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Christie Bronn

ÉVEILLE-MOI

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À mon mari,

toi qui me porte et me supporte,

toi qui chaque jour illumine mon univers.

Je t’aime.

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Prologue

Je me suis toujours demandé à quoi ressemblait le paradis. Je l’ai imaginé maintes et maintes fois.Mais là, il est devant moi, dans son plus simple appareil. Finalement, lorsqu’on est malheureux, leparadis, ce sont les petites choses qui vous mettent du baume au cœur. Je lève les yeux au ciel etcontemple la cime des arbres. Je suis assise au pied d’un platane gigantesque. L’herbe et les fleurssauvages m’entourent, le soleil estival du sud de la France réchauffe ma peau. Je pose mes mains surle sol, comme si, par sa seule force mystique, la terre pouvait apaiser mes souffrances. Ce parc estmon coin de paradis dans mon enfer personnel.

Je jette un œil à mes deux amis qui s’ébattent un peu plus loin, riant à gorge déployée ens’aspergeant tels des enfants. Je souris, heureuse de voir de la joie autour de moi. Ils représentent ceque j’ai de plus cher au monde. Ils sont ma famille.

Je pousse un soupir pour chasser mon angoisse coutumière. Je me lève et attrape une bouteilled’eau dans le panier. Et je cours.

Je cours rejoindre Hugo et Céline pour entrer dans la danse.Puisque le paradis est éphémère pour moi, autant en profiter un maximum tant que j’y suis.

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Chapitre 1

Cher journal,

À Paris depuis plusieurs semaines, je n’en ai pas vu grand-chose. Je vis dans laterreur qu’il retrouve ma trace à nouveau. Son visage hante mes cauchemars et sonsouvenir mes journées. Celui de Céline me tourmente également et la culpabilitéme ronge. Pourquoi a-t-il fallu qu’elle croise ma route ? Aurais-je un jour droit àune vie normale, sans peur, sans angoisse ? Cher ami, je voudrais tant êtredifférente de celle que je suis. Je rêve souvent à la femme que j’aurais pu être sanstoute cette souffrance. Que serais-je devenue ? Je n’aurai jamais la réponse àcette question. Ah, que ne donnerais-je pas pour découvrir un autre univers où l’onpourrait m’aimer, où le plaisir ne serait pas synonyme de culpabilité ?

Je ferme mon cahier et consulte la pendule.Et voilà, je suis en retard !Plus que trente minutes pour me préparer et filer au vernissage d’Hugo. Si je ne suis pas à l’heure

pour son instant de gloire, il m’en voudra et je devrai supporter sa bouderie pendant des jours. Et nepas lui parler plus d’une journée est inenvisageable. Tout à mes réflexions, je regarde désespérémentmon armoire. Mais que porte-t-on à l’exposition privée du peintre montant du moment ? J’opte pourune robe noire, couleur discrète et classique. Si je pouvais m’y rendre en jean et converses, ce seraitparfait. Cependant, je doute que le gratin de Paris invité ce soir soit de cet avis. Je passe rapidementsous la douche, enfile mon ensemble soutien-gorge et petite culotte, mes bas puis recouvre le tout dema robe. Je me maquille légèrement et m’applique à dissimuler au mieux la cicatrice sous mon œildroit. Elle me rappelle à quel point je dois batailler pour survivre.

Je revois la scène comme si c’était hier et, une fois de plus, je suis tétanisée. Ma mère étaitabsente, sans remords, elle m’avait laissée seule avec mon bourreau. La pointe froide de la lame sepromenait sur mon visage, s’attardant sur ma mâchoire, avant de descendre le long de ma gorge etremonter doucement sur ma pommette droite. Glacée de terreur, je restai figée. Mon cœurtambourinait dans ma poitrine à un rythme effréné.

« Ça y est, cette fois, c’est la fin. Je vais mourir, là, seule face à mon tortionnaire. »J’avais quinze ans et je me sentais déjà prête à recevoir ma délivrance, heureuse d’accueillir la

mort et d’être enfin libérée de ce corps qui me dégoûtait.« Tu as emprisonné mon corps, mais mon âme va vivre libre. »À ce moment, la pointe glaciale s’enfonça dans ma chair, brûlante. Un gémissement m’échappa. Il

sourit, victorieux. À la salinité des larmes sur mes lèvres vint se mêler un goût de rouille. Je sentisson haleine chaude et alcoolisée sur ma joue. Mon estomac se tordit. Je fermai les yeux et meretranchai en moi pour éloigner la douleur. Il me chuchota à l’oreille :

« Chaque fois que tu te regarderas dans une glace, tu te rappelleras à qui tu appartiens. Tu es àmoi, petite pute ! Et si tu ouvres ta gueule, je te tuerai. »

À quinze ans, je venais de comprendre qu’il était possible de se couper du monde et de ne plusrien ressentir. Cette cicatrice ne faisait pas de moi sa propriété, mais me donnait un but dans la vie :

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combattre pour survivre. La haine supplanta la peur.Je prends une grande inspiration et reviens à la réalité. Tremblante, je me soutiens au rebord du

lavabo. Je m’ancre dans le présent et me réapproprie ma petite salle de bain à la faïence fissurée.Je suis chez moi, en sécurité.Une fois prête, je jette un coup d’œil à mon reflet dans le miroir. Il n’y a rien à faire, je ne serai

jamais une beauté fatale. Mon teint blafard accentue l’ombre violacée de mes paupières. Mes yeuxchocolat semblent presque noirs. Je pince mes joues creuses pour leur apporter un peu de couleur etles accorder au rose clair de mes lèvres ourlées. J’ai dû troquer ma longue chevelure brune contre uncarré flou, nuancé de teintes auburn. Un changement bien dérisoire qui, en plus de me rassurer, medonne l’illusion d’avoir meilleure mine. La robe que je porte dessine bien les courbes de mon corpsfin et musclé, mettant en valeur ma petite poitrine d’adolescente. Je tire la langue à la femme devingt-sept ans qui me fait face et, sur un demi-tour théâtral, quitte la salle de bain. Dans le salon,j’attrape ma pochette en consultant l’heure sur mon portable. Vingt heures quinze ! Merde, je devraisdéjà être là-bas ! Dans l’ascenseur, j’envoie un texto à Hugo.

J’arrive, désolée, je n’ai pas vu le temps passer.

J’ai rencontré Hugo après m’être enfuie de chez moi. Nous avions dix-huit ans et fréquentions lemême groupe de paroles dans un service psychiatrique à Montpellier. Nous étions tous deux en pleinecrise émotionnelle, ravagés par la vie. C’est ce qui nous a rapprochés. Lui était gay et le monde estparfois impitoyable lorsque vous ne rentrez pas dans les normes de la société. Rejeté par ses parents,il vivait dans la rue depuis deux ans et se prostituait pour acheter sa dose d’héroïne. Moi aussi,j’étais différente, effacée, remplie de haine. Je me détruisais à petit feu. Mon secret pesait trop lourdet, à cet âge-là, j’étais déjà ravagée physiquement et émotionnellement. Lui seul me tendit la main,m’écouta et m’aida à sortir du cercle infernal du dégoût et de l’angoisse. Sa souffrance faisant écho àla mienne, je me suis rapidement liée à lui. Nous nous sommes secourus mutuellement toutes cesannées. Il est mon point d’attache, mon unique famille. C’est une des raisons qui m’ont poussée à fuirToulouse pour le rejoindre à Paris.

Je monte dans le taxi qui m’attend. Calée au fond de la banquette, je regarde les rues défiler. Lesévènements précédant mon arrivée dans la capitale se rappellent une fois de plus à mon souvenir.

Hugo, repéré par la directrice d’une galerie d’art, avait tout plaqué pour exposer ses œuvres dansla Ville-Lumière.

— Viens avec moi, Emy, m’avait-il imploré, tu verras, Paris va te plaire.— Non, j’ai un boulot super ici, je me suis aménagé un chouette appartement et, pour la première

fois, je me sens un peu chez moi. Je ne veux pas tout quitter à nouveau.J’avais déjà dû fuir à de nombreuses reprises pour échapper à mon passé. Il soupira, déçu,

comprenant néanmoins mon désir de rester.— Promets-moi de m’appeler tous les jours et, au moindre souci, je ne suis qu’à une heure

d’avion, OK ?Son visage trahissait son anxiété. Il avait peur qu’à nouveau, mes démons me rattrapent. Seule face

à moi-même, je pouvais retomber dans l’auto-destruction. Je lui avais affirmé que je m’en sortirais,que tout irait bien. Je le rassurais, mais au fond, c’était moi que je tentais de tranquilliser. Et puis, il yavait ma psychiatre et Céline. Cette dernière habitait à deux pas de notre petit meublé. Il fallait que jele laisse partir pour réaliser ses rêves, vivre enfin pour lui. Il avait passé toutes ces années à partager

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ma fuite. Le cœur lourd, il s’était résigné à décoller vers sa nouvelle vie.Céline était une amie fidèle, pétillante. Avec sa douceur naturelle, elle atténuait un peu la haine qui

m’habitait. Même en ne sachant rien de mon passé, elle avait toujours été présente à sa façon durantces trois années à Toulouse. Nous l’avions rencontrée sur les bancs de la fac et avions vitesympathisé. Elle me manque terriblement. Je la revois, grande, brune, pulpeuse. Un sourire espiègleéclaire son visage hâlé, tandis qu’elle dévore des friandises, assurant que le sport lui permettrait deperdre les kilos superflus, accumulés par ses écarts alimentaires.

Cinq semaines s’étaient écoulées depuis le départ d’Hugo. J’organisais ma vie entre mon boulot,Céline et ma séance de thérapie hebdomadaire, visant à me convaincre que sexe et amour ne sont pasincompatibles. Selon ma psychiatre de l’époque, faire du mal aux hommes lors de mes rapportssexuels n’était qu’une manière de me punir un peu plus. Je reportais sur eux la monstruosité subie, medonnant l’illusion que je contrôlais absolument tout.

Dès la fin de mon adolescence, j’avais mis en place un schéma destructeur. Pour moi, la seulefaçon d’être aimée était de laisser ces hommes me toucher, je leur donnais ce qu’ils voulaient malgréle dégoût que cela m’inspirait. Puis, j’ai découvert, au fur et à mesure de mes ébats dénués d’amour,qu’il était possible d’inverser la balance. Ne plus être celle que l’on soumettait. C’est ainsi quej’avais plongé dans le cercle infernal de la domination. Plier mes partenaires à ma volonté et lesfaire souffrir me procurait un plaisir intense. Je me sentais, l’espace d’un instant, puissante ducontrôle que j’exerçais. Cependant, le dégoût n’en était pas moindre. Comme une alcoolique, je suisaujourd’hui en période d’abstinence. Je tente de conquérir l’estime de moi-même et de découvrir mesvraies valeurs.

La veille de la sixième semaine suivant le départ d’Hugo, le téléphone sonna. Au bout du fil, lamère de Céline, désespérée, m’annonçait la terrible nouvelle. Le corps de mon amie avait étéretrouvé mutilé quelques heures plus tôt sur le chemin où elle aimait faire son jogging le matin.Terrassée, je bafouillai de vagues condoléances et m’effondrai au sol. La police avait conclu quel’auteur du meurtre était forcément l’homme qui agressait les joggeuses depuis quelque temps surToulouse. Pourtant, je me demandai si c’était vraiment le cas et soupçonnai mon passé d’en êtreresponsable. Il avait juré qu’il me détruirait quand j’avais témoigné contre lui. Mes doutes seconfirmèrent le lendemain de la mort de mon amie, au moment où je trouvai une enveloppe dans maboîte aux lettres. Elle contenait un carton bristol où je lus avec appréhension :

Je t’avais dit que tu ne pourrais pas te cacher, petite pute,que je consacrerais tout mon temps à te traquer !

Immédiatement, des images de mon amie seule sur un chemin désert, morte, froide m’assaillirent.Je voyais mon passé penché au-dessus d’elle, un rictus victorieux se dessinant sur son visage émacié.Je l’imaginais jubiler à l’idée de la souffrance que je ressentirais. L’estomac au bord des lèvres, jemontai en vitesse me réfugier dans mon appartement. Une fois la porte verrouillée, me sentant ensécurité, je me mis à réfléchir. Que faire ? Aller à la police ? Qu’aurait-elle fait ? Comment leurprouver le lien entre cette lettre et le meurtre de mon amie ? Je savais par expérience que la justiceest plutôt difficile à convaincre. Après tout, ne l’avait-elle pas disculpé quand j’avais enfin osédévoiler mon calvaire ? Je ne faisais plus confiance aux autorités. Mon instinct de survie prit ledessus. J’appelai la seule personne qui me croirait et quittai Toulouse, n’emportant que le strictminimum. Je laissai derrière moi cette petite vie paisible que j’avais essayé de me construire. Je ne

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pus même pas assister aux obsèques de Céline, lui faire mes adieux et lui demander pardon. C’estdonc désespérée et pleine de rage que j’atterris à Paris. À nouveau, je devais me bâtir un semblant devie sous le poids d’une culpabilité supplémentaire : être responsable du décès de Céline. Jamais, jen’aurais dû me rapprocher d’elle. Jamais plus, je ne devais me lier à qui que ce soit d’autre qu’Hugo.Et même de lui, il faudra un jour que je m’éloigne afin que son affection pour moi ne signe pas saperte.

Une larme de rage roule sur ma joue. Je l’essuie, prends une grande inspiration et affiche unmasque souriant.

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Chapitre 2

Cher journal,

Je prends deux minutes pour t’écrire. Je suis sur le chemin du vernissage d’Hugo,j’ai besoin de partager avec toi la mélancolie qui m’a saisie à l’évocation deCéline. Je la pose sur ces pages et te la confie afin d’avoir l’esprit clair pour cettesoirée. Je ne voudrais pas gâcher la joie d’Hugo avec ma tristesse. Il mérite sonsuccès, lui qui a tant souffert. Je te laisse, le taxi se gare.

Je tends mon carton d’invitation au vigile à l’entrée de la galerie.— Bienvenue, Mademoiselle Maricourt.Je lui réponds poliment d’un simple hochement de tête.— Emy ! Te voilà enfin, soupire Hugo en m’enlaçant lorsqu’il me voit passer la porte.Il est superbe dans son smoking qui dessine à la perfection sa silhouette longiligne. Ses cheveux

blonds, coiffés en un désordre artistique, lui donnent une allure décontractée, contrastant avec lagrâce de ses mouvements. Ses yeux vairons – vert et marron –, emplis d’amour se posent sur moi. Unsourire radieux illumine son visage aux traits fins. Il exulte, tel un enfant, les joues rosies de plaisir.Une vague de tendresse m’envahit.

— Tu as vu ? Tout ce beau monde s’est déplacé pour moi.— Hum.— C’est tout ce que tu trouves à dire ?— Non, c’est juste que…— Que quoi ? Enfin, tu ne peux pas te détendre et profiter.— Je vais essayer, Hugo. Moi et les soirées bondées, ça fait deux. Et puis, te montrer à mes côtés,

tu sais…Sortir en public est un vrai chemin de croix. Je vois des prédateurs partout. J’imagine mon

bourreau tapi dans chaque recoin, prêt à bondir pour frapper de nouveau. Je soupire pour ne pas melaisser entraîner vers l’angoisse nichée au fond de mon estomac. Je renvoie son sourire à Hugo.

— Mais je suis vraiment heureuse pour toi, tu touches ton rêve.— Emy, je…Nous sommes interrompus par la directrice de la galerie, une blonde superbe, aux formes

plantureuses, engoncée dans un tailleur strict. Hugo tente de me la présenter, mais, sans un mot ni unregard pour moi, elle l’attrape par le bras.

— Viens, Ethan Reed veut te rencontrer. Il a craqué sur une de tes toiles.Sans plus de cérémonie, Hugo me plante là et se laisse guider par miss tirée-à-quatre-épingles. Je

hausse les épaules et me détourne à mon tour.Abandonnée au milieu de la foule, je décide de faire bonne figure et de me fondre dans la masse.

Je commence par le tour des lieux. La galerie d’art est à l’image de toutes celles où Hugo m’atraînée : grande, lumineuse, les murs blancs striés de toiles colorées. Je remarque une terrasse àl’extrémité de la pièce, des personnes s’y tiennent un verre à la main, une cigarette à la bouche. Lesgens autour de moi sont enjoués. Les femmes rivalisent de mimiques pour déterminer laquelle sera laplus populaire, sous les yeux attendris de leurs compagnons. Je laisse ce beau monde à ses débatsexistentiels et me concentre sur l’art de mon ami. Hugo possède un vrai talent, c’est certain. Ses

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peintures sont splendides, érotiques, mais sans vulgarités, tout est dans la subjectivité. Je n’y entendspas grand-chose à l’art, cependant je sais reconnaître les jolies choses. Je me promène entre lestoiles avec toute la décontraction dont je suis capable, noyée dans cette foule quand, soudain, une deses œuvres retient mon attention. Elle représente une jeune femme brune, drapée d’un tissu blanctransparent, son regard marron est rempli de douceur. Ses longs cheveux tombent en cascade sur sesépaules graciles. Entourée d’un halo sombre, elle sourit. À chacune de ses mains pend un maillon dechaîne. Son visage est serein, elle a l’air en paix.

Oh, Hugo, c’est si beau et tu me vois tellement pure, alors que je ne le suis pas, en réalité.Mes yeux se mettent à picoter. Une boule se forme dans ma gorge. Comment peut-il me peindre tel

un halo lumineux dans les ténèbres, alors que je suis tout le contraire ? Je reste là, interdite.Soudain, un souffle léger me lèche et hérisse le duvet de ma nuque. La peur s’insinue dans mes

veines. Je me retourne, sur la défensive. Je me trouve nez à nez avec un homme, il envahit mon champde vision. Je ne vois plus que ses cheveux ébène, ébouriffés, encadrant un visage d’une beautéstupéfiante à l’ossature parfaite, malgré la cicatrice qui descend de sa tempe au bas de sa jouegauche. Ses yeux sont du même vert profond que celui d’une rivière. Hypnotisée, je ne peux plus medétacher de cet adonis, de ce regard qui me scrute intensément, de cette bouche rose et charnue. Lapromiscuité de ses lèvres me coupe le souffle. Un fil invisible me retient à lui et plus rien n’existed’autre que ce regard. Il cligne des yeux, rompant le charme.

— Très jolie peinture, chuchote-t-il.Mon esprit s’égare. J’imagine sa bouche sur ma peau, mes seins… cette bouche entre mes cuisses,

lui à genou, à ma merci. À cette pensée, une vague de chaleur inconnue se déplace le long de macolonne vertébrale.

Stop !Je tente de balayer toutes ces idées érotiques.— Oui, pas mal.Je réponds d’un ton neutre pour mettre de la distance entre lui et mes émotions. Je rougis en

croisant de nouveau son regard, il me fixe d’une façon assez bizarre, ses yeux sont devenus plussombres. La mâchoire crispée, il tourne les talons et s’éloigne comme si le diable lui courait après,me laissant là pantelante, ahurie.

J’ai bien besoin de boire un verre, car, du haut de mes vingt-sept ans, je n’ai, à aucun moment,connu un contact visuel aussi érotique et déconcertant. Les hommes ne m’excitent pas. Ce quim’excite, c’est de les dominer, de les contrôler, être celle qui prend le dessus pour ne plus subir,m’amenant chaque fois à me détester un peu plus.

Je traverse l’espace qui me sépare de l’open-bar. Je me demande si je n’ai pas imaginé cetindividu. Machinalement, je le cherche du regard, mais je ne vois nulle part sa chevelure noire. Jenoie mon trouble dans un second verre de vodka quand Hugo daigne enfin m’accorder un peu de sontemps. Il est radieux d’être au centre de toutes les attentions.

— Alors, Emy, que penses-tu de mon travail ? Et la soirée ? Elle te plaît ?— Oui, c’est super ! Mais, dis-moi, pourquoi cette peinture de moi ?— Ça te choque ? Oh ! Bébé, j’espère que tu ne m’en veux pas. J’ai aimé te peindre.— Non. Enfin… Si ! Ce qui me dérange, c’est la représentation que tu fais de moi.— Je te vois telle que je t’ai dessinée. Tu es la lumière dans mon enfer personnel. Si tu brisais

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cette carapace et que tu arrêtais de te considérer comme une petite chose insignifiante, tu pourrais terendre compte que c’est VRAIMENT TOI sur cette toile. Ah, Emy ! Quand t’éveilleras-tu à la vie ?Quand cesseras-tu de te couper du monde, de t’abriter derrière ce mur en béton armé que tu t’esconstruit ?

Ouais, bah… Pas si solide que ça, mon mur anti-émotions, tout à l’heure, il a eu une sacréefêlure !

Je lève les yeux au ciel et lui souris.— Alors, as-tu vendu beaucoup de toiles ?— Oui, certaines sont bien parties et, d’ailleurs, la tienne est partie pour huit mille euros.Dit comme cela, j’ai surtout la sensation d’avoir été vendue, prostituée pour le plaisir visuel d’un

vieux pervers. Un frisson nerveux me parcourt.— Et qui aura le privilège de me mater tous les soirs ?— Tout de suite les grands mots, Emy ! se moque gentiment Hugo. Il n’y a rien de mal à regarder

une jolie peinture.— Mouais.Il secoue la tête, l’air de dire « tu saoules, Emy ». Il effleure ma joue tendrement et du menton me

désigne la toile qui se trouve à quelques mètres de nous.— Tu sais, c’est ainsi que tu pourrais être, que tu seras, lorsque tu arriveras à briser les chaînes

qui te retiennent au passé.— Qui me retiennent ? Qui me poursuivent, oui !Je hurle presque. Les invités se retournent. Je rougis face à tous ces regards qui se posent sur moi.

Je suis désespérée que mon ami puisse oublier ce détail qui me détruit un peu plus chaque jour. Lesentiment coutumier d’insécurité me prend, m’enserre la poitrine au point de me couper le souffle.Comment peut-il insinuer que je m’accroche à mon passé ? Alors que c’est celui-ci qui me traque, quia juré ma perte.

— Et t’en rends-tu compte ? Si cette peinture finit sur le net ou autre. Tu sais que mon anonymatest la condition sine qua non d’une vie tranquille.

Je suis à la limite de l’hystérie, les yeux brûlants de larmes.— Comment as-tu pu, Hugo ? As-tu oublié Céline ?C’est un coup bas, il l’aimait autant que moi. Son regard se voile de tristesse.— Je suis désolé, répond-il, sincère. Vraiment. Mais avoue, Emy, à quel moment ton soi-disant

anonymat a-t-il suffi à te protéger ? Si tu veux savoir, c’est Ethan Reed qui l’a achetée, ajoute-t-ilpour détourner mon attention.

Il a remarqué, bien sûr, l’angoisse qui m’a submergée.— Et qui c’est, cet Ethan Reed ?Hugo me répond, mais je ne l’entends pas, captivée par une silhouette derrière lui. Il est là, en

face. Le bel inconnu discute avec miss tirée-à-quatre-épingles, il lui sourit. Mais son sourire n’atteintpas ses yeux, il est froid et poli.

D’où je suis, je peux le détailler de pied en cap, sans être distraite par son regard envoûtant. Il estgrand, athlétique, son buste large ne me donne qu’une envie : y poser la tête, y enfouir mon visage etme laisser aller. Il porte un smoking, pas de façon guindée, mais avec une élégance désinvolte. Sescheveux sont en bataille, comme s’il avait passé la journée en plein vent. La ligne rose qui strie sestraits accentue cette beauté sauvage. Quels secrets renferme-t-elle ? Quelque chose chez lui m’attire

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irrépressiblement, cela ne m’est encore jamais arrivé avec mes « conquêtes » d’un soir.Ah, Emy !Je soupire intérieurement en détournant la tête de la friandise tentatrice. Il faut que j’arrête de

divaguer comme ça, que je reprenne le contrôle. Il faut que je sorte d’ici, que je m’éloigne de cetindividu. Comment un homme peut-il, en un seul regard, me porter en des contrées inconnues, mefaire penser à l’acte sexuel comme la chose la plus naturelle et délicieuse qui soit ? Alors que c’esttout le contraire qui régit ce domaine dans ma vie. Dégoût et domination, voilà les termes appropriés.Je laisse la haine m’envahir pour chasser ce désir inédit. Je pose mon verre de vodka sur la table etme concentre à nouveau sur Hugo qui me fixe

— Hey, Bébé, t’es avec moi ?— Je… oui, excuse-moi, je suis épuisée.Je me sens soudain très lasse et ne désire qu’une chose : me retrouver dans le cocon sécurisant de

mon appartement.— Mouais, j’imagine, entre ton nouveau bouquin, ton emménagement récent… Et moi qui te traîne

à l’un des évènements les plus importants de ma carrière ! rétorque-t-il, un peu vexé.— Ne m’en veux pas. Je suis ravie pour toi, mais oui, je suis fatiguée et je vais y aller, dis-je avec

une petite moue contrite.— Ah, je ne t’en veux pas. Tu m’envoies un message en arrivant ? Bonne nuit, Emy.Hugo dépose un baiser léger sur ma joue et disparaît dans la foule. Je soupire et fais volte-face

vers la sortie.Aïe ! Je me heurte à un mur humain et perds l’équilibre.Une main ferme et chaude me rattrape par le bras. D’instinct, je cherche à me dégager. Je ne

supporte pas d’être touchée sans y être préparée. Je sens la peur se distiller dans mes veines et lesang se retirer de mon visage. Je lève les yeux vers la personne qui me tient prisonnière de cetteétreinte et, de nouveau, deux prunelles vertes me happent vers un monde de désirs. Je me mets àtrembler, mes jambes flageolent légèrement. Tout en tentant de calmer ce corps qui m’échappe, jescrute ses traits : il ne sourit pas. Il a même l’air plutôt contrarié comme si…, comme s’il avait pulire dans mon regard le flot sensuel qui vient de me traverser.

Non, mais ce n’est pas possible !Je le fixe, agacée.— Désolée, je ne…— Vous allez bien ? Vous semblez un peu chancelante, me coupe-t-il.— Je... oui, enfin non. Ça va.Je tente à nouveau de me dégager. Je dois quitter cette bulle, m’éloigner de cet homme qui me

procure des sensations inédites. Je prends une inspiration.— Merci, je dois y aller.J’essaie d’adopter un ton ferme, sans succès.— NON !Sa voix claque et je suis interdite par ce ton autoritaire. Mon corps, lui, répond d’emblée à cet

ordre et stoppe tout mouvement de fuite, à mon plus grand agacement.— Je veux dire, reprend-il doucement, vous devriez vous asseoir et boire un verre d’eau. Vous

êtes terriblement pâle et je m’en voudrais de vous voir vous évanouir.

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Sans me demander mon avis, il m’entraîne, du pas sûr de quelqu’un connaissant les lieux, vers unepetite salle attenante à la galerie. Je me retrouve dans ce qui semble être un bureau. Mais mon espritest si brouillé que je ne saurais l’affirmer. Tout ce que je comprends, c’est que je suis seule dans unepièce à peine éclairée avec un inconnu, sans l’avoir décidée. Face à cette perte de contrôle, unevague d’angoisse me submerge et me paralyse. Il se penche, ouvre la porte d’un mini frigo et en sortune petite bouteille d’eau qu’il me tend. Un courant électrique me traverse lorsque nos doigtss’effleurent.

— Buvez, m’intime-t-il doucement.J’obtempère et le liquide coule dans ma gorge, apaisant la brûlure.— Voilà qui est bien, poursuit-il, vous reprenez des couleurs, j’ai bien cru que vous alliez tomber

dans les pommes. Vous étiez aussi blanche qu’une morte.— Je me sens mieux, je ne crois pas que je mourrai ce soir, Monsieur.Venimeuse, je tente de raviver ma haine pour tuer les douces sensations qu’il fait naître en moi. Je

perds tous mes moyens lorsque ses yeux se rivent sur moi.Non, non, non, ça ne va pas du tout !Il approche une main de mon visage, j’amorce un mouvement de recul. Il la laisse retomber au

moment où ses doigts allaient effleurer ma joue. Ses prunelles se voilent un instant de tristesse, ilsoupire.

— Puis-je connaître l’identité de la femme que j’ai sauvée ? sourit-il ironiquement, son regard ànouveau impénétrable.

Mon cœur tambourine, une pellicule de sueur me couvre le front. Tout n’est qu’incohérence dansmon esprit : peur, désir, espoir, envie, haine… Je me gifle mentalement pour reprendre le contrôle demes émotions. La colère m’envahit. Cet homme est un danger pour moi, il me met à nu. Celam’effraie, car jamais je n’ai été aussi attirée par un homme. Je dois partir et rompre le charme de cetinstant déroutant. Je le contourne et gagne la sortie, les yeux rivés au sol, pour être sûre de ne pluscroiser les siens. Lorsque j’atteins la porte, je lui jette un dernier coup d’œil et balbutie :

— Merci, au revoir.Il me regarde, ahuri et agacé.Je fends la foule presque en courant. Une fois dehors, je prends une grande inspiration. La brise du

mois de mai se faufile dans mes cheveux et rafraîchit mon visage brûlant du désir qui vient de mesecouer. Je hèle un taxi, monte dedans et donne mon adresse au chauffeur. Alors que les rues défilentdevant mes yeux, je m’autorise à souffler et m’accorde un instant de réflexion sur ce qu’il s’est passé.Cet homme a, en un instant, éveillé mon corps et mon cœur à la vie. Moi qui croyais les avoir tués. Jeserre les poings, énervée contre moi-même.

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Chapitre 3

Cher journal,

Il est tard, mais il fallait que je te raconte. Ce soir, j’ai croisé un homme ! C’étaitassez bizarre. Il a éveillé des sensations inédites chez moi. Son regard m’aimmédiatement hypnotisée. Il porte une cicatrice sur le côté gauche de son visage,ce qui n’enlève rien à sa beauté, bien au contraire. Je ne me contrôlais plus en saprésence. J’ai pris peur. D’habitude, je choisis les hommes au hasard, leurfaiblesse pour la chair me donne tout pouvoir sur eux. Mais là, il ne leurressemble en rien. Il émane de lui une telle puissance…

Le vibreur de mon portable résonne sur ma table de chevet, dans un bruit de marteau piqueur quime vrille les tympans. Je jette un coup d’œil ensommeillé au radio-réveil. Il est seulement huitheures. Je me tourne sur le côté, enfouis ma tête sous l’oreiller, bien décidée à ignorer cet appelindésirable. Désespérément, j’essaie de me rendormir, mais impossible.

— Zut !Je marmonne en repoussant la couette. De toute façon, j’ai du boulot. Je passe péniblement dans la

cuisine pour préparer mon petit déjeuner. La caféine finira de me réveiller. Pour patienter, j’allume lachaîne hi-fi et la voix de Charles Aznavour s’élève lentement des enceintes disposées de part etd’autre de l’appartement. Sa musique, bien qu’un peu vieillotte, a le don de faire s’envoler monesprit vers un monde plus doux. Enfant, je fermais les yeux et prenais cette chanson pour une prière.

Emmenez-moi au bout de la terre

Emmenez-moi au pays des merveilles,

Il me semble que la misère

Serait moins pénible au soleil…

Adossée au comptoir qui sépare l’espace-cuisine du salon, baignée par le soleil qui diffuse sachaleur à travers la baie vitrée, je me laisse aller à repenser aux évènements de la veille. Pourquoime suis-je sentie aussi démunie face à cet homme ? Je dois bien avouer que, lorsque nous étionsseuls, l’idée de le séduire et de le soumettre à ma volonté m’a effleurée. Mais elle était bien fugaceen comparaison du tumulte de mes émotions. Que m’est-il arrivé ? Il m’a fait perdre la tête…

Je suis tirée de mes réflexions par le loquet de la porte d’entrée que l’on déverrouille. Avec ungrand sourire, je sors une seconde tasse. C’est Hugo qui débarque. Nous avons échangé nos clés defaçon à pouvoir nous réfugier l’un chez l’autre. Il y a un mois, l’appartement à côté du sien s’estlibéré. J’ai sauté sur l’occasion, ainsi je laissais un peu d’intimité à mon ami, tout en restant prochede lui. Il me rejoint dans la cuisine et dépose un baiser sur mon front. Il porte encore son pyjama.

— Salut, toi ! C’est l’odeur de mon café qui t’a attiré ici ?— Entre autres. Ça et le fait que tu ne répondes pas au téléphone, marmonne-t-il.— Oh, désolée si, à huit heures, un samedi matin, je me prélasse tranquillement au lit !Je prends un air vexé pour la forme face au visage crispé de mon ami.— Je m’inquiétais, Emy, tu as oublié de m’envoyer un texto hier soir pour me confirmer ton

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arrivée. Heureusement que le réceptionniste de nuit m’a affirmé t’avoir vue passer.— Alors, pourquoi me téléphoner si tu sais que je suis bien rentrée ?— Je l’ignore, je me suis réveillé et j’ai repensé à ce que tu m’as dit sur ton anonymat… Oh, Emy,

c’est bon, j’ai eu un coup de panique, c’est tout.— Tu es pardonné.Je soupire. Comment lui en vouloir, alors qu’il passe son temps à se faire du souci pour moi ? Il a

dû culpabiliser toute la nuit pour cette fichue toile. J’essaie de le rassurer :— Cesse de t’inquiéter, Hugo, ici, je suis en sécurité, personne ne peut monter sans être inscrit sur

la liste des visiteurs autorisés. Une tasse de café ?Son visage se détend, il me sourit et acquiesce. Nous nous installons sur les tabourets de l’îlot

central de ma cuisine et dégustons nos boissons dans un silence religieux. Tant pour la caféine quepour la magnifique voix de Monsieur Aznavour qui résonne à nos oreilles.

L’interphone retentit, nous sursautons. Le contenu de la tasse d’Hugo se répand sur son bas depyjama en soie. Il recule par instinct, son siège perd l’équilibre et voilà mon ami sur les fesses,maculé de café, sa tasse toujours à la main. Impossible de résister à son air ahuri. Je pars dans un fourire, rejointe immédiatement par Hugo. C’est à peine si j’arrive à articuler un oui, lorsque je répondsà l’interphone.

— Mademoiselle, une livraison pour vous.Mon rire s’étrangle dans ma gorge. Je n’attends pas de colis. D’ailleurs, cet appartement n’est

même pas à mon nom. Je fais suivre mon courrier en poste restante. Face à ma soudaine immobilité,Hugo se précipite sur l’interphone. Je l’entends discuter avec la réceptionniste, mais sa voix se faitlointaine, la peur que mon passé m’ait à nouveau retrouvé s’insinue en moi. Tout mon corps est tendu,crispé. Je retiens mon souffle, attendant que le couperet tombe.

— D’accord, merci, faites monter. Emy, ça va ?Je lève lentement les yeux vers mon ami et le fixe, interloquée.— C’est une livraison par coursier privé, je vais récupérer le colis sur le palier. Hey, respire.Je le regarde se diriger vers l’entrée et sortir. Paralysée, je me laisse submerger par l’angoisse.

Mes yeux font le tour de mon petit appartement. Hébétée, j’observe mon salon. Au centre de celui-citrône un immense canapé en cuir blanc derrière lequel j’ai installé mon bureau. Je fixe la porte de machambre et visualise mon lit en fer forgé, les murs prune et la moquette rose pâle. Cet endroit que j’aiappris à aimer, il va falloir que je le quitte. Déjà. Dans ma tête, je liste les choses à ne pas oublier :mon passeport, l’enveloppe avec mes économies, la valise qui contient tous mes journaux intimes…Tout à mes supputations, je ne remarque même pas le retour de mon ami. Il passe devant moi, levisage anxieux, une boîte blanche rectangulaire, sous le bras, qu’il dépose sur le comptoir. Les yeuxrivés dessus, le souffle court, j’avance d’un pas hésitant. Hugo soupire.

— Tu veux que je l’ouvre pour toi, Bébé ?J’acquiesce. Je ne suis pas assez téméraire pour en découvrir le contenu. Certaine de son

expéditeur, je suis tout juste prête à prendre mes jambes à mon cou. Mon ami s’installe sur le canapé,l’objet de ma peur sur les genoux. Il ouvre précautionneusement la boîte comme un démineur le feraitavec un colis piégé. À cette idée, un frisson me parcourt. Et si… Une expression de surprise se peintsur ses traits. Il soulève un peu plus le couvercle pour contempler le contenu du paquet.

— Eh bien, s’extasie-t-il.D’où je suis, je ne vois rien. Mais devant son sourire, je devine qu’il n’y a aucun danger. Je le

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rejoins, titubante, sur le canapé. La boîte contient une douzaine de roses roses. Elles sontmagnifiquement emballées dans du papier doré. Une carte est posée sur le dessus du bouquet.

— Eh bien ! soupire de nouveau Hugo.— Hey ! C’est tout ce que tu as dans ton vocabulaire ?— Non, mais avoue que c’est surprenant. Qui t’envoie ces beautés ?Je hausse les épaules, je n’en sais pas plus que lui, mais n’en suis pas moins surprise. Par contre,

ce dont je suis sûre, c’est que mon passé ne s’annoncerait pas avec autant de délicatesse. Et c’estd’une main tremblante que j’attrape la carte.

Roses comme le sont vos joues lorsque vous n’êtes pas sur le pointde vous évanouir. Au plaisir de vous revoir.

Ethan Reed

— Eh bien !Ce coup-ci, c’est moi qui n’ai plus de vocabulaire. Je suis bouche bée. Hugo m’arrache la carte

des mains, la lit et se tourne vers moi, les sourcils froncés.— Qu’est-ce que c’est que cette histoire, Emy ? Tu t’es évanouie ? Et Ethan Reed ? Bon sang,

Emily !Je prends une grande inspiration et lui raconte tout ce qu’il s’est passé la veille avec le bel adonis.—… Ce qui est le plus étrange, tu vois, c’est que je ne me suis jamais sentie attirée ainsi. C’était

bizarre, comme si quelque chose me liait à cet homme, je me suis imaginée au lit avec lui, mais sansressentir le besoin de lui faire du mal, enfin tu vois.

Je baisse la tête, rougissante, devant l’air ahuri de mon ami.— En tout cas, tu ne l’as pas laissé indifférent non plus, apparemment, répond-il en agitant la carte

sous mon nez. Et regarde, il t’a écrit son numéro de portable au dos.— Il a fait ça par pure politesse.— Allons, Emy, arrête de te dévaloriser.Mon sang se glace. Comment m’a-t-il retrouvée ? Je ne lui ai pas révélé mon identité hier soir. Je

fais part de mes inquiétudes à Hugo. Celui-ci, au bout de deux minutes, me confie que cette soiréeétait parrainée par les Établissements Reed. Mon nom figurait sur le carton d’invitation.

— Tu te rends compte qu’avec ton seul nom, il a dû creuser pour savoir où tu vivais. Tu me diras,il en a le pouvoir.

Je me fige, les battements de mon cœur affolé résonnent à mes oreilles.— Mais comment ça, il en a le pouvoir ? C’est qui ce type ?— Ma douce, tu passes trop de temps dans ta bulle. Si tu t’intéressais au monde qui t’entoure, tu

saurais que ce type, comme tu dis, est à la tête de Reed Holding Internationale et, accessoirement,l’une des plus grosses fortunes mondiales. C’est un bel homme, mais sa cicatrice lui donne un airdangereux. J’ai eu l’occasion de lui parler hier, j’étais sous son charme et flippé en même temps.

Il part dans un grand éclat de rire et je me recroqueville sur le canapé, vexée et apeurée. Jebafouille :

— Hugo, s’il a pu me trouver rien qu’avec mon nom, sachant que cet appartement est au tien, çaveut dire que…

— Non, Emy, il... ton passé ne te retrouvera pas aussi facilement. S’il est remonté jusqu’à toi à

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Toulouse, c’est uniquement à cause de ce chèque que tu as fait à ta mère à cette époque.En effet, trois semaines avant que mon passé ne détruise ma vie toulousaine, j’avais envoyé de

l’argent à ma mère. Cette dernière se souvient de mon existence seulement quand elle a un besoinfinancier. Elle m’avait pourtant assuré ne plus être en contact avec lui. Bêtement, je lui avais envoyéun chèque, permettant ainsi à mon passé de me retrouver facilement. Sans cela, mon amie seraitencore en vie et nous serions en train de déguster des friandises, vautrées sur mon canapé…

— Cesse de te biler, reprend Hugo en me tendant la boîte de roses. Tiens, tu devrais les mettredans l’eau, il serait dommage qu’elles s’abîment.

***

Assise devant mon ordinateur, j’essaye de me concentrer sur le chapitre à terminer. J’écris monquatrième roman. Je tente de me focaliser sur mon récit, mais mes yeux et mes pensées sontirrémédiablement attirés par le bouquet de roses posé sur la table du salon, face à moi. Trop dequestions me trottent dans la tête. Ai-je imaginé les sensations que m’a procurées cet homme ? Etpourquoi, à son contact, toutes mes angoisses ont-elles volé en éclat ? Surtout, comment est-ilpossible qu’il m’ait fait tant d’effet ? Moi qui me croyais insensible. Trop de questions, trop dedoutes viennent bouleverser la petite vie tranquille que je tente de rebâtir. Je suis en traind’apprendre à ne plus considérer la gent masculine comme un objet sexuel et lui débarque avec le lotde fantasmes qu’il m’inspire.

Je ferme les yeux pour chasser tout cela de mon esprit, mais son regard émeraude, ses cheveuxd’encre et son visage balafré s’imposent à moi, réveillant une chaleur au creux de mon ventre. Denouveau, la colère m’envahit. Qui est-il, bon sang, pour me tourner ainsi les sens ? Rien que pour ça,je le déteste… Enfin, pas vraiment. Et ma nouvelle psychiatre qui me conseille d’apprendre à faireconfiance, à vivre un peu, à écouter mon cœur, à ressentir les choses…

Bah, tiens, facile à dire !Agacée, je me lève, empoigne roses et petit mot pour les jeter à la poubelle. Les paroles qu’Hugo

a prononcées avant de quitter mon appartement ce matin me reviennent.— Emy, d’après ce que je sais, Ethan Reed, du moins d’après les tabloïds, n’est pas du genre

fleurs et tralala avec les femmes, il a même une sale réputation de ce côté. Fais attention à toi.Raison de plus pour me débarrasser rapidement de tout ça et le chasser de mon esprit. Je n’ai pas

besoin d’un couche-toi-là à mes basques. Je me suffis à moi-même dans ce domaine. Mais, si ce n’estpas son genre, pourquoi m’avoir envoyé ce somptueux bouquet ? Et son numéro au dos de la carte,s’attend-il à ce que je l’appelle ? Tout cela commence à me donner la migraine. Deux parts de moi sedisputent âprement le morceau. L’une dont je ne soupçonnais pas l’existence hier fond devant cetteattention romantique et plus encore à l’idée de revoir le bel adonis. L’autre, ma colère, estcatégorique, je ne dois pas succomber à la tentation, mais tuer dans l’œuf les sentiments qu’ilm’inspire. Ah, je nage en plein doute.

Levant les yeux au ciel pour l’une comme pour l’autre, j’attrape les fleurs et la carte pour les jeterà la poubelle, mais, au moment de joindre le geste à la pensée, je n’arrive pas à m’y résoudre.L’Emily romantique qui émerge a gagné cette bataille, on dirait. Je suis déconcertée par ce tumulteémotionnel. À croire que mon esprit et mes mouvements ne se coordonnent plus.

— Argh ! Et puis merde, ça me gonfle !Fatiguée de mes sautes d’humeur, je tourne le dos à la poubelle et, en passant, balance les fleurs

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dans l’évier avec toute la rage dont je suis capable pour me prouver que ces roses n’ont aucuneimportance. Je m’installe de nouveau à mon bureau, mais leur odeur entêtante me chatouille lesnarines. Je me relève, avance dans la cuisine et me penche lentement au-dessus de l’évier. Quand jeles vois ainsi, toutes abîmées, une vague de tristesse inattendue m’envahit. Je les ramasse et lesrepose délicatement dans le vase. Je dois avoir l’air aussi esquintée et piteuse que ces misérablesfleurs. Je hausse les épaules, agacée par mon accès de colère puéril et inhabituel. Même à distance,cet Ethan Reed arrive à mettre le bazar dans mes émotions, il faudra que j’en touche deux mots à mapsy lundi.

Ma pauvre fille, tu es vraiment irrécupérable.

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Chapitre 4

Cher journal,

Je prends cinq minutes pour t’écrire. L’homme rencontré hier soir à la galeries’appelle Ethan Reed. Comment je le sais ? Eh bien, figure-toi, cher ami, qu’il m’afait livrer des fleurs magnifiques. Du moins, elles l’étaient avant que je m’acharnedessus. Pourquoi ? Parce que tout cela me déroute complètement. D’un côté,l’appel de la chair que je n’ai jamais ressenti et, de l’autre, la peur. Je me sens sifaible. Aujourd’hui, je comprends tous ces hommes qui me suivaient sans broncher,qui se laissaient malmener pour le simple plaisir d’assouvir leurs besoins. Maisc’est si terrifiant qu’il ait pu me retrouver si vite…

Je suis de nouveau devant mon écran d’ordinateur, bien décidée à ignorer les pauvres roses quitrônent dans mon salon. Il faut que je me remette au travail pour éloigner la folie qui me guette. Jerelis les dernières phrases rédigées et me rends compte qu’elles sont remplies de clichésromantiques.

Pouah, c’est pas moi, ça !Je les efface et reprends là où j’en étais. Je me concentre et les mots viennent tous seuls. Très vite,

les lignes défilent, je me glisse dans la peau de mon personnage et je me coupe du monde. Depuismon enfance, la littérature a été une bouée de sauvetage. D’abord par la lecture. J’y ai découvertqu’il existait une multitude d’univers différents. Cela me permettait d’appréhender certaines émotionset situations, mais également de m’évader loin de mon enfer. Au travers d’épopées romanesques, j’aiconnu l’amour. La littérature a nourri mon imaginaire, comblant le vide affectif laissé par une mèredémissionnaire. En grandissant, je n’avais plus besoin de lire pour m’éloigner de ma triste réalité, ilme suffisait de fermer les yeux et de me créer une nouvelle vie faite d’aventures et de princescharmants. Même lorsqu’on est démunie d’amour et de tendresse, souillée et détruite, une part denotre cœur garde l’espoir de vivre un jour ces merveilleuses histoires. Par la suite, j’ai décidé decoucher mes rêveries sur le papier et, à onze ans, j’ai entamé mon premier journal intime, mondéfouloir. Il m’a permis de poser mes souffrances. Je pense que cela a participé grandement à masurvie.

La sonnerie de l’interphone résonne et me tire de mon imagination. Je regarde la pendule fixée aumur devant moi : seize heures une.

Déjà !Encore une fois, je n’ai pas vu le temps passer. Seule la raideur de ma nuque m’indique que je suis

restée deux heures immobile. L’interphone fait à nouveau entendre sa voix stridente, je m’étire et melève pour décrocher. Je dois être trop lente à répondre pour la réceptionniste qui patiente à l’autrebout du fil, car je n’ai pas le temps de l’atteindre qu’il se tait. Je hausse les yeux au ciel, exaspérée,et fais demi-tour vers la cuisine pour me chercher un truc à grignoter.

Je suis perchée sur la pointe des pieds à fouiller dans mes friandises lorsque mon portable se metà vibrer. Je tourne la tête et perds l’équilibre, entraînant dans ma chute la moitié du contenu duplacard. Je me retrouve là, assise au sol, entourée de paquets de chips, de barres chocolatées et debonbons en tout genre. Une nouvelle vibration sur le comptoir m’arrache un soupir exaspéré.

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Fichu portable et fichu placard trop haut !Je me relève et récupère le téléphone. Sur l’écran d’accueil, le numéro de la réception s’affiche.— Allo ?— Mademoiselle, un certain Monsieur Reed insiste pour vous voir et comme vous ne répondiez

pas à l’interphone…Mon cœur se met à tambouriner. Bon Dieu, qu’est-ce qu’il fout là ? Il ne peut pas me ficher la paix

! Ça tourne au harcèlement.— Je ne veux pas le voir.Je suis en colère parce qu’en persistant ainsi, il ravive mes angoisses. Pour qui se prend-il, ce

type ? Un bouquet de fleurs et c’est dans la poche ? Enfin plutôt dans le lit !— Bien, Mademoiselle. Excusez-moi du dérangement, me dit-elle. Je suis désolée, Monsieur,

mais vous n’êtes pas autorisé à monter, reprend-elle à l’attention d’Ethan Reed.— C’est ce qu’on va voir.— Je suis obligée d’appeler la sécurité si vous…— Appelez-la, votre fichue sécurité !Je suis abasourdie et terrifiée par son intrusion. C’est une chose de m’envoyer des fleurs, c’en est

une autre de venir ainsi forcer mon intimité. Tel un automate, je raccroche au nez de la réceptionniste.Déstabilisée par cette irruption dans ma vie, je reste figée, aux aguets. Est-il en train de monter ou lasécurité l’a-t-elle intercepté ?

