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CHALEURS DE LACTATION CHEZ LA TRUIE : MYTHE OU REALITE ? Avon J. 2 , Sallé E. 1 , Laval A. 2 , Auvigne V. 3 (1) CEVA, BP 126, 33501 Libourne (2) ENVN, BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03 (3) EKIPAJ, 4 allée Charles Gounod, 35760 Saint Grégoire Introduction La physiologie de la reproduction de la truie est caractérisée par une inhibition du cycle folliculaire et du comportement d’œstrus pendant la lactation. Cependant, l’existence de "chaleurs de lactation" est décrite dans la littérature. Elles ont été observées dans le cadre de protocoles expérimentaux comportant des stimuli particuliers tels que la mise en œuvre d’un "allaitement intermittent" ou la présentation d’un verrat (1). Dans ce cadre, les objectifs de cette étude sont de : - Déterminer, dans des élevages de production, si les chaleurs de lactation sont une cause d’allongement de l’Intervalle Sevrage Oestrus (ISO) - Evaluer si les chaleurs de lactation ont un impact sur la fécondité. Matériels et méthodes Le protocole est basé sur les hypothèses suivantes : - Les chaleurs de lactation sont suivies par un cycle oestral normal comprenant une phase lutéale de 16 jours ; - Ce cycle oestral n’est pas interrompu par le sevrage. La première chaleur après le sevrage est donc décalée ; - Au cours d’une phase lutéale, la présence du corps jaune peut être détectée, par dosage de la progestérone, du 6 ème au 14 ème jour suivant l’ovulation. De ces hypothèses on déduit qu’un dosage de la progestérone au sevrage permet de détecter les chaleurs de lactation qui ont eu lieu entre 14 et 5 jours avant le sevrage. On considère donc qu’une truie a présenté une chaleur de lactation si son ISO est compris entre 7 et 22 jours (après 22 jours on suppose que la première insémination est réalisée au 2 ème cycle oestral) et s’il est établi par dosage de la progestérone qu’elle présentait un corps jaune au sevrage. L’étude est réalisée dans 7 élevages de production où sont observées des venues tardives de chaleurs après sevrage. Ces élevages sont sélectionnés parmi les élevages suivis en GTTT de 2 groupements de producteurs. Les élevages doivent : ne pas pratiquer de traitements hormonaux au sevrage, noter les dates de saillies, avoir pendant 4 semestres successifs au minimum 7 % d’ISO entre 7 et 22 jours et / ou un pourcentage anormalement élevé de retours irréguliers. Dans chaque élevage un prélèvement sanguin est réalisé le jour du sevrage sur l’ensemble des truies de 2 à 4 bandes. Les prélèvements sont centrifugés dans l’heure et le plasma est congelé. L’intervalle Sevrage Saillie Première (ISS1) est relevé pour chaque truie. Dans le cadre de cette étude, l’ISS1 est assimilé à l’intervalle sevrage oestrus (ISO). Au total, 540 truies sont prélevées et 492 sont incluses dans l’étude (20 à 181 truies par élevage). Les critères d’exclusion sont : un ISO non compris entre 4 et 22 jours, un traitement hormonal dans les 7 jours suivant le sevrage, une quantité insuffisante de sérum. Les sevrages sont réalisés majoritairement à 4 (58 % des truies) ou à 3 (37 %) semaines de lactation. Les truies ayant un ISO compris entre 7 et 22 jours sont dites "ISO Long". Pour chaque truie "ISO Long", une truie "ISO Normal" est choisie parmi les truies ayant un ISO compris entre 4 et 6 jours. Le témoin est apparié sur la bande et le rang de portée. S’il n’existe pas de truie à "ISO Normal" du même rang de portée une truie de parité supérieure est choisie. Un diagnostic de gestation par échographie est réalisé 4 semaines après l’insémination. L’ensemble des plasmas des truies "ISO Long" et "ISO Normal" est analysé au laboratoire d’analyses hormonales de l’INRA de Nouzilly. L’analyse est quantitative avec un seuil de positivité (2,3 ng/ml) permettant de déterminer si une truie est cyclée (positive). Résultats 66 truies (13 %) ont présenté un ISO Long. La proportion d’ISO Long est nettement supérieure dans l’élevage G (23 %) par rapport aux autres élevages (8 %). Cet élevage représente une part importante de l’échantillon (37 %). Dans cet élevage, il y a une relation entre parité et ISO Long (Fischer, p <0.0001) alors qu’il n’y en a pas dans les autres élevages (Figure 1). 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% Primipares Multipares Primipares Multipares % ISO Long Progesterone négatif Progesterone positif Elevage G Autres élevages Figure 1 : Relation entre parité et ISO long La relation entre ISO et progestéronémie est très significative (Tableau 1, χ 2 p<0.0001). La proportion de truies à progestéronémie positive parmi les "ISO Long" est moins importante dans l’élevage G (15 %) que dans les autres élevages (40 %) (Figure 1). L’incidence des chaleurs de lactation confirmées est de 3,3 % dans la population des 492 truies étudiées. Cette incidence n’est pas différente entre l’élevage G et les autres élevages. Progestérone Négatif Positif Long 50 16 66 76% 24% Normal 66 0 66 ISO 100% 0% Tableau 1 : Relation entre ISO et progestéronémie Le résultat du diagnostic de gestation est connu pour 97 % des truies analysées, dont 13 des 16 truies présentant une chaleur de lactation (ISO Long et progestéronémie positive). La gestation est confirmée pour 98 % des truies, dont 12 des 13 truies présentant une chaleur de lactation. Discussion Cette étude a permis de confirmer l’existence de chaleurs de lactation dans des élevages de production. L’absence de truies à progestéronémie positive parmi les truies à ISO Normal permet de confirmer la spécificité de la méthode utilisée. Il est important de réaliser un diagnostic différentiel avec les autres causes d’ISO Long, en particulier le syndrome de deuxième portée. La comparaison de l’incidence des ISO Longs entre les primipares et les multipares permet ce diagnostic différentiel. Dans les 6 élevages où il n’y a pas de syndrome de deuxième portée, les chaleurs de lactation sont la cause de 40 % des ISO Longs. Il s’agit vraisemblablement d’un chiffre minimal car la progestéronémie a été mesurée uniquement au sevrage, ce qui ne permettait pas de détecter les chaleurs intervenant moins de 5 jours ou plus de 14 jours avant le sevrage. Cette incidence des chaleurs de lactation est à mettre en relation avec l’efficacité sur le regroupement des chaleurs de l’administration d’une prostaglandine de synthèse (Alfabedyl ) au sevrage (2). On peut poser l’hypothèse que les prostaglandines ont une action lutéolytique sur les corps jaunes présents au sevrage. La relation entre l’imprégnation hormonale de lactation et la sensibilité des corps jaunes à la lutéolyse reste cependant à préciser. Bibliographie 1- MOTA D. et al. Anim. Reprod. Sci., 72 ,(2002), 115-124 2- GAMBADE P et al. Lettre porcine 17(1), (2005), 5-6 Remerciements Les auteurs remercient P. Gambade, J. Collet, B. Boivent et E. Gérard pour leur participation à la conception et la discussion de cette étude.

