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299 Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1 CHAPITRE 5 Dossier Histoire des arts – La Renaissance et l’art du renouveau p. 398 I. Un art centré sur l’Homme Filippo Lippi, La Vierge à l’enfant et deux anges (vers 1465) C’est la fenêtre qui établit un lien entre l’intérieur et l’extérieur. Cet élément apparaît à la Renaissance, en même temps que la perspective. Le paysage est parfaitement intégré à l’ensemble du tableau, puisque si l’on observe l’élément montagneux (en haut à droite), on se rend compte qu’il prolonge la diagonale qui part du haut de l’accoudoir, se pro- longe avec les mains de la vierge et passe entre son visage et celui de Jésus. C’est un paysage idéalisé. A noter : le ciel qui n’est plus aussi présent que dans les tableaux de l’époque médiévale : l’homme prend toute sa place, il n’est plus écrasé par le ciel. Autre originalité, l’aile de l’ange au premier plan qui sort du cadre du tableau. La vierge a tout d’une jeune femme italienne, ses traits sont gracieux, elle porte des bijoux, et même si elle joint les mains en signe de prière, elle a une expression toute maternelle. Sa robe bleue, symbole du céleste ou de virginité s’in- tègre parfaitement aux couleurs douces du tableau. Les codes religieux sont respectés : Jésus, soutenu par un ange n’est pas en contact direct avec sa mère puisqu’il est divin (la plupart du temps, c’est un drap, un tissu qui figure cette séparation), mais on observera ses mains, dont l’une s’accroche à l’épaule de sa mère comme le ferait n’importe quel bébé. Autre signe d’une complicité établie dans le cadre de cette intimité partagée, l’ange au premier plan qui regarde le peintre ? le spectateur ? et sourit. D’ailleurs, les anges sont très humains : observer le vêtement, l’expression du visage etc. Agnolo Bronzino, Andrea Doria en Neptune tenant un trident (vers 1550-1555) Pour célébrer la victoire navale du condottiere (on pourra traduire par « amiral » pour les élèves) sur les Turcs, Andrea Doria fut représenté en Neptune, Dieu de la mer. C’était une façon de saluer le caractère exceptionnel de cette victoire et de symboliser la puissance, la noblesse du chef militaire. On retrouve donc les attributs de Neptune : le trident, la barbe, la nudité pudiquement couverte de ce drapé qui est en fait la voile du bateau, autre symbole marin. Les prin- cipales lignes de force sont dessinées par le person- nage, soutenues par le dessin du trident et du mât, parallèles. Le fond sombre met en valeur les couleurs plus claires du condottiere. Doria est représenté à mi-cuisses (au cinéma, on dirait plan américain) et occupe tout le tableau : pas d’espace au-dessus ni en dessous, ce qui rend plus grand, plus impressionnant le personnage. On peut noter aussi un léger effet de contre-plongée. Pour le spectateur, il regarde vers la droite, on peut comprendre qu’il regarde vers l’avenir et donc va de l’avant ; on peut aussi associer la droite à ce qui est heureux, de bon augure (Cf. les auspices dans l’Antiquité romaine). II. Un art inspiré des récits fondateurs Donatello, David (vers 1440) Pour montrer que cette statue est inspirée de l’Anti- quité, on attirera l’attention des élèves sur les points suivants : la nudité ; le thème antique du héros ayant combattu un être extraordinaire (ici un géant) ; le corps androgyne (noter la chevelure féminine) ; le déhanchement exagéré qui apparaît tardive- ment dans la statuaire hellénistique (Cf. la Vénus de Milo) et est repris à la Renaissance. Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus (vers 1483-1485) Michel Feuillet dans Botticelli et Savonarole, l’huma- nisme à l’épreuve du feu, 2010, chez cerf histoire, qualifie le Printemps de Botticelli comme « l’œuvre qui synthétise le plus brillamment cette apparte- nance de Botticelli à l’humanisme florentin ». En effet cette peinture marque une rupture avec ce qui précède, elle bascule d’une iconographie chrétienne vers une iconographie mythologique et allégorique. S’appuyant sur des références liées à la poésie antique, Botticelli peint un locus amoenus, lieu pré- servé propice au bien-être et bien sûr à l’amour, tel que le décrit le Politien dans sa ballade Ben venga maggio ou Bocace dans son Decameron. Avec la Naissance de Vénus nous avons affaire à une œuvre emblématique. Cette Vénus par son attitude empreinte de pudeur est une Vénus pudica en référence à la statuaire antique. Le bonheur prime sur la culpabilité. L’inspi- ration de Botticelli est très proche de certains vers des Stances du Politien. Vénus est l’axe du tableau, un axe sinueux en contrapposto, attitude de déhan- chement où le poids du corps repose sur un pied, or ici la position est telle que Vénus ne peut tenir la pose. Les deux groupes de personnages présents s’opposent : à gauche, Zéphyr et Chloris, enlacés dans le ciel souffle pour faire avancer la conque, à droite, la nymphe, du groupe des Heures, est prête à accueillir la déesse et lui offrir un manteau de fleurs. La composition est construite en respectant la divine proportion, le nombre d’or. La Naissance de Vénus n’est que jeu de construction : les groupes latéraux sont placés sur les diagonales de rectangle d’or, deux cercles englobent Vénus.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

CHAPITRE 5

Dossier Histoire des arts – La Renaissance et l’art du renouveau p. 398

I. Un art centré sur l’Homme

➤ Filippo Lippi, La Vierge à l’enfant et deux anges (vers 1465)

C’est la fenêtre qui établit un lien entre l’intérieur et l’extérieur. Cet élément apparaît à la Renaissance, en même temps que la perspective. Le paysage est parfaitement intégré à l’ensemble du tableau, puisque si l’on observe l’élément montagneux (en haut à droite), on se rend compte qu’il prolonge la diagonale qui part du haut de l’accoudoir, se pro-longe avec les mains de la vierge et passe entre son visage et celui de Jésus. C’est un paysage idéalisé. A noter : le ciel qui n’est plus aussi présent que dans les tableaux de l’époque médiévale : l’homme prend toute sa place, il n’est plus écrasé par le ciel. Autre originalité, l’aile de l’ange au premier plan qui sort du cadre du tableau. La vierge a tout d’une jeune femme italienne, ses traits sont gracieux, elle porte des bijoux, et même si elle joint les mains en signe de prière, elle a une expression toute maternelle. Sa robe bleue, symbole du céleste ou de virginité s’in-tègre parfaitement aux couleurs douces du tableau. Les codes religieux sont respectés : Jésus, soutenu par un ange n’est pas en contact direct avec sa mère puisqu’il est divin (la plupart du temps, c’est un drap, un tissu qui figure cette séparation), mais on observera ses mains, dont l’une s’accroche à l’épaule de sa mère comme le ferait n’importe quel bébé. Autre signe d’une complicité établie dans le cadre de cette intimité partagée, l’ange au premier plan qui regarde le peintre ? le spectateur ? et sourit. D’ailleurs, les anges sont très humains : observer le vêtement, l’expression du visage etc.

➤ Agnolo Bronzino, Andrea Doria en Neptune tenant un trident (vers 1550-1555)

Pour célébrer la victoire navale du condottiere (on pourra traduire par « amiral » pour les élèves) sur les Turcs, Andrea Doria fut représenté en Neptune, Dieu de la mer. C’était une façon de saluer le caractère exceptionnel de cette victoire et de symboliser la puissance, la noblesse du chef militaire. On retrouve donc les attributs de Neptune : le trident, la barbe, la nudité pudiquement couverte de ce drapé qui est en fait la voile du bateau, autre symbole marin. Les prin-cipales lignes de force sont dessinées par le person-nage, soutenues par le dessin du trident et du mât, parallèles. Le fond sombre met en valeur les couleurs plus claires du condottiere. Doria est représenté à mi-cuisses (au cinéma, on dirait plan américain) et occupe tout le tableau : pas d’espace au-dessus ni en dessous, ce qui rend plus grand, plus

impressionnant le personnage. On peut noter aussi un léger effet de contre-plongée. Pour le spectateur, il regarde vers la droite, on peut comprendre qu’il regarde vers l’avenir et donc va de l’avant ; on peut aussi associer la droite à ce qui est heureux, de bon augure (Cf. les auspices dans l’Antiquité romaine).

II. Un art inspiré des récits fondateurs ➤ Donatello, David (vers 1440)

Pour montrer que cette statue est inspirée de l’Anti-quité, on attirera l’attention des élèves sur les points suivants : – la nudité ; – le thème antique du héros ayant combattu un être

extraordinaire (ici un géant) ; – le corps androgyne (noter la chevelure féminine) ; – le déhanchement exagéré qui apparaît tardive-

ment dans la statuaire hellénistique (Cf. la Vénus de Milo) et est repris à la Renaissance.

➤ Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus (vers 1483-1485)

Michel Feuillet dans Botticelli et Savonarole, l’huma-nisme à l’épreuve du feu, 2010, chez cerf histoire, qualifie le Printemps de Botticelli comme « l’œuvre qui synthétise le plus brillamment cette apparte-nance de Botticelli à l’humanisme florentin ». En effet cette peinture marque une rupture avec ce qui précède, elle bascule d’une iconographie chrétienne vers une iconographie mythologique et allégorique. S’appuyant sur des références liées à la poésie antique, Botticelli peint un locus amoenus, lieu pré-servé propice au bien-être et bien sûr à l’amour, tel que le décrit le Politien dans sa ballade Ben venga maggio ou Bocace dans son Decameron. Avec la Naissance de Vénus nous avons affaire à une œuvre emblématique.Cette Vénus par son attitude empreinte de pudeur est une Vénus pudica en référence à la statuaire antique. Le bonheur prime sur la culpabilité. L’inspi-ration de Botticelli est très proche de certains vers des Stances du Politien. Vénus est l’axe du tableau, un axe sinueux en contrapposto, attitude de déhan-chement où le poids du corps repose sur un pied, or ici la position est telle que Vénus ne peut tenir la pose. Les deux groupes de personnages présents s’opposent : à gauche, Zéphyr et Chloris, enlacés dans le ciel souffle pour faire avancer la conque, à droite, la nymphe, du groupe des Heures, est prête à accueillir la déesse et lui offrir un manteau de fleurs. La composition est construite en respectant la divine proportion, le nombre d’or. La Naissance de Vénus n’est que jeu de construction : les groupes latéraux sont placés sur les diagonales de rectangle d’or, deux cercles englobent Vénus.

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Français 1re – Livre du professeur

III. Un art renouvelé par les techniques ➤ Vittore Ghiberti, Salomon reçoit la reine

de Saba (entre 1425 et 1452)

Les personnages ne sont pas tous représentés de la même façon : le relief est plus marqué au premier plan et plus on avance vers le fond, plus les person-nages sont représentés en nombre et avec moins de détails. (Cette technique est employée depuis l’Anti-quité : Cf. les bas-reliefs grecs et égyptiens).Tout en étant légèrement décentrée, la perspective est construite de façon symétrique. L’architecture centrale crée un cadre autour des deux person-nages principaux : – 1er plan : (devant le muret) : des scènes de la rue ; – 2e plan : le groupe central et de chaque côté,

des personnages officiels qui ont des postures hiératiques ; – 3e plan : l’architecture symbolique. Il s’agit d’un

travail de fonderie (métal en fusion coulé dans un moule).

Pour avoir de telles différences de relief, un travail d’artisan très précis est nécessaire : on utilise la technique de la « cire perdue » (on ajoute une couche de cire au fond du moule qui fond peu à peu au contact du bronze en fusion). Autre exemple d’œuvre réalisée avec cette technique : la Porte de l’Enfer de Rodin.

IV. L’art des jardins ➤ Comparaison : l’espace dans le tableau

de Lippi et dans les jardins Boboli

Les jardins Boboli, attenants au palais Pitti, repré-sentent un exemple de jardins à l’italienne. Ils ont été commencés en 1550 sous l’autorité de leur concepteur Niccolo Pericoli. Ils constituent un très vaste ensemble organisé autour d’un amphithéâtre ; ils s’étendent de la colline qui surplombe le palais à la via Porta Romana.

Le traitement de l’espace dans le tableau et les jardins obéit aux mêmes règles picturales et archi-tecturales de la Renaissance : recherche de la perfection.

➤ Caractéristiques de l’art à la Renaissance

La Renaissance, période d’essor intellectuel et humaniste, développe une production artistique, philosophique et scientifique en Italie, entre le Moyen Âge et les Temps Modernes, du xve au xvie siècles. Ce mouvement d’envergure gagne la France, les Pays-Bas et toute l’Europe.

a. Le « renouveau » se traduit par le retour à l’Antiquité et la représentation du sacré et du profane.Des sujets empruntés à l’Antiquité gréco-romaine. Renouveau de la culture gréco-romaine à travers la mythologie.

Ex. Statue de Neptune dans les jardins Boboli, Vénus peinte par Botticelli (page 399)…Vogue de la pensée et de la littérature gréco-romaine : philosophes réunis dans le tableau de Raphaël, L’École d’Athènes (page 396)…L’inspiration biblique

Ex. La Vierge peinte par Lippi (page 398), les repré-sentations de la Madone par Raphäel, le sujet « David » sculpté par Donatello (page 399), Michel-Ange et Verrocchio…

b. La foi en l’homme et sa représentation nouvelleLes humanistes placent leur confiance dans le savoir qui permet une maîtrise rationnelle du monde et qui fait émerger l’individu de la masse.

Ex. Représentation d’hommes exerçant des métiers ou portraits individuels d’hommes plus ordinairesPerugino, Portrait de Francesci delle Opere, Florence, 1494

L’espace dans le tableau de Lippi L’espace dans le tableau de Lippi et dans les jardins Boboli

L’ordonnance générale :Premier plan : un groupe (la Vierge assise, l’Enfant Jésus et deux Anges) occupe les 2/3 de l’espaceSecond plan : un paysage italien

L’ordonnance générale :Premier plan : une partie des jardinsSecond plan : le palais Pitti

La symétrie :Fenêtre ouverte sur un paysagePyramide constituée par le groupe de personnagesLignes formées par les mains de la Vierge en prière

La symétrie :L’obélisque constitue le milieu symbolique de la façade du palais ; la symétrie est absolueSymétrie des espaces vertsSymétrie de la fontaine (jeu entre la fontaine et son reflet)

La perspective :Profondeur du paysage printanierEléments végétaux et minéraux (lignes verticales) sur fond d’horizonVille au loin

La perspective :Enfilades de jardins symétriques convergeant vers la façade du palaisImpression de profondeur et d’immensité

L’harmonie :Grâce juvénile de la Vierge, sourire de l’Ange au premier plan, relation de confiance et de tendresse entre la Vierge et l’Enfant (mains tendues vers la mère)

L’harmonie :Fusion entre le palais et les jardins, entre le minéral et le végétalJeu d’échos entre la statue en bronze de Neptune (Stoldo Lorenzi, 1565) et la surface de l’eau

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

Les époux Arnolfini de Van Eycke, 1434. Il est l’un des premiers artistes à avoir signé beaucoup de ses œuvres.Le nu est peint pour lui-même ; il devient sujet à part entière et expression esthétique.

Ex. La naissance de Vénus de Botticelli (page 399)Les paysages prennent également de l’importance et sont réalisés pour leur valeur intrinsèque.

Ex. Le Printemps de Botticelli, Florence, 1445

c. De nouvelles techniques

Les artistes de la Renaissance décorent les murs à fresque (Ex. Fra Angelico et les fresques du couvent

San Marco à Florence), utilisant le panneau de bois et la toile pour la peinture à chevalet. La toile se généralise à Venise dès 1520.Les œuvres du Quattrocento sont souvent réalisées a tempera. Le procédé flamand à l’huile, diffusé en Italie par Antonello de Messine et Giovanni Bellini, offre de nouvelles possibilités dans la seconde moi-tié du xve siècle. Les couleurs mattes du Quattro-cento se fondent grâce à la technique à l’huile qui permet de traduire aussi l’éloignement par la dégradation des tons et des contours (perspective atmosphérique).

Ex. Jeune femme à sa toilette de Bellini, 1515.

Séquence 1

Une œuvre humaniste : Français Rabelais, Gargantua (1534) – Œuvre intégrale p. 402

Problématiques : Quel idéal humaniste François Rabelais invite-t-il le lecteur à découvrir ? Comment le met-il en œuvre dans l’univers romanesque ?

Éclairages : Les textes choisis constituent un parcours de lecture dans une œuvre intégrale. Ils per-mettent de saisir les valeurs humanistes dont le roman se fait l’écho : curiosité et soif de connaissances, idéal de justice et de concorde, foi en l’homme et en sa perfectibilité à travers l’éducation du jeune Prince et de s’interroger sur une écriture qui, par la fiction littéraire des géants et par la présence du rire, invite le lecteur à porter un autre regard sur la réalité. Les images retenues constituent aussi un itinéraire qui mène le personnage éponyme de l’ancien au « nouveau monde ».

Texte 1 – Prologue p. 402

OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer les intentions de Rabelais dans un prologue placé sous le signe du double.

– Réfléchir sur le statut et le rôle du lecteur. – Étudier un réseau d’images à visée argumentative.

LECTURE ANALYTIQUE

Un prologue humanisteDu grec pro et logos, le terme signifie « ce qui pré-cède le discours ». Dans l’Antiquité, le mot désigne la partie d’une œuvre théâtrale qui précède la pièce elle-même, dans laquelle un personnage vient pré-senter le sujet avant l’entrée du chœur. Dans les œuvres modernes, il s’agit d’un texte introductif, à la manière d’une préface, qui peut remplir différentes fonctions, qu’elles soient explicatives, justificatives, critiques, polémiques. Rabelais ouvre Gargantua par un « Prologue » en prose qui suit immédiatement l’« Avis aux lecteurs » en vers. L’auteur se met lui-même en scène par la voix qu’il fait entendre à la première personne du singulier sous une forme ludique à travers le pseudonyme et l’anagramme d’Alcofribas Nasier ; il fait aussi référence à son œuvre, « mes écrits » (l. 2), comme aux livres popu-laires dont il s’est inspiré « Gargantua, Pantagruel

[…] » (l. 26-27). Il se plaît à brouiller les pistes sur le statut du « je » qui s’adresse directement aux « Buveurs très illustres, et vous, vérolés très pré-cieux » (ouverture du paragraphe 1) et aux « bons disciples » (début du paragraphe 2). Il peut s’agir de la figure de l’écrivain, d’un maître, fêtard, qui ne se prend pas au sérieux et qui s’adresse à des lecteurs en quête de divertissement. L’œuvre est placée d’emblée sous l’égide du jeu. L’esthétique du tra-vestissement se retrouve dans les tons utilisés. Le comique domine dans les énumérations, procédé fréquent chez Rabelais (Cf. Texte 3, p. 409). Ainsi l’auteur multiplie les accumulations construites sur l’opposition entre la laideur extérieure et la beauté intérieure : – série 1 concernant les Silènes « figures drôles et

frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cor-nus, canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés mais à l’intérieur on conservait les fines drogues comme le baume, l’ambre gris, l’amome, la civette, les pier-reries et autres choses de prix » (l. 7-11) ; – série 2 concernant Socrate « tant il était laid de

corps et d’un maintien ridicule, le nez pointu, le regard d’un taureau […] Mais […] une intelligence plus qu’humaine, une force d’âme merveilleuse, un courage invincible […] » (l. 11-21).Les ruptures de ton se retrouvent dans les apos-trophes paradoxales : « buveurs très illustres », « vérolés très précieux » qui renversent la hiérarchie

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Français 1re – Livre du professeur

habituelle et qui s’opposent à la référence sérieuse : « Socrate, sans conteste le prince des philo-sophes » ; les titres tout aussi provocateurs : « Fes-sepinte, La Dignité des braguettes » (l. 26-27) alternent avec les références culturelles : « dans un dialogue de Platon intitulé Le Banquet » (l. 3) ; d’autres échos de l’Antiquité apparaissent à travers les mentions d’Alcibiade ou de Socrate, la notion de disciple et les allusions mythologiques aux silènes ; l’éloge de Socrate s’inscrit aussi dans une tradition héritée de l’Antiquité. Comique et sérieuse, provo-catrice et didactique, l’œuvre est placée sous le signe de la dualité dès le prologue.

Le projet narratifLa structure du texte repose sur un jeu d’images et d’analogies qui participent d’une volonté pédago-gique forte. Le premier paragraphe est construit à partir d’un enchâssement de comparaisons à visée argumentative :Comparaison 1 – Socrate (comparé) et les Silènes (comparant), outil de comparaison : « semblable » (l. 4).Comparaison 2 – les Silènes/boîtes (comparé) et Silène/figure mythologique (comparant), outil de comparaison : « comme » (l. 9) : – laideur des silènes/énumération animale déprécia-

tive ; opposition forte introduite par « Mais » (l. 10) ; – beauté intérieure des silènes/énumération de

substances précieuses.Comparaison 3 – Socrate (comparé) et les Silènes (comparant), outil de comparaison : « semblable » (l. 12). Le portrait de Socrate est antithétique : – laideur apparente : énumération de défauts phy-

siques et moraux ; – opposition forte introduite par « Mais » (l. 18) ; – richesse intérieure : énumération de qualités

intellectuelles et morales.Un jeu d’emboîtements symétriques et rigoureux per-met de construire une double figure, celle de Socrate et des Silènes, aux significations plurielles : laideur dans le paraître, beauté dans l’être. Le paragraphe suivant donne la clé de lecture en explicitant le rap-port entre les images et l’œuvre de Rabelais. La question concise et brutale : « A quoi tendent, à votre avis, ce prélude et ce coup d’essai ? » (l. 24) joue le rôle d’une transition entre le symbole et son explica-tion, la métaphore du livre. On retrouve le procédé de l’énumération opposant cette fois l’apparence de titres légers : « Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des pois au lard… » (l. 26-27) à la richesse intérieure de l’œuvre présentée comme une maxime : « Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des hommes » (l. 30-31) ; trois proverbes empruntés au domaine vestimentaire (« habit », « froc », « cape », l. 31-32) développent en écho l’opposition entre l’être et le paraître. La locution « C’est pourquoi » (l. 35) introduit la méthode de lecture : « il faut ouvrir le livre

et soigneusement peser ce qui y est traité ». L’auteur sollicite son lecteur pour qu’il dépasse une lecture lit-térale et qu’il accède à une lecture allégorique. Pour lire Gargantua, l’auteur recherche un nouveau type de lecteur qui se définit non seulement par un tempéra-ment : d’un naturel optimiste, enclin au rire, amateur de plaisirs (vin et amour comme le suggère l’apos-trophe en ouverture) et de jeux de mots mais aussi par un état d’esprit : exercice de la pensée, sagacité, finesse de l’interprétation et libre jugement. Le Pro-logue, qui est à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’œuvre, répond à des intentions stratégiques dans une forme qui se veut originale. A la manière d’un bateleur, l’auteur qui recourt au « je » du dialogue vivant s’adresse à un lecteur qu’il interpelle et qu’il malmène et, ce faisant, se définit comme un homme joyeux, prêt à rire d’un monde qu’il va interroger, tel un humaniste. Il définit le portrait du lecteur idéal en présentant une leçon de « savoir lire » à travers un jeu d’analogies, d’antithèses et d’énumérations, caracté-ristique de son écriture il nous invite à décrypter la métaphore du livre et à découvrir en toute liberté les potentialités du récit à venir. C’est le ton de l’œuvre qui est annoncé dans cet avertissement placé sous le signe du double, comique et didactique.

SynthèseOn reprendra la volonté d’amuser et de surprendre de l’écrivain « fêtard », avec ses anecdotes plai-santes, ses jeux de mots, ses allusions grivoises qui correspond à un premier niveau de lecture, pour rire. On rappellera ensuite que c’est une invitation à por-ter un autre regard sur la réalité et à savoir tirer la « substantifique moelle » d’un récit, en s’appuyant sur l’image des Silènes, invitation à la sagesse et célébration de l’intelligence.

VOCABULAIRE

Le lexique animal évoque des êtres qui ne sont pas considérés comme des animaux nobles, mais ont plutôt des connotations dévalorisantes (boucs, lièvres, animaux à cornes, etc.). On relèvera par ail-leurs la présence quasi systématique d’adjectifs qualificatifs qui suggèrent le ridicule (cornus, bâtés, etc.)On a là une illustration du proverbe « l’habit ne fait pas le moine ».

PISTES COMPLÉMENTAIRES

➤ On pourra faire lire l’« Avis aux lecteurs » aux élèves et les interroger sur les liens entre cet avertis-sement et le Prologue de Gargantua.

Le statut de l’« Avis aux lecteurs » : – un texte liminaire ; – une forme poétique : un dizain en décasyllabes,

forme brève, resserrée et travaillée ;

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303

Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

– l’énonciation : première personne, adresse initiale au lecteur, verbes à l’impératif (valeur prescriptive).

Les fonctions de l’« Avis aux lecteurs » : « défense et justification » de l’œuvre : – l’auteur se définit et justifie son projet littéraire :

faire rire par souci d’altruisme ; – il brosse en creux le portrait du lecteur idéal :

ouverture d’esprit requise ; – le ton de l’œuvre et sa visée sont annoncés : invi-

tation au divertissement sous la forme d’une maxime finale : « Il vaut mieux traiter du rire que des larmes Parce que le rire est le propre de l’homme ».

➤ On pourra également amener les élèves à par-courir l’œuvre intégrale et à se demander si le « pacte initial » est respecté dans le récit.

Texte 2 – L’éducation de Gargantua p. 404

OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser l’idéal humaniste en matière d’éducation.

– Montrer les effets de la nouvelle éducation. – Réfléchir sur les limites de la nouvelle éducation.

LECTURE ANALYTIQUE

De nouvelles méthodesÉduqué selon la méthode traditionnelle héritée des précepteurs du Moyen Âge, Gargantua est devenu « niais, tout rêveux et rassotté ». Son père décide de le confier à un maître moderne qui lui fait alors oublier ce qu’il a appris en lui administrant un remède « qui lui lava le cerveau de toutes ses habitudes per-verties ». À Thubal Holoferne, « sorbonicquard », succède Ponocrates, « le bourreau de travail ». Une nouvelle éducation est proposée, qui s’oppose radi-calement à l’enseignement des sophistes. Les cha-pitres 20 à 22 (Éditions Pocket) forment un diptyque antithétique. Dans la nouvelle éducation, une organi-sation méthodique et rationnelle du temps apparaît. La part horaire consacrée à l’étude est plus vaste que dans l’ancienne éducation : « se réveillait donc vers quatre heures du matin »/« il s’éveillait habituel-lement entre huit et neuf heures ». Le texte est jalonné de repères logiques et temporels qui sou-lignent l’enchaînement des activités (« puis », « cela fait »), leur concomitance (« pendant ce temps », « pendant que ») et leur durée (« pendant trois lon-gues heures »). L’emploi du temps se veut dyna-mique et rythmé, la maîtrise du temps est devenue absolue : « il ne perdait pas un moment de la jour-née ». Le principe d’alternance caractérise aussi la nouvelle éducation : alternance entre les activités d’intérieur et d’extérieur, alternance entre les exer-cices physiques et intellectuels, alternance entre les

leçons et les travaux pratiques. On peut s’appuyer sur la structure du passage pour montrer comment ce principe est mis en œuvre de manière systé-matique. Équilibre, diversité et variété régissent la nouvelle éducation. L’accent est mis sur de nou-velles pratiques pédagogiques : apprentissage par cœur tempéré par l’appel à l’intelligence et l’exer-cice de la réflexion critique, aspects théoriques éclairés par le recours à l’expérience, notamment l’observation de la nature, pratique du dialogue entre le maître et le disciple, rôle du jeu devenu un outil du savoir, etc. Il se dégage une ambiance nouvelle, pro-pice à l’épanouissement individuel : absence de rigi-dité, souplesse alliée à la liberté, au plaisir et à la détente, etc.