L’un des avantages de cet immeuble, c’est la réception qui filtre les allées et venues. Il suffit d’ydéposer une liste avec l’identité des personnes autorisées à me rendre visite. Pour ma part, celle-ciest vide, puisque le seul qui vient me voir, c’est Hugo. Cependant, face au professionnalisme dupersonnel et sur l’insistance de mon ami, je leur ai donné le nom et une photo de mon passé afin de leblack-lister. Bien sûr, je ne suis pas rentrée dans les détails et leur ai expliqué que cet homme meharcelait, qu’il fallait s’assurer qu’il ne m’approche pas. Les employés — la réceptionniste et le chefde la sécurité — m’avaient affirmé qu’ils seraient sur leurs gardes et veilleraient à ma tranquillité.

Dans mon appartement règne un silence lugubre, entrecoupé par le tic-tac de mon horloge. Je fixela trotteuse qui continue inlassablement son chemin. L’aiguille n’a fait que deux tours complets quandle son des portes de l’ascenseur résonne sur le palier. Mon cœur tressaille et accélère sa courselorsque ma sonnette retentit. Je retiens ma respiration, espère vivement qu’il renonce et fasse demi-tour, mais il insiste. Je songe à l’arme rangée dans ma chambre. Trop loin. Sans un bruit, j’ouvre letiroir de la cuisine et attrape un couteau. J’ai besoin de sentir que je peux me défendre. Ma tension està son comble. Mon esprit me crie « DANGER ». Je reste figée quelques minutes. La sonnette se tait.Je soupire et relâche la pression qui me maintenait en alerte. Pensant qu’il est enfin parti, je reposelentement mon arme de fortune sur la table. Je la regarde, horrifiée, me demandant jusqu’où je seraisprête à aller pour me protéger. Un frisson me parcourt à cette idée. Durant ces dernières minutes, j’aiocculté la personne derrière ma porte. Une part de mon esprit a superposé la situation présente avecune autre. Celle où mon passé viendrait frapper. Mon corps se met à trembler. Contrecoup de laterreur.

Grâce à de grandes inspirations — technique de relaxation apprise en thérapie —, je me calme.J’attrape mon portable et traverse le salon pour me réfugier dans ma chambre. Il faut que j’appelleHugo. Au moment où je passe devant le couloir qui mène à l’entrée, je suis stoppée net par un bruitprovenant du palier. Je me raidis et tourne la tête. Il est toujours là. Soudain, un morceau de papier

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glisse sous la porte. Je le fixe bêtement. Il m’attire. Curieuse, je m’approche à pas de loup. J’appuiemes paumes sur le bois et me hisse sur la pointe des pieds pour coller mon visage sur le judas. Jetombe nez à nez avec deux magnifiques yeux verts. Ethan Reed scrute la porte comme s’il pouvaitvoir à travers. Malgré ma peur, je suis happée par ce regard. Un courant électrique me parcourt et,sans réfléchir, je plaque mon corps contre le bois pour ne faire plus qu’un avec lui. Mes mainssouhaiteraient traverser la barrière qui nous sépare et se glisser dans sa belle chevelure noire. Ilsourit. Il a senti ma présence ! Je recule doucement. Je me penche sans un bruit et récupère la feuilleà mes pieds. Je la déplie.

Je veux juste vous revoir. Ethan

J’étouffe un hoquet de surprise et fais un pas en arrière. Je l’entends soupirer. Tremblante, je merapproche à nouveau et regarde par le judas.

Mais qu’est-ce que je fous, bordel ?Je devrais me réfugier dans une pièce, loin de l’entrée, appeler Hugo ou la sécurité — d’ailleurs,

où est-elle ? —, mais c’est plus fort que moi, j’ai besoin de le voir, de croiser ses yeux. Quem’arrive-t-il ? Abritée derrière ma porte, je le contemple. Sa cicatrice éveille ma curiosité. Quellesblessures renferme-t-elle ? Machinalement, je passe un doigt sur la mienne, signe de mes souffrances.Ma respiration s’emballe troublant le silence. Certaine qu’il peut la percevoir à travers la porte, jetente désespérément de la ramener à un rythme plus paisible, mais les poumons me brûlent. EthanReed secoue tristement la tête. Son masque tombe, révélant sa vulnérabilité. Je caresse le bois dubout des doigts. À son tour, il pose une main sur la porte. Malgré la cloison qui nous sépare, je sensce contact. Mon corps s’embrase. Mon côté impulsif lui ouvrirait pour se jeter dans ses bras, mais maraison est bien plus forte à présent.

Je recule en direction de ma chambre. J’entends l’ascenseur qui se referme. Il est parti. Je melaisse tomber sur mon lit, vannée par l’intensité de mes émotions contradictoires. Le souffle court, lesmains moites, je fixe le plafond blanc. À l’angoisse se mêle l’espoir. J’ai envie de croire qu’unhomme peut s’intéresser à moi autrement que pour le sexe. L’Emy qui va mieux se heurte à la jeunefille terrorisée qui se tapit encore au fond de mon cœur. Si nous n’étions pas samedi, je courrais aucabinet de ma psychiatre pour y démêler tout ça.

Mon portable sonne, me ramenant à la réalité. Je vérifie la provenance du numéro et décroche.Hugo. Ma voix éraillée lui met la puce à l’oreille. Je relate les précédentes minutes. — J’arrive, jesuis là dans un quart d’heure, ils vont m’entendre à la réception, dit-il avant de raccrocher.

Tout s’est passé si vite, pourtant cela m’a paru être une éternité. Entre le coup de fil de laréceptionniste et le moment où Ethan Reed est reparti, il a dû s’écouler à peine dix minutes. Le réveilposé sur ma table de chevet indique seize heures dix-sept. La scène n’a en effet pas duré longtemps.Quelques instants qui m’ont semblé des heures.

Comme promis, mon ami débarque quinze minutes plus tard. Il me rejoint dans ma chambre ets’allonge près de moi, sur le lit. Je me love contre lui. Il me caresse les cheveux et, peu à peu,l’angoisse s’éloigne.

— Qu’est ce qu’il m’arrive, Hugo ? J’ai l’impression de perdre pied. D’un côté, la peur ; del’autre, le désir de le revoir.

J’éclate en sanglots, toute la tension accumulée explose. Mon ami resserre son étreinte.— Là, Bébé, calme-toi. Tu es paumée parce que cet homme t’attire et que tu luttes contre toi-

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même. Par son insistance, il te fait perdre le contrôle et ça va à l’encontre de ton instinct. Peut-êtreque ce chamboulement est le signe que tu évolues, que tu baisses la garde.

Je l’écoute, il me connaît mieux que personne, mieux que moi-même. Je suis toujours fascinée parsa facilité à me comprendre. Il parle aussi bien que ma psychiatre.

Il faut dire qu’il a partagé tant de choses avec moi toutes ces années. Et aujourd’hui que je suisenfin sur la voie de la guérison, je peux aisément constater tout le chemin parcouru ensemble. Il nem’a jamais jugée lorsque j’étais au plus fort de mon syndrome post-traumatique — commel’appellent les psys —, il est resté présent et m’a soutenue quand, assaillie par mes angoisses, j’aitenté de mettre fin à mes jours. Il m’a accompagnée tout au long de mon parcours destructeur, alorsque la douleur psychologique était si insurmontable que je me mutilais pour la faire taire. Combiende fois a-t-il patiemment soigné mes plaies ? Toutes ces nuits où il demeurait à mes côtés, éveillés,me tenant dans ses bras afin d’éloigner les cauchemars. Plus tard, lorsque cette sorte d’addiction ausexe a débuté, il m’a soutenue, allant jusqu’à rencontrer la psychiatre qui me suivait à l’époque pourêtre plus apte à m’aider. Et pourtant, lui-même s’est longtemps battu contre ses propres démons. Lesannées d’humiliation et de brimades de ses camarades qui se moquaient de son homosexualité ont faitde lui un jeune homme renfermé. Il s’est éloigné de sa famille, a commencé à fréquenter des junkiesen marge de la société. La drogue l’a aidé à supporter sa solitude, elle était sa source d’évasion, elleanesthésiait sa douleur. Mais cela coûte cher et, quand on est sans le sou, il ne nous reste plus qu’àvendre notre bien le plus précieux : notre corps. Pour s’offrir sa dose d’héroïne, il se prostituait.Ainsi, depuis le jour de notre rencontre, l’un a été la béquille de l’autre. Il m’a réconciliée avec lavie. À l’évocation de toutes ces épreuves traversées ensemble, je tressaille et murmure :

— Merci.— Merci à toi, Bébé.— Quel couple d’amis bancal nous formons !— À qui le dis-tu ! reprend-il avec un rire désabusé.Je me blottis davantage au creux de ses bras. Comme toujours dans les moments d’angoisse, nous

restons l’un contre l’autre, silencieux. Hugo finit par se redresser pour me faire face.— Tu sais, j’avais pensé que, ce soir, nous pourrions fêter le succès de mon vernissage. Et puis,

ça nous ferait le plus grand bien.— Et quel est le programme ?— Une sortie en boîte, ça te dit ?Je me raidis, je n’ai plus fréquenté ce genre d’endroit depuis des mois pour ne pas, une fois ivre,

entraîner le premier venu dans une partie de jambes en l’air sauvage. Hugo me presse la main en ungeste tendre.

— Allons, Emy, tout va bien se passer. Tu ne peux pas éternellement te terrer pour éviter decroiser des hommes. Tu es plus forte maintenant, je suis sûr que ça va aller.

Il a raison. Pour citer ma psy, il est temps de prendre des risques calculés et de me mettre àl’épreuve progressivement. Malgré mon appréhension, j’acquiesce.

— Bien, je te bipe tout à l’heure, je dois retourner à la galerie, reprend-il, je peux te laisserquelques heures ?

Je hoche la tête en souriant. Il se penche et dépose un baiser sur mon front.— Je t’aime, Bébé, chuchote-t-il.— Je t’aime.

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Il quitte mon appartement. Je me lève péniblement et m’étire. Je regarde le désordre qui règneautour de moi. Des vêtements traînent dans tous les coins. Je pousse un soupir, il est temps de revenirsur terre et de faire du rangement. Sans compter que cela dénouera mes muscles tendus et endolorisde toute l’angoisse accumulée. Je passe rapidement dans le salon et enclenche la radio pour romprele silence. Un air entraînant résonne alors dans l’appartement. Je m’attelle au ménage en commençantpar ma chambre. Il me faut presque une heure pour la rendre impeccable. Une fois que j’ai terminé,j’inspecte mon œuvre. Tout est propre et parfaitement rangé. La pièce me fait l’effet d’un lieuimpersonnel, stérile. Là où d’autres amoncellent un tas de souvenirs, je n’ai que quelques livresdisposés sur une petite étagère face à mon lit, une photo d’Hugo, Céline et moi posée sur ma table dechevet et une valisette sous mon lit contenant mes journaux intimes. Seulement quelques bribes de mavie. Je réalise qu’à vingt-sept ans, je n’ai pas eu un seul vrai chez moi. À Toulouse, c’est la présencede Céline qui me donnait l’illusion d’être chez moi. J’ai bien eu des appartements, mais je n’aijamais eu le loisir de les transformer en des lieux personnels, avec des souvenirs et des objets quej’affectionne. Je ne peux pas avoir ce luxe. Chaque fois que je fuis, je n’emporte que le strictminimum. Finalement, ma vie tient dans quelques bagages. Triste constat.

Je secoue la tête pour chasser la mélancolie qui me guette et me rends au salon afin de continuermon rangement. En passant, je remarque les friandises dans la cuisine. Je me baisse et les ramasse.Alors que je termine de jouer les fées du logis, mon estomac me rappelle à l’ordre et gronde. Jeconsulte la pendule. Il est bientôt dix-neuf heures et je meurs de faim. J’ouvre le réfrigérateur etrepère ce qui pourrait faire l’affaire. Je m’applique alors à me préparer un dîner copieux. Poulet etpommes de terre grésillent dans la poêle. L’odeur savoureuse qui s’en dégage chatouille mes narines.Mon ventre crie d’impatience. Pour tromper l’attente, je débouche une bouteille de vin et déguste unverre, accoudée au comptoir. Mon portable vibre. Je lis le texto : Hugo me demande si tout va bien.

Oui, je sirote un vin et toi, tu fais quoi ?

Je souris, il ne peut s’empêcher de se faire du souci.Je regarde la liste des traiteurs.Je glousse. Mon ami est incapable de se faire cuire des pâtes. C’est peut-être dans ce domaine que

mon aide lui aura été le plus utile ces dernières années, je l’ai nourri convenablement.

Laisse tomber le traiteur, je fais du poulet.

J’éclate de rire quand il m’envoie toute une série de smileys souriants. À peine deux minutes plustard, il franchit le seuil de ma cuisine.

— Avoue-le, tu ne peux pas te passer de moi, dis-je moqueuse.— Jamais sans toi, répond-il en se servant un verre de vin.Il se penche au-dessus de la poêle et renifle avec gourmandise. Je lui tends la spatule pour qu’il

remue le poulet le temps que j’aille éteindre la radio et allumer la télé. Je zappe sur les chaînesjusqu’à trouver un programme intéressant. Le repas prêt, je le dispose dans deux grands plateaux.Nous nous installons sur le canapé. Absorbés par un documentaire sur les mammifères marins, nousdévorons notre dîner. Vus de l’extérieur, nous pourrions passer pour un vrai petit couple.

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Chapitre 5

Cher journal,

Ethan Reed est venu frapper chez moi cet après-midi. Bien sûr, je ne l’ai pas laisséentrer. Il a glissé un mot sous ma porte. Il a une très jolie écriture, soit dit enpassant. La peur me tenaillait, mais je n’ai pu m’empêcher de l’observer à traversle judas. Revoir son visage m’a fait le même effet qu’hier. Que m’arrive-t-il, cherami ? Bon, autre souci et non des moindres : ce soir, je sors avec Hugo. Je suisangoissée à l’idée de flancher. Séduire un homme et me détruire à nouveau par lesexe réduirait tous mes efforts à néant…

Je contemple, dubitative, les tenues étalées sur mon lit. Que vais-je mettre ? Je ne suis jamaisallée en boîte de nuit pour m’amuser. Machinalement, je tourne la tête vers le petit sac posé à côté demon armoire. Je frissonne à l’idée de ce qu’il contient. Une robe ultra courte en cuir noir, desescarpins de la même couleur, plusieurs perruques et du maquillage. Déguisement destiné à meglisser dans la peau de l’autre Emy, la dominatrice. Une vague de dégoût mêlé à de l’excitationm’envahit. Je suis comme un héroïnomane face à sa dose. Fébrile, je me détourne vite, repoussant latentation de revêtir à nouveau ce rôle. Je reporte mon attention sur les vêtements disposés devant moi.Je pioche au hasard un jean et une tunique bleu-marine à manches longues. Je risque d’avoir un peuchaud, mais plus je serai couverte et moins j’attirerai les regards masculins. Cela m’évitera sûrementde me jeter sur le premier venu. Même sur la voie de la guérison, je sais que mes démons ne sont pastrès loin. Les habits choisis sous le bras, je passe dans la salle de bain et me glisse sous une douchebrûlante. L’eau coule sur ma peau et sa chaleur me détend. Lorsque la vapeur remplit l’espace,l’épiderme rougi, je me décide à sortir de ce cocon. Le bien-être disparaît rapidement, laissant ànouveau place à l’angoisse. Je prends une grande inspiration et me concentre pour ramener le calmedans mon esprit.

Tout va bien se passer ! Tu vas profiter d’un bon moment avec Hugo. Point.Je finis juste de me préparer quand mon ami pénètre tout guilleret dans ma chambre.— Prête, Bébé ?À l’évidence, il est bien plus emballé que moi à l’idée de sortir. La mâchoire légèrement crispée,

j’acquiesce. Il me prend le bras et nous quittons l’appartement.

***

Nous sommes installés sur une des nombreuses banquettes rouges, disposées autour de la piste dedanse. Une serveuse dépose nos consommations sur la table basse devant nous. Le disc jockey noussurplombe dans sa cabine à quelques mètres. À proximité du bar, j’aperçois un petit couloir.Sûrement l’accès aux toilettes. Les spots multicolores nous teintent tantôt de bleu, de rouge, de jauneou de vert. J’en suis à mon deuxième verre, alors qu’Hugo n’a pas encore fini le premier. Ce soir, jebois, non pas pour me donner le courage d’aborder un homme, mais justement pour ne pas le faire.Pas très cohérent. Mais l’ai-je déjà été ? La musique assourdissante me vrille le crâne et mon cœurbat au rythme des basses. Au bout d’un moment, l’alcool fait son effet et je commence à me détendre.Hugo, nonchalamment assis à mes côtés, scrute la piste avec envie.

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— On va danser, Bébé ?Je regarde tous ces corps qui ondulent devant moi avec appréhension. Je suis obligée de hurler ma

réponse à ses oreilles.— Je… Non, vas-y, toi, je préfère rester là.— Allez, Emy, viens t’amuser avec moi.Sans me laisser le choix, il me tire par la main et m’entraîne sur la piste. Il commence à se

déhancher. Je me tiens immobile, mal à l’aise au milieu de cette foule. Du coin de l’œil, je vois unhomme qui me fixe. Il est de taille moyenne, blond, mince, plutôt mignon. Je passe ma langue sur meslèvres. Mes yeux font la navette entre l’inconnu et le couloir sombre, isolé des regards derrière lui.Je pourrais facilement l’y entraîner, le… Au prix d’un effort, je me détourne.

Je ne suis plus cette femme-là !Hugo qui a remarqué mon manège me prend dans ses bras et nous fait bouger sur le rythme de la

house. Forte de sa présence à mes côtés, je me laisse enfin aller et commence à remuer avec lui. Unsourire de satisfaction se dessine sur ses lèvres. L’inconnu est très vite oublié. Portée par la musique,je ris à mon tour. J’occulte la foule autour de nous et me focalise sur mon ami. Je bouge en cadenceavec la mélodie. Finalement, je m’amuse. J’ai toujours aimé la danse. Après une vingtaine dechansons, en sueur et essoufflée, je fais signe à Hugo et lui indique que je retourne m’asseoir. Enpassant devant le bar, je me commande une autre vodka. Un homme se penche vers moi.

— Je vous offre un verre ? me demande-t-il.Je le jauge deux secondes. Grand, brun, yeux marron, pas mal. Je lui renvoie son sourire.— Non merci, je suis accompagnée.Fière d’avoir réussi à ne pas succomber, je reviens vers notre table.Je sirote tranquillement ma boisson, l’attention rivée sur Hugo qui s’est trouvé un partenaire,

quand je sens un mouvement sur la banquette. Je tourne la tête et, dans un geste de recul instinctif,manque de renverser mon verre. Figée, je regarde la personne qui vient de prendre place à mes côtés.Ethan Reed me sourit.

Mais ce n’est pas vrai, ça devient du harcèlement !Je m’apprête à lui lancer une remarque désobligeante, mais je n’ai pas le temps d’ouvrir la

bouche.— Vous êtes ravissante, Emily, crie-t-il pour couvrir le bruit de la musique.Mais qu’est-ce qu’il fout là ?Il se penche lentement vers moi, je jette un coup d’œil désespéré à la piste de danse, espérant

attirer l’attention d’Hugo, mais je ne le distingue plus au milieu de la foule. Il a dû s’éclipser unmoment avec le beau jeune homme. Je sens le souffle d’Ethan sur ma joue. Je frissonne, mais, à mongrand étonnement, pas de peur. La chaleur de son haleine déclenche des picotements agréables sur mapeau. Déconcertée, je me lève et le plante là. Je traverse la salle en courant presque et me réfugiedans les toilettes. Je m’approche des lavabos pour me passer un peu d’eau sur le visage. Un groupede femmes plaisante tout en se remaquillant, puis sort. Seule, je tente de remettre de l’ordre dans mesidées, mais sans succès. Ce type est flippant. D’abord, il débarque chez moi, puis ici. Il me fait peuret, pourtant, une part de moi est attirée par lui. Je reste là, à faire le tri de mes émotions. Quand je medécide enfin à sortir, il est adossé au mur, les bras croisés dans une apparente nonchalance. Je suisinterdite.

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Sa beauté me frappe une fois de plus. Il est vêtu d’un jean, mettant en valeur ses longues jambesmusclées et un t-shirt noir, moulant son torse, telle une seconde peau, me laissant entrevoir samusculature et son abdomen plat. Même en tenue décontractée, on sent en lui l’homme de pouvoir. Ledésir inonde mon bas ventre. Tout n’est qu’incohérence, j’ai envie de m’éloigner et de me rapprocheren même temps.

— Je vais finir par croire que vous êtes un harceleur, Monsieur Reed.— Loin de là, Mademoiselle Maricourt, sourit-il, vous me plaisez, tout simplement.Je hausse les épaules. Agacée, je préfère fuir. Mais, lorsque je passe devant lui, il m’attrape par le

coude, stoppant net mon élan. Je tire violemment pour me dégager.— Lâchez-moi tout de suite !— Accordez-moi juste quelques instants, m’implore-t-il.Dans son regard, je lis de l’angoisse. Je ne sais ce qui me prend à ce moment, mais je cesse de me

débattre et acquiesce. Il relâche mon bras et me fait signe de le suivre quelques mètres plus loin, àl’écart de la foule et du brouhaha ambiant.

— J’ai beaucoup pensé à vous depuis hier, Emily.Puis, il fait dériver son regard le long de ma poitrine jusqu’à mes cuisses. D’instinct, je couvre

mon buste de mes bras— Et… pas de façon platonique, ajoute-t-il, le regard brûlant.Mon cœur accélère sa course folle, mais pas de peur, non, c’est autre chose. Je me concentre sur

la petite voix qui se réjouit que cet homme ait songé à moi. Elle me supplie de me laisser aller, pourune fois, pour qu’elle puisse vivre. Mes yeux rivés aux siens, toutes les barrières érigées depuis tantd’années se fissurent. Incapable de mentir face à ce regard pénétrant, j’avoue :

— Moi aussi, j’ai beaucoup pensé à vous, Monsieur Reed.— Je suis ravi de te l’entendre dire, Emily.Tiens, nous sommes passés au « tu » ?Je secoue la tête. Ça ne va pas du tout. Mais que m’arrive-t-il ?— Je... pourquoi vous me suivez ainsi ?— Je t’effraie, n’est-ce pas ?— Bien sûr, comment ne pas l’être ? Vous trouvez mon adresse, vous débarquez chez moi et ici…— Oh, c’est ça qui t’effraie ? demande-t-il, surpris.Je le regarde, abasourdie. Il se pince l’arête du nez et prend une grande inspiration.— Je n’agis pas de la sorte d’habitude, reprend-il, mais, depuis hier, je n’ai qu’une envie : te

revoir. Je ne me l’explique pas.— C’est une erreur !Ma voix est presque inaudible. Je perds tous mes moyens.— Pourquoi ?Il penche la tête, attendant ma réponse. Son haleine m’effleure le visage. Mes narines se dilatent et

inspirent cette délicieuse odeur. Je demeure muette. Mais qu’est-ce que je veux vraiment ? Fuir ?Rester ? Qu’il parte ? Je n’en ai pas la moindre idée. Face à mon mutisme, un sourire doux et chauddéforme sa cicatrice. Je m’absorbe dans la contemplation de ces traits si parfaits et si marqués. Quelssecrets renferment-ils ?

— J’ai envie de te connaître, d’explorer toutes les parties de ton corps et de ton âme. Tu es sidifférente des autres femmes, tu me regardes différemment. Quelque chose chez toi m’attire d’une

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manière incontrôlable.Mes jambes tremblent légèrement, ma respiration s’accélère. La peur n’a plus de place, je ne suis

que désir. Il m’observe en silence.— Tu es si belle, finit-il par lâcher.Je secoue la tête. Il ne dirait pas cela s’il avait vu les petites cicatrices qui me strient le ventre,

signe des souffrances infligées pour oublier. Nos corps se touchent presque. Un parfum délicat demusc se mêle à l’odeur de sa peau. Engourdie, je laisse tous mes sens se délecter.

— J’ai envie de toi, Emily, susurre-t-il.Ces mots me ramènent à la réalité. Je recule d’un pas. Il arque un sourcil, ma réaction de fuite le

désarçonne, apparemment.— Allons, Emily, toi aussi, tu en as envie. Tes yeux le crient.— Non, je…— Qu’est-ce qui te terrifie ?— Me terrifie ? Mais rien du tout.— Je sens que quelque chose te fait peur, tu es sur la défensive.Il tend le bras avec lenteur et pose délicatement son pouce sur ma cicatrice comme pour y trouver

une réponse. Un instant, le souvenir de mon passé refait surface. Je frissonne. Ethan se met alors àcaresser ma pommette blessée. Je m’accroche à son regard et un courant électrique me parcourt. Detoute évidence, il a raison, j’ai envie de lui, de sentir sa peau contre la mienne, de le dominer, de leplier à ma volonté. Mais je dois lutter, cette vie-là n’est plus. Je ne veux plus être cette femme. Jeprends le parti de jouer la carte de la franchise pour qu’il comprenne et cesse de me torturer.

— Je ne suis pas de celles que l’on peut aimer avoir dans son lit. Je suis plutôt, disonsinexpérimentée en matière de relations sexuelles normales, j’ai besoin de contrôler pour éprouver duplaisir.

Je prononce les derniers mots en détournant mon visage, honteuse de ma confession. Je me senssoudain très vulnérable face à cet homme qui me met à nu. Il relève lentement mon menton pour meforcer à le regarder.

— Pareil pour moi, Emily, répond-il avec un soupir.Il laisse retomber son bras le long de son corps, le regard triste. Je reste bouche bée, c’est la

première fois que je croise quelqu’un qui éprouve les mêmes besoins. Jusqu’à présent, je n’ai euaffaire qu’à des hommes faibles qui se soumettaient. J’ai envie de caresser son beau visage et dechasser sa peine. Je comprends que lui aussi cache des blessures, je le décèle, je le sens. Peut-êtreest-ce cela qui m’a tant attirée chez lui, le fait de savoir que nous sommes semblables sur certainspoints. Comme avec Hugo. Je me suis liée à lui parce que sa souffrance faisait écho à la mienne.Mais là, il ne s’agit pas d’amitié, il désire coucher avec moi.

— La chose est donc réglée, rien n’est possible entre nous.— Non, rien n’est réglé, dit-il en m’effleurant le bras. Je ne sais pas comment, mais nous

trouverons une solution. Je veux être avec toi. Ne me demande pas pourquoi, je ne pourrais terépondre.

Je tente d’adopter un ton moqueur pour cacher mon trouble.— Ah oui ? Et laquelle ?— Je l’ignore encore, mais je découvrirai une façon de t’avoir. Fais-moi confiance.Il a l’air si sincère, mais ce qu’il me réclame est impossible.

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— La confiance n’est pas mon fort.— Essaye, me supplie-t-il, c’est tout ce que je te demande. Je veux que tu m’appartiennes, quel

que soit le prix à payer.— Non, dis-je en m’éloignant un peu plus.Il me regarde, surpris.Non, non, non !Plus jamais je n’appartiendrai à qui que ce soit. Comment veut-il que je lui fasse confiance, quand

tout ce qu’il souhaite, c’est m’asservir ?Instinctivement, je touche ma cicatrice et me retranche en moi, laissant à nouveau la haine

empoisonner mon cœur. Cette mascarade a assez duré. Il faut qu’il parte et que je réduise mon désirau silence.

— Je me suis mal exprimé, reprend-il face à l’angoisse qu’il doit lire dans mes yeux.Je fais un pas de plus en arrière et me retrouve bloquée, dos à un mur. Soudain, tout va très vite.

Ethan fonce sur moi, tel un prédateur. Il pose ses mains autour de ma tête, m’enfermant entre ses bras.J’appuie violemment mon corps contre la paroi pour tenter de m’éloigner. Un autre faciès recouvre lesien : des traits durs et émaciés, des yeux gris clair, glacials qui me déclenchent un frisson depanique.

Il attrape mon visage doucement, me ramenant à la réalité. Le regard toujours rivé au mien, ilplonge très lentement sur moi, tandis que je me crispe, prête à le repousser de toute ma haine. Maislorsque ses lèvres effleurent les miennes, ma réaction me désarçonne. Sa bouche douce et chaudeépouse parfaitement la mienne. J’empoigne ses cheveux soyeux, les agrippant de toutes mes forcespour le souder à mon visage. Il pousse un gémissement, mais n’en accentue pas la pression.J’entrouvre les lèvres et lui rends son baiser en y mettant toute ma colère et toute ma soif de lui. Moncorps s’embrase. Son haleine emplit ma bouche et m’enivre. Je ne contrôle plus rien.

Il attrape mes mains et les détache lentement de leur prise. Il recule, haletant, et met fin à notreétreinte. Le souffle saccadé, je reprends peu à peu mes esprits. Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Il fautque je parte et vite. Cet homme est un danger pour moi.

— Hey, Bébé, tu es là ! Je te cherchais partout.Je tourne la tête vers Hugo qui se tient à l’extrémité du couloir. Je me glisse sur le côté et le

rejoins sans un mot pour Ethan. Arrivée à la hauteur de mon ami, je l’entends m’appeler. Je l’ignore.Hugo se place de façon à s’interposer devant lui.

— Je veux rentrer, dis-je dans un souffle.Une main rassurante dans mon dos, il me suit vers la sortie. Une fois que nous sommes installés

dans le taxi, il pose les yeux sur moi.— Que s’est-il passé, Emy ?Je regarde dehors, une légère pluie dépose d’infimes gouttelettes sur la vitre. Que s’est-il passé ?

Hugo prend tendrement ma main. À voix basse, je lui expose ma rencontre avec Ethan. Je lui expliqueque, malgré mon angoisse, j’ai ressenti le besoin de rester près de lui.

— … Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il cache des souffrances terribles. J’ai peur, mais pas delui…

— C’est tout simple, même si tu veux avoir l’air dure et détachée, tu ne peux résister à la douleurdes autres. C’est ce que j’ai tout de suite senti chez toi le jour où on s’est croisé à ce groupe deparole : ton empathie. C’est ta force, Emy, et si Ethan Reed te fait cet effet, c’est parce que, toi, tu

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vois ce que personne ne décèle : des blessures. Bien que tu t’en défendes, tu te sens proche de lui.— Tu parles comme un psy.Il éclate de rire.— C’est parce que je connais par cœur ton esprit tordu, Bébé.Arrivés devant notre immeuble, nous montons en silence. Sur le palier, j’embrasse Hugo et me

faufile dans mon appartement. Cette journée m’a épuisée. Je suis tellement fatiguée que je m’allongetout habillée sur mon lit. Je songe au mystère que représente Ethan Reed et à ce que je ressens pourlui. Est-ce de l’attirance sexuelle ou plus ? Je n’ai pas le temps d’approfondir, harassée, je sombredans un sommeil sans rêves.

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Chapitre 6

Cher journal,

Samedi soir, je suis sortie avec Hugo. Je n’ai pas cédé à la tentation de« ramasser » un homme. Oh, je ressens toujours le besoin de dominer, de contrôler,mais, au moins, je ne me pervertis plus avec de parfaits inconnus. Apprendrais-jeun jour à faire l’amour « normalement » ?Ethan Reed a débarqué dans la boîte de nuit. Oui, tu lis bien, cher ami ! Je croisqu’il va bouleverser mon existence si bien organisée. Il m’a complètementenvoûtée. Près de lui, j’ai la sensation que personne ne peut me faire de mal,comme si sa simple présence suffisait à éloigner mes peurs.

Qu’est-ce que cela signifie, à ton avis ? Tu es aussi étonné que moi. J’ai beaucouplutté contre moi-même pour ne pas succomber à son charme, sans succès. Eh oui !Je sais, je suis faible. Mais que pouvais-je faire d’autre ? Oh ! Je suis perdue, cherami, complètement déchirée par ces émotions qui m’assaillent. Je suis terrifiée etpourtant une part de moi ne peut se résoudre à le repousser. Bon, je dois te laisser,premier jour de boulot, je ne voudrais pas être en retard.

Il est huit heures lorsque je quitte mon immeuble pour me rendre au travail. Le temps est radieux,le soleil de mai réchauffe mes épaules. La ville est en effervescence : les voitures klaxonnent et lespiétons pressés sillonnent les rues. Je me dirige vers la station Vélib’ sur le trottoir d’en face,enfourche un vélo et m’enfonce dans la frénésie citadine. Le vent me caresse le visage, apportantavec lui les effluves du printemps mêlés aux senteurs des gaz d’échappement. Je souris, enfin unretour à la normalité. Une demi-heure plus tard, je débouche sur un quartier bordé d’immeubles. Jedépose mon vélo à la station et lève les yeux vers les gratte-ciel. Celui abritant les locaux dumagazine qui m’emploie comme correctrice domine les autres. Vus du toit, nous devons êtresemblables à des milliers de fourmis. Ses immenses baies vitrées reflètent le soleil et le ciel bleu. Jetraverse l’esplanade pour rejoindre l’entrée. Au passage, j’admire la fontaine qui trône au milieu dela place : une sculpture moderne, en fer. Au centre jaillit un filet d’eau qui coule en cascade et glissesur des bras arrondis qui s’entrelacent. Les gens autour de moi, pressés, la dépassent sans prendre letemps d’apprécier le doux clapotis qui contraste avec le bruit environnant. Je reste là quelquesinstants avant de me décider, moi aussi, à rejoindre mon bureau. Arrivée devant l’entrée del’immeuble, j’inspire et m’arme de courage. Je jette un coup d’œil à mon reflet dans la porte vitréepour vérifier ma tenue. Je porte la petite robe bleue que m’a offerte Hugo pour ce jour spécial, unepaire de ballerines noires et un sac en toile. J’inhale une dernière fois l’air parfumé du printempsavant de franchir le seuil du bâtiment et me dirige vers les ascenseurs.

Deux individus montent avec moi. Ils me saluent. Poliment, je leur fais un signe de tête. Enpassant, j’appuie sur le bouton indiquant le onzième étage et me cale dans le fond de la cabine quicommence son ascension. Deux étages plus haut, l’ascenseur s’arrête pour laisser passer un homme.Et quel homme ! Mon cœur fait un bon. Stupéfaite, je fixe le magnifique visage dont j’ai tant rêvédepuis deux jours.

Décidément, il est partout ! Est-ce un signe du destin ?

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Il entre dans la cabine, les yeux rivés sur son téléphone, les traits sérieux et fermé. Il porte uncostume strict, à la coupe parfaite, assorti à sa chevelure. Ainsi encadré de noir, son visage sembleplus pâle, sa cicatrice plus marquée. Le tout donne à son allure un côté sombre et autoritaire. Lesdeux hommes s’écartent pour le laisser passer, comme si la puissance qui émane d’Ethan Reed lesgardait à distance. Il lève la tête et se fige. Il a l’air sincèrement étonné de me trouver là. L’instant desurprise passé, un sourire s’étire sur ses lèvres, déformant sa cicatrice. Je suis paralysée, engourdiepar sa présence. Me retrouver près de lui, dans un endroit aussi exigu, est dangereux pour la stabilitéémotionnelle que je m’applique à maintenir depuis notre baiser. Mes jambes tremblent légèrement.J’essaie de masquer mon trouble sous une apparente indifférence quand il vient se placer derrièremoi.

— Emily, chuchote-t-il.Ah, cette voix ! Mon prénom, dans sa bouche, sonne comme une friandise convoitée. Intimidée par

l’énergie sensuelle qu’il dégage, je murmure :— Ethan.Comme à chaque fois que je me suis trouvée près de lui, mes émotions s’emballent. Je perds le

contrôle de mon esprit et de mon corps. Ainsi installé, je sais qu’il peut, en regardant par-dessus mesépaules, avoir une vue sur mon décolleté et la naissance de ma poitrine. Je sens, à son souffle quicaresse ma nuque, que c’est exactement ce qu’il fait : il profite de la vue. Loin de me gêner, commecela l’aurait fait dans d’autres circonstances, cela me plaît et éveille des spasmes au creux de monventre. J’ai la sensation que le temps ralentit sa course. Les deux individus devant nous restentimmobiles. Cependant, ils se raclent la gorge, mal à l’aise.

Enivrée par sa présence, je recule légèrement de façon à me coller à lui. Je sens son sexe, dur etérigé, dans son pantalon lorsque mes fesses entrent en contact avec son puissant corps. Ainsi placée,je me sens coupée du monde, enfermée dans une bulle qu’Ethan rend sécurisante, plus rien n’existe, àpart le désir d’être touchée par cet homme magnifique. Il passe sa paume dans mon dos, je tressaillede plaisir. Son odeur qui envahit mes narines ne fait qu’augmenter mon envie de lui. Sa respirations’accélère lorsqu’il laisse descendre sa main jusqu’au creux de mes reins, en effleurant mes hanchesau passage. Je l’entends soupirer, j’incline la tête légèrement sur le côté. Mes cheveux frôlent le basde son visage et je sais qu’il s’enivre à son tour de mon odeur, quand il inspire profondément. Tousmes sens sont en éveil et il m’est difficile de garder le contrôle. Je suis transportée dans un autremonde. Je m’abandonne à mon fantasme d’être touchée par cet homme. Je cesse de lutter contre moi-même. À mon grand étonnement, mon corps frissonne contre sa main, répondant à l’appel du désir. Jele veux en moi et plus rien ne compte désormais. Je sens son souffle chaud contre ma nuque. Je meconsume de plaisir. Une sonnerie retentit, me tirant de cette bulle sensuelle. Je lève machinalement latête, l’écran digital annonce le onzième étage. Mon étage ! Rouge, les jambes en coton, la respirationhaletante, je me faufile entre les deux personnes devant moi et sors de cette prison érotique. Une foislibre de lui, le vide s’empare de moi et mes pensées redeviennent cohérentes.

Mais qu’est-ce que j’ai fait ?Le frôlement de ma robe sur mes cuisses stimule ma peau encore ultrasensible, mon entrejambe est

gonflé et humide de désir. Mon corps tout entier ne souhaite que se tendre à nouveau vers mon beladonis. Je ferme les yeux et essaie tant bien que mal de résister à l’appel de la chair. Les portes del’ascenseur se referment derrière moi, après ce qui me paraît être une éternité. Je reprends monsouffle et me rends aux toilettes. Ouf, il n’y a personne. Je pousse le loquet, me laisse glisser au sol.

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J’attends la nausée qui me submerge après chaque excitation sexuelle… J’attends depuis deuxminutes ou peut-être dix. Je ne sais pas. Rien ne vient. La seule chose que je ressens c’est uneplénitude. Comme si, pour la première fois, mon corps était en paix. Comme si le désir avait faitvoler en éclat la honte, le dégoût et la haine. Oui, pour la première fois de ma vie, le plaisir sexuelest beau, bon, naturel…

Je me relève quand je réalise que la vague d’angoisse qui me noie habituellement ne viendra pas.Je me regarde dans la glace et j’y vois une femme, les yeux un peu trop brillants, les joues rouges…J’attrape mon sac laissé au sol, sors des toilettes, complètement déboussolée, et rejoins mon nouveaubureau, en retard d’une bonne demi-heure.

Lorsque j’arrive, mon patron, un vieux bonhomme taciturne et mécontent de mon manque deponctualité, me donne un article à corriger avant édition. Il ne prend même pas la peine de medésigner mon bureau. C’est Juliette, la réceptionniste, qui se dévoue pour me faire visiter les locaux.Tandis que nous déambulons dans le dédale de couloirs, je la détaille. Petite et menue, elle a un teinthâlé qui contraste avec ses yeux bleus. De longs cheveux noirs ondulent dans son dos. Avec sa grandejupe verte et plissée qui lui tombe sur les chevilles, ses sandales en cuir marron ainsi que son hautnoir en dentelle, elle a l’air prête pour une promenade champêtre. Le sourire qui illumine son visage,aux traits fins, attire la sympathie. Elle me parle de façon enjouée, excitée à l’évidence de me servirde guide.

— Là, tu as la salle de pause. Tu y trouveras une machine à café, me désigne-t-elle.Je jette un coup d’œil à la pièce en question : une moquette défraîchie, des murs blancs, au centre

une table et des chaises ainsi qu’un petit sofa sous la fenêtre. Rien de très accueillant. Je hoche la têteet Juliette continue d’avancer. Elle s’arrête devant une porte sur laquelle une plaque dorée indiquemon nom et ma fonction.

— Et ton bureau, sourit-elle.— Merci.Son sourire s’efface devant ma froideur, il est clair qu’elle est ravie d’avoir une nouvelle

collègue. Je la trouve sympathique au bout de quelques minutes. Elle pourrait facilement devenir unebonne copine. Mais je sais ce qui arrive aux personnes qui sont trop proches de moi. Un frisson meparcourt. Il me faut mettre des barrières immédiatement. Je la remercie pour la visite et pousse laporte de mon bureau. C’est une pièce froide — les murs et la moquette se déclinent en plusieursteintes de gris —, meublée seulement par une table de travail, deux chaises et une étagère à dossierssuspendus. Je referme la porte derrière moi et me retrouve seule dans cet environnement sansfioritures. Le tic-tac de l’horloge, accrochée à l’entrée, résonne dans la pièce quasi vide. Jem’approche de la petite fenêtre pour tenter d’apercevoir un carré de ciel bleu, mais rien à faire, jesuis cernée par des immeubles. Tout est gris. Avec un soupir, je me laisse tomber sur la chaise. Jebalaie mon bureau du regard, d’autres articles à corriger y sont entassés. Je range mon sac dans untiroir et me mets au travail.

J’essaie désespérément de venir à bout d’un document lorsque mon portable sonne. Je le récupèredans le compartiment où j’ai déposé mes affaires. Je reste stupéfaite quand je vois le message qui s’yaffiche.

Mais c’est pas possible !C’est un texto d’Ethan Reed qui se dit ravi de m’avoir croisée par hasard ce matin. Mes mains

tremblent, comment a-t-il obtenu mon numéro ? C’est terrifiant qu’il puisse ainsi s’immiscer dans ma

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vie. Soudain, le téléphone de mon bureau sonne. Je tends le bras pour attraper le combiné et réponds,les yeux toujours fixés sur l’écran de mon portable, tétanisée.

— Allo ?— Hey, Bébé !Je suis soulagée d’entendre Hugo.— Je voulais savoir comment se passait ta première matinée.— Pas trop mal.— Ce soir, tu vas chez le docteur Rondault ?— Oui, j’ai rendez-vous à dix-sept heures.— OK, je te récupère là-bas ?— Impeccable.— À tout à l’heure, je t’aime.— Je t’aime.Je repose le combiné et consulte l’heure. Il est déjà onze heures. Mon esprit se reporte sur le

problème Ethan Reed. Qu’est-ce que je veux au juste ? Qu’il me laisse tranquille ? Aussitôt, une voixdans ma tête hurle un non catégorique. Les mains moites, j’écris un texto.

Comment avez-vous trouvé mon numéro ? Et que faisiez-vous dansl’ascenseur ce matin ?

La réponse ne se fait pas attendre. Ethan m’explique qu’il possède cet immeuble et que les locauxde son entreprise y sont installés. C’est une surprise pour lui de m’avoir vue dans l’ascenseur. Sonexplication tient la route. Quant à mon numéro de téléphone portable, il lui a suffi de consulter lesfichiers du personnel de Géographic Magazine. Il est assez perturbant de savoir qu’il a pu accéder àces données aussi facilement.

Votre façon de faire est, disons… très intrusive.Je n’apprécie pas que l’on force ma porte ainsi.

Je vous l’ai expliqué, rien n’est possible entre nous.

Perdue dans les méandres de mon esprit, je me prends la tête dans les mains. Il est vraiment tempsque je voie ma psychiatre. J’éteins mon portable, en songeant que, peut-être, ce soir, je contacteraismon opérateur pour changer de numéro. Cet homme est impossible. En quelques jours, il a découverttant de choses à mon sujet. Je tremble à cette idée. Je fais tout pour coordonner anonymat et viepaisible et lui, telle une tornade, enfonce les portes de mon intimité. Il me plaît et m’attire, c’est unfait que je ne peux plus nier, mais son comportement me fait peur, me donne envie de fuir à l’autrebout de la planète. Je me sens à nouveau traquée. Fébrile, je me remets au travail, pressée d’en finiravec cette journée et de voir ma psychiatre pour démêler tout cela.

À midi, je sors les sandwichs apportés et commence à les manger, les yeux perdus dans le vague,quand Juliette passe la tête dans l’encadrement de la porte.

— Tu viens déjeuner ? lance-t-elle.La déception se peint sur son visage lorsqu’elle constate que je suis attablée. Agacée par cette

nouvelle intrusion, je la regarde, glaciale.— Non, comme tu le vois, j’ai presque fini.— Oh ! Excuse-moi, murmure-t-elle en refermant la porte.

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Je m’en veux aussitôt d’avoir été si dure avec elle. Je l’ai rembarrée si sèchement. Ne pas pouvoirme lier avec les gens n’est pas une raison pour me montrer méchante. De plus, ce n’est pas sa faute siEthan Reed me met les nerfs à vif. Mon repas terminé, je vais me servir un café en salle de pause.Peut-être y croiserais-je Juliette et pourrais-je m’excuser ? Dans la pièce, quelques personnes que jen’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer sont installées devant leur déjeuner. Personne ne me prêteattention lorsque je marmonne un bonjour. Dans la plus grande indifférence, je me prépare un café.Quand je me retourne, mon gobelet brûlant entre les mains, je découvre Juliette, assise dans unrecoin, seule. Elle grignote tranquillement sa salade, tête baissée, personne ne fait attention à elle. Unélan de compassion me submerge. Je comprends mieux son engouement à vouloir manger avec moi.Je sais que je ne dois plus me lier, cela a coûté trop cher à mon amie, mais, devant cet air triste, je nepeux m’empêcher de ressentir le besoin d’aller vers Juliette. Je m’approche d’un pas hésitant etprends place à côté d’elle. Elle relève lentement la tête et me sourit timidement.

— Je suis navrée pour tout à l’heure, dis-je dans un souffle.— Pas grave, j’ai l’habitude.Elle hausse les épaules, résignée. Mon cœur se sert et compatit à sa douleur.— Juliette, je suis vraiment désolée, je… je ne suis pas douée pour les relations sociales.Que lui dire d’autre ? « Tu as l’air d’une chouette fille et je suis sûre que j’apprécierais de passer

du temps en ta compagnie, mais cela te mettrait en danger de mort… »— T’en fais pas, c’est pas grave, répète-t-elle d’une petite voix.Si, c’est ça l’est ! J’en suis réduite à faire du mal aux gens pour les tenir éloignés de moi !J’avale une gorgée de café pour me donner une contenance et je me brûle la langue. Décidément,

ce n’est pas ma journée. Ne sachant qu’ajouter de plus, je me lève.— Je retourne à mon bureau ! Bon appétit.Je tente de mettre un peu de jovialité dans ma voix. C’est tout ce que je peux lui offrir pour la

consoler.— A plus, dit-elle, les yeux rivés sur sa salade.Le cœur rongé de culpabilité, je quitte la pièce. De retour dans mon bureau, je sens une vague de

tristesse m’envahir. Dans une autre vie, j’aurais aimé apprendre à connaître Juliette. Ma solitude mepèse. Mis à part Hugo, personne ne m’appelle, ne me souhaite mon anniversaire... Si, demain, jemourais, cela passerait presque inaperçu.

D’humeur morose, je me remets au travail.

