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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Catulle et Lucrèce Author(s): Léon Herrmann Source: Latomus, T. 15, Fasc. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1956), pp. 465-480 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41521122 . Accessed: 12/06/2014 14:58 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.90 on Thu, 12 Jun 2014 14:58:02 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Catulle et Lucrèce

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Catulle et LucrèceAuthor(s): Léon HerrmannSource: Latomus, T. 15, Fasc. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1956), pp. 465-480Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41521122 .

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Catulle et Lucrèce

Les rapports chronologiques existant entre le De natura rerum et les poèmes de Catulle ont été maintes fois étudiés. Presque tous les érudits ont admis que Catulle aurait connu directement ou indirectement le chef-d'œuvre de Lucrèce (x). Un examen at- tentif des textes m'a amené à la conviction que c'est au contraire Lucrèce qui a tantôt imité, tantôt réfuté certains des poèmes du premier livre de Catulle.

Nous n'examinerons pas tous les passages parallèles car de la comparaison de deux vers tels que Catulle, LXIV, 360 : alta tepe -

faciet per mixta flumina cae de et Lucrèce, N. R., III, 643 : saepe ita de subito p er mix ta caede calentes on ne peut tirer aucune conclusion positive. Il faut se borner à des passages dont la comparaison est suggestive.

(1) Voir sur la question J. Jessen, Lucrez im Verhältnis zu Catullus und späteren , Kiel, 1872 ; A. A. J. Munro, Comm. de Catulle , Cambridge, 1886; W. A. Merrill, Lucretius and Catullus dans CI. Rev ., X (1890), p. 19 ; Catullus Knowledge of Lucr . poem dans Univ. of California Pubi, in CI. Phil., 2 (1909), p. 35-42; T. Frank, The mutual borrowings of Cat. and Luc. and what they imply dans CI. Phil., 28 (1933), p. 249 sqq.; Catullus and Horatius ; P. Giuffrida, Uepicur. nella litt. lat. nel I sc. а С., Turin (1941), II, p. 89 et suiv. ; E. V. Marmorale, L'ultimo Catullo , Naples (1952), avec bibliographie et historique, p. 168-175. Voir les réserves de L. Ferrero, Poetica nuova in Lucrezio , Florence (1949), p. 103 (sur la valeur des rapproche- ments textuels).

Sur la vie de Lucrèce en général : W. G. Sellar, The Roman poets of the Re- public , Oxford, 1863, ch. VIII ; S. Brandt, Zur Chronologie des Gedichtes des Lucretius und zur Frage nach der Stellung des Memmius in demselben dans Jahrb. f. klass . Phil., 131 (1885), p. 601-618 ; F. Marx, De aetate Lucretii dans Rh. Mus., 43 (1888), p. 136-141 et Der Dichter Lucretius dans Neue Jahrb. f. klass. Alt., 3 (1899), p. 533-548; G. Pascal, Lucrezio e Veta che fu suo dans Atene e Roma , 8 (1905), p. 179 ; A. Ernout, Lucrèce, Bruxelles, 1947 ; G. Gius- sani, Lucrezio, Turin (1923), I, p. v-xxii ; Mew alt, art. Lucretius , 27 dans PW, RE, c. 1659-1683.

Latomus XV. - 30.

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466 L. HERRMANN

Nous commencerons par le poème LXIV de Catulle, le plus long et le plus fécond en rapprochements.

1) CAT., LXIV, 44 : fulgenti splendent auro atque ar ff en to

LXIV, 46 : tota do mus gaudet regali splendida gaza

LUCR., II, 27 : пес do mus argento f ulg e t aur о que renitet.

Le rapprochement est valable car Catulle décrit le somptueux palais de Pélée tandis que Lucrèce fait l'éloge de la vie simple. La négation пес domus indique qu'il s'est souvenu de la description de Catulle dont il a repris quatre termes.

2) CAT., LXIV, 164-166 : Sed quid ego ignauis nequiquam conquer ar auris externata malo , quae , nul lis sensibus au с tae , пес miseras audire queunt пес r edd er e и о ces

LUGR., III, 626 : ... sensibus au с tam

630: ... sensibus au с tas

IV, 677 : sex etiam aut septem loca uidi r edder e и о ces

Si Catulle avait lu ce dernier vers où il s'agit de l'écho, il n'aurait pas écrit le sien puisque les brises ne sont pas plus pourvues de sens que les rochers qui pourtant renvoient les sons.

3) CAT., LXIV, 198 : quae quoniam uer a e nascuntur pectore ab imo

LUGR., III, 57-58 : nam uer a e и о ces tum demum pectore ab imo eliciuntur.

