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Cours de SES – Terminale – 2014-2015 E. Martin Chapitre 12 : quelles politiques pour l'emploi ? En février 2015, le taux de chômage en France est de 10,6%, d'après Eurostat (l'office européen des statistiques, équivalent de l'INSEE pour toute l'Union européenne). Comme le montrent les données d'Eurostat, les taux de chômage au sein de la zone euro évoluent de manière sensiblement différente. Ainsi, l'Allemagne a actuellement un taux de chômage inférieur à 5%. Cela tient pour partie à des avantages structurels de l'économie allemande (compétitivité prix et hors-prix, demande intérieure et extérieure fortes), mais aussi à des choix politiques différents. On sait par exemple que les chômeurs allemands sont plus étroitement contrôlés et forcés d'accepter des « minijobs », très peu payés (5 ou 6 euros de l'heure parfois) mais qui réduisent, de fait, le nombre d'inscrits sur les listes de demandeurs d'emploi. Au 31 mars, on comptait 6,6 millions de minijobs en Allemagne. À l'inverse, en France, le taux de chômage reste élevé notamment parce que les chômeurs ne sont pas forcés, autant que dans d'autres pays, d'accepter n'importe quel emploi mal payé. On voit donc que le taux de chômage est l'indice d'un problème qui n'a pas une seule solution facile à appliquer et indolore, au contraire : lutter contre le chômage de masse suppose des choix de politiques publiques qui ne relèvent pas uniquement de l'application aveugle d'une recette universelle. À partir de ces chiffres inquiétants, on peut se poser 3 questions importantes : Quelle est la réalité du chômage et quel chiffre doit-on prendre en compte ? Comment lutter contre ce chômage en forte augmentation ? Quelles sont les conséquences de ce fort chômage sur l’emploi en général ? 1

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Chapitre 12 : quelles politiques pour l'emploi ?

En février 2015, le taux de chômage en France est de 10,6%, d'après Eurostat (l'officeeuropéen des statistiques, équivalent de l'INSEE pour toute l'Union européenne).

Comme le montrent les données d'Eurostat, les taux de chômage au sein de la zone euroévoluent de manière sensiblement différente. Ainsi, l'Allemagne a actuellement un taux dechômage inférieur à 5%. Cela tient pour partie à des avantages structurels de l'économieallemande (compétitivité prix et hors-prix, demande intérieure et extérieure fortes), mais aussi àdes choix politiques différents. On sait par exemple que les chômeurs allemands sont plusétroitement contrôlés et forcés d'accepter des « minijobs », très peu payés (5 ou 6 euros del'heure parfois) mais qui réduisent, de fait, le nombre d'inscrits sur les listes de demandeursd'emploi. Au 31 mars, on comptait 6,6 millions de minijobs en Allemagne.

À l'inverse, en France, le taux de chômage reste élevé notamment parce que les chômeursne sont pas forcés, autant que dans d'autres pays, d'accepter n'importe quel emploi mal payé.

On voit donc que le taux de chômage est l'indice d'un problème qui n'a pas une seulesolution facile à appliquer et indolore, au contraire : lutter contre le chômage de masse supposedes choix de politiques publiques qui ne relèvent pas uniquement de l'application aveugle d'unerecette universelle.

À partir de ces chiffres inquiétants, on peut se poser 3 questions importantes : Quelle est la réalité du chômage et quel chiffre doit-on prendre en compte ? Comment lutter contre ce chômage en forte augmentation ? Quelles sont les conséquences de ce fort chômage sur l’emploi en général ?

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Section 1 : la réalité et la dynamique du chômage

1.1. Chiffres et réalité du chômage (ou plutôt des chômages)

Les deux indicateurs les plus utiles dans le domaine de l’emploi sont bien entendu les tauxd’activité et taux de chômage. Petit rappel de ces deux indicateurs :

Taux d’activité = Actifs/Population de 15-64 ans × 100

Taux de chômage = chômeurs/population active × 100

Un chômeur est une personne sans emploi à la recherche d’un emploi. Sur le marché du travail, lechômage apparaît lorsque la demande d’emplois des travailleurs (offre de travail) est supérieureaux offres d’emplois des entreprises (demande de travail). Ce qui revient à dire que lapopulation active augmente plus vite que le nombre d’emplois. La définition et le calculsemblent simples mais ils se compliquent lorsque l’on veut préciser la réalité des différentespopulations qui font partie des chômeurs. Il existe plusieurs types de définition du chômage :

Selon le Bureau international du travail (BIT), les chômeurs sont les personnes âgées de15 à 64 ans qui étaient :

sans emploi pendant la semaine de référence (ne pas avoir travaillé une heure) ; disponibles pour travailler, c’est-à-dire pour commencer une activité en tant que salarié

ou non-salarié dans un délai de deux semaines suivant la semaine de référence ; à la recherche active d’un emploi, c’est-à-dire qui avaient entrepris des démarches

spécifiques en vue de trouver un emploi salarié ou non salarié pendant une période dequatre semaines se terminant à la fin de la semaine de référence, ou qui avaient trouvé untravail à commencer plus tard, c’est-à-dire dans une période maximale de trois mois.

Dans de nombreux pays, la statistique du chômage connaît la cohabitation d’une définitioninternationale proposée par le Bureau international du travail (BIT) et de définitions locales propresaux organismes nationaux.

En France, le Pôle emploi recense, à la fin de chaque mois, les demandeurs d'emploiinscrits dont la demande n'a pas été satisfaite. Il s'agit d'une mesure administrative duchômage, qui obéit à une logique de gestion et de réglementation. La mesure de base estconstituée, depuis mars 2009, par les demandeurs d'emploi en fin de mois de catégorie A, laDEFM catégorie A :

personne sans emploi (n'ayant pas exercé aucune activité) et inscrite à Pôle emploi, immédiatement disponibles, à la recherche d'un emploi (tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi).

La définition de Pôle emploi qui sert de base à la publication des chiffres officiels du chômage esttrès restrictive. Elle ne prend pas en compte des demandeurs d'emplois qui ne répondent pas àces critères stricts :

Les catégories B et C sont des personnes sans emploi ayant eu dans le mois uneactivité réduite (moins de 78 heures) ou longue (plus de 78 heures), et qui recherchentactivement un emploi.

Les catégories D et E sont également des demandeurs d'emplois qui sont provisoirementoccupés, soit parce qu'ils sont en formation, soit parce qu'ils "bénéficient" d'un contrataidé.

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Document 1 : Demandeurs d'emploi en fin de mois en France (en milliers)

Source : Dares (direction des études et de la rercherche du ministère du travail)

Au total, le nombre total de chômeurs en France fin mars 2015 est de 5 290 500, toutescatégories confondues. Mais si on ne prend effectivement en compte que la catégorie A, alors lenombre de chômeurs est de 3 509 800 selon la Dares. Dans tous les cas, le nombre de chômeurs« réels » a progressé plus vite depuis les années 1980 que le nombre de chômeurs« officiels ».

Résumé des chiffres du chômage, en décembre 2012 selon les sources et les définitions :

Nombre de chômeurs selon le BIT 2 900 000Nombre de chômeurs catégorie A (Dares) 3 509 800Nombre de chômeurs toutes catégories (Dares) 5 290 500

Une des difficultés dans la mesure du chômage réside précisément à la croisée de l’emploi,de l’inactivité et du chômage, certaines populations naviguant entre ces trois domaines. C’est lephénomène du « halo » du chômage.

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Document 2. Le halo du chômage

Trouvez des exemples pour les 4 zones identifiées

On parle de « sous-emploi » pour regrouper ces situations de temps partiel subi etde chômage partiel. Les salariés dans cette situation vivent généralement dans une situationprécaire. On parle également de « travailleurs pauvres » pour les désigner.

