86
Interventions préliminaires des organisateurs Monsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier et moi-même, de vous accueillir à l’École militaire au nom d’Alain Bauer, président du Conseil supérieur à la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), et d’Alain Juillet, président du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE), pour ce colloque dédié aux entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD). Le 14 février 2012, les députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet ont déposé un rapport d’information à l’Assemblée nationale sur les sociétés militaires privées. Or, au sein du CDSE, les travaux auxquels je participe portent notamment sur la sécurité des entreprises et de leurs collaborateurs à l’étranger. C’est donc logiquement que ce rapport parlementaire nous a amenés à réfléchir au secteur de la sécurité privée. Il représente, à l’échelle mondiale, un marché de 200 à 400 milliards de dollars. Il est assez difficile d’avoir des chiffres exacts, nous avons donc une fourchette d’approximation assez large. La culture française et le statut juridique de ces sociétés font qu’elles sont sous-représentées sur ce segment de marché. C’est pourquoi le CDSE a demandé au CSFRS de mener une étude prospective sur ce thème. Pour ce faire, le général Ollivier et moi-même avons été chargés de créer un groupe de travail pour mener la réflexion et organiser ce colloque. Nous remercions les membres de ce groupe qui ont travaillé avec nous pendant onze mois sur le thème qui nous rassemble aujourd’hui. Général Thierry Ollivier :

CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Interventions préliminaires des organisateurs

Monsieur   Luc Delnord   :

Nous sommes heureux, le général Ollivier et moi-même, de vous accueillir à l’École militaire au nom d’Alain Bauer, président du Conseil supérieur à la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), et d’Alain Juillet, président du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE), pour ce colloque dédié aux entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD).

Le 14 février 2012, les députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet ont déposé un rapport d’information à l’Assemblée nationale sur les sociétés militaires privées. Or, au sein du CDSE, les travaux auxquels je participe portent notamment sur la sécurité des entreprises et de leurs collaborateurs à l’étranger. C’est donc logiquement que ce rapport parlementaire nous a amenés à réfléchir au secteur de la sécurité privée. Il représente, à l’échelle mondiale, un marché de 200 à 400 milliards de dollars. Il est assez difficile d’avoir des chiffres exacts, nous avons

donc une fourchette d’approximation assez large. La culture française et le statut juridique de ces sociétés font qu’elles sont sous-représentées sur ce segment de marché. C’est pourquoi le CDSE a demandé au CSFRS de mener une étude prospective sur ce thème. Pour ce faire, le général Ollivier et moi-même avons été chargés de créer un groupe de travail pour mener la réflexion et organiser ce colloque. Nous remercions les membres de ce groupe qui ont travaillé avec nous pendant onze mois sur le thème qui nous rassemble aujourd’hui.

Général   Thierry Ollivier   :

Le cœur de cette rencontre porte sur ce que l’on peut faire pour développer le secteur des ESSD, conformément à ce qui avait été proposé dans la conclusion du rapport 2012. Nous avons tenté d’être le plus varié possible dans le choix des intervenants afin d’offrir une vision aussi complète que possible de la situation actuelle et des moyens à mettre en œuvre pour la faire évoluer. Je voudrais remercier tout particulièrement Philippe Chapleau ici présent et qui a accepté d’être le modérateur de ce colloque. Nous sommes en effet assez fiers d’avoir avec nous l’un des plus fins connaisseurs du sujet aujourd’hui en France.

Monsieur le Président, je vous laisse la parole.

Page 2: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Discours d’ouverture par Monsieur Alain Juillet, président du CDSE   :

Discours

Mon général, messieurs les généraux, mesdames, messieurs, je tiens tout d’abord à vous dire à quel point je suis heureux d’introduire ce colloque dans la mesure où cela fait un certain temps que le CDSE se préoccupe du problème que vous allez étudier aujourd’hui.

Nous sommes tous d’accord sur un constat : indiscutablement, nos troupes, et en particulier les forces spéciales, sont des militaires dont l’excellence technique est reconnue au niveau international. Ceci étant, la France est confrontée à deux problèmes sur lesquels il convient de réfléchir et d’apporter des réponses.

D’un côté, le Livre blanc prévoit des réductions d’effectifs telles que les armées n’auront plus la capacité de remplir un certain nombre de missions qu’elles assument aujourd’hui. Il faudra donc bien trouver des solutions pour le reclassement et l’intégration dans la société civile de ce type de personnel.

D’un autre côté nous devons constater l’émergence de nouvelles problématiques sur les marchés extérieurs de notre pays. Quand on est une grande entreprise française qui travaille sur des sites à l’étranger, utilisant des expatriés ou des missionnaires, on s’interroge nécessairement sur les mesures à prendre pour se protéger dans les zones difficiles ou dangereuses. Depuis 2003, la situation est très simple : on ne peut pas travailler avec des sociétés de sécurité françaises car c’est interdit par la loi. On ne peut pas non plus utiliser les services de sociétés d’assurance françaises parce qu’elles se retrouveraient dans des situations qui ne sont pas prévues par la loi. Nos grandes entreprises sont donc obligées de passer des contrats avec des ESSD ou des sociétés d’assurance étrangères pour accomplir des missions qui pourraient parfaitement être réalisées par des sociétés françaises. Le constat est encore plus alarmant quand vous regardez ce qui se passe actuellement au large de la Somalie en matière de piraterie où l’on a été obligé de mettre en place des systèmes de protection des bateaux. Les Français, via la Marine nationale, utilisent essentiellement des commandos-marine pour assurer ces coûteuses missions de protection et d’accompagnement. A ce stade il est intéressant de regarder ce que font les autres pays. En dehors des français pratiquement aucune unité militaire étrangère n’assure ce type de missions qui sont totalement sous traitées à des sociétés privées. Tout le monde y est, les Français sont les seuls à investir au niveau militaire. On peut y ajouter que la plupart de ces sociétés utilisent les services d’anciens militaires français dont la compétence est reconnue par tous. On est donc en droit de s’interroger sur le coût de telles opérations pour l’Etat à l’heure des restrictions budgétaires et du contrôle des dépenses.

Page 3: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Au-delà de cette évocation de la sécurité maritime, il est attristant de constater que la législation française oblige les entreprises à recourir à des ESSD étrangères, que ce soit en matière de sécurité ou d’assurance, en les obligeant à transférer une partie de leurs moyens financiers à l’étranger pour répondre à leurs exigences de sécurité. Ce point constitue la raison profonde de notre soutien au rapport des députés Ménard et Viollet auxquels nous avons tout de suite transmis notre espoir qu’ils arrivent à faire changer le système actuel. Il faut reconnaitre qu’il est basé sur une vision idéologique et une interprétation historique des activités couvertes par ces entreprises de services de sécurité et de défense, appelées autrefois SMP. En France, la période de la France-Afrique et du mercenariat reste trop présente dans les mémoires et nous pénalise par rapport à tous les autres pays du monde. Aux États-Unis, les grandes ESSD n’ont aucun problème et possèdent une image correcte au sein de la population. Elles travaillent étroitement avec l’État, sont considérées comme efficaces et les quelques dérapages, consécutifs aux absences ou à des failles de contrôles sont rapidement arrêtés.

Est-il normal que les grandes sociétés françaises qui travaillent en Afghanistan actuellement doivent recourir à des sociétés étrangères lorsque l’armée française ne peut pas assurer la sécurité de leurs techniciens ? Je rappelle que depuis l’arrêt Karachi, les entreprises sont « sécuritairement » responsables de tous leurs salariés à l’étranger, que ce soit pendant ou en dehors des heures de travail. Une responsabilité importante pèse donc sur les entreprises et nous préférerions que la protection de ces salariés soit assurée par des sociétés françaises ou pour le moins qu’elles puissent être mises en compétition avec d’autres dans les appels d’offres. Face à la volonté d’assurer, dans les meilleures conditions possibles, la sécurité de nos employés, la défense et la sûreté de nos sites, il n’y a pas de raison logique d’empêcher le recours à des personnels français qualifiés.

Si je reprends l’exemple somalien, il est à la fois fascinant et affligeant de voir que parmi les personnels travaillant dans les ESSD étrangères, il y a une grande quantité d’anciens militaires français. On y trouve de nombreux commandos-marine dont chacun reconnaît l’expertise technique. On ne peut que s’interroger sur le fait que la France soit le seul pays à ne pas reconnaître et utiliser les capacités de militaires formés chez nous. Arrêtons de nous tirer une balle dans le pied et soyons raisonnables.

Vous allez suivre aujourd’hui un programme qui va permettre de couvrir un grand nombre d’éléments du thème étudié. Vous devez les inscrire dans le cadre d’une mondialisation en pleine mutation. Nous entrons dans un monde de plus en plus dangereux et de plus en plus agressif au quotidien. Je vais peut-être choquer les militaires, surtout dans cette salle, mais je fais partie de ceux qui sont convaincus que le combat économique va prendre de plus en plus d’importance et utilisera l’action militaire comme un moyen parmi d’autres pour imposer ou défendre ses objectifs politiques, économiques ou sécuritaires. Soyons réalistes. On ne peut pas comprendre, par exemple, la guerre en Ituri, au Congo, sans admettre que ce n’est pas un conflit tribal entre Hutus et Tutsis, mais une guerre menée pour défendre les intérêts de compagnies minières. Il s’agit de contrôler le coltan dans la zone, parce que ce minerai rare est indispensable à la fabrication des téléphones portables.

Face aux enjeux, face à l’interpénétration des intérêts de chacun, il est nécessaire de pouvoir protéger nos sites et nos personnels pour en assurer la pérennité.

Tout à l’heure, vous allez écouter une intervention du général Jean-Michel Chéreau, directeur de la sécurité d’AREVA, qui se trouve actuellement au cœur de problèmes importants.

Page 4: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Mais derrière lui, il y a d’autres sociétés, d’autres problèmes du même genre. On ne peut pas continuer à accepter d’être exclus de la concurrence internationale.

On ne peut pas non plus accepter d’être obligé de faire systématiquement appel à l’armée française alors qu’elle ne va plus avoir les moyens d’assurer la totalité de ses propres missions. Il est donc nécessaire de trouver des solutions plus équilibrées.

La question de l’assurance, qui sera évoquée ultérieurement, est très importante car les assureurs jouent un rôle essentiel dans le monde moderne. Ce sont eux qui font disparaître une grande partie de la prise de risque en la compensant financièrement pour en éliminer la plus grande partie des conséquences. Je ne rentrerai pas dans les détails car cette question recouvre certains domaines sensibles, mais indiscutablement les assureurs ont un rôle important aujourd’hui. Il suffit de voir la place prise dans ces domaines particuliers par la Lloyd et son rôle dans la problématique des rançons demandées par les pirates somaliens.

Nous nous intéresserons ensuite aux problèmes juridiques qui apparaissent quand on parle de sécurité privée. Dès que l’on parle des ESSD, se pose la question des modifications ou du changement de la fameuse loi, indiscutablement régressive par rapport à ce qui existe ailleurs, Il faut se souvenir qu’au moment où on la votait en France, l’ESSD américaine MPRI était en train de former les résistants kosovars qui devaient ensuite prendre le pouvoir. Deux poids, deux mesures, deux politiques.

Ce rappel montre aussi l’importance de disposer de textes de loi extrêmement précis afin d’éviter les dérives. Il faudra intégrer, après les avoir clairement définis, les modalités d’engagement car le recours à des ESSD implique les questions de l’ouverture du feu et de la réciprocité. La précision de la réponse juridique est essentielle, on ne peut pas faire ni laisser faire n’importe quoi.

Il importe donc de mettre en place une loi et des modalités d’application qui permettent de contrôler très étroitement les ESSD pour empêcher les dérives que l’on a pu connaître, notamment en Irak avec la société Blackwater. Les actions incontrôlées d’une entreprise de sécurité sont inacceptables et inadmissibles. Mais ce n’est pas parce qu’une société a complètement dérivé en Irak qu’il faut, pour autant, « jeter le bébé avec l’eau du bain ». C’est pourquoi l’État doit garder un rôle très important dans cette exigence de contrôle et de sécurité.

L’évolution des armées exige l’utilisation de militaires surentraînés et très spécialisés pour remplir un certain nombre de missions spécifiques. Ils se retrouveront de plus en plus jeunes en fin de service sur le marché du travail. Certains de ces ex-soldats d’élite auront du mal à se reconvertir et seraient avantageusement accueillis dans des entreprises spécialisées. Cela permettrait aussi de contrôler la fiabilité et la qualité du personnel en évitant l’embauche « d‘enfants perdus » risquant d’être à l’origine de dérives inacceptables.

Face à la complexité du problème des ESSD et de leur environnement il faut garder la tête froide et se poser les questions objectivement. C’est l’intérêt des colloques et de réflexion comme celle qui vient d’être menée par le CSFRS. Cela permet de se dire : « On a un problème, il faut que l’on en étudie toutes les facettes sans passion, sans idéologie et que l’on essaye d’analyser rationnellement la situation afin de faire des propositions concrètes ». C’est aussi le but des

Page 5: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

échanges que vous allez avoir. A partir de la sensibilité des uns et des autres, il s’agit de comprendre les problèmes posés par les uns et les autres, puis arriver, ensemble, à bâtir un projet acceptable par l’Etat. L’objectif sera de nous permettre de rebondir de manière efficace face à tous nos concurrents internationaux.

Voilà ce que je voulais vous dire ce matin. Vous avez beaucoup de chance car c’est la première fois que l’on organise un colloque sur cette question. Il va permettre d’échanger, d’approfondir, de lever les doutes et les suspicions. Il doit nous amener à nous retrouver tous ensemble autour d’une vision partagée. Je me réjouis donc, à titre personnel, mais aussi au titre du CDSE, qu’on commence à prendre sérieusement ce problème en main.

Vous me permettrez enfin d’espérer que dans les années à venir –et le plus vite sera le mieux- on arrête de passer par des entreprises étrangères pour protéger les intérêts des ressortissants français. Au-delà des déclarations sur le patriotisme économique, on pourrait peut-être parler plus simplement de raison et d’intérêt national.

Je vous souhaite un très bon colloque. Merci.

Résumé

Alain Juillet met en avant la reconnaissance internationale de l’excellence technique de nos troupes régulières, mais aussi les limites de leur emploi dans un contexte national de réduction des moyens. Il aborde plusieurs points centraux sur le développement du secteur des ESSD. La loi de 2003 empêche de facto à des sociétés françaises de travailler avec des ESSD françaises. Les grandes entreprises françaises sont obligées de passer des contrats avec des ESSD ou des sociétés d’assurance étrangères pour des prestations qui pourraient parfaitement être réalisées par des ESSD françaises. Une partie des moyens financiers et des exigences de sécurité de ces entreprises est donc transférée à l’étranger. Une responsabilité de protection des salariés pèse sur les grandes entreprises françaises à l’étranger. Elle pourrait très bien être assurée par des ESSD françaises. Nous sommes entrés dans un monde de plus en plus dangereux et agressif au quotidien dans lequel le combat militaire s’efface devant le combat économique qui, dans le même temps, emploiera des moyens de sécurité croissants. La loi de 2003 est indiscutablement régressive par rapport à ce qui existe ailleurs. Cela n’enlève rien au fait qu’il est important de disposer de textes de loi précis afin d’éviter les dérives. Il importe de mettre en place une loi avec des modalités d’application permettant d’empêcher les dérives. Cette réflexion devra se faire ensemble objectivement, afin de bâtir un projet acceptable par l’Etat. Il est nécessaire que l’on arrête de passer par des entreprises étrangères pour protéger les intérêts des ressortissants français. On parle de patriotisme économique, parlons simplement d’intérêt national.

Première table ronde

Page 6: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Climat d’insécurité et activité d’une grande entreprise à l’étranger par le général

Jean-Michel Chéreau, Directeur de la protection du groupe AREVA

Discours

Bonjour à tous. Je m’appelle Jean-Michel Chéreau et je suis le directeur de la protection du Groupe AREVA.

En préparant ce colloque, je ne pensais pas me faire rattraper aussi rapidement par l’actualité, même si j’ai toujours pensé, depuis le déclenchement de l’opération Serval, que de nouvelles actions étaient fortement probables sur nos installations au Niger. Nous y sommes une cible à double titre : au titre de l’engagement de la France dans le nord du Mali, mais aussi au titre de l’engagement très significatif de l’armée nigérienne. Les deux actions que vous avez pu voir la semaine dernière à

travers les médias en sont une parfaite illustration.

Certes, nous avons déployé un plan de protection réputé robuste. Le dernier audit interministériel dont nous avons récemment reçu le rapport le confirmait. Mais c’était compter –et cela contribue à la réflexion- sans deux facteurs prépondérants.

Le premier de ces facteurs réside dans le fait que nous aurons beau avoir les dispositifs de protection les plus solides possible, s’il y a des lacunes dans la mise en œuvre des procédures ou dans la mise en œuvre elle-même, ces dispositifs deviendront parfaitement inopérants. C’est un petit peu ce qui s’est produit jeudi dernier à Arlit avec les résultats que l’on connaît. Je ne rentrerai pas plus précisément dans le détail de cet attentat. Deuxième facteur aggravant : l’absence de renseignements.Il est très clair que nous sommes tributaires du pays hôte et en la matière, nous avons eu très peu de renseignements. Nous aurions pu aussi avoir du renseignement du côté étatique, mais c’est un problème qui est également à prendre en compte.

Plus que jamais aujourd’hui, la menace terroriste est particulièrement forte au Niger. Il nous faut donc adapter notre dispositif à une menace qui évolue en permanence. C’est ce que nous allons faire. Là n’est pas vraiment le propos de notre colloque du jour, mais c’était pour anticiper les éventuelles questions sur le sujet.

Pour faire face à la menace dans des zones sensibles ou dangereuses, les Groupes comme les nôtres doivent faire appel à des prestataires de sécurité. Dans certains cas, la prestation à elle seule suffit.

Ceci vaut en particulier pour les pays ou les régions réputés dangereux, en particulier en termes de criminalité. Pour nous, c’est par exemple le cas de l’Afrique du Sud, du Brésil ou d’autres.

Page 7: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Nous mettons alors en général en place un coordinateur de protection auprès d’un responsable régional ou d’un directeur de site à l’étranger, ou les deux. Ceux-ci sont généralement en charge de conseiller le manager en matière de protection auprès duquel ils sont placés et plus particulièrement, d’assurer la protection des missionnés en déplacement. Pour ce premier cadre, cela se passe plutôt bien. Pour les pays à risque comme le Niger, la problématique est quelque peu différente dans la mesure où il s’agit d’une prestation de protection à plus grande échelle, à laquelle il est impératif d’associer l’État hôte avec ses forces et ses faiblesses. Dans un pays étranger, on ne peut pas faire ce que l’on veut.

Ainsi, pour assurer l’ensemble de notre activité au Niger, en prenant en compte la problématique des transports, avec la question de l’acheminement de minerais ainsi que celui de certains autres éléments mineurs, notre prestation de protection s’appuie sur des forces de sécurité nigériennes, armée et gendarmerie confondues. Ces militaires sont normalement totalement dédiés à la protection de nos sites au travers d’un protocole d’accord. Des sociétés de gardiennage sont également présentes sur chacun des sites pour assurer la protection de nos expatriés et de nos emprises industrielles, notamment sur Niamey. Nous avons un système de gardiennage qui assure la protection de l’ensemble de nos villas, complété par un dispositif d’intervention relié à la police locale. Pour encadrer ce dispositif, nous commandons une prestation de sécurité avec une vingtaine de personnes, dont certaines sont de recrutement local. Mais ce dispositif évolue en permanence. En 2010, la prestation représentait quatre à cinq personnes ; on est aujourd’hui à une vingtaine. L’effectif est à peu près stabilisé, mais en fonction de l’évolution de la menace ainsi que de l’activité du Groupe, le volume peut varier.

À ce jour, les ESSD françaises capables de fournir une telle prestation sont très peu nombreuses. C’est un vrai sujet pour les Groupes comme le nôtre qui, compte tenu de leurs spécificités, ne peuvent pas vraiment faire appel à des sociétés étrangères de voilure généralement plus importante. En outre, et je vais mettre les pieds dans le plat, l’appel d’offres que nous avons récemment lancé, et finalement suspendu compte tenu de l’évolution de la sécurité au nord du Mali, a montré le manque de maturité et de crédibilité de certaines de ces ESSD. Le comportement de certaines d’entre elles tout au long du déroulement de l’appel d’offres en a été une brillante et navrante illustration. À ce sujet, je voudrais faire une petite parenthèse, puisqu’il a été dit tout et n’importe quoi sur le sujet. Je voudrais corriger certaines informations erronées. Cet appel d’offres n’a pas été lancé par le Groupe sous prétexte de non-satisfaction de la prestation en cours. Bien au contraire, la prestation qu’effectue actuellement la société EPEE est remarquable, mais nous avons en interne des règles en la matière qui nous amènent, au terme d’un contrat, à lancer un nouvel appel d’offres. Deuxième chose, cet appel d’offres était réel et ouvert. Il a été simplement suspendu compte tenu de la situation sécuritaire sur place. Il est vraiment regrettable que certaines ESSD ne l’aient pas compris.