Lucrèce parie des uerae uoces révélant la nature profonde des faux Épicuriens ramenés par leurs malheurs à une religion dont ils se croyaient libérés. Catulle parle des plaintes sincères d'Ariane. Or celle-ci avait trahi les dieux de sa patrie et de son foyer pour sauver et suivre Thésée et elle revient à la religion par le désespoir. Lucrèce, qui songe à des exilés, a imité Catulle jusque dans la forme.

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CATULLE ET LUCRÈCE 467

4) CAT., LXIV, 205-206 : quo motu tellus atque hórrida с o n t г e mu e r un t aequora concussitque mi с ari ti a sidera

mu n d и s . LUCR., III, 834-835 :

omnia cum belli trepido concussa tumultu hórrida contremuere sub altis aetheris oris V, 514:

quo uoluenda mi с an t aeterni sidera m un d i .

Faisons abstraction de micant micantia et de sidera mundus, sidera mundi en raison de leur banalité. Mais la parenté d'expres- sions des deux distiques est indéniable. Or Catulle nous montre, à la façon d'Homère, le roi des dieux ébranlant l'univers, tandis que Lucrèce ne nous présente qu'un spectacle purement humain et terrestre de guerres. Il a rationalisé le thème Catullien et l'a rapetissé en se souvenant de faits contemporains, comme dans d'autres endroits du livre III.

5) CAT., LXIV, 207 : Ipse autem caeca mentem caligine Theseus

209: quae mandata prius constanti mente te neb at

LUCR., III, 304 : ... с a e cae с al i g i ni s

IV, 456: ... caligine caeca

И, 582: conuenit et memo r i mand a tum mente tenere

La variation caligine caeca est à noter dans Lucrèce après caecae caliginis rappelant l'expression Catullienne. D'autre part manda- tum est employé non pour des ordres comme dans Catulle (ordres d'Égée à Thésée) mais pour des enseignements confiés à Memmius d'où le remplacement par memori de constanti employé encore par Catulle au v. 238 :

Haec mandata prius constanti mente te- nente m (x)

(1) Voir encore LXIV, 231-232 : tum иего facito ut memori tibi condita corde haec uigeant mandata пес ulla obliteret aetas ,

où nous retrouvons mandata et memori .

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La dépendance de Lucrèce n'est donc pas douteuse ici.

6) CAT., LXIY, 267/268 : quae postquam cupide spedando Thessala pubes expleta est

LUCR., IV, 1102: rte с satiare queunt spectando

Dans Catulle, il s'agit de la curiosité satisfaite de la jeunesse Thessalienne, dans Lucrèce du désir insatisfait des amants jamais saturés de la contemplation de l'objet aimé. La négation пес est significative et dénote que c'est Lucrèce qui imite Catulle.

7) CAT., LXIV, 280-282 : Nam quoscumque ferunt campi , quos Thessala magnis montibus ora créât , quos propter fluminis undas aura parit flores tepidi fecunda F a и o ni

LUCR., I, 10-11 : Nam , simul ac species patefactast uerna diei et reserata uiget genitabilis aur a F au о ni

Le mouvement est le même et genitabilis correspond à fecunda. Il serait difficile de discerner si le tableau plus général de l'invoca- tion à Vénus est postérieur à l'autre, si nous n'avions le v. 284 du poème LXIV :

quo permixta do mus iocundo r i s i t odore si proche du v. 14 de son poème XXXI :

Ridete quidquid est dom i cachinnorum et si « Catullien » que l'emprunt à Lucrèce du passage est invrai- semblable.

8) CAT., LXIV, 321 : : Talia d i и i no fuderunt carmine fata

383: carmina d i и i no cecinerunt pectore Parcae

LUCR., I, 730 : carmina quin etiam d i и i ni pectoris eius uociferantur

V, 110: qua prius aggrediar quam de re f und e r e fata

Pas le moindre doute sur l'ordre chronologique : aux chants des Parques divines, prophétesses de la fable, Lucrèce oppose les poè- mes d'Empédocle. Il fera allusion non aux Parques, mais à la

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Pythie, un peu plus loin (I, 737-739). D'autre part dans les v. 110-115 du livre V, il déclare sa propre révélation véridique parce que rationnelle et scientifique et attaque visiblement des prophéties du type de celles du poème LXIV.

9) CAT., LXIV, 256-257 : multis raucisonos efflabant сот nua bombos barbaraque horribili stridebat tibia с an tu

Lucr., II, 619-620: concaua г au с i s o no minantur со г nua с an tu et Phrygio stimulât numero caua tibia mentes

Le rapprochement est valable, mais doit être étendu à tout le

poème LXIII dont il sera question plus loin.

10) Cat., LXIV, 279 : Aduenit Chiron

Lucr., V, 878-891 (De centauris) : ne forte ex homine et ueterino semine equorum confici credas Centauros posse ñeque esse

CAT., LXIV, 156 : Quae Scylla rapax

Lucr., V, 892-893 (De Scylla ) : aut rabidis canibus succine ta semimarinis corporibus S с y I l a s et cetera de genere ho-

rům

Les rapprochements montrent que Lucrèce considérait Chiron, Scylla, etc. comme d'absurdes inventions.