En conclusion, les statistiques nationales du chômage sont à prendre avec des pincettes.D’une part, elles dépendent de définitions retenues pour mesurer le phénomène (ainsi, en 2007,en pleine campagne électorale, on a pu assister à une polémique sur les chiffres retenus parl'INSEE pour mesurer le chômage). La définition du chômage est donc une convention quipeut changer d'une société à l'autre et d'une époque à l'autre même si le BIT essaye del'unifier. D’autre part, elles sont peu comparables d’un pays à l’autre car elles reflètent dessystèmes sociaux différents : il suffit d’assurer des revenus sociaux aux handicapés pour qu’ils nesoient pas chômeurs comme en Grande Bretagne ou aux Pays-Bas, par exemple.

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1.2. Les inégalités face au chômage

Document 3. Inégalités des situations face au chômage

Il est nécessaire de signaler les limites du seul indicateur du taux de chômage lorsqu’oncherche à caractériser le marché du travail. Selon les catégories de main-d’œuvre, le chômagepeut être long et concentré sur certaines personnes, il peut au contraire être court et davantagediffusé. Un même taux de chômage peut ainsi recouvrir des fonctionnements très différents dumarché du travail, selon qu’il résulte plutôt d’un risque élevé de tomber au chômage (notion devulnérabilité) ou plutôt de difficultés sérieuses à en sortir (notion d’employabilité). Pour démêlerces deux aspects et caractériser de façon plus précise les évolutions depuis vingt-cinq ans, onpeut alors bâtir :

- Un indice de vulnérabilité au chômage : ce sera le flux mensuel de tombée en chômagerapporté à l’emploi ;

- Un indice d’inemployabilité des chômeurs, qui indique les difficultés de reclassement :ce sera la part des chômeurs depuis plus d’un an.

Source : Olivier Marchand et Claude Thélot (1997), Le travail en France (1800-2000). Paris : Nathan

Taux de chômage par sexe, âge, et diplôme en 2007 (en %)

Hommes Femmes 15-24ans

25-54ans

55-64ans

Peudiplômé

Diplôme Trèsdiplômé

USA 4,8 4,6 10,5 3,7 3,1 7,9 4,1 3,1Japon 4,1 3,9 7,7 3,7 3,4 6,1 4,4 3,0France 7,5 8,6 18,7 6,9 5,1 10,1 8,0 5,1UK 5,6 4,9 14,4 3,7 3,3 6,9 3,9 2,4

Source : OCDE 2008

Part du chômage de longue durée dans le total du chômage (en %) et durée moyenne duchômage (en mois)

1990 2007 Durée en 2007États-Unis 5,5 10 3,9Japon 19,1 32 4,6France 38,1 40,4 13,8Royaume-Uni 34,4 24,7 4,2

Source : OCDE 2008

Q1/ Comment peut-on définir l’employabilité et la vulnérabilité ?

Q2/ Quelle relation pouvez-vous faire entre le chômage et les différentes variables du premiertableau de ce document ?

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Q3/ La probabilité de sortir du chômage est-elle la même dans tous les pays ?

1.3. La dynamique du chômage

Non seulement le chômage recouvre des situations très différentes, mais il faut aussicomprendre que les situations évoluent très rapidement, que ce soit pour les chômeurs ou pourles entreprises. Les flux de création et de destruction d’emplois sont importants, c'est-à-dire qu’ilexiste une véritable dynamique sur le marché du travail.

Document 4. Les flux importants de créations et de destructions d’emplois

En France, tous les ans, 2,3 millions d’emplois disparaissent. Ramenée à l’échellequotidienne, l’ampleur du carnage est impressionnant : chaque jour ouvrable, la France perd10 000 emplois ; 10 000 par jour, c’est l’emploi d’une ville comme Fécamp, c’est 7 par minute. Ace rythme, il n’y aura plus aucun emploi en France dans moins de sept ans ! Voilà des chiffres quipourraient facilement convaincre n’importe qui, de bonne foi mais partiellement informé, del’inéluctable fin du travail. Heureusement, ce point de vue oublie une moitié de l’histoire. La moitiéomise est pourtant tout aussi intéressante. Elle se résume en une phrase : chaque jour, la Francecrée 10 000 emplois.

Tout compte fait, la vérité est beaucoup plus déconcertant que la banale fin du travail sisouvent annoncée. Les créations et les destructions d’emplois sont gigantesques et, bon an malan, parviennent à s’équilibrer. Ainsi, en 2002, en France, la croissance nette de l’emploi –mesurée par la différence entre les créations et les destructions – a été de 60 000 emplois, soit0,4% des effectifs. L’année 2002 n’est pas exceptionnelle. Elle reflète assez bien la situationmoyenne du marché du travail depuis plusieurs décennies. Entre 1970 et 2000, l’économiefrançaise a détruit, chaque année, approximativement 15% de ses postes de travail… et en a créé15,5%, de manière à assurer une croissance nette de l’emploi de 0,5% par an. En 2000, année laplus faste depuis plus de cinquante ans en France, la croissance nette des effectifs n’a atteint que2,5%, ce qui est faible au regard des 15% d’emplois détruits chaque année.

La prise de conscience de l’ampleur des créations et des destructions d’emplois estrécente. […] La présence simultanée d’un si grand nombre de destructions et de créationsd’emplois a surpris les économistes. Ils durent alors rendre hommage à un de leurs illustresprédécesseurs, l’Autrichien Joseph Schumpeter qui, ne possédant pourtant que des donnéeséparses, avait compris, dans les années 1940, que ce processus qu’il baptisa de « destructioncréatrice » était le principal moteur de la croissance, mais aussi une des principales causes duchômage. Une autre surprise des chercheurs fut de découvrir que ces mouvements d’emploisétaient sensiblement identiques dans tous les pays industrialisés. Pour s’en tenir à l’essentiel, il ya quelque pertinence à invoquer une « loi des 15% » qui s’énoncerait de la manière suivante : àl’échelle d’une nation, chaque année environ 15% des emplois disparaissent et chaque annéeenviron 15% d’emplois nouveaux apparaissent.

Source : Pierre Cahuc et André Zylberberg (2005), Le chômage, fatalité ou nécessité ? Paris :Flammarion, coll. Champs.

Q1/ Qu’est-ce que la « loi des 15% » ?

Q2/ Pourquoi les deux auteurs rapprochent-ils ce phénomène du concept développé par

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Schumpeter de « destruction créatrice » ?

Q3/ Tentez d’expliquer pourquoi il y a autant de destructions et de créations d’emplois chaque jour.

Pour Schumpeter, le progrès technique engendre la création et le développementd’entreprises innovantes, au détriment des entreprises en difficulté dans des secteurs moinsinnovants et plus traditionnels. Il ne faut pas non plus oublier les milliers d’entrepreneurs qui créentune entreprise (innovante ou non) chaque année, et embauchent donc de nouveaux personnels.On en arrive à ce chiffre impressionnant de 10 000 créations et 10 000 destructionsd’emplois chaque jour.

Mais il ne faut pas oublier les nombreuses décisions individuelles de salariés quisouhaitent changer de poste (pour de meilleures conditions de travail, pour un meilleur salaire, oupour changer de métier), ou qui doivent partir à la retraite. Chaque jour, 30 000 personnes quittentleur emploi… et 30 000 en retrouvent.

En définitive, la gestion de la main d’œuvre dans une entreprise est marquée par unnombre considérable d’embauches et de départs simultanés. En moyenne, une entreprise qui créeun seul emploi embauche trois personnes et se sépare de deux autres.

Document 5 : Emplois non pourvus et chômage coexistent parfois

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Le niveau de chômage est un solde qui résulte des flux importants de créations et dedestructions d’emplois. Il est à noter qu’une création d’emploi ne fait pas toujours baisser lechômage car la rencontre entre offreurs et demandeurs (l'appariement) ne se réalise pas sifacilement : la localisation du poste, les horaires, le niveau de salaire, la qualification requisepeuvent ne pas convenir aux demandeurs d’emplois. Le chômage est donc une dynamiquerecouvrant de très nombreuses situations. Il faut bien avoir en tête ce fait économique avantd’aborder les politiques mises en œuvre en faveur de l’emploi.