En outre, et dans la mesure où il ne doit pas exister une trop grande dépendance de l’ESSD vis-à-vis d’un Groupe qui est susceptible de l’employer, le champ des possibles s’en trouve encore fortement réduit. Aussi, aujourd’hui, je considère pour ma part que dans le paysage français, le nombre d’ESSD susceptibles de remplir des appels d’offres comme celui que nous avons au Niger et que nous avons lancé en fin d’année dernière est beaucoup trop réduit.

À mon sens, il faut organiser et structurer ce monde bien particulier. Je n’ai pas de recette miracle à vous proposer, mais il faut faire en sorte de disposer d’ESSD d’un poids financier suffisant et à la moralité incontestable. Je ferai quand même en guise de conclusion une

Page 8: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

suggestion. Dans ce monde des ESSD françaises, qui se cherchent encore, il me semble que celles-ci doivent se spécialiser. On a encore aujourd’hui au sein du secteur, des entreprises «  à tout-faire » : sécurité, IE, etc. Elles devraient, à mon sens, se spécialiser par domaine. Le domaine maritime ne se gère par comme le domaine terrestre.Par ailleurs, elles devront faire l’objet d’une enquête approfondie des services au terme de laquelle elles seront agréées ou non. On a besoin de cet agrément.Tout manquement aux règles de confidentialité ou d’éthique dictées par l’opérateur devra être sanctionné de manière forte. Je considère qu’un tel manquement justifie un carton-rouge.

Je terminerai mon intervention en disant que les ESSD sont un besoin pour les Groupes comme le nôtre. Mais il faut impérativement qu’elles s’organisent et gagnent en maturité.

Je vous remercie.

M. Philippe Chapleau

Vous nous avez parlé de cet appel d’offres. Est-ce que des sociétés étrangères vous ont contacté et ont posé leur candidature ?

Général Jean-Michel Chéreau

Non.

M. Philippe Chapleau

Aucune ?

Général Jean-Michel Chéreau

Aucune.

M. Philippe Chapleau

Est-ce que c’était la nature de l’appel d’offres qui faisait que seules les sociétés françaises pouvaient présenter leurs candidatures ?

Général Jean-Michel Chéreau

On l’avait volontairement réduit aux sociétés françaises pour un certain nombre de problématiques propres à notre activité nucléaire.

M. Philippe Chapleau

Vous parliez des entreprises de gardiennage. Ce sont des entreprises de gardiennage locales ?

Général Jean-Michel Chéreau

C’est un petit peu la problématique qu’on a effectivement. Ce sont des sociétés de gardiennage locales, parce qu’au Niger nous n’avons pas d’autre possibilité. Nous ne pouvons pas utiliser des

Page 9: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

sociétés de gardiennage étrangères car nous n’obtiendrions pas les visas de travail pour ces sociétés.

M. Philippe Chapleau

Dernière question. Il avait été dit il y a quelques mois que des forces spéciales françaises allaient être déployées sur vos sites au Niger. Je crois que vous avez encore une mise au point à faire.

Général Jean-Michel Chéreau

Là encore je souhaiterais remettre les choses au clair. Quand les forces spéciales ont été mises en place, ce n’était pas pour sécuriser les sites du Groupe AREVA à Arlit. Elles ont été mises en place par les autorités françaises en appui des forces nigériennes dans le cadre du dispositif Serval. Aujourd’hui, le détachement de forces spéciales qui est déployé à côté d’Arlit, est en fait en soutien du dispositif Mali Béro, dispositif nigérien de protection des frontières au nord du Niger. Il faut donc être précis, ces forces spéciales n’ont rien à voir avec la protection de nos sites sur place.

M. Philippe Chapleau

Merci, mon général. Le général Chéreau a parlé de manque de crédibilité et de maturité des ESSD françaises.

Résumé   :

Après avoir donné des informations sur la situation actuelle d’AREVA au Niger, le général Chéreau revient sur le rapport entre les grandes entreprises opérant dans des zones à risques et les ESSD. Pour faire face aux menaces dans les zones sensibles ou dangereuses, les groupes comme AREVA doivent faire appel à des prestataires de sécurité privés. Les prestations de protection varient en fonction du degré d’insécurité du pays dans lequel est implantée l’entreprise. Ainsi, le plan de protection mis en place au Niger, auquel est associé l’Etat hôte, est plus conséquent que celui qui existe par exemple au Brésil. A ce jour, les ESSD françaises capables de fournir une prestation comme celle qu’AREVA exige au Niger sont très peu nombreuses. C’est un véritable problème : en raison du caractère sensible des activités de certaines entreprises clientes, il est difficile de recourir à des ESSD étrangères. Il est nécessaire d’organiser et structurer le marché des ESSD françaises afin de disposer d’entreprises au poids financier suffisant et à la moralité incontestable. Un des moyens pour réussir réside dans une spécialisation par domaine et un agrément étatique. Les ESSD sont un besoin pour les groupes comme AREVA mais il faut impérativement qu’elles s’organisent et gagnent en maturité.

Page 10: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

La marginalisation des entreprises françaises sur le marché de la sécu-rité par Monsieur Eric Delbecque, Chef du Dépar-

tement Sécurité Economique de l’INHESJ

Discours

Les films Jeux de pouvoir ainsi que Les douze salopards résument assez bien l’ensemble des fantasmes entretenus sur les ESSD. Tant que nous n’évacuerons pas ces fantasmes persistants, il sera vain de discuter de mesures concrètes. Ben Affleck, dans Jeux de pouvoir, tient le rôle d’un jeune député, censé mener une lutte vertueuse et républicaine contre la gigantesque société de sécurité Point Corp. Parce qu’elle est un composé de tout ce qui se fait en matière de sécurité, cette société cumule tous les clichés. Elle pourrait être l’équivalent de Blackwater – à l’époque où la société s’appelait encore ainsi – ou de l’une des plus grosses sociétés de sécurité

connue au niveau français. Elle est suspectée de vouloir recomposer le milieu, de devenir l’acteur hégémonique sur le territoire américain de la sécurité privée et à l’extérieur sur la problématique des SMP, le tout mâtiné de Big Brother. Plusieurs conclusions se profilent :On parle effectivement du mercenariat en disant : « Il y a des amalgames non justifiés avec la problématique des ESSD ». L’imaginaire qui tourne autour de la problématique, rejoint ni plus ni moins la mythologie de la milice, mais aussi l’épisode des ligues des années 30 et plus précisément la question de la politique et d’une idéologie soupçonnant une allégeance douteuse d’un certain nombre de sociétés aux valeurs républicaines elles-mêmes. La nature des débats pourrait laisser à penser que : « Finalement, c’est bien de cela dont il est question ». C’est-à-dire que l’on suspecte clairement ces sociétés et l’univers qu’elles portent de nous amener à une conception de la chose militaire, de la guerre, de la sécurité qui ne serait pas parfaitement républicaine. Donc, la question est encore plus profonde que celle du mercenariat et effectivement que de cette loi de 2003 dont on se demande bien dans quelle mesure elle pourrait cadrer avec le sens de l’histoire. En l’occurrence, elle ne cadre pas. Bien évidemment, il est toujours possible de rappeler que le phénomène historique n’est pas nouveau au-delà de cette assimilation douteuse avec les années 30 et que la sécurité étatique est vieille comme le monde. Deuxièmement, l’approche avec les ESSD n’est pas du tout la même. Dans l’idée de toujours cadrer parfaitement l’imaginaire sur le sujet, nous entretenons une peur fondamentale, ancrée dans l’imaginaire des sociétés occidentales, de la violence et de la guerre. Toute force qui se bat pour des intérêts légitimes, pour la République ou pour la Nation – ce serait le cas dans le débat sur la défense, et non pas simplement celui des entreprises – est perçue comme non légitime lorsqu’elle est constituée de professionnels payés pour le faire et qui n’appartiennent pas à une troupe «régulière». Donc, encore une fois, l’imaginaire profond sur le sujet est encore plus dramatique. Et le repoussoir absolu est Blackwater en Irak avec tout ce que l’on en connait.Le débat sur l’évolution sécurité nationale et défense, et la question de l’action de ces sociétés à l’international, ne peuvent pas se déconnecter. La sécurité à l’international n’est pas détachable du débat sur ce que l’on appelle communément les SSP. D’ailleurs, ces errements dans les termes prouvent bien les confusions répandues dans la conscience collective. S’écharper sur les mots et énoncer des distinctions byzantines démontre l’incompréhension de la réalité. Notre

Page 11: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

métamorphose de la guerre à la défense, puis de la défense nationale à la défense globale, puis de la défense globale à la sécurité nationale n’est toujours pas achevée. Des Livres blancs peuvent être écrits, les conséquences ne sont pas appréhendées pour autant. Lorsque l’on parle de sécurité nationale, un certain nombre de conséquences évidentes est occulté, comme le fait – et ce n’est pas l’insulter – que la défense fait partie du continuum sécurité nationale et pas l’inverse. Sinon, les mots ne veulent rien dire. Cependant, un certain nombre d’autres pays l’ont compris. Les ouvrages de Jean-Jacques Roche, La guerre probable du Général Desportes ou bien encore les livres et les articles de Jean-François Daguzan synthétisent l’essentiel de tout ce qui a été dit sur cette question.

L’idée que l’État est producteur au sens général et qu’économiquement l’État fait tout, est une idée révolue. L’État doit renoncer à tout faire. Mais l’État n’y a toujours pas renoncé. Il se voit toujours en producteur au sens quasi philosophique du mot, c’est-à-dire le fabriquant d’un certain nombre de prestations et, bien sûr, puisqu’on touche au cœur du régalien, en matière de sécurité et de défense. Mais même cela est terminé. En quoi est-il valorisant pour nos militaires, dont la qualité est indiscutée et indiscutable, d’exécuter des tâches qui ne sont pas de leur niveau ou dont la valeur ajoutée militaire n’est pas avérée ? L’idée pleine et entière de l’État stratège et partenaire qui structure, régule, soutient, est éminemment noble. Ce qui pose problème, c’est que l’on ait pensé pendant des années que l’État producteur au sens général était, par vocation, l’alpha et l’oméga de la nation. L’erreur fondamentale est là et il faut donc plutôt voir l’évolution actuelle comme une opportunité que comme une contrainte. Quoi qu’il en soit, le budgétaire a plutôt tendance à dire que nous n’avons pas le choix. Il faut revoir un certain nombre de clichés sur le public et le privé et en finir avec cette mythologie que le privé et le public entretiennent l’un sur l’autre. Non, l’État n’est pas le dépositaire absolu ni le seul lucide sur l’intérêt collectif et l’intérêt de la Nation. L’État ne peut pas tout faire et de nombreuses personnes, dans le domaine privé, savent discerner l’intérêt public bien compris en plus de l’intérêt privé. Certes, l’État seul peut conjuguer et synthétiser des approches nationales, mais il n’est pas le seul à pouvoir mettre en œuvre une logique d’intérêts bien compris publics ou privés.

Alors pourquoi rester optimiste ? Pourquoi ces entreprises françaises – si tant est qu’elles le soient vraiment – sont marginalisées ? Plusieurs raisons fortes pourraient apporter des réponses à ces questions. La réalité, et notamment les rapports qui ont marqué la question, révèlent la philosophie de l’État : Tout d’abord, il est urgent d’avancer lentement. Deuxièmement, il existe un manque d’encadrement dû à des réticences doctrinales. Il est impératif de se donner les moyens du contrôle de l’externalisation. Or, aujourd’hui, ces moyens n’existent pas. La question n’est donc pas celle de l’externalisation qui ne pose, en soi, aucun problème de doctrine insoluble, aucun problème insurmontable. La question, est de pouvoir encadrer cette externalisation pour que, ni l’opérationnel, ni les valeurs, ne soient contrariés. Troisième point – et non des moindres - c’est la faible prise en compte de la fonction sûreté dans les entreprises. Qui dit ESSD, dit forcément l’usage – il n’y a pas que l’État – que les entreprises françaises en font. Beaucoup de grands patrons du CAC 40 pensent que la sûreté est un travail de subordonnés et qu’elle ne peut nullement concerner un membre de la direction de l’entreprise. D’autre part, il n’y a pas de contrôle réel du management. Puisqu’il s’agit d’une fonction subordonnée, les grands chefs la délaissent au profit de fonctions plus « nobles ». Force est de constater une sous-estimation de la problématique, une sous-estimation totale des risques que cela peut faire courir.

Page 12: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

En fait, tant que l’image du dirigeant n’est pas en danger ou que le juge n’est pas loin avec les menottes, cela n’intéresse personne. Comment jeter la pierre à des personnes non familiarisées avec la problématique ? Même les grandes écoles telles que Sciences Po, l’ENA, HEC ou Polytechnique éludent nombre de ces questions. La vraie difficulté, à savoir le manque d’extension de la problématique - lorsque l’on entend sûreté dans l’entreprise, on considère bien le gardiennage - disparaît dans les limbes. Sans parler, bien évidemment, des confusions avec les fameuses barbouzeries. Il est de notoriété publique que « les journalistes entretiennent l’assimilation entre l’intelligence économique et les barbouzeries ». Ils ne sont pas les premiers. Malheureusement, dans les entreprises au niveau des directions, cette assimilation est d’abord faite par des grands responsables qui ne connaissent pas le sujet. Dernier point, l’appétit pour les marques anglo-saxonnes. On parle de marginalisation des entreprises françaises, mais beaucoup de grands patrons préfèrent le chic assimilé à une marque britannique ou américaine parce qu’elle est britannique ou américaine. La question de l’évaluation des compétences passe toujours après le chic. Les sociétés du CAC 40 ne sont pas des monstres de rationalité.

Les ESSD ne resteront pas indéfiniment marginalisées parce que, premièrement, le dispositif à mettre en œuvre, notamment législatif, finira par l’être et que l’on en perçoit d’ores et déjà les moyens et les objectifs. De plus, la compétence avérée de ces sociétés finira par s’affirmer. Nicolas Oresme disait que « la bonne monnaie chasse la mauvaise ». L’encadrement de l’externalisation est plus qu’envisageable et ne présente aucun obstacle dirimant. Et puis, surtout, le besoin est immense. Face à l’évolution du monde, de plus en plus complexe, nous ne pourrons pas persévérer longtemps dans l’ignorance des faits.

En conclusion, le réel donnera raison aux ESSD en général et participera à la promotion des ESSD françaises. Au bout du compte, on dénonce toujours les mercenaires, la mythologie pirate derrière l’action de ces sociétés. Il serait temps, dans notre pays, que l’on passe à une autre assimilation dans notre imaginaire et que l’on valorise la logique du corsaire. Oui, il y a des gens qui servent l’État sous l’uniforme avec des statuts en étant membres de la Fonction publique. Et puis, il y a des hommes que d’aucuns pourraient accuser d’être des corsaires, or, s’ils ne figurent pas sur les cartes de la marine du Roi, ils se battent quand même pour la Nation et pour le Roi. Puis vient le jour où on leur donne un titre. La mythologie du corsaire est une image positive que l’on devrait sérieusement mettre en avant car elle exprime, avec justesse, une nécessité pour notre pays.

Dernière précision, pas sur l’État producteur de sécurité, mais l’État régulateur de sécurité : les ESSD pourraient être régulées par exemple par un organisme comme le CNAPS. Cet exemple mérite d’être cité. On peut discuter les modalités, mais encore une fois, rien ne s’y oppose. C’est même une bonne idée, puisque tout dans notre pays doit passer par l’officialisation de dispositifs de contrôle et par le fait qu’il faut toujours un organisme.

Juste à titre documentaire, le livre de Scahill consacré à Blackwater aborde tout le débat juridique et pas simplement la dénonciation des faits. Les ESSD ne sont pas forcément le facteur de recrudescence principal, encore moins exclusif, de la violence. Il ne faudrait pas passer à côté du débat de la culture stratégique des différents pays. Si parfois des entreprises peuvent poser problème dans le secteur privé, c’est peut-être parce que la culture stratégique dont elle est issue maîtrise mal ce type de terrain et d’opération. Très concrètement, il n’est pas sûr que les Américains de manière générale soient à l’aise sur ce type de problématiques et il ne faut pas oublier quand même que leur armée régulière et nationale peut éprouver des difficultés et se voir entraînée dans des actions discutables.

Page 13: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Bien sûr, il y a des cas particuliers qu’il faut dénoncer, mais les ESSD de manière générale ne sont pas une bande de crétins soudards et miliciens incapables d’avoir du discernement. Il y a des gens même très experts et très avertis. Donc, je crois qu’il faut vraiment situer le débat sur la question des cultures stratégiques et égaliser, de ce point de vue-là, la responsabilité de tous les combattants face à leurs actes. Il n’y en a pas un qui semble devoir être dénoncé plus que l’autre.

Dernier point très factuel. Sur les 200 000 contractors -pour employer le terme consacré- en Irak, il y avait entre 10 et 20 % de troupes privées combattantes maximum.

Sur la question de la nationalité des firmes. Il y a une deuxième question qui concerne les achats de ces prestations et qui n’est pas toujours traitée par les patrons sûreté au sein des Groupes qui doivent négocier avec de nombreuses personnes afin de savoir quel prestataire embaucher. Dans un certain nombre d’entreprises, la question prioritaire de la problématique des achats, n’est pas de savoir si le prestataire est britannique, américain, français, israélien ou sud-africain, mais bien de connaître le coût de la prestation et si l’on peut négocier et faire baisser le prix. Donc effectivement, cette question-là, tout à fait opérationnelle, doit être bien perçue. C’est dans les autres fonctions qu’il faut arriver à convaincre, parce qu’un patron sûreté comme un patron IE, comme un patron gestion des risques, des crises, est actuellement handicapé par le manque de sensibilisation auprès des autres fonctions de l’entreprise. Les professionnels existent pourtant bel et bien.

L’éthique dans les questions de sécurité permet souvent de casser le monopole de la logique de cost killing et cette question est à étudier particulièrement.

Deuxièmement, je crois que la question des référentiels est souvent un moyen pour ceinturer, organiser, structurer un marché. C’est justement ce que l’on n’aperçoit pas assez souvent, que la réglementation, notamment anglo-saxonne ne vise pas de la qualité. Elle vise à faire en sorte qu’un marché soit captif. Sans doute a-t-elle une vertu positive, mais sa première vocation est de rendre un marché captif. Il en est de même dans un certain nombre de domaines en dehors de cette question.

On envisage souvent, sur nos questions, monde privé et monde public, dans des logiques de substitution. Tout le débat doit être orienté différemment et tendre vers une logique de complémentarité. Il n’y a aucun débat sur la substitution.

Page 14: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Résumé

Dans son intervention, Eric Delbecque aborde les causes de la marginalisation des Français sur le marché international de la sécurité.

L’imaginaire qui tourne autour de la problématique des ESSD est celui de la milice. On suspecte ces sociétés, et l’univers qu’elles portent, de nous amener à une conception de la sécurité qui ne serait pas parfaitement républicaine. Or on n’est pas du tout dans cette approche avec les ESSD.

On ne peut pas déconnecter la question de la sécurité intérieure de celle de la sécurité à l’international.L’Etat doit renoncer à tout faire : il n’est pas le dépositaire absolu ni le seul lucide sur l’intérêt collectif de la Nation. Il ne peut plus tout faire et il y a dans le privé des personnes capables de discerner l’intérêt public et de le défendre.

Le manque d’audace de l’Etat est un frein au développement des ESSD françaises. L’externalisation en elle-même est envisageable mais ce manque d’audace se traduit par un manque d’encadrement de l’externalisation.

Page 15: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Le point de vue de l’assureur par Monsieur   Stéphane Pénet, directeur des

assurances de biens et de responsabilités à la Fédération française des sociétés d’assurance

(FFSA)   :

Discours

Bonjour à tous. Je dirige la Fédération française des sociétés d’assurance et je vais essayer de vous résumer en quelques mots les problématiques liées à l’assurance, d’une part au regard de la protection des personnes et des biens d’entreprises à l’étranger, mais surtout au regard de l’éventuel développement d’une assurance couvrant des entreprises de type ESSD ou SMP comme on pourrait les appeler.