11) CAT., LXIV, 405-408 : Omnia fanda nefanda malo permixta furore iustificam nobis mentem auertere deorum . Quare пес talis dignantur uisere coetus пес se co n ting i patiuntur lumine claro

Lucr., V, 148-151 : tenuis cum natura deum longeque remota sensibus ab nos tris animi uix mente uidetur, quae quoniam manuum tactum sufficit ad ictum tactile nihil nobis quod sit contingere debet

Selon Catulle, ce sont les fautes des hommes qui ont rendu les dieux invisibles et intangibles, selon Lucrèce c'est la nature même des dieux. Il y a là une réfutation du poème LXIV.

J'avais daté celui-ci de 54 x date de la naissance de la fille de

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Pompée et de Julie (!) mais cette date est trop basse. Le mariage remontant à 59, le poème peut avoir été écrit entre 59 et 57, avant le départ de Catulle pour la Bithynie.

Venons au poème LXIII sur Attis à comparer aux v. 598 et suivants du livre II (De Matře Magna) de Lucrèce. Celui-ci donne des manifestations du culte de Cybèle et même du mythe une explication allégorique, alors que Catulle se bornait à suivre les vieux poètes grecs érudits. Il est impossible que, si Catulle avait lu les vers de Lucrèce, il n'ait pas modifié son poème : Lucrèce, tout en gardant un détail comme celui des deux lions de Cybèle (N.R., II, 601-604), l'explique ainsi : II, 604-605 :

quia quamuis effera proies officiis debet molliri uicta parentum.

Il a repris le thème (en même temps que les expressions du poème LXIV décrivant les Bacchantes comme analogues aux Galles) pour le moraliser.

Le poème XXXIV de Catulle (Hymne à Diane) donne aux v. 15-16 :

no t ho es dicta lumi ne Luna

tandis qu'on lit dans Lucrèce, V, 575-576 : Luna s i и e no t ho fertur loca lumi ne lus trans siue suam proprio iactat de corpore lucem ,

où Lucrèce hésite entre la théorie d'Empédocle affirmée par Ca- tulle et celle d'Héraclite.

Dans le poème LXI, au v. 61 on lit : Nil potest sine te Venus ,

s'adressant au dieu Hyménée, tandis que dans De natura rerum I, 22, on lit :

Nec sine te quicquam dias in luminis oras exoritur neque fit laetum neque memorabile quicquam

s'adressant à Vénus. Il y a donc transfert de la puissance du dieu Hyménée à la déesse Vénus et celle-ci, de subsidiaire, devient omni- potente.

Reste la comparaison du poème LI de Catulle et des vers 151-158 du livre III de Lucrèce Í2). Catulle adapte dans ses trois premières

(1) Le poème LXIV de Catulle dans Rev . ÉL Lat., VIII (1930), p. 214-221. (2) Voir notamment Ferrari, Una reminiscenza di Saffo in Lucrezio dans

Rìd. di FU., 1937, p. 107.

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strophes l'ode célèbre de Sapho qui montre les effets physiologi- ques de la présence de l'objet aimé, alors que Lucrèce traite des effets physiologiques de la terreur. Il est improbable que Lucrèce ait servi d'intermédiaire entre les deux odes comme l'a soutenu M. Giuffrida (1). Il est aussi improbable que par delà Catulle Lucrèce ait pris Sapho pour modèle. Il a sans doute utilisé une source philosophique, quelque traité sur les passions et les émotions.

M. L. Alfonsi (2) a remarqué les vers de Lucrèce IV, 1125-1140 - auxquels on pourrait joindre IV, 1183 sqq. et 1280-1282 -

qui sont lancés contre les jeunes gens qui perdent leur temps, leur fortune, leur liberté à cause d'un amour exclusif et malheureux. Mais il n'est pas prouvé que ces vers visent Catulle plutôt qu'un autre.

Enfin il y a lieu d'éliminer, comme peu convaincante, la compa- raison entre Cat. LXXVI, 13-14 :

Difficile est , uerum hoc qua lubet efficias : una salus haec est ; hoc est tibi p er uincendum

et Lucr., V, 99 et quam difficile id mihi est peruiricere dictis .

Nous sommes donc amenés à croire que Lucrèce ne s'est inspiré que des poèmes XXXIV, LXI, LXIII, LXIV appartenant tous au livre I publié au plus tard en 55.

Il faut donc reprendre le problème de la chronologie du De natura rerum et des dernières années de Lucrèce.

On considère, en général, que l'œuvre de Lucrèce aurait été écrite entre 60 et 54. La limite supérieure de date passe pour fournie par la comparaison entre IV, 75 sqq., VI, 109 sur les voiles de lin des théâtres avec Pline l'Ancien ( H.N. , XIX, 23).

