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Chapitre 3: Jofroi , Angèle , et Regain 1 L'oeuvre de Marcel Pagnol est fortement influencée par celle de Jean Giono à partir de 1933. Pagnol dit qu'avant d'aller à Paris, il ne se connaissais pas bien: "Je ne savais pas que j'aimais Marseille, ville de marchands, de courtiers et de transitaires. Le Vieux-Port me paraissait sale--et il l'était; quant au pittoresque des vieux quartiers, il ne m'avait guère touché jusque-là, et le charme des petites rues encombrées de détritus m'avait toujours échappé. Mais l'absence souvent nous révèle nos amours..." 2 . C'est sûrement dans la capitale que Pagnol découvre aussi combien il est considéré par les Parisiens comme différent, comme un Provençal. C'est souvent en se comparant aux autres qu'on définit sa propre identité. Il est donc naturel que l'auteur continue à approfondir sa conception de la communauté ainsi que ses frontières en passant de Paris à Marseille, et ensuite de Marseille à la Haute Provence. Les trois films dont je parlerai dans ce chapitre, c'est-à-dire: Jofroi , Angèle , et Regain , sont des adaptations de trois textes de Jean Giono; je les appellerai "la trilogie gionienne" bien qu'ils soient 126

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Chapitre 3: Jofroi, Angèle, et Regain1

L'oeuvre de Marcel Pagnol est fortement influencée par celle de Jean

Giono à partir de 1933. Pagnol dit qu'avant d'aller à Paris, il ne se connaissais pas

bien: "Je ne savais pas que j'aimais Marseille, ville de marchands, de courtiers et

de transitaires. Le Vieux-Port me paraissait sale--et il l'était; quant au pittoresque

des vieux quartiers, il ne m'avait guère touché jusque-là, et le charme des petites

rues encombrées de détritus m'avait toujours échappé. Mais l'absence souvent

nous révèle nos amours..."2. C'est sûrement dans la capitale que Pagnol découvre

aussi combien il est considéré par les Parisiens comme différent, comme un

Provençal. C'est souvent en se comparant aux autres qu'on définit sa propre

identité. Il est donc naturel que l'auteur continue à approfondir sa conception de la

communauté ainsi que ses frontières en passant de Paris à Marseille, et ensuite de

Marseille à la Haute Provence.

Les trois films dont je parlerai dans ce chapitre, c'est-à-dire: Jofroi,

Angèle, et Regain, sont des adaptations de trois textes de Jean Giono; je les

appellerai "la trilogie gionienne" bien qu'ils soient réinterprétés, écrits, mis en

scène, et réalisés par Pagnol. D'ailleurs, Giono ne les apprécia guère. Giono a dit,

au sujet de Jofroi: "Le cinéma s'est emparé (c'est le mot propre) de ce conte, mais

il l'a traité non pas en ami, mais en sauvage..."3. Il est vrai que ces histoires de

Giono contiennent des thématiques remaniées à la Pagnol qui deviendront,

dorénavant, une partie permanente du texte pagnolien. En passant de Marseille à

la Haute Provence, les personnages n'ont plus de contact avec les étrangers, et la

communauté est isolée, méfiante et de plus en plus réduite en nombre. Nous

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retrouvons aussi l'opposition entre la ville et la campagne, car dans ces œuvres, la

collectivité habite dans un village. Pagnol continue donc sa recherche d'une

définition de la communauté, car il faut déterminer les limites du groupe.

Quand la communauté change de lieu et quitte la côte et le port de

Marseille, il y a un changement de mentalité. L'ennemi change aussi. L'aventure

romantique n'est plus la menace, comme dans Marius, mais le danger semble

exister à l'intérieur des villes, lieux de modernité et de gens sans racines, qui

attirent de plus en plus les jeunes. Dans Jofroi, le problème des racines d'une

collectivité sera abordé par Pagnol. L'auteur y présente les deux côtés d'une

discussion menée par Jofroi et le curé d'un côté, contre Fonse et l'instituteur de

l'autre côté. Dans Angèle, l'héroïne sera tentée par la grande ville et quittera sa

famille (exactement comme Marius est attiré par la mer et les terres lointaines);

mais la communauté souffre, et par conséquent, quand un(e) des sien(ne)s la

quitte, la survie du groupe est en danger. Dans Regain, le village sera

complètement dépeuplé par les départs pour la ville et il n'y restera que trois

personnages (et une chèvre) pour recréer la communauté humaine que la nature

menace de reprendre.

Jofroi

Jofroi est la première adaptation cinématographique de Marcel Pagnol, qui

assume désormais le rôle d'auteur, de metteur en scène et de réalisateur. Dans ce

texte, le microcosme de la communauté est créé d'après celui ébauché par Giono

dans son conte, Jofroi de la Maussan, une nouvelle de quatorze pages publiée en

1932 dans le recueil Solitude de la Pitié. Jofroi est un vieux paysan qui vend son

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verger à son voisin, Fonse, pour avoir une rente; il garde pourtant la maison pour

lui et sa femme, Barbe. Quand Fonse veut couper les vieux arbres desséchés,

Jofroi les défend à coups de fusil. La position de celui-ci est qu'on ne tue pas les

gens parce qu'ils ne peuvent plus avoir d'enfants et on ne devrait pas tuer les arbres

qui ne produisent plus de fruits. Pour faire respecter la vie de ses arbres, Jofroi

essaie plus de vingt fois (dans le texte de Pagnol "Au moins quinze fois!" "Peut-

être plus"4 de se suicider. Fonse est tellement gentil qu'il accepte de ne pas couper

les arbres pour pouvoir semer son blé, mais il sait aussi que les villageois

comprennent la peine de Jofroi et le blameront si Jofroi se tue. Fonse finit par en

devenir malade. Finalement, Jofroi meurt naturellement d'une attaque et Fonse

pourra couper les arbres et semer son blé; il en gardera quand même quelques-uns

pour que le jugement de Jofroi de là-haut ne soit pas trop sévère. (Dans le conte

de Giono, il va tout de suite au verger; dans le film de Pagnol, il attendra le

surlendemain, quand le corps de Jofroi n'y sera plus.)

Selon Caldicott, Pagnol ne change pas grand chose en adaptant ce conte à

l'écran.5 Il est vrai qu'à première vue, l'anecdote semble rester intacte et certaines

phrases du dialogue (notamment "Je vais chasser le salaud"6) ne sont même pas

changées. Mais en examinant le texte du film de plus près, nous verrons que la

thématique de l'écologie est remplacée par celle de la communauté et que Pagnol

change subtilement, mais essentiellement, le sens de Jofroi.

Dans une note, Claude Beylie dit: "...Giono n'avait que médiocrement

apprécié l'adaptation de Pagnol...Cas typique d'ingratitude et d'aveuglement, d'un

écrivain littéralement jaloux du sort fait à son oeuvre"7. Il est probable que Giono

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ressentait de la jalousie,8 mais ce sentiment révèle surtout un auteur qui se rend

compte qu'on a changé la signification de son histoire.

Pour comprendre ce qui attire Pagnol dans cette histoire et pour voir que

Jean Giono a très bien saisi jusqu'à quel point ses changements sont profonds, il

est utile de noter les modifications que Pagnol fait. Il change l'oeuvre gionienne

pour qu'elle réflète ses propres préoccupations, c'est-à-dire: (1) la parole (et non

pas la terre) lie les membres de la communauté, (2) l'interprétation figurée est

parfois décalée de l'interprétation littérale, (3) les gens du village forment un

groupe de témoins aux actions de Jofroi, mais la communauté est divisée et

menacée à cause du point de vue de Jofroi.

L'individu

Dans les deux histoires, il s'agit d'un vieil individu comique, voire

pathétique, qui risque de diviser la communauté. Jofroi n'a pas d'enfants et l'avenir

de la communauté ne dépend pas de lui; pourtant, il menace la survie de la

collectivité en posant plusieurs questions soit par ses mots soit par ses actions: (1)

Quelle est l'importance de la réputation des membres du groupe et du jugement des

autres? (2) Quelle est la responsabilité des membres du groupe envers les vieux et

les gens "inutiles"? (3) Quelles sont les relations de la collectivité à son

environnement, à sa terre, et à ses racines? (4) Une communauté peut-elle

survivre si elle ne préserve pas son passé?

Voici donc un vieil homme sans enfants avec des arbres sans fruits opposé

à une communauté composée de familles avec des enfants. Si Pagnol ne pensait

qu'à la survie du groupe à n'importe quel prix, Jofroi et ses arbres seraient

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certainement inutiles à la continuation du groupe, mais les deux textes (celui de

Giono aussi bien de celui de Pagnol) montrent de la sympathie pour Jofroi et

paraissent considérer si l'on devrait couper une communauté de son passé. Marcel

Pagnol continue ainsi sa quête pour une définition de la communauté.

La communauté

Contrastée à cet individu têtu et ridicule, la communauté, composée de

familles sans nom et sans visage (dans la nouvelle) semble homogène. Tous les

membres comprennent le point de vue de Jofroi, "le plus mal arrangé" dans

l'affaire9 parce qu'il veut sérieusement mourir, mais quand il pense au sort de ses

arbres, il ne sait plus. Les changements faits dans le texte pagnolien sont capitaux

pour comprendre les préoccupations de notre auteur et comment il modifie

profondément le sens de l'oeuvre de Jean Giono.

D'abord, Pagnol étoffe la collectivité esquissée par Giono; celui-ci

mentionne quelques prénoms, mais nous ne savons rien des interlocuteurs. Giono

mentionne l'Albérie, l'Antonin, Félippe, Martel, et le curé dans "Jofroi de la

Maussan"10. En disant "nous tous," Giono suggère d'autres membres du groupe.

Le "je" qui narre l'histoire de Giono devient le personnage Tonin dans le film

pagnolien, ce qui permet une narration à la troisième personne, car la caméra

observe l'histoire. Le curé mentionné dans le conte de Giono est dans le film, mais

Pagnol ajoute son adversaire traditionnel de la Troisième République, l'instituteur.

Ce couple restera dans les oeuvres les plus importantes de Pagnol à partir de

Jofroi. Bien que Caldicott voit dans cela un élément réaliste,11 je vais essayer de

démontrer que ce couple existe pour générer du texte, car sans un échange de

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points de vue, la communauté ne serait pas liée; c'est ce conflit d'idées qui crée le

lien entre les membres de la collectivité dans le texte pagnolien. Cette opposition

d'idées doit être présentée dans le dialogue sans recours à la violence. Ces deux

personnages qui participent à "une discussion de dilettanti et de rhéteurs"12 sont

implicitement contrastés à Jofroi et Fonse, couple paysan qui est un mauvais

exemple d'une opposition d'idées. Pour s'opposer dans la communauté

pagnolienne, la parole est nécessaire pour empêcher de finir par une confrontation

violente.

Dans la nouvelle de Giono, la différence entre la violence et la discussion

existe déjà, car le narrateur, essayant d'arranger le conflit entre Jofroi et Fonse,

explique: "...on est tous autour; il n'y a pas de fusil, ça ne risque rien. On est là

pour discuter"13. Pagnol, après avoir créé les commerçants du Vieux-Port de

Marseille, se tournerait facilement vers la Haute Provence, tenté par une telle

fable.

Le dialogue, présent en style lapidaire dans le conte gionien, existe pour

montrer deux points de vue opposés. Jofroi est sur la toiture de sa propre maison,

surplombant par vue les villageois qui sont tous en bas ne sachant pas quoi faire.14

Pendant plus d'une heure, on discute "saute, ne saute pas"15; quand le narrateur lui

dit: "Sautez et que ça soit fini"16, Jofroi change d'avis. Cette sorte de débat

intrigue Pagnol, l'auteur d'une discussion semblable dans Fanny entre César et

Panisse au sujet du mariage de Fanny. Devrait-elle, oui ou non, se marier avec

Panisse pendant l'absence de Marius, le fils de César?17 Dans Jofroi, d'ailleurs,

toute l'histoire est basée sur la question: devrait-on couper ou ne pas couper les

arbres? Une autre preuve que Pagnol est attiré par les discussions interminables et

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académiques est qu'il a aussi traduit Hamlet (qui se trouve dans les Oeuvres

Complètes, vol. 8 du Club de l'Honnête Homme, 1970-71), intellectuel par

excellence, dont le soliloque le plus connu est "Etre, ou n'être pas, c'est ça la

question..."18. Quand aucun acte de compromission n'est possible, il ne reste que la

discussion pour éviter un conflit entre les membres de la collectivité. C'est

précisément cette polémique qui compose le texte pagnolien.

Il faut négocier pour éviter une action hostile, et la circulation des paroles

lie les gens pour empêcher la violence. Le contre-exemple de l'échange verbal est

le curieux personnage d'Arsène (ajouté par Marcel Pagnol) dont les uniques

prononcements concernent les coups de poing ou les coups de pied. Puisqu'il ne

manie pas le langage, il ressemble plutôt à une bête et le curé lui dit: "Arsène,

vous êtes un sauvage!"19. Un parfait exemple de la circulation de la parole est le

trajet du mot "sophisme." Pagnol insère ce mot au texte; ce vocable y entre

pendant la discussion des deux intellectuels du village. Le curé et l'instituteur

discutent la "responsabilité métaphysique"20 de Fonse si Jofroi se suicide.

L'instituteur conclut par une sorte de maxime à La Rochefoucauld: "On nous

reproche nos malheurs beaucoup plus souvent que nos fautes"21. Et le curé

rétorque: "Sophisme, cher ami! Sophisme! Sophisme presque criminel!"22. Les

paysans dans la cuisine de Fonse sont angoissés par ce mot qu'ils ne comprennent

pas; le curé leur dit: "...n'essayez pas de comprendre: vous ne le pouvez pas, et

notre discussion passe forcément au-dessus de vos têtes"23. Dans le conte de

Giono, le narrateur est le seul qui commente l'action et qui est reconnu comme

celui qui sait parler,24 tandis que dans le film de Pagnol, l'opposition des deux

parleurs seconde et souligne l'action des paysans. Mais une fois lancé, ce mot

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"sophisme" va revenir dans la conversation des paysans bien qu'ils ne comprennent

pas son sens. Par exemple, Marie, la femme de Fonse, répète à un groupe de

femmes et à Gustave, sur une placette devant la fontaine, qu'on a dit "...que c'était

pas la faute de Fonse, mais que quand même, c'est un sophisme"25. Gustave

demande la définition de ce mot et Delphine répond: "On te le dit: c'est Fonse"26.

Ensuite, Marie explique que son mari n'est pas un saint, "mais de dire que c'est un

sophisme, moi je ne le croirai jamais!"27. Un peu plus tard, l'instituteur explique à

Fonse qu'un sophisme est "un raisonnement faux"28; Fonse proteste parce qu'il ne

voit pas pourquoi le curé le trouve faux. Quand le maître définit un sophisme

comme "un syllogisme"29, Tonin dit: "Té, il te manquait plus que ça!"30. Fonse

finit par arrêter la circulation de ce mot parce qu'il a peur qu'on lui coupe la parole:

Ah, écoutez, ne dites plus de mots pareils! Ça se répète dans les

villages, et si ça continue dans ce genre, plus personne ne me

parlera. Et moi, j'ai besoin qu'on me parle, parce que c'est la seule

chose qui me fasse vraiment plaisir.31

Dans la communauté du film pagnolien, Tonin sait que Fonse a acheté le

verger de la Maussan parce que le boulanger le lui a dit.32 Bien que le boulanger

ne soit pas un personnage visible, il est mentionné comme une source de paroles et

de renseignements. Dans la collectivité de Pagnol, la parole circule et c'est elle qui

lie les gens les uns aux autres. Quand Tonin parle du boulanger, l'impression d'un

village plus peuplé est créée; cela correspond à "nous tous" du conte de Giono.

Pagnol met donc de la chair sur l'ossature, car son film dure une heure et la

nouvelle n'a que quatorze pages. Et cette chair consiste surtout de dialogues.

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La première scène du film se passe chez le notaire; nous assistons ainsi

directement à l'acte de vente. Comme d'habitude, Pagnol choisit une narration

linéaire. Cette séquence contient beaucoup de répétitions pour élargir une

conversation entre deux personnes, Jofroi et Fonse. L'échange devient une

discussion entre quatre personnes car le notaire est l'intermédiaire légal,

représentant de la parole officielle, tandis que Barbe suggère des idées à Fonse,

son mari, qui paraît ne pas les accepter avant de les répéter officieusement. Ces

redites font partie du style dramatique pagnolien et servent à montrer l'abondance

des mots, et donc des liens virtuels entre les gens.33 Cette vente capitaliste,

échange d'argent, se passe parallèlement à la circulation de la parole.