Tout d’abord, il faut vous dire que la question de l’assurance d’ESSD n’a pas fait l’objet de réflexion particulière parmi les assureurs français, ni d’une doctrine. Je vais évoquer les conditions générales d’assurabilité d’un risque et comment elles s’appliquent dans le cas des ESSD. Le risque est la matière première des assureurs, mais les assureurs utilisent une technique et cette technique a ses limites. Si l’on veut pouvoir assurer un risque, il y a des conditions à réunir. Dans le cas contraire le risque n’est tout simplement pas assurable. Je vais essayer, de dire, dans le cas des ESSD, quelles seraient les conditions pour qu’une assurance fonctionne et qu’une offre se développe dans notre pays pour accompagner le développement éventuel de ces entreprises.

Avant ça, juste un mot pour vous dire que les assureurs interviennent aujourd’hui déjà dans la sécurité d’intérêts français à l’étranger. Le président Juillet a parlé tout à l’heure des questions liées au kidnapping et rançon (ransom). C’est vrai qu’aujourd’hui vous avez des entreprises, plutôt anglo-saxonnes, mais travaillant en France et assurant des prestations assurantielles en matière de kidnapping et de rançon. Pendant très longtemps, la question s’est posée de savoir s’il était autorisé d’assurer le kidnapping dans notre pays, puisqu’il y avait une sorte de doctrine de l’État qui disait qu’il ne fallait surtout pas favoriser les demandes de rançons et que l’assurance d’une rançon était en quelque sorte un encouragement à ce type d’activité. Aujourd’hui, les choses sont claires : on peut le faire. Je peux vous assurer que tous les patrons du CAC 40 sont aujourd’hui assurés contre ce genre de risque et que la plupart des entreprises, qui aujourd’hui se développent dans des pays à risque, ont souscrit ce type d’assurance. Les contrats ne couvrent pas seulement une assurance financière, mais surtout une assurance avec du service, de l’aide à la négociation, de la formation et de la prévention, parce que c’est avant tout là que les choses se jouent. Les assureurs sont également très présents – on l’a dit tout à l’heure – en assurance maritime. Vous savez qu’il y a aujourd’hui des risques particulièrement importants en matière de piraterie. Mais les assureurs français sont présents pour assurer les bateaux et les marchandises en matière de piraterie. Je dois même dire que l’assurance française dans ce domaine-là n’a pas à rougir vis-à-vis de ce que font ses concurrents anglo-saxons. Beaucoup de filiales de compagnies

Page 16: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

d’assurance se sont développées en matière d’assistance. Elles s’occupent de ce que l’on appelle la sécurité des « expats » et se développent dans le domaine de la santé plus que de la sécurité. Le cœur du sujet, c’est la question de l’assurance responsabilité civile des ESSD. La question est de savoir comment pourrait se développer une assurance couvrant ces ESSD et notamment la couverture des éventuelles mises en cause de leur responsabilité civile. Il y a d’autres risques sur lesquels je reviendrai, mais celui-là est important.

On dit souvent les assureurs frileux, mais l’assurance n’est pas une roulette russe. Par conséquent, elle a besoin d’avoir un certain nombre d’éléments avant de prendre des engagements et de les tenir. Parmi ces éléments, il y a la nature des activités qu’exerce la personne que l’on assure. Dans ce domaine, la mise en place d’un encadrement, d’un statut éventuel des ESSD, serait bien entendu bienvenue, puisqu’elle permettrait de mieux cerner cette activité. Lorsque l’on a un risque nouveau qui arrive, nous, les assureurs, ne pouvons pas nous tourner vers l’historique, vers les statistiques, puisque par définition, ce risque étant nouveau, il est difficile d’en disposer. Nous avons d’autres méthodes pour apprécier un risque que la simple statistique. Nous avons la modélisation, la comparaison, le benchmarking avec l’étranger…. Donc je peux vous dire que les assureurs pourraient s’intéresser à ce risque dès lors que l’activité à assurer serait encadrée.

En revanche, l’assureur a besoin aussi de connaître la qualité de celui qui va exercer cette activité. Là-dessus, j’ai le sentiment, après ce qu’a dit monsieur Chéreau, que dans le domaine de la sécurité privée, il y a – passez-moi le terme – à boire et à manger. Donc, il serait, je pense, très utile, je dirais même indispensable, que ces sociétés marquent de manière forte leur volonté de s’organiser, de mettre en place une éthique dans leur activité et des règles précises dans leur domaine d’intervention. Bref, de « désopacifier » leur activité, car les assureurs ont besoin de savoir et d’être sûr que l’engagement qu’ils vont prendre est conforme à ce qu’ils auront prévu dans les éventuels contrats rédigés. Tout ce qui concerne la certification, la qualification, la labellisation facilitera, bien entendu, la connaissance du risque. Je fais un parallèle avec, par exemple, l’assurance construction : aujourd’hui les assureurs prennent des engagements très importants avec les constructeurs puisque ce sont des assurances décennales. Les assureurs connaissent parfaitement les qualifications des uns et des autres, les expériences, et à partir de là, sont tout à fait capables de qualifier et d’apprécier le risque. Donc, mesdames et messieurs les ESSD, étonnez-nous et prenez des initiatives qui fassent que vous attiriez, non seulement des clients, mais également des assureurs.

Les conditions d’assurabilité sont d’autant plus importantes pour ce type de sociétés que nous avons affaire à des risques que l’on pourrait qualifier d’aggravés. Permettez-moi la comparaison, mais assurer la responsabilité civile de Danone au Mali, c’est une chose. Assurer la responsabilité civile d’une ESSD au Mali, c’en est une autre. On fait un peu plus de mal avec des armes qu’avec des yaourts ! De ce fait, les conditions d’assurabilité doivent être scrupuleusement connues des assureurs dès lors que l’on traite de risques aggravés que l’on pourrait assimiler, par exemple, à ceux des praticiens de chirurgie. Le risque aggravé ne veut pas dire que les assureurs reculent, il veut simplement dire que les assureurs sont plus exigeants sur l’encadrement et les conditions d’assurabilité. Mais la question la plus cruciale dans la connaissance du risque par les assureurs en ce qui concerne ces ESSD concerne les régimes de responsabilité et plus spécifiquement la question du transfert des responsabilités.

L’assureur a besoin de connaître ses engagements en responsabilité civile. Cette connaissance

Page 17: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

passe par une clarification des responsabilités portées par son assuré dans l’exercice de son activité. Le risque de responsabilité est particulièrement délicat pour un assureur, parce que, certes si je couvre votre véhicule contre un risque de vol, un risque d’incendie ou que sais-je, les choses sont assez claires entre nous. On définit alors exactement les périls couverts, les modalités dans lesquelles on va intervenir et tout cela est contractuel entre vous et moi. Mais à partir du moment où l’on touche à des questions de responsabilité, un tiers intervient : c’est la victime. Cette victime a des droits totalement indépendants du contrat. Elle a des droits qui lui sont propres. Par conséquent, ces droits – on le sait – ne dépendent pas du contrat qui aura été passé entre vous et moi, mais ils dépendront des régimes de responsabilité, des jurisprudences locales ou internationales dans le pays dans lequel sera intervenu l’accident. À l’aléa purement assuré qui est celui du risque de faire une bêtise, du risque de commettre une faute professionnelle ou que sais-je, vient s’ajouter un deuxième risque qui est l’aléa juridique, l’aléa jurisprudentiel, celui de l’évolution des régimes de responsabilité. Cet aléa-là, les assureurs ne l’aiment pas, parce qu’ils le maîtrisent mal. Autant ils sont très à l’aise sur des fréquences d’incendie, de faute professionnelle, d’erreurs ou d’omissions, d’accidents de voiture, autant sur des évolutions de jurisprudence, de responsabilité civile, de régimes de responsabilité dans des pays plutôt exotiques, ils sont extrêmement méfiants. Ça n’est pas leur travail, c’est plutôt leur cauchemar. Un cadre juridique clair, stable et rodé est bien entendu une des conditions de l’assurance.

En la matière, il y a quelques questions qui se posent. Tout d’abord la question du transfert de missions régaliennes. L’État est son propre assureur, il assume ses actes et ne transfère pas les conséquences de ses actes à ses assureurs. Il assume ses actes lorsqu’il est dans sa mission régalienne. Le problème, c’est que lorsqu’il confie une partie de ses missions régaliennes à des entreprises privées, on peut se demander quelle est la responsabilité de l’entreprise privée vis-à-vis de ces actions-là. Est-ce qu’il y a un transfert de la mission régalienne ? Est-ce que du coup cette mission régalienne devient assurable ou pas ? Voilà des domaines et des terrains sur lesquels les assureurs ne se sentent pas très à l’aise. Après tout, si l’État prend la responsabilité d’intervenir dans tel ou tel pays, s’il aggrave par son action même des risques dans tel ou tel pays, est-ce que cela peut être transférable sur un risque assurable auprès d’une entreprise privée ? Il y a là ce qu’on appelle, dans notre domaine, un aléa moral : nous sommes extrêmement mal armés pour l’assurer. Un aléa moral c’est  : « c’est moi-même qui me crée mon propre risque volontairement ou c’est moi-même qui aggrave mon propre risque volontairement ». Nous sommes là pour couvrir des aléas totalement indépendants. Ce sont des choses que l’on maîtrise. Un aléa dont je suis moi-même un peu le maître, ça devient un peu plus compliqué pour nous. Voilà un des premiers points qui, aujourd’hui, à mon avis, devrait être davantage éclairci : lorsque l’État confie une mission régalienne à une entreprise, quelle est la responsabilité qu’il confie derrière ?

Ensuite, le cadre strictement privé. Il s’agit d’une entreprise privée qui confie à une autre entreprise privée une mission de protection des biens et des personnes, a priori on est dans un domaine purement contractuel, dans un contrat signé entre deux personnes privées, majeures, vaccinées, consentantes et dans un domaine qui peut être à peu près maîtrisé et assurable. Mais cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. D’abord, comme vous le savez bien, une entreprise, où qu’elle soit, au Mali, à Paris, à Limoges, a une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la sécurité et la protection de ses salariés expatriés. Obligation de sécurité de résultat : voilà quelque chose qui est important. Je voudrais juste revenir sur un point. Mais je pense que Me Bensoussan le dira beaucoup mieux que moi, et je vais donc le traiter sous l’angle du risque en tant qu’assureur. Nous assurons ce que nous appelons la faute inexcusable des entreprises.

Page 18: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Qu’est-ce que c’est que la faute inexcusable ? Vous le savez ou vous ne le savez pas, mais lorsqu’il y a un accident du travail, lorsqu’il y a une maladie professionnelle, généralement, dans la plupart des cas, la victime de cet accident du travail ou de cette maladie professionnelle est couverte par ce que l’on appelle le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Sécurité sociale auquel cotisent toutes les entreprises. Cela résulte d’un pacte d’il y a très longtemps par lequel employeurs et employés se sont mis d’accord pour dire : « Il y a toujours des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les entreprises. Au lieu de se chercher nos responsabilités des uns et des autres si jamais elles arrivent, mettons en place un système qui, automatiquement, couvrira les salariés ». Sauf qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur mise en avant suite à un accident ou à une maladie professionnelle, ce n’était plus le régime de Sécurité sociale qui jouait, mais c’était la faute inexcusable de l’employeur qui était recherchée. Dans ce cas-là, c’est l’entreprise qui doit compléter l’indemnisation Sécurité sociale et même totalement la verser au fil de l’évolution des jurisprudences. Bien évidemment, cela coûte directement de l’argent à l’entreprise sans passer par le régime AT/MP. Les assureurs se sont mis à couvrir la faute inexcusable des entreprises, parce qu’elles se sont dit : « Il faut quand même que les entreprises soient couvertes contre ce risque-là ». Mais pendant un temps, la faute inexcusable était quelque chose de rarement mis en avant. Et puis, il y a eu une évolution de jurisprudence absolument extraordinaire depuis 2002, qui a notamment fait que cette faute inexcusable – et cela était dû à la question de l’amiante à l’époque – est devenue un risque de plus en plus fréquent. C’est-à-dire que désormais, la faute inexcusable de l’employeur est de plus en plus souvent recherchée dès lors que nous avons affaire à un accident du travail. Donc, le risque pris par les entreprises et couvert par les assureurs est devenu de plus en plus important. Dans le cas de l’expatriation, les choses se sont encore aggravées avec ce que l’on a appelé la jurisprudence Karachi, puisqu’à l’époque – je vous rappelle – la direction des chantiers navals a été reconnue responsable en matière de faute inexcusable dans l’attentat qu’avaient subi un certain nombre de ses salariés ; attentat qui, je vous le rappelle, était de nature terroriste. Le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de la Manche avait décidé que cette entreprise n’avait pas pris les mesures suffisantes pour protéger ses salariés et avait donc retenu la faute inexcusable. On observe donc, sur le simple fait de la faute inexcusable, un risque qui devient de plus en plus compliqué pour les assureurs sur le territoire national, mais d’autant plus sur un territoire étranger. En outre, lorsque la protection des salariés est transférée en partie à une société privée, alors vient se cumuler à cette aggravation de la faute inexcusable, la question des conditions de ce transfert de risque à une société privée qui donc doit être très vigilante sur la part de risque qu’elle récupère dès lors qu’elle assure la protection de ces salariés. Cela relève du contractuel, j’y reviendrai lorsque j’évoquerai les pistes. Il faut que là-dessus les contrats soient parfaitement clairs. Et puis, nous avons un dernier point – je sais que je pose plus de questions que je n’apporte de réponses – c’est celui des tiers qui pourraient subir un préjudice lié à une faute professionnelle d’une ESSD ; tiers à l’entreprise de sécurité elle-même, tiers à l’entreprise qui est protégée par cette société de services. Je veux parler de dégâts collatéraux qui pourraient survenir auprès de telle ou telle personne qui peut être un salarié local non expatrié ou qui peut être un simple passant victime collatérale d’une éventuelle intervention ou d’une mauvaise protection ou d’un mauvais acte. Parce que bien entendu, ce que nous couvrons, ce sont des fautes, des omissions. Quand les sociétés font bien leur travail, a priori nous n’avons pas à intervenir. Je suis là pour malheureusement évoquer les problèmes qui pourraient survenir. Lorsque nous avons un local qui peut être d’une manière ou d’une autre victime d’une faute, d’une erreur ou d’une omission d’une société de française de protection, alors, nous relevons de la responsabilité délictuelle nationale et nous relevons aussi de la responsabilité délictuelle du pays localement. Là, nous savons que dans un certain nombre de pays les droits en la matière peuvent être variables,

Page 19: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

mouvants, compliqués à connaître, en tout cas peuvent être différents de ceux auxquels nous sommes habitués dans notre propre pays. Donc, il y a là aussi un risque sur lequel les assureurs devront se pencher et qu’ils devront analyser au cas par cas. Je pose plus de questions que de réponses et je m’en excuse par avance, mais je voulais vous dresser un peu un panorama de ce que peuvent représenter aujourd’hui les analyses que font les assureurs en matière d’assurance d’ESSD. En revanche, j’ai quelques pistes à suggérer pour avancer dans ce domaine. Je l’ai dit, en ce qui concerne les labels de qualité, je pense que la profession doit prendre son destin en mains. Contrairement à ce qu’a dit monsieur Delbecque, je pense que si les entreprises aujourd’hui prennent des sociétés de protection anglaises, ce n’est pas pour faire chic, c’est tout simplement parce que celles-ci sont meilleures. Aujourd’hui, on a passé le cap de sociétés qui veulent faire chic. Elles veulent de l’efficacité, des résultats et un rapport coût/bénéfice qui leur soit favorable et qui réponde à leurs objectifs. Pour pouvoir améliorer les signes de reconnaissance de qualité de vos entreprises, prenez-vous en mains, montrez-nous que vous êtes capables effectivement de vous organiser et montrez aux assureurs que vous mettez en place des codes d’éthique, des codes de fonctionnement, des missions claires qui feront qu’ils y verront clair sur la qualité, vos compétences et votre expérience. Là-dessus, je ne saurais que trop vous recommander de regarder ce qu’ont fait les sociétés d’assurance maritime. Elles ont beaucoup travaillé. Je parle des sociétés anglaises qui visent à protéger les navires en mer. Elles ont mis en place des référentiels, des normes de qualité et de compétences. On pourrait s’en inspirer pour développer la même démarche sur les questions de sécurité terrestre.

Sur la question du transfert du régalien au privé, cela passe évidemment par des textes législatifs. D’abord, par une clarification sur l’esprit, mais ensuite par une clarification aussi dans les textes législatifs ou réglementaires.En ce qui concerne les responsabilités contractuelles, cette question de transfert de la responsabilité de la protection des expatriés, les contrats entre les entreprises mandataires et les sociétés prestataires doivent être extrêmement clairs et privilégier avant tout une obligation précise de moyens sans bien évidemment prendre en charge une obligation de résultat, car alors les choses deviendraient un peu plus compliquées.Enfin, en ce qui concerne la connaissance des droits internationaux, je vous ai parlé tout à l’heure du problème de régimes exotiques dont éventuellement des ESSD pourraient pâtir en raison d’abus ou non, mais en tout cas de régimes de responsabilités délictuelles très différents. Là-dessus, il faut évidemment qu’une société qui intervient dans un pays donné, connaisse parfaitement ce pays et qu’elle connaisse bien à la fois les us et coutumes, mais aussi le droit local, car il en va pour elle d’éviter beaucoup de soucis.Toutes ces conditions que je viens de donner sont nécessaires. Je ne peux pas aujourd’hui affirmer en tant que directeur de la FFSA qu’une fois réunies elles créeront naturellement une appétence du risque de la part des assureurs. Ça, c’est autre chose. Mais en tout cas, sachez que la FFSA se tient à votre disposition pour aider au développement de ces sociétés privées dès lors que nous verrons que, de leur côté, il y a aussi une vraie volonté d’améliorer leurs compétences et leurs expériences.

Merci beaucoup.

Page 20: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Résumé  

Stéphane Pénet donne l’avis de l’assureur sur l’éventuel développement d’un secteur national des ESSD sur le marché international. Il revient sur les conditions d’un tel développement. La question de l’assurance d’ESSD n’a pas fait l’objet de réflexion particulière parmi les assureurs français, ni d’une doctrine. Les assureurs interviennent déjà dans la sécurité d’intérêts français à l’étranger. Le cœur du sujet réside dans la question de l’assurance responsabilité civile des ESSD. Il s’agit de savoir comment pourrait se développer une assurance couvrant ces ESSD, et notamment, la couverture des éventuelles mises en cause de leur responsabilité civile. L’assureur a besoin de connaître la qualité de celui qui va exercer une activité de sécurité privée. Il est indispensable que les ESSD marquent leur volonté de s’organiser, de mettre en place une éthique dans leur activité et des règles précises dans leur domaine d’intervention. Tout ce qui concerne la certification, la qualification, la labellisation facilitera, bien entendu, la connaissance du risque. Il faut que les ESSD prennent des initiatives afin d’attirer, non seulement des clients, mais également des assureurs. La question la plus cruciale dans la connaissance du risque par les assureurs en ce qui concerne ces ESSD est celle des régimes de responsabilité et plus spécifiquement la question du transfert des responsabilités. L’assureur a besoin de connaître ses engagements en responsabilité civile. Cette connaissance passe par une clarification des responsabilités portées par son assuré dans l’exercice de son activité. Un cadre juridique clair, stable et rodé est bien entendu une des conditions de l’assurance. Ainsi, les entreprises devront avoir une bonne connaissance des régimes juridiques existants dans les pays dans lesquels elles opèrent. La question de la faute inexcusable de l’employeur, de plus en plus recherchée, est une question à étudier de près car elle constitue un risque supplémentaire à assurer pour l’employeur.

Page 21: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Débat de la 1 ere table ronde

Intervenant

Bonjour. Colonel Saoudi de la gendarmerie royale marocaine en retraite. Ce n’est pas une question, c’est plutôt une remarque. On est en train de parler ici d’une sécurité spécifique, à l’intérieur d’une insécurité nationale avérée. Le général a parlé du problème

d’AREVA. On veut sécuriser AREVA alors que tout le territoire nigérien est une zone grise, vide, où la criminalité a pris place.. Par quoi faut-il commencer ? Je pense que là il y a un problème à régler dans une anticipation et dans un travail en amont. Vous avez parlé de la sécurité humaine. Mon expérience m’a montré que cette science est entre guillemets « la plus inexacte à laquelle j’ai pu être confronté » pour la simple raison que quand vous êtes absent, quand l’État dans ses missions régaliennes n’est pas là, le renseignement humain ne peut pas marcher. Cela est aussi à régler. Quand on attaque une caserne, symbole de sécurité, le reste doit suivre. La question que je voudrais vous poser est celle-ci. Ne faut-il pas commencer par le commencement, remettre l’État dans ses missions régaliennes, sociales et sécuritaires pour que la sécurité spécifique puisse suivre ?