Mais une limite plus basse peut être trouvée. Aux v. 1153-1154 du livre II, on lit :

haud, ut opinor , mortalia saecla superne aurea de cáelo demisit funis in arua (3)

et on reconnaît généralement comme source Г Iliade (4) ou Platon (5).

(1) L. е., II, p. 250 et 261-263. (2) Poetae noui, 1945, p. 185, 188 et n. 8. (3) Iliade , VIII, 19. (4) Ernout et Robin, Commentaire de Lucrèce, Paris, 1925, s. u., pensent à

une source stoïcienne. (5) Suétone, Aug., 94, 9; Dion-Cassius, XLV, 2, 3; Plutarque, Cicéron ,

44 d. ; Tertullien, De anima , 46 ( puerulum adhuc ).

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Mais on sait que Cicéron, se rendant au Capitole pour sacrifier avec Jules César, prétendit avoir vu en rêve un enfant descendre du ciel par une chaîne d'or et reconnut un peu plus tard cet enfant en Octave que son oncle avait fait venir à Rome. Ce rêve, source évidente des vers ironiques de Lucrèce, nous est connu par Suétone, Dion-Cassius et Plutarque (!). Or il n'a pu avoir lieu avant que l'enfant fût d'âge à s'exercer au Champ de Mars, si l'on suit Plutarque, ou proche de sa prise de toge virile, si l'on suit Dion-Cas- sius. De toute façon la limite de date supérieure doit être abaissée après le remariage d'Atia et de Marcius Philippus.

La limite inférieure de date passe pour être fournie par la lettre de Cicéron à son frère Quintus, II, 9 (11) 3, qui date de février 54 et fait allusion à des Empedoclea de Salluste (2). Comme les v. 709- 829 du livre I au De natura rerum sont précisément consacrés à Empédocle, on a pensé que le mot poemata employé dans la lettre (3) désigne le De natura rerum tout entier ou tout au moins son premier livre.

Or l'usage de poema et poemata dans la correspondance de Cicé- ron prouve que poemata ne peut désigner une œuvre telle que le De natura rerum . Cicéron emploie poemata pour désigner des mimes de Laberius et de Publilius Syrus (4) ou encore les épigram- mes de YAmalthée de T. Pomponius Atticus (5), donc des œuvres

légères. Comme un passage de Probus relevé par C. Pascal (6) prouve l'existence de pièces satiriques de Lucrèce, il faut admettre

(1) Voir L'enfant à la chaîne d'or dans Rev. Ét. Ane., 36 (1934), p. 48 sqq. ; Drumann-Groebe, Geschichte Roms ..., IV2, 1908, p. 26 et n. 6 (Nicolas de Damas, 3 ; Dion-Cassius, XLV, 41 ; Velleius Paterculus, II, 59, 3).

(2) Lucreti poemata ut scribis ita sunt , multis luminibus ingeni , multae tarnen artis. Sed cum ueneris. Virum te putabo si Sallustii Empedoclea legeris , hominem non putabo. Voir Parvo Numminen, Quomodo Cicero de Lucretio et quodam Sallustio iudicauerit dans Annales Univ. Tarkuensis , 1953, série В, t. XL IV, qui réfère le fragment au De natura rerum . De même Della Valle, M. T. Cicerone , editore e critico del poema di Lucrezio dans Atti d. R . Ac. d'Italia, VII, 1, Rome, 1941, p. 307-416.

(3) Voir Oldfather, Index uerborum Ciceronis epistularum, Urbana, 1938. (4) Ad fam., XII, 18, 2 : Laberi et Publili poemata. (5) Ad Att., I, 16, 18: quae poemata quaeque historias de 9 AfiaXQeia

habes ad me mittas. (Voir I, 16, 15, Epigrammata.) Voir encore Ad Quint, fr., III, 1, 11 et III, 8, 3 sur le poema en l'honneur de Jules César commencé par Cicéron.

(6) Carme perduti di Lucrezio dans Riv. di Fil., 34 (1906), p. 262.

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qu'il n'est pas encore question de la grande œuvre dans la lettre, mais seulement de pièces plus courtes et plus légères y préludant. A moins qu'on ne veuille prétendre que Lucrèce n'avait jamais rien publié avant le De natura rerum, ce qui serait paradoxal et exceptionnel...