Comme la monnaie courante, les mots ont un pouvoir sur les villageois. Le

mot "assassin" en est un exemple que Pagnol ajoute au texte; Jofroi appelle Fonse

un assassin quand celui-ci met une corde autour d'un arbre pour l'arracher.34 Plus

tard, Jofroi décide de se tuer pour apprendre aux autres que Fonse est un véritable

assassin, bien qu'il s'agisse de tuer des arbres.35 Quand le boulanger demande à

Jofroi pourquoi il veut sauter du toit de la maison de Monsieur Durand, celui-ci

répond: "Parce que Fonse veut tuer mes arbres!"36. Le choix du mot "tuer" au lieu

de "couper" est une des raisons pour laquelle "...les gens du village tiennent Fonse

pour partiellement responsable de la folie de Jofroi" dans le film.37 Le mot

"assassin" dans le film pagnolien sert à personnifier les arbres qui deviennent ainsi

membres de la communauté, tandis que dans le conte gionien, les arbres risquent

d'être coupés, un mot jardinier ou écologique concernant la nature qui est taillée

par les hommes. A la fin du film, Marie, la femme de Fonse, rentre à la maison

après avoir vu "des enfants qui jouaient à Jofroi"38. L'enfant à qui on a dit: "'Toi,

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tu vas faire Fonse'" a répondu: "'Ah non, je suis pas un assassin!'"39. Un mot lancé

dans la communauté par Jofroi fait le tour du village et passe d'une génération à la

suivante.

Comme nous avons vu dans la trilogie marseillaise, le dialogue pagnolien

ne suppose pas nécessairement qu'on dise la vérité. Fonse décide de ne pas couper

les arbres parce qu'il a peur que les autres le jugent responsable de la mort de

Jofroi. Tonin est d'accord: "...on dirait que c'est toi qui l'as tué...Ça serait pas vrai,

remarque; mais on le dirait, ça c'est sûr!"40. Le débat est la colle qui lie les

membres du groupe; c'est la comédie de Jofroi et les réactions de Fonse qui

forment le prétexte de toute la conversation de la communauté. (Jofroi est un

précurseur de La Femme du boulanger où toute la conversation tourne autour des

actions du boulanger.) Le curé, cherchant une solution, dit à Fonse: "...Mais s'il

[Jofroi] n'a pas de public, si peronne ne le prend au sérieux, il finira par renoncer à

sa comédie"41. L'opinion publique encourage les actions de Jofroi et le village est

vraiment divisé entre Fonse et Jofroi dans le film, tandis que dans le conte, tous

sentent "le gros mal de Jofroi"42.

Cette division coupe la collectivité en deux camps dans l'oeuvre de Pagnol,

alors que chez Giono, c'est Fonse contre Jofroi-et-les autres quoique tout le monde

reconnaisse que Fonse a tous les droits de son côté. Dès la première scène, la

différence de structure entre les deux œuvres est évidente. La nouvelle gionienne

commence ainsi: "Je vois venir Fonse..."43. C'est le narrateur qui rencontre Fonse

et le nœud du drame, l'acte de vente, est vu en flash-back. Par contraste, dans le

texte (et le film) pagnolien, l'histoire commence par l'acte de vente devant le

notaire, et toute la narration linéaire dépend de cette action. Alors, ce qui est

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raconté indirectement dans trois ou quatre phrases chez Giono devient une scène

directe qui occupe treize pages de texte et beaucoup de discussion chez Pagnol. Le

notaire et Barbe interviennent dans une transaction à deux pour agrandir le groupe

qui parle. La division de la collectivité qui s'ensuit est pressentie par la méfiance

sous-jacente dans les échanges comme:

Jofroi: (indigné) Alors tu crois que je vais te donner le papier

signé si tu ne me donnes pas les sous?

Fonse: Et toi, Jofroi, tu crois que je vais te donner les sous avant

que tu m'aies donné le papier signé?44

La collectivité pagnolienne contient donc deux factions dès le début; il y a

des personnages et des idées alignés avec Jofroi et il y en a d'autres du côté de

Fonse. Dans les deux listes qui suivent, on voit les deux points de vue:

Jofroi vs. Fonse

le curé l'instituteur

la religion la science

les femmes les hommes

la campagne (le village) la ville

le passé l'avenir

la paternité (le paternalisme) le capitalisme

la Provence le cosmopolitisme

L'opposition entre Jofroi et Fonse est d'abord une confrontation entre

sauvages, c'est-à-dire, sans paroles, car après la scène policée dans l'étude du

notaire, on découvre Fonse avec une grande hache pour couper les arbres et Jofroi

qui sort de chez lui, un fusil sous le bras. Toute la violence possible est contenue

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dans cette image. La seule réaction de Jofroi si Fonse coupe ses arbres sera le

suicide, un acte, parce que c'est sa façon de s'exprimer. Par contre, Fonse

deviendra malade, autre action non verbalisée, parce que lui non plus n'est pas un

maître de la parole. En introduisant le curé et l'instituteur, Pagnol crée des

"rhéteurs" pour expliquer--avec des mots--les deux points de vue.

Le duel verbal entre ces deux personnages, entamé dans Jofroi, va se

poursuivre dans La Femme du boulanger, Manon des Sources, et les Souvenirs

d'enfance. Le curé, qui a confiance dans les "sentiments chrétiens" de Jofroi45 se

met du côté du vieux paysan tandis que l'instituteur annonce à Fonse: "Je dis que

votre bon droit est entier, absolu..."46. Le curé veut empêcher Jofroi de se suicider

parce que "...les suicidés vont en enfer..."47 et Jofroi ne veut pas que ses arbres

meurent parce qu'il n'y a pas de "paradis des arbres!"48. Le parallèle entre le

sacrifice de Jofroi et celui du Christ est visuellement évident quand celui-là est

"sur la route, couché sur le dos, les bras tous écarquillés, comme un Bon Dieu!"49.

L'instituteur contraste "le point de vue religieux" avec "le point de vue pratique"50;

c'est ce que j'appelle "la science" (voir au-dessus) dans le sens le plus général du

terme, c'est-à-dire, tout ce qui n'est pas du monde religieux. La logique est du côté

de l'instituteur quand il conclut que puisque Jofroi s'est suicidé au moins quinze

fois, "Il est donc parfaitement évident qu'il ne se tuera jamais"51.

Comme dans la trilogie marseillaise, nous retrouvons dans cette

communauté deux espaces--celui des hommes et celui des femmes. Les hommes

se rassemblent sur l'esplanade pour jouer aux boules et pour bavarder. Les

femmes sont devant la fontaine avec leurs cruches. La conversation concernant "le

sophisme" est d'abord entendue dans l'espace féminin; Gustave passe d'un espace à

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l'autre, et avec lui, la conversation se déplace. Puisque les femmes s'occupent du

foyer et les hommes s'amusent dehors, la structure de la société est comme celle du

monde classique. Nous savons que les femmes s'alignent avec Jofroi parce qu'il

les cherche d'abord comme témoins avant même de retrouver le curé. La

didascalie annonce: "On voit s'avancer le cortège des vieilles, précédé par M. le

curé et par Jofroi..."52. Fonse les appelle "ce troupeau de mémés"53.

Une nouvelle thématique qui n'est pas présente dans Marius, Fanny, et

César apparaît, pourtant, dans Jofroi; c'est celle du conflit entre la campagne et la

ville. Dans la trilogie gionienne, la ville devient le symbole du mal et de la

modernité. La ville accueillante de Marseille est remplacée par une ville qui attire

les jeunes et les sépare de leur famille. Jofroi montre son mépris pour l'instituteur

en lui disant: "Allez, allez, mon pauvre instituteur, on voit bien que vous venez de

la ville, avec le col et les manchettes!"54. Barbe, la femme de Jofroi, ajoute:

"Regardez-moi cet autre avec sa pipe! Il nous fait voir qu'on peut être en même

temps un savant et un couillon"55. A son tour, le maître d'école se moque de Jofroi,

car en parlant de sa proposition, il dit: "Je crois qu'on va rire un bon coup"56. Et sa

réplique à la phrase de Barbe est: "On peut aussi être un couillon sans être un

savant!"57.

Jofroi, proche de la mort, est la voix du passé; elle est alignée avec celle du

curé et avec celle des vieux arbres. Le texte pagnolien articule toujours

l'opposition avant de la démolir. Comme un "rhéteur," l'auteur présente le point de

vue inverse pour mieux l'annuler par la voix de l'avenir, celle de l'instituteur de la

Troisième République. La communauté des hommes de la république l'emportera

sur l'individu lié aux arbres de sa terre.

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Comme nous avons déjà vu, les textes de Marcel Pagnol ont un côté

ludique quant au sens figuré d'une expression. Cette histoire n'est pas une

exception, et voici deux exemples de ce procédé: (1) Quand Jofroi se trouve sur

le toit de la maison de Monsieur Durand, il dit qu'il y a quelqu'un qui le pousse

pour le faire tomber du toit. Il annonce: "Et celui qui me pousse, c'est Fonse!"58.

Fonse est indigné et répond: "Mais je pousse pas, moi! Je pousse personne, je suis

ici!"59. Fonse prend littéralement ce que Jofroi explique figurativement. D'après la

logique du texte, on dirait que l'auteur donne raison à Jofroi, car celui qui ne sait

pas interpréter la langue périra, mais le deuxième exemple nous prouvera le

contraire. (2) Quand Jofroi lit sa proposition à Fonse devant tous les témoins, il

admet qu'il a vendu le verger de la Maussan, et que c'est écrit sur le papier du

notaire, mais que la vente des arbres n'est pas comprise. C'est son manque de

compréhension de la langue qui a causé le malentendu; vendre son verger, cela

veut dire que l'autre fera ce qu'il voudra avec la terre aussi bien que les arbres.

Fonse, l'instituteur, et les hommes du village ont bien compris la situation, et ils

seront l'avenir de la communauté.

Jofroi est un vieil homme sans enfants, mais c'est le père de ses arbres.

C'est lui qui les a achetés, plantés, soignés, veillés.60 Dans le texte de Pagnol,

Jofroi devient l'homme du monologue lorsqu'il parle de ses arbres, et le monologue

empêche la libre circulation de la parole. Dans les deux histoires, on mentionne

l'argent payé aussi bien que les soins donnés, mais dans le texte de Pagnol, le

système capitaliste est carrément contrasté avec le paternalisme. Jofroi dit, avec

une grande tendresse:

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Et quand je les taillais, Monsieur le Curé, avant de couper une

branche, je calculais des fois pendant plus d'une heure et je me

disais: "C'est malheureux de couper des branches à un arbre, pour

qu'il rapporte six francs de plus." Et, à la fin, quand j'en coupais

une, c'était comme si je me coupais un bras...et tu crois qu'avec ton

argent, toi, tu m'as acheté tout ça? Est-ce que tu crois que l'argent

paie tout? Dites, Monsieur le Curé, est-ce qu'on peut tout payer

avec de l'argent?61

On voit d'autres exemples de Jofroi qui s'oppose au capitalisme des villageois

pagnoliens; par exemple, quand Jofroi est sur le toit de Monsieur Durand, celui-ci

dit: "Mais laissez-le sauter, Bon Dieu! Vous ne voyez pas qu'il me casse toutes

mes tuiles?"62. Lorsque Jofroi se trouve au fond du puits de l'aire, Tonin, indigné,

demande: "Dans mon puits?"63. Il ajoute: "...il est en train de me la saloper..."64.

Et finalement, Félix répond à Jofroi: "Va, va te pendre au platane de

Séraphin..."65. Jofroi protègera ses arbres jusqu'à la mort, mais après cela, le

régime économique deviendra plus important que les vieux arbres sans fruits.

Comme annonce Fonse: "...lundi matin, j'arriverai avec deux gendarmes, et

j'arracherai tous ces arbres morts, parce qu'il faut que je gagne ma vie, et que je

nourrisse ma femme.66 Il donne un coup de chapeau au passé en gardant deux ou

trois arbres, mais les autres seront arrachés.

Le contraste final est entre la Provence et le cosmopolitisme. C'est une

opposition devenue nécessaire quand on n'est plus dans une grande ville parce que

la population du village est homogène. Pour montrer l'identité de la communauté,

on trouve des expressions provençales dans le texte pagnolien. Jofroi répond au

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bon sens de l'instituteur en criant: "Lève-toi de là, pregadiou de rastouble!"67.

Delphine appelle Fonse "un bestiari"68. Et ces deux insultes en provençal sont

prononcées par des voix du passé. A la fin de l'histoire, quand la mort de Jofroi est

annoncée, Fonse saute de son lit et l'instituteur dit: "Le voilà prêt pour un aïoli!"69.

Le mot provençal reste dans le vocabulaire de la cuisine, mais la langue des

affaires est le français.

Il est à noter que l'histoire de Giono se passe dans la Haute Provence, à

Riez, tandis que Pagnol la transpose à sa terre natale. D'ailleurs, Pagnol filme

l'histoire dans le village de ses premières vacances, La Treille. Dans le conte

gionien, il s'agit de pêchers,70 tandis que chez Pagnol, il y a des abricotiers,71

autrefois le fruit d'Aubagne. Fonse veut couper ces arbres pour semer un "blé qui

vient du Canada..."72. Voilà donc l'invasion de l'économie mondiale.

L'écologie et les valeurs de la terre sont une considération principale chez

Giono, car Jofroi dit: "'Regardez ce malheur; si c'est pas un malheur de traiter de

la terre de cette façon.'"73 Dans le texte de Pagnol, Tonin explique à l'instituteur:

"...Il n'est pas fou de nature...Mais il a une grosse peine de ses arbres...D'un côté,

ça se comprend un peu"74. Mais, comme nous avons vu, la considération la plus

importante dans le texte pagnolien est la survie de la communauté des hommes.

Dans la nouvelle gionienne, Jofroi est un héros et Fonse est la bonté même;

"le Fonse ... est le plus brave homme de la création..."75. Par contre, chez Pagnol,

deux mondes sont en conflit: celui du passé, représenté par Jofroi avec l'aide du

curé, et celui de l'avenir et du progrès, mené par Fonse avec l'assistance de

l'instituteur. Pour la survie de la communauté, une compromission sera nécessaire

parce que si l'on permet aux arbres de vivre, les gens n'auront pas assez d'argent

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pour survivre. La conclusion de Pagnol est donc que la communauté n'aura pas

d'avenir si elle est coupée complètement de son passé, mais Fonse attend au moins

que le cadavre de Jofroi soit éloigné avant d'arracher la plupart de ses arbres. Il en

laisse quelques-uns--par exemple, "l'abricotier fada"--en souvenir de Jofroi.

Jofroi est le premier texte de Jean Giono que Marcel Pagnol adapte. Bien

qu'à première vue, il semble rester fidèle au conte gionien, il a changé le sens

profond de l'histoire en soulignant la nature capitaliste de la nouvelle société bien

qu'un effort se fasse pour garder le lien entre les racines du passé et le chemin vers

l'avenir. On a l'impression que les consciences ne sont pas tranquilles dans ce film

de Marcel Pagnol. Malgré le côté financier, il y a un malaise dans cette

communauté parce qu'elle sera coupée de ses racines.

Angèle

Angèle est la deuxième adaptation de la trilogie gionienne; le film de

Pagnol passe à l'écran en 1934. Pour réaliser ce film, Pagnol a basé son histoire

sur le roman de Jean Giono, Un de Baumugnes, publié en 1929, le second de la

trilogie de Pan dont les deux autres sont Colline et Regain. Dans le roman, un

vieux journalier, Amédée, écoute les confidences d'un jeune homme de

Baumugnes, Albin, qui paraît affreusement triste parce qu'il est amoureux fou

d'Angèle, une fille de ferme. Puisqu'Albin était trop timide, il a laissé Louis, un

mauvais garçon de Marseille, la séduire. Louis n'avait pas caché à Albin qu'il avait

l'intention de mettre Angèle sur le trottoir en ville, le métier d'ouvrier agricole ne

lui convenant pas. Le montagnard, Albin, est inconsolable, et il s'apprête à

remonter là-haut dans son village quand Amédée décide de s'en mêler. Le vieux

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va donc se louer à la Douloire, la ferme des parents d'Angèle, pour se renseigner.