M. Philippe Chapleau

Mon Général, sur le monde vertueux.

Général Jean-Michel Chéreau

C’est parfaitement clair, je suis tout à fait d’accord avec vous. Il faut effectivement que dans une relation d’État à État on aide un État comme le Niger ou d’autres à se remettre en ordre de marche, mais cela relève d’une responsabilité entre Etats. Il est évident que si l’État nigérien avait les moyens d’assurer pleinement sa mission sur son territoire, on n’aurait pas les difficultés qui sont les nôtres aujourd’hui. Je suis tout à fait d’accord, mais on est vraiment là dans une logique d’État à État.

M. Philippe Chapleau

Et dans une logique d’entreprise aussi. On ne peut pas se permettre d’attendre, pour AREVA par exemple, que la sécurisation totale du territoire soit effectuée.

Général Jean-Michel Chéreau

Page 22: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Tout à fait et dans ce cadre nous sommes obligés de prendre en compte la situation telle qu’elle est. Je rappelle que le Groupe AREVA au Niger poursuit son activité dans le nord du pays par dérogation puisque si on s’en tient à la codification couleur du ministère des Affaires étrangères, nous ne sommes pas autorisés à rester dans le nord. Nous le sommes au travers d’un plan de protection qui a été validé. Mais au départ, je suis assez d’accord avec vous, il faut effectivement que dans une relation d’État à État l’on puisse effectivement faciliter la tâche d’un État comme le Niger qui en a besoin. Tous les pays de la région sahélienne ont besoin d’une aide et d’un soutien en la matière.

M. Philippe Chapleau

Effectivement, il est difficile de concevoir pour les armateurs par exemple, d’éviter totalement de naviguer dans l’océan Indien sous prétexte que ce serait une zone dangereuse. D’où l’intérêt de recourir, soit à des protections étatiques, soit à des protections privées.

Intervenant

Benoît Muracciole, ASER, Action sécurité éthique républicaine. Un certain nombre de remarques et puis quelques petites questions.

De notre point de vue, la question ne se pose pas de savoir si ce sont des sociétés françaises, britanniques ou étasuniennes, mais plutôt de savoir comment ces sociétés sont encadrées juridiquement. Monsieur Pénet a d’ailleurs posé la question de façon intéressante, celle de l’assurance. C’est vrai qu’il y a eu Blackwater, il y avait eu avant Executive Outcomes et d’autres, dont des employés ont été responsables de graves violations des droits de la personne. Dans ce cadre-là, ce qui ne semble pas avoir été posé jusqu’à maintenant c’est la question des conséquences. Qui assume les responsabilités, sur le plan juridique, quand il y a violation du droit international par ces sociétés, notamment en Irak ou Afghanistan ?

Les violations du droit international de la part des sociétés privées peuvent aussi induire une augmentation de la violence de la part des groupes armés résistants en Irak ou en Afghanistan vis-à-vis de toutes les forces en présence. Quelle est la responsabilité de ces sociétés privées dans la recrudescence de la violence vis-à-vis des armées présentes et de la population ?

Sur la question des fautes inexcusables. Est-ce que ces fautes inexcusables ne risquent pas, de la part des sociétés privées, de les pousser à étouffer les affaires. C’est ce qui s’est passé notamment avec Blackwater. On a un besoin de transparence de la part de ces sociétés. Les risques, dans les pays où il y a des interventions, sont donc aussi des risques d’opacité de leurs activités, parce que tout scandale représente un risque de pertes financières sont trop important.

Par contre, ce qui a été dit qui me semble intéressant et sur lequel on a besoin à mon avis de travailler, c’est la question de la responsabilité des entreprises et de la responsabilité dans l’action des sociétés privées de sécurité ou SMP. De dire, quand il y a une violation du droit, de quelle juridiction cela dépend. Aujourd’hui, on a un code de conduite pour les sociétés privées de novembre 2010. Ce n’est qu’un code de conduite.

Nous avons besoin de normes internationales, basé sur le droit international, de façon à mettre en place un instrument juridiquement contraignant pour encadrer l’activité de ces sociétés.

Page 23: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

M. Philippe Chapleau

Merci. Avant de donner la parole à Éric Delbecque puis à Stéphane Pénet, juste une remarque sur Blackwater et l’affaire dont vous parliez de Nisour Square. On ne peut pas dire, à mon avis, que l’affaire a été étouffée. Le problème, c’est que Blackwater n’était pas sous contrat avec le Pentagone, mais avec le Département d’État. Avec le Département d’État, il n’y avait pas de règles, pas de loi qui s’appliquait aux sociétés pour la couverture de leurs actions. La situation a changé depuis. Une entreprise qui travaillait avec le Pentagone à cette époque-là était couverte par le Code de justice militaire, donc elle était encadrée. En revanche, Il y avait un vrai vide juridique pour les entreprises qui travaillaient avec le département d’État, ce qui a été rectifié depuis. Ça ne veut pas dire que cela excuse le tir ou les tirs sur la foule et la fusillade qui a eu lieu, mais il y eu un vrai vide. Il a fallu que le FBI, qui n’était pas dans sa juridiction, aille en Irak. Cela démontre le flou dans lequel les juges et les diplomates américains avaient dû opérer.

M. Éric Delbecque

Juste à titre documentaire, c’est ce que le livre de Scahill consacré à Blackwater démontre bien, parce qu’il aborde tout ce débat juridique et pas simplement la dénonciation des faits. Deuxièmement, il y a une partie de votre remarque qui m’intéresse en particulier, parce que je crois que l’on peut avoir beaucoup de malentendus là-dessus. Les ESSD ne sont pas forcément le facteur de recrudescence principal, encore moins exclusif, de la violence. Je crois qu’il ne faudrait pas passer à côté d’un débat qui me semble intéressant, qui est celui de la culture stratégique des différents pays. Si parfois des entreprises peuvent poser problème dans le secteur privé comme par exemple cette société dont on parle, c’est peut-être parce que la culture stratégique dont elle est issue maîtrise mal ce type de terrain et d’opération. Très concrètement il n’est pas sûr que les Américains de manière générale soient à l’aise sur ce type de problématiques et il ne faut pas oublier quand même que leur armée régulière et nationale peut éprouver des difficultés et se voir entraînée dans des actions que je ne détaillerai pas ici.

Bien sûr, il y a des cas particuliers qu’il faut dénoncer, mais les ESSD de manière générale ne sont pas une bande de crétins soudards et miliciens incapables d’avoir du discernement. Encore une fois, je suis brutal, mais j’exprime le fond de ma pensée. Il y a des gens aussi très experts et très avertis. Donc, je crois qu’il faut vraiment situer le débat sur la question des cultures stratégiques et égaliser, de ce point de vue-là, la responsabilité de tous les combattants face à leurs actes. Il n’y en a pas un qui semble devoir être dénoncé plus que l’autre. Dernier point très factuel sur les 200 000 contractors -pour employer le terme consacré- en Irak, il y avait entre 10 et 20 % de troupes privées combattantes maximum. Donc, pour la recrudescence de la violence, cela me paraît un peu juste sur l’ensemble de la problématique traité aujourd’hui

M. Philippe Chapleau

Effectivement, en Irak on a beaucoup parlé des fameux 200 000 mercenaires qui étaient en fait des contractors, donc des employés d’entreprises sous-traitantes.

Les chiffres américains, en particulier, montrent qu’on avait entre 12 et 15 000 security contractors, c’est-à-dire des personnels armés qui effectuaient des missions de protection. Stéphane Pénet sur la faute inexcusable ?

Page 24: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

M. Stéphane Pénet

Je voudrais simplement séparer deux choses. Il y a la première question je l’ai évoquée rapidement, mais sans trop m’y attarder parce que je pense que ce n’est pas le vrai sujet des ESSD qui est celui du transfert de missions régaliennes de l’État.Effectivement, il y a des guerres dans lesquelles les Américains ont fait appel à des sociétés privées, mais le marché des ESSD en France, s’il doit se développer, ce n’est pas dans ce cadre-là.A mon avis, si ce marché doit se développer, ce sera du côté des entreprises. C’est vrai que le débat peut paraître plus amusant, plus intéressant ou plus glamour sur le mercenariat. Mais le vrai sujet, c’est celui du business -excusez-moi du terme- et celui des compétences à développer dans les entreprises privées. Et c’est là-dessus qu’il essentiellement travailler. Le reste est plus anecdotique, en tout cas, c’est mon avis.

En ce qui concerne la question de la faute inexcusable, j’ai parlé du transfert de la faute inexcusable d’une entreprise vers une société privée puisqu’elle transfère une partie de la mission de protection de ses salariés sur une société de sécurité privée.Je pense que ça peut être réglé par des contrats définissant clairement les responsabilités de chacun. Par contre, il y a le problème de la faute inexcusable de la société militaire privée elle-même vis-à-vis de ses propres salariés. C’est quelque chose de plus délicat et qui implique que cette profession s’organise pour bien définir quelles sont aujourd’hui les mesures que, collectivement et professionnellement, elles sont prêtes à prendre pour protéger leurs salariés. Elles doivent définir les formations qu’elles mettent en place, les codes d’éthiques qu’elles se donnent, les paramètres de la légitime défense. Ce sont des sujets qui engendreront un contentieux important si le secteur se développe en France.

C’est là-dessus qu’il faut que les choses s’organisent de façon à ce que la faute inexcusable d’un employeur, d’un chef d’entreprise spécialisée, ne soit pas portée comme un cauchemar ou un aléa insupportable de type : « Mon Dieu à tout moment je peux être condamné » avec un assureur derrière qui va se dire : « Celui-là je ne l’assure pas parce que honnêtement je ne le sens pas bien » . C’est à cela à mon avis, qu’il faut travailler.

M. Philippe Chapleau

Merci.

Intervenant

Bernard Ménoret, ministère du Développement durable. Il a été question de juridisme et des informations, intéressantes mais contradictoires, nous ont été données. Des choses sont interdites, il y a des vides juridiques, il y a des lois et il n’y en a pas, il en faut ! Monsieur Delbecque a dit que l’encadrement pourrait peut-être, à son sens, se faire à travers le CNAPS. Ma question est la suivante. Peut-on clarifier réellement les enjeux juridiques, et pointer ce qui existe et ce qui n’existe pas? Puisque monsieur Pénet a invité les entreprises à s’organiser, pourquoi les entreprises ne créeraient-elles pas le mouvement en demandant simplement l’agrément au CNAPS tout de suite?

Page 25: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

M. Philippe Chapleau

Eric ?

M. Éric Delbecque

Premièrement, pour qu’il n’y ait pas d’incompréhension, je n’ai pas dit que le CNAPS devait s’occuper des sociétés de sécurité qui agissent à l’international. J’ai dit qu’on pouvait concevoir le même type de régulation. Après, est-ce que ça doit être cet organisme ou un autre, ça se discute. De toute façon, l’ensemble de la problématique n’est pas clair. On n’a déjà pas réglé la question des activités de sûreté qui sont incluses dans le terme aux contours flous. Alain Bauer, souvent pour se moquer de moi, me dit que l’intelligence économique est un concept sans contenu, voire en développement, voire aux contours flous. On n’a toujours pas fini avec ça. On ne sait déjà pas où situer la sûreté à l’intérieur de l’IE. Quant à la distinction entre SSP, SMP ou ESSD rien n’est réglé. Quant aux investigateurs privés, la question n’est pas non plus totalement simple puisqu’on sait très bien que souvent ils sont les derniers sous-traitants de la problématique investigation de l’IE.

Rien n’est réglé dans l’ensemble. Je ne dis pas, encore une fois, que c’est le CNAPS qui doit faire. Je dis que si ce n’est pas lui, c’est une structure qui peut se concevoir à peu près de la même manière.

Mais effectivement, il faut que le secteur privé soit un incitateur fort sur la configuration notamment de ce type d’organisme et sur les textes qui vont être votés.

Peut-être qu’on n’a pas été totalement précis les uns et les autres. Il y a des lois qui sont mal taillées. Je ne suis pas partisan du juridisme à tout crin mais il y a peut-être des lois nécessaires. Et puis une mauvaise compréhension de la problématique fait une mauvaise compréhension juridique. Quand on relit la loi de 2003, on se rend compte que c’est une pétition idéologique de principe qui ne colle pas à la réalité. Je ne dis pas que l’on ne trouve pas deux ou trois mercenaires qui trainent dans les coins, je dis simplement qu’au lieu de traiter le cœur stratégique de la problématique, on traite ces marges au moment ou les autres pays traitent le cœur et évacuent les marges.

M. Philippe Chapleau

Je pense qu’on aura certainement, dans les minutes qui suivent, l’occasion de revenir sur le rôle du secteur privé justement dans ces questions de régulation.

Intervenant

Bernard Vautrez, conseiller défense de l’USP. Je pense qu’avec la loi de 2003 on s’est tiré une balle dans le pied en faisant, peut-être volontairement une confusion entre le mercenariat et la protection des personnes. De ce fait, les sociétés de sécurité privée sont hésitantes à aller sur ce secteur, d’autant qu’elles n’ont pas le droit de le faire. La conséquence est que les sociétés françaises ont recours, à l’étranger à la protection de sociétés britanniques ou américaines.

Cela veut dire que l’on confie parfois des informations confidentielles à des personnes qui

Page 26: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

rendent compte directement aux services de renseignements britanniques ou américains.

M. Philippe Chapleau

Je pense que vous faites par exemple référence à ce qui s’est passé en Irak. Effectivement, les services de renseignements britanniques ont récolté énormément d’informations via leurs anciens camarades passés dans les rangs du privé qui assuraient la protection des chefs d’entreprise ou des techniciens français qui étaient de passage à Bagdad.

M. Éric Delbecque

Encore une fois, on retombe sur la question de la nationalité des firmes et ça me permet de rebondir sur ce que disait Stéphane Pénet concernant le chic de la marque anglo-saxonne. Encore une fois j’aurais des choses à dire sur les assurances mais je parle des prestataires. Je maintiens qu’il y a un côté image.

J’ai eu l’occasion, ayant travaillé au sein du Groupe Rothschild à la compagnie financière à l’intérieur de ses RH, donc j’ai vu aussi de près le rapport à la question des assurances, je peux vous dire qu’il y a des moments où c’est encore une question de chic. Effectivement, on peut sortir aussi de cette problématique.

Il y en a une deuxième question, et un certain nombre d’entre vous pourrait le dire, Luc pourrait en parler également, qui concerne la question des achats de ces prestations qui n’est pas toujours traitée par les patrons sûreté au sein des groupes qui doivent négocier avec de nombreuses personnes afin de savoir quel prestataire on va embaucher.

Je suis désolé, dans un certain nombre d’entreprises, quand on en arrive à la question des achats, la question prioritaire n’est pas de savoir si le prestataire est britannique, s’il est américain, s’il est français, s’il est israélien, s’il est sud-africain, etc. mais bien de savoir combien la prestation coûte et si l’on peut négocier et faire baisser le prix. Donc effectivement, cette question-là, tout à fait opérationnelle, doit être bien perçue. C’est pour cela que l’on peut déborder un peu de notre débat -Alain Juillet l’aurait précisé également-, déborder la question des spécialistes de la sûreté de l’IE, ou que sais-je encore dans l’entreprise. C’est dans les autres fonctions qu’il faut arriver à convaincre, parce qu’un patron sûreté comme un patron IE, comme un patron gestion des risques, des crises, est actuellement handicapé par le manque de sensibilisation auprès des autres fonctions de l’entreprise. On a pourtant des pros maintenant. Le CDSE aujourd’hui ne ressemble pas au milieu de la sûreté d’il y a quinze ou vingt ans. La question est  : comment faire valoir le patron sûreté à l’intérieur de très grosses structures ?

M. Philippe Chapleau

Général Chéreau, sur le recours à des sociétés anglo-saxonnes ?

Général Jean-Michel Chéreau

Si vous voulez, très clairement, pour le premier volet que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire des pays tels que le Brésil, qui ne sont pas des pays en conflit, pour AREVA, ça ne pose pas de difficulté majeure. En ce qui concerne le Niger et la problématique de l’uranium qui est une problématique

Page 27: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

stratégique majeure, il est clair que nous ne ferons appel qu’à des sociétés françaises. Ça fait partie des règles du jeu.

M. Philippe Chapleau

Avec les réserves que vous avez émises dans votre intervention.

Général Jean-Michel Chéreau

Tout à fait.

Intervenant

Général Quesnot. Je voudrais revenir sur la notion de renseignement qu’a évoquée le Général Chéreau. Sur le Mali et le Niger, zones que je connais un peu du point de vue historique, je veux dire qu’il ne faut pas trop se faire d’illusions sur la capacité que nous avons, nous, Français, ou nous, Blancs, à obtenir du renseignement humain. Pour les populations locales, quand vous discutez avec elles, vous êtes des Blancs, vous êtes de passage. Ils ne vont pas se mouiller pour vous dans des opérations où leurs familles et tout le monde risquent sa vie. Le renseignement humain sera donc toujours limité, quels que soient les efforts que l’on fait pour les services.

D’autre part, je veux quand même signaler que dans les périodes que j’ai connues, 2010, etc., le renseignement provenant de nos services était nul. Pour ce qui est de la manière de contrer le système : actuellement, tous les « rebelles » ne sont plus dans les Ifoghas, mais dans le sud de la Libye. C’est là où il faut aller les chercher. Pour aller les chercher, il y a des gens qui sont prêts à le faire. Le Tchad est prêt à envoyer les Zaghawa. Donc il faut suivre les rebelles en permanence, on ne les éradiquera pas, mais on amènera le niveau de menace à quelque chose de gérable.

M. Philippe Chapleau

Merci. Juste une question. Il n’est quand même pas question d’envoyer les ESSD dans le sud de la Libye ! Ce n’est pas leur mission. Quoique, rappelez-vous en Ituri en 2003, il y a quand même eu un consortium américain qui a proposé à l’ONU d’intervenir dans le cadre d’une mission d’imposition de la paix. La France a mis en place, vaille que vaille, une mission européenne et on est intervenu, mais il y avait quand même une volonté américaine d’intervenir sur un territoire étranger dans le cadre d’une mission de l’ONU.

Sur les questions de renseignements en revanche ?

Général Jean-Michel Chéreau

Dans un premier temps, si je peux me permettre, je vais peut-être un peu contredire le Général Quesnot s’agissant du renseignement des services. Il n’est pas nul. Je dirais qu’il n’est pas disponible. Il y a visiblement un problème de fonctionnement au niveau des services. J’ai pu le vérifier à certaines occasions, ils ont le renseignement, mais ils ne le partagent pas, ce qui est tout à fait regrettable.

Page 28: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Quand ils le partagent, c’est après l’avoir filtré, « refiltré » et contre filtré au niveau de la portion centrale, et quand ça arrive chez nous, c’est complètement édulcoré et c’est trop tard.

Intervenant

C’est un usage nul.

Général Jean Michel-Chéreau

Oui c’est un usage nul, mais l’information, je pense qu’ils l’ont. Il faudrait que dans l’organisation de la DGSE, on puisse autoriser les postes à nous alimenter en direct. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, c’est très cloisonné et c’est regrettable.

S’agissant du renseignement population, je suis assez d’accord avec vous. De toute façon, les populations locales d’Arlit font l’objet de menaces indirectes de la part de certains islamistes et autres, mais on s’est quand même rendu compte à deux ou trois reprises que si on leur facilite la tâche en termes de carburant ou dans d’autres domaines, ils sont prêts à venir. Ce renseignement humain est déterminant, parce que c’est de celui-là qu’on aura le maximum d’informations malgré tout. Mais il faudra faire en sorte qu’effectivement on traite ces sources de façon bien particulière- c’est ce que l’on commence à faire- afin de ne pas les mettre en première ligne vis-à-vis de ceux qui les observent.

M. Philippe Chapleau

Merci. Une dernière question avant la pause. Vous avez le micro allez-y.

