensueur,

enmedemandantsituallaisbien,situétaisenceinte.Jerevoyais

tonvisageinnocent,tesgrandsyeuxbleus...Jamaisjen'avaiseu

aussihontedemoi.Tucroispeut-êtrequetun'aspasessayédeme

fairecomprendrequetun'avaispasl'habitudedesbarsoudes

hommes,maislavérité,c'estquetum'asfourniquantitédesignaux.

J'étaistropivrepourlesremarquer,voilàtout.Etc'étaitmadécision,

ajouta-t-il.Lesgenspeuventmettreleurcomportementsurle

comptedel'alcool,maislefaitestquejesavaispertinemmentceque

jefaisaisquandj'aicommencéàboire.Jesavaiscommentjevoulais

terminerlasoirée,etcequis'estpasséaprèsestmafaute,pasla

tienne.Tudisquetuasétédépasséeparlesévénements?Demon

pointdevue,unefemme,sexuellementexpérimentéeounon,ne

devraitpasavoiràs'inquiéterdeça.Passielleestavecunhomme

dignedecenom.

Savoixtremblait,reflétantl'intensitédesesémotions,etsonregard

lasuppliaitdecomprendre.Nesachantquedire,Carlysepenchaet

luieffleuralamain.

Illaconsidéraavecunsourireempreintdetristesse.

—J'aiapprismaleçon.Jenediraiplusjamaisàunefemmece

qu'elleveutentendrejustepourlaséduire.Celadit,j'aimeraisquand

mêmequecertaineschosessoientclaires.

—Lesquelles?demanda-t-elled'unevoixétranglée.

—Tuétaisvraimentlaplusbellefemmedanslebar,cesoir-là.Ivre

oupas,jesaisreconnaîtrelabeauté.Etquandjet'aivue,jemesuis

vraimentdemandéd'oùtuvenaisetpourquoijenet'avaisjamaisvue

avant.Jenet'aipasracontéquedeshistoires.

Carlyleregarda,lesjouesbrûlantes.Lesémotionsqu'ellelisaitdans

lesyeuxdeHankl'alarmaient,luifaisaientdésirerl'impossible.Elle

devinaitqu'ilsongeaitqu'ilspourraientpeut-êtrerepartirdezéro,sur

debonnesbases,cettefois.Maisellesedevaitdepenseraulong

terme.Sielles'autorisaitàcroirecequ'ellevoyaitdanssesyeux,ils

finiraientl'unetl'autreparavoirlecœurbrisé.Ceranchn'étaitpas

unendroitquiconvenaitàuneaveugleet,unjour,elleserait

précisémentcela:uneaveuglequin'auraitplusl'espoirderecouvrer

lavue.

Enville,lacécitéétaitplusfacileàgérer.Ilyavaitdestrottoirs,des

passagespiétons,destransportsencommun.Ellepouvaitdemander

àdesprofessionnelsd'organisersamaisondemanièreàtrouver

facilementtoutcedontelleavaitbesoin.Surtout,ellepourraitaller

etvenirsansavoirbesoind'aide,exercerunmétieretsedébrouiller

auquotidien,fairesescoursesetallerchezlemédecin.

Hankvivaitàdeskilomètresdelaville,dansunranchimmenseet

pleindedangers.Elleseraittotalementdépendantedeluichaque

foisqu'ellemettraitlespiedsdehors,etilnesoupçonnaitpasàquel

pointceseraitdifficilepourluidemaintenirlamaisonorganisée

pourelle.

D'ailleurs,était-cevraimentdel'amourqu'iléprouvaitpourelle?

Hankavaitunsensaigududevoir,etelleattendaitsonenfant.Cela

pouvaitinfluencersessentiments.Deplus,ellecraignaitqu'iln'ait

pitiéd'elle.Ellenevoulaitpasêtreunobjetdepitié,etcertainement

pasdelapartdeHank.Siellesepermettaitunjourd'aimerun

homme,ceseraitpourdebonnesraisons,pasdemauvaises.

—Merci,Hank,répondit-elleenfin.J'appréciequetum'aiesdittout

cela.

Iltenditlamainpourécarterunemèchequitombaitdanssesyeux,

l'enveloppantd'unsouriresitendrequ'elleeneutlecœurserré.

—Ya-t-ilunepossibilité,mêmeinfime,quetumedonnesune

autrechance?Tuneleregretteraspas,jetelejure.Jenereferaipas

lesmêmeserreurs.Laprochainefois,Carly,jetelepromets,cesera

parfait.

Oh!commeelleauraitaimédireoui!

—Jecroisqu'ilvaudraitmieuxquenousessayionsdedeveniramis,

seforça-t-elleàrépondre.

Elledésignalesalentoursd'ungeste.

—Jenesuispasfaitepourvivredansunranch.Sinousforgeons

desliensémotionnels,ceserad'autantplusdurquandviendrale

momentdem'enaller.

Ildemeurasilencieuxunlongmoment,puisilacquiesça.

—Trèsbien.Nousseronsamis.Sacheseulementquesituchanges

d'avis,monoffretienttoujours.

Carlyselevaenhâte,époussetasonjeanetluidécochaunsourire

qu'elleespéraitinsouciant.

—Allons-y.Ilfautquej'étudie,ettuasdutravailquit'attend.

17.

Unmoisplustôt,siquelqu'unavaitditàHankqu'ilseraitbientôtun

hommemariéetheureuxdel'être,ilauraitéclatéderire.Pourtant,

chaquefoisqu'ilregardaitCarly,c'étaitprécisémentcequ'il

éprouvait.Elleétaitl'épouseidéalepourlui.

Le4juillet,toutleclanCoulterseréunitauranchàl'occasiondu

pique-niquetraditionnel.Hankconstataavecplaisirquesafemme

semblaitparfaitementintégréeàsafamille.Sesfrèresl'adoraient,et

elles'entendaitbienavectoutlemonde,ycomprisBart,lechien

grognondeShorty.

LamèredeHankarrivaavecunpeuderetard,apportantdes

cadeauxpourlebébé,unensemblejaune,roseetbleuconfectionné

aucrochetetunepairedehochetsdécorésderubansbleuetrose.À

leurvue,Carlyrougitjusqu'auxoreilles.

Hankcompritsonembarras.Ilsétaientmariésdepuistoutjusteune

semaine,ellepensaitquepersonnen'étaitaucourantdesa

grossesse,etlejardinétaitpleindegensqu'elleconnaissaitàpeine.

Furieuxquesamèreaitfaitpreuved'untelmanquedetact,il

traversalapelousepourallerlarejoindre.Cependant,Carlys'était

déjàressaisieetétreignaitMaiyavecchaleur.

—Mamèrefaisaitducrochetaussi,dit-elle.Jétaissitristede

penserquemonbébén'auraitpasdepetitspullsfaitsparsa

grand-mère,etregarde!Ilenaura,finalement.

ComptetenudufaitqueCarlyn'avaitsansdoutejamaisvudepetits

pullsfaitsmain,Hankdoutaitfortqu'elleaitjamaiseucettepensée.

Quoiqu'ilensoit,c'étaitexactementcequesamèreavaitbesoin

d'entendre.LesyeuxdeMarys'emplirentdelarmes,puisellesourit

etsortitunecouverturequ'elleétaitentraindecrocheterdesonsac.

—Ellecompléteral'ensemble.

Unefoisdeplus,Carlyprononçalesmotsqu'ilfallait,parvenant

Dieusaitcommentàprendreunairravi.

Quelquesinstantsplustard,Hankl'attiraàl'écart.

—Jesuisdésoléquemamèreaitfaitça.Parfois,elleneréfléchit

pasassezavantd'agir.

—J'aiétégênéesurlecoup,etpuisjemesuisditquec'était

ridicule.Toutlemondeauraitfiniparsavoirtrèsvite,detoute

façon.Commeça,c'estchosefaite.

—Ellenevoulaitpastemettredansl'embarras.Elleestcontente,

c'esttout.

—Elleestmerveilleuse,etc'esttouchantqu'ellesoitsicontenteau

sujetdubébé.Jel'appréciebeaucoup.

Soulagéqu'ellevoieleschosesainsi,Hankhochalatête.

Quelquesminutesplustard,sonpèrel'entraînaversl'écuriesous

prétexted'allervoirlespoulainsdel'année.Tandisqu'ilsse

dirigeaientverslesenclos,Harvmitlamainsurl'épauledeHank.

—Tuasdelachance!CetteCarlyestjoliecommeuncœuret

adorable,avecça.

Hankacquiesçad'unhochementdetête.

—Tucommencesàt'attacheràelle,hein?demandaHarv.

—Jel'aime,papa.

IlsatteignirentlaclôtureetHankposalesbrassurlebarreau

supérieur,lesyeuxdanslevague.

—Jesaisquec'estarrivétrèsvite,dit-il.Jel'aimetellementqueça

mefaitpeur.

—Çaveutdirequetessentimentsnesontpasréciproques?

—Elleveutseulementqu'onsoitamis,réponditHankensoupirant.

C'estunpasdanslabonnedirection,maisc'estloindecequeje

voudrais.

—L'amitiéestunbondépart,remarquaHarvens'appuyantsurla

barrièreàcôtédelui.Tulaferaschangerd'avis.

Hankn'enétaitpassisûr.

—Nousavonseuunelongueconversation,hier,etelleestplus

détendueavecmoiàprésent.Maisc'estleseulsigneencourageant.

—Letempsesttonallié.

—C'estvrai.Malgrétout,elleesttoujoursdéterminéeàmettrefin

aumariage.Elleprétendqu'ellen'estpasfaitepourvivredansun

ranch.

—Çaneconvientpasàtoutlemonde,admitHarv.Etriennedit

quec'estunenécessité.RegardeMolly,parexemple.Apremière

vue,Jakeetellen'ontpasgrand-choseencommun.Maisjeneme

souvienspasd'avoirconnuuncoupleplusheureux.

—Jenem'étaisjamaisrenducomptequetuétaissioptimiste.

Harvréfléchituninstant.

—Pourcequiestdesaffairesdecœur,jesupposequejesuisun

optimiste,eneffet.Regardetamère...J'aieulecoupdefoudrepour

elle.Pourtant,jen'auraispasputrouverunefemmeplusdifférente

demoi.

—Vousmesemblezparfaitementassortis.

—Onétaitcommelejouretlanuit,audébut.J'étaisunfêtardetje

buvaispasmal.Elleallaitàl'églisetroisfoisparsemaine,lisaitsa

bibleconstammentetjuraitqu'elleneselaisseraitjamaisembrasser

pardeslèvresquiavaienttouchéàl'alcool.

Hankémitunpetitrire.

—Jejuraiscommeuncharretier,poursuivitHarv.Ellenedisait

jamaisungrosmot.Lessixpremiersmoisdenotremariage,jene

l'aijamaisvuetoutenue.Quandonallaitsecoucher,elleéteignaitla

lumièreetsecachaitsouslescouvertures.

—Arrête,papa!Jesuisconvaincuquemamèreestencorevierge.

Laisse-moimesillusions.

Harvsefrottalamâchoire,unsourirerelevantlescommissuresde

seslèvres.

—Cequejeveuxdire,c'estqueladifférencedecaractèresn'estpas

forcémentunemauvaisechose.Tamèrem'afaitdécouvrir

beaucoupdechoses,etellem'aremissurledroitcheminparla

mêmeoccasion.Ellem'aquittéunefois,audébutdenotremariage.

Pendantpresqueunesemaine,sijemesouviensbien.Jem'étais

imaginéquej'allaispouvoircontinueràboireetàsortircomme

avant,mariéounon.Oh!jenel'aijamaistrompée!Jamais.Mais

ellen'enétaitpassûre.

—Jenesavaispasquemamant'avaitquitté.

—ElleétaitenceintedeJake,àl'époque.Elleavaitunventre

commeça,fit-ilavecungestedelamain.Çan'apasétéfaciledela

fairesortirdechezsonpère,jepeuxtel'assurer.Ellenepesaitguère

plusdecinquantekilostouthabillée,maisçaaétédurdel'attraper

sansluifairedemal,d'autantqu'elleétaitbiendécidéeànepas

venir.

Hankledévisagea,incrédule.

—Tul'asforcéeàrentreràlamaison?

—Ellenevoulaitpasrevenird'elle-même,réponditHarven

arquantunsourcil.Tamèreesttêtue,aucasoùtunet'enseraispas

aperçu.Ellenevoulaitpasm'écouter.Quandelleestpartie,j'étais

furieux.D'abord,jemesuisditqueçam'étaitégal,maisunefoisma

colèreretombée,j'aicomprisquejenepouvaispasvivresanselle.

Qu'est-cequejepouvaisfaire,sinonallerlachercher?Cepetitchat

sauvagem'acolléunœilaubeurrenoiravantquejeréussisseàla

calmer.

—Mamant'afrappé?

—J'enaivutrente-sixchandelles.

—Jenel'auraisjamaiscru!Mamann'estpasdugenreviolent.

—Entempsnormal,non.Maiselleétaitvraimentfâchée,ce

jour-là.Jecroisqu'ellem'auraitmisK-0sielleavaiteuquelques

kilosdeplus.

—Pasétonnantquegrand-pèreaiteuunedentcontretoi!

Harvéclataderire.

—Àcemoment-là,tongrand-pèresavaitcombienjel'aimais,

fiston.Quandjesuisarrivé,ilavaitdéjàmissesbagagesdevantla

porte.Ilm'aaidéàleschargerdanslepick-upendisantquetousles

jeunesmariésdevaientpasserparunepérioded'adaptationetque,si

jevoulaisgarderMary,ilvalaitmieuxquejem'ymetterapidement.

—Autrementdit,c'esttoiquidevaischanger.

—Elleafaitcertainscompromis,j'enaifaitbeaucoup,admitHarv.

Ons'estretrouvésquelquepartaumilieu.Mêmeaprèstoutesces

années,jenepourraispasvraimentdirecommentfonctionneson

cerveaulamoitiédutemps,etellediraitsansdoutelamêmechose

demoi.Lavieestpleinedesurprises.Çameplaît,etçaluiplaît

aussi.

—C'estdrôled'entendretoutça,remarquaHank,pensif.Jeneme

souvienspasdevousavoirentendusvousquereller,mamanettoi.

—Hé!Amaplace,tuteseraisdisputéavecelle?

Hankfeignitderéfléchir.

—Non,jenecroispas.Surtoutaprèscequetuviensde

m'apprendre.

Ilsseturentuninstant,sourianttouslesdeuxd'unairpenaud.

—Oùenétais-je?repritenfinHarv.J'aicomplètementoublié.

—Jecroisquetuessayaisdemedirequequelqueschangements

feraientpeut-êtrepencherlabalanceenmafaveur.Dansdes

circonstancesnormales,jeseraisd'accordavectoi,maisCarlyaun

problèmeaveclefaitquejesuisrancher.Unhommenepeutpas

changercequ'ilest.

—Non,maisilpeuts'emballerdepapiercadeau.

Harvtapotal'épauledeHanketseredressa.

—Tulaferaschangerd'avis,fiston.TuesunCoulter,non?

*

Uneheureplustard,ilsétaientprêtsàassisteraufeud'artifice.Le

pick-upétaitgaréauborddulac,leplateautournéversl'eau,leur

offrantlameilleurevuepossible.

CarlyétaitassiseavecHankàl'arrière,ledosappuyéàlacabine.Il

avaitapportédeuxcouvertures,lapremièrepourlesisolerdela

plate-formemétallique,etl'autrepourlesprotégerdufroidqui

accompagnaitlatombéedelanuitàcettealtitude.Àleurdroite,

RafeetMaggieKendrick,lebeau-frèredeBethanyetsafemme,

attendaientlespectacledanslamêmeposition,saufqu'ilsétaient

blottisl'uncontrel'autrecommedesjeunesmariés.Àgauchedu

pick-updeHank,BethanyetsonmariRyanétaientperchésàl'ar-

rièredeleurDodge,leurfilsSlydanslesbrasdeRyan.

—C'estamusantdeconnaîtretousceuxquisontgarésautourde

nous,remarquaCarly.

HankétrécitlesyeuxendirectiondesonfrèreJakeetdesa

belle-sœurMolly,quiavaientétaléunecouvertureauborddel'eau,

leurfilsGarrettprofondémentendormiàcôtéd'eux.

—Sil'ambiancecommenceàseréchauffer,tuvaspeut-être

changerd'avis.

Carlyplissalesyeux,puisgloussa.Elleavaitbeauvoirunpeuflou

deloin,ilnepouvaitluiéchapperqueJakeembrassait

passionnémentsafemme.

—Oh!

Hanksourit.

—Hé!Jake!Pasdeçaenpublic!

Jakesecontentad'inclinerl'angledesonStetsonpourbloquerlavue

àHank.Parsoucidediscrétion,Carlydétournaleregard,seulement

pours'apercevoirqueRafeetMaggieéchangeaienteuxaussiun

baiser.

—Oh!

Hanksemitàrire.

—Situesgênée,dis-le-moi.Jeteprêteraimonchapeau.

Ellejetauncoupd'œilàsonStetson.

—Etquelledifférencecelaferait-il?

—Tupourrasl'abaissersurtonvisagepourquepersonnenetevoie.

—Pasquestion.Jetiensàvoirlefeud'artifice.

—Tuesbieninstallée?

—Çava,àpartl'arêteenmétalquis'enfoncedansmesomoplates.

—Zut!dit-ilaprèsavoirregardéderrièreelle.Jesuisplusgrand;

ellenemedérangepas.

Soulevantlacouverture,ilreplialesgenoux.

—Assieds-toientremesjambes.Jefaisuntrèsbondossier.

Carlyhésita.

—Jesuisbiencommeça.

—Nedispasdebêtises.Viens.

Cen'étaitpasunebonneidée,songea-t-elle.Maisilcontinuaità

insister,etellenevoulaitpasqu'ilpensequ'elleavaitpeurde

s'approcherdelui.Elles'installadoncentresesgenouxécartés.

Aussitôt,ilpassaunbrasfermeautourdesataille,etellesursauta.

UnriresecoualapoitrinedeHank.

—Détends-toi.Noussommesentourésdegens...

Ilécartalesdoigtssursescôtes.

—Sijedevaistenterquelquechose,tucroisvraimentquejele

feraisici?

Pourautantqu'elles'ensouvenait,laprésencedetiersnel'avaitpas

gênéoutremesurelafoisprécédente.Sanervosités'accentuaencore

lorsqu'ilremitlacouverturesureux,cachantleursmainsdessous.

—Jeneferaipasdebêtises.Promis,assura-t-il.

Pourenêtresûre,Carlyposaunemainsursonpoignet,cequilefit

riredenouveau.

—Tunemefaispasconfiancepourunsou,n'est-cepas?

—Cen'estpaslaquestion,répondit-elle.

Lesmotsavaientjaillid'eux-mêmes,maisc'étaitlavérité.Elleen

étaitvenueàfaireconfianceàHank.Enrevanche,ellen'étaitpasdu

toutsûredepouvoirendireautantd'elle-même.Cettenuit-là,au

bar,elleavaitréponduàsescaressesavecunabandontotal,ses

inhibitionsbalayéesparlessentimentsqu'iléveillaitenelle.À

présentqu'ilsétaientplusprochesl'undel'autre,nerisquait-ellepas

deperdrelatêtedenouveau?

Ilretirasonchapeauetappuyalajouecontresescheveux.Carly

sentaitsonhaleineluichatouillerl'oreille.Envahieparune

délicieuselangueur,ellefermalesyeux.C'étaitfantastiqued'être

tenueainsiparlui,d'éprouverunetellesensationdesécurité.

ElleentenditBethanyglousser,puisletimbregravedelavoixde

Ryanparvintjusqu'àeux.Bethanyritdenouveau.

—Ryan,arrête!EtsiSlyseréveille?

—Nousaurionsdûnousgareràcôtédemesparents,grommela

Hankavecunsoupir.Quoique...Ilssontsûremententraindefairela

mêmechose.

Carlytrouvaitattendrissantdevoirdesgensmariésencoresi

profondémentamoureux.Ilssemblaienttoussiheureux,cequiavait

l'effetperversdel'emplirdetristesse.Connaîtrait-ellejamaisun

amoursemblable,ousimplementquelquechosequis'enapproche?

—Çava?demandaHank.

—Trèsbien,répondit-ellegaiement.

—Ilfaitnuit,maintenant.Lespectaclenevapastarderà

commencer.

Savoixrésonnaitdanssapoitrine,etdepetitesvibrationsse

répercutaientdanslesépaulesdeCarly.Souslacouverture,il

resserrasonétreinteautourd'elle.Puis,desamainlibre,illui

caressalebrasduboutdesdoigts,effleurantdesendroitssensibles

dontelleignoraitl'existence.Quandilatteignitsoncoudeetsemità

décriredepetitscercles,ellefrissonnaetretintungémissementravi.

Despenséesdangereusess'immiscèrentdanssonesprit-lavision

desmainsdeHanklacaressantpartout.

Elleétaitsurlepointdeluidemanderd'arrêterquandilyeutun

grondementsourdauloin,commeuncoupdecanon.

—Ah!Çayest,moncœur,murmuraHankcontresescheveux.

Tonpremierfeud'artifice.Régale-toilesyeux!

Leciels'illuminasoudaind'éclairsmulticolores,siéclatantsque

CarlyenoublialamanièredontHankl'avaitcaressée.

—Oh!C'estmagnifique!Oh!Hank!Regarde!

—Çateplaît,ondirait.

Ellesentitqu'ilsouriait.Ill'attiraplusprèsdelui,gardantlamain

sursescôtes.Carlysedétendit,leregardrivéaucieljusqu'àceque

lesdernièresfuséesaientéclaté.

—Jemesouviendraidecettesoiréejusqu'àlafindemesjours,

dit-elledoucementàHank.

—Moiaussi,murmura-t-il.Moiaussi.

Durantleweek-endférié,HankserenditcomptequelavuedeCarly

sedétérioraitplusvitequ'ellenevoulaitl'admettre.Lesamedi,au

déjeuner,ellevoulutprendresonverreetlerenversa.Plustarddans

lajournée,illasurpritentraindeplisserlesyeuxendirectionde

certainsobjets,commesiellecherchaitàlesidentifier.Ledimanche

soir,enpassantdevantlaporteentrouvertedesachambre,ilvit

qu'elleavaittendulebrasetregardaitsamain,fixantsesdoigts

écartés.Iln'osaitpasimagineràquelpointcedevaitêtreaffreuxde

savoirqu'elleseraitbientôtdenouveaudanslenoir.

Hankavaitprévudel'emmenerauzoodePortlandlemardi15,soit

lasemainesuivante.Entre-temps,ilnevoulaitpasqu'ellereste

cloîtréeauchalet,lenezdansunlivre.Elleavaitbesoindesortirun

peu,devoirdifférentsendroits,destockerdessouvenirs,aulieude

gaspillerdesheuresprécieusesàexerceruncortexvisuelqu'ellene

pourraitpeut-êtreplusjamaisutiliser.

Lemardimatin,ilallatrouverJakeàl'écurie.

—Ilfautquejeprennedescongés,annonça-t-ilàsonfrère.

Jakeinterrompitsatâcheetrefermalaportedubox.

—C'estlapériodelapluschargéedel'année,Hank,tulesais.

Hankretirasonchapeauetlefitclaquercontresajambe.

—Jesaisqueçatombemal,maisjen'aipaslechoix.Jeferaitoutce

quejepeuxici,maisilmefautlegrosdesjournées.

Aussibrièvementquepossible,ilexposalasituationàsonfrère.

—SaufpourPortlandetCraterLake,nousferonsdesexcursions

d'unejournée.J'aimeraisqu'ellevoieleplusdechosespossible

pendantqu'ilenestencoretemps.Mêmequelquesrandonnées

seraientmieuxquerien.Ellen'aprobablementjamaisvuunecas-

cadeoulesoleilsecouchersurl'eau.Jeveuxqu'elleaitces

souvenirs.

Levisagegrave,Jakeacquiesça.

—Jecomprends.Jemedébrouillerai.

—Merci.Jesaisquejetemetsdansunesituationdélicate,maisje

nepeuxpasfaireautrement.Acetteheure-cilasemaineprochaine,

ellepourraitêtreaveugle.Jen'aiaucunmoyendelesavoir.