Section 2 : Comment lutter contre le chômage ?

Les différentes politiques mises en œuvre pour lutter contre le chômage ont des sourcesthéoriques différentes : dans une optique libérale, on privilégiera l'allègement du coût du travailet la flexibilisation du marché, tandis que les keynésiens préconisent le soutien de lademande globale.

L'efficacité de ces politiques n'est pas qu'une question de débat théorique : danscertaines situations, il ne sert à rien de flexibiliser le marché du travail si la demande globale estdéprimée, par exemple. Mais le choix des instruments est également un choix politique, quiconsiste à déterminer qui seront les gagnants et les perdants des réformes.

2.1. Par des politiques d'allègement du coût du travail

Les libéraux expliquent le chômage par l’existence de nombreuses institutions empêchantle salaire de jouer son rôle de variable d’ajustement sur le marché du travail. Le salaire seraitdonc trop rigide et trop élevé. Les libéraux préconisent donc un allègement du coût dutravail, de sorte que les entreprises puissent restaurer 2 éléments :

Soit leur compétitivité prix en baissant les prix Soit leur profit, pour ainsi relancer leurs investissements. « Les profits d’aujourd’hui sont

les investissements de demain, et les emplois d’après-demain » disait H. Schmidt, lechancelier allemand des années 1970.

Encore faut-il savoir si le coût du travail est réellement élevé en France.

Document 6 : le coût du travail en France comparé à l'Allemagne

Créer de l’emploi coûtera-t-il bientôt plus cher en Allemagne qu’en France ? Nous n’y sommespas encore mais l’écart se réduit de plus en plus entre les deux pays

Le coût du travail, c’est ce qu’une entreprise paie réellement pour employer un salarié (c’estl’addition du salaire brut + les charges patronales). Selon les statistiques officielles publiées hier àBerlin, au deuxième trimestre (entre avril et juin), ces coûts en Allemagne ont progressé à leurrythme le plus élevé depuis plus d’un an (+1,7%), alors qu’ils stagnent en France.A la longue, cette tendance va finir par rendre les produits allemands plus chers donc, rendre ceux

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des autres pays – dont la France – plus compétitifs.Chaque salarié allemand coûte aujourd’hui à son employeur, en moyenne, 33€20 de l’heurecontre 35€60 en France.

Donc, embaucher quelqu’un en Allemagne reste - quand-même - moins cher que chez nous enFrance ?

C’est exact. Mais la vraie information, c’est que l’écart se réduit. En réalité, la tendance s’estinversée en 2011. Entre 2011 et 2013, l’augmentation du coût du travail a atteint 2,7% enAllemagne. Sur la même période en France, la hausse s’est limitée à 1,9%.

Comment expliquer ce phénomène ?

Outre-Rhin, il y a eu le rattrapage sur les salaires, gagné de haute lutte par les syndicats, après aumoins 10 ans de modération. Au passage, on voit là l’efficacité d’un vrai dialogue social. Et puis ilfaut préparer l'arrivée du salaire minimum au 1er janvier 2015. Cela pousse les charges à lahausse chez nos voisins allemands.Côté français, la stagnation du coût du travail tient en grande partie à la mise en place du CICE, leCrédit Impôt Compétitivité Emploi qui atteindra son rythme de croisière cette année... ajouter àcela les mesures prises dans le cadre du Pacte de responsabilité.

Cela veut dire que nos salaires vont augmenter ?

Non, ou dans une très faible proportion, comme le confirme l’INSEE dans sa dernière note publiéemardi 9 septembre sur les perspectives d'évolution des rémunérations.Il faut savoir que de tous les pays de l'OCDE, la France est le seul où, depuis 15 ans, les salairesaugmentent plus vite que la productivité. Aujourd'hui les marges des entreprises françaises sontplus faibles qu'après le choc pétrolier des années 70. Les entreprises ont moins d’argent dans lescaisses, donc moins de capacités d'investissements. Dans ce contexte, augmenter les salairesfragiliserait l'édifice encore un peu plus.

Source : France Info, « Tout info, tout éco », mardi 9 septembre 2014

Q1/ Le coût du travail en France est-il trop élevé ?

Q2/ Quels sont les deux éléments qui rapprochent le coût du travail français du coût du travailallemand.

Le coût du travail est, en volume (salaire brut), relativement élevé en France. Rapporté à laproductivité, un travailleur ne coute pas forcément si cher car il est plutôt efficace. Les libérauxestiment toutefois que la France ne pourra retrouver la croissance que si les entreprisesretrouvent une bonne compétitivité prix, ce qui leur permettra de vendre plus à l’étranger, etdonc de retrouver des niveaux de profit qui se transformeront en investissements et en emplois surplace.

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Pour les libéraux, il faut donc flexibiliser le marché du travail pour retrouver une capacitéà s’ajuster et donc à éliminer le chômage. On parle de réforme structurelle, qui s'attaque auxfreins institutionnels et structurels à la flexibilité du salaire et de la quantité de travail.

La principale recommandation est d’accroitre la flexibilité du coût salarial : Diminuer le coût du travail total (salaire net + cotisations) en allégeant les charges

sociales qui pèseraient sur les entreprises. Par exemple, depuis 1993, les entreprisesbénéficient en France d’allégements de cotisations pour les bas salaires. LeRoyaume-Uni a également diminué le coût des licenciements en supprimant les planssociaux, c'est-à-dire l’obligation de reclassement des licenciés.

Assouplir les conditions de rémunérations légales. L’exemple le plus simple estl’existence légale de stages non ou très faiblement rémunérés (et donc avec un salairelargement au-dessous du salaire minimum)

Réduire les droits syndicaux. Par exemple : instauration d’un service minimum dans lesservices publics en cas de grève

C’est ainsi que plusieurs gouvernements français se sont efforcés de réduire le coût dutravail par des politiques d’allègement des cotisations patronales pour les bas salaires.Examinons l’efficacité de ces politiques.

Document 7. Les politiques d’allégement des charges salariales pour les bas salaires

Entre 70 000 et... 170 000 emplois créés (contre 350 000 obtenus par le passage aux 35heures) : les estimations varient fortement mais elles vont toutes dans le même sens. La baissedes charges sociales sur les bas salaires mise en place depuis 1993 a eu un effet clairementpositif pour lutter contre le chômage.

A côté de ces conséquences positives, la baisse des charges sur les bas salaires n'est passans présenter quelques effets pervers. Le premier est celui de constituer une "trappe à bassalaires", souligné par l'économiste Edmond Malinvaud dès 1998, qui avait relevé qu'au voisinagedu salaire minimum le coût marginal d'une augmentation de salaire était, pour l'employeur,multiplié par 2,6 par rapport au salaire net. Il avait recommandé d'atténuer la progressivité desallégements.

Une autre conséquence négative aurait été d'avoir contribué au ralentissement de lacroissance de la productivité (un quart de point par an), ce phénomène étant lié à la réinsertiondans l'emploi de personnes peu qualifiées. Les auteurs de Politique économique jugent que cettequerelle est "malvenue. Si les allégements de charges permettent de réduire le chômaged'équilibre à salaire minimum donné, ils contribuent à accroître la production potentielle del'économie dès le moment où les emplois ont créé une productivité positive, et sont doncfavorables à la croissance."

Un autre reproche est celui de leur coût : 8 milliards d'euros pour les seules ristournesJuppé, 16 milliards d'euros pour l'ensemble des mesures (intégrant les mesures Aubry). Sicertains économistes le jugent élevé, d'autres tiennent à le relativiser en insistant sur son efficacitésur l'emploi. "On pourrait utiliser ces montants pour accroître les dépenses de recherche etdéveloppement ou d'éducation supérieure qui sont notoirement insuffisantes ou encore pouraccroître l'investissement public », observe M. Artus.