Intervenant

Je reviendrai sur l’aspect achat qui peut pénaliser les entreprises françaises, puisque même quand le responsable sûreté est associé au processus achat, on se rend compte qu’il y a des critères de prix que vous avez mentionnés, mais aussi des critères de surface financière, de visibilité ou de transparence des comptes qui font que de temps en temps, même si on souhaiterait passer par un prestataire français, le service achat a fait son étude du risque et nous dit : « je déconseille ».

On ne peut pas toujours aller au-delà ou forcer la décision. Là, il y a aussi un point qui dessert un certain nombre de nos prestataires français quand on se retrouve face à des entreprises ou :

- les comptes ne sont pas publics, transparents, ou laissent voir un doute sur la pérennité de l’entreprise

- on se dit que l’on ne pourra pas avoir la surface financière qui permettra au prestataire d’assumer sa part de responsabilité dans le contrat (on parlait aussi tout à l’heure de responsabilité).

M. Philippe Chapleau

On est finalement dans une sorte de cercle vicieux où vous pénalisez les entreprises françaises

Page 29: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

en ne leur faisant pas confiance.

Intervenant

Oui. On peut faire confiance jusqu'à un certain point mais à un moment on est aussi obligé de respecter les processus internes. On ne peut pas non plus toujours forcer la décision.

Général Jean-Michel Chéreau

Je partage un petit peu l’avis de notre direction des achats. Il faut qu’on ait quand même une bonne visibilité sur la surface financière des sociétés avec lesquelles on traite parce que si à un moment ou à un autre ça se passe mal, on ne peut pas reprendre la totalité de la charge.

M. Philippe Chapleau

Avant de clore, une intervention. C’est juste une intervention, ce n’est pas une question. C’est un élément de réponse.

Intervenant

Bonjour. Gilles Sacaze, je suis le président du Groupe Gallice, un opérateur dans le domaine.Je voulais revenir sur deux choses que l’on vient d’entendre et également sur la question de l’assurance.

Des solutions d’assurance existent aujourd’hui. On parlait tout à l’heure de cercle vertueux ou de cercle vicieux. Si les assureurs nous font confiance, l’État nous fait confiance et inversement, les clients nous font confiance. Les Anglo-Saxons sont pragmatiques en fait.

Il ne faut pas trop fantasmer sur les référentiels qui sont mis en place aujourd’hui par les Anglo-Saxons. Ils ont bien souvent plus pour objectif de verrouiller le marché que de garantir réellement un niveau de qualité. Nous adhérons à l’ICOC ainsi qu’à tous les organismes qui peuvent nous garantir une légitimité et un label qualité. Donc, honnêtement, on n’en loupe aucun, y compris les anglo-saxons, notamment dans le maritime.

Quand on y regarde de près, sincèrement, ce n’est pas très contraignant. Il faut en être conscient, parce qu’on entend beaucoup parler de ça. C’est vrai que la profession doit s’organiser avec le CEFSI et d’autres organismes mais il faut aussi nous faire confiance.

On parlait de surface financière. C’est aussi un argument qui nous pose problème, parce que l’on ne prétend pas pouvoir répondre à 100 % aux besoins de Groupe comme AREVA ou Total, mais on peut répondre à 5 %, à 10 % de ces besoins, ce qui permet de créer le marché. Je pense que les gros donneurs d’ordres aujourd’hui, notamment le CAC 40, ont aussi, s’ils le souhaitent la responsabilité de créer le marché et de créer une offre en la finançant. C’est vrai qu’on n’a pas la surface financière des Anglo-Saxons, mais c’est un argument pour repousser un peu l’échéance. On est aujourd’hui capable de répondre à de nombreuses problématiques et on le fait dans des zones compliquées.

Page 30: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

On répond bien souvent en fonds propres, parce que les assureurs étant méfiants, l’État étant méfiant, les banquiers sont méfiants. Les banquiers ne nous prêtent pas d’argent, on utilise des fonds propres et on y arrive. En même temps, il faut qu’on ait ce pragmatisme anglo-saxon  : une entreprise commence toujours à zéro et petit à petit se crée. Les donneurs d’ordres ont donc aussi cette responsabilité. C’est un élément de la chaîne avec les assureurs, l’État et les différents acteurs.

Général Jean-Michel Chéreau

Si je peux me permettre nous sommes tout à fait prêts à vous faire confiance mais quand on voit le comportement de certaines sociétés au moment de l’appel d’offres qu’on a passé et que l’on voulait ouvert, il y a encore du chemin à faire.

M.Philippe Chapleau

Eric Delbecque, quinze secondes

M. Eric Delbecque

Concernant les trois dernières remarques que je trouve particulièrement intéressantes. Sur la question des achats, c’est se qui s’est passé chez Renault, et je pense que tout le monde se félicite de l’intervention d’un directeur de l’éthique. L’éthique dans ces questions de sécurité permet souvent de casser le monopole de la logique de cost killing et je pense donc que c’est à étudier particulièrement.

Deuxièmement, je crois que la question des référentiels est souvent un moyen pour ceinturer, organiser, structurer un marché. C’est justement ce qu’on n’aperçoit pas assez souvent, c’est que la réglementation, notamment anglo-saxonne ne vise pas de la qualité. Elle vise à faire en sorte qu’un marché soit captif. Sans doute a-t-elle une vertu positive, mais quand même, sa première vocation est de rendre un marché captif. C’est comme ça dans plein de domaines en dehors de notre question.

Dernière chose, par rapport à l’intervention du Général sur le renseignement. Une anecdote, quelque chose que Rémy Pautrat, ancien patron de la DST, me disait toujours, qui me faisait hurler de rire en disant que les patrons du renseignement français, quand ils allaient vers des entreprises, étaient obligés de montrer la feuille avec les deux trois renseignement –d’ailleurs pas toujours d’une haute portée stratégique- comme on montrait une photo indiscrète qu’on remettait sous le manteau. Ca me semble illustrer une question.

On envisage souvent, sur nos questions, monde privé et monde public dans des logiques de substitution. Tout le débat doit être orienté différemment et tendre vers une logique de complémentarité. Il n’y a aucun débat sur la substitution.

M. Philippe Chapleau

Merci. Dernière intervention.

Intervenant

Page 31: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Je vais prendre la casquette du représentant du Diable puisque je suis le directeur de GardaWorld en Europe qui est une société canadienne.

Sachez qu’aujourd’hui le CAC 40 emploie pour l’essentiel de ses missions un plus grand nombre de sociétés anglo-saxonnes que françaises. Malheureusement, c’est un fait, il faut le considérer. Pour ma maison, lorsque j’ai affaire à un client français, je lui propose des prestataires français. Je vais vous dire, les sociétés françaises, pour les connaître un petit peu - j’ai fait quelques années dans une société bien connues - sont les championnes de la sous-traitance. Il ne faut pas non plus se leurrer. Ce sont de toutes petites sociétés. Gilles (Sacaze) l’a très, très bien annoncé, ce sont de toutes petites sociétés qui n’ont pas la surface pour pouvoir répondre aux gros appels d’offres, pour remplir les conditions. L’ICOC, avec les nouveaux standards qui vont être mis en place, va être draconien pour les petites sociétés françaises. Je crois donc qu’il faut sortir du débat franco-français. Les Anglo-Saxons sont pragmatiques et opportunistes mais ce n’est pas le Diable pour autant.

M. Eric Delbecque

On n’a jamais dit ça.

Intervenant

Ce sont des gens qui savent en revanche écouter le besoin, fournir une solution éventuelle et à un moment donné combattre pour pouvoir la défendre. Maintenant, si on reste, nous, sur nos positions franco-françaises-je le suis, je suis français on ne va pas y arriver. On n’arrivera pas à se faire jour sur les grands marchés de demain, les grosses sociétés coréennes, chinoises, brésiliennes qui aujourd’hui sont interdites quasiment aux petites sociétés françaises et qui demain représenteront autre chose que les 100 millions d’euros du marché français.

M. Philippe Chapleau

Merci aux intervenants de la première table ronde.

Page 32: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Perspectives juridiques par Maître Alain Bensoussan, avocat

Discours

Bonjour, mesdames, messieurs. Je vous propose une conversation sur : « quel régime juridique sur les ESSD ? » Il est intéressant de constater que le juriste est triplement incompétent dans ce domaine : incompétent pour faire la guerre, incompétent pour connaître ce métier, incompétent bien évidemment pour avoir une vision stratégique. Et pourtant, de très nombreuses questions passent par la réglementation et le droit.L’enjeu, au-delà du droit et des normes, est économique et stratégique face au duopole : États-Unis, Grande-Bretagne. Le défi

est celui de l’acceptabilité sociale. La souveraineté ne s’externalise pas d’une part. Seule une décision souveraine peu engager une guerre d’autre part. Donner à une société privée la possibilité de faire la guerre est un non-sens. Par ailleurs, comme cela a été indiqué, les termes de mercenaires et de corsaires qui reviennent le plus souvent lorsque l’on parle de sociétés militaires privées, sont inappropriés et à bannir. Enfin, l’on assiste aujourd’hui à une multiplication des zones de conflit sans déclaration de guerre. Comme avec la guerre électronique, celle-ci se fait en présence d’acteurs qui ne sont pas seulement des militaires (hackers notamment). Je vous propose donc une réflexion à travers des solutions juridiques qui permettraient de conjuguer le futur au temps présent et qui dépasseraient les obstacles actuels. Pour cela, je veux vous présenter en quelques mots la situation légale qui pourrait se résumer à la maxime suivante : « entre le vide juridique et le trop-plein ». Il y a une attente du droit au-delà de la raison. Sur cette situation légale, je vous propose de construire des solutions potentielles à travers les contrats, normes et lois.Permettez-moi de vous raconter une petite histoire avant d’aborder la situation légale et les solutions potentielles. Un jour, un de mes amis me dit : « Je t’ai entendu dire qu’on n’avait pas le droit de lire les mails de l’entreprise. J’ai mon directeur général qui me demande la copie des mails d’un collaborateur. Que dois-je faire ? » Je lui ai dit : « C’est simple. Si tu ne donnes pas les mails à ton directeur général, tu iras à Pôle Emploi. Si tu les donnes, tu iras en prison ». Le droit à la surveillance existe, le droit à la vie privée, également. Ces deux droits sont en conflit : «  En élaborant une charte, c’est-à-dire en définissant la règle éthique, tu anticiperas demain sur la norme et après-demain sur la jurisprudence ». Cette charte, je l’ai inventée ; elle est devenue un standard mondial de régulation du droit à la vie privée résiduelle et est intégrée aujourd’hui dans la norme ISO 27 001 –gestion de la sécurité des systèmes d’information –, reconnue par la jurisprudence comme la clé permettant d’assurer un équilibre entre surveillance et protection. Je propose donc à tous les opérateurs d’entrer dans ce marché sans attendre le droit, en le créant à travers d’abord des principes éthiques. La démarche consiste à créer le droit de façon positive. Le droit est toujours un compromis entre économie et éthique. Examinons ce compromis.Quelle est la situation légale ? On peut la résumer par deux mots clés : extrême et paradoxe. La réglementation est en position d’extrême. Voyons tout d’abord le contexte idéologique, puis la situation du marché.

Page 33: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Le contexte idéologique. Toutes les critiques exprimées mettent en avant le risque du mercenariat. Ce n’est qu’une position idéologique. Les champs d’activité des ESSD ne relèvent pas de la loi sur le mercenariat (Loi 2003-340 du 14-4-2003). Les blocages idéologiques ne permettent pas aujourd’hui de répondre à une demande de sécurité croissante dans un contexte international et géostratégique de multiplication des crises régionales et des théâtres d’opérations à intérêt stratégique.La situation du marché. Le marché des services privés de sécurité est éthique puisque fondé sur des relations contractuelles contraignantes : encadrement de la création et des structures par la réglementation, professionnalisme des personnels, respect des législations internationales en vigueur, valeurs portées par les professionnels issus majoritairement des forces armées, etc. Les concurrents américains et anglo-saxons ne sont pas des mercenaires. La situation légale est contraignante sur un seul point, lié à l’acquisition, au stockage, au transport d’armes, de munitions et d’équipements de sécurité comparables à ceux utilisés et/ou en dotation dans les forces.Les ESSD contournent aujourd’hui ces difficultés en s’armant dans les pays à la demande desquels ils interviennent. En outre, les ESSD françaises pallient aux obstacles juridiques en localisant leurs sièges sociaux dans des zones « offshore » telle que l’Irlande.Je vous ai indiqué une situation légale extrême ; examinons maintenant le paradoxe sûreté et tranquillité. Le paradoxe sûreté - tranquillité. Il est intéressant de se pencher sur la jurisprudence Karachi qui en offre une bonne illustration. L’affaire Karachi, c’est tout simplement la découverte que des expatriés ont droit à l’application et à la protection du droit français. Il s’agit d’une exigence juridique et éthique. Sur le plan juridique, elle correspond en effet à l’obligation générale de sécurité qui pèse sur tout employeur et qui est au surplus, une obligation de droit. Les collaborateurs qui sont en poste à l’étranger doivent évidemment être protégés. Quel salarié accepterait en effet d’être expatrié dans un pays à risque dans lequel il ne bénéficierait d’aucune protection ? C’est aussi une exigence par rapport à son foyer et ses enfants. On voit bien que l’employeur qui décide de mettre en danger un de ses collaborateurs, doit en assurer la sécurité ou tout du moins la sûreté. C’est peut-être là une piste de solutions. Oublions la guerre, oublions les militaires, oublions la sécurité, bonjour sûreté. Bienvenue à deux concepts qui existent déjà dans notre droit que sont, la sûreté et la tranquillité. Au terme de cette situation légale, entre le trop-plein et le vide, il y a des voies de passage et je vous propose, dans le temps imparti, d’explorer quelques solutions potentielles.

Ces solutions nécessitent un point de passage sur les éléments de langage et ensuite sur les éléments de droit. Les éléments de langage. La souveraineté ne s’externalise pas. Il existe une frontière entre le cœur de métier des forces et le portefeuille d’activités d’une ESSD. Autrement dit, le droit de la guerre, c’est la légitimité du monopole de l’Etat sur l’utilisation de la force et le pouvoir régulateur d’engagement des forces. C’est aussi la sécurité prise dans sa dimension globale. La sécurité vise quant à elle, le droit à la sûreté. A titre d’exemple, la sûreté est une exigence qui s’impose aux bailleurs sociaux depuis la Loppsi 2.Après les événements du 11 septembre, on a découvert que le droit s’attachait à assurer la sécurité des personnes et des biens, mais pas la sécurité en tant que tel. Les avocats ne pouvaient pas plaider sur la notion de sécurité comme ils le faisaient sur la liberté, la dignité ou la fraternité. Aujourd’hui, le Code de la sécurité intérieure instaure le droit à la sécurité comme un droit fondamental que chacun d’entre nous peut revendiquer, comme le droit à la liberté.

Page 34: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Cette sécurité, bien évidemment, est un élément de la souveraineté et s’applique à tout citoyen se trouvant en France ou à l’étranger (cas des expatriés). Si l’on accepte parmi les éléments de langage, de recourir aux concepts de sûreté et de tranquillité, en lieu et place des concepts de guerre et de conflits, alors il est possible de tendre vers une solution juridique.Les éléments de droit. À partir de ces éléments de langage, il est possible de créer une voie juridique respectueuse de la démocratie et capable de rendre compte, de manière éthique, des exigences de ce métier sur le plan économique. Cela veut dire quoi ? Quel type d’encadrement ? Certains conférenciers très légitimement avant moi l’ont dit. En fait, il suffit de créer une norme, sur cette norme un label, sur ce label une charte, et de s’engager dans cette activité. Rappelons que toutes les guerres sont des conflits mais que tous les conflits ne sont pas des guerres. L’exigence du droit de la guerre fait que les ESSD ne répondent pas à cela. Le droit à la tranquillité, fondé sur le droit de la légitime défense, organisé sur le droit du travail avec un contrat qui permet de faire de la résistance dans une base de protection des personnes et des biens. Ce contrat, cette norme et ce label qui seront le droit de demain organisent tout simplement la réaction à une protection que le droit du travail exige déjà.

En conclusion, permettez-moi, pour ce futur texte – et le contrat vaut loi entre les parties – de livrer une grille d’analyse qui pourrait être la suivante.

Remplaçons le terme « guerre » par le terme de « conflit ». Ainsi, il n’y a plus de problématique d’externalisation de la souveraineté. Oublions également le terme « sécurité » qui est un droit fondamental (comme la liberté, la dignité ou la fraternité) pour recourir à ceux tout aussi importants, de « sûreté » et de « tranquillité », qui ne sont pas encore élevés au rang de droits fondamentaux. Ils sont du ressort du marché privé, tandis que la sécurité relève de l’ordre public.

En matière ESSD, il est question de « paisibilité » et de droit à la tranquillité, tel qu’introduit par la Loppsi 2 concernant l’usage de la vidéo protection par les bailleurs sociaux.La tranquillité, ce n’est pas la sécurité. C’est même le contraire. C’est le fait de rester en maintien opérationnel de protection. Guerre, sécurité, protection, souveraineté. Il n’y a pas de débat de souveraineté. Il n’y a ici que l’obligation de l’employeur qui se trouve dans une zone certes conflictuelle, mais qui n’est pas en guerre, parce que de toute façon en période de guerre, il n’est pas possible d’expatrier du personnel ; seuls les militaires peuvent l’être. Enfin, dernier élément, si vous acceptez cette terminologie et cette grille de lecture, face à un ordre public d’interdiction, il y a un ordre contractuel d’organisation. L’enjeu important, c’est bien évidemment l’acquisition, le stockage, le transport et la détention d’armes et de munitions. C’est vrai que là, il y a une difficulté. On peut faire de l’optimisation militaire comme on fait de l’optimisation fiscale. C’est tout à fait possible. Il vaudrait mieux dans la mesure du possible, modifier les textes en matière d’armes pour des objectifs non pas offensifs, mais défensifs. Par ce biais-là, en créant une norme, un label, des certificats et des contrats, la norme du marché sera l’avenir de la loi future d’ESSD éthiques.

Merci.

Page 35: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

RésuméAlain Bensoussan, s’intéressant aux perspectives juridiques, trace les grandes lignes des modifications pouvant être envisagées afin de faire évoluer le secteur des ESSD. L’enjeu, c’est un marché économique stratégique. Le défi c’est l’acceptabilité sociale, on ne peut pas externaliser la souveraineté. L’actualité, c’est la multiplication des zones de conflit sans guerre au sens du droit de la guerre. Il n’y a pas de guerre, donc il n’y a pas de militaires et il n’y a pas de sécurité, et on n’externalise pas la souveraineté. La situation légale est paradoxale et se situe à la fois dans le vide juridique mais aussi dans le trop plein. Il faut adopter certains éléments de langage. La sécurité ressort de la souveraineté, il est donc nécessaire d’utiliser les concepts de sûreté, de protection et de tranquillité, appartenant eux, au domaine du marché privé. Il faut aussi adopter des éléments juridiques. L’enjeu important c’est évidement le transport et la détention des armes. Il est possible de modifier les textes en matière d’armes, pour un objectif défensif et non offensif. Par ce biais-là, en créant une norme, un label, des certificats et des contrats, la norme du marché sera l’avenir de la loi future.

Page 36: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Deuxième table ronde

Gouvernance et conditions d’agrément étatique par Monsieur Arnaud Dessenne, président du

CEFSI

Discours

Bonjour à tous. J’interviens aujourd’hui avec une double casquette. Je suis à la fois président d’une ESSD qui s’appelle Erys Group, et président et cofondateur du CEFSI.

Contrairement à ce qui a pu être dit au préalable tout à l’heure, nos sociétés se regroupent, se parlent, s’organisent et se structurent pour faire avancer le marché. Il y a un instant, je ne vous le cache pas, je me suis demandé : est-ce que je ne vais pas rentrer chez moi après ce qui a été dit tout à l’heure : faiblesse de l’offre,

manque de surface financière... Je tiens à vous rassurer : nous travaillons tous, nos entreprises fonctionnent et, (pire encore !), elles font de la croissance. Elles font de la croissance, parce qu’elles ont la confiance du marché contrairement à ce qu’on peut dire et elles ont aussi la confiance des marchés étrangers. Aujourd’hui, certaines ESSD françaises travaillent pour des gouvernements étrangers sur des problématiques de formation, parce que la qualité de l’offre de ces ESSD a été validée. Elles travaillent aussi pour de grosses structures américaines, voire brésiliennes. Je pense qu’il faut arrêter de dire qu’on est mauvais, parce que souvent en France on aime bien dire qu’on est mauvais, que ça ne va pas, et dire que la solution est uniquement anglo-saxonne. Une des raisons de l’avance des Anglo-Saxons dans le domaine est la suivante : ils ont investi ce marché à la fin des années 1970, au début des années 1980 et l’offre française a commencé à émerger à la fin des années 1990, au début des années 2000. On assiste depuis cinq ans à une structuration du marché, à une multiplication des acteurs. Malgré cette multiplication des acteurs, le marché croît, le marché grandit. S’il grandit, c’est qu’il y a une demande. S’il y a une demande, c’est qu’il y a une confiance. Je voulais remettre un peu ces éléments de contexte dans le débat.