Alors que W. A. Merrill allait jusqu'à prétendre que le De natura rerum n'a exercé aucune influence sur les œuvres en prose de Cicé- ron, toutes les coïncidences de forme et de fond venant d'une simple communauté de vocabulaire et de sources philosophiques Í1), il nous semble que Y. Sellar a repéré au moins un passage des Tusculanes qui contient une allusion nette au chef-d'œuvre de Lucrèce, au surplus peu bienveillante :

quae quidem cogitans soleo saepe admirari nonnullorum insolen - tiam philosophorum quae naturae cognitionem admi- rantur eiusque inuentori et principi gratias exultantis agunt eumque uenerantur ut d e и m : liberatos enim se per eum dicunt grauissimis d о m i n i s , terrore sempiterno et diuino et nocturno metu. Quo terrore , quo metul Quae est anus tam delira quae timeat ista quae uos uidelicet ut physica non didicissetis timetis Acherusia tempia alta Orci , pallida leti , obnubila tenebris loca »? Non pudet philoso- phum in eo gloriari quod haec non timeat et quod falsa esse cognoueritt (3)

Il suffit de se reporter à :

Io) Lucr., II, 1090 sqq. : Quae bene cognita si teneas , Natura uidetur

libera continuo, d о m i n i s priuata superbis

2o) LUCR., V, 8-10 : deus ille fuit, deus , inclyte Memmi, qui princeps uitae rationem i n и e n i t earn quae nunc appellatur sapientia quique per artem fluctibus e tantis uitam tantisque tenebris in tam tranquilla et tam clara luce locauitl

3°) Lucr., III, 23 : Ad contra nusquam apparent Acherusia tempia

I, 120-121 : etsi praeterea tamen esse Acherusia tempia Ennius aeternis exponit uersibus edens

(1) Cicero's knowledge of Lucretius' Poem dans Univ. of Calif. Pubi, in Cl. Phil., II, 2 (1909), p. 35-42.

(2) The Roman Poets of the Republic , Oxford, 1881, p. 279, n. 1. (3) Tusc I, 21 (48).

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^74 L. HERRMANN

Ces rapprochements prouvent que Cicéron a blâmé Lucrèce d'avoir divinisé Épicure en exagérant la reconnaissance qu'il méri- tait pour avoir dissipé des terreurs qui, à l'époque où Cicéron écrit, n'accablent plus personne.

Or les Tusculanes ont été rédigées vers 45 et publiées en 44. Ne serait-il pas fort singulier que Cicéron n'ait pas critiqué Lu-

crèce avant cette date, si le De naiura rerum avait été connu de Quintus et de lui-même dès le début de 54 (x) ?

La date de 55 (admise par Donat (?) comme celle de la mort de Lucrèce) ne convient d'ailleurs même pas pour le livre I. Celui-ci a été écrit à un moment où la guerre civile paraissait imminente.

Rien de plus significatif que les vers I, 29-30 de l'invocation à Vénus :

effice ut interea fera moenera militiae per maria ac terras omnia sopita quiescant

et 30 sqq :

petens placidam Romanis , incluía , pacem9 nam ñeque nos agere hoc patriae tempore iniquo possumus aequo animo пес Memmi clara propago talibus in rebus communi desse saluti .

Ces vers indiquent la crainte d'une conflagration générale per maria ас terras et montrent d'autre part que Memmius ne pourrait se dérober au salut public. Or si Memmius avait été, au moment où Lucrèce écrivait cela, un personnage prétorien aspirant au con- sulat, il est évident qu'il aurait été forcé de se jeter dans la mêlée et d'opter pour un des deux camps, vraisemblablement celui du sénat et de Pompée (2).

Donc ces vers nous reportent au moment où Memmius était écarté de la vie politique, c'est-à-dire à une période postérieure à son exil pour brigue, survenu en l'an 52 (?).

Il nous semble par conséquent que le premier livre ne peut être antérieur à 52 et doit peut-être même dater de 51 ou de 50.

Pour la datation du livre II nous serons orientés par trois pas-

(1) On notera que c'est de même dans le De senectute (de 45-44) qu'on lit (§75) : in eum locum saepe profecías alacri animo et erecto und e se г e d i tur as n и m q и a m arbitrarentur ,

où Cicéron se donne le plaisir de paraphraser Catulle. (2) Même raisonnement si Ton suppose comme Ernout-Robin, Commen-

taire , que Memmius n'était que prêteur désigné (59 av. J.-C.). (3) M. Giuffrida, op. cit., II, p. 170, date par erreur cet exil de 54. Mais

voir Appien, B.C., XI, 24, 94.

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sages qui font clairement allusion aux guerres civiles non plus en tant qu'imminentes mais en tant que commencées.

lo) II, 1-2: Suaue mari magno turbantibus aequora uentis e terra magnum alterius spedare laborem

5-6: Suaue etiam belli certamina magna tueri per campos instructa, tua sine parte

perieli.

Il s'agit de combats réels - avec un éloge de la neutralité ou de l'inaction qui est en opposition directe, d'ailleurs, avec les vers 39-43 du livre I cités plus haut.

