Celivrenumériqueestunecréationoriginalenotammentprotégéeparlesdispositionsdesloissurledroit d’auteur. Il est identifié par un tatouage numérique permettant d’assurer sa traçabilité. Larepriseducontenudecelivrenumériquenepeutintervenirquedanslecadredecourtescitationsconformément à l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. En cas d’utilisationcontraireauxlois,sachezquevousvousexposezàdessanctionspénalesetciviles.

DESMÊMESAUTEURS

L'EspionduPrésident :aucœurde lapolicepolitiquedeSarkozy,RobertLaffont,2012

ChristopheLabbéetOliviaRecasens

Vivelamalbouffe,àbaslebio !,avecJean-LucPorquet,Hoëbeke,2013Justice:labombeàretardement,avecJean-MichelDécugis,RobertLaffont,2007Place Beauvau : la face cachée de la police, avec Jean-Michel Décugis, RobertLaffont,2006

ChristopheLabbé

L'Hommenu:ladictatureinvisibledunumérique,avecMarcDugain,Plon,2016

DidierHassoux

Commentj'aisauvélePrésident:farcesetattrapesdelaSarkozie,avecJean-MichelThénard,Calmann-Lévy,2012Sarkozyetl'argentroi,avecRenaudDély,Calmann-Lévy,2008SégolèneetFrançois,avecCécileAmar,Privé,2005Luc Ferry : une comédie du pouvoir, 2002-2004, avec Emmanuel Davidenkoff,HachetteLittératures,2004

©ÉditionsRobertLaffont,S.A.,Paris,2017Encouverture:©AndreyKuzminetAlinaOleynik/123rf.com

ISBN978-2-221-19923-7

Suiveztoutel'actualitédesÉditionsRobertLaffontsur

www.laffont.fr

Chaquegénération,sansdoute,secroitvouéeàrefairelemonde.Lamiennesaitpourtantqu'ellenelereferapas.Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste àempêcherquelemondesedéfasse.

AlbertCamus,discoursderéception

duprixNobeldelittérature,10décembre1957,Stockholm

L'armeàgauche

Il faut comprendre qu'il n'y a pas d'espoir et pourtantêtredéterminéàchangerleschoses.

F.S.FitzgeraldLa présidentielle se joue à l'Intérieur. C'est une évidence lorsqu'on examine le

parcours de quelques anciens « premiers flics de France » de la Ve République.FrançoisMitterrand,JacquesChiracetNicolasSarkozysesonttousservisdutremplindelaPlaceBeauvaupouratterrirsur le trottoird'enface,à l'Élysée.Leministèredel'Intérieur étant celui des emmerdements du quotidien commedes grands défis, celuiqui y réussit peut prétendre à la fonction suprême.Accessoirement, c'est un passageobligépourquiveutcontrôlerlesaffaires.Dansuncontexteoùlamenaceterroristeetlacraintedenouvellestueriesdemasse

n'ont jamais été aussi importantes, les Français ont avant tout besoin de se sentirprotégés. « La guerre », selon l'expression de Manuel Valls, alors ministre del'Intérieur,etl'absencedemoyensdéfinitifsdestinésàl'empêcher,aincontestablementgénéré de l'angoisse, favorisé les crispations identitaires, développé les fracturesterritoriales,accrulaghettoïsation.Plusquejamais,pourplagierunprésentateurd'unjournal téléviséd'unautresiècle,« laFranceapeur 1 ».Elleestencolèreaussi.Unecolère sourde et puissante contre des dirigeants politiques qui ne la protègent passuffisamment.Oumal.Déjàentemps« normal »,ledébatpublicfaitrageautourdel'insécurité–réelleou

ressentie–etdesmoyensdel'éradiquer.Lesscrutinsprécédentsl'ontmontré:laluttecontre le crime est devenue un commerce électoral. En 2002, par exemple, l'affairePapy Voise coûte en partie au Premier ministre Lionel Jospin sa qualification ausecond tour de la présidentielle. Trois jours avant le premier tour de scrutin, PaulVoise 2 était apparu enpleurs au journal de20heures, le visage tuméfié.Le retraité,

vivant chichement dans un quartier « sensible » d'Orléans, avait été victime d'uneagressionsauvagedoubléed'un racket.L'emballementmédiatique installe laquestiondel'insécuritéaucœurdelacampagne.Lecandidatdegauchesoupçonnéd'angélismeavec les délinquants n'en prend pas lamesure. En revanche, celui du Front nationalsurfe sur l'émotionpopulaire suscitéeparce faitdiverset rafle lamise sur le thèmeimmigration=insécurité.Malheureusement, depuis près de vingt ans, le débat politique sur les questions de

sécuritérebonditdefaitdiversenfaitdivers,ouselimiteàunequerellededonnées.Sousquellemandatureladélinquancea-t-elleleplusbaissé(oulemoinsaugmenté) ?Qui a créé le plus de postes de gendarmes et de policiers (ou en a le supprimé lemoins) ?Des questions quantitatives emballantes pour les experts autoproclamés quis'écharpentdeplateaudetéléensiteInternet.Enréalité,onlesait,chacunpeutfairediretoutetsoncontraireauxstatistiques.Cequiestcertain,c'estqu'àcompterde2012lagauchedisposedetouslespouvoirs

etd'unechanceunique : réconcilier lesFrançaisavec lesforcesdesécurité.NicolasSarkozy avait fait de la police un instrument électoral. François Hollande a unquinquennatdevantluipourseservirdesforcesdel'ordreafinderenouvelerlecontratsocial, lutter efficacement contre la délinquance, réparer les injustices, réduire lesinégalités.Commenotreenquêteledémontre,Hollandeetsesministresontéchoué.Cen'estpasfauted'avoiressayé.La gauche aura beaucoup fait pour s'attirer les grâces des forces de l'ordre et des

Français. Jamaisungouvernementn'a autant fait pour sespoliciers et gendarmes.Leprotocole de l'Élysée, signé avec une majorité de syndicats le 12 avril 2016, enatteste :prèsde900millionsd'eurosont étéoctroyésaux245 000 représentantsdesforcesdel'ordre(144 000policierset98 000gendarmes).Ilspeuventdésormaisporterleursarmesenpermanence,ontvu leurprésomptiond'innocence renforcéeencasdelégitimedéfense.Enrevanche,lesgouvernementssocialistesontéchouéàrapprocherlepolicierducitoyen,commel'attestel'enquêteédifianteréaliséeparleDéfenseurdesdroitsenjanvier2017:lesjeuneshommes« perçuscommenoirsouarabes »ont« uneprobabilitévingtfoisplusélevéequelesautresd'êtrecontrôlés 3 ».Lagaucheaupouvoirauraaussibeaucoupfaitpourluttercontreleterrorisme.Jamais

ungouvernementn'auraautantlégiférésurlesujet:quatreloisenquatreans.Auprixd'un incontestable corsetage des libertés individuelles. Créé pour faire face auxévénementsdelaguerred'Algérie,l'étatd'urgenceaétédécrétéle14novembre2015,au soir des attentats duBataclan et des terrasses, et sans cesse reconduit depuis, aumoinsjusqu'aulendemaindelaprochaineprésidentielle.Lesoutilsdesurveillancedela population se sont multipliés : écoutes, géolocalisation, perquisitions. Jusqu'à lacréation, fin 2015, d'un mégafichier national – baptisé « TES » pour « Titres

électroniquessécurisés »–quirecenseetcentralisetouteslesdonnéesbiométriquesdesoixante-septmillionsdeFrançais.Pourmener àbiencette enquête,nousavons rencontrédesdizainesd'acteursdece

quinquennat, connus ou inconnus. Certains ont choisi de parler à visage découvert,d'autrespas.Noussommesallésauplusprèsduterrain,pourcomprendrelequotidiende ces hommes et femmes chargés de maintenir l'ordre. Nous avons écumé lescommissariatsetlescasernes.Nousavonsarpentélespalaisnationaux,etlescoulissesdupouvoir,pourracontercequinquennatmarqué,commejamais,parl'insécurité.Uneanecdote,survenuefin2016,résumeàelleseulelarelationambiguëdelagauche

à lasécurité.Dans l'antichambredubureauduministrede l'Intérieur,placeBeauvau,deuxsyndicalistespatientent.L'undegauche,l'autrededroite.Lepremierdemandeausecond :« J'aiparfoisdumal à te suivre.Dis-moi franchementquel est tonmaître àpenser. » Interloqué, l'autre répond : « Tu me connais ! C'est Nicolas ! NicolasSarkozy. »Lesyndicalistedegaucheinsiste:« Oui,maisc'estbanal:tueséluLR.Etàprésent,Sarkozy est retiré des affaires.Quel est tonnouveaugourou ? »Sanshésitersoncollèguededroitelâche:« ManuelValls. »Àvouloiràtoutprixrompreavecsaréputationdelaxisme,lagaucheaurabeaucoup

fait.Bienplusetbienmieuxqueladroite.Oubienpire,c'estselon.Sansdouteparcequ'ellen'étaitpasprêteàl'alternancemaisaussiparcequ'ellenel'apassouhaité,ellen'apasréussià« désarkozyser »lahiérarchiepolicière.Commeleursprédécesseurs,maisavecmoinsde talentetderouerie,Hollande,Valls,Cazeneuveet lesautresontjouéavecl'appareiljudiciaireàdesfinssouventélectorales.Commeleursconcurrents,ilssesontmontrés toutaussi incapablesderéformerprofondément le fonctionnementdelamachineriepolicière,scléroséepardesquerellesdechapelle.Enfin,toutcommela droite, la gauche a été dans l'impossibilité de réconcilier la police et la justice,l'ordreetlaloi,lamatraqueetleCodepénal.

1.RogerGicquel en ouverture du 20 heures deTF1 le 18 février 1976, au lendemain de l'arrestation dePatrickHenry,meurtrierd'unjeunegarçonàTroyes.2.PaulVoiseestdécédéle6janvier2013àquatre-vingt-deuxans.3.http://www.defenseurdesdroits.fr/.

1

Ladésarkozysation

NicolasSarkozytrépigne.Letéléphoneportablequ'ilaempruntéàl'undesesgardesdu corps ne fonctionnepas.Cela faitmaintenant près d'unquart d'heure que l'ancienprésidentde laRépubliqueestcoincédans l'ascenseurde laDirectioncentralede lapolicejudiciaire,àNanterre.SiSarkozyéructecontreleshommesdesaprotec',c'estparcequecesonteuxquiluiontimposécetascenseurdeserviceafind'échapperauxjournalistes. Il enrage encore lorsqu'il s'aperçoit que le seul portable qui capte unréseau est celui de la chef de l'Office central de lutte contre la corruption, lesinfractions financières et fiscales, elle aussi coincée dans ce huis clos impromptu.L'ancienchefdel'Étatlesaitparfaitement:c'estelle,ChristineDufau,quiadébusquéle téléphone clandestin au nom de Paul Bismuth qu'il utilisait pour échapper à unejusticetropcurieuseàsongoût...Lorsqu'à23  h  30,cemardi2juillet2014,laportedel'ascenseur s'ouvreenfin,unplantoncroyantbien faire lanceà lacantonade :« Vousavezdelachance:ilyadesconsquisontrestéscoincéspendantvingtminutes. »Seize mois après avoir quitté l'Élysée, Nicolas Sarkozy a été placé sur écoute.

Pendantprèsd'unan,lapolicejudiciaireaespionnésesconversations.UnepremièredanslesannalesdelaVeRépublique.Depuisl'arrivéedeHollandeaupouvoir,c'estcommesiunemalédictionjudiciaires'étaitabattuesursonprédécesseur.En2017,cinqansaprèssadéfaiteélectorale,cenesontpasmoinsdetreizeaffairesjudiciairesquiempoisonnentNicolasSarkozyousonentourage.Aupointquelessarkozystes,promptsàs'afficherenvictimes,yvoientlamaind'uncabinetnoir.Celui qu'il désignait comme son « collaborateur » lui donne bien involontairement

raison. François Fillon déjeune le 24 juin 2014, avec son ancien ministre recyclésecrétairegénéraldel'Élysée.Aussitôtsortidetable,Jean-PierreJouyetfaitlerécitdeses agapes à son ami de toujours François Hollande. Fillon lui aurait demandéd'accélérer les procédures judiciaires impliquant son rival des Républicains. L'ex-Premierministredément,sitôtcetépisoderendupublicparLeMonde.Ilattaquemêmelequotidienetses journalistesauteursdecescoopendiffamation.Ilsefaitdébouterpar deux fois 1. Les sarkozistes du premier cercle sont persuadés de la véracité de

l'épisode. D'autant qu'il accrédite l'idée d'un complot ourdi contre eux en haut lieu.Près de trois ans plus tard, les mêmes rient sous cape lorsqu'ils découvrent dansLeCanard enchaîné que le candidat à la présidentielle n'est pas le père vertu qu'ilprétend.Lescandaledu« Penelopegate »vientd'éclateretleparquetnationalfinanciera diligenté, à la lecture de « l'hebdomadaire satirique paraissant le mercredi », uneenquêtesurl'emploiprésuméfictifdeMadameFillon,commeassistanteparlementairedesonmari.Maiscettefoislesupposécabinetnoirdel'Élyséen'yestpourrien.

CommentSarkozyatentédeverrouillerlapolice

Lorsqu'ila remis lesclefsàceluiquesamoitiéaméchammentsurnommédansuneritournelle« lePingouin »,NicolasSarkozyétaitpourtantcertaind'avoirverrouillélaboutiquepolice.Deuxfoisministredel'Intérieur,ilauraeuletempsdeplacersesflicsàtouslespostesessentiels.DevenuPrésident,c'estClaudeGuéant,unanciendirecteurgénéraldelapolicenationale(DGPN2),qu'ilnommesecrétairegénéraldel'Élysée.Dujamaisvu.Unefoisdéfait,« lePetit »aconservédirectementàsonservicedeuxautrespatrons

delamaisonpoulaga:MichelGaudinàlatêtedesoncabinetparticulier,etFrédéricPéchenard,son« porte-flingue »intronisénumérodeuxdesRépublicains.Pendantplusdevingtans,GuéantetGaudin,« lesdeuxG »,commeonlessurnomme,

ontrégnésurl'appareilpolicierjusqu'àlerefaçonneràleurmain,aveclaréformedescorpsetcarrièresquiachamboulétoutel'organisationdelapolice,enredessinantlesgradesetenfixantdenouvellesrèglespourlesavancements.Quant à Péchenard, c'est le grand flic qui, avec trente ans de PJ au compteur, est

encore aujourd'hui chez lui au 36, quai des Orfèvres 3. Celui que Sarkozy appelleaffectueusement « Pèch' » a son rond de serviette chez Carla et Nicolas, villaMontmorency, à Paris, et il est aussi un habitué des vacances au capNègre dans larésidencedesBruni-Tedeschi.

Lafirmeépargnée

Verrouillée de cette façon, c'est peudire que laPlaceBeauvau est un terrainminépourlagauchelorsqu'ellearriveauxaffairesen2012.Lesnouveauxmaîtresdeslieuxsaventbienqu'ils ont tout pouvoir pour faire leménage,mais étrangement,Hollanderechigne à couper les têtes. Rien à voir avec 1981, suite à l'élection de FrançoisMitterrand, où la guillotine chère à l'ancien ministre de l'Intérieur, « RobespaulQuilès »avaitfonctionné.Ouaveclacohabitationen1986,lorsquelePremierministreJacques Chirac avait donné consigne à Charles Pasqua de reprendre le contrôle del'appareilpolicier.Àcetteépoque-là,nonseulementsixdirecteurscentrauxavaientété

remerciéssur-le-champ,maisletableaud'avancementdescommissairessignéparsonprédécesseurPierreJoxes'étaittrouvécarrémentannulé !En2012,sousHollande,troistêtesentoutetpourtoutroulentdanslepanier.Cellede

FrédéricPéchenard,queSarkozyavaitpropulséDGPNseptjoursseulementaprèssonarrivéeàl'Élysée.CelledeMichelGaudin,lepréfetdepolicedeParis,dontl'évictionbrutaleàquelquesmoisde laretraiteseramalvécuepar la troupe.EtenfincelledeBernard Squarcini « l'espion du Président4 », qui a pris en 2008 les rênes du pluspuissant servicede renseignement intérieurque laFranceait jamaisconnu.LaDCRIdevenuedepuislaDGSI,néedelafusionforcéedelaDSTetdesRG,estunemachineconçuesurmesurepourluietpourservir« lafirme »,souslaclochedusecret-défense.CommePèch',« leSquale »tutoieSarkozy,etnaviguedepuistrenteansdanslapolice,maisluidansleseauxtroublesdurenseignement.Si,àlaPlaceBeauvau,aussipeudesarkozystessontpassésparlefildel'épée,c'est

plusparnécessité,amateurismeetimprévisionqueparmansuétudeouvéritablechoix.Les grands flics de laMitterrandie ont vieilli, sans préparer de relève.La gauche abiendanssamanchedejeunescommissairesprometteurs,membresduclubsécuritédela Fondation Jean-Jaurès. Mais parmi eux pas l'équivalent d'un Péchenard, parexemple, capable de s'imposer commenuméro un de la police. PatriceBergougnoux(officierCRSdevenupréfet,puispatrondelapolicesousJoxeetChevènement)dresseàlahâteunelistededixcandidats« sûrs »pourlespostesclefs,à l'intentiondutoutnouveauministredel'IntérieurManuelValls.Laplupartflirtentavecl'âgedelaretraite–l'unamêmerejointdepuispeularubriquenécrologique.« Onn'arrivaitpasà trouverunDGPN, raconteuncaciqueduPS 5.ClaudeBaland,

soixanteetunans,préfetdel'Hérault,c'étaitcequel'onpouvaitfairedemieux,vulescirconstances ! Sans être vraiment à gauche, on savait qu'il serait loyal. » Baland,ancienprofd'histoire,connaîtunpeu lapolicepourenavoirété leDRH,notammentsousDanielVaillant,ministredel'IntérieurdeLionelJospin.Pasvraimentunfoudre,sil'onencroitlesurnomdontcemodesteserviteurdel'États'affublelui-mêmelorsqu'ilsalueuninconnu:« Baland,commelesbras. »Malgré cette déficience en matière de ressource humaine, Hollande va tenter de

reprendrelecontrôledelamaisonpolicemaissanscouperlestêtes.Contrairementàtous ses prédécesseurs depuisMitterrand, François Hollande n'est pas passé par laPlaceBeauvau.C'estunhommed'appareilquipendantdixansaétéPremiersecrétaireduPS. Ilvadonc faire aveccequ'il a sous lamainet cequ'il connaît lemieux : lapetitepolitique.Puisqu'ilnedisposepasdeshommesidoines,ilvaleschercherdanslecampd'enface.MaischezlesennemisdeSarko.C'estdonctoutnaturellementversleschiraquiensqu'ilsetourne.

Desrenfortschiraquiens

Élu deCorrèze, le fief de JacquesChirac, FrançoisHollande a su tisser des liensavecl'ancienPrésidentetsonentourage.LeuralliancesecrètesenourritdeleurhainecommuneenversNicolasSarkozy.Larancœurdeschiraquiensremonteàloin,autempsde la guerre fratricide à droite.En1995, alors qu'il estministre duBudget,NicolasSarkozy a abandonné en rase campagne son mentor Jacques Chirac pour ÉdouardBalladur,quiosedéfier lechefà laprésidentielle.Laplaien'ayant jamaiscicatrisé,JacquesChirac,en2012,seprononcepourHollandecontreceluiqu'ilsurnomme« leNain ».C'estdonctoutnaturellementqueFrançoisHollande,unefoisélu,piochedanslaChiraquie,canalhistorique.Pour placer des hommes fiables à des postes clefs dans l'appareil sécuritaire, des

« flics » chiraquiens sont appelés à la rescousse. Le plus marqué est sans contestePhilippeKlayman.Ce préfet breveté commando chez les fusiliersmarins assurait laprotectiondesmeetingsdeJacquesChiraclorsqu'iltravaillaitpourlaMairiedeParis,avant de devenir à la Place Beauvau le conseiller technique de Jean-Louis Debré,pilierde laChiraquie luiaussi.CetamateurdeChateaubriandquiapourdeviseunephrase extraite desMémoires d'outre-tombe, « Le péril s'évanouit quand on ose leregarder »,atoutdesuitedit« oui »lorsque,quatremoisaprèsl'électiondeHollande,lenouveaupouvoirluiaproposédedevenirpatrondesCRS.Unposteultra-sensibleparcequelemaintiendel'ordreestunematièrepolitiquementexplosive,encoreplussous la gauche. Et puis les CRS ont une autremission, plus confidentielle, celle deprotégerendeuxièmerideaul'intimitéduPrésidentetdesmembresdugouvernement.C'est cette même proximité avec la Chiraquie qui conduit la gauche à nommer

directeur du renseignement territorial Jérôme Leonnet. À cette place stratégique, cetancienconseillersécuritédeDominiquedeVillepinauministèredel'Intérieur,puisàMatignon, a pour mission de redéployer une force susceptible de collecter autantd'infosquelesex-Renseignementsgénéraux.Pendantlestreizemoisdurantlesquelsilaoccupé le fauteuil de Beauvau, l'obsession de Villepin est de compliquer, pour lecomptedeChirac,laviedeNicolasSarkozy,momentanémentenexilàBercy.« AvantdepartiràMatignondanslesbagagesdeVillepin,Leonnetademandéqu'onluiremettedans un dossier noir toutes les procédures judiciaires en cours considérées commesensibles », se souvient un témoin de l'époque à laDirection générale de la police.PouravoirœuvréauxcôtésdeVillepin,Leonnet est expédié,Sarkozyàpeineélu, àl'Inspectiongénéraledelapolice,lecimetièredeséléphants,dontilestextraitparlagaucheàl'automne2014.Samission:ressuscitersousuneautreappellationlesfameuxRG, supprimés en 2008 par Nicolas Sarkozy parce qu'il les soupçonnait d'avoirenquêtésursoncouple.Ildotecenouveauserviced'unbrasarmé,laDivisionnationaledelarechercheetdel'appui(DNRA).Forted'unesoixantainedepersonnes,laDNRAou« D7 »pourlesintimes,estofficiellementchargéedessurveillancesdiscrètesdanslesdomainessensibles.Commedutempsoù,conseillersécuritédeVillepin,ilvoyait

passer les « blancs » des RG, ces notes de renseignement ultra-confidentiellesanonymes, Leonnet nourrit la curiosité duChâteau avec des notes « qui n'ont jamaisexisté »surdessujetspolitico-financiers.NuldoutequeJérômeLeonnetn'apasétésurprisdevoirarriverenjuin2014Jean-

MarcFalconeàlatêtedelapolicenationale.Cetanciencommissairedevenupréfetaété l'adjoint d'Alain Juillet, le « Monsieur intelligence économique » lors du secondmandat de Jacques Chirac. « À l'époque, Alain Juillet ne faisait pas que del'intelligenceéconomique,affirmeuncommissairedepolicealorsauxpremièreslogespour compter les coups échangés entre Sarkozy et Villepin. Il animait une discrètecellule de quatorze personnes, codirigée par un ancien chef de cab' d'un patronsocialistedesRG,puisdelaDST,quitravaillaitaussisurlessourcesdefinancementdeNicolasSarkozy6. »Cedernier avaitdéjà lesyeux rivés sur l'Élysée.Unecelluleauraitainsiœuvrésurl'affaireClearstream,cefameuxlistingtruquésurlequelfiguraitunfauxcomptedeNicolasSarkozyauLuxembourg.Sarévélationdevaitl'empêcherdeprendre la tête de l'UMP avec son trésor de guerre de 33millions d'euros, puis debriguer l'Élysée.Lechantieraéchoué.AlainJuilleta jurésesgrandsdieuxn'yavoirparticipénideprèsnide loin.Aux jugesqui l'auditionnaienten2006sur lesujet, ilaffirmait s'être « saisi tout seul » d'une enquête sur Clearstream et n'en avoir jamaisparléàDominiquedeVillepin,dontildépendaitdirectement7...QuantàFalcone,sonancienbrasdroit,iln'ajamaisétéinterrogéparlesjuges.

Uncabinetnoiranti-Sarkozy ?

Le retour aux affaires de ces chiraquiens nourrit bien évidemment le soupçonsarkozystedel'existenced'uncabinetnoir.Iln'estpaspossibled'enapporterlapreuveformelle. Comme il n'est pas possible de prouver le contraire ! Mais l'additiond'indices troubles et de témoignages étonnants interroge. Plusieurs observateurs bienplacés dans l'appareil policier nous ont ainsi décrit par le menu l'existence d'unestructureclandestine,auxramificationscomplexes,etdontlerayond'actionneseseraitpas cantonné au seul renseignement territorial. « Les sarkozystes n'ont rien vu venir,persuadésquelescoupspartiraientforcémentdecheznous,oùilspensaientavoirmissuffisammentdeclochettespourêtreprévenusàtemps »,confieunofficierdelaDGSI8quialongtempsroulésabosseàlaDST.Pour orchestrer les affaires judiciaires il existe une mécanique complexe aussi

efficacequeredoutable.Hollandeasuentirerprofit.D'abordilyaTracfin,leservicederenseignementfinancierdeBercy,leministèrepilotéduranttoutlequinquennatparMichelSapin,unamidequaranteansduPrésident.LaplupartdesaffairesjudiciairesquiontempoisonnéSarkoetlessiensonttrouvéleursracinesici,danscetimmeubleultra-sécurisé du 9e arrondissement de Paris, entièrement classé secret-défense. Là,

centvingtfonctionnairessonthabilitésàfourrerleurnezdanslescomptesenbanqueden'importequi.Chaquesemaine,lepatrondeTracfinprendlechemindel'Élyséepourassister,aveclesdirecteursdessixautresservicessecrets,àlaréunionorganiséeparle coordinateur du renseignement. Ce poste, occupé un temps par Didier Le Bret,compagnon deMazarine, la fille de FrançoisMitterrand, est désormais assumé parYannJounot.Cepréfetsocialiste,spécialistedurenseignement,exerçaitprécédemmentsestalentsàlatêtedesHauts-de-Seine,leberceaudelaSarkozie,uneplaceôcombienstratégique permettant de surveiller la droite. Afin d'allumer la mèche d'une affairepolitico-financière, ilsuffitqueTracfinpêcheaubonendroit, remontedanssesfiletsune infraction, et la transmette officiellement à la justice. Ou officieusement à unservice enquêteur qui se chargera de mener « une enquête d'initiative » avant qu'unmagistratnelareprenneàsoncompte.Unefoislamachinelancée,ledossieremprunteunalambicjudiciaire,sousleregard

d'unautreamiduPrésident,ledirecteurdesaffairescriminellesetdesgrâces,RobertGelli,quiapartagélamêmechambréequeFrançoisHollandeetMichelSapinlorsdeleur service militaire. Après l'élection de 2012, cet ancien conseiller de Jospin àMatignonesttoutdesuitepromuchefduparquetdeNanterre,danslesHauts-de-Seine.D'où il dégoupille quelques grenades contrePatrickBalkany, le copain d'enfance deNicolas Sarkozy. Lorsqu'il dirigeait l'association des procureurs, Gelli en avait faitl'arme de guerre des « petits pois 9 » contre Sarkozy, déclenchant même une pétitionchez les parquetiers – une jacquerie sans précédent. Il avait à cette époque commeadjointauseindel'associationBrunoDalles,l'actuelpatrondeTracfin.

Unearméemagistrale

DepuislaDirectiondesaffairescriminellesetdesgrâces(DACG),véritabletourdecontrôledelaPlaceVendôme,Gellipeutsuivreentempsréell'avancementdetouslesdossierspolitico-financiers.« LaDACGn'estpasseulementl'œildelaChancellerie,c'est aussi un moyen de piloter discrètement les dossiers politiquement sensibles »,allègue un parquetier. Une pratique assumée par la Chancellerie 10. Sur le papier,pourtant, c'en est fini de l'ère Sarkozy : il n'y a plus d'« affaires signalées », cesdossiersquelepouvoirexécutifsurveilledeprèsetsurlesquelsilintervientautantquedebesoin, par le biais d'« instructions individuelles » adressées auxmagistrats. « Enfait, les choses se font plus subtilement, par exemple, sur l'opportunité d'ouvrir uneinformationjudiciaire,desconsignessontdonnées...maisoralement »,nouspréciseunmagistrat11.Chaquefois,cesont lesmêmesjugesd'instructionquisontdésignéspourlesaffairesquiintéressentleChâteau.Ilssontmoinsdecinq,dontonretrouvelenomdanstouslesdossiersquiconcernentSarkozy.Deshabituésdelaméthodedespoupéesrusses.

Prenez l'affaire Air Cocaïne. Tout commence en mars 2013, par l'arrestation enRépubliquedominicainedepilotesfrançaissoupçonnésdeconvoyerdelapoudre.Endécortiquantlescarnetsdevoldel'appareil,lajugemarseillaisechargéedel'enquêtes'aperçoitquel'avionaété louétroisfoispar lebusinessmanStéphaneCourbit,pourconvoyer sans bourse délier son ami Nicolas Sarkozy. Les deux hommes avaientprojetéuntempsdemonterensembleunfondsd'investissementpourgrandesfortunes.À partir de cette découverte, la juge fait « une incidente ». En clair, elle ouvre unnouveaudossiervisantCourbitetSarkozypour« abusdebienssociaux ».L'accusations'estsoldéeparunnon-lieuenseptembre2016.Maispourlesbesoinsdesonenquête,la juge a fait géolocaliser pendant un an les deux portables de l'ex-président de laRépubliqueetapurécupérerses« fadettes »: lesfacturesdétailléesfourniesparlesopérateurs,lelistingdetoussesappelsentrantetsortant.Maladresseayantalimentélathéoried'uncomplot:lajugeestfaitechevalierdelaLégiond'honneurenavril2014.Ces magistrats qui additionnent les affaires sur le clan Sarkozy sont eux-mêmes

alimentésetépaulésparunepoignéed'officiersdepolicejudiciaire,laplupartenposteàl'Officecentraldeluttecontrelacorruption,lesinfractionsfinancièresetfiscales,quifut un temps piloté par Bernard Petit, un fidèle de Manuel Valls quand il était àl'Intérieur 12.Uneméthodeàl'efficacitééprouvéesousChiracafindesedébarrasserdesadversaires.C'estainsiqueCharlesPasqua,dontlacandidatureàl'électionprésidentiellede2002

compromettait potentiellement les chances duCorrézien, futmis hors d'état de nuire.SixmoisaprèsavoirétéinvestiparsonmicropartileRPF,Pasquaestopportunémentrattrapé par la justice. Le 5 juillet, l'avocatAlainGuilloux est perquisitionné parcequ'onlesoupçonnedeblanchimentàl'occasiondelaventedel'undesesappartements.L'affaire ferapschitt, puisqueGuilloux bénéficiera d'un non-lieu.Mais cette histoiresonneledépartdesdéboiresjudiciairesdePasqua.Eneffet,lorsdeladescentedanslecabinetdufiscaliste,lespoliciersmettentlamainsurledossierdel'undesesclients,lemilliardaire russeArcadiGaydamak.Une « trouvaille » qui va permettre d'ouvrirunenouvelleenquête:l'Angolagate,cesventesd'armesversl'AngolapourlesquellesPasquaest soupçonnéd'avoir touchédes rétro-commissions.« Ons'est servidemoi,racontel'avocat13.Envenantperquisitionnermoncabinet,lejugeavaitdéjàenlignedemire Charles Pasqua. Yves Bertrand, le directeur des RG, qui roulait pour Chirac,comme le juge et les policiers avaient soufflé au magistrat qu'il trouverait dans ledossierGaydamak des pièces intéressant le financement de la campagne de Pasqua.Comme ces pièces étaient couvertes par le secret professionnel, il fallait, pour lessaisir,m'impliquerdansundélitfantaisiste. »L'enquête sur l'Angolagate débouche sur des perquisitions au siège du RPF et au

conseilgénéraldesHauts-de-Seine,alorsprésidépar« MôssieurCharles ».Làencore,les policiers ont la main heureuse. Ils tombent sur une reconnaissance de dette qui

enclenchel'ouvertured'uneautreinformationjudiciairecontrelemaîtredecéans.Cettefois,c'estlefinancementdesacampagneeuropéennequiestvisé.Troissemainesavantlepremierrounddelaprésidentielle,Pasquafinitparjeterl'éponge,encombréparsescasseroles judiciaires. Prétexte invoqué : il assure ne pas avoir le nombre deparrainagessuffisant,alorsquesalisteafait13  %auxprécédenteseuropéennes.Plustard,Pasquaconfiera:« Cequejesais,c'estquemesennuisontcommencéen2000.Quandj'ailaisséentendrequejeseraispeut-êtrecandidatàlaprésidentielleen2002.Dès lors,ona tout faitpourm'abattre. »JacquesChiracaeffectivementeu lechamplibre,assurédebattreLionelJospinaupremiertour,puisdel'emporteraufinalcontreLePen.

Undérapageverbalincontrôlé

« Sarkozy, je le surveille, je sais tout cequ'il fait », fanfaronne lePrésidentdevantdix-neuf députés socialistes qu'il reçoit, le 17 février 2014, à l'Élysée. « Hollande atoujoursvoulugarderunœilsursesennemisetmêmesursesalliésdecirconstancequipourraient devenir ses adversaires », prévient en écho un éléphant socialiste 14 qui apratiquéà sesdépens l'ancienPremier secrétaireduPS.Un« alliédecirconstance »commeAlainJuppé,fidèledeChiracs'ilenest ?FrançoisHollanden'a-t-ild'ailleurspasnomméAugustindeRomanet,undessoldatsdumairedeBordeaux,àlatêtedel'undesplusgrosfromagesdelaRépublique:ParisAéroport15.Est-cepourgarderunœilsurluiqueHollandeyaégalementplacél'ex-préfetdeCorrèzeAlainZabulon,anciencoordinateur national du renseignement ? Un homme en qui le Président a touteconfiance,etqu'ilasuggéréàAugustindeRomanetcommedirecteurdelasûreté.LesproposimprudentsdeHollandesurlasurveillancedeSarkozy,BrunoLeRoux,le

patrondugroupePSàl'Assembléenationale,s'estaussitôtempressédelesdémentir:« Leprésidentde laRépubliquen'écouteninesurveillepersonne ! »Celuiquin'étaitpasencoreministredel'Intérieuravaitsansdouteencoreàapprendre,dumoinssil'onencroitunvieuxroutarddelaPJ 16:« Quandonbrancheunepersonnalité,onsaitquelesinfosrécoltéesnepartentpastoujoursuniquementaubureaudujuge.Ellespeuventaussi nourrir des “blancs”. On sait que notre hiérarchie va faire remonter cesinformations enhaut lieu.C'est unepratiquequi a toujours existé... »Lui comme sescollègues, manifestement rompus à ces méthodes, ne croient pas une seconde auscénario servi par l'Élysée, selon lequelFrançoisHollande aurait découvert lamisesur écoute de Nicolas Sarkozy en lisant le journal Le Monde. Pas plus qu'ilsn'imaginentunManuelVallslaissédansl'ignorance.À la Chancellerie, pour tenter de couper court à toute rumeur sur un pilotage des

écoutesdeSarkozyparlepouvoir,ChristianeTaubiratient,enurgence,le12mars,uneconférence de presse. La garde des Sceaux jure n'avoir jamais eu la moindre

informationsur« ladate,ladurée,lecontenudesinterceptionsjudiciaires »deNicolasSarkozy.Las,lesdeuxdocumentsqu'ellebranditdevantlescaméraspourfairemontrede sabonne foi la contredisent ! Ils établissentque laministre était tenue au courantdepuisaumoinstroissemainesdesdétailsdel'enquête !L'opérationdéminagevireauridicule.Un flagrant délit de mensonge destiné à protéger l'Élysée ? Difficile en tous cas

d'imaginer que, place Vendôme, personne n'ait eu l'idée de mettre au parfum leChâteau... Quant à la Place Beauvau, elle est nécessairement dans la boucle dès ledépart,puisquecesontlesfameuxpoliciersdelaDivisionnationaledel'investigationfinancière et fiscale devenue l'Office central de lutte contre la corruption, lesinfractionsfinancièresetfiscales,quiontbranchélestéléphonesdel'ancienPrésident,puisretranscritsesconversations,toutenlegéolocalisantentempsréel.

Tactiqueet« toc »

Question :comment leportablecachédeSarkozy, le« toc »,commeonditdansunjargoncommunauxflicsetauxvoyous,a-t-ilétérepéré ?QuandThierryHerzogachètedans une boutique SFR, à Nice, deux puces téléphoniques prépayées, avec la carted'identitédel'undesesancienscopainsdelycée,PaulBismuth,lesdeuxhommessontpersuadés d'avoir parfaitement sécurisé leurs communications secrètes d'autant qu'ilsn'utilisent ces lignes que pour échanger entre eux. D'où la sidération de l'avocat,lorsquedespoliciersseprésententàsondomicileà la recherchedu tocenquestion.« Lescollèguesluiontordonnédeprésentersestéléphones.Illeurenadonnédeuxoutrois. Ils ont demandé s'il en avait un autre. Herzog a répondu “non”. Ils ont alorscomposélenumérodutéléphonedeBismuth,quis'estmisàsonnerdanslapochedesonpeignoir.L'avocatétaitlivide... »,raconteavecgourmandiseunofficierdelaPJdeNanterre 17. Ce qui aurait mis la puce aux oreilles des enquêteurs, c'est la soudainebanalitédesproposdeNicolasSarkozysurlesdeuxlignestéléphoniquesenregistréesàsonnomquiétaientsurécoute.« Savoirque lapersonne“branchée”utiliseaussiun tocestunechose, identifier le

numérocachéenestuneautre,ajoutenotreOPJ.Onpeuttoujoursfaireunerequêteàl'opérateurpourregarderquelssontlesautresnumérosquiaccrochentsurlabornedutéléphone blanc, l'officiel.Mais le plus simple est d'utiliser un IMSI-catcher. »Desappareils dissimulables dans un sac à dos ou une valise qui, en imitant lefonctionnement d'une antenne relais de téléphonie mobile, avalent à distance lescommunicationsde tous lesportablesqu'ils identifienty compris enmodeveille.LaplupartdesIMSI-catcherssontendotationà laDGSIetà laDGSE: lesespionsdesdeuxservicessecretsenpossèdentaumoinsunedouzaine.

Mauvaisjoueur

Danslagalaxiesarkozyste, ilenestunautreàavoirfait lesfraisdel'arrivéedelagaucheaupouvoir.FrançoisHollanden'a jamaisappréciéBernardTapie.Pasmêmelorsqu'il était ministre d'un gouvernement de gauche. Et surtout pas lorsque, auxélectionseuropéennesde1994,lalisteconduiteparleradicaldegauchefaitjeuégalavec celle des socialistes. Sous la présidence de Hollande, Tapie aggrave son casquand il achète le groupe de presseLa Provence. Hors de question de laisser l'ex-mitterrandolâtredevenusarkozystepesersurlaviepolitiquemarseillaise.Coïncidenceoupas, aumomentoùTapie échafaudedesplanspourmettre lamain sur lepôledepresse,leparquetdeParisouvreuneinformationjudiciairecontrelui.Lesmagistratslesuspectentd'avoir,souslequinquennatdeNicolasSarkozy,profitéd'uneprocédured'arbitragetruquéepourrécupérer240millionsd'eurosdanslebrasdeferquil'opposedepuisvingtansauCréditlyonnaissurlerachatd'Adidas.L'ancienministreseretrouvemis sur écoute, placé en garde à vue pendant quatre jours, et écope d'une mise enexamen pour « escroquerie en bande organisée ». L'« affaire Tapie » éclabousse laSarkozie.ClaudeGuéant,soupçonnéd'avoirtirélesficellespourinfluencerl'arbitragelorsqu'ilétaitsecrétairegénéraldel'Élysée,estàsontourperquisitionné.Àl'occasiondecettedescentemenéeparle jugeTournaire, lespolicierssaisissentdesfacturesetdesdocumentsbancairesqui font aussitôt écloredeuxnouveauxdossiers judiciaires.Encoreettoujoursceprocédédespoupéesrusses...Premièreaffaire:celledite« destableaux ».Lepréfetretraitéetreconverticomme

avocat sevoit reprocherd'avoir perçudansdes conditions suspectesunvirementde500 000eurosqu'ilacrubondejustifierparlaventededeuxmarines,bienau-delàduprixdumarchépourdeuxcroûtes.Secondeaffaire : celledes« fraisd'enquêteetdesurveillance 18 ». Guéant est carrément accusé d'avoir, lorsqu'il était ministre del'Intérieur, piqué dans la caisse normalement prévue pour couvrir les dépenses desenquêteurs sur le terrain. Une ponction dont il s'est servi pour s'équiper enélectroménager !Unespritmalintentionnépourraitrésumerl'affaireainsi:d'unepierretroiscoups,le

bouletdecanontirécontreBernardTapieauraaussidéstabilisél'ancienneministredel'ÉconomiedeNicolasSarkozy,ChristineLagarde,renvoyéedevantlaCourdejusticede la République (CJR), pour son rôle supposé dans l'arbitrage. Fin 2016, lajuridictioncomposéedemagistrats etparlementaires la reconnaît coupable...mais ladispense de peine, juste aumoment du déclenchement des hostilités électorales. Unjugementquidonneàlagauchel'occasiondeplaiderpourl'abolitiondelaCJR.UnepromessenontenuedeHollande...

Lesrescapésduquinquennat

Àladifférencedetousceux-là,deuxéminencesdelaSarkoziedonnentlesentimentd'avoirétémiraculeusementépargnéesparlespoursuitesjudiciaires.Premièred'entreelles : Jean-Louis Borloo. L'ex-ministre des Finances semble d'ailleurs bénéficierd'unecertaineprotection.Safondationpourl'Afriqueatrouvérefugedansdeslocauxdel'Élysée...Dansl'affaireLagarde-Tapie,malgrélamiseenexamendesondirecteurde cabinet, il ressort blanc comme neige d'un interrogatoire avec la PJ. De même,Borloon'ajamaisétéinquiétédansl'histoireÉcomouv',alorsquec'estluiqui,entantqueministrede l'Écologie,a initié lecontrat.Pourprèsd'unmilliardd'eurosparan,l'Étatsoussahouletteavaitconfiéàunesociétéprivéelacollectedel'écotaxe,viadesportiquesélectroniquesinstalléssurlesroutes.Aprèslaplainted'undéputéécologistequijugelanotefaramineuse,lajusticeestcontrainted'ouvriruneenquêtepréliminaire.Unpeuplustard,dansuneétonnantevalse-hésitation,leprocureurRobertGelliclassel'affaire avant de la rouvrir. Depuis, les magistrats semblent s'être endormis sur cedossier.Montantdelafacture:unmilliardd'euros.Enpureperte.LesportiquesayantétédémontésaprèsqueSégolèneRoyalarenoncéàl'écotaxesuruncoupdetête.De bien mauvais esprits ont beau jeu de relier la baraka judiciaire de Borloo au

souhaitdeHollandedelevoirperturberàsonprofitlejeuaucentre.C'estlathéoried'unmagistrat19:« LeChâteauestpassémaîtredansl'artdepousserouralentirlefeusouslescasserolesjudiciaires.Pourenterrersansclasser,ilsuffitdedonnerconsignedecontinueràcreuserenpréliminaireadvitamæternam.Danscecas,ledossierrestesouslecontrôledirectdelaChancellerie.Etpuis,silesenquêteurss'avèrentêtredesbrascassésplutôtquedescadors...c'estl'enterrementdepremièreclasseassuré ! »AutrechanceuxduquinquennatHollande:DominiquedeVillepin.CertesSarkozy,un

temps, voulait pendre son rival « à un croc de boucher ». Mais, depuis, les deuxhommes se sont rabibochés grâce à l'intermédiaire du sulfureux homme d'affairesAlexandreDjouhri.Villepin,ancienPremierministredeChirac,membredelapromoVoltaire, a échappé, sous Hollande, à une mise en examen pour « subornation detémoins » dans une affaire d'escroquerie et d'abus de confiance, dont le principalaccuséest l'undesesmeilleursamis.Ledossier« Relais&Châteaux »quiavaitétéinitiéàlafinduquinquennatSarkozyestaupointmortdepuiscinqans.Lorsqu'enmars2015,sonlibraireparisienaétémisenexamendansuneautreaffaired'« escroquerieenbandeorganisée »etde« blanchimentdefraudefiscale »,Villepinadûs'épongerlefront.Pourtantlesenquêteursn'ontpascrubond'entendrecebibliophileaviséqui,cesdernièresannées,aempoché5millionsd'eurospour laseuleventedeses livres.Demême qu'aucune des procédures dans lesquelles Villepin apparaît à l'étranger nesemble susciter la curiosité desmagistrats français.À l'inverse, en septembre 2016,deuxmoisavantlesprimairesàdroite,DDVétaitentenducommetémoindansl'enquêtesurunpossiblefinancementlibyendelacampagnedeSarkozypourlaprésidentielle.

Un témoignage à charge contre l'ex-Président, avaient alors persiflé les mauvaiseslangues.Preuve de l'attachement du clan Hollande pour Villepin, en 2012, au début du

quinquennat, enmanquedepersonnesdeconfiancedans lapolice, lePrésident avaitdiscrètementsollicitél'ex-Premierministrepourqu'illuifournissedesnoms.Le constat est rude : l'impréparation, la méconnaissance de l'appareil policier et

judiciaire ainsique les circonstancesont trèsvite amenéFrançoisHollandeà renierses principes et adopter des méthodes qui n'ont rien à envier à celles de sesprédécesseurs.

1.Enpremièreinstancele9juillet2015etdevantlaCourd'appelle24mars2016.2.Voirl'organigrammedesServicesdesécuritéfrançais.3.Lirelechapitre« Au36edessous ».4.Cf.OliviaRecasens,DidierHassouxetChristopheLabbé,L'EspionduPrésident,RobertLaffont,2012.5.Entretiendu14juin2016.6.Entretiendu19février2015.7.AlainJuilletn'ajamaisétémisencausedansl'affaireClearstream.Iln'aétéentenduquecommetémoin.8.Entretiendu24novembre2016.9.Expressionpéjorativeemployéeenoctobre2007parNicolasSarkozypourdésignerlesdifférentsjugesqui« se

ressemblaienttous »etenquêtaientsurlui.10. Cf. « Comment l'exécutif intervient dans les affaires judiciaires », J'essaime, Journal du syndicat de la

magistrature,15novembre2010.11.Entretiendu30octobre2014.12.Lirelechapitre« Au36edessous ».13.Entretiendu8février2008.14.Entretiendu7juin2016.15.AnciennementAéroportsdeParis,ADP.16.Entretiendu14avril2015.17.Entretiendu27mars2014.18.ClaudeGuéantaétécondamnéle23janvier2017àdeuxansdeprisondontunfermedanscetteaffaire.Un

pourvoiestencours.19.Entretiendu30octobre2014.