Parlons de la problématique de la gouvernance des ESSD. Je vais évoquer la confiance à accorder aux ESSD en tant qu’acteur, parce que c’est aujourd’hui la problématique posée. On parle souvent d’agrément étatique, de déontologie, d’éthique. Il faut bien prendre en compte une chose, c’est que nos problématiques de gouvernance dans des secteurs complexes, dans des pays à risque, sont identiques à toute entreprise qui va demain s’implanter au Brésil, au Nigeria ou ailleurs. Elles ne sont pas beaucoup plus complexes. Néanmoins, il faut quand même prendre en compte qu’il existe une volonté d’adhésion de tous les acteurs du secteur aux normes internationales qui sont en train de se mettre en place, notamment à travers l’ICOC. Ces normes restent, malgré tout, des normes qui ne sont pas extrêmement contraignantes, mais qui expriment véritablement une volonté des Anglo-Saxons d’enfermer tous les autres et de verrouiller le marché. On a deux solutions. Soit on essaie de créer une offre purement française, soit on s’insère dans le processus existant. Je pense que la meilleure solution dans un contexte de mondialisation est de s’impliquer dans le

Page 37: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

deuxième processus et de devenir des acteurs de la normalisation.

Je tiens à rassurer tout le monde : il y a une véritable volonté de tous les acteurs français de « normer » le métier. C’est un sujet qui ne fait aucunement débat. On n’a aucun problème pour demain à répondre à des labels, à subir des contrôles, à remplir ce type de processus. Sur les questions d’éthique, je tiens quand même à rappeler que les dérapages sont le fait aujourd’hui d’ESSD anglo-saxonnes. Aucune ESSD française n’a été impliquée dans un scandale au regard du respect des droits de l’homme ou des règles d’engagement.

Il y a aussi autre chose qu’il convient de remettre dans son contexte. Nous sommes connus et, quelque part reconnus, par les pouvoirs publics. Les pouvoirs publics suivent de près nos entreprises. La plupart des membres de nos entreprises et des dirigeants sont issus des services de l’État. Pourquoi aurions-nous été des personnes honorables auparavant et nous ne le serions plus aujourd’hui ? Je pense qu’il y a certes une exigence de maturité, mais elle est en train de se régler. Aujourd’hui, j’observe une nouvelle capacité des entreprises françaises à travailler les unes avec les autres, à coproduire de la sûreté au profit des clients. Je pense que c’est là un atout que vous n’avez pas forcément dans l’offre anglo-saxonne.

Sur la condition d’agrément étatique, tout le monde semble demander une certification de l’État français pour signifier : « Eux, ils sont bien, eux ils ne sont pas bien. Vous pouvez travailler avec eux, vous ne pouvez pas ». Nous ne sommes pas du tout défavorables à cette réponse-là, mais on se bute à un vrai problème, l’absence totale de volonté de l’État de se saisir du sujet  ! Les pouvoirs publics aujourd’hui ne veulent pas prendre en compte les problématiques des ESSD. On parle encore une fois de la surface des Anglo-Saxons, de la reconnaissance des Anglo-Saxons. Ceux-ci ne sont pas agréés par le gouvernement américain ou par le gouvernement anglais. Ils sont juste reconnus. Comment sont-ils reconnus ? Par la mise en place d’une coproduction de la sûreté à l’international. Le département d’État, le Foreign office font appel à ces sociétés. Ce faisant ils les labellisent de façon intrinsèque. Sur la question de l’agrément, même si nous n’y sommes pas opposés, je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Même si on considère que la problématique de l’armement n’est pas au cœur du principe de labellisation, inspirons nous de ce qui fonctionne : les sociétés anglaises ont le droit d’acheter, de détenir, de transporter de l’armement, c’est une forme de réponse. Il y a trois semaines, l’Allemagne a légiféré et a autorisé trois ESSD de droit allemand à faire de même. Pourquoi n’engagerions-nous pas aujourd’hui la même démarche en France ? Aujourd’hui, des privés français sont armés sur le territoire national. Les forces de sécurité dans le cadre de la sûreté nucléaire sont armées. Ça ne pose aucun problème éthique ou déontologique à quiconque.

Le sujet de l’externalisation est un vrai sujet. Pourquoi ? Non seulement parce que c’est une forme de reconnaissance de nos métiers, de nos entreprises, mais c’est aussi un vecteur de rayonnement national. Quand on regarde la formation des forces armées étrangères, notamment des forces spéciales comme peuvent le faire certaines entreprises anglo-saxonnes, la France n’a plus les moyens aujourd’hui d’être présente partout. Ou même certains gouvernements ne veulent pas passer par le gouvernement français, ne veulent plus dépendre du gouvernement français et veulent avoir un lien de donneur d’ordres à client. Le fait de faire émerger une offre française permettrait de favoriser cela. Aujourd’hui, regardons aussi la protection des bases à l’étranger, des forces armées américaines ou anglo-saxonnes, la protection des généraux de l’armée britannique. Tout ça est totalement externalisé. Dans un contexte de contrainte budgétaire où beaucoup de militaires vont se retrouver rayés des cadres, il y a là aussi un formidable outil de reconversion de nos personnels, un véritable savoir-faire que les Anglo-

Page 38: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Saxons eux-mêmes chassent dans nos rangs. C’est une réalité. Le fait de ne pas favoriser l’offre française crée un vrai problème de transfert de compétences dans le domaine. Je reste foncièrement optimiste, parce qu’aujourd’hui, timidement, cette externalisation est en train de voir le jour. Le MAE sur Tripoli a fait appel à une ESSD française pour assurer sa sûreté. Sur Kaboul, il va faire appel à deux ESSD françaises qui vont travailler ensemble pour assurer la sûreté du nouveau chantier. Mais la volonté étatique est aujourd’hui beaucoup trop timide. Si nous voulons insuffler une dynamique française, je dirais : « Faites-nous confiance ! Arrêtons de trouver toutes les excuses possibles et imaginables pour ne pas faire appel aux sociétés françaises ». J’ai entendu tout à l’heure que les ESSD françaises ne faisaient que sous-traiter. Je m’inscris en faux contre cette affirmation. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que les ESSD anglo-saxonnes et canadiennes sont contentes de trouver des sous-traitants français pour assurer leurs missions quand elles n’ont pas la capacité de le faire.

M. Philippe Chapleau

Arnaud Dessenne, vous nous avez dit en introduction que vous étiez le cofondateur et président du CEFSI. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur ce club ?

M. Arnaud Dessenne

On m’avait dit : « Créer un club qui regroupe toutes les ESSD françaises, c’est impossible. Il n’y pas la maturité nécessaire, il y a trop de problèmes d’ego ». C’est quelque chose qui s’est retrouvé extrêmement simple à faire, parce qu’il y a une véritable volonté de la majorité des acteurs de faire émerger une offre française, de dialoguer. On a conscience qu’on sera plus fort collectivement qu’individuellement et on a aussi conscience qu’on a besoin de démystifier un peu nos métiers. On est avant tout tous des entrepreneurs. On n’a aucun problème à communiquer sur nos chiffres d’affaires, nos résultats et nos activités. L’objectif du CEFSI est à la fois de fédérer les acteurs et de s’imposer comme interlocuteur éventuel des pouvoirs publics dans le cadre d’une application réglementaire.

Je vais répondre à une question concernant le CNAPS. On a échangé avec le CNAPS. Il n’y a aucune volonté de la part du CNAPS de s’occuper des ESSD parce que très clairement le CNAPS ne concerne que les entreprises agissant sur le territoire national. Comment le CNAPS pourrait-il contrôler des sociétés qui interviennent à l’étranger ? C’est tout le problème aujourd’hui de l’agrément étatique. Comment contrôler des entreprises qui interviennent dans des pays où la France n’a pas de compétence régalienne ?

M. Philippe Chapleau

Je reviens sur le CEFSI. Il manque quand même parmi les membres du CEFSI un certain nombre d’ESSD françaises majeures. Et puis, il y a une deuxième structure qui s’est créée. Est-ce qu’on n’a pas encore affaire à une espèce d’éclatement à la française ?

M. Arnaud Dessenne

On a tout à fait affaire à un problème d’éclatement à la française. Mais moi, je garde bon espoir

Page 39: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

que tout le monde se regroupe dans les mois à venir, parce que c’est indispensable. Plus on jouera collectif, plus on sera fort. C’est une attente aujourd’hui du marché qu’on joue collectif.

M. Philippe Chapleau

Vos relations avec les institutions ?

M. Arnaud Dessenne

Nos contacts institutionnels sont extrêmement favorables à la démarche, l’accueillent avec énormément de bienveillance, mais comparé à ce qui peut se faire dans le monde anglo-saxon, ça reste extrêmement timide. On reste toujours dans une situation un peu d’observation et de défiance.

Résumé

Arnaud Dessenne, intervenant sur la gouvernance et les conditions d’agrément étatique des ESSD. Les ESSD françaises se regroupent, se parlent, s’organisent et se structurent pour faire avancer le secteur. Des ESSD françaises travaillent pour des gouvernements étrangers car la qualité de l’offre de ces ESSD a été validée. Les problématiques de gouvernance des ESSD dans des secteurs complexes ou des pays à risque, sont identiques à toute entreprise qui va demain s’y implanter. Il existe une volonté d’adhésion de tous les acteurs du secteur aux normes internationales qui sont en train de se mettre en place, notamment à travers l’ICOC. La solution, dans un contexte de mondialisation, est de devenir des acteurs de la normalisation : il y a une véritable volonté de tous les acteurs français de « normer » le métier. Il n’y a pas d’opposition formelle à la mise en place d’un agrément étatique même si cela n’apparaît pas comme la meilleure solution. Mais il y a une absence de volonté de l’Etat de se saisir de la question. Si la problématique de l’armement n’est pas au cœur de la labellisation, autoriser les ESSD françaises à acheter, détenir et transporter de l’armement pourrait être une forme de réponse. Les sociétés anglaises ont le droit d’acheter, de détenir, de transporter de l’armement, c’est une forme de réponse. Aujourd’hui, des privés français sont armés sur le territoire national et ça ne pose aucun problème éthique ou déontologique à quiconque. Dans un contexte de contrainte budgétaire, où beaucoup de militaires vont se retrouver rayés des cadres, le développement du secteur des ESSD représente un formidable outil de reconversion de nos personnels.

Page 40: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Réaction de Monsieur Christian Ménard, ancien député, rédacteur du rapport

parlementaire 2012   :

Discours

En termes simples, je vais m’exprimer sur la nécessité de labelliser rapidement des ESSD françaises. Avant de rédiger ce rapport sur les SMP avec mon ami Jean-Claude Viollet, j’avais été désigné deux fois comme rapporteur sur la piraterie maritime. La première fois, en 2008, c’était à l’issue de l’histoire du Ponant. L’on m’avait demandé à l’époque de réaliser un inventaire international et d’émettre des propositions dont j’ai eu plaisir à voir que nombre d’entre elles ont été reprises par la suite. Et puis, j’ai été désigné également comme rapporteur lors de la discussion à l’Assemblée

nationale sur le projet anti-piraterie. À l’époque, il s’agissait de sécuriser juridiquement l’arrestation des pirates en mer et leur transfèrement. Ceci m’a permis de mieux appréhender et connaître ce milieu des ESSD qui est un milieu extrêmement intéressant.

Au niveau de la piraterie, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse qui me semble importante, car c’est un sujet que je connais bien. La piraterie sévit partout dans le monde : dans l’océan Indien, le golfe de Guinée, l’Amérique du Sud, le détroit de Malacca, la mer de Chine. L’océan Indien connaît une petite baisse actuellement, d’un tiers à peu près depuis un an, due à l’effet Atalante, c’est sûr, mais peut-être et surtout à la présence d’EPE sur les bateaux et à l’existence des ESSD. C’est clair et net. S’agissant du golfe de Guinée, on me rétorquera : « Il y a beaucoup d’actes de brigandage, ça se passe dans les eaux nationales ». C’est vrai. Mais il y a énormément d’actes de piraterie maritime que l’OMI a du mal à quantifier. Il n’est pas toujours aisé de le faire effectivement, car des bateaux refusent de signaler ce qui leur est arrivé. L’Amérique du Sud, je n’en parle pas, c’est ponctuel, peu important. Le Détroit de Malacca subit quant à lui une certaine reviviscence actuellement, peut-être liée à un relâchement de la surveillance par les trois États Malaisie, Indonésie et l’État-ville de Singapour. En Mer de Chine, par contre, ça augmente. Là aussi, l’OMI a du mal à quantifier, il s’agit toutefois d’un phénomène récurrent.

Ceci engendre – on en a discuté tout à l’heure – des surprimes importantes pour les vaisseaux. Pour l’océan Indien par exemple, c’est une surprime évaluée à 0,5 % de la valeur du navire, soit 15 000, 20 000, 30 000 dollars de plus par jour de traversée. Vous vous rendez compte, c’est un chiffre conséquent !

S’agissant de notre situation au regard de la piraterie maritime, il faut savoir que 250 bateaux battent pavillon français, 750 sont aux mains d’opérateurs français. Quand vous interrogez nos armateurs, que disent-ils ? Les armateurs français disent qu’ils sont satisfaits des EPE et souhaitent en priorité que l’on puisse les maintenir. Mais s’il arrive qu’un jour – ce qui est déjà le cas aujourd’hui – que l’on n’ait plus suffisamment d’EPE, ils se disent tout à fait prêts à employer des ESSD. D’autres, d’ailleurs ont déjà franchi le pas, comme Delmas qui est une filiale de CMA-

Page 41: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

CGM et qui, lors de la traversée de la Tanzanie à Madagascar, emploie des ESSD anglo-saxonnes, il faut le dire, avec de bons résultats. Mais il existe une menace sérieuse des armateurs français de « dépavillonner » s’ils n’obtiennent pas satisfaction. D’aucuns, à titre ponctuel, ont déjà commencé à le faire. Les Hollandais – cela, je l’ai appris sur un excellent blog entretenu par monsieur Chapleau (qui s’appelle Ligne de défense) – eux ne s’embêtent pas. Ils sont plus intelligents que nous, il faut croire, car ils étudient actuellement un projet de loi autorisant la venue d’ESSD privées sur leurs vaisseaux. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’en matière maritime on sera dans la plus totale incapacité de pourvoir à la sécurité de nos navires par manque de personnels. Qu’attend-on ? Qu’est-ce que l’on fait ? Je crois que c’est une question que tout le monde doit se poser.

Un autre exemple qu’Arnaud Dessenne a évoqué tout à l’heure, c’est celui des ambassades. Je ne vais prendre qu’un seul cas, c’est celui de la Libye que je connais bien. On a vu malheureusement l’ambassadeur américain se faire lâchement assassiner à Benghazi dans son consulat. Notre ambassade française a explosé il y a quelques semaines à Tripoli. Il s’avère que je la connais. J’étais allé interroger d’ailleurs il y a quelque temps les militaires et les policiers qui la gardaient et leur avaient demandé : « Quels sont vos souhaits en matière de sécurité à Tripoli, et en général ? ». Ils m’avaient répondu : « Nous, ce que l’on souhaite, c’est de rester régalien, que ce soient d’abord les gendarmes, les militaires, les policiers qui assurent la garde de l’ambassade». Je leur ai dit : « Vous n’arriverez jamais à pourvoir ». « Dans ce cas-là », m’ont-ils répondu, « il faudra faire appel à des ESSD françaises ». Leur réponse a été nette. L’Union européenne, paradoxalement, ne s’embarrasse pas de préjugés. Elle a ainsi employé la société Argus – société composée en grande majorité de Français, mais qui exerce son activité selon le droit hongrois dont les hommes sont armés – grâce à un subterfuge diplomatique. Nous, Français, n’arrivons pas à légaliser, ce que les Européens font. Il y a quand même là un problème ! Troisième sujet, celui des emprises, excellemment abordé tout à l’heure. On a vu ce qui s’est passé à AREVA au Niger. On sait pertinemment que dans un pays étranger il est très difficile de faire garder ces entreprises – que ce soit en Algérie ou ailleurs – par des ESSD, qui plus est, armées. Mais il existe quand même dans certains coins du monde des accords d’État à État pour des sites à fort intérêt stratégique – cela existe et nos amis anglo-saxons savent gérer ce type de situation. Pourquoi est-ce que les Français, eux, ne pourraient pas le faire ? Et puis, il y a le problème qui a été abordé lors de la précédente table : si l’on faisait garder Areva ou d’autres grandes structures à fort intérêt stratégique par des ESSD autres que françaises, bonjour la confidentialité, bonjour l’intelligence économique.

Aujourd’hui – le marché des ESSD, sur le plan financier, est énorme. Il fait entre 200 et 400 milliards d’euros par an. Ce n’est pas moi qui invente ces chiffres. Jean-Claude et moi, nous les tenons directement du ministère des Affaires étrangères et européennes français. À une époque où l’on s’atermoie sur nos difficultés, on laisse échapper une opportunité que d’autres sont en train de s’approprier. Je crois qu’il faut être très prudent. Qu’est-ce qui se passe actuellement ? Le Livre blanc, vous le connaissez mieux que moi : 50 000 hommes en moins lors du précédent mandat présidentiel, 24 000 cette fois-ci, la fois prochaine, ce sera 10 000 ou 15 000 hommes en moins. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On n’arrivera jamais à satisfaire les besoins. J’ai un esprit qui est un peu comme le vôtre : d’abord, un esprit régalien, c’est celui qui a primé en 2008 quand j’ai commencé à étudier la piraterie maritime et qui m’a fait dire à l’époque : « Il n’y a de solution que passant par l’État ». Mais rapidement, la partie cartésienne a pris le dessus et m’a fait dire, quatre mois après: « Non, c’est une mauvaise analyse car l’on n’arrivera jamais à pourvoir aux besoins ». Donc, ne menons pas la politique de l’autruche. Il faut rapidement aboutir à une loi. Deux possibilités s’offrent à nous pour la concevoir : entrevoir une

Page 42: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

extension du statut des convoyeurs de fonds pour la partie piraterie maritime, prise à titre expérimental et qui pourrait s’étendre rapidement à l’ensemble du sujet. Et puis, il y a la loi que tout le monde veut actuellement, une loi globale, faite sans tarder. Avant de terminer mon exposé, permettez-moi de revenir sur la piraterie. Quand l’on découvre le Livre blanc de la Défense, que trouve-t-on aujourd’hui à son sujet ? Peu de phrases : « s’il faut des gardes, on mettra des EPE sur les navires », « soit, c’est une bonne chose, tout à fait d’accord ». Mais, le texte d’ajouter : « si ça ne suffit pas, on étudiera des solutions appropriées ». Moi, je dis que ceux qui ont écrit cela, (s’ils sont dans la salle, qu’ils veuillent m’en excuser), mais je dis ce que je pense, ce sont des irresponsables, parce que c’est du bricolage et ce n’est pas sérieux. De grâce, faisons vite, n’attendons pas : car demain nous n’aurons que nos yeux pour pleurer ...

Résumé

Christian Ménard, s’exprime sur la nécessité de labéliser rapidement des entreprises françaises. En matière maritime, on n’a pas suffisamment d’EPE et les armateurs français se disent tout à fait d’accord pour recourir à des ESSD pour assurer la protection de leurs bateaux et de leurs équipages. L’Union européenne contracte avec des ESSD alors qu’en France nous n’arrivons pas à légaliser. L’Etat ne peut pas tout faire et il est urgent d’aboutir à une loi. On peut envisager une loi étendant le statut des convoyeurs de fonds pour la piraterie maritime qui serait prise à titre expérimental et à laquelle on étendrait très rapidement un complément ; on peut également envisager, et c’est ce que tout le monde souhaite, une loi globale.

Page 43: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Réaction de   Monsieur Jean-Claude Viollet, ancien député, rédacteur du rapport

parlementaire 2012   :

Discours

On nous avait dit de réagir à ce qui s’est dit. Je me réjouis de tout ce que je viens d'entendre et qui vient conforter le travail qu’on a pu réaliser, Christian Ménard et moi-même, voilà un peu plus d’un an maintenant.