De nouveaux savoirsÀ l’immobilisme de l’ancienne éducation succède la maîtrise du corps et de l’esprit dans le nouveau modèle. Rabelais, médecin et humaniste, accorde une place importante au corps qui est valorisé de diverses manières, notamment à travers les activi-tés : part de sommeil réduite et développement de l’exercice physique, promenades et jeux : « jouaient à la balle ou à la paume » (On pourra faire lire la suite du chapitre). L’hygiène corporelle est devenue une préoccupation constante, qu’il s’agisse de la toilette matinale (énumération présente à la ligne 16) ou des ablutions entre les activités sportives. L’équilibre ali-mentaire constitue aussi un sujet de réflexion dans la quête d’un développement harmonieux du corps (Cf. énumération des lignes 44 à 49). Une place nou-velle est réservée à l’éducation morale. Les pra-tiques formelles et mécaniques de l’ancien système sont remplacées par des pratiques raisonnées : lec-ture de la Bible dans un texte authentique avec exé-gèse (l. 11-12) et par une foi sincère : « vénérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu » (l. 7), « ren-daient grâce à Dieu par quelque beau cantique à la gloire de la grandeur et de la bonté divines » (l. 52-53). Enfin l’éducation intellectuelle est valori-sée à travers la diversité des domaines abordés : lettres, mathématiques (arithmétique, géométrie), physique (astronomie), sciences naturelles permet-tant la compréhension du monde et à travers la variété des méthodes utilisées : lecture, observa-tion, travaux pratiques, dialogue, etc.Il s’agit d’une éducation à la mesure de l’idéal huma-niste au début du xvie siècle. L’homme de la Renais-sance tend à développer le corps, l’âme et l’esprit conformément à la formule des Anciens, mens sana in corpore sano, en recherchant l’équilibre, l’harmo-nie et l’épanouissement. Le programme éducatif se veut complet et « gigantesque » à l’image de Gar-gantua, appelé à devenir le type du prince idéal. Une part d’innovation est introduite dans l’accès direct aux textes sacrés et anciens et dans une espèce de ferveur tant religieuse que scientifique.

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Français 1re – Livre du professeur

SynthèseL’éducation humaniste se caractérise par : – un état d’esprit : l’élève est animé par une soif

de connaissances à l’image des géants, par une curiosité extrême et par un certain enthousiasme face à l’étude. On revient aussi aux sources des textes antiques et bibliques que Gargantua com-mente directement en exerçant sa raison ; – une formation complète : l’éducation nouvelle

prend en compte l’homme dans sa globalité : corps, âme et esprit. D’où la concomitance de certaines activités dans l’emploi du temps de Gargantua ; – un savoir être : en intégrant la culture antique à la

vie, l’élève réfléchit sur les valeurs morales et leur mise en pratique. L’objectif est de faire de lui le prince idéal.

VOCABULAIRE

« Se récréer » (l. 23) vient du latin recreare (produire de nouveau, faire revivre, rétablir, réparer), recreatio (rétablissement). Au xiiie siècle le sens dominant est celui de « repos, délassement ». Dans le texte, le terme signifie se délasser au sens de se divertir. Le sens dominant aujourd’hui de « récréation des éco-liers » s’est développé au xviie siècle.

S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION

Les limites du programme éducatif : – des excès : un système (trop ?) intensif laissant

une part limitée à l’autonomie intellectuelle de l’élève qui semble passif à certains moments : « on lui fai-sait la lecture » (l. 21), « son précepteur répétait ce qui avait été lu en expliquant les points les plus obs-curs et les plus difficiles » (l. 11-12) ; – des faiblesses : des manques apparaissent dans

une éducation qui pourrait prendre en compte les langues, la poésie, les arts dans un souci d’ouver-ture complète, etc.

Texte écho – Érasme, De l’éducation des enfants (1529) p. 406

OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser l’éducation chez les humanistes en Europe.

– Réfléchir sur l’écriture, notamment le registre épidictique.

LECTURE ANALYTIQUE

Le projet éducatif d’ÉrasmeDeux domaines apparaissent, les langues et la litté-rature, que l’on peut repérer grâce aux articulations logiques : « En premier lieu » et « Et puis ». Le public concerné est double dans un souci humaniste :

enfants et adultes sont pris en compte, même si les visées éducatives diffèrent en fonction de l’âge.Les deux disciplines sont mises en valeur à travers le circuit argumentatif et les procédés d’écriture, même si l’on observe une disproportion dans le trai-tement des deux thèmes : les langues (l. 2 à 7) et les lettres (l. 7 à 29).

Un plaidoyerLe discours argumentatif

a. Les languesJustification de la pratique par deux arguments : facilité d’apprentissage chez l’enfant mais difficulté chez l’adulte (opposition : « alors que ») ; imitation et plaisir chez l’enfant.

b. La littératureElle est développée par des arguments de longueur inégale : – intérêt « des fables des poètes » pour tous : plai-

sir, connaissances linguistiques et formation morale ; – un double champ lexical de l’agrément et de l’ap-

port, termes valorisants ; – une question oratoire : « Quoi de plus plaisant […] » ; – le recours à un exemple illustratif : « les apolo-

gues d’Ésope », « les autres fables des poètes anciens » : fonction ludique et morale remplie par les « genres », poésie épique et bucolique, comédie ; – retour du champ lexical de l’agrément et de l’ap-

port, termes valorisants ; – le recours à des exemples à valeur argumentative

pour la poésie épique ; On peut retrouver des échos dans l’œuvre de Rabelais, qu’il s’agisse de Gargan-tua ou de Pantagruel (Lettre de Gargantua à son fils).

Le locuteur s’engage dans le débat éducatif à travers des marques affirmées de la première personne du singulier et du pluriel « je » et « nous » et implique un interlocuteur désigné par « tu » : Érasme et un contemporain, maître/élève, auteur/lecteur… Les marques du jugement/sentiment sont présentes : champ lexical du plaisir. Il fait l’éloge de l’éducation à travers deux domaines que sont les langues et la lit-térature ; il insiste sur leur visée ludique et didactique en lien avec les Anciens. La rhétorique de l’éloge est développée avec l’emploi d’un lexique valorisant, des questions oratoires, des anaphores, etc.

SynthèseUn idéal éducatif commun à travers deux œuvres contemporaines (1529/1534), empruntées à des genres littéraires différents, un traité et un roman.

I. Une préoccupation commune

• L’éducation des enfants chez Érasme, l’éducation du jeune prince chez Rabelais.

• Des contenus axés sur les langues et les lettres chez Érasme ; place des Anciens (Homère, Ésope, poésie bucolique, l’apologue et la comédie). Lecture

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

des Anciens (énumération ligne 45-46, p. 407), des romans de chevalerie et de la Bible chez Rabelais.

• Des finalités éducatives comparables : des textes à visée morale « instruire », idée récurrente du plai-sir chez Érasme et affirmation du principe du « bon plaisir » chez Rabelais.

II. Des choix d’écriture particuliers

• Une page de traité et un registre double : didac-tique qui vise à instruire par le circuit argumentatif (arguments, exemples) et épidictique : éloge de la culture littéraire (lexique du plaisir, anaphores, ques-tions oratoires, etc.).

• Une page de roman et une rhétorique de la profu-sion : concomitance et abondance d’activités, voire démesure à l’image du géant.

GRAMMAIRE

On relève une phrase exclamative (l. 24) marquant un jugement : admiration du locuteur pour la comé-die qui remplit deux fonctions « plaire et instruire ». Mais ce sont les phrases interrogatives qui dominent dans ce texte. Il s’agit essentiellement de questions oratoires qui participent de la rhétorique de l’éloge à l’égard des Anciens : « Un stoïcien s’exprimerait-il plus gravement ? » (l. 19), « Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d’Esope ? » (l. 11) ; en écho : « Mais quoi de plus gracieux qu’un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu’une comédie ? » (l. 21-22).

S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION

Pour faire l’éloge de l’éducation scolaire actuelle : – on respectera les caractéristiques de l’énoncia-

tion du texte d’Érasme : présence d’un locuteur « je », « on » qui s’adresse à un destinataire : « tu » ou « vous » ; – on aura recours aux mêmes procédés d’écriture :

énumération ; anaphore ; phrases exclamatives et interrogatives ; – on proposera des arguments en faveur de l’édu-

cation actuelle : les contenus d’enseignement : diversité et variété, culture et ouverture sur le monde ; les méthodes pédagogiques : cours dialo-gué, mise en activité de l’élève, considération de la difficulté (différenciation), place et rôle des TICE ; la relation maître-élève : prise en compte de la person-nalité, respect de l’autre, écoute bienveillante.

Texte 3 – La Guerre picrocholine p. 408

OBJECTIFS EN ENJEUX – Étudier l’art du récit. – Dégager la double critique de la guerre et de la religion.

LECTURE ANALYTIQUE

Une scène de massacre…

Le champ de bataille se situe dans le clos de l’ab-baye de Seuilly. Les forces sont représentées par deux camps que tout oppose. D’un côté un moine seul, Frère Jean (répétition du pronom singulier « il »), incarne l’action méthodique, de l’autre les ennemis en nombre, au total « treize mille six cent vingt et deux » (nombre suggéré par les pluriels : « les porte drapeau », « les porte-enseigne »), sujets de Picrochole, se caractérisent par le désordre et une forme d’inaction ; les guerriers se sont mus en pillards/vendangeurs (détournement des instru-ments relatifs à la guerre : « tambours pour les emplir de raisin », « les trompettes étaient chargées de ceps ». L’arme de Frère Jean est détournée elle aussi : l’objet sacré, « le bâton de la croix », symbole de l’amour chrétien, devient l’instrument du désordre « il les renversait comme des porcs, frappant à tort et à travers » et du désastre. La description du combat relève du mas sacre burlesque. Les termes techniques du lexique médical, qui traduisent la connaissance du corps pour mieux le soigner, sont détournés ; les ennemis sont décrits à travers le corps meurtri et désacralisé ; aucune partie du corps n’est épargnée, de la tête « il écrabouillait la cervelle » aux pieds « jambes », « tibias », jusqu’au fondement « boyau culier ». Les termes familiers « il écrabouillait », « les tripes » côtoient le lexique spé-cialisé « l’épine dorsale », « la suture lambdoïde », produisant ainsi un effet comique. Rabelais médecin met à mal l’anatomie non sans malice. Le portrait du héros se fait en deux temps à travers ses actions et ses paroles. Dans un passage précédent, le voix du narrateur a nommé le personnage « Frère Jean des Entommeures », « du hachis », nom-portrait, nom programmatique, eu égard au massacre orchestré par le moine. La figure du moine est doublement héroïque. Il est le héros au sens du personnage qui intervient dans l’action romanesque ; il se caracté-rise aussi par des exploits qui rappellent l’épopée et les romans de chevalerie. Frère Jean est un moine en action qui se distingue par une entrée en scène tonitruante, comme le suggèrent les verbes au passé simple, et par son ardeur au combat ; elle est évoquée par la parataxe, les for mules symétriques « aux uns […] aux autres » et l’accumulation de verbes de mouvement renforcés par fois par des adverbes qui traduisent la violence de l’acte. Le nar-rateur parvient à maintenir l’attention du lecteur depuis l’arrivée fracassante du héros dans le clos de l’abbaye, théâtre de la guerre, jusqu’aux suppliques finales des blessés. Le récit est conduit de manière alerte : rythme rapide de la narration, enchaînement des actions simplement juxtaposées ou coordon-nées, parallélismes de construction, accumulation verbale. Il joue aussi sur la fantaisie débridée en

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Français 1re – Livre du professeur

faisant de Frère Jean un héros à la force surnaturelle qui défait à lui seul les ennemis.

…traitée sur le mode comiqueL’épisode constitue une double satire. La parodie de la guerre s’exprime à travers le décalage entre le motif futile (une querelle pour des fouaces) et les effets dévastateurs : le massacre de « treize mille six cent vingt et deux » ennemis et à travers l’intertexte culturel : l’épopée et les romans de chevalerie sont présents avec les prouesses guerrières presque sur naturelles de Frère Jean. Mais il s’agit d’un détour-nement comique du personnage, « moine claus-trier » voué théoriquement à la contemplation. La critique du monde religieux se fait à travers l’attitude contrastée de Frère Jean et des moines. D’un côté un moine actif qui prend en main son destin, de l’autre des contemplatifs. On a affaire à un moine belliqueux à la piété curieuse qui détourne les objets sacrés, le froc et la croix, en objets guerriers et qui blasphème : « tu vas aussi rendre ton âme à tous les diables ». Aucune compassion à l’égard des enne-mis. L’intérêt qui guide l’action du moine, c’est la défense du clos de l’abbaye, c’est-à-dire des vignes et du vin. L’attitude des blessés relève de pratiques proches de la superstition : accumulation comique de lieux de pèlerinage ou de saints fantaisistes dans la bouche de soudards transformés en suppliants animés non par le repentir mais par la crainte de la mort. Le prieur et les moines, quant à eux, sont trai-tés avec sévérité : entre passivité (le chant) et absur-dité (confesser des blessés eu lieu de les soigner). C’est un idéal religieux qui s’exprime de manière sous jacente, à mi-chemin entre l’inaction stérile et l’action belliqueuse.

SynthèseI. La place de l’épisodeIl s’agit d’un épisode central par la place qu’il occupe (chapitres 23 à 49 dans l’édition Pocket) et la longueur qu’il représente (environ 26 chapitres sur les 56).

II. Les fonctions de l’épisode

• Une fonction dramatiqueLe romancier utilise toutes les ressources du récit pour tenir le lecteur en haleine (rythme rapide de l’épisode, rôle des verbes d’action) et renouvelle l’intérêt dramatique : alternance de scène d’action et de portrait, l’un (Frère Jean) et le multiple (les ennemis).

• Une fonction comiqueLe romancier reste fidèle au « pacte » du prologue : faire rire son lecteur. Les sources du comique sont mobilisées dans cet épisode haut en couleur : parodie de l’épopée et des romans de chevalerie : grossisse ment épique avec l’accumulation hyper-bolique de verbes d’action et de détails anato-miques ; le burlesque de l’épisode qui transforme un

massacre en jeu ; comique de contraste entre l’ar-deur belliqueuse de Frère Jean et l’attitude paisible des ennemis ; humour noir (scène de massacre et de vendange) ; comique verbal : jeu de mots (Cf. « rendre »), accumulation verbale, jeux de symé-trie avec les anaphores « uns/autres », « quelqu’un », les antithèses, etc.

• Une fonction critiqueCritique de la guerre, notamment l’horreur de la guerre civile ; un motif futile et des effets désas-treux ; folie et brutalité des hommes.Critique de la vie monacale : moine guerrier, contraste entre l’action et l’inaction.

• Une fonction symboliqueDerrière les deux camps, se profilent deux chefs, Grandgousier/Gargantua et Picrochole, seigneur de Lerné « à la bile amère ». On a pu voir un écho histo-rique et politique des luttes qui ont opposé François Ier et Charles Quint, roi d’Espagne, empereur ger-manique, ennemi des rois de France.

GRAMMAIRE

Les verbes d’action scandent l’épisode correspon-dant aux exploits guerriers de Frère Jean. Dans les paragraphes 1 et 2, les verbes au passé simple évoquent l’entrée rapide sur le champ de bataille : « il ôta », « se saisit », « il sortit » et le début du mas-sacre : « il donna si brusquement », « il les chargea donc si rudement ». Dans les paragraphes suivants, les verbes d’action à l’imparfait sont multipliés ; ils traduisent la violence de la scène guerrière par leur accumulation mécanique. Certains verbes com-prennent les préfixes « dé/dis » qui marquent la séparation : « il démettait », « il défonçait », « il déboîtait », « il disloquait ».

PROLONGEMENT

Cf. fonction symbolique du récit, dans la synthèse.

S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE

« Croyez bien que c’était le plus horrible spectacle qu’on ait jamais vu. » (l. 33-34)La phrase conclut la partie du récit qui décrit le mas-sacre des ennemis ; le paroxysme dans la vision réaliste et comique de l’horreur est atteint avec la formule « à travers les couilles il perçait le boyau culier ». Avec l’emploi de l’impératif à la deuxième personne du pluriel « croyez », le lecteur est pris à témoin. L’emploi du superlatif de supériorité « le plus horrible spectacle » et le choix d’un terme fort (horreo en latin) contribue à la dénonciation de la guerre. On s’interroge sur la part de sérieux et de comique. Ce passage pourra être comparé à l’épi-sode de Candide soldat.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

Texte écho – Thomas More, L’Utopie (1516) p. 410

OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser les conceptions de la guerre chez les humanistes.

– Réfléchir sur l’écriture, notamment le registre polémique.

LECTURE ANALYTIQUE

La condamnation générale de la guerre est virulente chez les Utopiens : elle s’exprime dès la première phrase à l’aide d’un lexique moral fort « la guerre en abomination » et d’une double comparaison animale : « comme une chose brutalement animale », « plus fréquemment qu’aucune espèce de bête féroce ». La guerre est dénoncée pour des raisons politiques (impérialisme, invasion), morales (quête de la gloire) et économiques (profit). La guerre, synonyme d’agres-sion, est condamnée chez More et chez Rabelais, dans la mesure où elle constitue une atteinte aux biens d’autrui.La guerre défensive est justifiée chez les Utopiens pour plusieurs raisons, politiques et morales : défense nationale d’un territoire, solidarité interna-tionale et bien de l’humanité. Le lexique valorisant de la protection est employé dans une période/phrase au mouvement ternaire : « pour défendre leurs frontières, ou pour repousser une invasion […] ou pour délivrer de la servitude et du joug d’un tyran un peuple opprimé ».La défense de valeurs morales (liberté, justice et honneur, respect des « droits de l’homme ») est mise en exergue par l’emploi d’un lexique valorisant : « défendre, délivrer, le bien de l’humanité, porte gra-tuitement secours ». Les Utopiens et Frère Jean répondent à une agression qui porte atteinte à leurs biens terrestres et à leur liberté.

SynthèseUne vision de la guerre commune à deux auteurs contemporains, Thomas More (humaniste anglais) et François Rabelais (humaniste français).

I. Thème et type de guerre– Condamnation de la guerre offensive très présente dans le texte de More et chez Rabelais (agression de Picrochole à travers ses sujets) ; « Défense et illus-tration » de la guerre défensive.– Justifications politiques et morales de la guerre défensive : réactions des Utopiens pour protéger leur territoire ou celui des alliés ; réaction de Frère Jean pour sauver les vignes du clos de l’abbaye.

II. Genre littéraireUn récit fictif écrit en latin chez Thomas More et un roman chez Rabelais. Discours Un discours argu-mentatif chez More (thèses, arguments, exemples) et narratif/descriptif chez Rabelais.

III. ÉcritureRegistre polémique chez More : dénonciation viru-lente de la guerre offensive (images animales, lexique dévalorisant) et registre comique chez Rabelais (ennemis pillards transformés en vendangeurs).

PROLONGEMENT

Le mot phalanstère vient du grec « phalanx » qui désigne une formation militaire rectangulaire et de « stereos » qui signifie solide.Le terme fait référence à la communauté de produc-tion imaginée par le philosophe français Charles Fourier (1772-1837) afin de parvenir à la dernière étape de l’industrie sociétaire.D’un point de vue littéraire, il s’agit d’un groupe de personnes vivant en communauté et ayant des acti-vités et un but communs ; lieu où vit ce groupe.Le concept, imaginé par Charles Fourier, a été répandu dans les milieux intellectuels du xixe siècle, nourris des thèses sociales de l’époque, et mis en œuvre par des industriels tels que Jean-Baptiste André Godin (1817-1888).

Un exemple de phalanstère, le Familistère de GuiseSensible à l’idée de la redistribution des richesses industrielles aux ouvriers, Jean-Baptiste André Godin souhaite offrir aux ouvriers le confort dont la bourgeoisie pouvait alors bénéficier.À partir de 1859, il entreprend de créer un univers autour de son usine de Guise (Aisne), qui emploie jusqu’à 1 500 personnes. Le mode de fonctionne-ment du Familistère peut être considéré comme précurseur des coopératives de production d’aujourd’hui.Il favorise le logement en construisant le « palais social » (logements relativement bien équipés pour l’époque), des lavoirs et des magasins d’approvi-sionnement.Il développe l’éducation en construisant une école obligatoire (de 4 à 14 ans), mixte et gratuite, encou-rage les loisirs et favorise la culture du corps et de l’esprit avec la construction d’un théâtre, d’une pis-cine et d’une bibliothèque. Tous les acteurs de l’en-treprise avaient accès aux mêmes avantages, quel que soit leur statut dans l’entreprise.

GRAMMAIRE

Le terme « Utopie » est emprunté par Rabelais au terme latin Utopia utilisé par Thomas More dans l’œuvre éponyme publiée en 1516. Le mot est créé par Thomas More à partir du grec ou, la négation, et topos, « le lieu », « le lieu qui n’existe nulle part ». Il désigne une société idéale. Les termes « Les Uto-piens » ou la variante « La République d’Utopie », employés de manière anaphorique, constituent les

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Français 1re – Livre du professeur

sujets grammaticaux en ouverture de paragraphe. Leur point de vue sur la guerre est ainsi mis en valeur.

S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION

Il faut ici réfléchir sur la permanence d’une thèse et sa validité à travers le temps, du xvie au xxie siècle. Quelle vision de la guerre domine à notre époque ?

I. Une conception de la « guerre idéale » encore d’actualité : la guerre défensive doit l’emporter sur la guerre offensive1. L’entraînement militaire par anticipation et l’arme-ment, force de dissuasionEx. : More, paragraphe 1 et l’armée de métier en France.2. La défense de valeurs morales : liberté et justiceEx. : More, paragraphe 2 et lutte contre les formes de tyrannie au xxe et xxie siècles.3. Le jeu des alliances, les pactes et la solidarité internationaleEx. : More, paragraphe 3 et le rôle de l’ONU dans l’histoire.

II. Un idéal humaniste non atteint au xxie siècle : les limites de l’idéal et la persistance de la guerre offensive1. Des guerres hâtives dans les déclarations, des guerres éclairs ou l’enlisement dans le conflit2. La politique impérialiste : soif de conquêtes, hégémonie, rêve de gloire militaire et politique3. L’intolérance, source de conflits

Texte écho – Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques (1616) p. 412

OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser les conceptions de la guerre chez les humanistes. Le point de vue du protestant.

– Réfléchir sur l’écriture, notamment les registres épique et tragique.

LECTURE ANALYTIQUE

Violence…La peinture de la France repose sur un jeu d’images ou figures par analogie. La France est personnifiée sous les traits d’une mère nourrissant des jumeaux ; la personnification qui parcourt l’extrait se trans-forme en allégorie : souffrance de la mère qui s’ex-prime dans le récit et dans le passage au discours direct. La métaphore est filée tout au long du pas-sage ; la France est le comparé, la « mère affligée » le comparant ; la figure féminine se déploie : mère allai tant, mère souffrant, mère ensanglantée. Les deux frères, Esaü et Jacob, fils d’Isaac et de Rébecca, sont des personnages bibliques (Cf. Ancien Testament, « Genèse », 25) ; Esaü est

l’aîné, il vend son droit d’aînesse à son frère pour un plat de lentilles ; Jacob est le cadet et l’élu de Dieu ; tous deux se livrent un combat sans pitié. Dans les vers 3 à 10, Esaü est présenté comme le respon-sable du conflit : il usurpe le sein maternel ; il est désigné par un lexique dévalorisant : « le plus fort » (force brutale ici), « orgueilleux », « voleur acharné », « malheureux » ; les adjectifs démonstratifs ont une valeur dépréciative. Jacob est présenté dans les vers 11 à 14 comme une victime ; il est caractérisé par un lexique valorisant : « se défend », « juste colère », en écho au vers 26 : « le droit et la juste querelle ». Toutefois le point de vue évolue. Séparés dans la syntaxe et dans la présentation, les deux frères sont réunis ensuite à partir du vers 17, quand le combat devient sanguinaire. « Mais » annonce ce changement : « leur rage », « leur poison », « leur courroux ». Dans ce combat épique, on retrouve l’esthétique du grossissement avec des procédés tels que le lexique de la violence (par exemple « furieux » au vers 19 ; sens de furor et diérèse), l’antithèse des couleurs (lait et sang), le champ sémantique du « sang » (v. 31, 33, 34), les sonorités qui suggèrent la brutalité (v. 18 par exemple), les hyperboles, la gradation dans la violence (mutilation de la mère et agonie), les enjambements (v. 3 à 6 : violence de l’agression).

… et passionLa présence de l’auteur est explicite ; elle est mar-quée d’emblée par le « je » et le présent de l’énon-ciation. Son point de vue évolue à travers le passage. S’il semble prendre parti pour Jacob, le protestant, présenté comme une victime (portrait v. 11 à 14) contre Esaü, le catholique, présenté comme l’agres-seur (portrait v. 3 à 10), le parti pris se modifie au fur et à mesure que le combat progresse et que la mère est mise à mal. La lutte contre nature est condamnée dans le discours de la mère qui réunit les deux frères dans une même condamnation : « Vous avez, félons […] », voire malédiction : « Or vivez de venin […] ». Le poète recourt au registre tragique : acte mons-trueux des deux frères qui rappelle la lutte fratricide d’Etéocle et Polynice, et épique par l’amplification.

Lecture d’imageI. Une scène de chaosTout est sens dessus dessous, oblique en toutes directions, arabesques ; même le groupe de soldats qui entrent dans l’image à droite porte lances et autres épées de façon non ordonnée.Par opposition, les architectures affirment la vertica-lité, appuyée par les tours, le clocher, les pilastres en pierre sur le bâtiment du premier plan (hôtel de Coli-gny) et les contreforts de l’église. Symboliquement la verticale est signe de force, de présence. On pourrait dire que l’architecture n’est pas atteinte par le désordre ; d’ailleurs aucun de ces bâtiments n’est en feu. Ces monuments seraient l’image de la

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

pérennité, ce qui résiste au désordre humain. Quant aux lignes de fuite, elles conduisent à l’entrée du château qui n’est autre que le Louvre.

II. Un poète et un peintre huguenotsFrançois Dubois a échappé à la tuerie quand toute sa famille de confession protestante s’est fait assas-siner par les catholiques. Évocation métaphorique des guerres de Religion (1562-1598) chez d’Aubigné dans une œuvre datée de 1577 et représentation (entre 1576 et 1584) d’un événement contemporain du peintre François Dubois (le massacre de la Saint-Barthélémy a lieu en 1572).

III. Combat singulier et massacre collectif• Scène intimiste (la mère déchirée par ses enfants) et scène publique (massacre devant le Louvre et sous le regard de la reine-mère Catherine de Médicis).• Omniprésence du désordre et de la violence sug gérée par les groupes de combattants, les armes, les corps étendus, les taches de sang ; le rouge représente les catholiques qui font verser le sang, tandis que le noir peut désigner les protestants.• Présence de vieillards, de femmes et d’enfants victimes dans le tableau à l’image de la mère déchi-rée dans le poème.• Vision d’horreur dans cette double scène de mas sacre à travers le texte et l’image, vision de deux camps irréconciliables.

SynthèseLe texte d’Agrippa d’Aubigné présente, par le biais d’une allégorie, un combat singulier, une lutte fratri-cide entre deux personnages bibliques, Esaü et Jacob (Cf. Ancien Testament, « Genèse », 25) et ce en pré-sence de leur mère. On peut faire une lecture histo-rique ou politique de ce texte et y voir le symbole d’une France ravagée par les guerres de Religion (1562-1598) qui opposent deux partis, les catholiques et les protestants. Cet écho d’une réalité contempo-raine figure dans Les tragiques, poème consacré aux malheurs des protestants, rédigé en 1577 et publié de manière clandestine en 1616. Le texte se situe dans la première partie intitulée « Misères », qui montre la France déchirée par les guerres civiles. Cette œuvre (1577), postérieure à celles de More (1516) et de Rabelais (1534), porte l’empreinte de son temps : nous sommes passés de l’Humanisme triomphant qui marque le début du siècle à une période sombre faite d’inquiétude et de pessimisme.

S’ENTRAÎNER À LA QUESTION SUR LE CORPUS

L’exercice invite les élèves à faire un choix person-nel, à confronter trois textes qui traitent de la guerre au xvie siècle et à justifier leur point de vue. Ils peuvent défendre leur position en s’appuyant sur la vision de la guerre proposée et le traitement du

sujet : registre comique chez Rabelais, registre polé-mique chez More et registre épique/tragique chez d’Aubigné en fonction de leur sensibilité littéraire. Ils peuvent s’interroger sur les aspects de l’Humanisme en jeu dans ces textes : foi en la liberté, justice et dénonciation de l’intolérance. Ils peuvent aussi se demander lequel des trois auteurs dénonce le plus efficacement la guerre.