2

Vallsdansleviseur

Àl'époqueoùFrançoisHollanden'apasencorerenoncéàêtrecandidatàsapropresuccession, un autre rival potentiel que Sarkozy est dans son collimateur : ManuelValls. Le chef de l'État ne va pas se priver de brider les ambitions de son Premierministre.Le5septembre2014,SébastienGrosetSergeKasparian,attablésauCaméléon,un

bistrotchicde la rivegaucheparisienne,nesedoutentpasunseul instantqu'ils sontphotographiés au téléobjectif.LespoliciersdesCourses et Jeuxqui immortalisent lascènesaventqueleursclichésvontfairedate.LechefdecabinetduPremierministreManuelVallsestsurprisengrandeconversationaveclepatrondel'undescerclesdejeuxparisiensvisésparuneopérationmainspropres.SébastienGros,trente-cinqans,est l'homme de confiance deValls. LeGardois avait déjà lesmêmes fonctions à lamairie d'Évry, puis à l'Intérieur. Ce préfet barbu plutôt beau gosse gère notammentl'agenda du « PM », l'organisation de ses déplacements. De ce fait, il est en lienpermanent avec la préfectorale et les services de police.Ce jour-là, il rencontre undrôledezigoto.SergeKasparian,lacinquantaine,silhouettemassiveetvisageburiné,dirige le cercleCadet, un établissement de jeuxdunordparisienoù l'argent coule àflots. Dans l'ancienne Bourse aux pierres précieuses, voisine du Grand Orient deFrance, les clients s'adonnent frénétiquement au poker et au punto banco. Le « beauSerge »estàlatêted'unbusinessflorissant:outreleCadetetsonrestaurant,ilpossèdedeux brasseries à Paris et un autre établissement à Aix-en-Provence. Il vient aussid'investirdans leclubde footdeNîmes,où il aplacéunde ses filsgardiendebut.C'est à la fin de l'année 2009 que « l'Arménien » a repris le cercle Concorde, qu'ilrebaptise aussitôt « Cadet », donnant à croire qu'il tournait la page des précédentspropriétairesliésàdesclansmafieuxcorses.Uneillusion,sil'onsefieauxenquêtesencours.CarKasparian apparaît bien vite aux yeux des limiers desCourses et Jeux comme

l'indignehéritierdespratiquesprécédentes.Soupçonnédenepasdéclarer toutes sesrecettesetd'alimenterenargentproprelapègrecorse,ilestsouslecoupd'uneenquête

ouvertepour« extorsionenbandeorganisée,abusdeconfiance,blanchimentenbandeorganiséeetassociationdemalfaiteurs ».Etavec lui, indirectement,apparaîtdans ledossier l'hommedemain deValls, supporter duNîmesOlympique – sans doute parcalculélectoral–etpréfetdesurcroît.Cette enquête ne doit rien au hasard. Voilà trois ans déjà que Kasparian a été

interpelléparlesdouanes,alorsqu'ilportaitsurluiunetrèsgrossesommed'argentenliquide.Officiellement,c'est lelégendaireflairdesgabelousquiapermisce« saute-dessus ».En fait, laDirectionnationaledu renseignement etdes enquêtesdouanières(DNRED)luifilaitletrain.Cetteunitéd'éliteestrattachéeauministredel'Économie,Michel Sapin, le vieux copain de Hollande, on l'a vu. Selon ses investigations, lelimonadier n'est qu'un hommede paille tenu par lemilieu corse. Il n'a aucun revenudéclaré,nepossèderien,pasplussesbrasseriesquelemagnifiqueryadquiluisertdepied-à-terreàMarrakech.L'interrogatoireestserré.Kasparian,souspression,finitparlâchercequelesdouanierssaventdéjà.Chaquemois,ildoitremettreàunmystérieuxCorse200 000eurosenliquidepuisésdanslacaissenoireduCadet.LaDNREDmetauparfumlesflicsdesCoursesetJeuxdelapolicejudiciaire.Ceserviceétaitrattachéaux Renseignements généraux jusqu'à leur dissolution, en 2008. C'est d'ailleurs unanciencommandantdesRGquivarécupérerletuyaudesdouanesethabillerl'histoireauprèsde la justice :quelquesmoisplus tôt,sonserviceareçuun« renseignement »anonymefaisantétatdepossiblesmalversationsetd'uneéquipedemalfaiteurscorsesquidirigeraitensous-main lecercle.En toute logique, leparquetdeParisouvreuneenquêtepréliminairele28décembre2012.

Suspicionsausommet

Six mois plus tard, l'embryon de dossier est transmis à Serge Tournaire. Ce juged'instruction est apprécié à l'Élysée pour son opiniâtreté dans les affairesmettant encause Sarkozy. Star du pôle financier, il est l'un des premiers à découvrir lessurprenantesphotosdeSébastienGrosmaisaussiàentendrecequiseditaucoursdudéjeuner.LesCourses et Jeux, qui avaient placéKasparian sur écoute, avaient eu letempsdesonoriserlelieuderendez-vous.AuCaméléon,lepropriétaireduCadetfaitpart de ses craintes de devoir mettre la clef sous la porte. Après des scandales àrépétion concernant d'autres établissements dumême type, le ministre de l'Intérieur,Bernard Cazeneuve, envisage sérieusement d'interdire toutes les salles de jeuxfonctionnant sous formed'association.Pour tenterde convaincre son interlocuteurdeplaider sa cause en haut lieu, Kasparian parle d'emplois générés, d'attractionstouristiques,etc.Lechefdecab'réclamealorsunpetittopoécritsurlesujet.Commeconvenu,quarante-huitheuresplustard,SergeKasparians'empressedeleluiapporterdirectement à Matignon. Le plaidoyer du limonadier ne sert à rien. Le Cadet est

perquisitionné,quinzepersonnesplacéesengardeàvueetSergeKasparianenvoyéenpréventivedèsoctobre.À laDirectiondesaffairescriminellesetdesgrâces,RobertGelli,prochedeHollande,suitavecattentionledéroulédesévénements.Silavolontédel'Intérieurestdenettoyerlescerclesdejeux,considérésàjustetitre

comme des lessiveuses à argent sale, l'Élysée y voit sûrement un autre avantage.Certains réseaux corses sont en effet soupçonnés d'alimenter par ce moyen une ouplusieurs caisses noires pour la droite. Les douanes ont, en effet, repéré un énormecircuit frauduleux de rapatriement d'argent passant par la Corse, avec des jetons decasino. Ces derniers, prélevés dans des cercles parisiens, sont monétisés dans desétablissements cousins en Afrique. Et puis, avec cette opération main propres, quitoucheunprocheconseillerdeManuelValls,l'Élyséedoublelamise.L'entourage deManuel Valls en est pour sa part totalement persuadé : le Château

fomente des coups bas. Comme cette fâcheuse rumeur d'une liaison entre le chef dugouvernement et sa ministre de l'Éducation qui alimente les conversations dans lessallesderédaction.L'amiStéphaneFouksestillicoappeléàlarescoussepouréteindrel'incendie médiatique. Le pape de la communication de crise, patron de HavasWorldwide,ex-EuroRSCG,estuncopaindefacduPremierministre.C'est lemêmequi joue le pompier volant, lorsque l'épouse de Manuel Valls, Anne Gravoin, estépingléedansL'Obs 1.Unarticledécritlesconditionsdefinancementdel'orchestredela jeune femme par un curieux attelage : un mystérieux homme d'affaires algérienreprésentant en France un conglomérat koweïtien, unmarchand d'armes sud-africain,quiprésideleplusgrandgrouped'armementducontinent,etl'hommedeconfianceduprésident congolais Denis Sassou-Nguesso, un ancien de la Françafrique décoré encatiminidelaLégiond'honneurparManuelValls.DanslescouloirsdeMatignon,onfait remarquer aux curieuxque cette enquête à charge a été conduite par une sociétéd'intelligence économique proche de l'Élysée, qui travaille en sous-main avec laDGSE...

Desinfiltrésaugouvernement

Parcequ'ilconnaîtlaviolencedelapolitique–pourlui-mêmelapratiquer–etafindetenterdeparerlescoupsvenusycomprisdeproches,ManuelVallss'estorganiséafinqueriennepuisseluiéchapper.L'informationest,estime-t-il,sameilleurearme.CommesonprédécesseurSarkozy,letoutnouveauministredel'Intérieuren2012veut,en s'asseyant dans le fauteuil placeBeauvau, devenir à son tour « l'homme lemieuxrenseigné de France ».Grâce à la complicité intéressée de l'ami Fouks, il tisse unevéritable toile d'araignée d'informateurs au cœur de l'appareil d'État. De Bercy àMatignon, en passant par la Défense, la Culture ou les Affaires étrangères, les« infiltrés » de Havas au service de Valls sont partout. Ce qui n'empêche pas le

ministre, au déclenchement de l'affaireCahuzac, le 4 décembre 2012 2, de jurer qu'iln'étaitaucourantderien.Plusieursélémentspermettentd'endouter.D'abord,VallsetCahuzac se fréquentent depuis belle lurette : rocardiens, puis jospinistes et enfinstrauss-kahniens,ilsontbiberonnéàlamêmesocial-démocratie.Ensuite,commeValls,Cahuzac est proche de Fouks. C'est une conseillère formée chez Havas qui sedécarcassera pour convaincre la presse que les accusations visant le ministre duBudget sont pure invention. Le 2 avril, lorsque Cahuzac est contraint de passer auxaveuxpublics, alors qu'il affirmait quelquesmoisplus tôt « les yeuxdans les yeux »faceauxparlementaires,n'avoirjamaiseudecompteenSuisse,c'estuneautrecréaturede Fouks qui l'aide à mettre en scène ses confessions. Plus tard, la même AnneHommel, qui avait déjà œuvré pour DSK, fournira de précieux services à Valls àMatignon.Lorsquelatroupedecommunicantsnesuffitpas,unearméedeflicsfaitmouvement.

« Sous Sarkozy, notre patron, Bernard Squarcini, avait déjà l'info sur le compte deCahuzac au printemps 2012 », nous assure un officier alors en poste à la Directioncentrale du renseignement intérieur.C'est cemême service qui, deux jours après lesrévélations de Mediapart sur cette affaire, authentifie l'enregistrement de JérômeCahuzac. Une note blanche est établie, enrichie des informations de la DirectioncentraledelaPJquidisposed'unbonindicdanslemilieubancairesuisse.Elleseraitparvenue sur le bureau de Valls. Pourtant, le ministère de l'Intérieur, dans uncommuniquétricotéparlespetitesmainsdeFouks,assure:« Enaucuncasiln'yaeud'enquêteparallèle,niavantnipendantcellemenéedepuis le8 janvier2013sous ladirectionduprocureurdelaRépubliquedeParis. »

Court-circuitàrépétition

Latoiled'araignéetisséeparleduoFouks-VallsdevientviteintolérablepourlechefdugouvernementJean-MarcAyrault.« Unjour,lePremierministreatapédupoingsurla tableetconvoquélepatrondeHavas,sesouvient l'undesesanciensconseillers 3.Uneengueulademémorable. »AyraultvoyaitdesespionsdeVallspartout.Entrel'ex-mairedeNantesetceluid'Évry,lecourantn'estjamaispassé.AupointqueMatignonse permettait de passer commande à certains services de police sans en aviserBeauvau. Cela aurait été le cas fin 2012, quand le Premier ministre s'est faitsévèrementetplusieursfoistaclerparunsénateurPC,ilauraitcommandéuneenquêtesurl'impertinentpourluitrouverdescasseroles.Leconseillersécuritéd'Ayrault,Jean-MarcFalcone,chargédefaireexécuterlabesogne,seraitrentrébredouille.ToutcommeAyrault,HollandedétestelepatrondeHavasWorldwide.Audébutde

sonmandat, il donneconsignede« purger les cabinets »des réseauxFouks.Enpureperte.Faut-ilyvoirunlien ?Enfévrier2014,uneescouadedepoliciersdelapolice

judiciairedébarqueausiègedeHavasàPuteaux.Ilssedirigentaussitôtverslebureaud'un certain Jean-PhilippeDorent, le « MonsieurAfrique » de Stéphane Fouks, pourune perquisition en règle. Deux ans plus tôt, une enquête pour « corruption d'agentpublic étranger » a été lancée à l'encontre d'un exploitant de casinos en Afrique, laPefaco. C'est Tracfin qui est à l'origine de ces investigations : dans un documenttransmisàlajustice,deuxmoisaprèsl'électiondeHollande,figurelenomdeDorent.Celui-ci conseille en direct plusieurs figures de la politique africaine. Chefs d'Étatretraités,présentsouàvenir.C'estnotamment le casde l'actuel chefd'ÉtatduMali,Ibrahim Boubacar Keïta, que Manuel Valls a fréquenté à l'Internationale socialiste.KeïtaaaussisouventcroisélechemindeFrancisPérez,lepatrondelaPefaco.« Cetteaffaire,c'estuncoupdebillardàplusieursbandes,selonunhautgradédela

police judiciaire 4 rompu aux affaires politico-financières. D'abord, cela permet auChâteaudefairepressionsurIBK.LaFranceabesoinduMalidanssaluttecontrelesterroristes.Cette enquête est unemanière de lui faire savoir qu'il n'a aucun intérêt àtrahir.Ensuite,ellepermetdefairesavoirqueVallsestaussidansleviseur. »

Unecibleidéale

LorsdecettemêmeperquisitionchezHavas,lejugeSergeTournairemetlamainsurdesdocumentssusceptiblesd'ouvrirunenouvelleenquête« incidente »surlesaffairesafricainesdeBolloré.Le8avril2016,lemêmemagistratdébouleainsisanscoupférirau domicile et dans les bureauxdeVincentBolloré.Le groupeHavas aurait, par unhabilelobbying,facilitél'octroiàBolloréAfricaLogisticsdesconcessionsportuairesdeLoméetdeConakry,aunezetàlabarbedesesconcurrents.Cettedescentedepoliceacertainementmisdansl'embarrasJean-JacquesUrvoas.Ce

fidèle queValls a placé auministère de la Justice est proche de l'homme d'affairesbretondont il lui est arrivéd'emprunter le jetprivépour rejoindreParisd'une traitedepuis sa circonscription de Quimper. Ce n'est pas vraiment le cas de FrançoisHollande qui a confié, dans un livre paru à l'été 2016 5, tout le bien qu'il pensait deBolloré:un« pirate »,un« cathointégriste »et« quelqu'undontilfautseméfier[...]maispassimplementpolitiquement.Ceuxquines'ensontpasméfiéssontmorts ».« Enquittant laPlaceBeauvaupourMatignon,Manuel s'estmisparadoxalement en

danger,raconteundesesamisparlementaires.Iln'apassurésisteràlabottequeluiaproposéeHollande.Onluiavaitconseilléderesteràl'Intérieurjusqu'auxrégionalesde2015,puisdesortirdugouvernementpoursuccéderàJean-PaulHuchonàlatêtedelarégion. Il aurait pu ainsi aborder la primaire avec une image intacte doublée d'unegrossecrédibilitésurl'enjeuaujourd'huidécisifdelasécurité. »Histoiredechaufferlaplace, Manuel Valls avait même envoyé son ex-dir' cab' comme préfet d'Île-de-France... Son jumeau à droite, Nicolas Sarkozy, avait lui compris que pour rester

populaireetparerlescoupsilvalaitmieuxêtreàl'Intérieur.En2005,aprèsuncourtintermède à Bercy, il justifiera d'ailleurs ainsi, devant un parterre d'élus UMP, sonretour à la Place Beauvau : « Je reviens pour répondre aux officines et aux coupstordus. »En octobre 2016, alors que Manuel Valls caresse l'idée de se présenter à la

présidentielle,sortunlivrequidéstabiliseundesesamis.DansNostrèschersémirs 6,consacré aux liens entre la France et les monarchies du Golfe, le secrétaire d'ÉtatchargédesrelationsavecleParlementJean-MarieLeGuenestaccuséd'avoirreçudespots-de-vin de l'ambassade du Qatar. Le jour même de la publication, le chef dugouvernement dénonce sur les ondes de France Inter une « campagne dedéstabilisation »àsonencontre.Danssatête,lesmunitionscontreLeGuenontété,enpartie, fourniespar leChâteauavec l'aided'undévouéartificier,BernardBajolet, ledirecteurdelaDGSE7.Lacibleétaitd'autantplus idéalequeLeGuen,censéconsacrer tout son tempsaux

députés et aux sénateurs, accompagne Valls dans nombre de ses déplacements àl'étranger.Avecuneprédilectionpourlesdestinationsafricaines.Parcequ'ilsecroyaitintouchable, le Premier ministre n'a pas vu venir le coup... Pourtant, une fois àMatignon,lesréseauxpolicequeVallsavaittissésendeuxanssesontvitedétricotés.Commesiunemaininvisibleavait jouédesciseauxpourcouperlesbonsfilsaubonendroit. Sa pièce maîtresse dans la hiérarchie policière, Bernard Petit, qu'il avaitnommépatrondelaPJparisienne,unposteclef,abrutalementdévissédu36,aprèsuneenquêtedelapolicedespolices,unservicepassésouscontrôledelaHollandie 8.Cesmêmes« bœuf-carottes »onteudansleursradarsRenaudVedel,leconseillersécuritéde Valls à Matignon, pour une histoire d'acquisition immobilière. De quoicompromettrelerêvedecepréfet,longtempsauservicedelaSarkozie,dedevenirunjourdirecteurgénéraldelaSécuritéintérieure.EtquediredelascoumounequifrappelecriminologueAlainBauerdepuisqueHollandeestàl'Élysée 9.Peut-êtreparcequelesréseauxpolicedeVallsontététropdéplumésparlevolaillerHollande,legénéralDenisFavier,patrondelagendarmerie,ancienconseillersécuritédeVallsàBeauvau,apréféré,lui,devancerl'appel.Sixmoisavantlaprésidentielle,cesoldatdeVallsesteneffetparti,àlasurprisegénérale,travaillerchezTotal.Privédesesréseauxpolice,ManuelVallsquisevoyaitdéjàmarcherdanslespasde

Clemenceau, son modèle historique, n'est plus qu'un tigre de papier. La source derenseignementsdontilprofitaits'estasséchée.IlabiengardécommePremierministreun droit de regard sur les cinq mille écoutes administratives de sécurité réaliséeschaqueannée.Ellesluipermettentdesavoirquiestmissurécoute,parquelserviceetpour quel motif.Mais il sait bien, depuis son passage à la Place Beauvau, que lesinformations les plus sensibles ne passent pas par ce canal trop contrôlé. Lorsque

François Fillon était à Matignon, les membres de son cabinet aux postes les plussensiblesseméfiaientdutéléphone,craignantd'avoirétémissurécouteparl'Élysée.Vallsquiveut toutcontrôler, jusqu'àsonrégimealimentairedrastique,a lesnerfsà

vif.Ilcroitvoirpartoutl'ombremaléfiquedeHollande.D'autantque,fauted'avoirlabonne infoaubonmoment, il luiarrivedeseprendre lespiedsdans le tapis.Ainsi,dansl'affaireduburkiniquiadéfrayélachroniqueàlafindel'été2016.Le17août,lePremierministrepartbilleentête,endénonçantunedérivecommunautariste.Saufque,depuislaveille,BernardCazeneuve,leministredel'IntérieurquiluiaétéimposéparHollande, a sur son bureau un rapport d'enquête expliquant que la rixe sur la plagecorsen'arienàvoiraveclareligionetqu'iln'yajamaiseulemoindreburkini.Vallsesttombédansunpiège.AlorsqueCazeneuveconnaissaitlefinmotdel'histoire,ilnel'apasfaitsavoiràMatignon,laissantmonterlePremierministreaucréneauavecunefausse info.Résultat :aprèsavoirclaméêtrefavorableà l'interdictionduburkinisurlesplages,leCatalanapubliquementétédésavouéparcertainsdesesministresets'estprisenpleinefigureladécisionduConseild'État.AuChâteau,lesprochesconseillersdeHollande se sont bien amusés du pataquès provoquépar le prétenduhéraut de lalaïcité.

Descrocs-en-jambe

Forméàl'écoleMitterrand,HollandetentedefairedeVallssonRocard.Etcommeson modèle, l'idée que son Premier ministre, héritier de la deuxième gaucherocardienne puisse un jour faire figure d'alternative à une gauche hollandienne« archaïque »etprétendreàl'Élyséeluiestinsupportable.Pourlacampagnede2012,s'ilenfaitsonchargédecommunication,c'estpourlecantonneràunrôlesubalterne:de tout temps Hollande a été son propre communicant. Au début de son mandat, ilfavorisel'ascensiond'EmmanuelMacron,cequiapoureffetderingardiserleministrede l'Intérieur. Avec à la manœuvre son coupe-jarret, le député Julien Dray, quin'apprécie guère son voisin de l'Essonne d'autant qu'il a rêvé, un temps, du fauteuilde l'Intérieur. Dray va cornaquer avec zèle le jeune ambitieux, lui soufflant, parexemple,l'idéed'unticketavecHollande.Lepoulainsesentpousserdesaileset,coupsur coup, quitte le gouvernement puis se déclare candidat à la présidentielle, le16 novembre 2016. Troublante coïncidence, ce jour-là, Jean Daubigny, l'anciendirecteurdecabinetdeVallsàBeauvau,estplacéengardeàvuepourfraudefiscale.PourquoidoncleparquetdeParis,quiavaitouvertenaoûtuneenquêtepréliminaire,déclenche-t-ilunegardeàvuedupréfetaumomentoùVallsseprépareàsedéclarerégalement candidat ? Un autre détail nourrit la paranoïa de Valls et des siens : laplaintecontrelepréfetDaubignyaétédéposéeparBercydontlepatron,MichelSapin,estl'amiduPrésident.LemêmehommequeMacronsoupçonnaitdéjàd'êtreàl'origine

delafuitedanslapressedesesdémêlésaveclefiscquiluireprochaitd'avoirminorésonpatrimoineimmobilierafindenepasfigurerdanslalistedesassujettisàl'ISF...Sous le quinquennatHollande, la paranoïa est assurément unemaladie contagieuse.

Depuisqu'ArnaudMontebourg rêve touthautde l'Élysée, ilnecommuniqueplusquesurTelegram,lamessageriecryptéecenséeéchapperauxgrandesoreilles.Legagnantde la primaire, Benoît Hamon, utilise le même circuit. L'homme du Redressementproductif redoute un coup de Jarnac de François Hollande. Montebourg sait qu'enpolitiquelapiècesejoueenpartieàl'arrière-scène,làoùœuvrentlesofficines.Pourl'aideràparerlescoups,ilauraitpucomptersurunhommedel'ombre,unami,ancienagent de la DGSE qui a fait une deuxième carrière dans l'intelligence économique.Mais Pierre-Antoine Lorenzi, qui est par ailleurs un proche de Squarcini, l'ancienpatrondelaDCRIsousNicolasSarkozy,estluiaussiviséparuneenquêtejudiciaireinitiéeparTracfin,doubléed'un« travail »dontcertainsassurentqu'ilaétécommandéparlepuissantBernardBajolet,prochedeFançoisHollande.DanslaménagerieduPS,iln'yapasquel'éléphanteauMontebourgàregarderavec

inquiétudeducôtéduChâteau.L'éléphantFabiussedemande,lui,siFrançoisHollanden'a pas un tantinet à voir avec les malheurs judiciaires qui s'abattent sur son fils,Thomas.PlusencorequeManuelValls,LaurentFabiusesthonniparHollande,quisaitqu'illuidoitlesobriquetde« FraisedesBois ».Le30janvier2016,aumomentmêmeoùilclôturetriomphalementlaCOP21qu'ilaprésidée,sonfilsestmisenexamenpour« faux,escroquerieetblanchiment »,commesiquelqu'unavaitvoulugâcherlafête.Lagrenadeavaitétédégoupilléedeuxansplustôtsuiteàuneplaintedesabanquecarcejoueurinvétéréavaitproduitunfauxe-mailpourdébloqueruncréditdejeuauGrandCasinodeLaMamouniaàMarrakech.« TantqueLaurentFabiusétaitutileàHollandeauQuai d'Orsay, les dossiers judiciaires du fils ont étrangementmijoté à feuxdoux,puis quand il a été sur le départ après avoir bouclé laCOP21 tout s'est accéléré »,analyseun flicde laPJ 10.Une chose est sûre : depuis qu'il est président duConseilconstitutionnel,lefeujudiciaireaétérallumécontrelefiston.LespoliciersontremislecouvertsurlesconditionsdanslesquellesThomasFabiusaacheté,début2012,unappartementparisienà7millionsd'euros.Soitdeuxfoislepatrimoinedéclarédesonpère. Pour arriver à leurs fins, les enquêteurs ont un temps tenté de tirer un fil quidépassaitsurlecôté,ens'intéressantauxchevauxdecoursedelavendeusedufameuxappartement. Une histoire qui aurait ainsi été « rhabillée » avec, à la manœuvre, lecommandant des Courses et Jeux qui « pilote » aussi l'enquête sur le cercle Cadet,celle-làmêmequiembarrasseledirecteurdecabinetdeValls...DerrièrecesennuisàrépétitionquiciblentlesprincipauxrivauxduPrésidentsortant,

difficiledenepasvoirlapattedeHollande.Maisleprincipalintéressés'endéfend:jamais,jure-t-ilàquiveutl'entendre,iln'adonnél'ordredemonterdesopérationsde

déstabilisation.D'ailleurs,avance-t-ilpourpreuve,personnen'entrouveralamoindretrace.Cequiestcertain,c'estqueHollandeestàcertainségardsunredoutabletacticien.Ila

su, tout au long de sa carrière, avoir un ou plusieurs coups d'avance sursesadversaires.Et,enmêmetemps,bénéficierd'une incroyablebaraka.Mais l'excèsdeconfianceestmauvaisconseiller.Sesmultiplesconfidencesdistilléesàunebonnedemi-douzainedejournalistes,censéeslemettresurorbitepourunsecondmandat,l'ontdéfinitivementclouéausol.Etcela,aucunflicniaucunespionn'asuleprévenir.

1.DavidLeBaillyetCarolineMichel,« AnneGravoin : ledrôled'orchestredeMadameValls »,L'Obs, 30mars2016.2.FabriceArfi,« LecomptesuisseduministreduBudgetJérômeCahuzac »,Mediapart,décembre2012.3.Entretiendu7août2012.4.Entretiendu19juin2014.5.GérardDavetetFabriceLhomme,« Unprésidentnedevraitpasdireça... »Lessecretsd'unquinquennat,

Stock,2016.6.DeChristianChesnotetGeorgesMalbrunot,publiéchezMichelLafon.7.Lirelechapitre« L'autreespionduPrésident ».8.Lirelechapitre« Au36edessous ».9.Lirelechapitre« LeRaspoutinedel'Intérieur ».10.Entretiendu22décembre2015.

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LeRaspoutinedel'Intérieur

« Tusais,Manuel,onesten1958,jesuislegénéraldeGaulle,noussommesentrainde vivre une période révolutionnaire, c'est le moment de mettre tous les talents augouvernement. »C'estparcesmotsque,danslesjourssuivantsonarrivéeàl'Élysée,NicolasSarkozy,

encore enfiévré par sa victoire, propose àManuelValls de devenir sonministre del'Intérieur.Unhomme,àlafoisénigmatiqueetpublic,asoufflécetteidéesurprenanteau nouveau chef de l'État. C'est le parrain du deuxième fils de Valls, son amid'adolescence,devenu le criminologueattitrédeSarkozy, conseilleromnipotentpourlesquestionsdesécuritéetdedélinquance.Cela fait belle lurette qu'Alain Bauer connaît Nicolas Sarkozy. Leur première

rencontredatede2002.CeluiquiestalorsmairedeNeuilly-sur-SeinesepréparepourlaPlaceBeauvau,leportefeuillequeChiracluiapromis.Ilaconviéàdéjeunerdanssesappartementsdel'îledelaJatteundesartisansduviragesécuritairedelagauche,Bauer.« Sonentouragem'avaitprévenu:lerepasnedurerapasplusdequinzeminutes,neleprenezpasmal,ilnevapasmangerlamêmechosequevous,maisc'estnormal ;etilnevapasvousécouter,maisçanefaitrien,ilesttoujourscommeça.Onestrestésune heure quinze ensemble. Ses conseillers, intrigués par la durée inhabituelle del'entretien,passaientunetêterégulièrementpourvoirsitoutallaitbien... »,sesouvientlecriminologue 1quinousadonnérendez-vousàl'heureduthéaubardel'hôtelBristol,àdeuxpasduministèredel'Intérieur...Cetterencontremarqueledébutd'uneidylle.Durantunedécennie,Bauervamurmurer

à l'oreille du ministre de l'Intérieur, puis du président Sarkozy. Placé à la tête del'Observatoire national de la délinquance, il devient le « Monsieur Chiffres » de laPlace Beauvau. C'est lui qui imprime cette marque de fabrique tant décriée de lapolitique sécuritaire de Sarkozy : le pilotage de la police par les statistiques. Lasymbiose entre les deux hommes est telle qu'après le refus de Valls d'entrer augouvernement,SarkozysongemêmeuntempsàfairedeBauersonsecrétaired'ÉtatàlaSécurité.Exaspérépar saministrede l'Intérieur, il remplaceraitbien lachiraquienne

Michèle Alliot-Marie par sa favorite du moment Rachida Dati, flanquée de soncriminologuepréféré.Leprétexteesttouttrouvé:lagestioncalamiteusedesdeuxnuitsd'émeutes à Villiers-le-Bel. « J'ai longtemps hésité avant de décliner l'offre, maisjen'aipasregrettémonchoixuneseconde »,confieaujourd'huil'intéressé.AlainBaueratoujourspréférél'ombreàlalumière.Làoùilexcelle,c'estencoulisses.C'estainsiqu'en2002, il susurrepour leposteclefde laPlaceBeauvau lenomdesonpoulainManuelValls,etqu'en2012,ilparvientenfinàl'asseoirdanslefauteuil.

Rendez-vouspourinitiés

Plusquejamaisilseraleconseillersanstitre,« leRaspoutinedel'Intérieur ».Alorsqu'avecSarkozy, il disposait de son rond de serviette placeBeauvau, avecValls, ildevientlevisiteurdusoir,leconsultantocculte.DifficilepourunministredeHollandedes'afficherpubliquementavecunBauerdésormaisqualifiéde« sarkozyste »parlesmédias.PourValls,sonamidetrenteanssentunpeutroplesoufre.Bauerprendlesdevants. À peine son ami endosse-t-il l'uniforme du premier flic de France qu'ildémissionnedelaprésidencedel'Observatoiredeladélinquance.« J'aiditàManuelquemoi à ceposte, ce serait intenable. Il était soulagé, raconte le criminologue,quipréciseavecgourmandise:ilsontmisunanàmetrouverunremplaçantpourfinirparprendremonvice-président,avecquijetravaillaisdepuisvingt-cinqans... »Quoiqu'il ensoit,Sarkozyauradéteint surValls,et si sesennemis lequalifientde

« Sarkozy de gauche », c'est bien à cause du teinturierBauer. « Commeministres del'Intérieur,SarkozyetManuelontdespointscommuns,plaideAlainBauerentredeuxgorgéesdeCocalight.DumoinsleSarkozy1.Sarkozy1afaitduClemenceau. »ÀlaPlaceBeauvau,Bauerserapoursonamiundiscretetefficaceouvreurdeportes.

Ilfautdirequ'ildisposeàsontrousseaudelacleftroispoints,véritablepasse-partoutdansceministère.Lespolicierssontattirésparleslumièresdestemplesfrancs-maçonstelleslesluciolesparleslanternes.Detouslesministères,c'estlaPlaceBeauvauquicompteleplusde« frères ».Àtouslesétages,danstouslesbureaux,etd'autantplusqu'ongrimpedanslahiérarchie.Prèsde10  %descommissairesseraientmaçons.La maison poulaga ressemble à l'Inde avec ses castes. On est de la PP ou du

ministère, du 36 ou de laDSPAP, de laDGSI ou de laDRPP, enmême temps, onappartient au clan des gardiens de la paix, des officiers, des commissaires, descontrôleurs et inspecteurs généraux, des directeurs ou des préfets, sans oublierl'étiquette « de droite » ou « de gauche ». Dans ce monde hyper-cloisonné oùl'information, c'est lepouvoir, la franc-maçonneriepermetde faire circuler l'info.Etplus encore lorsqu'on estmembred'une« fraternelle », ces associations loi 1901quiregroupent par profession des francs-maçons de toutes les obédiences. À la Place

Beauvau, c'est le clubLaReynie – du nomdu premier « préfet »de police deParissousLouisXIV–quisevoitreprocherdetirerlesficelles.LorsqueManuelVallsinnoveenorganisanten2014unecérémoniedevœuxpourles

maçons au ministère, les dignitaires des obédiences apprécient ce geste inédit. Ilssavent qu'ils peuvent compter sur le frère Valls qui, même s'il est aujourd'hui « ensommeil »,aurapasséseizeanssous lemaillet.C'estenavril1989,dans la logeNiMaîtresNiDieuxduGrandOrientdeFrance,quelejeuneconseillerdeMichelRocardest initié.Sixansplustard, ilrejoint la logeL'infinimaçonniquequevientdefondersonamiAlainBauer,lequeldeviendra,audébutdesannées2000,legrandmaîtreduGrandOrientdeFrance.

Unouvreurdeportes

LorsqueVallsprendsesfonctionsàl'Intérieur,lefrèreBauerluisusurrelesnomsdepoliciersdeconfiance,mêmes'ilsnesontpasdes« frères »aveclesquelsleministrepourra travailler en off. En l'occurrence,BernardPetit, alors numéro deux de la PJ,fiableauxyeuxdeBaueretRenéBailly,ledirecteurdurenseignementàlapréfecturede police de Paris.Demême qu'il assure avoir favorisé le choix de PatrickCalvarpourprendrelaDCRI.L'ex-grand maître croit un temps pouvoir placer ses « frères » sur des cases

contrôlées par le Château.Après avoir tout de suite positionnéDidier Lallement aupostedesecrétairegénéralduministèredel'Intérieur,unpostequidonnenotammentlamainsurlescarrièresducorpspréfectoral,Bauercaressel'idéefolledelemettreàlatêtedelaPréfecturedepolicedeParis.Ilseheurteauvetodel'Élysée.Idemlorsqu'ils'emploie à faire nommer directeur général de la police nationale (DGPN), son amiÉmilePérez.Hommederéseauxs'ilenest,« Milou »,quidirigealeSyndicatnationaldescommissairesdepolice,restetoutefoisentantquepatrondelapuissanteDirectionde la coopération internationale, un canal essentiel de remontée d'informations pourValls.« Concernantlanominationdel'actuelDGPN,Jean-MarcFalcone,ManuelavaitdonnésaparoleàAyraultde recaser sonconseiller sécurité.Lesdiscussionsontététendues.J'aimaintenumonpointdevue,Falconeesttrèsclivant »,préciseBauer,quiprendplaisiràchoisirsesmotscommeungaminsélectionneunbonbondanssaboîte.Desflicsfrangins,BauerencompteaussienSarkozie.L'actuelsecrétairenationaldes

RépublicainssurlesquestionsdesécuritéestunintimequiafaitdeBauerleparraindel'un de ses cinq enfants. Avant d'entrer en politique, le frère Bruno Beschizza alongtempsdirigélesyndicatSynergie-Officiers.Est-cecette« protection »quiapermisaprès l'alternance à ce commandant nommé sous-préfet par Sarkozy de conserverpendantdeuxansunbureauplaceBeauvau ?Unprivilègequineluiseraretiré,parlagauche, qu'une fois élumaire d'Aulnay-sous-Bois. La rumeur court aussi qu'un autre

Sarkoboy, qui lui n'est pas franc-maçon, a été un temps« protégé »parBauer.Avecl'arrivée deHollande, le patron de la police Frédéric Péchenard ne fait pas tout desuitelesfraisdel'alternance.Durantdix-huitmois,ildevientdéléguéministérieldelasécurité routière. Une bienveillance qui peut s'expliquer : lorsque Péchenard étaitDGPN,ilarenduserviceàAlainBauerensauvantundesesprotégés.

Unbusinessmandegauche

Outre la franc-maçonnerie, Bauer et Valls ont en commun d'avoir effectué leursclasses politiques grâce à Michel Rocard. L'ex-ministre de l'Intérieur se prétendl'héritierdusocial-démocrate.Cen'estd'ailleurspasunhasards'ilaamenédanssesbagagesdeBeauvauàMatignonl'ancienchefdecab'deRocarddevenusonconseillerspécial,letrèsfidèleYvesColmou,parailleursmembreduGrandOrientdeFrance.ÀlafacdeTolbiac,ilssonttroisjeunesrocardiensinséparables,attisantlarévolte

contrelaloiDevaquetsurl'Université.Vallsenagitateurd'amphi,BauerquiarronditlesanglesaveclesRGdelaPréfecturedepoliceetStéphaneFouks,lefuturpatrondeHavasWorldWidequis'initieàlacommunicationpolitique.Le 5mai 2012, la veille du second tour de l'élection présidentielle, les trois amis

fêtent leurs trois fois cinquante ans, auDrouant, le restaurant parisien, entre Palais-Royal etOpéra, où chaque année leGoncourt est décerné. Fine gueule,AlainBauersavoure avec d'autant plus de plaisir son gâteau préféré – le fraisier – que lelendemain, siHollande l'emportecommeattendu,Manuelseraministrede l'Intérieur.Le troisième larron, StéphaneFouks, n'est guère apprécié par le futur chef de l'État.Hollandeconsidèrelescommunicantscommedesvendeursdelessive.Comme ses deux autres amis, Fouks a d'ailleurs beaucoup misé sur Dominique

Strauss-Kahn, mais l'affaire du Sofitel a fait exploser en vol ses espoirs. Laspectaculaire arrestation à New York du favori des sondages a libéré la voie àFrançoisHollande, alors patron du PS, lui laissant le temps de se préparer pour laprimairesocialiste.QuantauplaninitialdeSarkozy,ilaéchoué:entoutediscrétion,ungroupedeflicsavaitconduituneenquêtesurlessoiréescoquinesdeDSK,financéesparunamientrepreneur,ducôtédeLille.L'affaireduCarltonauraitdûexploserjusteaumomentdelaprimaire,disqualifiantDSKmaisaussitoutlePS.Las,lesécartsdudirecteurduFMIavecunefemmedechambredansunhôtelnew-yorkaisontcontrariélesespoirsdeSarkozy.LachuteprécipitéedeDSKprovoquedeslarmesdecrocodilechezAlainBauerquiauraitété tenu informéquasien tempsréelparÉmilePérez, leresponsabledelacoopérationpolicièreinternationale.Lui-mêmeencontactpermanentavec l'officier de liaison de la DCI, en poste aux États-Unis. Une vraie chaînedel'amitié...Lefaitd'avoirsoncopaindefacàBeauvau,puisàMatignon,nepeutqueservirles

affaires de Bauer. Car l'ancien grand maître est aussi un businessman. Il a d'abordprospéréenvendantdesauditssécuritéavecsasociétéABConsulting.Danslesannées1990, quand il facture ses rapports aux maires de banlieue ou de province, Bauerdisposed'unebonnesourcepourlesalimenterenstatistiques,enlapersonnedupréfetde police PhilippeMassoni, qu'il a connu au moment de la loi Devaquet, lorsqu'ildirigeaitlesRG.Lesmauvaiseslanguesajoutentqued'unemunicipalitéàl'autre,Bauervend la même soupe. « Sur les questions de sécurité, je suis devenu le référent, etvenant de la gauche, j'ai une double légitimité, j'assume le gourdin et le cerveau »,sejustifie-t-il 2.En2010,ABConsultingafermépourdevenirABConseil,uneSARLqui faitdans l'auditdesécuritéet lagestiondecrisepour lesgrandesentreprises.ÀcommencerparAirbus.En1998,lorsd'unsalonaéronautique,Jean-ClaudeGayssotministrecommunistedes

Transportset« grandcopain »deBauer,leprésenteàJean-LucLagardère,lepatrondugroupeéponymeimmédiatementséduit.Lelendemainmatin,Bauerarendez-vousdansleslocauxdel'avionneur.L'idylleavecAirbusduretoujours.DerrièreontsuiviEDF,Total,Lafarge,Accor,laSNCFouencoreRenault...entout,unetrentainedeclientsauxchiffres d'affaires impressionnants. « Dans la tête des dirigeants de ces grandessociétés, signer un contrat avecBauer, c'est investir sur l'avenir », témoigne un hautcadre 3 d'un groupe français.Mais Bauer ne se contente pas de l'Hexagone. Devenuconsultantglobe-trotterensécurité,ABpassesontempsentrelaChineetlesÉtats-UnisoùilconseillenotammentlapolicedeNewYork.

Degoûtetd'argent

La réussite d'Alain Bauer et sa fortune supposée font des envieux. Elles intriguentaussi.Jusqu'auplushautniveaudel'État.PourleverledoutesurdeslienssupposésdeBauer avec la CIA, la DGSE s'est intéressée à son patrimoine, notamment à sapropriétédansleColorado.LeChâteauenestconvaincu:Bauerpourraitêtreundesargentiers de la campagne présidentielle deValls. « Croire que l'on peutmener unecampagneprésidentielle,dans la limitedes22millionsd'euros fixéspar la loi, c'estune plaisanterie ! reconnaît un parlementaire familier des arrière-cuisines de lapolitiqueoùl'onfaitchaufferlamarmite.Ilfautdel'argent,beaucoupd'argent.Certainsen collectent pour que d'autres en dépensent.Lameilleure façon de couper les ailesd'un adversaire politique est de s'attaquer à celui dont on pense qu'il tient le porte-monnaie. »Ceneseraitdoncpasunhasardsileparquetnationalfinanciers'estsoudainintéressé

aubusinessdel'amidetrenteansdeValls.Endécembre2014,laDirectioncentraledelapolicejudiciaires'estvuconfierunediscrèteenquêtepréliminairesurcertainsdescontratsnouésparABavecunefilialedelaCaissedesdépôtsetconsignations(CDC).

L'hommeà l'originedecette curiositépolicièren'est autreque l'undesgrognardsdeHollande, Jean-René Lemas. L'ancien secrétaire général de l'Élysée s'est en effetétonné dès sa nomination à la tête de la CDC du montant des prestations que sonprédécesseur avait conclues avecABConseil. PourRaspoutine 4, cela ne fait pas unpli,laflèchedécochéecontreluiviseManuel:« Jevoisbienl'intérêt:ilsontvoulusefaireValls,alorsricochonssurBauer,sesont-ilsdit.Lemasl'afaitpourfaireplaisiràHollande,cela lui ressemblebien. »Etd'assurer :« LaCaisseétaitdemandeuse, j'aigardé tous les contrats.Depuis la polémique, ilsm'ont d'ailleurs rappelé pour qu'oncontinue à travailler ensemble. Ce que j'ai bien sûr refusé. » L'enquête poursuit soncours:le10janvier2017,ledomiciled'AlainBaueraétéperquisitionné.En revanche, AB estime ne pas être la cible de l'affaire Gardère, du nom de cet

ancien flic de la Sarkozie, devenu préfet, puis directeur du Conseil national desactivitésprivéesdesécurité(CNAPS).Cedernierestperquisitionnéen2015,misengardeàvueetsuspendudesesfonctionspourdessoupçonsdecorruption5.OrAlainBauerprésideleCNAPS.AvecGardère,ilsaccordent–ounon–desagrémentsàdescentainesdesociétésdesécuritéetdegardiennage.Tousdeuxfrancs-maçons,BaueretGardèreseconnaissentdepuisdesannées.Quandilétaitdirecteurdépartementaldelasécurité des Hauts-de-Seine, Gardère a prêté main-forte à Bauer pour ses audits.Propulsé sousSarkozydirecteur adjoint du cabinet duministrede l'Intérieur,ClaudeGuéant,ilaégalementnourrileLivreblancsurlasécuritépubliquequeABacosignéavec le préfet de police d'alors, Michel Gaudin. Et c'est encore lui qui a mis enmusiqueleCNAPS,uneidéequeBauerasouffléeàSarkozy.Ledéclenchementdesaffairesjudiciairesquilevisentdirectementouindirectement

ontlavertudefairesourireBauer 6:« Touslesjours,quandj'allumemontéléphone,jedis“BonjourPatrick !”,avantjedisais“BonjourBernard !”.JenesaispassiPatrickCalvarm'écoute,maissic'estlecas,celadoitletroubler.C'estunpetitjeuquej'aimebien. »Unechoseestsûre :Raspoutinen'estpasenodeurdesaintetéauChâteau.Lorsqu'à

l'été 2012 il croit pouvoir enfin diriger une section universitaire de criminologie,spécialementouvertepourluiauConservatoirenationaldesartsetmétiers,laministredel'EnseignementsupérieurditnietsurordreduPremierministreJean-MarcAyrault,inspiréparHollande.C'estfinalementlagendarmerie,alorsdirigéeparunhommedeValls,quiluiaccorderacedontilrêvaitdepuistoujours:unechaireuniversitaireausein d'un master créée en partenariat avec l'École des officiers de la gendarmerienationale.Manuel Valls a également dû batailler ferme pour élever son ami au grade de

commandeur de la Légion d'honneur. Le grand chancelier, qui reçoit ses ordres del'Élysée,s'estfaittirerl'oreillepouraccorderladécoration.AlainBauerafinalementeudroitàsoninsigne,prélevésurlecontingentduPremierministre.Lacérémonie,qui

s'esttenuele25octobre2016,àMatignon,arassembléunaréopagetrèsœcuménique,puisque se pressaient parmi les invités l'ami Stéphane Fouks, Renaud Vedel, leconseillerdesAffairesintérieuresdeManuelValls,levallsistegardedesSceauxJean-JacquesUrvoas,leministredelaDéfenseJean-YvesLeDrianetsonredoutédirecteurde cabinet Cédric Lewandowski.Mais aussi AngeMancini, ancien coordinateur durenseignementdevenule« MonsieurAfrique »dugroupeBolloré,lesarkozysteHenriProglio, ex- président d'EDF, le frère policier encarté LRBrunoBeschizza,MichelGaudinetFrédéricPéchenard.MalgréladéfaitedesonamiVallsetsesennuisjudiciaires,nuldoutequeRaspoutine

trouvera,àdroitecommeàgauche,unfrèrepourluifaireuneplacedanslescoulissesdelaRépublique.