Le père de la fille a le bras invalide; il est devenu très méchant et menace tout le

monde avec son fusil; la mère malheureuse a peur de son mari; Saturnin, le valet,

n'est bon à rien et ne fait que rire d'une manière nerveuse. Puisque le vice

d'Amédée est d'aider, il se sent utile en faisant le travail de la ferme. Les parents et

Saturnin gardent le silence, mais au moment où le vieux désespère de trouver la

fille, il remarque une tasse en porcelaine qui a servi alors que ni les parents ni le

valet n'y ont bu. Grâce à un orage, Amédée aperçoit Angèle et son bébé qui sont

cachés quelque part dans la ferme. Puisque le vieux n'arrive pas à retrouver leur

cachette, il va dire la nouvelle à Albin. Celui-ci n'hésite pas; il vient jouer de

l'harmonica (la voix de la nature et l'harmonie du monde); quand Angèle l'entend,

elle le reconnaît, confesse ses transgressions, et s'évade avec lui. Après

qu'Amédée se bat avec Clarius (le père d'Angèle) et son fusil, il rejoint les trois

autres (Angèle, Albin et le bébé) en route pour Baumugnes. Le vieux réfléchit et,

ayant peur que le père se jette dans la Durance, laissant la mère d'Angèle toute

seule, tous les trois décident de prendre le risque de revenir demander la

permission du père pour le mariage de sa fille. Il l'accorde. Le récit, raconté à la

première personne par Amédée, dans un style lyrique et paysan, termine quelques

années après, quand le vieux journalier passe par la ferme et rencontre la fille

d'Albin et d'Angèle.

Comme dans Jofroi, Pagnol est fidèle aux événements de l'intrigue. Il garde

même beaucoup de dialogue qu'il cite directement du roman. Pourtant, il change,

encore une fois, le sens profond de l'histoire en lui donnant une autre perspective.

Giono décrit, dans la trilogie de Pan, les relations entre l'homme et la nature qui

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l'entoure. Albin fait partie de la montagne d'où il descend. Comme le personnage

explique dans le roman: "Mon pays, mon pays, attends, je vais t'en parler de mon

pays; c'est obligé. C'est pas que ça compte dans l'histoire, c'est toute l'histoire"76.

Mais, lorsque Pagnol adapte cette histoire à l'écran, il change d'optique, et il

s'agira, une fois de plus, de la survie de la communauté humaine.

Comme pour Jofroi, il est important de noter les changements faits par

Marcel Pagnol dans son adaptation parce qu'en les considérant, on pourra mieux

comprendre la perspective de Pagnol, la colère de Giono occasionnée par cette

adaptation, et pourquoi elle est justifiée.

L'individu

La transformation la plus importante est le titre de l'oeuvre. En modifiant

son titre, Pagnol change son "centre d'intérêt." Comme il explique: "Une œuvre

dramatique digne de ce nom est toujours construite autour d'un centre d'intérêt

principal: l'auteur qui connaît son métier le signale à notre attention par le titre de

l'ouvrage"77. Un de Baumugnes est l'histoire d'Albin et de son pays, "[l]a

montagne des muets; le pays où on ne parle pas comme les hommes"78, bien qu'elle

soit narrée par le vieil Amédée. C'est une histoire d'amour; Albin aime Angèle et

sa terre natale. Mais le film Angèle tourne autour de celle-ci car c'est son départ

qui détruit la famille et ce sera son retour qui donnera à la communauté la

possibilité de survivre. Le premier mot du texte pagnolien est "Angèle" et elle est

présente dès le début, tandis que dans le roman de Giono, le narrateur voit la jeune

femme pour la première fois la nuit de la grosse pluie.79 Le film de Pagnol se

termine lorsqu'Angèle est revenue à sa place dans la ferme paternelle; la dernière

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scène nous montre le couple de dos allant vers la colline. Angèle est donc

ramenée au groupe familial et l'ordre patriarcal est rétabli. L'histoire gionienne,

par contre, continue après la réunification de la communauté.

Dans le texte de Marcel Pagnol, Angèle devient le centre d'intérêt parce

que c'est son départ qui menace la survie du groupe. Comme Saturnin explique au

rémouleur: "Eh non, ça va pas bien, tu le sais. Depuis que notre demoiselle est

partie, ça ne va plus"80. Quand le rémouleur lui dit qu'Angèle est à Marseille,

Saturnin décide de se faire beau pour aller la voir pour que "son mari" lui permette

peut-être de revoir sa famille.81 Philomène, la mère d'Angèle, dit à Amédée de ne

pas faire attention si Clarius est méchant, "...mais on est de gros malheureux..."82.

Ces remarques prouvent que non seulement la ferme manque de bonheur, mais elle

est de plus en plus isolée des autres. Clarius avoue à Albin: "La dernière chose

qui nous reste, c'est de ne pas vouloir salir les autres..."83. Un peu plus loin, il

explique: "...je me suis senti que je devenais tout sale et tout noir...Je ne suis plus

allé jusqu'au village..."84. Quoique, pour Giono, le retour de la fille soit pire que

son départ: "Quand elle disparaît pour tout de bon, encore, on reste avec son

malheur, seulement, c'est dedans, personne le voit; mais, quand elle revient!"85, le

texte de Pagnol souligne la peine, la douleur, et la souffrance de la séparation,

l'état peu normal du groupe.

Il y a une comparaison à faire entre le personnage de Marius et celui

d'Angèle. L'oxymore contenu dans chaque nom nous montre leur situation

analogue et paradoxale dans leur groupe. Marius Ollivier montre l'opposition de la

mer (Marius) à la terre (l'arbre provençal, l'olivier), et ce personnage est déchiré

par sa décision à prendre--partir ou rester dans la communauté. Parallèlement, et

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bien que Pagnol ne choisisse ni le nom du personnage, ni le nom de la ferme (la

Douloire--suggestion de la douleur), nous avons Angèle (un ange) et Barbaroux

(barbare--c'est-à-dire, ennemi de la civilisation humaine).

Comme Marius quitte Fanny et la collectivité pour ce qu'il aime, Angèle

quitte sa famille et son village pour le Louis, celui qu'elle croit aimer. Au début du

film, elle ressemble à un ange, et après, elle devient celle qui détruit la famille. La

transgression du fils et de la fille est de partir, et leur plus grande menace est de

revenir, car après avoir désobéi, l'acte de revenir met en danger l'ordre patriarcal

de la collectivité. Puisque dans les deux oeuvres, le/la jeune qui s'en va aura/a un

bébé, il est clair que la survie du groupe dépend de cet individu. Dans le cas

d'Angèle, le père Clarius est devenu méchant à cause de la situation causée par sa

fille; il se rend compte qu'il n'est plus le maître chez lui et il pense que le monde

est à l'envers. Dans le roman de Giono, il dit: "Tu as cru que c'étaient les femmes

qui commandaient ici? Ah, tu as cru ça, toi? Ah bien, tonnerre de Dieu, je vais te

montrer que c'est pas les femmes, c'est moi, moi le patron: Clarius Barbaroux, pas

un autre"86. Et Pagnol va encore plus loin, car dans son film, Clarius dit: "C'est les

femmes qui commandent, les sales femmes qui rapportent des bâtards à la

maison"87. Mais, à la fin, Angèle est pardonnée parce qu'elle a souffert et parce

qu'elle se soumet au patriarcat; Marius de même.88

Tous les deux, Marius et Angèle, avant d'être réintégrés dans la

communauté, ont dû souffrir, et le pardon de la collectivité dépend en partie de la

souffrance et du remords de l'individu qui l'a quittée. Mais, à partir du

rétablissement du groupe, la faute de l'individu est oubliée dans la communauté de

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Pagnol pour le bien-être commun. Albin dit à Clarius, dans le texte pagnolien--

mais pas dans celui de Giono: "Oublions sa faute; il n'y en a plus..."89.

Dans la trilogie marseillaise, la communauté est basée sur un mensonge, le

"mensonge quotidien" que Panisse avançait--que Césariot était son propre fils;

dans Angèle, elle sera fondée sur une transgression et une faute, car la jeune mère

ne sait même pas l'identité du père de son enfant. Pagnol met en question l'origine

des membres du groupe dans chaque oeuvre en posant la question différemment.

Mais le côté spirituel (la trilogie de Pan) qui existe dans le roman de Giono est

traduit dans le texte pagnolien par le pardon et la réintégration finale à la

collectivité de l'individu fautif. La survie de la communauté est la valeur la plus

importante.

Comme Marius lie deux mondes, la mer et la terre, Angèle est le lien entre

trois groupes: la ferme, le village et la ville. Il est curieux de noter que dans la

version de Pagnol, Angèle annonce qu'elle va "jusqu'aux Douces, chez la tante

Phrasie"90 pour aller au village; on dirait qu'elle cherche des douces phrases

comme monnaie courante avant de faire les provisions. Nous avons déjà vu

comment la parole sert de moyen d'échange et de colle dans la communauté

capitaliste de Pagnol. Dans Angèle, trois hommes aiment la jeune fille: Saturnin,

valet de la ferme devenu beaucoup plus jeune que dans l'histoire de Giono (peut-

être parce que Pagnol voulait que Fernandel joue le rôle), Albin, le beau jeune

homme de là-haut, et "le Louis," séducteur maléfique de la ville qu'elle finit par

choisir. Quand Angèle choisit de partir avec "le Louis," Saturnin et Albin

deviennent des membres de la même famille, ayant tous les deux du chagrin à

cause d'elle. Dans le film, Amédée présente Saturnin à Albin en disant: "...Tiens,

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celui-là, c'est Saturnin. Il l'a connue toute petite, ton Angèle. Il l'a portée sur ses

épaules, et quand elle est partie, il a eu plus de chagrin que toi"91. Alors, bien que

le départ de l'individu déchire la collectivité, il l'unit en même temps d'une autre

manière, mais puisque celui/celle qui est parti(e) est un des parents de la future

génération, la communauté ne se fera pas sans lui/elle.

La communauté

Le film de Marcel Pagnol établit dès le commencement la petite

communauté de la ferme. Toute la famille, y compris Saturnin, est autour de la

table et une conversation vive est animée par celui-ci (un personnage silencieux à

part son rire nerveux dans le conte gionien). Amédée et Albin, des personnages

secondaires, sont présentés plus tard dans le film, et en même temps que "le

Louis," celui qui est l'agent de la destruction de la famille. (Il a un rôle pareil à

celui de Piquoiseau dans la trilogie marseillaise.) Le spectateur voit d'abord la

famille de la ferme avant de considérer les deux hommes qui veulent partir avec

Angèle. Tandis que l'histoire gionienne est donc racontée par un marginal, chez

Pagnol, la caméra se met du côté de la communauté et l'on voit d'une manière

directe l'ordre, le dialogue, et la bonne humeur qui règnent au commencement du

texte pagnolien. Pagnol montre d'abord le bonheur de la famile, ensuite son

malheur causé par le départ de la fille, et finalement la réintégration de la fille et de

son bébé dans un groupe plus élargi et un peu plus égalitaire.

La communauté consiste d'abord de la famille de la ferme. Par contraste

aux deux moitiés de famille dans la trilogie marseillaise, la famille Barbaroux

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semble assez fermée; il y a le père, la mère et la fille. Saturnin, un enfant de

l'Assistance publique, est inclus dans le petit groupe autour de la table, mais il n'y

a pas d'ouverture vers le village. Ce monde, aussi réduit soit-il, est gouverné par

les lois du patriarcat. Angèle suit les ordres de son père au début,92 et elle sait qu'il

faut parler à Louis en cachette parce que c'est interdit. La première scène du film

de Pagnol semble suggérer, par sa bonne discussion et l'échange d'idées (un

processus, comme nous avons déjà vu, qui est essentiel pour un dialogue

pagnolien), que la famille peut suffire en soi pour la survie de la collectivité.

Pagnol rajeunit Saturnin, l'enfant de l'Assistance publique, et il pourrait même

former un couple avec la fille de la ferme pour assurer l'avenir. Mais Angèle

quitte le groupe et désobéit aux règles du père. Saturnin explique au rémouleur:

"Depuis que notre demoiselle est partie, ça ne va plus"93.

Pour aider la famille à survivre, Amédée est accepté dans le groupe, et

Philomène lui dit: "Depuis que tu es ici, je revis"94. Il n'a pourtant pas le même

statut que les vrais membres de la famille, mais ce sera grâce à lui que la petite

communauté survivra et, à la fin, il partira après avoir assuré l'avenir de la

collectivité. Il commente: "Maintenant, tout est arrangé. Moi, je n'ai plus rien à

faire ici...Je vais prendre la route comme avant..."95. Comme Piquoiseau dans

Marius, son rôle est nécessaire pour l'économie de la pièce, mais c'est un marginal

qui ne fait pas vraiment partie de la communauté.

Cette collectivité est rurale, basée sur l'agriculture. Louis, mauvais garçon

de la ville, est ignoble car il mène le capitalisme de la ville jusqu'au bout, c'est-à-

dire, il est proxénète. Albin, par contre, est pur; il vient de là-haut. Puisque

l'harmonica remplace la parole dans sa communauté, c'est un contre-exemple de

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l'idéal pagnolien, et à la fin du film, la communauté sera un compromis entre la

pureté de la nature et le capitalisme du siècle. Albin le pur acceptera l'enfant de

père inconnu comme le sien et la descendance de la collectivité sera moins "pure"

mais plus sûre.96 Comme dans Topaze où le regard d'un honnête homme décide

l'inclusion ou l'exclusion d'un individu par sa réputation, nous constatons que dans

Angèle, c'est le mariage avec un honnête homme qui va réintégrer la fille-mère

dans la société patriarcale. Clarius sort avec son fusil pour empêcher le deuxième

départ d'Angèle, mais cette fois-ci, c'est Amédée, l'étranger, qui s'impose par sa

force physique (quoique, dans le film pagnolien, c'est Delmont, un acteur maigre,

qui joue ce rôle). Le patriarcat semble être en danger parce qu'on conteste le

pouvoir du pater familias. Aussi, Saturnin, pour la seule et unique fois, refuse de

suivre son maître et il n'accepte pas d'atteler le mulet.97 Pourtant, en réalité, c'est

un faux débat car toutes les lois sont celles du patriarcat.98

Amédée suggère à Albin de demander Angèle à son père pour bien

(re)commencer la nouvelle communauté; toute division du groupe sera ainsi

effacée. Angèle, Philomène, Saturnin, Amédée et l'enfant attendent donc la

décision des deux hommes de la communauté. D'ailleurs, Pagnol ajoute la

conversation entre Albin et Clarius (qui n'était pas dans le roman) au scénario. Le

jugement du jeune homme est ainsi entendu dans ces phrases: "Elle a mal fait;

mais vous, vous avez fait plus mal encore...Il faut avoir le coeur gâté pour

enfermer dans une cave un petit enfant!"99. Chez Pagnol, la communauté qui

existe au dénouement, comme celle de la trilogie marseillaise, est moins autoritaire

et plus indulgent à la fin, incorporant une nouvelle génération.

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Dans Angèle, la collectivité est élargie à la conclusion de l'oeuvre, et tout

en restant patriarcale, elle devient un peu plus courtois envers les femmes. Le

règne de Clarius au début est contrasté à celui d'Albin au dénouement.

Considérons quelques exemples pour voir la différence de ton entre la collectivité

au commencement et son évolution: (1) Au niveau du langage, Angèle vouvoie

son père et tutoie sa mère. Mais, tout naturellement et en peu de temps, Angèle

commence à tutoyer Albin.100 Les relations de distance qui séparaient Angèle de

son père disparaissent entre elle et Albin. (2) Les rapports entre Clarius et

Saturnin sont ceux du maître et de son esclave. Au début, Saturnin dit: "Vous

savez, pour moi, la vérité c'est ce qui vous fait plaisir"101. Saturnin suit les ordres

de Clarius, car celui-ci lui menace "Et pas un mot, sinon tu quittes la maison"102.