2o) II, 323 : Praeterea mag пае legiones cum loca cursu

campo rum comptent , belli simulacra cientes , fulgor ibi ad caelum se to llit to taque circum aere renidescit tellus supterque uirum ui excitur pedibus sonitus , clamoreque montes idi reiectant uoces ad sidera mundi et circumuolitant équités mediosque repente tramittunt ualido quatientes impete campos , Et tarnen est quidam locus al tis mo n t i b us cunde > stare uidentur et i n с amp i s consistere fulgor.

Il s'agit de manœuvres d'infanterie et de cavalerie, comme le prouve la fin du v. 324 : belli simulacra cientes reprise par deux fois dans YÊnéide à propos de jeux guerriers Q-). Mais peut-il s'agir comme on l'a dit, d'évolutions faites au Champ de Mars et peut-on croire que camporum, campi désignent celui-ci? Peut-on croire que les alti montes du haut desquels les soldats n'apparaissent que comme une immobile tache colorée sont les sept collines?

Non, comme va le prouver le troisième et dernier passage :

30) II, 40 : 40 si non forte tuas legiones per loca campi 42 subsidiis magnis -f- Epicuri -f constabilitas 41 fernere cum uideas belli simulacra cientes 43 ornatas armis -f- ita statuas + pariterque animatas

fernere cum uideas ciassem lateque uagari.

Dans ce passage altéré, au lieu de l'impossible Epicuri on adopte généralement la conjecture de Munro etecum ui , mais nous adop-

(1) Énéide , V, 585 et 674.

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terons la leçon Epidamni ( 1), et au v. 42 nous lirons armisque tuas, tuas classes étant parallèle à tuas legiones.

Il n'est pas possible, en raison des vers II, 323 et suivants, de croire, comme E. Bignone, que Lucrèce songeait à la revue terrestre et navale passée par Xerxès à Abydos (2), bien qu'il soit question de Xerxès dans les vers III, 1029-1033.

Il me semble légitime de croire qu'il s'agit dans le passage II 40 sqq et dans le passage II, 323 sqq de manœuvres terrestres et navales faites par les Pompéiens et les Césariens à Dyrrachium ou Épidamnum en 49 avant J.-C., tandis que le passage II, 1-2 et 4-6 se référerait non plus à des manœuvres, mais à de véritables opérations de guerre faites un peu après dans les mêmes parages (3).

Il en résulte que le livre II se réfère à cette période illy rienne de la guerre civile à laquelle Memmius exilé en Grèce était resté étranger.

Passons au livre III qui ne contient en apparence, comme le livre IV, aucune allusion à Memmius que n'est même pas nommé.

1°) III, 70-76 : s art g и i ri e с i и i li rem confiant diuitiasque conduplicant auidi9 caed e m cae d e accumulantes . С rude les gaudent in tristi funere fratris et consanguineum mensas odere timentque. Consimili rationi ab eodem saepe timore macerai inuidia ante oculos illum esse potentem, ilium aspectari claro qui incedit honore .

Il y a là incontestablement une allusion aux guerres civiles et non pas à celles de Marius et Sylla, mais aux nouvelles.

2°) III, 47 sqq. : extorres idem patria longeque fugati conspectu ex h o m i n и m , f o e dati crimine

turpi

(1) J'avais songé à Epidauri , mais c'est seulement en 47 que la ville fut en vedette (Bell. Alex 44) et la confusion entre Epidauri et Epidamni est pos- sible (voir les variantes de Lucain, De bello ciuiliy II, 624 ( Epidamnos , Epi- daurus), le vers étant: Illyris Ionias uergens Epidamnos ad undas. A noter que Lucain écrit à X, 545 : ad campos , E p i d a m n e , tuos , alors qu'il écrit à VI, 14 : Dyrrachium. (2) Hérodote, VII, 19. Voir E. Bignone, Storia della lett. latina , II,

1945, p. 120 et n. 3 dans Boll, di Fil. Class., 1909, p. 59 etc. A noter la con- jecture slattas pour statuas abandonnée au profit de per aquas.

(3) Voir Philippson, art. Dyrrachium dans PW, RE, V, c. 1887, 1. 22 sqq. et la bibliographie indiquée là.

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omnibus aerumnis ad fee ti de ni que и i uun t9 et, quoeumque tarnen miseri иепеге , parentant et nigras maetant peeudes et Manibus diuis inferias mittunt multoque in rebus aeerbis acrius aduertunt ánimos ad religionem . Quo magis in dubiis hominem spedare periclis eonuenit a du er s is que rebus noscere qui sit nam uerae uoees tum demum pectore ab imo eliciuntur et eripitur persona , manet res.

Cela ne se réfère pas, comme l'ont cru M. W. E. Leonard et M. St. B. Smith (*), à l'exil de Cicéron survenu en 58 et on ne peut évoquer à ce propos l'exil volontaire de Verrès, comme d'autres (2). Si le poète a en vue des événements contemporains, comment ne pas songer à l'exil de Memmius lui-même? Lucrèce le met en garde entre un retour à la foi, car les épreuves qu'ils subissent arrachent leur masque aux faux incrédules, qui en réalité redoutent la mort et lui préfèrent une vie même misérable (3).