Source : Pierre-Antoine Delhommais, Le Monde, 07 juin 2005

Q1/ Quels sont les objectifs d’une réduction de charges de cotisations sociales pour les bassalaires ?

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Q2/ Quel a été l’effet positif de cette mesure ?

Q3/ Quelles sont les différentes critiques que l’on peut émettre vis-à-vis de cette mesure ?

Un exemple plus récent de ce type de dispositifs – et dont les résultats n'ont pas encore étéévalués, par conséquent – est le CICE, Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Il s'agitd'un avantage fiscal qui équivaut à une baisse de charges sociales. Le CICE réduit l'impôt sur lerevenu (pour les entreprises unipersonnelles) ou l'impôt sur les sociétés des entreprisesconcernées. Son taux est de 6 % des rémunérations versées. Dans les départements d'outre-mer,le taux est de 7,5 % pour les rémunérations versées en 2015, puis 9 % à partir de 2016. Ànoter : seuls les salaires ne dépassant pas 2,5 fois le Smic (c'est-à-dire inférieurs à 3 643,79 €brut par mois en 2015) sont retenus. Dès lors que la rémunération annuelle d'un salarié dépassece plafond, elle est exclue, pour sa totalité, de l'assiette du crédit d'impôt.

2.2. Par des politiques de flexibilisation et de formation

Les libéraux ne cherchent pas seulement à restaurer la compétitivité prix des entreprisesfrançaise en abaissant le coût du travail, mais reprochent d’une manière générale la trop granderigidité du marché du travail. Il est donc préconisé de flexibiliser le marché du travail, en insistantsur la flexibilité de l’emploi :

Assouplissement des contraintes horaires. Possibilité d’annualisation du temps detravail dans certaines branches. Suppression de l’interdiction du travail de nuit pour lesfemmes (2001 en France). Défiscalisation des heures supplémentaires (juillet 2007).Travail le dimanche et la nuit élargi dans certaines zones (loi Macron, 2015).

Recours de plus en plus important aux emplois à temps partiel. Création de nouveaux contrats de travail : contrat de mission sur 5 ans, possibilité de

séparation à l’amiable pour rompre un contrat (France 2008 : rupture conventionnelle deCDI), allongement de la période d’essai (France 2008) pendant laquelle l’employeur peutlicencier sans justification l’employé.

Les libéraux s’attachent également à vouloir réformer le système d’indemnisation du chômage. Diminuer le montant ou la durée des indemnisations chômage Soumettre le versement des indemnisations à une recherche active d’emploi, contrôler plus étroitement les recherches d'emploi effectuées par les personnes inscrites à

Pôle Emploi (projet de loi en discussion en mai 2015).

Cf. le document 21 p. 350 du manuel Nathan (questions à faire)

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La flexibilité permet aux entreprises de s’adapter plus facilement aux évolutions de laconjoncture, ce qui leur permettrait de survivre plus facilement, selon les libéraux. Mais cespolitiques n’agissent pas directement sur l’état de la conjoncture, leur reprochent leskeynésiens. Ces politiques de flexibilité n’ont donc qu’un effet limité et ne peuvent résoudre à ellesseules le chômage.

Les tenants des théories du « chômage frictionnel » insistent avant tout sur la formationinadaptée des chômeurs par rapport aux emplois proposés sur le marché du travail. L’offre necorrespond pas à la demande. Il faut alors recourir à la formation pour remédier à ce problème.

Les principales mesures de formation visent à restaurer l’employabilité des individus enleur apportant une formation lui leur sera utile pour trouver un emploi. Cette dimension despolitiques d’emplois est importante car elle permet à des jeunes de pouvoir s’intégrer au marchédu travail (apprentissage, alternance), à des plus âgés d’adapter leurs compétences auxévolutions de l’économie et de la technologie (universités du soir aux USA, formation continue enFrance), et à des actifs formés dans des secteurs traditionnels de s’adapter aux nouveauxsecteurs.

2.3. Par des politiques de soutien de la demande

Document 8. La critique keynésienne des théories libérales du marché du travail

Keynes s’oppose à la théorie libérale de façon vigoureuse. L’erreur des néoclassiques sesitue au niveau des conséquences de la réduction des salaires. Le raisonnement néoclassique neprend pas en compte l’effet de la réduction des salaires sur la demande globale et les incidencesde ces variations sur le niveau de l’emploi. Si une entreprise isolée et de faible dimension diminuele niveau de ses salaires, elle n’affecte sans doute pas la demande globale de façon significative,mais un nombre important d’entreprises diminuent les rémunérations de leurs employés, la masseglobale des salaires distribués dans le pays va se réduire, les salariés dépenseront moins dans cecontexte, les entreprises seront conduites à réduire leur production et si elles produisent moins,elles n’auront aucune raison de maintenir le niveau de l’emploi antérieur, elles licencieront.

Pour Keynes, le niveau de l’emploi ne se fixe pas par confrontation de l’offre et de lademande de travail, mais de façon exogène par rapport au marché du travail proprement dit. Lechef d’entreprise examine le niveau de ses commandes ou bien établit ses prévisions de vente et,compte tenu de cette évaluation de la demande attendue, fixe le niveau de main-d’œuvre dont il abesoin. Ni le niveau des salaires réels, ni le niveau de l’emploi n ne sont fixés par la confrontationde l’offre et de la demande de travail. Le « laissez-faire » peut entraîner le chômage puisqu’il peutconduire à des niveaux de demande effective qui ne permettent pas le plein emploi de la main-d’œuvre.

Source : selon J.Bremond, Keynes et les keynésiens aujourd’hui, Hatier, 1987, pp. 29 à 48

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Q1/ Quelle est la principale critique que fait Keynes à l’analyse néo-classique ?

Q2/ De quoi dépend le niveau de l’emploi selon Keynes ?

Q3/ Etablissez le schéma liant le volume de l’emploi à celui de la demande effective.

Q4/ Pourquoi parle-t-on dans ce cas de chômage conjoncturel ?

Keynes critique, point par point, l’analyse néoclassique du fonctionnement du marché dutravail. Il réfute même l’existence d’un marché du travail. Le niveau d’emploi ne dépend pas del’ajustement de l’offre et de la demande en fonction des variations du salaire réel, mais dépendtout simplement des décisions d’embaucher ou non des entreprises.

Et ces décisions de l’entreprise sont la conséquence du niveau de production del’entreprise, qui est lui-même dépendant de la demande effective adressée aux entreprises.Pour rappel, la demande effective correspond à la demande anticipée des entrepreneurs,c'est-à-dire qu’ils prévoient le niveau de ventes de leur entreprise, auquel ils vont répondre par uncertain niveau de production. Ces prévisions peuvent être erronées, car l’incertitude pesant sur lesmarchés est forte. Tout dépend donc de l’état de confiance dans lequel se trouvent les chefsd’entreprise.

La demande effective (ou demande globale) est composée de l’investissement et dela consommation finale, deux éléments que doivent anticiper avec le plus de précision possibleles entrepreneurs.

Il y a donc très peu de chance pour que le niveau de la demande effective se situe à unniveau tel qu’il garantisse le plein emploi de la main-d’œuvre. Edmond Malinvaud appelle« chômage keynésien » le chômage qui découle de l’insuffisance de la demande effective.C’est un chômage conjoncturel qui accompagne le ralentissement de la croissance économique.Il faut donc mener des politiques de relance pour soutenir la demande effective des entreprises.

Documents 9. Les politiques de relance de la demande et leurs limites

Si la demande effective est au cœur de l’emploi, comment lutter contre le chômage ?Evidemment en soutenant la demande effective.