—Vas-y.Jevaistéléphoneràpapaetluidemanders'ilpeutnous

donneruncoupdemain.Ilseracontentdes'occuperdeschevaux.

Net'enfaispas.

Hankhochalatête.

—Merci,monvieux.Àchargederevanche.

*

Carlyseservaitunverred'eauquandelleentenditlaported'entrée

serefermer.EllereconnutlerythmecaractéristiquedespasdeHank

quitraversaitlesalon.

—Carly?Oùes-tu,monchou?

—Ici,répondit-elleensortantdelacuisine.Quelquechoseneva

pas?

Illuiadressacesouriretranquillequinemanquaitjamaisdefaire

battresoncœurplusvite.

—Toutvatrèsbien,aucontraire,madameCoulter.

Ildésignasessandales.

—Metsdesbaskets.Nouspartonsenbalade.

—Où?

—Jenesaispasencore.Dansunendroitspécial.

Sonairespièglelafitsourire.

—Tunesaispas,maisc'estunendroitspécial?

—Jeprendsquelquesjoursdevacancespoursortiravectoi.

Carlycompritsonintention,etsoncœurseserra.

—Tunepeuxpasarrêterdetravailler.Nousavonstantdedépenses

àprévoir...

—Combiendefoisdevrai-jetediredenepast'inquiéterpourles

finances?Vamettreteschaussures,etprendsunpullaucasoù.Je

neveuxpasquetuattrapesfroid.

Toutexcitéeàlaperspectivedesortir,Carlysehâtaverssa

chambre.Ilsallaientenexcursion!Fantastique!Iln'yavaitsans

doutepasgrand-choseàvoirautourdeCrystalFalls,maisceserait

distrayantdetoutefaçon.

Cetaprès-midi-là,Hanklaconduisitdansledésert.Commeilgarait

lepick-upsurunepistepoussiéreuse,Carlyfixal'étenduedénudée,

sedemandantpourquoiils'étaitarrêté.Ellenevoyaitquedes

touffesdesaugeetdusableàpertedevue.

—N'est-cepasmagnifique?demanda-t-ildoucement.

Carlyserenditcomptequ'ilfixaitl'horizon.Ellesuivitsonregardet

nevitrienqu'unetachefloueetrougeâtre.Soncœurseserra.Ilavait

prisunjourdecongéexprès,roulépendantdesheuresetgaspilléde

l'essencepourluimontrerquelquechosedebeau,etellenelevoyait

pas!

Ellefaillitleluiavouer,maisenfutincapable.Illuiavaitfaitun

cadeau.Peuimportaitqu'ellenepuissepasl'apprécier,c'était

l'intentionquicomptait.

—Ohsi!C'estsuperbe,Hank.

—Lesformationsrocheusesparicisontextraordinaires.

—Eneffet.

—Celle-cis'appelleBonhomme.

—Ah,oui,jevoispourquoi,mentit-elleensentantsonregardsur

elle.

—Tupeuxdistinguersonvisage...ettout?insista-t-il.

—Hmm.

Elleseforçaàsourireethochalatête.

—Oui,eneffet.

Hank,quil'observaitattentivement,s'aperçutqu'ellementait.Non

qu'ellemanquâtd'aplomb,maisellen'avaitpasrougijusqu'aux

oreilles.Bonhomme,laformationrocheusedevanteux,ressemblait

effectivementàunhommeallongésurledos.Ondistinguait

clairementleprofildesonvisageàuneextrémité,sesorteilsàl'autre

boutet,quelquepartverslemilieu,unecertainepartiedeson

anatomiedresséeversleciel.

—MèreNatureestvraimentépatante,reprit-il,voulantenavoirle

cœurnet.Onjureraitquec'estunhommedebout.Jevoismêmela

boucledesonceinturon.

Carlysouritdenouveau.

—Tuasraison.Jelavoisaussi.

—Carly?

—Hmm?

Elletournaversluisesmagnifiquesyeuxbleus.Àlescontempler

ainsi,Hankavaitpeineàcroirequ'ilssoientaffectésparlamaladie.

Ilsétaientaussilimpidesquel'eaud'unesource.

—Tunevoisriendutout,n'est-cepas?

Sonvisagesedécomposa.Ellesemorditlalèvreinférieureet

secoualentementlatête,lesyeuxbrillantsdelarmes.

—Jesuisdésolée.Tuasfaittoutcecheminettuasprisdes

congés...Jesuisvraimentdésolée.

Elleétaitdésolée?C'étaitellequiallaitdeveniraveugle,bonsang,

paslui!Pourquoi?C'étaitsiinjuste!

—Ilfautqu'onparle,dit-ilfermement.Tun'aspasétéhonnêteavec

moiàproposdetesyeux.Sitavueabaisséàcepoint,pourquoi

n'as-turiendit?

Pâleettendue,ellefixaitlepare-brised'unairabsent.Hankse

demandajusqu'oùellevoyait.

—Je...jenesaispas.Jemevoilaislaface,jesuppose.

Elleserrasesmainsl'unecontrel'autre.

—Jemedisaisquecen'étaitpasencoretropgrave.Etsijen'airien

dit,c'estparceque...

Elles'interrompitetdéglutitavecpeine.

—Quandonditleschosestouthaut,ellessemblentdevenirplus

réelles.Cenesontplusdespeurssecrètes.Jenevoulaispasquece

soitvrai,alorsjemesuistueenespérantquetoutallaits'arranger.

Hankréprimauneenviefolledelaprendredanssesbras.

Ellebaissalatête,époussetasonjean,puistirasurletissucomme

pourenleverdespeluches.

—Etjemesenstellementcoupable...

—Coupable?Dequoi?

Elleseremitàfixerlavitre.

—Jesavaisdèsledépartquejedeviendraispeut-êtreaveugle

durantmagrossesse,maisjen'avaisjamaisimaginéqueçapourrait

allersivite.Certainesfemmesontdelachance.Jevoulaisêtreune

d'entreelles.

Hankcomprenaitparfaitementqu'elleaitnourricetespoir.Quine

l'auraitpasfaitàsaplace?Maisilnevoyaittoujourspaspourquoi

ellesesentaitcoupable.

—Ondiraitqueleschosesnevontpassepassercommeça,

reprit-elle.Toutlaisseàpenserquejevaisperdrelavuetrèsvite.Tu

vasteretrouvercoincéavecuneépouseaveuglependantunanau

moins.Jet'aiditunjourqueceseraittrèsdifficile,queles

non-voyantsonttoutessortesdebesoins.Tum'asaffirméquetout

iraitbien,maisjedoutequeturéalisesdansquoituasmislespieds.

—Tuveuxdirequetuaspeurd'êtreunfardeaupourmoi?

demanda-t-il,incrédule.

Ellehochalatête.

—Sij'avaissuqueçaarriveraitsivite,jen'auraisjamais...

—Arrête!

Hankluisoulevalementon,laforçantàleregarder.

—N'ypensemêmepas,monchou!Jesavaisàquoim'entenir

quandj'aifaitmonchoix.

—Commentpeux-tudireunechosepareille?Tun'asaucuneidée

decequit'attend!

Ellesedétournabrusquement.

—Lesplacardsdecuisine,parexemple.Encemoment,ilssont

rangésunpeun'importecomment,ettupeuxmettreleschoseslàoù

ilyadelaplace.Quandjeseraiaveugle,riennedevraêtredéplacé.

Rien.Etcen'estqueledébut.Tulaissestraînertesvêtementsettes

bottesunpeupartout,tutiresdeschaisesettunelesrepoussespas.

Quandj'auraiperdulavue,jenepourraipasvivrecommeça.

Hankn'avaitjamaissongéàl'ampleurdeschangementsquiseraient

nécessairespourqueleurarrangementfonctionne.

—Tun'auraspasàlefaire,affirma-t-il.Jevaisdevenirun

maniaquedurangement.

Elleeutunriretremblant,etHanksentitqu'elleétaitauborddes

larmes.

—Toi,unmaniaquedurangement?

—Jepeuxtrèsbienmodifiermeshabitudes.

—Jenevoulaispasteforceràvivrecommeçapendantdesmois.

—Sijemesouviensbien,jenet'aiguèrelaissélechoix.

—J'auraisdûtenirbonetrefuserdet'épouser.Tunem'aurais

jamaisprismonbébé,Hank.Maintenantquejeteconnaismieux,je

mesensidiotedet'enavoircrucapable.

Hanksourittristement.

—Tumeconnaisbien,alors?

—Oui.Tuesunamour,exactementcommeSugaretSunset.Etça

mefaitplusmalencoredelesavoir.C'estunechosequedecauser

dessoucisàquelqu'unquin'estpastrèsgentil.C'esttrèsdifférent

quandilserévèleêtreunedespersonneslesplusfantastiquesqu'on

aitjamaisrencontrées.

Qu'elleaitunesihauteopiniondeluibouleversaHank.

—Merci,dit-ild'unevoixrauque.C'estundesplusbeaux

complimentsqu'onm'aitjamaisfaits.

—Jesuistellementdésoléedetefaireça,murmura-t-elle.

—C'estlavie.Jedonneraistoutpourquetupuissesconserverla

vuejusqu'autermedetagrossesse,maisjen'aipasl'impressionque

çavaarriver.

—Non,admit-elled'unevoixtremblante.

—Celaétant,jeveuxquecertaineschosessoientclaires.Mêmesi

c'estdifficiledevivreavecunepersonneaveugle-ilsouritetlui

adressaunclind'œilafind'adoucirsesparoles-,jeneconsidérerai

pascelacommeunfardeau.Quoiqu'ilarrive,nousyferonsface.

—Ceneserapasfacile.

Riendecequienvalaitlapeinen'étaitjamaisfacile,songeaHank.

—Çaveutdirequeceneserapasennuyeux?demanda-t-il.Je

détestel'ennui.

Elleeutunrireému.

—Non.Ceneserasûrementpasennuyeux.

—Tantmieux.

Ilsseturentetseregardèrentlonguement.

—Jecroisqu'ilestimportantdegarderuneattitudepositive,

dit-elleenfin.

Hankétaitd'accord.Siquelqu'unavaitlaforcedetriompherdusort,

c'étaitbienCarly.

—Biensûr.Siladystrophiesecalmetoutd'uncoup,tuverras

peut-êtreencoreauneuvièmemois.

Illuifitunnouveauclind'œil.

—Saufpourcequiestdetesorteils,biensûr.Jetiensdesource

sûre-parmabelle-sœurMolly-quelesfemmesenceintesnevoient

pasleursorteilslestroisderniersmois.

Carlysemitàrire.

—Ça,c'estledernierdemessoucis.

—Jesais.

Illuipressalamain.

—Net'inquiètepas.Situperdslavue,nousorganiseronslamaison

enconséquence.Çaneprendraquequelquesjours.

—Onnedevraitpascommencermaintenant?

—Sûrementpas.Onadesattractionsàvoir!

—Jenepeuxpaslesvoir,Hank...,dit-elleendésignantl'horizon.

—Çaveutseulementdirequejedoism'approcherdavantage,

répondit-ilenmettantlecontact.

Commeils'élançaitàtraversledésert,Carlys'agrippaautableaude

bordenriant.

—Iln'yapasderoute!

—D'oùl'intérêtd'un4x4,monchou.Nousn'avonspasbesoinde

route.

Illuisourit.

—Jevaisallerlentement.Siçasecouetrop,dis-le-moi.

Carlydécollaitdetempsentempsdesonsiège,maiscelui-ciétait

confortablementrembourréetl'atterrissageétaitdoux.Mêmedans

lecascontraire,ellen'auraitpasdemandéàHankd'arrêter.Elle

allaitvoirlaformationrocheuse,malgrétout.

Quelquesminutesplustard,elledistinguaenfinlepitonenroche

ocrequisedétachaitsurlecielbleu.

—Oh!s'exclama-t-elle,sincère,cettefois.C'estmagnifique!Et

c'estvraiqu'ilressembleàunhommeétendusurledos.

Hankgloussa.

—Exactement.

Ellefixadenouveausonregardsurlesrochers.

—Jevoissesorteils,etsesgenoux...Oh!Ondiraitvraimentun

homme,n'est-cepas?ajouta-t-elleenrougissant.

—Oui,aucomplet.Maintenant,jesaisquetul'asvu.Tuestoute

rouge.

Delà,Hanksedirigeaversl'est.Aucrépuscule,ils'arrêtadansune

buvetteauborddelarouteetachetadessandwichsqu'ils

dégustèrentenregardantlesoleilsecouchersurledésert.Carly

avaitrarementvuunspectacleaussisplendide.Desflèchesde

lumièred'unblancétincelanttraversaientlesnuagesvaporeuxqui

s'accumulaientàl'horizon.Trèsvite,lecieltoutentierseteinta

d'unenuancemagnifiquedevieuxrose.

—Mercidem'avoiramenéeici,Hank.C'estmerveilleux.

—Profites-en,dit-ildoucement.Çanevapasdurerlongtemps.

Ilavaitraison;lecoucherdesoleilnedurapaslongtemps,maiselle

savaitqu'elleengarderaitlesouvenirjusqu'àlafindesesjours.

Commel'obscuritélesenveloppait,Hanksecalasursonsiègeet

demanda:

—Commentest-ce?

SavoixétaitrauqueetsiempreintedetristessequeCarlycomprit

aussitôtsaquestion.

—Cen'estpasencoretropgrave...C'estunpeucommeregarderà

traversunbrouillardouunevitreembuée.

Ilrestasilencieux,immobile,uneformenoiredansl'obscurité.

—Çaira,Hank.J'ail'habituded'êtreaveugle.

—Jesais,monchou.Jevoudraisseulementquelecielnous

accordeunmiracle.

—Illeferapeut-être.Sinon,jesaisqueceseraplusfacilecettefois.

Avant,jen'avaisjamaisvulecielnilesétoiles.Quandlesgens

parlaientd'unbeaucoucherdesoleil,jenepouvaispasl'imaginer.À

quoiressemblaitlerose?lebleu?Jen'enavaisaucuneidée.

Maintenant,j'auraitoutescesimagesdansmatête.

Hankavaitbienl'intentiondefaireensortequ'elleenvoie

davantage.

Desimagesdansmatête.Cesmotsrésonnèrentenluitoutaulong

dutrajetderetour.Ilnesavaitpascombiendetempsilluirestait.

Toutcequ'ilsavait,c'estqu'ilsallaientprofiterdechaqueseconde.

18.

Durantlerestedecettesemaine-làettoutleweek-endquisuivit,

Carlyeutl'impressiond'êtreunetouriste.Hankl'emmenafairede

longuespromenadesenvoitureafindeluimontrerlarégion-les

rivières,lesforêtsetleslacs,lespittoresquesbourgadesdes

collines,lesmontagnesausommetenneigé.Ilspique-niquaient

dansdesprairiesherbeusesparseméesdetrèfleetdepissenlit,et

faisaientensuitelasiestesurl'épaissecouverturequ'ilgardaitdans

lepick-up.D'autresfois,ilsdînaientdansdesrestaurantspano-

ramiquesafinqu'ellepuisseapprécierlavuetoutenmangeant.

PourCarly,c'étaituninterludemagiqueavantlatombéedelanuit-

untempsd'espiègleries,deriresetdeflirtssansconséquenceavec

unhommeincroyablementséduisantquinefaisaitjamaispression

surellepourobtenirdavantage.Ilssetenaientparlamain,faisaient

semblantdesechamailler,jouaientàchat.Sepromenaientdansla

forêtenregardantlesdessinsquefaisaitlesoleilsurlaterre.

Dansaientsansautremusiquequecelleduvent.

Parfois,

lorsqu'ils

trouvaient

des

sites

particulièrement

spectaculaires,ilss'asseyaientdansunendroitconfortableet

restaientlàuneheureouplus,savourantlabeautédupanorama.

Durantceshaltes,Hankluimontraitdeschosesqu'ellen'aurait

peut-êtrepasremarquées-lestachesd'unfaon,unécureuilcram-

ponnéàunebranche,desnuagesenformed'animaux.Detempsen

temps,illuiprenaitlamainetjouaitavecsesdoigts.Àd'autres

moments,ilpassaitnégligemmentunbrasautourdesesépaules,

caressantsapeauàtraversletissudesonchemisier.

Aprèsavoirexplorélesenvironsimmédiats,ilss'aventurèrentplus

loin,empruntantlapittoresqueroutenationale101pourserendreen

CalifornieduNordetvisiterRedwoodNationalPark.Delà,ilsse

rendirentàCraterLake,oùilspassèrentunejournéeàsepromener

surdemagnifiquessentiersderandonnée.

Aufildeleurspromenades,Carlyprenaitdeplusenplusconscience

duphysiquedeHank-sataille,sacarrure,lafaçondontlesmuscles

desondosetdesesbrastendaientsachemisequandilbougeait,le

balancementtranquilleetsoupledeseshanchesquandilmarchait.

Ellesesurprenaitàseremémorerlefameuxmatinoùilavaitposé

pourelleafind'illustrerl'alphabetetbrûlaitdelerevoirainsiune

dernièrefois.

EnquittantCraterLake,ilsserendirentaulacLemolo,louèrentun

petitchaletauborddel'eauetpassèrentlasoiréedanslecharmant

petitbarduvillage,àdégusterdeshamburgersetàdanserausondu

juke-boxjusquetarddanslanuit.

CarlyavaitpresqueoubliéàquelpointHankpouvaitêtreirrésistible

surunepistededanse.Durantsesballadesfavorites,ilchantaiten

chœuraveclamusique,etsavoixgraveetchaudesemblaitrésonner

enelle.Elleaimaitsentirsesbraspuissantsautourd'elle,sesmains

tendressursatailleousursondos.Elleaimaitdanseravecluisur

desmélodieslentes,surdesrythmeseffrénés...

Elleaimaittout.

Elleauraitvoulucapturerl'instantdansunebulleetlefairedurer

toujours-suivreleconseilque

Hankluiavaitdonnéunjour,etsaisirlavieàpleinesmains.

—Aquoipenses-tu?murmura-t-il,sesyeuxbleusplongeantdans

lessiens.Tuasl'airtrèssérieux.

Ellepensaitàdeschosesdangereuses,deschosesqu'ellen'osait

partageraveclui.Durantcesderniersjours,elleavaitbaissésa

gardeetl'impensableétaitarrivé;elleétaittombéefollement

amoureusedelui.

—Jesuisfatiguée,c'esttout.

Illuifitdécrireuncerclelent.

—Ehbien,petitemaman,quedirais-tusinousrentrionsnous

coucher?

Lorsquelamusiquesetut,ilréglal'addition,drapalepulldeCarly

sursesépaulesetlaguidaau-dehors.Unebrisefraîchesoufflaitsur

lelac,apportantl'odeurdel'eauetdessapins.Commeilspassaient

souslesbranchesbassesd'unarbre,CarlytirasurlamaindeHank

pourl'inciteràs'arrêter.

Uneseulefoisdanssavie,ellevoulaitpartagerunbaiserpassionné

avecluiauclairdeluneetvoirl'hommeséduisantquil'embrassait.

—Qu'ya-t-il?

Larequêteétaitlà,surleboutdesalangue.Veux-tum'embrasser,

Hank?Justeunefois?Medonnerunbaiserintime,profond,

enivrant.Unbaiserd'adieu,enquelquesorte.Puisellelevalesyeux

versluietsutqu'ellenepourraitjamaiss'arrêteraprèsunbaiser.Elle

voulaitdavantageet,sielleentrouvraitcetteporte,ellenepourrait

peut-êtreplusjamaislarefermer.

—Ecoute.N'est-cepasunsonmagnifique?

Ilinclinalatête.

—Leventquimurmuredanslesarbres,souffla-t-il.J'aitoujours

adorél'entendre.

Elleacquiesça,fixantavidementsabouche,sesouvenantdes

sensationsqu'ilavaitéveilléesenelleladernièrefoisqu'ill'avait

embrassée.

—Çava?demanda-t-il.

—Oui,çava,répondit-elleavecunsoupirensepenchant

légèrementenarrièrepourcontemplerleciel.Oh!Pasd'étoiles...

J'espèrequ'ilnevapaspleuvoir.

Hanklevalesyeuxàsontour.Lecielclairétaitconstelléd'étoiles

scintillantes,maisCarlynelesvoyaitpas.

—C'estjustequelquesnuages,mentit-il.Çavapasser.

—Oh!jel'espère!S'ilpleut,çavatoutgâcher.

—Ilnepleuvrapas,jetelepromets.

«Viens,mabelle,dit-ilenseremettantàmarcher.Ilesttemps

d'allertecoucher.Demainseraunedurejournée.

Ilsquittèrentlaroutegoudronnéepouremprunterunchemin

pierreux.Sentantqu'ellehésitait,Hankpassaunbrasautourdesa

taillepourlasoutenir.

—Faisattention.Leterrainesttrèsinégal.

Elles'appuyasurluidavantage.Dansleclairdelune,ilvitqu'elle

regardaitfixementdevantelle,lesyeuxécarquillés.Ilsavaitqu'elle

voyaittrèsmaldanslenoir.Demain,lesoleilinonderaitdenouveau

lemondedelumière,etellepourraitvoir.Peut-êtrepasclairement,

maiselleverrait.Bientôt,pourtant,lesoleillui-mêmenepourrait

plusl'aider...

Unefoisauchalet,Carlyrestaimmobileaucentredusalonetle

regardaavecdesquestionsdanslesyeux.S'ils'étaitagiden'importe

quelleautrefemme,Hankauraitconcluqu'elleluiadressaitune

invitationsilencieuse.

—Qu'ya-t-il?

Elles'entouralatailledesesbras,luiadressaunfaiblesourireet

secoualatête.

—Rien.

Elleétaitsibelle!Vêtued'unjeanetd'unchemisierblanctout

simple,lescheveuxébouriffésparlabrisenocturne,elleétaitsans

aucundoutepossiblelaplusjoliefillequ'ilaitjamaisvue.

—Jepeuxtedirequelquechose?demanda-t-il.

Unefossettecreusasajouelorsqu'ellesourit.

—Çadépend.Sic'estunemauvaisenouvelle,jeneveuxpas

l'entendre.Pourquoigâcherunejournéeparfaite?

Ilsemitàrireetbaissalatête.Quandillaregardadenouveau,elle

l'observait,attendantsaréponse.

—Tuessuperbe.Cen'estpasunmensonge,monchou,c'estunfait.

Ellelevalesyeuxaucieletrougit.

—Si,sérieusement.

Hankcomblaladistancequilesséparait.

—Ilfautquetusachesquecenesontpasdesparolesenl'air.

Illuisoulevalementonduboutdudoigt.

—Jenedispasçapourtedraguer.Nousavonsunarrangement,et

jenevaispasl'enfreindre.Jeveuxquetulesaches,c'esttout.Tues

sibelle!

LesyeuxdeCarlys'emplirentdelarmes.

—Merci.Tun'espasmalnonplus.

Ilavaitreçudescomplimentsplusflatteurs,maisaucund'euxne

comptaitplus,désormais.Seulecomptaitl'opiniondeCarly.

—Jenesuispasuneexperte,maistuesl'hommeleplusséduisant

quej'aiejamaisvu.

Ilneputs'empêcherderire.

—Combienenas-tuvu?

—Pasbeaucoupparrapportàlaplupartdesfemmes,maisjesuis

uneexperteenmatièred'auras.

—Dequoi?

—D'auras.

Saboucheesquissaunsourireespiègle.

—C'estl'essenced'unepersonne.Ellecréeunchampmagnétique

autourdesoi.

—Vraiment?

Entempsnormal,Hankauraitdéclaréquec'étaientdessottises,

maisCarlyavaitétéaveugletoutesavie.Ilétaittoutàfaitpossible

quesesautressenssesoientdéveloppéspourcompensersacécité.

—Etcommentestlamienne?

—Pleinedebonté,dit-elleenluicaressantdoucementlajoue.De

chaleur.Jemesuissentieensécuritéavectoilesoiroùjet'ai

rencontré.

—Vraiment?

Ellehochalatête,puisluieffleuraleslèvresduboutdesdoigts.

—C'esttoujoursvrai,murmura-t-elle.

Hankrestaunmomentfigésurplace,s'efforçantdedécrypterle

sensdesesparolestandisqu'ellesortaitdelapièce.Illasuivitdes

yeux,presqueconvaincuqu'ellevenaitdeluidonnerlefeuvert,et

sedemandantnéanmoinssisonimaginationneluijouaitpasdes

tours.Sielleavaiteucetteintention,ellen'auraitpasprislafuite

aussivite.