Texte 4 – La Figure du Prince p. 414

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier l’art du discours. – Caractériser la figure du Prince humaniste.

LECTURE ANALYTIQUE

Le discours aux vaincusGargantua, chef de l’armée des Utopiens, s’adresse aux vaincus dans une harangue qui est rapportée au discours direct. Il exprime son point de vue à l’aide de la première personne du singulier et recourt aux marques de la volonté. Le chapitre XLVIII, intitulé « La concion que feist Gargantua ès vaincus », est constitué d’un long discours rapporté directement ; l’autorité du Prince est renforcée par cet effet de réalisme. Dans ce discours, le Prince règle la situa-tion engendrée par la guerre et définit les conditions d’une paix durable. Il accorde son pardon aux enne-mis (paragraphe 3) et leur octroie la liberté ; il pro-tège leur retour et leur assure des conditions matérielles (« solde ») ; il réorganise le pouvoir devenu anarchique en nommant un conseil des sages pendant la régence ; il s’entoure de précau-tions envers les fauteurs de troubles, car générosité ne signifie pas naïveté. Le ton se veut ferme et injonctif comme le montrent les marques de la volonté (Cf. question de langue) et la structure rigou-reuse du discours ; la parole est maîtrisée.

Le portrait du Prince idéalGrandgousier et Ponocrates représentent le père et le précepteur qui ont contribué à l’éducation du Prince et à la transmission des valeurs. Les para-graphes 1 à 3 sont ponctués de termes moraux à connotation positive qui évoquent l’esprit de justice ancestral : « générosité, mansuétude, généreux, bienveillance ». Ponocrates qui devient le gouver-neur sur le territoire de Picrochole pendant la mino-rité du fils de ce dernier incarne lui aussi la sagesse. Gargantua a intégré les leçons de son maître. Il recourt à des exemples historiques, parfois fantai-sistes, tirés de l’histoire biblique et antique : Moïse et Jules César. Ces exemples jouent un rôle démons-tratif ; Gargantua règle sa conduite sur celle des anciens : il pardonne aux vaincus et punit les fauteurs de troubles. La figure de Gargantua prend une nouvelle dimension, celle d’un Prince calme,

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Français 1re – Livre du professeur

pondéré, lucide, efficace et profondément humain (Cf. lexique moral valorisant). Il s’oppose en tout point à Picrochole qui incarne l’esprit de conquête, la démesure, la folie guerrière et la lâcheté à travers la figure du déserteur.

SynthèseGargantua incarne le Prince idéal par les valeurs qu’il défend dans son discours : prudence envers les responsables du conflit, magnanimité et généro-sité envers les vaincus. Son éducation est achevée à présent. Il met en pratique les principes reçus dans le second modèle pédagogique ; il a assimilé aussi les valeurs des ancêtres familiaux et des Anciens qu’il a lus. Il est donc prêt à gouverner. Il représente un modèle pour les contemporains à travers la leçon de sagesse politique qu’il donne aux vaincus. Il per-met de passer du désordre à un nouvel état, celui de l’ordre.

GRAMMAIRE

La volonté du Prince, futur roi, s’affirme dans cette harangue aux vaincus. Pour définir les conditions de la paix, il emploie à plusieurs reprises des verbes de volonté tels que « vouloir » (4 fois) et « ordonner » (1 fois) et des verbes au futur de l’indicatif : « vous recevrez », « sera gouverné ». Le présent dans « je vous pardonne et vous délivre » (l. 16) a aussi force de loi. Une volonté forte, empreinte de sagesse, s’exprime dans le discours de Gargantua.

S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE

Le portrait moral de Gargantua : un modèle de sagesse

I. L’autorité du Prince, responsable des arméesAffirmation de sa volonté, des décisions exposées avec calme, une fermeté pondérée.

II. L’habileté stratégique et rhétorique du PrinceProtection garantie aux vainqueurs et aux vaincus, pou-voir des ennemis réorganisés, éloquence maîtrisée.

III. L’humanité du PrinceMansuétude dans le traitement des ennemis, esprit de justice et droiture morale, pacifisme.

Texte écho – Machiavel, Le Prince (1532) p. 416

OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser le politique chez les humanistes français et italiens.

– Réfléchir sur le genre argumentatif.

LECTURE ANALYTIQUE

L’argumentation de Machiavel repose souvent sur des exemples empruntés à l’histoire ancienne. Le paragraphe 2 développe un exemple historique,

celui d’Antiochus, à visée argumentative ; il montre les limites de la neutralité. Il recourt aussi à la cita-tion latine (paragraphe 2), inexacte certes mais attestant de la culture gréco-latine du philosophe. Chaque paragraphe s’ouvre sur la formule anapho-rique « un prince » ; il s’agit bien d’une réflexion générale sur le politique idéal :Paragraphe 1 – Un prince doit savoir prendre parti, quel que soit le camp choisi.Paragraphe 2 – Recours à un exemple historique, celui d’Antiochus.Paragraphe 3 – Un prince doit faire preuve de pru-dence dans le jeu des alliances.Paragraphe 4 – Un prince est doté de qualités morales : il se comporte en mécène, il favorise l’acti-vité économique, il protège les biens, il est pour voyeur de fêtes, il se montre généreux.

Lecture d’imageGiorgio VASARI (1511-1574) est un peintre, architecte et écrivain de la Renaissance italienne. Premier histo-rien de l’art, il brosse les portraits de son époque (Vies des plus excellents, peintres, sculpteurs et archi-tectes italiens). Il est contemporain de Michel-Ange qu’il admire et de Cosme 1er de Médicis.La figure de Cosme 1er de Médicis (1519-1574) constitue une personnalité politique importante de la fin de la Renaissance ; il a été duc de Florence.Il a restauré la dynastie des Médicis qui ont dirigé Florence jusqu’au dernier grand duc en 1737. Parmi ses nombreuses réalisations on peut rappeler : – la création des Offices, bureaux destinés originel-

lement à héberger les services du gouvernement, – l’expansion de Florence pour contrôler la majeure

partie de la Toscane y compris Sienne ; – l’appropriation du Palais Pitti pour son domicile et

l’achèvement de l’édifice ; – la création des jardins de Boboli derrière le palais

Pitti.

VASARI encense le duc dans les fresques allégo-riques du Palazzo Vecchio. La salle des Cinq Cents désignant les membres du gouvernement constitue l’une des plus prestigieuses du palais par ses dimen-sions (54 mètres de long sur 23) ; elle symbolise la toute-puissance de la République florentine.Le plafond peint fait référence à la victoire rempor-tée sur Sienne, défendue par Montluc, qui dut capi-tuler le 17 avril 1755, lors des Guerres d’Italie.La représentation de la guerre fait partie de l’idéologie ducale. Cosme 1er de Médicis est représenté comme le chef suprême de l’armée, en quête d’une straté-gie ; armé d’un plan et d’un compas, il est concentré sur le déroulé de la bataille de Sienne. Il est entouré de figures allégoriques qui préfigurent le succès : des angelots au-dessus de sa tête, prêts à déployer les guirlandes de la victoire, la figure du sage-penseur à sa droite, le couple de divinités antiques tutélaires Aphrodite (miroir) et Athéna (casque).

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

Il incarne la domination militaire, l’autorité ducale de Florence et son rayonnement tant politique qu’artis-tique sur la Toscane.

Synthèse

La figure du prince selon Machiavel et Rabelais Deux humanistes « européens » et contemporains réfléchissent sur l’image du politique à travers deux genres littéraires différents, un essai (1532) et un roman (1534). Le Prince de Machiavel et le Gargan-tua, figures éponymes, incarnent tous deux le réa-lisme politique à travers : – la défense de l’intérêt de l’Etat ; – la prise en compte de l’intérêt du peuple ; – la prudence ; – la pondération ; l’habileté oratoire ; la magnanimité et la générosité.

VOCABULAIRE

« Machiavélisme » : nom commun forgé en 1602 sur le nom propre Machiavel. Il s’agit de la doctrine de Machiavel (1469-1527), homme politique et philo-sophe italien, auteur de l’essai intitulé Le Prince. Dans cet ouvrage, l’auteur développe l’idée que l’homme d’Etat doit conserver le pouvoir en employant « la ruse du renard » et « la force du lion ». Ce réalisme politique est tourné vers le bien de la société. Mais, pour séduire le peuple, pour maintenir l’ordre, le Prince peut être conduit à employer des procédés considérés comme immoraux. Il illustre ainsi le proverbe : « La fin justifie les moyens ». Le nom désigne le caractère d’une conduite cynique, tortueuse, froidement calculatrice. Attitude perfide de quelqu’un qui cherche à parvenir à ses fins par tous les moyens.

S’ENTRAÎNER A LA DISSERTATION

Les recommandations énoncées dans les textes de Machiavel et de Rabelais : pertinence et modernité ?

I. Des textes qui portent la marque de leur temps

Deux humanistes contemporains, Machiavel et Rabelais, originaires d’Italie et de France, réflé-chissent sur l’image du politique à travers deux genres littéraires différents, un essai (1532) et un roman (1534).

1. La figure du prince selon Machiavel et RabelaisLe Prince de Machiavel et le Gargantua, figures épo-nymes, incarnent tous deux le réalisme politique à travers la défense de l’intérêt de l’Etat, la prise en compte de l’intérêt du peuple, la prudence, la pon-dération, l’habileté oratoire, la magnanimité et la générosité très affirmées dans le discours de Gar-gantua aux vaincus.La figure de Gargantua prend une nouvelle dimen-sion, celle d’un Prince calme, pondéré, lucide,

efficace et profondément humain (cf. lexique moral valorisant). Il s’oppose en tout point à Picrochole qui incarne l’esprit de conquête, la démesure, la folie guerrière et la lâcheté quand il devient déserteur.

2. Le projet politiqueC’est une organisation politique qui est définie, une fois la paix installée ; le personnage de Gargantua et le locuteur du Prince sont en quête d’un projet per-pétuel de paix ; d’où les marques de l’obligation « il faut » « un prince doit » chez Machiavel et l’expres-sion de la volonté chez Rabelais « je veux », autant de garanties de l’ordre établi.

II. Des textes qui échappent au temps

1. Une réflexion moderne sur le politique idéalLes textes de la Renaissance nous invitent à actua-liser le propos : recherche d’un Etat idéal à l’échelle d’un pays ou de l’Europe, garantie de la paix (rôle de l’ONU) et rempart contre toutes les formes de conflits et de dictatures dénoncées au théâtre (Ionesco, Rhinocéros, M. Azama, Croisades) ou dans les romans (Camus, La peste, E. E. Schmitt, Ulysse from Bagdad).

2. Une mise en garde contre les Picrochole de notre tempsLa folie impérialiste de Picrochole trouve un écho chez les grands conquérants du xxe et xxie siècles (Hitler et le grand Reich, Saddam Hussein…) ou des organisations terroristes telles que Al-Qaïda…

Texte 5 – Comment était réglée la vie des Thélémites p. 418

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier la clôture de l’œuvre. – Caractériser l’idéal humaniste.

LECTURE ANALYTIQUE

Une éducation idéaleIl s’agit d’une élite sociale comme le suggèrent les termes utilisés « chevaliers » ou « dames », les acti-vités propres à l’aristocratie (chasse à courre, chasse au vol), l’otium de gens cultivés et le raffinement de la toilette. C’est en même temps une élite morale : noblesse de naissance et qualités inhérentes (lexique moral de la vertu et de la bonté naturelle). Il s’agit aussi d’une abbaye mixte avec présence simultanée et égale des hommes et de femmes. L’éducation contribue à l’épanouissement du corps et de l’esprit. On retrouve la soif de connaissances, la curiosité intellectuelle, l’ouverture aux arts et au monde : énumération de verbes à l’infinitif (l. 21-22). L’art de la chevalerie contribue au développement harmonieux du corps ; le boire et le manger sont présents, comme autant de plaisirs.

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Français 1re – Livre du professeur

Une belle harmonieUn principe d’égalité de traitement apparaît entre l’homme et la femme. La distribution des groupes syntaxiques le montre : « l’un ou l’une » (l. 14), « les dames »// « les hommes » (paragraphe 2), « cheva-liers »// « dames » (paragraphe 3). Un principe d’har-monie régit les relations et le mode de vie à Thélème ; l’un et le multiple se rejoignent comme le montre la construction symétrique et le rythme ternaire du paragraphe 2 : « Si l’un ou l’une disait : « Buvons », ils buvaient tous ; s’il disait : « Jouons », tous jouaient ; s’il disait : « Allons nous ébattre aux champs », tous y allaient ».

La devise de ThélèmeL’expression de la liberté est très présente à travers le champ lexical du bon plaisir : « leur bon vouloir », « quand bon leur semblait » (l. 2), « quand le désir leur venait » (l. 3) et le jeu des négations : « non selon des lois, des statuts ou des règles » (l. 1), « Nul ne les réveillait » (l. 4). La devise « Fais ce que tu voudras », formulée à l’impératif, est une néga-tion de la contrainte et une exhortation à la liberté. Il s’agit d’une apologie de la liberté possible pour une élite sociale et morale. Cette liberté individuelle, non anarchique, est réglée sur le principe du collectif.

SynthèseThélème s’oppose aux abbayes traditionnelles ; les trois vœux (pauvreté, chasteté et obéissance) ne sont pas prononcés. Un anti-modèle s’impose :1. Élite sociale et mode de vie raffiné des Thélémites.2. Mixité au sein de l’abbaye.3. Liberté individuelle et collective.Une seule règle : « Fais ce que tu voudras ».

GRAMMAIRE

L’anaphore de l’adverbe « si » introduit l’idée d’une comparaison qui insiste sur les qualités physiques et morales des Thélémites, hommes et femmes.

S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE

Les chapitres 50 à 56 (Éditions Pocket) constituent la dernière partie de l’œuvre consacrée à Thélème, « volonté ». Frère Jean refuse les abbayes tradition-nelles que lui offre le Prince pour le remercier de ses exploits lors de la guerre picrocholine. Comment gouverner autrui quand on ne sait le faire soi-même ? Il consent à fonder une abbaye où les règles fonctionnent à rebours des règles monastiques : pas de murailles, pas de vœux, libre emploi du temps, vie commune d’hommes et de femmes de bonne naissance.Thélème, un modèle d’utopie

I. Les caractéristiques de l’utopie – une élite sociale et morale – une abbaye mixte – une éducation complète contribuant à l’épanouis-

sement du corps et de l’esprit – une liberté individuelle réglée sur la liberté

collective

II. Les limites de l’utopie – un monde clos réservé à une élite aristocratique – une liberté restreinte dans la mesure où c’est

« l’honneur » des Thélémites qui les oriente dans leur usage de la liberté et les pousse à la vertu – un lieu temporaire avant le mariage Thélème

demeure un rêve généreux où s’exprime la confiance de l’auteur en la nature humaine.

Lecture d’images – Gustave Doré, Gargantua (1854) p. 420Parcours de lecture, du texte à l’imageOn pourrait envisager la démarche inverse : ouvrir la séquence par une lecture d’images qui amène les élèves à identifier les personnages, à définir les thèmes, à s’interroger sur leur progression et à éla-borer une problématique d’ensemble.

Quatre images et trois thèmes :

1. L’éducationL’image 1 correspond à l’ancienne éducation dis pensée par les sophistes ou « Sorbonagres » ; ces derniers entourent le géant en désordre. Gargantua tente de lire le monde à partir du globe terrestre mais semble hébété. Cette image emprunte des éléments à l’ancienne éducation (caricature des sophistes) et à la nouvelle (le globe, objet du savoir). Cette pre-mière éducation sous la responsabilité de Thubal Holoferne et Jobelin Bridé a rendu l’élève « niais, tout rêveux et rassotté ».L’image 2 fait référence à la nouvelle éducation confiée à Ponocrates. Il s’agit de la leçon d’astrono-mie fondée sur l’observation de la nature et l’expé-rience : « En revenant, ils considéraient l’état du ciel : s’il se présentait comme ils l’avaient noté le soir précédent, dans quelle partie du zodiaque entraient le soleil et la lune pour la journée » (l. 12 à 15, page 404). L’élève fait preuve de concentration et se montre attentif aux propos du maître. Ordre et symétrie règnent dans cette image.

2. La guerreL’image 3 concerne la guerre picrocholine, notam-ment l’épisode où Frère Jean sauve le clos de l’ab-baye de Seuilly : « Et du bâton de la croix il donna su brusquement sur les ennemis, qui, sans ordre, ni enseigne, ni tambour ni trompette, grappillaient dans l’enclos… » (l. 4-6, p. 408). La scène représen-tée a pour décor une abbaye, finement ouvragée ;

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 1

Frère Jean est en action et a déjà massacré les ennemis. La composition de l’image, notamment la pyramide centrale avec la figure du moine, rappelle le tableau de Paolo Uccello, La bataille de San Romano qui opposa les Siennois aux Florentins en 1432.

3. ThélèmeL’image 4 rappelle Thélème (p. 418). Le décor est constitué d’une abbaye ou d’un manoir de style Renaissance où évoluent des nobles, des hommes et des femmes. Gargantua veille sur la récompense qu’il a offerte à Frère Jean au terme de la guerre. La liberté et l’harmonie affirmées dans le texte se retrouvent à travers l’image. Les trois thèmes répondent au parcours initiatique de Gargantua qui passe de l’ancienne à la nouvelle éducation, de la guerre à la paix : du tumulte naît l’ordre dans les deux couples d’images. Thélème constitue l’aboutis-sement de l’itinéraire et l’accomplissement du Prince par les valeurs qu’il incarne. Les images constituent des illustrations fidèles de l’œuvre à travers les thèmes et leur traitement, même si la première illus-tration s’écarte un peu du texte, dans la mesure où elle mêle des éléments empruntés aux deux éduca-tions. La verve comique est présente dans les images 1 (art de la caricature, comique de situation) et 3 (truculence d’un personnage : un moine en froc défaisant à lui seul des ennemis en cuirasse). Les images apparaissent aussi comme des « recréa-tions » personnelles ». L’artiste à l’imagination débor-dante produit une œuvre pleine de dextérité et de fantaisie qui lui assura le succès : « Ce fut le premier ouvrage qui fit sensation et qui, par l’entremise de la presse, attira sur moi l’attention du monde ».

Vocabulaire – Le vocabulaire rabelaisien p. 422

1. ÉTYMOLOGIE

Les géantsGrandgousier, père de Gargantua. Son nom formé à partir de « grand » et « gosier » désigne un rapport à la nourriture. Il est roi des Dipsodes, dipsao signifie en grec « avoir soif » ; on retrouve l’autre caractéris-tique de ces géants.Gargamelle, mère de Gargantua. Le nom est emprunté au provençal gargamela, dû à un croise-ment de cala mela (chalumeau, métaphore du tuyau de la gorge) avec le radical -garg « gosier, gorge ». Le nom est en rapport avec la nourriture.Gargantua est déjà un nom de géant dans la littéra-ture populaire. Le chapitre VI intitulé « Comment son nom fut donné à Gargantua et comment il buvait le coup » (Éditions Pocket) donne l’explication : « il

bramait en demandant : « A boire ! à boire ! à boire ! » Alors il dit : « Quel grand tu as ! » (sous-entendu gosier).Pantagruel est le fils de Gargantua et de Badebec ; le nom qu’il reçoit est lié à la sécheresse qui sévit dans le royaume de son père : du grec panta « tout » et de l’arabe gruel « altéré ». Son nom le prédestine à régner sur les buveurs.

Les compagnons de GargantuaPonocrates : précepteur de Gargantua, il représente l’éducation humaniste. Son nom d’origine grecque signifie « le bourreau de travail ».Anagnoste : vient du verbe grec signifiant « lecteur ».Eudémon : page ; son nom grec signifie « le bien heureux ». Frère Jean des Entommeures : « du hachis » ; son nom entomos « coupé » fait référence au massacre qu’il commet.

L’ennemi de GargantuaPicrochole : vient du grec picros « piquant » (acide picrique) et cholè « la bile, le fiel » ; il a l’humeur belliqueuse.

2. JEUX VERBAUX

a. Rabelais emploie le comique verbal.1. « chopiner théologalement » : alliance d’un verbe familier qui fait référence à la boisson et d’un adverbe, un néologisme, dont la racine « théolo gal » appartient au sacré.2. « l’eau bénite de cave » : alliance du sacré (eau du baptême) et du profane (alcool).3. « pleurer comme une vache » : comparaison ani-male familière.4. « le bâton de la croix » : détournement d’un objet de culte en objet ordinaire, une arme servant au massacre.5. « deslochait les spondyles, desgourdait les ischies » : mélange de verbes familiers et de termes techniques désignant les parties du corps.b. Il s’agit d’une parodie du chant grégorien à partir de la phrase : « Impetum inimicorum ne timueritis », « Ne craignez pas l’assaut des ennemis », situation paradoxale, car les sujets de Picrochole ravagent le clos de l’abbaye tandis que les moines chantent. Jeu sur la répétition des sons imités du latin mais incompréhensibles.c. 1. Le jeu sur les images, le chien et l’os, invite à une lecture plurielle de l’œuvre ; l’auteur sollicite son lecteur pour qu’il dépasse la lecture littérale et qu’il accède à une lecture allégorique de l’œuvre. C’est le pacte de lecture scellé dès le prologue.2. Accumulation verbale d’actions et énumération de mets montrent la place du corps dans l’ancienne éducation.3. Ironie et hyperbole tournent au ridicule une édu-cation non appropriée.

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3. NIVEAUX DE LANGUE

Apparaissent les interjections, les onomatopées, les expressions familières et le jeu de mots comique (bonne chose/bonne paire de chausses) qui jettent le discrédit sur le discours de Maître Janotus dont le nom latinisé est peu sérieux : Janotus vient de « Janot » et « bragmarder » a un sens sexuel. Son dis cours est fait de références qui, sorties de leur contexte culturel, perdent tout sens, de formules figées empruntées au jargon scolaire et d’une juxta position d’idées absurde. Il s’agit de faire la satire d’un personnage emblématique à travers la déré-liction de la parole : il représente cette institution que sont les sophistes ou les théologiens de la Sorbonne.

EXPRESSION ÉCRITE

➤ Sujet 1Il s’agira de reprendre les qualités d’écrivain qui sait distraire son lecteur tout en l’instruisant et les valeurs humanistes que les élèves ont découvertes en lisant les extraits de la séquence.

➤ Sujet 2On rappellera aux élèves d’être attentifs à l’énoncia-tion : les propos de Gargantua à ses proches, donc de respecter les règles du discours. On leur propo-sera de relire quelques textes de Gargantua et de noter des réflexions, des remarques qu’ils pourront replacer dans la bouche du héros. On les invitera également à inventer ou à reprendre des jeux de mots, des expressions hautes en couleur qu’ils auront relevées dans les textes.Il s’agira de reprendre les qualités d’écrivain qui sait distraire son lecteur tout en l’instruisant et les valeurs humanistes que les élèves ont découvertes en lisant les extraits de la séquence.

Séquence 2

Regards sur Rome à la Renaissance p. 424

Problématique : Quel est le rayonnement culturel et artistique de Rome à la Renaissance ? Comment le goût pour l’Antique influence-t-il les artistes ?

Éclairages : L’humanisme trouve un terreau favorable en son essor en terre italienne, où le retour aux sources est rendu possible par l’intervention de lettrés, comme Le Pogge, de poètes, tels Pétrarque. Les échanges entre les différentes cours européennes, beaucoup plus nombreux à cette période, ont favorisé l’extension de ce mouvement. Si l’Italie antique a pu inspirer les auteurs français, leur rencontre avec le pays a pu engendrer de nombreuses désillusions.

Texte 1 – Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome (1558) p. 424

OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer l’importance de la Rome antique pour les écrivains humanistes.

– Mettre en évidence la diversité des sources d’inspiration pour les auteurs humanistes : ruines et textes antiques.

LECTURE ANALYTIQUE

Éloge de la Rome antiqueLe titre du recueil annonce le thème des sonnets composés par Du Bellay : la Rome antique. Com-posé en décasyllabes, ce cinquième poème mani-feste l’admiration du poète pour l’Antiquité, en même temps que son regret d’une époque disparue. Dans un texte marqué par une faible implication per-sonnelle, avec la présence d’un seul pronom per-sonnel de la première personne, l’auteur fait ressentir son intérêt pour la ville citée à plusieurs reprises

dans les quatrains et le premier tercet, à des places stratégiques dans le vers, au début ou à l’hémistiche (v. 2 et 5). Le mot « grandeur », au vers 3, ou le superlatif « le plus beau », au vers 12, constituent les indices d’un texte élogieux. Trois facteurs ont permis l’émergence d’une telle cité : Du Bellay les énonce aux vers 1 et 2 dans une énumération au rythme ternaire cassée par l’enjambement. Il s’agit de la « nature,/L’art, et le ciel ». De façon spontanée, par son emplacement (la « nature »), grâce égale-ment à l’action des hommes (« l’art »), mais aussi sous l’impulsion d’une transcendance (« le ciel »), la cité s’est développée et a atteint une dimension et une puissance que le poète souligne en employant un terme comportant cette double dénotation : le mot « grandeur ». L’influence des hommes semble être déterminante, comme le suggère la place du substantif « L’art », au début du vers 2. C’est d’ail-leurs l’aspect qui est le plus développé par Du Bel-lay : on trouve, dans le deuxième quatrain, à la fin du vers 5, la mention de « l’architecture », et, dans le dernier tercet, une référence aux textes antiques :

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

ce qui intéresse le poète, c’est surtout l’action des hommes, l’empreinte qu’ils ont laissée sur les œuvres parvenues jusqu’à lui, dans sa dimension visible, tout d’abord, comme le prouvent les termes « voir » et « revoir », aux vers 2 et 6, placés en fin de vers. Les quatrains comprennent des rimes riches qui mettent en relation le visible (« voir », « revoir ») et ce qui participe des opérations intellectuelles (« concevoir », « savoir ») : par ce choix l’humaniste semble suggérer que l’observation des ruines de la Rome antique constitue un enseignement. La cité antique est d’abord vue sous l’angle de sa matéria-lité, comme le souligne la comparaison avec le « corps », au vers 7. Les deux derniers tercets insistent sur le rayonnement intellectuel de Rome, avec l’image de « l’esprit » dans le premier tercet, puis celle de « l’idole » au dernier vers. Le complé-ment circonstanciel de lieu qui clôt le poème ampli-fie cette idée.

Une disparitionDans l’ensemble du poème, Rome est assimilée à une personne : le deuxième quatrain comporte une comparaison (« comme un corps », v. 7), reprise dans le premier tercet, avec un complément du nom (« Le corps de Rome », v. 9). Rome est personnifiée : la cité possède non seulement « un corps », mais aussi un « esprit » (v. 10). Le poète distingue ce qui est matériel de ce qui est invisible. Ce premier aspect correspond à tout ce qui est matériel, les bâtiments, l’architecture ; le deuxième évoque les idées, la langue, tout ce qui ne se voit pas. La per-sonnification est déjà visible dans le premier qua-train, avec l’emploi de la deuxième personne du singulier et l’apostrophe, entre parenthèses (v. 2). Le poète s’adresse à la cité, et, par ses mots, semble la faire revivre. Le deuxième quatrain s’ouvre sur une note plus pessimiste et une litote : « Rome n’est plus » (v. 5), qui reprend l’adjectif « morte » du vers précédent. Les mots « sépulture » (v. 8) et « tom-beau » (v. 13), placés en fin de vers, insistent sur la disparition de la cité antique, dans une tonalité plu-tôt pessimiste : le poète semble manifester ses regrets. Les œuvres du temps passé sont irrémédia-blement perdues, et le poète concède qu’il subsiste quelques vestiges du passé glorieux, perceptibles dans les œuvres architecturales (deuxième qua-train), mais prêts à s’effacer, comme le connote le terme « ombre » utilisé au vers 6, avec l’adjectif indéfini « quelque » qui suggère lui aussi cet efface-ment de Rome.