L’élément essentiel du soutien de la demande en période de sous-emploi est pour Keynesle soutien de l’investissement. Si l’entreprise dispose de capitaux, elle peut soit les placer (parexemple en obligation ou en tout autre placement) soit les investir. Le niveau du taux d’intérêtqu’elle reçoit ou celui qu’elle verse si elle se finance par l’emprunt, influence sa décision d’investir.C’est pourquoi Keynes voit dans la politique de bas taux d’intérêt, un élément favorable à

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Niveau de la demande effective

Niveau du chômage

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l’investissement et donc à l’emploi mais elle est insuffisante. Keynes propose alors uneintervention plus directe de l’État destinée à assurer un niveau d’activité compatible avec le pleinemploi. Ainsi, l’État peut impulser des investissements nouveaux par des investissements publicsmoins marqués par la contrainte de rentabilité immédiate que les investissements privés.

Source : J.Bremond, Keynes et les keynésiens aujourd’hui, Hatier, 1987, pp. 29 à 48

L'économie américaine semble bel et bien sur la voie d'un redémarrage rapide etvigoureux. La croissance au second trimestre s'est établie à un taux annuel de 3,1 %, selon deschiffres définitifs publiés jeudi 28 août, contre 2,4 % dans les prévisions initiales La vigueur de lareprise a surpris tout le monde. Les stocks des entreprises ont ainsi brutalement reculé de plus de20 milliards de dollars et les importations ont augmenté de 7,9 %. Conséquence de cette fortedemande et de ce déstockage, mais aussi des mesures fiscales de l'administration Bush : lesprofits des entreprises ont atteint 904,8 milliards de dollars sur le trimestre, soit une hausse de10,4 % par rapport au trimestre précédent et, surtout, un record depuis 1997. En revanche, face àce retournement de conjoncture, les entreprises, prises de court, n'ont pas réembauché. Aucontraire, les demandes hebdomadaires d'indemnité de chômage ont été révisées à la hausse, à394 000. Le chômage s'établit désormais à 6,2 %, un niveau élevé pour l'économie américaine. Lanécessité de répondre à la demande et de reconstituer les stocks devrait toutefois permettred'inverser la tendance au cours des prochains mois.

Cette vigueur de l'économie s'explique en partie par l'explosion des dépenses publiques.Elles ont augmenté de 25,5 % au second trimestre, notamment sous l'effet de l'envolée de 45,9 %des dépenses militaires liées à la guerre en Irak (environ 100 milliards de dollars). Cette hausse -la plus importante enregistrée depuis la guerre de Corée, dans les années 1950 - expliquerait àelle seule la moitié de l'augmentation du PIB. Conséquence : le déficit budgétaire américaindevrait atteindre, selon les évaluations du Congrès, 3,7 % pour l'année 2003 et 4,3 % en 2004(environ 500 milliards de dollars). Le keynésianisme du gouvernement a permis de relancer lamachine, et les agents privés semblent être en mesure de prendre le relais. L'appétit desconsommateurs, malgré le chômage, la nécessité de reconstituer les stocks et la vigueur desexportations - grâce à la faiblesse du dollar - sont autant d'indices de la poursuite de la reprise.D'autant que, l'inflation n'ayant progressé que de 0,7 % au second trimestre, la Réserve fédéralene modifiera pas ses taux d'intérêt. A 1 %, le taux de l'argent à court terme est un puissantencouragement à la consommation, à l'investissement des entreprises et aux acquisitionsimmobilières, qui enregistrent des records.

Source : Christophe Jakubyszyn, Le Monde, 30 août 2003

Nul doute n'est permis : le plan de relance de 26 milliards d'euros de Nicolas Sarkozys'inscrit dans la plus pure tradition keynésienne de soutien à l'économie. Les puristesapplaudissent : "Il s'agit d'une série de mesures que l'on aurait considérées il y a quelques moiscomme faisant partie d'un plan de relance idéal", constate le néo-keynésien Jean-Paul Fitoussi.Pas de retour à l'équilibre budgétaire d'ici à la fin du quinquennat Le plan de relance adéfinitivement balayé tout espoir de revenir à l'équilibre budgétaire d'ici à la fin du quinquennat. Ceplan de 26 milliards d'euros va engendrer en 2009 une envolée du déficit public à 76,2 milliardsd'euros, soit près de 4 % du produit intérieur brut, bien au-delà de la limite de 3 % autorisée parBruxelles.

La plupart des économistes saluent d'emblée les deux piliers du plan français : le soutien àla trésorerie des entreprises malmenée par la frilosité des banques et la relance del'investissement public. Mais d'autres économistes s'interrogent sur la frilosité du plan français enmatière de relance de la consommation et de pouvoir d'achat. Les 200 euros qui seront alloués enmars aux futurs titulaires du Revenu de solidarité active (qui démarrera en juillet) sont jugésinsuffisants. Outre-Atlantique, où il enseigne à Harvard, l'économiste Philippe Aghion souligne leslimites du plan français : "Il aurait fallu faire une vraie relance de la demande et de laconsommation, faire des chèques plus généreux aux ménages, comme aux États-Unis et en

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Espagne." Pour lui, la crise est "d'abord une crise de la demande, y compris pour les entreprisesfrançaises, c'est une situation typiquement keynésienne, il fallait donc apporter des réponses quisoutiennent directement la demande", ajoute-t-il. "Le plan français qui vise l'offre va avoir deseffets plus indirects et qui prendront plus de temps

Christophe Jakubyszyn, Le Monde, 12 décembre 2008

Q1/ Quels sont les principes de la politique de relance ?Les politiques keynésiennes de relance visent à soutenir l’investissement et la consommation pouraugmenter les ventes des entreprises, et donc la demande effective adressée aux entrepreneurs.Ces soutiens de la demande effective maintiennent ou accroissent le niveau de production desentreprises, et donc le niveau d’emploi. Le chômage devrait, in fine, diminuer.

Q2/ Quels sont les principaux moyens utilisés ?L’État s’engage personnellement dans ces politiques de soutien à la demande et de relance. Ildispose de deux moyens possibles :- La politique budgétaire de relance. L’exemple classique de cette relance est la politique degrands travaux. Ces grands travaux entrainent une hausse des investissements publics quisusciter un flux de dépenses et provoquer le phénomène du multiplicateur. L’État peut aussiaugmenter les revenus sociaux des catégories défavorisées de la population car elles sont uneforte propension à consommer. L’État peut également subventionner ou défiscaliser desinvestissements privés.- La politique monétaire. Il suffit de diminuer les taux d’intérêt afin d’inciter les agents économiquesà emprunter pour dépenser. A noter que cet outil n’appartient plus aux États en Europe où la BCEest indépendante.

Q3/ Quels ont été les résultats de cette politique aux États-Unis ?Cette politique keynésienne semble avoir du succès si on prend l’exemple américain de l’après2001 : l’État n’a pas hésité à fortement augmenter son déficit budgétaire en réduisant lesprélèvements fiscaux et en augmentant ses dépenses publiques, particulièrement militaires (laguerre en Irak).Parallèlement, la Fed (Banque centrale des États-Unis) a réduit très fortement ses taux d’intérêtdirecteurs à court terme. En conséquence, la croissance a redémarré. Elle a été deux fois plusélevée qu’en Europe au début des années 2000. Le chômage a diminué et le marché du travailaméricain a atteint son niveau de plein-emploi. L’État a joué son rôle contra-cyclique. Lacroissance de la production est une donnée fondamentale pour réduire le chômage.

Q4/ Quelles sont les limites de cette politique de relance ? - Limite budgétaire : on ne peut pas s’endetter indéfiniment.- La création d’emplois n’entraine pas nécessairement une diminution du chômage.