Ilmontalesmarchespeuaprès,toutenretirantsachemise.Que

diableavait-ellevoululuidire?

CarlyécoutalespasdeHankdansl'escalier,puissehâtad'enfilersa

chemisedenuitetdeseglisserentrelesdraps.Hankluiavaitlaissé

lachambredurez-de-chaussée,meubléed'unlitimmenseoùellese

sentaitaffreusementpetiteetseule,commeuntimbrecolléaubord

d'unegrandeenveloppe.Elletenditlamainpourlisserledrapàcôté

d'elle.Ilsemblaitsifroidautoucher!Toutcetempspasséavec

Hankavaitsérieusemententamésarésolution.Elleauraitvoulu

qu'ilsoitlà,prèsd'elle-elleauraitvoulurespirersoneaude

Cologneetl'odeurdesapeau,sentirsachaleurl'envelopper.

Avait-elleperdulatête?Non,décida-t-elle.Jamaisaucontraireelle

n'avaitétéaussilucide.Enfin,enfin,elleavaittrouvéunprince

charmantet,commeuneidiote,ellerefusaitl'occasionquiluiétait

offerte.

C'estmaintenantoujamais,luisoufflaitunepetitevoixdanssatête.

Quandtuferasl'amouravecunhommepourlapremièrefois,ne

voudrais-tupaslevoir?

Pourquoifallait-ils'inquiéterdel'avenir?Hankluiavaitditdesaisir

lavieàpleinesmains.Etsil'interventionsuivantedevaitéchoueret

qu'aucunhommeneluiaccordeplusjamaisunregardparcequ'elle

étaitaveugle?Ellevoulaitavoirquelquessouvenirsàchériren

vieillissant,avoirconnul'extaseentrelesbrasd'unhomme.

Qu'yavait-ildemalàcela?Pourl'instant,ilsétaientmariésetelle

n'avaitmêmepasàs'inquiéterdetomberenceinte.Hanketelle

savaientqu'ilsfiniraientparmettreuntermeàleurmariage.

Pourquoinepasprofiterdutempsquileurétaitaccordé?

Carlyrepoussalescouvertures,selevaetrestaimmobile,hésitante,

frissonnantdanslenoir.Ellesetraitadelâche.Querisquait-elle,à

partessuyerunrefus?Résolument,ellesortitdanslecouloir.Au

pieddel'escalier,ellefutdenouveauassaillieparledoutemaiselle

rassemblasoncourage,fermalesyeuxpournepastrébucheret

montalesmarches.

Surlepointdes'endormir,Hankentenditunbruitetroulasurlecôté

pourscruterl'obscurité.Carlysetenaitaumilieudelachambre,une

vastepièceauplafondmansardéavecdeuxlitsjumeaux,uncontre

chaquemur.Elleserraitlespoingsetredressaitlementon,commesi

elles'apprêtaitàlivrerbataille.

—Hank?

Craignantqu'ellenesoitmaladeetsefélicitantd'avoirgardéson

caleçon,ilseredressa.

—Tuasmalauventre,moncœur?demanda-t-ild'unevoix

ensommeillée.

—Non,jemesenstoutàfaitbien.C'estjustequejenepeuxpas

dormir.

—Descendons,suggéra-t-ilensefrottantlementon.Jevaiste

préparerquelquechose.Dulaittiède,peut-être?

—Jeneveuxpasdelaittiède.

—Oh!

Ilcillaets'assit,cherchantàfocalisersonregard.

—Danscecas,qu'est-cequetuveux?

—Dusexe.

Hankn'enavaitpasdanslefrigo.

—Tupourraistecontenterdelaitchocolaté?

—Quoi?

—Jen'aipasde...

Ilétaitsurlepointdedire«sexe»quandsoncerveauseremitenfin

àfonctionner.Ilcilladenouveau.Ilavaitmalcompris,forcément.

UnefemmecommeCarly,timide,méfiante,inexpérimentée,

n'entraitpassansprévenirdanslachambred'unhommeen

demandantdusexe.C'étaitcommedansunfilmou...enfin,bref,ces

choses-làn'arrivaientpasdanslavraievie.Ils'éclaircitlagorgeetse

grattalatempe.

—Qu'est-cequetuasdit?

—Quand?

—Tuvoulaisquoi?

—Dusexe.

Ilhochalatête.Bon.Iltirasurlelobedesonoreille,sedemandant

s'iln'avaitpasfaitcoulerdel'eaudanssesoreillesquandils'était

douchécematin-là.

—Tuveuxrépéter?

Elleémitunlégersoupirdefrustration,tournalestalonsetsortitde

lachambre.

—Laissetomber.Jenesaispasàquoijepensais,dit-elleavantde

sedirigerversl'escalier.

Elles'arrêtapouragripperfermementlarampeavantd'entamersa

descente.Clouésurplace,Hanklasuivitdesyeux,bouchebée.

Avait-elledit«sexe»?Ilessayadetrouverd'autresmotsqui

sonnaientpareil.Mex,tex,dex...aucunn'avaitlemoindresens.

Elleavaitdit«sexe».

Ilsautadesonlitetétaitarrivéàmi-escalierquandilsesouvintqu'il

neportaitquesoncaleçon.Demi-tour.Oùavait-ildoncposéson

pantalon?Iltrébuchasursesbottes.Trouvasachemise.Lâchaun

juron.Samaintombaenfinsurlejean.Ilenfilaunejambe,puis

sautillasurplace,cherchantl'autre.Etpuiszut!Ilressortitdela

chambre,lejeanàmoitiéenfilé.

—Carly?Monchou?

Dusexe.Elleavaitditqu'ellevoulaitdusexe!Ilparvintenfinà

calersonpieddansl'autrejambe,etfaillitfaireunsautpérilleux

dansl'escalier.Ilserattrapadejustesseàlarampeetfinitdemettre

sonpantalon.Sonappareilgénitaletsoncaleçonétaientcoincés

d'uncôtédesabraguette.

Ils'arrêtadevantlachambredeCarlypourserajuster.

—Carly?

—Va-t'en.

Sûrementpas!Hankpoussalaporteetentradanslapièceavec

précaution.Elleétaitrecroquevilléesouslescouvertures.

—Jesuisdésolé.Ilmefauttoujoursunmomentpouravoirlesidées

clairesquandjemeréveille.

Dusexe.Pasd'erreurpossible.Elleavaitvraimentdit«dusexe»!

Ellenebougeapasetneleregardapasdavantage.Ils'approcha.

—Carly?

—Quoi?

Lefrontbarréparunpli,elles'assitdanslelit,tirantlesdrapssursa

poitrine.

—As-tuditcequejecroisquetuasdit?

Sesyeuxétaientd'immensessphèreslumineusesdanslerayonde

lunequifiltraitparlafenêtre.

—Etsijel'aidit?

Hanksefrottalajoueens'efforçantdechoisirsesmotsavecsoin,ce

quin'étaitpassimplecomptetenudufaitqu'ilavaitl'impression

d'avoirdesœufsbrouillésàlaplaceducerveau.

—Ehbien,jedirais...biensûr.

Ilgrimaça.

—Jeveuxdire...enfin,ouais.

—C'esttout?Enfin,ouais?

Ils'assitauborddulitetprituneprofondeinspiration.Soncœur

cognaitencoreàtouteallureaprèsqu'ilavaitfaillisecasserlafigure

danslesmarches.

—Onpeutrevenircinqminutesenarrière?

—J'aimeraismieuxpas.Çan'apasétéundemesmeilleurs

moments.

Hanképrouvaunesoudaineenviederire.

—Jepourraisendireautant.

Carlylissasescheveuxdesesdoigtstremblants,puisellesoupiraet

sesépauless'affaissèrent.

—Jenesaispascequim'estpasséparlatête.Jepensais...tusais...

auxpossibilités...Etsanssavoircomment,jemesuisretrouvéeen

haut.

—Aquellespossibilités,aujuste?

—Toietmoi...Nousnoussommestellementamusés,cesjours

derniers.Çaparaîtdommagedenepasprofiterpleinementdutemps

quenousavonsensemble.

Là,elleavaitcentfoisraison.C'étaitcriminel,même.Elleétaitsi

bellequ'ilenavaitmal.

—Riendepermanent,biensûr,reprit-elle.Nousresterionsamis.

Pasquestiondetoutembrouilleravecdessentiments.Ceserait

juste...tusais...dusexe.

Àprésentqu'ilavaitcomprisexactementcequ'ellevoulait,Hank

sentitladéceptionl'envahir.Curieusement,sanssentimentspour

toutembrouiller,l'offresemblaitendécalageaveccellequila

faisait.Carlyn'étaitpasdugenreàavoirdesaventuressans

lendemain.Ellenel'avaitjamaisété.Iln'allaitpascommettredeux

foislamêmeerreur.

—C'esttoutcequetuveux?demanda-t-ildoucement.Dusexe?

Elleacquiesça.

—J'aimeraisquecesoitromantique,évidemment.Tupeuxfaireen

sortequecesoitromantique?

Lademandeenelle-mêmeendisaitpluslongàHankqueCarlyne

pouvaits'endouter.Ilétudiasonvisageovale,sesbeauxyeuxet

devinaqu'iln'étaitpasleseulàêtretombéamoureux.Sinon,ellene

luiauraitjamaisfaitcetteproposition.

Oh!ilauraitdonnécherpouraccepter!Aulieudecelailsereleva,

résoluàfaireleschosescorrectement,cettefois-oupasdutout.

—Jesuisdésolé.Sic'estuncorpscomplaisantquetuveux,vaen

trouverunenville.

Elleluidécochaunregardincrédule.

—Quoi?

—Tum'asentendu.Jesuisamoureuxdetoi.C'estfait,jenepeux

pasrevenirenarrière.Sinousallonsplusloindanscetterelation,je

neferaiquememettredansunesituationpluspénible,etj'auraile

cœurbriséquandtupartiras.

—Oh!Hank!murmura-t-elle.ÔmonDieu!

—Désolé.Jesaisquetomberamoureuxnefaisaitpaspartiedu

contrat,maismoncœurn'étaitpasd'accord.Jeseraisravidete

rejoindredanscelit,dit-ilenenfonçantlesmainsdanslespoches

pournepascéderàlatentationdelatoucher.Situm'offrais

davantage,unechancedevivreavectoi,jediraiscentfoisoui.Mais

cen'estpascequetuenvisages,oujemetrompe?

—Non,avoua-t-ellefaiblement.Çanepourraitjamaismarcher

entrenous.

—C'esttonavisetjepensequetuastort.Quanddeuxpersonnes

s'aiment,ellespeuventveniràboutdepresquetouteslesdifficultés.

—C'estunebelleidée,maispastrèsréalisteencequinous

concerne.

Illacontemplaavectristessependantunlongmoment,puisse

retourna.

—Oùvas-tu?

—Dansmachambre.

Surleseuil,ilmarquaunepauseetlaregardaencore.Ilavaitété

d'unehonnêtetébrutale,saufsurunpoint:ilsentaitdéjàsoncœurse

briser.

—J'aidittoutcequej'avaisàdire.C'esttoutourien.

—Attends!dit-ellecommeils'apprêtaitàsortir.

—Qu'ya-t-ilàajouter?demandaHankens'arrêtant.Noussommes

auxantipodesl'undel'autresurcepoint.Tutiensdurcommeferà

cequenousfassionsnotreviechacundesoncôté,jeveuxqu'on

resteensemblepourtoujours.Tunevoisquedesproblèmes,jene

voisquedessolutions.Jenecroispasquenouspuissionsaboutirà

uncompromis.

—Enfindecompte,jeseraiaveugle,protesta-t-elleavecungeste

d'impuissance.As-tulamoindreidéedessommesqu'ilfaudrait

dépenserpourquelesenvironsimmédiatsduchaletnesoientpasun

dangerpourmoi?Sansparlerdufaitquejeseraiscoincéeauranch,

loindetoutmoyendetransport.Jenepourraispasallertravailler.

Ceseraitunesituationimpossible!

—Difficile,pasimpossible,rectifia-t-il.Letransportn'estpasun

problèmeinsurmontable.Sijenepouvaispasteconduireenville,

undenosemployéspourraits'encharger.

—Jedépendraistoujoursdequelqu'unpourtout.Tuimaginesce

quej'éprouveraisàvivreainsi?

—Enville,tudépendraisd'unconducteurdebus,répliquaHanken

s'adossantaumontantdelaporte.Quelledifférencecelafait-il?Tu

n'aimesdépendredepersonne,n'est-cepas?

—Tudisçacommesic'étaituncrime.

—Plutôtuneobsession.Tut'esbattuetoutetaviepourêtre

indépendante.Maintenant,jetedemanded'entrerdansunesituation

oùl'indépendancetotaleestpeut-êtreimpossible.

—Iln'yapasdepeut-être.Jenepourraismêmepasallerfairedes

coursesausupermarchétouteseule.

—Est-cevraimentsiimportantpourtoi?demanda-t-il,arquantun

sourcil.Beaucoupdecouplesfontlescoursesensemble.

—Cen'estqu'unexemple.Nedéformepascequejedispourme

fairepasserpourlaméchantedel'histoire.Jeterendsservice.Si

nousrestionsensemble,jeseraisunbouletpourtoi,une

responsabilitédetouslesinstants.

—Unadorableboulet,répondit-il,etuneresponsabilitéqueje

chériraischaquejour.

—Tudiscelamaintenant,maistufiniraisparm'envouloir.Etcela

tecoûteraitunefortuned'aménagerleranchpourqu'ilsoitadaptéà

uneaveugle.

—Nouspourrionsimproviserjusqu'àl'étéprochain.Après,sitout

vabien,nousauronsdesannéesdevantnouspourfairetoutesles

améliorationsnécessaires.

—Etsitoutnevapasbien?Queferons-nousalors?

—Noustrouveronsunesolution.J'emprunteraidel'argentsi

nécessaire.Jeferain'importequoi.Jet'aime.Jeveuxqueturestes

dansmavie.

—Mêmesiçaveutdiret'endetterjusqu'aucou?Tupourraisfinir

commetonpère,avecunranchenfailliteetunfilsquit'envoudra

parcequ'ilnepourrapasalleràl'université.C'estcequetuveux?

Voirtoustesrêvesréduitsànéant?

—Monrêve,c'estd'êtreavectoi.Quantàêtrecommemonpère,ce

neseraitpassimal.C'estquelqu'undebien.

—Jen'aipasditlecontraire.Jevoulaisseulement...Oh!tantpis!

Tun'espasréaliste.As-tujamaiseulemoindrecontactavecdes

aveugles?

—Non.

—Jen'airienàajouter.

Hankseredressa.

—Tunesemblespasavoirunetrèshauteopiniondemoi,

répondit-il,lacolèreperçantdanssavoix.Tucroisvraimentque

messentimentspourtoipourraientchangerjusteparcequelavieest

difficile,quejecesseraidet'aimeraupremierobstaclevenu?Jene

suispascegenred'homme.

Ellesecouvritlevisagedesesmains.

—Jesais,Hank.C'estjustementleproblème.Tunecomprends

doncpas?Tuendureraistoutcela,maisjemesentiraiscoupable

d'avoirgâchétavie.

—Tum'aimes?demanda-t-ilàvoixbasse.

—Non,dit-elle,lesondesavoixétoufféparsesmains.

—Regarde-moiquandtuledis,bonsang!

LesbrasdeCarlyretombèrent.Sonexpressionétaitdevenue

totalementneutre,commesiellecontrôlaitavecsoinchacundeses

muscles.Hormissesyeux.Ilsnepouvaientmentir.Hanksoudason

regardausieneteutsaréponse.Ils'avançaverselle.

—Jenesuispasleseulàêtretombéamoureux.

Elleselaissaallerenarrièreettirasurledrap,leremontantjusqu'au

menton.

—Tuesfou.

—Peut-être,maistantmieux.

Ils'arrêtaaupieddulit,plantalesmainssurseshanchesetlatoisa.

—Çachangetout.Situm'aimesetquejet'aime,ilestimpossible

quelesexeentrenousn'aitaucunsens.

—Jenet'aimepas.Jenepeuxpast'aimer!Tun'espasl'homme

qu'ilmefaut,etjenesuispaslafemmequ'iltefaut.Jenet'aimepas,

unpointc'esttout!

—Cen'estpasunedécisionquel'onprend,Carly.C'estun

sentiment.Tunepeuxpasleforcer,etcertainementpaslenier.

Oubliel'impactqu'ilpeutavoirsurmavieetréponds-moi.Tu

m'aimes?

—Laisse-moi.

Ellesetournasurlecôté,luiprésentantsondos,ledrapla

recouvrantcommeunlinceul.Hanks'assitàcôtéd'elle,fixantsa

nuque,songeur.Puisillongeasacolonnevertébraleduboutdu

doigt.Ellesursautacommesielleavaitreçuunedécharge

électrique.

—Arrête!dit-ellesèchement.

Ileutunpetitsourireetrecommença.Mêmeréaction.Ilyvitun

signeencourageantettirabrusquementsurledrap.Elleseretourna

d'unbondpourluifaireface.

—Qu'est-cequetufais?

—J'explorelespossibilités.

—Nousvenonsd'arriveràlaconclusionqu'iln'yenapas.

Iltenditlamainpourluicaresserlajoue,maiselleluidonnaune

petitetape.

—Jet'aiditd'arrêter.

—Pourquoi?

—Parceque!

—Réponseévasive.Donne-moiuneraison.

—Iln'yapasd'avenirpournotrerelation.Tuveuxqu'onreste

ensemblepourtoujours.Jenepeuxpastepromettrecela.

—Peux-tumepromettred'essayer?

—D'essayerquoi?

—Pourtoujours,répondit-ildoucement.Sanscondition.Siles

chosestournentmaletquenousnepouvonspasyremédier,jenete

forceraipasàrester.Enrevanche,sinouspouvonstrouverune

solution,lapromessetient.Qu'endis-tu?

LesyeuxdeCarlys'emplirentdelarmes.

—Tun'asaucuneidéedecequ'estlavieavecuneaveugle.

—Laisse-moiledécouvrir.

—Tuesfou.

—Foudetoi.

—J'aipeurquetunefinissesparmehaïr.

—Jamais.Quandtudeviendrasaveuglepourdebon,quecesoit

danscinqansoudanstrente,jeveuxêtreceluiquitetiendraparla

main.Celuiquitedessineraavecdesmotslescouchersdesoleilou

lespremièreslueursdel'aube.Celuidonttuconnaîtraslevisage

sansavoireuàlemémoriserduboutdesdoigts.Quandnotreenfant

sortiradel'université,jeveuxêtreàtescôtés.Jeteregarderaien

pensantquetuasétéleplusbeaucadeauquelaviem'aitoffert.Etje

remercierailecielquetusoisrestéeavecmoi.

Sagorgesenoua.

—Tusaispourquoi?Parceque,situt'envas,quelquechoseenmoi

mourra,CarlyJane.Tusemblest'imaginerquejepeuxsimplement

déciderdenepast'aimer,quejetrouveraiquelqu'und'autre.Eh

bien,laisse-moitedireunechose.LesCoulternesontpasainsi.

Quandnousaimons,nousaimonsdetoutesnosforcesetnousne

changeonspasd'avis.Jamais.

—Oh!Hank!murmura-t-elled'unevoixtremblante.

—Donne-moiun«peut-être»,supplia-t-il.Dis-moiquetu

essaieras.Est-cevraimenttropdemander?Dis-moiseulementque

turesterasavecmoiaussilongtempsquetupourras.Nousprendrons

chaquejourcommeilviendra.

—Situsavaisàquelpointj'aienviededireoui!Situsavais...

Hankétaitàdeuxdoigtsdelarejoindredanssonlit,maisilfallait

laisserdutempsautemps.S'ilsneparvenaientpasàunesorte

d'accord,elleseraittropbouleversée,tropinquiètepour

s'abandonnerdanssesbras.

—Situveuxdireoui,qu'est-cequiteretient?

—Ilfautquetumepromettesquecesera«sanscondition»dans

lesdeuxsens.Ilfautquejesachequetuneresteraspasavecmoipar

devoir.Sinon,Hank,jenepeuxpaspromettred'essayer.

—Jetejurequejeneresteraipasavectoipardevoir,promit-il

sincèrement.

Ceseraitl'amourquilelieraitàelle,riend'autre.

—Tuasmaparole.Sinousenarrivonslàunjour,chacunreprendra

sesbillesetnouspartironschacundenotrecôté.

—Trèsbien,murmura-t-elleenfin.J'essaierai.

Lesoulagementdéferlaenlui.Ils'allongeaàcôtéd'elle,tremblant

detoussesmembres.Enroulantunbrasautourdesataille,ill'attira

verslui.Ilessuyaleslarmessursesjoues,embrassaleboutdeson

nez.Sescilshumidesserelevèrent,révélantdesyeuxquibrillaient

commeduvif-argentauclairdelune.

—Jet'aime,CarlyJane.Jepensequetum'asvolémoncœurà

l'instantoùjet'aivue,maisj'étaistropivrepourm'enrendrecompte.

Ellenoualesbrasautourdesoncouets'agrippaàlui.

—Tupourraisavoirn'importequellefille.Jenevoulaispas...

Illuiembrassalescheveux.

—C'esttoiquejeveux.Quantàavoirl'intentiondetomber

amoureux,leschosesnesepassentpascommeça.L'amourvous

prendparlapeauducou.

Ellerit.

—C'estromantique,commepointdevue!

Ilsouritetresserrasonétreinteautourd'elle.

—Tuvoulaisquejesoisromantique,non?

Savourantladouceurdesoncorpspressécontrelui,ilenfouitle

visagedanssescheveux.

—Jet'aime,Carly.Net'inquiètepas,d'accord?Ensemble,nous

pouvonstoutconquérir.

Ellefrissonnatandisqu'ilpromenaitleboutdelalanguesurson

oreille,mordillantlelobedélicat.

—Oh!Hank!Moiaussi,jet'aime,murmura-t-elle.Jet'aime.

Ilreculalégèrementpourouvrirlesboutonsdesachemisedenuit.

—Jeneseraipeut-êtrepastrèsdouéeaudébut,l'avertit-elle.Je...je

n'aipaseubeaucoupd'expérience.

Ilscrutasonvisage.

—Tuesnerveuse?

—Unpeu.

Hankvoulaitquecettenuitsoitparfaitepourelle.

—Cequ'ilnousfaut,dit-il,c'estuneentréeenmatière.

—Pardon?

—Uneentréeenmatière.Aulieudenousprécipiter,oublionsle

sexepourl'instant,etprenonsplaisiràêtreensemble.

Carlyparutsoulagée,puisellefronçalessourcils.

—Etquandferons-nousl'amour?

—Quandlemomentseravenu.

Danssalonguechemisedenuit,elleressemblaitplusquejamaisà

unange.Hankeffleurasescheveux,puissonbras,avecl'impression

d'êtresurlepointdecommettreunsacrilège.

Elleeutunsourirehésitant.Illuminéeparleclairdelune,elleétait

exquiseetpresqueirréelle.Illuisoulevadoucementlementonetlui

donnaunbaiserlégersurlabouche.Seslèvresétaientaussidéli-

cieusesquedanssessouvenirs-timidesmaisoffertes,douces,

chaudesethumides.Ilposaunemainsursahancheetlasentit

frémiràsoncontact.

LarespirationdeCarlydevintrapide,heurtée.Ellenepouvait

s'empêcherdepenseràleurpremièreétreinteetsesentaitunpeu

angoissée.LorsqueHanksepenchadenouveaupourl'embrasser,

ellelevalamaindansl'intentiondelemaintenirà

distance,maisquelquepartentrelapenséeetl'action,elles'égaraet

enfouitlesdoigtsdanssescheveuxépaisetsoyeux.

Délicatement,ileffleuraseslèvresdessiennes.Leurssoufflesse

mêlèrent.EnivréeparlegoûtdeHank,Carlyretintsarespiration,

maisilcontinuaàcaresserdoucementsabouchesanschercherà

approfondirlebaiser.Ellefermalesyeuxetlesangcommençaà

courirdanssesveines,lourdcommedumiel.

—Hank?

Ilinclinalatêteetluimordillalalèvreinférieure.

—Oui?