Rome éternelle ?Mais par le biais de l’adresse à la ville dans le pre-mier quatrain, le poète semble faire revivre la cité. Tel est le pouvoir de la littérature et de la poésie : faire revivre ce qui n’est plus. Si les preuves matérielles de la grandeur de Rome disparaissent sous l’effet du temps, son influence prend d’autres

formes : le dernier tercet met en évidence le rôle des « écrits » (v. 12), grâce à l’utilisation du lien logique d’opposition qui l’ouvre. La « mort » de la cité peut être combattue par le biais de la littérature. Elle immortalise le passé, elle s’oppose à la morsure du temps (« malgré le temps », v. 13), elle transmet l’idée (« l’idole », v. 14) de ce qui n’est plus, elle dif-fuse un savoir (« errer parmi le monde », v. 14). Le pouvoir de la littérature se lit derrière le verbe « arra-cher » (v. 13). Le rythme et les sonorités du dernier tercet, et plus particulièrement du vers 12, mettent en valeur le rôle de la littérature. Ainsi, le poète met en évidence le mot « écrits », composé de deux syl-labes, dans un vers composé uniquement de mono-syllabes. La voyelle [i], palatale, ainsi que [ε] au début du vers, s’opposent à la voyelle vélaire [o] de la fin du vers. Véritable éloge de Rome, ce poème se fait également éloge des écrits antiques, qui per-mettent de conserver une trace de ce qui n’est plus.

SynthèsePar la comparaison, filée dans le texte, de la cité de Rome à un être vivant, l’auteur nous pousse à médi-ter sur la condition humaine. Il souligne la finitude de toute chose, de tout être, dont le corps est amené à disparaître, tandis que l’esprit rejoint le grand tout. Seule consolation suggérée par l’auteur : l’immorta-lité ne peut se gagner que par les écrits. Le poète manifeste ainsi sa confiance et son espoir dans son art, qui seul peut combattre le temps et la mort.

Texte 2 – Joachim Du Bellay, Les Regrets (1558) p. 425

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une peinture poétique de Rome. – Montrer la désillusion d’un humaniste.

LECTURE ANALYTIQUE

Une promenade dans RomeLes quatre strophes s’ouvrent par une proposition subordonnée circonstancielle dont le verbe, conju-gué à la première personne du singulier, exprime une action. La conjonction de subordination « si », en anaphore, revêt un sens itératif : elle insiste sur les fréquents déplacements du poète dans la ville éter-nelle. À cette anaphore s’ajoute l’énumération des mouvements, verticaux ou horizontaux qu’il accom-plit, ainsi que l’inventaire des lieux fréquentés. L’en-jambement des vers 12-13 souligne la continuité d’une promenade qui semble s’affranchir de la limite du vers. Le sonnet livre une vision de Rome que la forme du sonnet et le choix de l’alexandrin per-mettent d’étendre : chaque strophe fait tableau, et l’alexandrin, par son ampleur, s’apparente à une « prose en rime ». Le poète parcourt l’espace urbain afin d’en donner une vision d’ensemble qui en saisit

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Français 1re – Livre du professeur

le présent et le passé (Rome neuve/vieille Rome et ses ruines), le negotium (religieux : Palais, v. 1 ; éco-nomique, v. 5) et la population (ecclésiastiques, Flo-rentins, Siennois, prostituées).

Regard d’un humaniste désabuséLa répétition du verbe « trouver » (v. 1, 6, 10, 13) per-met de créer des jeux d’échos et de parallélismes entre les strophes. Le premier quatrain et le deux-ième tercet se répondent par la présence de la négation exceptive (« je n’y trouve qu’… » / « je ne trouve que… »), tandis que le deuxième quatrain et le premier tercet ont une forme affirmative (« je trouve » / « je trouve »). En réalité, ces deux formes de phrases expriment toutes deux l’affirmation. La formule « ne… que » suggère une déception amère de l’humaniste qui avait souhaité voir Rome pour s’y instruire et qui s’afflige du spectacle qu’elle offre. Les réalités qu’il observe, abstraites ou concrètes, traduisent la dépravation générale des mœurs (« orgueil », v. 1 ; « superbe appareil », v. 4 ; « vice », v. 2 ; « grand’ bande lascive », v. 10), la détresse humaine (« lamentable deuil », v. 8) et la ruine ; l’as-pect ruiniforme de la « vieille Rome » semble préfi-gurer le sort de la « Rome neuve ».

SynthèseI. Rome est pour le poète un lieu de déception1. Attiré par l’idéal humaniste, le poète est déçu par

cette ville où il ne trouve pas ce qu’il cherchait : nulle mention d’une vie intellectuelle n’apparaît dans le sonnet ; la Rome qu’il voulait trouver ne subsiste plus qu’à l’état de ruine.

2. Rome apparaît comme une ville surpeuplée et sans unité : l’agitation sévit partout, le calme n’habite que les ruines.

3. Rome est le lieu où se concentrent les turpitudes de l’humanité : les ecclésiastiques sont hypo-crites et ont trahi leur foi ; l’appât du gain règne ; la prostitution est florissante.

4. Rome vit au milieu des guerres.5. La structure du poème, faite de parallélismes,

établit une relation à la fois comique et mordante entre le Vatican, le monde financier et le milieu des débauchés : ce poème satirique permet à Du Bellay de rire douloureusement devant le spec-tacle d’une ville corrompue.

6. Les ruines de Rome constituent un avertisse-ment : les pierres effondrées sont le présage d’un effondrement à venir.

II. Rome apparaît comme un nouveau territoire poétique

1. Comme Ulysse, le poète traverse une ville parse-mée de dangers, qu’il faut savoir éviter.

2. En confiant à ses vers une désillusion person-nelle, Du Bellay pratique une poésie du sermo pedestris, qui cherche ses sujets dans la plus humble réalité, et qui les expose avec simplicité.

FIGURE DE STYLE

Ces éléments épars permettent de révéler quelques aspects du spectacle que la ville offre aux yeux du visiteur. Rome est comme découpée en fragments qui, par métonymie, la représentent toute entière. Ce procédé permet de révéler la nature réelle d’une ville essentiellement bruyante, âpre au gain, popu-leuse, qui s’agite sur les ruines de son passé et sous l’autorité d’une Église défaillante.

S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION

Critères d’évaluation : – énonciation à la première personne, qui parcoure

l’ensemble du texte ; construction d’une identité qui suggère un passé, un idéal ; notations laudatives ou péjoratives ; – description ordonnée, dynamique, fondée sur le

recours à certains procédés d’écriture (l’anaphore, l’énumération et la métonymie seront convoquées avec profit) ; – adjectifs, ou usage des temps verbaux, qui per-

mettent de sentir l’opposition d’un passé et d’un présent.

PISTE COMPLÉMENTAIRE

Le Caravage, La Vocation de Saint-Mathieu (1599-1600)Le détail du tableau du Caravage prend son sens si on considère le titre de la composition. Le sujet de cette toile est emprunté à un épisode de la Bible, raconté dans l’Évangile selon Saint Mathieu (IX, 9) : « Jésus, partant de ce lieu, vit un homme assis au bureau des impôts, nommé Mathieu, auquel il dit : Suivez-moi ; et lui aussitôt se leva, et le suivit. » Le traitement de ce sujet par le Caravage refuse toute idéalisation et éclaire l’épisode biblique d’un jour presque familier, qui souligne la présence incongrue de l’argent dans un univers visité par le sacré. L’ensemble de l’œuvre permet de vérifier cette observation et de l’étendre, par le constat d’un irréductible antagonisme de la réalité mercantile et de la spiritualité.

Texte 3 – Mellin de Saint-Gellais, Œuvres (1574) p. 426

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier la structure de l’épigramme. – Étudier le regard contrasté d’un poète humaniste de la cour de France sur la ville éternelle.

LECTURE ANALYTIQUE

Une histoire poétique de RomeLe passage du passé simple (v. 1 à 8) au passé com-posé puis au présent (v. 12) isole deux grands

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

ensembles distingués par la présence des adverbes « jadis » (v. 1) et « maintenant » (v. 9) : Mellin dis-tingue l’Antiquité de l’époque contemporaine. Aux trois phrases qui composent le poème corres-pondent trois moments de l’histoire de la Ville : – l’Antiquité et les conquêtes romaines, à l’époque

royale, républicaine et impériale (v. 1 à 4) ; – l’avènement du christianisme, qui se répand dans

Rome à partir du premier siècle, et la fondation de l’Église de la Ville par Pierre (v. 5 à 8) ; – le xvie siècle, qui voit l’Église sombrer dans le luxe

et l’incurie (v. 9 à 12).Le poète présente un fulgurant résumé de l’histoire de Rome, dont il fragmente la continuité par une écriture métonymique. La ponctuation isole trois dif-férentes périodes, et représente donc l’histoire de la Ville comme une succession de ruptures. Les rimes suivies de ce petit poème correspondent aux goûts de la cour de France, qui est sensible à la brièveté et à la concentration des genres poétiques brefs héri-tés de l’Antiquité, et qu’on nomme à l’époque « épigrammes ».

La Rome des humanistes (vers 1 à 8)Rome a conquis la terre (v. 1), puis la mer (v. 2), aux-quelles elle a imposé son joug ; à cette extension horizontale et géographique s’est ajoutée une pro-jection verticale et spirituelle. Rome a en effet été désignée pour devenir dépositaire de la foi chré-tienne et a « reçu » (v. 8) de Dieu « les clefs » du ciel (v. 8). L’attitude énonciative du poète à l’égard de cette Rome des premiers temps transparaît dans un lexique qui véhicule un jugement de nature affective (« heureuse », v. 2) ou axiologique (« bons pères », v. 6). L’adjectif « heureux », formé sur le nom latin augurium, suggère une fatalité favorable, expression d’une volonté divine (l’adjectif auguste, employé au vers 11 et l’adjectif heureux ont en commun l’éty-mon augere, « faire croître, augmenter, rehausser ») ; au sens étymologique, « bon » signifie « convenable, estimable, brave ». Rome fascine parce qu’elle a été élue et parce qu’elle incarne le modèle d’une foi ori-ginelle que rien n’a pu dénaturer. Cité conquérante où règne une foi simple et nue, elle représente l’idéal humaniste d’une propagation de la civilisation qui ignore les frontières (la formation de Saint-Gelais, essentiellement latine, illustre d’ailleurs la diffusion d’une culture universelle par la diffusion des études, ou translatio studii). Le pronom personnel « on » (v. 4) prolonge ce geste de propagation, en établis-sant une connivence avec le lecteur : il peut repré-senter un ils, les Romains, un nous, les humanistes, un toi, lecteur, ou enfin un moi, poète influencé par l’effervescence humaniste de mon temps.

Une satire de RomeDeux connecteurs logiques apparaissent à la char-nière de la première et de la deuxième phrase

(« toutefois », v. 6) et à la charnière de la deuxième et de la troisième phrase (« Or », v. 9). Le premier exprime une concession, et précède l’énoncé d’une qualité nouvelle, supérieure aux qualités déjà énon-cées. Rome atteint le plus haut degré de la perfection. Le second révèle la visée argumentative du poème : il annonce l’infléchissement du raisonnement vers une conclusion, et pourrait faire attendre un « donc », à la façon dont procède le syllogisme. Le dernier vers, de façon ironique, présente l’ultime conquête de Rome, qui anéantit toutes les conquêtes précédentes : la Rome contemporaine a suivi l’axe vertical en sens inverse, et s’est enfoncée dans l’abîme de l’« enfer » (v. 12). Cette brutale rupture au dernier vers est constitutive du jeu poétique de l’épigramme, qui clôt un développement poétique par un trait spirituel et mordant. Mellin de Saint-Gelais adopte ici une atti-tude que partageaient très largement les humanistes : on considère que le clergé, par sa voracité (« riches successeurs », v. 9 ; « plus amples possesseurs », v. 10) a provoqué la décadence de l’Église qui s’est éloignée de la pureté originelle des premiers temps du christianisme (« acquets augustes », v. 9).

SynthèseI. Grandeur de la Rome antiqueTrès influencé par le milieu humaniste, Mellin de Saint-Gelais vante la grandeur de la Rome antique :1. favorisée par la volonté divine, elle a étendu son

pouvoir sur le monde ;2. élue par Dieu, elle est devenue le siège de la reli-

gion chrétienne ;3. les premiers temps de l’Église chrétienne, qui

appartiennent eux aussi à l’Antiquité qu’ad-mirent les humanistes, ont vu l’avènement d’un clergé d’hommes simples entièrement voués à la connaissance de Dieu.

II. Décadence de la Rome moderne1. L’Église s’est enrichie, et n’a plus mis de frein à

sa cupidité ;2. L’Église romaine présente singe l’Église ancienne

pour servir son appétit vicieux et forligne de la grandeur des premiers temps de la chrétienté.

3. La forme de l’épigramme permet au poète d’opé-rer un renversement qui imite l’effondrement de Rome, montée au pinacle puis tombée en enfer.

FIGURE DE STYLE

Le vers 3 du poème rapproche deux réalités sur le mode de l’antithèse, que souligne un chiasme : « cité » se trouve ainsi rapproché de « monde », tan-dis que « close » répond à « grand ». La ville appa-raît comme une réalité paradoxale qui concilie le clos et l’ouvert, le limité et l’illimité, le civique et l’étranger. Ainsi se dessinent les contours d’une ville universelle qui est le miroir du monde.

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Français 1re – Livre du professeur

Écho – Florus, Abrégé de l’histoire romaine, i, 13 (iie siècle) p. 427

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une page d’historiographie romaine. – Étudier l’idéal moral des Romains de l’Antiquité.

LECTURE ANALYTIQUE

Entre récit historique et discours rhétoriqueLe recours à la conjonction de coordination disjonc-tive « soit » (« Soit, l. 5 et « soit », l. 7) soutient le déploiement d’un parallélisme jouant lui-même sur une variation (« en campagne », l. 5 / « en temps de paix », l. 7) et donne à cette phrase un rythme très oratoire. Cette structure syntaxique accueille la pré-sentation d’exemples qui se partagent autour de l’axe de symétrie ainsi conçu (« Curius », l. 5 et 7 / « Fabri-cius », l. 6 et 8) puis s’étire en une cadence majeure par l’ajout d’un nouvel exemple, celui de Rufinus (l. 9). Cette recherche rhétorique transparaît également dans le choix de modalités d’énonciation qui visent à susciter la réaction de l’auditoire ou du lecteur (excla-mation, l. 1 et 5 ; question oratoire, l. 13). Florus cherche à attirer l’attention de son public sur le carac-tère remarquable des faits qui lui sont racontés.

Panégyrique de RomeLa relation de l’épisode de l’ambassade permet à Florus d’exploiter un stratagème narratif fécond : les paroles des ambassadeurs éconduits sont rappor-tées au discours indirect (« les ambassadeurs avouèrent à leur roi […] que la ville […] », l. 2-3). L’éloge de Rome est ainsi assuré non par un Romain, mais par les ennemis de Rome ; il n’est donc pas suspect, et l’impartialité de ces paroles accroît leur valeur. Le discours de l’historien peut alors aisément succéder à ce témoignage et l’amplifier. Le texte fait ainsi l’éloge d’un peuple à travers l’observation de ses institutions et de ses magistrats (« le Sénat », l. 1, les censeurs, le consulaire) ainsi que de son armée (ses « généraux », l. 5 et ses « soldats », l. 10). Finalement se dessine l’image d’un héros unique, qui dépasse les catégories sociales, le « peuple romain » (l. 11).Les qualités romaines célébrées par Florus sont : la piété, la majesté et la dignité, la justice, la frugalité, le courage. Ce sont là les vertus cardinales qui sont constitutives de la perfection morale selon les Romains.

PISTES COMPLÉMENTAIRES

Baccicio, Fabricius refusant les présents des ambassadeurs de Pyrrhus.Ces deux questions peuvent guider l’examen du dessin :

1 Comment l’artiste a-t-il cherché à donner vieà un épisode historique de l’Antiquité ?

L’artiste, un peintre romain du xviie siècle, a saisi sur le vif le moment le plus dramatique de l’épisode du refus de Fabricius. Le tableau oppose le groupe des ambassadeurs, à droite, nimbé d’une ombre, à Fabricius, à gauche, dans la lumière. Le mouvement suspendu des bras de Fabricius, la marche des ambassadeurs qui est comme saisie dans le moment de déséquilibre où se forme le pas suivant, le flé-chissement des hommes qui portent les présents, l’indécision des contours, le drapé des vêtements, l’effacement des limites du cadre, donnent au des-sin un caractère dynamique, propre à l’esthétique baroque. Le dessin ressuscite cet épisode histo-rique en jouant sur l’opposition du mouvement et de la fixité, elle-même saisie dans sa fugacité.

2 Pourquoi ce dessin présente-t-il une fidèleinterprétation du texte de Florus ?

Baccicio développe un épisode auquel Florus fait seulement allusion (« Chassés de la ville avec leurs présents […] les ambassadeurs », l. 1-2), et met en scène le personnage de Fabricius, « l’austère cen-seur » (l. 8).La représentation des ambassadeurs repose sur la multiplication des lignes courbes, qui traduisent l’em-pressement, et qui sont l’interprétation dynamique de la forme de la vaisselle précieuse qu’on tend au Romain : l’étranger apparaît dans la profusion irré-fléchie et désordonnée de ses gestes, dans sa confiance en son pouvoir de corruption ; il révèle par là sa fragilité. Fabricius, le buste droit, arrête les ambassadeurs dans leur élan par le mouvement de son bras gauche, résolument tendu, et montre de la main droite la coupe où est représenté un fruit, sym-bole de la frugalité qui suffit à ce vieux Romain, et dont Florus prodigue les exemples, à travers les figures de Curius, de Rufinus, ou de Fabricius lui-même.Ce dessin restitue donc l’atmosphère qui règne dans le texte de Florus : une brève notation chez l’écrivain et un geste suspendu chez le dessinateur représentent de façon laconique les mœurs austères du vieux Romain.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

Texte 4 – Michel de Montaigne, Essais, iii, 9 (1595) p. 428

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une entreprise littéraire de réflexion sur soi.

– Étudier la valeur du voyage dans la pensée humaniste.

LECTURE ANALYTIQUE

Regard rétrospectif sur une vie (l. 1-19)La profusion des pronoms personnels sujets de pre-mière personne révèle la nature d’une entreprise qui cherche à saisir une identité et à recueillir une pen-sée personnelle ; les verbes gouvernés par ces pro-noms personnels sont conjugués : – à l’indicatif : au passé composé (« j’ai vu » (l. 1),

« j’ai été nourri » (l. 10-11), « j’ai eu » (l. 11, 12, 14), à l’imparfait (« je savais », l. 12) et au présent (« je ne l’admire et révère » (l. 8), « je n’ai » (l. 15), « je ne laisse pas » (l. 17) ; – au conditionnel présent : « ne saurais » (l. 5) ; – au subjonctif imparfait : « avant que je susse le

Louvre », l. 13.

L’auteur des Essais emprunte sans cesse une pas-serelle qu’il lance entre le présent et le passé. Il relie de cette façon l’expérience et la pensée. L’homme formé par Montaigne est toujours habité par son passé, qui lui offre un filtre grâce auquel il peut déchiffrer le présent, ou percevoir la tremblante unité de son être. L’emploi modal du conditionnel révèle une attitude énonciative qui, soucieuse d’ap-préhender l’instabilité humaine, doit refuser les certitudes.Montaigne évoque tout particulièrement la période de son enfance (l. 10) et la mort de son père (l. 16) ; il se présente comme un observateur (« j’ai vu », l. 1), comme un esprit curieux qui a lu et qui a suivi une instruction (« j’ai été nourri », « j’ai eu connais-sance », l. 11 ; « j’ai eu en tête », l. 14) et comme un homme sensible qui médite (« je ne laisse pas d’em-brasser et pratiquer la mémoire », l. 17-18). Ce pas-sage réserve une place centrale à l’éducation : source de connaissance et mode d’accès au monde, elle est un truchement qui permet d’interpréter les informations communiquées par les sens. Mon-taigne expose le rôle déterminant qu’ont pris ses lectures, qui ont façonné sa personnalité et sa vision du monde : il a vécu « avec » (l. 11) les Romains. En cela, il a non seulement recueilli l’héritage que l’hu-manisme a soigneusement rassemblé, mais il a trouvé dans cet héritage un frère (« j’ai été nourri dès mon enfance avec ceux-ci », l. 10-11) ; il écrit au chapitre 26 du livre I qu’il a « épousé » ses lectures. Chez Montaigne, la connaissance ne peut être opposée à l’expérience : lorsqu’il voit Rome de ses

propres yeux pour la première fois, en réalité il « revoit » une Rome qu’il connaît déjà. En huma-niste, il conçoit donc l’homme comme un tout indivi-sible, un composé de chair et d’esprit ; il le perçoit aussi comme le produit d’une histoire, comme la rencontre de l’enfance et de l’âge mûr. Les Essais sont l’entreprise d’un humaniste qui cherche à saisir une identité fluctuante, afin de se peindre lui-même (cf. Préface au lecteur : « c’est moi que je peins »).

Célébration de la grandeur de Rome

Montaigne met en parallèle lieux romains et lieux parisiens : il nomme les lieux de pouvoir (le Capitole, le Louvre), les fleuves (la Seine, le Tibre) ; il énumère également les noms de généraux qui ont contribué, dans l’Antiquité, à la gloire de Rome : Lucullus (ier siècle avant J.-C.) combattit Mithridate, roi du Pont ; Metellus (iie siècle avant J.-C.) combattit Jugurtha, roi de Numidie, et Scipion (iiie siècle avant J.-C.) vainquit le général carthaginois Hannibal après seize années de guerre. On pourra remarquer que Montaigne ne dit rien des « hommes des nôtres » (l. 15) qui ont influé sur le cours des « affaires » dans la France contemporaine. La répétition de la conjonc-tion de subordination « avant que » (l. 12 et 13) sou-ligne l’énoncé d’un paradoxe : Montaigne a découvert la Rome antique, sa géographie et ses grandes figures, alors qu’il ne connaissait pas encore Paris, ou le royaume de France, qu’il nomme « ma maison » (l. 12). Il a conservé une profonde admira-tion pour la cité du Latium, dont le texte porte la trace : la force de son attachement se lit dans l’em-ploi de l’adverbe d’intensité « si » (« si grande, et si puissante », l. 7), dans l’usage du comparatif (« J’ai eu plus en tête […] que », l. 14-15), ou dans la répé-tition du déterminant « tel » (« avec telle influence de faveur et telle constance », l. 26). Les sentiments que Montaigne éprouve sont explicitement énoncés : « je l’admire et révère » (l. 8), « mérite qu’on l’aime » (l. 20). Le verbe « admirer » désigne au xvie siècle un mouvement de surprise et un profond sentiment d’estime ; il appartient surtout au vocabulaire de la morale et de l’esthétique. Le verbe « révérer », éty-mologiquement, signifie « craindre avec respect », et relève du domaine du sacré. C’est donc un lien affectif, intellectuel et spirituel qui relie Montaigne à la ville éternelle. Cette ville répond en effet aux aspi-rations les plus hautes de l’humanisme : elle est la « seule ville commune et universelle » (l. 21-22) et ignore la notion de frontière (« c’est la ville métropo-litaine de toutes les nations chrétiennes », l. 23 ; « chacun y est chez soi », l. 24). Elle apparaît de sur-croît comme une ville élue : « il n’est lieu çà-bas, que le ciel ait embrassée… », l. 25-26.

Le thème de la mort

Les termes évoquant la mort sont appliqués aussi bien à l’humanité (« ils sont trépassés. Si est bien

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Français 1re – Livre du professeur

mon père », l. 15-16) qu’à la ville de Rome (« le tom-beau de cette ville », l. 6-7 ; « au tombeau », l. 29). Montaigne met ainsi en relation les grands hommes dont il a une connaissance livresque, la ville qu’il a parcourue et son propre père. Il suggère par là la fragilité de toutes choses, et ce passage extrait du chapitre intitulé « De la vanité » fait écho aux paroles de l’Ecclésiaste, le roi de Jérusalem, dans l’Ancien Testament : « Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités et tout n’est que vanité » (Ecclé-siaste, I, 2). Rome offre donc à notre imagination un memento mori, et nous adresse un avertissement. La désolation présente de ce qui fut admirable pré-figure notre propre destinée. Toutefois, par l’écriture et par la pensée, grâce au prestige qui les nimbe, les grands hommes du passé, le père de Montaigne et Rome elle-même continuent à hanter le présent (« je ne laisse pas d’embrasser et de pratiquer la mémoire », l. 17-18) ; « Encore retient-elle au tom-beau des marques et image d’empire », l. 29).

SynthèseMontaigne apparaît ici comme un représentant de l’humaniste par de nombreux aspects :

I. Un homme en devenir1. Une éducation qui a fait naître l’humanité chez

l’enfant2. Un homme qui entreprend d’embrasser simulta-

nément par la pensée tous les âges de sa vie

II. Un homme de culture1. Un grand connaisseur de la culture latine2. Un admirateur de la ville éternelle

III. Un penseur1. Un écrivain qui entreprend de se connaître

lui-même2. Un philosophe qui a pris l’homme pour objet

d’étude, qui l’examine sans idée préconçue, et qui le considère dans la totalité de sa nature, sen-sible, affective et intellectuelle

3. Un homme universel4. Un homme habité par une profonde foi en l’homme

PISTES COMPLÉMENTAIRES

Il Fattore, Le Baptême de l’empereur Constantin.

Ce tableau peut apporter au texte de Montaigne un éclairage historique. Depuis le ier siècle après J.-C., le christianisme s’était répandu progressivement dans tous les milieux de la société romaine. Toute-fois, il se heurtait au culte officiel, qui exigeait par exemple qu’on élève l’empereur défunt au rang des divinités. De nombreuses persécutions frappèrent jusqu’au début du ive siècle les chrétiens qui refu-saient de se soumettre au culte officiel. Au début du ivesiècle, Constantin, fils de l’empereur d’Occident,

avait dû affronter Maxence, qui avait usurpé le titre d’empereur. Selon l’écrivain chrétien Lactance, avant d’engager le combat devant le pont Milvius, à Rome, il avait faire peindre le monogramme du Christ sur les boucliers de ses soldats ; d’autres écrivains affirment qu’il avait représenté ce symbole sur le labarum, l’étendard impérial. Vainqueur, il devint empereur, et toléra le christianisme, auquel il se convertit sur son lit de mort, en 337. Il fit élever, entre 319 et 350, une basilique sur le site de l’ac-tuelle Saint-Pierre, à Rome.Ce tableau a été décrit par Stendhal, dans les Pro-menades dans Rome. Dans le décor polygonal d’une église, sur lequel on peut discerner l’inscription abrégée « PONT MAX », qui désigne le pontifex maximus, est représenté le baptême de Constantin. Le titre de Pontifex appartenait à la religion romaine, où il désignait un prêtre chargé de contrôler la pra-tique de la religion d’État. Le terme est réemployé dans la religion chrétienne, où il désigne un prêtre ou un évêque.L’empereur est représenté, au centre de la fresque, dévêtu, un genou au sol, formant une croix avec ses bras. L’évêque Eusèbe (Saint Sylvestre, selon Stend-hal) lui administre le sacrement du baptême en lui versant de l’eau sur la tête. L’immersion baptismale reproduit la mort et la résurrection : ce tableau repré-sente donc la renaissance de l’empereur dans une autre vie, et signifie donc symboliquement la conver-sion de Rome au christianisme. L’empereur est représenté comme un homme dans la force de l’âge, ce qui ne correspond pas à la réalité historique : l’intention est de montrer l’avènement d’un monde nouveau, dans lequel pouvoir politique et pouvoir religieux se rassemblent devant l’autel de la chré-tienté. Le personnage vêtu de noir et coiffé d’une toque est peut-être le peintre lui-même.

Texte 5 – Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques (1616) p. 429

OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir une vision négative de Rome, dans une œuvre polémique.

– Mettre en évidence la dimension programmatique d’un exorde.