C'est grâce à Clarius qu'il vit, un fait que Clarius n'hésite pas à lui rappeler: "Fais

bien attention...Tu as mangé mon pain..."103. Mais quand il refuse d'aider son

maître à la fin, il fait preuve d'indépendance. C'est pourtant lui qui sait qu'il faut

demander Angèle à son père; il fait donc partie du vieil ordre du patriarcat, mais il

n'obéit plus. (3) Deux paysans viennent au début demander à Clarius de juger leur

affaire car"...la Justice, toi, tu l'as!"104. Clarius a ainsi le respect des autres et son

autorité est recherchée. Mais Albin le juge et le gronde à la fin du texte de Pagnol:

"...s'il [l'enfant] est bâtard pour son grand-père, c'est le grand-père qui est

bâtard"105. Il y a donc une évolution dans le point de vue masculin. (4) Clarius ne

veut pas l'enfant de sa fille parce qu'il "n'est pas de chez nous"106. Il décide de les

nourrir, Angèle et son bébé, mais en secret parce qu'ils représentent pour lui le

malheur et la honte.107 Comme Amédée explique à Albin, "...les gens de chez nous

sont très fins sur l'amour-propre, et sur la réputation"108. Dans la communauté des

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Barbaroux, le qu'en dira-t-on est important et la tradition du pays est d'enfermer la

fille. D'ailleurs, pour montrer sa tristesse, Clarius ne parle plus.109 Même la

pendule se tait110 et l'on défend au facteur de venir à la maison.111 La famille

devient donc isolée; les mots sont exclus et cela mène à la violence. Par contre,

dans le pays d'Albin, "[L]a montagne des muets"112, les commérages sont sans

importance. Pagnol semble contempler cet avantage d'une communauté sans

langue. Pour Albin, l'enfant est accepté immédiatement; sa réponse est: "Ça n'y

fait rien"113. Albin, le nouvel ordre de la collectivité, sait pardonner. Ce

compromis est essentiel pour que le groupe ait un avenir. L'enfant "bâtard" a

désormais un père et il fera ainsi partie de la collectivité. (5) Ce nouvel ordre

adoucit un peu le règne des hommes car l'exemple du pardon est déjà montré dans

le texte par Philomène, la mère heureuse de revoir sa fille. Elle est soumise,

pourtant, à son mari et sait qu'il faut lui demander pardon.114 Albin "respecte la

femme"115 et il s'oppose en cela et au père d'Angèle et à Louis, malfaiteur qui

profite des femmes. Même Saturnin, le fada, reconnaît quelque chose de bien en

lui: "Il a l'air bête, mais il parle bien"116. Albin parle peu, mais ce qu'il dit

représente un monde où chacun a le droit de s'exprimer.

Par exemple, avant de demander la main d'Angèle à Clarius, Albin veut

savoir si Angèle est d'accord pour ce mariage; il dit: "Mais il faudrait d'abord lui

demander à elle. Il faut que je lui parle"117. Il va donc fonder un groupe plus

égalitaire, un mouvement vers la pluralité des voix que nous avons déjà vu dans la

trilogie marseillaise. Cette société est plus inclusive; la preuve, c'est qu' Albin dit

à Angèle: "...je ne suis pas seul...Et toi, qu'est-ce que tu dis?"118. A la fin, Clarius

suit l'exemple d'Albin et demande à Philomène son avis sur le mariage de leur

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fille.119 Ensuite, il avoue qu'il avait peut-être tort.120 Et parce que la nouvelle

société pardonne les trangressions, Angèle regagne le droit d'apporter sa pipe au

père et de reprendre sa place dans la communauté.121 L'idée de demander l'avis de

la femme est déjà exprimée chez Giono,122 mais dans le roman, Angèle est

consultée parce qu'elle fait partie du lien entre la nature, les bêtes, et l'homme. Son

enfant est appelé "monsieur Pancrace"123 et il appartient, en effet, à la race de Pan,

dieu de la nature. Giono décrit Angèle ainsi: "Une femme comme ça, c'était un

morceau de la terre, le pareil d'un arbre, d'une colline, d'une rivière, d'une

montagne"124 La nature est ainsi opposée à la société des êtres humains et

Baumugnes, chez Giono, "...c'était un endroit où on avait refoulé des hommes hors

de la société. On les avait chassés; ils étaient redevenus sauvages avec la pureté et

la simplicité des bêtes"125. Puisque Clarius représente la civilisation intelligente,126

Giono suggère un retour vers la nature. "Le Clarius, tout intelligent qu'il était, tout

homme qu'il était, n'arrivait pas à faire du bonheur avec ça; et, pour la même

chose, il allait se flanquer à la Durance..."127. Le texte pagnolien, au lieu de

suggérer un retour à la nature, signale une évolution vers une autre communauté

plus indulgente et moins autoritaire. Cette communauté, toutefois, reste patriarcale

et rurale; bien que Pagnol montre très favorablement le Vieux-Port de Marseille

dans Marius, Fanny, et César, Marseille devient dans Angèle le lieu criminel qui

exploite les victimes et les dupes naïves.

Dans Angèle, les villes--et surtout les grandes villes--sont démystifiées.

Au début de l'histoire, Saturnin, naïf et fada, annonce à Angèle qu'elle ne devrait

pas se marier avec Elzéar le paysan, mais avec "un Monsieur de la ville"128.

Saturnin ne veut pas qu'elle reste toute sa vie dans une ferme; il préfère qu'elle

153

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choisisse un petit-bourgeois "qui a le col tous les jours"129 habitant dans une

commune comme Aubagne. Saturnin croit aux mythes des villes où l'on vit bien;

d'ailleurs, pour bien montrer cette opposition entre la ville et la campagne,

Saturnin arrivera plus tard à Marseille avec "une grosse brassée de genêts des

collines"130.

Le texte pagnolien, comme le roman de Giono, dénonce ensuite les dangers

et les abus de la ville moderne. Le représentant de la ville est Louis de La

Marsiale, celui qui cherche une femelle pour faire le trottoir devant l'Alcazar parce

qu'il n'aime pas le travail.131 Amédée croit qu'il s'éloigne de la police parce qu'il "a

dû faire quelque chose de sale"132. Ce mauvais garçon a pourtant appris à bien

parler et il annonce plus tard à Albin qu'il s'est servi de ce talent pour séduire

Angèle: "Je l'ai eue au boniment, quoi! Comme les autres. D'abord des mots,

puis des baisers, et puis le reste. Et maintenant j'en fais ce que je veux"133. Alors,

bien que la parole soit présente dans la plupart des textes pagnoliens pour lier les

gens du groupe, dans ce texte, elle devient dangereuse. Pagnol oppose "le Louis" à

Albin, le muet qui dit l'essentiel avec son harmonica.

Angèle sait que les mots peuvent être dangereux; elle dit à Louis: "Tandis

que les gens de la ville, souvent ils disent de belles choses; mais peut-être qu'ils ne

les pensent pas"134. Mais malgré son appréhension, elle ne résiste pas à cet

étranger qui ne plairait pas à ses parents parce qu'il "n'est pas du pays..."135. Albin

est aussi naïf que Saturnin, car il demande à Amédée: "Tu crois qu'une femme

comme elle peut écouter un homme comme lui?"136.

Pagnol nous donne ici un bon exemple de l'influence néfaste des mots tout

en affirmant le pouvoir absolu des mots. Pour Giono, la séduction d'Angèle est

154

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due non pas à la parole, mais à l'animalité de notre nature. Dans le roman, Albin

raconte que "le Louis" "(l'avai[t]) eue, brusquement, avec une bonne gifle, et les

mots qu'il faut pour parler aux bêtes..."137. Et il conclut: "Il avait su parler à la

bête"138.

Quand la scène change et l'on se trouve à Marseille, le mot "putain" est

finalement prononcé. Lorsque "le Louis" parlait de ses projets pour Angèle, il

employait des euphémismes, mais une fois arrivée à la dégradation de la ville, le

mot se dit.139

On voit ici une Marseille très différente de celle de la trilogie. Au lieu de

la partie de cartes des quatre copains du Bar de la Marine, Louis joue aux cartes

dans un café "avec des personnages inquiétants"140. Cette ville n'est pas fière de

son port et du Pont Transbordeur; c'est un endroit où les excès du capitalisme

règnent. Angèle, devenue prostituée, s'appelle Mireille.141 La prostitution est sans

doute le métier le plus 'sale' du monde, et l'histoire de Giono sert très bien le style

pagnolien car, comme nous avons déjà vu, une des caractéristiques du style de

Pagnol est de confondre le sens 'propre' et le sens figuré d'une expression. La

prostitution dans Angèle est l'image de toutes les victimes des grandes villes et de

leur commerce.

Angèle avoue à Florence qu'elle ne savait pas qu'elle serait putain quand

elle est venue à Marseille avec Louis.142 Le rémouleur explique plus tard à

Saturnin qu'il a vu Angèle dans la ville, sur le trottoir et qu'elle l'a invité à venir

chez elle. Le spectateur comprend comment interpréter ces remarques,143 mais la

naïveté de Saturnin l'empêche de voir clair. Comme Topaze, Saturnin (les deux

rôles, d'ailleurs, sont joués par Fernandel) ne comprend pas les signes de la

155

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société; quand celui-ci entend qu'Angèle était bien habillée et portait un chapeau, il

comprend qu'elle avait "fait un riche mariage avec un Monsieur de la ville"144. Et

littéralement, le valet ne sait pas lire.145

Tandis que le commerce est une valeur positive dans la trilogie

marseillaise, on voit le revers de la médaille dans Angèle. Comme Marius,

d'ailleurs, la femme ne travaille pas bien parce qu'elle "n'a pas le caractère à faire

ce métier-là"146. Elle ne pourra pas faire partie de cette communauté d'exploitants

parce qu'elle va à l'église. Ce quartier est opposé à Baumugnes, pays pur là-haut;

c'est la pureté qui gagnera, mais en passant d'abord par les éléments les plus bas de

la société. La communauté pagnolienne contient des points de vue opposés.

Quand Pagnol compare la ville et la campagne, il ne prend donc pas

comme exemple le quartier des commerçants du Vieux-Port; dans Angèle, son

bébé en ville devient, comme explique Florence, "un gros dérangement, surtout

dans ce métier"147. Un tatoué dans un café dit à Louis de mettre l'enfant d'Angèle

"en nourrice, à la campagne. Qu'il soit bien nourri, qu'il soit au bon air..."148. Il lui

dit d'expliquer ensuite à la mère qu'un tiers de tout ce qu'elle gagne sera pour le

petit et elle travaillera plus.149 Après qu'Angèle revient avec Saturnin chez elle,

son père accepte de la nourrir à condition qu'elle soit cachée; il dit à Philomène:

"Et souvenez-vous que personne ici ne doit savoir cette honte qui nous vient de la

ville"150. Albin, le patriarche du nouvel ordre de la campagne, a la même opinion

des villes; il dit: "...vous êtes allée à la ville: il n'y a rien de bon dans les

villes..."151. Ensuite, il compare l'eau "tiède, lourde, lente" d'un canal de Marseille

au ruisseau d'eau pure à la montagne. Angèle et Louis discutent l'air des villes

avant d'aller à Marseille; le garçon dit: "Respirer de la fumée...C'est mauvais pour

156

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les poumons"152. Puis, il compare Angèle à une fleur: "...vous, vous êtes belle

naturellement, vous êtes comme une fleur de la colline..."153. Il existe donc une

opposition permanente entre la ville et la campagne, mais dans le texte pagnolien,

ce contraste décrit deux sortes de communauté dont on a le choix--celle des gens

comme Louis ou l'autre, celle représentée par l'honnête Albin.154

Chez Giono, l'opposition entre la ville polluée et la campagne pure

s'accorde avec son style lyrique; le ton n'est pas celui de la conversation

pagnolienne. Giono chante l'éloge de la Terre (après tout, il s'agit de la trilogie de

Pan) et son lien profond aux hommes et aux bêtes.

La description de la musique d'harmonica d'Albin dans le roman gionien

est "la voix de la montagne..." car la "monica de Baumugnes" guérit "tous ceux qui

sont de la terre..."155. Selon Pierre Citron, l'harmonica dans ce roman est "une

forme populaire moderne de la flûte si fréquente dans les poèmes en prose de

Giono...La flûte et l'harmonica, qui figurent dans l'œuvre, donnent naissance à des

sons grâce au souffle humain..."156 comme celle de Pan, évidemment. Angèle est

donc séduite par la vraie voix de la nature après avoir suivi la fausse voix de Louis

vers la ville. Et la voix d'Albin est "comme le vent, la parole des arbres, des

herbes, des montagnes et des ciels"157. Par contre, dans le film de Pagnol, cette

musique sert à trouver Angèle et à recommencer la communauté; ce n'est ni la voix

de la nature ni du vent.

La musique d'Albin, associée à la nature, "vient de ce qu'on n'a pas

d'instruction..."158; la nature de Giono est donc opposée à toute culture humaine.

Dans le roman de Giono, le rôle de Saturnin est de protéger le mulet,159 tandis que

chez Pagnol, c'est Angèle qu'il surveille.

157

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Angèle est aimée, d'ailleurs, par Albin car: "Il n'y avait qu'à voir comme

elle se comportait avec l'attelage. On ne peut pas être d'une sorte avec les bêtes et

d'une autre sorte avec soi-même"160. Angèle et Albin s'aimaient "comme des gens

libres. Vous me direz: 'comme des bêtes'; et puis après?"161. Ce qui est valorisé

dans l'oeuvre de Giono, c'est la nature et son lien avec notre animalité; par contre,

dans la communauté pagnolienne, c'est le lien entre les êtres humains qui compte,

et la colle des relations humaines, c'est la parole.

Dans la société établie dans les oeuvres de Marcel Pagnol, la collectivité

est en bonne santé si les points de vue opposés peuvent s'exprimer. Dans Angèle,

il y a une scène précurseur des scènes développées au début de La Femme du

boulanger. Sous un olivier dans le pré, Clarius est réclamé comme juge par deux

paysans qui se disputent pour une question d'argent. Leurs positions sont

interchangeables, preuve que le fait de s'opposer à quelqu'un est l'essentiel de

l'affaire et non pas la position qu'on prend. Nous voyons que la seule différence

entre le commencment de la discussion et sa fin est que chaque paysan change de

place. Roumanières explique à Clarius que puisqu'ils sont fâchés à mort, ils ne se

parlent plus: "Nous sommes venus ensemble, mais nous ne nous sommes pas

parlé"162. Voilà donc ce qui arrive quand il y a une querelle--un danger apparaît

dans la communauté et les gens du groupe ne sont plus liés les uns aux autres. Dès

qu'ils recommencent à se parler, le problème est vite résolu.163 Il est donc

prioritaire que la parole soit libre dans la collectivité pagnolienne. Si Clarius est

recherché pour juger les affaires des autres, nous comprenons que le système du

patriarcat lui donne le droit de monologuer à la maison. Angèle, comme Marius,

ne peut rien dire en face du père et pour s'exprimer, il faut qu'elle prenne la fuite.

158

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Comparons ce que son père lui dit quand elle retourne: "Allez, et ne m'en parlez

plus jamais"164 à ce que son futur époux lui dit ("Continuez, demoiselle, sans vous

commander..."165, et nous voyons que la communauté basée sur les règles d'Albin

permet le libre échange de la parole.

La parole est non seulement libre à circuler dans le groupe, mais le plaisir

de raconter existe. Dans le film de Pagnol, c'est Saturnin qui incarne cette joie; les

répétitions dont il se sert l'occupent et il est capable de répéter les mêmes mots

plusieurs fois de suite pour le plaisir de les dire et de les entendre tandis que dans

le texte de Giono, c'est le rire de Saturnin qui frappe.166 Chez Giono, Amédée

remarque que ce n'est pas propre pour les propriétaires de partir pour la journée et

de fermer à clé les portes. Il veut que le valet lui raconte ce qui se passe dans la

ferme. Saturnin dit deux fois: "Je vais te dire..." sans finir la phrase dans le texte

gionien,167 mais dans le texte de Marcel Pagnol, il ajoute: "Tiens, je te le dis

pas"168. Evidemment, cela ajoute au comique du personnage, mais cela fait partie

aussi de son caractère et du caractère du dialogue obligatoire dans les textes

pagnoliens. (Nous verrons plus tard l'importance de Saturnin dans la

communauté.)

La parole, dans cette œuvre, est souvent associée au plaisir. Quand

Amédée explique à Albin que la fermière Esménarde a besoin de "conversation"169,

il parle de l'amour. Après avoir demandé si son mari est là, il annonce:

"Tiens...J'ai envie d'aller lui dire bonjour..."170. Nous voyons donc un autre

exemple du sens figuré qui remplace le sens littéral chez Pagnol et qui lie la parole

au plaisir.

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Ce sont les mots qui mènent à l'acte sexuel. Louis séduit Angèle par des

boniments. Il lui demande de "parler une heure" avant de partir171 et il réussit la

séduction. Comme Angèle explique, les garçons de la campagne "n'osent pas

parler aux filles"172. Albin le pur, par exemple, n'ose même pas dire le mot

"prostitution"; il demande à Louis: "Tu veux lui faire faire le métier que tu

disais?"173.

Alors puisque la parole est liée au plaisir, les mots sont parfois dangereux.