Carlyn'avaitaucuneidéedecequ'ellevoulaitaujuste,maiselle

voulaitquelquechose.Ellepromenalesmainssursesépaules,sur

sapeaulisseetchaude,sursesmuscles.Lapuissanceretenuequ'elle

sentaitsoussesdoigtsfitbattresoncœurplusvite.

—Tuessibelle...,murmura-t-il.Siincroyablementbelle.Jamaisje

n'aidésiréunefemmeautantquetoi.

Commes'ilcherchaitàmémoriserlescontoursdesonvisage,il

promenaleslèvressurl'arcdesessourcils,l'arêtedesonnez,la

courbedesajoue,lalignedesamâchoire.Àchaquecaressedesa

bouche,Carlyavaitl'impressionderecevoirunchocélectrique.

Soudain,illapritdanssesbrasetroulasurledos,l'asseyantà

califourchonsurlui.Carlylaissaéchapperunpetitcridesurprise.

Sachemisedenuitétaitremontéesursescuisses.Hankluiadressa

unlentsourireetlevalamainpourattraperunemèchedecheveux

sursapoitrine.Ellesentitsonmamelonsedurciraucontactlégerde

sesdoigts.

—J'adoretescheveux,dit-il.Tescheveuxettesyeux.Cesontles

premièreschosesquej'airemarquées.

—Vraiment?

—Tuesencorenerveuse,constata-t-ilavecunsourire.Nelesois

pas.Pasavecmoi.Jeneteferaiplusjamaismal.Tulesais,n'est-ce

pas?

Elledéglutitethochalatête.

—Oui.Je...euh...C'estjusteque...

—Tuesnerveuse?

Elleéclataderire,hochantlatêtedenouveau.

Cessantdejoueravecsescheveux,ilmitlesmainssursescuisses

nues.Ellefitunbondetluisaisitlespoignets.

—Détends-toi,dit-ildoucement.

Illacaressalentementduboutdesdoigts.Sespoucesdescendirent

versl'intérieursensibledesescuisses,décrivantdepetitscercles

tentateurs.Unefoisdeplus,lecœurdeCarlysemitàtambouriner

danssapoitrine.

Lorsqu'ilremontasachemisedenuit,elleserenditcompteavec

consternationquesesfessesnuesétaientpresséescontrelejeande

Hank.Ellesedemandas'ilenavaitconscience,décidaqueoui,et

rougitjusqu'auxoreilles.

—Ladeuxièmechosequej'airemarquée,c'esttesjambes.Pasde

doutelà-dessus,moncœur.Tuaslesplusjoliesjambesquej'aie

jamaisvues.

Ilcontinuaàlesexplorertoutenparlant,sesmainsremontant

imperceptiblementpourtracerlecontourdeseshanches.Carlyavait

dumalàrespirer.Elleluitenaittoujourslespoignets,maiscelane

paraissaitpasrestreindresesmouvements.

—Tapeauestdouceetlisse...,murmura-t-ild'unevoixrauque.

Illibérasespoignetsetempoignalachemisedenuit.

—Jeveuxtevoirtoutentière.

—Jepensais...

Elledéglutitetseclaircitlavoix.

—Jepensaisquenousavionsdécidéqu'ilnousfallaituneentréeen

matière.

Hanksouritetfitremonterlachemisedenuitplushaut.Lecoton

s'accrochaauxmamelonsdurcisdeCarly,etlasensationluicoupa

lesouffle.Ils'assitbrusquement,laprenantparsurprise.Des

frissonsélectrisantslatraversèrentdespiedsalatête.

—Lèvelesbras,chuchota-t-il.

D'unmouvementfluide,ilfitpasserlevêtementpar-dessussatête.

Enserallongeant,illelançaparterre,puispromenalonguementson

regardsurelle.Partoutoùseposaientsesyeux,lapeaudeCarly

devenaitbrûlante.C'étaitcommeuneexquisetorturequifaisait

monterlachaleuraufondd'elle.

—Tuesabsolumentparfaite.

Duboutdesdoigts,iltraçalacourbedesataille,;échelledeses

côtes.Quandilatteignitsesseins,ilencaressalégèrementle

dessous,laissantCarlysursafaim.L'instantd'après,ilavaitremis

lesmainssursescuisseseteffleuraitlesbouclesàleursommet.

Ilécartalesplissoyeuxdesachairettouchaunendroit

délicieusementsensible.Carlyretintuncriettressaillit.Ilsouritet

continuaàlacaresser,latitillantduboutdudoigt.Jamaisellen'avait

rienéprouvédetel.Lachaleurs'intensifiaaufondd'elle;desrubans

desensationss'enroulaientdanssonbas-ventre.

Lorsqu'ils'arrêtatoutàcoup,elleserenditcomptequ'elles'était

arquéeverslui.Ilseredressaeteffleuraduboutdelalanguela

pointedresséed'unsein.Puisillapritdenouveauparlatailleet

roulaavecellesur!elit,s'étendantsurelle,cettefois.Baissantla

tête,illuidonnaunbaiserlentetprofond.

Carlyenfouitlesmainsdanssescheveux,s'aban-donnantaux

sensationsetàl'hommequilatenaitentresesbras.Hank.Commela

premièrefoisqu'ill'avaitembrassée,elleéprouvaitledésirintense

desefondreenlui.

—Hank,murmura-t-ellefiévreusement.Ohoui!

Illuisaisitlespoignetsetluifitleverlesbras.

Puisilreculaunpeupourmieuxlacontempler,sesyeuxlaissantun

sillagebrûlantsursoncorpstoutentier.

—Nousn'allonspasnousprécipiter,dit-ild'unevoixrauque.Pas

cettefois.

Ilpressaleslèvressousl'oreilledeCarly,mordillantlapeaujusque

danslecreuxdesoncou,attisantencoresonexcitation.Lorsquesa

boucheardenteserefermasurunmamelon,ill'aspirad'uncoupsec,

puiseneffleuradesdentslapointepalpitante.Tendueverslui,Carly

laissaéchapperunsanglotdeplaisir.Ilnouasesdoigtsauxsiens,

l'obligeantàgarderlesbrasau-dessusdesatêtependantqu'il

mordillaitetsuçaitsestétons.Quandelletentadesedégagerpourle

caresseràsontour,iltintbonetpoursuivitsonassautsursachair

délicatejusqu'àcequ'ellesoitsecouéedefrissons.

Elleserenditvaguementcomptequ'ilavaitchangédepositionet

qu'ilétaitmaintenantétenduàsescôtés.Enfin,illibérasesmainset

luicaressaleventre,avantdedescendreplusbasetdeposerles

doigtssurlachairsensibleentresescuisses,luiarrachantuncri.

Follededésir,Carlys'arquacontresamain.Elleavaitl'impression

d'êtreaubordd'unprécipice,surlepointd'ybasculer.Effrayéepar

lessensationsquidéferlaientenelle,horsdecontrôle,elletentade

seretenir.

—Laisse-toialler,monchou.Laisse-toialler.

Ellegémit,s'arc-boutantdavantage.Puiscefut

commesiuneétoileexplosaitàl'intérieurdesoncorps,desondesde

plaisirirradiantdel'endroitqu'ilcaressait.Lapeaumoitedesueur,

elles'effondra,rassasiée,àcôtédelui.Àboutdesouffle,elleporta

unemainàsoncœur,àpeinecapabledecroirequ'ilétaitencorelà.

Hankdéposadesbaiserssursesyeuxfermésenluimurmurantdes

motstendres.Lentement,ellerevintauprésent,prenantconscience

duclairdelune,delasilhouettesombredel'hommeétenduprès

d'elle.

Ilcapturaseslèvresetluidonnaunnouveaubaiserpassionné,

enivrant.Puisildescenditverssesseins,ranimantlebrasierqu'il

venaitd'éteindre.Enfin,avecunchoc,ellesentitsabouchechaude

sursonsexe.Atterrée,elletentadelerepousser,maisilpersista,

taquinantlecentredesaféminitéduboutdelalanguejusqu'àce

qu'elleoubliepourquoielleavaitvoulul'obligeràs'arrêter.

Unmomentplustardilseredressa,etelleserenditcomptequ'il

avaitretirésonjean.Ellecillaettentadefocalisersonregard.Ilétait

splendide,lesmusclesdesesépaulesetdesesbrassoulignésparles

rayonsdelune.Ensentantsonmembredurentresescuissesellese

raidit,redoutantladouleur.

—Détends-toi,machérie.Jetejurequejenevaispastefairemal.

Ilsepenchapourl'embrasseret,pendantqueleurslèvresétaient

jointes,ils'enfonçadoucementenelle.Carlyretintuncriet

s'agrippaàsesépaules.Ellesentitsachairseprêterpourl'accueillir,

etellen'avaitpasmal.

Hanklaregarda,guettantsaréaction,puissouritetlapénétraplus

profondément.Commeellenedisaittoujoursrien,ilsecalaenelle

d'unepousséefluideetentamaunlentva-et-vient.Dessensations

inouïessubmergèrentCarly.Elleenfonçalesonglesdanslesbrasde

Hank.

—Jet'aifaitmal?

—Non,dit-elleavecunpetitrire.

Bientôt,ilaccentuasonrythme,lapuissancedesesmouvements.

Carlysavouraitl'instant,promenantlesmainssursesbras,surson

dos,sursesfesses,apprenantlentementàbougeraveclui.Ilglissa

unbrassouselleetl'attiracontrelui.—Viensavecmoi,

murmura-t-il.Jevaist'emme-nerauparadis.

19.

BientroptôtaugoûtdeCarly,lavisiteàPortlandfutderrièreeux,et

leursemained'escapadeterminée.Hankavaittenuparole.Illui

avaitmontrédeszèbres,desgirafes,deschameaux,dessinges,des

tigresetdeslions,etelleavaitvudespaysagesfantastiques.

Enrevanche,lespécialisteluiavaitapprisunemauvaisenouvelle.

Ladystrophies'étaitinstalléedanssescornéesdéjàmalades,et

faisaitdesdégâtsrapidesetconsidérables.Merricknepouvait

prédirecombiendetempsilfaudraitavantqu'elledevienneaveugle,

maisCarlycompritquecelanetarderaitguère.

Elleserefusaitàcéderàl'abattement.Hankluiavaitofferttantde

magnifiquessouvenirs!Ellelesgardaitenfouiscontresoncœur,

sachantqu'ilsl'accompagneraientdanslenoir.Desimagesaux

couleurséclatantesquemêmeladystrophienepourraitluivoler.

Lemardi15ausoir,lorsqu'ilsregagnèrentleranch,Carlys'attendait

àcequeHankseprécipiteauxécuries.Ilétaitabsentdepuisune

semaineetellesavaitqu'ilavaitdutravailàfaire.Àsagrande

surprise,ilrevinttrèsviteauchalet,lesbraschargésdeboîtiers

noirsetdefilsélectriques.

—Machaînehi-fi.Jel'avaislaisséedansmachambre.Autantque

nousenprofitions.

Ill'installa,mitunCD,pritCarlydanssesbrasetlafitvirevolter

danslamaison.

—Tun'asriend'autreàfaire?lança-t-elleenriant,étourdie.

—Riendeplusimportantqueça.

Ilcessadedanserpourl'embrasser.Quelquesminutesplustard,ils

sedirigeaientverslachambre,retirantleursvêtementstouten

marchant.Unefoissurlelit,Hanklacaressajusqu'àlarendrefolle

dedésir.

—Hank?murmura-t-elle.S'ilteplaît...

Ilmordillalapeausensiblesoussonoreille.

—Pasdequartier,souffla-t-il.Jevaistefairejouirtantdefoisque

tunepourrasplusbouger,pluspenser.Tuserastouteàmoi.

Iltintparole,usanthabilementdesestalentspourl'amenerà

l'orgasme,puisleretardantauderniermoment.C'étaituneexquise

tortureetbientôtCarlytremblaitd'undésirirrépressible.

—Jet'enprie,jet'enprie...,sanglota-t-elle.

Avecunsourdgrognementdesatisfaction,illui

donnacequ'elledemandait,avantd'exciterdenouveausessens

jusqu'àcequ'ellesoitemportéeunefoisdeplusparleplaisir,le

corpssecouédedélicieuxtremblements.

EnfinCarlydemeuraimmobile,incapabledebougerouderéfléchir,

entièrementsienne.Alorsseulement,ilvintàelle-etl'emmenade

nouveauauparadis.

—Réveille-toi,beauté!

Carlygémitetremontalesdrapssursonvisage.

—Quelleheureest-il?

—Septheures.Lajournéeestdéjàbienentamée.Hanktirasurle

drapetdonnaunetapeespièglesursesfessesnues.

—Situn'espasdeboutdansdeuxsecondes,jetemetssousune

douchefroide.Jeveuxt'emmenerfairedescourses.

Carlyn'avaitqu'uneenvie,dormir.

—Jenemelèvepasavanthuitheures.Commeillasoulevaitdans

sesbras,ellepoussauncri.

—Jet'avaisprévenue.

Ellesecramponnaàsoncouavecunrireensommeillé.

—Net'avisepasdememettresousunedouchefroide,sinonma

vengeanceseraterrible.

Ill'emmenajusqu'àlasalledebains,ladéposaettournalerobinetde

ladouche.

—Unedouchechaude,çateva?Carlysefrottalesyeux.

—Quelgenredecourses?Jedétestefairelesmagasins.

—Desaffairesdebébé.

Ilvérifialatempératuredel'eau,puissepenchaversCarlypourlui

donnerunbaiserlentetsensuel.

—Jeveuxquetuvoiestout.Petitspyjamas,berceaux,poussettes...

Çacommenceàt'intéresser?

—Nousavonsassezd'argentpourtoutça?

—L'argent!Tun'asquecemotàlabouche,décidément.

Illapritparlecoude,laguidaversladoucheetfermalerideau.Ille

rouvritpresqueaussitôt.

—Àlaréflexion,jepeuxregarder?

Elleéclataderireetluiaspergealevisage.

—Va-t'en!Aprèshiersoir,tunepeuxtoutdemêmepasencore

penseràça!

—Leshommespensentàçatouteslestroisminutesenmoyenne.

—Tuplaisantes!s'exclama-t-elleavecunregardstupéfait.

—C'estlapurevérité,jetelejure.D'aprèslesstatistiques.Ony

penseentravaillant,enmangeant,enparlant.Enrêvant.

Ilsouritetattrapalasavonnette.

—Tusaisàquelpointc'estsensueldeselaissersavonnerlecorps?

—Plustard,cow-boy.Jesuisépuisée.

Hanksouritetsesavonnalesmainsquandmême.Unseulbaiser

suffitàréveillerlesardeursdeCarly.Ilsepenchaverselleetlaprit

parlebras.Ellepoussaunpetitcriettitubaverslui.Sescils

papillonnèrentquandilpassalamainsursesmamelonsroses,dont

lapointedurcitaussitôtàsoncontact.Uneboufféed'amour

submergeaHank.Ellesedonnaitàluisivolontiers,avecun

abandonsidouxqu'ilnepouvaits'enrassasier.

Commeiljouaitavecsesmamelons,frottantetpinçantjusqu'àce

qu'ilssegonflent,elleinclinalatêteenarrièreengémissant.Son

corpsminceétaitparfait,sapeaud'uneblancheursatinéele

fascinait.

Ilnesutpascomment,maisilfinitparseretrouversousladouche

avecelle,touthabillé,bottescomprises.

Jamaisiln'avaiteuautantdeplaisiràfairel'amour.

—Nousn'avonspaslesmoyensd'acheterunberceaudeceprix!se

récriaCarlytroisheuresplustard.

Hankfitsigneauvendeur.

—Nousleprenons.

—Hank!protestaCarlyens'agrippantàsamanche.C'estbeaucoup

tropcher.

—Ilsetransformeenpetitlit.Enfait,onenadeuxpourleprix

d'un.

—Tuveuxdiredeuxpourleprixdetrois!Nouspouvonsacheter

quelquechosequisoitmeilleurmarché.

—Où?Aumont-de-piété?

Carlyrenonçaetlelaissafaire.Àsatotaleconsternation,ils'en

donnaàcœurjoie.Ilsachetèrentdraps,couvertures,chaussons,

combinaisonsunisexes.Àlafindeleurexpédition,Hankavait

dépenséunefortune,etilsétaientlesheureuxpropriétairesd'un

berceauenchêne,d'unetableàlanger,d'unechaisehaute,d'unparc,

d'unsiègeauto,auxquelss'ajoutaienttroismobiles,diversjouetset

plusdevêtementsqu'unseulbébénepourraitjamaisenmettre.

Surlecheminduretour,ilregardaCarlyetsourit.

—Quandnoussauronssic'estungarçonouunefille,nous

reviendrons.

Ellesoupira.

—Jesuiscontentequenousayonsdécidéd'essayerderester

ensemble.Teremboursertoutcelameprendraitjusqu'auprochain

millénaire.

Hankfronçalessourcils.

—Parcequetut'imaginesquetunevaspasmerembourser?

IlétaittoujourssigénéreuxqueCarlyrestauninstantbouchebée.

—Notrearrangementtienttoujours,dit-ilfermement.Ilfautquetu

merembourses.

Lescoinsdeseslèvresfrémirentetilneputretenirunsourire

espiègle.

—Tupeuxcommencerdèscesoir.

—Tesbottesnesontpasencoresèchesettupensesdéjààla

prochainefois?répliqua-t-elleenriant.

—Oui.Tuespartante?

Elleétaittoujourspartante.Carleplusmerveilleux,c'étaitquele

sexen'étaitpasquedusexe.Ilsfaisaientl'amour,etc'était

fantastique.

Lelendemainmatin,Hankfaisaitquelquescoursesausupermarché

quandilremarquaunmagazinesurlesbébéssurunprésentoir.Ille

pritetlefeuilleta,songeur.Carlyavait-elledéjàvudesphotosde

bébés?Lorsdupique-niquedu4juillet,touslesenfantsprésents

étaientplusâgés.Sielleavaitdéjàvuunnourrisson,c'étaitsans

douteàlatélévision,cequisignifiaitqu'ellen'avaitpaspule

regarderdeprèsetclassercesimagesdanssamémoire.

Aulieuderentrerdirectementàlamaison,ilserenditàlalibrairie

pourytrouverd'autresrevues.Ilvoulaitquesafemmevoietoutes

sortesdebébés,desdodus,desmaigrichons,auxcheveuxfrisésou

dresséssurlecrâne.Ainsi,lorsqueleurenfantnaîtrait,ilpourrait

mieuxluiexpliquercommentilouelleétait.

Ilrentralesbraschargésdemagazines.Ilavaitmêmetrouvéunlivre

surlamaternitécontenantdesphotosdefœtusàdiversesétapesde

lagrossesse.Lorsqu'ilmontrasestrouvaillesàCarly,ellefonditen

larmes.

—Oh!Hank!

—Qu'ya-t-il?

Ilsepenchaverselle,inquiet.

—Monchou,jenevoulaispasterendretriste.

—Jenesuispastriste,bredouilla-t-elle.Jesuisheureuse.

Elleessuyaseslarmestoutenfeuilletantlesrevues.

—Oh!Ilssontadorables,n'est-cepas?s'extasia-t-elleavecunpetit

rireému.Regardecelui-là,avecsapetitefossette.

Hankrestaàcôtéd'ellependantqu'elleregardaitlesmagazines.

L'unetl'autredevinrentgravesenexaminantlesimagesdefœtus.

—Lenôtreestcommeça,murmura-t-elleeneffleurantunedes

photos.Etlemoisprochain,ilseracommeça.

—Il?dit-ilensepenchantversellepourluivolerunbaiser.Je

veuxunepetitefillequiteressemble.

—Dommage.Moi,jeveuxungarçonquiteressemble.

—Nousvoilàavecunsérieuxproblème,commenta-t-ilenaffichant

unairpréoccupé.Etjenevoisqu'uneseulemanièredelerésoudre.

C'estd'avoirdeuxenfants,unpourmoietunpourtoi.

Elleeutunsourirerêveuretrecommençaàregarderlesimages.

—Laprochainefois,nousdevronsplanifierlagrossesseavecsoin.

Lemédecinvoudraquejetombeenceintejusteavantunegreffede

cornée,demanièrequeladystrophienepuissepasfairedevrais

dégâts.

Hankn'avaitpaspenséàcela.

—Ehbien...

Illuisoulevalementonetl'obligeaàleregarder.

—Danscecas,plusdebébés.Nousn'enauronsqu'unounous

adopterons.Jeneveuxpasquetusoisaveugleneufmoisdurant

simplementpouravoirunautreenfant.

—Maisjeveuxquecesoitlenôtre!

—Unenfantadoptéseralenôtre.

LesyeuxdeCarlys'emplirentdelarmes.Ilsentitqu'ellevoulait

protester,maisquequelquechosel'enempêchait.

Ilavaittoujoursespéréavoiruneribambelled'enfants,etbiensûril

auraitaiméêtreleurpèrebiologique,sipossible.

Maispasàn'importequelprix.

Aucoursdesdeuxsemainessuivantes,lavuedeCarlysedétériora

encore,etHankjonglaavecsonemploidutempspourl'emmeneren

excursion.Lorsqu'ilsnesortaientpas,ill'aidaitàrangerlesplacards.

Lecafé,troisièmeplacard,deuxièmeétagère,premierpotsurla

droite.

—Jepeuxyarriver,affirma-t-il.S'illefaut,jemettraidesétiquettes

surlecôtépournepasoublieroùvontleschoses.

Touchéeparsesefforts,Carlysehaussasurlapointedespiedspour

nouerlesbrasautourdesoncou.

—Surtout,n'oubliepasoùj'ensuis,dit-elledoucement.Jeveux

profiteraumaximumdetaprésencependantquejevoisencore.

Illuidonnaunbaiserpassionnéet,l'instantd'après,elleétaitdans

sesbras,lesplacardsoubliés.

Aprèsl'amour,Carlys'étiralangoureusementetseglissahorsdulit

pourallerprendreunedouche.Auboutdetroispas,elletrébucha

surunobjetquiroulasurlecôtéetfaillittomber.Hankselevad'un

bond.

—Çava?

Illuipritlebras,commes'ilcraignaitencorequ'ellenetombe.

—C'étaitmabotte.Jesuisdésolé,monchou.Jeferaiattentionàles

mettresouslelit,dorénavant.

—Toutvabien,Hank.Cen'étaitrien.

Carlyavaitbeaus'efforcerdelerassurer,ellesavaitqu'ellese

mentaitàelle-même.Ellen'avaitpasvulabotte.Quandsavue

était-elledevenueaussimauvaise?Ellebaissalesyeux,espérant

enversetcontretoutdistinguerleslattesduplancher,maisc'était

commesiunépaisbrouillards'étaitaccumuléautourdeses

chevilles.Ellesetournaverslemuropposé,etconstataqu'ilétaitlui

aussiobscurciparlebrouillard.

Hankluitouchal'épaule.

—Qu'est-cequinevapas,monchou?

Elletâtonnaàlarecherchedesarobedechambreetl'enfila.

—Rien.Toutvabien.

Leretourdelacécitén'auraitpasdûlasurprendre;elleavait

seulementdumalàcroirequec'étaitarrivésivite.Sagorgesenoua.

—Maisjecroisquelemomentestvenud'êtreunmaniaquedu

rangement,dit-elleenseforçantàsourire.Jenevoisplusle

plancher.

Elleeutunpetitrireforcéetsecoualatête.

—Jenesaispascommentçaapuarriversansquejem'en

aperçoive.

Puis,éprouvantlebesoind'êtreseulependantquelquesminutes,elle

sehâtadegagnerlasalledebains.

Àpartirdecemoment-là,Hankredoublad'efforts,prenantsoinde

rangersesbottes,denejamaisdéplacerunechaisesanslaremettre,

etdelaisserlesplacardsexactementtelsqu'illesavaittrouvés.De

tempsàautre,ilsetrompait,maisCarlyn'avaitpaslecœurdelelui

reprocher.Ilsedonnaittantdemal!Commentaurait-ellepuse

plaindre?

Quelquesjoursplustard,alorsqueHankluimontraitlescartesde

l'alphabet,elleremarquasoudainqu'illestenaitbeaucoupplusprès

queparlepassé.

—Depuiscombiendetempsfais-tucela?demanda-t-elle

doucement.

Ilfeignitdenepascomprendrecequ'ellevoulaitdire.

—Jenesaispasaujuste,dit-ilenrangeantlescartesdansleur

boîte.Je...euh...