LECTURE ANALYTIQUE

Les références à l’Antiquité

Le poème s’ouvre sur différentes références à l’Anti-quité. Des noms de personnages issus de l’Antiquité parcourent l’extrait : Hannibal, le général carthagi-nois, au vers 3, César, le général romain, aux vers 8 et 12. Tous deux sont connus pour avoir été de redoutables combattants, l’un au cours de la

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seconde guerre punique, le deuxième pour ses combats dans les Gaules, mais aussi dans son entreprise de conquête du pouvoir qui mena à une guerre civile. La proximité du nom d’Hannibal avec les mots « s’attaquer » (v. 1) et « légions » (v. 1), au sein de la même phrase, met en évidence le carac-tère belliqueux du personnage. Agrippa d’Aubigné rappelle différents épisodes célèbres : le passage des Alpes par Hannibal, afin de conquérir l’Italie (« Se fendit un passage aux Alpes embrasés », v. 4) et le franchissement du Rubicon par César, accom-pagné de ses soldats en armes, qui signe le début des guerres civiles (« outre la rive/Du Rubicon », v. 17-18). Mais de manière surprenante, le poète s’assimile à ces personnages, à travers une compa-raison, « il faudra faire comme/Hannibal » (vers 2-3) ou la référence au même doute qui assaillit l’auteur et César et que tous deux ont combattu (v. 7-8). La mention du Rubicon, au vers 18, intervient dans une phrase où l’auteur évoque ses propres sentiments (« mes désirs ») : il s’assimile donc à César, qui brûle de conquérir Rome en franchissant la rive. Les vers comportent de nombreux rejets : « il faudra faire comme/Hannibal », v. 2-3 ; « Mes désirs sont déjà volés outre la rive/Du Rubicon troublé », v. 17-18. Outre le fait qu’ils permettent de mettre en relief le personnage ou le lieu, ils contribuent à créer un rythme haché : l’alexandrin semble disloqué, mimant ainsi l’emportement du poète. Celui-ci avoue son intention belliqueuse : il désire partir à l’assaut de Rome. Comme ces combattants, il cherche à se frayer un chemin jusqu’à elle. Le thème du franchis-sement, du passage, parcourt l’extrait : « Se fendit un passage », v. 3 ; « Au travers des sept monts », v. 6 ; « outre la rive/Du Rubicon », v. 17-18. L’assimi-lation du poète à ces personnages célèbres de l’An-tiquité se marque également par des reprises lexicales : au vers 3, le moyen employé par le géné-ral carthaginois est rappelé, à travers une image : « par feux d’aigre humeur arrosés », et le poète évoque, au vers 5, « [s]on courage de feu, [s]on humeur aigre et forte » : « feu », « humeur » et « aigre » sont des termes appliqués à la fois à l’ac-tion d’Hannibal et au poète, dans un chiasme (« aigre humeur »/« humeur aigre »). L’image s’applique cette fois-ci aux sentiments d’Agrippa d’Aubigné. Dans un texte d’allure polémique, dans lequel domine la violence (« s’attaquer », v. 1 ; « brise » v. 7 ; « l’ait jamais écorché », v. 20), l’auteur livre son intention : comme tous les combattants, attaquer Rome. Son texte prend des allures d’épopée.

La représentation de Rome

Le poète nous livre une image surprenante de Rome, en se plaçant du point de vue de César : « Il vit », vers 9, ouvre la peinture de Rome. Il emploie une allégorie et présente la cité comme une femme, pourvue d’un corps (« échevelée », v. 9 ; « ses

doigts », « ses mains », v. 11), capable de mouve-ments (« tordant », « fermait », v. 11), douée de sen-timents (la peur : « tremblante », v. 9 ; la tristesse : « en pleurs, en sanglots, mi-morte, désolée », v. 10). La représentation de Rome ainsi constituée contri-bue à créer un effet pathétique : César, le conqué-rant, d’ailleurs est décrit comme en proie au doute (v. 8), et son entreprise de conquête du pouvoir apparaît peu glorieuse. Pour justifier son entreprise, l’auteur présente une autre image de Rome, à partir du vers 13, qui s’ouvre avec un lien logique d’oppo-sition : « mais ». Il poursuit l’allégorie de Rome, mais souligne un autre aspect de celle-ci, tout aussi pathétique, avec son « visage meurtri » (v. 14). La cité présentée n’est plus la cité païenne, mais la Rome chrétienne : « la captive Église » (v. 14), qu’il faut sans doute comprendre comme protestante. Le texte d’Agrippa d’Aubigné contient une référence à l’Apocalypse (« dessous les autels des idoles », v. 13), ce qui inscrit son texte dans une vision pessi-miste. La conquête du poète s’apparente à une mis-sion de « délivrance » imposée, comme le montre la syntaxe et la position du pronom personnel de la première personne en COD (« m’appelant », « m’ani-mant », v. 16). Les assonances en [ã] et [a], les allité-rations en [m] contribuent à amplifier cet appel. Le poète se présente ainsi en libérateur.

Une entreprise audacieuseL’Église « captive » évoquée au vers 14 peut très bien représenter l’Église protestante, ce qui inscrirait ce texte dans une œuvre engagée. Rome, pour les protestants, représente la Rome papale, catholique. Avec ses mots, son œuvre, le poète entend com-battre celle-ci. Cette entreprise apparaît comme une nécessité : le premier vers s’ouvre sur un complé-ment circonstanciel de cause – « puisque » (ce qui indique que ce début correspond à une entreprise de justification) – et une tournure impersonnelle sou-lignant l’obligation : « il faut ». Ce devoir se mani-feste également par la modalité jussive, employée au vers 18 : « que mon reste les suive ». L’hésitation n’est plus permise, le premier pas a déjà été fait (voir l’emploi de l’adverbe « déjà » au vers 17). Cette entreprise apparaît audacieuse : malgré les compa-raisons que l’auteur effectue, il souligne sa singula-rité. Il emploie l’image du « chemin » en ajoutant l’adjectif « neuf » (v. 19) et file la métaphore de l’avancée au combat (« de ses pas », v. 20). Seul homme cité de son époque, l’auteur apparaît comme une figure singulière, mise en relief par les comparai-sons aux grands généraux de l’Antiquité, dont il se distingue toutefois par les moyens utilisés.

SynthèseLe poète propose une image de Rome et de l’Anti-quité très différente des autres auteurs de la séquence. En effet, il envisage la cité sous l’angle de la religion, et son texte, plus tardif que les autres,

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Français 1re – Livre du professeur

s’inscrit dans le contexte des guerres de religion. Si Montaigne, lui aussi, évoquait Rome comme centre religieux, la perspective est différente. De plus, Agrippa d’Aubigné fait œuvre de poète : il emploie la figure de l’allégorie. L’Antiquité ici représentée est un prétexte : la mention des généraux, leur compa-raison à l’auteur sert son argumentation. L’histoire antique de Rome est amenée à se répéter.

GRAMMAIRE

La phrase des vers 9 à 12 est longue, composée de nombreuses expansions du nom : adjectifs (« trem-blante, affreuse, échevelée »), une proposition rela-tive qui débute au vers 15 et dont les verbes, au vers suivant, sont juxtaposés sans coordination. L’allégo-rie de Rome donne au texte une dimension pathé-tique, et les asyndètes, nombreuses, concourent au même effet, et dramatisent le passage, jusqu’au nom « germains », à la fin du vers 12, annoncé par la rime intérieure, à l’hémistiche, avec le mot « chemin ». L’horreur des guerres civiles est ainsi représentée.

S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION

L’image du feu parcourt le texte des Tragiques : dans le passage, cet élément est mentionné comme moyen employé par Hannibal pour percer les Alpes (v. 4), ou comme complément du nom « courage » (v. 5), afin de souligner, par cette métaphore, l’ardeur guerrière du poète. L’ouvrage est avant tout un brû-lot : il dénonce, dans la France catholique, le traite-ment infligé aux protestants ; il combat. Dès les premiers vers, l’intention polémique est soulignée. L’allégorie de la « captive Église » (v. 14), cachée sous « les autels des idoles » (v. 13), apparaît comme l’image de la religion protestante, persécutée. Œuvre engagée, Les Tragiques visent à éclairer les hommes, mais aussi à détruire.

PISTE COMPLÉMENTAIRE

Giulio Camillo Dell’Abate, Massacre des Triumvirs.Le détail ce tableau peut servir de support à la réflexion. Il met en scène les participants au second triumvirat, Octave, Antoine et Lépide, en – 43 avant J.-C. Les trois personnages à gauche, les seuls à être assis, sous un dais, correspondent aux trois participants du triumvirat. Cette alliance est suivie de nombreuses proscriptions : les trois chefs s’entendent pour éliminer leurs ennemis politiques et personnels, notamment les assassins de César. Leurs biens sont confisqués et distribués aux vété-rans. La scène représentée est marquée par la plus grande confusion : la foule en armes, aux pieds des triumvirs, forme une masse compacte, indistincte ; à l’arrière-plan, on distingue différents personnages

en train de fuir ; au premier plan, des hommes éten-dus. La violence se lit dans les têtes tranchées, ali-gnées sur le piédestal des colonnes, sur la balustrade de l’édifice ou sur la première marche. Le person-nage étendu, au premier plan, a eu la tête tranchée, et son sang se répand. La verticalité des armes s’oppose aux corps étendus. Enfin, les différents bâtiments donnent une impression de profondeur, et la fuite de certains personnages semble amplifiée, mais impossible : on distingue au fond un bâtiment, un temple, semble-t-il, qui ferme l’horizon. Cette scène de massacre pourrait tout aussi bien s’appli-quer aux guerres de religion : on pense notamment au massacre de la Saint-Barthélémy. Le décor antique, le titre rappelant le contexte du triumvirat servent de prétexte, comme dans le texte d’Agrippa d’Aubigné.

Histoire des arts – L’Italie, source d’inspiration des artistes humanistes p. 430

« Vous comprendrez mon enthousiasme, jeunes artistes, que le seul nom de Rome fait tressaillir ; c’est à vous que je m’adresse. […]On voit ici debout, sur une échelle, un architecte qui mesure les différentes parties d’un monument ; […] on passe sans faire attention au peintre, fût-il monté sur un arbre au milieu du Forum, ou même sur la corniche d’un autel où l’on dirait la messe. Heureuse insouciance, fruit de l’habitude, qui fait considérer les artistes comme des êtres privilégiés dont on n’a rien à craindre, dont on ne se méfie point, et qu’on traite comme d’anciennes connaissance, et souvent comme des amis. »Antoine Laurent Castellan, 1772-1838, peintre des-sinateur, Lettres d’Italie, Paris, A. Nepveu, 1819.

I. L’influence italienne dans la peinture• Jacques Callot, La Foire de l’Impruneta, 1621, estampe, musée du Louvre.Jacques Callot (1592-1635) est un dessinateur et graveur lorrain, dont l’œuvre la plus connue aujourd’hui est une série de dix-huit eaux-fortes intitulée Les Grandes Misères de la guerre, évoquant les ravages et la violence de la Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui se déroulait alors en Europe.Lors d’un séjour à Rome, entre 1608 et 1611, il entre à l’atelier du graveur champenois Philippe Thomas-sin, chez qui il apprend l’art de la gravure au burin. Vers la fin de 1611, il quitte Rome pour Florence. À l’automne 1614, il reçoit une pension de Cosme II de Médicis et un atelier au Palais des Offices. Il a l’idée d’utiliser le vernis des luthiers florentins, vernis dur à séchage rapide, pour protéger le cuivre des planches, ce qui va totalement changer les possibi-lités de l’eau-forte et permettre un dessin plus pré-cis. Après la mort de Cosme II de Médicis en 1621, Callot perd sa pension et, comme beaucoup d’autres

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

artistes étrangers, doit quitter la Cour de Florence. C’est à la fin de son séjour à Florence qu’il réalise La Foire de l’Impruneta.Pour donner l’impression de profondeur, Callot uti-lise la technique de la perspective aérienne, qu’il a apprise auprès de ses maîtres italiens. Cette pers-pective utilise le dégradé, un premier plan foncé et des zones de plus en plus claires en allant vers le lointain. Si les éléments de l’estampe sont tous trai-tés avec un maximum de précision, la différence d’échelle entre le premier plan et l’arrière plan accentue l’effet de profondeur. Nous percevons un espace illusionniste tel que les artistes de la Renais-sance l’ont développé en Italie.Callot ajoute une lumière plus contrastée au premier plan, ce qui lui permet d’installer des gris proches du noir dans le groupe du premier plan vu à contre-jour. Celui-ci, situé sur une hauteur, se détache du reste de l’image. Dominant l’espace où s’étend la foire, il sert d’introduction à la scène qui se déroule sous nos yeux. Les personnages du premier plan nous tournent le dos afin de jouir du spectacle, cer-tains tendent leur bras : est-ce pour indiquer quelque chose ou pour proposer un article à vendre ? Quel que soit le sens de leur geste, il contribue à nous inviter à entrer dans l’image.L’espace est creusé en profondeur vers un très loin-tain estompé, mais également agrandi sur les côtés : le lieu qui n’y est pas clos et le grouillement de la foule et des animaux (quelque mille trois cents figures humaines et animales) nous amènent à ima-giner la vaste étendue de cette foire.

• Claude Gellée dit Le Lorrain, Vue du Campo Vaccino à Rome, 1636, huile sur toile, 56 × 72 cm, musée du Louvre.Claude Gellée dit Le Lorrain (vers 1600-1682) est formé à Rome par l’Italien Agostino Tassi, paysa-giste et décorateur réputé. Il fréquente Nicolas Poussin. En 1633, reconnu par ses pairs, il est admis parmi les peintres de l’académie de Saint-Luc.La Vue du Campo Vaccino à Rome a été peinte, ainsi que son pendant, tableau destiné à figurer symétri-quement avec elle, Vue du port avec le Capitole, pour Philippe de Béthune qui fut ambassadeur à Rome.Chateaubriand, deux siècles plus tard, vantera la qualité de la lumière des toiles du Lorrain : « Vous avez sans doute admiré dans les paysages de Claude Lorrain cette lumière qui semble idéale et plus belle que nature ? Eh bien, c’est la lumière de Rome ! » (François René de Chateaubriand, Lettre sur la campagne romaine, janvier 1804).D’une construction géométrique rigoureuse, cette vue s’étale jusqu’au fond du campo Vaccino, la pro-fondeur étant accentuée par la perspective atmos-phérique. Claude Gellée s’est placé en hauteur afin d’embrasser la totalité de l’espace du campo. Ce

point de vue en plongée donne une grande impor-tance au ciel. Dans ce tableau, le Lorrain ne repré-sente pas le soleil mais les quelques ombres et la lumière diffuse qui baigne les architectures indiquent qu’elle vient de la droite ; elle laisse dans la pénombre les personnages du premier plan. Est-ce le soir ? Est-ce le matin ? Difficile à déterminer, même si la qualité de cette lumière rosée fait pencher pour le matin alors que la lumière dorée de son pendant figurerait le soir.La gravure de Callot et la peinture du Lorrain montrent un certain nombre de similitudes : – l’étendue représentée est vaste ; – les vues sont encadrées au premier plan par des

arbres ou des architectures ; – ce premier plan est surélevé par rapport à l’en-

semble du paysage ; – la scène est introduite par des personnages qui

nous tournent le dos et qui désignent par un geste ce qui doit être vu ; – le premier plan est dans l’ombre alors que le fond

est lumineux.Toutefois les intentions des artistes ne sont pas similaires. Chez Callot, le sujet est l’activité humaine, le paysage servant de décor, tandis que chez Gellée, le paysage est le sujet, les quelques personnages du premier plan n’étant là que pour l’introduire et donner l’échelle. La part importante donnée au ciel chez le Lorrain donne une impression de calme et de pérennité tandis que l’envahissement du paysage par les hommes et les animaux traduit le grouille-ment et la fébrilité de l’activité des hommes. La part du ciel est réduite. Chez l’un, le paysage prend une dimension sacrée, divine, chez l’autre, une dimen-sion profane.

• Nicolas Poussin, Eliezer et Rebecca, 1648, huile sur toile, 118 × 197 cm, musée du Louvre.Nicolas Poussin (1594-1665) effectue un premier séjour à Rome de 1624 à 1640. Il y retourne en 1642 en compagnie de Charles Lebrun et s’y installe définitivement.Nicolas Poussin excelle dans le paysage historié, genre pictural où nature, personnages et composi-tion participent à un récit historique ou biblique. Dans Eliezer et Rebecca, il représente le moment précis où Eliezer, envoyé par son maître Abraham choisir une femme pour son fils, rencontre des jeunes filles venant puiser de l’eau à un puits. Séduit par la beauté de Rebecca, il lui offre les présents qui en font l’élue. Chacune de ses douze compagnes marque une émotion différente : étonnement, curio-sité, trouble, envie. Poussin répond par ce sujet à la commande de Pointel, marchand à Paris, qui voulait un tableau représentant différentes beautés.La composition du tableau, qui respecte la règle des trois tiers, met, à l’avant de la scène, les person-nages qui occupent les deux tiers de la hauteur. Ils

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Français 1re – Livre du professeur

sont placés de façon frontale, de plain-pied. Le pro-tagoniste se situe sur la médiane, sans élément de paysage signifiant derrière lui, seulement le ciel dont les nuages forment une voûte qui couronne Eliezer et Rebecca. Malgré le déhanchement et les attitudes variées des jeunes femmes, l’arabesque scandée par les cruches, il se dégage une impression de sta-bilité, renforcée par l’architecture qui sert de décor à la scène. Certains accessoires sont porteurs de sens : les cruches symbolisent la féminité et ren-forcent l’impression de l’intrusion de l’homme dans cet univers féminin ; la colonne carrée (symbole de la Vertu) supporte un globe qui pourrait être la repré-sentation de la déesse Fortuna. Ces deux emblèmes combinés appartiennent au langage architectural de Léon Battista Alberti (1404-1472), architecte et peintre, qui rédigea un traité d’architecture : De re ædificatoria (1485), dédié à Laurent de Médicis.Une autre citation montre l’enthousiasme de Cha-teaubriand à l’égard des artistes français fréquen-tant Rome : « […]Nicolas Poussin acheta, de la dot de sa femme, une maison sur le monte Pincio, en face d’un autre casino qui avait appartenu à Claude Gellée dit le Lorrain.Mon autre compatriote Claude mourut aussi sur les genoux de la reine du monde. Si Poussin reproduit la campagne de Rome lors même que la scène de ses paysages est placée ailleurs, Le Lorrain reproduit les ciels de Rome lors même qu’il peint des vaisseaux et un soleil couchant sur la mer.Que n’ai-je été le contemporain de certaines créa-tures privilégiées pour lesquelles je me sens de l’at-trait dans les siècles divers ! Mais il m’eut fallu ressusciter trop souvent. Le Poussin et Claude le Lorrain ont passé au Capitole ; des rois y sont venus et ne les valaient pas. […] » (François-René de Cha-teaubriand 1768 1848, Mémoires d’outre-tombe, Paris, E. et V. Penaud, 1849-1850)Dans la deuxième partie du xviiie siècle, un retour à une inspiration venue de l’Antiquité succède au rococo. Les fouilles des cités ensevelies par l’érup-tion du Vésuve au début du xviie siècle participe à cet engouement.

• Hubert Robert, Ruines romaines avec le Coli-sée, 1798, huile sur toile, 50 × 59 cm, musée du Louvre.Hubert Robert (1733-1808) visite Rome avec Frago-nard et l’abbé Saint-Non en 1759-1760, voyage au cours duquel il exécute une multitude de croquis de sites, monuments romains et scènes pittoresques.Rentré en France, il met à la mode les paysages de ruines antiques baignés dans des lumières douces et mélancoliques. La construction rigoureuse de ses compositions séduit les amateurs.Dans Ruines romaines avec le Colisée, peint presque quarante ans après son voyage, Hubert Robert réin-vente le paysage. Son objectif n’est pas de rendre

compte du lieu dans son exactitude mais de magni-fier la majesté de ces ruines, traces de la grandeur de la Rome antique. Un effet d’accélération de la perspective réduit la profondeur à deux plans : le premier, très proche de nous, présente des colon-nades et la statue gigantesque d’un Hercule pen-chée vers les personnages, au centre, qui semblent explorer le lieu. Que font-ils dans cet effet d’ombre et de lumière ? Au fond de l’ouverture percée entre ces ruines surgit la silhouette du Colisée émergeant derrière le site. Les points de vue sont multiples, il est bien difficile de trouver un point de fuite unique. Malgré ces incohérences de construction, la pré-sence forte des verticales qui scandent l’image dégage une impression de puissance. Le fort contraste entre le premier plan à contre-jour et le fond baigné dans une lumière diffuse renforce cette impression.

II. L’influence italienne dans la sculpture

• Pierre Puget, Alexandre et Diogène, 1671-1689, marbre de Carrare, (H. : 3,32 m ; L. : 2,96 m ; Pr. : 0,44 m), musée du Louvre.Lors de son séjour en Italie, Pierre Puget (1620-1694) fait partie de l’atelier de Pierre de Cortone, peintre et architecte, avec lequel il participa à la décoration des palais Barberini à Rome et Pitti à Florence.Alexandre et Diogène est un haut-relief en marbre de dimensions exceptionnelles. Conçu comme une peinture, ce relief devait orner la façade du château de Versailles ; il doit être vu de face. Puget allie la construction de la perspective dans les bâtiments du fond, la diminution progressive du relief des per-sonnages et de l’architecture pour créer l’illusion de la profondeur. Par ailleurs, les éléments en haut-relief (qui se détachent du fond), telle la tête de Dio-gène et des deux soldats qui l’encadrent, ainsi que celle du cheval d’Alexandre, par le jeu des ombres qu’ils engendrent, animent la scène en créant un effet de réalisme.En choisissant le marbre de Carrare plutôt que le bronze, Puget s’inscrit dans la lignée des sculpteurs antiques et des grands maîtres italiens : Michel-Ange et Bernin. Bien que l’histoire se passe à Corinthe, en Grèce, Puget choisit un décor architec-tural inspiré de la Rome antique : le temple avec ses chapiteaux corinthiens, en haut à droite, rappelle celui de Mars érigé par Auguste sur le Forum romain. Les soldats de droite ont les traits de Caracala et de Vitellus alors qu’Alexandre ressemble étrangement à Néron. Cette glorification des empereurs romains était faite pour flatter le goût de Louis XIV pour l’an-tique et par analogie glorifier également sa puis-sance. Dans ce relief, Puget représente les émotions avec une grande expressivité par les expressions du visage chez Diogène et certains soldats, par la ten-sion des corps, le mouvement des mains, des pieds.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

Cette manière inspirée du baroque italien est loin des conventions classiques en usage à Versailles. S’ajoutant à cela, l’épisode choisi, qui relate la résis-tance du philosophe à l’empereur, ont valu à cette œuvre d’être mise au rebut jusqu’à son entrée au Louvre.Durant le règne de Louis XIV, l’image d’Alexandre est très souvent utilisée pour représenter le roi en gloire, vainqueur, comme le fera Charles Le Brun dans la Galerie des Glaces à Versailles. Or, le choix, par Puget, de cet épisode de la vie d’Alexandre est étonnant. Diogène agit en philosophe cynique, méprisant honneurs, richesses et toutes conve-nances sociales. Il traite l’empereur Alexandre avec dédain et ironie. Diogène ose se soulever contre le souverain. Cette rencontre symbolise l’opposition entre puissance, honneurs et dépouillement, finesse, intelligence. L’ambiguïté de cette iconographie n’a-t-elle pas valu à cette œuvre sa relégation ?

III. L’influence italienne dans l’architecture• Pierre Lescot, Façade du Louvre dite de Pierre Lescot, 1546, Paris.Pierre Lescot (1510 environ-1578) supervise les tra-vaux de reconstruction du Louvre. Le dessin du nouveau château royal fut commandé par François Ier en 1546, et l’architecte, confirmé dans ses fonc-tions par Henri II et les rois qui lui succédèrent, conserve la responsabilité du chantier jusqu’à sa mort. Le sculpteur Jean Goujon participe aussi à cette reconstruction. Lescot puise son inspiration aussi bien dans les monuments de la Rome antique que chez ses contemporains italiens. Sur la façade, il articule étages et corniches ; les avant-corps à colonnes corinthiennes créent une animation. L’at-tique richement sculpté supporte un nouveau sys-tème de couverture : le comble brisé. Les allégories sculptées en façade vantent la renommée du roi. Le décor en feuilles de laurier, les arcs aux frontons décorés sont autant de symboles à la gloire de Henri II à la fois roi guerrier et protecteur des sciences.Le document proposé en ligne par le musée du Louvre sur la façade dite de Lescot apporte un com-plément utile à l’étude de cette façade.

• Jacques-Germain Soufflot, Église Sainte-Geneviève, 1764, devenue le Panthéon en 1795, Paris.Soufflot (1713-1780) séjourne à l’Académie de France à Rome de 1733 à 1738. Il étudie l’Antiquité et les œuvres de Palladio (1508-1580), architecte italien qui réactualise les structures de l’architecture antique sans copier les modèles. Il retourne en Italie pour accompagner le marquis de Marigny dans son Grand Tour et découvre Paestum, où il réalise de nombreux dessins, puis les fouilles de Pompéi et d’Herculanum. Il s’intéresse également aux édifices avec dôme. En 1754, il s’installe à Paris sous la pro-tection de Marigny devenu surintendant des

bâtiments du roi, qui le nomme contrôleur de ces mêmes bâtiments. Dans ses architectures, Soufflot est désireux d’unir « la légèreté de la construction des édifices gothiques avec la pureté et la magnifi-cence de l’architecture grecque », en appliquant les principes de l’architecture gothique,qu’il a étudiés et dont il admire les structures et l’élancement des voûtes, le vocabulaire antique et classique.Pour l’église Sainte-Geneviève, s’inspirant du Pan-théon de Rome, il érige une façade aux proportions monumentales avec un péristyle de colonnes corin-thiennes, surmonté d’un fronton sculpté par David d’Angers. En revanche, la coupole surélevée fait réfé-rence aux constructions baroques comme Saint-Pierre de Rome, achevé par le Bernin. Le tambour, cœur de l’édifice, est évidé – plus de murs porteurs – ; le poids de la coupole est supporté par des colonnes groupées par quatre, technique inspirée de l’architec-ture gothique, qui donne une impression de légè-reté. Les travaux, inachevés à la mort de Soufflot, sont poursuivis par Rondelet qui respecte ses plans et ses élévations. Toutefois, l’assise de la coupole a dû être revue, les choix techniques n’apportant pas assez de solidité à l’édifice. Ce mélange d’inspira-tions fait du Panthéon un bâtiment éclectique.

Perspectives – Pétrarque, Canzoniere (1374) p. 434

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier la vision de Rome proposée par celui qui fut considéré comme le premier humaniste italien.

– Examiner le lien entre Rome antique et Rome contemporaine de l’auteur.

LECTURE ANALYTIQUE

Un constat pessimisteLe poète emploie l’allégorie pour désigner Rome et l’Italie : la cité est assimilée à une personne, avec le champ lexical du corps (« cheveux », vers 5, « la tête », vers 7, « chevelure » et « tresses », vers 12 et 13). Les adjectifs utilisés pourraient fort bien qualifier des femmes : « vieille, oisive, indolente », vers 3. Tous les termes employés sont cataphoriques : ils sou-lignent son sommeil, son inaction (« oisive », « indo-lente », « dormira », « de son sommeil inerte », « si lourdement est écrasée », « la paresseuse » ; voir aussi le symbole des « tresses dénouées »), sa saleté (« sa fange »). Des négations parcourent le texte, lorsque le poète évoque l’Italie : « qui ne semble ses malheurs ressentir », « point d’espoir ». Le constat de l’auteur semble désabusé : l’Italie et Rome restent dans l’inaction, on ne retrouve plus la grandeur ancienne. La question des premiers vers et

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Français 1re – Livre du professeur

l’exclamative du vers 5 traduisent l’impatience du poète qui s’oppose au côté statique, immobile de la cité italienne.