À la fin des années 1970, plusieurs plans de relance ont échoué (plan Chirac de 1975, planMauroy de 1981), laissant apparaître certaines limites des préconisations keynésiennes :

La relance de la demande peut buter sur la contrainte extérieure, surtout dans uneéconomie mondialisée. Toute relance se traduit par une hausse des importations, et parune fuite des revenus vers l’extérieur (les consommateurs achètent des biens produits àl’étranger)

A court terme, le retour de la croissance n’entraîne pas automatiquement uneaugmentation des emplois. Les entreprises puisent dans leurs stocks ou augmentent laproductivité de leurs salariés. Il faut donc un prolongement de la croissance pour obteniravec certitude des créations d’emplois.

La contrainte budgétaire. Les États sont aujourd’hui surendettés. Les marges de

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manœuvre sont très limitées. Le déficit budgétaire peut ne pas avoir d’effet multiplicateur. Ce sont les théoriciens néo-

classiques des anticipations rationnelles (Lucas, Sargent) qui ont mis en valeur ceproblème. La relance entraîne un endettement de l’État qu’il va falloir rembourser. Il estdonc à prévoir une augmentation des impôts dans un futur plus ou moins proche. Lesagents économiques pourraient alors anticiper rationnellement ces hausses d’impôtset mettre de côté de l’argent. La consommation n’augmente alors pas, malgré lespolitiques de relance.

Il existe une limite commune aux politiques keynésiennes et néoclassiques : la créationd’emplois n’entraîne pas nécessairement une réduction du chômage :

D’une part, la création nette d’emplois peut être inférieure au nombre de nouveauxentrants sur le marché du travail (génération pleine). Dans ce cas, la croissance del’emploi n’empêchera pas le chômage.

D’autre part, lorsque les entreprises créent des emplois, elles font sortir de la « réserve »des inactifs (femmes au foyer, étudiants) qui postulent pour ces nouveaux emplois etgonflent le nombre de demandeurs d’emplois. Autrement dit, la création de 100 emploisne diminue que de 80 (industrie) ou de 60 (tertiaire) le chômage selon le secteur d’activité.Il faut au moins créer 130 emplois pour réduire le chômage de 100. C’est le « taux deflexion » (Robert Salais).

Enfin, les emplois crées peuvent ne pas correspondre aux compétences et auxqualifications des chômeurs. Ceci explique les offres d’emplois non satisfaites et lapénurie de travailleurs dans certains secteurs d’activité (le bâtiment, la restauration,l’informatique…).

Section 3 : prendre en compte la dimension intégratrice du travail dans lespolitiques de l'emploi

3.1. Précarité et exclusion liées au travail

La montée du chômage de masse observée depuis la fin des années 1970 a des effetsdirects sur la situation économique et sociale des actifs inoccupés, mais aussi sur les actifsoccupés. La peur du chômage et les politiques de flexibilisation des formes de l’emploi ontfragilisé le travail et sa dimension intégratrice. Les conditions difficiles de travail et les formesatypiques d’emploi peuvent provoquer précarité et exclusion.

Document 10. La dégradation des conditions de l’emploi

Où en est le travail ? Un vaste dispositif d'enquêtes et de nombreuses monographiespermettent de dresser un tableau complet. Epidémiologistes, médecins, ergonomes, économistesou sociologues aboutissent, avec des méthodologies diverses, au même constat : le mouvementglobal d'amélioration progressive des conditions de travail qui avait caractérisé le XX e siècle s'estinversé au tournant des années 1990.

Premièrement, les métiers traditionnellement pénibles et utiles n'ont pas tous disparu. Lebâtiment et les travaux publics cumulent exposition à des produits toxiques, risques d'accidents,températures extrêmes ou pression sonore élevée. Le travail à la chaîne ou sous contrainteautomatique ne régresse pas : il concerne encore 10 % des travailleurs en 2005 contre 4% en1984. En outre, de nouveaux métiers particulièrement pénibles apparaissent dans l'invisible back

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office (arrière-cour) de notre société. Est-on conscient, par exemple, que le souci écologique du trisélectif et du recyclage implique que des hommes et des femmes traquent et corrigentmanuellement nos erreurs de tri sur un flot continu de déchets ménagers ?

Deuxièmement, l'exposition des salariés à la plupart des risques et la pénibilité du travailont eu tendance à augmenter sur la dernière décennie. L'enquête Sumer réalisée par lesmédecins du travail fournit des indicateurs précis. Désormais, les deux tiers des ouvriers sontconcernés. La proportion de salariés du privé exposés à des produits chimiques a augmenté de34 % à 37 % de 1994 à 2003. En 2003, au moins 2,4 millions de travailleurs étaient en contactavec des produits cancérigènes. Les contraintes physiques comme la manutention de charge oule piétinement vingt heures par semaine déclinent en moyenne, mais augmentent pour lesouvriers.Les contraintes organisationnelles, notamment de rythmes et de délais, se généralisent.

L'"incertitude au travail", comme le fait de devoir effectuer des tâches non prévues,augmente pour toutes les catégories de salariés, accroissant la charge mentale. Le contrôle par lahiérarchie décline au profit d'un quasi-doublement du contrôle informatique, concernant désormaisplus du quart des salariés. Même si la réduction du temps de travail a limité la fréquence dessemaines longues, les temps sont de plus en plus éclatés. Le travail de nuit (surtout des femmes)se développe. Les horaires atypiques ou imprévisibles deviennent la norme, induisant desdifficultés pour conjuguer vies privée (dont l'éducation des enfants) et professionnelle. Cesévolutions tiennent en partie à la diffusion, dans les secteurs des services, des méthodesd'optimisation des phases de travail issues du monde industriel. Dans l'ensemble, les inégalitésse creusent, risques et pénibilité augmentant davantage pour les ouvriers et les employés quepour les autres catégories.

Le Charlot des Temps modernes pouvait certes s'ennuyer sur sa chaîne répétitive, maisseuls son corps et ses réflexes étaient mobilisés. Aujourd'hui, l'ouvrier d'une usine de découpe decanard qui se concentre en permanence pour préparer et dénerver des magrets naturellementtous différents, doit mobiliser l'ensemble de ses capacités cognitives et physiques. De même, lacaissière de votre hypermarché doit non seulement manipuler quotidiennement 2 tonnes demarchandises, mais aussi trouver l'emplacement de milliers de codes-barres, les scanner,répondre à vos sollicitations, anticiper vos modes de paiement ou encore éviter la "démarqueinconnue" (le vol).

De fait, contrairement aux représentations les plus répandues, les formes de pénibilitétraditionnelles et nouvelles ne se substituent pas : elles se cumulent. Et ce cumul peut se traduirepar des pathologies d'hyper sollicitation, en particulier les troubles musculo-squelettiques (TMS).11 % des hommes et 15 % des femmes en souffrent, d'après l'étude pilote menée dans les Paysde la Loire en 2003. Un productivisme réactif s'impose donc, basé sur des pratiquesd'organisation flexibles et innovantes, comme les équipes autonomes, la rotation de postes, le"juste à temps", pratiques associées à une sous-traitance accrue, à la réduction des ligneshiérarchiques, à la montée en puissance des normes de qualité. La montée des TMS oul'intensification du travail ont été observées dans la plupart des pays développés à partir du milieuou de la fin des années 1980. Cette évolution n'est cependant pas inéluctable. En témoigne le faitque les difficultés au travail sont inégalement distribuées.

Dans la plupart des pays européens comme en Amérique du Nord, des entreprises se sontefforcées de réduire l'usure au travail et d'améliorer les organisations. Dès le début des années1990, leurs agences sanitaires ont soulevé la question des TMS. Les élites managériales forméesaux questions de santé […] ont été alertées par le coût croissant de l'absentéisme et des maladiesprofessionnelles, sous la pression, notamment dans les pays anglo-saxons, des assureurs santé.