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Chapitre 7

Cher journal,

Je prends quelques minutes pour t’écrire. Ce matin, j’ai croisé Ethan dansl’ascenseur. Je me suis laissé porter par mon désir. L’instant était grisant, mais,quand la réalité m’a rattrapée, j’ai été abasourdie par ma réaction. Plus tard dansla matinée, il m’a envoyé un texto. Cela m’a terrifiée. Il a réussi, en fouillant dansles fiches du personnel, à trouver mon numéro de portable. Comment dois-je leprendre ? Est-ce un signe de sa détermination à me conquérir ou bien un signe deson propre désordre mental ? Son comportement tourne à l’obsession... Oh,j’oubliais, j’ai rencontré Juliette, la réceptionniste. La pauvre était ravie d’avoirune nouvelle collègue et, moi, je l’ai rabrouée si durement. Je m’en veux, mais jene peux faire autrement, elle pourrait finir comme Céline ! Pourtant, je pense que,dans une autre réalité, Juliette serait une bonne amie. Bon, il faut que je te laisse,la psy arrive, je vais lui parler de tout cela.

La porte du cabinet s’ouvre sur un patient. Le docteur Rondault le salue chaudement. Je me lèvepour prendre sa place.

— Je suis à vous dans deux minutes, me dit-elle en souriant, avant de refermer la porte de sonbureau.

Je retombe dans mon fauteuil. La salle d’attente aux teintes chaudes est parsemée de toilesmulticolores qui tranchent avec le chocolat et l’ambre des murs. Aux quatre coins du plafond, desenceintes diffusent une musique zen. Je me penche vers la petite table qui trône au centre de la pièceet attrape un magazine sur le haut de la pile. Je suis seule. Je dois certainement être sa dernièrepatiente de la journée. Je consulte cette psychiatre depuis que je suis à Paris. En quelques semaines,j’ai beaucoup plus évolué dans ma thérapie qu’au cours de ces dix dernières années. Quelque chosedans sa façon de me parler, de me guider me redonne confiance en moi et me permet d’avancer. Avecelle, je prends conscience de qui je suis, de ce que je veux être. Mes angoisses sont moinsenvahissantes.

La porte s’ouvre à nouveau sur Éloïse Rondault, jeune femme d’environ un mètre soixante, menue.Ses cheveux blonds lui tombent sur les épaules. Son doux regard noisette se pose sur moi. D’un geste,elle m’invite à la suivre dans la pièce de consultation.

— On y va ? me demande-t-elle de sa voix ferme et calme.J’acquiesce, repose mon magazine et la suis dans son cabinet. Je m’assieds à ma place habituelle.

Deux fauteuils sont disposés devant sa table de travail. Je prends celui de droite et dépose mon sacsur celui de gauche. Chaque fois, le même rituel. Elle s’installe derrière son bureau, face à moi, etsort mon dossier. Je me sens immédiatement détendue. Une senteur de jasmin flotte dans la pièce auxmurs jaunes pâles et à la moquette beige. J’associe désormais cette odeur au bien-être. Au bout dequelques instants, elle lève la tête et me sourit.

— Alors, racontez-moi. Comment s’est passée votre semaine ?Comme à mon habitude, je balbutie :— Bien, enfin, je crois.— Vous croyez ?

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Elle me regarde, confiante, attendant que je me livre.— Je… j’ai rencontré un homme.Elle garde le silence face à ma déclaration, me laissant le temps d’approfondir. Je prends une

grande inspiration et lui parle d’Ethan Reed. Je lui explique qu’il me fait peur et m’attire en mêmetemps. J’expose posément les émotions contradictoires qui m’assaillent depuis trois jours. Je n’ometsrien, pas même mon comportement de ce matin dans l’ascenseur. Après tout, une thérapie nefonctionne que si l’on est honnête avec notre psychiatre.

— Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce qui m’arrive ?— Qu’avez-vous envie de faire, Emily ?— Je… je ne sais pas, je souhaite être avec lui, mais je ne peux pas.— Vous ne pouvez pas ?— Non, je ne dois plus me lier avec les gens. Plus jamais.— Vous affirmez que vous ne devez plus vous lier et, en même temps, votre relation avec Hugo

par exemple, vous apporte énormément.— C’est sûr, mais c’est différent, dis-je en me triturant nerveusement les mains.— En quoi ?— Eh bien… Hugo est mon ami, je le connais autant qu’il me connaît, je… Il m’a aidée,

acceptée… Il s’intéresse vraiment à moi, pas à mon corps…— Parfois, certaines personnes hésitent à se rapprocher, car elles ont peur du plaisir qu’elles

pourraient éprouver, elles sont effrayées par le bonheur. Qu’en pensez-vous ?— Euh, oui, vous avez sans doute raison, ça me ressemble bien. Mais je suis surtout terrifiée à

l’idée de perdre ce bonheur, comme avec Céline… D’être à nouveau la cause d’un malheur…Je baisse les yeux en évoquant mon amie. Mon cœur se serre douloureusement.— Je sais que vous vous cachez, que vous refusez de confier vos craintes à la police. Encore une

fois, je ne peux que vous conseiller de le faire. La justice ne vous a pas reconnue comme victimelorsque vous avez déposé plainte, mais cela est simplement dû, en grande partie, aux déclarationsmensongères de votre mère. Vous m’avez dit que votre beau-père vous a retrouvée à Toulouse, suite àun chèque que vous aviez envoyé à votre mère. Ce qui ne s’est pas reproduit depuis.

J’acquiesce et reste silencieuse, attendant la suite.— Nous avons déjà parlé du fait que vous vous êtes punie pour ce qui vous est arrivé et de bien

des façons. Aujourd’hui, vous vous rendez compte, face à cet homme, que vous êtes une femme. Votreparcours, et notamment ces derniers mois, devrait vous rassurer sur vos compétences à vivre etavancer.

— Oui, mais je ne peux pas…— Vous ne pouvez pas quoi ?— Si mon beau-père me retrouve à nouveau, s’il faisait encore du mal à quelqu’un pour me punir,

il y a déjà Hugo…— Et s’il ne vous retrouvait pas cette fois-ci ? Vous allez continuer à vivre ainsi, cachée du reste

du monde, seule ?Que répondre ! C’est mon avenir qu’elle dépeint. Je frotte mes mains moites.— Qu’est-ce que je dois faire ?— Faites-vous un peu confiance pour commencer. Vous pouvez le faire, vous l’avez déjà fait et ça

vous a réussi. Permettez-vous de vivre une nouvelle expérience. Vous verrez bien où cette histoire

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vous mène, continue-t-elle d’une voix calme et rassurante.— Et si je me perds à nouveau, si je replonge dans mon besoin de domination, de faire souffrir les

hommes…— J’entends que vous avez peur. Regardez les progrès parcourus, continuez à vous exposer

progressivement à des situations qui vous terrorisent pour surmonter votre anxiété. Si vous replongezdans le besoin de domination, je serai là, pour en discuter avec vous et nous examinerons ce qui auraprécipité cette reprise. Mais en l’état actuel des choses, ni vous ni moi n’avons de boule de cristalpour voir l’avenir. Votre angoisse d’anticipation vous pousse à vous refermer par peur de l’inconnu,nous en avons déjà parlé. Vous angoissiez à l’idée de reprendre le travail, puis vous vous êteslancée… Ne cherchez pas à visualiser le futur pour le contrôler, vous ne pourrez jamais toutcontrôler. Je vous ai expliqué l’autre jour, que vous devez vous ancrer dans l’instant présent.

Je comprends ce qu’elle tente de me démontrer. Je me redresse sur mon siège et lui demande :— Mais, en ce qui concerne cet homme ? Sa façon de m’aborder est déstabilisante, terrifiante.Elle me sourit.— Il est certes très maladroit, mais vous êtes si inaccessible qu’il lui a bien fallu trouver les

moyens de vous atteindre. Mais dites-moi ? Si, samedi soir, vous ne vous étiez pas sauvée et quevous aviez laissé les choses se dérouler d’elles-mêmes, que pensez-vous qu’il se serait passé ?

— Je ne sais pas. Peut-être aurions-nous discuté, peut-être aurions-nous couché ensemble…— Croyez-vous qu’il vous aurait fait du mal ?— Non.Ma réponse jaillit spontanément, Ethan me fait peur, mais je ne le sens pas dangereux.— Vous êtes douée pour cerner les gens. Ça a été le cas pour Hugo, puis pour Céline. Vous êtes

sûre qu’Ethan, malgré sa maladresse et les fêlures que vous pressentez chez lui, n’est pas nuisible.Alors, où est, selon vous, le véritable frein à cette éventuelle relation ?

Automatiquement, je répondrais mon beau-père… Mais je sais ce qu’elle cherche à travers cetteinterrogation, que je débusque en moi les vraies raisons de mon refus d’approcher un homme qui meplaît.

— Ma peur de l’inconnu ?Je pose ma question d’une petite voix. Même si cela est nécessaire, l’introspection est également

une source d’angoisse. Je crains, à chaque fois, de mettre à jour un nouveau problème à régler. Etpuis, il n’est pas évident de regarder au plus profond de soi, d’y explorer ses côtés sombres.

— Oui, mais encore ? Continuez. Je sais que vous pouvez trouver, Emily, vous seule avez laréponse. Votre peur de quoi ?

Elle recule dans le fond de son fauteuil, croise les jambes et me scrute en me souriant gentimentpour me pousser à poursuivre.

— De l’inconnu. Je n’ai jamais ressenti de désir, pas même avec les hommes que je… Enfin, vousvoyez, ça me terrifie.

— Nous avons déjà abordé la notion de désir.— Oui, je sais. Le désir m’effraie, car cela se rapporte au plaisir que j’associe à la culpabilité, à

la perversité. Mais, entre intégrer un fait dans l’intellect et le vivre dans son affect, il y a un grandpas que je n’arrive pas à franchir.

Je baisse la tête pour cacher mes larmes de dépit. Il est difficile d’avoir compris tant de chosessur soi-même et de ne pas réussir à les assimiler complètement.

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— Mais, reprend-elle, pour être dans l’affect, il faut vivre des situations. Or, vous vous coupez detout ce qui pourrait vous faire exister. Dès qu’une émotion surgit, vous fuyez. Il faut parfois prendredes risques calculés pour progresser et construire son avenir. Alors, je réitère : quel serait pour vousle danger d’entamer une relation avec cet homme ?

Je relève la tête, elle détourne le regard et fait mine de ne pas voir mes yeux rougis. Elle sait que,pour moi, pleurer est synonyme de faiblesse. Encore une réaction disproportionnée. Je renifle, avalema salive douloureusement.

— Que je m’attache à lui, qu’il me demande plus et, ça, je suis incapable de le lui donner.Elle note quelque chose sur son calepin, tandis que je commence à réaliser que tout se met en

place dans mon esprit torturé. Mes idées deviennent plus claires. Le docteur Rondault inspire etrelève la tête.

— Et s’attacher, c’est prendre le risque d’être à nouveau abandonnée, cela vous ramène à votremère qui vous a tourné le dos quand vous aviez le plus besoin d’elle.

J’acquiesce, elle a parfaitement raison. Mon cœur se serre à l’évocation de ce souvenir. Cela m’adétruite bien plus que les viols. Ma propre mère qui me laisse aux mains de mon bourreau et merejette.

— Emily, il est temps de vivre et de quitter la survie. Posez des limites à cette relation si cela peutvous rassurer, considérez-la comme une liaison charnelle sans engagement et sans domination. Voyezoù cela vous mène. Vous êtes bien plus forte que ce que vous croyez, j’ai confiance en vous.

— Je vais essayer, dis-je dans un murmure.Elle referme mon dossier et se lève. Fin de la séance. Je l’imite et la suis vers la porte, encore

retournée par ce qu’elle vient de mettre à jour. Une relation peut être possible avec cet homme quim’attire tant. Elle me tend une main douce, mais ferme.

— À la semaine prochaine, Emily, prenez soin de vous et faites-vous confiance.J’acquiesce en souriant et quitte le cabinet. Dehors, Hugo m’attend, accoudé à un banc sur le

trottoir. Ses cheveux scintillent au soleil, il a l’air d’un ange. Un ange vêtu d’un jean troué et d’un t-shirt affublé d’une tête de mort. Quand j’arrive à sa hauteur, il me lance un grand sourire etm’enveloppe dans ses bras.

— Salut, Bébé ! Ça s’est bien passé ?— Salut ! Oui, je pense que oui.Il m’écarte doucement et me scrute pour déceler sur mon visage les émotions remuées par la

consultation. Il hausse un sourcil face au sourire que je lui renvoie.— Comment tu te sens ?— Hum... plus légère.— Alors, tant mieux, lance-t-il en me prenant à nouveau dans ses bras, au fait, je t’ai envoyé un

texto cet après-midi pour savoir si tu étais partante pour une soirée-pizza, mais tu n’as pas répondu.— Ah oui ? Bizarre, il n’a pas sonné, dis-je en cherchant mon portable dans mon sac. Ah ! Bah,

forcément, il était éteint.Je me souviens l’avoir coupé ce matin, suite au message d’Ethan. Je le rallume. Hugo hèle un taxi.

Je le rejoins tandis qu’il ouvre la porte arrière de la voiture pour me laisser passer. Mon téléphonebipe, m’indiquant la réception de plusieurs textos.

— Au fait, pour la pizza alors ? me demande Hugo.— Oh ! Euh, eh bien… Vu l’effervescence de ma vie sociale, je crois que je peux dénicher un

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créneau-pizza ce soir !Il éclate d’un rire ponctué d’un coup de coude dans les côtes. Il reprend un air sérieux.— Ça s’est passé comment, ta séance ?Je suis plongée dans la lecture d’un texto envoyé par Ethan.— Hum ?— Hey, s’écrie Hugo, tu m’écoutes ? Qu’y a-t-il de si intéressant là-dedans ?Il me prend le téléphone des mains et entreprend de lire le message à haute voix.— Emily, pardonnez-moi si je me suis montré maladroit, je n’ai jamais eu besoin d’avoir recours

à de tels stratagèmes pour approcher une femme.Je lui reprends le portable. Je suis rouge comme une pivoine. Pas parce qu’il s’est permis de

consulter ce texto, je ne lui cache rien. Mais les mots qui me sont adressés font battre mon cœur plusvite que la normale. Ce message confirme ce dont j’ai discuté avec ma psy. Il est maladroit dans safaçon de m’aborder parce que je suis inaccessible.

— Eh bien ! Ethan Reed est mordu, on dirait ! s’exclame Hugo.Je regarde les rues défiler sous mes yeux. Elles sont toutes bordées d’immeubles et on n’aperçoit

quasiment pas le ciel. Je repense aux paroles du docteur Rondault.— J’ai parlé de lui avec la psy.— Et ?— Elle pense que je dois me jeter à l’eau et voir où cela me mène, en gros.— Et que vas-tu faire ?Je le regarde droit dans les yeux et lui sourit.— Prendre une grande inspiration et plonger dans l’inconnu.

***

Je débarrasse les restes de pizzas qui jonchent ma table basse. Hugo est parti depuis quelquesminutes, il devait terminer une toile. Je consulte la pendule. Vingt et une heures. Après un derniercoup d’éponge, je m’affale sur le canapé. Les yeux rivés sur l’écran de télé éteint, je songe auxconseils de ma psychiatre. Peut-être pourrais-je envisager une relation avec Ethan. Je ne suis pasobligée de m’attacher à lui. Juste une liaison physique, discrète. Il faudra alors que j’impose deslimites à ne pas franchir. Mon pouls s’accélère et un frisson de plaisir me traverse à cette idée. Je melève et attrape mon téléphone portable. J’y compose deux mots à l’attention d’Ethan.

Excuses acceptées.

Comprendra-t-il le message ? Fébrile, je fixe l’écran de mon portable. Lorsqu’il retentit, les mainstremblantes, j’ouvre le texto. Mon cœur bondit, je crains qu’il ne sorte de ma poitrine. Est-ce ça,l’excitation d’une première fois ?

Merci, cela signifie-t-il que tu consens à me revoir ?

Je lui réponds par l’affirmative. Mes doigts tremblent trop pour me lancer dans une explicationplus détaillée. Je lève les yeux au ciel et prends une grande inspiration pour calmer mes réactions. Jepose le téléphone à côté de moi et m’étire. Afin de rompre le silence, j’enclenche la télé et rallumemon lecteur DVD. Le film démarre. J’ai dû le visionner des milliers de fois, sans m’en lasser. Je mecale en chien de fusil entre les coussins du canapé. Le portable vibre à nouveau. Ethan Reed me

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demande ce que je fais. Je lui écris que je regarde Autant en Emporte le Vent et lui retourne saquestion. Je souris, fière de moi : je ne me sauve pas, du moins j’essaye. Pas facile d’écarter sesvieux démons.

Repas d’affaires à Berlin. Autant en Emporte le Vent ? Seriez-vousune sentimentale Mlle ?

Une sentimentale ? Peut-être en suis-je une au fond. Il est possible qu’inconsciemment, je lise etj’écrive avec une part de moi qui rêve de romantisme. Mais je ne pourrai jamais me permettre deverser dans les sentiments. Je hausse les épaules et lui réponds : non. Je dois m’en tenir à madécision d’entretenir une relation purement sexuelle avec Ethan, pas d’attaches. De toute façon,comment un homme pourrait-il s’attacher à moi ? Pour cela, il faudrait qu’il connaisse mon passéet… Mes réflexions sont interrompues par l’arrivée d’un nouveau message.

Je suis en Allemagne jusqu’à la fin de la semaine, accepterais-tu undîner ? Jeudi soir ? Nous pourrions discuter de nos… disons besoins

respectifs…

Mon cœur accélère encore sa course. Moi ? Un dîner ? Avec un homme ? Bien que j’aie décidé deme jeter à l’eau, tout cela est inédit et me fait un peu peur. Je tape mon message, tremblante.

Je ne sais pas, tout cela est nouveau pour moi.

Sa réponse ne se fait pas attendre.

Pour moi, également, c’est récent, Emily, ne va pas croire que c’estfacile, toutes ces choses inédites.

Alors, pour lui aussi, tout cela est sans précédent ? J’ai un peu de mal à le croire. Je me décidedonc à lui demander ce qui est nouveau. Encore une fois, il ne tarde pas à répondre.

Le besoin de toi, de tout savoir de toi.Sais-tu que je n’avais jamais offert de fleurs à une femme ? Et toi ?

Tout savoir de moi ? Non, cela est impossible. Afin d’éluder sa question, je décide de détournercelle-ci.

Je n’ai jamais offert de fleurs à une femme moi non plus.

J’espère l’éloigner de ses interrogations, mais c’est raté.

Allons, Emily, ne te sauve pas,tu sais très bien ce que je voulais savoir !

Les mains moites, je tape ma réponse. Quitte à me jeter à l’eau, autant faire le grand saut.

Le désir, le besoin de te voir…Et cela me fait peur, je ne dois pas m’attacher.

Pourquoi ?

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Oh, ses interrogations ! Je renverse la tête en arrière, souffle et décide de terminer laconversation.

Parce que c’est comme ça.

Que lui dire d’autre, que je suis un danger pour mes proches et qu’il est bien plus facile de toutabandonner quand rien ne vous attache ? Les souffrances du cœur sont les plus dures à cicatriser. Unnouveau message arrive et me ramène à la réalité. Mes mains tremblent.

Je dois vous quitter, Mademoiselle, je dois régler une transactionimportante et ce n’est pas le nez rivé à mon téléphone que je vais me

concentrer. À jeudi, nous discuterons, ne te sauve pas…

Je constate qu’une fois de plus, il ne me laisse pas le choix et compte me revoir jeudi. Pour garderle contrôle, il faut, comme me l’a conseillé le docteur Rondault, poser mes limites et prendre lesrênes. Je lui réponds brièvement que je suis d’accord pour le rendez-vous, mais refuse un dîner enpublic. Je conclus avec l’introduction de certaines règles que je lui exposerai lors de cette soirée.Soulagée, je mets le téléphone sur la table basse et m’enroule dans le plaid qui traîne au pied ducanapé. Les yeux rivés sur la télé, je réfléchis.

J’ai réussi à me jeter à l’eau et à entamer une pseudo-relation avec un homme !Je me blottis dans les bras de mon canapé. Cette journée riche en émotions me rattrape et le

sommeil me gagne.

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Chapitre 8

Cher journal,

Une journée de boulot harassant se termine. À cela, s’ajoute l’angoisse du dînerde jeudi. Oh ! Cher ami, j’ai très envie d’y aller, mais l’excitation du moment estredescendue. La partie froide de mon cœur a repris le dessus, elle me pousse à fuircet homme. Ah ! Quel éternel combat se joue en moi ! Maintenant que j’ai fait legrand plongeon dans l’inconnu, je me demande si je dois continuer à nager ou meréfugier sur la plage sécurisante. Finalement, cette attente m’emplit de questions,alors qu’au fond pour être honnête, je n’ai qu’une envie : le revoir…

Il est seize heures trente-cinq quand je quitte enfin le magazine. Dehors, le temps est maussade.Tout est gris. Les nuages alourdissent l’atmosphère. Pas un brin d’air. Au loin, le ciel est bien plussombre, signe que l’orage approche. Je pousse un soupir et presse le pas en direction de la stationVélib’. Je préfère être rentrée avant que les éléments ne se déchaînent. Je pédale à toutes jambes.L’air chaud, mêlé aux gaz d’échappement, fouette mon visage, rougi par l’effort. Très vite, essouffléeet en sueur, je perds de la vitesse. Autour de moi, les automobilistes roulent à toute allure, commes’ils fuyaient un danger imminent. Énervés, ils klaxonnent et hurlent des insanités. Les piétons ne sontpas en reste. Ils déambulent au pas de course et se bousculent dans leur précipitation. D’une mainmoite, je repousse une mèche de cheveux collée à mon front. Un autre cycliste me double, manquantde me faire perdre l’équilibre. Je grommelle, gagnée à mon tour par l’agacement général.

En arrivant à proximité de mon appartement, je passe devant la poste. Je me rends compte que jene m’y suis pas arrêtée depuis plusieurs jours. Je ralentis et, après un dernier coup d’œil aux nuagesmenaçants, je fais demi-tour et décide d’aller récupérer mon courrier. Pressée et exaspérée, je fouillefrénétiquement dans mon sac pour y dénicher mon trousseau. Clés en main, je franchis les portescoulissantes du bâtiment et me dirige vers le panneau des boîtes aux lettres de la poste restante. Jesuis étonnée du contenu de la mienne. Trois enveloppes et un colis. J’inspecte le paquet rectangulaire,dégoulinante de sueur, le souffle court. Les mains tremblantes, je la tourne en tous sens, curieuse,anxieuse. Je ne me souviens pas avoir commandé quoi que ce soit. Je me concentre alors surl’écriture pâteuse. Avec étonnement, je reconnais enfin celle du propriétaire de mon meublé àToulouse.

Qu’est-ce qu’il me veut ?D’une main distraite, je referme le casier. Un coup de tonnerre retentit soudain et me tire de mes

réflexions. Surprise, je sursaute et pousse un cri, troublant ainsi le silence religieux qui règne. Tousles regards, la plupart désapprobateurs, se tournent vers moi.

Quelle nouille !Paquet et lettres sous le bras, je sors, tête basse, le feu aux joues. Je quitte la fraîcheur climatisée

et plonge dans la tempête qui commence à faire rage. Je fourre le tout dans le panier de mon vélo etpédale à toute vitesse jusque chez moi, faisant abstraction de l’ambiance électrique de la rue.

Hors d’haleine, mes vêtements humides, j’arrive enfin à mon appartement quelques minutes plustard. Je pose mes affaires sur l’îlot de la cuisine et file à la salle de bain. Une fois débarrassée demes habits, je glisse sous la douche pour laver ma peau de la pellicule de sueur et de poussière qui la

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recouvre. Au bruit de l’eau, qui ruisselle sur mon corps, se mêlent les coups de tonnerre. Je prends letemps de m’enduire de savon, de masser mes muscles endoloris. Une vapeur vanillée m’enveloppe.Un instant, j’imagine d’autres mains qui remonteraient doucement le long de mes jambes,s’attarderaient sur mes cuisses avant de plonger dans mon intimité. Mon fantasme m’arrache ungémissement. Les yeux clos, je laisse les mains invisibles, ses mains, prendre possession desmiennes et me mener jusqu’au désir absolu. Le souffle haletant, je me laisse porter vers un monde deplaisirs où Ethan Reed serait le centre de l’univers. Lentement, il m’entoure de sa sensualité,accentuant la pression entre mes cuisses jusqu’à m’en faire trembler. Au point culminant de monorgasme, mes jambes ne me tiennent plus et je glisse. L’eau continue de ruisseler sur ma peausensible en une douce caresse d’après l’amour. Je me love dans cette étreinte imaginaire, comblée.

Au bout de quelques minutes, je me décide à quitter la chaleur bienfaisante. J’enfile une tenueconfortable : short usé et t-shirt dans le même état. L’orage est bien là à présent, la pluie se déversedans un bruit assourdissant, ponctué d’éclairs. À l’abri, derrière ma fenêtre, je reste là, à contemplerla tourmente qui fait rage dehors. J’y trouve quelque chose d’apaisant. J’ai toujours aimé regarder lanature se déchaîner ainsi, écho de mes tempêtes intérieures. À son tour, mon estomac entre dans ladanse et gronde. J’éclate de rire et quitte mon poste d’observation pour me rendre à la cuisine afin deme dégoter des cochonneries à grignoter. Les bras chargés de chips, bonbons et canettes de soda, jem’affale sur le canapé. D’une main molle, j’allume la télévision tandis que, de l’autre, je fouille dansle paquet de chips. Blottie contre le dossier, je m’absorbe dans un film en noir et blanc.

La couleur a déserté Paris ce soir.Bercée par les répliques des protagonistes et le bruit de la pluie qui s’abat sur mes fenêtres, je

commence à m’assoupir. Soudain, mon portable sonne. Nonchalamment, je m’extirpe de ma torpeur.Repoussant chips et bonbons, je me lève pour le récupérer sur l’îlot.

— Hey, Bébé, tu en as mis du temps ! me hurle Hugo.— Désolée, hum, j’étais à moitié endormie, dis-je en calant le téléphone contre mon oreille pour

me libérer les mains.— OK, je voulais m’assurer que tu allais bien. Je suis en route pour mon rendez-vous.— Oh, euh… Oui ! Eh bien, amuse-toi bien !— J’y compte bien, rigole-t-il.Je glousse à mon tour, tout en tripotant distraitement le paquet posé sur le comptoir.Tiens, je l’avais oublié, celui-là !— Allez, file t’éclater !— Oui, je garde le téléphone sur moi si tu as besoin. Je t’aime— Je t’aime.Les yeux rivés sur le colis, je ne remarque qu’au son de la tonalité que la conversation est

terminée. Lentement, je pose le portable sur l’îlot. Je tends une main tremblante vers le paquet et, dubout des doigts, comme si son seul contact pouvait me brûler, je le rapproche de moi. Indécise, jen’ose l’ouvrir. Comment ai-je pu l’oublier ? Et pourquoi mon ancien propriétaire m’enverrait-il uncolis ? J’en suis là de mes supputations quand je remarque qu’un coin de l’étiquette collée sur ledessus se soulève, révélant d’autres coordonnées que celle de ma poste restante. Mon cœur bat à unrythme effréné, mes mains se font moites. Je sais. Mais malgré cela, je ne peux m’empêcher de retirercette fichue étiquette. Mon ancienne adresse est écrite dessous.

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Et quelle écriture !Instinctivement, je recule. Je pose une main sur ma bouche pour étouffer un cri. Terrorisée, je

regarde autour de moi, prête à le voir surgir. La pénombre qui commence à envahir la pièce ne faitqu’accentuer ma peur. Les ombres sur les murs dansent, menaçantes. D’un bond, je me rue surl’interrupteur. Je parcours les pièces à toute vitesse et allume toutes les lumières. Une foisl’appartement éclairé, je m’assure d’avoir bien fermé la porte à clé. Certaine d’être en sécurité, jereviens lentement vers l’îlot. Du bout des doigts, je m’empare du paquet et me laisse glisser au sol.Je pose alors le paquet devant moi et le fixe. Le dégoût me tord l’estomac. Le cœur au bord deslèvres, je m’essuie nerveusement les mains sur mon t-shirt. Je reste là, agenouillée, terrifiée,hésitante. Les minutes s’égrènent sans que je m’en rende compte.

Que me veut-il ? Qu’a-t-il encore fait ? Sait-il où je suis ?Non, non, il ne sait pas où je me trouve puisque c’est mon ancien propriétaire qui me transmet ce

colis, tout comme il l’a fait pour de nombreux courriers. M’accrochant à cette idée, je décide qu’ilest temps de découvrir ce que contient le paquet. Tremblante, mais déterminée, je soulève lecouvercle. Une lettre est posée sur ce qui me semble être un morceau de tissu. Du bout des doigts, jel’attrape et la laisse tomber par terre, à mes côtés. De la même manière, je me saisis de l’étoffe àcarreaux noir et blanc. Figée, je regarde l’habit que je tiens en main. Une chemise. Sa chemise.Instantanément, je suis ramenée au jour fatidique où tout a commencé.

Mon passé portait ce vêtement au tissu grotesque et épais. Lentement, il s’était approché de moi,avait caressé mon visage… Prise de vertige, je repousse ces souvenirs douloureux, en jetant lachemise maudite le plus loin possible. Mes mains me brûlent, comme si son venin se distillait ànouveau en moi. Je suis sur le point de me lever pour m’éloigner de cette immondice quand mesdoigts frôlent l’enveloppe posée près de moi. Guidée par une curiosité malsaine, je la ramasse et ladécachette. Son écriture mal assurée, bourrée de fautes me fait face à présent. La lettre est datée dujour du décès de Céline.

Tu es à moi, petite pute ! Tu l’as trop souvent oublié. Je teretrouverai, putain ! Et je saurai te rappeler qui est le maître.

Regarde le souvenir que je t’envoie. Il te rappellera qui a été lepremier à te soumettre. Je te l’ai dit, tu ne pourras t’échapper trèslongtemps. En me fuyant ainsi tu ne fais qu’augmenter ma colère.

Mais lorsque je te tiendrai à nouveau à ma merci, je peux t’assurerque tu regretteras nos douces nuits d’amour, traînée...

Je n’en lis pas plus et laisse tomber ce billet plein d’inepties ! Il est fou ! Le sang se retire de monvisage, tout se met à tourner, je me sens soudain sans force. Tout mon courage m’abandonne.L’angoisse me happe, je chute lourdement. Ma tête heurte le sol. Recroquevillée, une joue collée surle carrelage froid, les yeux rivés sur la lettre et le vêtement, j’attends. Je n’ai plus de prise sur moncorps, plus de prise sur ma peur qui suinte à présent par tous les pores de ma peau. La scène dupremier viol tourne en boucle dans mon esprit, je n’arrive pas à m’y soustraire. À nouveau, je ressensle dégoût et la terreur tandis que je fixe éperdument cette chemise à carreaux. Je suis prise detremblements, mes dents s’entrechoquent violemment. Mon crâne me fait mal. Je tente de bouger,mais, rien à faire, mon corps ne m’appartient plus. Mes pensées m’emprisonnent dans mon enfer.J’essaie de fermer les yeux pour échapper à ce maudit morceau de tissu qui emplit mon champ de

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vision. Je n’y arrive pas non plus. Je suis condamnée à rester immobile. Mon passé n’est pas là et,pourtant, il est plus présent que jamais, de telle manière que, à ce moment précis, je ne peux le fuir.

Dans le brouillard qui m’entoure, je perçois la sonnerie de mon téléphone. Depuis quand retentit-elle ? Impossible de savoir, le temps n’a plus de prise. Un nouveau bruit lointain traverse la brume.Des pas ! Quelqu’un vient. La terreur fait battre mon cœur si vite qu’il me semble prêt à rendre l’âmeà tout instant.

Il est là !Un cri effrayé.Pourquoi crie-t-il ?Une voix hurle mon prénom tandis qu’une main me frôle les cheveux. Cette voix, je la reconnais.

Instantanément, mon corps se détend et reprend vie.— Emy, mais qu’est-ce qui t’arrive, bordel ?Hugo !Il se penche sur moi, me caresse le visage. Je le fixe, incapable de répondre. Je m’accroche à son

regard anxieux pour éviter de sombrer encore une fois.— Putain, qu’est-ce que t’as Emy ? répète-t-il.Il ramasse la lettre qui se trouve à quelques centimètres de nous. Il y jette un œil avant de la

laisser choir à nouveau.— Bordel de merde ! Allez, viens là, Bébé.Hugo se penche lentement pour me soulever dans ses bras. Il me porte dans ma chambre et me

dépose délicatement sur le lit. M’enroulant dans la couette, il se cale contre moi.— C’est fini, mon ange, je suis là.Peu à peu, sa présence dissipe la brume. Le calme revient en moi. Les souvenirs s’éloignent, la

porte se referme. Je me blottis un peu plus dans les bras de mon ami.— Qu’est-ce que tu fais ici ?— Je t’ai appelée pour te souhaiter bonne nuit, mais tu ne répondais pas, alors je me suis inquiété

et j’ai sauté dans un taxi…— Oh, Hugo, je… Il ne me laissera pas en paix, où que je fuie, il arrivera toujours à m’atteindre.

Je ne serai jamais libre.— Allons, Emy, calme-toi, il ne t’a pas retrouvée, tu ne risques rien ici. Ne tombe pas dans son

piège ! Ce colis était destiné à t’affoler et puis il date de… de bien longtemps ! Ne lui permets pas det’atteindre. Repose-toi, je suis là.

— Il me retrouvera, Hugo, comme à chaque fois.Mon ami resserre son étreinte, je ferme les yeux, submergée par la fatigue, vidée, incapable d’en

dire plus.— Non, Emy, tranquillise-toi, je veille, murmure Hugo tandis que je sombre.

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Chapitre 9

Cher journal,

C’est enfin le jour J. Sur les conseils d’Hugo, j’ai rangé l’épisode du colis dans untiroir de mon esprit. Il m’assure qu’il n’a aucun moyen de me retrouver. J’aitéléphoné au docteur Rondault le lendemain pour lui en parler, elle est du mêmeavis. J’ai donc laissé Hugo se débarrasser de cette ineptie. Oh ! Je sais, cher ami,la menace est toujours présente. Un jour… Mais, en attendant, je veux juste vivreun peu. Ce soir, je dîne avec Ethan et nous devons discuter d’un arrangement pournotre relation. Je dois bien avouer que je suis stressée. Nous avons échangébeaucoup de messages ces derniers jours, mais il est bien plus facile de bavarderderrière l’écran du téléphone que lors d’un face à face. Allez, cher ami, je prendsmon courage à deux mains et je verrai bien où me mène cette soirée…

À seize heures trente, fébrile, je quitte mon bureau pour me diriger vers les ascenseurs. La journées’est étirée en longueur, tout comme la semaine finalement. À midi, j’ai déjeuné seule. Je n’ai plusremis les pieds dans la salle de pause. Une véritable ermite. Juliette ne m’a pas adressé la paroledepuis que je l’ai rabrouée. Elle se contente d’un vague « bonjour » le matin, lorsque j’arrive aubureau. Je culpabilise toujours autant de la froideur dont j’ai fait preuve à son égard. À plusieursreprises, en passant devant l’accueil pour me rendre aux toilettes, j’ai surpris des bribes deconversations téléphoniques. Elle parlait à sa mère et lui assurait que tout allait bien. D’autres fois,j’ai entendu son rire cristallin alors qu’elle plaisantait avec son interlocuteur. Nous aurions pu êtreamies, j’en suis sûre. Je jette un regard mélancolique à son bureau vide, lorsque je passe devant.

Dans l’ascenseur, je repense à la scène qui s’y est jouée quelques jours plus tôt. Des spasmessecouent mon bas ventre. Une fois sortie de l’immeuble « Reed », je m’arrête sur le trottoir,savourant le soleil qui réchauffe mon visage.

— Salut, Bébé. Alors ta journée ? me lance Hugo.Il est adossé à sa Vespa bleu ciel, sa dernière lubie. Selon lui, c’est, je cite : « le summum de la

classe à Paris ». Je dois admettre que son deux-roues est pratique pour circuler dans la capitale etpuis ça donne un petit air de vacances. Mon ami me sourit. Ses cheveux en bataille encadrent sonvisage radieux. Il porte un jean et un t-shirt. Je ne peux m’empêcher d’admirer sa beauté. Mon cœurse serre un instant quand je pense à tous ces hommes qui ont profité de lui, séduits par ses traitsangéliques.

— C’était plutôt une journée dans le monde des virgules, fautes d’accord, de conjugaison... Et toi,à quoi t’es-tu occupé aujourd’hui ?

— Eh bien, j’étais en compagnie d’un... d’un ami.Il passe nerveusement une main dans ses cheveux et détourne le regard. Il n’a pas besoin d’en dire

plus, j’ai saisi. Hugo, éternel célibataire en quête du grand amour, ne fréquente que très peud’hommes.

— En fait, il s’appelle Alexandre.Je le fixe, silencieuse, c’est la première fois qu’il nomme une de ses conquêtes. Je scrute ses traits

pour essayer de comprendre où il veut en venir. Il a l’air rayonnant, bien plus qu’à l’accoutumée.— On doit se retrouver ce soir. Je crois que je lui plais beaucoup, m’annonce-t-il fièrement.

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— Et toi ?Il n’a jamais gardé de contact avec ses coucheries. Mon cœur tambourine, impatient. S’il a

l’intention de revoir cet Alexandre, c’est qu’il doit y avoir plus qu’une histoire de sexe là-dessous.Aurait-il enfin trouvé quelqu’un qui lui donne envie de plus ? Il me lance un grand sourire.

— Eh bien, je l’aime beaucoup, il est gentil, plein d’humour. On s’entend à merveille. Nous noussommes croisés la semaine dernière à la galerie et nous sommes sortis hier soir. Il est sculpteur et…Je sais pas, on a accroché.

Ravie, je le serre dans mes bras. Des larmes de joie me voilent les yeux. Mon tendre ami toucheenfin le bonheur.

— Et toi, où tu en es ?Du menton, il me désigne quelque chose derrière moi. Je suis son mouvement du regard.

J’aperçois Ethan qui se dirige vers un SUV Mercedes gris métallisé, vitres teintées. Mon corps réagitautomatiquement à sa vue : mon cœur accélère sa course, ma peau frissonne de désir. Il a dû repasserà son bureau en rentrant de Berlin tout à l’heure.

— On doit se voir ce soir, en principe.Pensive, je regarde la voiture démarrer et s’éloigner. Je n’arrive toujours pas à réaliser. Je me

suis jetée à l’eau sur les conseils de ma psy et je dois bien avouer que, pour le moment, ça ne sepasse pas trop mal. Reste à savoir comment se déroulera la soirée. Je sens, au fond de moi, qu’ellesera décisive. Soudain, Hugo claque des doigts devant mon nez et me ramène à la réalité.

— Eh bien ! Emily Maricourt, mordue d’un mec, je ne pensais pas assister à ça un jour, éclate-t-ilde rire. Il faut croire que Paris va changer nos vies. Tiens, mets ça.

Je soupire, enfile le casque qu’il me tend et enfourche le scooter. Les artères de la ville défilentrapidement tandis que nous ondulons entre les voitures. Le soleil chauffe mes joues et le vent faitvoleter mes cheveux sur mon front, portant avec lui les effluves citadins. Il accélère. Je m’imprègnedu décor qui nous entoure. Tantôt des immeubles, tantôt des parcs ou des avenues bordées d’arbres.Du vert, du gris, du bleu. Tout est lumineux, vivant, magique. J’ai la sensation d’être une simpletouriste. Après avoir passé tant de semaines, repliée sur moi-même, cette promenade est unevéritable bouffée d’oxygène. Je mange des yeux tout ce que je vois, absorbant la beauté de lacapitale. Plus rien n’existe d’autre, pas même mon passé qui pourrait être là, caché n’importe où. Àun feu rouge, Hugo se retourne et me sourit.

— Serais-tu partante pour une virée parisienne ? me demande-t-il.Grisée par la sensation de liberté que me procure cette balade en deux-roues, j’acquiesce. Nous

remontons les Champs Élysées, contournons l’Arc de triomphe. Hugo nous emmène ensuite dans lemythique quartier Montmartre. En levant les yeux, j’aperçois le Sacré Cœur qui se dresse, en TajMahal, immaculé, majestueux. Toute cette splendeur parisienne me rend folle de joie et je me mets àfredonner une chanson d’Édith Piaf.

Sous le ciel de Paris

Jusqu au soir vont chanter

Hum Hum

L hymne d un peuple épris

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De sa vieille cité

Près de Notre Dame

Parfois couve un drame

Oui, mais à Paname

Tout peut s arranger

— Ça te plaît ? me crie Hugo.Je ris et, en signe d’assentiment, accentue mon étreinte autour de sa taille.Nous continuons à rouler, comme deux adolescents. Joyeux, nous savourons ce moment

d’allégresse.

***

Hugo est tranquillement installé sur mon lit tandis que je me change en vue de mon cours de danse.J’ai découvert ce sport à dix-huit ans, lorsque j’ai été légalement en droit de quitter la maison de mamère et d’échapper à la vie destructrice de la prison familiale. Cette discipline a, d’une certainefaçon, contribué à ma survie. Enfin, je pouvais plier mon corps à ma volonté, le laisser un peus’exprimer sans ressentir aussitôt le besoin de le détruire. La danse, l’écriture et Hugo, voilà lesseuls sauf-conduits à une survie plus paisible.

— Tiens, je t’ai préparé ça.Hugo me tend un tas de papiers. Je hausse les sourcils.— Je t’ai fait un petit dossier « Ethan Reed », répond-il à mon interrogation silencieuse. Je me

suis dit que tu aimerais en savoir un peu plus sur son compte avant ce soir.— Merci.Je commence à feuilleter le document en question.Ethan a fait des études d’ingénieur. Il est décrit comme étant, à trente ans, le plus jeune

businessman. Un vrai magnat des affaires dont la fortune est estimée à plusieurs milliards d’euros. Jedécouvre que son secteur d’activité se concentre sur les nouvelles technologies. Il a hérité del’entreprise lorsque son père s’est retiré des affaires. Je n’en lis pas plus ne comprenant rien à cecharabia de businessman. Question situation amoureuse, malgré son visage défiguré lors d’un terribleaccident de voiture, il ne s’entoure que de superbes femmes. Il se sert d’elles, puis les jette commede vieux mouchoirs usagés. Un vrai Casanova, quoi !

— Dis donc, très complet, ton dossier.— Tu as vu ? J’ai fait ça bien, rigole Hugo.Je lui renvoie son sourire et me replonge dans ma lecture. Un passage évoque la disparition de sa

mère. Une bouffée de compassion me submerge. La page suivante explique qu’Ethan soutient diversesassociations caritatives. Ma lecture s’arrête net. Mes yeux dérivent sur la photo illustrant l’article.Ethan y pose, lors d’un gala de charité, avec une grande blonde à la plastique irréprochable, mouléedans un fourreau rouge assorti à ses lèvres pulpeuses. Des sourcils parfaitement dessinés bordent sesyeux d’un bleu limpide. Il la regarde tendrement et lui sourit. La légende indique : Ethan Reedtoujours en compagnie de la superbe Isabelle Fellini, finira-t-il par lâcher ses vieux démons pour labelle italienne ?

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L’article date de deux semaines. Je ressens une sensation bizarre dans la poitrine. Je n’arrive pas àl’identifier, c’est assez douloureux.

Je continue de feuilleter le document et y découvre plusieurs clichés d’Ethan en compagnie decette femme. Elle est presque aussi grande que lui, mince, ses cheveux blonds descendent en cascadesur ses épaules. Ils ont l’air très proches et je dois avouer qu’ils forment un couple superbe. Celam’agace et je balance le dossier sur le lit pour retourner préparer mon sac de sport.

— Hey, qu’est-ce qui t’arrive ? me demande Hugo en attrapant le tas de papier. Oh ! Je vois !Il examine une feuille qui a volé près de lui.— Tu sais, il n’est mentionné nulle part que c’est sa copine ou un truc du genre. Oh ! Ne serais-tu

pas jalouse ? se moque-t-il gentiment.Je me fige sous le coup de la surprise. Mon sac à la main, je fais volte-face vers mon ami.— Jalouse de quoi ? Il n’a pas de compte à me rendre. D’ailleurs, on n’est même pas ensemble.— Allons, Bébé ! Ce type te plaît, il est normal d’être jalouse devant ce genre de photos,

m’apaise-t-il d’une voix douce.Il me tend les bras et m’invite à le rejoindre sur le lit. Je me laisse tomber à ses côtés, la gorge

serrée.— Oh, Hugo, je suis désolée de m’être emportée, c’est juste que… que tout ça est nouveau pour

moi. Je n’ai jamais éprouvé les sentiments et les sensations que je ressens lorsqu’il est près de moiet, même si c’est super, ça me fait terriblement peur.

— Là, là, calme-toi, me console mon ami en me caressant doucement les cheveux, c’est normalque tu sois terrifiée devant toutes ces émotions que tu découvres. Tu leur as fermé ta porte, il y a bienlongtemps, tu ne sais pas ce que c’est aimer et être aimée, désirée… Dans le bon sens du terme,j’entends.

— Mais toi, je t’aime et tu m’aimes ?— Oui, mais ce n’est pas la même chose, tu vois en moi un frère, pas un amant.Je soupire, il a raison, tout ça est tellement nouveau que, par moments, l’angoisse s’empare de

moi.

***

Lorsque j’arrive au studio, le cours n’a pas encore commencé. Je me rends au vestiaire pourenfiler ma tenue : un combi-short noir à bretelles, un collant d’échauffement blanc et mes éternellesjambières assorties. Je mets mon cache-cœur sur mes épaules et me dirige vers la salle de danse, uneimmense pièce voûtée. Des miroirs recouvrent la moitié des murs sur lesquels sont fixées les barres.Comme dans la plupart des studios, le sol est en parquet. La lumière tamisée crée une ambiancechaude et sereine. Je m’y sens déconnectée du monde. Les autres élèves sont déjà en train des’échauffer. Je prends place à une barre et commence à préparer mes muscles. Quelques filles mesaluent, je leur rends poliment un signe de tête. La professeure, Françoise, entre à son tour. Elle estpetite, mince, mais très musclée. Des cheveux bruns, coupés courts encadrent son visage mutin. Elletraverse la pièce de son pas de gazelle et enclenche la chaîne hi-fi. La Suite pour orchestre deDimitri Chostakovitch envahit nos oreilles et nos sens. Je me mets en première position, les paumestournées vers moi, à la hauteur du nombril. La mélodie me pénètre, je répète les mouvements gracieuxet souples de Françoise. Je laisse tout derrière moi, je referme la porte de mes angoisses et me laisseporter. Enveloppé d’une volupté chorégraphique, mon esprit se vide. Mon corps bouge naturellement

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au rythme de la musique et de la voix de notre enseignante. J’adore ses cours, un mélange declassique et de modern’jazz.

— Allez, les filles : demi-plié. Un, deux. Grand plié. On garde le dos droit. Battements de jambes.Un, deux, trois, quatre. Et devant… sur le côté… derrière…

L’échauffement continue ainsi pendant trois quarts d’heure, puis nous passons à la partie technique.Aujourd’hui, nous travaillons sur Impossible de James Arthur. Je glisse sur le parquet au rythme de lamusique. Le cours dure deux heures pendant lesquelles je mets au rancart tous mes soucis. Lorsqu’ilse termine, je rejoins les douches, trempée de sueur, vidée, mais comblée. L’eau chaude complètel’état de bien-être provoqué par l’exercice physique. De ma cabine, j’entends les autres filles quidiscutent entre elles. Selon mon habitude, j’évolue dans mon coin. Une fois lavée, j’enfile monpantalon de lin blanc et une tunique bleue. Je sèche mes cheveux à la va-vite et quitte le vestiaire.

Dehors, je prends une grande inspiration et offre mon visage à la chaleur du soleil. Je me sensvraiment bien, détendue au possible. Je souris au ciel.

Soudain, un mouvement attire mon attention. Sur le trottoir d’en face, Ethan est adossé à son SUV.Sans me lâcher des yeux, il traverse la rue à ma rencontre, son expression est indéchiffrable. Sescheveux d’encre, son regard vert et sa démarche quasi féline lui donnent l’air d’une panthère prête àbondir sur sa proie. De nouveau, mon corps réagit à sa présence et ma peau se met à picoterdélicieusement.