Les aspirations d’un humaniste

Mais le poème est dédié à Cola di Rienzo, un érudit qui rêvait de restaurer la Rome antique. Placé à la tête de la cité en 1344, il prend un certain nombre de mesures et fait de Rome la capitale du monde. Le poème de Pétrarque constitue un éloge de cet homme : il s’adresse à lui au vers 9, souligne sa fonction importante (« à tes bras / […] Ore est confiée Rome »), manifeste sa confiance absolue en lui au vers 16 : « je mets en toi de mon espoir la part meilleure », avec le superlatif et le jeu des pronoms personnels, dont celui de la deuxième personne, de forme tonique. L’impuissance du poète se marquait au vers 5, par l’exclamative, ou encore par l’aveu au vers 15 : « moi qui la nuit le jour pleure de son opprobre » ; le pouvoir de Cola di Rienzo se lit au vers 10, avec la juxtaposition des verbes d’action « secouer, soulever », dont la violence est amplifiée par l’expression adverbiale « bien fort ».Le peuple romain tout entier, Rome entière, semble placer également sa confiance en Cola di Rienzo : la longue phrase des vers 17 à 24, qui évoque Rome dans sa matérialité (« antiques murailles », « pierres ») possède une très longue protase, formée d’expansions du nom (des propositions relatives) et s’achève en une courte apodose, dans laquelle figure le pronom personnel « toi » : « espère par toi seul consolider ses brèches ». La Rome antique, dans sa dimension matérielle, est ici personnifiée, puisqu’elle « espère ». La nomination de Cola di Rienzo à la tête de Rome est un espoir pour tous ceux qui veulent retrouver la cité antique, son archi-tecture. Cette nomination est également suggérée par les expressions : « un choix si bien justifié », « la nouvelle ». Le poète élabore à la fin de cet extrait une fiction : des hommes de l’antiquité sont cités : Scipion, Brutus, Fabricius. Ceux-ci sont montrés en train de se réjouir de la nomination de Cola di Rienzo. Le poète transcrit les paroles possibles de Fabricius dans l’exclamative finale qui manifeste son espoir d’une restauration de la Rome antique. Les excla-matives, avec leurs adverbes (« combien », vers 26 et « comme », vers 28) traduisent la même idée, dans un texte de tonalité lyrique. L’auteur mêle ici deux temporalités, l’Antiquité et son présent, afin de souligner l’importance de Cola di Rienzo pour la conservation et la restauration du passé.L’humaniste Pétrarque manifeste dans ce poème son admiration pour l’Antiquité : Rome est présentée comme le centre du monde, sa supériorité est patente dans le choix des verbes employés. Elle est en effet « aim[ée] », « redout[ée] » (vers 17), elle fait « tremble[r] » (vers 18). Le passé reste un avertisse-ment, comme le prouvent l’adverbe « encor »,

vers 17, et les verbes employés, avec le préverbe qui indique l’idée d’un regard en arrière : « ressouvient », « retourne » (vers 18 et 19). Les personnages de l’An-tiquité sont rendus vivants par les paroles rapportées, fictives, de Fabricius au dernier vers de l’extrait, mais aussi par les apostrophes élogieuses, vers 25, et l’adresse directe par le biais du pronom personnel de la deuxième personne du pluriel. Cola di Rienzo s’ap-prête à restaurer la Rome antique ; le poète, quant à lui, peut leur rendre l’immortalité par ses vers…

PROLONGEMENT

L’apport de Pétrarque à la poésie française est indé-niable. On pense à la forme du sonnet, que Du Bel-lay évoque dans Défense et Illustration de la langue française, livre II, chapitre 4, et qu’il met en pratique dans Les Regrets, Les Antiquités de Rome ou l’Olive :« Sonne moy ces beaux Sonnetz, non moins docte, que plaisante Invention Italienne, conforme de Nom à l’Ode, et differente d’elle seulement, pource, que le Sonnet a certains Vers reiglez, et limitez : et l’Ode peut courir par toutes manieres de Vers librement, voyre en inventer à plaisir à l’exemple d’Horace, qui a chanté en xix sortes de Vers comme disent les Grammariens. Pour le Sonnet donques tu as Petrarque, et quelques modernes Italiens. » (La Def-fence, et illustration de la langue françoyse, édition critique par Jean-Charles Monferran, Droz, 2007).La préface de L’Olive souligne clairement la parenté de l’œuvre de Du Bellay avec celle de Pétrarque, dont les œuvres seraient parvenues en France et imitées sous l’impulsion de Mellin de Saint-Gelais :« Voulant donques enrichir nostre vulgaire d’une nouvelle, ou plustot ancienne renouvelée poësie, je m’adonnay à l’immitation des anciens Latins et des poëtes Italiens, dont j’ay entendu ce que m’en a peu apprendre la communication familiere de mes amis. Ce fut pourquoy, à la persuasion de Jaques Peletier, je choisi le sonnet et l’ode, deux poëmes de ce temps là (c’est depuis quatre ans) encores peu usi-tez entre les nostres : étant le sonnet d’italien devenu françois, comme je croy, par Mellin de Sainct Gelais, et l’ode, quand à son vray et naturel stile, represen-tée en nostre langue par Pierre de Ronsard. » (L’Olive, texte établi par Ernesta Caldarini, Droz, 2007).La poésie encomiastique de Pétrarque est reprise par les poètes de la Renaissance française : la célé-bration de Laure inspire Du Bellay, dans L’Olive, mais aussi d’autres poètes, comme Maurice Scève, qui chante Délie. Les motifs des sonnets de Pétrarque sont repris, imités : on joue sur le nom de la femme célébrée (on peut penser au jeu de mots sur le pré-nom Marie, dans le second livre des Amours de Ronsard) ; on emploie métaphores, antithèses et exagérations codifiées ; le sonnet s’achève sur une pointe (dernier tercet). L’amant est soumis à une

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

sorte de fatalité, un Dieu, Cupidon, qui se joue de lui et le fait souffrir de ses flèches. Il demeure fidèle à la femme célébrée.

Perspective – Marguerite Yourcenar, L’Œuvre au noir (1968) p. 435

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une page de roman historique. – Montrer comment la littérature du xxe siècle interprète la période de la Renaissance et en recrée l’atmosphère.

LECTURE ANALYTIQUE

Dissolution de la structure du tempsCe passage se trouve dans les premières pages du roman : Zénon se dirige vers l’Espagne, où il sou-haite recueillir le savoir d’un vieil alchimiste. Il ren-contre en route son cousin, avec qui il engage la conversation. La narration du voyage s’interrompt : ce sont les lignes que nous lisons.Le chapitre « Les enfances de Zénon » commence par une analepse, qui opère une incursion dans le passé du jeune homme, qui à son tour engendre une nouvelle analepse où est racontée la vie de son père. Ce procédé permet de donner une identité au héros, d’esquisser les linéaments d’un caractère et d’une intrigue et de distribuer autour de lui quelques jalons historiques. Cette rupture chronologique sug-gère aussi un mode de lecture : la fiction crée dès son début l’impression que le temps, disloqué, est fait d’éléments qui convergent autant qu’ils se suc-cèdent. La narration biographique centrée sur l’his-toire de Zénon dérive vers la figure de son père. Elle devient enquête, et la trajectoire du récit suit les lignes brisées et incertaines d’un labyrinthe. La valeur indéfinie du pronom indéfini « on » renvoie à un témoin, singulier ou pluriel, de la vie du père de Zénon. Cet emploi approfondit l’obscurité envelop-pant un personnage qui, paradoxalement, fréquente les puissants et dont la vie est amplement commen-tée par la rumeur. La fiction est donc intériorisée et livrée au lecteur comme une énigme.

Portrait d’un personnage romanesqueLes nombreuses références à l’Histoire sont traitées elles aussi par l’art du clair-obscur :

• Elles fournissent l’ancrage historique de la fiction : – les événements historiques peuvent être datés

grâce à diverses allusions : l’adolescence du père de Zénon coïncide avec l’époque du pontificat d’Alexandre VI Borgia (1492-1503) et de la splen-deur de sa famille, dont la cour se tient à Rome. Il est fait explicitement référence à l’affaire de Sinigaglia (1502), durant laquelle César Borgia élimine ses adversaires, et à la mort du pape.

– Quelques-uns des artistes qui ont orné la Renais-sance italienne et la cour des Borgia sont cités : Michel-Ange, qui arriva à Rome en 1496 et y séjourna une dizaine d’années ; Léonard de Vinci (cf. note) ; quelques lieux sont signalés : la « Place de Saint-Pierre », qui s’étend devant la Basilique Saint-Pierre, n’est encore qu’une esplanade où ont lieu des « courses de taureaux » (sa colonnade a été élevée par Le Bernin, au XVIIe siècle.) – la fiction est prise dans les entrelacs de l’Histoire :

le père de Zénon est présenté comme l’un des archi-tectes de l’embuscade de Sinigaglia. Il a entretenu une liaison avec Julia Farnèse, qui était l’amante du pape. Il appartient au cercle des amis de Michel-Ange. Plus généralement, il semble avoir été favo-risé par Alexandre VI (« la mort inopinée du Saint-Père retarda cette promotion », l. 15).Le portrait du personnage se nourrit ainsi d’un contexte historique dont il a été le témoin privilégié. Le père de Zénon se présente sous les traits d’un homme de la Renaissance, brillant et cultivé ; à ces qualités s’ajoute un caractère romanesque : Messer Alberico de’ Numi est un ambitieux, un séducteur et un aventurier.

• Elles entretiennent le halo de mystère que fait régner la narration : l’absence de date et la trajec-toire surprenante du jeune homme après un épisode dont on ne sait rien jettent une ombre sur ce portrait, et épaississent l’énigme du récit. Les événements et les personnages se présentent à lui sous la forme d’un « puzzle », selon l’expression d’Anne-Yvonne Julien (L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, folio, Gallimard 1993).Le père de Zénon incarne un idéal humaniste de quête de soi et de perfectionnement, par sa foi en la vie, son goût du beau et de l’art, mais aussi par sa faculté à se transformer pour « devenir plus homme » (humanior, selon la formule d’Étienne Dolet), c’est-à-dire meilleur et plus religieux. Le texte de Margue-rite Yourcenar présente également un idéalisme contemporain, nourri de l’humanisme de la Renais-sance, dans lequel l’homme, entièrement délivré des pesanteurs sociales, réalise ses plus nobles virtualités.

PROLONGEMENT

La famille Borgia a inspiré de nombreuses séries, ainsi que des longs métrages. En 2006 par exemple, le réalisateur espagnol Antonio Hernández tourne le film Los Borgia, qui a été adapté en français. Vous pouvez visionner ce film sur Youtube : version fran-çaise du film Los Borgia, coproduction italiano-espa-gnole du réalisateur Antonio Hernandez réalisée avec le concours d’Antena 3, du ministère de la Culture espagnol et de la radio-télévision valen-cienne). Ce film débute au moment où Rodrigue

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Français 1re – Livre du professeur

Borgia devient pape sous le nom d’Alexandre VI. Toutes les corruptions de l’humanité semblent avoir trouvé refuge dans cette famille : la cruauté, le cynisme, la concupiscence, l’avidité, sont des vices qui les conduisent au vol, à l’inceste, à l’adultère, à l’assassinat et peut-être au fratricide. Le pape confond amour sacré et amour profane, et met l’au-torité de l’Église au service de son appétit de puis-sance. Le film fait de César Borgia un personnage romanesque, dont la vie aventureuse et tragique illustre la devise, « aut Caesar aut nihil ». La Renais-sance est présentée à travers ce filtre biographique et fictif : elle apparaît comme une période faste pour la vie artistique et intellectuelle (la fiction montre des reconstitutions des fresques des appartements du pape, ou met brièvement en scène le penseur poli-tique Machiavel), mais instable et dangereuse. L’Ita-lie est en effet divisée en territoires autonomes (duchés et républiques) qui résistent aux entreprises hégémoniques des états pontificaux dirigés par Alexandre VI et son fils César Borgia. Les tractations diplomatiques font intervenir les royaumes d’Es-pagne et de France dans un jeu où trahisons et crimes prolifèrent.

Perspective – Pierre Grimal, Voyage à Rome (2004) p. 436

OBJECTIFS ET ENJEUX – Comprendre les transformations de la cité de Rome.

– Mettre en relation un texte historique et les œuvres de la Renaissance.

LECTURE ANALYTIQUE

L’attitude des humanistes

Pierre Grimal met en scène deux humanistes, Le Pogge et Antonio Lusco, dont il rapporte la prome-nade dans Rome, à l’aide du présent, qui actualise la scène. Leur arrivée au sommet du Capitole est racontée. Les paroles rapportées de ceux-ci, d’après les écrits laissés par Le Pogge, permettent de cerner leur intérêt et leur admiration pour les monuments de la Rome antique. Le gigantisme est souligné (« immense », l. 8), on précise les matériaux, nobles (le « marbre », l. 8). La cité est comparée à une mère (lignes 28 et suivantes), dont on loue la fécondité, à travers l’intensif « tant de » à la ligne 28, ou une nourrice, lignes 28 et 29. Les énumérations qui suivent évoquent des personnes, puis des qualités. Les termes élogieux abondent pour désigner la Rome antique : « hommes illustres », « vertus », « lois justes », « perfections », les pluriels soulignant l’abondance. L’auteur rappelle que cette admiration se lit également dans les écrits des hommes de la

Renaissance : « les souvenirs matériels laissés par ces mêmes hommes que, sur le papier, on affectait de considérer comme des demi-dieux » (l. 22-24). Mais l’auteur souligne un paradoxe : si à la Renais-sance existe une poésie des ruines, un enthou-siasme marqué pour la Rome antique, l’attitude des humanistes apparaît pourtant élitiste : « l’on ne donne quelque attention qu’à ce qui paraît beau, précieux ou rare », rappelle l’auteur aux lignes 24 et 25. Le début du deuxième paragraphe s’ouvre sur une image fantasmée des humanistes, avec l’emploi du conditionnel (« on aurait pu penser »), contredite dans la phrase suivante par l’expression adversative « en réalité » (l. 24). Grimal poursuit son analyse en interprétant, à sa manière, l’attitude des deux amis, Le Pogge et Antonio Lusco : la déploration de la fin de Rome participerait davantage d’une émotion exacerbée, presque d’un jeu littéraire (cf. l’image « le grand naufrage romain », l. 27), assertion qu’il modalise toutefois avec la tournure impersonnelle « il semble que ». Les citations permettent de faire revivre ces hommes du passé, mais aussi de mieux mettre en évidence le hiatus qui existe entre leurs paroles et leurs actes. L’éloge dithyrambique des œuvres de l’Antiquité, de la Rome antique et de ses hommes ne suffit pas pour sauver tous les vestiges. Le mot « antiquaille », mis entre guillemets à la ligne 24, souligne bien le paradoxe : il ne devient péjoratif qu’au xviie siècle.

Rome à la Renaissance

Le texte nous permet également de saisir l’évolution de la ville de Rome, de l’Antiquité à la Renaissance. L’auteur nous convie à une promenade et nous voyons, par les yeux du Pogge, « le sommet sud du Capitole », près de ruines dont on distingue une porte et des « colonnes éparses ». Le Pogge n’identifie pas cet édifice, et l’auteur, Pierre Grimal, conjecture qu’il s’agit du temple de Jupiter Capitolin. Son incertitude est marquée par un modalisateur (« certainement », l. 10) : le temple a en effet disparu. L’historien explique la raison pour laquelle il est obligé de formuler une hypothèse : c’est à l’époque de la Renaissance que cette porte est détruite, et ses restes pillés, destinés à la construction d’une nouvelle Rome. Il suggère que les travaux ont été considérables, à travers exagéra-tions (« l’immense chantier ») et images (« aient été engloutis », l. 19). L’indication temporelle « il ne fallut guère plus de vingt ans » traduit la rapidité de ceux-ci et la frénésie qui s’est emparée alors de Rome. Les paroles du Pogge, citées à la fin de l’extrait, ne rendent pas compte des transformations que subit la cité à son époque, mais insistent davantage sur l’opposition entre la Rome antique, glorifiée, et la Rome de la Renaissance, pourvue de nombreux qualificatifs dys-phoriques (« dépouillée », « réduite », « la plus abjecte servitude », « enlaidie », « abattue »), qui développent l’idée d’une décadence de la ville.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 2

PROLONGEMENT

On peut consulter sur le site www.unicaen.fr (site de l’université de Caen) une reconstitution du temple cité par Grimal. Quelques indications sur sa construction et son rôle dans l’Antiquité sont fournies.Le site de la BNF, Gallica, propose différents plans de Rome, à différentes époques, qu’il est possible de consulter. On signale particulièrement la carte d’Antoine Lafréri de 1572, proposant un ancien plan de Rome et celle de Pirro Ligorio (1500?-1583), Urbis Rome, totius olim orbis domitricis situs cum adbut extantibus, sacrosant uetus tatis monumentis, sur laquelle les principaux monuments sont repré-sentés. Le temple de Jupiter Capitolin a disparu, et, à l’emplacement de la colline, le graveur a fait figurer la statue équestre de Marc Aurèle, installée à cet emplacement en 1538 par Michel-Ange, et le palais des conservateurs, édifié au xve siècle. La place, aménagée par Michel-Ange, ouvre une nouvelle perspective sur la cité : le regard ne se porte plus désormais sur la Rome antique.Sur le site www.rome-roma.net, un plan du Capitole antique et moderne permettent de voir l’évolution de la cité : la disparition du temple de Jupiter Capitolin est remarquable.

BIBLIOGRAPHIE

– Dictionnaire des lettres françaises – Le xvie siècle, édition revue sous la direction de M. Simonin, Encyclopédie d’aujourd’hui, La Pochothèque, Le Livre de Poche, Fayard, 2001

– A. Jouanna, P. Hamon, D. Biloghi, G. Le Thiec, La France de la Renaissance – Histoire et dictionnaire, Robert Laffont, 2001

– P. Hamon, Les Renaissances, 1453-1559, Belin, 2009

– Les Poètes français de la Renaissance et Pétrarque, études réunies par J. Balsamo, Droz, 2004

– P. Faure, La Renaissance, Que sais-je ?, PUF, 1999

– M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, Droz, 2009 – E. Guerber, J. Napoli, Y. Rivière, M. Coltelloni-Trannoy, Rome, ville et capitale, Clefs concours histoire ancienne, Atlande, 2002

– Religions de l’Antiquité, ouvrage collectif sous la direction d’Y. Lehmann, Collection premier cycle, Puf, 1999

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Français 1re – Livre du professeur

Séquence 3

L’utopie à la Renaissance et ses réécritures p. 438

Problématique : Comment l’utopie reflète-t-elle la quête d’un idéal humaniste ? Quelles sont les limites du genre utopiste ?

Éclairages : Il s’agit de découvrir l’utopie dans les textes et les arts et de faire un parcours tant littéraire qu’artistique à travers les siècles.La séquence est axée sur les rapports entre l’utopie et l’humanisme. Elle permet de comprendre comment l’utopie au xvie siècle traduit le rêve des penseurs et des artistes, foi en l’homme et en un projet de société favorisant la liberté collective, la culture de l’esprit et du corps comme la quête du bonheur. Dans le même temps, elle permet de poser les jalons du genre contre-utopique à travers la question de l’individu et de son autonomie dans la société idéale.Les textes et documents mis en perspective amènent les élèves à construire une culture du genre uto-pique de l’Antiquité au xxie siècle et à voir la naissance progressive de la contre-utopie.

Histoire des arts – Voyage en utopie à travers les siècles p. 438I. La cité idéale dans la peinture de la Renaissance

Luciano Laurana, La Cité idéale, vers 1470, huile sur bois (67 × 240 cm)

On observe de nombreuses lignes droites, dont l’ef-fet est adouci par la rotonde et des perspectives majestueuses. Les édifices s’organisent autour de cette rotonde de façon parfaitement symétrique. Cet ensemble évoque donc l’équilibre, l’harmonie, la rectitude et suggère une certaine quiétude. Cepen-dant on notera l’absence de vie humaine et on sera sensible au silence de ce tableau, à tel point qu’on peut parler de solitude. Cette image peut donc être l’occasion d’évoquer avec les élèves à propos de l’utopie la question d’un monde parfait, ordonné. On pourra leur proposer des lectures qui évoquent ces mondes trop ordonnés : Thomas More, L’Utopie ; Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes, etc.L’abondance de colonnes et la rotonde centrale peuvent faire penser aux architectures antiques. Le dessin des rues, renforcé par celui des dallages au premier plan, renvoie aux cités romaines, symbole de la victoire de la civilisation sur les barbares.Tout est ordonné selon un arrangement mathéma-tique. En l’absence de personnages, le décor devient l’élément principal du tableau, ce qui marque une rupture avec les traditions précédentes. La rotonde rappelle un bâtiment officiel, on retient un principe d’administration. L’espace au premier plan s’appa-rente à une agora ; on citera Aristote et Platon qui mettent en avant une organisation de l’espace en faveur d’une organisation politique et sociale rationnelle.Au Moyen Âge ce type de plan est toujours utilisé dans la création de villes nouvelles, par exemple les bastides.

II. La vie idéale dans la peinture des xixe et xxe siècles

Paul Signac, Au temps d’Harmonie, 1893, huile sur toile (312 × 410 cm)

Sous-titre : « L’Âge d’or n’est pas dans le passé, il est dans l’avenir. »Lorsque Signac peint ce tableau, en 1893, le contexte social, économique et politique de la France est sombre. Les différentes crises nour-rissent les revendications ouvrières. En politique, l’affaire Dreyfus dont la condamnation est pronon-cée fin 1894, le mouvement boulangiste qui ébranle la République et l’assassinat du président Sadi Car-not en 1894 partagent les Français. Certains artistes s’engagent dans des partis et militent ouvertement. Paul Signac ainsi que Camille Pissaro (peintre, 1830-1903), Octave Mirbeau (écrivain, 1848-1917) et Félix Nadar (caricaturiste/photographe, 1820-1910), parmi les plus connus, apportent leur contribution à un journal anarchiste créé par Jean Grave : Les Temps nouveaux.Au temps d’Harmonie s’intitulait initialement Au temps d’Anarchie. Le changement de titre est dicté par le risque de répression envers ceux qui militaient pour l’anarchie et l’inquiétude de ne pouvoir, pour Signac, exposer sa peinture.Cette époque est marquée également par divers courants utopistes dérivés du saint-simonisme, avec une aspiration commune : construire un avenir radieux.À partir de 1882, Paul Signac travaille avec Georges Seurat (1859-1891). Influencés au début par les impressionnistes, les deux peintres s’appuient sur des théories scientifiques, entre autres celle d’Eu-gène Chevreul sur la couleur, pour concevoir le poin-tillisme, technique qui consiste à peindre de petites touches de couleur juxtaposées. De près rien n’est reconnaissable, en s’éloignant l’œil du spectateur reconstitue les formes.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

Au temps d’Harmonie s’inscrit dans la veine uto-piste : le cadre est idyllique. Signac choisit de situer l’action dans un paysage méditerranéen baigné de lumière où la végétation est généreuse, il se repré-sente en train de cueillir une figue. Les personnages vaquent à diverses occupations de loisir, intellec-tuelles, artistiques ou banales (pliage des draps, semailles, cueillette). La contrainte par le travail est ignorée.La portée politique, malgré le changement de titre, est évidente. Signac nous montre que cet avenir est proche : les personnages sont vêtus à la mode de l’époque, le coq au premier plan est porteur de sym-boles républicains, patriotique et révolutionnaire.Les choix artistiques renforcent cette dimension har-monieuse : le pointillisme, en n’enfermant pas les formes dans un cerne, adoucit les passages entre les formes et le fond, et entre les formes elles-mêmes. Signac reste dans une gamme colorée restreinte, réservant les violets pour l’ombre en contraste avec les jaunes de la lumière (couleurs complémentaires). Le rouge est pratiquement absent, si ce n’est assourdi dans les fleurs du premier plan et la cheve-lure de la femme qui joue avec l’enfant.La courbe, à l’image de la nature, domine ; seuls des objets manufacturés, tels la bêche, le chevalet avec la toile, les voiles du bateau scandent la composi-tion de quelques obliques.Pour la composition, Signac se démarque des codes classiques. Il inverse la pyramide, formée par les personnages du premier plan, qui ouvre sur l’espace vide au-dessus de l’enfant nu, symbole de l’avenir, du renouveau, de l’innocence. L’espace devient aspiration, espoir, lieu à habiter, à vivre. Nous avons affaire à une nativité laïque, promesse qui se confirme dans le sous-titre « L’Âge d’or n’est pas dans le passé, il est dans l’avenir ».Les désordres politiques et sociaux de la deuxième moitié du xixe siècle incitent les artistes à aborder le mythe de l’Âge d’or. Puvis de Chavanne (1824-1898), à qui Signac doit beaucoup, a peint en 1888 sur ce thème Inter Artes et Naturam, tableau qui vante les rapports entre l’art et la nature ; il situe la scène dans l’Antiquité.En 1904, Henri Matisse (1869-1954) peint, aux côtés de Signac, un tableau qui représente des baigneuses sur une plage méditerranéenne. Son titre, Luxe, calme et volupté, inspiré d’un poème de Baudelaire « L’Invitation au voyage », dont le refrain est : « Là où tout n’est qu’ordre/Luxe, calme et volupté », le place dans la lignée des œuvres idylliques.La technique inspirée du pointillisme s’en éloigne par l’espacement entre les touches plus allongées et l’emploi de couleurs qui ne jouent plus sur la juxtapo-sition de points de couleurs complémentaires. Il sou-ligne les formes par une ligne qui les détache du fond. Ces choix annoncent le passage de Matisse à des aplats plus importants caractéristiques du fauvisme.

Dans la composition, nous percevons les ara-besques créées par le corps des femmes ; comme chez Signac la courbe domine, mais l’horizon est bouché par les collines, la scène se referme sur elle-même. Cependant, cette scène décrit un paradis hédoniste sans prendre la dimension d’un manifeste politique comme celle de Signac.Le 14 juillet 1905, Matisse écrit à Signac, qui avait acquis Luxe, calme et volupté au Salon des Indé-pendants, et l’avait accroché dans la salle à manger de La Hune :« Avez-vous trouvé, dans mon tableau des Bai-gneuses [c’est ainsi que Matisse désigne le tableau] un accord parfait entre le caractère du dessin et le caractère de la peinture ? Selon moi ils me paraissent totalement différents l’un et l’autre et même absolu-ment contradictoires. L’un, le dessin, dépend de la plastique linéaire ou sculpturale et l’autre, la pein-ture, dépend de la plastique colorée. […] Vous devez travailler comme un cheval, vous, car vous avez trouvé l’équilibre parfait, ou tout au moins suffisant, entre votre dessin et votre couleur. »

III. Une cité utopique au xxie siècle

Ilya et Emilia Kabakov, L’Étrange Cité

Ilya et Emilia Kabakov, profitant de la vastitude du Grand-Palais, ont proposé une installation qui s’inti-tule L’Étrange Cité, composée d’une coupole inver-sée, d’une porte triomphale en ruine, d’une enceinte dans laquelle sont bâtis cinq édifices, enfin de deux chapelles, une blanche et une sombre. Le tout est installé sous la nef du Grand-Palais, immense ver-rière ouverte sur le ciel.La construction des Kabakov, telle une maquette à l’échelle 1, joue avec le lieu dans lequel elle s’inscrit. Cela est évident avec la coupole inversée (doc. 3) dont la structure est similaire à celle du Grand-Palais. Mais la lumière du soleil fait place à une mul-titude de lumières colorées qui scintillent au rythme d’une musique. Dès cette première pièce nous nous posons la question de la réalité de ce que nous voyons. Les murs d’enceinte doublent les murs extérieurs du lieu, les arcs-boutants de l’installation renvoient à la structure métallique de la verrière.Avant d’entrer dans la cité même, le spectateur passe par la porte en ruine, ou l’évite : est-ce la trace d’un passé ? Un clin d’œil aux siècles précé-dents (Renaissance) qui glorifient l’Antiquité ? Sert-elle de transition entre cet objet technologique (coupole inversée) et le monde de la cité même ? Les Kabakov n’apportent pas de réponse, ils invitent à penser nos futurs fantasmés. Tel est le sens de la déambulation dans cette cité.Le blanc n’est pas un vide, il symbolise la virginité. En cela il est chargé de tous les possibles, des rêves du promeneur. Chaque édifice amène à réfléchir sur ce qui est au-delà de la physique, le rêve, le sacré, le divin.