Les boniments et le sifflement de Louis sont opposés à la voix pure de la nature et

à la musique d'Albin. Le sifflement est pour appeler les bêtes et les boniments

sont destinés à séduire, à endormir l'esprit de la fille pour qu'elle fasse attention à

son corps. Quand Albin va avertir Angèle du malheur qui l'attend en ville, elle

entend un coup de sifflet dans la nuit, et comme une chèvre, elle suit son bouc.174

Par contre, quand Amédée ne peut pas trouver Angèle, c'est Albin qui la

trouve avec "la voix" de son harmonica. Tout le monde (Clarius, Amédée,

Saturnin et Angèle), sauf Philomène,175 entend cette musique; pour Giono, c'est

comme "l'expression de la vérité bien en face"176. Pour Pagnol, c'est un appel de

danger aux hommes du groupe, car un étranger cherche la seule femelle

disponible; c'est un acte qui peut dissoudre la collectivité. Cette voix pure de la

nature a aussi un élément de danger--comme les boniments--parce que les femmes

sont à l'écoute de leur corps et entendent différemment la parole. Si une femme du

groupe s'en va, la survie du groupe est en danger.

Quand on désapprouve les actions d'un autre membre de la communauté,

on se retire la parole et la cohésion de la collectivité est menacée. Nous avons déjà

vu la dispute entre les deux paysans, Roumanières et Bellugues, qui finit par le

160

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silence entre eux. Clarius ne veut pas juger leur affaire parce que la dernière fois

qu'il a fait le juge, le petit de Caderousse a dit qu'il avait mal jugé, il s'est fâché

contre lui, et: "il ne [lui] parle plus. Il [lui] a retiré la parole"177. La punition d'une

colère contre quelqu'un est de ne plus lui parler.

L'exemple extrême de cette tyrannie de la parole résulterait dans une guerre

où une nation opprimerait une autre. Or, Albin et son harmonica sont des

survivants de ce manque de liberté de la parole. Les "autres...ont coupé le bout de

la langue, pour qu'ils ne puissent plus chanter le cantique..." aux protestants de

Baumugnes.178 Il est donc évident que la liberté de la parole lie les membres de la

communauté et dans l'absence de cet échange libre, l'avenir du groupe n'est pas

certain.

Le rôle de Saturnin prend de l'ampleur dans le film de Marcel Pagnol en

comparaison avec le roman de Jean Giono. Comme chez Giono, le valet fait partie

de la famille tout en étant considéré comme acquis; il est associé à la famille

comme une bête de somme. Mais dans le texte pagnolien, il est jeune et sa

jeunesse et son énergie lui donnent davantage de vitalité et de présence.179 Le rire

omniprésent et agaçant dans le texte de Giono est remplacé par la parole et le

mensonge dans le texte de Pagnol. Et finalement, dans le film, Saturnin aide

Amédée à faire avancer l'histoire, exactement comme les valets des comédies

classiques.

Saturnin fait partie de la famille de la ferme et il en a conscience tout en

restant reconnaissant au maître qui l'a accueilli: "Oui, c'est vrai que je suis un

enfant de l'Assistance publique et que c'est Maître Clarius qui m'a élevé, et que je

leur dois tout..."180. Quand Amédée veut le faire parler d'Angèle, le valet s'enfuit.

161

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Amédée le décrit ainsi dans le roman de Giono: "...il était de la famille, plus que

s'il en avait eu le sang et la chair...Et pourtant, il n'était rien; il était Saturnin"181.

Dans le film de Pagnol, Amédée lui dit directement: "Toi, tu es un valet à

l'ancienne mode. Tu es de la famille, plus que si tu avais la viande et le sang...Et

pourtant, tu n'es rien...Tu es Saturnin..."182. En changeant du style indirect au style

direct, la présence du valet est accentuée. Et bien qu'on puisse lui dire: "Saturnin,

voilà ton compte. On n'a plus besoin de toi, file!" et quoiqu'Amédée note: "Voilà

comment je les aime, les hommes. Ah, il y en a bien encore quelques-uns de ce

genre par ici. Ça console des autres"183, il est celui qui ramène la fille perdue pour

réunir le groupe familial. Il la ramène dans le film de Pagnol, car dans le roman de

Giono, nous ne savons pas comment elle est retournée à la ferme. Quand il revient

à la ferme avec Angèle, Saturnin dit à Clarius: "Maître, tu es bon avec tous,

maître...Sois bon avec les tiens..."184. Clarius lui coupe la parole en répondant:

"Lève-toi de là, sans famille"185. Saturnin est toujours exclu et inclus à la fois, car

celui qui brave tout pour rassembler la famille est traité comme on traite un animal

de la ferme. Son nom est même mentionné comme s'il était un animal dans

l'œuvre de Giono: "...nous avons un mulet et Saturnin, mais, Saturnin, n'y

comptons guère"186.

Le film de Pagnol est encadré par Saturnin; il récite la fable du cochon au

début et termine le film en chassant deux poulets. L'histoire d'Angèle a un

parallèle dans le monde animalier (nous verrons plus tard la fable) pour souligner

la bêtise et ici, la cruauté des hommes. L'importance donnée à Saturnin dans

l'Angèle de Pagnol montre que quoique Saturnin soit considéré comme un être à

part, la seule famille qu'il connaisse est celle des Barbaroux et il fait tout pour

162

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garder une collectivité unie. Aussi "fada" qu'il soit, c'est le plus sage parce qu'il

reconnaît la valeur de la communauté.

Chez Pagnol, Saturnin participe à la communauté, tandis que dans le roman

de Giono, Amédée dit de lui: "Sa maladie c'était le rire. Y pouvait pas

s'empêcher de rire..."187. Et ce rire est "plutôt désagréable"188. Mais le Saturnin de

Pagnol est différent; il continue de rire, mais il parle aussi. Et sa spécialité, c'est le

mensonge. Saturnin est le précurseur de Maillefer dans La femme du boulanger;

c'est un conteur et une mise-en-abyme de l'auteur.

Saturnin n'a pas peur de mentir: "Tu me diras qu'on a tort de dire des

mensonges; mais dans la vie, des fois, il faut être plus fin que les gens!"189. Le

rémouleur considère les "mensonges" de Saturnin des "illusions"190, et il n'a pas

tort parce que le valet raconte le monde comme il aimerait qu'il soit; c'est un

idéaliste et en cela, il ressemble à Topaze, à Marius, au boulanger et au petit

Marcel, le narrateur des Souvenirs d'enfance.

Le conteur ne se concerne pas trop de la vérité, comme Saturnin qui dit à

Florence: "...je vais lui dire que tout va bien...Même si c'est pas vrai, je lui

dirai..."191. Toutes ces finesses de la langue--d'ailleurs, Saturnin les appelle "[des]

mensonge[s] de finesse"192--sont ajoutées par Pagnol au valet silencieux et rieur de

Giono. C'est le conteur qui fait la mise-en-scène et la narration de l'histoire

d'Angèle est garantie par Saturnin. Quand il ne sait pas, il invente. Il joue avec les

stéréotypes (comme les personnages marseillais de Fanny) en disant qu'Angèle est

en Amérique: "Là-bas, à ce qu'il paraît qu'ils parlent tous anglais. Oui, et ils

fument tous le cigare. Oui, et ils sont presque tous à cheval. C'est terrible, ça. Tu

vois bien que ce sont des choses que j'inventerais pas; parce que moi, l'Amérique,

163

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je peux te jurer que j'y suis jamais été"193. Cette description de la vie en Amérique

est une parodie des types vus dans les films américains de l'époque.

Saturnin est un conteur moderne (à la Faulkner, dans The Sound and the

Fury) car il est fou, illettré et incapable de voir la différence entre le sens littéral et

le sens figuré de la langue. Quand la prostituée Florence lui dit: "Attends, voilà

un client." Il répond: "Oh! Vous êtes dans le commerce?"194. Le quiproquo

évident au public ne l'est pas pour Saturnin. Il faut qu'Angèle lui explique très

directement: "Saturnin, tu vois ce que je suis: une fille des rues"195. Pourtant, il

poétise le monde, comme l'artiste, (en cela, il ressemble à Jean des Figues, par

Paul Arène car c'est son imagination qui l'emporte) en voyant les choses à sa

façon; il raconte, par exemple, à Angèle: "Ecoute, ce qui t'arrive en ce moment,

voilà comment je me le comprends...C'est comme si on me disait: 'Notre Angèle

est tombée dans un trou de fumier.' Alors moi j'irais, et je te prendrais dans mes

bras, et je te laverais bien...Je te ferais propre comme l'eau, et tu serais aussi belle

qu'avant. Parce que, tu sais, l'amitié, ça rapproprie tout..."196. Notons en passant le

sens à la lettre (rendre propre) que Saturnin emploie et le sens moderne (se ré-

approprier...).

Dans son rôle de conteur, Saturnin commence et termine le récit. Dans la

première scène du film, Pagnol ajoute sa fable à l'histoire de Jean Giono. Si l'on

analyse le champ sémantique du récit gionien, on est étonné de trouver beaucoup

de vocabulaire associé aux porcs--des mentions généralement d'ordre figurées,

mais d'autres emplois aussi: "...je me dis: 'mon vieux cochon....'" "Cette

cochonnerie de travail...," "...tu as eu raison d'en parler à la vieille couenne que je

suis...," "...je dis des couenneries." "Je m'étais dis: 'Amédée, si tu n'es pas le fichu

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porc que tu es...,'" "La bienvenue, ce fut une sacrée saloperie de cochonnerie...,"

"...vieille couenne." "L'Adolphe était sous la table à ronfler comme un porc...,"

"En fait de cochons...." "Saturnin avec son nid de vieux sanglier...," "Ah mon

cochon!", "'Amédée, oh, belle andouille!'", "Andouille que je suis!", "Bande

d'andouilles!", "Et le vieil andouille avec son fusil dans l'ombre!", "et cet andouille

de Saturnin."197

Il y a aussi des mentions littérales du vocabulaire porcin, comme: "Méfie-

toi: y a une truie qui mord...." "Puis, l'andouillette tomba dans la braise...," "et on

mangea l'andouillette." "Il commençait à grogner à la manière des petits porcs...,"

"un bout de jambon...," "l'autre, là-haut, qui engrenait les porcs," "mon Albin qui

donnait aux cochons"198.

Dans le scénario de Pagnol, Amédée dit que Louis, "...c'est un cochon"199.

Cette remarque sert de lien entre la fable racontée au début par Saturnin et

l'histoire d'Angèle, car c'est la fable qui informe le film de Pagnol et montre le

point de vue de l'auteur.

La fable

Comme nous avons déjà vu dans Topaze (l'histoire du chimpanzé) aussi

bien que dans La Trilogie Marseillaise (le conte de la tante Zoé), le texte pagnolien

contient généralement une anecdote parallèle ayant des personnages animaliers et

une morale; elle ressemble fort à une fable.

L'histoire de la truie et du verrat, contée par Saturnin, jette une lumière sur

les idées de l'auteur en même temps qu'elle se sert du vocabulaire de Giono pour

encadrer toute l'histoire d'Angèle en montrant notre nature fondalement bestiale.

165

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Dans le récit du valet, Saturnin refuse de prêter leur verrat à la truie du Félix une

cinquième fois pour la féconder. Saturnin ne veut pas qu'on fatigue leur porc et il

répond à Félix: "Ta truie est une cochonne et elle va nous le [le verrat] tuer"200.

Le valet fidèle ne permet pas qu'on insulte un membre de leur famille: "...je veux

pas qu'on dise du mal d'aucune personne de la famille et surtout de notre

verrat!"201. Le débat entre Saturnin et Félix concerne les deux questions qui seront

posées plus tard au sujet d'Angèle: (1) la survie de la race, et (2) le rapport entre

la survie et l'argent. Félix a payé la première fois l'union de sa truie avec le verrat

des Barbaroux; il y a une comparaison implicite entre cet acte et la prostitution

d'Angèle.

La fable, située cette fois-ci tout au début du film, nous présente, sur un ton

comique, la grille nécessaire pour comprendre l'histoire; au commencement,

Saturnin défend le verrat verbalement, il donne un coup de pied à la truie, et il finit

par entrer littéralement "chez le verrat"202. Quand il va voir Angèle à Marseille, il

lui dit que la famille se porte bien et il ajoute: "Le verrat aussi se porte bien..."203.

L'association d'idées est évidente, car explicite.

Dans la fable animalière, Félix et Saturnin disputent la reproduction de la

truie--comme Clarius, Louis et Albin verront différemment le bébé d'Angèle. Pour

Clarius, c'est la honte de la famille parce qu'il n'a pas de père; pour Louis, l'enfant

"lui a fait perdre cinq ou six mois..."204 d'argent et c'est un détriment aux bénéfices

du proxénète. Par contre, pour Albin, cet enfant est l'avenir de la communauté.

La truie de Félix n'est pas fécondée, et si elle ne produit pas de cochonnets,

elle n'aura pas de valeur; dans la société capitaliste, les produits animaliers ont une

valeur, tandis que dans le commerce humain, "un enfant, c'est un gros

166

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dérangement, surtout dans ce métier"205. Le seul lieu où cet enfant vaut quelque

chose est dans la communauté qui se formera à partir de l'union entre Angèle et

Albin. C'est une communauté idéaliste, là-haut, composée d'anges (voilà pourquoi

il y a le nom "Angèle") et d'hommes purs.

Le plaisir sexuel n'est pas toléré dans la collectivité de Pagnol parce que

c'est une force qui pourrait diviser les hommes du groupe. Parlant d'Angèle, un

des proxénètes annonce: "Elle n'a pas le caractère à faire ce métier-là"206. Il y a

une comparaison implicite entre Angèle et la truie de la fable qui, elle, est

"cochonne"207. Encore une fois, chez Pagnol, nous voyons que littéralement et

figurativement, les deux sens sont vrais.

Le personnage de Saturnin ressemble au verrat car il ne produit pas

d'enfants. Pour la communauté, est-ce qu'un homme sans enfants est "bon à

rien"?208 La question se pose, et en ceci, Angèle semble contenir une suite à la

méditation de Jofroi. Saturnin, tout en défendant les reins du verrat, appelle Félix

un menteur. Ensuite, Félix lui dit que c'est un enfant de l'Assistance publique.209

Cette réplique n'est pas logique, sauf à un niveau subconscient, parce qu'elle a à

voir avec l'appartenance au groupe. Mais Saturnin croit qu'il fait partie de la

collectivité parce qu'il a été élévé et protégé par Clarius.

Dans la grammaire de Saturnin, il y a une anticipation de la scène dans La

Femme du boulanger où les pronoms de la femme et de Pomponnette se

confondent. Ici, Saturnin dit: "...et comme il venait de tourner le dos avec sa truie,

moi je lui fous un coup de pied au derrière." Philomène demande: "A Félix?"

Saturnin clarifie: "Non, à la truie"210. (Il est à remarquer que plus tard, Saturnin

agit très différemment avec Angèle.) Alors, après une discussion au sujet de

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l'argent et de la descendance, la violence peut suivre. Toutes les questions traitées

dans le texte sont donc abordées dans la fable qui commence le film.

Comme dit Amédée: "Avec les femmes, on ne sait jamais!"211. Une

femme peut détruire l'unité d'un groupe et l'ordre de la communauté.

Puisqu'Angèle s'appelle Mireille quand elle est prostituée à Marseille, on peut lire

ce film comme une allégorie de la Provence qui se prostitue en s'adaptant à une

économie de la ville, car Mireille est le nom de l'héroïne du poème épique

provençal de Frédéric Mistral (publié en 1859), célèbre félibrige qui a reçu le Prix

Nobel en 1904.

Alors, si Pagnol est de plus en plus près de cerner l'idée de la communauté

en la réduisant à une famille qui vit en harmonie avec la terre en Provence (dans

Angèle), il explore la question du groupe en allant jusqu'au bout dans Regain.

Regain

Regain, réalisé en 1937 d'après le roman de Jean Giono, pousse aussi loin

que possible la longue interrogation faite par Marcel Pagnol à travers ses pièces et

ses films sur la place de l'individu dans la société humaine. Dans le roman gionien

du même nom, il s'agit d'un village, Aubignane, en ruines et abandonné, dans la

Haute-Provence. Selon Pierre Citron, le même schéma d'Un de Baumugnes

reparaît: Panturle, montagnard comme Albin, sauve Arsule qui est prisonnière de

Gédémus, comme Albin a sauvé Angèle séquestrée par son père. Ni l'un ni l'autre

ne s'inquiète du passé de la fille "déchue." Leur amour a quelque chose d'animal,

d'hommes peu civilisés. Les deux héros sont sauvages et purs comme des bêtes.