— Salut, me lance-t-il d’une voix suave.— Salut, qu’est-ce que tu fais là ? Tu es inscrit à la danse, toi aussi ?Je le taquine pour masquer le trouble qu’il provoque chez moi.— Non, cela ne me tente pas, je suis passé te prendre. Tu n’as pas oublié notre dîner ?— Si, enfin non, je n’ai pas oublié, mais tu devais me récupérer devant chez moi.— Je sais, mais j’avais envie de te surprendre, tu viens ? Nous dînons chez moi ce soir.Chez lui ? Je recule instinctivement, la peur au ventre, le souffle haletant et je le fixe.— Ne t’inquiète pas, Emily, je ne suis pas un serial killer et, je t’assure, je ne compte pas

t’enlever, déclare-t-il en riant. Bien que l’idée puisse être tentante ! Cesse d’être sur la défensive.Alors, on y va ? conclut-il, en redevenant sérieux et en me tendant la main.

Je hoche la tête avec un sourire crispé. Il regarde autour de lui, suspicieux. D’instinct, j’en fais demême.

— Il faudrait y aller, Emily, avant qu’une bande de paparazzis ne débarque.Le sang se retire de mon visage à l’idée de me retrouver dans la presse à ses côtés, livrée sur un

plateau d’argent à mon passé. Je réalise alors que je n’avais pas envisagé ce problème. Je suissoudain pressée de quitter l’endroit. Sans plus me soucier du lieu de notre destination, j’attrape samain tendue et le suis jusqu’à son véhicule. Il m’ouvre la portière arrière pour me laisser monter.

— Mademoiselle, me salue le chauffeur.Je hoche la tête, intimidée, devant cet homme qui, même assis, me semble être d’une carrure

impressionnante. Ses cheveux blonds coupés en brosse s’accordent parfaitement à son visage carré. Ilme fait penser aux marines des films américains, tout en muscles.

Ethan vient s’installer à côté de moi.— À l’appartement, Swan, ordonne-t-il du ton sans appel de l’homme habitué à être obéi.Ethan me prend doucement la main en un geste rassurant, me regarde et me sourit. Un courant

électrique me traverse.

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— N’aie pas peur, Emily.Dans le rétroviseur, je croise les yeux gris de Swan. Curieux, il m’étudie discrètement. Le cœur

battant, je détourne la tête vers la vitre teintée. La voiture démarre en silence et s’insère dans lacirculation.

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Chapitre 10

Cher journal,

Ethan est venu me chercher tout à l’heure à la danse et m’a emmenée chez lui. Oui,oui, tu lis bien, cher ami ! Comment a-t-il su où je me trouvais ? Eh bien, il m’aexpliqué dans la voiture qu’il avait fait une petite enquête sur moi, il agit toujoursainsi avec les personnes qu’il est amené à côtoyer. Je pense que c’est surtout unbesoin de contrôler. Je dois t’avouer qu’au plaisir de le revoir, s’ajoute l’angoissedes heures qui vont suivre. Tout cela est tellement inédit, j’ai l’impression de faireun saut dans l’inconnu et ça me terrifie. Je ne peux pas t’écrire plus longtemps,j’ai dû me réfugier aux toilettes. J’avais besoin de te confier mon anxiété…

Je tire la chasse d’eau. Tandis que je me lave les mains, je fixe mon reflet dans l’immense miroirde la tout aussi immense salle de bain, carrelée de blanc, au centre de laquelle siège une baignoire encéramique blanche. Toute la robinetterie de la pièce est dorée. Au fond, je remarque une douche àl’italienne. Il est clair que cet homme baigne dans le luxe. Je m’étonne moi-même d’être ici, jesemble décalée dans cet univers somptueux.

Lorsque nous sommes arrivés à son appartement, j’ai été éblouie par la beauté des lieux, à l’imagede leur propriétaire. Son loft se situe au dernier étage d’un immeuble cossu et ultra sécurisé desbeaux quartiers de Paris. La spacieuse pièce principale est composée d’une cuisine digne des grandschefs et d’une salle à manger surplombée par un magnifique salon auquel on accède par troismarches. L’endroit est très lumineux grâce à la baie vitrée qui couvre les trois quarts de la salle, auxmurs blancs et au parquet beige. Les meubles, en teck sombre, tranchent avec cette clarté. Il y a trèspeu d’objets personnels, pas de trophées ou de photos de famille. Logement fonctionnel.

Seuls le bureau et la chambre sont cloisonnés. On accède à cette dernière par une portecoulissante à la japonaise. Elle est tout aussi lumineuse que le reste de l’appartement, grande, auxteintes claires, meublée avec goût. Je me retourne, d’où je suis, j’aperçois l’impressionnant lit noirqui trône au milieu de la pièce et derrière lequel se trouve un dressing.

Je ferme le robinet, m’essuie les mains et rejoins Ethan dans la pièce principale. Si on faitabstraction de tout ce luxe, l’endroit est plutôt chaleureux.

Le spectacle qui s’offre à moi lorsque j’approche du salon est saisissant. Le soleil couchantdistille une lumière tamisée. Ethan est en train d’installer son iPod sur la station d’accueil près ducanapé en cuir marron, il me tourne partiellement le dos, me laissant le loisir de l’observer sans êtrevue. Il porte un pantalon de toile noire, taille basse, assorti d’un t-shirt de la même couleur, moulantson torse. Comment peut-il, à chaque fois, être encore plus sexy ? Je le dévore littéralement des yeux.

Soudain, il me fait face. Je détourne rapidement mon regard vers la baie vitrée afin de ne pas êtreprise en faute de reluquage intensif.

— C’est splendide !Je tente de me donner une contenance en désignant le soleil se cachant lentement derrière les toits

parisiens.— Hum, oui. La vue est magnifique, répond-il en me détaillant de pied en cap.Je suis interloquée par ce compliment. Cette façon distinguée, presque aristocratique qu’il a de

parler. Le rouge me monte aux joues.

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— C’est très romantique, ce que tu viens de dire, Monsieur Reed ? dis-je ironique.— Et pourtant, je n’essaie même pas de l’être, rétorque-t-il, l’air vexé.J’adopte un ton léger en me dirigeant vers la table dressée au centre de la pièce.— C’est que tu dois l’être sans le savoir !Il hausse les épaules, légèrement indigné, et passe sa main dans ses cheveux.— Je nous ai fait livrer des plats italiens, me dit-il en m’enjoignant de m’asseoir avec autorité,

cela te convient ?J’acquiesce et m’installe sur le siège qu’il m’indique. Je me sens de nouveau intimidée face à son

regard sérieux. Ma nervosité grimpe d’un cran. Je m’applique à respirer calmement pour qu’il ne leremarque pas.

— Du vin ?Sans se départir de son maintien solennel, il désigne la bouteille qu’il tient à la main. J’ai

l’impression d’être conviée à une transaction commerciale. Sauf que la transaction en questionconcerne notre intimité. Je frissonne.

— C’est un excellent vin blanc, précise-t-il.J’opine de la tête, j’ai soudain la gorge trop sèche pour répondre. Malgré l’expression

d’indifférence qu’il affiche, tout dans son attitude indique qu’il est tout aussi mal à l’aise que moi.D’une geste raide, il remplit mon verre.

— Désolé, tout cela est nouveau pour moi, en général je ne dîne pas avec mes… les femmes aveclesquelles je couche.

Je sens qu’il pèse ses mots et lui en suis reconnaissante, car, même si j’ai très envie de voir oùtout cela va me mener, je suis à deux doigts de m’enfuir à toutes jambes.

— Alors, pourquoi avec moi ?— Je ne sais pas, Emily, parce que j’en avais envie, je pense.Son masque de marbre se fissure un instant, laissant place à l’hésitation. Ses yeux reflètent une

expression que je ne connais que trop bien : l’angoisse. Je comprends à ce moment ce qu’il ressent.Pour des raisons que j’ignore, il est tout aussi perdu que moi face au lien qui nous relie. Tout cela estinédit, tant pour lui que pour moi. Je prends mon verre et avale une lampée de vin. Je dois poser laquestion qui me turlupine depuis quelques jours, sachant que ce qu’il dira me fera fuir ou me lieraencore plus à lui.

Je me racle la gorge, mes mains tremblent légèrement quand je repose mon verre.— En ce qui concerne tes besoins sexuels…Je me concentre sur mon vin pour qu’il ne voie pas ma gêne.— J’ai besoin de dominer, Emily, me coupe-t-il en me fixant alors que je lève les yeux vers lui. Je

veux d’avoir un contrôle absolu sur ma partenaire : un contrôle sur son désir, mais aussi sur sadouleur, termine-t-il dans un chuchotis.

Sa réponse me fait l’effet d’une gifle, je m’étais préparée à... Non, en fait, je ne m’étais préparée àrien. Il y a une grande différence entre avoir compris une chose et se l’entendre avouer. Tout en moiressent le besoin de fuir, comme si un danger guettait, mais mon corps en état de choc refuse de seplier à ma volonté. Je suis tombée sous le charme d’un homme qui représente ce que je fuis depuistant d’années, ce qui m’a rendue, moi aussi, avide de domination et de contrôle sur mes partenaires.Mes yeux s’emplissent de larmes de dépit. Ne suis-je donc destinée qu’à être un objet sexuel ?

Ethan caresse doucement ma main restée en suspens au-dessus de mon verre. Je voudrais reculer,

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qu’il ne me touche pas, mais mon corps réagit tout autrement. La douleur qui m’oppressait, il y aencore quelques secondes, suite à sa révélation, s’atténue à son contact chaud, doux et rassurant.

— Mais avec toi, c’est différent, reprend-il face à mon mutisme, j’ai, certes, le besoin de tecontrôler, de contrôler ton plaisir, mais pas de te faire souffrir. J’ai envie de t’emmener avec moi au-delà de nos limites et de partager ce contrôle avec toi. Ne te sauve pas, je t’en prie, accorde-moi taconfiance.

Sa voix s’est faite rauque, suppliante. Le regard qu’il pose sur moi est angoissé. Il attend uneréaction de ma part, mais j’en suis incapable. Perdue dans mes propres angoisses, je me suisretranchée en moi pour ne plus rien ressentir. Je fixe son regard, m’y accroche pour tenter de revenirà la réalité.

— Emily, ça va ?Sa voix se fait lointaine tandis que je sombre. A-t-il remarqué le combat qui fait rage en moi ? Une

part veut se tendre vers lui, faire confiance, mais l’autre me pousse à m’enfouir en moi, à me couperdes émotions qui me submergent.

Ça suffit !Je m’accroche de toutes mes forces au regard suppliant d’Ethan et remonte à la surface. Lessivée

de la bataille que je viens de livrer, je suis incapable de prononcer un mot. Je me contente doncd’exercer une pression sur sa main en signe d’acquiescement et aussi de reddition. Je ne peux refuserquoi que ce soit à cet homme, j’ai déjà trop peur de le perdre, qu’il m’abandonne. Un large sourireillumine son visage, me redonnant confiance.

— Mange, Emily, m’intime Ethan, je vais t’expliquer où je veux en venir.J’opine du chef et attaque mes lasagnes qui sont délicieuses, soit dit en passant. Je me rends

compte à quel point j’ai faim. Je me dépêche d’avaler mon assiette pour rassasier mon estomac, maisaussi parce que les révélations d’Ethan risquent de me couper l’appétit.

— J’ai besoin de soumettre les femmes à ma volonté, je me sers d’elles tant que j’en ai le désir,puis les quitte avant qu’il ne leur prenne l’envie de le faire. Je peux parfois me montrer brutal dansmes relations, c’est une façon de rappeler à ma partenaire qui a le contrôle.

Ou de les punir pour quelque chose que tu as subi !Je manque de m’étouffer avec ma dernière bouchée de lasagnes. Je me retrouve face à mon double

sexuel.— Mais, avec toi, je me maîtriserai, reprend-il, du moins, j’essaierai du mieux que je peux. Ce

qu’il faut que tu comprennes, Emily, c’est que je n’irai pas là où tu ne le souhaites pas. Tu devras mefaire confiance, comme je le ferai lorsque je te laisserai les rennes. Et tu verras, petit à petit, nousrepousserons nos limites.

Je me détends au fur et à mesure, à tout moment, il me donnera le choix. Je reprends le contrôle dela situation.

— Je… Pourquoi tu aimes cela ?Moi, je sais d’où me viennent mes déviances, mais lui ?— Je suis comme ça, c’est tout ! L’introspection est un des lieux où je ne veux pas que tu

m’emmènes, Emily. Pour l’instant, du moins.— Bien, dis-je, rougissante.Règle numéro un : pas de questions, à ce que je comprends.

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— Moi non plus, je ne veux pas que tu m’emmènes dans l’introspection.— Bien, dans ce cas, pas de questions personnelles, cela me va, opine-t-il, comme s’il notait aussi

mentalement les termes amenés à régir notre relation.J’apprécie ces limites que nous fixons, cela me permet de maîtriser la situation et de savoir où je

vais sans risque de désillusions. Comme c’est le moment ou jamais de poser mes cartes, je précise :— Je ne supporte pas d’avoir l’impression d’être utilisée.— Dans ce cas, considère que nous nous utiliserons l’un l’autre, explique-t-il, vois les choses

comme ça : je te soumets à ma volonté et tu prends ton plaisir en moi, tu seras mon objet sexuel et jeserai le tien.

Je penche la tête sur le côté, ne comprenant pas où il veut en venir.— Tu vas retirer autant de plaisir que moi, Emily, il n’émanera que de moi et le mien que de toi,

nous serons sur un pied d’égalité de ce point de vue là, puisque nous prendrons le contrôle à tour derôle. Ce qui m’amène à ma condition suivante : tant que nous coucherons ensemble, notre relationsera exclusive.

J’acquiesce, être sa seule amante me convient parfaitement et, de mon côté, il est clair que je necomptais pas avoir d’autres partenaires.

Je note mentalement :Règle numéro deux : nous sommes des objets sexuels l’un pour l’autre.Règle numéro trois : pas d’autres partenairesJe souris en songeant qu’il n’allait être rien qu’à moi.— Je suis parfaitement d’accord sur ce point. Puis-je poser une nouvelle condition, à mon tour ?— Bien sûr, Emily, c’est le moment ou jamais, sourit-il ironiquement— Pas d’apparitions en public ensemble et pas d’attachements, juste une relation sexuelle.Pas question de m’exposer aux côtés de cet homme médiatisé et de me retrouver en couverture des

magazines. Cela nous mettrait en danger tous les deux.Il hoche la tête, interrogateur.— Règle numéro un, Ethan.— Bien, pas d’apparitions en public ensemble et pas d’attachements, récapitule-t-il, l’air presque

déçu.— Oui, c’est une limite que je ne veux pas franchir, ce qui implique : pas de restaurants, pas de

balades, pas de cinémas…— D’accord, je tâcherai de la respecter.— Je…Je suis sur le point d’essayer de m’expliquer, mais il se lève, m’attrape la main et me tire en

direction de la chambre.— Viens, dit-il, autoritaire— Mais je… Et les règles ?Je balbutie, interloquée par ce revirement, lui, si calme l’instant d’avant, est comme animé,

impatient.— Au diable ces fichues règles, celles qu’on a fixées me suffisent, rétorque-t-il avec agacement en

me traînant vers sa chambre.— Mais je…Arrivé au pied de son lit, il fait volte-face et pose un doigt sur mes lèvres pour m’intimer l’ordre

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de me taire. Son contact éveille mon corps au désir. Mon cœur se lance dans un sprint effréné.— J’ai saisi l’essentiel, reprend-il tout en se déshabillant, tu veux contrôler autant que moi. Les

autres conditions ne sont que des barrières que tu ériges entre nous et qui te permettront de te sauver ànouveau si je les enfreins. Et je n’aime pas quand tu me fuis.

Il est nu, là, devant moi, j’en reste coite, ne comprenant pas où il veut en venir. Son corps est fin etmusclé, ses abdominaux bougent au rythme de sa respiration, sa peau luit à la lumière de la lune quis’immisce dans la pièce.

— Choisis un mot, m’ordonne-t-il, la voix enrouée, me ramenant sur terre.— Un quoi ?— Emily, un mot d’alerte, un mot qui signifiera stop quand l’un ou l’autre de nous le prononcera.— Oh ! Comme dans les trucs sadomasochistes ?Tiens, j’ai jamais songé à utiliser ce genre de choses…— Oui, sourit-il.Mais son sourire n’atteint pas ses yeux qui sont emplis d’…— Angoisse !— Angoisse ? Bizarre comme mot, mais pourquoi pas.— Désolée, c’est le premier qui me soit venu à l’esprit, dis-je, cinglante, vexée.— Alors, va pour angoisse ! soupire-t-il.Je réalise la bizarrerie de la situation, nous sommes là, à papoter, et lui est entièrement nu devant

moi, sans gêne. Je rougis légèrement.— Je te laisse le premier round, Emily, reprend-il, malicieux. Que veux-tu que je fasse ?J’ouvre la bouche, hébétée. Cet homme attend mon ordre, il est dans le plus simple appareil,

soumis à mon désir. Je me passe la langue sur les lèvres, il est tout à moi. Soudain, toutes les choseshabituelles que je fais subir à mes partenaires s’effacent dans mon esprit. Ne restent que celles quej’aimerais qu’il me fasse.

— Arrête de cogiter ou je vais finir par changer d’avis, menace-t-il, c’est inédit pour moi, ne…— Déshabille-moi !Avide de lui, je le coupe. Il s’exécute et me retire mes vêtements lentement. Il caresse des pans de

ma peau au passage, enflammant douloureusement mon désir de lui. Je ne suis plus qu’un brasierhumain.

— Touche-moi !— Où veux-tu être touchée ?Je remarque que sa voix est rauque, son souffle haletant s’accorde au rythme du mien. Son sexe est

tendu vers moi, comme une supplication.— Partout.Je souhaite qu’il apaise de ses mains le bûcher qui fait rage en moi, qu’il me libère des flammes

et, surtout, une première dans mes relations sexuelles, je veux qu’il prenne du plaisir, je ne veux pasle faire souffrir.

Ses mains descendent sensuellement le long de ma nuque. Effleurant mes seins, elles continuentleur chemin en une caresse délicieuse jusqu’à mes cuisses, puis le long de mes mollets. Il remontetout aussi lentement derrière moi, frôlant mes fesses du bout de ses doigts, puis vient le tour de mesreins, tandis que je me consume pour lui.

— Avec ta bouche, dis-je, dans un murmure, prise de frénésie.

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Il recommence alors son parcours, léchant mon corps délicatement.— Comme cela, Mademoiselle ?— Oui !Il s’arrête sur mon ventre, les yeux rivés sur les petites cicatrices qui le strient. Il me regarde un

instant, je détourne la tête. Il continue sa promenade gustative sans poser de questions. Lorsqu’ilarrive à hauteur de mon sexe, il lève la tête vers moi, attendant mon assentiment. Dans un gested’impudeur totale, je pousse mes hanches vers lui de façon à positionner mon clitoris au plus près deses lèvres.

Alors commence un doux supplice. Mon Dieu ! Une part de moi est complètement abasourdie,mais la fougue qui s’empare de mon être prend le dessus. Je ne suis plus que sensations,qu’excitations. Oh ! Que c’est bon, jamais je n’ai touché les cieux de si près.

— Pénètre-moi !Il lève les yeux vers moi et je remarque que son regard est rempli d’une faim aussi ardente que la

mienne. Il se relève lentement.Je le pousse sur le lit. Il est là, allongé sur le dos, offert à mon désir. Il tend le bras vers sa table

de nuit et en sort un sachet argenté. Avec précision, il déroule le préservatif sur son sexe. Je n’y tiensplus, je monte à mon tour sur le lit et m’empale sur lui. Soudain, le monde n’a plus d’existencepropre, seul existe cet homme qui m’emplit complètement. Pour la toute première fois de ma vie, jeme sens entière. Je scrute son regard et constate qu’il exprime tout ce que je ressens : il est auparadis, avec moi. À ce moment, il n’y a plus de contrôle, plus de règles, nous sommes ensemble,égaux face au violent désir qui nous tenaille. Je suis lui, il est moi. Nous gémissons à l’unisson. Iltend ses mains, j’y prends appui et commence à glisser le long de son sexe dur et enflé, l’enserrant demon plaisir. J’accélère la cadence. Plus besoin de mots, nos corps parlent pour nous et s’accordentparfaitement. Je lâche prise et laisse les vagues de désir me submerger. Les yeux rivés à ceuxd’Ethan, je me disperse en milliers d’étincelles incandescentes autour de lui, très vite rejointe par sapropre jouissance. À nouveau, son regard reflète ce que je ressens : plénitude, accomplissement etahurissement. Sa cicatrice luit sous les rayons lunaires, parfait double des mutilations argentées quime couvrent le ventre.

À bout de souffle, je tombe à ses côtés. Il tourne la tête et dépose un léger baiser dans mescheveux.

— Étonnant, chuchote-t-il. Mais délicieux.Je sens sur le sommet de ma tête un sourire se dessiner sur ses lèvres. Sans crier gare, il se

retourne de façon à se positionner au-dessus de moi. Il me regarde, amusé, et je ne saisis pas ce quile rend d’humeur joyeuse.

— Une petite douche ? me propose-t-il— Hum, oui…Je réponds, alanguie, encore perdue dans les sensations nouvelles qui m’assaillent. Cet homme

doit m’être envoyé par quelque divinité pour me guérir de mes peurs.Nos corps sont couverts de sueur. Il se lève, me tend la main et nous nous dirigeons vers la salle

de bain. Tandis qu’il règle l’eau de la douche, je jette un coup d’œil à mon image dans le miroir. J’ydécouvre une nouvelle Emily : les joues rouges, le regard brûlant, la peau marbrée de rose. Je souris,comblée de constater qu’elle existe. Ethan se place derrière moi, ses joues aussi sont légèrementcolorées et me rappellent la déferlante qui vient de nous secouer. Il pose une main sur ma hanche

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droite. De l’autre, il caresse une de mes cicatrices. Je serre les lèvres, troublée devant cette preuvede mon mal-être passé.

— Tu es si belle, me murmure-t-il, le regard brûlant.Il dépose un baiser sur mes épaules. Je comprends, par là, qu’il m’accepte comme je suis.— La douche ? interroge-t-il, arquant un sourcil.À nouveau, il me laisse le choix. J’acquiesce, il sourit, malicieux.L’eau chaude coule le long de mon dos, je me tourne de façon à immerger mon corps sous le jet.

Ethan attrape le gel-douche et, encore une fois, je suis fascinée, en extase, devant la beauté de soncorps nu. Je remarque qu’il n’a pas débandé et, immédiatement, mon désir se réveille. Je ne meserais pas crue aussi insatiable. En même temps, comment être rassasiée de ce corps d’adonis ?

Il prend un peu de gel-douche au creux de ses mains et l’applique délicatement sur mes épaules,l’étalant sur mes bras.

— Tourne-toi.Je comprends soudain : deuxième round, celui d’Ethan.Je m’exécute, il me frotte le dos, me lavant minutieusement. Ses doigts réveillent chaque parcelle

de ma peau. Il se penche vers moi, de façon à placer son visage près de mon oreille.— N’oublie pas le mot d’alerte, murmure-t-il.J’acquiesce, anxieuse et excitée à l’idée de ce qui m’attend. Mais savoir qu’il s’arrêtera si je

prononce « angoisse » me rassure. Il ne m’entraînera pas où je ne souhaite pas aller. Ethan continuede me laver et je rougis lorsqu’il pousse la minutie à mes parties intimes. Je me sens gênée, mais celaest tellement agréable que mon embarras est vite balayé.

— À toi !Il me tend le flacon de gel-douche.Intimidée, je commence à lui étaler du savon sur la poitrine. Mes mains tremblent.— Lave-moi, Emily, m’ordonne-t-il d’une voix que je ne lui connaissais pas.Je suis face à « Ethan le dominant ». Soumise, je me mets à genou et m’applique du mieux que je

peux à lui laver le sexe. Je l’entends geindre. Enhardie par son plaisir, j’accentue la pression de mamain. Il m’attrape les cheveux et les enroule autour de son poignet. Il tire doucement, mais fermementdessus de manière à faire basculer ma tête vers l’arrière.

— Tu es à moi, Emily, tu ne pourras pas te sauver.Ces mots, hors contexte, m’auraient affolée, tétanisée, mais, face à son regard brûlant de désir, je

fonds. Il me retourne de façon à plaquer mon dos contre sa poitrine et commence, de sa main libre, àcaresser mes seins avec violence. Il attrape un de mes tétons entre ses doigts et le fait rouler sansdouceur, m’arrachant un petit cri. La douleur fait rapidement place à une chaleur intense qui sedéplace jusqu’au creux de mon ventre, enflant mon plaisir. Sa main descend ensuite vers monentrejambe et il se met à me caresser. Mon corps entier est en feu. Je sens son souffle chaud dans moncou, additionné à l’eau qui ruisselle sur mon dos. Je suis à vif, chaque parcelle de mon corps crie à ladélivrance. J’ondule pour intensifier mon plaisir.

— Tututtt, me chuchote-t-il, ne bouge pas.Il tire violemment sur mes cheveux pour m’intimer de cesser de remuer. Il me pénètre alors de son

doigt et entame une délicieuse caresse. Je suis à bout de souffle, prête à exploser. C’est le momentqu’il choisit pour se retirer et je gémis de dépit. Il remonte sa main dans mon dos et, d’une pression,me fait me pencher en avant. De ses jambes, il écarte les miennes. Je suis nue, soumise, offerte à sa

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vue. Je ne peux m’empêcher de sentir la peur monter en moi, j’ai l’impression d’être démunie etavilie, ainsi positionnée. J’ai le mot d’alerte au bord des lèvres.

C’est au moment où j’allais hurler angoisse qu’il entre en moi brutalement, en poussant ungémissement de plaisir. J’en ai le souffle coupé. Tout en me caressant doucement le dos de sa mainlibre comme pour me rassurer — l’autre étant toujours enroulée autour de mes cheveux. Il commenceun délicieux va-et-vient, m’emplissant à nouveau de sa puissance. J’oublie tout, il n’y a plus de peur,plus de soumission, il ne reste que le désir presque bestial de me laisser posséder par cet homme. Jelâche prise et le plaisir me submerge dans un gémissement animal.

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Chapitre 11

Cher journal,

Et voilà, j’ai fait le grand plongeon ! Oh ! Cher ami, jamais je n’aurai pensé qu’ilétait si doux de nager ! Ethan et moi avons apposé des règles à notre relation,ainsi je suis assurée qu’il ne cherchera pas à connaître mon passé. Une sorte degilet de sauvetage. Je me suis laissé aller, je n’ai même pas ressenti le besoin delui faire du mal. Eh oui, tu lis bien : premier rapport sexuel sans violence ! Sera-t-il l’homme qui m’éveillera à la vie, qui brisera les chaînes qui me retiennentprisonnière de mes angoisses ? Je dois te quitter, mon ami, Ethan dort à quelquesmètres, je crains que la lampe de la salle de bain ne le réveille. Je retourne aulit…

La lumière du soleil passe à travers la baie vitrée, face à moi. Je souris à l’astre qui me réchauffede ses rayons.

— Bonjour.J’ouvre les yeux et me tourne vers la douce voix. Ethan couché à mes côtés m’offre son profil

intact, un bras sous la tête, le visage ensommeillé, les joues bleuies par une barbe naissante. Unspasme secoue le creux de mon ventre. Ma libido aussi se réveille. Elle qui a dormi pendant tantd’années !

— Bonjour, dis-je dans un murmure.Dieu que j’ai mal partout ! Pas étonnant, avec toute la gymnastique de cette nuit. Je rougis en y

repensant.— Un café ?J’acquiesce, tout en m’étirant langoureusement. Ethan repousse la couette, se lève et revêt un bas

de pyjama en satin noir. Il est carrément à tomber ainsi, torse nu, les cheveux en bataille. Il se tournevers moi et me tend un t-shirt.

— Si tu continues de me regarder comme ça, nous n’arriverons pas jusqu’au café.Prise en flagrant délit de voyeurisme, je détourne les yeux, gênée. Tandis qu’il se dirige vers la

cuisine, j’enfile à la hâte son t-shirt qui me couvre jusqu’à mi-cuisses et ramasse ma petite culotte quitraîne au pied du lit. Il me semble que j’ai plutôt l’air ridicule, affublée de la sorte. La délicieuseodeur de café me chatouille les narines et, poussée par mon besoin de caféine, je me décide àrejoindre Ethan. La pièce principale, tout comme la chambre, est baignée de lumière. Il est accoudéau comptoir, servant de séparation entre la salle et la cuisine, sirotant son petit déjeuner. Une tasse estposée face à lui, je la saisis et la porte à mes lèvres afin de savourer le nectar des dieux.

— Très sexy au réveil, me dit-il, je ne pensais pas qu’il était si agréable de commencer unejournée ainsi.

Je baisse les yeux et me concentre sur ma boisson afin de dissimuler mon embarras. Cet hommeest vraiment déroutant. Cette nuit, il m’a soumise à sa volonté, me dominant presque brutalement —j’en ai encore le cuir chevelu endolori et les fesses rouges tellement ses coups de boutoir étaientviolents — et, ce matin, il se comporte de la façon la plus charmante possible.

Ah, il me donne le tournis !

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— Oui, c’est agréable, ce réveil. C’est une première pour moi, mais j’aime bien, je crois, dis-jedans un souffle.

— C’est également une première pour moi, Emily et je crois que j’aime bien aussi.Je reste bouche bée. Il n’aurait jamais passé une nuit complète avec une femme ? Décidément,

nous avons beaucoup de points communs et de premières à nos actifs.— Tu réfléchis encore, Emily ! soupire-t-ilJe le regarde, l’air interrogateur. Aurait-il, en plus de tous les attributs dont il est pourvu, celui de

lire mes pensées ?— Tes sourcils forment un V lorsque tu te mets à cogiter.Je soupire. Il faudra tout de même que je surveille mes pensées en sa présence. Juste au cas où !— Et toi, tu ne réfléchis pas ? dis-je, un peu vexée.— Eh bien, en règle générale, si. Mais, dans le cas présent, j’évite de trop penser à tout ça pour

éviter de me filer une migraine à force de ne rien comprendre à ce qui m’arrive.Je suis presque obligée de me tenir au comptoir pour ne pas tomber. Il est aussi déboussolé que

moi, sauf qu’il n’en montre rien. Ce n’est pas une déclaration d’amour et, pourtant, ça me remue, dusimple fait de savoir que je bouscule sa petite vie autant qu’il le fait pour la mienne. Il me regardeavec un sourire malicieux. Ah oui, mes sourcils ! Le vilain démon ! Je me demande si je ne devraispas faire quelques injections de toxine botulique afin de rendre mon front inexpressif. Quelle doucevengeance !

— Bon. Il faudrait tâcher de se presser si tu ne veux pas être en retard au boulot. Quant à moi, j’aiun empire à diriger.

— Je… Ouais, dis-je en constatant qu’il est six heures vingt-cinq. Et, comment fais-tu pour savoirtant de choses sur moi ?

— Disons, que j’ai un service de renseignements très compétent et que je dispose de technologiesdignes de la NASA. Mais, connaître des choses comme ton adresse, ton emploi du temps ne sont rienen comparaison de ce que j’aimerais réellement savoir.

— Et qu’aimerais-tu savoir ?— Tout ce qui se passe dans ta tête et dans ton cœur. Allez, il faut se préparer.Je suis presque déçue de quitter cette jolie bulle. Ethan se dirige vers sa chambre et j’entends la

douche. Devant le lit, je reste songeuse une minute. Tout ce qu’il s’est passé cette nuit me revient àl’esprit. Dieu que c’était bon. Je me sens différente, légère, pas de dégoût ni de culpabilité. Ethan atrouvé le chemin de mon corps et peut-être de mon cœur.

— Swan nous déposera au travail, me crie-t-il.Je secoue la tête et me dirige vers mon sac de sport posé au pied de la commode. Je récupère les

vêtements que je portais hier à mon arrivée ici et m’habille. Je tends l’oreille pour vérifier qu’Ethanest toujours occupé sous la douche et file dans le salon à la recherche d’un morceau de papier et d’unstylo. N’en voyant pas, je m’aventure vers la pièce qui se trouve face à la chambre : le bureau.J’ouvre un peu plus les portes coulissantes. J’ai l’impression de pénétrer dans un lieu interdit, aprèstout, il ne m’a pas fait visiter cette pièce hier. Elle est lumineuse, à l’image du reste de l’appartement.Une bibliothèque recouvre un pan de mur. Sur les autres surfaces, des toiles signées de grandsmaîtres et des photographies sont disposées. Je m’approche d’une photo sur ma droite. Ellereprésente un enfant d’environ huit ans, jouant au base-ball. Malgré son visage parfaitement lisse, jereconnais Ethan. Au-dessus, en noir et blanc, légèrement écornée, celle d’un couple enlacé. C’est la

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pièce la plus personnelle de l’appartement. Sur la table de travail en acajou qui fait face à la fenêtre,je trouve ce que je cherche. J’attrape un post-it pour y inscrire mon message.

Règle numéro quatre, Ethan,pas d’apparitions en public ensemble.

À très vite,Emily

PS Je ne me sauve pas, j’applique une règle très importante pourmoi.

Je me retourne, mon petit mot à la main, et tombe nez à nez avec... moi.C’est vrai, j’avais oublié ! Hugo m’avait précisé qu’Ethan l’avait achetée. Posée sur une sorte de

trépied, la toile est orientée face au bureau. Un frisson me parcourt. J’ai vraiment l’air en paix surcette peinture. Je suis belle, lumineuse.

Les paroles de mon ami me reviennent :Si tu cassais cette carapace et que tu arrêtais de te voir comme une petite chose insignifiante,

tu pourrais te rendre compte que c’est VRAIMENT TOI sur cette toile.Il a raison au fond, peut-être que je pourrais ressembler à cette femme si mon passé ne faisait pas

en sorte de me poursuivre en permanence. Machinalement, je regarde mes poignets. Bien que je n’yvoie pas de chaînes, je les sens qui pèsent lourdement.

Je décide de ne pas m’attarder à réfléchir à tout cela, histoire de ne pas entacher le bien-êtreinédit que je ressens ce matin. Je tourne les talons en direction de la salle principale. Je dépose monmessage bien en évidence sur le comptoir de la cuisine et me dirige vers la porte d’entrée à pas deloup — je n’entends plus le bruit de la douche.

Une fois dans l’ascenseur, je sors mon téléphone et appelle un taxi. Je constate alors que je n’aipas moins de trente-six appels d’Hugo, sans compter les textos. Merde, hier, j’ai complètementoublié de le prévenir ! Il a dû s’inquiéter toute la nuit. Je compose son numéro. Il décroche à lapremière tonalité.

— Bon sang, Emy !Il hurle si fort, que je suis obligée d’éloigner l’appareil de mon oreille sous peine de me retrouver

sourde.— Tu ÉTAIS OÙ ? Je t’ai cherchée partout ! Putain…Il continue son monologue, fou de colère. Je l’ai bien mérité. Quand j’arrive dans le hall d’entrée,

la réceptionniste me fait un petit sourire en m’indiquant un taxi garé dehors. J’y monte et m’affale surla banquette arrière en chuchotant mon adresse au chauffeur.

— Je suis désolée, dis-je, lorsque je peux enfin en placer une. Ethan est passé me prendre austudio après mon cours de danse et tout est allé si vite que j’ai oublié de te prévenir.

— Et là, tu es où ?— J’arrive à la maison.— Oui, je t’attends ! Bordel, Emy, tu m’as fichu la trouille— J’en suis consciente, désolée. Mais j’ai été prise dans un tourbillon. Oh, Hugo, si tu savais,

c’était magique, je…— Mouais, je t’attends, tu me raconteras.Il me raccroche au nez. Je soupire et appuie ma tête sur le haut de la banquette dans l’intention de

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fermer les yeux cinq minutes, mais mon téléphone en a statué autrement. Je réponds à l’appel sansmême regarder l’identité de mon interlocuteur, persuadée qu’Hugo me rappelle pour en remettre unecouche. Je prends une grande inspiration et décide d’attaquer la première cette fois-ci.

— Écoute, je sais que tu es en colère, mais c’est bon, j’ai…— Oui, je suis en colère, Emily ! me coupe Ethan d’un ton glacial.Merde, ce n’est pas la voix à laquelle je m’attendais. Mon cœur se met à tambouriner, mes mains

deviennent moites.— Je… Ethan… Euh… Désolée, je ne pensais pas que c’était toi…— Ah oui ? Qui alors ?Face à son agressivité, je perds mes mots. C’est la journée de coalition contre Emily ou quoi ?— J’attends, Emily. À qui croyais-tu répondre ?— À Hugo.— Hugo ?— Oui, mon ami, le peintre. Je... il s’inquiétait de ne pas savoir où j’étais.— Oh ! Je vois. Et tu t’es dépêchée de fuir pour courir le rassurer, crache-t-il.— Je… Non ! Mais c’est quoi, ça ?Je parle si fort que le chauffeur sursaute en me jetant un regard mauvais dans le rétroviseur. Je

hoche la tête en signe d’excuses.— Hugo est mon ami, point. Et je ne me suis pas sauvée, je t’ai laissé un mot.— Un mot ?Il a l’air sincèrement surpris. Je souffle, agacée par sa crise d’hystérie.— Oui, sur le comptoir de la cuisine.Je l’entends se déplacer. Mince, je n’avais pas pensé qu’il ne le verrait pas en sortant de la

douche. Comme il ne répond pas, j’en déduis qu’il est en train de lire le message.— Effectivement, je n’avais pas remarqué le mot que tu as laissé. Je suis désolé, j’ai cru que….

Ce n’est pas grave, à plus, Emily, je dois y aller.— À pl...Trop tard, il a raccroché. Maintenant, moi aussi, je suis en colère d’être traitée ainsi. Je ne pense

pas que MONSIEUR aurait apprécié cela. Je décide de lui envoyer un texto.

À plus ! C’est ce que j’étais en train de te direquand tu m’as raccroché au nez !

Je fixe l’écran, attendant sa réponse.

Eh bien, voilà, c’est dit !

Non, mais quel toupet ! Je suis dépitée et ne sais pas quoi répondre. Je n’ai pas besoin d’yréfléchir longtemps, un nouveau message arrive.

J’étais en colère, Emily, imagine ma surprise en découvrant que tut’étais à nouveau sauvée.

Je soupire et rétorque :

Je ne me suis pas sauvée, je t’ai laissé un mot.

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Le texto est tout juste envoyé que le bip annonçant la réponse se fait entendre.

Tu aurais pu tout simplement m’en informer. Écrire un mot et partiren douce, c’est se sauver ! Et je t’ai dit que je ne supportais pas cela.

Je suis bien obligée d’abdiquer devant ses arguments. Il n’a pas complètement tort. J’ai bienrédigé mon petit papier en douce pendant qu’il était sous la douche et me suis enfuie en catiminiquand je n’ai plus entendu le bruit de l’eau.

Désolée, Ethan, je l’ai fait inconsciemment, je suis comme ça. Toutcela est inédit pour moi, laisse-moi du temps. Pardonnée ?

Et s’il me répond non ? Je me prépare à la douleur que je risque de ressentir si sa réponse estnégative. Un bip retentit, mon cœur accélère sa course et ma main tremble quand j’ouvre le message.

Bien sûr que tu es pardonnée, tu ne sais pas l’effet que tu me fais !Pour moi aussi, tout cela est nouveau.

C’en est presque douloureux et, quand j’ai vu que tu étais partie sansun mot (enfin presque), je ne sais pas, j’ai eu peur, je crois. Et puis,

j’appelle et tu penses parler à un autre…Laisse-moi du temps aussi. Pardonné ?

Ouah, quel roman ! Mais c’est tellement touchant que ma vue se brouille de larmes. Je suisincapable de résister à cet homme.

Pardonné. À très vite. PS Pour info, Hugo est mon meilleur ami et ilest gay. Ton service de renseignements n’a pas bien fait son travail !

Je ferme les yeux et pose ma tête avec lassitude sur le dossier de la banquette.Lorsque j’arrive chez moi, je suis accueillie par une délicieuse odeur de caféine et Hugo qui

m’attend de pied ferme dans ma cuisine.— Hey !— Hey ! répond-il sèchement.Je m’approche de lui en douceur, mais il recule d’un pas. Mon cœur se tord. Je déteste quand il

met de la distance entre nous. Je me sers une tasse de café et prends le parti de me taire. Autantlaisser passer l’orage. Je détaille ses traits : il n’est pas rasé, il a des cernes immenses et le regardfatigué. En levant les yeux par-dessus son épaule, je remarque un plaid sur le canapé. Bon sang,quelle gourde je suis ! Je viens de lui faire vivre l’enfer. Des larmes de culpabilité se mettent àinonder mon visage.

— Emy ! Non, ne pleure pas, c’est fini. Tu es là, tu vas bien et je suis rassuré.— Oh, Hugo, pardon, pardon, pardon…Plus aucun autre mot n’arrive à franchir mes lèvres. Il s’approche de moi et me prend dans ses

bras. Lorsqu’il colle sa joue sur mes cheveux, je sens qu’il pleure aussi. Je lève la tête, cherchant sonregard. Anéantie par sa douleur, je répète une dernière fois :

— Pardon.— C’est bon, Emy, je suis soulagé, c’est tout. C’est la pression qui redescend, répond-il en

essuyant ses yeux du revers de la main. Allez, prends ta tasse et viens me raconter tout ça.

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Il s’installe en chien de fusil sur le canapé. Je le rejoins et commence à lui expliquer tout ce quis’est passé avec Ethan — en oubliant volontairement notre histoire de contrôle mutuel. Je finis par la« dispute de ce matin » et lui montre le dernier message que mon amant m’a envoyé.

— Eh bien, Emy, je comprends mieux pourquoi tu ne m’as pas appelé ! Ce type a percé ta petitecarapace, on dirait, déclare Hugo en tapotant son index sur mon thorax.

— Ouais, on dirait, mais cela m’effraie, Hugo. Il y a tant de paramètres que je dois prendre encompte ! Le premier étant que je ne veux pas le mettre en danger par ma simple présence. Que c’estcompliqué, Hugo, je…

— Allez, te bile pas. Profite, tu mérites de vivre un peu, Emily.— Oui, mais…— Oh, pas de, « mais » ce matin, je suis trop crevé pour soutenir une conversation sensée.

Contente-toi de…J’attends la fin, mais elle ne vient pas, Hugo s’est endormi au beau milieu de sa phrase. Le pauvre

! Il a passé une nuit horrible. Je le recouvre du plaid posé derrière moi. Je vais vite prendre unedouche et me préparer pour le boulot. Je suis loin d’être en avance. J’enfile à la hâte un pantalon bleuet une chemise assortie. Avant de partir, j’écris un petit mot à mon ami.

Encore pardon, je file bosser. On se voit ce soir ? Gros bisous, Emy.

En quittant l’appartement, je souris face à la situation. Je deviens une pro des petits mots. Lorsqueje sors de mon immeuble, l’agitation citadine me replonge dans la réalité. À la frénésie des voituresqui circulent en tous sens se mêlent les gazouillis des oiseaux perchés dans les arbres qui bordent larue. Le soleil chaud illumine une partie du large trottoir, je prends une grande inspiration et décided’abandonner l’ombre pour baigner dans la lumière, bien consciente que l’obscurité ne sera jamaisloin.

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Chapitre 12

Cher journal,

Je n’ai pas beaucoup pris la peine de te parler ces derniers temps. Tu mepardonneras, j’espère. Ethan et moi passons beaucoup de temps ensemble. Il estdélicieux, attentionné et il me fait rire. Je crois que c’est cela le bonheur ! Seuleombre au tableau, cher ami, plus nous devenons proches, plus il est rongé par lacuriosité au sujet de mon passé et je crains que ça ne sonne le glas de notre douceidylle…

Je repose ma brosse à dents à côté de celle d’Ethan qui trône sur mon étagère. Il a rapportéquelques affaires. Nous passons plus de temps chez moi qu’à son luxueux loft. Il vient de partir.

Je détaille mon double dans le miroir de ma petite salle de bain : un placard à balais, comparé àcelle de mon amant. J’ai l’impression que les changements qui se sont opérés en moi se reflètent surmon visage. Une étincelle illumine mon regard chocolat, mes traits sont moins crispés, mon teint pluscoloré. Je passe ensuite à l’inspection de mon corps, il me semble plus beau, il irradie. Cela doit êtredû au fait qu’Ethan le comble et le sublime depuis bientôt un mois.

Tant de choses ont changé en si peu de temps. Je suis plus belle, plus heureuse, plus confiante. Ilm’a éveillée à moi-même. Avec lui, tout ce qui me répugnait me plaît. Mieux encore, j’adore ça.Combien de temps durera notre relation bizarre ? L’angoisse m’enserre la poitrine. Le plus longtempspossible, il le faut, je veux continuer à me sentir vivante.

Nous nous voyons pratiquement tous les soirs, assouvissant tour à tour notre besoin de contrôle,nous emmenant dans des lieux inconnus. Aucune sortie en public. Ethan respecte cette conditionessentielle pour moi, même si je me doute qu’il meurt d’envie de comprendre pourquoi. Un seulincident est venu troubler notre petite idylle.

Un soir, la semaine dernière, il n’avait pu se libérer, ayant un gala de charité. Je décidai donc deme faire une soirée télé ponctuée des messages d’Ethan. Comme d’habitude, il essayait d’en savoirun peu plus sur mon passé, me livrer à lui me semble plus simple quand il n’est pas face à moi. Maislorsqu’il m’interrogea sur mes cicatrices, ce fut la panique. Même si j’arrivais à mieux lui parler, jene lui avais rien dévoilé concernant mon passé. Je lui avais hurlé par message :

ANGOISSE

J’avais attendu quelques minutes, mais aucune réponse n’était venue. J’avais reposé le téléphone,consciente que, chaque fois qu’il tentait une question sur mon passé, je le repoussais en prononçant cemot. Mon cœur s’était serré douloureusement, tandis que mon esprit me susurrait qu’un jour, il mefaudrait être honnête et tout lui raconter au risque de le perdre. Je m’étais donc roulée en boule,ballottée par l’angoisse qu’il m’abandonne.

Dans la nuit, on avait frappé à la porte. Je me redressai comme un ressort sur mon lit, paniquée. Jeconsultai l’heure : deux heures quinze. Pourquoi la réception ne m’avait-elle pas appelée ? Personnen’est sur la liste des personnes autorisée à monter, hormis Ethan. Et ce ne pouvait être lui, il était àson gala à Londres. Ni une ni deux, mon instinct de survie se mit en marche face à un dangerpotentiel. Je me ruai sur mon tiroir à sous-vêtements. J’y cache mon pistolet, acheté un soir, à lasauvette, dans une cité glauque de Toulouse. Je vérifiai qu’il était bien chargé et me faufilai vers la

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porte d’entrée. Sans un bruit, retenant ma respiration, je me glissai derrière celle-ci et regardai par lejudas, prête à recevoir mon passé.

Je hoquetai de surprise en constatant que ce n’était pas la personne que je m’attendais à voir del’autre côté. Ethan se trouvait sur le palier, en smoking.

— Ouvre, Emily, je t’entends.Je soupirai et passai ma main sur mon front pour essuyer la pellicule de sueur accumulée. Je

déverrouillai la porte. Ethan me regardait surpris.— Tu en as mis du temps !Il avait l’air légèrement agacé. D’un geste de la main, je l’invitai à entrer et ce fut trop tard que je

me rappelai que celle-ci tenait fermement le revolver.— Bon sang, Emily, qu’est-ce que tu fous avec ça ? s’écria-t-il en découvrant l’arme.— Rien. Qu’est-ce que tu fais là ?— Eh bien, tu as crié le mot d’alerte, je suis venu, balbutia-t-il en se passant nerveusement la main

dans les cheveux.— Oh ! Mais pourquoi ?J’étais stupéfaite par cette attention. Il me fixait, penaud.— Je… je ne sais pas ce qui m’a pris. Quand tu as écrit « angoisse », ça a été plus fort que moi,

j’ai ressenti le besoin de venir vérifier que tu allais bien. Tout ça me dépasse.Il inspira profondément.— Et je te trouve avec une arme à la main ! dit-il en désignant du menton mon revolver.— Oh, simple précaution.— Contre ?— Rien.J’avais répliqué, agacée contre lui et contre moi, tout en posant le revolver sur le comptoir de la

cuisine.— Allez, viens là.Il m’attira à lui, comprenant qu’une fois de plus, je ne répondrais pas à ses questions. Blottie

contre lui, je laissai la tension redescendre. Il me porta tendrement vers la chambre, je m’étaisrendormie dans ces bras, rassurée.

Cet incident a eu le don de renforcer ma confiance en lui. Cet homme avait tout plaqué et traverséla manche pour venir me réconforter. Son geste avait atteint directement mon cœur, déjà bienchamboulé.