Ceci nous permet de penser que le livre III est postérieur à l'exil de Memmius à Athènes et de le dater de 49 au plus tôt.

Pour le livre IV, il y a lieu de relever les v. 1011 et suivants sur les rêves :

Porro hominum mentes magnis quae motibus edunt magna , itidem saepe in somnis faciuntque geruntque : reges expugnant.

Bailey commentant reges écrit ceci : « The expression is a little strange and it would have been easier if Lucr. had written, as Mer- rill suggests, arces . But to take reges as nom. would limit the idea unnaturally for a Roman who would naturally think of m- duperatores as in 987 and not of kings ».

Effectivement il s'agit d'un rêve d'induperator romain et l'ac-

(1) Édition de Lucrèce, Madison, 1942. (2) Solution contraire dans le commentaire d'ERNouT-RoBiN. (3) De même dans I, 80, Lucrèce craignait la résistance de Memmius à

l'impiété. Dans I, 101, etc., il écrit: Tutemet a nobis iam quouis tempore uatum

terriloquis uictus dictis desciscere quaeres.., et dans IV, 912 :

Tu mihi da tenuis auris animumque sagacem ne fieri negites quae dicam posse retroque uera repulsanti discedas pectore dicta tutemet in culpa cum sis ñeque cernere possis.

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cusatif reges s'explique fort bien si on pense aux rois alliés à Pom- pée que César rêvait de vaincre.

Nous arrivons au livre V qui contient, lui, jusqu'à cinq fois le nom de Memmius, apostrophé notamment dans le début d'un passage sur l'invention du feu et sur l'évolution de l'armement (v. 1281 sqq à 1307) où on relèvera les v. 1305-1307 :

Sic alid ex alio peperit Discordia tristis horribile humanis quod gentibus esset in armis inque dies belli terroribus addidit augmen

Outre que les vers font nettement allusion aux terreurs de la guerre, le mot discordia montre qu'il n'est pas question de guerre étrangère comme les guerres puniques évoquées auxv. 1302-1304, mais de guerre civile, tout comme dans les v. 71-72 de la première bucolique de Virgile :

en quo discordia с i и i s produxit miseros ...

ou dans les v. 56-57 de la première bucolique de Calpurnius :

quae domito procul hoste tarnen quassantibus armis publica diffudit tacito discordia ferro.

Je relève encore les v. 999 et suivants : At non multa uirum sub signis milia ducta una dies dabat exitio пес túrbida ponti aequora lidebant nauis ad saxa uirosque ,

qui semblent une allusion directe à une bataille terrestre et à un désastre naval. La bataille terrestre est évidemment Pharsale qui fit quinze mille morts Pompéiens (*), le désastre naval étant plus difficile à déterminer.

Enfin un peu plus loin les v. 1120 et suivants sur l'ambition et la chute soudaine des puissants sont suggestifs :

Ad claros hominis uoluerunt se atque potentes ut fundamento stabili fortuna maneret et placidam possent opulenti degere uitam. Nequiquam I quo ni am ad summum succedere

honorem с er tantes iter i nf e s tum f ее er e и i ai et tarnen e sunuto quasi fulmen deicit ictos inuidia ...

et plus loin, v. 1127 : ut satius multi iam sit parere quietum quam regere imperio res uelle et regna tenere .

(1) César, B.C., III, 99. Voir Dion-Cassius, XLI, 5; Appien, B.C., II, 82, 346; Plut., Pomp., LXXIJ, et César, XLVI, 2; Paul Oróse, VI, 15, 27.

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Proinde sine incassum defessi sanguine sudent angustum per iter luctantes ambitionis ...

N'oublions pas que Memmius avait été exilé en vertu de la lex de ambitu et que tout le passage décrit à merveille la situation.

Reste le livre VI d'où le nom de Memmius est absent, mais qui s'ouvre par un éloge d'Athènes (v. 1-42) et se termine par le tableau de la peste d'Athènes, (v. 1138-1286). Cette orientation du livre vers Athènes ne vient pas seulement de ce qu'elle fut la patrie et le séjour d'Épicure, mais encore de ce que Memmius exilé y sé- journa, lui aussi.

Il est d'ailleurs légitime de se demander si, en définitive, le De natura rerum n'a pas été dédié à Memmius pour le récompenser du beau geste qu'il avait eu en renonçant à une bâtisse projetée sur le site de la maison et du jardin d'Épicure (1).