1.Entretiendu12mai2016.2.Entretiendu12mai2016.3.Entretiendu17juin2015.4.Entretiendu12mai2016.5.Lirelechapitre« Lescarottessontcuites ! ».6.Entretiendu14juin2016.

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L'étoilefilante

Le rituel se répète chaque semaine.Endébut de soirée, une voiture avec chauffeurdépose son passager devant le domicile du Premier ministre, rue Keller, dans lequartierdelaBastille.Sitôtsortieduvéhicule,unehautesilhouetteàlacoupemilitairerejointd'unpaspressél'appartementdeManuelValls.Ilyamoinsd'unedemi-heure,cevisiteurdu soirquittait sonbureauplaceBeauvau.Et, commeàchaque fois, sansprévenir quiconquede sa destination.Ce rendez-voushebdomadaire entre le généralDenisFavier,patrondelagendarmerie,etlePremierministredel'époquedoitrestersecret.Leministre de l'Intérieur,BernardCazeneuve, qui a succédé àValls, ne doitsurtoutpasêtremisdanslaconfidence.Jusqu'àcequ'ildémissionneàl'été2016,DenisFavierétaitaveccentvingt-cinqmillehommessoussesordres,lesyeuxetlesoreillesdeManuelValls.Etplusencore:sonbrasarmé.Grâceàcettealliance,lagendarmerieprendrasarevanchesurl'èreSarkozy,oùellea

faillisedissoudrecommeunsucredansducaféchaud.EntreDenis etManuel, la rencontredated'avant l'alternance.Avecdans le rôledu

marieur : Jean-JacquesUrvoas.À l'époque, le « Monsieur sécurité » duPS organisedanslaplusgrandediscrétiondesréunionspourpeaufinerleprogrammesécuritairedelagauche.Parpeurd'unespionnageenrègleparlespolicierssarkozystes,lesséancesdetravailsedéroulentdansunclimatparanoïaque,lesparticipantssontpriésdelaisserleurtéléphoneportableàl'entréeetmêmed'enenleverlabatterie.Lorsdecesréunionsquasiclandestines,lesgendarmessontparticulièrementbienreprésentés.Vallsquisaitqu'il deviendra premier flic de France en cas de victoire de Hollande, y participeassidûment.« Entreluietmoi,lecourantesttoutdesuitepassé »,sesouvientFavier 1.C'est avec la bénédiction de sa hiérarchie que l'officier dialogue avec les élus degauche. Pour la gendarmerie, ce choix est stratégique. C'est même une question desurvie. Si Sarkozy est réélu, ils craignent qu'il ne mette à exécution son idée defusionner totalement la gendarmerie avec la police. En 2008, il a déjà mis sous lacoupe de l'Intérieur les gendarmes qui dépendaient, jusque-là, du ministère de laDéfense. Il leur a fallu, dans la douleur, s'adapter à cette étrange cohabitation.

Désormais,cequ'ilscraignentpar-dessus tout,c'est laprochaineétape:unesortedefusion-acquisition,commeonditdansleCac40.NicolasSarkozy,quiadore les flicsmaisn'aimepas lesmilitaires, aprisunmalin

plaisir à maltraiter les gendarmes. Ne les a-t-il pas cantonnés à la « délinquanceordinaire »,missurlatouchepourl'anti-terro,exclusdurenseignementintérieurdévoluà la police, réduits au rôle de « force supplétive » dans la lutte contre le crimeorganisé ?Etenmatièred'intelligenceéconomique,ilsontétéconsignésàlaprotectiondes petites entreprises... Bref, Sarko les considérait comme des godillots et voulaitfaired'euxdesgardeschampêtresaméliorés.En2010,ilamêmevirécommeunmalpropreleurpatron.LegénéralRolandGilles

est prévenu à 17 heures qu'il sera limogé le lendemain en Conseil des ministres etexpédiéambassadeurenBosnie.Àsaplace,lechefdel'Étatnommeunaffidé,JacquesMignaux, son ancien conseiller sécurité à Beauvau. Un jour, face à des colonels etgénérauxmédusés,cemilitantauraitaffichélacouleur:« JesuislàpourfaireréélireNicolasSarkozy. »Pourbeaucoupdegendarmesquisesententalorsvendusàl'ennemi,Mignauxestdevenupatronavecpourmissiondepréparerlaliquidation.C'est doncpar calculque lesbleusmisent sur lagauchepour sauver leurpeau. Ils

recherchent des généraux compatibles. Deux noms sortent du képi. David Galtier etDenisFavier.Lepremierhisséaurangdenumérotroisde lagendarmerieen2011acomme atout sa proximité avec le maire de Dijon, François Rebsamen, intime deHollande et persuadé, en cas de victoire du PS d'empocher le portefeuille del'Intérieur.GaltieretRebsamenontunpointcommun:PierreJoxe.« Rebs »enaétéleconseiller à Beauvau, tandis que le gendarme fut son aide de camp à la Défense.« Avoir servi Joxe un jour, c'est appartenir à une même famille, au même réseau,décrypteunde sesmembres éminents 2.C'est pourquoi les réseaux dePierre dans lemonde de la défense, de la justice et de la sécurité lui survivent. »Avec Favier, lagendarmeriejouelacarteUrvoasqui,aprèsavoirportélabannièredeDSK,achoisidedéfendrelescouleursdeValls.Unanavantlaprésidentielle,DenisFavierestdoncmis en réserve à la têtede lagendarmeried'Île-de-France.Un tremplinhiérarchiquemais pas trop exposé aux bourrasques politiques. Le général y gagne sa quatrièmeétoilequideviendra...sabonneétoile.

Lesfrèresàlaporte

Lorsqu'il est nommé à la Place Beauvau en mai 2012, Manuel Valls fait doncnaturellementdeDenisFaviersonconseillergendarmerie.Moinsd'unanplustard,lenouveau ministre le nomme numéro un des pandores : directeur général de lagendarmerienationale.Colonelen2007,générald'arméecinqansplustard,Favieraréaliséunefulgurantecourseauxétoiles.

Favier est à peine intronisédirecteurgénéral de la gendarmerienationale (DGGN)quefrappeàsaporteunétrangeémissaire.Leprésidentd'honneurdelafraternelledelagendarmerie !C'estune tradition :chaquefoisqu'unnouveaupatronestnommé, lereprésentantdespandoresfrancs-maçonsvientseprésenteràlui,etdélivrerquelquesmessages. « Parce qu'il n'est pas franc-maçon, Favier a été considéré comme unobstacle dès le début, raconte une éminence de la fraternelle 3. On lui a envoyé ungénéralcinqétoilespourluidireensubstance:“Tunenousfaispaslaguerre,onnetefaitpaslaguerre.”Çan'apasmarché,alorsonaarrêtéladansedesseptvoilespouressayer de le “réduire”, comme on dit en franc-maçonnerie. En clair “réduire” sacapacitédenuisancesupposéeenluibridantsesmoyensd'actionsMêmeéchec.Onaalorspensé:“Onvalecontourner.”Peineperdue.Commec'étaitimpossibledefairesanslui,enfraternelle,ons'estdoncmisd'accord:mêmes'iln'estpas“franc-maçonfriendly”, on va aider le DGGN à influencer la Place Beauvau. Notre objectif étaitsimple:quelafranc-maçonnerieparticipecoûtequecoûteauxprochainesréformes.Etaidelagendarmeriefaceàlapolice. »Ainsidèsqu'unprojetdeloioudedécretconcernelesgendarmes,lafraternelles'en

saisitetdésignedesfrèresqui,pourdéfendreles intérêtsdelamaison,vontfairedulobbyingeninternecommeauprèsdesparlementairesmaçons.En2009,déjà,lorsqu'ilestquestionderestreindrel'utilisationdel'armedeservice,lafraternelleactionnelesfrèresdéputésetsénateurspourqu'ilslaissentauxpandoresledroitdefairefeuaprèssommation,sansdevoirinvoquerlalégitimedéfensecommelespoliciers...Lepoidsdesfrèresdanslagendarmerieestplusdiscretquedanslapolice,maistout

aussi important. Chez les flics, être passé sous le bandeau facilite mutationset promotions. Chez les pandores, la fraternelle, qui regroupe un bon millier demembresparmilesquelsbeaucoupd'officierssupérieursetunepluied'étoiles,défendd'abordl'institution.Biensûr,siunfrèreestendanger,lesautresvolentàsonsecours.Ainsi,endécembre

2013, quand le général de corps d'armée Bertrand Soubelet étrille maladroitementdevant une commission parlementaire la politique pénale de la garde des SceauxChristiane Taubira, les membres de la fraternelle font le « signe de détresse » pourtenter d'atténuer les sanctions qui menacent de s'abattre sur son képi. Un gesterarissime.« Seulement »mutécommeresponsablede l'outremer,Soubelet sevengeradeuxannéesplustard,enpubliantunesortedeprogrammeélectoral,souslaformed'unlivreintituléToutcequ'ilnefautpasdire 4.Dix-huitjoursavantlasortiedel'ouvrage,pressentantqu'ilvadevoiraffronterseullatempêtesanslesoutiendesesfrangins,legénéral Soubelet se fend d'une bafouille penaude auministre de l'Intérieur, BernardCazeneuve,pourl'assurerque« lecontenudulivren'estniunrèglementdecomptesniuneprisedepositionpolitique ».Soubeletn'apasrespecté« lesrèglesquirégissentlesystème »,autrementditledevoirderéserve,trancherapubliquementFavier,lepatron

desgendarmes,avantdelereleverdesoncommandement.Etcettefois,lesfilsdelaveuvenebroncherontpas.

Des« bleus »sansâme

« Favierestuntrèsbonchef,maisilestimpitoyable,c'esttrèscompliquéd'existeràcôtédelui,souffleunétoilé 5.Unjour,ilaconvoquéuncoloneldanssonbureauetl'atraité de nain... » C'est d'ailleurs ce caractère en acier trempé qui a séduit Valls.Certainsparlentmêmed'un« envoûtement »,survenuà l'été2012.Aprèsunepousséede fièvre dans un quartier chaud d'Amiens, le tout nouveauministre de l'Intérieur serendsurplace.Alorsqu'ilavanceàpieddanslacité,soncortègesetrompedechemin,Vallsestalorsprisàpartie,hué,bousculé.Sonserviced'ordreesttotalementdébordé.Legénérals'interposealorspourprotégerleministre.« Cejour-là,FavieragagnésesgalonsdeDGGN »,seremémoreuntémoindelascène.Ilneferaqu'unebouchéeduDGPNd'alors,ClaudeBaland.Commeseplaîtàledirelegénéral 6 :« Àceposte,ilfaut un chef de guerre, pas un préfet. » « Déjà, lorsque Favier conseillait Valls àBeauvau,sonhomologuepolicequiétait justeuncommissairedivisionnairen'existaitpas,regretteunpontedelamaisonpoulaga 7.Faviernousafaitbeaucoupdemal,ilaaffaiblileDGPN.Balandnevoyaitrienvenir.Sonsuccesseur,Falcone,pareil.Avantmêmedemontersurlering,ilavaitdéjàperduàlapesée... »Dequoidonnerlevagueàl'âmeàl'ancienDGPNMichelGaudin8:« Lesgendarmes

sontterribles !Onallaitversleurdisparition.Lagauche,grâceàVallsetFavier,lesasanctuarisés. »Defait,entroispetitesannées,lespandoresontregagnéleterrainperdusousSarkozy.Exclusdelacommunautédurenseignementparunoukasedejuin2010,lesgendarmes

avaientbiententédereprendrelaplacedesRenseignementsgénéraux,dissousdeuxansplus tôt. Des colonels avaient fait le tour des préfets pour leur vendre leurs« renseignements gendarmerie », soit « RG » : une appellation qui, évidemment, nedevaitrienauhasard.LesgrandsflicsquientouraientSarkoavaientalorstapédupoingsur la table. « On a dû tout remballer, râle un pandore 9. Pour bien montrer qu'onabandonnait la bataille, on a même été obligés de débaptiser notre BureaurenseignementenBureaudeveilleopérationnelle ! »GrâceàVallsetsaréformedurenseignementterritorial,lesgendarmessontrevenus

par la fenêtre : « Favier a réussi le tour de force de créer une sous-direction durenseignementquineportepascenom »,s'énerveuncommandantdelaDGSI10.Pourne pas agiter le chiffon rouge, le mot tabou a été remplacé par « anticipationopérationnelle ». Ce qui donne SDAO pour « Sous-direction de l'anticipationopérationnelle ».L'emballageestdifférent,maislecontenuestlemême.Etl'ambitionnon dissimulée d'en faire un poste avancé afin de rejoindre un jour la sacro-sainte

communauté du renseignement, qui regroupe déjà DGSE, DGSI, DRM, DRSD,DRNED,TracfinetCNR11.Avec l'espoird'une« neutralitébienveillante »de lapartdupatrondelaDGSI,PatrickCalvar,dontlepèreétaitgendarme...Pouremporterlemorceau, les pandores n'ont pasmanqué de raviver auprès du politique un souvenirtraumatisant.Cestonnesdepailleetdefumierdéverséesaupetitmatindevantl'Élysée,le 17 décembre 2009, par un commando d'agriculteurs venus de la Beauce et de laMarne.Étrangement, pas un flic n'avait vu le coup venir. Les gendarmes l'assurent :avec leurSDAO,cette scène, inconcevabledu tempsdesRG,ne se reproduiraplus.UnefoisposéeslesfondationsdecetteSDAO,lesgendarmestententdeconsoliderleurposition. Le 17 avril 2014, une « Note provisoire de doctrine pour le traitement durenseignementengendarmerie »,émanantdelaDirectiondesopérationsetdel'emploi,stipuleque« lagendarmerie traite le renseignementdans sazonedecompétence »et« garantit une information exhaustive des autorités politiques, administratives etmilitaires ».Les services depolice chargés du renseignement intérieur ou territorial,précise la même note, sont cantonnés au rôle de simples « partenaires ». Signé deBernardSoubelet,ledocumentinterneinsistesurlefaitque« lesplushautesautoritésdu ministère de l'Intérieur reconnaissent et apprécient l'apport indispensable de lagendarmerieàlamissionderenseignement ».Lorsquecesseptpagestombententrelesmainsdessyndicatspoliciers,ilsvoientrouge.Unmoisplustôt,ilsavaientobtenuquelaPlaceBeauvauconfieauseulServicecentralderenseignementterritorial,pilotéparles policiers, la mission de centraliser et transmettre l'intégralité des informationsrecueillies sur tout le territoire... Pour calmer les poulets, le ministre de l'IntérieurimposeàDenisFavierdesigneravecleDGPNunenoteconjointequiraboteunpeul'ambition des pandores en matière de renseignement. Aux yeux des policiers, lesgendarmesontfailliréussir« lecassedusiècle ».Avecdanslerôledumonte-en-l'airle patron de la Direction des opérations et de l'emploi, le général Soubelet. « Trèshabilement,Favierluiafaitendosserlaresponsabilitédelafameuse“Notedeserviceprovisoire”,analyseungalonné 12.Commesouvent,Soubeleta joué lerôledefusibleaucasoùçatourneraitmal... »

Trèsbienrenseignés

« Ils ont aussi essaimé chez nous, se lamente un cadre du Service central durenseignement territorial 13. Valls nous a imposé la présence de cent cinquantegendarmes.Pouroccuper lespostesdechefsdeservice, ilsnousontenvoyé lapisteauxétoiles:queducolonelouduchefd'escadronsmobilesquiprennentnaturellementle dessus sur les simples flics. Ils ont même réussi à placer un des leurs, numérodeux ! »Lequelest...filsdepolicier.Chezlespandores,rienn'estlaisséauhasard.« Ilsdébauchentcheznousenfaisantmiroiterles600à700eurosdeplusquelesgars

vont gagner en moyenne, sans compter la concession logement, poursuit notreinterlocuteur.Danslesréunionsinterservices,onfaittournerunpapieroùchacunnotesonnometsone-mail,lesgendarmesrepèrentlesprofilsquilesintéressentetilsvontensuiteaucontactetfontleurmarchéparminosmeilleurséléments. »Un entrisme dans le petit monde du rens' préparé de longue date. Lorsque sur les

cendresdesRG,Sarkozyavaitinitiéunepremièremouturedurenseignementterritorial,lagendarmerieyavaitplacéquelquesofficiers.Lesflicslessoupçonnaientdevenirseformerpourpouvoirremonterensuiteleurpropreservice.« Lesgendarmesnesontpasloyaux, ils pensent d'abord à leur boutique, renchérit une directrice de service qui asouvent ferraillé avec ses homologues à képis. Ils ne sont pas francs du collier. Ilss'incrustent dans les structures policières qui leur sont ouvertes et doublonnent encréant à côté leurs propres structures avec tambours et trompettes. »Un adage courtdanslescouloirsdelaPlaceBeauvau:« Quandvousdonnezunordre,lepolicierditnon,etillefait,legendarmeditoui,etilnefaitrien. »Telqu'ilaétéconçu,laSDAOfonctionneunpeucommelePalaisdesrêves.Dansle

romand'IsmailKadaré, une administration collecte jusquedans les contrées les plusreculées les songesdeshabitants,puis les rassembleenunmêmeendroit afinde lesclasser, les interpréter et pouvoir ainsi isoler les « maîtres rêves » dans lesquels ledestindupaysetdesonsouverainestécrit.Cettefoiscenesontpasdesrêves,maisdes informations sensibles à résonnance politique, économique ou médiatique, quiremontentjusqu'aubureaududirecteurgénéraldelagendarmerie.Riend'importantnepeut échapper au souverain Favier. Pour identifier l'affaire dont il faut « rendrecompte »,chaquegendarmedisposed'unegrilledecritères:s'agit-ild'unepersonnalitépolitique de niveau départemental, régional, national, de sa famille, d'une entrepriseimportante ?Lenomd'unpeopleapparaît-il ?Etc.Grâceà laSDAOetauxbrigadesterritoriales disséminées un peu partout, le DGGN est l'un des hommes les mieuxrenseignés de France.Désormais, la gendarmerie produit huit « Notesministre » parjour, autant que la police.L'assurance pour son chef de se rendre indispensable auxyeuxdulocatairedelaPlaceBeauvauou...deMatignon.Il arrivemême que la Sous-direction de l'anticipation opérationnelle récupère des

informationsdelamaisond'enface.Àl'été2014,DenisFavierestenréuniondanssonbureau,lorsquesonportablesonne.Auboutdufil,lechefdelaSDAOleprévientqueSarkozyestconvoquélelendemainausiègedelaPJdeNanterreetqu'ilvaêtreplacéengardeàvue.« Favieratoujourseuuncoupd'avancepournouscontrer »,constateavecamertume

uncommissaireàlaPJdeNanterre 14.

Uneconcurrencemultiple

Cetteincontestableréussiteneconcernepasquelerenseignement.Lespandoresontréussiàtransformerencarrosselacitrouillequelespouletsleuravaientlaissée.Grâceà l'Office chargé de la délinquance itinérante qui n'intéressait pas les policiers, lesgendarmes ont pu s'aventurer sur le terrain de prédilection de la PJ : la criminalitéorganisée.« Lagendarmerieavitecomprisquederrièrelesvolsdepotscatalytiques,demoteursdebateaux,detracteurs,oulescambriolagesdesmaisonsdecampagne,ilyavaitdesréseauxmafieuxstructurés.LaPJnes'enoccupaitpas:pasassezdignepourelle.Etlescommissariatslocauxnes'ensouciaientpas »,râlenotrecommissaire.Enpartant de simples cambriolages, les gendarmes ont pu notamment taper les Vory vZakone,l'élitedelamafiarusseetadditionnerlescoupsdefiletspectaculaires,avecchaque fois des dizaines d'affaires résolues. Sur certains dossiers judiciairesmédiatiques,ilsontaussiétéaidésparles« petitspois ».CesmagistratsbrocardésparSarkozyqui,parcrainted'unepolicenoyautée,préféraientleurconfierlesenquêtes.Cependant,àvouloirtropenfaire,ilarrivequelesgendarmesseprennentlespieds

dansletapis.Enseptembre2012,unefamillebritanniqueetunrandonneuràvélosontexécutésavecunpistoletautomatiquesurunerouteforestièredeHaute-Savoie.Saisiede l'enquête, la gendarmerie met le paquet. L'affaire Chevaline devient même uneobsessionpourDenisFavier.Legénéralvoitdansl'opportunitéderésoudreuneaffairecomplexe et médiatique l'occasion de pouvoir enfin effacer le fiasco de l'affaireGrégory, le meurtre mystérieux d'un enfant dans les Vosges irrésolu depuis 1984.Jusqu'àsoixante-douzeenquêteurssontmobilisésvingt-quatreheuressurvingt-quatre.Aprèsdix-huitmoisd'enquêtesansrelâche,lesgendarmescroientenfintenirl'assassin.Unhabitantducoin,ancienpoliciermunicipaletcollectionneurd'armes,estplacéengardeàvue,sonnometsaphotopubliésdanslapresse.Favierlui-mêmesechargedecommuniquerlabonnenouvelleauprèsdecertainsjournalistes.Ilaparlétroptôt:aufildesauditionsdususpect, lapistes'effondre.Quatremoisaprèssonarrestation,cepèredefamillequientre-tempsaperdusontravailsesuicide.Aprèsavoirexplorédenombreuses autres pistes, les gendarmes n'en ont, quatre ans plus tard, ni retenu niécartéaucune...Lesrivauxpoliciersnetardentpasàparlerdu« ratagedeChevaline ».Uneoccasion

pourexpliquerauxmagistratsetauxélusquelesgendarmesnesontvraimentpasfaitspourmeneràbiendegrandesenquêtescriminelles...Surleterrain,entrelesgendarmesofficiers de police judiciaire et leurs homologues flics, c'est parfois Fort Alamo.Démonstration avec cette histoire corse racontée par un commandant de police :« Lorsque la PJ fait venir en Corse ses chiens spécialisés dans la recherche destupéfiants,elledemandeàpouvoirutiliserlechenildelacaserned'unegendarmerie.Les gendarmes acceptent, mais ils ont mis des compteurs pour facturer laconsommation d'eau. Du coup les maîtres-chiens viennent à la caserne et apportent

aveceuxleurspropresjerricanesd'eau !Direquenoussommescensésfairepartiedumêmeministère ! »Ambiance...Et ce n'est pas tout. Si les flics se font avoir comme des bleus en matière de

renseignementetdepolicejudiciaire,ilsinterdisentàleursrivauxdetrops'approcherdeleurGraal:l'antiterrorisme.C'estsanscomptersurl'habiletéetladéterminationdugénéralFavier.En2003,premièrealerte.Lespolicierstententdetuerdansl'œufleBureaudelalutte

antiterroriste que les gendarmes avaient mis sur pied. Le BLAT est méchammentrebaptisé« blatte ».DenisFaviercomprendquesurpareil terrainminé, saproximitéavecValls ne suffirait pas. Il choisit d'avancer à couvert. « Dès qu'on lâche lemot“terro”,onestdessaisis.Alorsonrestecamoufléslepluslongtempspossiblesousdudroit commun », explique ainsi unpandore enpostedansune sectionde recherche 15.Lorsquele14juillet2015lesitepétrochimiquedeBerre-l'Étangestsecouépardeuxexplosions,lesgendarmes,saisisparleparquetd'Aix-en-Provencesegardentbiendeprononcer le mot « terrorisme », évoquant seulement une « piste criminelle ». Onzemois plus tard, ils arrêtent un Franco-Tunisien de trente-quatre ans, radicalisé, quiavouenonseulementavoirplastiquélescuvesdeBerre-l'Étang,maisaussiunatelierde charcuteries-salaisons dans le Rhône. Cette fois, les gendarmes tiennent « leur »belle affaire de terro. Favier peut sortir du bois, en triomphant.Mais le jour où leDGGN veut communiquer, tombe le Brexit. Les médias n'ont alors qu'une chose entête:lasortieduRoyaume-Unidel'Unioneuropéenne.Pourinvestirl'antiterrorisme,les« cruchots »sortentuneautrecartedeleurképi.À

peine a-t-il pris les rênes de la gendarmerie que le général Favier crée la prévôté.Grâceàcettepolice judiciairedévolueauxforcesarméesdéployéesà l'étranger, lespandores sont habilités à enquêter sur les attentats commis dans toutes les zones oùopèrentdesmilitaires français.C'est ainsiqu'ilsont récupéré lesdossiersdudoubleattentatcommisàGaoauMali,enmai2016,etceluiducrashsuspectenjuillet2014d'unaviond'AirAlgérieauSahel.Quiplusest,Favierachoisipourmettresurpiedlaprévôté lecolonelOlivierKim,labêtenoiredespoliciersantiterroristes,puisqu'ilaétéchargédixansplustôtdemonterlefameuxBLAT...

L'élitedevenuecible

Non seulement la gendarmerie est persona non grata sur les enquêtes touchant auterrorisme,mais ils'enest falludepeu,sousSarkozy,pourqu'onluiretire leGIGN,sonunitéd'élite.Depuislaprised'otagesdeNeuilly,l'ancienPrésidentn'avaitd'yeuxque pour le RAID, la force d'intervention de la police nationale, au point d'y avoirmême envoyé en stage son propre chien. Son bras droit et successeur à Beauvau,ClaudeGuéant,amêmeattendulestoutderniersmoisdesonséjouràl'Intérieurpour

rendre visite aux hommes duGroupement d'intervention de la gendarmerie nationaledans leurQGdeSatory.Et encore, pour une visite éclair de cinquante-cinqminutesmontre enmain, sansmême signer le livre d'or, aumotif qu'il était troppressé.Unevisitequiavaitaccablélespandores.Toutl'inversed'unManuelValls,qui,lui,viendraunmoisàpeineaprèssonarrivéeà l'Intérieur,et restera troisheures« surzone »aulieudesdeuxprévuesinitialement.Uneattentionministériellequis'explique:le« GI »,c'estlachosedeFavier.C'estlà

qu'il a conquis ses premiers galons, bâti les fondations de sa carrière.Valls le saitparfaitement. C'est le jeune capitaine Favier qui, sur l'aéroport de Marignane endécembre1994,aconduitavecsuccèsl'assautcontrelespreneursd'otagesd'unAirbusd'AirFrance.Pourtant,troisansplustôt,lorsquel'officierarriveàSatorypourprendrelatêtedel'unité,l'accueilestrude.Unbureauquasimentvidel'yattend.Seulmobilier:unemodeste table d'écolier et une chaise. Les sous-off lui imposent un entraînementd'enfer:ilperdcinqkilos.Lorsdelaremisedesonbrevet,unepartiedelatroupeluitournecarrémentledos.Iltientlechoc,maisl'épreuvelemarquera.« Ilestdevenuunchef de meute. Si vous avez sa confiance, c'est à vie. Sinon... Il a une incroyablemémoire et ne laisse rien passer, explique un vétéran duGI16. Il contrôle toutes lesnominations.Ilad'ailleursmisunhommeàluiàlatêteduBPO17,lebureauquifaitetdéfait lescarrièresd'officiers. »DenisFavierqui rêvaitd'êtrepilotedechasseaura,dans le cockpit de la gendarmerie, trouvé comme il le dit lui-même « un avion decombatquirépondbien ».Enaoût2007,alorsqueNicolasSarkozyvientd'êtreéluetquesesflicspréférésfont

étatdeleurintentiondefaireunsortauGIGN,FavierrevientauGIpourenfaireuneunité XXL. Forte de quatre cents hommes et femmes, cette force d'élite unique enEurope devient intouchable. Le général sait que le GIGN participe de son propremythe. Il ajoute une pièce dans lamachine en se faisant « tarponner », parachuter enpleinemer,lorsdelaprised'otagespardespiratessomaliensduPonantenavril2008.Sixansplustard,lorsdelatraquedesterroristesdeCharlieHebdo,celuiquiestalorsnuméroundelagendarmerienerésistepasàlatentationd'allersurplaceàDammartin-en-Goële,afindepiloter lui-mêmel'assautcontre lesfrèresKouachibarricadésdansl'imprimerie.UnaffichagequiénerveauplushautpointNicolasSarkozy.« PourquoiFavier est-il allé aider ce grosmou deHollande sur la prise d'otages ? » s'emportemême l'ex-chef d'État devant des proches. Ce jour-là, pour Sarkozy et les siens, legénéralestdevenudéfinitivementl'hommeàabattre.

C'esttoutcom' !

« C'estàMarignanequeFavieracomprisl'importancedelacommunication,expliqueundesesancienscollègues 18.LeGIGNatoujoursservidevitrinepourlagendarmerie

mais il l'a utilisé comme personne avant lui. » Une anecdote en dit long : lors dudernierchampionnatd'EuropedefootballorganiséenFranceàl'été2016,laprotectiondes équipes est tirée au sort entre le GIGN et le RAID. Le Portugal tombe dansl'escarcelledesgendarmesd'élite.Unebonnepioche,puisquelasélectionconduiteparCristianoRonaldol'emporte.Surletrophéequebrandit,àl'issuedelafinaleauStadedeFrance,lecapitainedelaSeleçãodasQuinas,despetitsmalinsontcolléunsticker.Un« crime »signéFurax:l'autocollantestceluiduGIGN !Jolicoupdepub...Cetteobsessionconstantedufairesavoir,onlaretrouveégalementchezFavierdans

l'attentiontouteparticulièrequ'ilporteauSirpa,leServiced'informationetderelationspubliquesdesarmées.Lesbureauxdecette redoutablemachine sont installésà Issy-les-Moulineaux, au siège de laDirection générale de la gendarmerie, à deux pas deceux du grand patron. Sous l'impulsion de Favier, le Sirpa investit puissamment lesréseaux sociaux, abreuve la pressede communiqués ciselés à la gloirede la troupe.Objectifaffichéetréussi:dépoussiérerl'imagedescruchots.Etforcément,fairediredu bien de leur chef.Ce n'est pas pour rien queFavier y a placé des hommes sûrs.Encore une fois, la police est doublée. Elle qui préfère laisser à des représentantssyndicauxlesoind'investirlesplateauxdechaînesd'informationencontinusansqu'ilsaienttoujoursquelquechoseàraconter...Lacom',cenesontpasseulementlesmédias.Onnecomptepluslespolitiques,les

parlementaires ou les industriels invités à des démonstrations de force de lagendarmerie.Voire, pour les plus choyés commeNathalieKosciusko-Morizet, à desséancesdetir.PourlesquaranteansduGI,enoctobre2013,Faviermetlespetitsplatsdans les grands.Avec, en clou du spectacle, l'intervention d'un commando héliportépourlibérerunetrentained'otages–desfigurantsretenusdansunbâtimentbunkérisé,suividel'exfiltrationparlesairsd'unepersonnalitédontleconvoiesttombédansuneembuscade.Unevraie superproduction !DequoiméduserBernardCazeneuveet toutl'aréopagedesdirecteursdelapolicecantonnésaurôledespectateurs.

Lagloiredescruchots

Favier se sert également de son joujou préféré sur un autre front : la guerreéconomique.Ainsi,en2010,alorsqu'ilvientd'arriveràlatêtedel'unité,lesémiratis,en pleine négociation pour l'achat de soixanteRafale, exigent un partenariat avec leGIGNsurlapiraterieaérienne–àlagrandesatisfactionduDGGNd'alors,legénéralMignaux,quisemetenquatrepouraiderSarkozyàvendresesavionsdecombat.Plustard, devenupatrondes gendarmes,Favier est reçu engrandepompepar lePremierministre et leministrede l'Intérieurqatarispourdiscuter« coopération stratégique ».CepartenariatavecDoha,fortementencouragéparManuelValls,ad'autantpluslacotedans l'émirat,queHollandeamisé, lui,sur l'Arabiesaouditeavec l'aidedesréseaux

chiraquiens. C'est aussi dans le sillage de Valls que Favier se rend à Pékin auprintemps 2015, pour nouer un accord stratégique entre la gendarmerie et l'Arméepopulaire chinoise ! Peu de temps après, Manuel Valls reçoit à Matignon sonhomologue chinois, avec lequel il signe quinze accords commerciaux, dont un sur lavente de soixante-quinze Airbus A330. Pour fêter ces emplettes, les deux Premiersministres se rendent ensemble àToulouse au siège d'Airbus Industries. Évidemment,Favierestduvoyage...GrâceaulienentreVallsetFavier,jamaislagendarmerien'auraétéaussipuissante.

Pourconnaîtrepareilâged'or, il faut remonteràCharlesHernu,audébutdesannées1980. Fils de gendarme, le premier ministre de la Défense de Mitterrand était uninconditionneldespandores.MaisFavieraréussiuntourdeforce:le30août2016,ilfait ses adieux aux armes. Cet après-midi-là, dans la cour des Invalides, pour ladernière fois, legénéralpasse en revue les troupes.Lui emboîtent lepas lePremierministre,legardedesSceaux,lesministresdel'IntérieuretdelaDéfenseainsiqueledeuxième personnage de l'État, dans l'ordre protocolaire, le président du Sénat. Demémoiredegendarme, jamaisun telhommagen'avaitété renduàundes leurspar laRépublique. Au moment de remettre le drapeau à son successeur, Denis Favier,cinquante-sept ans, pense-t-il au chemin parcouru en trente-trois ans de carrièremilitaire,àsonpèresous-officierd'infanterie,etàsonfils,élèveofficiergendarmequireprendleflambeau ?Preuvequ'elleestaufirmament,l'institutionadictéaupouvoirexécutiflenomdeson

nouveaupatronetsuccesseurdeFavier.CeseralegénéralRichardLizurey.Cesaint-cyrien,« unamidequaranteans »dugénéralFavierquil'a« adoubé »,estlagarantiequ'en cas de retour de la droite au pouvoir, la gendarmerie ne sera pas à nouveaumaltraitée. Celui qui fut conseiller à Beauvau de Brice Hortefeux, puis de ClaudeGuéant,agardédesolidesamitiéschezlesRépublicains.Maisilestappréciépar lagaucheoùl'onn'apasoubliésonsoutienpublicàJean-PierreHavrin,l'initiateurdelapolicedeproximitésousChevènement.En2003,Havrinestdémisdesesfonctionsparleministredel'Intérieur,NicolasSarkozy,aumotifqu'ilgaspillesontempsàfairedelapréventionde ladélinquancepar le sport.« Monattitudea surprisMichelGaudinquidirigeaitlapolice,maisc'estunequestiondeconviction.Lorsquej'étaisàlatêtedugroupementdeHaute-Garonne, j'avaisvuHavrinà l'œuvre lorsdeviolents incidentsdansdescitéstoulousaines,c'estunhommecompétentetcourageux »,expliquelecinqétoiles 19,sourireauxlèvresquandonl'interrogesurl'épisode.« Lagendarmerieétaitmalpartiequandjesuisarrivéàsatête,çarestefragilemais

onaposédessocles.Ilfautquelamontéeenpuissancecontinueetjelaissederrièremoiunsuccesseurquiseraindéboulonnable.AvecLizurey,j'assurelapérennité »,nousavaitconfiéDenisFavieravantlepassagederelais.Obsédés par la préservation de leurs armes et soucieux d'avoir toujours un coup

d'avance,lesgendarmesontdéjàprévulecoupd'après,dansl'hypothèseoùlagauchel'emporterait en... 2022. Ce sera le tour du général Christian Rodriguez. Huit moisavantl'échéanceélectoralede2017,leconseillerdeCazeneuveàl'Intérieurestdevenunumérodeuxdesgendarmes.Lespandoresontretenulaleçon:laforcedelapolice,c'estsaproximitéaveclepolitique.Lagendarmerieauradoncplacéauprèsdesquatrederniersministresdel'Intérieursesfuturspatrons.Mêmesi,commeleconfie,lucide,lesuccesseurdeFavier,« leschosessefontmais lentement.Pour lerenseignement,parexemple,ilfautencorepasserdubesoind'enconnaîtreaudevoirdepartager. »Dans les jardins du gouverneur de Paris où se tient la garden-party qui clôture la

cérémonie du départ de Favier, des gendarmes de tous grades défilent pour se faireprendre en photo avec leur ancien taulier. L'ego regonflé à bloc par les paroles duPremierministre déclamées devant tous dans la cour d'honneur des Invalides : « LaRépublique a ses grands serviteurs, ses grands militaires, ses héros...Mon général,vous êtes les trois à la fois ! » Valls a ajouté ce que tous voulaient entendre : lagendarmerie est « au coude à coude avec la police nationale pour faire face auxmenaces ».François Hollande aura appris le départ soudain du général pour rejoindre la

directiondelasécuritédugroupeTotalseulementtroisjoursavantl'annonceofficielle.ManuelVallsétait,lui,danslaconfidencedepuisplusieursmois...« TimeOnTarget »,comme on dit auGIGN. « Arriver sur l'objectif à l'heure prévue », c'est ce qu'a faitDenisFavierens'exfiltrantaubonmoment.LetandemValls-Favierauraatteintsonobjectif.Enmoinsdecinqans,Vallsaréussi

àcontrerlaprégnancedelapolicesurlesaffairesjudiciaires ;Favieraredonnéàlagendarmerielelustreetlepouvoirqu'elleavaitdutempsdeMitterrand.

1.Entretiendu16juillet2012.2.Entretiendu7août2012.3.Entretiendu7janvier2014.4.Plon,2015.5.Entretiendu27mars2014.6.Entretiendu17février2014.7.Entretiendu28avril2016.8.Entretiendu19février2014.9.Entretiendu26avril2014.10.Entretiendu1erjuillet2016.11.Voirleglossaire.12.Entretiendu17avril2014.13.Entretiendu17avril2014.14.Entretiendu28avril2016.15.Entretiendu26avril2014.16.Entretiendu25juin2016.17.Bureaupréparationopérationnelle.

18.Entretiendu19février2015.19.Entretiendu20octobre2016.

5

Lescarottessontcuites !

Quand l'huissier lui a demandé ce qu'il voulait boire, Jo a spontanément répondu :« Unecoupedechampagne. »Assisenface,sonhôtes'estcontentéd'unverred'eau.— J'ai toujours tutoyé tes prédécesseurs, on va continuer, a embrayé Joaquin

Masanet.—Non !acoupéd'untonglacialleministredel'Intérieur.Àpeinesoninterlocuteurreconduit,BernardCazeneuvealancéauxmembresdeson

cabinet :« Jeneveuxplus jamais levoir ! »Lepremier flicdeFrancenerecroiseraplusàBeauvauceluiquedanslapolicecertainssurnomment« Jol'embrouille ».Audébutdefévrier2014,cinqmoisaprèsavoircontrariéleministredel'Intérieur,Jo

Masanet, figure haute en couleur du syndicalisme policier, est arrêté par l'IGPN, lapolice des polices. Les « bœuf-carottes », baptisés ainsi pour leur propension àcuisiner longtemps, à petit feu, leurs « clients », le soupçonnent d'avoir détourné del'argentdel'Anas 1qu'ilpréside.En réalité, ilsmettent ce jour-là un sacré coup de rangers dans le poulailler.C'est

toutelapoliceàlapapa,sesréseaux,sescodesetsescoteriesquivacillent.Véritableinstrumentauservicedupouvoir,l'IGPNdirigéeparMarie-FranceMonégerva,augrédesesenquêtes,nonseulementserviràvirerlesbrebisgaleusesmaisaussiaboutiràmettrehorsd'étatdenuirelesgêneurs.Plusquejamais,souslagauche,lapolicedespolicesestdevenueunepolicepolitique.Jo Masanet cumule les handicaps. Ancien syndicaliste, homme de gauche, ce

sexagénairefortengueulesevantedefaireoudéfairelesministresdel'Intérieur.C'estson numéro que les flics – petits et grands – se refilent sous le manteau : Jol'embrouille connaît tout et tous.Besoin d'une nomination, d'une promo, d'un PVquisaute pour le fiston ou d'une naturalisation pour le copain de la fille ? Une seuleadresse, va voir Jo !Au fil des années,Masanet a acquis sa réputation de directeurgénéraldelapolicebis.Il l'aaussientretenueàcoupsdelégendes,commecellequifaitdeluiuneéminenceduGrandOrientdeFrance.Faux,archifaux.SeulFrancis,son

frère,policierégalement,aété...« frangin ».Etencore:deuxpetitesannéesavantdepartir.Silesbœuf-carottess'intéressentàJoetàsonbusiness,c'estqu'ilapparaîtsurécoute

en train d'activer de multiples contacts dans la maison poulaga. Il cherche à serenseigner sur une enquête en cours au 36, quai des Orfèvres, la PJ parisienne. Enl'occurrence, celle qui concerne Christian Prouteau, le fondateur du GIGN. L'ex-supergendarmedeMitterrand,notammentchargédelaprotectiondeMazarine,lafillecachéedel'ex-Président,apparaîtavecceluiquelesmédiasontbaptisé« l'escrocdesstars »,ChristopheRocancourt,dansundossierdecorruption.Ens'intéressantàJoetenplongeantdanslescomptesdel'Anas,lapolicedespolicesvafaireremonteràlasurfaceunedrôledetambouillefinancière.Lorsque le 19 décembre 2014, Bernard Cazeneuve, malgré le souhait qu'il avait

formulé, se rend aux vœux de l'association, il sait pertinemment que Jo est dans laseringue. C'est donc avec un sourire renseigné qu'il écoute le discours tonitruant deMasanet.Leministredel'Intérieurenoublieraitmêmelapetitehumiliationqu'ilvientdesubirquelquesheuresplustôt.LePremierministreManuelVallsl'aappelépourluiintimerl'ordred'écourtersonvoyageenAlgérieafind'êtreprésentcesoir-làaumuséedes Arts forains à Paris. Un ordre qui doit beaucoup à Jo. Celui-ci s'est plaintdirectementàMatignonendécouvrantqueCazeneuveavaitdécidédese faireporterpâleàsapetitefête.Avantdes'embrouilleravecCazeneuve,Joavaittoujourssufaireavecleslocataires

delaPlaceBeauvau.Ils'étaitainsicolléauréseauduministredel'IntérieursocialistePierre Joxe, dont le chef de cabinet se nommait François Rebsamen et l'un desconseillers était un certain officier CRS sorti du rang, Patrice Bergougnoux, devenuplustarddirecteurdecabinetdeChevènement,puispatrondelapolice.Laseulefoisoù JoaquinMasanet s'emportera contre Joxe, c'est lorsque celui-ci interdira l'alcooldans les commissariats. Les CRS se vengeront en baptisant le Ricard, leur apéritifpréféré,« petitJoxe ».En2007,letrèspuissantsyndicatUnsaPolice,quelecamaradeJo dirige alors, prête ses gros bras pour sécuriser les meetings de la candidateSégolèneRoyal,cequi luiattireà l'époque lesobriquetde« poulet royal ».Masanets'imaginealorsconseilleràl'Élysée,avecRebsamenàBeauvau,etBergougnouxpréfetdepolicedeParis...