Arsule humanise la maison de Panturle qui, à son tour, laboure et produit du blé

qui fera revivre Aubignane. De nouveaux habitants viennent s'y installer et Arsule

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se trouve enceinte à la fin. Aubignane est un univers clos (comme la ferme des

Barbaroux dans Angèle) et le village est menacé de disparition par l'exode de ses

habitants. De la culture, il est retourné au primitivisme d'une civilisation de

chasseurs. La vie économique est simple car basée sur le troc du milieu rural. La

nature devient un personnage et les descriptions de Giono sont lyriques.212

Tous les critiques sont d'accord en disant que ce film est très différent des

autres films de Pagnol. Castans, par exemple, reconnaît que Pagnol ne se sentait

pas à l'aise dans "le grandiose et l'épique" de Regain et il se demande si Pagnol ne

s'est pas trop "'gionisé.'"213 Claude Beylie parle d'un "minimum de personnages,

un dialogue moins abondant que de coutume et plus 'fonctionnel', des cadrages et

des mouvements d'appareil plus élaborés afin de mettre en valeur le paysage,

principal héros du drame...." Il ajoute que même les effets comiques ont "une

résonance insolite, voire fantastique"214. Tout le monde croit que l'interprète

masculin, Gabriel Gabrio, est trop distingué. C. E. J. Caldicott voit, comme Beylie

et Citron, des similarités entre Un de Baumugnes (Angèle) et Regain, mais il

commente le fait que Pagnol est irrésistiblement attiré vers des personnages

superfétatoires et des dialogues spirituels. Selon Caldicott, Pagnol raconte

fidèlement l'histoire de Giono, mais en accentuant d'autres aspects du récit: (1) la

fille-mère--ou la mère naturelle (Fanny, Angèle, Arsule)--est non seulement une

expression de l'amour naturel, mais aussi, chez Giono--mais non pas chez Pagnol--

un lien entre les êtres humains et la nature. (2) Pagnol, en supprimant le dialogue

et en le remplaçant par la musique de Honegger dans la dernière séquence, traduit

le ton lyrique du roman.215 Quand Beylie et Delahaye décrivent ce film comme

ayant une texture "littéraire"216, il s'agit probablement du changement de ton; celui-

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ci devient plus sérieux et semble hors du caractère de son auteur, qui ne manque

pourtant pas d'occasions pour exprimer son point de vue. Mais normalement, cette

opinion de Pagnol concerne une question de morale; ici, il s'agit de la survie de

notre culture.

Regain diffère beaucoup des autres films pagnoliens et les différences entre

son film et le roman de Giono sont aussi profondes que subtiles quoique l'histoire

ne change pas et souvent Pagnol reprenne le même dialogue gionien. Remarquons

d'abord que cette fois-ci le titre reste (bien que Castans et Beylie mentionnent que

Pagnol aurait souhaité le changer à Arsule.).217 Beylie appelle le titre Regain "une

ample métaphore, qui englobe tous les personnages dans un élan passionné de

palingénésie"218. Et Citron explique que les trois romans de la trilogie de Pan par

Giono sont liés principalement par "l'affirmation de l'aspect panique de la terre, et

du double visage de Pan, terrifiant et fraternel..."219. Dans le roman de Giono,

l'aspect duel de la nature est omniprésent, mais bien que Beylie ait raison à

première vue, je vais suggérer que le titre Regain montre toute la subversion

pagnolienne du texte de Giono.

Ce que la plupart des critiques sentent--une certaine réserve ou malaise au

sujet de ce film--n'est pas à cause des acteurs ou de leur style,220 ni à cause de

l'adoption de la dimension épique,221 ni à cause du fait que Pagnol s'est

"'gionisé,'"222 mais tout est dans le texte lui-même.

Nous avons vu que dans toutes les œuvres précédentes de Pagnol, le titre

indique, selon l'auteur lui-même, le centre d'intérêt. J'ai montré que le personnage

du titre est le centre d'intérêt parce que c'est celui qui risque de détruire la

communauté. (Voir: Topaze, Marius, Fanny, César, Jofroi, Angèle, Le

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Schpountz, La Femme du boulanger, La Fille du puisatier, Manon des Sources, et

l'enfant des Souvenirs d'enfance--c'est-à-dire, toutes les œuvres de sa maturité,

sauf Jazz, mais c'est un titre imposé.) Or, dans Regain, le titre incarne une idée et

devient ainsi symbolique, mais au lieu de représenter l'"élan passionné de

palingénésie"223, il est clair que si l'on compare cette oeuvre aux autres par Pagnol,

le titre exprime non pas une passion de régénération, mais une menace de

disparition de la culture humaine. La nature dualiste du roman, "terrifiant et

fraternel," selon Citron,224 change et devient, chez Pagnol, une force ennemie qui

risque tout simplement de détruire la communauté humaine. Dans ce film, ce qui

met en danger la survie du village est l'absence de regain, cette "herbe qui repousse

dans une prairie après la première coupe"225. Si, après le dépeuplement d'un

hameau et l'abandon de ses cultures, la collectivité ne sait pas se reproduire, la

société humaine deviendra aussi primitive que Panturle au début de ce récit.

La communauté

Au début du roman et du film, trois habitants sont encore là-haut, à

Aubignane: (1) Gaubert, le vieux forgeron, (2) la Mamèche, veuve piémontaise

qui est restée dans le village où son mari est mort il y a quarante ans en creusant le

puits, et où son bébé est mort quelques années après, ayant mangé de la ciguë, et

(3) Panturle, un homme de quarante ans. Notons qu'il n'y a pas beaucoup de

changements dans l'histoire elle-même entre le texte de Giono et celui de Pagnol.

Dans le scénario de Pagnol, l'oncle Joseph dit: "Le facteur n'y va même plus..."226

pour nous annoncer que la parole écrite est aussi interdite que la circulation de la

parole verbale est limitée. Dans ce groupement des trois personnages qui restent

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au village, on peut voir la configuration de la dernière famille de la race humaine:

le père, la mère, et l'enfant.

Le percepteur, un des passagers de la diligence qui monte au village

d'Aubignane, dit: "Ça a l'air tout mort"227. L'oncle Joseph donne la description

suivante: "Il y a des arbres dans les maisons, et ça s'écroule de tous les côtés"228.

La nature reprend ses droits, le village est en voie de disparition, et le cocher

ajoute: "...nous allons tourner à droite, pour redescendre vers les pays

civilisés..."229. Aubignane est donc à la limite de la civilisation humaine, et les

questions abordées par Pagnol dans Jofroi et Angèle atteindront leur point

culminant dans Regain où nous découvrons une collectivité réduite (au

commencement du texte) aux deux parents et à un enfant d'âge adulte. Ce petit

groupement va disparaître si la communauté humaine ne se régénère pas et ne

domine pas la nature qui la menace.

Ces trois personnages--Gaubert, la Mamèche et Panturle--sont ceux qui

vont mener le combat contre la nature qui envahit le village (la didascalie est "Au

bord des rues pleines d'herbes il y a de grands murs en ruine...").230 Ces herbes

détruisent ce que les hommes ont construit ("Il paraît que notre chemin s'est tout

écrasé au fond du ravin...")231 et menacent la survie de la collectivité humaine.

Comme Panturle explique à Arsule: "...je suis le dernier, n'est-ce pas? Tant que je

serai là-haut, c'est un village...Si je partais, ça ne serait plus un village...Ça serait

des pierres mortes..."232. Alors, ce texte de Giono s'accorde assez bien avec les

idées de Pagnol car il présuppose que la famille est à la base de la communauté

humaine.

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Gaubert, le père qui figure dans cette famille virtuelle, est obligé par son

fils, Jasmin, (il s'appelle Joseph chez Giono) de quitter Aubignane pour aller vivre

dans la plaine avec lui et sa famille. Puisque Gaubert est le responsable de la

charrue (il en a fait environ trois cents),233 instrument symbolisant la domination de

la terre par l'homme, on peut supposer que le village régressera à un état primitif.

Et Jasmin pose la question suivante à Panturle au moment où Gaubert va s'installer

dans la plaine: "Et toi, tu veux rester sauvage toute la vie, alors?"234. La question

précédente n'existe pas dans le roman de Giono; là, Gaubert pose ses mains sur

l'enclume qui est entre ses jambes; il la caresse et il est heureux--suggestion

sexuelle de puissance et de fertilité?235 Alors, celui qui est reponsable de labourer

la terre s'en va et il semble que la nature va gagner la bataille.

La Mamèche est associée avec l'eau, la source de la vie. Elle a perdu son

mari, puisatier piémontais, quand il est descendu creuser le puits du village. Il est

donc mort luttant contre cette terre dangereuse. En plus, leur petit est mort après

avoir mangé de la ciguë dans l'herbe près du ruisseau.236 Puisque la Mamèche est

vieille et sans enfant, on peut supposer la fin de cette communauté; elle encourage

Panturle de trouver une femme, elle l'appelle "mon fils"237, et elle explique:

"...quand nous serons partis, ça fera du bois sauvage, et ça sera tout effacé"238.

La lutte entre la civilisation humaine et la nature sauvage est donc établie.

Gaubert va vivre avec son fils fonctionnaire; le père représente la culture de la

terre qui s'en va en ville. La Mamèche est à mi-chemin entre la culture et les

forces de la nature. Tout ce qu'elle aime est devenu de l'herbe et de la terre,239 mais

elle veut que le village continue à exister. Elle ressemble physiquement à une

sorcière (elle apparaîtra encore dans Manon des Sources) et elle part dans le

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paysage comme le vent pour essayer de diriger Arsule vers Panturle. Selon la

didascalie "Sur le parapet, la Mamèche danse, une torche à la main. Elle chante

une sorte de chanson barbare"240. Dans le roman de Giono, le vent personnifié

entre dans le corsage d'Arsule et la caresse;241 dans le film de Pagnol, par contre,

Arsule dit: "...c'est un drôle de vent...Un vent qui fait l'homme..."242. Pagnol

représente visuellement par la Mamèche ce que Giono suggère comme une

sensation. La scène de Pagnol est moins sensuelle et plus langagière, moins

ressentie et plus illustrée.

Le village est donc déserté à l'exception de Panturle, "l'homme des bois"

primitif.243 Il est chasseur et il échange ses fourrures contre des pommes de

terre.244 C'est un homme qui vit dans la nature sans toutefois la dominer. Il

participe à une économie de troc et il est dans un état de régression comparé à une

économie de cultures où les éléments de la nature servent les hommes.

Panturle est rustre parce qu'il vit seul. Plus tard, il explique à Arsule:

"...quand on est seul, qu'est-ce que vous voulez, on devient sauvage"245. Son ami,

L'Amoureux, ne le croit pas très civilisé et lui dira: "Tu es un gros brute." "Tu es

épais comme un sanglier." "Tu es bête comme un âne"246. Ces comparaisons avec

des animaux montrent que pour les autres il s'entend avec la nature sans savoir se

distinguer d'elle.

Puisque pour Marcel Pagnol, c'est la communauté humaine qui compte, il

est nécessaire d'abord qu'elle existe, et le garant de son avenir, comme nous avons

vu dans la trilogie marseillaise, ce sont les enfants. Le problème, à Aubignane, est

que les enfants quittent le village pour aller travailler ailleurs. Jasmin, le fils du

père Gaubert, "a l'uniforme des employés de chemin de fer"247. Parlant de sa vie

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dans la plaine, Jasmin explique à Panturle: "Ça ne va pas mal. On gagne sa

vie...Les petits vont bien"248. Alors, au lieu de continuer à travailler la terre avec

les outils que son père fabriquait autrefois, il a un travail en ville. La Mamèche,

parlant des autres gens du village, dit: "Eux, leurs petits sont tous vivants, et tout

ça est parti pour chercher la bonne place..."249. La seule solution pour la survie de

la communauté humaine est donc de la reconstruire à partir de Panturle. Il

explique à Arsule: "Si j'avais une femme, là-haut, et qu'il y ait des petits, il n'y

aurait plus d'herbe dans les rues..."250.

La base donc de la communauté humaine est le couple. Avant d'arriver au

couple qui repeuplera le village d'Aubignane, nous voyons trois autres exemples

de couples: (1) Jasmin et la Beline, (2) L'Amoureux et Alphonsine, et (3)

Gédémus et Arsule.

(1) Jasmin et la Belline: C'est un couple où l'homme est le chef; quand sa

femme dit au beau-père qu'il dérange et qu'elle ne veut pas qu'il commande,

Jasmin se met en colère et lui dit: "Il n'y en a qu'un qui commande ici. Et c'est

moi. Et si tu as besoin d'une raclée, elle est toute prête"251. Ensuite, il lance son

assiette de soupe par la fenêtre et lui dit de se lever pour servir le père. Bien que

Belline soit très froide dans le roman de Jean Giono, Pagnol ajoute la scène où son

mari la gronde.252 C'est un couple où le bonheur manque et où chacun a son rôle

pour que la famille survive.

(2) L'Amoureux et Alphonsine: Ce couple vit de la terre et semble

heureux. Ils rendent service aux amis, ils sont généreux et chaleureux253 parce que:

"Ça fait plaisir et ça ne dérange pas"254. Ils travaillent en équipe pour faire pousser

le blé, pour faire la farine, pour pétrir le pain et pour le faire cuire.255 Leur ménage

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semble idéal comparé aux autres présentés dans le texte. Leur famille et leur

ferme fonctionnent aussi bien que leur travail d'équipe; ici, il n'y a aucune menace

de violence. Ils semblent plus évolués que les autres couples--d'ailleurs, c'est

Alphonsine qui suggère à Panturle de se faire couper les cheveux et de se faire

raser parce qu'il "[res]semble un oursin"256. Ce couple symbolise le début et le

meilleur de la civilisation humaine.

(3) Gédémus et Arsule: Par contre, ce couple, formé après le viol

d'Arsule, semble être basé sur le rapport de l'esclave à son maître. Gédémus sauve

Arsule quand elle est attaquée par une équipe de lavandiers/charbonniers

français.257 Dans le texte gionien, il s'agit de "lavandiers" tandis que dans le texte

pagnolien (Pagnol, Regain 45), Arsule est violée par des "charbonniers français."

Est-ce que Pagnol change le vocabulaire pour ajouter un élément (littéral) de saleté

ou veut-il que les méchants ne soient pas du Sud? Puisque les ouvriers lui paient

le repas, ils se croient justifiés de la violer.258 Il s'agit d'un échange économique

pour eux. Gédémus traite les violeurs de "cochons"259 et ensuite propose à Arsule

de travailler pour lui.260 Elle accepte, mais lui demande: "Bien entendu, il faudra

que je couche avec vous?"261. Arsule comprend donc son statut d'exploitée.

Gédémus comprend que "le travail n'a jamais enrichi personne"262, il fait

partie du monde de commerce (pas comme Topaze), mais c'est un commerce basé

sur le troc. Il n'a pas assez d'argent pour acheter une robe pour Arsule qui

travaillera pour lui; il sait qu'il faut échanger son service de protecteur contre le

vêtement qu'il veut. Alors, comme Arsule, il est dans un système économique où

il va rendre service à quelqu'un pour obtenir assez d'argent pour vivre. Arsule sera

moins malheureuse avec Gédémus (qui est vieux dans le roman de Giono) qu'avec

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l'équipe de travailleurs qui la maltraitait. Gédémus aura à aiguiser les couteaux de

quelqu'un en échange d'une robe pour Arsule pour qu'elle puisse travailler pour lui.

Alors, il se croit raisonnable en demandant à Arsule de coucher avec lui. Il ne veut

pas demander une robe à la femme du boucher parce qu'il vaut mieux "demander

à quelqu'un qui ait une bonne robe de reste, et pas grand-chose à aiguiser"263.

L'hiérarchie de l'économie veut que chaque patron ait son ouvrier. Arsule

explique: "Il m'aime autant que si j'étais un âne. C'est moi qui traîne la

baraque...Et moi, je l'aime autant qu'un âne peut aimer son maître"264. Leurs

relations ne sont pas du tout amoureuses.

Dans le film de Pagnol, cette société semble vouée à la défaite. Le couple

d'Arsule-Gédémus est une nécessité économique; Arsule remarque à Gédémus:

"Je croyais que tu m'avais sauvée parce que tu étais généreux...Je ne savais pas que

c'était pour remplacer ton chien..."265. Car, en effet, Arsule sert à préparer la soupe

et à traîner la baraque--sauf "quand on traverse les villages"266. Ce détail prouve

que le village est un espace plus policé parce que le regard des autres est le garant

de la civilité. Arsule dit: "...s'il n'y a personne pour regarder, ce n'est pas toi qui la

traîneras, la baraque..."267. Il y a donc des avantages pour ceux qui sont exploités

quand on vit en communauté.

C'est après avoir comparé ces trois autres exemples de couples qu'on

comprend la valeur du couple Panturle-Arsule, aussi primitif qu'il soit. Le début

de leurs relations est un besoin naturel. Panturle, au printemps,268 est comparé à un

lièvre qui perd sa fourrure. Et nous verrons plus tard le parallèle entre Caroline, la

chèvre qui a besoin d'un bouc, et Panturle.