Ils'éclaircitlavoixetaffrontasonregard.

—Chaquefoisqu'ons'ensert,ilfautquejelestienneunpeuplus

près.

Carlyledévisageaetserenditcomptebrusquementquesestraits

étaientmoinsnets.C'étaitcommesielleregardaitunephotoaux

contoursflous,indistincts.

Elleavaitétésicertained'êtrepréparéeàcemoment-là!Sicertaine

depouvoirgérerlasituationlorsqu'illefaudrait.Or,c'était

beaucoupplusdifficile

àaccepterqu'ellenel'avaitimaginé.Elles'étaithabituéeàvoiret,

trèsbientôt,ceseraitlenoir.

ElleneverraitmêmepluslevisagedeHank.

—Çava?s'enquit-il.

—Çava.Cen'estpasundrame,dit-elleensouriant,maislecœur

serré.

Etpourtant,si.Ellenevoulaitpasredeveniraveugle!Elleavait

enviedes'enfuir,deprendresesjambesàsoncou.Hélas!ellene

pouvaitéchapperàl'obscuritéquil'attendait.

Commes'ilavaitsentisapanique,Hanklasoulevadanssesbraset

l'emmenadanslachambre.Aprèsl'amour,Carlysepelotonnaentre

sesbras,rassasiée,songeantqu'ellel'aimaitcommeellen'avait

jamaisaimépersonne.

Lorsqu'ilsortit,quelquesminutesplustard,elleallaàlafenêtreet

plissalesyeuxendirectionduranch,cherchantdésespérémentà

voirlepaysage.Toutétaitflou,àprésent,maiselleavaitbonne

mémoire.Ledangerétaitpartout-ilyavaitdeschevaux,desfossés

d'irrigation,desmares,dufilbarbelé.Ellepouvaitencores'yrendre

pourl'instantàconditiond'êtreprudente,maiscelanedureraitpas

longtemps.

*

Lelendemainmatin,Carlyfutréveilléeàsixheuresparunedouleur

cuisanteauxyeux.Toutd'abord,elletentadeserendormir,maisla

souffranceétaittellequecefutimpossible.Àtâtons,ellesedirigea

versl'armoireàpharmaciepouryprendresesgouttesetpromenales

doigtssurl'étagèreàlarechercheduflacon,envain.Hankouelle

avaitdûlechangerdeplace.

Elles'efforçasanssuccèsdedéchiffrerlesétiquettesdes

médicaments;elledistinguaitàpeinelesrécipients...

Vaincue,ellerefermal'armoireetappuyasonfrontdouloureux

contrelaglacefraîche.Ladouleurétaittropvivepourqu'elle

l'ignore.Hanknereviendraitpeut-êtrepasavantl'heuredudéjeuner

etellenepouvaitattendreaussilongtemps,pasalorsqu'elle

souffraitàcepoint.

Ellegagnalacuisineentitubantet,fermantlesyeux,composale

numéroduportabledeHank.Auboutdequelquessonneries,le

répondeursedéclencha.«IciHank.Jenesuispasdisponiblepourle

moment...»

Carlycompritqu'ilavaitsansdoutelaissésonappareildansle

pick-up.Elletentadetéléphonerauranch,maispersonnene

réponditlànonplus.EllesesouvintbrusquementqueJakeetsa

femmeétaientpartispourPortlandlaveilleausoirafinderéglerun

problèmedanslasociétéd'investissementqueMollygérait

désormais.

Ellen'avaitpaslechoix.Elledevaits'habilleretalleràl'écurie.Il

faudraitqueHankrentreàlamaisonpourcherchersesgouttes.

Quelquesminutesplustard,enroutepourleranch,Carlymitlepied

dansuneornièreetfaillitperdrel'équilibre.Pourlapremièrefoisde

savie,elleregrettadenepasavoirapprisàseservird'unecanne.En

ville,elles'étaittoujoursdébrouilléesans.Malheureusement,les

cheminsduranchétaienttoutsaufplats.

L'incidentlapoussaàs'arrêteretàregarderlonguementautour

d'elle.Sabulles'étaitrétrécieàunrayond'unmètre;ellenevoyait

pasdutoutlesol.

Tâtonnantduboutdespiedsafindedécelerd'éventuelsobstacles,

elleseremitenmarcheprudemment.Oùétaitleproblème,aufond?

N'avait-ellepasfaitduskateboard?Elleétaitsûrementcapablede

fairecentmètressurunterrainlégèrementaccidentésansencombre.

Carlyavaitbeautendrel'oreille,ellenepercevaitquelemurmuredu

ventdanslesarbres.Ellecomptaitaussisespas,etcherchaità

distinguerlecontourdel'écurie.Nes'étonnantguèredenerienvoir,

ellecontinua,sûred'allerdanslabonnedirection.

Auboutd'unmoment,sonassurancelaquittabrusquement.Elle

auraitjuréquel'écurien'étaitpassiloindelamaison.

—Hank?

Seullesilenceluirépondit.

Effrayéeàprésent,elletournalentementsurelle-même,plissantles

yeuxpourscruterlebrouillard.Àunmètredanschaquedirection,le

mondedisparaissaitdansunflougris.Enuneseulenuit,savueavait

terriblementbaissé.

Ducalme,sedit-elle.Ilfallaitqu'ellerestecalme.

—Hank!hurla-t-elle,dansl'espoirqu'ill'entendrait.

Pasderéponse.Elles'immobilisaetécouta.Aucunsonnelui

indiquaitdansquelledirectionsetrouvaitl'écurie,cequisignifiait

qu'elleavaitquittésatrajectoireetqu'ellenesavaitplusvraimentoù

elleétait.

Ellesefigeaettentadeserappelerprécisémentcombiendepaselle

avaitfaits.Peudetempsauparavant,elleenaurait

systématiquementtenuuncompterigoureux.Enl'espacede

quelquessemaines,elleenétaitvenueàsefiertellementàsesyeux

qu'elleavaitcessédelefaire.Commentcelaavait-ilpuarriver?

Bon.Respireràfond.Restercalme.Ellen'avaitpaspuallerbien

loin.Elledevaitêtrequelquepartenpleinevue.Lameilleurechose

àfaireétaitderesterlàetdecrier.Tôtoutard,quelqu'un

l'entendrait,ettouts'arrangerait.

—Hank!hurla-t-elledenouveau.Hank!

Bientôt,ellenesutpluscombiendefoiselleavait

criéenvainlenomdesonmari.Savoixs'étaitenrouée,etsesyeux

lafaisaientsouffrir;elleavaitbesoindesesgouttes.Ellepassaune

maintremblantesursonvisageensedemandantdepuiscombiende

tempselleattendaitlà.Uneheure?Deux?

Elleavaitbesoindesonmédicament!Toutesavie,elleavaitlutté

pourêtreindépendanteetvoilàqu'elleétaitdevenuequelqu'un

d'impuissant,incapabled'accomplirlestâcheslesplussimplessans

aide.Siellecontinuaitainsi,Hanklahaïraitauboutd'unmois,et

ellesehaïraitaussi.

Quelquepartsursagauche,unchevalhennit.L'espoirlasubmergea.

Elleattenditencoreuninstantetfutrécompenséeparlebruitd'un

sabotheurtantdumétal.L'écurie!Ellepivotadanscettedirectionet,

d'unpashésitant,seremitenroute.

—Hank!Hank!Tueslà?

Lorsqu'elleeutcomptéjusqu'àcinquante,elles'arrêta.Troploin.

Soncœurcognaitdanssapoitrine,soncorpsétaitmoitedesueur.Le

chevalhennitdenouveau.Ellecorrigeasadirectionetrepartit,plus

lentementcettefois,lesmouvementsrendussaccadéspar

l'appréhension.Yavait-ildesbarbelésdevantelle?Redoutantde

heurterunobstacle,elletenditlesbrasenguisedeprotection.

—Hank!Réponds-moi!Hank!

Ellefitunpasenavant,ettoutàcouplesolsedérobasoussespieds.

Ellesesentittomberetsemitàhurler,maissoncris'interrompit

brusquement.Uneeauglacées'étaitreferméesurelle.Souslechoc,

elleouvritlabouche,etl'eauenvahitsonnez,sagorge.Ellebattit

desbrasetremontaàlasurfaceensuffoquant.Lamare!L'eau!Son

pirecauchemar.

Ellevoulutnagerverslarive,maiselleavaitperdutoutsensde

l'orientation.Sesvêtementsdétrempésl'alourdissaient.Ellefit

quelquesmouvementspourresteràlasurface,sanssavoirdequel

côtéaller.

Hankluiavaitditquelamareétaitprofondedetroismètressurles

bordsetdesixaucentre.Ellenageadansunedirection,puisdans

l'autre,agrippantdel'eau,del'air,espérantrefermersesdoigtssur

quelquechosedesolide.Laterreurl'étouffait.L'eau!Cequ'elle

redoutaitleplus.

Elledevaitgardersonsang-froid,songea-t-elle.Réfléchir.Elleétait

tombéetoutauborddelamare.Sielledécrivaituncerclequiallait

ens'élargissant,elletrouveraitforcémentlarive.Ellesemitàbar-

botertantbienquemal.

Descercles...descercles.Ellenetardapasàêtreépuisée.Ses

vêtementsluicollaientàlapeau,luisemblaientdeplusenplus

lourds.ElletoussaetappelaHankdenouveau,priantpourqu'il

l'entende.

Carlycompritvaguementqu'elleétaitentraindecouler;l'eaului

arrivaitàlabouche.Elles'efforçadegarderlementonenl'air,mais

ellen'avaitjamaisétébonnenageuse,etsesmouvementsétaient

gauches,ralentisparlafatigue.

Ellebutlatasseetunbattementsourdsedéclenchadanssatête.Elle

luttapourremonteràlasurface,aspirerunegouléed'air.Unefoisde

plus,ellesombra.Unedouleurluidéchiral'œsophage.Unebrûlure

horribleremontadanssagorgeetdanssonnez.

Ellesenoyait.

20.

Hankfermalerobinetetinclinalatêtesurlecôté,puisjetauncoup

d'œilendirectiondeShorty,assissuruntabouretdansunbox.

—Tuasentenduquelquechose?

Levieuxcow-boylevalesyeuxdelabridequ'ilréparaitetportaune

mainàsonoreille.

—Comment?

Hanksortitdansl'alléecentrale.

—J'aicruentendrequelqu'uncrier.

—Çasepourrait.Onapasloindevingtgarsquitravaillentdansle

coin.

Uncurieuxmalaises'étaitemparédeHank.Ilsecampasurlepasde

laporte.Personneenvue.

—JevaisfaireunsautauchaletpourvoirsiCarlyvabien.

—Àc't'après-midi,réponditShortyavecunsourireédentéet

entendu.

Hankémitungrognementdédaigneuxetsedirigeaverssamaison.

Quandilyarriva,ilsouriait.Peut-êtreeneffetneretournerait-ilà

l'écuriequecetaprès-midi...

—Carly?appela-t-ilenentrant.Salut,monchou.Tuesréveillée?

Ilcouvritenquatreenjambéesladistanceleséparantdelachambre

etpassalatêteparlaporteentrebâillée.PasdeCarly.Iljetauncoup

d'œildanslasalledebains.Ellen’étaitpaslànonplus.Bizarre.

Normalement,ellenequittaitpaslamaisonseule,saufpourvenirà

l'écurie.

Ilsortitsurlavéranda.

—Carly!Tueslà,monchou?

Pasderéponse.

Ilrestaimmobileuninstant,enproieàuneinquiétudecroissante.

Bonsang!Sielles'étaitégarée,voyait-ellesuffisammentpour

retrouversonchemin?Ilsemassalanuque,fouillantlesenvironsdu

regard.

Soudain,quelquechoseattirasonattention.Quelquechosedeblanc

danslamare.Soncœurcessadebattre.Ilsautaàbasdesmarcheset

courutaussivitequ'illepouvait.Quelquechosedeblanc...dansla

mare.Non.MonDieu,non!

Sesbottesmartelaientlapoussière,chaqueimpactserépercutant

danssoncorps.Lesyeuxrivésàlatacheblanchedansl'eau,ilsut

bienavantd'atteindrelamarequec'étaitsafemmequiflottaitàla

surface,levisagedansl'eau,lesbrasécartés.

Ilplongea,etsonélanl'amenaàmi-chemind'elleavantmêmequ'il

aitbesoindenager.

—Carly!hurla-t-ilencouvrantlerestedeladistance.Carly!

Illasaisitetlaretourna.Seslèvresétaientviolacéesetsonvisage

avaitprisuneaffreuseteintebleuâtre.Nageantcommeunfou,il

regagnalarive,Carlycaléeaucreuxdesonépaule.

Unefoissurlaterreferme,ilsemitàluifairedubouche-à-boucheet

desmassagescardiaques,priantdésespérémentpourqu'elle

reprenneconnaissance.Ileutl'impressionquedesheures

s'écoulaient.

Elleavaitessayédeleluidire,songeait-il,ens'ac-cablantde

reproches.Elleavaitessayédeluifairecomprendreàquelpointle

ranchétaitdangereuxpourelle.

—Respire,Carly,dit-ilenlaprenantparlesépaules.Tunepeux

pasmourir!Respire,bonsang!

Illareposasurlesoletseremitàalternerbouche-à-boucheet

massagescardiaques.Rien.Iln'avaitpasregardésamontreet

n'avaitaucuneidéedutempsquis'étaitécoulédepuisqu'ilessayait

delaranimer.Uneminute?Dix?Peuimportait.Ilne

pouvaitarrêter.Arrêterauraitsignifiél'impensable-queCarly

étaitmorte.

Soudain,ellefutsecouéed'unspasme.Unjetd'eaujaillitdeses

lèvrespuiselletoussaet,dansunaffreuxbruitrauque,aspiraune

gouléed'air.Hanklafitroulersurlecôté.Shortyapparuttoutà

coup.

—Vachercherlepick-up!hurlaHank.Ilfautquejel'emmèneà

l'hôpital.Vite,Shorty!

Levieilhommepartitencourant.Carlyremontalesgenouxcontre

sapoitrine,etcrachaencoredel'eau.Peuàpeu,sarespiration

s'apaisa.Hankcaressasescheveuxmouillésd'unemaintremblante.

—Oh!Carly!

Ellebougeaetlevalesyeuxverslui.

—Hank?murmura-t-elled'unevoixrauque.

Ilsepenchadavantage,effleurantsonvisage.Peuàpeu,elle

reprenaitquelquescouleurs.Seslèvresétaientencorebleues,mais

leroserevenaitàvued'œil.

—N'essaiepasdeparler,monchou.Jevaist'em-meneràl'hôpital.

Toutirabien.

Ellefermalesyeux.

—Monbébé.Oh!Hank!Monbébé...

Hankserenditcompteavecstupeurqu'iln'avait

paspenséaubébé.

—Çaira,affirma-t-il.Net'inquiètepas.

Alorsmêmequ'ils'efforçaitdelarassurer,Hanksesentittenaillé

parledoute.Etsilebébéétaitmort?Queleffetunenoyade

pouvait-elleavoirsurunfœtusdetroismois?

—Votrefemmeetvotrebébévontbien,assuraunmédecin

urgentisteàHankuneheureplustard.LespoumonsdeCarlyn'ont

rien.Elleareprisconnaissance,etlepoulsdubébéestrégulier.

—Merci,monDieu,murmuraMaryCoulter.

Hankavaitvaguementconsciencedelaprésencedesesparentstout

près.Touslesmembresdesafamille,hormisJakeetMollyqui

étaientenvoyage,s'étaientprécipitésàl'hôpitalpourêtreaveclui,

attendantlesnouvellesdansuneaffreuseincertitude.

Ilselaissatombersurunechaise,lesjambessoudainflageolantes,et

sepenchaenavant,latêteentrelesmains.

—C'estmafaute,dit-ild'unevoixhachée.Mafaute.

Ilserenditcomptebrusquementqu'ilparlaittouthautetlevales

yeux.

—Merci,docteur.

Lemédecin,unpetithommemaigrevêtud'uneblouseblanche,lui

tapotal'épaule.

—Ilssonttouslesdeuxprêtsàrentreràlamaison,monsieur

Coulter,etc'estgrâceàvous,pasgrâceàmoi.Vousavezgardé

votresang-froidetfaitexactementcequ'ilfallait.

—C'estvrai,renchéritsonpère.Tun'aspasperdulatêteettuluias

sauvélavie.

Hanknevoyaitpasleschosesainsi.Sanssastupidité,Carlyne

seraitjamaistombéedanslamare.

Quandelleémergeadesurgences,elleluisouritfaiblement.Ses

vêtementsétaientencoreunpeuhumidesetsescheveuxrebiquaient

sursesépaules,luirappelantdumielliquide.Jamaisiln'avaitvude

femmeaussibelle.

—Salut,dit-ilenselevant,lesjambesencoreincertaines.

Elleseblottitentresesbras.Hanklaserracontreluietenfouitle

visagedanssescheveux.Unfrissondeterreurglacéecourutlelong

desonéchineausouvenirdumomentoùill'avaittiréedel'eau.Il

avaitétésiprèsdelaperdre!

Ilsefélicitaquesafamillesoitprésente.Touss'avancèrentpour

étreindreCarlyetluidirecombienilsétaientheureuxdelavoir

saineetsauve.Hankrestaenretrait,afindeseressaisiretd'arriverà

sourire.Elleparaissaitsifragile...

Surlecheminduretour,ilneputchasserdesespenséeslesouvenir

desonvisagebleui,desoncorpsinerte.Leremordsl'oppressaitau

pointqu'ilavaitdumalàrespirer.

—Jerégleraitout,netefaispasdesouci.Jeconstruiraides

clôtures,jeferaiensortequetunepuissesplusjamaisteperdre.

Carlyhochalatêtesansriendire.

Unefoisauchalet,Hankl'aidaàsechanger.Lorsqu'ellefut

couchée,ilserenditàl'écurie.Là,ils'assitsurunebottedefoin,

ruminantsondésespoiràlapenséequ'ilavaitfaillilaperdre.

Jakearrivapeuaprèsets'assitàcôtédelui.

—Cen'étaitpastafaute,Hank.Vas-tuarrêterdet'accablerde

reproches?

—Si,c'étaitmafaute.Elleaessayédemedirequ'elleauraitdes

besoinsparticuliers.J'étaistellementsûrdepouvoirtoutgéreret

m'occuperd'elle!Maintenant,j'aiaffreusementpeurdenégliger

autrechosequipourraitluiêtrefatal.

—Est-cequetuleluiasdit?

—Non,avouaHankd'unevoixblanche.Maisjevaislefaire.

Quandilrentraàlamaison,ilcrutqueCarlydormaitets'assitdans

lesalon.Aprèsquelquesminutesdesilence,illaissaéchapperun

sanglotétouffé.

—ÔmonDieu!murmura-t-il.Etsijen'yarrivepas?

CarlyavaitentenduHankrentrer.Elleserecroquevillasur

elle-mêmeetdeslarmesbrûlantesjaillirentdesesyeux.Ellelui

avaitditplusieursfoisqu'iln'avaitaucuneidéedecequil'attendait

s'ilrestaitavecelle.Laréalitévenaitdes'imposeràlui.

Quandillarejoignitenfin,ill'entouradesesbrasetluipromitqu'il

allaitfaireduranchunendroitoùellepourraitvivreensécurité.

—Jecommenceraidèsdemainmatin,etjenem'arrêteraipasavant

d'avoirterminé,jetelejure.

Sesparolesétaientrassurantes,maisilnefitpasl'uniquechosequi

auraitpuapaiserletourmentdeCarly.Ilneluifitpasl'amour.

Lorsqu'elletentadel'yencourager,ilpritsamainetlaportaàses

lèvres.

—Pascesoir,machérie.Jesuisdésolé.Je...jenepeuxpas.

C'étaitlapremièrefoisqu'ilsedétournaitd'elledepuislanuitqu'ils

avaientpasséeaulac.Lecœurbriséenmillemorceaux,Carlyroula

surlecôté.

Hanktintparole.Lelendemainmatin,ilétaitenvilledevantle

magasindefournituresquandZekeouvritlesportes.

—Salut,petitfrère,ditZekeavecunsourire.Tuesbienmatinal!

—J'aibesoindepoteauxetdefildefer,expliquaHank.Engrosse

quantité.Carlyestterrifiée,etçasecomprend.Ilfautquejesécurise

leranch.

—Savues'estdégradéeàcepoint?

Hankacquiesça.

—C'estpiredejourenjour.Ellepeutencorevoirdeprès,maisje

crainsqueçanedureplustrèslongtemps.

Enarrivantauranch,uneheureplustard,HanktrouvaLevidevant

l'écurie.Levieilhommesegrattaitlatêteensedandinantd'unpied

surl'autre,visiblementembarrassé.Lorsqu'ilrecouvraenfinl'usage

delaparole,Hankeutdumalàencroiresesoreilles.

—Carlyestpartie,dit-ilsanspréambule.Avecsonamie.Bess,je

croisqu'elles'appelle.J'ail'impressionqu'elleaemportélaplupart

desesaffaires.

Hankseruaauchalet.Siirrationnelquecesoit,ilespéraitvoirCarly

assiseàlatabledelacuisine,entraindedévorersonpetitdéjeuner

sipeuconventionnel.

Uneétrangesensationdevidel'assaillitdèsqu'ilentra.Ellen'était

paslà.

Incrédule,ilfitrapidementletourdelamaison.Unregarddansle

placardluiappritquesesvêtementsavaientdisparu.Laplupartdes

vêtementsdebébéaussi.

Enentrantdanslacuisine,ilremarqualalettreposéesurlatable.

Abasourdi,étrangementdétaché,ilselaissatombersurunechaise.

Leslignesn'étaientpasdroites,maisl'écritureétaitlisible.

CherHank,

Ilnem'estpasfaciled'écrire,aussicettelettreseracourte.J'ai

besoindevivreenville,dansunendroitoùilyadestrottoirs,des

passagespourpiétonsetdestransportsencommun.Tuasbesoinde

vivrelàoùtues,prèsdelaterre,etdetravailleravecleschevaux.

Jemesouviendraitoujoursdetoiici,danstonélément,monprince

charmantavecsesbottesetsonStetsoninclinépours'abriterles

yeux.Pendantuntempstuasréalisétousmesrêves.

Malheureusement,tun'étaisqu'unprêt.Sacheseulementquej'aiété

plusheureusequejen'auraisjamaisimaginél'êtreetqueje

chériraicessouvenirsdetoijusqu'àlafindemesjours.

Elleavaittentédedessinerunvisagesouriant,quiétaitdetravers,

unœilendehorsducercle.

Jet'appellerai.Dansquelquetemps,quandnousauronsprisunpeu

derecul,nousréussironspeut-êtreàdevenirbonsamis.Dans

l'intérêtdubébé,nousdevrionsessayer.

Éternellementàtoi,Carly

Hankjetalalettresurlatableetrestaimmobile,fixantlevideà

traversseslarmes.Partie.Elleétaitpartie!Ilavaitbeauessayerde

comprendre,iln'yparvenaitpas.Pisencore,ilnepouvaitenvisager

l'avenirsanselle.

*

Bessdécrochasontéléphoneàlaquatrièmesonnerie.

—Allô?

Hankdéglutit,s'efforçantdemaîtrisersonémotion.

—Bonjour,Bess.IciHank.

Longsilence.

—Bonjour,Hank,répondit-elleenfin.Quellesurprise!

Ileutunsouriretriste.

—Jesaisquetuesvenuelachercher,Bess.

—Bon.Tulesais.Iln'yariend'autreàajouter.

—Ilfautquetumedisesoùelleest,dit-ilenselaissanttombersur

unechaise.

—Non.Jen'aipasàtedirecela.

Ilsoupiraetfermalesyeux.

—Laisse-moim'exprimerautrement.Jelatrouveraid'unemanière

oud'uneautre.Soisgentille,épargne-moidutempsetdel'argent.

—Jenepeuxpas.Jeluiaidonnémaparole.Jel'aitrahieunefois,je

nevaispasrecommencer.D'ailleurs,jenepeuxpasm'empêcherde

penserqu'elleapeut-êtreraison.

—Commentpeux-tudireça?Jel'aime,bonsang!Etellem'aime

aussi.Notreplaceestensemble.Jeterappellequ'elleestenceintede

monenfant!