Quelques idées seulement pour illustrer ce propos, jetées comme ça, pour faire court.

Sur le constat d’abord.

Premier point : que ce soit en matière de sûreté des personnes et des biens, de logistique et de transport, de soutien aux forces, de formation, de conseil, d’aide aux États, les ESSD sont devenues des acteurs incontournables. Nous sommes tous convaincus de cette affaire aujourd’hui.

Deuxième point : la France est bien présente sur ce secteur d’activités, avec des entreprises de qualité, mais force est de constater que les ESSD françaises ne sont pas à même, aujourd’hui, de prendre la part de marché qui pourrait et devrait leur revenir si la filière était mieux structurée.

Troisième point : la normalisation en cours risque d’être une difficulté supplémentaire pour accéder à ce marché. Ne soyons pas naïfs : 80 % du « business » passe par la normalisation. Or, la norme, nos amis anglo-saxons savent la manier beaucoup mieux que nous et cela signifie simplement qu’il nous faut apprendre.

Quatrième point : cette situation est d’autant plus regrettable qu’il ne s’agit pas là d’un secteur d’activité comme les autres mais d’un secteur éminemment stratégique, garant des intérêts de la France, au cœur de son « redressement productif », d'un vecteur de son influence. « Influence » n'est pas un gros mot et il est clair que les ESSD participent activement, là où elles sont, au rayonnement des pays qui les soutiennent.

Cinquième et dernier point : on a tout ce qu’il faut pour faire et bien faire ! On a un besoin national - ça a été dit largement ce matin -, on a des entreprises de qualité qui existent- je l’ai dit il y a un instant -, on a la ressource humaine et quelle ressource humaine ! Il m’est arrivé vingt fois de demander à des Anglo-saxons : « Pourquoi embauchez-vous des Français ? ». Réponse : « Parce qu’ils sont les meilleurs ». On le sait et ça nous a coûté pour qu’ils soient les meilleurs ! Alors, pourquoi ne pas chercher un retour sur investissement? Je parle de la ressource humaine mais nous avons aussi la ressource technologique.

Page 44: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Nous avons des entreprises de technologies de défense et de sécurité qui sont intéressées au développement du secteur des ESSD aujourd’hui. Enfin, il y a l'image internationale de la France, une image qui nous permet d’avoir la crédibilité pour développer un secteur tel que celui-là.

Alors, quelques suggestions pour avancer, toujours en faisant court.

Tout d'abord, si on veut exister dans cette filière stratégique, il faut qu’un signal politique fort soit rapidement donné. C’est bien d’un signal politique dont il s’agit : marquer l’intérêt de l’État pour ce secteur d’activité et la volonté de l’État de le développer !

Cela passe par un dispositif législatif et réglementaire et je rejoins assez bien, sur ce point, ce que vient de dire Me Alain Bensoussan sur la méthode. On voit bien comment on peut envisager la « labellisation » de nos entreprises : légiférer, réglementer mais en restant équilibrés - ni trop ni trop peu - pour tenir compte de la spécificité des activités. On a besoin de connaître l’identité des dirigeants, l'origine des fonds, de pouvoir suivre les mouvements de capitaux dans ces sociétés. On doit pouvoir encadrer leurs activités, en sachant que ce qui n'est pas interdit est, par nature, autorisé. Il faut construire des filières métiers, avec des formations débouchant sur des qualifications reconnues. Il nous faut établir les modalités d'un contrôle, a posteriori compte tenu des activités et en tenant compte des difficultés que vous avez évoquées.

Cela passe aussi par une commande d’État, par une commande au niveau des grandes entreprises utilisatrices. Christian Ménard citait la navigation maritime ; on pourrait citer la pêche, les compagnies minières - on évoquait AREVA tout à l’heure- ou pétrolières, les grands groupes industriels ou de services. Commande de l’État, commande des grands groupes, c’est une question de crédibilité mais c'est aussi un problème de « ligne de flottaison » pour ces sociétés qui trouveront ainsi la masse critique d'activités et, partant, les ressources qui leur permettront d’assurer leur développement.

Cela passe encore par une valorisation du potentiel des ESSD françaises au niveau de l’Union Européenne, de l'OTAN et des Nations-Unies pour faire prévaloir leurs compétences, leur savoir-faire, mais aussi leur savoir-être, leur approche éthique. Encore une fois, l’image de la France doit nous permettre de le faire et il est clair que nous ne sommes pas suffisamment influents au niveau de l’Union européenne, de l'OTAN et des Nations Unies, de ce point de vue.

Cela passe enfin par l’intégration de la filière ESSD dans le dispositif de reconversion de nos personnels de Défense. Je le dis : ça me fait « mal aux tripes » de voir les meilleurs des nôtres signer des contrats offshore, encore une fois pas parce que c’est avec les Anglo-Saxons, qui sont nos amis. Mais parce que j'estime qu'il est de notre devoir d’offrir à nos anciens militaires la « deuxième carrière » qu’ils méritent eu égard à la façon qu’ils ont eue de servir la France. Et que c'est notre intérêt national même !

Voilà quelques réactions. En espérant, à l'issue de ces débats que nous allons enfin, pour reprendre une formule que j'utilise souvent s'agissant de ce dossier des ESSD et qui me semble assez bien résumer la problématique, « cesser de nous abriter derrière de grands principes pour ne rien faire et nous engager résolument à faire, avec quelques principes »

Résumé

Page 45: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Jean-Claude Viollet exprime tout d’abord un constat sur le secteur des ESSD et propose des suggestions pour développer ce secteur. Sur le constat d’abord. Les ESSD sont devenues des acteurs incontournables et la France est bien représentée sur ce secteur d’activité malgré un manque de structuration. La normalisation risque d’être une difficulté supplémentaire pour le développement du marché français alors même que celui-ci relève d’un secteur stratégique. Néanmoins, les éléments pour réussir sont présents en France. Sur les suggestions pour avancer : on a besoin d’un signal politique fort et de la mise en place d’un dispositif législatif et réglementaire équilibré ; l’Etat et les grandes entreprises doivent aussi, par des commandes, soutenir le développement des ESSD françaises. La filière ESSD doit être intégrée dans le dispositif de reconversion de nos personnels de défense.

Page 46: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Débat de la 2 e table ronde

Intervenant

Bonjour. Thierry Magnon-Pujo.Je suis chercheur à l’université Paris I. Je suis la question du développement d’une régulation autour des ESSD depuis de très

nombreuses années maintenant. J’avais deux questions qui rentrent en compte dans ce panel.

Tout d’abord la question de la faisabilité d’une labellisation, agrément ou certification française des ESSD. Il y a une question de coût qui revient depuis de très nombreuses années au sein des pouvoirs publics. Qui va payer pour ça ? Qui veut payer pour ça ? À la question aussi d’une volonté d’un signal politique fort qui enclencherait le processus, il semblerait que l’on soit loin d’avoir atteint un consensus. Il semblerait qu’il y ait toujours des divisions sur l’envie ou pas de certifier ces compagnies. J’ouvre cela aux panélistes.

Deuxième question, sur la marge de manœuvre d’une possible labellisation ou certification française. Qu’on appelle au développement un marché français, c’est vrai, que la régulation internationale va noyauter le marché pour des boîtes anglo-saxonnes, certes, j’ai mes interprétations là-dessus. Est-il possible, une fois que l’on a dit ça, de faire exister une labellisation française ou une certification, sachant que les États-Unis on adapté leurs lois, ont créé une norme ANSI qui est devenue une norme nationale, une norme qui va devenir une norme ISO (il ne faut pas se leurrer c’est dans les tuyaux). L’Angleterre est en train de faire exactement la même chose. Il y a un code de conduite international qui va être indexé sur une charte. Au sein de ce code de conduite et de cette charte va s’imposer très nettement la norme ANSI américaine. Que peut-on faire au milieu de tout ça s’il s’agit de faire exister une labellisation française ?

M. Philippe Chapleau

Juste un élément. Vous avez tout à fait raison, les Américains ont pris les devants très vite avec la norme ANSI. Les Britanniques sont en train de mettre en place une norme ISO 28 007 pour la sécurité maritime. On est loin derrière.

Arnaud Dessenne, peut-être ?

M. Arnaud Dessenne

Je pense qu’il faut distinguer deux choses. Il faut distinguer le problème de labellisation lié à la moralité, aux dirigeants de l’entreprise, aux mouvements de capitaux. Il faut considérer ensuite la certification ou la normalisation par rapport à des « process » d’entreprise et des « process » opératoires. Il est tout à fait possible aujourd’hui, pour rassurer le marché – parce qu’il est quand même ressorti ce matin qu’il y avait un petit souci de visibilité, voire de confiance –, au niveau

Page 47: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

des pouvoirs publics et à moindre coût, de labelliser nos entreprises. Indirectement elles le font aujourd’hui. Certaines de nos entreprises ont des habilitations dans le cadre de contrats avec le ministère de la Défense dans lesquels elles sont habilitées secret-défense. On les labellise, on leur donne un gage de bonne moralité et de bonne conduite. Sinon, elles n’auraient pas ces habilitations. Le coût est un faux problème et la labellisation pourrait être assez simple et assez rapide à mettre en place. Au-delà, vouloir créer une certification purement française, je n’y crois pas, parce qu’on ne s’adresse pas qu’au marché français. Encore une fois, tous nos clients ne sont pas français. On a des clients qui sont complètement hermétiques à tout type de normes, mais on en a d’autres qui, eux, sont Anglo-Saxons et pour lesquels il faudra rentrer dans ce type de certification.

On est tout à fait ouvert sur le sujet. L’idée du CEFSI n’est pas de protéger le village gaulois. C’est juste de faire émerger une offre française dans un village qui est totalement mondialisé.

M. Philippe Chapleau

Maître Bensoussan sur ces questions de certification, de normes.

Me Alain Bensoussan

Je serai beaucoup moins pessimiste. Ça fait 33 ans que je suis sur des marchés ouverts. Je veux dire, tout le droit de l’informatique s’est construit sans qu’on ait de droit et il a fallu entrer sur le cyber droit, l’Internet, à travers des zones juridiques qui n’étaient ni le trop-plein ni le vide. Le droit, quel que soit l’endroit du monde, est toujours asservi à l’éthique qu’il défend et à la réalité économique qu’il prétend. C’est-à-dire qu’on ne gagne et qu’on ne perd pas un dossier tant qu’il n’y a pas une loi en technologies nouvelles. Et c’est une technologie nouvelle. C’est une technologie où la guerre n’est plus faite au nom du peuple, mais ici, ce sont des conflits qui sont conduits selon le droit du travail (cf. l’affaire Karachi). À partir de là, la norme, la valeur d’une norme, c’est sa capacité à rendre compte des attentes du marché. Dans le cas des ESSD, le marché attend trois choses. Il attend d’abord que les ESSD changent de nom. Elles ne font ni sécurité ni défense. Lorsqu’on va protéger des gens au Niger pour le personnel d’AREVA, on ne fait pas la guerre, on ne fait pas de la défense. On fait de la protection des personnes, même si les intérêts stratégiques de la France sont tels que bien évidemment il faut une dérogation au Niger pour qu’AREVA continue. Parce qu’on envoie des hommes qui ne font pas la guerre, mais leur travail. On envoie aussi leurs femmes, on envoie parfois aussi des enfants dans des zones qui sont moins dangereuses. Par rapport à ça, ces ESSD, qui deviendront demain peut-être des entreprises de sûreté, s’engagent sur leur capital, sur le nom des personnes, sur les dirigeants, sur des personnes qu’elles peuvent elles-mêmes labelliser. On est dans la même situation que la protection des personnes en matière d’énergie nucléaire. Je voudrais reprendre un des éléments. On a déjà armé des personnels de sécurité dans le cadre de la sécurité nucléaire, parce qu’il y avait un intérêt à le faire. Aujourd’hui, j’aurais tendance à dire à ces entreprises, comme pour les entreprises d’informatique, « Prenez votre destin en main. Le droit, vous le gagnerez au tribunal si vous l’avez gagné en valeur devant les hommes ». Donc, il n’y a pas ici à entrer en barbare ou en empereur, il y a à entrer en valeur. Aujourd’hui, les valeurs, sont celles de protéger les intérêts français à l’étranger, d’autant plus que comme il a été indiqué, il y a trois droits combinés. Il y a l’ordre public international – il ne faudra pas l’oublier.

Il y a l’ordre public local quand on dit qu’on ne peut pas avoir une autorisation de gardiennage si

Page 48: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

on n’est pas citoyen du pays. Il y a l’ordre « contractuel » qui lie ces personnels qui sont projetés à l’étranger. Donc, là, il y a suffisamment de droits pour plaider.

M. Philippe Chapleau

Merci, maître. Monsieur.

Intervenant

Bonjour. Amiral Valin, en deuxième section, consultant indépendant. J’ai été très impliqué dans les affaires de lutte contre la piraterie.Ma question revient sur l’affaire de la définition que vient d’aborder Me Bensoussan. Est-ce qu’on n’a pas commis l’erreur de mettre un spectre beaucoup trop large sous le terme d’ESSD ? Est-ce qu’on ne devrait pas limiter ce terme à ce qui est en fait le véritable enjeu, c’est-à-dire l’emploi des armes.

Me Alain Bensoussan

Je partage votre avis. Je pense qu’au-delà d’un problème d’acceptabilité sociale, au-delà de la nécessité de donner à nos militaires la possibilité de continuer à faire bien leur métier, l’enjeu, c’est l’enjeu des armes. La solution, elle existe déjà. Honnêtement, dans la plupart des droits du monde, c’est la légitime défense. Quelle est la différence entre la guerre et la sûreté ? C’est que l’un répond à une attaque et l’autre attaque pour ne pas avoir à y répondre : c’est la différence. Quand on parle de sociétés militaires privées, on ne fait pas la guerre, ce n’est pas des militaires même s’ils ont une compétence technique qui leur permet de justifier ça. On est infra guerre et on est supra tranquillité. Il me semble que c’est à travers le régime des armes, et là on a la possibilité d’avoir une intervention très rapide… Il suffirait de faire, et c’est là où je pense que les syndicats professionnels qui existent aujourd’hui, les entreprises… Si vous faites une norme, la vôtre, peu importe la valeur qu’est la vôtre, cette norme, peut très bien être avalisée par un tout petit décret avec un contrat « décrétable » comme il y a aujourd’hui les contrats d’hébergement des données de santé qui sont très importants. Il y a un décret qui dit ce que doit avoir le contrat. Mais si vous avez déjà une norme que vous avez positionnée par un groupe AFNOR en quelques minutes, si vous avez une légitimité par un contrat qui défend des valeurs, il est assez facile, me semble-t-il, d’obtenir un décret. L’enjeu, c’est de reprendre, de « retricoter » un peu le régime des armes. Pourquoi ? Parce que le régime des armes aujourd’hui, a été fait, soit pour faire la guerre, soit pour éviter la détention par les voyous et la mafia. On a tout un débat autour du sujet : « Faut-il armer les polices municipales ? » Sortons de cette triangulation et redéfinissons le type d’armes nécessaire, sachant qu’il suffit d’aller en Irlande – ce n’est quand même pas si loin que ça – pour pouvoir les acquérir de l’étranger à l’étranger. On pourrait peut-être aussi utiliser l’industrie française pour les acquérir en France vers l’étranger. Il y a aussi un problème de bon sens. Oublions d’autres mots, ne faisons plus la guerre et recherchons la tranquillité afin de donner une solution nécessaire à la présence française à l’étranger.

M. Philippe Chapleau

Merci, maître. Christian Ménard.

Page 49: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

M. Christian Ménard

Oui, très rapidement. J’aimerais réagir à ce qu’a demandé l’Amiral Valin tout à l’heure qui m’a déjà beaucoup appris quand je l’ai auditionné. En fait, je crois qu’il ne faut pas s’embêter avec des problèmes de sémantique. Parce que là, actuellement, on est en train de s’entretuer. Quand j’ai abordé la piraterie maritime, il y avait des sociétés militaires privées, les SMP. Avec Jean-Claude, ça a continué. On a trouvé le terme d’ESSD. Arrêtons le combat sémantique. C’est une chose que je voulais dire d’abord. On est en train de se battre actuellement sur la terminologie. Je sais bien que pour un juriste c’est extrêmement important, mais je crois que rapidement il faut dépasser ce stade-là. Par contre, je suis totalement d’accord sur la légitime défense. Ce que dit Me

Bensoussan, c’est l’essentiel. Il faut que l’on se batte là-dessus, sur la légitime défense, sans aller plus loin. Regardez ce que l’on a fait avec les convoyeurs de fonds. Finalement, on a bien réussi. Que font les convoyeurs de fonds de plus que ce que nous pourrions faire nous ? Je crois que c’est ça le problème des armes, celui qui sera peut-être le plus difficile à régler.

Passons donc rapidement du statut de convoyeur de fonds à celui des ESSD qui assurent uniquement la légitime défense. Et le problème sera résolu.

M. Philippe Chapleau

Merci, monsieur Ménard.

Intervenant

Bonjour. Jean-François Legendre. Je représente l’AFNOR dont on a parlé. Je voulais revenir sur ces questions de normalisation. Ce dont il faut se rendre compte, c’est qu’il y a aujourd’hui deux initiatives importantes internationales en matière de normalisation en cours. L’une concerne un référentiel d’origine ASIS dont on a parlé tout à l’heure. L’autre concerne le maritime avec une norme spécifique pour la piraterie. Le problème est le suivant. Si l’ASIS ou si nos amis Anglo-Saxons proposent un référentiel à l’ISO, la situation n’est pas figée. On peut parfaitement faire évoluer, si l’on souhaite participer, les spécifications, les exigences qui sont dans ce référentiel. S’il y a des exigences qui posent problème dans ces référentiels, effectivement les Anglo-Saxons ont tiré les premiers, c’est d’accord. Ils ont proposé leur référentiel, mais le texte n’est pas abouti. Le texte est en cours de discussion. Aujourd’hui, en ce qui concerne ces deux référentiels, la fenêtre de tir est ouverte pour qu’il y ait une contribution des opérateurs français quels qu’ils soient, que ce soient des entreprises de type ESSD (futures ESSD ou ESSD déjà existantes), des utilisateurs (AREVA ou autres) ou les pouvoirs publics. La réflexion vient d’être lancée mais la fenêtre de tir est courte parce qu’une fois que les premières discussions auront eu lieu, les textes avanceront rapidement.

C’était juste un message que je voulais faire passer. Nous allons essayer d’organiser quelque chose d’ici l’été, au moins une réunion d’information pour les acteurs, à laquelle vous êtes bien entendu invités. Je n’aurais pas forcément l’occasion d’aller vous chercher tous. Donc, il faut peut-être prendre contact avec nous. Mais c’est quand même un élément important. D’autre part, une norme – je le rappelle aussi – c’est quelque chose qui est d’application volontaire et élaborée par consensus. Cela signifie donc qu’il s’agit d’une organisation spontanée du dispositif par les acteurs qui y participent. Le volet réglementaire peut être d’application obligatoire ou non, mais ce n’est pas du tout une nécessité dans ce domaine.

Page 50: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Merci.

M. Philippe Chapleau

Merci.

Intervenant

Bonjour. Gilles Delaclose. Je voudrais alerter l’auditoire sur la nécessaire réforme de compétitivité que les pouvoirs publics doivent prendre en charge pour que ces entreprises puissent se développer. Il y a urgence. Les Anglo-Saxons nous ont déjà doublés sur bien des marchés qui ont émergé depuis 30 ans. Je pense notamment à un secteur que je connais bien où les cabinets d’audit ou les grands cabinets d’avocats ont trusté littéralement le marché en normalisant et en organisant ce marché comme ils l’entendaient.

Deuxièmement, j’insiste sur le fait que ces sociétés sont des relais de notre souveraineté. Il ne faut pas se le cacher. Les forces armées ont baissé leur format et rationalisé leur mode d’engagement et d’action. Il est donc temps pour tout le monde d’ouvrir les yeux. Il y a urgence pour que ces sociétés puissent se développer et répondre aux appels d’offres et aux marchés pour lesquels certains intervenants ont pu dire qu’elles n’étaient pas dimensionnées. Dimensionnons-les nous-mêmes pour qu’elles puissent conquérir ces marchés. Des sociétés du CAC 40, mais aussi d’autres acteurs étrangers. L’Afrique francophone émerge. Il est temps que nous nous prenions en main.