Valls,victimecollatérale

Suiteàladescentedel'IGPNausiègedel'Anas,àJoinville-le-Pont,certaineshuilesdelapolicesefontdumouron.Nombred'entreellessesontfaitrinceraurestaurantdel'association.« QuandonallaitvoirJopourdéjeuner,onposaitsonaprès-midietonsavaitqu'onauraitlagueuledeboislelendemain,confieunhabituédeslieux2.Certains

directeurs départementaux de la sécurité publique regagnaient en zigzaguant leurvoitureavecchauffeur... »Maissurtout,enfouillantlebureaudeJo,audernierétagedecetteimposantedemeurebourgeoiseduborddeMarne,les« bœuf »onttrouvédequoi« fairemanger »uncertainnombredepatrons.Enplusdesdocumentscomptables,ilsontmislamainsurtroisagendasoùJonotaitscrupuleusementtoussesrendez-vous,etsur des centaines de photocopies de PV qu'il a fait sauter pour des « amis », ensollicitantsescontactsdanslahiérarchiepolicière.« QuandlanouvelledelachutedeJoesttombée,beaucoupdepolicierssesontmisà

vérifierlesSMSqu'ilsavaientéchangésaveclui,sachantquel'IGPNl'avaitsurécoutedepuisuncertaintemps »,s'amuseuncadredelapréfecturedepolice 3.Plusencore,enenclenchantl'« affaireJo »,lesbœuf-carottesvontneutralisertroissoldatsdeValls.Première victime et non desmoindres, Bernard Petit, le patron du 36. Lorsque, le

mercredi4février2015,l'IGPNperquisitionnesonbureau,ManuelVallsperdsapiècemaîtresse sur l'échiquier police. Bernard Cazeneuve exécute Bernard Petitpubliquement, sans états d'âme, au sortir d'unConseil desministres, dans la courdel'Élysée.BernardPetitestengardeàvuedepuismoinsdevingt-quatreheuresetdoncprésuméinnocent.MaispourlelocatairedeBeauvau,ilestdéjàcoupable.Commesicette exécution médiatique ne suffisait pas, l'ex-patron du 36 est également flinguéadministrativement. Lorsqu'il sort de sa garde à vue, en pleine nuit, deux hautsfonctionnairesdel'administrationdel'Intérieurl'attendentdansleparkingdel'IGPN.Àborddeleurvéhicule,ilsleconduisentdansleslocauxdeladirectiondesressourceshumainesduministère.Et là, ilsannoncentauquinquagénairequ'il estnonseulementviréde lapolicemaisaussi rétrogradédansses fonctions.Etnepeutainsiprétendreauxindemnitésdecommissairedivisionnaireretraité.OutrePetit,cetteenquêteautourducommercedeJol'embrouilleégratignedeuxautres

soldats deValls.Deux préfets : celui de la préfecture de police, BernardBoucault,anciendirecteurdecabinetdeVaillantàl'IntérieuretceluiduVal-de-Marne,ThierryLeleu,unamideYvesColmou, leconseiller spécialdeValls.Àcemoment-là, tousdeuxsontsoupçonnéssanspreuvesd'avoirobtenudesfacilitéspourJoMasanet.Despapiers ici, un PV qui saute là. Inconnus du grand public, leurs noms apparaissentpourtant dans la presse sitôt le déclenchement de l'enquête. Ils seront cuisinés parles bœuf-carottes avant d'être mis hors de cause. Mais non sans avoir provoquéquelquesfrictionsentreMatignonetl'Intérieur.Deuxansaprès ledéclenchementde l'enquête, si sonvoletAnasabienprospéré–

JoaquinMasanetaétémisenexamenpourabusdeconfiance–,lamiseencausedeBernard Petit n'apparaît pas comme évidente. Au cours de deux confrontations, auprintemps 2015, son principal accusateur – l'adjoint de Jo – s'est même en partierétracté.Ce17juillet2016,l'ex-patrondu36siroteunCocalightdansunebrasserieàquelquespasde l'Arcde triomphemais surtoutde laboucheduRERqu'il emprunte

pour rejoindre son modeste pavillon de banlieue. L'ancien grand flic a troqué sesélégants costumes contre un jean et un polo. Encore sonné par la violence du coupporté, il assureavoirdésormais« tourné lapage ».Dans l'incapacitéde retrouverunboulot–« tantquejenesuispasjugé,c'estdifficile... »–,ilseconsacreàlasculptureet à la peinture, deux anciennes passions. Et puis il continue de chasser. Maisdésormaisuniquementdugibieràquatrepattes.Depuisqu'ilaétéobligéderendresaplaqueet son flingue,Petitcontinue« devoirdescopains »de lapolice.Assezpeu,assure-t-il.Chezleshommespolitiques,seulManuelVallsluiafaitsigne.Unefoisparl'entremisedeJean-MarieLeGuenquil'ainvitéàdéjeunerauministèredesRelationsavecleParlement,àdeuxpasdeMatignon.Uneautrefoisdirectementparuncoupdefil.« C'étaitchaleureux.Celam'afaitplaisir »,confielepoulet.Aussi accablé que défaitiste sur son sort judiciaire, Petit s'étonne tout de même

qu'aprèsdesmoisd'investigationszéléesdelapartdelapolicedespolices,toutcequisurnagedansledossierleconcernant« estd'avoirreçuPhilippeLemaître »,auquelilauraittirédesinformationsrelevantdusecretdel'instruction.« Jeveuxbienquecesoitunefauteprofessionnelled'avoirrencontrécesimpleagentadministratifquejecroisedeloinenloindepuisplusdevingtans,maisçan'ariendepénal.Jeneluiairienditsurrien.Etsurtoutpassurl'enquêteautourdeProuteau,dontjen'avaisquefaire.J'ail'impressiond'êtretombédansunpiège. »Il estvraique ledossier« Jo » recèlequelquesbizarreries.Lagestiondesécoutes

parl'IGPNlaisseainsipantois.Le3octobre2014,lesbœuf-carottesretranscriventuneconversation entre Prouteau et Lemaître, l'ancien gendarme a appris qu'il étaitconvoquéle17parlaPJ,iltéléphoneàLemaîtrequisembletomberdesnues:« Ohlàlà... »,et luidemandesic'est laPJdeNanterreoule36,cequeProuteauignoretoutcommeil indiquenepasconnaître lenomde l'officierdepolice judiciaire.Lemaîtreproposedoncd'alleràlapêcheauxinfosetderappeler.L'enquêteurdel'IGPNnoteenmargequeLemaîtrenedemandepasàProuteaupourquoiilestconvoqué,cequisous-entendqu'illesaitdéjà.LemaîtreauraitétéinforméparPetit.Saufquequinzeminutesplustard,Lemaîtreappellesonamipourlequestionner:—Tusaispourquoituesconvoqué ?—Non.—Tuleurasdemandéaumoins ?—Non.Cetteconversationestcurieusementdissociéedelapremièreavecsoncommentaire,

égaréedansledossierd'instructioncinqcentscotesplusloin.Commesionvoulaitquelemagistrat passe à côté. D'ailleurs, lorsqu'il interroge Prouteau, le juge lui ressortl'interception téléphonique, pour lui dire en substance : « Vous ne demandez paspourquoi vous êtes convoqué, manifestement vous le savez déjà... » Dès lors, lesregards se tournent forcément vers Bernard Petit, qui, d'après l'enquête de l'IGPN,

auraitéchangéenmoinsdedeuxanscinqcentsSMSavecPhilippeLemaître,preuvequelesdeuxhommesétaientencontactdefaçonrégulièreetsoutenue.Enfait,ils'agitd'une newsletter électronique concoctée par Lemaître dont le patron du 36 étaitdestinataireetàlaquelleiln'aréponduqu'uneseulefoisparunlapidaire« Merci ».Dans l'esprit de Bernard Petit, revient en boucle une « sale intuition » : quelqu'un,

quelque part, a cherché à lui faire payer au prix fort son entêtement sur des affairessensibles, à commencer par cette enquête sur le parrain corse Michel Tomi 4. Si àl'Élysée on avait voulu abattre un homme de Valls, le viser aurait été d'autant plusfacilequelesréseauxsarkozystesentremêlésàceuxdePéchenardétaientfavorablesàsaperte.

Unemachinedeguerre

Ce17juillet2016,alorsquePetitsirotesonsoda,lehasardveutqu'undespontesdel'IGPNsoit,quelquestablesplusloin,engrandeconversationavecdesamispoliciers.C'estcecommissairedivisionnaire,chefducabinetdediscipline,quiachapeautétoutel'enquêtevisantPetit.PatriceDemolya leprofilparfaitpouralimenter les scénarioscomplotistes.Avantd'arriverchez lesbœuf-carottes,enseptembre2013, ila faitsesarmesàlabrigadefinancière,dutempsdeJacquesChirac.C'estnotammentluiquiapermisde faireéclore l'Angolagate.Uneaffairedevented'armesoùseront inquiétésnotammentCharlesPasquaetl'undesfilsdeFrançoisMitterrand,Jean-Christophe.EtquiauracontribuéàlaréélectiondeJacquesChiracen2002.Uneenquêtemenéemaindans lamainavecceluiquideviendraunami,PhilippeCourroye.Lemagistrat avaitdéjà rendu un fieffé service à l'ex-maire de Paris en faisant tomberMichel Noir etAlainCarignon,deuxjeunesloupsduRPRdontl'ambitionfaisaitdel'ombreauchef.Autantd'affairesnourriesdansl'ombreparletrèschiraquienetancienpatrondesRG,YvesBertrand,àencroiresescarnetssecrets.L'IGPNalongtempstraînélaréputationd'être lebrasarmédupouvoirpourcouper

destêtesdanslapolice.ÀBeauvau,NicolasSarkozys'empressed'ynommerunfidèle,quiseralui-mêmeremplacéparunhommeencoreplusdévoué:DominiqueBoyajean.Cet ancien directeur de cabinet de Michel Gaudin, directeur général de la police,cheminedepuisunevingtained'annéesauxcôtésdeSarkozy.LesdeuxhommessesontconnusàNeuilly-sur-Seine: l'unétaitmaire, l'autrenumérounducommissariatdelaville.Quand la gauche reprend l'Élysée, Boyajean monte dans la charrette. À sa place,

ManuelValls installeMarie-FranceMonéger.Ellen'estpas spécialementdegauche,mais c'est une femme.Unepremière à ce poste.Et c'est une bosseuse doublée d'uneambitieuse.Bref,elleatoutpourplaireaunouveaupremierflicdeFrance.Illuiconfiecommepremièremissionde« liquider » l'Inspectiongénéraledesservices (IGS), les

« bœuf »de lapréfecturedepolice.Les socialistes sont eneffetpersuadésquecetteofficine de l'île de la Cité, sous Sarkozy, a monté des dossiers contre plusieursfonctionnairesprochesdeDanielVaillant, l'ex-ministredel'IntérieurdeJospin.CettemêmeIGSavaitétéutiliséepourfairelesfadettesd'unjournalisteduMondeenquêtantsurl'affaireBettencourtquiempoisonnaitlaSarkozie.En nommant à la tête de l'IGPN Monéger, une fille de militaire qui a grandi en

AllemagneetenAlsaceetrêvaitdedevenirjugepourenfants,Vallspensetenird'unemaindefercettestructure.Ellevapourtantseretournercontrecertainsdeseshommesdanslagalaxiepolicière.Zélée,lanouvellepatronnedel'IGPNsemetauservicedusuccesseur de Valls à Beauvau : lorsque Cazeneuve lui demande d'« aller jusqu'aubout »concernantBernardPetit,elleexécutelabesogne.SiMFMnefréquentepaslesstands de tir, parce qu'elle déteste les armes, elle n'a pas pour autant la main quitremble.« C'estvraiquejesuisrudedanslesrelationshumaines.Maisvoussavez,leplus difficile à atteindre, c'est de rester femme en s'imposant dans un monded'hommes »,confiecelle 5quesessubalternessurnommentparfois« Maman ».Quoiqu'ilensoit,lesécoutesdeJoaurontpermisderatisserlarge.Etpasseulement

enespionnantBernardPetit.Nonseulementyapparaîtlepréfetdepolicedel'époque,BernardBoucault,appeléparJopourunservice,maisaussil'hommedeManuelVallsdansle94, lepréfetThierryLeleu.Citécommetémoindansledossier,sonnomtrèsvitesortidanslapressecréedesturbulencesàMatignon.Dèslors,Marie-FranceMonégeragaceManuelValls.Pourtantellegardedespoints

communsavec lui : lamêmeambitiondévoranteet lemêmerégimesansgluten.Ellequi répète à l'envi ne faire partie « d'aucun réseau, d'aucune coterie », a créé enseptembre 2013 l'associationFemmes de l'Intérieur. Fort de trois centsmembres, cegroupe d'influence qu'elle préside concentre les femmes les plus capées de la PlaceBeauvau.Celui qui s'est apparemment le plus activé pour lui savonner la planche, c'est

l'incontournableÉmilePérez,sponsoriséenvainparAlainBauer.MonégersoupçonnePérez d'avoir alimenté la presse en fausses infos pour lui nuire. Le 11 mars 2014,Marie-France Monéger voyage en TGV avec le DGPN d'alors, Claude Baland.Soudain, leursportables respectifs semettent à carillonner à tout-va.Le site Internetd'un journal vient de titrer : « Une femme devrait prendre la tête de la policenationale ».L'articleprécisequeMonégervaremplacerBaland,nommépréfetdansleNord. « On a chacun reçu près de soixante-dix SMS de félicitations, et puis montéléphone a sonné, c'était Émile. Ilm'appelait pourme complimenter et surtout pourdézinguerlebilandeClaudeBaland,quiétaitassisàcôtédemoi,j'étaistrèsgênée »,raconte celle qui restera patronne de l'IGPN6, tandis que Baland, lui, quitteraeffectivementsonposte,maisdeuxmoisplustardetpaspourlapréfectureduNord...

Unefemmeflingueuse

« Auministèrede l'Intérieur,pourgrillerquelqu'un surunposte, lemeilleurmoyenc'estdesortirsonnomprématurément »,décrypteunvieuxroutierdelaPlaceBeauvau.Danscetteguerredesuccessionpourprendrelatêtedelapolice,touslescoupssontpermis. Début janvier 2015, dans les Hauts-de-Seine, après une soirée arrosée, unjeuneconducteurfaitunesortiederouteetmeurtsurlecoup.SoncopainquilesuitenVespa assiste impuissant au drame. Le lendemain, le commissaire de permanencereçoit un coup de fil de son supérieur, lequel veut s'assurer qu'il a bien signalé auprocureur le nom du témoin de l'accident, en l'occurrence un des enfants deMFM.D'aprèsnotreenquête,laconsigneseraitdirectementdupatrondelasécuritépubliquedans ledépartement, qui se trouve être à la fois l'ancien conseiller deManuelVallsPlaceBeauvau,etunamidePérez.Devenir la première femme patronne de la police, Marie-France Monéger a

commencéàypensertrèstôt,quandFrédéricPéchenard,promuparNicolasSarkozy,l'afaitveniràsescôtéscommeconseillertechnique.« L'exempledePéchenarddevenuDGPNmalgréluim'afaitcomprendreque,danscertainescirconstances,onnepeutpasrefuserunposte,explique-t-elle.Sileministremedemandaitd'êtreDGPN,est-cequejepourraisdirenon ?...Sûrementpas. »Le« Sarkoboy »Péchenardn'hésitepasà luiconfierladirectiondelacommunicationdelaPlaceBeauvau.« Unpostestratégique,caronyapprendbeaucoupsurbeaucoupdemonde »,confie-t-elle.Unanetdemiplustard, la voilà missionnée cost-killer pour fusionner deux grandes directions de lamaison poulaga, celle de la formation et celle du personnel. Une tâche dont elles'acquitteipsofacto.Propulséenumérodeuxdelanouvelledirectionmastodonte,elletravaillemaindans

lamainavecPéchenard.Maisc'estunautresarkozyste,désormais« infréquentable »,quialeplusimpressionnéMarie-FranceMonéger:ClaudeGuéant.

Gardère:uneaffairequimijote

Malgré ses amitiés avec la Sarkozie, l'Alsacienne ne cille pas lorsqu'il lui fautflinguerAlainGardère.AncienbrasdroitdeGuéant,deGaudinmaisaussipréfetdepoliceàMarseilleetdesaéroports,ceBordelais,auphysiquedemarathonien,dirige,on l'a vu, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), lorsqu'iltombe pour embrouille en tout genre. Il est soupçonné d'avoir obtenu des facilités(appartements, vacances tous frais payés, des bons gueuletons, etc.) en échange dequelquesmenusservices.L'enquêteéclaboussedoncunprochedeSarkozymaisaussideux fidèlesdeValls,AlainBauer, commeon l'avu, etRenaudVedel, le conseillerpolice de l'ancienministre de l'Intérieur. « Je ne suis qu'une victime collatérale d'un

règlementdecomptespolitiqueàgauche »,assureGardère 7 qui s'est reconverti dansl'intérimen attendant de créer sa propreboîte d'avions-taxis.Dans sa tête,Hollandel'aura visé pour atteindre en ricochet les réseaux Péchenard et l'éminence grise deValls.Aujourd'hui,quandondemandeofficiellementàl'IGPNquelsfaitssontàl'originedu

déclenchementdel'affaireGardère,c'estlegrandflou.« Toutestpartidequelqu'unquia parlé dans le dossierMasanet. C'est souvent comme ça quand les gens se sententferrés:ilsdétournentl'attentionendisantregardezplutôtparlà.Onatoutdemêmeprisl'affaireausérieux.Lorsqu'onavuquec'étaitdulourd,onatransmisauparquetquiaouvertunepréliminaireenaoût2015 »,expliquelachefdesbœuf-carottes 8.Uneversionapriorimalmenéeparlesfaits.Bienavantquelamachinejudiciairene

démarre, il sembleque leChâteaus'intéressaitdéjààAlainGardère.Ledir' cab'deHollande,ThierryLataste,précédemmentdirecteurdecabinetdeCazeneuveàlaPlaceBeauvau,auraitdemandéqu'onluiremontedurenseignementtousazimutssurlepréfetà l'ascension fulgurante. Un véritable audit aurait été réalisé sur les deux annéespasséesparGardèreàl'aéroportdeRoissycommepréfetdéléguéàlasécurité.Notesde frais, attributiondesbadgesd'accès auxzones réservées sur l'aéroport, jusqu'à lafacturedesonpotdedépart,toutauraitétéscrupuleusementépluché.Puis, en juin 2015, le service de renseignement financier de Bercy produit

spontanément une note de quarante-cinq pages sur Alain Gardère. C'est dans cedocument qu'apparaît le nom d'un entrepreneur du bâtiment, aujourd'hui soupçonnéd'être au cœur d'une vaste affaire de corruption. Le responsable de France PierresauraitcédéàprixcasséàGardèreunappartement,prenantmêmeàsachargelesfraisde notaire et les travaux d'aménagements intérieurs. Ce volet de l'affaire inquiètedésormais quelques élus LR en Île-de-France, qui auraient également goûté à lagénérositédel'entrepreneur.IlestaussiuneépéedeDamoclèsau-dessusdelatêted'uncertainRenaudVedel.AncienconseillersécuritédeVallsàBeauvau,puisàMatignon,ce quadragénaire a travaillé aux côtés d'Alain Gardère. Tous deux étaient alors auservice deMichelGaudin, préfet de police deParis devenu directeur de cabinet del'ex-présidentSarkozy.Àcetteépoque-là,GardèremetenrelationlepatrondeFrancePierres avec Vedel, lequel s'achète un appartement. Les « bœuf » ont été ravis del'apprendre.« Gardère,c'estlapoliceàl'ancienne...maistoutlemondeconnaissaitsesfaiblesses

depuislongtemps.Laquestionestdesavoirpourquoitoutd'uncouponavoululefairechuter », s'interrogeunehuiledeBeauvau9.De fait, sous lequinquennatSarkozy, lesfréquentationsd'AlainGardèreavaientdéjàattirélacuriosité.Parexemple,lorsquelaDCRI avait capté ses conversations avec un ami restaurateur des Hauts-de-Seineconsidérécommeuncorrespondantdesservicesmarocains...IlfautdirequeGardères'est longtemps cru intouchable, sûr de sa baraka, de la puissance de ses réseaux

francs-maçonsetpolitiques.« J'aiconnuSarkoquandilétaitmairedeNeuilly,aime-t-ilàraconter 10.IlroulaitenSafrane.Commeilavaitprisl'habitudedesegareraupieddel'immeubleoùhabitaientCéciliaetsonmariJacquesMartin,jeluiaiconseillédeneplus stationner là... etona sympathisé.Lui,Hortefeuxetmoi,on faisait labringueàNeuillytouslestrois. »LejeunecommissairedevientviteunhommedeconfiancedelaSarkozie.D'autantqu'ilséduitaussiClaudeGuéantqu'ilrencontreàRennesquandcedernierestpréfetdeBretagne.Gardèreseretrouvedoncnaturellementchefdecab'deMichel Gaudin à la PP, alors chargé par Sarkozy de veiller sur la maison poulagapendant que Villepin occupe l'Intérieur. « J'ai vu beaucoup de choses. Tous lesvendredissoir,jepassaisdesdocsàlabroyeuseetj'aifailliplusieursfoisylaissermacravate ! »s'amuse-t-il 11enmimantl'action.Aussi vantard que hâbleur, l'ex-préfet ne sait pas toujours tenir sa langue. Les

« bœuf » en ont profité durant les six mois de 2015 où il est resté sur écoute. Desinterceptionssursalignetéléphoniqueetsamessagerieprofessionnelleontpermisderatisser large. Une récolte suffisamment abondante, confie une source proche del'enquête,pouravoirnourrides« blancs »,cesnotesde renseignementqui remontentverslesommetdel'Étathorsdetoutcadrejudiciaire.Bizarrement, un petit service demandé par l'Élysée n'a pas aiguisé la curiosité des

bœuf-carottes.À l'automne 2015, Bernard Rullier, conseiller de François Hollandepour les relations avec le Parlement, adresse un courrier à celui qui est encoredirecteurduCNAPS.Danscettemissive,illuidemanded'étudieravecbienveillanceleCV d'un certain Bley Bilal Mokono, militant PS. Gardère s'exécute. Il prend « leprotégéduChâteau »commechargédemissionpoursixmois,à3 000eurosmensuels.Bienqu'ilsaientsuivilestractationsendirect,lesenquêteursdel'IGPNnetirentpaslefilplusavant.Mokonon'estpasseulementunmilitantsocialistequiasesentréesruedeSolférino : c'est aussi un proche de Claude Bartolone, président de l'Assembléenationale, et l'un des anciens chauffeurs de François Hollande pendant la campagneprésidentielle.Bref,unhommequiaforcémentvuetentenduquelquessecrets.Déjàenjuin 2014, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Olivier Faure,avait mouillé sa chemise pour lui. Le parlementaire s'était fendu d'une lettre ausecrétaired'ÉtatauBudgetChristianEckert,pourqu'ilsauvelasociétéMarvinMaryanSecurity,dontBleyBilalMokonoestactionnaire.Peineperdue,l'entrepriserebaptisée« Matignonservicesdesécurité »seraquandmêmeplacéequelquesmoisplustardenredressementjudiciaire.PeudetempsaprèslagardeàvuedeGardère,AlainBauerarendez-vousavecBernardCazeneuve, l'occasionpour luide fairepasser lemessagequel'affairequiéclabousse« son »CNAPS,pourraitbienseretournercontreceuxquil'ont amorcée. Et d'évoquer le coup de pouce en faveur de Bley Bilal Mokono,demandéparleChâteau...En ce mois d'août 2016, Alain Gardère n'en revient toujours pas des moyens

mobilisés sur son affaire : « Ils ont réquisitionné plus de vingt enquêteurs et quatre-vingtsécoutesauraientétéréaliséesentout ! »Aumomentdeprendrecongé, l'ancienpréfetnousexpliquequ'ilfileàlabanqueretirer50 000eurosafindepayeruntiersdelacautionexigéeparlajugequiinstruitsondossier.Celle-làmêmequis'intéresseauxconditionsdanslesquellesl'hommed'affairesStéphaneCourbitamisàdispositiondesonamiNicolasSarkozylejetdel'affaireAirCocaïne.

Aucimetièredeséléphants

« L'IGPN est assurément un outil politique qui renseigne le ministre de l'Intérieur,expliqueuncommissaire 12blanchi sous leharnaisde laPJ.Son travail consiste,parexemple, à renseigner la hiérarchie sur les relations journalistiques d'un policier. »Lorsqu'en2006,PlaceBeauvau 13, dénonce des tortures commises sur des islamistesgardés àvueaprès les attentatsde1995, l'IGPNest aussitôt chargéed'une« enquêteadministrative ».Lesbœuf-carottesauditionnentcentcinquantepoliciers,n'hésitentpasàfaireleursfadettes.L'objectifn'estpasalorsdevérifierlavéracitédesrévélations,maisde« fairetomber »lessourcespolicièresdesjournalistes.Envain.L'IGPN, c'est aussi la trappe par laquelle, après chaque alternance, on jette les

policiers qui affichent la mauvaise couleur politique. Le fameux « cimetière deséléphants » où les perdants sont invités à tuer le temps pendant des années depurgatoire. C'est la partie « audit » des bœuf-carottes. La punition est parfoisaugmentéepardescommandesderapportsàl'intitulésavammentchoisi.Telcontrôleurgénéral réputé pour son goût des alcools forts s'est ainsi vu confier unemission surl'alcoolisme dans la police. Manuel Valls qui souhaitait y envoyer le sarkozysteChristianFlaesch,n'apaseugaindecauseauprèsdeMonéger.Lapatronnedel'IGPNafaitsavoirquelaprésencedel'ex-patrondelaPJparisienne,démisdesesfonctionspourfautedéontologique,entacheraitl'imagedesonservice.À l'IGPN sommeille déjà une kyrielle de Sarkoboys : Jacques Fournier, l'ancien

directeurcentraldelasécuritépublique ;DominiqueBoyajeanquidirigeaitlesbœuf-carottes parisiens ; Gilles Furigo, ex-patron du service de protection des hautespersonnalitésouencoreChristianSonrierquirégnaitsur lescommissariatsparisiens.Pourtromperl'ennui,cettebrochetted'ancienspatronsseretrouvechaquemoisautourd'uncouscous.Danscerestaurantmarocain,onserancardesur lesnominationsde lamaisonpoulagaavantmêmequ'ellesnesoientofficielles.Durantcesagapesauxalluresdeshadowcabinet, lesconvivespréparent le retourde ladroiteauxaffairesavec lesecretespoirdes'échapperducimetièredeséléphants...

1.Associationnationaled'actionsociale,chargéedesœuvressocialesdelapolice.2.Entretiendu5février2015.3.Entretiendu26février2015.4.Lirelechapitre« OpérationMinotaure ».5.Entretiendu4mars2015.6.Entretiendu19mars2014.7.Entretiendu31août2016.8.Entretiendu11février2016.9.Entretiendu7avril2016.10.Entretiendu15octobre2012.11.Entretiendu3mars2012.12.Entretiendu19janvier2015.13. Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé, Place Beauvau.La face cachée de la police,

RobertLaffont,2006.

6

LabellePP

Auboutdufil,lavoixestagacée,letoncassant.Ce6avril2014,jourduMarathondeParis,lavoitureduprésidentdelaRépubliqueestbloquéeported'Auteuil.Undesgardes du corps appelle en catastrophe la préfecture de police. Dans la salle decommandementdelaDirectiondel'ordrepublicetdelacirculation,lepermanenciercomprendtoutdesuitequelademandeestprioritaire.Àpeinea-t-ilrépercutél'infoàsonchefque,danslasalleoùunevingtainedefonctionnairesveillentenpermanencesur les 5 000 caméras vidéo de la police parisienne, c'est le branle-bas de combat.Ordreestdonnédezoomeravec l'unedescamérasde laported'Auteuil.Sur lemurvidéoapparaîtalorsengrandformatlecortègeprésidentielàl'arrêt,etsoudain,sortantd'un buisson, François Hollande et... une jeune femme, que le Président va ensuiteprendreenphotoavecsoniPhone.Cedimanche,lePrésidentetJulieGayetserendentàLaLanterne,l'ancienpavillondechasseduchâteaudeVersailles,devenuerésidencesecondaire des Présidents depuis Sarkozy. Le préfet de police est aussitôt prévenu,tandis qu'une copie du film estmise à l'abri dans le coffre-fort de son directeur decabinet.

Lelieudetouslessecrets

LapréfecturedepolicedeParis(PP)estunÉtatdansl'ÉtatvouluparNapoléonpourcontrebalancer le pouvoir de son omniscient ministre de l'Intérieur, Fouché. C'estpourquoi lepréfetdepolice, le« PP »commeon l'appelle,qui règneavecquarante-cinqmille fonctionnaires surParis et les trois départements de la petite couronne, atoujours été l'homme du Château face au ministre de l'Intérieur. Sauf à de raresexceptionsprès,enpériodedecohabitation.Dèssonarrivéeàl'Élysée,Hollandenedérogepasàlarègle.EnnommantBernard

Boucault, il va déposer une pierre dans le jardin deManuelValls. « Legars auquelpersonnenepensait »,commel'exécuteenunephraseAlainBauer,estl'ombreportéedeJean-MarcAyrault,dontl'inimitiéavecVallsestdenotoriétépublique.Ayrault,qui

aeucinqansBoucaultpréfetdesPaysdelaLoire,saterreélectorale,amêmesoufflésonnomàHollandepourqu'ilenfassesonbrasdroitàl'Élysée.CertainqueleChâteauallaitannexerlaPP,Vallsapourtanttoutfaitpourpersuader

qu'iln'yavaitaucuneurgenceàlimogerlepréfetenplace,toutsarkozystequ'ilest.IlfautgarderMichelGaudin,c'estdumoinsceque luisusurresondirecteuradjointdecabinet,RenaudVedelqui,justeavantdedevenirvallsisteétaitlebrasdroitdeGaudinàlaPP.ÀdeuxreprisesenConseildesministres,Vallsmonteaucréneaupouressayerde sauver la tête du préfet sarkophile.MaisHollande ne veut rien entendre,ValérieTrierweiler attise apparemment les braises. Elle soupçonne Michel Gaudin d'avoircommandité, sous le précédent quinquennat, une enquête sur sa vie privée. Et puis,l'influent Daniel Vaillant abhorre Gaudin. L'ancien ministre de l'Intérieur dugouvernement Jospin a un candidat parfait pour lui succéder : Boucault, qui fut sonefficace directeur de cabinet. Si besoin, l'élu parisien, vieil éléphant socialiste,n'hésiterapasàuserdesonpoidsauprèsdunouveauchefdel'État.Au bout du compte, non seulementValls ne sauve pasGaudinmais ce dernier est

expulsémanumilitaridelapréfecturedepoliceparunBoucaultquisembleréglerdescomptes personnels.Du jour au lendemain,MichelGaudin est somméde quitter sonprestigieuxappartementdefonction,surl'îledelaCité,alorsqu'iln'aaucunautrepied-à-terreàParis.« Boucaultaétédésobligeantavecmoi. Jecomprenaisque jedevaispartir,mais pas de cette façon », se lamente encore aujourd'hui celui qui est devenudirecteurdecabinetdeNicolasSarkozy1.« Boucaultetmoi,onétaitquasimentamis,onacommencélapréfectoraleensemble. »Premiercoupdecanifdanscetteamitié,lejour où Gaudin se fait souffler le poste de préfet de Seine-et-Marne par Boucault.« Jospin alors Premier ministre me l'avait promis, jusqu'à ce que je découvre auJournalofficiellenomdeBoucault,c'étaitluiquim'avaitbiffé. »EtGaudindejurerlamain sur le cœur : « Je ne lui en ai pas tenu rigueur. Au contraire, lorsque FillonàMatignonavoululevirer,jenel'aipasenfoncé,jeluiaimêmedécrochéunplacarddoré : directeur de l'ENA. »Mais chez les préfets, la vengeance est un plat qui semangetrèsfroid.C'estdumoinscedontGaudinchercheànousconvaincre.Préfetdepolice, il aurait reçu un jour un coup de fil de son « ami ». « BernardBoucaultm'ademandédefaireclasseruneaffaireconcernantsonfilsquiavaitmontéunesociétédeproduitsanabolisantsetquiétaitrattrapéparlapatrouille.Jenesuispasintervenucarj'ignoraislefonddudossiertoutenmedisantqueBoucaultétaittoutdemêmegonflé,racontevolontiersMichelGaudin2. Ilm'enavouluàmort,c'estpourquoi j'aiétémisdehorsaussibrutalement.Jen'aimêmeplusledroitdemettreunpiedàlaPP ! »Plustard, à l'été 2012, un curieux dossier mêlant le fils de Boucault à une histoired'anabolisantscirculeradanscertainesrédactions.Sanseffet.

Vendettaausommet

Daniel Vaillant nourrit lui aussi un contentieux personnel avec Gaudin. L'ancienministre de l'Intérieur n'a jamais digéré le chantier dont a été victime l'un de sesproches,hautfonctionnairedelapréfecturedepolice,dutempsoùMichelGaudinenétait le patron.Soupçonné à tort d'avoir participé à un trafic dedocuments pour destravailleursimmigrésclandestins,YannickBlancavaitétélimogé,clouéaupilorisurlaplacepublique,ainsiquetroisautresfonctionnairesdepolicetoussympathisantsdegauche.L'IGS, lapolicedespolicessur lacapitale,avaitprétexté laprésenceparmieux de l'un des gardes du corps de Vaillant, pour perquisitionner le bureau de cedernier.QuelquesmoisaprèssonarrivéeàlaPP,BernardBoucaultvavengerVaillant.Lepatrondel'IGS,quiétaitàlamanœuvredansl'affaireYannickBlanc,estremerciédu jour au lendemain.Et pour enfoncer le clou, son service, on l'a vu, est avaléparl'IGPN,lapolicedespolicesauniveaunational.PlaceBeauvau,ManuelValls laisse s'opérer la vendetta. L'occasion est trop belle

d'affaiblirlePPenavalantsesbœuf-carottes.L'IGS,policeinterneetzélée,remontaitaupréfetuntasd'informationssensiblessurlestroupesetluipermettaitdesavoirquetelbarondelaPPrencontraitteljournalisteoufrayaitavectelélu.Enperdantl'IGS,lepréfetdepolicedePariss'estcarrémentcrevéunœiletamputéd'uneoreille.Aupointd'êtreobligé,quandilsouhaiteconnaîtrelesdétailsd'uneaffairesensiblequitoucheàsapropremaison,deserenseignerauprèsdessyndicatspoliciers...DepuisBeauvau,VallshumilierégulièrementBoucault.Commece14mai2013,oùil

débouledanssonbureaupourluiremonterlesbretelles.Laveille,lafêtevoulueparleQatar, propriétaire du PSG, pour célébrer la victoire a dégénéré en bataille rangéeentre leTrocadéroet la tourEiffel, faisantune trentainedeblessés.Ledispositifdesécuritéétaitsous-dimensionné.« Onl'avaitpourtanttousécrit,cheznouscommeàlaCentrale:attentionàl'alliancepossibleentreleshooligansetlesultracasseurs,pesteunpolicierdurenseignementterritorial 3.Apparemmentlesinfosnesontpasremontéesjusqu'àBeauvau.Et lePPadû sepointer lui-mêmesurplacequand il avuque toutpartait en vrille. »Mais l'opposition, bien décidée à exploiter le ratage, en fait destonnes. Jean-FrançoisCopéva jusqu'à réclamer ladémissiondeBoucault.Àcontre-emploi, voilàValls obligé de défendre ce dernier.Mais les témoins de la rencontreentre lesdeuxhommesévoquentunVallshorsde lui,hurlantaprès lePP:« Celanepeut pas se reproduire ! » En guise de représailles, le ministre de l'Intérieur faitd'ailleurs muter le numéro deux de l'ordre public de la préfecture. Le directeur decabinetduPP,lui,sauvemiraculeusementsatête.Celle-ciseretrouveencoreunefoissurlebillotlorsqu'enjuillet2014,auxalentoursdelaBastille,nonloindudomiciledeValls,devenuPremierministre,unemanifestationpro-palestiniennepourtant interditepar la préfecture dégénère en guérilla urbaine. Alors que les émeutiers assiègent lasynagogue du quartier, le président du Consistoire juif, barricadé à l'intérieur,téléphoneàVallspourl'alerter.Horsdelui,lePremierministreappelleBoucaultpour

lui enjoindre de mettre le paquet afin de disperser les manifestants. Plus tard, ledirecteur de cabinet en question, Laurent Nunez, sera débarqué... mais avec un joliposte:préfetdepolicedeMarseille.LavidéodeHollandeetMadamequ'ildétenaitdanssoncoffrel'aurait-elleprotégé ?

BeauvauetPP,ennemishéréditaires

Quoiqu'il en soit, àMatignon,Vallsgardeunedent contreBoucault. Ildébarqueraainsilorsdelacérémoniedesondépartavecprèsd'uneheurederetard,aubeaumilieududiscoursdupréfet...Cejour-là,lePremierministreauneautreraisondemarquersamauvaisehumeur,ilconnaîtlenomdusuccesseurdupréfetdepolicedeParis...quiestencoreplusprocheduChâteau.Àsoixante-septans,MichelCadotn'estpasseulementunpurproduitde lapréfectorale, ilestaussiunanciende lapromotionVoltaireetaégalementservilaChiraquie,cesréseauxqu'affectionnetantHollande.N'a-t-ilpasétéle conseiller de Dominique de Villepin lorsqu'il était Premier ministre ? ÀMatignon, l'ennemijurédeSarkol'avaitappeléàsescôtés,pourremplacerunfidèleparmilesfidèlesdontilvenaitdefairesondirecteurdecabinet,BrunoLeMaire.UnefoisinstallédanssonfauteuildePP,Cadotrécupèreàsontourcommechefdecab'unjeunesous-préfet,qui,jusqu'alorsœuvraitauseind'unediscrètetaskforcemontéepourBrunoLeMaire.Lorsqu'on interroge,commenous l'avonsfaiten juillet2016,FrançoisHollandesur

ses liens avec Michel Cadot, le Président s'empresse de les minimiser : « Je leconnaissaisàpeine,jel'aivuuneoudeuxfois.Ons'étonnequejenommedesgensdela promotionVoltaire et pas forcément de gauche.Mais simplement parce que noussommestousàunâgeoùnousarrivonsauxplushautesresponsabilités. »Fortdecetteproximité,MichelCadotestbiendécidéànepluscéderunpoucedeterrainàl'ennemiséculier:laPlaceBeauvau.Cependant, il a dû composer avec la maire de Paris, une proche de François

Hollande, qui a repris lamain sur les amendes de stationnement et les licences desdébitsdeboissons,à l'instardesautresédilesdeFrance.Coupdurpour laPP.« Semontrermagnanimeouaucontrairepointilleuxsuruneterrassequiprendsesaises,unevoituremalgarée,ouuneentorseàlaréglementationdesétablissementsdenuit,adetout temps permis à la PP de recueillir des tuyaux en tout genre à moindre frais »,expliqueunvieuxbriscarddu36.FaceàBeauvau, lenouveaupréfetdepolicedePariss'estbattupourquelesfuturs

locaux de la PJ parisienne, rue du Bastion, dans la ZAC des Batignolles, soient aunuméro36 4.Lediablesecacheparfoisdanslesdétails.Moinsanecdotique,Cadotauradéfendubec et ongles laBRI, l'unité d'intervention de la PJPP, face au patron de lapolice nationale qui voulait en couper un morceau pour le greffer au RAID. Non

seulement la BRI n'a pas été amputée, mais ses effectifs ont doublé, passant dequarante-septàquatre-vingt-dix-huitpersonnes.Ellea,enprime, récupérédes IMSI-catchers, ces valises d'interception très prisées qui permettent d'aspirer discrètementtousleséchangestéléphoniquesalentour.Pourpouvoir êtreprojetée àn'importequel coinde la capitale en casd'attentat, la

BRI est le seul service à rester au 36 lorsque tous les autres vont déménager auxBatignolles.LePPaaussiobtenuquelaBRIait,commeleRAID,ledroitdetesterunincroyable camion d'assaut blindé. Huit mètres de long, trois mètres de haut, despointesàcentkilomètres-heure,Titus,c'estsonnom,résisteauxattaquesbalistiques,nucléaires, radiologiques,biologiquesetchimiques.Un joujouà2,4millionsd'eurosqui a fait l'objet de multiples reportages. Christophe Molmy, le patron de la BRI(surnommé« leScorpion »parceque,persifleun flic 5, « tunepeuxpas t'en faireunami,ilfinittoujoursparpiquer »),estdanslespetitspapiersdupréfet,quienavaitfaittrèsvitesonbrasarmécontreleDGPN.Michel Cadot bénéficie d'un autre allié dans la place en la personne de Christian

Sainte,àlatêtedu36.LesdeuxhommessesontconnusàMarseille:lepremierétaitpréfetdeMarseillelorsquelesecondétaitlepatrondel'Évêché,le36phocéen.Grâceau patron du 36, le PP suit comme le lait sur le feu tous les dossiers judiciairessensibles : lorsqu'ils concernent le monde politico-financier mais aussi despersonnalités éclaboussées par les affaires de stupéfiants oudemœurs.Lepréfet depolice est là aussi pour que ce genre d'histoire ne sorte pas. Ou fasse le moins dedégâts possible.Ainsi, en avril 1994, lorsqueFrançois deGrossouvre, le conseilleroccultedeFrançoisMitterrand,estretrouvémortdanssonbureauàl'Élysée,lepréfetdepoliced'alors,leredoutéPhilippeMassoni,sedémènepourquel'affairenevirepasauscandale.Sitôtalerté,ilavertit:« J'arrive,netouchezàrien. »Son successeur Cadot ne se déplacera pas ce 17 janvier 2016.Mais il se tiendra

particulièrement informéd'un tragique faitdivers.Etpourcause...Versuneheuredumatin, dans le quartier de Ménilmontant, un commando d'une dizaine de personnescagouléesetarméesdebarrestabassentàmortunjeunehommedevingt-neufans.Au2edistrictdelapolicejudiciaire,chargédel'enquête,oncomprendvitequel'enquêtede voisinage va être compliquée. En effet, l'agression a eu lieu à quelques mètresseulement du loft où habite... JulieGayet.Un témoin anonyme décrit aux enquêteursavecprécisionlascèneducrime.Enfait,letémoinenquestionestunpolicierquiapuvisionner les images de discrètes caméras placées dans l'impasse pour sécuriser lesallées et venues de la comédienne et de son prestigieux amant. « Il arrive, dans lesaffaires criminelles ou de stups, que l'on utilise des caméras dissimulées dans dumobilierurbain,quisontcapablesdefairedeszoomsàquatrecentsmètresdedistance,confie un capitaine de la PJ 6. Ensuite, on blanchit judiciairement les infos ainsirecueillies,eninvoquantdanslaprocédure“unrenseignementanonyme”. »

LaDRPP,assurance-viedupréfetdepolice

Le PP dispose aussi de son propre service de renseignement. La Direction durenseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) est le seul service derenseignementintérieurànepasavoirétébalayédansletsunamigénéréen2008sousNicolas Sarkozy par la fusion des RG et de la DST en une Direction centrale durenseignementintérieur(DCRI,devenueDGSIen2012).« Leseulchangement,c'estlesigleRGPP,pourRenseignementsgénérauxdelapréfecturedepolice,devenuDRPP,s'amuseunofficier 7enpostedanslaboutiquedepuisunevingtained'années.D'ailleurs,commeautempsdesRG,onagardéungroupequifaitdelaveillesurlesentreprisesde presse, de même qu'on continue à suivre les syndicats et tous les mouvementssociaux. »Unsuiviquisertd'assurance-vieauPP,tantqu'ilpeutgarantirunecertaine« paixsociale »danslacapitaleauministredel'Intérieur.NonseulementlaDRPPestrestée intacte,mais elle a gagné en puissance.Les attentats deCharlieHebdo et del'HyperCacherontconduitaurecrutementd'unecentained'agents.Aujourd'hui,ilssontprèsdesixcentsfonctionnairesàêtrelesyeuxetlesoreillesduPPdanslacapitaleetla petite couronne. Une expansion territoriale jamais digérée par la direction durenseignementintérieur.C'est là qu'à l'été 2016 le rapport parlementaire sur les attentats du 13 novembre

tombeàpointnommé.Parmisespropositions:rétrécirlechampd'actiondelaDRPP,enlacantonnantauseulParisintra-muros.Voilàquin'estpaspourdéplaireauministrede l'Intérieur, toujours prompt à rogner les ailes du préfet. Dans sa réponse à laCommissionparlementaire,BernardCazeneuvelaissed'ailleurslaporteentrouverteàun « démembrement de la DRPP », qui pourrait être mis en œuvre « au termed'expertises poussées ». Et de dégainer illico une mission d'inspection sur « lesrelationsentrelaDRPPetlesautresservicesderenseignement ».L'appétitdunouveauPPadequoiénerverlaPlaceBeauvau.LaDRPPn'a-t-ellepasréussiuneOPAsurlerenseignement aéroportuaire ? Une occasion servie sur un plateau par le préfet enchargede lasécuritéàRoissy,PhilippeRiffaut.Pour tenterd'endiguer l'entrismedesfondamentalistes islamistes parmi les quatre-vingt-six mille salariés à Charles-de-Gaulle, Riffaut a obtenu la création d'une cellule de renseignement ad hoc. C'est laDRPPquiaprislecontrôledecettetaskforced'unetrentainedepersonnes,quimêlentfonctionnairesdelapréfecturedepolice,gendarmesetdouaniers.PourconvaincreleChâteau de lui confier cette nouvelle responsabilité, Michel Cadot s'est fendu d'unrapport argumenté de sept pages. Le directeur général de la police a dû céder, toutcommeRiffaut,qui,enéchangedecetteconcession,aobtenularevalorisationdesongrade,passantde« préfetdélégué »àlasécuritédeRoissyà« préfet »toutcourt.Mais,commel'expliqueuncommissairedurenseignementterritorial 8,« donnerlesclefsàla

DRPP,c'estaberrantparcequ'ilssontabsentsdanslagrandecouronneoùhabitent laplupartdesgensàcribler.Çavaêtreunestructurederenseignementamoindrie ».Cequiestcertain,c'estquelaDRPPfaitdesjaloux.ÀRoissy,deuxièmefrontièrede

France,seshommesvoientpasserbeaucoupdechoses.Qu'unpeoplerentred'unpaysdu Golfe et oublie un bagage avec 9 000 euros en liquide à l'intérieur, et l'info estarchivée à toutes fins utiles. Qu'un homme politique voyage avec une jeune femmeinconnue de sonministère et le cliché fait l'objet d'une note... « On peut savoir quivoyage avec qui, quand et où », précise notre commissaire avec un sourire entendu.D'autant que l'aéroport du Bourget d'où atterrissent et décollent les jets privés deshommesd'affairesetdecertainsélusestaussiduressortdelacellulerens'.

LeroiRené

Autant dire que le patron du renseignement de la préfecture de police de Paris n'ajamais été aussi puissant. Installé dans le fauteuil depuis 2009, René Bailly, donnémaintesfoispartant,aurasurvécuàtroispréfetsetàunatterrissagechaotique.Unmoisàpeineaprèssonarrivée,deuxpoliciersdelaPPsontfilmésenflagrantdélitdevol.Ils sont venus, en civil, racketter une boutique tenue par desPakistanais.Alertée, lapolice interpelle les deux poulets qui prétendent avoir été agressés alors qu'ilscontrôlaientlecommerce.Uneversionvitebattueenbrècheparl'enquêtedel'IGS.Lesdeux ripoux se sont révélés être des hommes de la DRPP chargés de l'immigrationirrégulière...Signeextérieurdesonpouvoir,le« roiRené »disposedanssonbureaud'unécransur

lequelilpeutvisionnerendirectlesimagesà365degrésdesmilliersdecamérasdelaPPquisurveillentParis,orienterchacuned'entreellesàl'aided'unJoystick,etzoomersurundétailjusqu'àlaplaqued'immatriculationd'unevoiture,parexemple.LaDRPPdisposeaussid'unesortedeServiceaction,composéd'agentstout-terrainrompusauxfilatures et aux surveillances.Une unité spéciale dont il a confié les rênes à un trèsproche, le sous-directeur chargéde la lutte contre le terrorismeet les extrémismesàpotentialitéviolente.Unfidèlelieutenantdontledévouementsembleinquiétercertainsflicsquionteul'occasiondetravailleraveclui :« Tuluidisde“visiter”unappart',quelquesoit l'appartement, ilobéit, ilestcapabledefairen'importequoi,ycomprisuneconneriesilechefledemande 9. »Dansle« dossierdusoir »,religieusementdéposéchaquefindejournéesurlebureau

dupréfetdepolice,lavingtainedenotesquotidiennessignéesparlaDRPPfigurentenbonneplace,enconcurrenceaveclalivraisondelaPJsurlesaffairesencours,etcelledelaDSPAP 10,lapoliceentenueparisienne.S'yajoutentles« Notesconfidentielles »,cesrenseignementssensiblesanonymesqu'onappelleencoreles« blancs ».LaDSPAPen est grande pourvoyeuse. Lorsque, par exemple, le directeur de la rédaction d'un

journal est contrôlé sur son scooter après une soirée arrosée et brièvement placé engardeàvue,l'inforemonteimmédiatementauPP,ainsiquelenomdesapassagère.Unrenseignement utile pour l'exécutif, qui pourra au moment opportun, sur une simpleallusion,désarçonnerlepatrondepresse.