C'est au cours de l'année 51 que Memmius a été en litige à ce sujet avec Patron, chef des Épicuriens d'Athènes (2). Le fait que Patron, qui avait pourtant connu Memmius à Rome (3), ne se soit pas servi d'un épicurien tel que Phaedrus, mais d'Atticus et de Cicéron comme conciliateurs et les termes mêmes employés par Cicéron s'adressant à Memmius (4) nous prouvent que celuici n'était pas du tout épicurien lui-même en 51. Rien, dans sa vie antérieure, n'indique qu'il ait incliné vers l'épicurisme, ni sa vie politique, ni ses poésies (5), fort libres (6). Il est clair que Lucrèce

(1) Selon E. Cocchia, T. Lucrezio Caro e l'epicureismo Campano , Naples, 1935, p. 22, il se serait agi de bâtir un tempie d'Épicure. Voir en général sur С. Memmius Gemellus : Munzer, art. Memmius , 8 dans PW, RE, XV, с. 609- 616; G. Della Valle, Gaio Memmio dedicatore del poema di Lucrezio dans Atti Acc. Lincei , XIV (1938-1939), p. 731 ; Allen, On the Friendship of Lu- cretius and Memmius dans CI. Phil., 1938, p. 167.

(2) La lettre de Cicéron à Memmius (Ad fam ., XIII, 1) date de l'été de 51. (3) Ad fam., XIII, 1, 2: Sed et initio Romae te quoque et tuos omnes obser-

uauit. (4) Ad fam., XIII, 14: totam hominis uiam rationemque quam sequitur in

philosophia der id e a mu s licet ... Epicuri auctoritatem ... uestigia summo- rum hominum sibi tuenda esse dicit ; Ad Att., V, 11, 6 : apud Patronem et reli - quos barones te in maxima gratia posui. Comment admettre d'ailleurs que Cicéron, écrivant à Memmius, ne lui ait pas rappelé qu'il était le dédica- taire du De natura rerum, si celui-ci avait paru avant la lettre Ad fam., XIII, 1, sauf si, comme E. Bignone, St. della lett. lat., II, p. 160, on distingue le dédicataire du poème de celui de la lettre ?

(5) Voir Ovide, Tristes, II, 433 sqq. (6) Ajoutons encore ses tentatives de séduction de la femme de Pompée

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lui adressa son œuvre pour gagner son amitié (*) et pour le convertir à la doctrine (2), puisqu'il avait daigné sauver la maison d'Épicure.

On ne sait pas exactement quand C. Memmius est mort, mais c'est certainement avant 46, car le Brutus de Cicéron le cite comme un disparu (3i.

On peut admettre que sa mort serait survenue en 47. Elle peut être la cause de l'inachèvement du De natura rerum et de son inter- ruption après le livre VI (4). Mais il est plus vraisemblable que la cause a été la mort de Lucrèce lui-même.

Sans revenir sur les circonstances réelles de cette mort en es- sayant de les dégager des récits légendaires, sans vouloir non plus à tout prix préciser l'âge de Lucrèce lors de sa mort et par consé- quent sa date de naissance, je voudrais seulement faire observer que Lucrèce a dû mourir fort peu de temps avant Catulle.

Il me semble en effet que, dans le ch. XII de sa Vie ďAtticus Cornelius Népos nous l'indique en écrivant post Lucreti Catullique mortem et qu'Ovide, dans Tristes , II, 425-430, nous le confirme en suivant le même ordre pour parler des deux écrivains. Catulle mourut l'année du consulat de Vatinius, 47 avant J.-C. Lucrèce a dû mourir la même année un peu avant. Sa mort prématurée a peut-être été hâtée par la détresse morale où l'avaient plongé et les horreurs de la guerre civile et la mort de Memmius en exil.

Léon Herrmann.

(voir Suétone, De gramm., XIV) par l'intermédiaire d'un grammairien lié avec Cicéron et Atticus. Il avait été le mari de la fameuse Fausta, ce qui n'est pas non plus un titre de gloire...

(1) Voir De nat. тег., I, 140 sqq. : sed tua me uirtus tamen et sperata uoluptas suauis amicitiae quemuis efferre laborem suadet...

(2) Voir De nat. rer.9 I, 50-54: quod superest [ut] uacuas auris animumque sagacem semotum a curis adhibe ueram ad rationem ne mea dona tibi studio disposta fideli intellecta prius quam sint contempta relinquas...

(3) XXXVI, 136 et LXX, 247. Noter que Della Valle, dans l'essai cité plus haut, p. 747, et La congiura di Catilina e la protesi al poema di Lucrezio dans R. Ac. Lince!, 1935, p. 459 sqq., date la dédicace de 62 av. J.-G. Munzer, l. е., c. 612, de 56 av. J.-G. Mais voir Pline l'Ancien, H.N. , XIX, 1, 23 et Lu cr., IV, 75 et VI, 109.

(4) Voir V, 155 (promesse qui n'est pas tenue dans la suite).

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