La France semble à la marge de cette tendance favorable. L'écart de fréquenced'accidents entre la France et la moyenne européenne se creuse. Le mouvement d'intensificationn'y a pas décéléré significativement. Le nombre de cas de TMS déclarés à la Sécurité socialeprogresse toujours annuellement de 20 %. Depuis 2000, elle est même le seul grand pays à voirprogresser nettement les accidents du travail impliquant un handicap permanent (même si lafréquence des accidents mortels continue heureusement de régresser) : + 15 %, contre, par

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exemple, une baisse de 10 % en Allemagne. L'absentéisme a crû dans la même proportion.

Source : Philippe Askenazy, Le Monde, 20 décembre 2005

Q1/ Quels sont les effets des nouvelles méthodes de production sur les conditions de travail ?

Q2/ Quelle est la situation spécifique de la France ?

Les conditions de travail ne s’améliorent pas avec le progrès technique et les nouvellesformes d’organisation du travail. L’autonomisation croissante des salariés leur donnent plus deresponsabilité, notamment vis-à-vis du client qu’il faut absolument contenter. Ces situationsaugmentent considérablement le stress, la flexibilité des horaires, la pénibilité de certaines tâches,sans pour autant relâcher le contrôle et la surveillance de la hiérarchie. La pénibilité au travaildevient de plus en plus un enjeu majeur, avec la reconnaissance de nombreuses maladiesprofessionnelles : TMS, pénibilité mentale. Mais la France reste en retard sur ces sujets.

Document 11. Evolution de l’emploi en France (en milliers et en %)

1975 1985 1990 2000 2007 2008Emploi salarié typique 15 592 14 668 14 787 14 457 15 744 15 727Emploi précaire (1) 217 752 1 324 2 235 3 154 3 112- Intérimaires nd 113 232 540 538 488- CDD nd 315 593 959 1 820 1 927- Stages et contratsaidés

52 146 276 455 436 395

- Apprentissage 165 178 223 281 360 302Salariés à temps partiel(2)

1 320 2 630 2 650 3 930 4 408 4 379

Emploi atypique (1 + 2) 1 537 3 382 3 974 6 165 7 562 7 491En % de l’emploi salarié 8,8 18,7 21,2 29,9 32,4 32,2Emploi salarié total 17 489 18 050 18 761 20 622 23 306 23 218

Source : Insee Première, n°1009, mars 2005 actualisé Enquête Emploi de mars 2009

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Q1/ Devinez les définitions d’un emploi précaire et d’un emploi atypique

Q2/ Quelles sont les composantes de l’emploi précaire ?

Q3/ Calculez le pourcentage des emplois atypiques par rapport au total de l’emploi salarié, etremplissez la ligne encore vide du tableau.Quelles sont les grandes constations que vous pouvez extraire du tableau ?

La gestion de la main-d’œuvre est devenue largement dépendante des objectifs derentabilité de la firme. Les firmes ont donc profondément modifié la structure des emplois.Elles ont eu largement recours aux emplois atypiques, ou formes particulières d’emploi enFrance (emploi précaire et emploi à temps partiel). Ces emplois sont atypiques pour trois raisons :

La durée du contrat est limitée. Le salarié ne bénéficie pas des promotions réservées auxsalariés permanents.

Le salarié peut avoir deux patrons, au lieu d’un seul (intérim). Le salarié peut être à temps partiel, et il peut être imposé par l’entreprise.

Ces emplois atypiques ont largement progressé en France depuis 35 ans, passant de 8,8% del’emploi total en 1975, à 32,2% de l’emploi total en 2008 (soit un tiers de l’emploi total).La précarité est l’ensemble des formes d’emploi instable entraînant des difficultés deconditions de vie.

Ensuite, les conditions de rémunération des salariés se sont dégradées. Une part de plusen plus grande du salaire est désormais individualisée et flexible. Les syndicats, en perte devitesse depuis une trentaine d’années, influent de moins en moins sur les possibles augmentationsde salaires. La montée du chômage rend les salariés moins exigeants en termes de rémunération.Au final, depuis les années 1980, le pouvoir d’achat des Français progresse très faiblement.

Cette dégradation des conditions de l’emploi et des salaires s’accompagne d’une évolutionambiguë de la qualification. Certes, le niveau général de diplôme augmente. Mais on constateune forte poussée des emplois non qualifiés dans le tertiaire. Et le diplôme subit une formede dévalorisation, avec des employés surdiplômés pour certains postes.

Précarité de l’emploi, salaires faibles, qualification de moins en moins valorisante,conditions de travail dégradées : l’état des lieux du travail et de l’emploi est inquiétant et montreque le travail ne protège plus comme avant les familles de la fragilité, de la précarité ou même del’exclusion.

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3.2. Activer les dépenses pour l’emploi

Avec ces évolutions des formes de l’emploi, les parcours des actifs deviennent de plusen plus heurtés, avec accumulation de petits boulots, de formes atypiques de l’emploi, mais aussiavec des périodes de chômage de plus en plus fréquentes. Les nouvelles politiques de l’emploivisent donc à intégrer les individus dans des emplois plus stables. Il ne s’agit pus simplement decréer des emplois, ou d’indemniser les chômeurs, mais d’utiliser les allocations pour inciterles individus à retrouver le plus rapidement possible un emploi : formation professionnelle,accompagnement des chômeurs dans leur démarche, aide à la création d’entreprise, emploisprotégés pour les handicapés, « emplois jeunes ».

On parle alors d’ « activer les dépenses pour l’emploi », c'est-à-dire d’utiliser des fondsfinanciers pour dynamiser les recherches d’emploi des chômeurs et faciliter le retour à un emploistable.

Ces nouvelles politiques de l’emploi font suite à de nombreuses critiques, notammentlibérales, concernant les allocations chômage. C’est la thèse de la « trappe à inactivité ». Lesallocations chômage et minimas sociaux seraient trop élevés et n’inciteraient pas les chômeurs àrechercher un emploi, notamment par rapport à des revenus d’activité. Le retour à un emploin’apporterait pas à une augmentation suffisante des revenus pour véritablement inciter leschômeurs à quitter leur situation de chômage. Ils sont dans une « trappe à inactivité ».

Il faut donc faire en sorte que les allocations chômage et minimas sociaux n’enferment pasles chômeurs dans une situation qui ne les incite pas à retrouver du travail. Cette activation desdépenses pour l’emploi passe par deux solutions : des incitations financières, un contrôleaccru de la recherche d’emploi :

Fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC en 2009 dans une nouvelles entité : « Pôle Emploi ».Cette nouvelle administration aide les chômeurs à la recherche d’emploi et conditionne leversement des allocations à une recherche active d’un emploi.

De même, la Prime pour l’emploi (PPE), datant de 2001, est une somme d’argent verséeà toutes les personnes qui ont un emploi dont les revenus ne dépassent pas un certainseuil (17 451€ par an pour un célibataire, 26 572€ pour un couple en 2013). Cecicorrespond à un impôt négatif pour ceux qui ont un emploi. L’idée est de creuserl’écart entre les revenus procurés par le chômage ou l’inactivité et les revenus procurés parl’emploi afin de rendre ce dernier toujours plus désirable

Pour les pauvres, un revenu supplémentaire va être proposé à ceux qui acceptent unemploi quel qu’il soit. En France, le RSA activité (2008) correspond à un supplément deressource pour une personne acceptant un emploi dont le salaire est inférieur à 1,04 Smic.En gros, pour un euro de revenu salarial gagné en plus du niveau de RSA socle,l'individu va recevoir 0,62€ en plus. Il va donc gagner beaucoup plus en acceptant cetemploi. L’idée du RSA est de continuer à verser une partie de l’allocation à ceux quiretrouvent un emploi faiblement payé. Ainsi, on est sûr que sa nouvelle situation estfavorable financièrement à l’ancienne, il a au moins un pied dans l’emploi, ce qui permetd’entretenir son employabilité.