Meric,l'hommedeValls

Il est arrivé que la DSPAP ait carrément entre sesmains le destin d'un politique.Quelquetempsavant laprésidentiellede2007,unepatrouilledenuitde lapoliceentenue toque à la porte d'une camionnette stationnée dans une contre-allée du bois deBoulogne.Àl'intérieur,deuxtravestisetunhommequi interpelle lesfonctionnaires :« Vousmereconnaissez ? »Cesderniersopinentduchef,sidérésdeseretrouverfaceàDominiqueStrauss-Kahn.Lelendemainàl'aube,lerapportrelatantlarencontre« dutroisième type » est posé sur le bureau le patron de la DSPAP. Une fois n'est pascoutume, ce n'est pas le préfet de police qui profite de la pépite, car PierreMutz,nommé par Jacques Chirac, joue en toute logique contre le ministre de l'IntérieurNicolasSarkozy.Lerenseignementest transmisaulocatairedelaPlaceBeauvauparun circuit court. Sarkozy, qui a déjà occupé le poste, a eu le temps de placer seshommesàluiàlaPP,notammentlepatrondelaDSPAP.Celui-cicommuniquel'infoaudirecteurgénéraldelapolice,lefidèleMichelGaudin,quienparleaussitôtàsonchef.À Beauvau, on décide de garder le renseignement sous le coude. Sarkozy devenuPrésident soutiendra lacandidaturedeDSKaupostedepatronduFMI,avecen têtel'idée d'en faire le leader incontournable mais vulnérable de la gauche lors de laprésidentiellede2012.LorsqueGaudinseranommépréfetdepolice,ilnepourrapass'empêcherderaconterl'histoireàcertainsdesesinterlocuteurs...Une fois triées par la hiérarchie de la préfecture de police, nombre de notes sont

adressées par motard quotidiennement à l'Élysée. François Hollande a été ainsiinformé,presqueentempsréel,qu'unconseillerdeSarkozyavaitportéplaintedansuncommissariatdesbeauxquartiersdeParispourunesordideaffairedemœurs.Lamainsurlecœur,JacquesMeric 11,patrondelaDSPAP,lerépèteàquiveutl'entendre:« Jene fais pas remonter les notes sur la vie privée... » Puis ajoute sourire en coin :« ...saufquandl'affaireestjudiciarisée ».En ce début d'automne 2016, alors que nous déjeunons avec lui, Meric paraît

particulièrementdétendu:danslacapitale,sestroupesontgérél'Eurodefootballsansencombre.Cemidi,commeàsonhabitude,ilneconsommenicafénivin.Sa« drogue »àlui,c'estl'opéra.Unepassionqu'ilpartageavecValls:ladernièrefoisqu'ilacroisélePremierministre,c'était lorsd'unereprésentationàBastille.Enoutre,Vallsetsonancien conseiller conversent régulièrement par téléphone. Ainsi, il y a quarante-huitheuresàpeine, lesdeuxhommessesontparlé.CeluiquiestencorePremierministre

estendéplacementàBarcelone.Ilchercheàobtenirdesinformationssurcemauvaiscanularquiafailliridiculiserlapolice.Meric,quinousracontelascène,afourniauministre les détails : deux ados ont piraté la ligne téléphonique d'une église dans lequartier des Halles à Paris et fait croire à une prise d'otages. Alors que le prêtrecélébrait tranquillementsamesse, toutlequartieraétébouclé, lesriverainsévacués,tandisquelestireursd'élitedelaBRIprenaientposition.Parallèlement,leministèredel'Intérieur a déclenché son tout nouveau système d'alerte et d'information auxpopulations pour smartphones, affichant aussitôt, sur des milliers de portables lemessagesuivant:« Églisealerteattentat,interventionencoursdesforcesdel'ordreetdesecours »,aveclalocalisationdel'événementsurunecarte,tousceuxprésentsdanslesecteurétantinvités« às'abriter »et« ànepass'exposer »...Tandisqueleprêtreetdes fidèles sortaient de l'église les mains en l'air, la Place Beauvau s'échinait àéteindre le début de panique auprès des médias et des réseaux sociaux qui avaientrelayé le message. Si l'Intérieur a envoyé son alerte sur portable, avec une telleprécipitation, c'est parce que deux mois plus tôt, lors du massacre de Nice,l'applicationvictimed'un« incidenttechnique »,s'étaitdéclenchéeavectroisheuresderetard.Soudain,aumilieudenotreconversation, le téléphonedeJacquesMericsonne.Au

boutdufil, l'undesesadjointsl'avertitquelefilsdeValériePécresse, laprésidenteLRdelarégionÎle-de-France,vientdesefairearrêterdansle15earrondissementdeParis,avecquatregrammesdecannabissurlui.Àpeinea-t-ilraccrochéquelepatronde laDSPAPen informedirectement lepréfetdepolice.Quaranteminutesplus tard,alorsquenousvenonsdeprendrecongédupolicier,c'estànotretourderecevoirunSMS. Un des collaborateurs de Claude Bartolone, le président de l'Assembléenationale, est en trainde faire le tourde ses contacts journalistespour lesmettre aucourant de l'interpellation, avec force détails. Fait rarissime pour une aussi petitequantité de drogue, le jeune majeur interpellé a été placé en garde à vue. Lerenseignementauramismoinsd'uneheureàêtreexploitépolitiquement.IlfautdirequelarivalevictorieusedeBartoloneafaitdelaluttecontreladrogueundesesthèmesdecampagne.Unefuitequin'apasdû,nonplus,déplaireàMatignon.ManuelValls,quivoulait verrouiller à son profit la région, avait en effet mouillé sa chemise pourBartolone.Car même s'il s'en défend, Jacques Meric est bien l'homme de Manuel Valls.

D'ailleurs,enprivé,iln'estpastendreaveclepréfetdepolice,anciencondiscipledeFrançoisHollandeàl'ENA,niavecBernardCazeneuve,alorsministredel'IntérieuretfidèleduPrésident.« Cadotnedécidejamais.Lelundi,c'estblanc,lemardi,c'estnoir.Jesuisfrancaveclui.Jen'airienàperdre.Parfois,quandilmedit:“C'estcequ'aditle ministre”, je lui réponds : “Le ministre se trompe. Il dit des conneries 12 !” »Cazeneuveluiaussienprendpoursongrade:« Ilesténervé,énervantetpénible.Je

n'auraispaspubosseraveclui.Ilfaitdumicromanagement.Ilveuttout,toutletemps.Desnotessansarrêt. »LaPPestdécidémentunmondeàpart,oùleshuilesdelapolicese sentent plus puissantes que les élus.D'autant qu'on est dans l'entre-soi. Loin, parexemple,decesenquiquineursdegendarmesquin'ontpasdroitdecitésurParis.Leseul pandore toléré à la préfecture de police, c'est l'officier de liaison attaché aucabinetdupréfet.EtcôtéPJ,leslimiersdelasectionderecherchedeParis,prèsdelaportedeBagnolet,sonttenusàboutdegaffeparle36...

Lesprivilègesperdurent

Jusqu'au milieu des années 1990, les énarques qui rejoignaient le cabinet du PPtrouvaient dans leur trousseau une carte de police. Un sésame supprimé lorsqu'uncollaborateurduPP,deretourdufestivaldeCannes,aeulamauvaiseidéedel'exhiberaucomptoirAirFrancepourexigeruneplacesurunautrevolquiétaitsurbooké.Unautreprivilège, lui,aperduré jusqu'en2015. Il s'agitdescartescoupe-fildistribuéesselon le bonvouloir dupréfet.Undocument barré bleu, blanc, rouge, qui permet depasserlescordonsdepoliceetaussidefairesavoirlorsd'uncontrôlequ'onestdanslespetitspapiersduPP.Danslalistetenuesecrètedesheureuxbénéficiaires,figuraitétonnammentlecomtedeParis.Parfois, le précieux sauf-conduit se bricole. En avril 2015, une Jaguar remonte en

trombe les Champs-Élysées dans le couloir de bus, la plaque d'immatriculation estimmédiatement flashée par les caméras de police. L'affaire se serait soldée par unesimplecontraventionsilechauffardn'avaitpasprotestésitôtsonPVreçuparlaposte.Dansunelettreadresséeaucabinetdupréfetdepolice,ilexigequesacontredansesoitmiseaupanier,aumotifqu'ildisposed'unlaissez-passerl'autorisantà« circulerdansles couloirs de bus sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, àl'exceptiondesvoiesàcontresens ».Etlàpatatras,aprèsavoirexaminélaphotocopiedudocumentjointàlalettre,lesservicesdelapréfecturesaisissentlajusticepourfauxet usage de faux. Convoqué au commissariat, le conducteur de la Jaguar, unentrepreneur du BTP, également élu du 1er arrondissement de Paris sur la liste desRépublicains,expliquebenoîtementquelesésameluiaétédélivréen2008surordredel'undesesamis,RenaudVedel,àl'époqueconseillerdusarkozystepréfetdepolice,Michel Gaudin. À l'évocation de ce nom, les fonctionnaires de police appellent leparquetquimetaussitôtfinàl'audition.SupprimerlaPPalongtempsétéleleitmotivdelagauche.Unserpentdemermême.

Sauf qu'une fois auxmanettes, elle a goûté à son tour à la puissance de lamachine.Pierre Joxe, emblématique ministre de l'Intérieur sous François Mitterrand, endébrideramême lemoteur.« Supprimer lapréfecturedepolicedeParis », telleétaitencore la proposition choc du député Jean-Jacques Urvoas en 2011, alors qu'il se

rêvait ministre de l'Intérieur. Comme d'habitude, rien ne s'est passé comme prévu.DevenuprésidentdelaCommissiondeslois,puisgardedesSceaux,l'hommedeVallss'estparfaitementaccommodédel'hérésiejuridiquequ'ilétait« urgentd'abolir »...

1.Entretiendu19février2014.2.Entretiendu19février2014.3.Entretiendu22mai2013.4.Lirelechapitre« Au36edessous ».5.Entretiendu3février2015.6.Entretiendu28avril2016.7.Entretiendu15janvier2016.8.Entretiendu15janvier2016.9.Entretiendu25avril2012.10.Directiondelasécuritédeproximitédel'agglomérationparisienne.11.Entretiendu22septembre2016.12.Entretiendu22septembre2016.

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Au36edessous

« Çasent legazetçavanouspéterà lagueule ! »Danslapièce, laphraseal'effetd'unegrenadeàvidequiauraitbrûlétoutl'oxygène.Figésdansunsilenceétouffant,lestroispoliciersontarrêtéleurdébriefingsecret.Ilfaitdéjàunenuitd'encresurNanterreencethiver2013,etlenumérotroisdelaPJsaitaufonddeluiquesonadjointditvrai.Quelquesminutesplustôt,lachefdel'Officecentraldeluttecontrelacorruption,lesinfractions financières et fiscales leur a avoué : « J'ai prévenu le juge. » ChristineDufau ne supportait plus d'entendre sur les zonzons (les écoutes, en argot flic), lepatron du 36, quai des Orfèvres, Christian Flaesch, renseigner Brice Hortefeux,l'ancien ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy sur une affaire qui le visedirectement. Même si depuis plusieurs jours, Bernard Petit et son adjoint PhilippeVeronitentaientdedissuaderleurscollèguesdes'épancherauprèsdujugeTournaire.« SionlesignalaitonallaitnousaccuserdevouloirnouspayerlaPPetsionnedisaitrien, de chercher à protéger Flaesch. Dans les deux cas : des emmerdes enperspective »,nousexpliqueaujourd'huiPetit1.Lecompteà reboursest enclenché.Etplus riennepeut l'arrêter.Dansvingt-quatre

heures, le juge Tournaire demandera la retranscription intégrale des écoutes. LemagistratquienquêtesurlessoupçonsdefinancementdelacampagneprésidentielledeSarkozyen2007parKadhafialesentimentd'unecollusionentrelepolicieretl'ancienministrequ'ilafaitplacersurécoute.IlconsidèreaussiqueFlaeschbavardetropavecGuéantetGaudin,deuxautrespiliersdelaSarkozie.IleninformedoncleprocureurdeParis.Pressentantlecaractèreexplosifdel'affaire,FrançoisMolinsrefileledossierauparquetgénéralqui,nedécelantpasdefautepénale,faitconvoquerChristianFlaeschpour lui taper sur les doigts. « Cruella », comme l'appelle unepartie de ses troupes,ressortdu rendez-vous rasséréné.D'autantque,de soncôté, lepréfetdepolice lui aégalement réitéré sa confiance et assuréqu'il n'avait rien à craindre.Patrondu36 ilétait,patrondu36ilrestera.C'estsanscomptersurManuelValls.Leministredel'Intérieurdécidedebaisser le

pouce.Pasquestiondelaisserpasserunesibelleoccasiondesedébarrasserd'unflic

étiqueté sarkozystepour installer unhommede confiance à la tête de la prestigieusepolicejudiciaire.Le11décembre2013,lorsdelamatinaled'Europe1,Vallsannonceainsi le limogeage de Cruella : « C'est une faute déontologique d'avoir choisid'informerl'ancienministredel'Intérieur. »Etdanslafoulée,ildésignelenomdesonsuccesseur:BernardPetit.« J'aiapprisàlaradioqu'ildébarquaitFlaesch.J'aitoutdesuitepenséquec'étaitunpeudur,sesouvientlegrandflicqui,aveclerecul,voitdanscetteannonceunbaiserdelamortinvolontaire.Jen'imaginaispasqu'ilmeproposeraitpour le 36. Cela a eu pour effet de me désigner encore plus à la vindicte dessarkozystes.Poureux,parlesenquêtesquejeconduisais,j'étaisdéjàl'ennemi,jesuisdevenu l'Antéchrist. Jenevoulaispasduposte. J'aiditauministrequeçaallaitêtremalvuquejesoisainsiparachutédanslefiefdelaPJparisienne,oùjen'avaisjamaisexercé.J'aimêmeproposédesnomsderechange 2... »Parmilessuggestions,ChristianSaintequi,ironiedusort,prendrasaplacelorsqueBernardPetittomberaàsontourenfévrier2015.L'intuitiondeBernardPetitestbonne.Désormais, ilauradeuxennemismortels.LaSarkoziequine luipardonnepasd'avoircrucifiéChristianFlaesch,maisaussileChâteauquivoitenluiunhommedeValls.Ainsi, coup sur coup, lamythique police judiciaire va perdre deux de ses patrons,

FlaeschpuisPetit.Maigretadûenavalersapipeetsonchapeau.LepatrondelaPJparisienne règne sur deux mille deux cents policiers et voit passer des dossierspolitiquement très sensibles. En lien direct avec l'Élysée, véritable contre-pouvoirauministèredel'Intérieur,laPJPPestaussiunsacrépanierdecrabesoùlescarrièressefontetsedéfont,etlesrivalitéss'exacerbent.Letoutdansundécordepolardignedesannées1950.

Interdictiondeséjour

ÀpeinenomméparSarkograndpatronde lapolicenationale, en2007,Péchenardinstalle son amiFlaesch à la tête du 36. Ici, le long de la Seine, c'est lamaison dePèch'.Cefilsd'avocatd'affairess'yestfaitunnomaprèsêtreentréparlapetiteportedesStups.VingtansdansuneboutiquedontilprendralatêtegrâceàSarkozy.FrédéricetNicolasseconnaissentdepuisl'enfance.Lesdeuxfamilleshabitaientdanslamêmeruedu17earrondissementdeParisetleursmères,avocatestouteslesdeux,prenaientlethéensemble.Le13mai1993,lorsdelaprised'otagesdelamaternelledeNeuilly,Pèch', devenu chef de l'antigang, retrouve Sarkozy, maire de la ville, qui joue lesSupermanenproposantdeprendrelaplacedesotages.Unfaitd'armesquiscelleleursretrouvailles. Une fois nommé ministre de l'Intérieur, Sarkozy hisse Péchenard à laSous-directiondesaffaireséconomiquesetfinancières.L'assuranced'avoirlamainsurles enquêtes susceptibles de lui nuire ou d'envoyer dans le décor ses ennemispolitiques.

Mêmeaprèsl'alternance,FrédéricPéchenardaconservélesclefsdu36.Lepréfetdepoliceestd'ailleurspersuadéquecertainsarticlesdepressequiépinglentlesmauvaisrésultatsdelasécuritéàParissontnourrisdesdernièresstatistiquespardes« taupes »del'anciendirecteurdelaPJparisienne.L'amidupetitNicolasaaussigardélamainsurl'undesévénementspoliciersetmondainslespluscourusdelaPP:leprixduQuaides Orfèvres qui récompense le meilleur polar – écrit par un flic – de l'année. Sichaque année, c'est dans ses salons d'apparat que le préfet de police, présidentd'honneur du jury, remet le trophée, le vrai maître de cérémonie, c'est FrédéricPéchenard. L'ex-directeur général des Républicains a truffé le jury de Sarkoboys,commeChristian Flaesch ou, seul élu à en êtremembre, PierreCharon, sénateur deParis.Preuvede la toute-puissancedePéchenard,même lepréfet depoliceBernardBoucault, excédé par les sorties médiatiques au lance-flammes du sénateur, neparviendrapasà lefairerayerduprixduQuaidesOrfèvres.Charon,fiercommeunpaon, en profitera même pour passer un message à Bernard Petit envoyé commeémissaire:« Negrillezpasvoscartouches,ladroitevarevenir. »Unefois,toutdemême,Pèch'secasseralesdents.C'estlorsqu'iltenteraderecruter

commejuréBernardSquarcini, l'ex-patrondurenseignement intérieur,déjàcernéparles affaires judiciaires... Lorsqu'il pousse son nom auprès de Fayard, l'éditeurpartenaireduprixetquecelui-cil'interroge:« MaisquefaitSquarcinimaintenantaujuste ? », Péchenard, décomplexé, rétorque à propos de son ami reconverti dans leprivé:« Bernard,ilfaitlamêmechosequ'avant,maispayédixfoisplus. »Sortidelamaisonpoliceetreconvertienpolitique,Péchenard,l'ancientaulierdu36,

n'hésitepasàpousserlaporteduQuaidesOrfèvres,sansprévenir,histoiredefaireletourdesbureaux.C'estainsiquelesflicsenposteontdécryptélesensdecesvisites:si on revient, gare à tous ceux qui ont fait du zèle sur les dossiers touchant à laSarkozie. Alerté des allers-retours clandestins de Frédéric Péchenard, le préfet depolice entre dans une colère noire contre celui auquel il veut désormais interdirel'accèsdu36.Bernard Petit est chargé de transmettre l'interdiction de séjour à son prédécesseur.

Lorsd'undéjeunerentêteàtêtedansunrestaurantdu15earrondissement,ilprévientPéchenard, devenu conseiller régional d'Île-de-France : « Tu viens à la PJPP encachetteavecdesélusduConseildeParis.Lepréfetneveutpasdeça.Toi-même,tunel'auraispasadmislorsquetuétaisàmaplace.Jenet'interdispasle36commeleveutBoucault,maisarrêtedevenirdansmondos,préviens-moi,oniraprendreuncaféensemble 3... » Plus tard, au cours du même repas, Pèch' aurait lâché, d'un tonmenaçant:« Ilyaunecabaleanti-Sarkozy.Onsaitquiyest,chezlespoliciers,chezles gendarmes, et chez les journalistes. On a identifié le problème, on le réglera. »BernardPetitsaisitalors laballeaubondpourvérifiercequ'on lui racontesur l'ex-directeur du renseignement intérieur. Il paraît que Squarcini se répand partout en

disant:« Lagaucheamistroisjourspourfaireleménage,nousonleferaenmoinsdevingt-quatreheures ! »RéponsefroidedePéchenard:« Ilnefautpastoutcroire.Maissijereviens,jechangerailesgens,parcequed'autresattendentleurplace. »

Enterrehostile

BernardPetitn'aplusguèrededoutes:lavengeancedessarkozystesestenmarche.Ne lui a-t-on pas dit que son nom figurait sur une « liste noire » avec une dizained'autrespoliciersàpunirsiladroitel'emportaiten2017 ?Defait,lenomdePéchenardapparaît en ombre chinoise dans la chute deBernard Petit. Son ancienne secrétaire,Laurence Bastien, encartée chez Les Républicains, est, quelques mois avant que lescandale n'éclate, entrée en contact via une amie commune, avec l'épouse de Petit,jusqu'à en devenir très proche. Entre copines, elles s'offrent des week-ends et despetites bouffes. « Lolo », comme l'appellent familièrement les flics du 36 à qui elleclaque la bise, s'est constituée un très efficace réseau d'informations à traversl'association des secrétaires et petitesmains deBeauvau dont elle est la présidente.DevenupatrondelaPJparisienne,Petitaeulesentimentquel'entouragedePéchenardétait trèsrenseignésursonpatrimoine,etsepassionnait toutparticulièrementpourunappartement acheté près de Miami. Une piste vite abandonnée, les conditionsd'acquisitionétantirréprochables.LaurenceBastien,quecertainesmauvaiseslanguesdésignentcommelagreffièredela

fameuselistenoire,setrouveêtrelameilleureamiedeceluiquivaprécipiterlachutedeBernardPetit4.PhilippeLemaîtreestunadministratifdeclasseAqu'elleaconnuaucabinet de Pèch'. Lorsque ce dernier a quitté la police, il a placé son employé debureauauprèsdeJoMasanet,lepatrondel'Anas,réputédegaucheetprêtàtoutpourplaire.« Péchenardfonctionneparclan,saphrasefétichedanslamaison,c'est:“Lui,ilest peut-être bien, mais je ne le connais pas.” C'est le boy-scout qui veut que sescollaborateurssoientaussidesboy-scouts »,expliqueuncommissairedePJ 5.Isolé sur une terre hostile, tel est le sort du soldat de Valls. Petit, baptisé « Jack

Bauer »,dunomduhérosdelasérie24heureschrono,prêtàtoutpourarriveràsesfins,abienunalliédanslaplace:RenéBailly,ledirecteurdurenseignementdelaPP.C'estavecluiquedanssonprécédentposteàNanterre,ilamontédes« coups ».Maisici,au36,ildoitpouvoircomptersursonpropreréseaud'infos.D'autantqu'eninterne,lesmursontdesoreillesqui,enl'occurrence,semblentêtrecellesdePèch'.DeNanterre, il fait venir son chef de cab'.Mais celui que les poulets surnomment

méchamment« Gollum »,enréférenceàlacréaturedeTolkienesclavedel'anneaudupouvoir,estviteprisengrippepartoutle36.RichardAtlann'apasfacilitéleschoses,enmettantunsoinparticulieràchoisirsavoituredefonctionoul'écranplasmadesonbureau. Simple commandant, il tutoie d'emblée les commissaires. Une faute de goût

dans un monde – parfois – policé. L'un d'entre eux le lui fait d'ailleurs payer enrépondant,chaquefois,àlafamilièresalutation:« Maisvousêtesqui,monsieur ? »UncomiquederépétitionquimetenjoietoutleQuaidesOrfèvres.Petit ne peut pas compter sur la sous-direction des Affaires économiques et

financières(AEF).Sesseptbrigadesdeluttecontrelacriminalitééconomique,dontlacélèbrebrigadefinancière,restent« tenues »ensous-mainparFrédéricPéchenard.Enseptembre2014,quandcelui-cidevientledirecteurdecampagnedeNicolasSarkozypour laprésidencede l'UMP, legrand flic rendd'ailleursvisiteaunumérodeuxdesAEFpourleprévenir:« Ladroitevarepasser... »Comme tout patron de la PJ qui se respecte, Petit veut son « canal off ». À peine

arrivé,ilauraitdemandéauchefdelaCrim's'ilavaitquelqu'unpourfairedesfadettesen toute discrétion. Une demande aussitôt ébruitée. Il n'y a guère que ChristopheMolmy,le« taulier »delaBRI,l'ancienAntigang,quisemontreconciliant.Tousdeuxpartagent le même ennemi : Bernard Squarcini. Avant d'être nommé par NicolasSarkozy directeur de laDCRI, le Squale, patron desRG, avait ferraillé dur avec lementor de Molmy, le grand manitou de l'antiterrorisme d'alors Roger Marion. Uneproximité qui avait d'ailleurs valu au jeune commissaireMolmy d'être débarqué duprestigieux OCRB, l'Office central de répression du banditisme dès le retour deSarkozy à Beauvau en 2005. « Molmy disait toujours oui à Petit, affirme uncommandant6quisertau36depuisdesannées.DesjournalistesontétéfilochésparlaBRIàlademandedeGollum.L'objectifétaitdeconnaîtreleurssources.Lamentalitéchezeuxc'est:“Silechefdemande,jenepeuxpasrefuser.” »

Delapoudreenfumée

Afindeprendrelecontrôledelaboutique,JackBauersedonnesixàhuitmois.Etilaunplan.Dupliquerleservicederenseignementcrimineldontilavaitfaitunearmedeguerre lorsqu'il était à Nanterre. Le Sirasco était alors dirigé par un de ses trèsproches,lecommissaireDimitriZoulas,surnommé« leHibou »dufaitdesaprésenceaubureauàdesheuresplusnocturnesquediurnes.Pourmonterau36cettecellulerens'd'une dizaine de personnes, Petit recrute même à la DGSE. Avec, en appuiopérationnel,deshommesfiablesqu'ildisséminedansdifférentsservicesdelaPJsouslacasquettede« documentaliste ».Unessaimagebloquénetparlepatrondelabrigadedes Stups d'alors. Il faut dire que le commissaire ThierryHuguet ne peut pas sentirBernardPetit.Unehainenourriepar la rivalité légendaireentre labrigadedes stups(BSP)delaPPqu'ildirigeet l'Officecentralpourlarépressiondutrafic illicitedesstupéfiants (OCRTIS), longtemps piloté par un fidèle de Petit7. QuandBernard PetitappellecommenumérodeuxàsescôtésleresponsabledelaPJdeVersailles,PhilippeBugeaud, Huguet saisit l'occasion inespérée de s'exfiltrer, en visant sa place à

Versailles. Las, à cause d'une fausse manœuvre sur l'imprimante, il plombe sacandidatureenl'éventantprématurément.« Àl'annoncedel'arrivéedePetit,beaucoupontprévenuHuguet:“Faistesvalises...”,sansimaginerquec'estPetitquipartiraitlepremieretqueHuguetsableraitlechampagne »,serappelleunofficierdelaBSP 8.Huguet aura pourtant senti le vent du boulet. Dans la nuit du 24 juillet 2014,

cinquante-deuxkilosdecocaïnesaisisparsonservicesontdérobésdanslasalledesscellés. Le scandale est sans précédent au 36.Huguet est accusé de ne pas tenir saboutique.« Quandonadécouvert qu'ilmanquait les sacsde coke,on a toutde suiteposélaquestion:“Quelqu'unlesabougés ?”Non...Avantdeprévenirlepréfetetleprocureur,ons'estassurésquepersonnen'étaiten traindenous joueruntourdans legenrefarcepasdrôle,raconteunofficierdesStups.PuisHuguetafilévoirPetitpourluidire:“Onaperducinquante-deuxkilosdecoke.”Misaucourant,lepréfetalâché:“C'estuneaffairepolice.”Enclair:c'estpourvotrepomme ! »LechefdesStupssaitcequ'illuiresteàfaire:réglerlui-mêmeleproblèmeetfissa.Lorsquelesenquêteursdelapolicedespolicessontarrivéspourlaperquisition,le

chienspécialisédanslarecherchededroguesamanquédefaireunesyncopedanslapiècedesscellésoùilrestaithuitkilosd'herbe...Et,raconteundesprésents 8,« lorsquelesbœuf-carottesontinspectélesfauxplafonds,onétaittousanxieux...Heureusement,ilsn'onttrouvéquedeuxpaquetsdeshitplanquéslàetoubliéspardeuxcommissairespartis depuis à la retraite ! ». Les enquêteurs de l'IGPN identifient rapidement unsuspectgrâceàlavidéosurveillance.Lasilhouettesportiveetélancéeportantungrossac est celle du brigadier Jonathan G. Aux yeux de la police des polices, un tasd'indices accablent ce flicdesStups, commepar exemple cet étrange réflexe attrapépar la camérade surveillance, avoir éteint sonportable en sortant du36 comme s'ilvoulaitéchapperàtoutrisquedegéolocalisation.Maisétrangement,dansletempledelarationalitéquedevraitêtrele36,l'imagination

prend rapidement le pouvoir. Très vite, certains croient voir derrière cerocambolesquefric-fracunemachinationourdiecontreThierryHuguet.Un« chantier »,commeonditdanslejargonpolicier,quiauraitfoiréàcaused'unévénementimprévu.Le 31 juillet 2014, un jeune lieutenant qui termine son stage à la brigade des stupsdemande à voir la salle des scellés où sont entreposés les cinquante-deux kilos decoke. « Les images des caméras de surveillance s'effacent automatiquement tous lesquinzejours,ils'enestfalludepeuqu'onnepuissepasremonterauprincipalsuspect.Une semaine de plus et c'était cuit », confie l'officier des Stups. Pour ajouter aumystère, alors que Jonathan G. n'a jamais avoué et que la drogue n'a jamais étéretrouvée, les bœuf-carottes pensent avoir identifié celui qui a aidé à écouler lescinquante-deux kilos de coke : un indic du brigadier des Stups, mais aussi de...l'OCRTIS,leurfrèreennemi.Bilan:nonseulementThierryHuguetnevapassauteràcausedecettehistoire,mais

c'estBernardPetitquiperdrasonpostel'annéesuivante 9.Unmoisavantlelimogeagedupatrondu36,Huguet,dontl'épouseexerceàl'IGPN,annonceàsonéquipelorsd'unpotdedébutd'année:« L'annéeserapleinedebonnessurprises ! »Belleintuition.

Réveillerlaparanoïa

Avantd'êtremisàpiedauboutde seulement treizemoispassésau36, JackBauers'est pris encore une autre tuile. En avril 2014, une touriste canadienne accuse despoliciersdelaBRIdel'avoirvioléedansleslocauxduQuaidesOrfèvresaprèsunesoiréearrosée.BernardPetitestalorsencongés,clouéparunmaldedos lorsqueletéléphonesonneàsondomicile.Auboutdufil,lepréfetdepolicedeParis:—Vousêtessansdouteaucourant ?—Non,jenesuispasaucourant.Dequois'agit-il,monsieurlepréfet ?—J'avaisditàHerlemdevousappeler !s'énerveBernardBoucault.Jean-JacquesHerlem,alorsnumérodeuxdu36,acrupouvoirgérerl'affaireensolo.

Pendanthuitheures, ilne rendpascompte.LaBRI, c'est sonancienneboutiqueet ilcroitpouvoirlaverlelingesaleenfamille.Furieux,lepréfetréclamedestêtes.CelledeHerlem,maisaussicellesdesnumérosunetdeuxdelaBRI.Leschosess'aggraventlorsqueleprocureurdeParis,plutôtenclinàcalmerlejeu,découvrequelespoliciersont maquillé la scène de crime.Manque notamment un des bas de la victime. « Enagissant dans son coin, seul, en voulant gagner du temps, Herlem a aggravé leschoses », regrette Petit. Cinq mois plus tard, le numéro deux du 36, surnommé« 12  h  30-16  heures »pourseshorairesdetravaildécalé,estexpédiéaucimetièredeséléphants.BernardPetitnel'apasretenu.Depuissonarrivée,ilcherchaitàremplacerHerlem

parlepatrondelaPJdeVersailles.C'estmaintenantchosefaite.PhilippeBugeaud,ilestvrai,a leprofil idéal : il fait le jobsanséclatsetnerencontreaucunehostilitéàgauche comme à droite. Il a même servi de sparring-partner de Sarko lors de seslaborieusesséancesdefooting.Mais l'affaire du viol du 36 ne se circonscrit pas à un changement de tête.Marie-

FranceMonéger,lapatronnedel'IGPN,vamanifestements'yemployer.« Elleachargécommeunrhinocérosetasortilegrandjeu,sesouvientungradé 10.Àl'exclusiondescommissaires,touslespoliciersdepermanencecesoir-làau36ontdûsesoumettreàunprélèvementADN. »Unehumiliationd'autantpluscuisantequel'enquêtesesolderaparunnon-lieugénéral.Iln'enfallaitpaspluspourréveillerlaparanoïa.Derrièrelezèle de l'IGPN, n'y aurait-il pas un plan secret deCazeneuve : fondre le 36 dans laDirection centrale de la police judiciaire directement rattachée à Beauvau et ainsireprendre lamainsurunePJparisiennejugéetropautonome ?Ilestvraiquele36atoujoursétéunemaison rebelle.« L'acte fondateur,décrypteunpéjisteparisien,c'est

RichardDurn. »Le28mars2012,letueurduconseilmunicipaldeNanterre,engardeàvue dans les locaux de la brigade criminelle, alors dirigée par Péchenard, sedéfenestre. Le ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant parle de « gravesdysfonctionnements »etprometdes sanctions.Tout le36descenddans la cour : unedémonstrationdeforcefaceàlaquellel'Intérieurcède.PlaceBeauvaucommesurl'îledelaCité,personnen'aoublié...Iln'estmêmepassûrqu'en2017,ledéménagementdespouletsdelaPJPPdansleslocauxdunouveaupalaisdejusticeauxBatignolleseffacelacicatrice.

Lamalédictiondu36 ?

Lorsqu'il arrive au débotté auQuai desOrfèvres, ce n'est pas par gaieté de cœur.ChristianSaintesaitleposteàrisques:sesdeuxprédécesseursviennentd'enfaireladouloureuseexpérience.CommePetit, luiaussiestun« produitd'importation »,quiafaitsesarmesenCorseetàlaPJdeMarseille.Heureusement,ilal'oreilledupréfetdepoliceCadotqu'ilacôtoyésurleVieux-Port.Pourautant,illuifautcontrerl'influencedeJacquesMeric,lepatrondelapoliceentenue(DSPAP).Demémoiredeflics, lespatronsdu36et laDSPAPsesont toujoursfait laguerre.

Meric,quirevient travailler lesoiraprèsdîner,auneréputationdemoine-soldatquin'hésitejamaisàcroiserlefer.Lorsque,àl'automne2015,l'épousedeChristianSaintedéposedansuncommissariatparisienunemaincourantemettantencausesonmari 11.Aussitôtaverti,Merics'empressed'enaviser lepréfetCadot.LequelconvoqueillicoSaintepouruneremontéedebretelles.Destémoinssesouviennentd'avoirvusortirdel'entretienlepatrondelaPJparisienne« blanccommeunlinge ».Sansdoutea-t-ilfiniparcroireluiaussiàlamalédictiondu36...Comme si le 36 s'était arrêté au temps desBorgia : trahisons, empoisonnements et

toutelapanopliedescoupstordus.Onfinitparsedemandersilesenjeuxdepouvoirentreclanspèsentplusque la sécuritédesFranciliens.Une foisélus, les socialistes,quipromettaientdesupprimerlapréfecturedepolice,cetÉtatdansl'État,n'aurontfaitquelarenforcer.

1.Entretiendu17juillet2016.2.Entretiendu17juillet2016.3.EntretienavecBernardPetitdu24juillet2014.4.Lirelechapitre« Lescarottessontcuites ! ».5.Entretiendu25avril2012.6.Entretiendu25avril2012.7.Lirelechapitre« Franchissementdeligneblanche ».8.Entretiendu4février2015.9.Entretiendu19janvier2015.

10.Lirelechapitre« Lescarottessontcuites ! ».11.Entretiendu14août2014.12.InformationconfirméeparChristianSainte,peudetempsaprèsledépôtdelamaincourante.

8

OpérationMinotaure

LamotofiledanslesruesdeParisdésertesencetteheurematinale.Sonpassagerestnerveux. Régulièrement, il jette des coups d'œil à droite et à gauche, derrière aussipours'assurerqu'iln'estpas« filoché ».Certainenfinquepersonnenel'asuivi,ilfaitstoppersamoto,s'arrêtantparréflexeprofessionnelàunetrentainedemètresducaféoùilarendez-vous.Côtégauche,ilaunearmeplanquéesousleblousonaucasoù.Àlamaindroite,unesacoche.Àl'intérieur,ilrejointlatableoùl'attendunhommeàlamiseélégante,fineslunettescercléesetcheveuxpoivreetsel.« Commenttuvas ? »Lapoignéedemainestchaleureuse,maisimpatiente.Desamystérieusesacoche,lepatronduservicederenseignementdelapréfecturedepolicesortaussitôtundossier.Danslejeu de photos qui s'étalemaintenant sur la table, un sexagénaire en fauteuil roulant,photographiéautéléobjectif,retientl'attentiondunumérotroisdelaPJ,enchargedelaluttecontrelecrimeorganisé,BernardPetit.Quelques joursplus tôt,danssonbureauàBeauvau,ManuelVallsa réunipourune

séance de travail les huiles de la police. Alors que la réunion s'achève et que lesdirecteurs se retirent, le ministre interpelle Bernard Petit : « J'aimerais que vousrestiez »,ordonne-t-il,tandisqueChristianLothion,lepatrondelaPJ,quittelapièceenjetantunregardlourdsursonnumérotroisretenuparleministre.Loindesoreillesindiscrètes,Valls poursuit : « Je souhaite vous confier un dossier, je veux que vousl'évaluiezetmedisiezsiçatientlaroute.Silapersonneestaccrochée,allez-y,cognez.Jenesouhaitepasquevousévoquiezcetteaffaireavecvotrehiérarchie.Jeveuxquevousn'enparliezàpersonne. »Puis,devantl'airinterditdeBernardPetit,Vallsglisse,mystérieux : « Quelqu'un va vous contacter. » Dans la semaine, comme annoncé, lasonneriedutéléphoneretentitdans lebureaudePetit.Auboutdufil,RenéBailly, lechefdurenseignementdelaPP:—Jevoudraistevoirpourundossier.—Ah,c'estdonctoi...

Leroidesjeux

Printemps2013.L'opérationMinotaurevientdedébuter.FairetomberMichelTomi,celui que la PlaceBeauvau désigne comme « le parrain des parrains ».Unemissionpilotéeendirectpar leministrede l'Intérieur.Faire tomberTomipourManuelVallsestdécisif:l'ambitieuxchercheàmarquersonpassageàBeauvau.Ilveutréussirlàoùd'autresprestigieuxprédécesseursontéchoué:enfiniraveclecrimeorganiséd'originecorse. Et puis, Valls le sait parfaitement pour avoir éprouvé les affaires corses –notammentl'affairedespaillottesetledépartdeChevènementdeBeauvau–lorsqu'iltravaillait àMatignon, sous les ordres de Jospin : ces réseaux souvent mènent à ladroite.Voireàdesfinancementsillégauxdepartispolitiquesvial'Afrique...Chez les flics comme chez les voyous, Tomi est un véritable mythe. En deux

décennies,ceCorsenéausudde l'île,dans leTaravo,« lavalléedescroupiers »,abâtiunempireenAfriquedel'Ouest,danslescasinos,lesmachinesàsous,l'hôtellerieoul'immobilier.LeCorso-Africainpossèdeaussisaproprecompagnieaérienne.DanssonfiefdeLibrevilleauGabon,commedanssonryaddeMarrakech,toujoursentourédesesgardesducorps,MichelTomi,clouédansunfauteuilroulantparunescléroseenplaques, reçoitministresetchefsd'Étatafricains.Etquand ilnesedéplacepasdansl'un de ses Falcone 50, le roi des jeux enAfrique sillonne laMéditerranée sur sonpuissantyachtdetrente-troismètresbaptiséGrâceàDieu.Unecellulesecrètesemetenplace,constituéepardesfonctionnairesmembresdela

Sous-direction chargée de la lutte contre le crime organisé dévoués à leur chef,BernardPetit.LefameuxdossierqueluiaremisRenéBaillycontientdesnotesrelatantdesmoisdesurveillanceparlaDirectiondurenseignementdelapréfecturedepolice.Onyapprendque« leparrain »tienttableouvertedanssestroiscantinesfétiches,LaTerrasse,unebrasserieduquartierdeLaDéfense,laMaisondelaTruffe,rueMarbeuf,dans le8earrondissementetL'AtelierdeJoëlRobuchonsur lesChamps-Élysées,oùTomiréservelaveillepourprivatiserlasallesituéeensous-sol.Onydécouvrequ'ilases habitudes dans des palaces entre le parc Monceau et l'Étoile et dans d'autresétablissementsplusdiscrets.TouslesdéplacementsdeTomiàParisontétéphotographiés,sescontactsidentifiés.

Afin de cartographier son entourage, les policiers ont notamment utilisé un IMSI-catcher.Pourqueriennefiltre,lamissionaétéconfiéeàunequinzained'agentstriéssur le volet, tous piochés dans la Sous-direction de la lutte contre le terrorisme. Larègle est limpide : « Pas vu, pas pris. » Surtout quand les agents de la DRPP sedéplacentenSuisse,pourenquêtersurlacible,aunezetàlabarbedeleurscollègueshelvètes.Ledernierdesparrains françaispossède troissociétésenHelvétieetaseshabitudesàLaRéserve,uncinqétoilesauborddulacLéman.Etpourlesenquêtesplus

lointaines,BernardPetitpeutcomptersurlesréseauxd'unamibienplacéàlaDGSE,laDirectiondurenseignementextérieur.

Pasquaconnection

En trente ans de PJ, ce grand flic spécialisé dans la lutte contre la criminalitéorganiséen'ajamaiseuàaffronterunadversaireaussipuissant.Chaquejour,BernardPetit découvre l'étendue de la surface financière de Michel Tomi, dont le chiffred'affairesdéclarédépasseles600millionsd'euros.UnempiretentaculaireirriguéparlesréseauxPasqua,quiplongeaucœurdel'appareild'État.« Monpèreétaitamiavecsonpère.Notreamitiédetrenteansnes'estjamaisdémentie »,nousconfieraunjourleroidescasinos.Lorsqu'ils'installeàlaPlaceBeauvaupourlapremièrefois,Pasquas'empresse d'octroyer à l'homme d'affaires l'autorisation d'exploiter le casinod'Annemasse en Haute-Savoie. La petite monnaie de sa pièce... Cinq ans plus tôt,MichelTomiafinancéillégalementleRPF,lemicropartideMôssieurCharlespourlacampagnedesélectionseuropéennes.C'estdoncdansunclimatparanoïaquequelespolicierstravaillentsurMichelTomi.

BernardPetitvajusqu'àfaire« dépoussiérer »sesbureauxàNanterre,savoitureaussiest auscultéepour s'assurerqu'aucunmicrooubaliseGPSn'a étéposé endouce.Leménages'effectuedenuit,c'estundesesprochesquis'encharge,lepatronduServiceinterministérield'assistancetechnique,leSIAT,l'unedesunitéslesplussecrètesdelaPJdontlamissionestd'infiltrerlecrimeorganisé.LenumérotroisdelaPJseméfienotammentdesonchef.ChristianLothionestréputé

proche de Bernard Squarcini. Ce dernier, alors patron de la DCRI, est une vieilleconnaissancedeMichelTomi,tousdeuxPasquaboys.Dansunenoteblancheadresséeauministre, Bernard Petit évoque un véritable noyautage dumilieu policier par desaffidésdeSquarciniauprofitdeTomi.Enoutre,leSqualen'a-t-ilpasfaitvenir,dèslacréationenjuillet2008delaDCRI,ledemi-frèredeMichelTomi ?Uncommissaired'une quarantaine d'années qui prend la tête de l'une des divisions sensibles de lamaison, celle en charge des « opérations spéciales »... Les policiers qui filochentMichelTomiàParisontlasurprised'apercevoiràplusieursreprisesSquarcinimonterdanslavoituredecedernier.Informéqu'ils'estfaitprendreautéléobjectifensibonnecompagnie,leSqualedésamorceenrépétantlamêmehistoiredèsqu'ilcroiseunflicdelaPJ:« Unjour,jemebaladaisdansParis,unevoitureastoppé,s'estarrêtéeàcôtédemoi.C'étaitTomi. »Autre hasard : le 3 juin 2013, alors que le soleil inonde la capitale, Squarcini est

attendu par l'homme d'affaires pour déjeuner. Rendez-vous a été pris chez Ly, unrestaurant asiatique chic de Neuilly, avenue Charles-de-Gaulle. Le patron durenseignement parisien, René Bailly, est en planque non loin, à la terrasse d'une

brasserie. En même temps qu'il avale une salade de poulet (sic !), il coordonne lasurveillance depuis son portable. Ses hommes sont partout.À l'intérieur de chezLy,commesimplesconvivesmaisaussienplanquedevantlerestaurant,àl'intérieurd'un« sous-marin »,unvéhiculebanalisééquipépourréaliserdesphotographiesdiscrètes.Lorsque Tomi et ses gardes du corps arrivent, un invité est déjà à table : CharlesPasqua ! Bailly jubile.Mais déchante aussitôt. Il apprend que Squarcini vient de sefaireporterpâle :unempêchementdedernièreminute.Malchanceencore,uncamiondelivraisons'estinterposéentrelesoum'etlerestaurant.Lesphotossontimpossibles.« C'estdommage,regretteBailly.J'auraisbienaimélesmontrerauministre. »Vallsenverrad'autres.Carpendantprèsd'unan, les surveillances s'enchaînent,un travailderenseignement totalementoff, à la foispatientet rigoureux, faitde longues filochesàtraverslepays,deplanquesdiscrètesdansdespalacesetmêmed'envoyésspéciauxàl'étranger...Unefoislarécoltesuffisante,vientletempsd'enrendrecompteàlajustice.Finjuillet

2013,BernardPetit rédigeun rapport sur lagalaxieTomi. Il le remet auparquetdeParis.Celui-cialaréactionattendue:impressionnéparlaquantitéetlaprécisiondesinformations, il décide de confier sans plus attendre l'affaire à un juge d'instruction.Petits'estempresséd'endessinerleportrait-robot.CeseraSergeTournaire.NonpastantparcequelemagistratadditionnelesdossierscontreNicolasSarkozy,maisparcequ'iladéjàportél'estocadecontreuncercledejeuxparisiensurlequelplanel'ombrede la mafia corse, leWagram. Et parce qu'il a travaillé à Marseille, et connaît lachansonenmatièredecrim'org'.Laveillede ladésignationofficielledumagistratenquêteur,une réunionsecrète se

tientboulevarddesItaliens,àParis,aupôlefinancier.BernardPetityretrouvelejugeSerge Tournaire et un de ses binômes, également juge d'instruction, Hervé Robert.Deux heures durant, le policier affranchit les magistrats sur l'opération Minotaure.Ensemble ils fixent la stratégie : cogner sur l'aspect fiscal. Puis ils établissent uncalendrier, lespremièresconvocationsserontenvoyéesà la finde l'année.L'idéeestd'accrocherMichelTomisurlafaçondontilblanchiraitunepartiedel'argentgagnéenAfrique.Uneinformationjudiciairecontrele« parraindesparrains »estdoncouvertepourblanchimentaggravéenbandeorganisée,abusdebienssociauxetfauxenécritureprivée.