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Les moineaux "ne savent pas ce qu'ils font, parce que c'est la saison des

amours"269. Panturle, dont la première syllabe de son som est le dieu de la nature,

est "le seul homme des bois qui reste dans tout le pays..." selon Belline;270 quand il

voit Arsule qui se met nue jusqu'à la ceinture, il "la regarde, la bouche ouverte"271.

Comme Ugolin fera plus tard en voyant le bain de Manon, il montre sa convoitise

d'homme primitif qui épie l'objet de son désir. Il explique à Alphonsine: "Elle

passait avec un homme. Je la lui ai prise. Et lui est parti"272.

Arsule, de son côté, quitte Gédémus parce que Panturle, ayant besoin

d'elle, la traite mieux. Elle se laisse (littéralement) emporter par lui. Elle a,

pourtant, toujours un rôle besogneux; elle nettoie la maison et elle balaie, mais elle

"est heureuse, elle rit, elle fredonne"273. Elle préfère l'ordre, la propreté et la vie

plus civilisée; elle a même trouvé des serviettes dans la maison de Panturle. Vers

la fin, Panturle veut qu'elle se mette à côté de lui à table; cela montre qu'ils

formeront un couple qui ressemble à L'Amoureux (noter son nom) et à

Alphonsine; c'est une nouvelle sorte de communauté qui se formera. Elle sera un

peu moins autoritaire et un peu moins exploitatrice, tout en restant patriarcale.274

Cette nouvelle société sera moins violente et la culture remplacera la chasse. La

femme garde la clef et si elle veut partir, elle peut le faire. Donc, si elle reste, c'est

parce qu'elle est respectée et son rôle en luttant contre les forces de la nature est

important.275

Dans cette communauté basée sur le couple, il y a aussi un passé à

respecter. Comme nous avons vu dans Jofroi, les vieux apportent un élément

essentiel à la collectivité. Dans Regain, c'est le vieux Gaubert qui donne le soc à

Panturle; il sait que "la terre d'Aubignane va repartir..." "...et ça reviendra de la

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terre à homme..."276. Alors, le savoir qui a produit le soc et le bois d'araire sera

transmis aux futures générations, comme les arbres de Jofroi resteront un souvenir

de l'individu qui les a plantés. Panturle et Arsule vont reconnaître ce qu'ils doivent

à la Mamèche en racontant comment elle a poussé Arsule vers le village. On

l'enterre, d'ailleurs, avec son mari dans le puits, la source du village.277 La société

est donc basée sur un passé aussi réel que légendaire. Gédémus dit à Arsule quand

il la revoit: "C'était le bon temps, et ce temps-là, je le regrette"278. Les souvenirs

d'Arsule ne correspondent pas à ceux de Gédémus, et lorsqu'il dit: "Tire, pousse,

pousse, tire, tire, pousse." Elle répond: "Tire, tire,, tire...Qui c'est qui tirait?"279.

Comme nous verrons, Gédémus est l'homme de la parole et la parole n'appartient

pas toujours à la vérité. Pour Arsule, la base de la collectivité est la gentillesse:

"...si vous l'aviez aimée, elle vous aurait aimé peut-être..."280. Cette gentillesse est

la fondation de l'amitié. Quand Panturle est tombé de l'arbre dans le ruisseau,

Gédémus et Arsule tirent son corps sur la berge. Après avoir sauvé sa vie,

Gédémus veut l'abandonner; c'est Arsule qui ira voir s'il va mieux.

Parlant de L'Amoureux, Panturle dit: "...à un moment que j'en avais

besoin, il m'a donné deux pains de sa terre. Alors, je lui rends deux sacs de la

mienne"281. On voit que la première collectivité d'humains est fondée sur l'amitié

et l'échange des marchandises, mais avec l'évolution, l'argent sera la valeur la plus

sûre. La femme est "le premier grain de blé"282, la cause de la fin de la vie de

sauvage, mais elle saura qu'avec "l'argent, on peut tout acheter"283. Dans cette

nouvelle société, l'argent et les paroles circuleront librement. Pour Arsule et

Panturle, leurs acquisitions, achetées chez le Gaspilleur, sont une cause de

bonheur: "Ils se regardent tous les deux en riant, au comble de la joie"284.

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A la fin, Gédémus veut être remboursé pour la femme qu'il a perdue.

Panturle et le rémouleur discutent donc la valeur de cette femme: "...puisque tu

veux garder la femme, à la place, donne-moi un âne"285. Panturle lui donne de

quoi acheter un âne et ensuite demande un reçu.286 Comme cela, il a payé ses

dettes envers le passé et il peut aller vers une autre sorte de société. Cette nouvelle

communauté sera fondée sur l'appréciation des autres. Voici donc un autre

exemple d'une collectivité plus élargie, plus tolérante, et plus civilisée au

dénouement qu'au début de l'œuvre pagnolienne.

Dans cette communauté, comme dans toutes celles de Marcel Pagnol, la

parole tient une place importante. Gédémus est l'homme du récit, car c'est lui qui

circule, comme la parole, entre les groupes d'humains. Le rémouleur aiguise les

couteaux mais n'aime pas qu'on lui "coupe" la parole. Il décerne les nuances de

vocabulaire et explique au boucher qu'il y a une différence entre "On me décapite"

et "Je perds la tête"287. Quand Gédémus est appelé pour sauver Arsule, il entame

d'abord une conversation (de quatre pages) avec Martine et le garde champêtre

avant d'aller aider la jeune femme en péril. Quand le premier agresseur est

identifié, Gédémus décide de le "RECONNAITRE" au lieu d'agir, parce que la loi

du plus fort domine.288 Comme nous avons vu dans La Trilogie Marseillaise, les

mots remplacent souvent les actions.289

Gédémus circule et connaît donc tout le monde. Il récite même les noms

des anciens habitants d'Aubignane: "Jean Mane, Ozias Bonnet, Paul

Soubeyran"290. Lorsqu'Arsule circule avec lui, elle écoute ses propos; mais elle

décide de rester avec Panturle au lieu d'être nomade. C'est le début de la culture et

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de la cultivation humaines. Arsule préfère l'homme civilisé que Panturle va

devenir "[p]arce que c'est plus doux, c'est plus fin..."291.

Quand Arsule quitte Gédémus, il va raconter son histoire aux gendarmes et

nous avons déjà vu que la communauté pagnolienne ne respecte pas les

gendarmes.292 Alors, cette scène entre les gendarmes et Gédémus, ajoutée par

Pagnol, semble gratuite, mais elle est essentielle au récit pagnolien, car bien que

"...les paroles ne disent pas tout, comme dit la Mamèche,293 les paroles sont la colle

qui lie les gens de la collectivité. Gédémus commence ainsi son récit du crime:

"...C'est un noyé. Enfin, un faux noyé à qui j'avais sauvé la vie"294. Le brigadier,

ravi, lui demande de continuer. Après avoir remarqué son grand couteau, le

brigadier dit au gendarme: "Laissons-le parler"295. Ils ne lui couperont donc plus

la parole. Gédémus leur explique que "[L]e crime fait partie de l'histoire"296. Ce

récit ne fait pas partie du roman de Giono; il est ajouté par Pagnol. C'est une scène

comique qui accentue l'importance de la parole dans la société humaine et

comment les histoires circulent et lient les gens. Le prénom de Gédémus est

Urbain

--de la ville--chez Pagnol.297

Les rires viennent d'une parodie du genre policier pendant la scène

d'interrogation mystérieuse.298 (Quelques répliques du brigadier et certains

éléments du décor suggèrent le roman ou le film policier. Par exemple, le

brigadier met tout en question: "Vous vous appelez Gédémus? Ce n'est pas

prouvé!...pourquoi ne vous appelleriez-vous pas Posthumus, ou Darius ou

Rasibus? Je pense que vous avez parfaitement saisi le sens de ma question...Sous

prétexte d'un voyage exigé par sa profession, il entraîna sa compagne dans une

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région désertique...Les hauts plateaux, le vent, l'orage, le tonnerre.") Les

gendarmes font un commentaire le long du récit et cela fait partie des lieux

communs du genre. Un exemple d'un commentaire sur la narration est: "Voilà

une histoire qui me paraît bien compliquée"299. Quant au vocabulaire du récit, le

brigadier annonce: "Pour la clarté du récit, je vous autorise à l'appeler baraque"300.

Sur la logique du récit: "Donc, il prétend que dans la région de Manosque, on

n'aiguise les couteaux, ciseaux, rasoirs qu'en hiver, à l'exclusion de toute autre

saison"301. A propos de la vraisemblance du récit, voici l'interrogation: "Est-ce

croyable? Est-ce imaginable? Est-ce même possible?"302.

Comme dans chaque oeuvre pagnolienne, il existe un jeu de mots entre le

sens littéral et le sens figuré.

Le brigadier: ...Cette femme était donc votre femme légitime?

Gédémus: Pour ainsi dire.

Le brigadier: Pour ainsi dire que vous ne l'avez jamais épousée?

...

Le brigadier: C'était donc une concubine.

Gédémus: Oh, pas du tout. C'était une femme intelligente....303

Gédémus tourne et détourne le mot; le gendarme fait de même. C'est un pastiche

des films et des romans policiers où chaque expression est décortiquée. Gédémus

dit: "C'est un endroit désert, c'est-à-dire qu'il n'y a personne"304.

Quand Gédémus répète la phrase d'Arsule: "Ça a fait hop," le brigadier

l'interroge: "Quel genre de hop?"305. Le brigadier s'intéresse à l'histoire et veut

savoir la suite: "En nomades?...Et sans autorisation. Mais ça ne fait rien.

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Continuez"306. Quand Gédémus annonce qu'un homme tombe dans la chute du

ruisseau, le brigadier dit: "Continuez! Continuez!"307.

Gédémus reprend l'expression qui veut dire autre chose par la suite: "Il lui

a fait hop"308. Alors, l'expression ne veut rien dire, parce que ce n'est pas le sens

des mots qui lie les gens, c'est d'être en contact avec les autres sans violence qui

compte. Le récit du crime fait par Gédémus précède et anticipe le monologue de

Maillefer dans La Femme du boulanger; là, le narrateur ne permet pas aux autres

de lui couper la parole.

Gédémus finit son récit et le brigadier lui dit qu'il a, lui aussi, une histoire à

raconter. Le rémouleur veut savoir si c'est une histoire marseillaise et le brigadier

répond: "Non, tragique"309. Il commence sa narration--au fait, il propose une autre

interprétation des mêmes faits--et démontre ainsi la possibilité d'un autre point de

vue sur les événements. Gédémus se permet ensuite de commenter l'histoire du

brigadier: "C'est aussi beau qu'un vrai roman"310. Le gendarme réplique: "...il est

vrai que j'ai quelquefois envie d'écrire et que j'aurais pu être un Pierre Benoit ou

même un Michel Zévaco..."311. Le duel entre les deux conteurs continue et

finalement leurs récits se mêlent et deviennent l'unique récit. Gédémus croit à

cette narration et suggère des détails. Mais le brigadier veut découvrir les faits du

crime ou la vérité.312 Pour le rémouleur, être trucidé, cela veut dire couper à

quelqu'un la parole. Mais pour les gendarmes, "la farce est jouée"313, et c'est la fin

des références aux genres littéraires. Dans cette petite scène, le roman policier, la

comédie, la tragédie, le roman, et la farce sont tous mentionnés.

Le brigadier commence ensuite l'instruction du crime et nous voyons alors

une parodie du système judiciaire. Il fait d'abord la conclusion: "Et qui infligea la

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blessure? Rasibus, très certainement. Mais agissons comme si nous n'avions

aucun soupçon"314. Voici le récit judiciaire où il "faut circonscrire les

recherches"315.

Puisque la victime du meurtre est vivante, il faut que les gendarmes

libèrent Gédémus, "une simple erreur judiciaire"316. Mais tout, finalement, est une

question d'intérprétation, car quand Gédémus veut dire ses quatre vérités au

brigadier qui l'a emprisonné pendant une nuit, celui-ci répond: "Un honnête

homme est libre dans la mesure où l'autorité le permet. Ici, l'autorité, c'est moi"317.

Il l'avertit de ne pas abuser de son innocence et lui récite une liste de délits pour

lesquels il pourrait dresser un procès-verbal, y compris "refus de circuler"318. Dans

la communauté pagnolienne, il faut que la parole (ou celui qui en est responsable)

circule ou la liberté disparaîtra.

Pour que Gédémus continue à protester et à créer du texte, le brigadier,

représentant de la loi, répète quatre fois "Ce n'est pas le cri de l'innocence!"319. La

parole a besoin de liberté et tous ceux qui portent un uniforme et représentent

l'autorité dans la communauté de Marcel Pagnol peuvent empêcher la circulation

des mots. Jasmin, le fils de Gaubert, va quitter son uniforme de cheminot pour

faire partie de la nouvelle communauté à Aubignane.320 Comme dit Panturle: "En

général, les costumes pour obéir, c'est pas des costumes pour travailler"321. Jasmin,

lui, n'aime pas faire la politique des villes. Il ne veut obéir ni au percepteur, ni aux

gendarmes, ni au règlement, ni à la loi, ni à la morale, ni au chef de gare.322 Il

exprime ici un point de vue qui semble plus près des idées de Giono que de celles

de Pagnol.

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Une autre force peut aussi empêcher le libre échange du verbe; c'est la

guerre. Déjà dans Regain (et plus tard, surtout, dans La Fille du puisatier et dans

Manon des Sources), il y a des références à la guerre. La nature humaine est

violente et si les mots ne servent pas à différer la brutalité des hommes, des

conflits existeront. Parlant du blé, le père Gaubert répond à son fils, Jasmin:

"Bien sûr, ça se vend moins que les canons et, pourtant, c'est plus serviciable...Les

hommes sont devenus fous..."323. Ce qui semblait évident au père Gaubert, c'est-à-

dire que les hommes pourraient vivre en paix s'ils faisaient un commerce de blé,

devient une critique de la société actuelle où une communauté coupe la

communication avec une autre à cause des conflits et des canons.

Cette référence à la guerre est renforcée par le fait qu'il y a une

comparaison entre le blé de la région et celui du Canada.324 Le paysan Balthazar

parle "du blé de notre race, du blé habitué à la fantaisie de notre terre et de notre

saison"325. Discutant le progrès, il demande ce que "c'est de faire cinq charges de

blé d'Amérique au lieu de cinquante charges de blé de France?"326. La guerre est

aussi un conflit entre deux sociétés sur le plan économique.327

La fable

L'histoire parallèle de la chèvre Caroline se trouve déjà dans le roman de

Jean Giono. La bête ne produit plus de lait et il faut donc lui trouver un bouc.328

Elle tient compagnie à Panturle et dans le roman, reçoit un coup de poing parce

que "autrement, il [Panturle] se sent amer et tout fleuri comme l'aubépine"329.

Dans le film, Panturle explique à Arsule: "C'est une chèvre. Elle est brave. Elle

me comprend. Quand j'ai envie de parler, je lui parle. Seulement, elle ne peut pas

me laver ma chemise..."330. (Je souligne car Pagnol remplace le désir sexuel par

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l'action de parler.) Implicitement, Caroline est comparée à Arsule qui peut, elle,

lui laver la chemise. Et comme Caroline, Arsule cherche un mâle, un homme.

Caroline, comme Arsule, ne reconnaît plus Panturle en costume.331 Les parallèles

entre Arsule et Caroline sont nombreux et Panturle demande à L'Amoureux s'il n'a

pas de bouc parce que Caroline "peut plus rester comme ça. Elle tourne, elle se

frotte partout, elle bêle que c'est pas croyable..."332. Le couple est ce qui se

reproduit dans la nature, et après l'accouplement, "ça lui [à Caroline] a changé tout

le caractère.333 Arsule aussi, devient heureuse avec Panturle.

La fable est bouclée dans le film de Pagnol par une des dernières séquences

où nous voyons Arsule, enceinte, qui sème le blé. C'est ainsi que la communauté

sera repeuplée. L'image qui finit le film est celle d'un soc qui déchire la terre; c'est

la communauté des hommes qui domineront la nature.

Conclusion

Dans Regain, Marcel Pagnol est allé au bout de l'interrogation au sujet de

la place de l'individu dans la communauté, car Panturle, tout seul, agit comme une

bête pour survivre. Alphonsine, la femme de L'Amoureux, lui demande: "Dis,

Panturle, comme tu deviens? C'est de vivre dans la montagne que tu déparles

comme un bestiari?"334.

Pour que la collectivité humaine survive, il faut avoir un couple, et dans

Regain, la communauté est réduite d'abord à un individu et ensuite à un couple.

Pagnol suit Giono, commençant d'abord dans la communauté villageoise de Jofroi.