Chaleurs de lactation chez la truie : mythe ou réalité ?

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CHALEURS DE LACTATION CHEZ LA TRUIE : MYTHE OU REALITE ?

Avon J. 2, Sallé E. 1, Laval A.2, Auvigne V.3 (1) CEVA, BP 126, 33501 Libourne

(2) ENVN, BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03 (3) EKIPAJ, 4 allée Charles Gounod, 35760 Saint Grégoire

Introduction La physiologie de la reproduction de la truie est caractérisée par une inhibition du cycle folliculaire et du comportement d’œstrus pendant la lactation. Cependant, l’existence de "chaleurs de lactation" est décrite dans la littérature. Elles ont été observées dans le cadre de protocoles expérimentaux comportant des stimuli particuliers tels que la mise en œuvre d’un "allaitement intermittent" ou la présentation d’un verrat (1). Dans ce cadre, les objectifs de cette étude sont de : - Déterminer, dans des élevages de production, si les chaleurs de lactation sont

une cause d’allongement de l’Intervalle Sevrage Oestrus (ISO) - Evaluer si les chaleurs de lactation ont un impact sur la fécondité.

Matériels et méthodes Le protocole est basé sur les hypothèses suivantes : - Les chaleurs de lactation sont suivies par un cycle oestral normal comprenant une

phase lutéale de 16 jours ; - Ce cycle oestral n’est pas interrompu par le sevrage. La première chaleur après

le sevrage est donc décalée ; - Au cours d’une phase lutéale, la présence du corps jaune peut être détectée, par