L'Afrique,c'estchic

Le juge est d'autant plusmotivé que, lorsqu'il enquêtait sur la reprise par un clancorseducercleWagram, iln'avaitpas réussiàattraperMichelTomidansses filets.Celui-ci subvenait pourtant aux besoins de Sandra Germani, épouse de RichardCasanova,figuremythiquedelaBrisedemer.C'estlefrèredeSandra,Jean-Luc,qui,

le 18 janvier 2011, mène avec ses lieutenants une opération coup de poing pourreprendreleWagramàunclancorseadverse.Une« descente »muscléequisedérouledevant les téléobjectifs des hommes de René Bailly. Ces surveillances seront àl'époque« blanchies »,c'est-à-dire judiciariséesafind'étoffer ledossierWagramquelejugeTournaireinstruit,avecl'aide,déjà,deBernardPetit.Sandra,quiauraitinspirél'héroïnedelasériecultedeCanalPlusMafiosa,est,depuislamortdeRichard,sousla protection de Tomi. « Tonton », comme elle le nomme affectueusement, prend encharge ses frais de bouche et le loyer de l'appartement parisien de deux cent trentemètrescarrésprèsdesInvalidesqu'elleoccupeavecsesdeuxenfants.SeptmilleeurosviréschaquemoisparlePMUduGabon,dontladirectricen'estautrequelafilleaînéedeMichelTomi.Interrogéparnossoins,leparrain1explique:« J'aitoujoursétépourladistributiondes richesses. Jedistribue10ou20  %deceque jegagneàceuxquim'entourent. »Recherchéparlapoliceaprèsson« putsch »ratéauWagram,Jean-LucGermani,parailleursmisenexamenpourmeurtreenbandeorganisée,serauntempslocaliséparlaDGSEauCameroun,surlesterresdeTomi.Au fil de l'enquête, apparaissent de manière récurrente dans l'album photo des

enquêteursdenouveauxpersonnages.Etnondesmoindres.TelqueIbrahimBoubacarKeïta, l'actuel président du Mali. Très tôt en 2012, ce chef d'État africain estimmortaliséausortirdelaMaisondelaTruffeàParis,serrantdanssesbrasMichelTomi.Leroidescasinosaprissoindesonamiqu'ilacontribuéàinstalleràlatêteduMali, mettant à disposition ses avions pour sa campagne. Lors des venues d'IBK àParis,illuipaiesesséjoursdansunesuiteà30 000eurosparjourauRoyalMonceauets'occupedesaluxueusegarde-robe,ainsiquedecelledesonépouse.CommeTomil'expliqueraplus tard surprocès-verbal, aucoursde ses auditionspar lesmagistratsfrançais,c'estparcequ'ilse« préoccupedesonlooketdesasanté,alorsqueluin'ypensepas ».Etdebienpréciser:« Jen'aipasbesoind'acheteruncostumeauPrésidentpourfaireuneaffaireauMali. »En décembre 2013, enmarge du sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en

Afrique,IBKgrimpedansunjetpourserendreàlacliniquedeMarseilleoùsonamicorse a ses habitudes. Lorsque nous interrogerons Michel Tomi sur cette prise encharge,ilraconteavecmalice:« Çam'arrivesouvent.IBK,jeleconnaisdepuisvingtans, pour moi, c'est un frère. Quand il est venu en France pour le sommet franco-africain,ilavaitbesoindefairedesexamensencardiologie,alorsjeluiaienvoyémonavion pour qu'il descende àMarseille dans la clinique quime soigne.On a voyagéavec deux policiers français et, à l'arrivée, le GIPN2 nous a escortés. » Avecgyropharesetdeux-tons...Subitement,le28mars2014,lepuzzlesecrètementetpatiemmentconstituésecasse.

Quelques jours après l'ouverture d'un supplétif pour « corruption d'agent publicétranger »,LeMondepublieunarticlequiraconteparlemenul'existenced'uneenquête

surTomimaisaussilesliensentrecedernieretIBK.« Lorsqueestsortilepapier,sesouvientBernardPetit3, j'aicomprisque jen'yarriveraispas,quequelquechosemedépassait, qu'il y avait une raison d'État... Une semaine avant, les deux journalistesétaientvenusmevoir, ils connaissaient le contenude lanoteque j'avais transmiseàl'Élysée. »RenéBaillypartagecetavis.CommesoncollèguedePJ,lepatrondurens'parisien remet une note circonstanciée à Manuel Valls. C'était le 22 mars 2014 àBeauvau. Moins d'une semaine plus tard, le contenu des deux notes font la une duquotidien du soir. « Si quelqu'un avait voulu plomber l'enquête, il n'aurait pas faitmieux,sedésoleunmagistrat4.C'est forcémentunepersonne informéeethautplacéequiafilélesinfos. »Àpeinesonnomapparaît-ildanslejournalqueceuxquiétaienten affaires avec Tomi coupent tout contact. « Il a fallu rebecqueter les lignestéléphoniques les unes après les autres, raconte un enquêteur. Ce qui a demandé unmois de plus. Sur le volet “corruption d'agent public étranger” au Mali, il nousmanquaitencorebeaucoupd'éléments,etsur leGabon, rienn'étaitassezavancépourêtrejudiciarisé.Onaétéobligésdetapersurunetoutepetitepartiedudossier. »Ilafallu également gérer la motivation des policiers chargés de l'enquête. « Certainsavaient le sentimentque leur travail étaitbonà jeterà lapoubelle. Ils se sont sentistrahis,d'autantqueTomisepayaitleurtêteouvertementsurlesécoutes.Lasuspicions'estinstalléecommeunpoison,ycomprisvis-à-visdelahiérarchie.Dèslors,toutaétéplusdifficile. »

TirdebarrageauChâteau

C'estàl'Élyséequelafindelapartieauraitétédécidée:pastoucheàIBK.Danslaguerre que mène la France contre Al-Qaida au Maghreb, le Mali est une piècemaîtresse.Pour leChâteau, il serait inconcevablequ'unalliéaussiprécieuxpour lestroupesfrançaisesdel'opérationBarkhanedéployéesauSahelsefasseenquiquinerparlajustice.PourlespolicierscommepourlesmagistratschargésdefilerTomi,ledouten'estpaspermis.Lesnotesqu'ilsontadresséesàBeauvauontéchouédel'autrecôtédelarue.Cescénariod'unefuitevenantdel'Élysées'estcrédibilisédepuislapublicationde « Un président ne devrait pas dire ça »... 5. Les deux auteurs de ce livre deconfessions explosives avec François Hollande sont les mêmes journalistes qui ontsignédansLeMondel'articlesurMichelTomi.LeurpapiersurleparraindesparrainsaétéungrosmotifdecontrariétépourManuel

Valls.Nonseulementl'opérationMinotaurequ'ilainitiéeaduplombdansl'aile,maisses ambitions africaines s'effondrent, lui qui comptait sur son sherpa subsaharienIbrahimaDiawadohN'Jim pour lui ouvrir les portes de la région. Le « marabout deValls »,commecertainsl'appellent,estunconseillerdel'ombrequin'apparaissaitpassurl'organigrammedeMatignonetrefusaittoutcontactaveclesjournalistes...jusqu'en

mai2017.CeFrançaisd'originemauritanienneencartéauPSaconnuVallsàÉvryoùiladirigésacampagnevictorieusepourlaconquêtedelamairieen2001.Ilestl'undesestémoinsdemariageaveclaviolonisteAnneGravoin.Ilestégalementl'initiateurdel'éluauxarcanestortueusesdelapolitiqueafricaine.Danssoncarnetd'adressesétofféfigurentenbonneplaceIBK,toutcommeledirecteurdecabinetduprésidentduGabon,AliBongo.DelààpenserqueTomiauraitpucontrarierl'influencedeDiawadohN'Jimsur le chef d'État malien et sur le dir' cab' du président du Gabon qui, signed'allégeance,appelleMichelTomi« Papa »...Le Gabon reste la boîte à secrets des politiques français. Dans son livre, LaRépublique desmallettes 6, Pierre Péan en a soulevé le couvercle. L'avocat RobertBourgi,éminencegrisedelaFrançafrique,yracontenotammentlesallers-retoursqu'ilditavoirfaitsentreLibrevilleetParispourconvoyerdel'argent.

Findepartie

Finalement,le18juin2014,MichelTomiestarrêtéàParis,ainsiqu'unequinzainedepersonnes dans toute la France. L'opérationMinotaure vient de s'achever. Elle auramobilisé au sein de la PJ jusqu'à une quarantaine de policiers. Et un groupe d'unedizainedefonctionnairesdurenseignement.Ausortirdetroisjoursdegardeàvue,leparrain des parrains est mis en examen pour dix-sept délits financiers, dont« corruptiond'agentspublicsétrangers »et« blanchimentdefraudefiscale ».Lesjugeslui reprochent d'avoir corrompu plusieurs dignitaires africains qui, en échange,l'auraientlaisséfairefructifiersonempireenpaix.IlestnotammentquestionauGabonde lapassationd'unmarchépour lesuniformesde l'armée,etauMalidesconditionsd'achat pour 36 millions de dollars du Boeing présidentiel d'IBK et d'un projetd'exploitationd'unemined'ordanslepays.Commecertainsenquêteursleredoutaient,lesinvestigationsvontfairelongfeusurlevoletinternational.IlestvraiqueTomijoueavecuncoupd'avance,commes'ensontviterenducompte

lespoliciers.Quelquesmoisavantquelajusticenesoitofficiellementsaisie,« Tomil'Africain » fait appeler un commandant du « groupe corse » qui travaille sur lui :« On sait que vous êtes sur nous, voyons-nous. »Après avoir obtenu l'accord de sahiérarchie, le commandant en question va au contact. « Tomi l'avait choisi commeinterlocuteurpournousfairepasserdesmessages,etpournousaussi,c'étaituncanalde transmission, nous confiera par la suite un de ses collègues 7. Un jour, lecommandantsignaleàTomi:“Germaniposeunvraiproblème.”Réponse:“Jepensequeçavas'arrêter.”Effectivement. »Les hommes du renseignement de la préfecture de police qui planquent près de la

porteMaillot,unquartieroùTomiaseshabitudes,aurontuncoupdechaudlorsqu'ilsapercevrontlecommandantentêteàtêteavecleparrain.Ilssontalorspersuadésque

leurcollègues'estfaitretourner.« Enfait,ilaétéloyaljusqu'aubout,maisTominel'apastamponnéauhasard.Ill'achoisiparcequ'ilsaitqu'ilexerceunefascinationsurlui.On a perçu le changement à son vocabulaire, il ne disait plus “le parrain”mais “lepatriarche”. Cette capacité à scanner les gens, c'est la force de Tomi, il a uneincroyableintuition. »Leparrains'estvisiblementprisd'affectionpourlecommandantdepolice,aupointde lui raconterendétail lemilieucorse.Une relationprivilégiéedontBernard Squarcini amême pris un temps ombrage. « Il était jaloux comme unejeunefille »,sesouvientencorenotreenquêteur.Plusdedeuxansaprèslecoupdefilet,leCorso-Africaincontre-attaque.Arguantque

lajusticefrançaiseest« incompétente »surlevoletinternationaletquelesmagistratsnepeuventretranscrirelesécoutesdechefsd'Étatétrangersprotégésparleurimmunité,sesavocatsdemandentcarrément,enoctobre2016,l'annulationdel'instructionAssurément,MichelTomineselaisserapasterrassercommeleMinotaure.Sixjours

avant son arrestation, nous l'avions longuement rencontré sur une île quelquepart enMéditerranée. À la question : « Il ne vous arrive jamais d'avoir peur 8 ? », il avaitrépondu:« Jamais.Sivousavezpeur,qu'est-cequipeutvousenleverlapeur ?Ceuxquiontfaitdeschosesmaldansleurvie,ceux-làpeut-êtreontpeur,maisquandvousn'avezrienàvousreprocher... »Lorsque Bernard Petit devenu patron du 36 est perquisitionné par la police des

polices et démis de ses fonctions, Michel Tomi envoie aussitôt un texto depuis leGabon:« Petit...c'estlaligueanti-Tomiquitombe,bientôtBauer... »

1.Entretiendu12juin2014.2.LeGroupementd'interventiondelapolicenationale.3.Entretiendu17juillet2016.4.Entretiendu11juin2014.5.Op.cit.6.Fayard,2011.7.Entretiendu7mars2016.8.LeCanardenchaîné,18juin2014etLePoint,19juin2014.

9

Lamaisondessecrets

« C'estquoi,cebordel ?Vousarrêtezde fumer !C'estmoiquicommande ici ! »Lapièceensous-soldecepetitpavillondebanlieueparisiennepueleshitàpleinnez.Lestrois hackers regardent, interloqués, ce « vieux » qui débarque pour la première foisdans leur cave. Le commissaire de la Direction centrale du renseignement intérieur(DCRI)n'apasl'aircommode.L'odeurde« beuh »quiempestel'amanifestementmishorsdelui.S'ensuituneremontéedebretellesenrègle.Celafaittroisansmaintenantqueletriodegeekstravailledansleplusgrandsecret

auservicedel'Étatetjamaisilsnesesontfaitengueulerdelasorte.Cettesemaine-là,leur officier traitant habituel est en vacances. Pas de chance : c'est son supérieurhiérarchiquequiaprissaplace.Àpeine legrincheuxa-t-il tourné les talonsque lesjeunespiratesinformatiques,estimantqu'ilsontassezdonnépourledrapeautricolore,prennent leurspuceset leurssouris !Basta !Pendantdeuxsemaines, laDCRIresterasansnouvellesde« ses »hackers.VentdepaniqueauhuitièmeétageàladirectiondeLevallois : undes secrets lesmieuxgardésdu renseignement intérieur français courtdans la nature. Et s'il venait aux trois garnements de la République l'idée d'allers'épancher auprès des journalistes ? Les Français découvriraient alors que l'État arecruté des pirates informatiques pour, hors de tout contrôle légal, espionner dansn'importe quel ordinateur ou smartphone.Miraculeusement, les fugueurs finissent parrentrer sagement au bercail, leur cave discrète dans un pavillon sans cachet d'unebanlieue sans âmede l'Ouest parisien.Qui pourrait imaginer qu'ici se dissimule unesalleinformatiquederniercrid'oùsepilotentdesopérationsinavouables ?Lorsqu'enjuillet2007,BernardSquarciniestplacéàla têtedelaDSTparNicolas

Sarkozyélu troismoisplus tôt, ildécouvre l'existencede lamaisondessecrets.Sonprédécesseur, le très chiraquien Bousquet de Florian, qui finira préfet exilé dans lePas-de-Calais,l'affranchit:lecontre-espionnagea« embauché »deshackersquisontlogés gratuitement dans un pavillon conspiratif et rémunérés chaquemois en liquidepourremplirdesmissionsoffauservicedel'État.Ilsn'ontpasd'existencelégaleetnefigurentdansaucunorganigramme.Accrochésdansdemenuesaffaires judiciaires, le

servicelesaapprochésenleurproposantd'effacerl'ardoise.Utiliséejusqu'alorspourtraquerlesespionsétrangers,lapetitecelluleclandestinevaégalementtravaillerpourdesintérêtsquin'ontpasforcémentàvoiraveclaseule« raisond'État ».Touslesquinzejours,lerituelserépète.UnscooterVespanoiréquipéd'unecaisse

métallisée à l'arrière franchit la grille du pavillon « conspiratif », qui voisine uneparoisse protestante. À peine garé dans la cour, son conducteur, un quadra à lasilhouetteronde,descendlesquelquesmarchesquimènentàlacavesécurisée.Ilvientlivrerlalistedescibles.

Despucesdecombat

Pourallerfouilleràdistancedemanièreillégaledanslesentraillesdetelserveuroutel ordinateur désigné comme objectif, les hackers procèdent à des attaques parrebonds, histoire de brouiller les pistes. Le principe est de prendre la main sur unserveurinnocentàpartirduquelvaêtremenéel'opérationdepiratage.C'estainsiquelaFondationinternationaleKadhafipourlacharitéetledéveloppementaplusieursfoisétéutiliséeàsoninsu,jusqu'àl'écroulementdurégime.La collecte bimensuelle récupérée, l'homme au scooter repart direction Levallois.

ToutletempsoùleSqualevadirigerlaDCRI,lasous-divisionR,installéeaudernierétagedel'immeubleenbétonetverre,ferasonmieldecetterécoltenondéclarée.Cettesous-divisionestsortiemalgréelledel'ombreaumomentdel'affairedesfadettes.Enjuillet2010, elle adressedeux télécopies classées confidentiel-défense, à l'opérateurOrange afin d'identifier les sources d'un journaliste du Monde dans le dossierBettencourt.Rattachésàlasous-divisionR,leshackersontcraquélabasededonnéesdel'undes

principaux fournisseurs français d'accès à Internet.Les informationspersonnelles surdesmillionsdeclientsseretrouventdansunimmensefichierclandestinentrelesmainsdurenseignement intérieur.Yfigurentnoms,numérosde téléphone,adressesdemail,de domicile, historique des connexions,moyens de paiement, données de facturationaveclenomdelabanque...UneminederenseignementsàexploiterloindesregardsdelaCommissionnationaleinformatiqueetliberté,chargéedeveilleràlaprotectiondesdonnéespersonnelles.Les infos aspirées sous le manteau sont parfois revendues aux « cousins » de la

DGSE, qui règlent la douloureuse en espèces avec leurs fonds secrets. Lorsque, unjour,lesespionsduboulevardMortierarrêtentdepayer,c'estlebranle-basdecombat.ÀLevallois,on imagineque laDGSEamis enplaceundispositif sur le répartiteurinformatique du pavillon avec lequel elle siphonne les données directement. Uneéquipetechniqueestaussitôtdépêchéeafindes'assurerqu'iln'yapasdebranchement

clandestin.Résultatdelavérification:RAS.Parprécaution,lasécuritédeslocauxesttoutefoisrelevéed'uncran.Bernard Squarcini est débarqué de la DCRI dès l'arrivée de François Hollande à

l'Élysée.Etleshackerssevoientdiscrètementexfiltrésaprèsavoirétémisauvertenprovince.Lorsquenous irons sonner à laportedu fameuxpavillon, lespropriétairesnous expliqueront ne plus avoir de nouvelles des jeunes geeks qui furent leurslocatairesdesannéesdurant.Pourunmaximumdediscrétion,lesloyersétaientréglésviaunesociétéappartenantàuncourtierenassurancesinstalléàMarseille.Pour quellesmissions inavouables les hackers ont-ils été utilisés ?Un an avant la

défaitedeSarkozyàlaprésidentielleen2012,JoëlBouchité 1,dernierpatrondesRGdevenuconseillersécuritédel'Élysée,nousconfiaitàproposdelaDCRIqu'unepetitecellulepresseavaitétérecréée.« Desmecschargésdeserancardersurcequisepassedans les journaux, les affaires qui vont sortir, la personnalité des journalistes. Pourcela, comme pour d'autres choses, ils usent de moyens parfaitement illégaux. Leurgrandtruc,c'estdevolerdesadressesIP,lacarted'identitédesordinateurs.Ilsépientles échangesdemails, les consultationsde sites. Ils sont alors auparfumde tout.Sinécessaire,ilsdoublentenfaisantlesfadettes. »Enjuillet2010, lesited'informationMediapartsort lesenregistrementspiratesqui,

dansl'affaireBettencourt,mettentencauseleministreduBudgetettrésorierdel'UMP,Éric Woerth. Quelques semaines plus tard, l'Élysée distille dans les rédactionsl'informationselon laquelle leprincipalactionnairedeMediapartestunévadé fiscalbelge,propriétaired'unrestaurantàParisdansle6earrondissement.Coïncidence ?En2010, laDCRI, selon plusieurs de ses agents, aurait travaillé sur le financement deMediapart. « La boîte a effectivement demandé en 2010 un travail surMediapart etPlenel,parcequ'ilsénerventleChâteau.Certainsontrefusé,maisonasueninternequed'autresl'avaientfait »,nousassurecetofficierdelaDCRI,quiaprissoindevérifierquenostéléphonesportablesétaientbiendésactivésavantdenousparler 2.

LapêcheauSquale

À l'automne2010, une épidémie de vols d'ordinateurs s'abat sur les rédactions quienquêtent sur des affaires sensibles visant la Sarkozie et notamment l'affaireBettencourt.Pointédudoigt,Squarcinirépond:« Jen'aipasvoléd'ordinateurs,jenem'intéresse pas aux journalistes... » Une affirmation que nous décryptera à l'époquenotrecontre-espion3 :« Maintenant,onn'aplusbesoindepartiravec l'ordinateur,onsiphonnelecontenuàdistance.Ilyadesgenscheznousdanslasous-divisionRquifontçatrèsbien.SilacibleneseconnectejamaissurInternet,nisurwifi,ilfautallersurplacepourfaireundoubledudisquedur.Çavaviteetc'estindolore. »Etl'officierdu renseignement de poursuivre : « En revanche, si vous voulez donner un signal,

lancerunavertissement,volerl'ordinateurestunefaçond'intimideretdefairepeurauxsourcesenleursignifiantqueleurcontactestciblé.C'estuntravailquipeutêtresous-traité, les services ont tous dans leur carnet d'adresses une officine privée prête àbosserpoureux. »Squarciniauraétél'intendantduChâteau,et il l'assume.Commeill'aditlui-même:« SilePrésidentmedemandeunjourderefairelatapisseriedufortdeBrégançon,jeleferai 4. »Depuis,leSquale,reconvertidansleprivé,notammentauservicedeLVMH–le« sponsor »deNicolasSarkozy–,aétéprisdanslesfiletsdelajustice.Misenexamenentreautrespour« compromission »et« traficd'influence ».LascènesepasseàParis,souslatourEiffel,enmai2012,àquatrejoursdusecond

tourdel'électionprésidentielle,BernardSquarciniparticipeàl'exfiltrationdeBachirSaleh, l'argentier de Kadhafi. Les photographies prises ce jour-là et le bornagetéléphonique figurent désormais dans le dossier d'instruction du juge Tournaire quienquête sur les soupçons de financement par la Libye de la campagne de NicolasSarkozy.CedossierjudiciaireestaucœurdelaguerresecrètemenéetouràtourparHollande

et Valls pour empoisonner la campagne du patron des LR. C'est ainsi que débutnovembre2016,àquelquessemainesdupremier tourde laprimairede ladroite,LeMonde dégaine en une trois longs articles sur « les liaisons dangereuses de laSarkozie »,avecengueststars,BernardSquarcinietsonamiAlexandreDjouhri,quiauront été les deux fils conducteurs des juges pour prouver les injections d'argentlibyen. Djouhri, cet ancien caïd devenu apporteur d'affaires de la Sarkozie étaitd'ailleursprésentcefameux3mai2012souslatourEiffel.LesmagistratssoupçonnentAD d'avoir été le « porteur de valises » entre Paris et Tripoli. Ils suivent sesdéplacementsenAfriqueduSudauprèsdeBachirSalehpourledissuaderderevenirenFranceetdesemettreàtable.Enmai2013,ilscaptentainsicetteconversationavecSquarcinioùDjouhri se lâche :« Vallsestdans lecoup,hein, euh,pourdemander...pourdireàBachir...Jeteraconterai,c'estdestrousdebaise. »Comprendre:dansleclansarkozysteilnefaitaucundoutequecen'estpasleChâteaumaisVallsquiafournilesmunitionsauxjournalistes.Lesmilliersd'heuresd'écouterévèlentauxpoliciersqueSquarciniacontinué,après

sondépartdelaDCRI,àsecomporterenpatrondurenseignementintérieur.D'ailleurs,ne déclare-t-il pas aux enquêteurs qui l'auditionnent juste avant samise en examen :« J'ai changé d'activité, mais j'ai gardé un état d'esprit identique à celui quim'accompagnaitenmaqualitédehautfonctionnaire... »Unechoseestsûre,leSqualeatoujourssesentréesàLevallois.Ilreçoitencorelebulletininternedelamaisonainsiquedenombreusesrevuesdepresseetpublications.Ilutiliseseshommesrestésdansla place pour interroger les fichiers couverts par le secret-défense. Parmi les plusactifs, un ancien policier des RG. Accusé d'avoir échangé à maintes reprises des

informations avec son ex-patron, ce brigadier-chef, grand spécialiste des affairescorses,seraenvoyéàlaretraited'officeaprèssamiseenexamen.

C'estpasduluxe !

Preuvequ'ilsesentencorecommechezluiàLevallois,« Nanard »agardépendantdeuxansetdemi sonbadged'accès,histoire sansdouted'aller claquer labise à sesanciennessecrétairesquesonsuccesseurPatrickCalvaragardées.Cedernieraaussicontinué à voir Bernard Squarcini, à dîner avec lui. D'ailleurs, l'actuel directeur durenseignementintérieur,surnommé« leZébu »enraisondesonenfanceàMadagascar,n'a-t-il pas dit aux policiers qui, après l'avoir entendu sur les écoutes de Squarcini,l'ontdiscrètementinterrogésursesrelationsavecl'ancienpatrondelaDCRI:« C'estunami » ?C'est ainsipar« amitié »avec leSqualeque leZébus'exécuteprestementlorsque celui-ci l'appelle en juin2013pour faciliter l'obtentionde titres de séjour àdeux jeunes femmes russesmembresde la belle-famille d'AlexandreDjouhri.Quandlespoliciersveulentensavoirplussursadémarche,Squarciniapourseuleréponse:« Affaires réservées », comme si le Squale s'imaginait toujours patron durenseignementintérieur.PatrickCalvar réapparaîtsur lesécoutesdeSquarcini lorsquecelui-ci luidemande

d'intervenirenfaveurdel'épousedeBernardArnault,patrondeLVMH.SiSquarciniestauxpetitssoinspourl'hommeleplusrichedeFrance,cen'estpasparphilanthropie.Legroupede luxeest leplusgrosclientdeKyrnosConseil, lasociétéd'intelligenceéconomiquemontée par le Squale. Lemilliardaire est surtout un proche deNicolasSarkozy. Il était son témoindemariage avecCéciliaCiganer et il a bien sûr fêté auFouquet's la victoire de son poulain en 2007.Un champion sur lequelArnaultmisetoujours. Les mauvaises langues vont jusqu'à dire qu'il a acheté Le Parisien pourl'aideràcourirentêteàlaprimairedenovembre2016.C'estencorepoursonmeilleurclientqueSquarciniira,enmars2013,àlapêcheaux

infosauprèsdeChristianFlaeschencoredirecteurdelaPJparisienne.LVMHvientdelanceruneOPAhostilesurHermès.GrâceaucoupdefilduSquale,BernardArnaultapprendra qu'une information judiciaire a été ouverte suite à la plainte au pénaldéposée par la famille propriétaire deHermès pour « manipulation de cours et délitd'initié ».Déjà, quand il dirigeait laDCRI, leCorse aurait utilisé sa boutique au service de

BernardArnault.Fin2008,lerenseignementintérieurauraitétémobilisé,surordreduchef, pour une affaire d'extorsion de fonds. Des dizaines d'agents déployés poursurveiller trois cybercafés utilisés par un maître chanteur qui réclame plusieursmillions d'euros à une personnalité en échange de son silence sur des informationsdérangeantes.« Nousavonsobtenuenuntempsrecordtoutlematérieldesurveillance

vidéodontonavaitbesoin.C'étaitdujamais-vucommedélai... »,avanceunpolicierdurenseignementintérieur 5.Lacibleestbientôtidentifiée,maiscontretouteattente,ordreestdonnédenepas l'interpeller.Les fonctionnairesde laDCRIauraient apprisplustard qu'il s'agissait d'un des chauffeurs de Bernard Arnault. « On n'a pas comprispourquoi les moyens de l'État avaient ainsi été réquisitionnés. On nous a utiliséscommesionétaitlapoliceprivéedeM.Arnault.Laprocédurenormaleauraitétédedéposer plainte à la PJ, mais on a préféré confier le dossier à un service derenseignement pour ne surtout pas ébruiter l'affaire. Le chauffeur a dû entendre deschosesqu'ilnedevaitpas.Onn'ajamaissucequ'ilétaitdevenu... »Malgré les avertissements, Patrick Calvar s'accommodera de l'omniprésence de

Squarcinidanssaboutique.« QuandilétaitàBeauvau,VallsademandéàCalvardecouperlespontsavecSquarcini.Nonseulementilnel'apasfait,maisilagardélepluslongtemps possible les hommes du Squale. L'amitié quand elle est ancienne, c'estcommeunplisurunefeuilledepapier »,expliqueuncommissairedurenseignement6qui a travaillé avec leSquale et avec leZébu.À l'arrivée de la gauche au pouvoir,beaucouppensaientquelesjoursdeTijardovicétaientcomptés.Contretouteattente,ilrestera enplace àLevallois jusqu'à sondépart en2016 commeconseiller sécurité àl'ambassade deFrance àZagreb.Un atterrissage en douceur dans un poste convoité,bienrémunéré,etdansunpaysoùilpossèdedesattachesfamiliales.Deuxansplustôt,TijardovicamêmeétédécorédelaLégiond'honneurparBernardCazeneuve.« Malgrél'histoiredesfadettes,ilagagnéungradeetilaréussiàsefaireépinglerlarouge.Tijarendudenombreuxservicesàdroitecommeàgauche,cequiluiavalusalongévité »,croit savoir notre commissairedu rens'.Pour expliquer l'inexplicable, lesmauvaiseslanguesvont jusqu'àprétendreque lenumérodeuxde la techniqueàLevalloisauraitdonnéuncoupdepoucepouridentifierlalignesecrètedeNicolasSarkozy,ouverteaunomde« Bismuth7 ».Rienneleprouve.Lorsqu'en2016,lapolicejudiciairequienquêtesurSquarcinifaitunedescentedans

ses anciens bureaux de Levallois, Calvar affirme découvrir l'ampleur des servicesrendus par les taupes du Squale dans sa propre maison. « Tout le monde savait, àcommencer par Calvar, que Squarcini avait truffé Levallois d'anciens RG dévoués,avec lesquels il a toujours travaillé à l'affect », insiste pourtant notre interlocuteur.Dont une poignée de flics de terrain issus du service action des RenseignementsgénérauxqueleSqualealongtempsdirigé.L'und'entreeux,unpeuborderline,seferarattraperroulantavecdefaussesplaquesd'immatriculationdansuncouloirdebus.Unprétexte queCalvar saisira alors pour se débarrasser de l'encombrant policier, sansfâcherleSquale.

Deszonzonsàfoison

MalgrélesdemandesinsistantesducabinetdeVallsàBeauvau,l'actuelpatrondelaDGSImaintient enposte, aumotif qu'il n'a « rien à lui reprocher », le demi-frère deMichelTomi.Le roidescasinosenAfriqueest,on le sait,unprochedeSquarcini 8.Lorsqu'ilétaitpatrondelaDCRI,cedernieravaitplacésurécoutedespoliciersdesCourses et Jeux qui enquêtaient sur le Wagram, ce cercle parisien lié au grandbanditismecorse.EtoùTomiapartieliée...Toutcommencele6février2014,lorsquelemajorFranckA.entredanslebureaudu

jugeTournaire.Lemagistratconnaîtcepolicierquiatravaillésoussesordreslorsqu'ilinstruisaitl'affaireLargoWinch,lenomdecodedudossierducercledejeuxWagram.Pendantplusdequatreheures, l'ancienflicdesCoursesetJeuxvaraconter lafoudrequis'estabattuesurluilorsqu'ils'estattaquéauxréseauxcorsesduSquale.Ilfaitpartdesesdoutesd'avoirétéàl'époqueplacésurécoute.Unecraintefondée.Lapolicedespolices retrouve trace d'un zonzon de cinq jours sur les téléphones du major. Unbranchement effectué par leGIC, les grandes oreilles de l'État. Le 16 juin 2011, leSquale,alorsdirecteurdelaDCRI,aobtenuen« urgenceabsolue »leplacementsurécoutedupolicierdesCoursesetJeux.Aumotiffarfelu,assureleSqualeaujuge,qu'ilseraiten relationavec les services secretsalgériens.Toutcela tient tellementpeu laroute, que dans sa demande écrite officielle de placement sur écoute, Squarcinimentionne...lesservicesisraéliens !Enréalité,silemajorA.estzonzonné,c'esttoutsimplementparceque,huitjoursplus

tôt, il a perquisitionné l'appartement parisien d'une employée duWagram, qui n'estautrequelanièceduSquale.LecommissairechargédelasécuritéinterneàlaDCRI,queSquarciniaactivépourintercepterlesconversationsdupolicier,finiraparlâcherdevant les bœuf-carottes : « Je n'exclus pas l'idée d'avoir pu être instrumentalisé. »D'aprèsnos informations, ce sont en tout trois demandesd'identificationqui auraientété faites par la DCRI sur les téléphones de Franck A. Une opération qui précèdegénéralementlamisesurécoute.Jusqu'oùestalléelacuriositéduSqualepoursavoircequisetramaitdansl'enquête

surleWagram ?D'autrespoliciers,voiredesmagistratsont-ilsétémissurécoute ?Àl'automne2014,lesdeuxjugesenchargedudossier,SergeTournaireetHervéRobert,nourrissaient des inquiétudes sur leurs propres téléphones et leurs ordinateurs. ÀMarseille,unjuge,lui,abeletbienfaitl'objetd'unemanip'orchestréeparleSquale.Charles Duchaine, aujourd'hui patron de l'Agence nationale anticorruption, était àl'époque juge d'instruction en charge du dossier Guérini. Il avait alors harponné lesénateur et président du conseil général desBouches-du-Rhône pour « prise illégaled'intérêts »,« traficd'influence »et« associationdemalfaiteurs »dansuneaffairedepots-de-vinautourd'unedéchargepublique.Déstabilisépar la justice, lebaron localduPSpouvaittoutefoiscomptersurlesoutiendesonpuissantamiSquarcinidontilaemployélafilleàl'hôteldudépartement.Alorsquelejugetouchepresqueàsonbut,le

directeur de la police judiciaire, Christian Lothion, également proche du Squale ettoujourspromptàrendreservicesonami,demandeàsonnumérotrois,BernardPetit,delancerenurgenceetentoutediscrétionuneenquêtesurDuchainepourviolationdusecretdel'instruction9.Unetorpillepourtenterdecoulerunmagistratbiendérangeant ?Pourpreuvedelaviolation,LothionfaitremettreàPetituneclefUSBcenséecontenir

lespiècesdudossierGuériniquelejugeauraitillégalementfourguéesàunjournaliste.Maisstupeur:Petitdécouvrequelaclefcontientunautredossierjudiciaire.ChristianLothion invoquealorsun loupé,mais annonceaussiune excellentenouvelle : lebondossier,pouraccablerDuchaine,vientd'arriveràlaDGPN.Cetteexplicationfumeusevamettrelapuceàl'oreilledePetit.Subodorantuneentourloupe,voireun« chantier »montépourdiscréditerlejugeDuchaine,BernardPetitsetourneraversleprocureurdeMarseille.D'unaccordcommun,ilsnedonnerontpassuite.Petits'esttoujoursméfiédelaproximitéentreLothionetSquarcini.Ilracontequ'en

2013,sonchefChristianLothionestbenoîtementvenulequestionner:« Est-cequelalignedeSquarciniesttoujoursbranchée 10 ?ParcequejeviensdeluienvoyerunSMSet c'est strictement personnel... » Aussitôt, Petit s'inquiète du contenu des échangesentrelesdeuxhommes:qu'est-cequeLothionadoncàcacher ?Plustard,l'enquêtesurunsupposéfinancementlibyendelacampagnedeNicolasSarkozyrévèlequ'entreavril2012et février2013, lepatronde laPJaéchangéavec leSqualepasmoinsdecentquatre coups de fil. Lothion nourriramalgré lui, encore, la suspicion de son adjointPetit.Toujoursen2013, il interrogecederniersurunhommed'affairesdont ilneluiavaitjamaisparléauparavant.Or,manquedechance,quelquetempsplustôt,leserviceen charge des écoutes a entendu un proche de Sarkozy faire à Bernard Squarcini lamême demande de renseignement sur lemême homme d'affaires.Convaincu que sonpatronjoueletélégraphisteduSquale,Petitluifaitpasserlemessage:« OnabranchéSquarcini,ceseraitvraimentbêtequesestéléphonesnedonnentplusrien... »LajusticevientderattraperBernardSquarcini,maisellen'apaspoussélaportedu

pavillon des hackers. La gauche au pouvoir n'a rien fait pour l'y aider. Parincompétence,parlâchetéouparintérêt ?Peut-êtrelestroisàlafois.

1.L'EspionduPrésident,op.cit.2.Ibid.3.Ibid.4.Ibid.5.Entretiendu17avril2013.6.Entretiendu9août2013.7.Lirelechapitre« Ladésarkozysation ».8.Lirelechapitre« OpérationMinotaure ».9.Squarcinienafaitl'aveuàunjuged'instruction.L'informationnousaétéparailleursconfirméeparBernardPetit,

entretiendu17juillet2016.

10.Comprendre:surécoute.

10

Franchissementdeligneblanche

« Cherche,cherche ! »Soudainlechienmarquel'arrêt.Latruffehumide,iljappe.Sonmaîtrelelaissealler,

toutenl'encourageant.Ce13décembre2016,iln'apasmislongtempsàtrouver.FaceàunmurdanslebureaudupatronhavraisdelaDivisionnationaledurenseignementetdes enquêtes douanières (DNRED), l'animal aboie, gratte avec ses pattes.Ni une nideux,lesgendarmesdelaSectionderecherche(SR)deParissondentlacloison:elleest creuse. Sans difficulté, ils la démontent et y dénichent une valise. Elle contient700 000eurosenliquide.Unejolieprise.Maisleclébardn'estpasencoretotalementsatisfait. À présent, il s'acharne contre le fauteuil du chef douanier. Après l'avoiréventré, lesgendarmesdécouvrent50 000euros.Cette fois, lecanin fouineur semblerepu.Iln'enapaspourautantfinisontravail.Ilaccompagnelesgendarmesaudomiciledudouanierpourunenouvelleperquisition.Là, ilsmettent lamain sur50 000autreseuros, toujoursencash.Une liasseestplanquéeà l'intérieurducanapé familial.Uneautre dans un faux plafond. Toutes deux sont soigneusement empaquetées dans desjoliesenveloppesestampillées« Douanefrançaise ».Aumêmemoment,lesképisdéboulentchezl'adjointduchefdel'antennehavraisede

laDNRED1.Cettefois,pasd'argent.Maisdesdocuments.Unebonnedizainedevrais-fauxpapiersd'identité,tousétablisaumêmenom:celuid'uninformateuroriginairedesBalkans.Pourparlerdecegenredepersonnage,lespoliciersdisent:un« indic »ouun« tonton ».Pluspolicés,lesdouaniersparlentd'« aviseur ».Peuimporte:ilseffectuentle même boulot. Ils vendent du renseignement. Dans le meilleur des cas, ils sont« immatriculés ».Traités par un fonctionnaire« référent »et agissant sousunnomdecode–deslettresassociéesàunnuméro–,ilssontfacilementidentifiablesencasdebesoin.Saufs'ilstravaillenten« off »,clandestinement.Danscecas,leuridentificationestimpossible.Etleurrémunérationtotalementsecrète.C'est un arrêté publié au Journal officiel du 5 décembre 2007 qui fixe lemontant

maximumdela« gratte »accordéeàunaviseur:3 100euros.Letexteprécise:« Saufdécision contraire du directeur général des douanes. » Ce qui arrive « une fois sur

dix », assure un haut fonctionnaire duministère de l'Économie et des Finances, dontdépendent lesdouaniers.Une informationévidemment impossibleàvérifier.D'autantque l'arrêtéprécisequedans le casd'un franchissementdeplafond, lemontantde larétributionest« fixédefaçondiscrétionnaireetnepeutfairel'objetd'aucunrecours ».Circulez,iln'yarienàvoir...

Rivalitésmalsainesentreservices

Pourcertainsloustics,habituésàuntraindevieplusqueconfortable,les3 100eurosreprésententmoinsqueleurbesoinenargentdepoche.Etencore...Pourarrondirleursfins de mois, les plus roués travaillent avec plusieurs employeurs. C'est le cas del'aviseurde laDNREDduHavre. Il« tontonne »aussiavec lespoliciersde l'Officecentral pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Un serviceconcurrent.Luiaussiadeptedesgrossessaisies.Luiaussiviséparunénormescandalejudiciaireàvenir.Car la luttecontre le traficdedrogueestnonseulement l'objetdetentativedeprisedemarchésentretrafiquantsmaisaussid'unerivalitémalsaineentreservicesenquêteurs.C'estàceluiquivaeffectuerlaplusimportantesaisie.Puisposer,face aux caméras des journaux télévisés, devant les tonnes de shit ou de coke avec,bienenvue,lelogostylisédelamaisonquivousemploie.Leschefsapprécientetlesélusenraffolent.C'estlecasdeManuelValls,commed'ailleursdesesprédécesseursàl'Intérieur. Tout juste installé à Beauvau, il affirme sur RTL : « Nous avons besoind'uneguerrecontreladrogue. »Le27novembre2012,depuisMarseille,ilscandesurEurope 1 : « Le trafic de drogue a pris une ampleur en France, en Europe, dans lemonde,quiestinsupportable.S'ilyauneprioritépourmoi,c'estlaluttecontreletraficdedroguequireprésenteunchiffred'affairesdeplusdedeuxmilliardsd'eurosetmetsouscoupedesquartiers,uneéconomieetdesfamilles. »C'est toutà faitexact.EtVallsensaitquelquechose : sapropresœuraéténarco-

dépendante 2.Comme il est parfaitement conscientque lamultiplicationde saisiesnerésout rien.Aumieux, elle assèche lemarchépendantun temps,qui reprenddeplusbelle après, empruntant d'autres voies, usant d'autres « mules », alimentant d'autresconsommateurs dans d'autres quartiers. « Ce ne sont pas les saisies qui sontimportantes,c'estledémantèlementderéseaux »,faitjustementremarquerunmagistratspécialisé.Undesescollègues,désormaiséloignédel'instruction,témoigne:« Jesuisdégoûtéparcequej'aivu.Douaniersetpoliciersnousbaladent.Ilstravaillentavecdestontons qui eux-mêmes sont des trafiquants. Donc ils jouent de la concurrence entremafias.Certes,ilssaisissenténormémentdemarchandises.Maispourpouvoirlefaire,ilsenlaissentpassersciemmentdestonnes.C'estmêmeparfoispire:certainsmontenteux-mêmesdesopérations,destinéesàsatisfaire leurhiérarchieet lesdécideurs.Les

services de l'État sont devenus en France les plus gros trafiquants de drogue. »Stupéfiant.De fait, plusieurs instructions ont été cassées, en tout ou partie, pour vice de

procédure. Parfois parce que l'opération a été menée de toutes pièces. Douaniersoupoliciersparlentde« coupsd'achat ».Certainesdecesopérationssontdéclaréesàl'autoritéjudiciaire.D'autresnon,doncillégales.Lesfonctionnairesgénèrentainsieux-mêmes un trafic pour pouvoir effectuer une belle saisie et rouler des mécaniques.Commelesmagistratsdelachambredel'instructiondelacourd'appeldeParis l'ontdécouvertenjuillet2015.Ilsontainsiannulél'intégralitéd'uneprocédureayantaboutiàlasaisiedecenttrente-deuxkilosdecocaïneetàl'incarcérationdeneuftrafiquantsprésumés. Les hauts magistrats ont estimé que « la perpétration des faits n'avait étérenduepossible quepar l'intervention active »des policiers de l'OCRTISdans cetteaffaire.Cequedeuxtontonsontfiniparavouer.L'und'euxaexplicitementsoutenuque« s'il n'y avait pas eu l'OCRTIS qui avait poussé à la roue pour accepter toutes lesdemandesdestrafiquants,personneneseraitlàaujourd'hui ».Questionnéàsontourparles juges, le commissaire divisionnaire, patron de l'Office, a défendu ses troupes ensoutenantque« cetteprocédureavaitétéinitiéedemanièretoutàfaitclassique » 3.« Classiques » aussi, ces enquêtes qui ne peuvent aboutir parce que les magistrats

s'aperçoivent, après avoir mesuré la différence faite entre la came saisie et celle àdétruire, qu'une partie de lamarchandise s'est évaporée.Ouque de l'argentmanque.Voire lesdeux.Lessommes trouvéeschez lesdouaniersduHavresont le fruitdecebusiness. Les magistrats spécialisés ont l'air convaincus : « Le fric sert à la fois àrétribuer les aviseurs,mais également àmontrer de fausses opérations. Ce n'est pasuniquement parce que les douaniers ont été plus performants ou les trafiquants plusmauvaisque lenombredesaisiesaugmentespectaculairement. »Entre2008et2015,lesobjectifschiffrésdelaDNREDontplusquedoublé.