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Français 1re – Livre du professeur

Notre étonnement vient du détournement des codes : par exemple, dans le premier bâtiment, le décor s’inspire des musées de la fin du xixe siècle. Or les cimaises sont vides ; le spectateur, baigné dans une ambiance sonore, sur une musique de Jean Sébastien Bach, est invité à inventer, imaginer son espace muséal.Après avoir vécu une utopie politique dans les années 1920 en Union soviétique, les Kabakov offrent à chacun la possibilité d’imaginer et de rêver une cité idéale et les moyens d’y accéder. Grâce aux sciences et à l’art, l’homme peut échapper à la vio-lence des sociétés totalitaires et à la guerre.

Dossier Cinéma – François Truffaut, Fahrenheit 451 (1966) p. 441

Dans le futur de Fahrenheit 451, les pompiers n’ont plus exactement la même fonction que celle que nous connaissons : ils mettent le feu. Leur cible : les livres, les maisons qui les ont abrités et les propriétaires de ces maisons. En effet les livres sont interdits par le gouvernement. Les seuls loisirs autorisés sont des programmes télévisuels abrutis-sants, que les gens reçoivent chez eux.Au contraire de l’incipit du roman dans lequel Brad-bury décrit la jouissance qu’éprouve Montag lors des autodafés, Truffaut choisit, dans le générique du film, de dénoncer d’emblée la puissance des médias, ici la télévision. Une succession de presque vingt photographies d’antennes de télévision, vues à tra-vers des filtres colorés, montre la diffusion simulta-née de l’information dans tous les foyers de cette ville. En off, la voix ferme d’un speaker passe d’une antenne à l’autre pour égrener le générique, aucun mot ne s’inscrit à l’écran. Par ce choix, Truffaut nous indique déjà que, dans ce monde, le message télé-visuel remplace l’écrit.La scène d’exposition nous donne à voir, comme le ferait un documentaire, le déroulement d’une mis-sion ordinaire des pompiers incendiaires. Aucun commentaire, aucun dialogue, les images sont accompagnées par une alternance de bruitages et de musique. Les sons diégétiques, par leur redon-dance avec l’image, bruits de botte, souffle du lance-flamme qui envahissent l’espace sonore, insistent sur la puissance de cette organisation et l’impossibilité d’y échapper. À d’autres moments, l’action est soulignée par une musique extra-diégétique : la stridence lors de la préparation et le déplacement des pompiers nous les rend insuppor-tables ; le jeu sourd des violons lors des préparatifs de l’autodafé crée du suspense : que va-t-il se pas-ser ? Que signifie cet affairement ?

Toutefois, l’insert de l’appartement de l’homme chez qui les pompiers vont intervenir, est filmé de façon naturelle par rapport aux gestes calculés des pom-piers, semblables à des automates : l’homme fume, il lit, des pommes sont posées dans une coupe (fruits défendus), des paroles sont échangées au téléphone, puis c’est la fuite. Ce contraste nous informe que certains résistent à l’ordre imposé.Les photogrammes nous montrent une société organisée, disciplinée, ritualisée où aucune fantaisie ni écart n’ont leur place. Truffaut choisit un décor sobre, efficace : le mur rouge vif de la caserne, immortel par son aspect impeccable, et la voiture des pompiers simplifiée. Les pompiers, par leur rai-deur, donnent l’impression d’une brigade de clones automates : même démarche, mêmes gestes. L’en-semble renvoie à l’image de jouets où les détails réalistes sont gommés afin que l’identification, par un jeune enfant, soit facilitée. Mais pour un monde adulte, cela évoque les lois et règlements imposés par l’autorité, l’absence de liberté, autrement dit le fonctionnement d’un régime totalitaire (photo-grammes 1 et 2).Certaines actions empruntent les rituels et les sym-boles à la société occidentale. L’autodafé est pré-cédé par l’habillage du chef de la brigade, Montag. Ce cérémoniel, où il enfile, aidé par deux assistants, des gants et une combinaison, Truffaut le rapproche de la préparation d’un évêque avant l’office (photo-gramme 3). Cette comparaison suggère que la reli-gion divine est remplacée par une religion laïque d’État. Comme dans une cérémonie, la part de mys-tère est soutenue pour le spectateur jusqu’à la révé-lation de l’acte purificateur. L’assistance est recueillie, silencieuse autour du feu purificateur (photogramme 4).Dans cette image, le décor gris, les façades d’im-meubles qui s’inscrivent dans le champ comme des grilles, la froideur de l’hiver, l’absence de mouve-ment deviennent la métaphore d’un monde anéanti, abruti par la propagande, enfermé dans un carcan sans faille. Inversement, la flamme destructrice et les bornes de sécurité apportent des touches colo-rées. Cette inversion des codes a de quoi déstabili-ser le spectateur.Par les choix techniques du générique et le pseudo documentaire de la séquence d’ouverture, Truffaut dénonce une société où l’image (en 1966, télévi-suelle) est omniprésente et qui annihile la pensée libre et critique ainsi que les sensations. L’Homme perd son humanité.En cela il décentre son propos par rapport à Brad-bury, qui, dans l’incipit, décrit la jouissance de Mon-tag à être le maître de cérémonie de l’autodafé.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

Texte 1 – Thomas More, L’Utopie (1516) p. 442

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier les caractéristiques sociales et politiques de la cité idéale en Utopie.

– Montrer les limites du projet humaniste.

LECTURE ANALYTIQUE

La description d’une société idéale• Le cadre spatialRaphaël Hythlodée, voyageur-narrateur, décrit le cadre découvert en Utopie. Il s’agit d’une île, espace clos, protégé et isolé du reste du monde. La capitale Amaurote (la ville difficile à voir ou obscure) occupe un point central dans une vision d’un urbanisme rationnel ; ce choix est mis en valeur par le superlatif « le plus convenable » (l. 10). Il décrit les cités qui composent le pays en des termes valorisants : « cin-quante-quatre villes spacieuses et magnifiques » (l. 1). Il insiste sur le caractère géométrique et iden-tique des constructions, comme le suggère la triple répétition de l’adjectif « même » (l. 3-4). Un rapport équilibré entre la ville et la campagne est défini dans l’intérêt de la subsistance (§ 2). L’espace assigné à chaque ville est défini avec une rigueur mathéma-tique (« vingt mille pas de terrain », l. 11).

• Le mode de vie des UtopiensL’importance de la campagne est précisée à travers les habitations décrites et les fonctions occupées par les Utopiens. Ils exercent le métier d’agriculteurs par alternance (« deux ans de service agricole », l. 24) afin de transmettre le savoir acquis et de for-mer d’autres habitants. C’est un moyen de préser-ver les agriculteurs et de garantir les revenus de la terre pour assurer la subsistance du pays.

• L’organisation politiqueLa vision politique qui se dégage de l’île est fondée sur l’harmonie, la mesure et l’équilibre (« les institu-tions, les lois y sont parfaitement identiques », l. 2-3). D’aucuns exercent des fonctions politiques selon le même principe de l’alternance : « Tous les ans, trois vieillards expérimentés et capables sont nommés députés », l. 7-8) dans un souci « démo-cratique » de partage raisonné des responsabilités.

• La représentation du travailLe travail est soumis à une organisation très rigou-reuse. La vie à la campagne est structurée et hiérar-chisée : « sous la direction d’un père et d’une mère » ; « Trente familles sont dirigées par un phi-larque » (l. 20-22). Ce travail lourd et pénible fait l’objet d’une rotation annuelle pour épargner les forces vives.Ainsi la vie en Utopie apparaît très cadrée dans tous ses aspects, politiques, sociaux, urbanistiques et

économiques. Des termes mélioratifs, adjectifs et adverbes, décrivent ces villes idéales conçues sur le même plan. Un qualificatif général les résume : « Ces heureuses cités » (l. 13).

L’originalité du projet• La vision de la sociétéLa cité utopienne est pensée comme un système établi dans la perspective du bien commun et dans le respect de l’individu. Fondée sur l’abolition de l’argent et de la propriété privée, elle garantit l’effica-cité de ce nouveau contrat social en évinçant toute forme de pouvoir personnel de type tyrannique. Les cités autonomes gouvernent leurs propres affaires grâce à des magistrats élus à l’année, choisis parmi les Utopiens les plus sages et respectables.La famille est la communauté de base. L’organisa-tion de la vie collective planifie le nombre de per-sonnes d’une famille agricole, d’une phylarquie (groupe de trente familles, l. 19-22). L’individu ne jouit, lui, d’aucun statut privilégié. Afin que se main-tienne l’équilibre nécessaire à la vie en Utopie, des mouvements sont prévus d’une cité à l’autre.C’est donc une société pensée et organisée, garan-tissant une place et un rôle à chaque citoyen, favori-sant le bonheur (« Ces heureuses cités », l. 13) et préservant a priori de la tyrannie. Cette utopie, « le lieu de nulle part », est présentée comme réalisée dans un ailleurs, situé sur une île.

• Les aspects négatifsL’utopie porte toutefois en elle-même sa critique. La description d’une société cadrée, structurée et hié-rarchisée à l’extrême invite le lecteur à réfléchir sur les limites du genre utopique. Quelle place est réser-vée à la liberté, aux initiatives personnelles et aux choix individuels ? Comment le citoyen s’épanouit-il dans ce contexte ?

SynthèseI. La description d’une cité idéaleL’architecture et l’urbanisme, pensés et ordonnés, joignent le fonctionnel à l’esthétique. Le but de cette géographie est le bien-être et le confort des habi-tants. L’architecture est travaillée au nom du prin-cipe du beau : « villes spacieuses et magnifiques » (l. 1). Le lexique mélioratif décrit, à l’aide d’adjectifs et d’adverbes emphatiques, les particularités des constructions.La vie sociale et politique obéit à des règles aussi rigoureuses que précises dans une cité où tout est pensé dans la symétrie, à l’instar de l’espace : « les institutions, les lois y sont parfaitement identiques » (l. 2-3).Les habitants sont encouragés à se détourner du goût pour la propriété privée, puisqu’ils changent régulièrement de maisons bâties sur le même plan.La description elle-même, très structurée, reflète en creux le modèle présenté.

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Français 1re – Livre du professeur

II. Un programme complet (politique, écono-mique, social, moral) qui vise à faire réfléchir le lecteurCe programme sert de prétexte à l’énonciation de principes humanistes. L’intérêt attaché à la per-sonne humaine à travers la quête de son bien-être et l’harmonie de la société en constituent le but ultime. L’aménagement de l’espace, l’économie, les lois sociales et politiques servent cet objectif de bon-heur collectif. Thomas More, humaniste anglais, croit au progrès de l’Homme, a confiance dans ses capacités et dans sa raison. Il recherche l’égalité sociale et politique entre les citoyens dans le pro-gramme qu’il développe dans le cadre du récit.

VOCABULAIRE

L’adjectif « grave » est emprunté au latin gravis qui signifie « bas » (en parlant d’un son), « sérieux, digne », « puissant ».Dans l’extrait, le terme qualifie l’attitude des parents dans la société utopienne, à la fois sévère et austère.

LECTURE D’IMAGE

• Utopia, une île supposée découverte par un navigateur portugaisLa gravure montre le caractère insulaire du lieu et son isolement. L’accès s’avère néanmoins possible. Dans la partie supérieure de l’image, deux ponts relient l’île à la terre ferme. Le lieu demeure acces-sible aux navires, présents au premier plan.

• La présence de personnagesEn bas à gauche, Raphaël Hythlodée est représenté sous les traits du voyageur. Il devient narrateur et raconte à son interlocuteur le périple maritime qui l’a amené sur l’île d’Utopie. C’est la métaphore du roman.

S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION

Critères d’évaluation : – originalité du nom de cité inventé ; – agencement et valeur de l’organisation décrite

dans ses différentes composantes, politiques, sociales, architecturales, culturelles… ; – procédés d’écriture valorisant la cité imaginée :

lexique mélioratif, anaphores, parallélismes de construction, images…

On valorisera la richesse et l’originalité du projet.

Texte 2 – François Rabelais, Gargantua (1534) p. 444

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier les caractéristiques de Thélème, un lieu idéal.

– Montrer les liens entre un lieu utopique et la réalité contemporaine.

LECTURE ANALYTIQUE

La description d’un lieu idéal• Les impressions du lecteurLe lecteur peut être surpris ou frappé par plusieurs éléments : – la grandeur des lieux, suggérée par exemple à

travers les nombres (« neuf cent trente-deux chambres », l. 5) ; – l’ordre et la mesure dans la structuration de l’es-

pace (cf. repères spatiaux) ; – la présence de la lumière ; – la magnificence évoquée à travers l’architecture de

l’ensemble et des parties telles que l’escalier majes-tueux ou des matériaux précieux (le « marbre », l. 9).

• L’organisation de la descriptionLa description obéit à un double principe. Elle est structurée par le lexique de l’architecture et les indices de lieu.En effet l’abbaye de Thélème est présentée à travers le « bâtiment » général vu de l’extérieur, de bas en haut (« sur le toit », l. 13), puis il est décrit de l’inté-rieur (enfilade de pièces, l. 5-7). Par ailleurs, les compléments circonstanciels de lieu scandent la description d’un paragraphe à l’autre et au sein du paragraphe 2 : « Entre chaque tour », « À chaque palier ». Dans un souci de précision géographique chaque tour est nommée. Les dénominations peuvent rappeler des points cardinaux : Artice, la septentrionale et Cryère, la glacée évoquent le Nord, Mesembrine rappelle le Sud.La surprise se transforme peu à peu en admiration, voire fascination, au fur et à mesure que progresse la description, ordonnée de manière aussi rigou-reuse que les lieux qu’elle présente.

La représentation d’une société cultivée• Les aspects de la RenaissanceL’abbaye de Thélème évoque par un jeu de miroirs les châteaux de la Renaissance qui se caractérisent par leurs dimensions imposantes (l’escalier, l. 19-20), la rigueur de la construction (symétrie scandée par les tours qui se font écho), l’utilisation de matériaux pré-cieux (le marbre), la percée de la lumière, les prouesses architecturales (« deux beaux arcs », l. 10-11), le rap-pel de l’Antiquité (« style antique », l. 11), la beauté d’ensemble (occurrences des adjectifs « beau » et « magnifique ») et l’harmonie générale.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

• La marque de l’espritDans ce lieu idéal des espaces sont dédiés aux acti-vités de l’esprit. L’énumération des livres traduits en diverses langues (l. 17) insiste sur le travail mené par les humanistes en termes de culture. Le nombre d’ouvrages est suggéré à travers « les divers étages selon les langues » (l. 18). On retrouve l’importance des livres à la Renaissance, notamment avec la tra-duction des textes antiques et la diffusion des écrits grâce à l’imprimerie.

SynthèseThélème se caractérise par la diversité de sa richesse, qu’il s’agisse : – des lieux extérieurs et intérieurs (grandeur,

majesté et magnificence) ; – des matériaux (le marbre) ; – des liens avec la nature (« la Loire coulait », l. 3 ;

« on recevait la lumière du jour », l. 11) ; – des activités de l’esprit (les bibliothèques).

S’ENTRAÎNER À LA QUESTION SUR CORPUS

Comparai-son de deux lieux

Chambord, lieu réel

Thélème, lieu idéal

L’époque La Renaissance La RenaissanceAvec des échos de l’Antiquitédans l’architecture (« arcs de style antique »)

L’espace Un château situé dans le Val de Loire construit à partir de 1519Des bâtiments et des jardins

Une abbaye traversée par l’eau (Loire)Des bâtiments et des jardins

La construc-tion

GrandeurSymétrieBâtiment avec des toursLumière (jeu de reflets)

GrandeurSymétrieBâtiment avec des toursLumière (présence)

Les aspects culturels

Magnificence du décorRichesse des matériauxPrésence de l’art

Magnificence des lieuxUne société raffinée et cultivée (présence des bibliothèques)

Jeu d’échos entre la fiction et la réalité, entre le modèle architectural et sa représentation littéraire.

PISTE COMPLÉMENTAIRE

Dans l’Europe de la Renaissance, période de foison-nement intellectuel et artistique, on assiste à une éclosion d’utopies, en lien avec la quête d’un idéal humaniste ou digne de l’homme. Quelques exemples cités dans l’ordre chronologique peuvent éclairer le propos : – aux Pays-Bas avec Érasme (Éloge de la Folie,

1511), – en Angleterre avec Thomas More (Utopia, 1516), – en France avec Rabelais (Gargantua, 1534-1535), – en Italie avec Francesco Patrizi (La Città felice,

1553).

Texte 3 – François Rabelais, Gargantua (1534) p. 445

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier le mode de vie à Thélème. – Construire le modèle de l’utopie à la Renaissance.

LECTURE ANALYTIQUE

Une structure harmonieuse• La description du lieuLe passage décrit les jardins de Thélème. La des-cription est structurée à l’image de celle des bâti-ments (texte 2). Le lexique de l’architecture (« le logis », l. 1) et les indices spatiaux (compléments circonstanciels de lieu) scandent la description : « devant/le long/du côté/entre les deux dernières tours »). L’espace est aussi ordonné que la descrip-tion elle-même.

• La place et la fonction du jardinLe jardin se caractérise par la multiplicité et la diver-sité des espaces : – § 1 : tournoi, théâtre, piscine ; – § 2 : « jardin d’agrément » (l. 8), verger et parc ; – § 3 : chasse.

Il se définit aussi par la présence d’animaux, domes-tiques et sauvages, en abondance et la production luxuriante de fruits.Il représente un lieu idéal absolu qui est consacré aux plaisirs du corps et de l’esprit. Il rappelle les caractéristiques du jardin d’Éden avant la Chute.

La vie collective• Les ThélémitesLes résidents sont désignés par leur nature humaine : « dames »/ « hommes » (§ 1). Le terme « dames » dans l’expression « le logis des dames » (l. 1) ren-voie à un monde social particulier, celui d’une élite sociale : la noblesse.

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Français 1re – Livre du professeur

• Leurs activités et leurs valeursIl s’agit d’une élite sociale et morale comme le sug-gèrent les termes utilisés (« dames », l. 1). Elle se livre aux activités propres à l’aristocratie (chasse à courre, chasse au vol), pratique l’otium de gens cultivés (théâtre) et le raffinement des mœurs (récur-rence de l’adjectif « beau » et de termes mélioratifs).L’éducation contribue à l’épanouissement du corps et de l’esprit. On retrouve la soif de connaissances, la curiosité intellectuelle, l’ouverture aux arts et au monde. La multiplicité des activités est suggérée dans les nombreuses énumérations de noms relatifs aux passe-temps (par exemple, l. 5-6 ; l. 18-19). L’art de la chevalerie contribue au développement harmonieux du corps ; le boire et le manger sont présents à travers l’évocation des cuisines, comme autant de plaisirs.

SynthèseThélème accueille une élite qui se caractérise par : – sa noblesse sociale ; – des activités propres à une caste ; – des valeurs morales (respect du corps et de

l’esprit) ; – l’harmonie au sein de la vie collective.

FIGURES DE STYLE

L’énumération des oiseaux liés à la chasse et à la fauconnerie (l. 17-18) reflète les activités d’une société noble.

PROLONGEMENT

Thélème s’oppose aux abbayes traditionnelles ; les trois vœux (pauvreté, chasteté et obéissance) n’y sont pas prononcés. Un anti-modèle est proposé : – élite sociale des Thélémites menant un mode de

vie raffiné ; – mixité au sein de l’abbaye ; – liberté individuelle et collective.

Une seule règle – « Fais ce que tu voudras » – régit la communauté.

S’ENTRAÎNER À LA QUESTION SUR CORPUS

L’abbaye de Thélème constitue la première utopie de la littérature française, décrite par Rabelais, du chapitre LI au chapitre LVIII de Gargantua (première publication en 1534).

I. Les caractéristiques de l’utopie1. Une élite sociale et morale.2. Une abbaye mixte.3. Une éducation complète contribuant

à l’épanouissement du corps et de l’esprit.4. Une liberté individuelle réglée sur la liberté

collective.

II. Les limites de l’utopie1. Un monde clos réservé à une élite aristocratique.2. Une liberté restreinte dans la mesure où c’est

« l’honneur » des Thélémites qui les oriente dans leur usage de la liberté et les pousse à la vertu.

3. Un lieu temporaire avant le mariage.4. Thélème demeure un rêve généreux où s’exprime

la confiance de l’auteur en la nature humaine.

Écho – Homère, Odysée (viiie siècle av. J.-C.) p. 446

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier les caractéristiques sociales et politiques de la cité idéale des Phéaciens.

– Exploiter l’un des modèles antiques de l’utopie.

LECTURE ANALYTIQUE

La description des lieuxLa description s’organise selon le regard du visiteur qui découvre le palais du roi Alkinoos. Elle épouse le point de vue d’Ulysse, troublé par la majesté des lieux.La description générale du palais est structurée par des repères spatiaux, de manière verticale (« Du seuil jusques au fond », l. 4), puis horizontale (« Aux murs, des deux côtés », l. 10). Le regard englobe à la fois l’extérieur et l’intérieur du lieu (les sièges des Doges).Puis le regard s’ouvre sur le jardin : « Aux côtés de la cour », l. 14. Cet espace est lui-même défini par des repères spatiaux ou logiques : « d’abord », « plus loin », « enfin » qui délimitent trois espaces, le ver-ger, la vigne et le potager arrosé par deux sources.Le point de vue interne, confondu avec le regard d’Ulysse, traduit l’émotion du héros (« Que de trouble », l. 2, introduit une double exclamation) et l’admiration face au palais (comparaison : « comme un éclat de soleil et de lune », l. 3).

L’organisation de la citéLa société est structurée et hiérarchisée. Le système politique est décrit implicitement à travers la figure du roi (« fier Alkinoos », l. 3) et l’assemblée des conseillers, réunissant des princes (« C’était là que siégeaient les doges phéaciens », l. 12). Cette société semble d’origine divine (l. 28).

Les caractéristiques du palaisPlusieurs impressions frappent le visiteur : – la grandeur et la majesté : lexique (« hauts pla-

fonds », « deux murailles », « portes »…) ; – la magnificence à travers la richesse du décor :

présence de matériaux nobles évoqués à plusieurs reprises (« bronze, argent, or, émail bleu ») ; sculp-tures ouvragées, représentation stylisée d’animaux (« chiens ») ; évocation d’étoffes précieuses (« fins voiles »).

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

La vision du jardinLe jardin ne fait qu’un avec le palais. Présentant des caractéristiques du même type, il se distingue par : – la rigueur de l’agencement : les espaces dévolus

au verger, à la vigne et au potager sont soigneuse-ment délimités ; – la douceur du climat : présence bénéfique du

zéphyr ; – la profusion de fruits et la luxuriance suggérée à

travers le jeu de répétitions : « la poire auprès de la poire, la pomme sur la pomme, la grappe sur la grappe, la figue sur la figue » l. 19-20 ; – le partage de l’eau avec les Phéaciens : « deux

sources » l. 25.

La Phéacie, une utopieLe lieu idéal est constitué par une île : « Nous vivons à l’écart au milieu d’une mer houleuse » (Odyssée, chant VII) ; les Phéaciens imaginés par Homère avaient la réputation d’être de solides marins.Le peuple lui-même présente des origines particu-lières, mi-humaines, mi-divines. Le roi est comblé des dieux : « Tels étaient les présents magnifiques des dieux au roi Alkinoos » (l. 28).

Comparai-son de deux utopies

Phéacie Thélème

L’époquede création

L’Antiquité La Renaissance

Le lieu Une île en MéditerranéeUn palais et un jardin

Une abbaye entourée d’eau (Loire)Une abbaye-château et des jardins

Le peuple Des êtres mi-humains, mi-divins

La noblesseUne élite sociale

L’organisa-tion sociale

Une société hiérarchiséeLe roi Alkinoos et le conseil des chefs-sages

Principe du libre-arbitre« Fais ce que tu voudras »

Le mode de vie

Luxuriance et luxeHarmonieFélicité absolue

Présence du luxeDes activités quotidiennes en relation avec le corps et l’espritBonheur partagé

Les aspects culturels

Magnificence du décorRichesse des matériauxPrésence de l’art

Magnificence des lieuxUne société raffinée et cultivée

L’organisation politico-sociale, fondée sur le modèle d’un conseil des sages, engendre un modèle de vie qui repose sur la félicité continue : « les doges phéa-ciens, mangeant, buvant, ayant de quoi toute l’an-née » l. 12-13.Magnificence et harmonie règnent dans le palais comme dans le jardin qui forment un univers idéal où le temps est aboli.

PROLONGEMENT

Des invariants et des variations dans l’utilisation du modèle antique : une création originaleS’inspirant d’un modèle antique connu, Rabelais reprend les caractéristiques traditionnelles d’une utopie et crée une cité idéale, adaptée à l’esprit de la Renaissance, dont elle porte les espoirs huma-nistes : culture harmonieuse du corps et de l’esprit, foi en la concorde et l’harmonie générale.

Texte 4 – Tommaso Campanella, La Cité du Soleil (1602) p. 447

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier la justice dans la cité idéale des Solariens. – Exploiter le dialogue philosophique.

LECTURE ANALYTIQUE

L’organisation sociale et politique• L’énonciationIl s’agit d’un dialogue entre deux personnages : un voyageur et son hôte.Le Génois qui fait le récit de ses aventures et de ses découvertes décrit la Cité du Soleil et son organisa-tion sociale à travers la justice et les lois. Il s’exprime à la première personne du singulier (« J’allais le faire », l. 2) en réponse à la question indirecte de son interlocuteur, l’Hospitalier (« Tu ne me parles pas des juges. », l. 1). La description des institutions se fait essentiellement au présent de l’indicatif.

• Une société structuréeLa cité idéale apparaît comme une République structurée et hiérarchisée.Les hommes dans leurs fonctions quotidiennes sont soumis à l’autorité d’un supérieur : « Chaque indi-vidu est sous la juridiction immédiate du chef de son emploi » (l. 2-3). Il en va de même pour les juges dans l’exercice de leurs fonctions (l. 3-4). Une allé-gorie en forme de Puissance constitue une entité suprême dans les débats judiciaires (l. 16). La Répu-blique elle-même est présidée par une autre figure allégorique, Soleil (l. 11-12). Le pouvoir des juges est contrebalancé par des triumvirs dans un souci d’équilibre des forces (l. 10).

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Français 1re – Livre du professeur

Le système judiciaire• Puissance et SoleilDans cette République philosophique, inspirée du modèle platonicien, apparaissent des allégories : Puissance et Soleil. Elles sont les valeurs suprêmes, garantes de l’ordre dans la cité et de l’équité dans la justice.

• L’exercice de la justiceL’exercice de la justice est confié aux magistrats que sont les juges. Ils remplissent leur office sous le contrôle de Puissance et Soleil, garants de l’ordre établi et de la justice suprême. Des corps intermé-diaires, les triumvirs, exercent aussi un contre-pou-voir face aux juges (l. 17). Le droit opposable et le débat contradictoire ont toute leur place dans la cité des Solariens (« devant le juge qui entend les témoins et les réponses de l’accusé », l. 15).

• Les châtimentsLes châtiments sont présentés avec force détails. Ils se caractérisent par leur nombre, leur diversité et leur violence comme le suggère l’énumération des lignes 4 à 6.La pratique de la loi du Talion rappelle une forme de justice primitive et rude, voire cruelle qui s’exerce de manière implacable (l. 7-9).L’évocation des châtiments confiés au peuple « qui tue ou lapide le coupable » (l. 22) révèle aussi une violence commanditée.

SynthèseLa justice chez les Solariens se caractérise par : – sa structure hiérarchisée (juges/Puissance/Soleil) ; – sa force institutionnelle tempérée par la place et

le rôle des corps intermédiaires (les triumvirs) ; – son ouverture (débat contradictoire) ; – la violence des châtiments.

GRAMMAIRE

Le discours direct est utilisé dans un souci de réa-lisme à travers la forme dialoguée. Il s’agit de rendre authentique la conversation entre le capitaine génois qui aurait découvert la Cité du Soleil et le grand maître des Hospitaliers qui le questionne.Les marques de ce discours rapporté sont habi-tuelles : noms des locuteurs/interlocuteurs, tirets, mise en page structurée du dialogue, recours aux premières et deuxièmes personnes (je/tu).