dosage de la progestérone, du 6ème au 14 ème jour suivant l’ovulation. De ces hypothèses on déduit qu’un dosage de la progestérone au sevrage permet de détecter les chaleurs de lactation qui ont eu lieu entre 14 et 5 jours avant le sevrage. On considère donc qu’une truie a présenté une chaleur de lactation si son ISO est compris entre 7 et 22 jours (après 22 jours on suppose que la première insémination est réalisée au 2ème cycle oestral) et s’il est établi par dosage de la progestérone qu’elle présentait un corps jaune au sevrage. L’étude est réalisée dans 7 élevages de production où sont observées des venues tardives de chaleurs après sevrage. Ces élevages sont sélectionnés parmi les élevages suivis en GTTT de 2 groupements de producteurs. Les élevages doivent : ne pas pratiquer de traitements hormonaux au sevrage, noter les dates de saillies, avoir pendant 4 semestres successifs au minimum 7 % d’ISO entre 7 et 22 jours et / ou un pourcentage anormalement élevé de retours irréguliers. Dans chaque élevage un prélèvement sanguin est réalisé le jour du sevrage sur l’ensemble des truies de 2 à 4 bandes. Les prélèvements sont centrifugés dans l’heure et le plasma est congelé. L’intervalle Sevrage Saillie Première (ISS1) est relevé pour chaque truie. Dans le cadre de cette étude, l’ISS1 est assimilé à l’intervalle sevrage oestrus (ISO). Au total, 540 truies sont prélevées et 492 sont incluses dans l’étude (20 à 181 truies par élevage). Les critères d’exclusion sont : un ISO non compris entre 4 et 22 jours, un traitement hormonal dans les 7 jours suivant le sevrage, une quantité insuffisante de sérum. Les sevrages sont réalisés majoritairement à 4 (58 % des truies) ou à 3 (37 %) semaines de lactation. Les truies ayant un ISO compris entre 7 et 22 jours sont dites "ISO Long". Pour chaque truie "ISO Long", une truie "ISO Normal" est choisie parmi les truies ayant un ISO compris entre 4 et 6 jours. Le témoin est apparié sur la bande et le rang de portée. S’il n’existe pas de truie à "ISO Normal" du même rang de portée une truie de parité supérieure est choisie. Un diagnostic de gestation par échographie est réalisé 4 semaines après l’insémination. L’ensemble des plasmas des truies "ISO Long" et "ISO Normal" est analysé au laboratoire d’analyses hormonales de l’INRA de Nouzilly. L’analyse est quantitative avec un seuil de positivité (2,3 ng/ml) permettant de déterminer si une truie est cyclée (positive).

Résultats 66 truies (13 %) ont présenté un ISO Long. La proportion d’ISO Long est nettement supérieure dans l’élevage G (23 %) par rapport aux autres élevages (8 %). Cet élevage représente une part importante de l’échantillon (37 %). Dans cet élevage, il y a une relation entre parité et ISO Long (Fischer, p <0.0001) alors qu’il n’y en a pas dans les autres élevages (Figure 1).

0%

10%

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Primipares Multipares Primipares Multipares

% I

SO L

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Progesterone négatif

Progesterone positif

Elevage G Autres élevages

Figure 1 : Relation entre parité et ISO long

La relation entre ISO et progestéronémie est très significative (Tableau 1, χ2 p<0.0001). La proportion de truies à progestéronémie positive parmi les "ISO Long" est moins importante dans l’élevage G (15 %) que dans les autres élevages (40 %) (Figure 1). L’incidence des chaleurs de lactation confirmées est de 3,3 % dans la population des 492 truies étudiées. Cette incidence n’est pas différente entre l’élevage G et les autres élevages.

Progestérone

Négatif Positif

Long 50 16 66

76% 24%

Normal 66 0 66ISO

100% 0% Tableau 1 : Relation entre ISO et progestéronémie

Le résultat du diagnostic de gestation est connu pour 97 % des truies analysées, dont 13 des 16 truies présentant une chaleur de lactation (ISO Long et progestéronémie positive). La gestation est confirmée pour 98 % des truies, dont 12 des 13 truies présentant une chaleur de lactation.

Discussion Cette étude a permis de confirmer l’existence de chaleurs de lactation dans des élevages de production. L’absence de truies à progestéronémie positive parmi les truies à ISO Normal permet de confirmer la spécificité de la méthode utilisée. Il est important de réaliser un diagnostic différentiel avec les autres causes d’ISO Long, en particulier le syndrome de deuxième portée. La comparaison de l’incidence des ISO Longs entre les primipares et les multipares permet ce diagnostic différentiel. Dans les 6 élevages où il n’y a pas de syndrome de deuxième portée, les chaleurs de lactation sont la cause de 40 % des ISO Longs. Il s’agit vraisemblablement d’un chiffre minimal car la progestéronémie a été mesurée uniquement au sevrage, ce qui ne permettait pas de détecter les chaleurs intervenant moins de 5 jours ou plus de 14 jours avant le sevrage. Cette incidence des chaleurs de lactation est à mettre en relation avec l’efficacité sur le regroupement des chaleurs de l’administration d’une prostaglandine de synthèse (Alfabedyl) au sevrage (2). On peut poser l’hypothèse que les prostaglandines ont une action lutéolytique sur les corps jaunes présents au sevrage. La relation entre l’imprégnation hormonale de lactation et la sensibilité des corps jaunes à la lutéolyse reste cependant à préciser.

Bibliographie 1- MOTA D. et al. Anim. Reprod. Sci., 72 ,(2002), 115-124 2- GAMBADE P et al. Lettre porcine 17(1), (2005), 5-6 Remerciements Les auteurs remercient P. Gambade, J. Collet, B. Boivent et E. Gérard pour leur participation à la conception et la discussion de cette étude.