Un bip retentit dans ma chambre, me tirant de ce souvenir. Je me dirige vers mon ordinateur posésur mon lit.

Vous avez un nouveau message.

J’ouvre ma boîte mail. Un message de ma mère. Merde, rien de tel pour me gâcher le reste de lajournée. Nous n’avons plus rien en commun depuis ce jour où je lui ai confié ma souffrance et qu’ellen’en a eu cure. La seule chose qui nous rapproche, c’est notre ADN commun. Même physiquement,nous ne nous ressemblons pas. Elle est grande, longiligne, blonde aux yeux verts. Durant monadolescence, je me suis souvent dit qu’il devait y avoir eu confusion à la maternité. Une autre mamanm’attendait forcément, une maman qui saurait m’aimer.

Je regarde l’heure qu’indique le radio-réveil posé sur ma table de chevet : sept heures vingt. Je

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suis bien en avance ce matin, comme quasiment tous les matins depuis presque trois semaines.L’avantage de passer ses nuits avec un homme d’affaires, c’est que son monde se remet à tourner bienavant celui du commun des mortels. Ethan étant déjà parti, j’ai donc largement le temps de lire ce queme veut ma génitrice. Je ne l’autorise à me contacter que par ce moyen de communication. J’ai crééune adresse mail afin qu’elle ne pollue pas trop ma vie. Je m’installe le plus confortablementpossible.

Emily,Je n’ai pas de nouvelles de toi depuis bientôt 4 mois, — parce que je ne souhaite pas t’en

donner, pardi — comme d’habitude, j’ignore où tu te trouves, ni même si tu es encore envie. Ce n’est pas très responsable. Crois-tu que l’on traite sa mère ainsi ? — Et toi, tu l’es,responsable ? — Ne m’as-tu pas causé assez de tracas comme ça ? — pff — Quoi qu’il ensoit, je me suis décidé, MOI, à te donner des nouvelles. Comme tu le sais, la honte etl’humiliation dans lesquelles m’ont plongée depuis cinq ans tes révélations à la justicem’ont poussée à déménager et quitter ma ville, mon emploi… Aujourd’hui, j’en suisréduite à te réclamer ton aide, tu me dois bien ça ! J’ai besoin d’argent, Emy. — Ah, quandil s’agit d’argent, tu te souviens de moi ! — Cela contribuera à réparer les dégâts que tu ascausés ! — Et de mon côté, qu’est-ce qui les réparera, les dégâts que tu as causés ? — Mêmesi rien n’effacera jamais la honte et la peur que tu fais peser sur moi. Je t’ai toujours bienaimé, Emy, je t’ai nourrie, élevée et protégée de mon mieux. — Non, mais tu te fous de magueule, là ? — Te rends-tu compte, Emy, tu m’as mise en danger ! — Et ma sécurité ? Tu t’enes souciée quand j’ai enfin osé te parler — Emy, ton devoir envers moi est de m’aider aumieux — et toi, ton devoir de mère était de me protéger, de me soutenir et de ne pas metraiter de fille dérangée, mythomane le jour où je t’ai raconté —, car, pendant que tu mènesla belle vie je ne sais où, moi, je suis dans la misère.

Même pas un « au revoir » ! Je suis hors de moi, comme à chaque fois que je reçois un de sesmails. À aucun moment, elle ne m’a tendu la main ! Elle m’a abandonnée de la pire façon qui soit,elle, une adulte censée me protéger. Elle m’a tourné le dos, renforçant mon sentiment de culpabilité :je devais être un monstre pour que ma propre mère se détourne de moi. Et le jour où j’ai osé déposerplainte, elle n’avait fait que mentir lors de son audition, me décrivant comme une mythomane etplombant mes chances de voir s’ouvrir un procès. Le dégoût me tord l’estomac et la nausée me monteaux lèvres. Le docteur Rondault a raison, il est temps d’arrêter d’espérer que ma génitrice medemande pardon. Il est plus que temps de tourner la page. Mais c’est si difficile ! La petite fille enmoi espère tellement que sa maman va la libérer des griffes de l’horrible monstre. Ça fait si mal.Même à vingt-sept ans, ce sentiment d’abandon est tout aussi douloureux que la première fois où ellem’a tourné le dos, me laissant penser que c’était moi la coupable. Je prends une grande inspiration etdécide de lui répondre, d’en terminer. Tremblante de rage, je tape mon message.

À toi qui me réclames de l’argent,Pourquoi devrais-je me soucier de toi, alors que toi, tu ne l’as jamais fait ? Sans compter

que la dernière fois que je t’ai envoyé un chèque, IL a de nouveau débarqué dans ma vie,je ne referai pas la même erreur. Il y a bien longtemps, tu as préféré ce monstre à tonenfant. Tu me demandes de l’argent quand, moi, tout ce que je souhaitais, c’était tonamour. N’attends plus rien de moi. Je clôture cette adresse mail et cesse d’espérer que tu

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sois une mère.Je clique sur envoi et c’est seulement quand je ne distingue plus l’écran que je me prends

conscience des larmes qui me brouillent la vue. Ma mère est morte pour moi et, avec elle, le fantasmed’être un jour cajolée et embrassée par une maman aimante. Je me sens soulagée, mais la petite filleen moi pleure l’amour d’une mère qu’elle n’aura jamais.

Je me lève d’un pas lourd, perdue au milieu de toutes ces sensations, et décide de partir travailler.J’arriverai presque une heure plus tôt, mais, tant pis, me plonger dans le boulot m’aidera à reprendrepied, à continuer ma vie et à fermer cette parenthèse.

Dans la rue, je constate que le temps est à l’image de mon humeur. Le ciel sombre et opaquepleure une pluie fine. Quand je monte dans le taxi, mes larmes sont masquées par l’eau qui ruissellesur mes joues. Je regarde les rues défiler, elles me paraissent mornes, tristes. Tout est grisaujourd’hui. Arrivée devant l’immeuble « Reed », je prends deux minutes pour envoyer un texto àHugo. Je lui explique brièvement la « mort » de ma génitrice.

Elle n’a jamais été ta mère, Emy, il fallait que tu cesses d’espérer.Allez, laisse tout ça derrière toi. Je t’aime. Bisou.

Son message me fait sourire. Hugo passe son temps à me rappeler à quel point je compte pour lui,surtout lorsque je ne vais pas très bien. Sa façon à lui de combler le manque d’amour qui régit mavie.

Je t’aime aussi. À ce soir.PS : J’ai hâte de découvrir ta nouvelle toile.

Je pénètre dans l’immeuble, bien décidée à reprendre pied. En arrivant dans les locaux dumagazine, je croise Juliette, déjà installée à son comptoir d’accueil. Je marmonne un vague « salut »en passant.

— Sa…Elle marque un temps d’arrêt et je sens son regard curieux peser sur moi. Je file vers mon bureau

pour y déposer mon sac et récupérer ma tasse. Je constate qu’effectivement un café me seranécessaire au vu de la tonne de documents à corriger posée dans ma corbeille. Mais ils ne dormentpas, ces journalistes ? Je soupire, moi qui voulais me noyer dans le travail, c’est réussi. Je me glissejusqu’à la salle de pause pour y puiser de la caféine.

— Tout va bien ?La voix de Juliette me fait sursauter. Je repose la cafetière et me tourne vers elle.— Je... oui, merci.— Ça n’a pas l’air, répond-elle, dubitative.Ah, ce que je rêverais de pouvoir m’asseoir dans le fauteuil sous la fenêtre et confier mes peines,

discuter avec elle, m’en faire une amie…— Eh bien…J’hésite, que dire ? Je passe mon temps à me cacher, à faire l’amour avec un dieu du sexe, à écrire

mon roman — non, ce n’est pas vrai, je n’ai quasiment rien écrit depuis deux semaines —, j’aimeraisque nous soyons amies...

— Je suis fatiguée.Je balance ma réponse d’une voix sèche, décidant de lui servir cette explication qui est bien plus

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avouable que les précédentes.— Oh ! D’accord.Devant son air désolé, je regrette à nouveau ma brusquerie. Je n’ai pas le temps de rajouter une

excuse, le téléphone de l’accueil sonne et Juliette se précipite pour répondre. De mon côté, je doisme noyer dans la grammaire et la conjugaison. La journée passe lentement et je suis soulagée lorsqu’àseize heures trente, j’éteins mon ordinateur et quitte mon bureau, pressée de rentrer chez moi. Hugom’y attend déjà pour me montrer la mystérieuse peinture sur laquelle il travaille depuis des semaines.

***

— Ouah !Nous sommes dans mon salon. Je suis en train d’admirer la nouvelle œuvre de mon ami qui trône

sur un trépied au milieu de la pièce. Il vient de retirer le drap blanc qui la recouvrait. Elle estsplendide. Contrairement à son style habituel, Hugo a reproduit un paysage que je ne connais que tropbien.

— C’est le parc des Essarts.C’est une affirmation, néanmoins il acquiesce.Ce magnifique parc se trouve dans une petite ville à côté de Carcassonne : Bram. Les parents

d’Hugo y ont une maison de vacances et, depuis nos vingt ans — période à laquelle ils ont enfinaccepté leur fils et son homosexualité —, nous nous y rendons tous les ans. J’aime aller me balader etm’asseoir dans l’herbe. Ce parc est une véritable oasis de verdure au milieu de l’effervescencecitadine. J’ai toujours ressenti une sensation de paix, de sérénité, tandis que je m’installais à l’ombredes platanes immenses qui le bordent. Mon petit coin de paradis dans mon enfer personnel.

Hugo l’a reproduit à la perfection, l’inondant de lumière, et je n’ai qu’une envie : plonger dans lapeinture et m’allonger dans l’herbe folle. Les yeux me piquent.

— Tu aimes ?— Oh, j’adore Hugo, c’est si… si réaliste, que, les paupières closes, je pourrais presque sentir

l’odeur du lilas qui est au fond là-bas, dis-je en désignant un coin du tableau.— Je l’ai fait pour toi, Emy, m’annonce-t-il avec un grand sourire.À ces mots, les larmes coulent définitivement sur mes joues. Je murmure mes remerciements en me

blottissant dans ses bras.— Je sais à quel point cet endroit compte, pour toi aussi, Emy, je voulais que tu puisses l’avoir

toujours avec toi.Touchée, j’enfouis mon visage dans sa poitrine, de façon à pouvoir continuer à admirer ce coin de

paradis si cher à nos cœurs. Je ne sais pas combien de temps nous restons là, figés devant cette toile ;mais, à la façon dont Hugo accentue la pression de ses bras autour de moi, je suis sûre que, commemoi, il songe à la dernière fois que nous y sommes allés en compagnie de Céline, l’été précédent.

Nous y avions organisé un petit pique-nique. Toulouse n’étant qu’à une heure de route de Bram,notre amie nous y avait rejoints. L’espace d’un après-midi, nous étions retombés en enfance, jouant ànous courir après, nous aspergeant d’eau… Je nous revois tous les trois, insouciants : moi, oubliantun instant mes angoisses, heureuse, Hugo, joyeux de me voir sourire et Céline… Céline, si pétillante,si pleine de vie…

— Elle me manque, Hugo.— Je sais, Bébé, à moi aussi.

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— Si elle ne m’avait pas rencontrée, elle serait toujours là, dis-je, un sanglot dans la voix.— Chut, Emy, arrête, ce n’…Nous sommes interrompus par Ethan qui émet un raclement de gorge discret. Nous ne l’avons pas

entendu entrer. Je lui ai donné un double des clés la semaine dernière, suite à l’incident du revolver.Il en a fait de même quelques jours plus tôt afin de faciliter nos petits rendez-vous. Je m’écarted’Hugo et m’approche d’Ethan, resté immobile au milieu de la pièce. Je suis gênée de la scène intimeà laquelle il vient d’assister.

— Salut, toi, lui dis-je en souriant— Salut.Il effleure la trace laissée par les larmes sur mon visage. Comme à son habitude, il se penche et

dépose un léger baiser sur le sommet de ma tête.— J’ai beau savoir qu’il est gay, je n’aime pas vous voir ainsi enlacés, me chuchote-t-il à

l’oreille.— Jaloux, Monsieur Reed ?— Je l’ignore, répond-il, les sourcils froncés, peut-être.Il me contourne pour saluer Hugo et je profite de ce moment pour aller me passer un coup d’eau

sur le visage. Alors que je m’apprête à les rejoindre, en sortant de la salle de bain, je surprends leurdiscussion.

— … cet endroit à un sens particulier pour Emy, termine Hugo— Et tu vas me faire croire que c’est parce que la peinture vous émeut qu’elle avait le visage en

larmes.— Entre autres…— Ne me prends pas pour un idiot, j’ai vu la souffrance sur ses traits.J’entends mon ami soupirer. Ils ont sympathisé, il y a deux semaines, lorsqu’ils se sont croisés

chez moi par hasard. Nous étions en pleine pizza party quand Ethan — nous n’avions pas rendez-vousce soir-là — a sonné à la porte. Je l’avais donc invité à se joindre à nous. Hugo, plutôt réticent audébut, s’était laissé envoûter par le magnétisme d’Ethan. J’ai été touchée par les efforts déployés parmon amant pour se faire apprécier par mon meilleur ami.

— Je ne peux pas t’expliquer, Ethan, tout cela appartient à Emy et je…C’est le moment que je choisis pour faire mon retour, feignant de ne pas avoir surpris leur

conversation.— De quoi vous parlez, vous deux ?— De rien !Ils répondent d’un même cœur, aussi mal à l’aise l’un que l’autre.— Il faut que je file, j’ai rendez-vous avec Alexandre, me dit Hugo en venant me serrer dans ses

bras.— Je te raccompagne.Sur le palier qui sépare nos appartements, je murmure :— Je vous ai entendus.— Je m’en doutais. Je crois qu’il tient plus à toi qu’il ne veut l’admettre.— Il ne doit pas et tu le sais.— Peut-être que si. Je t’appelle demain. Bisous, Emy.— OK ! Hey, je suis heureuse que tu aies trouvé l’amour ! Je t’aime.

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— Et moi, donc ! Je t’aime.Je lui fais un petit signe de la main tandis que les portes de l’ascenseur se referment sur lui et

fonce retrouver Ethan. Il est assis dans une apparente nonchalance sur le canapé, les yeux rivés sur latoile. Je m’accoude au comptoir de la cuisine.

— Il a l’air magnifique, cet endroit.Il me parle d’un ton faussement léger, mais je sens qu’il brûle de curiosité.— Oui, il est super chouette.Je tente d’adopter la même légèreté.— Tu y vas souvent ?— Malheureusement, non.— Hugo a un véritable talent, continue-t-il— Oui, c’est certain.Soudain, il se lève et s’approche de moi, le regard dur et anxieux.— Qu’est-ce que c’était, tout à l’heure ?— Je… de quoi ?— Tu pleurais, Emily. Je veux savoir pourquoi.— Hugo m’a fait la surprise de m’offrir cette peinture, représentant un lieu que nous adorons, et

j’étais émue, c’est tout.Je croise les doigts, espérant qu’il ne décèle pas mon mensonge.— C’était plus violent que cela, tu souffrais, Emily. Cette souffrance, je la vois souvent passer

dans tes yeux.— Je… non, Ethan, pas de questions. Rappelle-toi.— Je pense que nos règles ont été obsolètes à l’instant même où nous les avons prononcées, tu le

sais aussi bien que moi, je n’ai feint de les respecter que parce que c’était important pour toi.— Je ne veux pas, Ethan.— Moi, je le veux, je tiens à toi, Emily, d’une manière qui m’échappe encore, mais le fait est là.

Tout à l’heure, quand je t’ai vue si malheureuse, ma poitrine s’est faite douloureuse. J’ai eu mal avectoi, j’aurais donné mon empire pour être à la place d’Hugo et effacer ta souffrance.

Tremblante, je détourne le regard.— ANGOISSE !J’ai choisi ce mot d’alerte pour le prévenir s’il me pousse hors de mes limites et, là, nous y

sommes. Il lève une main vers mon visage. Je glisse sur le côté. À ce moment, je n’ai pas envie deson contact, il a été trop loin. Il a tenté de violer mes secrets.

— Pardon, Emily, c’est fini, plus de questions. Viens.Il tend le bras dans ma direction.— Je t’en prie, ne t’enfuis pas, reprend-il.Je ne résiste pas face à son regard suppliant et attrape sa main. Il m’attire doucement à lui. Le

visage caché contre son torse, je balbutie :— Je ne peux pas, Ethan. Je ne peux pas te répondre et tu ne peux pas tenir à moi, tu comprends ?

Tu ne dois pas…— Emily, me coupe-t-il en me forçant à lui faire face, il est trop tard pour ça. Je tiens déjà à toi et

je suis sûr qu’à ta façon, toi aussi. Oublions ces secrets pour le moment, d’accord ?— Oui.

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Je suis rassurée qu’il n’insiste pas.— Tu as faim ? reprend-il— Oh ! Oui ! Mais pas comme tu l’entends.Je souris, malicieuse, bien contente de ne plus être en terrain glissant.— Hum, dans ce sens-là aussi, j’ai faim.Je pousse un cri de surprise lorsqu’il me soulève dans ses bras et se dirige vers la chambre. Il me

dépose au pied de mon lit et me regarde, immobile. Alors, je comprends. Il attend. Il se soumet à monplaisir. Je m’approche de lui, retire ses vêtements lentement, en semant un chemin de baisers sur lapoitrine. Arrivée à l’endroit où se situe son cœur, je ne résiste pas et le mords violemment. Une façonde le punir d’avoir voulu pénétrer en moi et voir les souffrances que recèle le mien. Il ne bronchepas, soumis.

***

— Je nous ai commandé chinois, cela te convient ? me demande Ethan tandis que je sors à montour de la douche.

Il ne porte que son jean et je ne peux m’empêcher de fixer mon regard sur la marque rouge, àgauche de sa poitrine. Je m’approche et la caresse du bout des doigts.

— Hum, tu étais affamée.— Et je le suis encore.— Oui, sauf que c’est mon tour de me sustenter, répond-il, ironique.La sonnette retentit. Je minaude, me dirigeant vers l’entrée :— Mais, pour l’instant, tu devras te contenter d’un chinois.Nous nous installons autour de la table basse du salon, assis sur des coussins. Ethan dispose les

plats et me tend deux baguettes. Je me jette goulûment sur mon porc au caramel, tandis qu’il nous sertdeux verres de saké. Il referme la bouteille, se lève et la pose sur l’îlot de la cuisine. Je hausse lessourcils, ne comprenant pas son manège.

— J’ai des projets pour elle, m’informe-t-il.Il reprend sa place et attaque son plat, le sourire aux lèvres.— Oh, j’allais presque oublier, enchaîne-t-il, mon père m’a téléphoné cet après-midi pour

m’inviter à dîner demain soir.Face à son regard de gamin qui prépare une bêtise, je cherche où il veut en venir.— Je lui ai répondu que je serai accompagné, déclare-t-il, fier de son effet.Je suis interloquée.— Oh ! Pas question, Ethan. Pas de sortie en public.— Attends avant de t’énerver, reprend-il, il n’y aura que toi, mon père et moi. Et le dîner se

déroulera chez lui.— Mais… pourquoi ?— Parce que j’ai envie qu’il te rencontre. Écoute, continue-t-il sérieusement, tu m’as bien

présenté à Hugo, je peux bien en faire de même avec mon père, non ?— Je t’ai présenté un ami, pas un père, Ethan.— Allons, Emily, je sais très bien qu’Hugo représente plus qu’un simple ami pour toi, il est ta

famille. S’il te plaît !Face à ce regard suppliant qui me crie : ne te sauve pas, j’acquiesce. Il sourit, heureux d’avoir

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gagné cette bataille.

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Chapitre 13

Cher journal,

Ethan veut me faire rencontrer son père ! Cela me terrifie et, en même temps,j’aime l’idée d’être importante à ses yeux, au point qu’il me présente une personnechère à son cœur. Oh, cher ami, je n’avais jamais imaginé un jour vivre desmoments aussi délicieux. Oui, je sais ce que tu te dis : « ne te réjouis pas trop vite,Emy, ton passé finit toujours par te rattraper ». Et je devrai fuir encore, mais jeveux tellement prendre ce que la vie ne m’a jamais offert. Oh, cher ami, je suis uneégoïste. En agissant ainsi, je mets Ethan en danger, mais je n’arrive pas à lequitter et, pourtant, il va falloir….

J’ai les mains liées aux barreaux de mon lit, les yeux bandés. Je sens l’haleine d’Ethan sur meslèvres, mais je sais qu’il n’y déposera pas de baiser. Je grogne de dépit. Il commence à soufflerdoucement dans mon cou, descendant jusqu’à la pointe d’un de mes seins. Il ne me touche pas, mais,avec son seul souffle, il éveille au désir chaque parcelle de mon corps.

— Tutt, ne bouge pas, Emy, sinon nous recommencerons de zéro.— S’il te plaît, touche-moi.— Sois patiente.Je bouillonne intérieurement, tant d’impatience que de plaisir. Bon sang, il sait s’y prendre pour

me faire languir. J’entends qu’il attrape quelque chose sur la table de nuit. Soudain, un liquide fraiscoule dans mon nombril. Je sens les cheveux d’Ethan frôler mon ventre lorsqu’il se penche pour laperlentement le fluide avec sa langue, attisant un peu plus le feu qui fait rage en moi. Ma respiration estsaccadée.

— Hum, toi et le saké, quel délicieux mélange ! Tu as soif, Emy ?— Oui, dis-je dans un souffle.J’ouvre la bouche, m’attendant à ce qu’il fasse couler un peu de saké entre mes lèvres, mais rien.

Au lieu de cela, j’entends tinter sur la table de nuit. J’essaye de me concentrer pour deviner ce qu’ilfait, mais c’est peine perdue. Tout à coup, quelque chose de glacial se pose sur ma bouche.

— Lèche, Emy.Je comprends alors ce dont il s’agit : un glaçon. Il a dû le tremper dans le saké, car il en a le goût.

Je me mets à le sucer frénétiquement, le froid qu’il dispense apaise un peu la brûlure de ma gorge. Aufur et à mesure, un liquide glacé me coule le long du cou, jusqu’entre les seins, exacerbant lasensibilité de ma peau. Ethan ne dit rien et attend patiemment que j’aie fini de me délecter de mafriandise. Puis, lentement, avec sa langue, il suit la traînée laissée par la fonte du glaçon.

— Tu as vraiment un goût divin, Emily, me susurre-t-ilIl se met alors à suçoter un de mes tétons, léchant la pointe et l’aspirant dans sa bouche. Je pousse

un petit cri de douleur, vite remplacé par un gémissement de plaisir.— Je vais te faire jouir sans te toucher. Je sais ce dont tu as envie, tu voudrais que je promène mes

mains sur ton corps magnifique, que je te pénètre…— Oh, oui, s’il te plaît !— Non, Emily, ce soir, je ne te toucherai pas, mais, ne t’en fais pas, tu en retireras un plaisir

intense.

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Des larmes de dépit mouillent le bandeau qui m’aveugle. Et j’ai presque envie de hurler le motd’alerte pour que cesse son supplice, mais je me retiens, car une voix dans mon esprit m’intime de luifaire confiance.

Je l’entends descendre du lit et fouiller dans quelque chose. Son sac ? Je n’ai pas le temps de meposer la question que, déjà, je sens son corps à nouveau près de moi. Il fait glisser quelque chose defroid (métallique ?) le long de mon ventre. Je soupire, c’est frustrant de ne pas savoir. Il noue quelquechose (une ceinture ?) à mes chevilles et s’en sert pour me retourner sur le ventre. Le tout sans metoucher de ses mains, comme il l’a promis. Il dénoue immédiatement le lien de mes chevilles.

— Mets-toi à genoux, Emily, m’ordonne-t-il.Tant bien que mal et guidée par sa voix, je me hisse sur les genoux, les jambes écartées. Il effleure

mon dos avec l’objet de tout à l’heure, descend entre mes fesses pour atteindre mon sexe. Ilcommence alors à me caresser. Engloutie par mon plaisir, j’ondule du bassin pour aller à la rencontrede l’objet.

— Veux-tu que je recommence depuis le début, Emily ?Je stoppe aussitôt tout mouvement, de peur qu’il ne mette sa menace à exécution.— Là, c’est mieux, chuchote-t-il.Il continue quelques instants son va-et-vient, puis, soudain, l‘objet vibre.Un vibromasseur ?La réponse à ma question ne se fait pas attendre, il me pénètre avec l’objet jusqu’à la garde.

Alors, tout en moi se met à vibrer. Je ne peux retenir un murmure voluptueux. Je n’ai pas trop letemps de m’attarder sur cette sensation qu’une autre émerge à la pointe de mes seins : froide, puisbrûlante, puis à nouveau gelée, m’arrachant des tremblements. Des glaçons ! Je me mords les lèvrespour ne pas hurler, mon corps tout entier est prêt à se consumer sous l’assaut érotique qu’Ethan mefait subir. J’ai chaud, j’ai froid, je vibre, j’explose de plaisir et mes jambes flageolantes ne meportent plus. Je m’affale, rompue. Il dépose alors un baiser dans mes cheveux, retire le vibromasseuret détache mes mains. Je le sens s’allonger à mes côtés. Lorsqu’il ôte le bandeau, je cligne des yeux,aveuglée par la lumière.

— Salut, toi, me dit Ethan en me caressant le visage.— Salut, démon.Je cale ma tête au creux de son épaule et me laisse emporter par le sommeil.

***

— Que penses-tu de celui-là ?Hugo me désigne une bouteille de vin.Nous sommes chez un caviste du cinquième arrondissement où, selon mon ami, on trouve les

meilleurs millésimes, mais je suis perdue au milieu de toutes ces bouteilles. Je voudrais acheter unvin pour l’offrir au père d’Ethan, ce soir. Je soupire, je suis à cran, je l’ai été toute la journéed’ailleurs.

J’inspecte celui qu’Hugo me tend, un Château la Conseillante Pomerol.— Oui, il a l’air pas mal, celui-là. Il coûte combien ?— Assez cher pour être classé parmi les meilleurs millésimes.Mon ami rigole. Je hausse les épaules et me dirige vers la caisse.— Bon choix, Mademoiselle, m’informe le caviste, en glissant la bouteille dans un petit sachet à

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l’effigie de son commerce.Je règle la note (assez salée) et nous sortons. Nous marchons tranquillement dans la rue baignée de

soleil.— À quelle heure Ethan passe te prendre ?— À dix-neuf heures.Hugo consulte sa montre.— Dans ce cas, nous ferions bien de nous dépêcher, il ne te reste que cinquante minutes.— Ouais.— Tu sais ce que tu vas porter ?— J’aurais bien mis un jean et un t-shirt, mais ça dénoterait un peu à côté des deux milliardaires

avec qui je dîne ce soir.— Oh, juste un peu, me raille Hugo.J’ai envoyé un message à Ethan à midi pour lui poser la question, pour être certaine de ne pas le

mettre dans l’embarras devant de son père.

Sois toi-même, Emily ! Tu ne me feras jamais honte.

Tu parles, s’il savait tout de moi, sûr qu’il aurait honte de se présenter chez son père à mes côtés.Arrivés à mon appartement, je me dirige vers ma chambre, Hugo sur les talons. J’ouvre mon

armoire, cherchant désespérément ce que je vais porter. Mon ami me désigne un vêtement.— Pourquoi pas ça ?— Mouais, de toute façon, plus le temps de réfléchir, il ne me reste que quarante-cinq minutes

avant l’arrivée d’Ethan.— File sous la douche, Emy, cette tenue sera très bien.Il est à peine dix-neuf heures lorsqu’Ethan m’envoie un texto m’annonçant qu’il est en bas. Je

viens juste de fixer la dernière épingle retenant mon chignon. Je jette un coup d’œil dans la glacepour m’assurer que je suis présentable. Je porte une robe bleue à manches courtes, mes ballerinesnoires. Je prends une grande inspiration, attrape le sachet contenant la bouteille de vin d’une main etma pochette de l’autre. Hugo m’accompagne jusqu’à l’ascenseur.

— T’inquiète pas, Emy, ça va bien se passer.Ethan m’attend dans le hall et il me gratifie d’un magnifique sourire lorsque je le rejoins.— Tu es superbe.— Je te retourne le compliment.Qu’il est sexy avec son smoking assorti à ses cheveux ! Il m’embrasse sur le sommet de la tête,

comme à son habitude.— Je ne sais pas si tu aurais dû mettre une robe aussi indécente que celle-là, me dit-il en m’aidant

à monter dans le SUV.— Indécente ?Je sens la panique s’insinuer en moi. Il sourit et contourne la voiture pour s’installer à mes côtés.

Je surprends le regard amusé du chauffeur dans le rétroviseur, quand je le salue. Voilà, je me suiscomplètement plantée sur le choix de ma tenue. Je tire, agacée, sur le bas de ma robe, espérantqu’ainsi, le tissu s’étire et me descende jusqu’aux chevilles. Ethan me regarde, amusé par monmanège, ce qui a le don d’accentuer mon énervement.

— Allons, Emily, tu vas finir par déchirer cette jolie robe.

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— Je suis désolée, je ne savais pas quoi mettre. Je…— Elle n’est indécente que pour moi, me chuchote-t-il à l’oreille, tout en empoignant mes mains

pour que je cesse de triturer ma tenue. Tu es magnifique, mon père va t’adorer.Oh, j’aurais presque envie de le gifler pour s’être moqué de moi ainsi. Mais je vengerai, plus tard,

lorsque nous ne serons plus que tous les deux.— Tiens, dis-je en lui donnant la bouteille de vin, je ne voulais pas arriver les mains vides et,

comme je ne sais pas quel genre de vins boivent les milliardaires, j’ai pris le plus cher.Il me regarde, amusé. Quel démon ! La voiture démarre. Très vite, l’agitation citadine est

remplacée par le calme de la campagne. Je peine à croire que, quelques minutes plus tôt, nous étionsen plein cœur de Paris. Alors que nous traversons une forêt, Swan bifurque sur une petite routeadjacente. Nous nous enfonçons dans la verdure dense. Le soleil ne perce pas. Nous débouchonsdevant un immense portail noir en fer forgé. Swan stoppe le véhicule un instant et appuie sur unetélécommande fixée au pare-soleil. Le portail s’ouvre, la voiture pénètre dans la propriété. Je suissoudain transportée dans un autre monde, un monde de grands seigneurs, de pique-niques encrinoline… L’asphalte a fait place à un chemin gravillonné, bordé par un gazon coupé ras. De chaquecôté, une allée d’arbres centenaires diffuse une ombre mystérieuse. Tout à coup, face à moi, se dresseun immense manoir du dix-huitième. Sa façade beige rosé est parsemée d’une multitude de fenêtresoù se reflètent les rayons du soleil.

Je suis ébahie par la majesté des lieux. Je ne résiste pas à l’envie d’abaisser ma vitre pourm’imprégner de cet univers tout droit sorti du passé. Les fragrances fleuries me chatouillent lesnarines : lilas, lys, roses… Le tout se mélange en un effluve envoûtant. Je ferme les yeux.

— C’est magnifique, dis-je dans un murmure.— Oui, c’est un endroit hors du temps. Mon père n’y séjourne que quelques semaines par an.— Ouah !C’est tout ce que j’arrive à articuler. Vivre dans un tel cadre doit être un véritable bonheur, tout y

est majestueux, magique. Je remarque, devant un bosquet, une caméra de surveillance, rappel dumonde moderne. Monsieur Reed senior se soucie de sa sécurité.

— Tu as l’air d’une petite fille devant un magasin de bonbons.Je hoche la tête, incapable de mettre des mots sur ce que je ressens.— Et toi, tu as habité ici ?— Eh bien, oui, j’y ai passé une bonne partie de mon adolescence.Je suis surprise qu’il me donne un détail de son passé et, pour ne rien laisser paraître, je regarde à

nouveau le paysage magnifique qui nous entoure.— Ça doit être agréable de vivre dans un environnement aussi sécurisé, où tu peux te balader sans

craindre…Je m’interromps, me rendant compte que j’ai pensé à voix haute et que j’en ai trop dit.— Craindre quoi, Emily ?— Non, rien ! Laisse tomber ! C’était juste une réflexion.Je tente de répondre de la façon la plus désinvolte possible.Mais Ethan ne compte apparemment pas en rester là, il m’attrape le menton pour me forcer, en

douceur, à tourner la tête vers lui.— Craindre quoi ? répète-t-il. Y a-t-il quelque chose qui te fait peur, Emily ?— Angoisse.

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Je murmure en baissant les yeux pour lui signifier qu’il va trop loin. Je l’entends soupirer, mais iln’insiste pas. Quand j’ose enfin lever les yeux, il regarde droit devant lui, songeur, le regard triste.Mon cœur se serre à l’idée d’être la cause de ce chagrin.

— Tu te sauves toujours dès qu’il s’agit de toi, Emily.— Et toi ?— Moi ?Il me fait face, désarçonné par ma réplique.— Oui, toi. Je ne sais rien non plus, tu as dit « pas de questions » et je respecte cela.Il prend une grande inspiration.— Que veux-tu savoir ? reprend-il en me vrillant sur place de son regard.Prise de court, il me faut un instant pour trouver ce que je souhaiterais savoir. Le visage aussi

fermé que le sien, je demande :— Pourquoi tu aimes dominer ?— Je, euh… balbutie-t-il en se triturant les cheveux.Puis, il jette un coup d’œil par la vitre. Instinctivement, je suis son mouvement et me rends compte

que nous sommes à l’arrêt.— Nous en parlerons plus tard, nous sommes arrivés, déclare Ethan en sortant de la voiture.Il fait le tour et vient m’ouvrir, il me sourit, mais il me regarde de façon… bizarre. Un frisson me

parcourt. Le père d’Ethan descend les marches du perron et avance à notre rencontre.— Emily, ravi de vous rencontrer.Il me serre la main, je constate qu’il a un accent british, très prononcé. Je suis intimidée.— Enchantée, Monsieur Reed.— Appelez-moi William, ajoute-t-il avant de se tourner vers son fils.Ethan lui ressemble énormément — en plus jeune, bien sûr — à quelques détails près. Ils ont la

même carrure, les mêmes cheveux noirs — bien que ceux de Monsieur Reed sénior soient parsemésde mèches blanches —, mais le visage du fils est plus fin. Son nez aussi est différent, quant à leursyeux, s’ils ont la même forme, ceux du père sont gris. Il émane de Monsieur Reed une sorte de forcetranquille, apaisante.

William se tourne à nouveau vers moi et m’invite à le suivre. Nous passons dans l’immensevestibule, éclairé par de magnifiques vitraux, pour rejoindre le salon tapissé de couleurs chaudes etmeublé dans un style ancien. Sur un buffet, une photo attire mon attention. Elle représente une femmeblonde d’une trentaine d’années. Assise dans l’herbe, elle sourit à l’objectif, mais ses grands yeuxverts sont tristes.

— C’est Hélène, la mère d’Ethan, me précise William en suivant mon regard. Son... suicide l’abrisé. Il s’est senti abandonné.

Je me tourne vers lui, ses traits reflètent une souffrance intense qui me serre le cœur. Ne trouvantaucun mot face à sa douleur, je me contente d’exercer une pression sur son bras.

— Vous avez l’air d’être une femme adorable, Emily, et je crois que vous lui faites du bien,ajoute-t-il en regardant Ethan qui arrive derrière nous.

Je suis surprise. Comment puis-je être bénéfique pour cet homme alors, qu’au fond, je n’arrête pasde le blesser ?

Il me sourit et m’entraîne à sa suite vers l’extérieur de la maison. Nous débouchons sur uneterrasse surplombant un parc magnifique, bordé de chênes qui, j’en suis sûre, sont au moins

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bicentenaires. Je lâche le bras de William pour avancer un peu et pénétrer cet endroit baigné desoleil. Sur la gauche, un petit étang scintille dans la lumière. Les paupières closes, je m’imagine auxDouze Chênes. Scarlett O’Hara, serait assise à l’ombre de ces arbres majestueux, minaudant,entourée de ses soupirants. Je suis si absorbée par ma contemplation que je ne remarque pas qu’Ethanse tient à côté de moi, légèrement en retrait. Lorsque je rouvre les yeux et les lève vers lui, il me fixe,énigmatique.

— Je crois que tu plais à mon père, finit-il par dire. Tu viens ? Nous allons dîner.— Oui.C’est à regret que je tourne le dos à cette oasis de verdure pour me diriger à la suite d’Ethan, plus

glacial que jamais, vers la table qui a été dressée sous une pergola. Il me tire une chaise, mesignifiant ainsi ma place. Je m’assieds, un peu perturbée par son attitude distante.

— Quel vin délicieux vous avez apporté, Emily, me dit William en me tendant un verre.Je rougis.— Je l’ai choisi au hasard, je ne suis pas très douée.— Eh bien, à l’heureux hasard.Je bois une gorgée, tout en jetant un regard à Ethan par-dessus mon verre, il m’ignore royalement,

l’aurais-je blessé une fois de trop ? Mon cœur se serre à l’idée qu’il puisse en avoir assez de messecrets et qu’il décide que sa vie était bien plus agréable, plus simple sans moi. J’enfouis cettedouleur avec toutes les autres, ce n’est pas le moment de me laisser envahir. Je concentre monattention sur les deux hommes, ils discutent affaires et, bien entendu, je ne comprends pas un traîtremot de ce qu’ils se disent. Je regarde Ethan, il sourit à son père avec affection. Ils ont l’air trèscomplices. Je suis touchée et attendrie devant ce spectacle. Aurait-ce été ainsi si j’avais eu un père ?Et avec ma mère ? Un instant, j’imagine une alternative à mon passé et me vois assise, une tasse dethé à la main, en train de papoter tranquillement avec ma mère…

Stop !— Et vos parents, Emily, que font-ils ?William me tire de ma rêverie utopique. Soudain, deux paires d’yeux brûlants de curiosité pèsent

sur moi. Je regarde Ethan, je sens la panique poindre. Que répondre ? Une seconde, j’ai l’impressionqu’il perçoit ma peur, je vois l’inquiétude passer sur son visage, remplacée rapidement par le masqued’indifférence qu’il arbore depuis que nous avons quitté la voiture. Je me sens tout à coup très seule.Et, bien sûr, pas question de crier le mot d’alerte. De quoi j’aurais l’air ?

— Ils sont morts, dis-je en jetant un regard de défi à Ethan.Voilà, tu es content ?— Oh, pardonnez-moi, je suis désolé, compatit William tandis que son fils me fixe énigmatique.Le reste du repas, père et fils continuent de discuter ensemble. Je remarque que, chaque fois que

William se tourne vers moi pour entamer une conversation, Ethan l’interpelle et le détourne de moi,le lançant sur une discussion quelconque. Pourquoi fait-il cela ? Il doit regretter de m’avoir amenéeici. Il s’est lassé de mes mystères. Pour masquer mon trouble, je m’absorbe dans le paysage quim’entoure. Véritable havre de paix, simple et majestueux, l’immense parc nous fait face. Plussauvage, il n’est pas aussi bien entretenu que l’avant du manoir. L’herbe y est plus haute, dansant sousla brise.

À la fin du dîner, William se lève et me tend une main sous le regard désapprobateur d’Ethan.

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— Accepteriez-vous une promenade digestive en ma compagnie ?Se tournant vers son fils, il ajoute :— Je te l’enlève quelques instants.Les yeux d’Ethan lancent des éclairs tandis que je m’éloigne au bras de son père et je ne pourrais

dire contre qui se dresse son courroux.— Je ne sais pas ce que vous lui faites, mais Ethan a beaucoup changé ces derniers temps, lâche

William sans ambages.— Changer ? Comment cela ?Je pourrais affirmer le contraire : Ethan m’a transformée. Le regard de William se perd dans les

profondeurs du petit étang que nous venons d’atteindre. Le soleil couchant s’y reflète et le teinted’orangé.

— Lorsque Hélène s’est suicidée, il s’est réfugié dans l’auto-destruction, se mettant en danger,comme pour faire souffrir sa mère disparue. À dix-huit ans, il a eu cet accident qui lui a marqué levisage. Ivre, il roulait bien trop vite et a foncé dans un arbre. Geste délibéré. Il a comme coupé lesliens avec le monde qui l’entourait, refusant d’accorder son affection à qui que ce soit, moi ycompris. Je pense que ça a été sa façon de se protéger. Même d’Isabelle, il est devenu distant. Ils sontrestés amis, mais cela tenait plus du fait de cette enfant que de mon fils. Je crois qu’il la tolérait pourne pas la froisser. Aujourd’hui encore, ils se fréquentent beaucoup. Il fut un temps, il était question demariage. Même s’il ne l’admet pas, Ethan a beaucoup d’affection pour elle. Bref, avec vous, c’estdifférent, ses yeux sont animés, quand il me parle de vous, Emily, son visage s’illumine. Vous lerendez heureux. Je crois qu’il vous aime, ne l’abandonnez pas en cours de route, ça lui briserait ànouveau le cœur.

Il se tourne vers moi et me scrute, en attente de ma promesse. Une révélation voit le jour en moi :moi aussi, je l’aime, même si je n’ai jamais osé l’admettre. Constat douloureux, car il ne change rienà nos soucis.

— Je ne peux malheureusement pas vous promettre cela, William.— Oui, je me doutais que vous répondriez cela. Ethan m’a parlé de votre problème d’engagement.Il sourit tristement. D’une pression de la main, il m’indique qu’il est temps de repartir. Je le suis,

silencieuse, abasourdie par ses révélations. Mais que pourrais-je ajouter ? Que croit-il ? Je rêveraisde rester aux côtés de son fils, mais, malheureusement, je devrais sûrement fuir à nouveau, tôt ou tard.Soudain, le parc n’a plus le même attrait, il me semble triste, ainsi laissé à l’abandon.

Ethan nous attend sur la terrasse. Lorsque nous arrivons à sa hauteur, il jette un coup d’œil à sonpère qui hausse les épaules, puis se tourne vers moi.

— Il est temps d’y aller, Emily, me dit-il, d’une voix dure.J’ai brusquement la vague sensation qu’une barrière s’est dressée entre nous. Cette impression se

renforce sur le chemin du retour, il ne m’adresse aucun regard, ni même une seule parole. Lesentiment d’abandon coutumier refait surface et mon cœur se serre douloureusement.

La voiture se gare devant mon immeuble. Je m’attends à ce qu’il descende m’ouvrir la porte, maisil n’en fait rien, il se contente de me fixer. Espérant ainsi le ramener à moi, je hasarde d’une petitevoix :

— Tu ne viens pas ?— Non pas ce soir, Emily.— Oh ! Je… OK.

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Que répondre d’autre ? J’ai l’impression de prendre une douche glaciale. Il passe sa main sur monvisage, caressant ma cicatrice au passage.

— Cette situation ne peut plus durer, reprend-il, je t’appellerai demain.Alors là, c’est carrément un iceberg qui me percute. Mon cœur tambourine, douloureux. Mes yeux

se brouillent. Je ferme la porte à mes émotions (vieil instinct) et descends de la voiture comme uneautomate. Je titube jusqu’à l’entrée de l’immeuble sans me retourner.

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Chapitre 14

Cher journal,

Je suis mal, je souffre terriblement. Ethan vient de proférer la phrase que j’auraisdû prononcer dès le début. Cela m’aurait évité cette douleur : se rendre comptequ’on aime une personne et la perdre presque instantanément. Oh, mon Dieu, jesouhaiterais que cette histoire n’ait jamais existé. Mais, malheureusement, auconditionnel, on pourrait changer le monde. Et me voilà, avec une nouvellecicatrice au cœur. Je savais que je souffrirais. Tôt ou tard, il m’aurait fallu lequitter. La souffrance en aurait-elle été moindre ? De toute façon, il ne sert à riende se poser la question. La vie me punit de mon égoïsme. Cher ami, comment jevais survivre à tout cela ?

Je me roule en boule et, pour la première fois depuis longtemps, je laisse toutes mes émotions mesubmerger. C’est en sanglotant que je sombre dans un sommeil agité.

— EMY, bon sang ! Réveille-toi, calme-toi.La voix d’Hugo me tire vers la réalité. Je découvre son visage affolé quand j’ouvre les yeux. Je

sens une pellicule de sueur sur mon front et une douleur sur la face interne de mes cuisses.— Hugo ?Je tente d’analyser la situation. Que fait-il là ? Pourquoi hurle-t-il ? Et pourquoi mon cœur bat-il

si fort ? Hugo me scrute, le souffle haletant.— Tu as fait un de tes cauchemars. Je t’ai entendue crier depuis le palier lorsque je suis rentré. Un

instant, j’ai cru qu’il t’avait retrouvée, je me suis précipité ici et tu étais en train de te débattre, dehurler, de te griffer. Bon Dieu, Emy, cela faisait si longtemps que tes cauchemars n’étaient plus aussiviolents. J’en avais oublié à quel point ça fait peur. Tu te sens mieux ? Tu te rappelles de ton rêve ?

— Je… ça va, je crois.Je me souviens très bien de mon cauchemar, c’est le même à chaque fois : mon passé m’avait

attachée à mon lit, pour me torturer, pour me violer inlassablement. Personne ne venait à monsecours, j’étais définitivement seule face à mon bourreau. En réponse à ce souvenir effroyable, unfrisson parcourt ma colonne vertébrale. Une nausée me prend. Je repousse mon ami et me précipitedans la salle de bain. J’ai tout juste le temps d’arriver aux toilettes. Hugo me rejoint. Il maintient mescheveux et me caresse le dos tandis que je vomis toute l’horreur de cette réminiscence.

— Là, Bébé, c’est fini.Péniblement, je m’assieds à côté de la cuvette, poisseuse, en sueur. Il embrasse le sommet de ma

tête, pour me rassurer. Tremblante, je m’éloigne de mon ami et je me recroqueville. De mes mains, jetente de nettoyer les traces invisibles de la bouche de mon passé sur mon corps.

— Il… il faut… que je prenne une douche.En silence, il se lève et va mettre l’eau en route. Au passage, il attrape du coton et du désinfectant.

Il revient près de moi et s’accroupit à mes côtés. Lentement, pour ne pas m’effrayer, il s’emploie àsoigner les blessures que je me suis infligées pendant mon sommeil. Puis, il m’aide à me lever et metraîne sous la douche. Nous y pénétrons, habillés : lui en jean et t-shirt et moi en chemise de nuit.Nous nous asseyons sous le jet brûlant. Hugo me prend dans ses bras et me berce doucement, tandisque l’eau finit de laver mon cauchemar. Un filet rouge coule de mes cuisses griffées.

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— Que s’est-il passé ?— Quoi ?— Ton cauchemar, il n’est pas apparu par hasard, ils ne reviennent que lorsque tu as un choc

émotionnel, Emy. Que s’est-il passé ce soir ou plutôt hier, vu l’heure qu’il est ?Essayant d’étouffer la douleur qui fait son retour, je murmure :— Ethan, je crois… qu’il m’a quittée.— Oh, chérie !Hugo resserre son étreinte. Je lève les yeux vers lui et constate qu’il souffre avec moi. Quelle

égoïste je suis de partager avec lui ma vie de détraquée. Je prends une grande inspiration.— Toute cette histoire était une erreur.— Il t’a donné une raison ?— Non, mais je pense que ce sont mes silences qui l’ont fait fuir.Soudain, malgré moi, j’éclate de rire. Hugo me regarde, les yeux ronds. Il doit sûrement croire que

j’ai perdu la tête.— Tu sais ce qui est le plus drôle ? Ce soir, j’ai compris que j’étais amoureuse. Mon premier

amour, Hugo. Et il m’abandonne, comme ça, au pied de mon immeuble.— Oh, chérie !Mon fou rire se termine dans un sanglot qui me broie la gorge. Quand j’ai épuisé mon quota de

larmes, nous sortons de la douche. Je laisse Hugo se déshabiller et se sécher tandis qu’enroulée dansune serviette, je me dirige vers ma chambre pour nous chercher un change sec. Hugo a toujours desvêtements chez moi pour ces cas de force majeure. Cela avait d’ailleurs étonné Ethan lorsqu’ils lesavaient découverts, la première fois où il avait déposé les siens dans le troisième tiroir de macommode. Dieu, que de premières fois avec cet homme : premier baiser, premier amant sans douleur,premier amour, premier chagrin d’amour... Je secoue la tête, enfile un pyjama et retourne vers la sallede bain pour donner un pantalon à Hugo.