Ce groupe contient des membres divers, mais le film se situe dans un village et

non pas à Marseille. Dans Angèle, Pagnol s'éloigne encore plus en faisant de la

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ferme le centre d'activité de la collectivité. Le village abandonné dans Regain

représente quelque chose de nouveau pour Pagnol, un monde dépeuplé. Contraire

à ce que Delahaye dit,335 et comme nous verrons plus tard dans Manon des Sources

et puis dans Les Souvenirs d'enfance, ce n'est pas le côté épique qui effraie le

cinéaste; c'est tout simplement le manque de dialogue et d'échange de paroles entre

les personnages du groupe. Sans dialogue, les hommes ressemblent aux animaux.

La communauté pagnolienne a besoin d'être alimentée de répliques et de points de

vue opposés. Et contraire à ce que Claude Beylie dit, le paysage n'est pas le

"principal héros" du film,336 mais plutôt l'ennemi de la civilisation humaine. La

"délicatesse habituelle" de Pagnol337 est définie par son dialogue spirituel qui est,

en effet, absent de ce film.

Finalement, c'est encore Jean Giono qui a raison quand il écrit à Pagnol que

dans Regain, il considère que Pagnol a fait "un effort extraordinaire"338 pour être

fidèle à l'œuvre de l'auteur de Manosque, mais les deux auteurs ont une

philosophie si différente. En essayant de rester fidèle au roman gionien, Pagnol

s'éloigne effectivement de sa propre personnalité. Pagnol termine l'histoire de

Regain (comme il fait pour Angèle) dès que la communauté est en place et il y a de

l'espoir pour l'avenir. La collectivité humaine dépend de l'agriculture et de la terre

pour la nourrir, mais il faut aussi avoir un échange entre les gens du groupe. Il est

nécessaire (comme nous avons vu dans Jofroi) de rester en contact avec son passé

(dans Regain, Gaubert représente le passé) et aussi de prévoir un avenir (comme

nous avons vu dans Angèle)--et pour cela, il faut un bébé.

Alors, ce cheminement dans la Haute-Provence de Jean Giono n'est pas

fidèle aux idées de Jean Giono, mais ce détour dans l'ombre de Giono aide Pagnol

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à raffiner sa propre définition de la communauté. Quand le cinéaste écrit La

Femme du boulanger, d'après un conte de Jean Giono, la rupture entre les deux

hommes sera définitive et Marcel Pagnol comprendra désormais la structuration de

la communauté pagnolienne.

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Notes

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1 Après avoir écrit ce chapitre, j'ai lu le livre par Thierry Dehayes, Marcel Pagnol à l'école de Jean Giono? (Pont-Saint-Esprit: La Mirandole, 2001) qui venait de sortir. Monsieur Dehayes compare les deux auteurs pour conclure que chaque auteur a sa spécialité: Pagnol est fort en l'art dramatique et l'autobiographie tandis que Giono est le maître du roman et de la nouvelle. Il se limite aux œuvres que Giono et Pagnol ont en commun et donc à un petit chapitre de la carrière littéraire de Marcel Pagnol. Bien qu'il montre certaines thématiques de Pagnol, il ne voit pas la méthode systématique employée pour l'ensemble de son écriture. Ma thèse, par contre, considère la carrière entière de Marcel Pagnol.

2 Marcel Pagnol, préface à Marius, Oeuvres Complètes de Marcel Pagnol, 12 vols. (Paris: Club de l'Honnête Homme, 1970-71) 11.

3 Citation dans Claude Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma en liberté (Paris: Editions de Fallois, 1995) 71, note 56.

4 Marcel Pagnol, Jofroi (Paris: Editions de Fallois, 1990) 141.

5 C. E. J. Caldicott, Marcel Pagnol (Boston: Twayne, 1977). "...the nature of the text required very few changes for the movie adaptation." 99.

6 Jean Giono, Solitude de la pitié (Paris: Editions Bernard Grasset, 1932) 89; Pagnol, Jofroi 28.

7 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 71, note 56.

8 Pierre Citron, Giono (Paris: Editions du Seuil, 1990) 471. Citron cite l'interview de Combat, 6 janvier 1955 où on demande à Giono: "Comment se fait-il que vous ne soyez pas de l'Académie?" Giono répond: "J'y suis déjà sous le nom de Pagnol."

9 Giono, Solitude 96.

10 Ibid. 87-101.

11 Caldicott, Marcel Pagnol 100.

12 Pagnol, Jofroi 91.

13 Giono, Solitude 91.

14 Parlant du film de Marcel Carné, Pierre Billard pose la question suivante: "...est-ce que cette photo du Jour se lève ne contient pas tout le film à elle toute seule?" Pierre Billard, L'Age classique du cinéma français; Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague (Paris: Flammarion, 1995) 259.

15 Giono, Solitude 93.

16 Ibid.

17 Voir Marcel Pagnol, Fanny (Paris: Editions de Fallois, 1988) 147-160.

18 Pagnol, Oeuvres Complètes, vol. 8, 94.

19 Pagnol, Jofroi 69.

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20 Ibid. 88.

21 Ibid. 90.

22 Ibid.

23 Ibid. 91.

24 "On m'avait dit: 'Vous qui savez parler, parlez-lui....'" Giono, Solitude 91.

25 Pagnol, Jofroi 94.

26 Ibid. 95.

27 Ibid.

28 Ibid. 100.

29 Ibid. 101.

30 Ibid.

31 Ibid. 102.

32 Ibid. 23.

33 Nous avons déjà vu ce procédé à l'oeuvre dans Topaze et dans La Trilogie Marseillaise.

34 Pagnol, Jofroi 28.

35 Ibid. 54-55.

36 Ibid. 60.

37 Ibid. 83.

38 Ibid. 143.

39 Ibid.

40 Ibid. 57.

41 Pagnol, Jofroi 92.

42 Giono, Solitude 95.

43 Ibid. 87.

44 Pagnol, Jofroi 12.

45 Ibid. 57.

46 Ibid. 39.

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47 Ibid. 55.

48 Ibid. 44.

49 Ibid. 133; Giono, Solitude 98.

50 Pagnol, Jofroi 83.

51 Ibid. 141.

52 Ibid. 102.

53 Ibid. 103.

54 Ibid. 47.

55 Ibid. 106.

56 Ibid.

57 Ibid. 107.

58 Ibid. 61.

59 Ibid.

60 Giono, Solitude 90.

61 Pagnol, Jofroi 42-43.

62 Ibid. 64.

63 Ibid. 72.

64 Ibid. 73.

65 Ibid. 125.

66 Ibid. 113.

67 Ibid. 63.

68 Ibid. 115.

69 Ibid. 147.

70 Giono, Solitude 88.

71 Pagnol, Jofroi 26.

72 Ibid. 27.

73 Giono, Solitude 97.

74 Pagnol, Jofroi 49.

75 Giono, Solitude 91.

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76 Jean Giono, Un de Baumugnes (Paris: Editions Bernard Grasset, 1929) 18.

77 Marcel Pagnol, Cinématurgie de Paris (Paris: Editions de Fallois, 1991) 98.

78 Giono, Un de Baumugnes 22.

79 Marcel Pagnol, Angèle (Paris: Editions de Fallois, 1989) 7; Giono, Un de Baumugnes 95.

80 Pagnol, Angèle 64.

81 Ibid. 71.

82 Ibid. 120.

83 Ibid. 170.

84 Ibid. 174.

85 Giono, Un de Baumugnes 83.

86 Ibid. 111-112.

87 Pagnol, Angèle 144.

88 Voir ma discussion de César, chapitre 2.

89 Pagnol, Angèle 172.

90 Ibid. 10.

91 Ibid. 152.

92 Ibid. 7.

93 Ibid. 64.

94 Ibid. 143.

95 Ibid. 177.

96 Ibid. 147-148.

97 "Non, je ne veux pas...Non, je ne veux pas...." Ibid. 166.

98 Voir la discussion de Vincendeau dans La Triologie Marseillaise, chapitre 2.

99 Pagnol, Angèle 173.

100 Giono, Un de Baumugnes 167; Pagnol, Angèle 165.

101 Pagnol, Angèle 11.

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102 Ibid. 99.

103 Ibid. 163.

104 Ibid. 17.

105 Ibid. 173.

106 Ibid. 102.

107 Ibid.

108 Ibid. 146.

109 Ibid. 85.

110 Ibid.

111 Ibid. 107.

112 Giono, Un de Baumugnes 22.

113 Pagnol, Angèle 148.

114 Ibid. 101.

115 Ibid. 41.

116 Ibid. 153.

117 Ibid. 154.

118 Ibid. 168.

119 Ibid. 175-176.

120 Ibid. 176.

121 Ibid.

122 Giono, Un de Baumugnes 171.

123 Ibid. 139, 155.

124 Ibid. 166.

125 Ibid. 167-168.

126 Ibid. 168.

127 Ibid.

128 Pagnol, Angèle 15-16.

129 Ibid. 15.

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130 Ibid. 72.

131 Ibid. 26.

132 Ibid. 27.

133 Ibid. 49.

134 Ibid. 45.

135 Ibid. 37.

136 Ibid. 33.

137 Giono, Un de Baumugnes 29.

138 Ibid. 30.

139 Pagnol, Angèle 55.

140 Ibid. 56.

141 Pagnol, Angèle 61. L'héroine de l'oeuvre de Frédéric Mistral a le même prénom, d'ailleurs, et ici, c'est avec ironie qu'Angèle se nomme comme elle.

142 Ibid. 55.

143 Ibid. 64-72.

144 Ibid. 68.

145 Ibid. 70.

146 Ibid. 57.

147 Ibid. 60.

148 Ibid. 56.

149 Ibid. 56-57.

150 Ibid. 103.

151 Ibid. 160.

152 Ibid. 43.

153 Ibid. 45.

154 Son nom veut dire pur, blanc, comme le mot latin "albus."

155 Giono, Un de Baumugnes 120, 126.

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156 Citron, Giono 124.

157 Giono, Un de Baumugnes 37.

158 Ibid. 128.

159 Ibid. 113.

160 Ibid. 147.

161 Ibid. 167.

162 Pagnol, Angèle 19.

163 Ibid. 21.

164 Ibid. 103.

165 Ibid. 160.

166 "Ça riait en se tapant les cuisses." Giono, Un de Baumugnes 55.

167 Giono, Un de Baumugnes 71.

168 Pagnol, Angèle 125.

169 Ibid. 134-135.

170 Ibid. 135.

171 Ibid. 40.

172 Ibid. 45.

173 Ibid. 50.

174 Ibid. 52-53.

175 Philomène dit: "...c'est le vent." Pagnol, Angèle 155.

176 Giono, Un de Baumugnes 106.

177 Pagnol, Angèle 17-18.

178 Ibid. 23-24.

179 Pour ne pas parler de l'acteur Fernandel....

180 Pagnol, Angèle 9.

181 Giono, Un de Baumugnes 73.

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182 Pagnol, Angèle 128.

183 Giono, Un de Baumugnes 74; Pagnol, Angèle 128-129.

184 Pagnol, Angèle 100.

185 Ibid.

186 Giono, Un de Baumugnes 53.

187 Ibid. 55.

188 Ibid. 56.

189 Pagnol, Angèle 71.

190 Ibid. 72.

191 Ibid. 76.

192 Ibid. 85, 129.

193 Ibid. 131.

194 Ibid. 76.

195 Ibid. 80.

196 Ibid. 83-84. (J'ai souligné.)

197 Giono, Un de Baumugnes 46, 19, 40, 52, 64, 70, 85, 99, 105, 163, 173, 77, 82, 115, 176, 185.

198 Ibid. 41, 108, 110, 72, 72, 85, 101.

199 Pagnol, Angèle 27.

200 Ibid. 8.

201 Ibid. 9.

202 Ibid.

203 Ibid. 78.

204 Ibid. 56.

205 Ibid. 60.

206 Ibid. 57.

207 Ibid. 8.

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208 Ibid.

209 Ibid. 9.

210 Ibid.

211 Ibid. 33.

212 Citron, Giono 125-127.

213 Raymond Castans, Marcel Pagnol: biographie (Paris: Editions Jean-Claude Lattès, 1987) 295.

214 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 76.

215 Caldicott, Marcel Pagnol 103-105.

216 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 76.

217 Castans, Marcel Pagnol 290; Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 75.

218 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 75.

219 Citron, Giono 129.

220 Caldicott, Marcel Pagnol 105.

221 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 76.

222 Castans, Marcel Pagnol 295,

223 Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 75.

224 Citron, Giono 129.

225 Le Robert méthodique (Paris: Dictionnaires Le Robert, 1989) 1212.

226 Marcel Pagnol, Regain (Paris: Editions de Fallois, 1989) 15.

227 Ibid. 18.

228 Ibid. 15.

229 Ibid. 19.

230 Ibid. 19-20.

231 Ibid. 21.

232 Ibid. 96-97.

233 Ibid. 22.

234 Ibid. 26.

235 Jean Giono, Regain (Paris: Editions Bernard Grasset, 1930) 27.

236 Pagnol, Regain 17-18.

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237 Ibid. 32.

238 Giono, Regain 32; Pagnol, Regain 30.

239 Pagnol, Regain 30,

240 Ibid. 69.

241 Giono, Regain 60.

242 Pagnol, Regain 75; Giono avait dit: "C'est ce vent aussi qui fait l'homme, depuis un moment." Giono, Regain 61.

243 Pagnol, Regain 36.

244 Giono, Regain 39; Pagnol, Regain 95.

245 Pagnol, Regain 93.

246 Ibid. 162.

247 Ibid. 25.

248 Ibid. 26.

249 Ibid. 30.

250 Ibid. 97.

251 Ibid. 33-34.

252 Giono, Regain 120; Pagnol, Regain 34.

253 Pagnol, Regain 154-161.

254 Ibid. 157.

255 Ibid. 157-159.

256 Ibid. 164.

257 Giono, Regain 52.

258 Pagnol, Regain 45.

259 Ibid. 47.

260 Ibid. 51.

261 Ibid.

262 Ibid. 52.

263 Ibid. 55.

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264 Ibid. 100.

265 Ibid. 60.

266 Ibid.

267 Ibid. 64.

268 Ibid. 56.

269 Ibid. 95.

270 Ibid. 165.

271 Ibid. 84.

272 Ibid. 163.

273 Ibid. 127.

274 Ginette Vincendeau, French Cinema in the 1930s: Social Text and Context of a Popular Entertainment Medium (The British Library: U of East Anglia, 1985) 187.

275 Pagnol, Regain 164.

276 Ibid. 169.

277 Ibid. 186.

278 Ibid. 209.

279 Ibid.

280 Ibid. 210.

281 Ibid. 198.

282 Ibid. 202.

283 Ibid. 200.

284 Ibid. 206.

285 Ibid. 230.

286 Ibid. 231.

287 Ibid. 205.

288 Ibid. 49.

289 Voir chapitre 2 de cette thèse.

290 Pagnol, Regain 83.

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291 Ibid. 176.

292 Marcel Pagnol, Marius (Paris: Editions de Fallois, 1988) 102-104; et plus tard, dans Marcel Pagnol, Manon des Sources (Paris: Editions de Fallois, 1988) 191-210, nous entendrons un long discours contre l'administration.

293 Pagnol, Regain 67.

294 Ibid. 109.

295 Ibid. 110.

296 Ibid.

297 Ibid.

298 Ibid. 110-127.

299 Ibid. 111.

300 Ibid. 112.

301 Ibid. 113.

302 Ibid.

303 Ibid. 113-114.

304 Ibid. 114.

305 Ibid. 114-115.

306 Ibid. 116.

307 Ibid.

308 Ibid. 117.

309 Ibid. 119.

310 Ibid. 121.

311 Ibid.

312 Ibid. 124.

313 Ibid. 125.

314 Ibid. 128.

315 Ibid. 129.

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316 Ibid. 133.

317 Ibid. 136.

318 Ibid. 138.

319 Ibid. 126.

320 Ibid. 221-222.

321 Ibid. 222.

322 Ibid. 221.

323 Ibid. 182.

324 Ibid. 190.

325 Ibid. 191.

326 Ibid.

327 Il peut s'agir aussi d'un commentaire sur l'industrie cinématographique. Voir la discussion dans Vincendeau, French Cinema in the 1930s 18-87.

328 Giono, Regain 80.

329 Ibid. 82.

330 Pagnol, Regain 95.

331 Ibid. 52.

332 Ibid. 155.

333 Ibid. 181.

334 Ibid. 160.

335 Cité dans Beylie, Marcel Pagnol ou le cinéma 76.

336 Ibid.

337 Ibid.

338 Citron, Giono 272.