—Calme-toi,Hank.

—Jenemecalmeraipas.Mafemmem'aquitté!Elleestalléechez

sonpère,c'estça?

Silence.

—Jevaisconsidérerquec'estunoui,commentaHank,lamain

crispéesurletéléphone.Bonsang,Bess!Nejouepasàcejeu.Tu

croisqu'ellevaêtreheureusesansmoi?Pose-toicettequestion.

—Non,elleneserapasheureuse,admitBess,maisaumoinselle

seraensécurité,ettoiaussi.Parfois,ilfautlaisserpartirlesgens

qu'onaime.Neferais-tupasn'importequoipourelle?

—Ellenem'apassauvé,Bess.Ellem'adétruit.

—Tusaisdequoijeparle.Ilfaudraitdépenserdesmilliersde

dollarspourfaireduranchunendroitsûrpourelle.Oùdiable

trouverais-tucetargent?

—Oh!n'exagèrepas!s'exclama-t-ilavecunrireamer.Çane

coûteraitpasautant.

—Tuveuxparier?Tunepeuxpastecontenterdeplanterquelques

piquetsetdelesrelierparunecorde.Ilfautaménagerdesallées

cimentées,avecdesmainscourantesmétalliques.Unsystème

d'interphonepartoutpourqu'ellepuisseappelerl'écurie,lechaletou

lamaisonprincipaleencasd'urgence.Sansparlerdes

aménagementsintérieurs.

Hankrestauninstantdésemparé;ilnes'étaitpasrenducomptede

l'ampleurdestravauxrequis.

—Jemedébrouillerai.

—Comment?Dis-le-moi,etjetedonneraipeut-êtrel'adressede

sonpère.

Etvoilà.Hanksedétenditquelquepeu.Maintenantqu'ilsavaitoù

Carlyétaitallée,ilavaitunechancedepouvoirlarameneràla

maison.

—Merci,Bess.

—Dequoi?

—Dem'avoirditoùelleétait.

BesslaissaéchapperunjuronetHankeutunriresansjoie.

—Tuveuxm'épargnerlapeinedetrouverl'adresseetlenumérode

téléphone?

—Non.Oh!Etpuiszut!Maisjetepréviens,Hank.Ellene

reviendrapasàmoinsquetunefassesdesmiracles.Elleafailli

mouriravecsonbébé.

—Jesais,etçanesereproduirapas.Elleveutdesmiracles,jevais

luioffrirdesmiracles.Jel'aime,unpointc'esttout.Saplaceestici

avecmoi.

—Danscecas,faisappelàdesspécialistes.

—Desspécialistes?

—Ouidesprofessionnels-desgenscapablesdedresserdesplans

appropriésàlapropriété.

—Çavacoûterunefortune!

—Exactement.

—Bon.D'accord.Desspécialistes.Jepeuxlefaire.

Acontrecœur,Bessluidonnal'adresseetlenumérodetéléphonedu

pèredeCarly.

—Nevapaslachercheravantd'êtreabsolumentcertaindepouvoir

fairecesaménagements,Hank.Promets-le-moi.Ellesouffredéjà,et

toiaussi.Sitularamènesetqueçanemarchepas,tun'aurasfaitque

prolongerl'agonie.

HankavaitvuRyanetBethanysebattrepourqueleurmariagesoit

unsuccès.Toutsemblaits'êtreliguécontreeux,maisilsétaient

parvenusàsurmonterlesobstaclesetàtrouverunesolution,unevie

quileurconvenaitàtouslesdeux.L'amouretladétermination

avaienteuraisondesdifficultés.

HankaimaitCarly,etiln'étaitpasmoinsdéterminé.

BethanyetRyanétaiententraindedînerquandHankfrappaàla

porte.Bethanysouritjusqu'auxoreillesenlevoyant.

—Salut,mongrand.CommentvaCarly?

—TotoHank!criasonneveuSly,ensetortillantpoursortirdesa

chaisehaute.TotoHank!

Hankseforçaàsourireetcontournalatablepourfaireuncâlinàson

neveu.

—Salut,bonhomme.Oh!desharicotsverts!Miam!

Visiblement,Slynepartageaitpassonenthousiasme.Iltenta

aussitôtdefourrerunepoignéedeharicotsdanslabouchedeHank.

Bethanyéclataderire,puisgagnalacuisinedanssonfauteuilrou-

lantafind'allerchercheruneautreassiette.

—Assieds-toi!lança-t-ellepar-dessussonépaule.

RyanselevaetserralamaindeHank.

—Quelbonventt'amène?

—J'aiunproblèmeetjevoudraisendiscuteravecvous.

Sasœurrevint,posadescouvertsdevantluiettapotaledossier

d'unechaise.

—Lesproblèmessonttoujoursplusfacilesàrésoudreàplusieurs.

Assieds-toidonc.

Hankpritlachaise.

—Jen'aivraimentpasfaim.Carlym'aquitté.

Bethanysefigea.

—Ohnon!

—Monvieux,jesuisvraimentdésolé,ditRyan.

Tousdeuxcessèrentdedîner,etécoutèrentHankleurfairelerécit

desévénementsdelajournée.LeregarddeBethanyétaitpleinde

compassion.

—Elleadûavoirunepeurbleue,Hank,dit-elledoucement.Ellea

faillisenoyerdanscettemare,etc'estunmiraclequ'ellen'aitpas

perdulebébé.

Hankacquiesça,lagorgesinouéequ'ilavaitdumalàparler.

—Ilfautquej'aménageleranchpourqu'ellenesoitplusendanger

là-bas.Leproblèmeestquejenesaispasvraimentparoù

commencer.

Bethanyretournaàlacuisineetrapportaunebouteilledevinettrois

verres.

—Ceseraextrêmementcher,surtoutsitufaisvenirdesexperts

pours'occuperdesplans.J'aiplusieursamisaveuglesquej'ai

rencontrésàl'universitéetjesuissûrequejepeuxtetrouverdebons

contacts.Maisilsdresserontsûrementunelistedechangementsà

apporterquiserapluslonguequetonbras.

Cherchantàdissiperlatensiondesesmuscles,Hanksemassala

nuque.

—Jenem'inquiètepaspourlecoût.Jesuispropriétairedelamoitié

duLazyJ;j'hypothéqueraimapart.

RyanpritleverredevinqueBethanyluiavaitservietsecalasursa

chaise.

—Ceneserapasnécessaire.Jeteferaiunprêt.

HanksavaitqueRyanétaitrichecommeCrésus,maisilserefusaità

profiterdesafamille.

—Jenepeuxpasacceptertonargent,Ryan.Ilfautquejerègleça

toutseul.

—Nedispasdesottises!répliquasonbeau-frèreenreposantson

verresurlatableavecunbruitsec.Jesaisquetumerendrasl'argent.

D'ailleurs,Carlyneserapaslaseuleàbénéficierdeschangements.

Bethanyadumalàsedéplacer,auranch.Elleapeurdeseretrouver

coincéequandelles'éloignetropdelamaison.

—C'estvrai,intervintBethany.Le4juillet,jen'aipasvoulu

emmenerSlyjouerauborddelarivièreparcequelesolétaittrop

boueux.IlafalluqueRyanailleaveclui.Jevousrendraisvisite

beaucoupplussouvent,s'ilyavaitdesalléesoùjepeuxrouleren

fauteuil.

—Jesuisvenuvousdemanderdesinformationsetdesconseils,pas

del'argent,ditHankensecouantlatête.

—Net'enfaispaspourça,réponditRyan.Çan'auraitpasdesens

d'hypothéquerleranch,demettreenpérillapropriétéfamiliale,

sansparlerdetasourcederevenus,alorsquej'aiplusd'argentqueje

nepeuxendépenser.Jeseraivraimentfâchésitupersistesdans

cettevoie.Commentpeux-turefuserunprêtsansintérêts,à

remboursementsflexibles?

Hankarquaunsourcil.

—Sansintérêts?C'estdubonsens,ça?

Ryanfitunclind'œilàsafemme.

—Monretoursurinvestissementseradevoircetroutransforméen

unranchmoderneoùmafemmepourraserendresansavoirà

craindrequelesrouesdesonfauteuilsecoincentàtoutboutde

champdansdesornières.

Hankneputs'empêcherderire.

—Cetrou?Excuse-moi,maistuparlesdupatrimoinefamilial!

—Exactement.

RyandésignaBethanyduregard.

—C'estuneCoulter.Siquelqu'unaledroitdesepromenersurces

terres,c'estbienelle.Fonce,Hank.Faisdeceranchunendroitidéal

pourleshandicapés.Marécompenseseradevoirtasœursillonner

leslieuxavecnosenfantsetleurmontrertoutesleschosesqu'elle

faisaitquandelleétaitpetite.

—Amen,plaisantaBethany.

—Vousn'avezqu'unenfant,objectaHankenregardantSlyqui

engloutissaitsapuréeavecsesdoigts.Pourquoiutilises-tule

pluriel?

Bethanyrougitetjetauncoupd'œilendirectiondeRyan.

—Tuesenceinte?demandaHankavecunrireincrédule.C'est

fantastique,Bethie!Félicitationsàvousdeux.

—Nousn'ensommespasencoresûrs,ditBethanyenrougissantde

plusbelle.Jelesuispeut-être.

Ellejetaunnouveaucoupd'œilversRyan.

—Enfin,sansdoute.Jesuisenretard.

—Trèsenretard,précisaRyanensouriant,sesyeuxbleuspétillant

d'affectionalorsqu'ilregardaitsafemme.Elleaétésioccupéecet

étéaveclesstagesdequitationpourenfantshandicapésqu'elle

négligeleplusimportant-commedemediresijevaisêtrepapade

nouveau.

—Jenenégligeriendutout!répliquaBethanyenfaisantlamoue.

C'estjustequejen'aipaseuletempsdefaireuntest!

Ellefitunclind'œilàsonmari.

—Etsijenelesuispas,nouscontinueronsàessayer.

—Jesuistrèscontentpourvousdeux,affirmaHank.

—Àproposdeceprêt...,repritBethany,redevenantsérieuse.Ryan

aunefortunecolossale.Situhypothèqueslesterres,jenetele

pardonneraijamais.

Incapabledetrouverlesmotsqu'ilcherchait,Hankrestauninstant

sansvoix.Ilnesavaitqu'unechose:ilavaitunechanceincroyable

d'avoirunefamilleaussimerveilleuse.

—J'accepte,dit-ilenfin.Merci,Ryan.Ilm'auraitpeut-êtrefalluun

moispourobtenirceprêt.Maintenant,jevaispouvoircommencer

lestravauxsanstarder.

—Ettupourrasramenertafemmechezelled'autantplusvite,

intervintBethanyavecunsourireravi.

—J'aihâted'allerlachercher,avouaHankd'unevoixblanche.J'ai

promisàBessd'attendrequetoutsoitaménagé,maisçanevapas

êtrefacile.

Ryanselevaetallachercherletéléphone.

—Bethany,tuveuxchercherlescoordonnéesdetesamispour

Hank?

Sansattendre,ilcomposalui-mêmeunnuméro.

—Bonsoir,Rick.IciRyanKendrick.Dis-moi,commentvontles

affaires?Tun'auraispasquelqueshommesdisponibles,parhasard?

Ilécoutauninstant,puislevalepouceendirectiondeHank.

—Génial!Monbeau-frèreabesoind'effectuerdestravaux,leplus

tôtpossible.C'estunprojetd'envergure,similaireàcequetuasfait

pourmoiauRockingK.

LesouriredeRyans'élargit.

—Deuxéquipes?Monvieux,ceseraitfantastique.Sinous

pouvionslesréserveràpartirdelasemaineprochaine,ceserait

parfait.

Ryanmarquaunepause.

—Biensûr.HankCoulter,auLazyJ,àl'estdelaville.

IlindiqualenumérodeHank.

—Çamarche.Ilattendratonappel.Merci,Rick,etàbientôt.

Ryanmitfinàlacommunicationetsourit.

—RickTanneremploielesmeilleurshommesducoin,etila

justementdeuxéquipesdisponibles.EllespeuventêtreauLazyJ

lundimatin.

Ryanavaitpuvoirparlui-mêmelaqualitédutravaildeTannerau

RockingK.Sisessouvenirsétaientbons,l'entrepriseavait

égalementterminélechantierenuntempsrecord.

—C'estfantastique!Merci,Ryan.

PourlapremièrefoisdepuisledépartdeCarly,Hanksedétenditun

peu.Ilavaitlesfondsnécessairesàl'aménagementdetoutleranch,

etneseraitpassaignéàblancparlesremboursements.Ilavaitaussi

dupersonnelprêtàeffectuerlestravaux,etBethanyallaitlemettre

encontactavecdesprofessionnelsquiplanifieraientleprojet.

Avecunpeudechance,CarlyseraitderetourauLazyJdans

quelquessemaines.

21.

Deboutsurleseuildelachambred'amis,ArtAdamsregardaitsa

fillequivenaitenfindes'assoupir.

Depuisqu'elleavaitsonnéàsaportetroissemainesplustôt,elle

broyaitdunoir.Danslespremierstemps,ilsavaientpassédes

heuresàsurferensemblesurInternetàlarecherched'unemploien

Arizonaoudansl'Oregon.Commecelanedonnaitrien,elleluiavait

demandédeluilirelesoffresd'emploisdanslejournalquotidien,et

lesécoutaitlestraitstendus,lesyeuxfixéspresquefiévreusement

surlevide.Iln'yavaitaucunpostevacantdanslesenvironssus-

ceptibledeluiconvenir.Chaquesoir,quandilouvraitlejournal,Art

priaitpourqu'ilstrouventquelquechose.Mêmeuneplacede

réceptionnisteluiauraitdonnél'impressiondeserendreutile.

Hélas!leurseffortsétaientrestésvains,etsansordinateurspé-

cialementéquipé,Carlynepouvaitmêmepasrédigerunelettre

touteseule.

Ilsouffraitdelavoiraussiabattue,ellequiavaittoujoursétésifière

desonindépendance.Dansdescirconstancesdifficiles,d'autres

femmespouvaientdevenirserveuses,surveillerdesenfantsou

vendredeshamburgerspourjoindrelesdeuxbouts.Aucunedeces

optionsn'étaitenvisageablepouruneaveugle.

Carlyavaitmaigridemanièreinquiétante.Sadéterminations'était

érodéeaufildesjours,laissantplaceàunesorted'apathie.À

présent,ellepassaitleplusclairdesontempsassiseprèsdela

fenêtre,écoutantdelacountryàlaradioenfixantledésertsansle

voir.Sesyeuxautrefoissivivantsn'exprimaientplusqu'unterrible

désespoircontrelequelArtnepouvaitrien.

IlenétaitdoncvenuàvoueràHankCoulterunehainequil'effrayait

lui-même.Sonenfantavaitlecœurbrisé,etl'hommequ'ellepleurait

nesesouciaitpasassezd'ellepourluitéléphoner.Jamaisdesavie

Artnes'étaitsentisifurieux,sifrustré,siimpuissant.

Cesderniersjours,ilavaittentédeprendredurecul,derecouvrer

sonéquilibre,maisc'étaitimpossible.Commentunpèrepouvait-il

prendredeladistancevis-à-visdesonuniqueenfant?Lebonheur

deCarlyétaitlesien;sadouleurlasienneaussi.L'universdesafille

s'étaitécroulé,etlesiens'entrouvaitbouleversé.

Lasonneriedutéléphonel'arrachaàsessombresréflexions.Après

undernierregardsurCarly,ilrefermalaporteavecprécautionet

gagnalesalonenclaudiquant.

—Allô?

—MonsieurAdams?réponditunevoixgrave,masculine.IciHank

Coulter,lemarideCarly.

Uninstant,Artfutsistupéfaitqu'ilrestasansvoix.Puislacolère

déferlaenlui,sisoudaineetsiviolentequ'ilsemitàtrembler.

Depuisdesjoursentiers,ilressassaitcequ'ildiraitàceméprisable

individusil'occasionluienétaitdonnée.Ilsedirigeaverssa

chambre,oùilpourraitluidiresonfaitsansréveillerCarly.

Unefoislaportereferméederrièrelui,Artexplosa.

—Espècedevaurien,desalopard!

Cen'étaitpasexactementl'entréeenmatièrequ'ilavaitenvisagée,

maisc'étaitundébut.IlsedemandasiCoulteravaitraccrochéet

espéraqueoui.Carlyn'avaitrienàattendredelui.

Unbrefsilences'ensuivitpuisCoulters'éclaircitlavoix.

—Oui,monsieur.Jesuistoujourslà.

Le«monsieur»pritArtaudépourvu.L'espaced'uneseconde,ilse

demandas'iln'avaitpasjugéinjustementcethomme.Maisnon!Sa

politessen'étaitprobablementqu'unefaçade.Iln'allaitpasselaisser

abuseraussifacilement.LesactionsdeCoulterendisaientpluslong

quen'importequeldiscours,etellesn'étaientpascellesd'unhomme

éprisdesafemme.

—Commentosez-voustéléphonericiaprèstroissemainesde

silence?s'exclamaArt.Sivousvousimaginezquejevaisvous

laisserparleràmafille,vousvousfourrezledoigtdansl'œil.Vous

l'avezmiseenceinte,vousavezgâchésesétudes,etpourfinirvous

avezrompuavecelle.Vousnecroyezpasquevousavezluifait

assezdemal?

Contrairementàcequ'ilimaginait,Coulterneluiraccrochapasau

nez.IlnedemandapasnonplusàparleràCarlymaisresta

longuementsilencieux.Lorsqu'ilrepritenfinlaparole,savoixétait

empreintederegret.

—Vousavezabsolumentraison,monsieur.Jesuiscoupabledetout

cedontvousm'accusez,exceptéladernièrechose.

—Commentça?demandaArt,incrédule.Mafilleestanéantie.Si

vousn'êtespasresponsable,quil'est?

—Lescirconstances.

—Lescirconstances?

—Oui,monsieur,etj'essaiederemédierauproblèmedepuisqu'elle

m'aquitté.Maintenantquec'estchosefaite,j'aimeraism'entretenir

avecvousdelamanièredontjedevraisagir,sipossibleavecvotre

bénédiction.

—Agir?Auprèsdemafille,vousvoulezdire?Nevousfaitespas

d'illusions!

—Jecomprendsquevousayezpeurpourelle,monsieurAdams.

J'avaiscomplètementtort,jel'admets.

Denouveau,Artfutsurpris.Ilnes'étaitpasattenduàcequ'il

reconnaissesaculpabilité.

Coulterprituneinspirationhésitante,puispoursuivit.

—Ilfautquejevousdise,pourmadéfense,quejen'avaisjamais

connudepersonneaveugle.JesavaisquelavuedeCarlyse

détériorait,maisjenesoupçonnaispasunesecondequ'elleétaiten

danger.Nousavionsparlédefairedesaménagementsauranch;je

croyaisqu'onpourraitattendresaprochaineopération.L'accidentde

lamarem'amontréledangerqu'ellecourait.Jevousjurequej'aià

peinefermél'œildepuis,tantj'étaispressédetoutaménager.

Artétaitperplexe,maisCoultercontinuaavantqu'ilaitpudemander

desclarifications.

—Elleseraparfaitementensécuritéavecmoi,dorénavant.Jesais

quevousvousditessansdoutequejen'aipasputransformerle

ranchdefondencombleentroissemaines,maisjevousdonnema

parolequesi.J'aifaitvenirdesexpertspourétablirlesplans

nécessaires,etdeuxéquipesd'ouvrierspoursechargerdestravaux.

Artlevalamainpourl'interrompre,puissesouvintqueCoulterne

pouvaitpaslevoir.

—Dequelaccidentparlez-vous?

—Çanesereproduirapas,assuraCoulter.Jesaisqu'elleaété

terrifiée.Elleafaillimourir.J'auraisététerrifiéaussi,àsaplace.J'ai

faitaménagerdesalléesmuniesdemainscourantesàtraverstoutle

ranch,avecinterphoneàchaqueintersectionpourluipermettre

d'appeleràl'aidesielleestdésorientée.Chaqueappareilporteune

inscriptionenbraille,demanièrequeCarlypuissesavoiroùellese

trouve.J'aiégalementunbiperàmaceinture.Ellepourramejoindre

àtoutmoment.

Soudainvidédesacolère,Artselaissatombersurlelit.

—Mafilleesttombéedansunemare?

Cen'étaitpasvraimentunequestion.Lespiècesdupuzzle

commençaientàsemettreenplace...

—Ellenevousl'apasdit?demandaCoulter,décontenancé.Dans

cecas,quelleraisonvousa-t-elledonnéepourm'avoirquitté?

Envingtetuneépouvantablesjournées,lahainequ'Artvouaitàcet

hommeavaitprisdegigantesquesproportions.Illuifallutquelques

instantspouraccepterl'idéequesafilleavaitquittésonmari,etnon

l'inverse.

—Ellenem'apasvraimentdonnéderaison,admit-il.J'aisupposé

quevousl'aviezmenéeenbateauetplaquéequandvousvousétiez

lasséd'elle.

—Lasséd'elle?

Pourlapremièrefoisentroislonguessemaines,Artsesurprità

sourire.Ilétaitévidentquecethommeaimaitsafilleetilsesentit

soudaincoupabledel'avoirabreuvéd'insultes.Ilfuttentédelui

présentersesexcuses,puisseravisa,décidéàdéterminerunefois

pourtoutesquelgenredetypeétaitHankCoulter.

—Lesmotsnecoûtentrien,grommela-t-il.Mafilleesticidepuis

troissemaines,etvousn'avezpasdécrochévotretéléphonepourlui

parler.Celamedittoutcequej'aibesoindesavoir.Elleseraplus

heureusesansvous.

—J'attendaisquelestravauxsoientterminés,protestaCoulter.

C'estpourcetteraisonqu'ellem'aquitté,àcausedesdangersqu'elle

couraitauranch.Elles'étaitpersuadéquelesaménagementsnéces-

sairesmeconduiraientàlaruineetquejeseraisplusheureuxsans

elle.C'estfaux.PouravoirCarlyavecmoi,jerenonceraisauranch

sansl'ombred'unehésitation.

Carlyavaittoujourseupeurquesacéciténesoitunfardeaupour

ceuxquil'aimaient.Lesourired'Arts'accentua.

—Ça,c'estvousquiledites!répliqua-t-ilenmettantjusteassezde

scepticismedanssavoixpourprovoquersoninterlocuteur.

—C'estlavérité!Jel'aimedetoutmoncœur.

Artémitungrognementsarcastique.

—Vousavezunedrôledefaçondelemontrer.Àcausedevous,ma

filleaunemineaffreuse.Elleaperdutellementdepoidsqueçame

faitpeur.

—ÔmonDieu!murmuraCoulteravecémotion.

—Jesuisprofondémentinquietnonseulementpoursasanté,mais

aussipourcelledubébé,poursuivitArtimpitoyablement.

Surcepointaumoins,ilnementaitpas.

—Etmaintenantvousappelezsanscriergare,etvousvousattendez

àreprendrelecontact?Vousnemanquezpasd'audace!

Unbruitsourdsefitentendreàl'autreboutdufil.LorsqueCoulter

repritlaparole,savoixvibraitdecolère.

—Bien.Jecomprendsvotrepointdevue.Maintenant,essayezde

comprendrelemien.Avectoutlerespectquejevousdois,

monsieur,c'estdemafemmequenousparlons.Jeviendraila

chercherdemain.Sivousavezl'intentiondem'enempêcher,jevous

suggèred'attendresurlesmarches,unfusilchargéàlamain.

—Ilseraitplussimpled'appelerlapolice.

—Faitescommevouslejugerezbon.Unenuitenprisonneme

tuerapas.Comprenez-moibien.J'aimevotrefille,etellem'aime.

Peuimportecombiendenuitsjedevraipasserenprison.Tôtoutard,

jelaramèneraiici,carsaplaceestavecmoi.Etquandcejour

viendra,neserait-ilpaspréférablepourvousd'êtreenbonstermes

avecvotregendre?

Artneputs'empêcherd'admirerlarésolutiondeCoulter.Uneforce

certaineémanaitdelui,mêmeautéléphone.Detouteévidence,il

n'étaitpashommeàselaisserabattre.Ilétaitexactementlemari

dontCarlyavaitbesoin,quelqu'unquiseraitàsescôtésquoiqu'il

arrive.