Je m’installe dans le canapé pendant que mon ami me prépare une tisane. Il me rejoint et me tendla tasse. Je la prends et savoure le breuvage chaud en me pelotonnant contre lui, le front logé au creuxde son épaule.

— Que vas-tu faire ? m’interroge-t-il.— Je ne sais pas.Je pousse un soupir. Je devrais peut-être partir, mais cela briserait Hugo. Il serait capable de tout

abandonner pour me suivre. Mais son avenir est ici maintenant, je ne peux lui demander de toutquitter. Je dois faire preuve d’abnégation, c’est le moins que je puisse lui offrir. Plongée dans mesréflexions, je répète plus bas :

— Je ne sais pas.— Tu vas bosser ?— Oui, il faut que je maintienne une routine, tu le sais, sinon j’ai vite fait de me laisser aller.Je dépose ma tasse sur la table basse et me lève.— Tu veux bien dormir ici, cette nuit ?Je pose la question, bien qu’à mon avis, il ne compte pas me laisser seule après ce qui vient de se

passer.— Bien sûr, Emy, viens, on va se coucher. Je suis naze et il ne te reste que très peu de temps à

dormir.

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Il se lève et m’entraîne vers la chambre. Je m’allonge dans ses bras, me protégeant ainsi de mescauchemars.

Lorsque le réveil me tire d’un sommeil sans rêves, c’est avec beaucoup de mal que je me dégagede l’étreinte d’Hugo sans le réveiller. Il dort paisiblement. Je me dirige sous la douche et décide dela prendre bien fraîche pour me donner un coup de fouet. Quand je vois dans la glace les marquesrouges qui me couvrent les cuisses, la nausée me soulève le cœur. Je ne m’attarde pas dessus afin dene pas faire remonter mon affreux rêve à la surface. Ma toilette terminée, je m’habille. J’ai opté pourun pantalon fin et une chemisette colorée, histoire de rehausser mon teint qui a l’air, disons plutôtmaladif aujourd’hui. Je passe à la cuisine et avale, à la va-vite, une grande tasse de café. Je ne suispas en avance. Je laisse un petit mot à mon ami.

Merci d’être celui que tu es, je t’aime, Emy.

Le temps est radieux dehors et le soleil réchauffe ma peau glacée. Lorsque le taxi me déposedevant l’immeuble « Reed », je prends une inspiration.

Allons, Emy, tu as survécu à bien pire que cela.La vie doit continuer quoiqu’il arrive, tel a toujours été mon credo. Je chasse les dernières traces

de douleur, me retranche derrière « mon mur en béton armé », comme dit Hugo, et me dirige versl’entrée.

Mes efforts pour me maîtriser sont anéantis lorsque mon regard est attiré par le SUV gris qui segare sur le trottoir, à ma droite. Mon cœur se serre violemment et j’accélère le pas en direction desascenseurs pour ne pas le croiser. Je m’installe dans le fond de la cabine, tête baissée, et prie pourque les portes se referment rapidement.

Mais, quand je lève les yeux, le spectacle qui s’offre à moi me coupe la respiration. Ethan n’estpas seul. Une superbe blonde marche à ses côtés, cintrée dans un tailleur de grand couturier. Je n’aiaucun mal à l’identifier : Isabelle Fellini. Alors qu’ils approchent, je remarque qu’il la tient par lataille. Mon corps tout entier se tord de douleur, de colère et de haine. Ils arrivent à hauteur de lacabine dans laquelle j’ai pris place. Ethan marque un temps d’arrêt lorsqu’il me voit. Isabelle, danstoute sa splendeur, s’installe devant moi. Elle dit quelque chose à Ethan que je n’entends pas, le bruitassourdissant de mon cœur qui souffre cingle mes oreilles. Il monte à sa droite.

Tandis que les portes se referment, je jette un regard meurtrier à Ethan qui tourne la tête vers moiavec une expression de tristesse. Il passe nerveusement sa main dans ses cheveux. Sa bouche bougecomme pour m’adresser un message silencieux, mais je me détourne et prends le parti de fixer lecompteur digital en haut de la cabine. Je serre les lèvres et les poings pour contenir l’émotionviolente qui me submerge. Je suis en colère, il m’abandonne pour une autre. Je suis trahie.

Elle n’a sûrement pas de secrets !Tout se mélange dans mon esprit. J’essaie tant bien que mal de me raisonner convenablement. Mon

calme apparent est à deux doigts de se briser lorsque la voix cristalline d’Isabelle s’élève dans lesilence.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive, Ethan ?Machinalement, je baisse la tête dans leur direction et mon regard accroche celui d’Ethan au

moment où il se tourne vers elle. Il semble angoissé, triste et en colère. Ce constat attise monirritation. C’est à moi d’être en colère et angoissée !

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Je reporte mon attention sur l’écran digital. Les yeux d’Isabelle font la navette entre Ethan et moi.Elle a l’air surprise. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le huitième étage. Et, bien que ce ne soitpas ma destination, je profite de ce que deux personnes s’engouffrent dans la cabine pour m’enextirper. Lorsque je passe à proximité d’Ethan, celui-ci me frôle le bras en murmurant mon prénom,déclenchant des frissons le long de ma colonne.

Non, mais c’est pas vrai ! Il ne lui suffit pas de me briser le cœur ?Comment se peut-il qu’à travers la colère qu’il m’inspire, ma peau réagisse encore à son contact ?

Je repère la cage d’escalier et m’y engouffre pour rejoindre mon bureau trois étages plus haut.Avant d’accéder aux locaux du magazine, je m’octroie une pause. Je m’assieds sur une marche,

enroule mes bras autour de mes genoux, calant ma tête contre le métal froid de la rampe. J’essaie dereprendre mes esprits, de réduire la douleur, de me retrancher en moi, mais c’est peine perdue.Qu’est-ce que tout cela signifie ? Que faisait-il avec elle ? Les paroles de son père me reviennent :« Il fut un temps, il était question de mariage. Même s’il ne l’admet pas, Ethan a beaucoupd’affection pour elle ». C’est elle, cela a toujours été elle, et moi je ne suis qu’une femme de plus àson tableau de chasse. Comment ai-je pu être aussi bête et m’amouracher de la sorte ?

Un sanglot m’échappe, je me sens trahie, humiliée, utilisée. Je prends une grande inspiration ettente de me ressaisir pour affronter ma journée de travail. Je me lève péniblement et franchis la portequi me ramène à la réalité.

— Salut, me lance Juliette depuis son comptoir d’accueil.Incapable de répondre, je lève la main en guise de salut et me dirige vers mon bureau. Je suis à

peine assise quand mon portable retentit. Je consulte le numéro de l’appelant : Ethan. Je pousse unsoupir. Que me veut-il, bon sang ? Se justifier ? Je n’en ai pas besoin, tout est très clair. Je décided’ignorer l’appel et mets mon téléphone en mode vibreur. J’attrape le dossier déposé dans lacorbeille et m’attaque à mes corrections, en souhaitant que les virgules, fautes d’orthographe et autresm’abrutissent suffisamment pour m’empêcher de penser.

Deux petits coups sont frappés à ma porte, je lève les yeux. Juliette me sourit. Je la fixe, ahurie.— Un café ?J’aurais bien envie de l’envoyer balader, mais elle n’est en rien responsable du désordre de ma

vie. Et puis, j’ai déjà été suffisamment odieuse avec elle. Je tente un pauvre sourire, attrape ma tasseet la suis sans un mot vers la salle de pause.

— Merci, lui dis-je tandis qu’elle me verse du café.Elle me sourit, sans mot dire, elle a compris que je ne suis pas d’humeur causante aujourd’hui.

Tout en savourant ce breuvage ignoble, je me demande si j’ai bien fait de venir travailler.Oui, je dois continuer à maintenir une routine.— Je suis désolée, je ne suis pas de bonne compagnie, Juliette.— Pas grave, je sais ce que c’est, les jours difficiles…— Je vais…De ma tasse, je lui désigne mon bureau. Elle hausse les épaules.— Oui, va bosser, cela aide parfois.Oui, parfois, mais là…J’acquiesce, soulagée qu’elle ne cherche pas à en savoir plus, et je retourne m’installer devant

mes corrections. Mon portable vibre à nouveau. Je le consulte : quatre appels en absence d’Ethan et

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un d’Hugo. Je rappelle ce dernier.— Emy ?— Salut.— Comment tu te sens, ce matin ?— Pas fort.— Ouais, je me doute, soupire-t-il.— Je me demandais si… non, laisse tomber.— Oui, Bébé ?— Je crois que je vais partir, Hugo, je ne peux pas rester ici au risque de croiser Ethan et…— Hey, calme-toi, Emy. Écoute, ce dont tu as besoin c’est de te changer les idées. Ce soir, on

passe la soirée ensemble ?— OK, dis-je, peu convaincue.— Je te laisse, courage, je t’aime.— Je t’aime aussi.Une soirée avec Hugo à noyer mon chagrin dans l’alcool, quelle belle perspective ! Je soupire. À

peine ai-je reposé le téléphone que celui-ci vibre à nouveau. Je le repousse au bout de mon bureaupour ne pas être tentée de répondre à Ethan. Espérant avoir enfin la paix, je me replonge dans montravail, mais mon portable — ou plutôt Ethan — en a décidé autrement. Je le fixe, désespérée.

— Vous ne décrochez pas ? m’interpelle la petite voix cristalline que j’ai entendue plus tôt cematin.

Je découvre Isabelle Fellini dans l’encadrement de la porte. Je la regarde, stupéfaite. Elle passeune main dans sa crinière soyeuse.

Qu’est-ce qu’elle fout là, bon sang ?— Non, dis-je, venimeuse.— Vous devriez.À cet instant, j’ai envie de lui tordre le cou. Elle sourit et me toise, dédaigneuse.— Que me vaut le plaisir ?— Vous êtes Emily ?— Euh… il me semble.Je ne comprends pas où elle veut en venir. Elle se rapproche et pose ses mains sur mon bureau.

Elle se penche vers moi, exhibant son décolleté.— Je suis Isabelle Fellini, déclare-t-elle, le regard mauvais.Non ? Sans blague ?— Je suis venue vous parler d’Ethan. Il tient beaucoup à vous, reprend-elle.— Et vous à lui !— Oui, mais là n’est pas le propos. Vous le faites souffrir et cela m’est insupportable, même si, au

fond, ça serait une bonne chose pour moi.— Pour vous ?— Écoutez, je ne vais pas tourner autour du pot. J’aime Ethan plus que vous ne pouvez l’imaginer,

mais, de toute évidence, c’est avec vous qu’il souhaite être, bien que vous l’ayez blessé.Ben, tiens, c’est moi, peut-être, qui l’ai abandonné hier soir ?— Je ne suis pas là en amie, Emily. Je voulais juste vous prévenir que je suis là, dans les

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coulisses. Continuez à lui cacher vos petits secrets, vous ne réussirez qu’à l’éloigner de vous et lerapprocher de moi. Mais si vous lui faites trop de mal, vous me trouverez sur votre chemin.

— Vous avez fini ?Je la coupe, agacée par son monologue qui n’a ni queue ni tête. Elle se redresse, droite, fière.— Non, je…— J’ai du travail, vous pouvez retourner consoler ce pauvre Ethan, si cela vous chante.— Je ne vois pas ce qu’il vous trouve…Je me replonge dans mon dossier, l’ignorant royalement afin de lui signifier son congé. Je souris

quand j’entends ses escarpins marteler le sol.Non, mais pour qui elle se prend, cette fille ? Et lui ? Aller lui dire que « je cache mes petits

secrets… »Je suis vexée qu’il ait osé lui parler de nos différends, alors qu’il m’a laissée sans un mot hier. Il

me brise le cœur et c’est à moi que l’on attribue le rôle de la méchante. Rageuse, je balance sur le solles articles qui traînent sur mon bureau. Mon téléphone vibre à nouveau, m’annonçant l’arrivée d’untexto.

Réponds-moi, Emily, il faut que nous discutions, ce n’est pas ce quetu imagines, je me suis conduit bêtement hier.

Ce n’est pas ce que j’imagine ? Il me laisse en plan sans un mot hier soir et, ce matin, je ledécouvre au bras de sa chère Isabelle.

Ton amie s’est chargée de me parler pour toi. Et mes petits secretssont bien où ils sont !!! Fiche-moi la paix, s’il te plaît, tu m’as fait

assez de mal.

Ma fierté me force à le repousser, tandis que mon cœur serait prêt à tout pour le voir.

Emily, s’il te plaît !

Non, non, non, je ne dois pas céder à sa supplication. Il est capable de me faire souffrir encoreplus. Je prends une grande inspiration et, les mains tremblantes, j’écris :

Fiche moi la paix, Ethan. C’est trop dur, je ne sais pas commentgérer cela.

Je ne peux m’empêcher de jouer la carte de la franchise. Je veux qu’il comprenne, que même si jelui ai caché des choses, notre relation comptait beaucoup pour moi.

Je suis désolé, Emily, ne me fuis pas, je t’en prie. J’ai agi bêtement,mais cette barrière que tu mets entre nous me ronge.

Je décide de ne pas répondre, ne sachant plus quoi dire. Est-ce toujours comme cela l’amour ?Quelques semaines de plénitude suivies par la tempête ? Oh, que c’est dur, je souffre et seuls ses braspourraient apaiser ma douleur. J’aimerais tellement lui tourner le dos, mais cela m’est impossibleparce que je l’aime. Je le savais pourtant que l’amour n’est que souffrance.

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Chapitre 15

Cher journal,

Ma journée s’est étirée en longueur. Une véritable torture. Ethan m’a envoyé unmessage d’excuses, mais je ne peux me résoudre à lui pardonner. Tout mon cœur levoudrait, mais Ethan m’a abandonnée, pris de peur face à mes secrets. Secrets queje ne pourrais jamais lui dévoiler, alors à quoi bon excuser ce qu’il recommencerainévitablement. Oh, cher ami, la douleur est si insupportable que je sens mes vieuxdémons repointer le bout de leur nez. Je crois que je vais dériver, cher ami. Mahaine protectrice reprend le dessus. Voilà où mène l’amour…

Je me regarde dans la glace de la salle de bain, j’ai revêtu ma tenue de garce dominante : robe encuir ultra moulante, escarpins à hauts talons, les yeux fardés à outrance. Pas de perruque pour unefois. OK, j’ai l’air d’une vraie pétasse, mais c’est l’effet recherché. Ce soir, je compte bien boirejusqu’à ne plus savoir qui je suis et permettre à la Emy monstre sortir du placard. À quoi m’ont servitous mes efforts, de toute manière ? Seule la Emy monstre arrive à vivre sans souffrance. Il est tempsqu’elle fasse son retour, car, aujourd’hui, la douleur est bien trop grande. Je n’aurais pas dû laisserentrer l’amour dans ma vie, le prix est trop lourd à payer. Ah ! Ethan Reed, te rends-tu compte desdégâts que tu as causés ?

Dans la cuisine, j’attrape ma pochette à bandoulière, y glisse ma carte bleue et mon portable (quiindique encore deux appels en absence d’Ethan). Je prends au passage une bouteille de vin et quittel’appartement. Je traverse le palier et frappe à la porte d’Hugo. Quand il m’ouvre, je remarque qu’ila l’air fatigué. Mais je ne m’en formalise pas, la Emy compatissante a déserté le navire.

— J’ai apporté le dîner.Je souris en secouant fièrement ma bouteille sous son nez. Il hausse un sourcil réprobateur.— Qu’est-ce que c’est que cette tenue, Emy ?— Tu aimes ? Je pense que je vais faire des ravages ce soir.— Ouais, c’est plutôt toi qui vas encore finir ravagée ! Je vois bien où tu veux en venir : alcool,

sexe, drogue et dépravation. Tu crois que c’est la solution pour te remettre de ton chagrin ?— C’est la seule que je connaisse et qui soit efficace ! dis-je, énervée qu’il me sape mon

engouement. Allez, te bile pas, je suis une grande fille, mais, si cela te pose problème, je peux toutaussi bien sortir seule.

— Allez, entre, Emy, soupire-t-ilJe passe devant lui, un petit sourire narquois aux lèvres. Je me dirige vers sa cuisine et tente de

mettre la main sur le tire-bouchon. Agencé à l’identique du mien, son appartement est meublé avecbien plus de goût. Modernes, aux teintes claires, ses meubles donnent un aspect sophistiqué aux lieux.

— Puisque tu as décidé de vouer ta soirée à la dépravation, autant que je te suive pour m’assurerque tu ne vas pas faire des choses que tu regretterais ensuite, Bébé. Je préviens Alexandre que je sorsavec toi, afin qu’il ne s’inquiète pas si je suis injoignable, ajoute-t-il en me tendant le tire-bouchontant recherché.

Je débouche la bouteille, me sers un verre de vin et le vide d’un trait. La chaleur de l’alcooldénoue partiellement le nœud qui me serre l’estomac depuis la veille. Mais ce n’est pas assez fortpour anesthésier ma douleur. Je me tourne vers le bar de mon ami pour y dégoter quelque chose de

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plus costaud. J’entends mon portable vibrer dans la pochette sur le comptoir.— Tu ne réponds pas ? m’interroge Hugo, dans mon dos.Tu ne réponds pas ? Vous ne répondez pas ? Ils n’ont que cela à la bouche, aujourd’hui !— Non.Hugo se penche devant moi et sort une bouteille de vodka.— Ça sera assez fort pour toi ?— C’est un bon anesthésiant.Je me sers un grand verre et commence à le siroter tranquillement tandis que mon portable

continue de vibrer désespérément. Les yeux de mon ami font la navette entre mon visage impassibleet la pochette contenant le parasite vibrant.

— C’est Ethan ? Tu lui as parlé, aujourd’hui ?— Euh… non, mais j’ai parlé à sa très chère confidente.— Tu devrais peut-être répondre. Non ?— Pour quoi faire ? Pas le temps, ce soir.Oh, l’alcool commence à faire son effet, la douleur s’éloigne. Je souris, victorieuse. Je m’installe

sur le canapé en cuir blanc et jauge l’humeur d’Hugo. Il n’a pas l’air aussi jovial que moi, à croirequ’il préfère quand je me tords d’angoisse.

— Tu ne bois pas avec moi ?Du menton, je lui désigne la bouteille. Il soupire en secouant la tête.— Ne fais pas ça, Emy.— Ne fais pas quoi ?Je me sers un autre verre.— Ne te détruis pas, ne te coupe pas de tout en te cachant derrière l’alcool, la dépravation… tu

vaux mieux que ça. Ce n’est plus toi.— Qu’est-ce que tu en sais ? Et si je n’étais qu’une chose monstrueuse ? Hein ?Je vide mon verre d’un trait et le remplis aussi sec.— Non, ce n’est plus toi, répète-t-il en secouant la tête tristement.— Mais tu n’as pas compris, j’en ai besoin. J’ai été façonnée par un monstre, Hugo. Que crois-tu

que je sois réellement ? La douce femme de ta peinture ? Pff, laisse-moi rire. J’ai essayé, Hugo. J’aitenté, mais c’est trop dur.

Un sanglot s’étrangle dans ma gorge.— Là, là, me cajole-t-il en me caressant les cheveux, tu souffres, Bébé, c’est pour cela que tu

réagis ainsi.Je le repousse, agacée, et me lève, préférant la colère à l’apitoiement.— Arrête ça, cesse de me chercher des excuses, putain, tu n’es pas mon psy.Une part de moi se déchire face à l’air abasourdi de mon ami. Désappointée par ma propre

violence, je m’élance, titubante, vers la salle de bain pour me rafraîchir et tenter de me calmer.— Pardonne-moi, Hugo. Je ne sais plus où j’en suis, dis-je à avant de refermer la porte derrière

moi.Une fois seule face à moi-même, j’essaie de me reprendre, mais l’alcool n’aide pas. Il exacerbe

mes émotions. L’agressivité ne sert qu’à masquer ma douleur. Je fonds en larmes.Oh, mon Dieu, que j’ai mal !

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Serais-je en train de devenir folle ? Merde, j’ai quasiment agressé Hugo ! Je suis en colère contremoi, contre le monde entier, contre Ethan. Je glisse au sol. Mon cœur douloureux bat au rythme dessanglots qui me secouent.

Soudain, un bruit de conversation attire mon attention. Je rampe à travers la salle de bain et collemon oreille contre la porte pour mieux entendre.

— Écoute, c’est compliqué, déclare mon ami.Mais avec qui discute-t-il ?— Tu lui as tourné le dos, elle souffre et a du mal à gérer.De qui parle-t-il ? De moi ? A qui ? Mon cerveau, embué par l’alcool, essaie de suivre ce

monologue.— Oh, je n’étais pas au courant, reprend Hugo, je comprends que ce soit dur pour toi. Tu as été

maladroit et…Il se tait, écoutant de toute évidence son interlocuteur. Je soude ma tête à la porte et retiens ma

respiration.— Elle est fragile, plus encore maintenant qu’elle est consciente de t’aimer… Oui, je sais, mais

elle est faite ainsi. Sois patient avec elle, Ethan.Ethan ? Non, mais j’hallucine, là ! Je me lève tant bien que mal. Chancelante, je sors de la salle de

bain en trombe et me plante devant Hugo qui continue, impassible.— Oui, tu devrais, euh... non, pas ce soir. Ethan veut te parler, Emy, dit-il, en me tendant mon

portable.Je secoue la tête négativement et le fusille du regard.— Allons, Emy.— Non !— Désolé, reprend-il à l’adresse d’Ethan, oui, ça marche.Il raccroche et me rend mon téléphone d’un geste sec. Inhabituel chez lui.— Il t’aime, Emy, tu le savais ? Non, bien évidemment.— Je…— Tu… rien, Emy. Ça suffit ! Ce mec t’aime. Il a été maladroit et, toi, tu as tout interprété comme

cela t’arrangeait, avec ton éternel pessimisme.Il m’aime ? Ce sont les seuls mots que mon esprit alcoolisé retient.— Non, non, il ne peut pas m’aimer, je ne veux pas !Incohérente, je crie et me mets à tourner en rond comme une bête enragée. Je sais que je devrais

me réjouir. N’est-ce pas ce que je souhaitais ? Mais la vodka me brouille le cerveau.— Je dois filer, dis-je en attrapant ma pochette au vol.— Tu vas où ?— Je sors, j’ai besoin de me défouler.— Je viens avec toi, déclare Hugo, en soupirant.

***

Nous sommes attablés au comptoir d’une boîte de nuit. Les spots diffusent une lumière rouge,tamisée. La salle est moins vaste que celle de la boîte où Hugo m’a emmenée l’autre fois. L’endroitest moins attrayant aussi, plus glauque. Dans l’état où je me trouve, cela ne me dérange guère. Je suisplus ivre que jamais et enchaîne les verres. Trop de choses se bousculent dans ma tête, créant un

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véritable chaos. J’essaie de les noyer sous un flot d’alcool.— Tu comptes continuer longtemps comme ça, me demande Hugo, patiemment.— Chais pas, dis-je, la voix pâteuse.Il hausse les épaules, réprobateur. Je me lève et le tire par la manche.— Viens, on va danser.— Non, soupire-t-il, pas envie ! Vas-y, toi, je reste là.— OK, garde mon sac, s’te plaît.Je lui fourre ma pochette dans les bras, vide mon verre et me dirige vers la piste de danse où les

gens se déhanchent sur un air de rap. Je n’affectionne pas ce genre musical, mais, ce soir, avec l’aidede la vodka, je crois que je pourrais. Je titube au milieu de la foule, désinhibée, et me laisse porterpar la musique. Les paroles de la chanson me font doucement sourire.

C’est ma direction !

J’ai pété les plombs, sans abandonner ni baisser les bras

Plus d’nouvelles, batterie faible, malédiction

Dorénavant, je vais de l’avant, c’est ma direction

Ma direction…

Je tourne la tête vers Hugo, il est au téléphone, absorbé dans une conversation animée.Ouah ! Quel boute-en-train, sans déconner !Je décide de me trouver un autre compagnon de soirée, tout aussi ivre que moi, tant qu’à faire. J’ai

besoin d’oublier, oublier la douleur, oublier ma vie entière…Soudain, quelqu’un se frotte contre moi, ça sent la sueur et l’alcool. Je fais volte-face pour voir à

quel genre d’individu j’ai affaire : il est grand, brun avec les yeux verts.C’est une malédiction !Cela ravive ma colère et je décide de passer mes nerfs sur lui, puisque je ne veux pas avec

l’original. Je lui lance un sourire provocateur et me plaque contre son corps en un déhanché vulgaire.Je sais comment attirer mes proies. Je me colle un peu plus à lui au rythme de la house qui aremplacé le rap. Un instant, j’imagine Ethan, ici avec moi, me protégeant de la foule, mais je chassetrès vite cette pensée. Ce n’est pas Ethan, je vais m’amuser à le mettre à genoux, celui-là ! Juste parcequ’il a les yeux verts.

Je me tourne, dos à lui, et positionne ses mains sur mes hanches. Je commence à ondulerfrénétiquement et je sens son sexe se durcir contre mes fesses. Je souris, certaine d’arriver à lerendre fou au point d’en obtenir ce que je veux. Nous continuons notre danse sensuelle. Je rejette latête en arrière en pleine extase, enivrée par l’alcool et mon excitation. Je retrouve cette sensation depuissance dont je m’étais privée depuis si longtemps. Il tente de remonter ses mains sur mes seins,mais, d’une poigne ferme, je stoppe leur progression afin de lui montrer qui est le maître à bord.J’accentue la pression de mes fesses sur son sexe, histoire de le rendre fou de désir.

— Tu en veux toi, hein ? gémit-il dans mon cou.Pour toute réponse, je me contente d’onduler plus fort contre lui, tout en faisant descendre ses

mains vers l’intérieur de mes cuisses.

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— Je vais te baiser sur cette putain de piste de danse, si tu continues, ajoute-t-il à mon oreille.Je souris, narquoise, et me retourne, lui empoignant les testicules. Je colle ma joue sur la sienne et

susurre :— C’est moi qui vais te baiser.Il me lance un regard lubrique et je reprends ma position initiale, plaquant de nouveau ses paumes

dans mon entrecuisse. Je jette un œil vers le bar, Hugo n’y est plus.Bah, tant mieux, pas besoin de lui infliger le spectacle de ma décadence.Je me tourne à nouveau vers mon partenaire et lui intime :— Emmène-moi dans un coin tranquille.Il tente de me prendre par la main, mais je lui fais signe d’avancer. Je le suis jusque dans un

recoin, derrière les toilettes. L’endroit est à peine éclairé, mais suffisamment pour que je remarque unautre couple enlacé plus loin.

— Nous devrions être bien, m’explique-t-il.J’acquiesce, le plaquant contre le mur.— Hey, doucement, chérie— Je ne fais pas dans la douceur, dis-je d’une voix dure.J’ouvre son jean et libère son sexe. Son regard se fait vicieux, il tente de glisser sa main dans ma

culotte.— Non, non, c’est moi qui mène la danse.Quand je lui empoigne violemment le pénis, il me regarde, surpris. Je commence alors à le

masturber en éraflant sa peau de mes ongles à chaque va-et-vient. Il gémit, le visage tordu de douleur.Je jouis du mal que je lui fais.

Je suis soudain tirée en arrière par une poigne extérieure, ma tête se met à tourner sous la violencedu geste.

— Dégage, connard, lâche une voix rauque que je reconnaîtrais entre mille, même au milieu dubrouillard alcoolique dans lequel je me trouve.

Le type range son outil et déguerpit, sans demander son reste. Ethan m’attrape le bras et me traîneà sa suite. Frustrée de son intrusion, je ne comprends rien et les vodkas enchaînées non plus. Tout estconfus autour de moi, c’est tout juste si je distingue sa silhouette. Je ne parviens pas à me dégager desa poigne.

Putain, il fait mal, ce con !Arrivé dehors, il me jette sur le siège de la voiture, attache ma ceinture de sécurité — j’en suis

bien incapable — et s’installe derrière le volant.Malgré ma brume comateuse, je remarque que c’est la première fois que je le vois conduire.

D’une voix pâteuse, je bafouille :— Qu’est-c’ tu fous là ?Il fixe le pare-brise, le visage fermé, les traits crispés. Ses bras tremblent légèrement.— Et toi ? me répond-il d’un ton cassant.Spontanée, je m’apprête à lui détailler ce que je faisais au moment où il a débarqué.— Eh bien, moi, je…— Oh ! C’est bon, Emily, j’ai bien compris ce que tu comptais faire.Je me renfrogne comme une gamine prise en faute. Je me rends compte soudain que j’ai perdu

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Hugo dans toute cette affaire.— Merde, Hugo !— Ne t’inquiète pas pour lui, il est rentré en taxi.— Oh !Le traître, je me souviens l’avoir vu au téléphone, il devait être en train d’appeler Ethan. Je serre

les poings de colère et prends le parti de me taire. Il se gare devant mon immeuble et me tend mapochette.

Tiens, je l’avais oubliée, elle aussi.Je descends, claque la portière comme une adolescente colérique et titube tant bien que mal vers

l’entrée. À ma grande surprise, j’entends un autre claquement de porte. Apparemment, Ethan ne secontente pas de me déposer. Une part de moi se réjouit, l’autre fulmine. De nouveau, sans mot dire, ilm’empoigne le bras et me guide jusqu’à l’ascenseur. Je trébuche à sa suite. Lorsque la cabinecommence son ascension, je sens mon abdomen se soulever.

Pourvu que je ne dégobille pas partout devant lui.Mais non, la vodka reste bien au chaud dans mon estomac. Sans un mot, Ethan me remorque

jusqu’à mon appartement. Il soupire, exaspéré, tandis que je me bats avec la serrure.Tiens, y’en a deux, maintenant ?Il m’arrache le trousseau des mains et déverrouille la porte.Bah, tiens, moi aussi, je sais le faire !Je pénètre chez moi, vacillante, et me dirige vers la cuisine, Ethan sur les talons. Je me penche

sous le comptoir et en sors fièrement une bouteille de vodka. Je m’en sers un verre. J’ai tout juste letemps de le porter à ma bouche qu’Ethan me l’extirpe des mains et le vide dans l’évier. Il se tournevers le frigo et y prend une bouteille d’eau qu’il me tend.

— Je crois que tu as assez bu pour ce soir.— Qu’est-ce ça peut t’foutre ?Il ne répond pas. Je hausse les épaules et, d’un pas chancelant, je me dirige vers ma chambre.

Mais je n’ai pas le temps de l’atteindre qu’il m’attrape par le bras et me fait faire demi-tour. Touttangue autour de moi, ravivant les spasmes de mon estomac. J’essaie de me concentrer sur Ethan pourne plus voir la pièce se balancer dans tous les sens. Sa bouche remue, mais je n’entends rien. Lecœur au bord des lèvres, j’ai l’impression d’être ballottée au milieu d’une tornade.

Putain, je vais gerber !Le sang se retire de mon visage, signe évident que mon estomac ne supporte plus l’envahissante

vodka. Je me dégage et cours, tant bien que mal, jusqu’aux toilettes. Tandis que mon corps expulsetout l’alcool ingurgité, je l’entends s’approcher.

Une fois vidée, je m’assieds à côté des toilettes tandis qu’Ethan humidifie une serviette. Ils’accroupit et me la passe sur le visage.

— Là, c’est fini, Emily. Quelle idée de te mettre dans cet état, mon amour…Je ne suis pas bien sûre d’avoir vraiment entendu ses derniers mots, car je sombre dans le noir.

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Chapitre 16

Cher journal,

J’ai un horrible mal de tête et l’estomac retourné. Je ne sais plus vraiment ce qu’ils’est passé hier soir ni à quel point j’ai déconné. Oh ! Quel être ignoble je suis !Cher ami, je suis certainement retombée dans les bras de la luxure. Je suisirrécupérable et dans un état lamentable. Je suis impardonnable, aussi ne suis-jepas étonnée de me trouver à nouveau en enfer. Je retourne m’allonger, le jour n’estpas levé, je vais essayer de dormir encore un peu.

— Hum…Je gémis en tentant de stabiliser mon cerveau qui cogne contre ma boîte crânienne. Je perçois des

pas qui résonnent dans ma chambre et je distingue une main qui me tend un verre d’eau et deuxcachets d’aspirine. Je ferme les yeux et l’ignore. Je suis consciente que je dois des excuses à Hugo.Et il me faudra lui demander jusqu’à quel point je me suis mal comportée hier. Plus tôt ce sera fait,mieux cela vaudra pour ma conscience.

— Je suis désolée, Hugo, j’ai merdé. Oh, je sais ce que t’apprêtes à dire. J’avais promis. Mais là,je n’ai pas réussi. Vas-y, raconte-moi jusqu’à quel point j’ai déconné ?

— J’ai connu de meilleurs mea culpa, rigole une voix qui n’est pas celle de mon ami et quej’identifie immédiatement

— Qu’est-ce que tu fous là, bordel ? dis-je en cachant mon visage cramoisi sous l’oreiller.— Je prends soin de toi, de toute évidence, ricane Ethan.— J’ai pas besoin « qu’on prenne soin de moi ».Je suis mortifiée qu’il me voie dans cet état et abasourdie par sa présence. D’une petite voix, je

demande :— Que s’est-il passé hier soir ?— Tu ne te souviens de rien ?— Euh, non.— Remarque, dans l’état où tu étais, cela ne m’étonne pas !J’enfonce encore plus mon visage dans l’oreiller. Si je pouvais, je m’y cacherais toute entière.— Tu comptes rester toute la journée cachée dans ton lit ? ironise Ethan— Oh, pas seulement. Le reste de ma vie aussi.Je sens le poids de son corps s’enfoncer à mes côtés sur le matelas. Il se met à me caresser

doucement les cheveux.— Allons, Emily, debout, passer mon temps étendu près de toi dans ce lit ne me déplairait pas,

mais nous avons autre chose de prévu, m’annonce-t-il d’une voix rieuse.Amère, je lui assène :— De quoi ? Comment ça, nous ? Il me semblait qu’il n’y avait plus de nous !— Ça, c’est toi qui l’affirmes, nouille.Complètement déboussolée, je m’assieds au milieu des draps et lui fais face. La tête me tourne.— Ah oui ? Et le « cette situation ne peut plus durer » ?— Ça ne signifiait en aucun cas une rupture.Son regard se fait anxieux. Je suis de plus en plus perplexe.

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— Mais je…— Je voulais juste te dire par là que le fait que tu ne te livres pas et ne me fasses pas confiance ne

pouvait plus durer. C’est si dur pour moi de ne pas savoir comment être proche de toi, tu metstellement de barrières entre nous. Mais ne t’inquiète pas, petite sotte, je ne compte pas medébarrasser de toi. Déjà deux jours sans toi, c’était invivable, alors toute une vie…

— Oh, je… tu m’as fait du mal, Ethan.Butée, je croise les bras sur la poitrine et le toise.— Je sais et j’en suis désolé, ce n’était pas mon intention. Je voulais te téléphoner, t’expliquer,

m’excuser, mais je suis tombé sur toi dans l’ascenseur et, quand tu m’as vu avec Isabelle, tu suintaisla colère et la souffrance. À ce moment, je ne souhaitais qu’une chose : te prendre dans mes bras, terassurer et me rassurer. Cependant, j’étais sûr que tu m’aurais repoussé, une fois de plus. Ça m’a faitsouffrir aussi, Emily. Ensuite, je t’ai envoyé un texto et tu étais si fermée. Tu m’as parlé d’Isabelle, jen’ai pas compris. Je lui ai téléphoné et elle m’a confirmé qu’elle était venue te voir, je me suisdisputé avec elle.

Il marque une pause en se triturant les cheveux nerveusement.— J’ai d’ailleurs passé la journée à tourner en rond et à envoyer balader tout le monde,

complètement fou, à cause de ton silence. Puis, alors que je t’appelais pour la énième fois, Hugo m’arépondu. Il m’a assuré que tu souffrais, j’ai tenté de m’expliquer, pensant qu’il te raisonnerait. Etalors que j’espérais enfin te parler, tu as dit non. Oh, si tu savais, t’entendre à l’autre bout du fil merepousser ainsi a été le coup de poignard de trop, Emily. Je me suis effondré, me laissant submergerpar la douleur. C’est là que j’ai réalisé à quel point je t’aime.

Sa voix est devenue un chuchotis et il me regarde le visage empli de douleur. J’ouvre la bouche,mais il m’interrompt en posant son index sur mes lèvres :

— Puis, le téléphone a sonné et, quand ton numéro est apparu, j’ai souri comme un adolescent. Cen’était pas toi au bout du fil, à ma grande déception. Hugo m’a alors expliqué ce qu’il se passait. Tusouffrais tant que tu étais repartie pour succomber à tes vieux démons, il a ajouté qu’il était persuadéque j’étais le seul capable de t’offrir la sécurité dont tu as besoin. Il m’a expliqué où vous étiez et jesuis venu au plus vite te chercher. Quand je t’ai trouvée avec cet homme, complètement ivre, j’ai vurouge. Ensuite, j’ai lu la souffrance sur ton visage lorsque je t’ai ramenée ici. Oh ! Emily, mon amour,pardonne-moi.

Je crois bien qu’il n’a jamais autant parlé. Je suis complètement chamboulée par ce qu’il me dit,je sens une larme rouler sur ma joue. Il l’essuie tendrement avec son pouce. Je ne sais que répondre,cet homme m’aime, il m’a vue face à mes démons hier soir et, malgré tout, il est toujours là.

— En tout cas, reprend-il, le ton léger, tu racontes plein de trucs intéressants dans ton sommeilquand tu es bourrée.

Je rougis, me demandant ce que j’ai pu dire de si passionnant. Prenant un air détaché pour tenterde masquer ma gêne, je le questionne :

— Ah oui ? Et qu’as-tu entendu de si « intéressant » ?— Eh bien, tu as murmuré mon prénom, sourit-il, heureux.Si ce n’est que ça !Mais à mon plus grand désarroi, il continue les yeux pleins d’émotion.— Puis, tu m’as demandé pardon. Ensuite, tu as dit que tu m’aimais et tu as prononcé une phrase

que je n’ai pas très bien comprise.

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— La… laquelle ?— « Ne le laisse pas tout gâcher, laisse-moi du temps, c’est trop dur ».Je soupire, il me regarde, interrogateur.— C’est vrai, je t’aime, Ethan.C’est la seule réponse que je suis capable de lui donner. Je ne suis pas prête. Pas encore.— Et cela me suffit, Emily. Je ne veux plus que tes secrets t’éloignent de moi.— Merci, un jour, peut-être.— Oui, mon amour, conclut-il en m’embrassant les cheveux.Je sens mon cœur s’alléger. Il est prêt à attendre, il m’aime, je l’aime et il s’en contente.— Allez, debout, j’ai des projets pour ce week-end.Je le scrute, il a l’air si différent : il rit, il est heureux et son regard est plein d’amour. Je souris à

mon tour et me lève pour me diriger sous la douche. Je constate, en passant devant le miroir, que j’aiune mine affreuse.

Quand je sors de la salle de bain, fraîche et sentant le propre, Ethan m’attend dans la chambre, unetasse de café à la main.

— Tu devrais mettre un jean et des baskets, lance-t-il malicieux en me tendant la tasse.— Et qu’as-tu donc prévu ?— On part en balade ce week-end, il te faut aussi ton passeport.— Mon passeport ? Pour une promenade ?Je sursaute, incrédule. Pour toute réponse, il tourne les talons, hilare. Une fois prête, je le rejoins

dans la cuisine, récupère au passage mes papiers d’identité dans le tiroir de mon bureau et le glisseavec mon portable dans un petit sac à main.

— Non, pas de portable, me dit Ethan en sortant celui-ci du sac.— Mais… et si Hugo m’appelle ?— Je lui ai téléphoné, il est au courant que je t’enlève tout le week-end. Il sait où nous joindre en

cas d’urgence. Les deux prochains jours, c’est toi et moi uniquement, isolés du reste du monde.Il tire son téléphone de sa poche et le dépose sur le comptoir à côté du mien.— Prête ?— Ouais, dis-je en marmonnant.Il me prend par la main et nous quittons l’appartement.— Tu as une définition bien large du mot balade !Incrédule, je me tourne vers lui alors que nous débouchons sur le tarmac où est « stationné » son

jet privé.— J’ai annoncé que nous partions en balade, je n’ai pas précisé où.Il rit, mutin.— Mouais.— Allez, grimpe, m’intime-t-il.C’est dingue comme tout a changé si vite. Il y a peu, j’étais en enfer et, là, je suis au paradis. Ethan

aussi est transformé, plus tendre, plus rieur, il ne cesse de me toucher, de m’embrasser, comme pours’assurer de ma réalité. Je lui souris, heureuse, et monte dans l’appareil.

***

— C’est magnifique.

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Je m’extasie devant le chalet où nous sommes garés. Nous avons atterri en Écosse, il y a unedemi-heure, et avons roulé à travers la campagne sauvage jusqu’à cette maison immense, nichée aufond des fois. Ethan m’ouvre la portière et je descends, respirant à pleins poumons cet air pur etvivifiant.

— J’aime ta façon d’apprécier la nature. Chez mon père, déjà, tu avais ce regard-là, face au parc.— Comment ne pas être éblouie par tant de beauté ?Je me retourne, lui rendant son sourire. Il m’embrasse tendrement et un frisson me parcourt. Même

sa manière d’embrasser est différente, plus douce, emplie d’amour. Ce baiser a un goût succulent.— Tu viens ? Je te fais visiter, ensuite nous irons crapahuter dans les bois.L’intérieur est tout aussi splendide que le cadre environnant, simple, épuré, lumineux. Le rez-de-

chaussée est une immense pièce composée d’un coin salon avec cheminée, d’une cuisine ouverte etd’un coin-repas, le tout illuminé par de grandes fenêtres. À l’étage, il y a trois suites chaleureuses,décorées sobrement. Ethan m’en désigne une.

— Notre chambre.Je m’y sens tout de suite à l’aise, ses couleurs pastel lui donnent un air de cocon, parfait pour un

week-end en amoureux. Alors que nous traversons le couloir pour rejoindre l’escalier, je remarqueune porte fermée.

— C’était la chambre de mes parents.Ethan se rend compte de ma curiosité face à la porte close.— Plus personne n’y a dormi depuis très longtemps, continue-t-il en ouvrant.Je suis stupéfaite, la pièce, à l’image du reste de la maison, est chaleureuse et lumineuse. Mais ce

qui m’étonne, ce sont tous les objets qui traînent sur la coiffeuse. Il y a même une veste sur le fauteuilprès la cheminée. Sur la commode, je repère une photo mettant en scène une jeune femme et un petitgarçon en train de rire. Je me tourne vers Ethan. Dans son regard se mêlent tristesse et nostalgie.Cette pièce est pleine du souvenir de Madame Reed. Je lui caresse la joue, compatissante. Je passeun doigt sur sa cicatrice, signe extérieur de sa détresse. Même si elle est plus récente que ladisparition de sa mère, je sais que c’est à cause de son auto-destruction qu’il se l’est faite. Cetaccident, il l’a eu parce qu’il roulait bien trop vite.

— Elle te manque.C’est plus une affirmation qu’une question.— Oui, chaque jour, me répond-il en baissant les yeux vers moi, mais moins depuis que je t’ai

rencontrée.Il sourit tristement, je lui serre la main. Il me laisse pénétrer dans ses secrets et cela me touche,

peut-être serais-je capable d’en faire autant un jour.Nous quittons la pièce, il referme la porte délicatement comme s’il ne voulait pas troubler les

souvenirs que recèle cet endroit.Nous crapahutons depuis une heure, je suis épuisée, j’ai mal partout et ma gueule de bois

n’arrange rien. Mais face à l’enthousiasme débordant d’Ethan, je fais contre mauvaise fortune boncœur. Le coin est magnifique, sauvage, isolé du monde et d’un calme absolu. Par moments, il stoppesa course et me raconte une anecdote de son enfance, me désignant un arbre d’où il est tombé, larivière où il venait pêcher avec son père, la fois où il s’est perdu. Je bois ses paroles, heureuse departager cet instant avec lui. À d’autres moments, il fait volte-face et m’embrasse passionnément. Sajoie est contagieuse.

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À midi, nous nous arrêtons dans une petite clairière et il sort de son sac à dos des sandwichs — jeme demande bien quand il les a préparés d’ailleurs ! — et une couverture. Il l’étend sur le sol etm’invite à m’y installer. Je m’y allonge tandis qu’il continue de disposer notre pique-nique. Je nesaurais dire si ce sont ses confidences, la magie de l’endroit, à moins que ce ne soit poussé parl’amour, mais je me sens d’humeur bavarde.

— Quand j’étais petite, il y avait un bois derrière chez ma mère.Il stoppe ce qu’il était en train de faire et se tourne vers moi, ahuri. Il ne répond rien, comprenant

sans doute que je me livre enfin un peu à lui.— J’aimais m’y balader, imaginant que j’étais une princesse perdue. Je rêvais que mon père

finirait par me libérer de la forêt enchantée et me ramènerait vers son royaume. Je me voyais, assisedevant lui sur son grand cheval blanc. Bien sûr, il n’est jamais venu. Alors, je levais les yeux vers leciel en espérant que, du paradis, il m’adresserait un signe. Plus tard, ce bois a été mon refuge. C’étaitle seul endroit où je pouvais laisser libre cours à ma tristesse, à ma colère… La nature a toujours euun effet apaisant sur moi. Tu as dit ce matin que tu aimais ma façon de l’apprécier, c’est parce quec’est l’unique lieu où je pouvais me laisser aller quand…

Je ne continue pas, je ferme les yeux me remémorant la jeune adolescente paumée que j’étais.— Je voudrais tellement t’en dire plus, Ethan, mais c’est trop dur pour moi de me confier. Un jour,

je l’ai fait, mais elle m’a rejetée, m’a abandonnée, elle qui aurait dû être mon soutien, mon pilier.À demi-mot, je lui parle de ma mère.— Jamais je ne pourrais te rejeter, moi. Un jour, tu auras assez confiance, me rassure-t-il en

caressant ma cicatrice sous l’œil.Je tourne la tête dans sa direction et ouvre les yeux. Je suis éblouie par l’expression de son

regard : amour, douceur et tristesse s’y mêlent. Je lui souris, consciente que j’ai fait un grand pas verslui, le reste viendra, j’en suis convaincue maintenant.

Je dépose un baiser sur sa joue et me penche vers notre pique-nique.— Qu’y a-t-il de bon à manger ?— Eh bien, sandwichs au poulet, salade verte, fraises et chantilly. Cela te va ?J’attrape un sandwich.— Parfait ! C’est toi qui les as faits ?— Non, c’est Elena, elle s’occupe de la maison, je lui avais demandé de nous préparer tout cela.Je mords dans mon repas à pleines dents. Je meurs de faim.— Oh, c’est délicieux, dis-je entre deux bouchées, tu la remercieras de ma part.Il sourit, le nez dans son bol de salade. Quel paradoxe entre l’homme d’affaires rigide et

autoritaire, et cet homme qui se trouve à mes côtés en train de pique-niquer en jean, chemiseécossaise — il n’en est pas moins sexy —. J’en suis béate.

— Tu ne manges pas ? me demande-t-il, en débouchant la chantilly.— J’ai été distraite.— Hum.Il se concentre pour verser de la crème sur ses fraises.— Tu en veux ?Il me regarde, malicieux, brandissant sa bombe.— Ne t’avise même pas, dis-je en me reculant— Sinon quoi ?

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Soudain, il lance une salve de chantilly, dans ma direction, que j’évite en me levant prestement. Ilse met debout à son tour, me menaçant en souriant. Je recule tandis qu’il continue de s’avancer versmoi en riant. Je fais volte-face et tente de m’enfuir loin de lui ainsi que de son arme terrifiante. Maispeine perdue, il est plus rapide que moi. Il m’attrape le bras, m’enserre dans l’étau des siensdéversant un flot de crème chantilly sur mon visage et mes cheveux. Je pousse un cri. Quand il merelâche, je suis couverte de crème et, devant ma mine déconfite, Ethan part dans un grand éclat derire. Attendrie par sa gaieté, je ris à mon tour. Tendrement, il commence à me débarbouiller.

— J’adore te voir rire, c’est si rare, me murmure-t-il en lapant la chantilly sur mes lèvres. Onferait mieux de rentrer, ajoute-t-il en levant les yeux vers les nuages noirs qui s’amoncellent.

Nous avons tout juste ramassé nos affaires quand une averse nous tombe dessus, rinçant aupassage mes cheveux tout collants. Ethan me tend une parka qu’il devait garder dans son sac et enenfile une aussi. Bien à l’abri sous nos capuches, nous prenons le chemin du retour.