Deuxaffairesstupéfiantes

L'affaire duHavre, baptisée par les gendarmes de la SR de Paris « L'or du café »parcequ'elleaétéinitiéeenjuillet2015aprèslasaisiespectaculairedequarante-troistonnesdecafécontrefaitenprovenanceduSud-Estasiatique,n'estpasunepremière.Le25janvier2016,deuxjugesd'instructiondelajuridictioninterrégionalespécialiséedeParisseprésententaupieddel'immeubledesdouanesjudiciairesàIvry-sur-Seine,dans leVal-de-Marne. Ilsnesontpas làpourunevisitedecourtoisie.Chargésd'uneinstruction portant sur des faits de trafic de drogue impliquant des douaniers etplusieurs de leurs aviseurs, les deux magistrats comptent bien récupérer un certainnombre de documents relatifs à la gestion et aux rémunérations accordées à cesinformateurs. Ils ont pris le soin de se faire accompagner par des membres de la

CommissionconsultativedusecretdelaDéfensenationale.LeslocauxdelaDNREDsonteneffetprotégésparlesecret-défense.Etdefait,lesmagistratsauraientrencontréuneincroyablerésistance.Selon plusieurs témoins, les douaniers ont d'abord fait patienter de très longues

minutes les deux intrus. Après s'être fait désirer, le directeur des lieux arrive,laperquisitionpeutenfindébuter.Dèsquelesjugesmanifestentleurintentiondemettreleur nez dans un bureau, le secret-défense leur est aussitôt opposé. « L'attitude desdouanesétaittellementridiculequ'onenétaitàsedemandersilepapierdestoilettesn'étaitpasaussifrappéparlesecret-défense !sesouvientundestémoins 4.Ilfautquandmême savoir que le bureau tout entier dudirecteur de laDNREDest protégépar lesecret-défense. »Sansdouteunbonmoyenpouréviterlescurieux.Quoi qu'il en soit, les visiteurs du jour accèdent finalement à ce qu'ils sont venus

chercher:enfermésdansuncoffre-fort,lesprécieuxdossiersdesaviseurs.Leursnoms,leurs coordonnées, leurs états de servicey figurent.Bienvite, les jugesdéchantent :plusieursdossiers auraient récemmentdisparu.Parhasard.Malgrécettedéconvenue,lesmagistratsnepeuvents'empêcherdesourire, lorsqu'ilsdécouvrentdans lebureaud'un chef gabelou un joli cadre contenant une photo où apparaît François Hollandeposant devant les sept tonnes de cannabis, saisis quelques mois plus tôt, boulevardExelmansàParisparlesdouaniers.Silesmagistratssemarrent,c'estqu'ilssaventquedescollèguesàeuxenquêtentsur

cetteautrerocambolesqueaffairequivaéclabousserl'ensembledelapolicejudiciaire.Etdanslemeilleurdescascontraindrelespouvoirspublicsàrevoirlatotalitédeleurdoctrineenmatièredeluttecontreletraficdestupéfiants.ElledébutedoncparuncoupdefildelaDirectiondesdouanesàsatutelle.Cedimanche18octobre2015,MichelSapinestaviséqueseshommesviennentderéaliserunjolicoup:7,1tonnesderésinede cannabis saisies dans des véhicules garés boulevard Exelmans, à Paris, dans le16e arrondissement. Leministre est justement en train de déjeuner avec son ami leprésidentdelaRépublique.FrançoisHollandeconnaîtbienlequartier : ilyahabitéavecSégolèneRoyal et leurs quatre enfants.Les deux amis décident de rejoindre lesiègedelaDNREDpourrendrehommageauxenquêteurs.Hollandevoitl'occasiondereprendrelamainsurlasécurité,undomainedanslequelManuelVallsnesouffrepasla concurrence. Arrivés à Ivry, le chef d'État et son ministre saluent les douaniersarmés,cagoulés,cintrésdansleursuniformesnoirsquisemblentsortirdelateinturerie,s'esbaudissent devant les dizaines de paquets noirs et bleus qui contiennent lamarchandiseetsefontpréciserqueletrafiquantaréussiàprendrelafuite.Leschefsdouaniers fanfaronnent : « Cette saisie est la plus importante réalisée en France aucoursdesdeuxdernièresannées !Lavaleurdeladrogueappréhendéereprésenteprèsde15millionsd'eurossurlemarchéillicitedesstupéfiants. »Faceàlapresseinvitéeàimmortaliser l'événement, le chef de l'État rend hommage aux fonctionnaires qui

« portentuncoupfatal »autraficdestups.Ilignorealorsqueles7,1tonnesdeshitnesont qu'une partie des quarante tonnes venues inonder le marché français et belgedepuisoctobre2015aveclacomplicitédepoliciersfrançais.Une fois laphoto réalisée, élusetdouaniers se retirent.LeparquetdeParis confie

d'abord l'enquête à l'OCRTIS, avec pour mission première de coffrer un certainSofiane H., réputé être le plus grand trafiquant de shit en Europe. Une facture depressingàsonnomaétémiraculeusementtrouvéedansundesvéhiculesduboulevardExelmans. Puis dans un brusque changement de pied, François Molins décide dedessaisirl'OCRTISaubénéficeàlafoislagendarmerieetlabrigadedesstupéfiantsdelapréfecturedepolicedeParis(BSP).Lemagistratn'avaitenréalitépaslechoix.Dèslespremiersélémentsdel'enquête,ils'estaperçuqueSofianeH.estaussiunindicdupatrondel'OCRTIS,FrançoisThierry.« Uneinformationcapitalequiaétédissimuléeà la justice », tonne le magistrat. De son côté, le policier vitupère contre sesconcurrents de la douane en dénonçant auprès de ses supérieurs « une saisie sècheintempestive et précipitée », qui compromet une « infiltration judiciaire trèsprometteuse ».InterpelléenBelgiqueaprèsdeuxmoisdecavale,SofianeH.estrapatriéàParisen

hélicoptère,escortécommeunterroristeparleGIGN5.Lorsdelaperquisitiondesondernierdomicilebruxelloisconnu,lapolicemetlamainsuruncarnetdanslequelestconsignée une partie de sa comptabilité. Sur une des pages griffonnées, il est faitmentiondeprèsde45millionsd'euros répartis entre leMaroc, l'Algérie, l'Espagne.MaisaussiDubaï,laRépubliquedominicaineetlaThaïlande.Entenduparlesjugesfrançais,SofianeH.assuren'avoirpris« aucuneinitiative »et

exige d'être confronté aux fonctionnaires de l'OCRTIS. « Vous pensez qu'avec monexpériencede trafiquant, si lamarchandiseétait àmoi, j'aurais laisséprèsdequatrecentspaquetsdansmarue ? »interroge-t-illorsdesapremièreaudition.Ilraconteauxenquêteurs avoir contribué à l'opération « Janissaire », du nom de l'élite de l'arméeottomane.Cen'est pas7,1 tonnesqu'il a importées avec la bienveillancede l'Officecentralsurlesolfrançais,mais40tonnes,soitdeuxbonsmoisdeconsommationpourles« shiteux »del'Hexagone.Luisechargeaitdelalivraison,lespoliciersd'arrêterlesdestinataires.Aux enquêteurs, Sofiane H. assure que « Janissaire » devait être son dernier gros

coup,l'ultimeépisoded'unecollaborationdébutéeen2009avecFrançoisThierry6.FT,surnommé aussi « Yeux bleus » par ses hommes, gérait directement son « tontonpréféré ». La compagne du policier, avocate de profession spécialisée dans lestransactions immobilières, a obtenu une improbable libération conditionnelle dutrafiquant,auprintemps2014,alorsqu'ilavaitétécondamnéenavril2011àtreizeansdeprison.Depuis, croit savoirunex-collèguedeFT,« c'est à lavieà lamort entreeux7 ».

Letontonautrou, lesuperflicaétémutédiscrètement,placardiséàl'antiterrorisme.Uneenquêtequivise ses agissements a étédiligentéepar l'Inspectiongénéralede lapolicenationale.« Françoisestmalin, lâcheundesesancienssubordonnés. Ilapristoutes les précautions nécessaires. Le parquet a toujours été avisé de ce que nouspréparions.Etiln'ajamaistrouvérienàredire. »Çasentlamenace.« Silesjugesvontau bout de l'instruction, je ne vois pas comment FT peut échapper à une mise enexamen, pronostique une huile de Beauvau. Et je ne vois pas non plus comment onpourraéchapperàuneremiseencausedeshommesetdesméthodesdeluttecontrelesstupéfiants, jusqu'ausommetde lapoliceetde la justice. »Sansdoutepour tenterdedésamorcercettebombe, lapatronnede laDirectioncentralede lapolice judiciaire,MireilleBallestrazzi,a remisauministrede l'Intérieurunrapportprésentant,dans lemenu détail, les « magnifiques » dossiers réalisés grâce aux précieuses informationsfourniesparSofianeH.« Danscedocumentfigurentdix-septaffairesapportéesparcetonton, révèle un haut fonctionnaire ! Il y a plusieurs dossiers ayant trait à de vastestraficsdecannabismaispasseulement.Cetindicateuraégalementjouéunrôlecentraldans une future mission d'infiltration gérée par un juge d'instruction de Lyon.Évidemment,cetteopérationaétéannuléesinedie. »MaisBeauvausegardebiendedirecequel'enquêtejudiciaire 8ad'oresetdéjàmis

au jour. Une partie du trafic « autorisé » dans le cadre de l'opération « Janissaire »aurait dû revenir à des dealers proches des milieux islamiques. Autrement dit : lapoliceauraitindirectementfinancédesterroristes !« Sil'instructionvaàsonterme,lescandale est énorme, confie une source judiciaire 9. Jusqu'à présent, les autoritésfermaientlesyeuxsurunepartiedutraficdeshit.Ilestàlafoisfacteurdepaixsocialeetcontribueàunecertainestabilitééconomiquedansdescitéslespluspaupérisées.EnSeine-Saint-Denis,parexemple,onnepeutplusparlerd'économiesouterraine.Maisd'économie tout court. Par an, le marché de la drogue génère 1milliard d'euros dechiffre d'affaires ! C'est considérable ! Mais si l'argent de la came finance desterroristes, c'est tout autre chose. En réalité, c'est toute notre politique judiciaire etpénalequ'ilfautrevoir.C'esttoutelachaînedetrafiquantsqu'ilfautdémanteler.Etpasseulementlepetitougrosdealerducoindelarue.Notreactiondoitavoiruneportéeinternationale.Ilfautconvaincre,sicen'estcontraindre,nospartenaires–àcommencerparleMaroc–àmettreuntermeàlaproductiondecannabis. »

Cashisstillking

Enattendantcetrèshypothétiquechangementdegéopolitique,lesservicesjudiciairesde lagendarmerieont investi le terraindévastépar ladouaneet lapolice judiciaire.Plutôtquedeselivreràuneconcurrencefarouchesurlenombredetonnessaisies,lesképisontpréférés'enprendreàl'argentdeladrogue,auxportefeuillesdestrafiquants

en s'appuyant sur le principe Cash is still king, l'argent est toujours le roi. Finnovembre 2016, dans le cadre d'une affaire instruite à Marseille, ils ont ainsidémantelé un gigantesque réseau de blanchiment d'argent sale. Au cours deperquisitions menées dans l'ensemble du pays, ils ont saisi sept cent quatre-vingt-cinqkilosdecannabis,dixkilosdecocaïne.Maisaussi septkilosd'oret5millionsd'eurosenliquide.Cequin'estriencomparativementaux400millionsd'eurosblanchisenquatreansparceréseaueuropéen.Lesystèmedecettemafiaétaitparfaitementhuiléetconnu,depuislanuitdestemps.Baptiséhalawa–« transfert »enarabe–,ilreposesur le seulprincipede la confiance et sert aux transactions« commerciales »en toutgenre.« C'esttrèssimple,raconteunenquêteur.Ilyadescoursiersetdessuccursales,souvent installées dans des épiceries. Comme à Wall Street, des donneurs d'ordrepassentleurscommandes:“Tuvasrécupérer50 000euros,tuvaslesremettreàX.ilshabitent à Y.” L'argent tourne, circule et finit par être blanchi... » À Besançon, parexemple, le coursier et sonclientont été interpellésaumomentoù lepremiervenaitchercher890 000euros enpetites coupures, fruit du trafic localdedrogue.Au total,une quarantaine de personnes ont été interpellées à travers le pays. Et pas que destrafiquantsdecame:unmédecinparisien,unvendeurdejeanschinois...« Grâceàceréseau, ces individus ont trouvé lemoyende soustraire de l'argent au fisc », précisenotreenquêteur 10.Maislesgendarmesontéchouéàserrerleprincipaldonneurd'ordre.IlrésideauMaroc.Lorsqueles« bleus »ontfrappéàlaportedesaluxurieusevilladeMarrakech, ilavaitpris lapoudred'escampette.Sesmeublesetsesaffairesaveclui.Précision:pourmeneràbiencegenred'opérationdecoopérationentreservices, lesautoritésjudiciaireslocalessontprévenuesbienàl'avance...Pourdémantelerce traficd'argentsalede ladrogue, lesgendarmesn'ontpas lésiné

surlesmoyens.Ilsjouaientgros:démontrerqu'ilspouvaientfaireàlafoisautrementetmieuxque les servicesdepolice concurrents.« Nous jouionsnotre crédibilité sur leterrainjudiciaireetsurceluideluttecontreletraficdestupéfiants »,reconnaît,aprèscoup,ungradédeladirectiongénéraledelagendarmerie.Autotal,quatrecentvingt-cinqgendarmesontétémobilisésdanslaplusgrandediscrétion.Lesinterpellationsontétémenéessimultanémentdanslepays.Pourcefaire,lesprincipauxenquêteurs–ceuxde laSectionde recherchedeParis – disposaient d'unvéhicule pour deux et étaientescortéspardeuxmotardsdelaGarderépublicaine.Lessuspectsétaienttousconduitsdans les locauxdésaffectésdu fortdeRosny-sous-Bois,enbanlieueparisienne.Pourconduire dans de parfaites conditions les interrogatoires, les lieux avaient étéspécialement aménagés, avec des téléphones et des ordinateurs, un réseau Intranet etInternet établi.Une fois interrogées, lespersonnesarrêtéesont été conduitesdansunbus – escortées par la Garde républicaine – jusqu'à la gare de Lyon. Là, une rameentièred'unTGVpourMarseilleavaitété réservée,oùun juge lesattendaitpour lesmettreenexamenetlesdéférer.Lessuspectsontfaittoutlevoyageavecdesécouteurs

dechantiersurlesoreillesafind'éviterqu'ilscommuniquententreeux.Surlequai,aumomentdudépart,despolicierssifflaientdejalousie:« Onn'ajamaisvuça ! »Lesmagistratsnonplus.Del'avisdel'und'entreeux,lesservicesanti-stups,entraînés

dansunecourse folle aux résultats, sontdevenus lesplusgros trafiquantsdeFrance.C'esttoutelaphilosophieetlesméthodesdelalutteantidroguequisontàreconstruire.Par crainte d'être taxée de laxisme, la gauche, Manuel Valls en tête, n'a pas voulurésisteràcetemballement.Snif.

1.Lefonctionnaireaétéretrouvépendudanssonbureaule5janvier2017.Selonladirectiondesdouanes,lelienentresonsuicideetl'opérationjudiciairen'estpasétabli.2.GiovannaVallsGalfetti,Accrochéeàlavie,JCLattès,2015.3.L'arrêtdelachambredel'instructionaétécensuréle17novembre2015parlaCourdecassation.L'affaireaété

renvoyéedevantlacourd'appeldeVersailles.4.Entretiendu12janvier2017.5.LeCanardenchaîné,13avril2016.6.Libérationdu29novembre2016.7.Ibid.8.Toujoursencoursaumomentoùceslignessontpubliées.9.Entretiendu1erdécembre2016.10.Entretiendu7décembre2017.

11

L'ennemiintérieur

Deséclatsdevoix,desportesquiclaquent.LesiègenationalduPartisocialiste,ruedeSolférino, en a vu d'autres.Mais en ce jour gris de la fin octobre 2016, l'un desbureauxdupremierétageadesalluresdechampdebataille.Ilssontunepetitedizaineréunis autourdePatriceBergougnoux, conseiller spécial duPremier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis. L'ex-directeur général de la police nationale est chargé deconstruirelevolet« sécurité »dufuturcandidatsocialisteàlaprésidentielle.Ils'agitdefaireviteetbien.Ladroiten'apasencoredésignésonchampionmaisquelqu'ilsoit,sonprogrammeseraultra-sécuritaire,àlaremorquedeceluiduFN.Outre les permanents du parti, le préfet Bergougnoux a réuni autour de luiMarie-

Pierre de La Gontrie, députée de Paris et secrétaire nationale du parti chargée du« pôleRépubliqueetCitoyenneté » ;SébastienPietrasanta,députédesHauts-de-Seineetsecrétairenationalàlasécuritéainsiqu'unancienmagistratantiterroriste,désormaisàlaCourdecassation:MichelDebacq.Entrecestrois-là,trèsvite,larencontretourneau pugilat. Une question d'ego, évidemment : les deux parlementaires s'empoignentdepuis desmois pour apparaître comme l'incontournable « Monsieur » ou « Madamesécurité »duparti.Etdonc,potentiellement,futurministredel'Intérieur.Lemagistrat,homme de l'ombre, qui depuis une trentaine d'années a servi plusieurs ministres del'IntérieuretdelaJusticedegauche,s'enirrite.Maisplusencore,ilreprocheàl'unetàl'autred'avoir, sans recul,approuvé–etmêmepire,encouragé–unepolitiqueultra-sécuritaire au détriment des libertés individuelles. Une attitude qu'il qualifie de« néosarkozienne ».L'ancienCRSBergougnoux tentebiende ramener lecalme.Maistrop tard. Les noms d'oiseaux volent. La Gontrie déserte brusquement les lieux.Pietrasantarestesursachaisemaisparaîtàlafoisinterditetgroggy.Bergougnouxn'ad'autrechoixquedeleverlaséance:lefuturcandidatàlaprésidentielleduPSn'auradoncpasdeprogramme« sécurité ».Àmoinsqu'ilnel'élaborelui-même...L'idéedupréfetn'étaitnisotteniinédite.Cetteréunionétaitcenséedébouchersurla

tenued'unnouveauForumdeCréteil.Lepremieravaiteulieule17novembre2010.Àl'approche du scrutin présidentiel, les socialistes tentaient alors demettre de l'ordre

dans leurs idées sur la sécurité. Il s'agissait d'aller chercher le duo de l'exécutifNicolasSarkozyetFrançoisFillon,sursonpropreterrain.Lesénateur-mairedeDijon,FrançoisRebsamen,quiambitionnaitdéjàdedevenirministredel'Intérieur,avaitainsirésumélagageure:« Deveniraussicrédiblequeladroite. »Sonconcurrent,ledéputéduFinistèreJean-JacquesUrvoas,n'avaitpasditautrechoselorsqu'ilavaitappelésescamarades à « en finir avec l'angélisme », « la naïveté ». Au « tout sécuritaire », ilopposait« lasécuritépourtous ».Soussonimpulsion,lessocialistesadoptentàl'issueduForumdeCréteil« unpactenationaldeprotectionetdesécuritépublique »quisedéclinait en « 22 propositions pour apporter des réponses justes et efficaces à ladélinquance ». Aucune d'entre elles ne concerne la lutte contre le terrorisme. Enrevanche,ilenestquestiondansunlivreréquisitoirecontrelapolitiquemenéeparladroitequi accompagneceprogramme. IntituléLaFrance en libertés surveillées. LaRépubliqueendangeretdéclinésousformed'abécédaire,onlitàlalettre« AcommeAntiterrorisme » : « La France dispose d'un arsenal de lois et de procéduresantiterroristes complet. L'infraction d'association demalfaiteurs en relation avec uneentreprise terroriste se traduit par des critères peu exigeants et permet de simplesarrestationspréventives. »Pourtant,deuxansplus tard,arrivéeaupouvoir, lagaucheferavoterunarsenaljudiciaireantiterroristesansprécédent.

Quatreans,quatrelois

Certes, en un quinquennat, la menace terroriste a changé de nature et d'échelle.FrançoisHollandeestdevenuprésidentdelaRépubliquequelquessemainesaprèslesattentatsdeToulousequiontfaitseptmorts,dont troisenfantsd'uneécolejuive.Unepremière loi antiterroriste est adoptée en décembre 2012. Personne ne peut encoreimaginer l'ampleur que va prendre le phénomène djihadiste. Sous l'impulsion deManuelValls,ministredel'Intérieurépauléparsonbrasséculieràl'Assemblée,Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des Lois, une deuxième loid'ampleurbeaucoupplus largeestvotéeennovembre2014.Ellecréenotamment lesinterdictions administratives de sortie du territoire et le délit d'entreprise terroristeindividuelle, contre « les loups solitaires ». Elle punit plus lourdement l'apologie duterrorismeetpermet leblocageadministratifdessitesInternetrelayantcesmessages.Malheureusement, ces nouvelles armes ne pourront rien deux mois plus tard. Le7 janvier 2015, dix-sept personnesmeurent dans les attentats contre la rédaction deCharlieHebdoetlasupéretteHyperCacherdelaportedeVincennes,àParis.L'étésuivant,unenouvelleloiestpromulguée.Cettefoisconsacréeaurenseignement,

ellelégalisedespratiquesquinel'étaientpasetdontusaientetabusaientlesservicesdepolice.Ravis,lesfonctionnairessevoientdèslorsnotammentautorisésàposerunmoucharddansunordinateur,unmicrodansunepièceouunebalisedegéolocalisation

sur un véhicule. Le texte contraint également les opérateurs Internet à « détecter desconnexions susceptibles de révéler unemenace terroriste » grâce à « des traitementsautomatisés ». Les autorités espèrent pouvoir déceler, grâce à un algorithmeautomatique, des individus suspects. Cette « boîte noire » serait alorsmise en placechez les fournisseurs d'accès, mais aussi chez Google, Facebook ou Twitter. Pareilsystème surveille l'ensemble des internautes de manière anonyme pour détecter des« signauxfaibles »avantunhypothétiquepassageàl'acte.Et,encasdesuspicion,lesopérateurs doivent dénoncer la personne correspondante aux enquêteurs. LaCommission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) considère que ce textelégalisedes« mesuresdesurveillancebeaucouppluslargesetintrusives ».LeConseilnational du numérique « s'inquiète d'une extension significative du périmètre de lasurveillance »etdénonce« uneformedesurveillancedemasse ».QuantàlaLiguedesdroitsdel'homme,ellefustige« unelogiquedepêcheauchalut »,quinedistinguepaslemenufretindurequintueur.Les services de renseignement apprécient les grandes fricassées. Bien que déjà

totalementrassasiés, ils tententcependantd'enobtenirdavantage.Enjanvier2016, laDirection générale de la sécurité intérieure adresse à la Commission nationale decontrôle des techniques de renseignement (CNCTR), une demande d'interceptions desécurité. Alors que la loi spécifie que ces demandes de collecte doivent être« individuelles et motivées », celle-ci est groupée et simplifiée. Francis Delon,président de la CNCTR s'en émeut le 10 février devant la commission des Lois duSénat.Le18mai,auxdéputésdelacommissiond'enquêteparlementairesurlesmoyensdel'Étatcontreleterrorismequis'étonnentqu'onnepuisse« pêcherlarge »,ilrépondunbrinagacé:« Laloidisposeexpressémentquel'individuconsidérédoitreprésenterunemenace. »Troismois plus tard, la loi sur le renseignement est substantiellementmodifiée.Pourespionnerdesquidamset leursentourages–familiaux,professionnelsou occasionnels –, il suffit que les services de renseignement aient « des raisonssérieuses depenser »que les suspects représentent unemenace.Quant à laCNCTR,elleestpriéededélivreruneautorisationdesurveillancepourquatremoisetnondeuxcommeinitialementfixé.Si elle restreint incontestablement les libertés individuelles, cette loi n'empêche

nullement les terroristes de frapper. Pas plus que les précédentes : cent trentepersonnestrouventlamortdanslesruesdeParisetauBataclanle13novembre2015.Ce soir-là, en état de sidération comme beaucoup de Français, François Hollandedécrète« l'Étaturgence »etla« fermeturedesfrontières ».Prolongéàquatrereprises,cet état d'exception est devenu habitude, presque banalité. Il permet notammentd'assigneràrésidenceetd'effectuerdesperquisitionschezdespersonnes,sansavoiràjustifierdesoupçonsprécisàleurendroit.Dès les premières heures de sa promulgation, le départ d'un drôle de concours est

donné. « C'était le perquisithon ! se souvient un préfet1. Comme la plupart de mescollègues, je suis devenu un zélote. Dès le déclenchement de l'état d'urgence, leministère de l'Intérieur nous a incités à multiplier les perquisitions administratives.Nousnoussommeslancésdansunecourseà l'échalote. »Bilan:Beauvauétablitdestableaux quotidiens, des cartes, des graphiques, département par département, oùapparaissent le nombre de descentes, de saisies d'armes, de gardes à vue, d'affairesjudiciaires déclenchées et... le nombre d'« étrangers en situation irrégulière »débusqués.Làencore,lepouvoirratisselarge.« Cettedrôledepériodemerappellelebon de temps de Sarko et ses statistiques bidonnées de la délinquance, semarre unautrepréfetenrégion2.C'étaitàceluiquifaisaitleplusdecrânes.Désormais,c'estàceluiquisefaitleplusd'islamos ! »AulendemaindesattentatsdeParisetduBataclan,« lespolicierssesontlâchés,avoueunhautfonctionnairedel'Intérieur.Ilsavaientdanslecollimateurdesradicauxetysontallésdeboncœur ».Uncommissairedivisionnairedu renseignement territorial 3 confirme : « C'est vrai, il y a eu quelques portes decassées.Maisnousn'avonsfaitquerattraperdesretards.Cescibles,onn'avaitriendejudiciairecontreelles.C'étaitl'occasiond'entrouver.Celan'apasétélecas.Onatoutdemêmeaccumulébeaucoupderenseignementsetactualiséunecartographie.Surtout,ilnefautpasdéconner:lesmecsquisontenfacenesontpasdesenfantsdechœur. »Concrètement,selonlacommissiondecontrôleparlementaire,depuisl'instaurationde

l'étatd'urgencele13novembre2015jusqu'au1erdécembre2016,4 292perquisitionsontétémenées.Ellesontconduitàl'ouverturede670procéduresjudiciaires,dont61concernaientdesfaitsenlienavecleterrorisme,parmilesquelles20portaientsurdesfaits pour association de malfaiteurs en matière terroriste. Parallèlement,612assignationsàrésidenceontétéprononcées,unevingtainedefermeturesdelieuderéunion(decultesounon)etunedizainededissolutionsd'associationsontétédécidéeset1 657contrôlesd'identitéetfouillesdevéhiculesontétéégalementordonnés.Maisaucuneprocédurejudiciairen'aabouti,aumomentoùceslignessontpubliées.Cependant,sejustifieleprésidentdelaRépubliqueaudébutdumoisdejuillet2016,

alors qu'il s'apprêtait à mettre fin à cet état d'exception, « il fallait rassurer lesFrançais.Ceciétant,onnepeutpas,dansunÉtatdedroit,fairedesperquisitionstouteslesnuits.Sinon,onn'estplusdansunÉtatdedroit,c'estunétatdesiège. »Quelquesjoursplustard,aulendemaindel'attentatdeNice,le14juillet2016,quiafaitplusdequatre-vingtsvictimes,FrançoisHollandedécidedeprolongerunenouvellefoisl'étatd'urgence.En revanche, il échoue à réviser la Constitution pour, à la fois, raffermir l'état

d'urgenceetpermettreladéchéancedenationalitédesterroristes,s'ilsn'ontpasd'autrenationalitéquefrançaise.FrançoisHollandeenavaitmanifestél'intentionaulendemaindes attentats du Bataclan. Cette idée n'est pourtant pas la sienne. Lorsque le14novembre,ilréunitàl'Élyséeuncerclerestreintdeministres,illeurdemandedes

idées,despropositionslégislativesouautressupposéesrépondreà« l'étatdeguerre ».C'estlePremierministre,ManuelValls,quiproposed'inscrire« ladéchéance »danslaConstitution.« Nousétionsquelquepeudémunis,sesouvientundesprésentscejour-là.L'étatdechocprovoquéparlamortdenoscompatriotesnefavorisaitpasl'émergenced'idées neuves et enthousiasmantes. Et puis, s'il existait une recette magique pourcombattre le terrorisme, ça se saurait.Manuel aproposé ladéchéancedenationalitéparcequ'ilsavaitquel'oppositionmilitaitensafaveur.Ils'agissaitdemontrer,s'ilenétaitencorebesoin,quelagaucheenavaitdéfinitivementfiniavecsonaggiornamentoenmatièredesécurité. »Et,accessoirement,tenterdepiégerladroite.Le 16 novembre, du haut de la tribune du Congrès réuni en urgence à Versailles,

FrançoisHollandedéclare:« Nousdevonspouvoirdéchoirdesanationalitéfrançaiseun individucondamnépouruneatteinteaux intérêts fondamentauxde laNationouunactedeterrorisme,mêmes'ilestnéfrançais.Jedisbienmêmes'ilestnéfrançais,dèslorsqu'ilbénéficied'uneautrenationalité. »Car,préciselechefdel'État,cettemesurenedoit « pas avoirpour résultat de rendrequelqu'un apatride ».Dansuneunanimité,née du climat de terreur, gauche et droite applaudissent. « Enfin ! » se réjouitmêmel'extrêmedroite.Pasl'opinionpubliqueetsingulièrement« lepeupledegauche ».Soussapressionetaprèsquatremoisdecontroverses,l'opérationéchouelamentablement.Àdirevrai,Hollanden'yajamaisvraimentcru.Pasplusdansl'oppositionqu'aupouvoir.En2010,surFrance5,iljugeaitlapropositiondeladroite« attentatoireàcequ'estlatraditionrépublicaineetenaucunefaçonprotectricepourlescitoyens ».Endécembre2015, il confie à Gérard Davet et Fabrice Lhomme : « La déchéance n'a aucuneincidence sur le terrorisme. »Finalement, il renonce àmener àbiencette réforme le30mars2016.Etle1erdécembredelamêmeannée,aumomentoùilrenonceàbriguerunautremandat,ilavoueauxFrançais:« Jen'aiqu'unseulregret:d'avoirproposéladéchéancedenationalité parceque je pensais qu'elle pouvait nousunir alors qu'ellenousadivisés. »Entre-temps, le Parlement a adopté une nouvelle loi antiterroriste.La quatrième en

quatreans.Enjuin2016,aprèslemeurtrededeuxpoliciersàMagnanvilleetquelquessemainesavant lesattentatsdeNiceetdeSaint-Étienne-du-Rouvray,unedernièreloiantiterroristeestadoptée.Longuedecentvingtarticles,elleintègretouteslesmesuresprônéesdepuisdesmoisparladroite,àl'exceptiondelarétentionadministrativedesfichésS.Ainsi,elledurcitlespeinespourterrorismeetlesconditionsd'incarcération ;ellecréeundélitde« consultationhabituelle »dessitesterroristes 4 ;institueunrégimed'assignationàrésidenceetdecontrôleadministratifpourlesdjihadistesderetour.Etenfin,elleprotègelesforcesdel'ordrecontretoutespoursuitespénalessiellesfontunusage« absolumentnécessaireetstrictementproportionné »deleursarmesàfeu.L'étatd'urgenceleuravaitdéjàpermisdegarderleurflingueendehorsdesheuresdeservice.Sarkozyl'avaitpromis.Hollande,VallsetCazeneuvel'ontfait.

Unconflitestival

Les semblants d'unité et de synthèse, quand il s'agit de lutte contre le terrorisme,volentenéclats lorsquelagauchedegouvernements'essaieàréformerlasécuritéduquotidiendesFrançais.FrançoisHollandeestàl'Élyséedepuisunantoutjusteetvoiciquelesvieillesfracturess'ouvrentànouveau.Deuxligness'affrontent,incarnées,encetété2013,parlaministredelaJustice,ChristianeTaubiraetsoncollèguedel'Intérieur,ManuelValls.Unedrôledecohabitation,quin'estpas sans rappelercellevécueparÉlisabeth Guigou et Jean-Pierre Chevènement, respectivement garde des Sceaux etministredel'IntérieurdeLionelJospin(1997-2002).LesrésolutionsetpropositionsduForumdeCréteilsontoubliées,aumieuxrangéesdansdescartonsàarchives,aupirejetéesàlapoubelle.L'affrontement entre les locataires de laPlaceVendôme et de laPlaceBeauvau se

cristallise durant l'été 2013 au sujet de la future réformepénale.LorsqueTaubira etVallssecroisent,cetaprès-mididu23août,danslehalld'unhôteldeLaRochelle.Ilsnesetoisentmêmepas,ilss'ignorent.Lui,mâchoiresserrées,ensueur,vientdesubirlesquolibetsetsiffletsdesmilitantssocialistes,présentsàl'Universitéd'été.Parlantdeluiàlatroisièmepersonne,ilapourtanttentédelesrassurer,hurlantàlatribune:« Leministredel'Intérieurestdegauche.Ilestsocialisteetfierdel'être. »Elle,pimpanteetvirevoltante, s'apprête, devant quatre mille enthousiastes, à fustiger « la fermetéincantatoire »et« lecreuxdel'action »desonrival,sansjamaisleciter.Unpeuplustôt, devant leurs partisans respectifs, ils avaient usé des mêmes mots. Elle : « Lecourage,jen'enmanquepas.Lescoups,jesaislesprendre. »Lui:« J'aimeprendredescoups.Jesaisaussiendonner. »CettenouvelleguerredesRoses, ce remakedumatch entre le campdes libertés et

celuidelasécurité,adébutétoutjusteunmoisplustôt.Ce25juillet2013,leministrede l'Intérieur prend sa plus belle plumepour écrire au chef de l'État.À l'instar d'unécolier cafeteur, il « attire [son] attention sur les désaccords mis en lumière par letravailinterministérielquis'estengagérécemmentautourduprojetderéformepénaleprésentéparleministèredelaJustice ».Puisilbalance:« Ceprojetdeloireposesurunsoclede légitimité fragile »,d'autantque« laquasi-totalitédesdispositionsdecetexte a fait l'objet de discussions, voire d'oppositions du ministère de l'Intérieur ».Reconnaissantque« l'écartentrenosanalysesdemeuretropimportant »,Vallsfustigela proposition de sa concurrente de vouloir supprimer « les peines planchers ». Cedispositif,vouluparNicolasSarkozyetRachidaDati,inscritdanslaloisurlarécidivedu10août2007etmodifiéparcelledu14août2011,viseànepluspunircrimesetdélits d'une peine inférieure à certains seuils, fixés par la loi et proportionnels aumaximumencouru.Danssoncourrier,le« premierflicdeFrance »marqueégalementson soutien à ses troupes qui « soulignent l'inefficacité de nos pratiques actuelles de

probation autant que l'inadéquation des modes de traitement de la délinquance ».Comme son « poulailler », Valls préfère « enfermer » plutôt qu'« accompagner » lesrécidivistes.Taubira,quis'appuiesurdesétudessurlesujet,pensetoutlecontraire.Appeléàlarescousseetàl'arbitrage,FrançoisHollandeestbienembarrassé.Certes,

àCréteil,troisansplustôt,lessocialistesontdéfinileurdoxa:« Nousnousdonneronslesmoyensderépondreàtouteslesinfractionsparunesanctioneffective,immédiateetproportionnée.Larécidiveestlesymptômedel'échecdelaréponsepénale[...].Nousgarantirons l'effectivité, laproximitéet la rapiditéde lasanction.Plusquesadureté,c'est la réalité de l'exécution de la peine qui doit prévaloir. » S'appuyant sur cettebible, le candidatHollande déclame en pleine campagne présidentielle, le 6 février2012:« Nousreviendronssurlespeinesplanchersquisontnonseulementcontrairesauprinciped'individualisationdespeines,maisqui,enplus,nesontpaspertinentes. »Mais depuis qu'il s'est installé à l'Élysée, il hésite, il tergiverse. Sur France 2, le28mars2013,ilpromettoujoursdesupprimerlespeinesplanchers,« maisquandonaura trouvé un dispositif qui permet d'éviter la récidive ». Finalement, Hollande,comme souvent, choisit de ne pas choisir, laissant le législateur décider et ses deuxministress'écharper.LecombatentreVallsetTaubiradureunanencore.Jusqu'àlapromulgationdelaloi

du15août2014,relativeàl'individualisationdespeinesetrenforçantl'efficacitédessanctionspénales.Siletextesupprimeeffectivementlesfameusespeinesplanchers,ilfixe à un an pour les primo-condamnés et les récidivistes le seuil d'emprisonnementpermettantau juged'aménagerunepeined'emprisonnement.Et ilpermetauxservicesde police et de gendarmerie de recourir aux écoutes téléphoniques et à lagéolocalisation en temps réel, afin de s'assurer que la personne condamnée respectel'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître en certainslieux.VallsvsTaubira,leglaivevslabalance,matchnul.

Siloin,siproche

Enunquinquennat, la gauchen'a donc toujours pas tranché lematchpolice-justice.Ellen'apasréussinonplusàréconcilierlesFrançaisetleurpolice.Lesembrassadesetles« Jesuislapolice »,ausoirdel'attentatcontreCharlieHebdo,n'aurontétéqu'unfeudepaille.Leszonesdesécuritéprioritairequi,commepromisàCréteil,devaientpermettre de « restaurer un climat de confiance » entre les forces de l'ordre et lecitoyen,ontétélaisséesàl'abandon.Surlepapier,ellesexistentbien.Danslaréalité,cen'estplusqu'illusion.« Ellesontaumoinseupourvertudecontraindrelespréfets,procureurs, recteurs, bailleurs sociaux, forces de l'ordre, etc. à travailler ensemble,constateunhautfonctionnairedeBeauvau.Maisenmatièred'efficacitédeluttecontreladélinquance,cen'estpaslapanacée 5. »Lepréfetchargéd'enassurer lesuiviet le

bilan n'a pas été remplacé depuis 2015. La faute aux terroristes, prétend-on àl'Intérieur.« Nousnepouvonsêtresurtouslesfronts. »Ce « rapprochement des forces de l'ordre de ceux qu'elles doivent protéger en

priorité »s'estégalementtraduitpartroisinitiativesmenéesjusqu'àleurtermeparlesgouvernements Hollande. « Des gadgets », ont fustigé l'opposition et une partie dessyndicatsdepolice.Désormais,toutreprésentantdesforcesdel'ordreportevisibleunnumérod'identification.Cequiestcensépermettreaucitoyen,parexemplevictimedediscrimination,deporterplaintecontrelui.Deuxièmemesure:lacréationd'uneplate-formenumériqueoùlavictimepeutsaisirdirectementl'Inspectiongénéraledelapolicenationale 6.Enfin,troisièmeavancée:uncodededéontologiecommunauxpoliciersetgendarmesafaitsonapparitionle6décembre2013.Unchapitreyestconsacréà« larelation avec la population ». On y lit ainsi : « Le policier ou le gendarme est auservice de la population. Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie etrequiertl'usageduvouvoiement. »Quelques semaines plus tôt, le 11 avril 2013, treize jeunes gens se plaignant de

contrôleaufacièsontportéplainte.Enjuin2015, lacourd'appeldePariscondamnel'Étatpour« fautelourde »concernantcinqdossierssurtreize.Elleestimedisposerde« présomptions graves, précises et concordantes » qui permettent d'attester que lescontrôles policiers ont été réalisés « en tenant compte de l'apparence physique et del'appartenance,vraieousupposée,àuneethnieouàunerace ».Enoctobre,aunomdel'État, le Premier ministre Manuel Valls décide de se pourvoir en cassation7. Le9novembre2016,ladiscriminationaétédéfinitivementretenuedanstroisdossiers.Mais ilyaplusgrave,bienplusgrave.LequinquennatdeFrançoisHollandeaété

marqué par deux décès à l'issue d'affrontements avec les forces de l'ordre.Celui deRémiFraisse,unjeunemilitantopposantàlaconstructiond'unbarrageàSivens,dansleTarn,victimed'un tirdegrenade le25octobre2014.Etceluid'AdamaTraoré, le19 juillet 2016, au cours d'une interpellation, à Persan, une cité duVal-d'Oise.Unechoseest certaine :ni lepréfet,ni sondirecteurdecabinetn'étaient cettenuit-là surplace pour – comme la loi l'exige – permettre aux gendarmes d'user du lancer degrenades.Unautrefaitestincontestable.LegénéralDenisFavier,alorsdirecteurdelaDirection générale de la gendarmerie nationale, très proche de Manuel Valls 8, aadresséplusieursmessagesàsestroupesprésentesàSivens.EnparticulierceSMS,aucommandantdelagendarmerieduTarn:« Onestattendussurlesinterpellations 9. »Outrecesdeuxdécès,lagauchedugouvernementestaussicoupabledudramevécu

lors d'une interpellation à Aulnay-Sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Lors d'un banalcontrôle d'identité, le 2 février 2017, mené par quatre fonctionnaires de police,Théodore,22ans,estvictimedeviolences.Conduitàl'hôpital,unmédecinconstatedegraveslésionsrectalesetluidélivresoixantejoursd'incapacitétotaledetravail 10.Le7 février, accompagné d'un photographe duParisien, François Hollande se rend au

chevetdelavictime.Cegestemédiatiqueetsymboliquesuivid'appelsaucalme–dontceluilancéparlavictime–n'empêchepasunepartiedelabanlieuenorddeParisdes'embrasserpendantplusieursjours.Commel'analysejustementlesociologueLaurentMucchielli,cequis'estpasséàAulnay,est« unclassiquedugenre 11 »:« Tantquelanécessitédel'ordreferatairecelledel'analyse,estimecespécialistedesphénomènesdedélinquance,tantquel'institutionpolicièrecontinueradeformeretd'envoyersurleterrainlemêmetypedepolicierset tantqueleshabitantdesquartierspauvresserontenfermésdanslesmêmesproblèmes,onpeutprédiresansrisquequ'ilyaurabeaucoupd'autresAulnay-sous-Bois. »« Nous redonnerons toute sa place à l'esprit de responsabilité et d'initiative chez

l'ensemble des fonctionnaires, en restaurant leur capacité d'engagement pour larésolution des conflits et l'aplanissement des difficultés entre citoyens, promettait ennovembre2010lepactenationaldeprotectionetdesécuritépubliquenéduForumdeCréteil. Il est urgent de redonner du sens à l'action des forces de sécurité. »Sur cetaspectcommesurbeaucoupd'autres,lesresponsablesduPartisocialistes'interrogent:« Oùen sontnospromesses ? »C'est le casdeStéphaneCrottès,un fonctionnaireduministère de l'Intérieur et secrétaire de section duPSplaceBeauvau.Le 15 octobre2015, il adresse une lettre à Jean-Christophe Cambadélis, le Premier secrétaire duparti. Il s'étonne que le poste de secrétaire national à la sécurité ait été longtempsvacant, que la commission nationale du parti, censée faire le bilan de ce que legouvernement a entrepris et formuler d'autres propositions pour la présidentielle de2017, ne se soit pas réunie depuis... le 19 janvier 2015 ! Crottès écrit : « Lessocialistes ont payé un fort tribut politique quelquesmois avant la présidentielle de2002. Nous avons été taxés de laxistes et continuerons d'être traités de permissifs.Avons-nousledroitdel'ignorer ?[...]Avons-nousledroit,nousPartisocialiste,d'êtreabsents du débat de la sécurité intérieure tant dans notre “maison” qu'avec legouvernement ? » Au nom de ses camarades, le militant suggère de créer une « taskforce sécurité capable de proposer des réponses dans l'urgence » et de réunir des« Assisesdelasécuritédansl'espritduForumdeCréteilquiavaitmarquélesespritsetsortilagauchedesonimaged'angélisme ».Dix-huitmoisplustard,cettelettrededeuxpagesesttoujourssansréponse.

1.Entretiendu13octobre2016.2.Entretiendu5octobre2016.3.Entretiendu22décembre2017.4.Ledélitde« consultationhabituelle »dessites terroristesaété jugécontraireaux libertésfondamentalespar le

ConseilConstitutionnelle10février2017.5.Entretiendu7septembre2016.6.Lirelechapitre« Lescarottessontcuites ! ».

7.Lirelechapitre« L'étoilefilante ».8.Le11janvier2017,lesjugestoulousainsontconcluleurenquêtesansmiseenexamen.Deuxnouvellesplaintes

ontétédéposéesparlafamilledeRémiFraisse.Ellesvisentlepréfet,sondirecteurdecabinetetdesgendarmes.9.Lirelechapitre«L'étoilefilante».10. Une enquête judiciaire a été ouverte à Bobigny. Elle vise notamment des faits de « viol ». Une enquête

administrativeaétéconfiéàl'IGPN.Lapolicedespolicesestimeque« lablessuren'estpasintentionnelle[...].Ilyaeuungesteviolentetdisproportionné. »Etdoncpasdeviol.11.LeMonde,12et13février2017.

12

L'autreespionduPrésident

Il y a quelques heures, des terroristes viennent de commettre un carnagesuccessivementauxabordsduStadedeFrance,àlaterrassedeplusieursbarsdel'Estparisien,puis,enfin,auBataclan.FrançoisHollandeouvreundesesfameuxConseilsrestreintsdesécuritédedéfense,dontlaplupartdesFrançaisontdécouvertl'existenceàlafaveurdesattentatsde2015et2016.DanslesalonVertdel'Élysée,quijouxtelebureau du chef de l'État, quelquesministres ont pris place autour de la longue tableovale. Les visages sont marqués par la fatigue comme par la gravité du moment.ManuelValls fait face auPrésident.LePremierministre est entouréde lagardedesSceaux, Christiane Taubira, et du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Leurscollègues de la Défense et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian et LaurentFabius, sont également présents. Le chef de l'État est, lui, entouré de ses principauxcollaborateurs:sonsecrétairegénéral,sondirecteurdecabinet.LepréfetdepolicedeParis est là aussi. Et puis, à un bout de table, les patrons des services. Parmi euxPatrickCalvar,directeurgénéraldurenseignementintérieur(DGSI)etBernardBajolet,sonhomologuede laDirectiongénéraledes services extérieurs (DGSE).C'est à cesdeux-là que François Hollande s'adresse en leur demandant de faire le point surl'enquête.« Cemomentétait étonnant, se souvientundesparticipants.PatrickCalvarn'apratiquement riendit.Et lorsqu'il s'est exprimé, jene suispascertainque tout lemonde l'ait entendu autour de la table. Ilmarmonnait commeBernardSquarcini, sonprédécesseur, le faisait.Enrevanche,BernardBajoletparlait fortetclair,commeonditdanslescommunicationsàl'armée.Ilnousadélivrétoutlepedigreed'AbdelhamidAbaaoud, le commandant opérationnel des attentats qui était alors activementrecherché 1.C'étaitnetetprécisetn'appelaitaucuncommentaire. »Unautretémoindecemomentparticulierdansl'histoireduquinquennatconfirmeetajoute:« J'aimesurécejour-lààquelpointlaDGSEavaitsupplantélaDGSIsurlascèneintérieure. »FrançoisHollandeabeaucoupœuvrépourcela.Nonpasseulementpourdétricoterce

que son prédécesseur avait façonné : c'est Nicolas Sarkozy qui, en 2008, a créé laDirectioncentraledu renseignement intérieur (devenueDGSIen2013),en fusionnant

lesRGetlaDST.Maisaussiparchoix:« C'estunequestiondeconfiance,confieunministre. Et, très important, une question d'hommes. »C'est ce qui est apparu à plusd'unereprisedanslehuisclosdusalonVert.LorsdesesConseilsrestreintsdesécuritéetdedéfense,soucieuxduprotocoleetdurôledechacun,lechefdel'Étatvouvoiesesministres,malgréuneamitiéancienneetuneproximitéréelle.Illeurdonneégalementdu« Monsieur–ouMadame–leministre ».Lorsqu'ilinterpelleBajolet,c'esttoujourspar son prénom et en le tutoyant. « Leur confiance mutuelle et leur complicité sontévidentes »,témoigneundesprochesduchefdel'État.Enunquinquennat,Bajoletestdevenu l'autre « espion du Président2 ». Il est à Hollande ce que Squarcini était àSarkozy, la faconde en moins, la rigueur et le courage en plus. L'un était flic derenseignement,amateurdecoupstordus.L'autreestundiplomate,expertenrapportdeforce.