—Judicieuseremarque.

—J'espéraisobtenirvotrebénédictionavantde...

Coulters'interrompit,laissantplanerunsilenceinterrogateur.

—Pardon?dit-ilenfin.

—Jedisaisquec'étaitunejudicieuseremarque.Jetienseneffetà

êtreenbonstermesaveclemaridemafille.Àquelleheuredois-je

vousattendredemain?

—Unpeuavantmidi,réponditCoulterd'untonprudent.Je...

quelquechosem'aéchappé?

Artsepermitenfindelaisseréchapperunrire.

—Non,fiston.Ilseraitplusexactdedirequejen'avaispastoutà

faitsaisilasituation.QuandCarlyestarrivéeiciilyatrois

semaines,lesyeuxtoutrougesd'avoirpleuré,lacolèrem'aaveuglé.

Unjour,vouscomprendrezcequejeveuxdire.Jen'aipasréfléchi;

j'airéagi.Mapetitefillesouffraitet,dansmonesprit,vousétiez

coupable.

—Etellen'apasessayédevousdétromper?

Artritdenouveau.

—Non.Chaquefoisquejeluiaidemandécequis'étaitpassé,elle

s'estbornéeàdirequeçan'avaitpasmarché.Commeilétaitévident

qu'ellevousaimaitencore,j'enaitirémespropresconclusions.Bref,

jevousdoisdesexcuses.

—Nevousexcusezpas.Ilmesuffitdesavoirquevousnetirerez

passurmoiquandjefrapperaiàvotreporte.Jel'aime,monsieur

Adams.Jeneveuxqu'unechose,fonderunfoyeravecelleetla

rendreheureuse.

—Celavousennuierait-ild'entendreleconseilbienintentionné

d'unvieilhomme?

—Non,monsieur.Jesuistoujoursprêtàécouterlesbonsconseils.

Changeantdeposition,Arts'adossaàlatêtedelit.

—J'espèrequevousêtesconfortablementinstallé.J'aiunelongue

histoireàvousraconterausujetdemafille.

*

Lelendemainmatin,àonzeheuresquaranteprécises,Ryan

Kendrickgaraituneberlinedelocationdevantlepavillon

préfabriquéd'ArtAdams.Hankregardalesbardeauxenaluminium

vert,lesfenêtrespeintesenblanc,lesbaiesvitréesetlavérandacou-

verte.CommesouventenArizona,lejardinétaitagrémentéde

rochersornementaux,decactusetdeplantesgrasses.Des

jardinièresdefleursauxcouleursvivesornaientl'ensemble.

—Ehbien,fitRyanensetournantversHank.Tuvasresterlàtoute

lajournéeàypenseroutuvasallerlachercher?

Hankprituneprofondeinspiration.

—Jen'aijamaisétéaussinerveux.Devrais-jeessayerdela

raisonnerd'abordoujustelaprendredansmesbrasetlaramener?

Bethanypivotaverslui.

—Hank,enfin!Ellenevoudrarienentendreavantd'avoirvules

améliorationsquetuasapportéesauranch.Tupeuxparlerautant

quetuvoudras,luipromettrelalune,ellenecroiratoujourspasque

vouspouvezvivreensemble.Ilvafalloirquetuleluimontres

d'abord.

Ryanhaussalesépaulesetlevalesmainsensigned'impuissance,

unelueuramuséedanssesyeuxbleus.

—C'estellel'experte,pasmoi.C'estuntrucdefemmes.

—Sûrementpas!protestaBethany.Leshommeshandicapés

éprouventexactementlamêmechose.

Sortiravecunepersonnedépourvuedehandicapestdéjàeffrayant.

Quandcettepersonnevitenpleinecampagne,c'estinfinimentpire.

—Cedoitêtresonpère,remarquaRyaneninclinantlatêteversla

maison.

Hankseretournaetvitunhommecourbé,d'apparencefrêle,debout

devantlaporteàmoustiquaire.Ilparaissaitbeaucoupplusâgéque

Hanknel'avaitimaginé.

—Iltefaitsigned'entrer,ditBethanyensouriantàHank.Unami

danslecampennemi!Vas-y,Hank.Carlyserapeut-êtrefâchéesur

lecoup,maisunefoislechocpassé,elletrouveraquec'estfollement

romantique.

Hanknepouvaits'empêcherd'endouter.Carlyétaitfarouchement

indépendante,etilétaitpeuprobablequ'elleapprécied'êtrearrachée

parlaforceàlamaisondesonpère.Ilsentitlasueurcoulerlelong

desonéchinealorsqu'ilouvraitlaportière.

—J'yvais.

Ildescenditdevoiture,puissepenchaàl'intérieur.

—Soisprêtàdémarrer,Ryan.Sileschosestournentauvinaigre,je

veuxêtreàmi-chemindel'aéroportavantquelesvoisinsappellent

lapolice.

Ryanfeignitdeluiadresserunsalutmilitaire.

—Entendu,chef.J'aifailliêtrepasséàtabacunefois,ajouta-t-ilen

décochantàBethanyunregardmoqueur.Jen'aipasenviede

renouvelerl'expérience.

Bethanyluidonnaunetapeespièglesurl'épaule.

—Tunel'oublierasjamais,hein?

—Certainementpas.C'étaitentièrementta...

Leresteseperditdansleclaquementdelaportière.Hanksedétendit

quelquepeuenvoyantrireBethanyàl'intérieur.Personnene

pouvaitnierqueRyanetelleformaientuncoupleparfait,endépit

duhandicapdontellesouffrait.

SiBethanyetRyanavaientréussiàseconstruireunevieensemble,

pourquoiCarlyetluin'yparviendraient-ilspas?

Hanks'engageadansl'allée.Legravierblanccrissaitsoussesbottes.

ArtAdamsluitintlamoustiquaireetluiadressaunsalutdelatête.

—Quiestlà,papa?demandaunevoixféminineàl'intérieur.

HankrenditsonsalutàArt,traversalavérandaetentra,sesbottes

résonnantsurunpetitcarrédemarbredansl'entrée,bordésurtrois

côtésparunemoquettecouleurivoire.Ilparcourutduregardle

salonetlecoinsalleàmangerattenantquis'ouvraitsurunecuisine

aufond.Lamaisonétaitbienrangée,modestementmeublée,et

sentaitleneuf.

ÀpeineHankavait-ilnotécetteodeurqu'uneautreluiparvint,

reconnaissableentremille-leparfumderoseàlafoislégeret

enivrantàjamaisassociéàCarlydanssamémoire.Commeattiré

parunaimant,sonregardseportaàl'endroitoùelleétaitassise,dans

unrocking-chairprèsdelafenêtre.Lesrayonsdusoleiltombaient

obliquementàtraverslesvitres,entourantd'unhalolenuagede

cheveuxblondsautourdesesépaulesetsoulignantlamaigreurde

sonvisagepâle.

Hankeutl'impressionderecevoiruncoupdepoingdansleventre.

DescernessombressoulignaientlesgrandsyeuxbleusdeCarly.Ses

jouess'étaientcreuséesaupointqu'ellesemblaitpresque

squelettique.Artl'avaitprévenu,maisrienn'auraitpulepréparerà

untelchoc.

Ilfittroispashésitantsdanssadirection.Elleinclinalatêtepour

écouter,l'airdeplusenplusperplexe.Sonregardétaitfixé

directementsurlui.Ilattenditunsignedesapart,uneindication

qu'ellel'avaitreconnu.Riennevintetilcompritenfinqu'ellenele

voyaitpas-pasmêmeunesilhouettefloue.Entroissemaines,elle

étaitdevenuepresquecomplètementaveugle.

—Hank?murmura-t-elle,incrédule.

Ilmitlesmainssurlesaccoudoirsdufauteuiletsebaissajusqu'à

êtrenezànezavecelleafinqu'ellepuissevoirsonvisage.

—Pasdutout.Jesuisl'employéd'UPSvenuchercheruncolisà

destinationdel'Oregon.

—Que...

Saquestionfutinterrompueparuncridestupeurlorsqu'illasouleva

danssesbras.

Hankcrutvoirunelueurdejoiebrillersanssesyeuxmagnifiques,

puisellelaissaéchapperungrognementindigné.

—Pose-moitoutdesuite!Qu'est-cequetufais?

—Jesuisvenucherchermafemme.

Illafitbougerdanssesbraspours'assurerunemeilleureprise,ce

quieutpourconséquencepositivequ'ellenoualesbrasautourde

soncou.

—Oh!Nemelaissepastomber!

Pasdedanger.Ellen'étaitpaspluslourdequ'unédredondeplumes.

Hanksetournapoursortiretvitavecsurprisequ'Artl'attendaitàla

porte,tenantd'unemainlamoustiquaireouverteetdel'autrequatre

sacsenplastiqueremplisdevêtements.

—Sij'aioubliéquelquechose,jevousl'enverrai,dit-ilàHank.

Portez-la.Jemechargedesbagages.

—Papa?

LavoixdeCarlyétaitperçante,incrédule.

—Faisquelquechose!

—Commequoi?

—Empêche-le!

Artsouritetfitunclind'œilàHank.

—Ilaquaranteansdemoinsquemoi,monchou.Jenesuispasde

tailleàlutter.

Hanksetournasurlecôtépourfranchirlaporte,ignorantCarlyqui

sedébattait.

—Situcontinuesàgigoter,jetebalancesurmonépaulecommeun

sacdeblé,l'avertit-il.

Ellesefigeaentresesbras,puisseraidit.

—Tun'oseraispas!

—Tuveuxparier?

Ilsehâtadetraverserlavérandaetdedescendrelesmarches.

Commeils'approchaitdelaberline,Ryanvintluiouvrirlaportière

passager.

—Bonjour,Carly.Enchantédevousrevoir.

—Salut,Carly!lançagaiementBethanydepuislesiègeavant.Je

suisvenuepourservirdecopiloteàRyan.Nousavonsempruntéle

vieuxcoucoudéglinguédesKendrick.

—Elleplaisante,sehâtadedireHank.C'estunaviontrès

confortable,etRyanestunpiloteexpérimenté.

—Biensûrquejeplaisantais,répliquaBethany.Ryan

n'emmèneraitjamaissafemmeenceinteàbordd'unavionen

mauvaisétat.

Ellefitlagrimaceetportalamainàseslèvres.

—Zut!Jevoulaisgarderlesnouvellespourplustard,dit-elleen

souriant.Noussommesenceintesenmêmetemps,Carly.C'estcool,

non?

CarlyneparutpasavoircomprislesparolesdeBethany.Ellese

tortilladanslesbrasdeHank,cherchantfrénétiquementsonpère.

—Jenevaispaspartiravectoi,Hank,affirma-t-elle.Papa!Ilfaut

quetufassesquelquechose.Tunepeuxpaslelaisserm'emmener.

Artouvritlecoffreetydéposasesaffaires.

—Si,répondit-ildoucement.Laplaced'uneépouseestauprèsde

sonmari.Retournedansl'Oregon,machérie.Construis-toiunevie

heureuse,faisunbeaubébéetenvoie-moidestasdephotos.J'ai

soixante-treizeans,souviens-toi.J'aiélevéunenfant.Àprésent,je

veuxmereposer.

HanksentitCarlyseraidiràcesmotsetsutqu'ilsl'avaient

transpercéeaussisûrementqu'unelamedecouteau.Ill'installaavec

précautionsurlabanquettearrière,s'attendantàdemiàlavoirse

ruerverslaportièreopposée.Aulieudequoiellerestaimmobile,

l'airperduetaccablé.LecœurdeHankseserra.Celuisurquielle

avaittoujourspucomptervenaitdeluidirequ'ilnevoulaitplus

d'elle.

HankfaillitrefermerlaportièreetdireàArtqu'ilétaitallétroploin.

Ils'enabstintcependant.SonpèreconnaissaitCarlymieuxque

personne,etHankdevaitluifaireconfiance.Artsavaitcequ'il

faisait.Encoupantlesliens,illaissaitCarlyàladérive,sansautre

soutienqueHank.Aufildutemps,elledécouvriraitqu'ellepouvait

comptersursonamour.

Encorestupéfaitqu'ilsaientpuserapprocheràcepointdepuisle

débutdeleurconversationtéléphoniquelaveille,Hanksetourna

verssonbeau-père.Maisaprèstout,peut-êtrecelan'avait-ilriende

siétrange.Ilsaimaienttouslesdeuxlamêmefemme.

Lesyeuxbrillantsdelarmes,Artluiserralamain.

—Prenezsoind'elle,murmura-t-il.

Hankl'étreignitavecémotion.

—Jelarendraiheureuse,répondit-il.Jevousenfaisleserment

solennel.

Tremblantdetoussesmembres,Artluirenditsonétreinteavec

forceetluidonnaunetapedansledos.

—Jesais,fiston.Sij'endoutais,jenevousauraispaslaisséfaire.

—Téléphonez-nous.Jepaierailesappels.Elleaurabesoindevos

nouvellesrégulièrement.

Arthochalatête.

—Jevaispatienterquelquesjours,letempsqu'elles'installe.

Ildéglutitetessuyaleslarmesquiroulaientsursonvisageburiné.

—Maisjenepourraipasattendretrèslongtemps.

Hankacquiesçaàsontour,puissetournapourmonterdansla

voiture.Carlyregardaitdroitdevantelle,lesépaulesvoûtées,les

mainsinertessursesgenoux.Sonvisagen'exprimaitpaslamoindre

émotion.Ilenvisageadelalaisserenpaixunmoment,puisse

souvintdurécitqu'Artluiavaitfaitlaveilleetdécidaqueceseraitla

pirechoseàfaire.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetl'attira

contrelui,pressantlevisagecontresescheveux.Elletressaillitàson

contact.

—Jet'aime,CarlyJane,murmura-t-il.Jet'aimeraitoujours.

Bethanyseretournaetsepenchapar-dessuslesiègepourtapoterle

genoudeCarly.

—Jesuistrèscontentedeterevoir,Carly.JesaisqueHankettoi

avezquelquestrucsàrégleretquevousavezbesoindeparler.Je

veuxjustetedirequetoutelafamilleseralàpourtesoutenir.

EllefourradesdocumentspliésdanslesmainsinertesdeCarly.

—CesontdeslettresdeJake,deZekeetdesjumeaux.Ilssesont

tousengagésàêtredisponiblesuncertainjourparsemainepourte

conduireenvilleaucasoùHankauraitunempêchement.C'est

génial,non?Tun'aurasjamaisàt'inquiéterd'êtrecoincée.Etpuis,

papaetmamansesontportésvolontairespourfairedubaby-sitting.

SitutravaillesetqueHankestoccupéauranch,ilssechargerontdu

bébé.

Carlyeutunsouriremorne,maisneréponditpas.Bethanylançaà

Hankunregardsoucieux.Ilarqualessourcils,espérantfaire

comprendreàsasœurqu'ilvoulaitqu'ellesetaiseetlelaisseparler.

Bethanysetutetseretourna.

Hankdécidadeprofiterdecetteintimitétouterelativeetcaressa

légèrementlebrasdeCarlyàtraverssonchemisierblanc.Celui

qu'elleportaitlorsdelasoiréemerveilleusequ'ilsavaientpasséeau

lacLemolo,avantdefairel'amour.

Ilprituneprofondeinspirationetentamalediscoursqu'ilavait

répétécentfoisdanssatête.

—Jecomprendsàquelpointleranchdevaitteparaîtreeffrayant,

commença-t-il.Jeveuxquetusachesquejenesuispasencolère

contretoiparcequetum'asquitté.Jenel'aijamaisété.

Ilrepritbrièvementsonsouffle.

—Toutçaestderrièrenous,àprésent.Leranchesttotalementsûr

pourtoidésormais.Jenevaispasentrerdanslesdétails,tuverras

toi-mêmelesaméliorations.

—Non,rétorqua-t-elled'unevoixtendue.Jenelesverraipas.Je

suispresquetotalementaveugle,Hank.Lemot«voir»nefaitplus

partiedemonvocabulaire.

Hankfutfrappéparlefaitqu'ellen'avaitpascherchéàsavoir

commentilavaittrouvél'argentnécessaireàl'aménagementdela

propriété.Pourtant,c'étaitleprétextequ'elleavaitinvoquépour

justifiersondépart.Ilsongeaqu'Artavaitvujuste.Leproblème

n'étaitpasleurcapacitéàsurmonterlesobstacles,maislacrainte

secrètequ'elleavaitdelevoirselasserdeleurrelation.

Ellenevoulaitpasl'entendredirequ'ill'aimait.Ileutbrusquement

enviedelasecouercommeunprunier.Iln'étaitpasquelquegamin

superficiel,dépourvud'intentionshonorables,maisunadulte

responsableetconscientdesessentiments.Lorsqu'illuiavaitdonné

soncœur,celaavaitétépourtoujours.

C'étaitcependantuneconversationàgarderpourplustard,lorsqu'ils

seraiententêteàtête.Dansl'immédiat,ilnepouvaitquedirequ'il

l'aimaitetluiassurerqu'iln'avaitpasprisd'énormesrisquesfinan-

cierspourtransformerleLazyJ.Ilselançadoncdansune

explication,luirelatantqueRyanluiavaitoffertunprêtsansintérêt

qu'ilspourraientrembourseràlongterme.

—Neleremerciepas,intervintBethany.Lavérité,c'estqueRyana

soutenuleprojetpourmoiautantquepourtoi.

Elleajoutaqu'elles'étaitsouventsentieprisonnièreauLazyJ.

—C'estmerveilleux,maintenant,Carly!Ilyadesalléescimentées

partout.J'aiemmenéSlyàlarivièretouteseule,hier.L'eaunelui

arrivequ'àlachevilleetilnecourtaucundanger,maisavantmon

fauteuils'embourbait.Maintenant,jepeuxyallersansproblèmeet

garderl'œilsurluipendantqu'ilcherchedessalamandres.

Carlyeutunsourirefragile.

—C'estfantastique,Bethany.

HankécoutalesréponsesforcéesdeCarly.Combiendetemps

faudrait-ilavantqu'ellebaissesagardeets'autoriseàêtreheureuse?

*

LevolderetoursemblainterminableàHank,maismoinsdequatre

heuress'étaientécouléesquandilsatterrirentsurlapisteduRocking

K.Lesnerfstendusàcraquer,iltransféralesbagagesdeCarlydans

sonpick-up.Durantlesquaranteminutesdetrajetpourrentrerau

ranch,satensionnefitquegrandir.

Ilsegaraprèsdelamaisonprincipale,coupalecontactetpritles

clés,regardanttristementautourdelui.Partoutdesallées

sillonnaientleranch.Jakeetluiavaientpassédesheuresàexaminer

lesplanspours'assurerqueleranchseraitparfaitementsûrpourune

personnehandicapéetoutenrestanttotalementopérationnel.

Aucoursdestroissemainespassées,Hankavaitimaginécentfois

cetinstantetlajoiequ'ilverraitsurlevisagedeCarlylorsqu'illui

feraitvisiterleslieux.Àprésent,aprèslesrévélationsquesonpère

luiavaitfaites,ilsavaitqueleschosesn'allaientpassepasserainsi.

AvantqueCarlypuissevraimentêtreheureuse,elledevraitêtre

confrontéeàl'undesespireschagrins,etilétaitmalheureusement

celuiquiallaitlaforceràsereplongerdanslepassé.

—Voilà,dit-ilenfin.Noussommesàlamaison.

Ilsepenchaverselleetdéfitsaceinture.

—Vavoir.

—Jenepeuxpasvoir,luirappela-t-ellefroidement.

—Trèsbien,répliqua-t-ilavecunepatienceexagérée,vatoucher.

LeslèvresdeCarlyformèrentuntraitmince.

—Tuplaisantes?Jesuisdéjàpasséeparlà.Jen'irainulleparttoute

seule.

Hankessayaitdepuiscinqheuresdeluiarracherunsourireetse

sentaitàboutdepatience.Peut-êtreétait-ceunebonnechose.S'il

pouvaitsefâcherunpeu,celaluifaciliteraitlatâche.

Ilpensadélibérémentàl'injusticedontellefaisaitpreuveenverslui.

Sonirritations'accentua.Commentosait-ellelecompareràun

gamindedix-huitans?Commentosait-ellepenserqu'ilse

détourneraitd'elleàlapremièredifficulté?

Ilpouvaits'acquitterdesatâche.Ilsuffisaitpourcelaqu'ilse

concentresursonpointdevueàlui,etilnetarderaitpasàêtre

furieux.Ilregardadenouveauleranchensongeantàlafortunequ'il

avaitdépenséepourapportertoutescesmodifications.L'avait-elle

remercié?Non.Jusque-là,ellen'avaitmêmepasfaitminedes'y

intéresser.

Ildescenditetclaqualaportièreavecassezdeforcepourbriserles

vitresavantdecontournerlepick-upàgrandesenjambées.Carly

s'étaitrecroquevilléedanslecoinduranttoutletrajet,etellefaillit

tomberquandilouvritlaportière.Illaretintparlatailleetladéposa

sansménagementparterre.

—C'estunedisputequetucherches,CarlyJane?demanda-t-il

d'unevoixplusforteetpluscoléreuse

qu'iln'enavaiteul'intention.Parceque,sic'estlecas,laisse-moi

t'avertir.J'aitravaillécommeunfoupendanttroissemainespour

essayerd'accomplirdesmiraclesici.J'apprécieraisunminimumde

coopérationetdegratitude.

—Jenet'airiendemandé.

—Jel'aifaitquandmême.Tum'aspromisd'essayerderester.Nous

avionsunaccord!Nerevienspassurtaparole!

—J'aiessayé!

—Non.Tuaspristesjambesàtoncouaupremierobstacle.

—J'aifaillimourir.

—Maistun'espasmorte!Etmaintenantquetouslesproblèmes

sontréglés,tuneveuxpastournerlapagesurcequis'estpassé.

Elleredressalementonets'entouradesesbras.

—Pourrais-tuarrêterdecrier?

—Non.Pasavantdet'avoirfaitentendreraison.

—C'esttoiquiesdéraisonnable.Tuveuxquejevienneicietqueje

renonceàtoutsemblantdevienormale.

—Cen'estpasvrai!

—Cessedecrier!Tunepeuxpasm'intimider.Jen'aipaspeurde

toi.

—Menteuse.

Ilsepenchademanièrequeleursvisagessetouchentpresque,etelle

reculavivement.

—Tonlangagecorporeltetrahit,asséna-t-il.Ilhurle:«Neme

touchepas!».Ehbien,j'aidesnouvellespourtoi,machérie.Jete

toucheraisijeveux.Tuesmafemme!

—C'estunesituationquejepeuxfacilementrectifier!

rétorqua-t-elle.

Hankentendits'ouvrirlaportedelamaison.Ilseretournaetvit

Zekesortirdanslavéranda.Zekejetauncoupd'œilverseuxetfit

volte-face,refermantlaportederrièrelui.Tantmieux.Leschoses

allaientsegâteravantdes'améliorer.

IlseretournaversCarly.

—Ilfaudraquetumetuespourdivorcer.Jet'enchaîneraiaulitpour

t'enempêcher.

—Nememenacepas!Çaamarchéunefois,maisçanemarchera

plusjamais.Tujouesleméchant,maisaufondtuesdouxcommeun

agneau.

Douxcommeunagneau?Jusqu'àcetinstant,Hankavaitpour

l'essentielfaitsemblantd'êtrefurieux.Àprésent,ill'étaitvraiment.

Onl'avaittraitédetoutessortesdenomsd'oiseauàunmomentouà

unautredesavie,maisunagneau?C'étaitunaffrontàsavirilité!

Siellevoulaitqu'ilsoitméchant,ilpouvaitl'être.Ilsebaissa,

l'attrapaderrièrelesgenouxetlajetasursonépaule,faisant

néanmoinsensortequ'elleaitunatterrissageconfortable.Ellehurla,

mitlesmainssursaceintureetraiditlesbraspourseredresser.

—Qu'est-cequetufais,enfin?

Hanknesavaitpasaujuste,maiscelaluifaisaitdubiend'agir.Trois

longuessemaines!Elleluiavaittellementmanquéqu'ilavaitpleuré

commeunenfantàdeuxoutroisreprises,terrifiéàl'idéedevivrele

restedesaviesanselle.Etvoilàqu'ellesecomportaitcommes'il

avaitdespuces!