Documents 12. Les limites des politiques d’activation des dépenses pour l’emploi

Le passage du RMI (revenu minimum d'insertion) au RSA n'a pas favorisé de manièresignificative la reprise d'un emploi, soulignent les experts du comité d'évaluation. "La conjonctureéconomique dégradée (qui) a contraint l'offre d'emploi faite aux bénéficiaires et la connaissanceimprécise du mode de calcul du RSA" expliquent en partie cet échec.

Autre raison avancée : le déficit d'accompagnement des allocataires qui devait être unélément fort de la réforme. Etant donné la multiplicité des acteurs (Pôle Emploi, allocationsfamiliales, associations...), les allocataires du RSA "parlent encore souvent d'un parcours du

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Cours de SES – Terminale – 2014-2015 E. Martin

combattant", a reconnu, mercredi, la ministre des solidarités, Roselyne Bachelot. "Seuls 40 % desbénéficiaires du RSA ont un référent unique", a-t-elle précisé.

Les résultats sur les effets de la pauvreté sont plus probants. En 2010, la prestation apermis de faire baisser le nombre de pauvres de 2 % (150 000 personnes) et le taux de pauvretéde 0,2 point, en le faisant passer de 16,3 % à 16,1 %. "Etant donné les barèmes du RSA, unnombre important de bénéficiaires voient leur revenu augmenter sans pour autant franchir le seuilde pauvreté", explique M. Bourguignon.

Cet impact faible pourrait être amélioré par la hausse des barèmes mais aussi par ladiminution du taux de non-recours. Près de la moitié des personnes qui pourraient prétendre auRSA ne le touche pas, faute d'en avoir fait la demande. Ce taux, de l'ordre de 35 % pour le RSAsocle, atteint 68 % pour le RSA activité. En juin 2011, on comptait 1,9 million de foyersbénéficiaires en France métropolitaine ; 1,4 million le touchaient au titre du RSA socle et 500 000au titre du RSA activité.

Ce manque d'intérêt pour la prestation s'explique principalement par une "méconnaissancedu dispositif", souligne François Bourguignon. Le sentiment de "se débrouiller financièrement" estégalement souvent mentionné comme cause de non-recours et, dans une moindre mesure, lesouhait de ne pas dépendre d'une aide sociale. Pour les finances publiques, ce "non-recours"représente une économie de 1,7 milliard d'euros pour un coût total estimé à environ 10 milliards.

Source : Catherine Rollot, Le Monde, 16 décembre 2011

Une étude récente s’est intéressée à la trajectoire des allocataires du RMI entre 1996 et1998. Cette étude rappelle d’abord que la distinction entre inactivité et chômage reste essentielle.Il est inutile, voire absurde, de s’interroger sur la désincitation financière, ou trappe à chômage,pour des personnes...qui ne recherchent pas d’emploi, notamment parce qu’elles cumulent denombreux handicaps. Pour les autres, la trappe à chômage ne fonctionne pas, où très peu. Unepart importante des allocataires sortis du dispositif RMI parce qu’ils ont repris un emploi n’y ontpas d’intérêt financier. 40% n’y trouvent pas non plus d’apport monétaire. Au total, un tiers desallocataires inscrits en 1996 et qui travaillent depuis n’y ont guère d’intérêt financier. Mais ils sont80% à déclarer "se sentir mieux'". Enfin, plus des trois quarts des allocataires ont effectué desdémarches actives de recherche d’emploi. Cependant, la moitié d’entre eux n’a pas reçu deréponse et, pour les autres, leur entretien n’a donné aucun résultat dans quatre cas sur cinq.Clairement le problème n’est pas la trappe à chômage, mais la pénurie d’emplois. Et dans lesrares cas (10%) où les allocataires du RMI ont refusé un emploi offert, une faible minorité l’a faitpour des raisons financières. En résumé si l’emploi apporte un revenu, il procure surtout un statut.

Source : Pierre Concialdi, Alternatives économiques n° 203, mai 2002

C’est du côté des personnes seules avec enfant qu’existent les seules trappes à inactivité.Ces trappes ne sont pas liées à un effet désincitatif des minima sociaux, mais à des difficultés detransport, de garde d’enfants. Comment un emploi à temps partiel au salaire minimum pourrait-ilcompenser les frais de gardes dans les conditions actuelles ? Comment une personne sansvoiture pourrait-elle assumer un emploi dans l’hôtellerie ou la restauration, compte tenu deshoraires ? Des mesures mieux adaptées sont donc nécessaires, permettant de concilier minimasociaux élevés et avantages financier de l’emploi.

Source : Arnaud Parienty, L’assistance décourage-t-elle l’emploi ? Alternatives économiques n° 245, mars 2006

Q1/ Quelles sont les raisons du faible effet du RSA sur le retour à l’emploi ?

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Q2/ Quel a été l’effet du RSA sur la pauvreté ?

Ces politiques dites d’activation des dépenses, incarnées par la naissance du RSA en2008, ne sont pas véritablement efficaces, en tout cas pas autant qu’on pouvait l’espérer. Cespolitiques se heurtent à un certain nombre de problèmes :

Les politiques incitatives n’ont pas eu d’effet positif sur le chômage et la reprised’emploi dans une conjoncture récessive. D’une part, il ne suffit pas d’inciter leschômeurs à trouver un emploi si ces emplois n’existent pas en nombre suffisant. Cettepolitique n’est efficace que lorsque le marché du travail crée de nombreux emplois ce quisuppose une forte croissance de la demande et de faibles gains de productivité. En outre,la forte hausse du chômage a accru la charge de travail des agences pour l’emploiqui se sont retrouvés dans l’incapacité de bien orienter les chômeurs.

D’autre part, tous les chômeurs ne sont pas employables. Leur qualification, ou leurabsence de qualification, leur interdit de postuler aux emplois proposés. En théorie, laformation proposée aux chômeurs devrait palier à cette insuffisance. Dans les faits, peu deformations qualifiantes sont proposées aux chômeurs car elles coûtent cher etsupposent un bon encadrement des chômeurs et une volonté des entreprises qui fontdéfaut. Enfin, plus la durée de formation est longue, plus elle éloigne les chômeurs dumarché de l’emploi (« effet d’enfermement »).

Les politiques incitatives ont un faible impact sur la pauvreté. Il repose sur une erreurde diagnostic. Les minima sociaux n’encouragent pas la pauvreté et l’assistanat. Lesminima sociaux sont toujours inférieurs au seuil de pauvreté et au salaire minimum. Ainsi,les minima sociaux en France équivalent à 40% du revenu médian et sont doncinférieur de 10 points au seuil de pauvreté pour un célibataire. En d’autres termes, cesrevenus d’assistance autorisent la survie mais demeurent largement insuffisants pouraccéder aux normes sociales moyennes de consommation. Prétendre que l’on peut bienvivre avec ces revenus d’assistance est donc un mensonge. Les seuls concernés par latrappe à inactivité sont les femmes seules avec enfant en France.

Les politiques incitatives présupposent que les chômeurs et les pauvres sont desparesseux et que le marché du travail est trop rigide. L’incitation au retour à l’emploi etla flexibilisation du marché du travail ont pourtant des effets pervers. Elles stigmatisent leschômeurs et les pauvres qui, pourtant, préfèrent toujours l’emploi à leur situation. En effet,l’emploi offre un statut, une reconnaissance de l’appartenance à la société, àl’inactivité même si cet emploi offre des revenus inférieurs aux revenus d’assistance.Ainsi, un nombre non négligeable de chômeurs éligibles à l’assurance chômage nedemandent pas leur allocation.

Elles favorisent le développement des emplois précaires et des petits boulots malpayés, ce qui est pourtant l’effet contraire de l’objectif affiché. L’idée était de ramenerpeu à peu les chômeurs dans le monde du travail, en passant par des petits boulots s’il lefaut. Oui, mais ils y restent, et c’est bien là tout le problème. Ces actifs restentcoincés dans le marché secondaire du travail (selon la théorie de la segmentation dumarché du travail).

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