Retouraubercail

« François »et« Bernard »seconnaissentdepuis1978.Lepremieravingt-quatreans,lorsqu'il débarque en Algérie. Il vient pour y effectuer son stage de l'ENA, enimmersion huit mois durant à l'ambassade de France d'Alger la blanche. C'est lediplomate,decinqanssonaîné,quiaccueilleetprendenmainlejeunehomme.Bajoletvientdesortirdel'ENA,promotionLéon-Blum,lamêmequecelledeMartineAubry,AlainMinc,PascalLamyouBernardBoucault,préfetdepolicedeParis aumomentdesattentats.« Ilétaitatypique,sesouvientcedernier.Pasmilitantmaisprogressiste,iltenaitàsaliberté.Ilytienttoujours,d'ailleurs.C'estungrandserviteurdel'Étatetladiplomatieest savocationpremière. »Alger,c'est sonpremierposte. Ilyexerce lesfonctions de secrétaire général de l'ambassade. Diplomate, il est chargé de fairetourner la boutique et de... cornaquer les stagiaires ! Moins de vingt ans aprèsl'indépendance, leposte estultra-sensible.« Ni l'unni l'autrene sont trèsdiserts surleurséjourcommunàAlger,préciseundeleursprochescommuns.Françoism'ajusteditunjourqu'ilavaitbeaucoupappris.Jesuissûrquec'estàlafaveurdecestagequ'ila pris goût au renseignement. »Malgré les aléas des parcours respectifs et des viesprivées,lesdeuxhommesnesequitterontplus.L'Élysée,BBs'yestinstalléavantHollande.C'estleprésidentSarkozyquil'yafait

venir. Le 21 juillet 2008, le diplomate arrive d'Alger, où il exerçait cette foislesfonctionsd'ambassadeur.Auparavant,lediplomatearabophoneavaitécumétoutleProche-etMoyen-Orient(Damas,Amman,Bagdad)avecuneincursionàSarajevo,enBosnie.« Bernardaimeprendredes risques, résumeunvieilami. Ila toujourseuuncôté baroudeur très à son aise dans l'Orient compliqué. » « Il est perpétuellementstressé,ajouteundesesofficiers.Iln'apasdevie.Ilsefaitdictersonagendaparlepolitique.Ilesttoutmaigre,commerongé,ilseconsumedel'intérieur.Ilauraitbesoin

de s'allonger sur un divan... » Lors de son séjour en Irak, entre 2003 et 2006, ilcontribue très activement à la libération de trois journalistes retenus en otage :Christian Chesnot, Georges Malbrunot puis Florence Aubenas. Dans sa biographieofficielle, diffusée par « la boîte » – un des surnoms de la DGSE –, on lit :« Iltravaillera,àcetteoccasion,enétroiterelationaveclesservicesderenseignementchargés de trouver une issue à ces enlèvements. »Le « diplo » a conquis ses galonsd'« espion ».UnCVparfaitpourqueSarkozychoisissedefairedel'amideHollandelepremier coordinateur national du renseignement. Le Président a fait l'article àl'ambassadeur,luipromettantd'êtrel'équivalentduconseillerdesécuriténationaleduprésidentdesÉtats-Unis.Unesortedebrasdroitquiorientelesdécisionsstratégiquesetgéopolitiques.Commedéclarerlaguerreoupas,parexemple.Depuissonbureau,situéau14,ruedel'Élysée,dansuneannexeduChâteau,Bajolet,

fils d'ingénieur lorrain, va vite déchanter. C'est à un autre type de guerre qu'il vaprendre part, bien malgré lui. Un conflit entre ego et services. « La firme » – lespoliciers proches de Sarkozy – lui mène la vie dure. Parce qu'ils le redoutent, lesSarkoboysneluilaissentaucunemargedemanœuvre,nilamoindreinitiative.Levoilàdévoluàunrôledesimplerond-de-cuir.Luiquiambitionnaitdepiloternosbarbouzesregrettelorsdesonauditionàl'Assembléenationalele31mars2009:« Jenesuispasledirecteurgénéraldesservicesetjen'aipasd'autoritéhiérarchiquesurlesdirecteursdecesderniers. »Ilsuemêmesangeteaupourmettredel'huiledanslesrouagesentreles rivauxdu renseignementqui s'affrontent : laDGSEet laDCRI. Il obtient toutdemêmedesdeuxmaisonsqu'ellesacceptentdansleursmursunfonctionnairevenantdecelle d'en face. Mais ces « officiers de liaison » – des postes qui existent encoreaujourd'hui–pèsentpeuparrapportàdespatronscommeÉrardCorbindeMangouxetBernardSquarcini.Deguerrelasse,Bajolet,pourtantduràcuire,rendlesarmes.Sabioofficiellenote

sansdétourqu'il« éprouvelesfrustrationsliéesàlaculturedecour ».Ilquittel'Élyséeet la Sarkozie en février 2011 pour retrouver son premiermétier : ambassadeur. EtdébouleàKaboul.C'estdepuislacapitaledel'Afghanistanqu'ilapprendl'électiondeFrançois Hollande, le 6mai 2012. Un journaliste qui passe par là lui demande s'ilredoutecechangementàlatêtedel'État.Dansunsourireéclairantsonvisageémacié,l'ambassadeurrépond:« Çavatrèsbiensepasser,jel'aiconnujeuneénarqueetl'aireçu en stage à Alger. » Puis il sourit à nouveau. Le lendemain, il décroche sontéléphonepourféliciterl'heureuxéluetl'inviteàluirendrevisite.Ceserachosefaitedixjoursaprèssoninvestiture,à l'occasionduquatrièmedéplacementà l'étrangerdunouvelélu,aprèsBerlin,ChicagoetBruxelles.Lavisiteprésidentiellen'avaitpasétéinscrite à l'agenda officiel. FrançoisHollande reste sur place une journée entière. Ilconfirme une promesse de campagne : le retrait progressif des troupes. « Lesretrouvailles avec Bajolet furent étranges, se souvient un témoin. Les deux hommes

étaientvisiblementravisdeseretrouver,multipliantlesgestesd'affection.Ilsonteuunlongtête-à-tête.Surlefond,leurdésaccordétaitpatent. »Defait, lenouveauchefdel'État tient à honorer une promesse de campagne : le retrait d'ici fin 2012 des troismillesixcentssoldatsfrançaisenposteenAfghanistan.L'ambassadeurconseille,lui,plutôtundépart« ensifflet »,surlelongterme.Ilyvadel'influencedelaFrancedanslarégion,plaide-t-il.Envain.

L'épreuvedufeu

Ilenfautdavantagepourbrouillerlesdeuxamis.Neufmoisaprèsleursretrouvailles,Hollande appelle son ami à le rejoindre à l'Élysée. EnConseil desministres, le 10avril 2013, il nomme Bernard Bajolet directeur général de la sécurité extérieure.Depuis ce moment-là, leur complicité s'éprouve au quotidien. Lorsqu'ils ne setéléphonent pas, Bajolet fait le déplacement depuis la caserne Mortier jusqu'auChâteau.Parfoisplusieurs foispar jour.Mais,chaque fois, fortdiscrètement.« Jenel'apercevaisquerarement,témoigneAquilinoMorellequiaétéleconseillerpolitiqueleplusprocheduchefde l'État.Parfois j'apprenaisaprèssondépartqu'ilétaitvenu.Souvent je ne l'aimêmepas su. »Le fantômede l'Élysée.Un autre collaborateur duchefdel'Étatajoute,malicieux:« Ilestsouventlà.Maisilad'autresfréquentations...Plusoumoinsbonnes ! »BajoletaainsiétéaperçuàMatignoncommeàBeauvau.Àl'HôteldeBrienneaussi.Cequidanscecasn'ariend'étonnant:laDGSEestsouslatutelle du ministère de la Défense. Pourtant, les relations entre Bajolet et Le Driancomme avec son directeur de cabinet Cédric Lewandowski, auraient parfois viré à« l'hystérie », selon un éminent collaborateur du chef de l'État. Lequel 3 explique :« Françoisadonnésonautonomieàlaboîte.Jean-Yvesvoulaitgarderl'outilpourlui. »Cette rivalité s'est manifestée à plusieurs reprises lors des règlements de prisesd'otages.Ce fut le cas en novembre 2013, lors de la libération de quatre personnesretenuesauNiger.Bajoletvoulait régler l'affaireseul.LeDrian l'adoublé.Lesdeuxhommes activant chacun leurs propres réseaux, négociant avec leurs propresintermédiairesaurisquedefairecapoterl'affaire 4.Interrogéparundesauteurssurlesraisons de cette rivalité, FrançoisHollande répond 5 : « Vous les connaissez ?Allezleurdemander ! »Surtoutnepass'enmêler.LeDrian,lui,s'enmêle.Aprèstout,c'estluietnonlechefdel'Étatlepatrondirect

dessixmilleespionsdelaDGSE6.C'estluiqui,grâceaubudgetdesonministère,lesnourrit et les entretient. En 2015-2016, la manne annuelle officielle atteignait les700 millions d'euros. Pour tenter d'affaiblir cet « État dans l'État », le ministremanœuvre surdeux fronts simultanément. Il octroiedesmoyens supplémentaires à laDirectiondurenseignementmilitairechargéederapporterdebonnesinformations.EtiltransfèreunebonnepartiedesgarsduServiceactiondelaboîte–ceuxquilibèrentles

otages, notamment – sous le commandement direct des Forces spéciales, donc del'Armée.Desoncôté,Bajoletcontinuedefaire le jobcommesiderienn'était.Pourque les

chosessoientclaires,ilpréciseàquiveutl'entendre 7que« laDGSEdisposed'unstatutspécial qui lui assure une grande autonomie dans sa gestion comme dans sesopérations ».Certainplusquejamaisquelarelationqu'ilnourritaveclechefdel'Étatestplusfortequelescrocs-en-jambeetleschausse-trapes.Unenouvelleépreuvedufeurapprochelesdeuxhommes.Elleaétérelatéeàundes

auteursparlechefdel'État8.Danslanuitdu11au12janvier2013,vers3heuresdumatin,FrançoisHollandeesttirédesonsommeilparuncoupdetéléphonedeBernardBajolet.LuisetrouveboulevardMortier,danslasalledecommandement.L'opérationdestinéeàdélivrerunadjudant-chefde laDGSE retenuenotagedepuis le14 juillet2009dansleSud-Ouestsomalienvientdecommencer.DenisAllex–sonpseudonymedanslaboîte–n'ysurvivrapas.« C'estunsouvenirterrible,racontelePrésident.Toutallait bien jusqu'à ce qu'un de nos agents trébuchemalencontreusement sur un garde.L'effetdesurpriseescomptén'apaseu lieu.Etnotreotageaétéexécuté.Bajoletm'aprévenuvers5heuresdumatin.Ilm'aégalementapprisquedeuxmilitairesduServiceactionavaientpayédeleurvieententantdelibérerleurcamarade. »Quinzejoursplustard,lorsd'unecérémonied'hommage,àPerpignan,oùl'accompagneBernardBajolet,ilrencontrecertainsd'entreeux.« Tousm'ontdit:“Ilfallaityaller.” »

Débordementàl'intérieur

Cette dramatique issue n'altère pas la confiance entre le Président et son espion.AlorsquelalignedepartageestclaireetnetteentrelaDGSIetlaDGSE,Hollandevabrouiller les lignes renforçant le pouvoir des hommes de Bajolet sur la scèneintérieure. Schématiquement, les policiers de Levallois surveillent et interviennent àl'intérieur de nos frontières, les militaires deMortier à l'extérieur. Évidemment, cen'estpassisimple.Lesterroristesvenusdel'étrangerenFrancenesontpaslâchésparlesespionsdelaboîtelorsqu'ilspassentleRhinouarriventàRoissy,parexemple.Àl'inverse, les gars du renseignement intérieur continuent de filer des suspects qui secarapatent à l'étranger.La logique et le bon fonctionnement de l'État voudraient que,dans l'un et l'autre cas, les deuxmaisons coopèrent, que leurs patrons respectifs separlent.C'estque,làencore,lesquerellesdechapelleetlesguéguerresd'egoprennentparfois

lepassurl'intérêtsupérieurdupays.LaDGSEn'aainsipasdutoutappréciéquedesbonshommes de la maison d'en face aillent sans prévenir s'encanailler en Bulgarie.C'était en septembre 2013. Officiellement, ils y séjournaient pour « un exercice ».Manque de chance, durant leur séjour, un kamikaze fait sauter un bus de touristes

israéliens.Bilan:sixmortsetunetrentainedeblessés.LesagentsdelaDGSIrendentcompteaussitôtà leurhiérarchiedecequ'ilsontvuetentendusurplace.Parvenueàleur état-major, le « blanc » classé confidentiel-défense est passé à la broyeuse ! Et,forcément,lesmilitairesdeMortiern'ontpasétéavisés.Unemanœuvrededestructioninvolontaireetmalencontreuse,plaideraCalvarauprèsdeBajolet.Manifestementsansleconvaincre.Àl'inverse,lesmilitairesdelaDGSEontinvestilechampcorse.Augranddamde

leursrivaux,ilsontœuvrélargementpourtenterdedémantelerl'empirefranco-africaindeMichelTomi 9.À plusieurs reprises, chacun de leur côté,RenéBailly etBernardPetit – respectivement patrons du renseignement et de la police judiciaire à lapréfecturedeParis–,enchargedel'enquête,onteudes« briefings »avecl'état-majordeMortier.Cequeconfirme l'ancienpréfetdeParis,BernardBoucault :« Oui,c'estvrai,nousavonsmutualisédesinformations.JeconnaisBernardBajoletdepuisl'ENA,çaaincontestablementfacilitéleschoses. »François Hollande a lui-même permis cette coopération, plaidant pour « une

transversalité de l'action » enmatière de lutte contre le terrorisme.ÀGérardDavetet Fabrice Lhomme, il apporte cette précision : « Il y a ce que la DGSE fait àl'extérieur, avec ses propresméthodes,mais là, si je puis dire, c'est son travail.Cequ'ellefaitàl'intérieur,sitantestqu'ellelefasse,elledoitabsolumentledéclarer.Dèsqueçatoucheunepersonnefrançaise,onretombesurlesrèglesdudroitfrançais. »Lesfrontières,jusque-làimperméablesentreDGSEetDGSI,semblentêtredéfinitivementtombées.Uneautredeces frontièress'effondreégalementdurantcequinquennat :cellede la

communication et de l'image. Alors que la DGSI rechigne à faire parler d'elle, laDGSEnes'enestpasprivée.Elles'estd'aborddotéed'unporte-parole,alorsque« lescousins »deLevalloisn'endisposentpas.Lequelaétéchargé,directementparBajolet,demonterdesopérationsà lagloirede laboîte.La sériediffuséeparCanalPlusetconsacrée au « Bureau des légendes » procède de cette volonté. « Éric Rochant, leréalisateur,estvenunoustrouverpournousfairepartdesonprojet,sesouvientundestauliersdelaboîte.Nousenavonsrenducompteaupatron.Lequeladonnésonaccordàdeuxconditions:quelefilmneportepasatteinteàl'honneurdelamaisonetquelesmissions qui nous sont prêtées relèvent effectivement de nos compétences. » Et ilajoute, sourire aux lèvres : « Il a été dur à convaincre.Mais on a trouvé l'argument.Très old school, il ignorait que le téléspectateur pouvait télécharger des séries.L'aspectviralpermettantdepropager lemytheDGSEl'aséduit. »Plusclassique, leshommesdeMortierontpermis lapublicationd'articles toutà leurgloire.Commecepublireportaged'unequinzainedepages,nombreusesphotosàl'appui,dansLeFigaroMagazine 10 et consacré à « une immersion exceptionnelle » avec « ces héros del'ombre qui ne défileront jamais le 14-Juillet » (sic). On n'y trouve pas un mot,

évidemment,surlesbarbouzeriesentoutgenreduServiceaction.Unecontre-offensivemenée, après la publication quelques jours plus tôt, d'une enquête dansLeMonde 11consacrée au « Big Brother français ». On y lit que « la Direction générale de lasécuritéextérieurecollectesystématiquementlessignauxélectromagnétiquesémisparlesordinateursoules téléphonesenFrance, toutcommelesfluxentrelesFrançaisetl'étranger:latotalitédenoscommunicationssontespionnées ».Bajolet,c'estlemoinsqu'onpuisseécrire,n'apasapprécié.Commeilnegoûteguère

qued'aucunss'emploientàremettreencausel'exclusivitédesarelationaveclechefdel'État. Il a ainsi réussi à mettre sous l'éteignoir le coordinateur national durenseignement,lesevrantd'informations 12.L'und'eux13confie:« Jenesavaisrien.Oupasgrand-chose.J'apprenaisleschoseslorsdesréunionsdusalonVert. »LepatrondelaDGSEquiavaitéchouéàfairedeceposteceluidubrasdroitduchefdel'Étatatoutfait pour que ses successeurs n'y parviennent pas non plus. Il a même proposé àHollandedesupprimerlafonctionetdeconfiercetteresponsabilitédecoordinationaudirecteurdecabinetdel'Élysée.Parvenus au pouvoir ensemble, Hollande et Bajolet le quitteront demanière quasi

simultanée. En octobre 2015, lors de l'examen au Sénat du projet de loi surladéontologiede la fonctionpublique, legouvernement–par labouchedeMaryliseLebranchu–glissetrèsdiscrètementunamendementprévoyantque« lesfonctionnairesoccupant un des emplois supérieurs participant directement à la défense des intérêtsfondamentauxdelanationetfigurantsurunelistefixéepardécretenConseild'État »peuvent être prolongés « d'une année supplémentaire ». La loi est promulguée le20 avril 2016. Juste à temps : sans elle,BernardBajolet, atteint par la limite d'âge,devaitquittersesfonctionsle21maisuivant.Sonsursisd'unan,illedoitévidemmentau chef de l'État et à une entorse à son principe électoral de « Républiqueirréprochable ».

1.Réfugiédansunedesesplanques,unappartementàSaint-Denis, il trouve lamort, le18novembre2015,avecdeuxdescompliceslorsdel'assautduRAID.2.Enréférenceàl'ouvrageéponyme,consacréàSquarcinietàlapolicepolitiqueauservicedeSarkozy,signédes

troisauteurs,RobertLaffont,2012.3.Entretiendu28novembre2016.4. Lire à ce sujetAgent secret, de Jean-MarcGadoullet, ancien colonel de laDGSE et acteurmajeur de cette

libération,RobertLaffont,2016.5.21juin2016.6. Précisément 5 208 équivalents temps pleins au 31 décembre 2014, selon les documents budgétaires. En

augmentationconstantede+ 15 %danslesdixdernièresannées.7.LaRevuedel'ENA,juin2014.8.21juin2016.LireàceproposlerécitdeFrançoisHollandedans« Unprésidentnedevraitpasdireça »...,op.

cit.etErreursfatalesdeVincentNouzille,Fayard,2017.9.Lirelechapitre« OpérationMinotaure ».

10.11juillet2014.11.4juillet2014.12.DurantlequinquennatdeFrançoisHollande,ilsontétéquatreàsesuccéderàceposte:AngeMancini,Alain

Zabulon,DidierLeBretetYannJounot.13.Entretiendu15novembre2016.

13

BleuMarine

Monsieur lepréfetcraintdes'ennuyer.Laprésidentiellevaavoir lieudansdix-huitmois. Et malheureusement, dans quelques petites semaines seulement, il va devoirraccrocher définitivement après de « bons et loyaux services » rendus à la maisonpolice.Le sexagénaire, à l'alluremassiveet auxyeux toujourscernésdenoirqui luivalent le doux surnom de « Panda », a débuté son incroyable carrière à l'Intérieurcomme...pompier.Puisilapréférélamatraqueàlalance,devenantsimplegardiendelapaixavantdegravirtousleséchelonsdelamaisonpoulaga.Ilamêmerêvéuntempsdedevenir,peut-êtrepasministre,maisaumoinssecrétaired'ÉtatchargédelaSécuritéintérieure.Pasdifficile, il se seraitmêmecontentéd'unpostedepréfetdepolicedeParis,ouencorededirecteurgénéraldelapolice.Cen'estpasfauted'avoirintrigué,d'avoirtouttentépourêtreencour.Àdroitecommeàgauched'ailleurs.Carmonsieurle préfet sert d'abord la République. Ce qui, pour lui, signifie être sarkoziste sousSarkozyetvallsistesousValls.Maisletempsapasséetceluidelaretraite,àplusieursreprises repousségrâceàdespasse-droits législatifs 1, est arrivé.Monsieur lepréfetdoit penser à sa reconversion.Avec sonCV long comme un tonfa deCRS (il les acommandés)etsoncarnetd'adressesépaiscommeleWho'sWho,iln'aurapasdemalàêtrerecrutécomme« Monsieursécurité »paruneentrepriseprivée.Manièred'arrondirdesfinsdemoisquin'ontvraimentpasbesoindel'être.Etsurtout,surtout,denepass'ennuyer. Totalement insatiable, il a la réputation – justifiée – d'être un acharné duboulot. Lorsqu'il était préfet en Seine-Saint-Denis, il était au bureau dès 6 heuresdu matin et tournait parfois, la nuit, avec les flics des brigades anticriminalité oueffectuait des descentes impromptues dans des commissariats de quartier. Bref, à lapêcheàlaligneduretraitélambda,lePandapréfèrecontinuerd'alleràlachasse.Etaugros.C'estpourquoiencetété2015,àquelquessemainesderaccrocherdéfinitivementson

holsterauportemanteau,lepréfetChristianLambert–c'estsonnom–faituneoffredeserviceincroyable.Commetoutlemonde,illitlesjournauxetregardelatélévision.IlsaitqueleFrontnationals'estinstallédéfinitivementdanslepaysagepolitique.Ilsait

aussi,pourécoutercequedisentsescollèguesdelahautefonctionpubliquecommelesflicardsdebase,que ladéputéeeuropéennea lacote.Nonseulementdans lamaisonpoulaga, comme les élections intermédiaires l'ont montré : aux régionales, selon leCentre d'études de la vie politique française (Cevipof), plus d'un flic sur deux(51,5  %)avotéFNcontre30  %lorsde laprésidentiellede2012 ;maisaussidanstoutlepays:MarineLePenpeutêtrequalifiéepourlesecondtourdelaprésidentielle.C'est donc à l'extrême droite qu'il faut se vendre. Par un intermédiaire policier,LambertprendcontactavecGilbertCollard,l'avocatdevenul'undesdeuxdéputésduFrontnational.Lesdeuxhommesneseconnaissentpas.IlsfinissentparserencontrertrèsdiscrètementàParis.LePandadéroulealorssonoffredeservice:lepaysestenlambeaux,auborddelaguerrecivile,ilfautunÉtatfortetsécuritaire.Etilconclut:« Je suis à votre disposition », ne trahissant pas sa réputation de Bob Denard,mercenairedelaRépublique,dontl'ontaffublésesanciensamissarkozystes.Collardapromisdefairesigneàsonnouvelami.Cette rencontrequinousaété racontéeparplusieurs témoins,ChristianLambertne

nousl'apasconfirmée.Enrevanche,lorsquenousavonsinterrogéGilbertCollardàcepropos,ilnousarépondu:« Vousêtesbienrenseignés.Maisvouscomprendrezquejenepeuxvousconfirmercetteinformation.Nil'infirmer 2. »

Dufront...

Bob Denard n'est pas allé frapper à n'importe quelle porte. Il connaît le goût del'avocat–longtempsconsidérécommeunbouffeurdeflicsdanslesprétoires–pourlesquestionsdesécurité.Selonunmembrede l'état-major frontiste,Collardambitionnemême de revêtir l'uniforme de premier flic de France, en cas de victoire de sachampionneenmai2017.Le18mai2016,surlecoupdemidi,lesecrétairegénéralduRassemblementBleuMarineestallémesurersacotedepopularitéauprèsdelatroupe.Cejour-là,lesyndicatAlliance–classéàdroite–aappelésesadhérentsgardiensdelapaixàmanifesterplacedelaRépubliqueàParis.Lerassemblementestsolidementencadré par des escadrons de gendarmes mobiles qui ont cadenassé l'esplanade,réservée jusqu'alors aux happenings des manifestants du mouvement Nuit debout.Lorsqu'ilarrivesurplace,l'avocatestsaluéparquelquesbravossonores.Ilfautdirequ'il n'estpasvenu seul :MarionMaréchal-LePen, l'autredéputéed'extrêmedroite,l'accompagne. Ou plutôt, c'est lui qui accompagne la jeune femme. Parfois, lesmanifestantsleprennentpoursongardeducorps.L'accueilestcependantfavorableauxdeux parlementaires : autographes ici, selfies là, bise parfois. Et l'agitation autourd'elleetluiestbienplusspectaculairequel'accueilpoliréservéàd'autresélus.Parmilesquels Éric Ciotti, Nicolas Dupont-Aignan ou encore Geoffroy Didier. Ceschampionsdeladroiteetdu« toutsécuritaire »passentquasimentinaperçus.

Bien sûr, la présence de Collard,Marine Le Pen et consorts ce jour-là relève ducalcul électoral. Les poulets sont en colère. Enfin, une petite partie d'entre eux. LesyndicatAllianceappellesesadhérentsàmanifestercontre« lahainedesflics ».Lesfonctionnairesenontassezdese faire insulteret frapperdans lesmanifsalorsqu'aulendemaindesattentatscontreCharlieHebdo,laFranceentièreleurfaisaitdesbisous.L'entreprisedeséductionfrontistesepoursuitunmoisplustard.Maiscettefoissurle

parvisdesDroits-de-l'Homme,auTrocadéro,faceàlatourEiffel.Ce20juin2016,leFNrendhommageauxdeuxpolicierstuésparundjihadisteàMagnanville.Aucoursdecerassemblement,unpolicier–suspenduàlasuited'uneplaintepourprovocationàlahaineracialeetreligieuse–prendlaparole.IlflingueàlafoisFrançoisHollandeetNicolas Sarkozy, conjointement responsables, selon lui, d'avoir mis la police dans« une situation catastrophique ». Sébastien Jallamion appelle ses collègues « à larésistance »(sic)et« àsedépartirdeleurobligationderéservedemanièreàinformerlesélecteurs »qu'ilsnedoiventpassetromperen2017.Derrièrelui,MarineLePenjubile.

...àlafronde

À la sortie de l'été, le malaise des policiers s'amplifie. Pourtant leurs syndicatsviennent d'obtenir du gouvernement Valls bien plus qu'ils ne pouvaient l'espérer etqu'aucunautregouvernementneleuradonné.Les11et12avril,ilssignentàBeauvau,puisà l'Élysée,unprotocole« pour lavalorisationdescarrières,descompétencesetdesmétiers ».Avecà laclefuntrèsgroschèquede865millionsd'euros.Maiscettemanne ne calme pas la base. Un événement va même exacerber leur colère etdéclencherunmouvementinéditparsonampleur.Le8octobre,àViry-Châtillon,dansl'Essonne, quatre policiers en faction dans leurs voitures surveillent une camérainstallée près d'un carrefour. L'endroit est réputé dangereux : plusieurs vols avecviolences sur des automobilistes y ont eu lieu. Quand soudain, une quinzained'assaillantsmettentlefeuàl'undesvéhiculesdepolice.Deuxagentssontgrièvementbrûlés 3.Dansunpremiertemps,des« collègues »manifestentsagementleursolidaritéavec les blessés. Puis, comme une traînée de poudre grâce aux réseaux sociaux, lemouvements'amplifie.Pêle-mêle,lesflicsdisentenavoirassezdeleursconditionsdetravailquisedégradent,assezd'unejusticequinepunitpassuffisamment,assezd'êtrelesmal-aimés de la société, assez d'être snobés par leurs représentants, assez d'êtreincompris par leurs chefs. Des rassemblements spontanés ont lieu alors partout enFrance,jusqu'auxportesdel'Élyséeoùunescadrondegendarmesmobilesdépêchésàla hâte les attend. Les poulets manifestent parfois en tenue, armés, usant de leursvéhicules de fonction, activant le deux-tons et les gyrophares. Ce qui est totalementcontraireaudevoirderéserveque leur impose la loi.« Entenueouencivil,ons'en

fout,nousaffirmealorsundesinitiateursdecemouvement,gardiendelapaixdansunebrigadeanticriminalitédansl'Essonne:onvamanifesterencoreetencore,chaquejours'illefaut.Onenajustemarredusystème.Celuidelahiérarchie,celuidessyndicats. »MarineLePen,commedesmillionsdeFrançais,varéellementprendreconsciencedu

malaise en regardant le 20 heures du 18 octobre. Les téléspectateurs découvrentpresqueendirectlavoituredudirecteurgénéraldelapolicenationalesecouéepardesmanifestants.Etlaberlinedetenterd'échapperàlavindicte,auxcoupsdepiedcontrelacarrosserie,auxcoupsdepoidscontrelespare-brise.Jamaisunchefflicnes'étaitfaitprendreàpartiedepareillefaçonparlabase.Jean-MarcFalconevientdepasserplusieurs heures au commissariat deViry-Châtillon pour tenter de calmer la fronde.Sanssuccès:àsasortie,ilsefaitinvectiver,lespoliciersréclamentsatête.Ilsn'ontpasdutoutappréciéquelepréfetsaisissel'Inspectiongénéraledelapolicenationale(IGPN) 4 et promettent des « sanctions » contre les meneurs. De retour à Beauvau,Falcone rendcomptede lasituationàCazeneuve.Leministre lui reprochevertement« unefautedecommunication ».Et tentedereprendre leschosesenmain,multipliantles interventionsmédiatiques, précisantmême lors d'un point de presse impromptu :« Si j'aiacceptédesaisir l'IGPN,cen'estpaspourentrerdansuncycledesanctionsmais pour rappeler des principes. »Àun proche cependant, leministre aurait avouéson impuissance doublée d'une inquiétude : « Je ne sais pas comment tout cela vafinir. »

Noyautageextrême

Àl'état-majorduFrontnational,ons'emploieàcequecelafinisseparpayerdanslesurnes.D'autantqu'aprèsplusieurs tentativespassées, leFNne faitpas recetteauprèsdes syndicats. Aux élections professionnelles de 2014, le syndicat France Police –dirigépar l'ancienconseiller sécuritédeLePenetdePhilippedeVilliers–n'apasfranchi la barre des 1  %.Quant à la Fédération professionnelle indépendante de lapolice,elleplafonneà3,3  %etnecompteaucunéludanslesinstancesreprésentatives.La chef voit dans lemouvement des policiers en colère l'opportunité d'enfin percer.Elle lance alors une opération séduction. Astucieusement, elle utilise les mêmesmoyens que lesmanifestants pour communiquer. Sur Facebook, elle délivre ainsi unmessage vidéo de six minutes. Visage grave, voix solennelle, la candidate à laprésidentielleassureauxflics:« Votremécontentementn'estpasseulementlégitime,ilestsain. »Envingt-quatreheures,cediscoursestvisionnéplusdecintcentcinquantemille fois. Parallèlement, les cadres de la formation d'extrême droite sont appelés àaffichersurleurcompteTwitterlehashtag« #JeSoutiensLaPolice ».Collardenrajouteécrivant : « J'apporte sans restriction mon soutien aux revendications légitimes despoliciers, victimes de leur devoir, méprisés par leurs hiérarchies qui les regardent

commedes“consommables”sansconsidérationaucunenilemoindrerespectpourcesfemmesetceshommesdévouésaubienpublic... »Messagebienreçu.Quelquesjoursplustard,eneffet,le24octobre,lamanifestation

nocturne des policiers en colère aboutit au pied de la statue dorée de Jeanne d'Arc,près des Tuileries à Paris. Et, comme les Le Pen père et fille chaque 1er-Mai, ilsentonnent une Marseillaise. Le 26 octobre, à Bayonne, des militants frontistess'affichentauxcôtésdesmanifestantspoliciers,distribuantdes tracts« Je soutiens lapolice »auxcouleurstricolores.Cemêmejour,unvisagetrustelesécransdetélé.Untrentenaire,crânerasé,barbenaissante,plutôtbeaugosse,s'exprimevisagedécouvertface aux caméras. Jusqu'à présent, par peur de la sanction administrative, lesmanifestantss'exprimaientmasqués.Leschaînesd'infoencontinutiennentenfinlebonclient,susceptibled'incarnerlemouvement.« Yenamarre !lanceleflic.Onneveutplusdiscuter,onneveutplusdessyndicats,onneveutplusdespolitiques,maintenant,ilsvontlafermeretilsvontnousécouter ! »Lesapplaudissementsfusent.Beauvaunetardepasàidentifierlemeneur.Enréalité,RodolpheSchwartzn'estpaspolicier.Cen'estpasfauted'avoiressayé:ilapasséetratéplusieursfoisleconcoursdegardiendelapaix.Ils'estreconvertidanslasécuritéprivée,commevigile.Ilaégalementétécandidat auxmunicipales de 2014 sur la liste du FN à Paris. L'année précédente, ildéclaraitàl'hebdomadaireMarianne :« Jen'appartiensàaucunparti,maisnous, lespoliciersdeterrain,onestplusextrêmedroite.QuandonécouteMarineLePen,onseditqu'ellearaisonsurlasécurité.Ilfautdurcirleslois. »Robert Paturel lui est bien flic. Ou plutôt l'a été. À soixante-quatre piges « le

Gorille » a raccroché les gants depuis belle lurette. Champion de France de boxe,membre duRAID,mâchoires carrées, yeux bleus sous panache blanc, il affiche desétatsdeservicesanstache.Alorsquelemouvementdespoliciersencolèrechercheàsestructurer,ilaffirmeque« desjeunespoliciersontfaitappelàlui »pourendevenirleporte-parole.« Si jepeuxêtreutile... »Maispas forcémentdésintéressé.Eneffet,« Bob »,quiseprésenteàsesjeunescollèguescomme« apolitique »et« sansétiquettesyndicale », n'est pas vraiment l'oie blanche qu'il prétend être. Lesmanifestants s'enrendentvitecomptelorsqu'ilsdécouvrentcequ'ildéclaraitendécembre2015àBreizh-info,unsiteInternetprochedesmilieuxidentitaires:« Ilfautquelesgenssachentquelesmusulmansserontmajoritairesdansunetrentained'années,peut-êtremoins,vulesflux de réfugiés. Et cette fois nous serons bien contraints de filer doux ou dedisparaître. » La désormais fameuse – et fumeuse – théorie du grand remplacementpopulariséeparl'extrêmedroite.Mais la tentative de noyautage par l'extrême droite dumouvement des policiers en

colère ne se limite pas à chercher à récupérer le poste de porte-parole.Demanièreplus profonde et diffuse, à Lyon, Toulouse, Nantes et sans doute ailleurs, des« collectifs libres et indépendants de la police » voient le jour. Officiellement, ces

structures n'ont rien à voir avec les syndicats et rien à voir nonplus avec les partispolitiques.« Nousneroulonspourpersonne,jureundesesdirigeants.PaspluspourleFN que pour quiconque. » En revanche, une de leurs revendications phares estl'instaurationpourlespoliciers« delaprésomptiondelégitimedéfense ».UnesortedepermisdetuerchèreàLePenetàunepartiedeRépublicains,quipermettraitd'ouvrirlefeuencasde« dangerimminent ».La mesure figure en bonne place dans le programme présidentiel de la leader

d'extrêmedroite.Àpartça,pasgrand-chose.« Lesmoyensdesservicesdepoliceetdegendarmeriedoiventêtreaméliorés. »Etpuis,bienévidemment:« Stopperlesfluxmigratoiresvers laFrance »car« la cartede l'insécurité recoupe largement celledel'immigration ».Etencore,pour finir,« soutenir lespolicierset lesgendarmesquisesententlargementabandonnés ».Unpeucourt.C'estuncommissairedivisionnairequiapondu cela. Olivier Damien anime le « comité d'action programmatique » de lacandidate.Désormaisàlaretraite,iladirigélesyndicatdescommissairesentre2003et 2009. S'il agit le plus souvent dans l'ombre, en mettant discrètement ses réseauxprofessionnelsetsyndicauxauservicedel'état-majorlepéniste,Damienn'hésitepasàen faire ouvertement la promotion sur Internet. Il est ainsi un des contributeurs duRéseauVoltaire, un site néoconservateur et proche de l'extrême droite. L'ancien desRenseignementsgénérauxetdelasécuritépubliqueybrossedanslesensdupoilsesancienscollègues.« Depuisdesmois,ilssontfaceauxmigrants,faceauxdélinquants,face aux terroristes, face aux manifestants les plus violents, écrit-il. La police peutredevenirlacibled'attaquesquivisent,envérité,unpouvoircomplètementdiscrédité,maisquesesdétracteursn'osentpasaffronterdeface.Fautedepouvoirfairetomberungouvernementdontpluspersonneneveut,ons'enprendà l'undespiliersmajeursdenosinstitutions,espérantlaminerainsiunrégimeàboutdesouffle. »Si le FN prétend aimer la police, les flics ne le lui rendent pas toujours bien. En

particulier ceux chargés d'enquêter sur ses affaires financières. À six mois del'échéance présidentielle, le parquet de Paris a ouvert une nouvelle informationjudiciaire à l'appui d'informations fournies par l'agence de renseignement de Bercy,Tracfin.Lanoteconstatedes« fluxfinanciersimportants »,enpériodeélectorale,entrelesmicropartisdesLePenpèreetfilleavecdessociétéscommerciales,prestatairesdumouvementetdirigéespardescadresd'extrêmedroite.Déjàenoctobre,leFNetdeuxdesescadresavaientétérenvoyésdevantuntribunalpourdessoupçonsd'escroquerieauxfraisdel'État,lorsdeslégislativesde2012.Etcen'estpastout.Enjanvier2017,le parquet déclenchait une nouvelle enquête sur des salaires indûment versés à desassistantsparlementairesd'élusdupartid'extrêmedroiteauParlementeuropéen.

1.Enmai2011,leParlementadopteenurgenceundispositifpermettantàunfonctionnairetitulaired'un« emploiàla décision du gouvernement » de lever la limite d'âge fixée à soixante-cinq ans et de travailler deux anssupplémentaires.Cetteloiaétébaptiséedunomdenotrepréfetquiaeusoixante-cinqansle5juin2011.2.Entretiendu21janvier2017.3. Deux juges d'instruction ont été chargés de faire la lumière sur ces événements. Une première vague

d'arrestations,suiviesdemisesenexamen,aeulieuenjanvier2017.L'enquêteesttoujoursencours.4.Lirelechapitre« Lescarottessontcuites ! ».

Beauvau,annéezéro

« Il existe dans le pays de véritables zones de relégation sociale économique etcivique.Ellesabritentuncommunautarismenouveau:celuidesquartiers.Desmodesde vie parallèles, imbrication d'aide sociale, de débrouille et de délinquance,s'installent, se solidifient et tendent à devenir des modèles sociaux parallèlesd'intégration.Notre société semorcelle.D'où l'urgence à agir [...].L'inadaptationdenosdispositifsdesécuritéestpatente.J'acquierslaconvictionqu'ilfautporterlefer.Ilfautnonseulementchangerladoctrined'emploidesforcesdesécurité,maismodifieraussienprofondeurl'organisationdesservicesdepolice,afinderemettrelespolicierssurleterrain1. »Implacable, ce constat est signé du dernier ministre de l'Intérieur de François

Hollande.BrunoLeRoux ledressait ilya... seizeans. JeunedéputédeSeine-Saint-Denis, il faisaitalors sespremièresarmesetplaidaiten faveurd'une« sécuritépourtous ».Ilpourraitécrirelamêmechoseaujourd'hui.Carlasociétésecommunautariseencore et encore.Quant à l'inadaptation et la désorganisationdes forces de sécurité,commenotreenquêtel'adémontré,ellescontinuentd'être« patentes ».C'est dire que ce quinquennat – pas plus que les précédents – n'aura servi à rien.

Malheureusement,lasituationnedevraitpaschangerdanslestempsàvenir.Alorsqueles pin-pon des sirènes des forces de l'ordre se mêlent aux flonflons des meetingsélectoraux, les candidats à la présidentielle ressortent du placard leurs anciennesrecettes.Pourgarantirlecalmedanslepays,toussontpersuadésqu'ilsuffitdegonflerleseffectifsdesforcesdesécurité.LePen,Macron,Fillon,Hamonetlesautressesontlancés dans une surenchère : « recruter plus pour sécuriser plus ». Simplement, ilsdivergentsurlenombredepoliciersetdegendarmesàembaucher.Etc'esttout...Aucund'entre euxnepose lesquestionsqui fâchent.Les forcesde sécurité sont au

bord de l'implosion. Leurs méthodes sont dépassées lorsqu'elles ne sont pascondamnables,commelesmortsdeRémiFraisseetd'AdamaTraoréet lesblessuresindélébilesdeThéoL. l'ontdramatiquement rappelé.Le rapportà lapopulations'estdégradé : François Hollande avait fait pourtant de cette question son trentième

engagementetpromisde« remettredelapolicedeproximitédanslesquartiers »,de« luttercontrelescontrôlesaufaciès »comme« contretouteslesdiscriminations ».Lesmenacesterroristes,l'étatd'urgence,lescrisessocialesetmigratoiresontépuisé

policiersetgendarmes.Àcelas'ajoutentdescommissariatsdélabrés,voireinsalubres,des voitures hors d'âge, des ordinateurs du siècle dernier, etc. Sans compter laformation insuffisante, le poids grandissant des procédures judiciaires etl'incompréhension croissante avec les services de la Justice... Ce profond malaises'accentue en raison d'une cogestion obsolète entre l'administration et les syndicats.Uneorganisationabsurdepourlegrandpublic,etquifavorisel'irresponsabilitédesesacteurs.Bref, commeen témoigneunhaut fonctionnaire aprèspresque trente ansdebons et

loyaux services : « L'Intérieur s'est considérablement abîmé. Il faut tout raser, toutrepenser. Ça ne sert à rien de ripoliner. Il n'y a que les fondations à conserver. »Ministre de l'Intérieur pendant plus de quatre ans, avant qu'il eût rejoint Matignon,BernardCazeneuveenafaitl'aveu.Le14février2017,enmarged'undéplacementàBruxelles, il confiait sur RFI : « C'est long de reconstruire une police. » Il en vapourtantdelacohésionetdudéveloppementdenotresociété.C'estpourquoi,peut-êtreplusquejamais,laprésidentiellepasseparl'Intérieur.

1.LaSécuritépourtous,uneexigencedejusticesociale,Balland,2001.

Organigrammedesservicesdesécuritéfrançais

Glossairedessiglesetacronymes

BRI : Brigade de recherche et d'intervention. Seule unité d'élite dotée d'une

compétencedepolicejudiciaire,elledépenddupréfetdepolicedeParis.SonpatronactuelestlecommissaireChristopheMolmy.CNAPS:Conseilnationaldesactivitésprivéesdesécurité.Cetétablissementpublic

sous tutelle du ministère de l'Intérieur est chargé d'agréer et de contrôler lesprofessions en sécurité privée. Son directeur est un préfet, actuellement Jean-PaulCelet.CNR:Coordinateurnationaldurenseignement.Depuis2016,leposteestoccupépar

lepréfetYannJounot.DACG : Direction des affaires criminelles et des grâces, directement placée sous

l'autoritédugardedesSceaux,elleestsouslahoulettedumagistratRobertGelli.DCI : Direction de la coopération internationale. Sous l'autorité conjointe des

directeursdelapolicenationaleetdelagendarmerie,elleestimplantéedanscentpaysoùœuvrentpoliciersetgendarmesexpatriés,etdirigéeparl'inspecteurgénéralÉmilePérez.DCRI:Directioncentraledurenseignementintérieur,devenueDGSIenmai2014.DGGN:Directiongénéraledelagendarmerienationale.En2016,legénéralRichard

LizureyasuccédéaugénéralDenisFavier,aupostedeDGGN.DGPN : Direction générale de la police nationale. Elle dépend directement du

ministredel'Intérieur.LeDGPN,aujourd'huiJean-MarcFalcone,dirigetoutelapolicenationale.DGSE:Directiongénéraledelasécuritéextérieure.Placéesousl'autoritéduministre

delaDéfense,elleobéit,depuisavril2013,audiplomateBernardBajolet.DGSI : Direction générale de la sécurité intérieure. Son patron, Patrick Calvar, a

précédemmentdirigélaDCRI.DNRA:Divisionnationalederechercheetd'appui,crééesurlemodèledelaSORS,

lebrasarmédesanciensRenseignementsgénéraux.Desonpetitnom:laD7.

DNRED:Directionnationaledurenseignementetdesenquêtesdouanières.Elleest,avecTracfin, l'undesdeux servicesde renseignementduministèrede l'Économie etdesFinances.Directeuractuel:Jean-PaulGarcia.DRM : Direction du renseignement militaire. Relève de la Défense. À sa tête, le

généralChristopheGomart.DRPP:Directiondurenseignementdelapréfecturedepolice,enchargedesaffaires

liéesaurenseignementsurlacapitaleetsarégion.L'actueldirecteurdurenseignementestRenéBailly.DRSD :Directiondu renseignement etde la sécuritéde ladéfense.L'ex-DPSDest

dirigéeparlegénéralJean-FrançoisHogard.Commesonnoml'indique,elledépendduministèredelaDéfense.DSPAP:Directiondelasécuritédeproximitédel'agglomérationparisienne,sousla

houlettedeJacquesMeric,elleestcompétentesurParis,lesHauts-de-Seine,laSeine-Saint-DenisetleVal-de-Marne.DST :Directionde la surveillancedu territoire.En2008, elle a fusionné avec les

RenseignementsgénérauxpourdonnernaissanceàlaDCRI,devenuedepuisDGSI.GIGN:Groupementd'interventiondelagendarmerienationale.Cetteforced'éliteest

conduiteparlecolonelHubertBonneau.IGPN:Inspectiongénéraledelapolicenationale.DirectementrattachésàlaDGPN,

les« bœuf-carottes »sontdirigésdepuis2012,parMarie-FranceMonéger.PJ : Police judiciaire. Elle relève de la direction centrale de la police nationale.

ActuelDCPJ,MireilleBallestrazzi.PP:PréfecturedepolicedeParis.LepréfetdepoliceactuelestMichelCadot.RAID:AcronymedeRecherche,assistance,interventionetdissuasion.L'unitéd'élite

delapolicenationaleestdirigéeparJean-MichelFauvergue.RG:Renseignementsgénéraux.Ilsontdisparusen2008aumomentdelacréationde

laDCRI.SDAO:Sous-directiondel'anticipationopérationnelle.Crééeendécembre2013par

lagendarmerienationalepourfairedurenseignementterritorial.Àsatête:legénéralPierreSauvegrain.Tracfin :Cellulede traitementetactioncontre lescircuits financiersclandestinsdu

ministère de l'Économie et des Finances, elle a pour directeur un magistrat, BrunoDalles.

Remerciements

Àtoutescellesettoutceuxquiontpermis,d'unefaçonoud'uneautre,larédactiondecetouvrage.Qu'elleset ils reçoivent,aveccesquelques lignes, l'expressiondenotresincèregratitude.UnsalutconfraternelànoscomplicesduCanardenchaîné.