Ilsavaitqu'ellel'aimait,bonsang!Elleleluiavaitmontrédemille

manières.Ill'avaitvudanssesyeux,sentidanssescaresses.Une

femmecommeellenesedonnaitpasentièrementàunhommesans

luiabandonneraussisoncœur.Jamaisilnel'avaitembrasséesans

qu'ellefondeentresesbras,souple,douceetchaudecommedu

caramelliquide.

Cettepenséeentête,Hanksedirigeaverslechalet.Siellele

menaçaitencored'undivorcequandilenauraitfiniavecelle,ilne

s'appelaitpasHankCoulter.

—Pose-moiparterre!glapit-elle.

—Désolé.Pasquestion.Jet'enchaîneaulitetjetefaisl'amourdix

foisparjourjusqu'àcequetuavouesquetum'aimes.

—Oh!Pourl'amourduciel!

Elledétenditsesbrasetselaissaaller.

—C'estabsurde,Hank.Tusaisquetuneparlespassérieusement.

Quecherches-tuàprouver?

Bonnequestion.Oùavait-illatête?Ils'étaitcomplètementégaré.

Fairel'amournefaisaitpaspartiedesastratégie,dumoinspaspour

l'instant.Cettefemmelerendaitfou.

Ilviraàdroiteetelletressaillit,alarmée.

—Oùm'emmènes-tu?

Ilneréponditpas.Sansralentirl'allure,ilcouvritladistancequiles

séparaitdel'alléetouteneuvemenantauchalet.Unefoisarrivé,il

ouvritlabarrière,déposaCarlyetlapoussadevantlui.

—Oùsuis-je?demanda-t-elled'unevoixeffrayée.Hank?

Lapaniques'entendaitdanssavoix.

—Nemelaissepasici!

Hankagrippalebarreausupérieur,étenditlesbrasetbaissalatête,

s'efforçantdemettredel'ordresanssespensées.Ilfallaitqu'iltienne

bon,qu'ilaillejusqu'aubout.Ill'aimaittroppouraccepterson

indifférencesansrienfaire,mêmes'ilsavaitcequil'avaitcausée.

—Hank,jet'enprie!cria-t-elle,deplusenplusaffolée.

Ilrelevalatêteetlaregarda.Elleréagissaitexactementcommeil

l'avaitespéré.Sonplansedéroulaitparfaitement.Ellelecroyait

furieux;elleétaitaveugle,n'avaitaucuneidéedel'endroitoùellese

trouvaitetsecroyaitentouréededangers.Illutlaterreursurson

visage,l'appréhensiondanstoutsoncorps.Ellecroyaitsincèrement

qu'ilallaitluitournerledosetl'abandonnerlà.

—Jenet'abandonneraijamais,Carly,dit-ild'unevoixrauque.Ni

aujourd'hui,nidemain,nijamais.JenesuispasMichael.

Elletressaillitenentendantcenom.Sesyeuxseremplirentde

larmesetsonvisagedéjàpâledevintlivide.

—Quit'aparlédeMichael?

—Imaginemasurprisequandj'aiapprisquejen'étaispasle

premierprincecharmantàconquérirtoncœur!Tuasomisquelques

détailsconcernanttonadolescence,apparemment.Ilyaeuun

garçonquis'estintéresséàtoi.Pourquoinem'as-tupasparlédelui?

Elleserralespoings.

—Çaneteregardaitpas!rétorqua-t-ellefarouchement.

—Nedispasdesottises!Çameregardaitplusquetoutautre,au

contraire.Quandtonpèrem'aracontécettehistoirehiersoir,çaaété

commesilalumièresefaisaitdansmonesprit.LemystèreCarly

étaitbrusquementrésolu.Touts'expliquait-tatimiditélorsquenous

noussommesrencontrés,taréticenceàmeparleraprès,tonrefus

catégoriqued'acceptermonaidefinancière,sansparlerde

m'épouser.J'étaisleprincenumérodeux,etpireencore,unsalaud

quinevoulaitdetoiquepourlesexe.

—Tais-toi!

Hankreculad'unpaspuissautapar-dessuslagrillepourlarejoindre

dansl'allée.

—Ohnon,jenevaispasmetaire,Carly!Certaineschosesdoivent

êtredites.TuaspeurquejenesoisunautreMichaeldepuisla

secondeoùnousnoussommesrencontrés.Ilafaitsemblantdet'ai-

merendépitdetonhandicap,ettuétaistropjeuneettropnaïvepour

terendrecomptequ'ilavaitunearrière-pensée,àsavoircoucher

avectoi.Cen'estpasvrai?

—Jeneveuxpasparlerdeça!

—Trèsbien.Commetuvoudras.Grâceàtonpère,jepeux

continuersanstoi.

Elledéglutitetsecoualatête.

—Jen'arrivepasàcroirequ'ilt'aittoutraconté.

—Pourquoinel'aurait-ilpasfaitalorsqu'iltevoyaitrenonceràune

chanced'êtreheureuse?C'estunechancequ'ilm'aitparlé.Au

moins,àprésent,jesaiscontrequoijemebats.Ilnes'agitpasdes

améliorationsqu'ilfallaitapporterauranchpourquetusois

indépendante.Ils'agitdufaitquetuaspeurd'avoirbesoinde

quelqu'un-decroireenquelqu'un!Pendantuntemps,tuasmistes

craintesdecôtéetosécroirequejet'aimaisvraiment.Etpuistues

tombéedanslamareettoutestespeurssontrevenuesaugalop.Tu

t'esditquetuallaisredevenircelledontpersonnenevoulait,etqu'en

plustuseraisunfardeaupourquiconquet'aimait.Plutôtque

d'affrontertesangoisses,tuasprislafuiteendisantquetune

voulaispasgâchermavie.Mieuxvalaitmelaissertomberd'abord,

n'est-cepas?Mieuxvalaitprendrelesdevants,etpartirlatêtehaute

aulieuderesteravecmoietd'êtreblesséeunefoisdeplus.

—Tais-toi!

Elletournalestalonspourluiéchapperetseheurtaàlaclôture.Elle

s'enservitpourseguideretrepartitparoùelleétaitvenue,en

directiondelamaisonprincipale.Auboutdequelquesmètres,elle

arrivaàunposteinterphone.Lorsquesamainrencontraleboîtieren

métal,elles'arrêtaetensuivitlecontour.

—Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle,paniquée.Oùsuis-je?

—Àtoidemeledire,rétorqua-t-il.

Elletrouval'inscriptionenbrailleetsuivitlesformesdesesdoigts

tremblants.

—L'écurie?

Puisellepromenalepoucesurlaflèchequiindiquaitlechemin,et

trouvalesinscriptionsindiquantlechaletetlamaisonprincipale.

—Oh!Hank!murmura-t-elle,lavoixempreintededouleur.

—Directementàtagauche,ilyadeuxbarrières,dit-ild'unevoix

rauque.L'unemèneàl'étable,l'autreàlamaison.Elless'ouvrent

danslesdeuxsensetsefermenttoutesseules.Tusaurastoujoursen

arrivantàunebarrièrequetuasatteintuneintersection.Maistut'en

moques,n'est-cepas?Tuneveuxpasvivredanslemondequej'ai

crééicipourtoi,parcequetuastroppeurdem'aimer,demefaire

confianceetdecomptersurmoi.

Elleportalamainàsaboucheetrestaimmobile.

—J'aifaittoutcelapouravoirunevieavectoi,Carly.Parcequeje

t'aimeetquejenepeuxpassupporterd'êtreloindetoi.

Levisageassombriparunabîmededouleur,elleluiadressaun

regardsuppliant.

—Jevaisêtreaveugle!

LecœurdeHankseserratandisqu'ill'observait.Ellesetenaitdroite

etleregardaitdanslesyeux.Elleavaitpeaufinécetteattitudetoute

savieetyexcellait.Aupremierabord,personnen'auraitsoupçonné

qu'ellenevoyaitrien.

—Tul'esdéjà,dit-ildoucement.

—Pasentièrement.

—Presque.Tunevoismonvisagequesijel'approchetoutprèsdu

tien.

Ilfitunpasenavant.

—Oùsuis-je,Carly?

Ilfitunautrepas.

—Àcôtédetoi.C'estlàquejesuis.Tuesaveugle,etjesuis

toujourslà.Fais-toiàcetteidée.IlyabeaucoupdeMichaeldansce

monde,maisbonsang!jenesuispasl'und'entreeux.

LevisagedeCarlysedéfitetunsanglotétranglémontadanssa

poitrine.

—Souviens-toidecequ'ilétait!criaHank.Unpetitsalopard

égoïstequisefichaitpasmaldesautres.Ilavuentoiuneproie

facileets'estditqu'ilsuffiraitqu'ilt'accordeunpeud'attentionpour

quetucouchesaveclui.Ilestsortiavectoipendantquelques

semainesetagagnétaconfiance.Etpuis,unbeausoir,ilt'a

emmenéefaireunepromenadedanslesbois,t'ademandéplusque

desbaisersettuasrefusé.

—Oh!Hank!Arrête!Tuconnaisdéjàl'histoire.Àquoibonla

relaterparlemenu?

—J'essaiedetefairecomprendrequelquechose.

—Quoi?cria-t-elle.Dis-le,etqu'onenfinisse!

—Jen'airiendecommunavecMichael.

—Jelesais.

—Vraiment?Cen'estpastrèsclairpourmoi,Carly.Alorsnous

allonsraconterl'histoirejusqu'aubout,afindeconfirmerunefois

pourtoutesquejen'airiendecommunaveclui.Cetypet'aabandon-

néeenpleinenature,pourl'amourduciel!Iln'apaseuuneseule

penséepourcequipourraitt'arriver.

—S'ilteplaît...,supplia-t-elle.

Hanknepouvaitplusfairemarchearrière,àprésent.

—Enessayantderetrouvertonchemin,tut'escognéedansdes

arbres,tuastrébuchésurdessouches,surdesrochers.Tonpèreadit

quetuétaiscouvertedebleusetdeplaies.Etpourcouronnerletout,

tuestombéedanslelac.Cen'estpasvrai?

Luttantcontreleslarmes,lesépaulessecouéesdetremblements,elle

hochalatête.

—C'estpourcelaquetuassipeurdel'eau-parcequetuasbien

faillitenoyercettenuit-là.Maissurtout,c'estpourçaquetuaspeur

decroirequejet'aime.Aufonddetoi,tucrainsqu'unjouroul'autre,

jesoislassédetraînerunbouletderrièremoi.Peut-êtrequejenete

laisseraispasseuledanslesbois,maistuseraisquandmêmeseule,

sansdéfense,etterrifiéeparcequ'unefoisdeplus,tuaurasétéassez

stupidepourcroirelespromessesd'unsalaud.

Ellecapitulaenfinetsemitàpleurer.Sessanglotsétaientsecs,

saccadés,venantduplusprofondd'elle.Hankpassaunbrasautour

desesépaulesetl'attiracontrelui.Ilsepermitenfind'espérerque

c'étaitfini,qu'ellepourraitselibérerdesesdémonsetvoircet

épisodetelqu'ilétait,unsouveniraffreuxquin'avaitrienàvoiravec

euxouavecleuravenir.

Ilsetrompait.Elleserralespoingsetsemitàluimartelerla

poitrine.

—Jet'aientendu!Lesoiroùjesuistombéedanslamare.Jet'ai

entendu,Hank!

Iln'avaitpaslamoindreidéedeceàquoiellefaisaitallusion.

—Tuétaisdanslesalon,sanglota-t-elle.Jet'aientendupleurer.Et

puistuasdit:«ÔmonDieu!Etsijen'yarrivepas?»

L'estomacretourné,illaregarda.Ladouleurqu'illisaitdansses

yeuxlefitpresquechanceler.

Elledéglutitetretintsonsouffle.Elleavaitcessédelefrapper.À

présent,elleétaitimmobile,lecorpsrigide,ledosarquépour

maintenirunedistanceentreeux.

—Après,reprit-elled'unevoixincertaine,tun'aspasvouludemoi.

J'aiessayédefairel'amouravectoi,ettum'asrejetée.C'esttoiquias

enfreintnotreaccord.Tum'avaispromisdenepasresteravecmoi

pardevoir.Tumel'avaispromis!

—Oh!Carly!

Hanksesouvenaitparfaitementdecettenuit-là.Aucoursdestrois

semainesquivenaientdes'écouler,ilavaittournéetretournédans

satêtecesdernièresheurespasséesavecelle.EtCarlyavaitraison.

Elleavaittentédefairel'amouraveclui,etill'avaitrepoussée.

—Moncœur,non.Tuasmalcompris.

Ellesedétourna.Ilétaitclairqu'ellenelecroyaitpas.

—Jenepouvaispasfairel'amouravectoi,cesoir-là.J'étaistrop

bouleversé.Tuavaisfaillimourir!Jem'accablaisdereproches.Tu

m'avaisditetrépétéquejen'avaispaslamoindreidéedetes

besoins,etjenet'avaispasécoutée.Mastupiditéafaillitecoûterla

vie.Jemesentaistellementcoupable-etj'étaisterrifiéàl'idéedene

pasparveniràsécuriserleranch!Cen'estpasquejenevoulaispas

êtreavectoi.C'estcequejedésiraisleplusaumonde,aucontraire.

Jen'avaispascessédet'aimer.Commentpeux-tucroireunechose

pareille?

Àpeineeut-ilterminéqu'ilréalisaquesaquestionétaitstupide.

Avecsonpassé,biensûrqu'elleavaitpensécela.

Illapritparlebrasetlaramenaauposteinterphone.Telundément,

ilsaisitsondoigtetsemitàappuyersurdesboutons.

—Ça,c'estunelignedirecteverslamaison.Celle-ciestreliéeà

l'écurie.

Aprèsluiavoirmontrélasériedetouches,ilpressacelledel'alarme.

UnhurlementstridenttransperçalesilenceetCarlysursauta,

effrayée.Hankrelâchaleboutonpourfairecesserlebruit.

—L'alarme!Aucasoùlebipeuretl'interphoneneseraientpas

suffisants.Crois-tuqu'unhommequinet'aimeraitpasseserait

donnétoutcemal?Bonsang!Carly!Jet'aimedetouteslesfibres

demonêtre.Sinon,jeneseraispasallétechercherenArizona.

Deviolentssanglotslasecouèrenttoutàcoup.Hanklarepritdans

sesbras.Toutd'abord,ilsecontentadelalaisserpleurer.Lorsqu'elle

s'apaisaunpeu,ilsemitàlabercer,caressasescheveuxetlui

embrassalefront.

—Tuesaveugle,Carly.Etjesuistoujourslà.Quoiqu'ilarrive,je

seraitoujourslàpourtesoutenir,pourt'aimer.Jenepeuxpasvivre

sanstoi.Etjet'aimeraidetoutesmesforcesjusqu'àlafindemes

jours.

Elleenfouitlevisagedanssachemise.

—JepensaisqueMichaelm'aimait,chuchota-t-elle.

—Jesais.Bonsang!Tun'avaisquedix-huitans.Jesais,mon

cœur.

—Non,tunecomprendspas.Jelecroyaisvraiment.Jemesuisjuré

deneplusjamaisêtreaussistupide.

—Etpuisjesuisarrivé,uncow-boybeauparleur,ettuestombée

danslepanneauunefoisdeplus.

Ilresserrasonétreinteautourd'elle.

—Jecomprendscombiençaadûtefairemal.Etjecomprends

aussipourquoituétaissiméfianteenversmoi.Iln'yaqu'unefaille

danstonraisonnement.Jet'aimevraiment,CarlyJane,pas

seulementparcequetuesbelle,passeulementparcequ'onpassede

bonsmomentsensembleouparcequelesexeestfantastiqueavec

toi.J'aimetoutcheztoi,tout.Tupourraisenleverlamoitiédeces

choses,etjet'aimeraisquandmêmedetoutmoncœur.

Carlyinclinalatêteenarrièrepourmieuxdistinguersestraits.

—Jeveuxlecroire,maisilyaunepartiedemoiquiestterrifiée.

—Danscecas,noussommesbienassortis.Moiaussi,jesuis

terrifié.

—Toi?

Incrédule,ellefixasonvisagehâlé.

—Etcomment!Terrifiéàl'idéequetunemecroiespas,àl'idéede

teperdre.Jeferain'importequoi,Carly.Tun'asqu'àdemander.

J'iraivoirunpsyavectoisituveux.Jeremplaceraitouteslesallées

duranchsicelles-cineteconviennentpas.Maisnemedemandepas

devivresanstoi.C'estlaseulechosequejenepeuxpastedonner,

moncœur,taliberté.

Lasincéritéquiperçaitdanssavoixrauqueachevadeconvaincre

Carlyqu'ill'aimait.Ellesentaitlatensionquiémanaitdetoutson

corps.Ilcroyaitvraimentqu'elleallaitpeut-êtrelequitter,etle

savoirluidonnalecouragederester.

Elleluiencadralevisagedesesmainsetsehaussasurlapointedes

piedspoureffleurerseslèvres.Ilgémitetenfouitlesmainsdansses

cheveux,puissepenchaverselle,prenantpossessiondesabouche

avecunepassionquiluicoupalesouffle.Ellepromenalesdoigtsle

longdesoncou,sursesépaules,sursesbraspuissants.

Lorsqu'elleatteignitsespoignets,iltournalespaumesverslecielet

mitfinaubaiserpourreprendrehaleine.

—Cesmainsseronttoujourslà,murmura-t-il.Ellestedonneront

leurforcequandtufaibliras,leursoutienquandtuenaurasbesoin.

Jecroyaisenmesvœuxquandjelesaiprononcés,j'ycroistoujours

etjeferaidemonmieuxpourlesrespecterjusqu'àlafindemes

jours.Maisjevoudraistefaireuneautrepromesse.

—Laquelle?

—Mesyeuxserontlestiens.Quandtudeviendrasaveugle,jete

dessineraidesimagesavecdesmotspourquetupuissescontinuerà

voirlesbelleschoses.Tum'asditunjourquelaplusbellechoseque

tuavaisvueétaitlecielbleudel'Oregon.Jetefaisunepromesse,

Carly:iln'yauraqueducielbleudansnotrevie,mêmeaprèsquetu

serasdevenueaveugle.

Carlynoualesbrasautourdesoncou.

—Ramène-moicheznous,Hank.

Ilsebaissaetlasoulevadanssesbras.Tandisqu'illaportaitversle

chalet,ellelevalatêteverssonbeauvisage,gravantsestraitsdans

samémoire.Sionluidonnaitunseulsouveniràemporterdansle

noir,ceneseraitpasuncoucherdusoleilouunmagnifiqueciel

bleu.

Ceseraitlesouvenirdel'amourqu'ellevoyaitbrillerdanslesyeux

Épilogue

deHankCoulter.

Epilogue

Quandledernier-nédesCoulterfitenfinsonapparition,Art

Adams,Bess,Cricket,toutleclanCoulteretlafamilleKendrick

étaientréunisdanslecouloirdel'hôpital.

Hankétaitdanslasalled'accouchementavecsafemme,oscillant

entrelerôledesage-femmeetceluidemariinquiet.Ilavaitmisau

mondedesdizainesdepoulainsetavaitsincèrementcruqu'un

accouchementneletroubleraitpasoutremesure,maisiltressaillait

chaquefoisqueCarlypoussaituncridedouleur.

—Plusjamais,murmurait-ilàintervallesréguliers.Tum'entends,

Carly?Jevaismefairestériliser.

Entredeuxcontractions,Carlysouriaitfaiblement.

—Ilfaudramepassersurlecorpsd'abord,HankCoulter.Jeveux

avoirencoreaumoinsunbébé,etpeut-êtredavantage.

—Nedispasça.Jenepeuxmêmepasysongermaintenant.

Carlyn'avaitpasceproblème.

—Unegrossesseentredeuxgreffesnecauseraitpasde

complicationssérieuses.

—Etlepèrequimeurtd'uneattaque,ceneseraitpasune

complication?Jeneveuxpasterevoirsouffrirautant.

LorsqueHankJuniorfutenveloppéd'unecouverturebleue,Hankse

laissatombersurunechaise,aussiépuiséques'illuiavaitlui-même

donnénaissance.Lebébéblottidanslecreuxdesonbras,iltenaitla

maindeCarly.Ellenevoyaitqu'unépaisbrouillard.Exactement

commel'avaitpréditlespécialiste,elleétaitdevenuecomplètement

aveuglequelquesjoursseulementaprèsqueHankl'avaitramenée

d'Arizona,etellevivaitdepuisdansununiversgris.

Elleseconsolaitensedisantquesacécitéseraittemporaire.Dèsque

lemédecinlajugeraitassezrobustepoursupporteruneintervention,

ellesubiraitunenouvellekératectomie.Etquandcetteprocédure

cesseraitdefaireeffet,ellepourraitrecevoirsapremièregreffede

cornée.Sitoutallaitbien,etellevoulaitcroirequeceseraitlecas,

elleauraitdevantelledenombreusesannéesdevision.

Peut-être,avecunpeudechance,HankJraurait-ilfondéune

familleàsontourquandelleperdraitdéfinitivementlavue.Elle

pouvaitespérer.Ceseraitfantastiquedevoirsesenfantsdevenir

adultes.Quantàd'éventuelspetits-enfants,ceseraitunbonus.

Elleregrettaitseulementdetoutsoncœurdenepouvoirdistinguer

lestraitsdesonpetitgarçon.

CommesiHankavaitludanssespensées,ilsemitàluidécrirele

nourrisson.

—Ilestparfait,Carly,murmura-t-ilavecémotion.Ilalescheveux

brunsetlapeaumatecommemoi.Sespetitesjouessontrondeset

rouges,etsaboucheestexactementcommelatienne.

LesyeuxdeCarlys'emplirentdelarmes.Ellesavaitmaintenantà

quoiressemblaitlacouleurrouge,etlebrun,etquelleétaitlaforme

desabouche.

—Ilporteundrôledepetitchapeaubleu,ajoutaHank.Ona

l'impressionquec'estunepetitetêtefripéeenformedecône.

Carlyrit,imaginantleurbébé.

—Sesdoigtsetsesorteilssontminuscules,ettoutroses.

Ilsetutbrusquement.Carlypouvaitpresquesentirsonémotion.

—Qu'ya-t-il?chuchota-t-elle.

—Lejourselève.

Elleserenditcomptequelapièceétaitdevenueplusclaire.

—Jevoudraisquetupuissesvoirça,repritHank.Unelumièred'un

blancnacréquifiltreàtraverslesstoresetquidessinedesbandes

rosesetoricietlà.

Imaginantclairementlascène,Carlysecramponnaàlamainsolide

deHank.Ilsepenchapourl'embrasseretdéposalepetitfardeau

danssesbras.Guidantsesmains,illuimontralesdoigtsetlesorteils

deleurfils.

—As-tujamaisvupluspetit,plusparfait?

Hankcontinuaàpeindredesimagesavecdesmots,afinqu'elle

puissetoutvoirdanssatête.L'amours'entendaitdanssavoixtandis

qu'ildécrivaitlespetitesjambesarquéesdeleurfils,sonventretout

rond,sonpetitvisageridé.Chaquemotétaitprononcéavecun

dévouementetunetendressesincères.

Carlysedemandacommentelleavaitjamaispucroirequecet

hommenevoulaitpasd'elle.

Unedélicieusechaleurl'envahitet,avecunsoupirlas,ellelaissases

yeuxsefermer.Toutesavie,elleavaitsuqu'elleneverraitqu'un

tempsetqu'elleredeviendraitaveugleensuite.Maisjamaiselle

n'avaitimaginépouvoirenvisagerleretourdelacécitéavectantde

sérénité.

AvecHankàsescôtés,elleneseraitplusjamaisvraimentaveugle.

Sesyeuxétaientlessiens,exactementcommeilleluiavaitpromis.

Envieillissant,ilsferaientdespromenadesautourdulacaucoucher

dusoleil,etelleverraitlepaysagedanssatête.C'étaitlecadeauqu'il

luiavaitfait-desimagespeintesavecdesmots.L'amourn'étaitpas

unequestiondefacilité,d'aprèsHank,maisplutôtune

déterminationàtriompherensembledetouslesobstacles.Ilserait

toujoursàsescôtésàmoinsquelamortnel'emportelepremieret,

mêmealors,Carlysavaitqu'ellenevivraitplusjamaisdanslenoir

absolu.

L'amourdecethommeéclaireraitsonchemin.