Perspective – Voltaire, Candide ou l’Optimisme (1759) p. 448

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier l’Eldorado, un monde idéal inversé. – Exploiter les ressources d’un genre, le conte philosophique.

LECTURE ANALYTIQUE

La présence du merveilleuxL’Eldorado (de l’espagnol el dorado : « le doré ») est une contrée mythique d’Amérique du Sud qui est supposée regorger d’or.Dans le conte voltairien, l’Eldorado offre la vision d’un univers où règnent le beau et le bien : – présence d’objets insolites (un carrosse tiré par

des moutons volants) ; – représentation du luxe et de la richesse à travers

les costumes (« duvet de colibri », l. 9), les construc-tions gigantesques et magnifiques (palais et ville) et les matériaux (or, pierreries…) ; – expression de l’abondance et de la grandeur sug-

gérée par les nombres (l. 3, 20 « mille colonnes », « galerie de deux mille pas »), les nombreux pluriels et les accumulations (« les édifices/les marchés/les fontaines d’eau pure/d’eau rose… » l. 19-22) ; – marque de la perfection (emploi de formes super-

latives : « supériorité prodigieuse », l. 5 ; « le plus grand plaisir », l. 28).

Le modèle social et politique de l’Eldorado ou un monde inverséL’univers de l’Eldorado constitue le contre-point de la civilisation que connaît le héros.Le monde découvert se caractérise par : – l’inversion des coutumes : garde du roi féminine

(l. 7), cérémonie grandiose réservée à deux simples voyageurs (§ 2), familiarité dans les relations avec le roi (l. 17-18) ; – l’inversion des institutions : aucune cour de jus-

tice ni prison, aucun appareil répressif supposant une foi en l’homme (l. 25-27) ; – la figure atypique du roi : simplicité de la relation

et humanité (l. 17-18) ; – des relations humaines fondées sur l’accueil cha-

leureux (l. 7) et le respect des règles ou de la morale (absence de prison) ; – un intérêt pour le savoir et les sciences (l. 28-30).

La leçon de l’épisodeLe philosophe invite le lecteur à regarder ce « nou-veau monde » avec distance, contrairement au regard du héros. Il s’efforce de montrer d’emblée le caractère idéalisé de ce monde en soulignant l’exa-gération du modèle décrit : insistance sur une per-fection exagérée (« les grands officiers et les grandes officières », l. 9 ; « supériorité prodigieuse », l. 5) qui

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

s’exprime aussi à travers les nombres excessifs (l. 3, « mille »), les pluriels abondants et les accumula-tions (l. 19-22). Autant de clins d’œil au lecteur qui doit comprendre que ce monde inversé appartient à l’utopie, même si l’auteur pose les bases idéolo-giques d’un autre monde : « le meilleur des mondes possibles ».

L’idéal défendu par VoltaireVoltaire défend un idéal social et politique particulier : – un monarque tolérant et proche de ses sujets ; – une société fondée sur le respect d’autrui ; – un monde essentiellement urbain avec le souci de

l’esthétique ; – une société sans criminalité ; – une place importante réservée aux activités de

l’esprit (mathématique et physique).

Cela reste un idéal, car le voyage initiatique de son héros Candide n’est pas encore achevé. Il doit quit-ter le pays d’Eldorado qui se situe à la moitié du conte philosophique pour approfondir sa connais-sance du monde réel et trouver une solution à la mesure de l’homme : le jardin final.

PROLONGEMENT

Au xviiie siècle, c’est l’utopisme français qui s’im-pose dans les textes, annoncé à la fin de la période classique par Fénelon et son Télémaque (1699). Plu-sieurs de ces utopies sont publiées précautionneu-sement aux Pays-Bas, terre de liberté d’expression.Quelques grands noms s’inscrivent dans ce courant : – Marivaux, L’Île des esclaves (1725) : inversion des

statuts sociaux (maître-valet) et de l’ordre établi le temps d’une représentation ; – Voltaire avec Candide (1758) ; – Fontenelle et sa République des philosophes, ou

Histoire des Ajaoiens (1768) ; – Bernardin de Saint-Pierre avec L’Arcadie (1781),

Paul et Virginie (1788) ; – Diderot avec Le Supplément au Voyage de Bou-

gainville (1796) ; – l’Angleterre n’est cependant pas absente,

puisqu’on y rencontre, entre autres, Swift et ses inoubliables Voyages de Gulliver (1726).

Dans le contexte des Lumières, on recherche la clé du bonheur dans la description d’une société idéale, par différentes voies : – soit en mettant l’accent sur les bienfaits de la

liberté dans l’état de nature (Diderot et Bernardin de Saint-Pierre) ; – soit en décrivant des collectivités allégoriques

réglées par de parfaits équilibres ou des gouverne-ments modèles (Fontenelle) ;

– soit en opposant un improbable et mirifique Eldo-rado aux sociétés contemporaines pour mieux dénoncer leurs travers.

Perspective – Émile Zola, Travail (1901) p. 449

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une utopie sociale dans la littérature du

xixe siècle. – Confronter l’utopie littéraire du xixe siècle aux modèles historiques contemporains.

LECTURE ANALYTIQUE

La désignation de l’utopieL’utopie est désignée par une anaphore « la Cité » (l. 1-2) et des périphrases qui la qualifient ; on peut distinguer des thèmes : – « la Cité rêvée » (l. 1) ; – « la Cité naissante » (l. 22 et 25) ; – « la Cité du travail » (l. 1) ; – « la Cité future du bonheur » (l. 3 et 32).

Cette ville constitue une promesse de bonheur social et collectif à la fin du xixe siècle.

Les caractéristiques de l’utopieLa cité en pleine création est située sur un plan géo-graphique. Les lieux évoqués permettent de la cir-conscrire dans l’espace (« Monts Bleuses », l. 16 ; « Beauclair », l. 28 ; « l’estuaire des gorges de Brias », l. 29) dans une région qui produit des richesses (« champs fertiles », l. 30). La cité rêvée s’enracine dans le sud de la France. Elle est en pleine extension, comme le suggèrent les images maritimes, la métaphore : « ce flot peu à peu débor-dant les constructions nouvelles s’avançaient vers l’Abîme » (l. 12-13) et la comparaison : « tout comme une marée montante » (l. 18).Sur un plan social et politique, il s’agit de construire une cité étendue ; l’extension progressive de la construction est à la mesure de la promesse de tra-vail qu’elle contient. Une place de choix est réservée à « l’usine » personnifiée « cœur central » (l. 5), car pourvoyeuse d’activités humaines : « source de vie, dispensateur et régulateur de l’existence sociale » (l. 5-6). La formule en chiasme et la répétition de l’adjectif « l’heureuse demeure d’une humanité heureuse » (l. 27-28) traduit un projet social porteur d’espoir.

La figure de LucL’évocation de Luc dans le texte (l. 24) renvoie à la figure de l’évangéliste. Saint Luc est un disciple de l’apôtre Paul. Il exerçait la médecine et suivit Paul lors de ses voyages d’abord en Macédoine, puis jusque dans sa détention à Rome. Il est considéré

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Français 1re – Livre du professeur

comme l’auteur du Troisième Évangile de Jésus Christ et des Actes des Apôtres. Désigné par une double apposition « le bâtisseur, le fondateur de ville » (l. 24), le fondateur de la cité idéale rappelle le créateur de l’Évangile, investi d’une mission au ser-vice de l’humanité.

La Cité rêvée, contrepoint de la réalité socialeLa ville est mise en valeur par les procédés de l’am-plification, tels que l’anaphore initiale « la Citée rêvée, la Cité du travail… la Cité future du Bonheur » (l. 1-3), la gradation quand il s’agit de décrire la conquête des terrains et l’extension des construc-tions (l. 4 à 21) et l’hyperbole (métaphore filée des flots).La ville rêvée s’oppose radicalement à la réalité décrite en un énoncé bref aux termes dépréciatifs : « cette noire et puante bourgade ouvrière, nid de douleur et de peste, où le salariat agonisait sous des plafonds croulants » (l. 22-23). On retrouve ici des échos littéraires de Germinal et de L’Assommoir.

La leçon philosophiqueZola le naturaliste développe un projet de société fondé sur : – la grandeur d’une cité par l’importance de son

territoire conquis peu à peu sur la nature sauvage (« l’Abîme », l. 19) ou la réalité sordide (l. 23) ; – l’urbanisme rationnel (extension progressive de

l’habitat) ; – le travail partagé (l. 6) ; – l’hygiénisme (« santé », l. 21) ; – l’harmonie (« petites maisons claires et gaies », l. 9) – le bonheur collectif (lexique du bonheur).

PROLONGEMENTS

• Les fonctions de l’utopieOn peut dégager quelques-unes des fonctions de l’utopie, à la fois didactiques, morales et critiques. L’utopie tend à : – faire rêver le lecteur en le dépaysant (l’Eldorado

de Voltaire) ; – permettre une comparaison entre une société

imaginaire et la société réelle (Utopia de More, l’El-dorado, la Cité rêvée de Zola) ; – ouvrir sur une réflexion sociale et politique (Uto-

pia, l’Eldorado, la Cité rêvée) ; – favoriser la mise en application de projets de

société nouveaux (Zola et les utopies sociales du xixe siècle).

L’œuvre littéraire se nourrit de la réalité contempo-raine, notamment celle des utopies « socialistes » au xixe siècle, et propose un modèle ou un projet de société complet qui fonctionne en autonomie.

• Comparaison du texte et de la photo

Compa-raison de deux lieux

Le familistère de Guise, lieu réel

La Cité rêvée de Zola, lieu idéal

L’époque xixe siècle Fin du xixe siècle

L’espace France, Nord (Aisne) France, Sud

Le projet social et sa réalisa-tion

Les objectifs : le progrès social et moralLe phalanstère se caractérise par un ensemble de logements organisés autour d’une cour couverte centrale, lieu de vie communautaire. Des jardins existent tout autour. Des espaces culturels (théâtre) sont construits.Le concept, très en faveur dans les milieux intellectuels au xixe siècle, fut élaboré par Charles Fourier et promu par des industriels idéalistes comme Jean-Baptiste André Godin à Guise.

Les objectifs : le progrès social et moral ; la quête du bonheur collectifDescription de l’usine, des ateliers et de l’habitat.Recherche de l’utile, de l’agréable et du bien partagé par toute une citéCf. qualificatifs de la cité.

Perspective – Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975) p. 450

OBJECTIFS ET ENJEUX – Définir un idéal olympique ambigu. – Interroger la fable utopique.

LECTURE ANALYTIQUE

Une catégorie spécifique, novices et néophytesLe terme « novice » vient du latin novus qui signifie « nouveau ». Il a deux acceptions : – qui manque d’expérience dans une activité ou un

domaine quelconque ; – qui ne connaît pas le monde, qui est naïf,

ignorant.

Dans le texte (l. 1), il désigne les adolescents âgés de 14 ans qui, appartenant déjà aux « Maisons de Jeunes » (l. 2), rejoignent un village sportif. Sans expérience, ils découvrent le sport tel qu’il est prati-qué sur l’île.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

Le terme « néophyte » vient du grec néo qui signifie « nouveau » et de phyton qui désigne « la plante ». Il a deux acceptions : – chrétien nouvellement baptisé ; – personne qui a embrassé récemment une doc-

trine, une opinion, un parti.

Dans le texte (l. 6), le mot s’applique à ces jeunes gens qui entrent dans l’univers particulier de W et qui embrassent des valeurs sportives particulières malgré eux.

La place de l’individu dans la société WLes jeunes gens sont privés de leur individualité et de leur liberté, qu’elle soit physique ou morale. Ils sont soumis à la règle du sport et à un entraînement intensif en lien avec « la rigueur des institutions » (l. 4). Ils sont dépossédés de leur libre-arbitre : « les décisions qui le concernent… sont prises en dehors, de lui ; il n’a aucun contrôle sur elles » (l. 11-12).

Le système politique de W• La vision des institutionsW se caractérise par une société très hiérarchisée. Le pouvoir en place n’est pas nommé explicite-ment ; il est désigné par ses représentants de manière générale à travers des pronoms : « ceux qui l’édictent » (l. 9), « quelqu’un » (l. 17).

• L’image de la loiLes institutions et les lois relèvent de l’arbitraire le plus total. Deux passages éclairent cette particula-rité : « la rigueur des institutions n’y a d’égale que l’ampleur des transgressions dont elles sont l’objet » (l. 4-5) ; les termes « rigueur » et « transgression » qui sont antithétiques soulignent le paradoxe institu-tionnel qui est en vigueur. Un autre passage (l. 7-10) présente l’arbitraire des lois dans une maxime tout aussi paradoxale que souligne l’antithèse : « La loi est implacable, mais la Loi est imprévisible ». Enfin un exemple illustre cet arbitraire dans les compéti-tions sportives : « il peut arriver dernier et être pro-clamé Vainqueur » (l. 15-16). Les jalons d’un État totalitaire sont déjà posés.

PROLONGEMENT

Des points communs apparaissent entre les textes de Campanella (xvie siècle) et Perec (xxe siècle) : – représentation d’une société très hiérarchisée

incarnée par un pouvoir abstrait (allégories Soleil et Puissance) ou imprécis (ceux qui) ; – des institutions bien définies à travers une législa-

tion très stricte et des lois garantes de l’ordre établi ; – une politique bien réglée, qui peut se caractériser

par l’arbitraire (W) ; – une société rigide : châtiments cruels et peine de

mort pour les coupables chez les Solariens, pratique du sport excessive niant l’individu sur W.

Perspective – Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975) p. 451

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier les marques de la contre-utopie sur l’île W. – Caractériser une allégorie sociale et politique.

LECTURE ANALYTIQUE

La valeur d’un temps, le futur de l’indicatifLes verbes au futur de l’indicatif ponctuent le passage. Le narrateur décrit l’entraînement des « novices », puis le retour du combat sportif, du point de vue des athlètes vaincus et des vainqueurs. Dans une espèce de vision prophétique, il emploie trois verbes (« sera », l. 1, « participera », l. 3 et « passera », l. 6) évoquant le mode de vie que vont connaître les jeunes gens. Il recourt à la forme anaphorique « il verra » (4 occur-rences) qui évoque un avenir particulier avec une cer-titude affirmée. Les deux derniers verbes « se passera/se passeront » (l. 24) expriment avec la même déter-mination l’avenir des novices.

La découverte de W, « un spectacle assez terrifiant »• La formation des novicesL’entraînement des novices est assimilé aux condi-tions de vie réservées aux détenus dans des camps. Deux groupes symétriques « menottes aux mains, fers aux pieds », « enchaîné la nuit à son lit, et sou-vent même bâillonné » (l. 6-7) décrivent les sévices infligés aux débutants. À la faveur d’une nouvelle énumération sont décrits les supplices physiques et moraux qui sont habituels, voire banalisés : « les humiliations, les injures, les injustices, les coups » (l. 9-10).

• Les athlètes vaincus et vainqueursLes athlètes de retour du combat offrent une image antithétique. – Les vaincus : épuisement, sévices corporels

subis (« carcans de chêne », l. 18-19), humiliations essuyées, souffrances et privations (pain et eau), lutte pour la survie… – Les vainqueurs : image dégradée (« gavés de…

mauvais alcools, s’effondrant dans leurs vomis-sures », l. 22-23).

Description des « novices » et des « athlètes » ou évocation métaphorique de détenus dans les camps de concentration ? L’Histoire collective rejoint celle de l’individu. La famille de Perec a fait cette doulou-reuse expérience.

W, une contre-utopieLa société W offre à la population une image très dégradée des sportifs, novices et athlètes : – rudes conditions de vie (faim) ; – sévices imposés aux adolescents et blessures ;

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Français 1re – Livre du professeur

– humiliations répétées (absence d’identité, actes dégradants subis) ; – cruauté des actes infligés et expression de la

souffrance ; – négation de l’individu et de la liberté ; – autorité dominante toute-puissante ; – loi de l’arbitraire omniprésente…

La description de l’île de W ne peut s’ancrer dans aucune époque précise. Par la référence aux « camps », elle peut faire référence au régime nazi. Elle devient aussi la métaphore atemporelle de l’État totalitaire et de la dictature au pouvoir qui annihile l’homme.

PROLONGEMENT

Les contre-utopies dans la littérature étrangère du xxe siècle dénoncent dans les utopies l’incapacité de celles-ci à changer véritablement l’homme pour en faire un être heureux et digne de bonheur.En 1948, George Orwell, dans son roman 1984 (Nineteen Eighty Four), décrit un monde divisé en trois blocs totalitaires. L’individu, ses activités, ses pensées, y sont intégralement soumis à une raison d’État omniprésente et motivée par la volonté de pouvoir absolu.Les œuvres contre-utopiques portent aussi la marque des préoccupations et des inquiétudes de leur époque.Les perspectives nouvelles de prospérité et de bon-heur pour tous offertes dès la première moitié du xxe siècle par la société de consommation naissante aux États-Unis offrent la matière première du Meil-leur des Mondes (Brave New World, 1932) d’Aldous Huxley. Toute valeur morale est remplacée par l’éco-nomie. La science est au service du conditionne-ment des hommes…

Perspective – Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953) p. 452

OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier les caractéristiques sociales et politiques de la contre-utopie.

– Montrer la place et le rôle de la culture dans la contre-utopie.

LECTURE ANALYTIQUE

Le plaisir de détruire• Le paradoxe initialMontag, qui encadre le corps spécial des pompiers, est chargé de brûler les livres, marques de la civilisa-tion. La phrase exclamative « Le plaisir d’incen-dier ! » repose sur un oxymore, opposition très étroite et inhabituelle entre l’acte de brûler les livres

et la jouissance qu’il procure. Le plaisir des pom-piers devenus pyromanes se prolonge dans la phrase liminaire où les effets dévastateurs du feu sont amplifiés par les verbes à l’infinitif : « se faire dévorer, les voir noircir et se transformer » (l. 1-2).

• Les procédés d’écriture mis en œuvreL’acte d’incendier est souligné par le recours aux images. La lance est assimilée à un animal malé-fique, un serpent, devenu redoutable par son pou-voir de destruction active : « ce python géant qui crachait son venin » (l. 3). La main qui tient la lance funeste devient à son tour celle d’un musicien créant le tumulte : « prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur », l. 6.

• Les sentiments du personnageMontag éprouve une sensation et un sentiment extrêmes de jouissance. Son corps, notamment ses poings et ses mains, dirige l’acte d’incendier ; les effets physiques sont décrits avec force : « il sentait le sang battre à ses tempes » (l. 4-5). Ses attributs de pompier, son casque, font référence à la tempé-rature élevée (« casque symbolique numéroté 451 », l. 8) et traduisent la puissance des impressions res-senties. Le personnage ne forme plus qu’un avec le feu : « une flamme orange dans les yeux », l. 8-9 ; « le sourire féroce de tous les hommes roussis », l. 18. Il incarne l’anti-modèle humaniste, détruisant avec fureur l’histoire et la civilisation. En ceci, ce texte s’oppose très clairement à la description de Thélème qui met en avant l’écrit, la culture et la civilisation.

L’anti-société de Fahrenheit

• Les marques de la cultureLes livres, condamnés à la destruction, font l’objet de poursuites violentes. Ils demeurent sujets, mais de verbes au sens négatif : « les livres […] mouraient sur le seuil » (l. 14-15), « les livres s’envolaient en tourbillons » (l. 16) et finissent par être employés dans des tournures passives : « avant d’être empor-tés par un vent noir de suie » (l. 17). Seul le feu qua-lifié de « vorace » (l. 10) est actif.

• La place de l’hommeL’homme, dont la seule présence est suggérée à tra-vers les livres, disparaît. Il vit dès lors dans une société aussi aseptisée que déshumanisée où tout passe par l’épreuve du feu. La liberté n’existe plus. Le passé du pays est en voie de disparition : « pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’Histoire » l. 6-7.Cet incipit de roman s’apparente à une contre-uto-pie. Il décrit une société qui fonctionne à rebours de la cité idéale. L’homme, son esprit, sa culture et son passé sont détruits avec violence par le feu. Nous sommes aux antipodes de l’idéal humaniste de Thélème.

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Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme – Séquence 3

PROLONGEMENT

Fahrenheit 451, adapté du roman éponyme de Ray Bradbury, est un film britannique de science-fiction, réalisé par le cinéaste français François Truffaut, en 1966.À une époque indéterminée, la société ne tolère plus l’existence des livres. Jugés dangereux, ils empê-cheraient les gens d’être épanouis. Les pompiers n’éteignent plus les feux, mais ils débusquent les lecteurs, récupèrent les ouvrages illicites et font des autodafés. Montag appartient à l’une de ces bri-gades. Citoyen zélé, il effectue son travail sans s’in-terroger sur le sens de ses actes. Un jour il croise Clarisse, une jeune institutrice amoureuse des livres qui le fait douter de sa fonction. À son tour, Montag prend goût à la lecture…

L’affiche présente à l’arrière-plan un rideau de feu aux couleurs vives ; il contraste avec le noir qui domine dans la partie inférieure de l’image. Le visage de Montag apparaît dans les flammes. Au premier plan se situe un couple. À leurs côtés sont représentés deux objets : le chiffre symbolique de 451 degrés Fahrenheit, température à laquelle s’en-flamme un livre, est lui-même incandescent ; des feuilles sont placées au-dessus du feu.Les deux plans peuvent correspondre à l’itinéraire de Montag. Le pompier pyromane s’humanise peu à peu aux côtés de la jeune fille qu’il rencontre. Le livre échappe alors aux flammes. Le couple regarde droit dans la même direction. Promesse d’avenir dans une société très sombre ?

Corpus BAC – Des mondes imaginaires p. 454

Thomas More, L’Utopie (1516) ; Voltaire, Candide (1759) ; Jules Verne, Les Cinq Cents Millions de la Bégum (1879).

LA QUESTION SUR LE CORPUS

Quels indices permettent de classer ces textes dans la description de mondes imaginaires ? Lequel de ces mondes pourrait constituer un contre-modèle ou une contre-utopie ? Quelles leçons se dégagent des mondes décrits ?

➤ Texte 1

• Les mots fantaisistes pour nommer des fonctions (barzame, adème).

• La durée de vie du vêtement : 7 ans !, le renouvel-lement des vêtements.

• Rationnalisé. Le travail de courte durée qui fournit l’abondance. Bref, une conduite extraordinairement raisonnable.

➤ Texte 2

Éléments merveilleux (moutons volants), démesure (architecture colossale), abondance extraordinaire dans tous les domaines (pierreries, or partout, fon-taine d’où coulent des nectars, des parfums, etc.), coutume pour saluer le roi très différente de celle de la cour à l’époque de Voltaire, absence de prisons, etc. On est dans un monde parfait, où tout est démesuré, disponible en abondance. On rappro-chera cette description merveilleuse du genre du texte : un conte.

➤ Texte 3

Une cité isolée, à l’abri du monde. Beaucoup de démesure (on relève aussi de nombreuses formula-tions hyperboliques et l’emploi de nombreux

superlatifs). Dans les textes de T. More et de Verne, chacun est sa place, mais si dans le texte de Verne seule la rentabilité compte et si aucune liberté n’est accordée aux hommes, qui ne sont que des machines. Tout est ordonné, symétrique ; « 30 000 travailleurs » sont là pour produire. Pas de liberté, ni d’humanité. Même le laissez-passer (car on n’entre pas librement dans ce pays est un « mot d’ordre ». En Utopie, on travaille le strict nécessaire pour lais-ser place à l’épanouissement personnel : « laisser à chacun le plus de temps possible […] le vrai bon-heur. » Dans le conte de Voltaire, les citoyens sont égaux. Ils ne sont pas tributaires de contingences matérielles, mais vivent dans l’opulence.

Dans le texte de Voltaire comme dans celui de More, l’épanouissement de l’individu et la jouissance de sa liberté passent par l’étude (« cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l’étude des sciences et des lettres »/« une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathé-matique et de physique »). En ce sens, on peut par-ler d’une vision « humaniste » de la société dans les extraits A et B, au contraire du texte C.

COMMENTAIRE

Vous ferez le commentaire du texte de Voltaire (Texte B).On attendra des élèves qu’en introduction ils situent l’extrait et exploitent l’adjectif « fabuleux » employé dans le paratexte pour qualifier ce pays.On pourra, par exemple, proposer les axes de lec-ture suivants :

I. Un pays merveilleux – la démesure (Cf. entre autres les expressions

hyperboliques) ;

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Français 1re – Livre du professeur

– l’abondance de tout ce qui est précieux (Cf. par exemple les descriptions de matériaux inconnus, supérieurs à l’or) ; – les êtres extraordinaires (moutons volants).

II. Une représentation en négatif de la société de Voltaire – pas de justice, pas de prisons ; – pas de parlement ; – tous les citoyens sont égaux (on ne se prosterne

pas devant le roi, mais on l’embrasse ! Celui-ci se comporte d’ailleurs en bon bourgeois « les pria à souper ») ; – égalité des sexes dans les fonctions (« officiers et

officières »).

III. Une présence discrète du narrateurDans ce récit à la troisième personne, mené par un narrateur extradiégétique, on retrouve une présence discrète : – quelques interventions pour ménager une cer-

taine connivence avec le lecteur : « sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries », qui invite à la réfléchir sur la relativité de la notion de préciosité ; – des détails ridicules pour faire sourire le lecteur et

marquer le genre du conte : tissu de duvet de colibri » ; – un emploi antonymique de l’expression « toute la

grâce imaginable » ; – le plaisir de Candide dans le palais des sciences

qui, devine-t-on, n’est pas éloigné de celui de son auteur à l’idée d’un fabuleux lieu de culture (rappro-chement possible avec l’Encyclopédie).

On peut aussi reprendre certains des éléments ci-dessus dans une partie qui traiterait d’« une utopie des Lumières ». Ce peut être également l’objet de la conclusion.

DISSERTATION

Selon vous, quelles sont les fonctions et les limites de l’utopie ? Vous vous appuierez sur les textes présentés dans le corpus et sur vos lectures personnelles.On attendra dans l’introduction quelques réflexions sur l’utopie : définition rapide, citation de quelques textes, éventuellement d’un mouvement ou d’une

époque qui voit fleurir ce genre de récit, pour proposer un questionnement sur les fonctions et l’efficacité.

• Dans une première partie, on pourra évoquer les fonctions : – descriptive ; – critique ; – symbolique. On appréciera des élargissements

aux autres arts (peinture, architecture).

• Dans la seconde partie, après avoir montré que la plupart des utopies littéraires n’ont pas pour fonction d’imposer des modèles, on s’interrogera de façon plus approfondie sur ce que ces utopies peuvent soumettre à la réflexion des lecteurs. Par exemple, dans Gargantua, au-delà de la fiction lit-téraire des géants et de l’utopie, c’est une invitation à trouver une sagesse à la mesure de l’homme. En conclusion, on se demandera si l’utopie permet de proposer un modèle ou si elle n’invite pas plutôt à réfléchir à un ou des aspects d’une société.

ÉCRITURE D’INVENTION

Dans le Texte C, vous avez lu la description de la cité de l’acier construite par Herr Schultze. Or il n’est pas le seul héritier de la Bégum. Une autre ville a été construite aux États-Unis grâce aux cinq cents millions mais elle lui est opposée en tout. Vous décrirez la cité idéale et vous lui donnerez un nom. Il faudra qu’elle corresponde aux intentions de son constructeur dont vous inventerez le caractère.On pourra reprendre le plan du texte initial. La des-cription de la cité sera donc opposée à celle du roman de Jules Verne. On admettra donc la reprise d’antonymes. La ville devant correspondre au carac-tère de son fondateur, il faudra que celui-ci soit paci-fiste, altruiste, soucieux de l’épanouissement des habitants.On insistera particulièrement sur l’aspect intellectuel et culturel puisque ce sont des préoccupations absentes du premier récit. Les précisions de cou-leurs seront importantes également.Le récit devra pouvoir s’intégrer au roman de Jules Verne, c’est-à-dire qu’il faudra respecter les carac-téristiques énonciatives : récit à la troisième per-sonne, narrateur omniscient.

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