M. Philippe Chapleau

Merci. Je pense que ce qu’a dit Jean-Claude Viollet auparavant a dû en partie vous rassurer.Monsieur.

Intervenant

C’est peut-être culturel, mais j’assiste à un débat sémantique depuis très longtemps en France.

Nous sommes dans de la sécurité et dans la lutte contre le terrorisme. Quand on parle de légitime défense, il y a la proportionnalité. Quand on vient avec un véhicule bourré d’explosif à In Amenas ou à Arlit, je ne sais pas ce que vient faire la tranquillité là-dedans. Appelons les choses comme elles doivent être appelées. Il y a déjà de l’asymétrie dans le terrorisme et nous en rajoutons en édulcorant des appellations. Je pense qu’il faut, dans la sécurité, aller droit au but et dire ce qu’il faut en dire car nous sommes dans une gradation du terrorisme qui ne va pas s’arrêter là. J’aimerais avoir le sentiment de Me Bensoussan sur ça.

Merci.

Me Alain Bensoussan

Vous avez raison. Simplement, me semble-t-il, aujourd’hui, toutes les Cours suprêmes ont mis en place une vigilance sur le fait qu’à un certain endroit le marché privé doit s’arrêter. Donc, ce sont les obligations de l’État, les obligations régaliennes, qu’il estime possible d’externaliser. Je ne pense pas que les entreprises privées qui déploient du personnel à l’étranger ont en charge la

Page 51: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas possible. La jurisprudence Karachi est une jurisprudence paradoxale. Voyez les ESSD, on dit à l’employeur : « si vous mettez dans une zone de non-guerre des gens, parfois même avec leurs femmes et enfants… » ce qui n’est quand même pas rien en termes de devoir de protection « …et que cette mise à disposition se fait selon l’ordre public international et l’ordre public local, c’est que l’on n’est pas en France, que l’on ne fait pas non plus une opération à l’étranger et que l’on doit suivre un ordre public local  ». C’est important car dans une zone de guerre, c’est totalement différent, il y a un droit particulier à respecter. Et on va dire ensuite à cet employeur : « Il faut nécessairement assurer sur place, selon une obligation de résultat, quasiment sans preuve contraire de type terroriste, une responsabilité ». Lorsque le marché de l’assurance ne peut pas le prendre en compte, c’est bien de la tranquillité que l’on cherche et pas de la lutte contre le terrorisme.

On suppose qu’à ce moment-là il n’y a pas de terroriste en tant que tel. Il est partout. Ce qui veut dire qu’il faut nécessairement donner au marché privé une solution privée, d’où les ESSD comme solution. Bien évidemment, si l’on est dans une zone où le terrorisme est trop important, là, de nouveau, on revient dans le droit de souveraineté locale avec peut-être la mise à disposition de forces particulières, notamment françaises, dans ce cas de figure. Ce n’est pas un problème de mots. Le droit échoue sur des valeurs. Vous obtiendrez, me semble-t-il, assez rarement un consensus, notamment du peuple, sur l’externalisation de la guerre de la souveraineté nationale, ou de la protection. Donc, il me semble qu’aujourd’hui, on a trouvé une solution. Vous savez, c’est comme en matière de santé. Laissez-moi vous donner un exemple. Je suis bavard, mais je ne résiste pas à plaider. En matière de santé, on avait dit aux gens : « Vous n’y connaissez rien ». Il n’y avait que les médecins qui connaissaient et on avait créé le droit de la maladie. Et puis, on s’est dit qu’au fond le droit de la maladie, si j’étais malade, je devrais comprendre, moi, peuple, que ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est le droit à la santé. Et ça, ça m’intéresse. Entre la maladie et la santé, c’est tous les mécanismes de bien portants, donc la tranquillité. Vous avez le même problème. Il y a le droit de la guerre et le droit de la tranquillité. Le terme tranquillité est un terme qui va se généraliser à cause du fait qu’on a monopolisé le terme de sécurité. Lorsque l’on dit que la sécurité est un droit fondamental, il faut faire très attention. Les gens qui disent qu’ils font de la sécurité n’ont pas bien compris. Parce qu’ils font de la sécurité, ils sont dans une obligation de résultat sur un droit fondamental qu’on ne va pas gérer par contrat. Vous comprenez bien qu’on ne peut pas d’un côté prendre l’ancien terme de sécurité « je fais de la sécurité » et avoir, d’un autre côté, des valeurs constitutionnelles comme la liberté et la dignité… qu’on ne met pas sous contrat. Comment les adaptera la sécurité ? Donc, attention aux mots. Les mots portent des valeurs et parfois même des engagements personnels. Le mot sécurité est aujourd’hui anobli comme un élément de souveraineté. Il faut le laisser à sa place. Le terrorisme appelle une réponse de tous et de chaque jour : elle sera de la tranquillité et de la sécurité.

M. Philippe Chapleau

Merci, maître.

Nous avons une question ici.

Intervenant

Page 52: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Je voulais revenir sur le problème des armes qui est un problème central. J’ai dirigé un Groupe qui était habilité confidentiel-défense à l’époque des années de plomb, c’est-à-dire d’Action directe, où j’ai eu des gardes du corps armés, mais dans des conditions acrobatiques. C’est-à-dire que l’on m’a donné des autorisations de port d’armes, pas parce que c’étaient des gardes du corps puisque la loi précisait que les personnels faisant profession de protéger les personnes ne pouvaient pas être armés. C’est-à-dire que pour protéger du fric, on donnait des .357 à des mecs payés au SMIC ! Et les gardes du corps qui étaient en général chez moi des anciens officiers ou sous-officiers des forces spéciales, ils avaient le droit de se balader avec une bombe à gaz ! On était en plein délire. On nous a dit : « On vous donne des autorisations de port d’armes, pas parce que vous avez des gardes du corps, mais parce qu’en étant gardes du corps, vous êtes vous-mêmes menacés et comme vous êtes menacés il va falloir que vous vous défendiez ». Vous voyez les trucs tordus dans lesquels on est. Je ne vois pas bien nos gouvernements actuels – sans faire de politique – donner des autorisations à des gens privés de porter des armes dans les conditions actuelles alors que quand un flic tire sur quelqu’un actuellement, on sait qu’il est immédiatement mis en garde à vue avec une enquête de l’Inspection générale des services avant toute chose. Dès qu’on touche aux armes en France, on est dans l’irrationnel total alors que dans les banlieues, on achète une kalachnikov pour 600 euros.

Me Alain Bensoussan

Vous voulez que je réponde sur les armes ?

M. Philippe Chapleau

Si vous voulez.

Me Alain Bensoussan

On peut répondre sur les armes. C’est l’enjeu. Principe de réalité d’abord, principe d’éthique après, principe économique enfin. Principe de réalité, ces armes, on les trouve partout. Vous avez raison. Mais si on veut faire le métier d’ESSD, il suffit de les prendre en Irlande.

C’était dans votre rapport qui est extrêmement bien fait sur ce cas-là. J’ai été voir un tout petit peu. Optimisation militaire, c’est intéressant comme développement pour les avocats internationaux.

On peut procéder par analogie. Quand vous avez une activité sportive de tir, vous avez une arme. Cette arme a une particularité ; elle est transportée. D’abord, vous l’avez avec vous. Vous l’avez dans une boîte fermée. Vous l’avez dans le coffre. Vous avez donc tout un échelonnement de situations qui vous permet de passer de la détention de l’arme à son transport et à sa protection. On peut très bien admettre, mais vous pourriez déjà faire maintenant ce que je vous dis : « Faites-le, n’attendez pas la loi. La loi n’est que la traduction de vos valeurs ». Le droit naturel, il naît bien avant le droit réel, heureusement. Simplement, il y a une grande différence entre : « tu ne tueras pas ton prochain » et « tu aimeras ton prochain ». C’est là où vous avez de la place. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que pour les armes – et on a déjà trouvé des solutions – n’attendons pas toujours tout de l’État. Apportons aussi à l’État, aux députés, aux sénateurs, à tous les gens, des textes. Dans ces textes, par exemple, plus l’impératif de légitime défense… Je parle de l’ordre public local, je ne parle pas seulement d’avoir des armes en France. Pour la France, c’est

Page 53: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

uniquement la question de les transporter à partir de la France. C’est dommage de les transporter à partir de l’Irlande. La légitime défense est un vrai thème, puisque là, on est en position défensive et non pas offensive. La légitime défense se mesure, comme aujourd’hui par le niveau rouge, le rouge renforcé ou écarlate. On peut très bien avoir des niveaux de légitime défense où quand on voit une voiture qui est arrivée pleine d’explosifs, si on la voit ou en tout cas, on peut s’en douter, on obéit à des niveaux de réaction défensive différents. Donc, on peut honnêtement agir. Il me semble qu’à chaque fois, un opérateur qui détiendrait des armes dans des conditions qui restent éthiquement défendables et économiquement équilibrées, c’est admissible. D’autant plus que je vais vous dire, dans les armes il y a deux types d’armes. Il y a celles qui portent le combat, mais il y aussi les armes électroniques. Croyez-moi, celles-ci, pour l’instant, sont entre les mains de tout le monde. Aujourd’hui, il y a une petite réglementation sur les drones. Voyez ce que vous pouvez faire avec ça. Cette réglementation consiste en un petit arrêté. Donc, allez-y avec les drones. Ils sont aujourd’hui mis en œuvre en pleine tranquillité pour des usages militaires privés. C’est les termes que vous utilisez. Il y a effectivement énormément de cadres juridiques à mouliner. Il n’y a pas de déficit juridique, il y a plutôt du management juridique. Ce qui n’empêche pas qu’il faudrait un texte. Oui, il faudra un texte, bien sûr, parce que le texte est plus simple. Mais un colloque comme celui-ci est un élément fédérateur sur l’existence d’une profession, sur un besoin pour nos militaires et tout simplement aussi pour développer l’emploi chez nous.

M. Philippe Chapleau

Merci, maître, pour ces paroles inspirantes.Une question au fond. Puis, une dernière intervention avant la conclusion.

Intervenant

Bonjour. Stéphane Papillon, responsable du département maritime de la société Gallice. Je voudrais apporter une note positive. Même s’il est important de légiférer, on peut avoir une société française avec des EPE sur les bateaux. Depuis pratiquement deux ans, nous protégeons des bateaux avec des hommes en armes sur au moins une douzaine de pavillons différents. Au moment où je vous parle, on embarque une équipe sur un bateau italien dont l’armateur en a un peu marre que ses fusiliers-marins tirent sur des pêcheurs.

M. Philippe Chapleau

Une fois.

Intervenant

Une fois, c’est vrai. Tout ça pour dire que légiférer est certes nécessaire, mais une société française peut quand même faire de la protection maritime. Nous avons notre propre armement, nous avons nos licences dans les différents pays où nous travaillons. Aujourd’hui, c’est possible.

M. Philippe Chapleau

Merci. Gilles Sacaze ?

Page 54: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Intervenant

Gilles Sacaze, je suis le président du Groupe Gallice. Du coup, vous allez entendre deux fois Gallice, je suis désolé.

M. Philippe Chapleau

On a un spécialiste des questions maritimes.

Intervenant (Gilles Sacaze)

Je voudrais réagir sur trois points : la sémantique, l’armement – pour préciser un certain nombre de choses qui viennent d’être dites – et la partie compétitivité qui a été abordée tout à l’heure – je pense que c’est un point essentiel.

Concernant la sémantique, je vous rejoins, maître, quand vous disiez : « C’est important ». Je pense qu’il ne faut pas effectivement qu’on s’enlise dans les débats de sémantique. En revanche, je pense qu’on s’est fait piéger avec les sociétés militaires privées. Je crois que certains parmi nous l’avaient identifié au départ, surtout en tant qu’anciens militaires, en disant : « On ne peut pas militariser l’armée ». En tant qu’anciens militaires, on est bien placés. On ne se sent aujourd’hui absolument pas militaire. Quand on agit aujourd’hui en Irak, en Libye, sur les bateaux, on fait bien la différence. Il n’y a pas de mélange des genres. Je pense que cette sémantique-là nous a piégés. Dans un contexte où on était déjà fébriles, ça a complètement tué la démarche. Je suis un peu plus à l’aise avec l’ESSD, enfin, je suis moins gêné que vous, maître, sur ce point-là. Par contre, SMP, je pense que c’était une erreur.

Concernant l’armement, on débat beaucoup dans une approche franco-française. Maître, on est en Irlande – vous avez bien fait de le souligner. On a une filiale sur l’Irlande pour tout ce qui est activité en armes, notamment. Pas seulement, mais surtout pour ça. La France aujourd’hui, aussi loin qu’elle puisse aller, ne va pas légiférer, ne va pas délivrer des ports d’armes pour aller travailler en Irak. On parlait de souveraineté tout à l’heure : l’Irak est souverain sur son territoire. Ce sont les Irakiens qui délivrent des ports d’armes. En Libye, c’est pareil. Quel que soit l’endroit où l’on travaille dans le monde, la France peut faire ce qu’elle veut, elle n’autorisera jamais un opérateur privé français à travailler en armes à l’étranger, de la même façon que nous, on n’admettrait pas le schéma inverse. Donc, ça, il faut bien l’avoir à l’esprit, c’est-à-dire qu’on peut très bien dire : « J’admets l’idée qu’il y ait des opérateurs privés qui travaillent sur ces thématiques-là », mais la France ne délivrera pas de port d’armes. Les ports d’armes, ce sont les pays dans lesquels on opère qui les délivrent. Ça, je crois que c’est important. En revanche, il y a quelque chose qui est intéressant, à quoi on s’astreint chez Gallice sans qu’il n’y ait véritablement de normes, c’est se procurer un armement, acheter un armement en Europe. Au moins, ça garantit une certaine traçabilité et nous pourrons toujours dire, en cas de problème : « Attendez, on a été de bonne volonté. Il ne nous a pas échappé qu’on pouvait acheter de l’armement au Yémen, en Israël ou ailleurs. On l’a acheté en Europe ». C’est contraignant, il faut le déplacer, ça coûte plus cher, mais c’est une garantie de traçabilité. Là, je pense que l’État a la possibilité d’aller dans ce sens-là, d’accentuer ce point-là. En plus, ça disqualifiera certains Anglo-Saxons, ce qui nous va bien.Le troisième point, c’est la compétitivité. Là, je pense qu’on esquive un peu le débat, mais je crois que si on n’a pas cette franchise-là, on ne va pas avancer. Aujourd’hui, si on nous impose de

Page 55: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

travailler à partir d’une société de droit français pour faire la même activité, on perd tous nos marchés, y compris les marchés au profit du CAC 40. Parce que quand on opère à partir de l’Irlande, on est juste deux fois moins cher.

M. Philippe Chapleau

Merci.

Je crois que l’on arrive au terme de l’échange. Monsieur Danon pour le mot de conclusion.

Page 56: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Discours de clôture par Monsieur l’Ambassadeur Eric Danon, Directeur général

du CSFRS

Discours   :

Je voudrais remercier nos intervenants et notre modérateur Philippe Chapleau de nous avoir fait avancer dans la compréhension des questions de sécurité à l’international. Je remercie également les participants, et vous êtes nombreux dans cette salle, pour l’intérêt que vous avez porté au sujet qui nous intéresse et la richesse de vos débats.

Les problématiques du rôle et de la place des entreprises spécialisées ont été posées ce matin avec beaucoup de pertinence au regard de l’évolution rapide et profonde de l’insécurité du monde contemporain.

On le sait, le sujet est sensible dans notre pays. Mais ce n’est pas parce que le sujet est sensible qu’il ne faut pas s’y attaquer, surtout en France où l’administration a un peu de mal à concevoir la légitimité des actions de défense de nos intérêts à l’international hors des circuits et des moyens étatiques.Nous nous appuyons sur la capacité de projection de l’armée pour contribuer à trouver des solutions aux crises récurrentes du monde, aux plaies des conflits armés, des affrontements régionaux ou des guerres civiles. Cela étant, on sait combien les questions de terrorisme ou de cyberattaques compliquent cette vision traditionnelle de l’insécurité et des crises.

Et nous décryptons plus difficilement une autre insécurité, moins immédiatement visible par les opinions publiques, moins destructrice, plus compliquée à reconnaître et même à admettre à de nombreux égards. Cette insécurité n’est malheureusement pas suffisamment explicitée dans le récent Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale : il s’agit de l’insécurité chronique de certaines régions du monde, l’insécurité interne de pays ou de mers, une insécurité de basse intensité, lancinante, permanente, insoluble par les grands moyens, et qui ne peut justifier le déclenchement d’opérations militaires que dans des phases éruptives violentes et limitées dans la durée, comme nous venons de le voir au Mali.

Cette insécurité-là va croissant, elle est une calamité pour le fonctionnement des activités économiques et la tranquillité des personnes.

La France est fortement touchée dans la durée par ce phénomène à travers ses

Page 57: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

entreprises, ses expatriés, ses bateaux, et même via son image dans les pays, notamment francophones, où elle est appréciée et considérée.

Il ne s’agit donc pas de régler globalement les problèmes d’insécurité chronique que pose cette situation de par le monde, il s’agit d’en prendre acte et de s’en accommoder dans la durée en assurant la tranquillité de personnes, de biens, d’intérêts divers locaux ou internationaux. L’action militaire s’avère inappropriée à régler dans la durée ces perturbations complexes dans leurs causes et leurs manifestations. C’est une réalité, nous l’avons compris ce matin : inexorablement, les institutions internationales, les Etats développés, des ONG et des entreprises de toute taille contractualisent des services de conseil, de formation ou de protection avec des sociétés spécialisées.

Je veux considérer que cette rencontre d’aujourd’hui aura contribué à établir la légitimité de développer un secteur français des ESSD. Notre pays doit regarder la réalité internationale en face, et engager au plus tôt la préparation d’un texte de loi approprié. Ce texte devra prendre en considération de nombreux aspects, y compris l’emploi d’armement par des entreprises françaises spécialisées, dans le cadre d’activités de protection des personnes, des biens et des activités, dans des conditions qui seront mieux alors fixées. Agrément étatique ? Délégation de service public ? Certification ? Labellisation ? Normalisation ? Nous devons travailler ensemble au nouveau cadre juridique nécessaire, qui devra combiner spécificité française et adaptation au marché.

L’essor d’un secteur d’activité national est justifié au plan économique pour prendre pied sur le marché international de la sécurité, saisir des parts de marché, créer des emplois, reconvertir des militaires en fin de contrat. Il est justifié au plan sécuritaire pour que le développement et la résilience des entreprises nationales implantées à l’étranger soient possibles, pour que nos expatriés et leurs familles vivent et travaillent dans une tranquillité minimum. Il est nécessaire au plan stratégique pour afficher la présence de Français dans certaines régions où sévit malheureusement l’insécurité du quotidien. S’agissant du rôle de notre pays à l’étranger, il est d’une importance véritablement stratégique de concevoir la préservation de nos intérêts dans une approche public-privé.

Le CSFRS, au-delà de l’organisation de ce colloque avec le CDSE, compte jouer tout son rôle pour faire bouger les lignes de l’administration et contribuer à élaborer la future loi. Le sujet est en train d’émerger et de transcender les clivages partisans. Ce n’est pas si courant, profitons-en pour le bien de notre pays.

Page 58: CDSE - Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté Des ... · Web viewInterventions préliminaires des organisateursMonsieur Luc Delnord : Nous sommes heureux, le général Ollivier

Résumé   :

Eric Danon, concluant le colloque sur les ESSD, dresse les lignes de force des moyens à mettre en œuvre pour faire évoluer le secteur. L’insécurité chronique dans certaines régions du monde va croissante et cela pose des problèmes au développement des activités économiques et à la tranquillité des personnes. Il faut prendre acte de cette situation et assurer la tranquillité des personnes, des biens, et des intérêts divers locaux et internationaux.  L’action militaire n’est pas adaptée et le recours aux ESSD s’avère de plus en plus banalisé par les différents acteurs des relations internationales. Il faut regarder la réalité internationale et engager au plus tôt la préparation d’un texte de loi approprié instaurant un cadre juridique combinant spécificité française et adaptation au marché. L’essor du secteur des ESSD est justifié au plan économique car il permettra de créer des emplois et de reconvertir des militaires en fin de contrat. Il est également justifié sur le plan sécuritaire et ce, afin que le développement et la résilience des entreprises nationales implantées à l’étranger soit possible. Enfin, cet essor est nécessaire au plan stratégique, pour afficher sans ostentation la présence et l’efficacité françaises dans certaines régions où l’insécurité est quotidienne. La préservation de nos intérêts stratégiques à l’étranger doit être envisagée dans une approche public-privé.