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Chapitre 17

Cher journal,

Ethan s’est livré à moi. Il m’aime. N’est-ce pas merveilleux ? Et même aprèsm’avoir vue dans un de mes pires moments, il est resté. Oh, cher ami, vais-je enfinconnaître le bonheur ? Nous avons passé l’après-midi en forêt et c’était magique.Ethan a tellement changé. Comme si s’ouvrir et me dévoiler ses émotions lerendait plus heureux, il rayonne. Crois-tu que je me sentirais ainsi, si je me livre àlui ? Je pense que oui. Ce qui me fait dire ça ? Oh, mon ami, je lui ai raconté uneanecdote de mon enfance et j’étais ravie de partager cela avec lui. Il m’a écoutépatient, les yeux remplis d’amour…

Je me prélasse dans un bain chaud parfumé à la lavande qu’Ethan nous a préparé. Nous sommesarrivés trempés et gelés, mais avec le sourire. Je suis allongée face à lui dans l’immense baignoire, ilme sourit en massant mes pieds douloureux. Un moment de plénitude parfait.

Je ferme les yeux pour savourer cet instant.— C’est bon d’être là, avec toi, dis-je, consciente de ne m’être jamais autant livrée à lui que ces

dernières heures.Tout à l’heure, dans la forêt, je me suis sentie si légère après ma confession, qu’en serait-il si je

lui montrais toutes mes cicatrices. Tout à coup me reviennent à l’esprit celles encore visibles àl’intérieur de mon entrejambe, infligées lors de mon cauchemar de l’autre nuit. Même s’il les aremarquées, Ethan n’en a pas soufflé mot. Je rougis et cela ne lui échappe pas.

— Qu’as-tu, Emily ?— Je pensais aux griffures sur mes cuisses.— Oui, j’ai vu.Soudain, je ressens le besoin de me justifier, de lui expliquer.— Je fais parfois d’horribles cauchemars et il m’arrive de me blesser involontairement en me

débattant.— Viens là, dit-il en m’attirant dans ses bras.Il n’ajoute rien, se contente de me caresser le dos. L’eau se faisant froide, nous décidons de sortir

de la baignoire. Je me dépêche de me sécher avec la serviette que me tend Ethan. Je jette un œil àmes vêtements trempés qui sont éparpillés dans la salle de bain, seuls mes sous-vêtements ontréchappé à l’averse. Je ramasse ma culotte.

— Je crois que je suis condamnée à ne porter que ça le reste du week-end, dis-je en balançantcette dernière au bout de mon doigt.

Il sourit et quitte la pièce un instant. Il revient, chargé d’un sac qu’il pose à mes pieds. Je leregarde, interloquée.

— J’ai demandé à Elena de t’acheter quelques vêtements, m’explique-t-il sur la réserve.Il guette le moment où je vais encore me fermer. Mais là, je lui suis reconnaissante de ne pas me

laisser en petite culotte tout le reste du week-end.— Oh, merci.J’y dégote un bas de jogging, un débardeur, un sweat, un jean, des sous-vêtements et aussi un

pyjama. Le tout de grande marque, bien entendu. Comment peut-on dénicher tout cela au fin fond de

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l’Écosse ? En tout cas, il a dû indiquer à Elena ce qui me plairait, car tout cela me convientparfaitement.

Je me dépêche d’enfiler mes vêtements. Il ne fait pas froid dans la maison, cela suffira. J’ai àpeine le temps de finir de me préparer qu’Ethan me soulève dans ses bras en riant et me portejusqu’au lit gigantesque qui trône dans la chambre que nous occupons. Il s’allonge à côté de moi etme scrute intensément.

— Souvent, je me demande quelles souffrances se cachent derrière ce beau visage, chuchote-t-ilen caressant ma joue.

Je le regarde, muette.— Je voudrais tant pouvoir soulager tes douleurs, mon amour, continue-t-il tendrement. Ce que je

vis avec toi, jamais je n’aurais cru le vivre avec qui que ce soit. À ta façon, tu m’as sauvé. Avant toi,je refusais d’aimer, de m’attacher aux gens. C’est pour cela que je me servais des femmes pourassouvir mes besoins, puis les jetais ensuite. Au fond, je ne voulais pas prendre le risque que l’uned’elles m’abandonne, comme l’avait fait ma mère en se suicidant. Tu sais, une heure avant, elle estvenue m’embrasser en me jurant de toujours rester près de moi.

Je demeure silencieuse, il se livre complètement à moi, sans retenue. Mon cœur est submergé detendresse pour cet homme et de peine pour le petit garçon.

— Mais toi, Emily, tu as tout d’un coup illuminé ma triste vie et, du moment où je t’ai vue, je n’airêvé que de cet instant. Avec toi, j’ai eu envie de prendre des risques, de bouleverser mon existencebien ordonnée. Tu comprends ? C’est pour cela que je veux tant tout connaître de toi. Chaque fois quetu me repousses, j’ai peur d’avoir posé la question qui te fera fuir définitivement.

Il se tait, mais continue de me scruter tendrement. Je saisis alors à quel point mes secrets sontdouloureux pour lui. Peut-être est-il temps que je prenne moi aussi des risques. Une chose est sûre :j’aime cet homme et je ne veux plus lui donner la sensation que je l’abandonne. Je me tourne sur ledos, rive mon regard sur le plafond pour échapper au sien. Le moment est venu. Dans une grandeinspiration, j’ouvre les portes de mon passé.

— Mon père est mort avant ma naissance, ma mère m’a élevée seule une partie de mon enfance.Lorsque j’avais huit ans, elle s’est remise avec quelqu’un. Je l’aimais bien et étais heureuse d’avoirun papa, comme tout le monde à l’école. Mais… très vite, il a révélé sa vraie nature : il buvait etétait violent, tant avec ma mère qu’avec moi.

Mon cœur tambourine à l’évocation de mes souvenirs. Je serre les poings, seul signe de mon mal-être. Je tente de rester impassible. La voix légèrement tremblante, je reprends :

— Un jour, alors que j’avais à peine dix ans…, je… nous regardions un film sur le divan. Mamère était absente. Il a…

Les images défilent dans ma tête. Les sensations du moment sont toujours aussi violentes. Je fermeles yeux pour cacher mes larmes. Dois-je continuer ? Ethan est statufié. Il retient sa respiration. Mesongles s’enfoncent dans mes paumes. La gorge douloureuse, je poursuis d’une traite :

— Il a… glissé sa main sous ma chemise de nuit, a écarté l’élastique de ma petite culotte et m’a…m’a violée avec ses doigts. Il m’a ensuite dit que, si je parlais, il tuerait ma mère. Ça a duré jusqu’àmes seize ans. Ma vie était ponctuée de viols, de coups et de menaces.

Ethan effleure mon bras pour m’encourager ou me rassurer, je ne sais pas. Derrière mes paupièrescloses, je revois tous ces moments de souffrance. Submergée par mes souvenirs, je ne peux empêcherles larmes de glisser sur mes joues. C’est dans un sanglot que je continue mon récit.

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— Un jour, j’ai osé en parler à ma mère et elle n’a rien fait. Elle m’a juste dit, je résume, que celadevait être de ma faute, que j’avais dû faire quelque chose qui… Bref, elle m’a tourné le dos. Cettecicatrice, je la lui dois, il me l’a faite en gage de sa propriété sur moi. À dix-huit ans, je suis partie.Puis, j’ai rencontré Hugo en thérapie, il a été ma bouée de sauvetage. À cette époque, je me mutilaisle ventre pour atténuer la souffrance. Nous avons ensuite emménagé à Montpellier. Mais j’ai dû fuirrapidement. Apparemment, mon beau-père n’entendait pas me laisser en paix. Plus tard, soutenue parHugo, j’ai décidé de déposer une plainte, mais, malheureusement, cela n’a pas abouti. C’était saparole contre la mienne et ma mère n’a rien arrangé en me peignant, lors de son audition, comme unementeuse. Je pense qu’elle s’est protégée de cette façon, à mes dépens… Depuis, il ne cesse de mepoursuivre. Hugo et moi avions emménagé à Toulouse, mais il m’a retrouvée et a tué mon amie,Céline, pour me rappeler qu’il serait toujours sur mon chemin. J’ai donc atterri à Paris,temporairement, car je sais qu’il refera surface tôt ou tard. Je suis une menace, Ethan, je te mets endanger en étant avec toi. Voilà pourquoi je devais poser des barrières entre nous. Mais je n’y arriveplus, je t’aime trop.

Je me tais. Tremblante, j’attends sa réponse, me préparant à ce qu’il soit dégoûté de moi. Soudain,il attrape mon visage entre ses mains, me forçant en douceur à lui faire face. Ses traits sont tordus parla douleur et ses yeux emplis de larmes.

— Il ne t’atteindra plus jamais, mon amour. Tu entends ? Plus jamais. J’y veillerai. Et je t’interdisde t’inquiéter pour moi, il ne pourra rien contre moi.

Il me prend alors délicatement dans ses bras.— Je suis désolé de ce qu’il t’est arrivé, Emily, je ne peux rien faire contre cela et ça me met hors

de moi. Je t’aime.Il m’embrasse tendrement.— J’ai peur, Ethan, lui dis-je en levant les yeux vers lui, j’ai peur de ne plus t’attirer, de te

dégoûter.— Jamais, mon amour, me sourit-il, rassurant.— Prouve-le-moi, je t’en prie. J’ai besoin de savoir que cela n’a rien changé entre nous de ce

point de vue là. Tu m’as sauvée aussi, Ethan, à ta façon. Tu m’as appris que le sexe peut être unebonne chose, qu’il peut être doux et délicieux. Montre-moi…

Je le supplie, les yeux pleins de larmes. Alors, il m’embrasse de nouveau tout en glissant sesmains sous mon débardeur. Il se met à me caresser doucement la poitrine. Immédiatement, mon corpsrépond à ses appels. Je passe mes mains sous son t-shirt et pars à l’exploration de son torse. Sonbaiser se fait plus fougueux et je sens contre ma cuisse son désir pour moi. Il me retire mon débardeuret j’en fais de même avec son t-shirt. Nous nous retrouvons peau contre peau. Il fait descendrelentement sa main le long de mon corps, puis sous mon pantalon jusqu’à mon entrejambe. Nossouffles se font haletants. Il m’ôte mon jogging rapidement tandis que je fais glisser le sien le long deses jambes. Il se positionne au-dessus de moi et je vois dans son regard tout l’amour qu’il me porte.Il se penche et m’embrasse. Je supplie à nouveau contre ses lèvres :

— Montre-moi.Alors, lentement, tendrement, il me pénètre, m’emplit jusqu’à la garde et commence un délicieux

mouvement de va-et-vient. Je me mets à onduler en cadence et je laisse le plaisir m’envahir. Nosregards s’accrochent et, à ce moment, nous comprenons tous les deux qu’il n’y a plus de domination,plus de soumission. Nous sommes à égalité. Nous ne faisons plus qu’un. Mon désir me vrille et c’est

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en tremblant que je m’éparpille, incandescente, autour de lui, au moment où il m’inonde de son amouren criant mon prénom. Il s’effondre sur moi, haletant et en sueur. Nous restons là, silencieux, aucunmot n’est nécessaire, tout a été dit. Je lui caresse les cheveux, heureuse, légère, libérée de messouffrances.

— Je ne t’abandonnerai pas, Ethan, je te le promets.Pour toute réponse, il resserre ses bras autour de moi. Alors, je réalise que, pour la première fois

de ma vie, j’ai fait l’AMOUR.En sortant de la douche, je rejoins Ethan dans la cuisine. Il est au téléphone. Je hausse les sourcils,

réprobatrice. Nous avions convenu d’un week-end sans téléphone.— C’est Hugo qui appelle pour avoir de tes nouvelles, me dit-il, l’air de rien. Bien, continue-t-il à

l’intention de son interlocuteur, je prends les dispositions nécessaires. Tiens, me dit-il en me tendantle combiné.

— Salut, Bébé !— Salut, toi, ça va ?— C’est à toi qu’il faut demander ça. Ethan m’a expliqué que tu lui avais tout balancé ! Putain,

Emy, c’est énorme ! C’est super !Je sens qu’il est heureux pour moi et je souris.— Ouais, je sais, de quoi parliez-vous ? dis-je curieuse de connaître ces dispositions qu’Ethan

évoquait.— Oh, de trucs pour ta sécurité et la mienne apparemment, soupire Hugo au bout du fil.Mon cœur se gonfle d’amour pour Ethan, il se soucie d’Hugo aussi. Il a pris mon histoire très au

sérieux et cela n’était jamais arrivé depuis Hugo. Il veut me protéger. Des larmes me brûlent les yeuxà cette idée.

— T’es toujours là ?— Oui, désolée, on se voit demain, à mon retour ?— OK, amuse-toi bien. Hey, Emy ?— hum ?— Je suis fier de toi et heureux que tu aies trouvé Ethan.— Oui, moi aussi, à demain, je t’aime.— Je t’aime aussi.Je raccroche et me tourne vers Ethan, affairé à préparer le dîner.— Je t’aime ? me demande-t-il.— Oh, tu sais, Hugo et moi, c’est comme cela.— Je comprends, me sourit-il, mais ça fait bizarre de te l’entendre dire à quelqu’un d’autre.— Je t’aime.Il me lance un grand sourire.— Je ne m’en lasserai jamais, dit-il.— J’espère bien. Qu’est-ce que tu prépares de bon ?— Spaghettis à la bolognaise, enfin, je me contente de réchauffer le plat selon les instructions

d’Elena. Et voilà, y’a plus qu’à patienter.Je le regarde se diriger vers la chaîne hi-fi qui se trouve dans le salon. Il la met en route et je

reconnais immédiatement la musique qui émane des enceintes.— Charles Aznavour ? dis-je, ébahie

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— Oui, tu n’aimes pas ?— Au contraire, j’adore ses chansons, elles sont tellement intenses.Il me sourit et monte le son.

You are the one for me, for me, for me, formidable

You are my love very, very, very, véritable

Et je voudrais pouvoir un jour enfin te le dire

Te l’écrire

Dans la langue de Shakespeare

My daisy, daisy, daisy, désirable

Ethan se met à fredonner, il avance vers moi en dansant et en claquant des doigts. Arrivé à mahauteur, il m’attrape par la taille et m’entraîne avec lui dans la danse en chantant. Je remarque qu’il aune très belle voix. Il rit, radieux.

Je suis malheureux d’avoir si peu de mots

À t’offrir en cadeaux

Darling I love you, love you, darling I want you

Et puis c’est à peu près tout

You are the one for me, for me, for me, formidable !

Et nous tournons, je ris aux éclats, comblée. Nous continuons à danser et à fredonner CharlesAznavour.

— J’aime te voir heureuse, me chuchote Ethan à la fin de la chanson.— J’aime t’entendre chanter.Il me fait un clin d’œil et se dirige vers notre repas qui est prêt. Le dîner se déroule dans la même

allégresse. Tout me paraît plus facile depuis que je me suis ouverte à cet homme. Une fois repus, nousdébarrassons ensemble et nous attaquons la vaisselle en chahutant avec l’eau comme deux enfants.J’aime le voir ainsi : heureux et spontané.

Ensuite, nous nous installons sur le divan devant la cheminée, nous abandonnant dans lacontemplation des flammes qui dansent au rythme de la musique classique qui résonne, à présent, ànos oreilles.

— Je pourrais m’habituer à ça, me murmure-t-il en me caressant le bras.— Hum ?— A tout ça, toi et moi, seuls au monde, l’amour…— Moi aussi, dis-je en réprimant un bâillement.— Tu es fatiguée ?— Oui, un peu— Ça a été une sacrée journée, me sourit-il.— Mmm...

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— Allez, viens, je t’emmène au lit.— Oh non, on est si bien ici, près de la cheminée.— Bien.Il se lève et attrape un plaid sur le fauteuil en face. Il revient s’installer contre moi et l’étend de

façon à nous couvrir tous les deux. Je me love contre lui, calant ma tête contre son torse tandis qu’ilreferme ses bras autour de moi.

— Je t’aime, me murmure-t-il— Pas autant que moi je t’aime.— Ça reste à voir.Il embrasse le sommet de ma tête. Et je sens un sourire se dessiner sur ses lèvres. Qui aurait cru,

ce matin encore, que mon existence serait tant chamboulée ? Pas moi en tout cas. Et pourtant,tellement de choses ont changé. Tout ce qui nous séparait hier encore n’est plus. Fini les secrets. Jesouris à la vie. Bercée par sa respiration, le crépitement des flammes et les nocturnes numéro vingtde Chopin qui résonnent doucement dans le salon, je m’endors, pour la première fois, apaisée etsereine. Je l’entends me murmurer :

— Bonne nuit, mon amour.

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Chapitre 18

Cher journal,

Nous sommes rentrés depuis plus d’une semaine de notre merveilleux week-end enÉcosse. Celui qui a changé ma vie et depuis je flotte sur un petit nuage, tout est siextraordinaire. Oh, cher ami, toutes les barrières qui nous séparaient sonttombées. Je découvre à vingt-sept ans ce que signifie filer le parfait amour. Et jene suis pas la seule ! Ethan m’a confié, qu’à trente ans, lui non plus n’avait jamaisconnu cela. Deux adolescents, voilà ce que nous sommes ces derniers jours. Oh, jesuis si heureuse. J’ai enfin droit, il me semble, à ma part de bonheur. Ethan m’apromis que nous reviendrons bientôt dans la maison écossaise. Je l’espère, elleabrite désormais le souvenir de nos premières amours…

Je suis assise à mon bureau, pensive. Depuis le week-end dernier, tellement de choses ont changé.Ethan s’est fait un devoir d’assurer ma protection. Partout où je vais, je suis accompagnée de Swan,son chauffeur et garde du corps. Ce qui a d’ailleurs occasionné une dispute.

Le dimanche soir, une fois à Paris, il énonça « les mesures visant à me rassurer ».— Swan t’escortera désormais. Je ne veux plus te voir sortir seule.— Tu ne veux plus ? m’étais-je énervée.— Non. Par ailleurs, il serait plus prudent que tu quittes ton appartement. Tu pourrais venir

t’installer chez moi ?— Quoi ?J’étais folle de rage. Qu’il s’inquiète et souhaite prendre ma protection en main, passe encore,

mais m’enfermer dans une prison dorée, non merci.— Écoute, Ethan, je me suis bien débrouillée seule, jusqu’à présent. Que tu te fasses du souci, ça

me touche beaucoup, mais de là à me surprotéger, je ne suis pas d’accord. J’aime mon indépendanceet je ne suis pas prête à vivre avec toi, surtout pour les raisons qui te poussent à me le proposer. Jeveux que tu le désires vraiment et pas que tu me l’imposes sous prétexte que mon passé est encore àma recherche.

— Emily, j’en ai très envie aussi, avait-il tenté d’argumenter.— C’est non. Comprends bien, j’ai toujours pris soin de moi seule et ce n’est pas évident pour

moi d’accepter ce que tu me demandes.La dispute s’était clôturée sur notre entêtement réciproque. Certes, sa façon de me surprotéger est

plaisante, ça me rassure, mais pas au point de m’enfermer chez lui. Je ne suis pas prête à sacrifier lepeu de liberté acquis au profit d’une prison. Même si mon geôlier est on ne peut plus agréable àsupporter.

Suite à cela, nous sommes arrivés à un compromis. J’accepte d’être escortée par Swan lors demes sorties et je continue à vivre chez moi, comme avant mes révélations. Bien sûr, nous passons laplupart de nos soirées ensemble. Quant à Hugo, il a également écopé d’un chauffeur-garde du corps.Oh, lui, ça lui convient de se faire traiter comme un prince. Mai, moi, j’ai l’impression que les gensfont plus attention à moi quand je sors de l’énorme SUV, accompagnée par l’imposant Swan. Cela memet très mal à l’aise. Je passais inaperçue, au moins, lorsque je descendais d’un taxi. Que ne faut-ilpas faire pour rassurer son petit ami hyper protecteur !

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Petit ami. Ça me fait tout drôle. J’ai un petit copain !Je glousse intérieurement.Je pousse un soupir, il est temps de me consacrer à mon travail. Je regarde désespérément la pile

d’articles à corriger pour « hier » selon les propos de mon patron.— Quand je pense que l’on n’est que jeudi, dis-je dans ma barbe en attaquant le premier

document.J’en suis à mon sixième texte lorsque la sonnerie de mon téléphone portable me fait sursauter.

Un déjeuner avec moi, ça te tente ?

C’est Ethan. Depuis bientôt deux semaines, il m’invite à le rejoindre le midi. Cela m’a permis dedécouvrir un peu plus son univers. J’avais peur, après notre week-end déconnecté du monde, que leretour à la réalité ne brise la complicité qui nous avait unis durant ces deux jours. Mais rien n’achangé. Ethan est toujours aussi prévenant, amoureux et heureux. Un vrai bonheur.

Pas de souci, mais je risque d’avoir un peu de retard.Beaucoup de travail.

Je soupire. Il ne cesse de me répéter qu’il est idiot de garder mon emploi, d’être l’esclave d’unpatron, alors que je pourrais vivre tranquillement des revenus de mes romans. Il ne comprend pas queje puisse avoir besoin de cela. Je soupçonne qu’au fond, il lui plairait de me savoir à la maison, àl’attendre bien sagement.

OK, mais ne sois pas trop longue !Il me tarde de te voir, j’ai quelque chose pour toi.

Je souris en pensant au cadeau que je lui ai acheté pour le remercier de cette manie qu’il a prise.Depuis notre week-end « révélations », la semaine passée, il ne cesse de me couvrir de présents, celacommence à me mettre mal à l’aise. Je n’ai pas l’habitude d’être choyée ainsi. Des robes, des objetsdivers pour mon appartement, un plaid écossais – rappel de notre nuit écossaise — et un magnifiquecadre avec un cliché aux dimensions démesurées de nous deux sur lequel je rigole tandis qu’il meregarde tendrement — c’est son nouveau hobby, nous prendre en photos. Je l’ai accrochée au-dessusde mon bureau à la maison. J’ai remarqué, l’autre jour, qu’il a installé un double, plus petit, sur sonbureau quelques étages plus haut. Ça m’a fait fondre.

Quel homme merveilleux !Je replonge le nez dans mes corrections, histoire de rejoindre le plus rapidement possible mon

petit ami — décidément, j’ai du mal à m’habituer à ce terme. Je jette un coup d’œil à la pendule :onze heures une minute. Bon, ça devrait être jouable si je ne suis plus dérangée.

Il est midi cinq quand je quitte mon bureau et monte dans l’ascenseur, direction le dernier étage.Les portes s’ouvrent sur un hall au sol carrelé de blanc et au mur anthracite. Une immense baie vitréesur ma droite diffuse la lumière extérieure. Sur la gauche, un coin a été transformé en salle d’attenteconfortable : canapés et fauteuils en cuirs gris, une petite table basse, des plantes disposées de part etd’autre. Face à moi trône le comptoir d’accueil derrière lequel se tient la réceptionniste. Ses cheveuxbruns attachés en un chignon très strict s’accordent parfaitement avec son teint hâlé. Des sourcils biendessinés bordent ses yeux marron. Ses lèvres carmin s’étirent sur un sourire poli. En passant, je lasalue. De sa main manucurée, elle me fait signe d’entrer dans le bureau d’Ethan. Malgré tout, je

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frappe deux petits coups discrets sur la porte blanc laqué pour m’annoncer et entrouvre la porte. Il estdebout, face à moi, près de son immense table de travail en acajou. Derrière lui, une fenêtre éclairela pièce. De chaque côté les murs blancs sont parsemés d’écrans télé qui diffusent les informations dedifférents pays. Sur ma droite, un espace salon. Un canapé et deux fauteuils noirs encadrent une tablebasse en verre poli. Je fais un pas sur la moquette grise.

Comme à chaque fois, je suis ébahie par sa prestance. Les jambes légèrement écartées, les brascroisés sur la poitrine, il discute dans l’oreillette fixée à son oreille. Le businessman dans toute sapuissance. Le voir ainsi, si viril, si sûr de lui, si sexy réveille des spasmes de désir au creux de monventre.

Je pénètre dans la pièce et referme délicatement la porte derrière moi en essayant de faire lemoins de bruit possible. Ethan m’entend néanmoins et, quand il se tourne vers moi, un grand sourireillumine son visage. Il me fait signe d’approcher tandis qu’il continue sa conversation. Je pose monsac à main sur un fauteuil et le rejoins à pas feutrés. Il dépose un baiser silencieux sur mes lèvres,m’attrape par la taille et me plaque contre lui. Je me love dans ses bras et l’écoute parler detechnologie. J’aime le son de sa voix.

— Bien, dit-il, je vous laisse préparer le contrat. Faites-le parvenir à mon avocat, conclut-il.Il déconnecte l’oreillette et la dépose sur son bureau. Au même moment, son interphone retentit, il

l’enclenche.— Oui ?— Monsieur, votre repas vient d’arriver, indique Marie — sa réceptionniste.— Bien, merci, vous pouvez me l’apporter, intime-t-il avant de couper, je nous ai commandé des

salades, des fraises et de la chantilly, ajoute-t-il, malicieux, à mon intention.— Oui, mais ne t’avise pas de faire mumuse avec la crème, dis-je en secouant l’index.— Hum, se contente-t-il de répondre tandis que Marie entre, les sachets à la main.— Posez ça ici, lui ordonne-t-il, sur le ton du patron, en lui indiquant la table basse, merci.— Merci, dis-je à sa réceptionniste avec un sourire.Elle me rend mon sourire, timidement, et quitte la pièce.— Tu pourrais être un peu plus aimable avec elle.— Je ne la paye pas par amabilité, mais pour qu’elle soit efficace.— C’est bien là un discours de patron, je suis sûre que le mien pense la même chose.— À la différence près que tu as les moyens, s’il te plaisait, de lui claquer la porte au nez, me

sourit-il, ironique.Je ne réponds pas, n’ayant pas envie de dériver sur une dispute concernant son désir de me voir

rester à la maison. Je me dirige vers la table et dispose notre repas. Je l’entends fouiller dans un deses tiroirs et s’approcher de moi. Il m’enlace et me tend un petit paquet.

— Tiens !— Encore un cadeau ?— Tu ne l’ouvres pas ? me demande-t-il, inquiet, tandis que je pose le paquet sur la table.— Si, dans une minute, dis-je en récupérant mon sac à main, j’ai quelque chose pour toi moi aussi.Je suis un peu anxieuse à l’idée que mon présent lui déplaise. Il hausse un sourcil, perplexe.Ah ! Tu ne t’y attendais pas !Je lui tends mon cadeau timidement.— J’espère que tu aimeras.

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Je me dandine d’un pied sur l’autre, mal à l’aise, tandis qu’il déballe le paquet et soulève l’écrinCartier. Lorsqu’il découvre le bracelet en or jaune, niché au milieu, ses yeux pétillent de plaisir.

— Emily, il est magnifique.Il sourit en prenant le bijou délicatement. Il remarque alors la petite gravure à l’intérieur.— Une chaîne ?— Oui, une chaîne brisée, pour te rappeler chaque jour que tu m’as libérée de mes démons et

éveillée à l’amour. Tu m’as sauvée, Ethan.— C’est toi qui m’as éveillé à l’amour, mon ange, répond-il, ému. Merci.Je ne sais s’il me remercie pour mon présent ou pour autre chose. Il enfile le bracelet et visse le

fermoir avec le petit tournevis. Les yeux pétillants, il contemple son poignet.— Tu l’aimes ?— Bien sûr, Emily, il est magnifique, tu es merveilleuse. Tiens, ouvre.Il me tend à nouveau son paquet. Je déballe mon cadeau, curieuse, et ne peux m’empêcher de

sourire en constatant que nous avons eu le même fournisseur.— Cartier ?— Oui, répond-il, j’aime beaucoup ce qu’ils font.— Moi aussi.— Encore un point commun à ajouter sur la liste.— Parce qu’il y a une liste ?— Je plaisantais, Emily, allez, ouvre, s’impatiente-t-il.J’adore cette expression enfantine quand il est pressé de me faire découvrir ce qu’il m’a acheté.

C’est d’ailleurs ce que je préfère dans ses cadeaux : son plaisir à me les faire. Je soulève l’écrin ethoquette de stupeur face à la splendeur du bijou qui s’y trouve — et qui doit valoir une fortune à côtédu mien. C’est un collier en or gris, relié sur le devant par deux petits anneaux, sertis de diamants,qui s’entrelacent. Une inscription à l’intérieur de chacun.

— Jamais sans toi, dis-je, les yeux brûlants de larmes. Il est magnifique, Ethan, merci.Il s’empare du bijou et le passe autour de mon cou.— Je t’aime, se contente-t-il de répondre en m’enlaçant.Nous sommes installés tranquillement autour de la table à déguster nos salades.— Isabelle est venue me voir ce matin, m’annonce-t-il entre deux bouchées.— Ah !— Je souhaitais te le dire avant qu’il ne lui prenne encore l’envie de descendre te trouver. Je ne

sais pas très bien ce qu’elle voulait. Elle était bizarre.— Ah ! Merci de me prévenir.Il hoche la tête et n’en ajoute pas plus. Cela tombe bien, tout ce qui concerne cette garce m’est

complètement égal. Nous finissons notre déjeuner rapidement. Ethan a une réunion et moi une tonnede corrections à terminer.

— J’ai un repas d’affaires ce soir, m’annonce-t-il hésitant, et j’aimerais que tu m’accompagnes.Mes collaborateurs amènent leurs femmes et…

— Non, dis-je, catégorique, je ne peux pas me montrer en public avec toi, tu le sais.— Allons, Emily, supplie-t-il.— Non, et puis, ce genre de dîner guindé, ce n’est pas mon truc.— Bien, je m’incline, répond-il, déçu.

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Je soupire, même si cela me plairait de sortir avec Ethan, de faire ce que tous ces autres couplesfont : restaurant, cinéma, balade en bateau-mouche…, avec lui, je ne peux pas. Il est trop célèbre et jene peux prendre le risque d’être vue avec lui. Ce serait nous mettre en danger tous les deux.

— Je suis désolée, mais c’est trop risqué.— Je sais, mon amour, je comprends. Ça m’aurait plu de t’exhiber à mon bras, me sourit-il.— Merci.Je me lève, l’embrasse tendrement et quitte notre bulle à regret pour retourner à mes corrections.Dans l’ascenseur, je fais rouler les anneaux de mon collier, pensive. Je me demande, si un jour, je

pourrai sortir au grand jour avec Ethan sans risques. Une femme monte à mes côtés. Elle me dévisageavec insistance. Cela me met mal à l’aise. Discrètement, je vérifie dans le reflet du miroir latéral siun deuxième nez n’a pas poussé au milieu de mon visage. Quand les portes s’ouvrent sur mon étage,je suis bien heureuse d’échapper à ce regard inquisiteur.

De retour à mon bureau, je tente de me remettre à mes corrections, mais l’attitude de la femme del’ascenseur me travaille. Je hausse les épaules et décide de ne pas me formaliser. Je plonge dans lesvirgules, les fautes d’orthographe et de grammaire en tout genre, et le regard insistant disparaît aufond de ma mémoire.

Soudain, je suis tirée de mes réflexions par mon portable qui sonne. C’est Hugo, je souris etdécroche.

— Hey, cou...— Emy, mon Dieu, c’est partout, me hurle Hugo avec des accents hystériques.Mon cœur accélère, flairant un danger.— Qu’est-ce qui est partout ?Au même moment, Ethan fait irruption dans mon bureau, le visage déformé par l’effroi. Je le fixe,

interloquée.— Des photos, Emy. De toi et Ethan à la boîte de nuit. C’est sur le net et dans les magazines

people, crie Hugo, paniqué.Je m’accroche au regard d’Ethan et tente de faire surface, mais l’angoisse me tire vers le fond.— Ils citent ton nom…Sa voix se fait lointaine. Je ne perçois plus qu’un chuchotis qui m’appelle désespérément.— Emy, tu es là ? Emy ?Des photos avec mon nom, je lui suis servie sur un plateau d’argent. Il va arriver. Il va me

trouver. Il faut que je remue, que je bouge, que je me sauve. Pourquoi mon corps refuse-t-il d’obéir?

Je tente désespérément de m’accrocher aux yeux d’Ethan et à la voix lointaine d’Hugo, maisl’angoisse m’entraîne avec elle.

Tout se brouille.Je sombre…

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Chapitre 19

Cher journal,

Des photos d’Ethan et moi ont été publiées par les médias. Elles nous montrent,sortants de la boîte de nuit où il est venu me récupérer, il y a presque deuxsemaines. Ils ont réussi à découvrir mon identité et mon adresse. Oh, cher ami,combien de temps me reste-t-il avant de trouver un message ou un nouveau mort ?Mon passé sera là sous peu et je m’y résous. Je suis lasse de fuir. J’espère justequ’il se contentera de moi. Je mourrai bientôt, je le sais, mon ami. Il tiendra sapromesse. Mon cœur est déchiré et saigne. Je vais devoir quitter ce monde, quitterl’amour et affronter l’enfer. Je suis résignée, mon ami…

« Une nouvelle femme dans la vie d’Ethan Reed.Mais qui est donc Emily Maricourt ? »

Je relis la légende pour la centième fois depuis que je suis rentrée chez moi. Je suis assise sur monlit, abasourdie. J’entends vaguement Ethan discuter au téléphone dans le salon. Il est furieux. Ilcherche à savoir qui a dévoilé mon identité aux médias. Je trouve cela bien inutile. Il est trop tard, lemal est fait. Mais je pense qu’il a besoin de s’activer, de s’occuper. Moi, je ne peux pas, je suisengourdie. La seule interrogation qui me taraude c’est : quand ?

Combien de temps avant qu’il n’arrive jusqu’à moi ? Plus très longtemps, j’en suis sûre. Il est sansdoute déjà là à m’épier, à fantasmer sur les différentes manières de me tuer. Ainsi va la vie. J’auraisau moins connu le bonheur. Très peu de temps, certes. Je souris mélancoliquement. Ethan memanquera terriblement, mais je partirai la tête pleine de souvenirs de nous deux. Machinalement, jeporte les mains au magnifique collier qu’il m’a offert plus tôt dans la journée. Jamais sans toi. Je nesais pas ce qui m’attend dans l’au-delà, mais je suis sûre qu’une part de moi sera toujours près de lui.

Oh, mon amour, me pardonneras-tu de devoir t’abandonner ?Je sens une larme couler le long de ma joue. Il va tellement souffrir. Mes pensées se tournent vers

Hugo. Lui aussi me manquera, tout autant que je lui manquerai. Je ferme les yeux et essaye de meremémorer un maximum de moments passés avec mon ami. Soudain, le visage de Céline s’impose àmon esprit.

Oh, ma douce amie, te reverrai-je ? M’attends-tu de l’autre côté ?Je sais que tout cela devrait me faire peur, mais ce n’est plus le cas. Ma décision est prise. Je ne

fuirai plus. Je ne le peux plus. Premièrement, parce que je suis fatiguée de tout cela et, deuxièmement,je ne peux pas, sinon je suis persuadée qu’il se vengera sur Ethan ou Hugo. Je ne pourrai passupporter cela. Alors voilà, je reste là, engourdie, résignée, et j’attends le moment où il me faudraaffronter mon passé.

— Hey !Je lève les yeux, sortant de mes réflexions, et contemple le visage de mon ami. Je veux

emmagasiner le moindre détail de ses traits.— Hey, dis-je, la voix rauque.— Ça va ? Tu tiens le coup ?

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— Oui, ne t’inquiète pas pour moi.— Ethan parle de te faire quitter la France quelque temps.Je hoche la tête. Pas question de leur avouer mes véritables projets. Ils essaieraient de les déjouer

au péril de leur vie.— On verra.Il s’approche de moi et s’installe à mes côtés sur le lit. Il retire le magazine de mes mains. Les

photos d’Ethan et moi, de notre premier baiser, s’éloignent.— Arrête de regarder ça.— Oh, à vrai dire, je ne le regardais même plus.Je tente un mince sourire.Dieu que ça va être dur de te quitter !— Je réfléchissais, dis-je en me levant, s’il devait m’arriver quelque chose…— Ne dis pas ça, Emy.Je balaye sa protestation d’un revers de la main et me penche sous mon lit. J’en retire une petite

mallette. Je la pose à côté de lui et me rassieds.— Si un jour, il devait m’arriver quelque chose, je veux que tu récupères ça et que tu les gardes

pour moi.J’ouvre la valise et lui désigne tous les cahiers qu’elle contient.— Il ne t’arrivera rien, Emy— S’il te plaît, Hugo, promets-le-moi.— OK, OK, je promets, Emy !Il tend le bras et attrape un des cahiers. Je me raidis, sachant ce qu’il va y lire, mais ne l’en

empêche pas, car, bientôt, tous mes journaux intimes seront à lui. Une part de moi sera toujours prèsde lui. Il ouvre celui qu’il tient dans la main, intrigué. Il commence à lire un passage au hasard. Jevois ses lèvres bouger au rythme de sa lecture. Il pâlit.

— Emy, c’est…Il perd ses mots. Je soupire— C’est toute ma vie, Hugo, mes horreurs et aussi mes bonheurs. C’est pour cela qu’il faut que tu

me promettes de les garder avec toi.Dans ma gorge, un sanglot m’étouffe. Je me lève et me rends à la salle de bain pour cacher mon

trouble.— Tu m’excuses ? J’ai besoin de... Tu pourrais remettre la mallette à sa place ? Je n’aimerais pas

qu’Ethan tombe dessus.Il acquiesce en refermant la valise. Je pousse la porte derrière moi et soupire. Il ne faut à aucun

moment qu’il devine mes véritables intentions. Je décide de prendre une douche brûlante pour tenterde faire fondre les nœuds d’angoisse qui me nouent le corps. J’ai beau être résignée à boucler laboucle, ça n’en est pas moins douloureux. Je me glisse sous l’eau chaude et savoure le bien-êtrequ’elle me procure.

— Emily, tu as faim ? me demande soudain Ethan que je n’avais pas entendu entrer.— Oui, maintenant que tu le proposes.— OK, je nous fais livrer quelque chose, qu’est-ce qui te tente ?Spontanément, je réponds :— Un hamburger.

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Petite, j’enviais mes amies de l’école qui pouvaient se régaler avec la nourriture des fast-foods.C’est puéril, mais, en cet instant, j’ai envie de faire des choses que je ne pourrai plus jamais faire. Jecomprends soudain que tout est sûrement la dernière fois. Dernière douche, dernier repas, dernièrefois avec Ethan… Je suis une condamnée dans le couloir de la mort. Cette idée me tord le cœur. Jeprends une grande inspiration, il faut que je profite de tout un maximum.

— Va pour les hamburgers, alors, me dit Ethan en quittant la pièce.Je m’attarde sous l’eau, bien décidée à me délecter le plus possible de la chaleur qui se distille

dans mes veines. Les petites choses deviennent magiques lorsqu’on sait qu’on les perdra bientôt. Unefois que ma peau a viré au rouge vif et que j’ai des vertiges tant il fait chaud dans la vapeur, je sorspour me sécher et enfile à la hâte un short et un t-shirt.

Je retrouve Ethan, seul dans le salon, toujours en costume. Je jette un coup d’œil circulaire et nevois pas Hugo, mon pouls s’accélère. Quand il m’aperçoit, Ethan vient m’enlacer, le regard inquiet.

— Ça va, toi ?— Oui, ne t’inquiète pas, je gère.Phrase à double sens pour quiconque connaît mes projets.— Où est Hugo ?— Il est rentré chez lui. Ne te tracasse pas, il ne craint rien, un garde est posté devant sa porte. Et

Swan, devant la nôtre.Je me love dans ses bras. « Devant la nôtre », j’aime comment il me dit ça. Je ferme les yeux.

Finalement, je pense que j’aurais adoré vivre avec lui, dans notre maison… Mais ça, je ne le sauraijamais.

Nous nous installons sur le canapé pour manger nos hamburgers qui viennent d’être livrés. Ethanmet la radio en route tandis que je déguste, gourmande, mon dîner.

— Tu vas travailler demain ?— Bien sûr, que crois-tu ? Que je vais rester confinée à attendre ? — encore une phrase à double

sens. Je vais devenir folle si je reste enfermée.— D’accord, mais Swan ne te quitte pas d’une semelle.Je m’apprête à protester, mais à quoi bon le contrarier et provoquer une dispute, alors que je ne

sais pas combien de temps nous avons encore. J’acquiesce. Il hausse les sourcils, surpris, mais nerelève pas. Je lui souris.

— J’ai pensé, reprend-il, que ce week-end nous pourrions partir quelque part, si tu as envie. Biensûr, Hugo pourra nous accompagner.

— Oui, pourquoi pas !Aurais-je seulement un autre week-end ?— Nous irons où tu le souhaiteras, mon amour, me susurre-t-il en venant déposer un baiser dans

mon cou.— L’Italie. J’ai toujours rêvé de visiter Rome.— Alors, va pour Rome, rigole-t-il en continuant de m’embrasser. Tout ce que je veux, Emily,

c’est que tu cesses de te tracasser. Je m’occupe de tout. Je mettrais la main sur lui avant qu’il ne tetrouve.

Je lui souris tendrement, mon cœur douloureux se gonfle d’amour. À Rome avec Ethan, si j’aidroit à un autre week-end, c’est une perspective alléchante.

— Hugo sera ravi.

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Les paroles de la chanson qui passe à la radio attirent mon attention, je la reconnais pour l’avoirdéjà entendue. Parce que c’est toi. Cette fois, elle me tord le cœur.

Je connais par cœur ton visage

Tes désirs, ces endroits de ton corps

Qui m’disent encore

Parce que nous c’est fort

Parce que c’est toi, j’oserais tout affronter

Et c’est toi à qui j’pourrais pardonner

Parce que c’est toi

Rien que pour ça

Parce que c’est toi, j’voudrais un jour un enfant

Et non pas parce que c’est le moment

Parce que c’est toi

Je veux te voir dedans

J’verrais dans ses yeux tous ces petits défauts.

Je regarde Ethan, occupé à déguster son hamburger. Une boule se forme dans ma gorge. Cettechanson prend alors tout son sens pour moi. Aucun mot ne peut mieux résumer ce que je ressens pourlui, la promesse de ce que notre vie aurait pu être. Je sens les larmes picoter mes yeux et me dépêchede plonger dans mon assiette avant qu’il ne remarque mon désarroi.

Soudain, son téléphone sonne, il marmonne quelque chose que je ne saisis pas et se lève pourattraper son portable sur le comptoir de la cuisine.

— Allo, répond-il, sèchement. Oui… de quoi... vous êtes sûr que c’est elle... Bien, merci.Il raccroche, visiblement très en colère.— Ça va ?— Non, ça ne va pas, crache-t-il en venant s’effondrer sur le canapé. Je ne comprends pas,

reprend-il d’une voix angoissée en cachant son visage dans ses mains.Je me rapproche de lui. Il lève les yeux vers moi.— C’est Isabelle qui a donné ton identité aux médias.— Oh, je… je suis désolée, Ethan.La garce !— Tu es désolée ? éclate-t-il, me décontenançant. Elle balance ton nom, elle te met dans une

situation pas possible et, toi, tu es désolée ?— Elle ne pouvait pas savoir.À quoi bon se brouiller avec elle, quand c’est tout ce qui lui restera après mon départ ? La seule

personne à qui il pourra se raccrocher.

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Ah ! mon tendre amour solitaire !— Et alors ? me demande-t-il, plein de rage — contre moi ?Je me tasse sur le fauteuil, essayant de me faire toute petite. Pourquoi faut-il qu’il s’énerve ainsi ?

Voyant mon air paniqué, il se radoucit aussitôt.— Pardon, mon ange, tes réactions me désarçonnent parfois.— Pardonné.Je lui souris. Pas question de perdre ces précieux moments en disputes. Il me prend dans ces bras

et m’embrasse avec fougue. Je me colle à lui et agrippe ses cheveux pour souder nos têtes. Soudain,il me soulève tendrement et se dirige vers ma chambre. Avant de quitter la pièce, je jette un dernierregard à mon hamburger tout juste entamé.

Bah, tant pis !Il me pose délicatement sur le lit et se positionne au-dessus de moi. Je plonge mes yeux dans les

siens et le supplie :— Prends-moi.— Emily !— Prends-moi, Ethan, tout de suite, j’en ai besoin.Mon corps se tend violemment vers lui. À mon désir se mêlent mon désespoir et mon angoisse.

J’ai besoin de lui en moi, une dernière fois. Je me déshabille frénétiquement et il en fait de même. Jele pousse sur le dos et m’empale sur lui sans plus de cérémonie. Je commence à onduler, il m’offreses mains pour que j’y prenne appui. Je lui fais l’amour avec rage, y mettant tout mon désespoir de luidire au revoir. Et c’est en larmes que je m’éparpille en mille morceaux autour de lui, immédiatementrejointe par sa jouissance. Je m’effondre alors sur lui. Il m’enserre tendrement dans ses bras.

— Je t’aime, dis-je en éclatant en sanglots.— Allons, Emy, tout va s’arranger, me chuchote-t-il en resserrant son étreinte.Si seulement, Ethan, si seulement !Épuisée, je sombre dans un sommeil agité

***

Je suis réveillée par une délicieuse odeur de café. Je soulève mes paupières et découvre Hugo aupied de mon lit. Je me hâte de remonter les couvertures pour cacher ma nudité. Je rougis en leregardant avec de gros yeux.

— T’inquiète pas, Emy, j’ai rien vu, rigole-t-il. Tiens !Il me tend une tasse de café. Je le fixe, étonnée, et marmonne encore à moitié endormie :— Que me vaut ce plaisir de bon matin ?— Ethan a dû partir tôt. Il avait quelqu’un à voir, alors il m’a demandé de veiller sur toi. Et c’est

pas plus mal, imagine si c’était le malabar qui est posté devant ta porte qui avait été chargé det’apporter ton petit-déj ».

Nous gloussons à l’unisson. Je lui fais signe de se tourner. Il s’exécute en rigolant. Je récupèremon short et mon t-shirt au pied du lit et les enfile à la va-vite. Nous passons ensuite dans la cuisine,Hugo allume au passage la chaîne hi-fi et c’est en chanson que nous dégustons nos cafés. D’un tonfaussement détaché, je lui demande :

— Qu’as-tu prévu aujourd’hui ?

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— Je dois me rendre à un cours sur l’impressionnisme et toi ?Je ne sais pas encore, mourir peut-être ?Je comprends alors ce qui est le plus difficile : maintenir un semblant de normalité dans l’attente

que le couperet tombe.— Je vais bosser, mais je dois les appeler. J’irai plus tard, je ne suis pas très en forme.— Oui, tu as raison, repose-toi. Tu n’auras qu’à y aller cet après-midi.À ce moment, mon téléphone sonne. Je l’attrape.— C’est Ethan.— OK, je file, Bébé, à ce soir.Il m’embrasse sur le front et quitte l’appartement tandis que je décroche.— Coucou, démon.— Bonjour, mon amour, ça va ? Désolé, ce matin, j’ai dû partir rapidement, j’avais un rendez-

vous.— Pas de soucis.— Tu vas aller travailler ?— Oui, mais je vais les prévenir que je n’irai que cet après-midi. Je suis patraque.— Tu as raison, repose-toi, j’essaierai de venir déjeuner avec toi. Et si tu as besoin de quoi que

ce soit, appelle-moi.— Oui, merci.— Je dois te laisser, mon amour, un client arrive. Prends soin de toi.— Je t’aime.— Moi aussi.Il coupe. Un frisson me parcourt le dos, j’ai soudain la désagréable sensation que c’est la dernière

fois que je lui parle. Un poids appuie sur ma poitrine, m’empêchant de respirer correctement. Jem’allonge sur le canapé et applique une technique de respiration pour tenter de me calmer. Rien àfaire, je suis obligée de recommencer à plusieurs reprises. Une demi-heure après le commencementde ma tentative de relaxation, l’interphone retentit tout à coup. Je me dirige dans sa direction etdécroche.

— Mademoiselle, un colis pour vous, m’annonce la réceptionniste.— Faites monter, merci.Mon cœur s’emballe à toute vitesse, je tente de reprendre mon souffle. Je sais que ce n’est pas

mon passé qui va sonner à la porte. Néanmoins, il est l’expéditeur du paquet. Je me rends sur lepalier et tombe nez à nez avec Swan qui monte la garde.

— Un problème, Mademoiselle ?— Non, j’attends un colis.D’un air détaché, je lui souris.— Bien ! Si vous avez besoin, n’hésitez pas.— Merci.Le livreur arrive et me remet mon paquet. Je me dépêche de rentrer dans l’appartement afin que

Swan ne voie pas la peur sur mon visage. Je me dirige vers le salon et le dépose sur la table basse.Je m’assieds sur le canapé et fixe la boîte, n’osant l’ouvrir.

Ça y est, on y est !

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Je n’ai aucun doute concernant l’expéditeur. C’est mon arrêt de mort qui est posé devant moi. Jeprends une grande inspiration et soulève le couvercle.

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Chapitre 20

Cher journal,

C’est la dernière fois que je t’écris, il m’a retrouvée et je ne peux plus fuir, trop degens sont en danger par ma faute. Ce serait bien égoïste de ma part de me sauver ànouveau. Alors, voilà, c’est fini, je vais me rendre à lui et courir à ma perte. Tu asété un ami précieux toutes ces années. Mais aujourd’hui, ce sont nos adieux qui setracent. J’ai connu le bonheur, tu sais, et c’est heureuse que je vais mourir. Jelaisse mon cœur sur ces pages.

Il aura gagné mon corps, mais pas mon âme. Je te la confie, très cher ami, prends-en soin….

Je regarde, effarée, les premières photos que contient la boîte. Elles représentent Céline, inerte, leteint blafard, le visage déformé par la peur. Un filet de sang coule sur sa tempe. Elle est telle que jel’ai imaginée ces derniers mois. Allongée dans l’herbe, elle porte son survêtement rose. Celui-ci,déchiré à certains endroits, révèle les blessures qu’elle a reçues. Je mords mon poing pourm’empêcher de hurler. Je retourne les photos pour ne plus les voir et continue d’explorer le présentmacabre que m’a envoyé mon passé. Les clichés suivants montrent Ethan, quittant mon immeuble,montant dans sa voiture… Je les pose délicatement sur le côté et attrape celles qui suivent. J’ydécouvre Hugo, sortant à son tour, et je remarque que, dessus, il porte les mêmes vêtements que tout àl’heure. Le sang se retire de mon visage. Ces photos viennent d’être prises. Enfin, au fond de la boîte,je trouve une lettre.

Je t’ai retrouvée, petite pute,

Tu ne peux plus t’échapper. Regarde comme je peux atteindre ceux que tu aimes. Tues à moi, sale putain. Appelle-moi et je te dirai où me rejoindre. Ne tarde pas oùtes précieux amis le paieront de leur vie. Si tu as un doute, tu n’as qu’à penser à lajoggeuse.

Un numéro est inscrit en bas de la page. Mes doigts tremblent et, soudain, tout mon couragem’abandonne. J’ai peur, je suis terrorisée, j’ai de nouveau dix ans. Je ne sais pas combien de tempsje reste tétanisée, mon papier à la main. Puis, mes yeux se posent sur la photo d’Ethan et moi,accrochée au mur. Et je me perds dans sa contemplation. Je ne peux pas me défiler, je dois le sauver.Je prends une grande inspiration et me coupe de mes émotions, laissant mon esprit avec Ethan.

Je me lève, tel un automate, et me dirige vers ma chambre. J’ouvre un tiroir, en sors un jean et un t-shirt, m’habille dans un état second. Un objet noir attire mon attention au milieu de mon brouillard :mon revolver. Je m’en saisis et le regarde. De retour dans le salon, je le range dans mon sac.J’attrape mon téléphone et compose le numéro indiqué sur la lettre.

— Tu en as mis du temps, petite pute !Cette voix ! Mon corps se crispe lorsque j’entends à nouveau ce timbre rauque et autoritaire. Je ne

réponds rien et me cantonne à écouter. Il me donne une adresse que je note au bas de la page etm’intime de venir seule, sinon il se verrait obligé de sévir. Je raccroche et comprends soudain unechose : il ne va pas se contenter de me tuer, je vais souffrir.

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Je regarde de nouveau la photo d’Ethan et retiens un sanglot. Je ne le reverrai plus. Oh, mon Dieu,pourquoi la vie est-elle si cruelle ? Est-ce que je paye le bonheur de ces dernières semaines, moi quide toute évidence n’y étais pas destinée ?

Je me dirige vers mon bureau et décide de rédiger une lettre à Ethan pour qu’il ne croie pas que jel’ai abandonné de mon plein gré.

Mon amour,

Pardonne-moi de partir, mais je ne peux pas le laisser t’atteindre. Il est temps quetout cela cesse. Je suis fatiguée de me cacher. Je t’aime, Ethan, n’en doute pas.C’est l’esprit et le cœur empli de toi que je me rends vers ma mort. Sois heureux,mon amour, une partie de moi sera toujours auprès de toi.A jamais.

Je décroche le collier qu’il m’a offert et le dépose sur mes adieux. Je prends une seconde feuille.

Hugo,

Je n’ai plus la force de voir les gens qui m’entourent mourir à cause de moi. Je nete dirai rien d’autre que : je t’aime. Il est temps pour moi de ne plus fuir. N’oubliepas ta promesse, je t’en prie. Dans ces pages, c’est mon âme que j’ai laissée.Prends-en soin pour moi.Emy

Voilà, tout est fini, plus rien ne me retient, il est temps d’y aller. Je me dirige vers la porte etdépose un masque souriant sur mon visage.

— Swan ?— Oui, Mademoiselle ?— Pourriez-vous descendre m’acheter des magazines à la librairie au coin de la rue ? Je voudrais

jeter un œil à la presse people.— C’est que… Monsieur Reed m’a interdit de vous laisser seule.— Je ne bougerai pas d’ici. De toute façon, j’ai si peur de sortir.— Je comprends, Mademoiselle, mais…Je le vois hésiter. S’il refuse, il me faudra trouver un plan B pour l’éloigner.— Écoutez, reprend-il, vous fermez à double tour, je me dépêche.— Oui, merci.Je pousse la porte et tire le verrou. Je soupire. Je n’aurais pas cru que ce serait aussi facile. Je

guette le bruit de l’ascenseur qui se referme. Je me précipite vers mon sac, y fourre mon portable etme glisse hors de mon appartement. Je décide de ne pas prendre l’ascenseur et emprunte la caged’escalier. Arrivée en bas, je tente d’adopter une allure décontractée afin de ne pas alarmer laréceptionniste. Je m’offre même le luxe de la saluer. Une fois dehors, je repère un taxi et me jettededans au moment où j’aperçois Swan qui court dans ma direction, l’air furieux. Je donne l’adressede ma dernière destination au chauffeur. Et alors que nous passons devant Swan, je lui fais un petitgeste d’excuse. Il est au téléphone.

Nous roulons depuis à peine deux minutes que mon portable sonne déjà. Machinalement, je leprends et mon cœur se tord lorsque je vois le nom d’Ethan s’afficher. Je coupe la sonnerie en

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soupirant. Je pose ma tête contre la vitre et regarde les rues défiler. Un nouveau bip retentit indiquantun message vocal. Je ne résiste pas à l’envie d’entendre une dernière fois la voix d’Ethan.

— Emily, qu’est-ce que tu fous, bordel. Rappelle-moi, je t’en prie.J’enregistre dans mon cœur le timbre velouté de sa voix. Je repose le téléphone dans mon sac. Et

tourne à nouveau mon regard vers l’extérieur.Nous roulons depuis trente minutes environ lorsque le chauffeur s’arrête devant un entrepôt

désaffecté, isolé du monde. Tout n’est que friche et détritus. Le bâtiment délabré, aux vitres brisées,se dresse au milieu d’un terrain vague. Au loin, j’aperçois la fumée d’une zone industrielle s’éleveret assombrir le ciel.

Triste endroit pour mourir !Je règle la course avec un billet de cinquante euros et indique au chauffeur ahuri de garder la

monnaie. Je n’en ai pas besoin là où je vais. Je prends une grande inspiration et descends de lavoiture. Alors que je me dirige vers l’entrepôt, je verrouille mon esprit. Je ne suis plus qu’uneenveloppe vide. Je glisse la main dans mon sac et empoigne mon revolver.

Je pousse la lourde porte coulissante et pénètre dans une immense pièce sombre toute de béton etde fer. Il me faut un instant pour que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Je distingue des tags sur lesmurs effrités. Une forte odeur d’urine et d’ordures me prend à la gorge.

— Bonjour, Emily, me dit une voix sur ma droite.Je sursaute malgré moi et tourne ma tête dans sa direction. L’homme de mes cauchemars se tient

devant moi, il n’a pas changé, toujours aussi maigre. Le seul signe du passage du temps, ce sont sescheveux blonds qui, aujourd’hui, sont clairsemés de fils blancs. Il s’approche de moi, son visagecreusé par l’alcoolisme est déformé par la haine, ses yeux gris clair, glacials me fixent, vicieuxcomme dans mes souvenirs. Une nausée me tord l’estomac, mais je n’en laisse rien paraître.D’instinct, je recule. C’est alors que, sans réfléchir, je sors mon revolver et le pointe sur lui.

— Que crois-tu faire avec ça, putain ? me demande-t-il en continuant d’avancer d’un pas lourd.Je tente de réagir, de forcer mon doigt à appuyer sur la détente. Mais je suis trop lente. Il est déjà

sur moi. Il m’arrache l’arme des mains et m’assène un coup violent à la tempe droite.— On ne me défie pas, Emy, tu devrais te le rappeler.Je suis étourdie par l’impact. Je continue de le fixer. Alors, il m’attrape par les cheveux et colle

son visage au mien. Son haleine fétide agresse mes narines. Il frotte sa joue contre la mienne. Je tentede reculer la tête. Je me débats. Son contact me révulse. Énervé, il tire violemment sur mes cheveuxet me traîne à sa suite jusqu’à un recoin de la pièce. J’ai le crâne en feu et le visage brûlant. Je serreles dents, aucun son ne sort de ma bouche. Quand il s’arrête et me fait face à nouveau, je me contentede continuer à le fixer. Je veux qu’il lise dans mon regard qu’il ne me fait plus peur, qu’il ne m’atteintpas.

— On va commencer par s’amuser un peu, me sourit-il, narquois. Donne-moi ton téléphone.Je ne bouge pas. Ce rictus, je l’ai vu tant de fois sur son visage lorsqu’il me torturait. Je me

surprends à constater à quel point il est sale, laid… Son t-shirt vert est déchiré et maculé de taches.Le pantalon est dans le même état.

Un vrai déchet ! Voilà la satisfaction que je retire de tout ça !Face à mon immobilité, il attrape mon sac, toujours en bandoulière, et en sort mon téléphone.— Appelle ton petit copain, m’ordonne-t-il en me fourrant mon portable dans la main, tu vas lui

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dire que tu le quittes, que tu pars.Je le regarde, hébétée. À quoi joue-t-il ?— Magne-toi ! On n’a pas toute la journée.— Non !Pour la première fois de ma vie, je m’oppose à cette ordure. Fière, je relève la tête et le toise.— Je te préviens, putain, si tu ne fais pas ce que je te demande, je te promets qu’une fois que je

me serai occupé de toi, je lui ferai son affaire.Merde !Un frisson me parcourt l’échine et j’obtempère. Tremblante, je compose le numéro d’Ethan. Il

décroche au bout de deux sonneries.— Emily, crie-t-il, bon sang, où tu es ?Sa voix paniquée me noue la gorge et des larmes me brûlent les yeux. Mon bourreau me regarde,

ravi de la douleur qu’il lit sur mes traits.Je n’avais pas prévu cela ! Je ne lui donnerai pas la satisfaction de me briser.Je prends une grande inspiration.— Je pars, Ethan. Ne me cherche pas. C’est mieux ainsi. Nous deux, c’était une erreur.Ma voix se casse, alors que je prononce ce mensonge.— Non, non, qu’est-ce qu’il se passe, Emily ?— Rien ! Fiche-moi la paix !— Non ! Dis-moi où tu es !— Je dois te laisser.Je raccroche, le cœur lourd. Je refoule les larmes qui s’accumulent et lève la tête vers mon

bourreau, prête à affronter la suite.— Tu m’as vraiment mis très en colère ces dernières années, Emily. Je vais te punir et tu vas

hurler pour moi, me supplier.Je le fixe, mauvaise. La peine d’Ethan résonne en moi. La rage et la haine envahissent mon cœur

brisé. Venimeuse, je crache :— N’y compte pas trop.Il me regarde, fielleux, et me frappe à nouveau au visage. Mes dents s’entrechoquent violemment.

Je n’ai pas le temps de m’attarder sur la douleur, un second poing me tombe dessus.— Tu vas hurler, je te dis, crie-t-il, pris de fureur, en continuant à me tabasser.Je serre la mâchoire pour être certaine qu’aucun son ne m’échappe. Je me retrouve à terre sous la

violence de ses coups. Je souffre, mais ne bronche pas. J’en appelle à la délivrance. Soudain, unchoc plus violent que les autres me percute au niveau de l’arcade et je sombre.

Je flotte dans une semi-torpeur, le corps engourdi. Je ne sens plus rien. La figure d’Ethanm’apparaît, il me sourit. Je lui rends son sourire, heureuse de le revoir. Ça doit être cela, le paradis.Je tente de lever la main pour caresser son magnifique visage, mais elle refuse d’obéir. J’abandonne,déçue. Il continue de me regarder, rassurant.

Soudain, une vague froide m’emporte loin de lui et me ramène à l’intérieur de mon corps qui n’estque souffrance.

Nooon !Je ne veux pas. Je veux rester dans l’inconscient.

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Ethaaaaaan !Mais déjà, je ne le vois plus.— C’est pas l’heure de pioncer, sale putain.Oh, non ! Je reviens à moi. J’ai mal. Péniblement, j’ouvre les yeux et découvre le visage de mes

cauchemars. Je serre la mâchoire.— On va s’amuser encore un peu, Emy, et, ensuite, je te baiserai comme au bon vieux temps,

souffle-t-il, tout près de mes traits tuméfiés et ensanglantés.La nausée fait son retour en même temps que des centaines de flash-back de lui sur moi, de lui en

moi... C’est alors que je remarque que je suis suspendue par les bras, accrochée à une énorme chaînepassée dans une espèce de poulie.

— Tu as vu ? Sympa, mon petit jouet.Il tire sur mes liens, me hissant un peu plus vers le haut. Un craquement au niveau de mes épaules

précède une douleur fulgurante. Il redescend la chaîne. Mes pieds touchent de nouveau le sol.— J’ai d’autres babioles sympathiques, rigole-t-il.Je le scrute et lui souris l’air de dire « Ah oui ? Montre-moi. »Je le connais suffisamment pour savoir que, si je le provoque, il se déchaînera sur moi et me tuera.

Je souffre assez pour avoir envie de mourir le plus rapidement possible.— Ça t’amuse, putain ? Alors, on va jouer.Il s’approche de moi et exhibe un objet que je distingue à peine.— J’ai ramené un vieil ami, vois-tu.À ce moment, je sens quelque chose de froid se promener sur mon bras suspendu. Je glousse : un

couteau. Quelle délicieuse idée ! Avec un peu de chance, il aura un geste bienvenu et abrégera messouffrances. Je discerne de la fureur dans ses yeux, en réponse à mon sourire.

— Oh, tu t’entêtes à me défier, petite pute, et tu sais ce qui arrive, dans ces cas-là.Pour toute réponse, je continue de le fixer, la bouche étirée au maximum. Mais à ma grande

déception, il pose le couteau et s’empare d’autre chose. Il se recule et je vois ce qu’il tient à la main :un fouet ! Il me contourne et, tout à coup, le cuir cingle ma chair. Les coups se mettent à pleuvoir.Inlassablement, il me fouette le dos de toutes ses forces. Ma peau se déchire. Je hurle intérieurementet un gémissement m’échappe. Comment mon corps supporte-t-il tout cela ? Ne peut-il mourir et melaisser aller en paix ?

— Ah, tu vois ! Tu vas bientôt gueuler et supplier, putain.Il n’a pas tort, des cris de douleur se logent dans ma gorge. Je contracte la mâchoire aussi fort que

je le peux. Les coups continuent. Soudain, il arrache mon t-shirt et le jette par terre. Une flaque rouge,visqueuse se forme rapidement sur le sol. Je souris, peut-être vais-je finir par me vider de mon sang !

Mon dos me fait horriblement souffrir, ça me brûle, je sens que je suis à vif. Il cesse enfin sescoups de fouet. Il m’abandonne un instant et, lorsqu’il revient, il est armé d’une cravache.

Putain, il a dévalisé le rayon équitation ?À ce moment, sans que je comprenne pourquoi, j’éclate d’un rire macabre qui résonne dans le

hangar vide, tandis que, fou de rage, mon passé me cravache les cuisses.— Tu vas te taire, sale pute, tu vas te taire.Il hurle, hors de lui, décontenancé par mon attitude revêche. Je continue de rire et il abandonne sa

cravache pour me rouer de coups de poing. Je dois ressembler à un amas de chairs sanguinolentes.Lorsqu’il me frappe sur la tempe gauche, à nouveau, je sombre.

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Je suis étendue au sol, sur un plaid écossais, je tourne la tête et découvre Ethan qui me sourit. J’enfais de même. Je suis bien. De retour au paradis. Pourvu que j’y reste cette fois-ci. Allongée pourl’éternité aux côtés d’Ethan, voilà qui serait une belle récompense pour les tourments endurés.Malheureusement, l’image ne dure pas. Elle est à nouveau balayée par une vague glacée. Elles’éloigne et je réintègre mon corps douloureux et trempé.

J’ouvre péniblement les yeux. J’ai froid. J’entends un bruit sur ma droite et tente de tourner la tête.Un violent élancement dans le crâne m’en dissuade. Soudain, il est de nouveau dans mon champ devision.

— L’envie de rire t’es passée, me sourit-il.Je remarque que son regard est empli de démence. Ses yeux sont injectés de sang. À nouveau, il

promène sa lame froide sur mon bras, il la fait descendre le long de mes côtes jusqu’à mes cuisses. Iljubile, macabre. Soudain, il élève légèrement son bras avant de le replonger en direction de majambe, enfonçant le couteau dans ma chair. Je suis si surprise que je ne peux retenir un cri. Il éclated’un rire victorieux. La douleur irradie dans tout mon corps et je sens la fin proche. Un voile rougeme brouille la vue. À bout de force, je m’affaisse. J’esquisse un sourire.

Enfin !Tout à coup, il me semble distinguer des bruits : un hurlement, une détonation, le silence. Une voix

tout près de moi me murmure :— Mon Dieu, mon amour…Je n’entends pas la suite, je sombre à nouveau, heureuse d’accueillir la délivrance.Je suis installée sur la couverture, Ethan est à mes côtés, mais il ne sourit plus. Il me scrute,

angoissé.— Réveille-toi, Emily. Je t’en prie, mon ange. Ne m’abandonne pas…Je le regarde, abasourdie. Il devrait se réjouir d’être là, avec moi. Moi, je le suis.Soudain, je suis encore une fois tirée loin de mon paradis, réintégrant mon pauvre corps. Je tente

d’ouvrir les yeux, mais ils refusent de m’obéir. J’entends Ethan qui murmure. Mais, si je reconnais savoix, je n’arrive pas à comprendre ce qu’il me dit. Je me sens alors soulevée de terre. Je meconcentre pour forcer mes paupières à bouger. Elles obtempèrent un instant. J’aperçois, le visage demon amour, il me sourit, le regard rempli d’angoisse, avant de m’enfoncer à nouveau dansl’inconscience.

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Chapitre 21

Cher journal,

Voilà les mots que je t’écrirais si je le pouvais. Je flotte encore dans les limbes demon inconscient, perdue. Tout est fini. Enfin, je ne sais pas trop. Il n’y a plus dedouleur, c’est que je dois être morte. Et pourtant, je ne suis ni au paradis ni enenfer ! Où suis-je, cher ami ? Que suis-je ? Oh, qu’advient-il de moi ? J’ai peur…

Je suis de nouveau allongée dans la prairie, Ethan est à mes côtés. Il me sourit. J’en fais de même.J’entrouvre les lèvres pour lui dire que je suis heureuse d’être enfin dans mon paradis personnel,mais aucun son ne sort de ma bouche. Je le regarde, paniquée. Il s’approche de moi et me murmure àl’oreille.

— Reviens, mon amour, je t’en prie.Mais je suis là !Quelque chose obstrue ma gorge. Mon paradis s’éloigne soudain et je réintègre mon corps. Il est

engourdi, paralysé. Chaque respiration me déchire la poitrine. Je tente d’ouvrir les yeux, mais ilsrefusent d’obéir. Quelqu’un me frôle le bras. Mon cœur s’emballe.

Mon Dieu, ce n’est pas fini, quand la torture va-t-elle donc cesser ? Laissez-moi mourir !J’attends le prochain coup, mais rien ne vient. Qu’a-t-il encore inventé pour me faire souffrir ? Et

pourquoi je n’arrive pas à ouvrir les yeux ? Nouveau frôlement, sur mon visage cette fois. La peurs’insinue dans mes veines, mais je n’ai pas le temps d’en savoir plus, car je sombre à nouveau.

— Bébé, bats-toi !Je suis installée dans la prairie, je tourne la tête et découvre Hugo à mes côtés. Je lui souris.— Bats-toi ! e t’en prie, répète-t-il.Il a le visage tordu par l’angoisse.J’ai essayé, tu sais !J’ouvre la bouche, mais les sons refusent de sortir. Je me contente donc de le fixer, un sourire aux

lèvres.— Tu dois vivre, Emy !Je voudrais tendre les bras vers lui. Mon corps, toujours engourdi, m’en empêche.Ça devient agaçant, ce paradis où je ne peux ni parler ni bouger !Hugo lève la tête et regarde derrière moi. Je suis son regard, mais ne vois rien.— Elle va s’en sortir ? demande-t-il.— Oui, son état est stable, répond une voix féminine, nous allons la désintuber.Je me tourne vers Hugo. Il pleure. Je suis perdue, je ne comprends plus rien. L’image d’Ethan

remplace celle de mon ami.Ça commence à me coller la migraine, tout ça !Et effectivement, ma tête se met à m’élancer. Quelque chose glisse à l’intérieur de ma gorge. C’est

très désagréable. Ethan me regarde, triste.— Allez, mon amour, réveille-toi, reviens.Mais je suis là !

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J’ouvre la bouche pour tenter de le rassurer et, à ma grande surprise, un mot jaillit enfin de meslèvres.

— Ethan ?Mais à peine ai-je prononcé son prénom que je suis tirée vers l’arrière et m’éloigne de la petite

clairière. Je suis dans le noir à présent, j’ai mal. Pour la première fois depuis un moment, je sens lesdouleurs de mon corps se réveiller.

— Je suis là, Emily, me souffle la voix d’Ethan à l’oreille, ouvre les yeux si tu peux, me supplie-t-elle.

Je me concentre pour répondre à cette supplication et, à mon grand étonnement, mes paupièresréagissent. Durant un instant, je ne vois rien, éblouie par la clarté de la pièce. Puis, ma vue s’habitueà la lumière. Face à moi, un plafond blanc incrusté de spots lumineux.

Tiens, je suis où ? La prairie était un bien plus joli paradis.— Emily, chuchote une voix rauque à côté de moi.Je tourne la tête et découvre les traits d’Ethan, couverts de larmes. Il a des cernes sous les yeux et

une barbe de plusieurs jours. Il a l’air épuisé.— Pourquoi tu pleures ? Tout est fini et tu es là, j’ai enfin droit à mon paradis.Je lui souris. Il me regarde, ahuri.— De quoi parles-tu, Emily ?Je tente de bouger mon bras pour caresser son visage, mais une douleur m’en empêche,

m’arrachant un gémissement.Décidément, ce paradis n’est pas très agréable, la clairière l’était bien plus.Soudain, j’entends un bruit de pas et une femme vêtue de blanc — un ange ? — se penche sur moi.— Vous revoilà parmi nous, Mademoiselle Maricourt. Vous vous sentez bien ? Le médecin viendra

vous voir d’ici quelques minutes.Le quoi ?Mais bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ? Je regarde la femme en blanc qui me scrute, inquiète.— Tout va bien ? répète-t-elle.Complètement perdue, je bredouille :— Je… je suis où ?— Vous…La panique me gagne soudain et, terrorisée, je hurle :— Où est-il ? Il faut que je sorte, il va arriver. Oh, mon Dieu, non !Je tente de me lever malgré les douleurs qui m’assaillent. La dame en blanc me repousse

doucement et me force à me rallonger. Je tourne la tête en direction d’Ethan. Il se penche vers moi.— Chut, mon amour, calme-toi, il ne peut plus rien t’arriver, me chuchote-t-il, rassurant.Je le regarde, perdue. Je ne comprends plus rien. Comment ai-je pu passer de l’enfer au paradis,

puis à une chambre d’hôpital ? Pour m’assurer de sa réalité, je demande :— Tu es vraiment là ?— Bien sûr.Il jette un regard anxieux à la dame en blanc que je suppose être une infirmière.— Elle est un peu désorientée, Monsieur Reed, c’est normal, lui dit celle-ci, Mademoiselle

Maricourt, vous n’avez rien à craindre, vous êtes à l’hôpital. Vous avez été inconsciente deux jours,

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c’est pour cela que tout vous paraît confus, m’explique-t-elle calmement.Têtue, je persiste :— Non, non, je dois partir, il va me retrouver. Ethan, sauve-toi, je t’en prie. Il veut s’en prendre à

toi, il me l’a dit, je t’en prie.— Calme-toi, m’intime-t-il doucement, en enveloppant mon visage entre ses mains, il ne viendra

pas, mon amour, tout est fini. Il est mort.Je le regarde, hébétée, tandis que ses paroles cheminent à travers mon angoisse.Mort ?— Mort ? dis-je à voix haute. Quand ? Comment ?Il est temps que l’on me raconte ce qu’il s’est passé, car je sens la raison me quitter.— Oui, mort. Je vais t’expliquer, mais, s’il te plaît, calme-toi.Je hoche la tête et tente de respirer profondément.— Le médecin passera dans quelques minutes, reprend l’infirmière en sortant.Je fixe le visage de mon amour.— Dans quel état tu es, mon ange ! soupire-t-il.Je ne réponds rien, attendant qu’il m’explique ce que je fais là.— Quand Swan m’a téléphoné pour me dire que tu étais partie dans son dos, je n’ai pas compris

— il est très en colère contre toi, d’ailleurs ! —, alors j’ai tenté de te joindre, mais tu n’as pasdécroché. J’ai appelé Hugo pour savoir s’il savait ce que tu faisais. Il m’a assuré ne pas avoir denouvelles et, au ton paniqué de sa voix, j’ai saisi qu’il se passait quelque chose d’anormal. Nousavons décidé de nous rendre à ton appartement. Malheureusement, j’étais en rendez-vous à l’autrebout de Paris et cela m’a pris du temps. Alors que j’étais en chemin, tu m’as téléphoné pour me direque tu partais, mais je n’y ai pas cru. Au son de ta voix. J’ai réalisé que tu étais sûrement en danger.Quand je suis arrivé chez toi, Hugo y était déjà, en compagnie de Swan. Il était prostré, livide. Aumoment où il m’a vu, il m’a tendu un tas de photos et un mot. Il a dit : « Elle est partie le retrouver,Ethan ». J’ai cru devenir fou. Nous avons ensuite trouvé les lettres que tu avais écrites.

Il se tait un instant, son regard est tordu par la douleur et j’imagine la peine qu’il a ressentie.— Heureusement, reprend-il, tu avais noté une adresse sur le mot, j’ai donc décidé de m’y rendre

avec Swan. Entre temps, il avait contacté un ami qui travaille dans la police pour le mettre sur lecoup. Quand nous sommes arrivés à l’entrepôt, j’ai entendu ton hurlement et, malgré les ordres de lapolice qui nous avait enjoint de ne pas bouger, je me suis précipité à l’intérieur. Et je t’ai vue, là,pendue par les bras, en sang, brisée. Oh ! Emily, te rends-tu compte que tu as failli me quitter pourtoujours ? Je n’aurais pu le supporter. Cette image de toi me hantera toute ma vie. J’ai manqué à mapromesse de te protéger. Mais pourquoi t’es-tu ainsi offerte à lui ?

Il me caresse le visage, des larmes roulent sur ses joues. Dans un sanglot, je bredouille :— Il m’a affirmé qu’il vous tuerait, Hugo et toi, si je n’obéissais pas, je ne pouvais pas…— Là, c’est fini, mon amour, me dit-il en m’embrassant délicatement.— Tu dis qu’il est mort ? Comment ?— Swan et un officier de police sont arrivés sur mes talons et ont été aussi bouleversés que moi

en te voyant ainsi attachée, ensanglantée... Nous entendant arriver, il s’est retourné et a brandi uncouteau. L’officier a sorti son arme et, après deux sommations, a tiré.

— Il est mort, dis-je, n’y croyant pas réellement, je veux le voir.— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dans ton état…

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— J’en ai besoin, je veux être sûre.Il n’a pas le temps de me répondre que la porte s’ouvre sur un Hugo ahuri.— L’infirmière m’a dit que… Oh, bon sang ! Emy, sanglote-t-il en me prenant délicatement dans

ses bras. J’ai eu si peur.— Je suis navrée, pardonne-moi, il y avait des photos de Céline et il assurait qu’il…— Je sais, Bébé, me coupe-t-il. N’empêche que c’était carrément du suicide, tu t’es conduite de

manière irresponsable.— Désolée.— Je t’aime, me sourit-il à travers ses larmes— Je t’aime.Deux petits coups sont frappés à la porte, je m’attends à voir débarquer Swan pour me

réprimander à son tour, mais ce ne sont que le médecin et l’infirmière.— Messieurs, je suis désolé, mais je vais devoir vous demander de quitter la pièce cinq minutes,

je dois ausculter Mademoiselle Maricourt et lui faire subir quelques examens. De plus, un psychiatredoit passer la voir.

— Il n’en est pas question, gronde Ethan.— S’il te plaît.Je lui jette un regard suppliant. Je n’ai pas envie qu’il s’éloigne, mais je n’ai pas envie non plus

qu’il soit présent pendant mon auscultation.— D’accord, soupire-t-il. Je serai juste à côté, ajoute-t-il en m’embrassant.— Merci.— Et moi, je vais en profiter pour appeler Alexandre. J’ai hâte de pouvoir te le présenter,

maintenant que tout est fini.Hugo me presse la main et suit Ethan. Je les regarde sortir de la pièce.— Comment vous sentez vous ? me demande le médecin.— Ça va, mais j’aimerais me lever et aller aux toilettes.— Vous avez une sonde.Je grimace.— Oui, on va vous l’enlever, me sourit-il.— Merci. Alors quels sont les dégâts ?— Eh bien, la liste est longue : trois côtes cassées, des lacérations dans le dos, une vilaine plaie à

la cuisse qui a nécessité huit points de suture. Il vous faudra de la rééducation et, enfin, eh bien… deshématomes un peu partout.

Je soupire, les dégâts ne sont pas irréversibles. Une fois débarrassée de ma fichue sonde, je melève avec l’aide de l’infirmière. Je m’accroche au porte-perfusion à roulettes. La tête me tournelégèrement et j’ai mal dans chaque partie de mon corps. Ma jambe me lance terriblement quand jem’appuie dessus.

— Nous allons vous donner un fauteuil roulant, me précise le médecin.Je grimace en signe de remerciement. Je boite jusqu’à la salle de bain, l’infirmière pousse la porte

derrière moi.— Je suis juste derrière, si vous avez besoin.— Merci.Je me retrouve face à un grand miroir et regarde mon double, stupéfaite. J’ai une sale mine, on ne

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peut pas le nier. J’ai un énorme hématome sur le côté gauche du visage. Je soulève l’horrible chemised’hôpital dont on m’a affublée. Un pansement gigantesque me couvre le dos. J’ai les côtes marbréesde jaune et un second bandage sur la cuisse.

Tout mon calvaire me revient en mémoire et je frissonne à l’évocation des coups de fouet, ducouteau planté dans ma jambe…

— Tout va bien, Mademoiselle ?— Oui, oui, dis-je en me dirigeant vers les toilettes pour me soulager.Une fois de retour sur mon lit, j’ai l’impression d’avoir couru un marathon. L’infirmière me

rapporte un fauteuil roulant pour m’emmener passer une radio.Les examens terminés, le médecin, satisfait, me quitte, non sans m’avoir rappelé qu’il m’autorisait

à me lever à condition que j’y aille très doucement. Un psychiatre m’attend dans ma chambre. Et quelpsy !

— Docteur Rondault ?Elle se tourne vers moi, je suis heureuse de la voir.— Bonjour, Emily, me sourit-elle.— Je… qu’est-ce que vous faites là ? Vous étiez en vacances, non ?— Votre ami, Hugo, a téléphoné à mon cabinet hier et ma secrétaire m’a prévenue. Je me suis dit

que vous apprécieriez de me trouver à votre réveil. Aix en Provence n’est qu’à une heure d’avion etj’ai pu bénéficier d’un convoi exceptionnel. Comment vous sentez vous, Emily ?

— Je… je suis un peu désorientée, mais je crois que ça va. Un convoi exceptionnel ?— Oui, votre Ethan m’a dépêché son jet privé. Il vous aime beaucoup.— Il semblerait, docteur.— Vous avez changé, Emily, vous avez les yeux plus expressifs…Nous continuons ainsi, pendant une heure.— Bien, je pense que mon travail avec vous est terminé. Je reste néanmoins à votre disposition, si

besoin. Mais vous êtes solide, Emily. Et surtout, vous pouvez être fière de vous, ne l’oubliez à aucunmoment. Malgré vos fêlures et vos carences affectives, eh bien, vous avez trouvé le chemin de votreguérison. Vous êtes une survivante et quelle survivante ! conclut-elle.

Elle se dirige vers la sortie, mais je l’interpelle.— Docteur ?— Oui ?— Je voudrais le voir.— Oui, bien sûr. Je comprends. Vous avez besoin de vous assurer de la réalité de tout cela pour

vous libérer enfin. J’en informe votre médecin.Elle prend congé et je regarde la femme qui, au fond, par son écoute et ses conseils, a rendu ma

vie meilleure.Ethan et Hugo me rejoignent. J’exprime le désir de porter autre chose que cette chemise d’hôpital.

Je n’ai pas très envie que tout le monde voie mes fesses. Ethan me sort un pyjama d’un sac de voyageet m’aide à me changer tandis qu’Hugo se retourne en souriant.

— Vous avez aussi sale mine que moi, dis-je en les regardant, une fois réinstallée dans mon lit.Vous devriez aller dormir.

— Il n’est pas question que je te laisse, grogne Ethan.— De même pour moi, ajoute Hugo, tout aussi grognon.

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— OK, OK !Je lève les mains en signe de reddition. Hugo soupire et s’installe sur le fauteuil dans le fond de la

pièce. Ethan reprend place sur sa chaise, tout près de moi. Lorsque je tourne de nouveau la tête versHugo, il s’est endormi. Son visage est si paisible, si apaisé. Je souris, ravie de le voir se détendre.

— Il a eu très peur, tu sais, chuchote Ethan, et moi aussi. Ces deux jours ont été un enfer.— Je sais, dis-je, contrite. Tu sais, j’avais tellement peur qu’il ne s’en prenne à vous.— Je comprends, mon amour, ajoute-t-il en bâillant.— Repose-toi.— Hum, marmonne-t-il. Au fait, j’ai quelque chose qui t’appartient.Je le regarde, interloquée. Il se lève et sort de sa poche mon collier. Il se penche et me le passe

autour du cou. Mes yeux se brouillent de larmes quand je songe à tout ce que j’ai failli perdre. Jechuchote :

— À jamais.— À jamais, répète-t-il, ému.Soudain, quelqu’un frappe à la porte de la chambre et entre sans attendre de réponse. Hugo se

réveille en sursaut.— Bonjour, je suis le lieutenant de police chargé de votre affaire, se présente l’homme qui

s’avance vers moi. J’ai quelques questions à vous poser afin de clore le dossier.— Oui, bien sûr.Ma voix se crispe, ma confiance en ce qui représente la justice est plus que limitée. Il commence

alors à me bombarder de questions sur les conditions de ma séquestration, comme il la nomme, surmon beau père… Il m’explique qu’il a eu accès à la plainte que j’ai déposée, il y a quelques années,et qu’il trouve dommage qu’à l’époque, les rouages de la justice aient permis de laisser un telmonstre dans la nature.

— Lieutenant ?— Oui, Mademoiselle Maricourt ?— Je voudrais voir son corps, s’il vous plaît. Cela m’est nécessaire pour m’assurer que tout est

réellement terminé.Il me regarde, hésitant.— Je comprends, votre psychiatre m’a parlé de votre requête et a donné son aval, finit-il par dire,

vous avez l’autorisation de vous lever ?— Oui.— Bien, venez avec moi, il est à la morgue de l’hôpital. Nous l’avons entreposé là en attendant

que quelqu’un réclame sa dépouille.Un instant, j’imagine ma mère, pleurant sur le cadavre de son grand amour, celui qui a surpassé

son enfant dans son cœur. Je ris intérieurement, écœurée à cette idée. Je me lève, aidée par Ethan quime jette un regard inquiet. Le lieutenant — dont je ne retiens pas le nom — avance mon fauteuilroulant, mais je le refuse malgré la douleur. C’est sur mes deux jambes et non amoindrie dans unfauteuil que je veux me confronter une dernière fois à mon bourreau. L’officier me propose alors sonbras, je l’accepte. J’entends les pas d’Ethan et d’Hugo qui nous suivent. Lorsque nous arrivons à lamorgue, le policier me fait patienter devant une porte en métal. Pas un instant, je ne me tourne versEthan dont je sens le regard peser sur moi.

Lorsque le lieutenant vient me chercher, je sens le mouvement de mon amour qui veut

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m’accompagner.— Non !Je lui parle plus sèchement que je ne l’aurais souhaité, sans me retourner.— Mais…— Laisse-la, elle doit le faire seule, pour elle-même, Ethan, chuchote Hugo.Je prends une grande inspiration et entre dans la pièce. Le lourd battant se referme derrière moi.

Le lieutenant m’entraîne vers une table d’autopsie. Il s’arrête et me fait un signe de la tête pour medésigner un cadavre. Il me lâche le bras et recule, comprenant que j’ai besoin d’intimité. Je l’entendss’éloigner de quelques pas, pour se mettre en retrait.

Je m’approche, m’aidant de mon porte-perfusion pour marcher. Je fixe l’homme allongé, immobileet livide qui se tient devant moi. Ses traits émaciés ne me font plus peur. Plus jamais je ne croiseraice regard de glace qui m’a tant terrorisée.

Il est mort ! C’est fini ! Oh, mon Dieu !Des larmes coulent sur mon visage lorsque je réalise que la brute qui m’a torturée, violée durant

mon enfance, cet homme qui m’a volé une partie de ma vie ne pourra plus m’atteindre.— C’est fini, lui dis-je, c’est terminé, tu ne m’as pas eue. Je suis libre, tu entends, ordure ? Libre !

Et toi, c’est en enfer que tu vas pourrir.Mon cœur se fait plus léger au fur et à mesure que mes larmes roulent sur mes joues. Je ne sais pas

combien de temps je reste là, mais, soudain, j’ai envie de sortir, de partir et de laisser toutes messouffrances avec ce cadavre. Je fais demi-tour et me dirige vers la porte. Ethan et Hugo m’attendentderrière. Ethan s’approche de moi et ouvre la bouche pour parler, mais je le coupe.

— Pas encore !Je passe devant eux, le sourire aux lèvres. Ils me suivent jusqu’à l’ascenseur et j’aperçois un petit

sourire sur le visage d’Hugo. Il a compris, mon tendre ami, je savoure mes premiers instants deliberté. Arrivée dans le hall de l’hôpital, j’ai une envie irrépressible de sortir respirer l’air frais et,malgré les protestations d’Ethan ainsi que du personnel soignant, j’avance vers la lumière extérieure.

Entourée de la douce chaleur du soleil, je me rends compte que plus jamais je ne craindrai demettre le nez dehors, plus jamais je ne regarderai derrière moi dans la rue, de peur d’être traquée.J’inspire profondément et emplit mon corps de ce vent de liberté qui souffle autour de moi. Je lèveles yeux au ciel avec une pensée pour Céline.

Ma douce amie, tu me manques, pardonne-moi.Hugo se met à mes côtés et, sans un mot, me prend la main. Il la presse tendrement. Je lève les

yeux vers lui.— C’est fini, Hugo, je suis libre.— Oui, Bébé, tu es libre.Je me tourne alors vers Ethan et lui sourit, l’invitant à me rejoindre. Il m’enlace tendrement.— Je t’aime, lui dis-je.— Tu sais à qui tu ressembles ?Il plonge son regard plein d’amour et de joie dans le mien.— À la femme sur la peinture. J’ai tant rêvé te voir ainsi, en paix.— Tu sais ce qui me ferait plaisir ? demandé-je, malicieuse.— Non ?

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— Que tu m’emmènes au restaurant.— Nous irons, rigole-t-il. Et à moi ? Tu sais ce qui me ferait plaisir ? reprend-il, sérieuxJe le regarde, l’air interrogateur, son visage est si tendu d’un coup, si hésitant.— J’aimerais que vous m’épousiez, Mademoiselle Maricourt.Mon cœur papillonne et, en guise de oui, je me blottis dans ses bras.— À jamais, dis-je en l’embrassant.— À jamais, sourit-il, heureux.

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Épilogue

— Je suis rentré !Je tends l’oreille, mais n’obtiens aucune réponse. Mon cœur se serre d’angoisse, comme chaque

fois que je ne sais pas où elle est, ravivant les souvenirs de son enlèvement l’année dernière par sonbeau-père. Un an déjà. Depuis, nous coulons des jours heureux dans le bonheur le plus parfait.

Je dépose ma mallette dans le vestibule de la maison de mon enfance et me dirige vers labibliothèque. Emily y a installé son bureau depuis qu’elle a cessé de travailler sur les conseils dumédecin. Je souris en la découvrant endormie, une main posée sur son ventre arrondi. La maternité larend sublime. Une bouffée d’amour m’envahit quand je regarde ma femme, portant mon fils en sonsein.

Les mois passés défilent devant mes yeux.Nous nous sommes mariés celui suivant sa sortie de l’hôpital. Un mariage simple et émouvant, à

l’image d’Emily. Je la revois remonter l’allée du parc de notre maison, boitillant — sa jambe lafaisant toujours souffrir — au bras d’Hugo. Elle portait une magnifique robe blanche, ses cheveuxrelevés en tresses. Je me souviens avoir eu la sensation de me trouver face à une déesse grecque. J’aimême eu un pincement de jalousie en voyant quel beau couple elle formait avec Hugo. Pincementbien inutile, Hugo adore Emy d’une façon si fraternelle. Et puis, lui aussi a rencontré le bonheurauprès d’Alexandre, jeune homme réservé, qui l’aime tendrement.

C’est avec un sourire radieux et le regard plein d’amour qu’Emily m’a dit « oui », faisant de moile plus heureux des hommes. Mon père nous a offert le manoir en guise de cadeau de mariage. Jecrois me souvenir avoir vu des larmes dans ses yeux lorsque le prêtre nous a déclarés unis à jamais.

— Ethan, chuchote-t-elle dans son sommeil, me tirant de ma rêverie.Je m’approche à pas de loup pour ne pas troubler son repos. Je remarque un cahier au sol. Je me

penche et le ramasse. C’est un de ses journaux intimes. Elle en a rempli toute une étagère de labibliothèque. Je regarde la page qu’elle était en train de lire.

Cher journal,

Je dois quitter Toulouse. Il m’a retrouvé. Et, oh ! Cher ami, il a assassiné Céline.Elle, si douce. Pourquoi a-t-il fallu que je la fasse entrer dans ma vie chaotique ?Je suis autant un monstre que lui. Jamais, plus jamais je ne dois m’autoriser lafaiblesse de m’attacher à quelqu’un. Il y a bien assez d’Hugo que je mets endanger par sa simple amitié pour moi…

Je pose le cahier sur le bureau en soupirant, mon cœur se serre à l’idée de tous les tourmentsqu’elle a endurés. Ma courageuse petite épouse !

Je ferme les yeux et la revois le jour de notre rencontre dans cette fichue galerie d’art. Quand jepense que j’y ai traîné les pieds pour satisfaire un collaborateur. C’est d’abord la peinture qui a attirémon attention, la femme représentée était si belle, si sereine. Puis, j’ai tourné la tête et elle se tenaitdevant moi, le regard ému et triste. Sans que je comprenne pourquoi, mon cœur s’est mis à battre lachamade et je n’ai plus eu qu’une envie : la bercer dans mes bras, effacer son chagrin. Je ne le savaispas encore, mais c’était déjà de l’amour.

L’amour au premier regard ! Cela sonne faux quand ce n’est pas à vous que cela arrive. Elle a

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bouleversé ma vie et c’est peu de le dire. Avant elle, les femmes ne représentaient qu’un besoin àassouvir. Je pouvais parfois me montrer brutal… mais pas avec Emily.

— Ethan ?Je me tourne et constate qu’elle s’est réveillée— Salut, toi, lui dis-je en l’embrassant.— Tu es rentré depuis longtemps ? me demande-t-elle, la voix encore ensommeillée.— Quelques minutes à peine.Elle me sourit tendrement. Que j’aime quand elle me sourit ainsi ! Comme si j’étais l’être le plus

important de son univers. Elle se lève péniblement et vient se blottir dans mes bras. Je l’enlacedoucement, posant une main sur son ventre arrondi. Je sens un mouvement sous ma paume. Elle meregarde, émerveillée.

— Je crois qu’il te dit bonjour.— Et comment se porte mon fils ?— Bien, si j’en juge par les parties de foot qu’il joue là-dedans…— Et ma femme, comment va-t-elle ?— Merveilleusement mieux depuis que tu es là. Tu m’as manqué.— Toi aussi, mon ange.Elle se serre tant qu’elle peut contre moi.— Qu’as-tu fait de beau cet après-midi ? Tu t’es replongée dans tes vieux journaux ?— Hum, oui, entre autres, élude-t-elle, l’air mutin— Et autres, c’est quoi ?— J’ai déjeuné avec Hugo et Alexandre, nous avons peaufiné les derniers détails de leur mariage.

Ça va être splendide. Puis, quand ils sont partis, j’ai…Elle me sourit malicieusement, glisse hors de mon étreinte et se dirige vers son bureau. Elle

s’installe devant son ordinateur.— J’ai réfléchi à mon nouveau roman, explique-t-elle, les yeux pleins de malice.— Ah oui ?Je la rejoins et me place derrière elle. Je pose mes lèvres sur le haut de sa tête, l’enlace.— Et de quoi va-t-il parler, ce livre ?— De nous, répond-elle, joyeuse.— De nous ?— Oui.Sa main joue avec mon bracelet. Je souris dans ses cheveux en songeant à la gravure sur le bijou.— Je t’aime.— À jamais, me murmure-t-elle.Je resserre mon étreinte autour d’elle. Elle commence alors à taper sur son clavier. Par-dessus sa

tête, je peux lire ce qu’elle écrit.Je ferme mon cahier et consulte la pendule. Et voilà, je suis en retard ! Plus quetrente minutes pour me préparer et filer au vernissage d’Hugo. Si je ne suis pas àl’heure pour son moment de gloire, il m’en voudra et je devrai supporter sabouderie pendant des jours. Et ne pas lui parler plus d’une journée estinenvisageable…

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Remerciements

Je dois beaucoup aux membres d’Écrire un Roman. Nombres sont ceux qui m’ontlue et accompagnée dans cette aventure. Aussi, merci à vous tous.

Un remerciement tout particulier pour mes trois premières lectrices, Magali,Gaëlle et Brune-El.

Un grand merci à Éric qui a cru en moi, dès les premières lignes.

Un clin d’œil particulier à Christel qui m’a beaucoup aidée lors de la phase decorrection.

Je remercie mon mari qui m’a soutenue et encouragée dans ce projet, qui asupporté mon besoin de solitude, mes longues heures passées loin de lui quandtrop absorbée par Éveille-moi, j’en oubliais son existence.

Je remercie aussi Céline, mon amie, celle qui toujours se tient à mes côtésquoiqu’il arrive.

Enfin, je vous remercie, vous, mes lecteurs, c’est à vous de faire vivre Emilydésormais, je vous la confie.

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