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La vie en Bretagne (2 ème partie) Traduction par Nicole Le FOLL d’un article anonyme de la revue "The Cornhill Magazine", vol.XL, juillet-décembre 1879 (La première partie de l'article a paru dans notre précédent numéro de décembre 1994) Il est plutôt curieux que de tous ces hommes, celui qui ait justifié la Révolution soit le curé de la paroisse, auquel je suis allé rendre visite seul. Il est, je crois, (il ne peut en être autrement) la véritable incarnation des théories catholiques, étant le prêtre d'une société si dévouée au Pape. Mais, comme les autres mortels faillibles, il ne voit pas toujours le sens complet des expressions qu'il utilise. Alors qu'il m'entretenait des réparations et ajouts à la structure de l'église depuis son arrivée dans les lieux, il m'a dit qu'auparavant le service de la paroisse incombait à un monastère situé à quelque distance, et que celui-ci engloutissait tous les revenus de la paroisse et laissait l'église tomber en ruines. "Mais maintenant, m'a-t-il dit, la paroisse est séparée et il y a un prêtre à demeure, ce qui est, je crois, ce qu’il y a de mieux pour une paroisse. " En ajoutant: "Vous voyez, la séparation était devenue nécessaire: il n 'y avait plus d'argent pour la paroisse, car la Révolution avait supprimé toutes les dotations !". Il apportait ainsi la preuve que la Révolution avait institué un prêtre résident et faisait réparer les bâtiments ecclésiastiques. Ce fut aussi un dimanche que je rendis visite au curé, entre deux services, à un moment où je savais le trouver chez lui. Il était assis à dîner avec son vicaire et deux jeunes femmes habillées comme de simples paysannes, qu'il me présenta comme ses soeurs. Son histoire est la même que celle de la plupart des prêtres bretons. Fils de paysan, il fut élevé dans un séminaire et lorsqu'une paroisse lui fut confiée, il installa son père, sa mère et ses soeurs au presbytère. Le père était un ivro- gne de la pire espèce, qui passait son temps au café, au scandale du prêtre et de l'Église: il devint donc nécessaire de l'en- voyer dans un lointain village où il mourut il y a environ un an. La mère et les soeurs habitent encore avec le curé. Elles sont habillées comme de simples paysannes avec le bonnet, le col et tout le costume local, sans honte et sans ostentation. Vous pensez que c'est tout naturel ; mais il y a une autre façon de voir les choses si l'on prend la peine de bien observer. Même Madame la Comtesse de K..., la femme nouvellement convertie, au zèle si ardent, dont je vous ai parlé, dit qu'il n'y a qu'une chose qu'on peut reprocher à l'Église romaine, c'est que les prêtres ne sont pas des gens de bien. Ne rejetez pas ce problème avec dédain! Cela veut dire que le curé ne peut pas s'asseoir à la table en acajou du hobereau, ni se lier avec lui. Voilà ce que cela peut signifier pour la Noblesse ; mais pour le peuple, cela a une signification bien plus grave. Les bretons n'aiment pas les prêtres, et cette aversion est bien enracinée, même chez ces gens superstitieux et apparemment dévots. D'où vient-elle ? Je me suis posé cette question, je l'ai même posée directement aux gens, et j'en ai découvert l'origine : c'est l'attachement viscéral du paysan français à l'argent. II trouve les continuelles demandes des prêtres insupportables et se révolte. 1/11

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La vie en Bretagne (2ème partie)

Traduction par Nicole Le FOLL d’un article anonyme de la revue

"The Cornhill Magazine", vol.XL, juillet-décembre 1879

(La première partie de l'article a paru dans notre précédent numéro de décembre 1994)

Il est plutôt curieux que de tous ceshommes, celui qui ait justifié la Révolutionsoit le curé de la paroisse, auquel je suisallé rendre visite seul. Il est, je crois, (il nepeut en être autrement) la véritableincarnation des théories catholiques, étantle prêtre d'une société si dévouée au Pape.Mais, comme les autres mortels faillibles,il ne voit pas toujours le sens complet desexpressions qu'il utilise. Alors qu'ilm'entretenait des réparations et ajouts à lastructure de l'église depuis son arrivée dansles lieux, il m'a dit qu'auparavant le servicede la paroisse incombait à un monastèresitué à quelque distance, et que celui-ciengloutissait tous les revenus de la paroisseet laissait l'église tomber en ruines. "Maismaintenant, m'a-t-il dit, la paroisse estséparée et il y a un prêtre à demeure, ce quiest, je crois, ce qu’il y a de mieux pour uneparoisse. " En ajoutant: "Vous voyez, laséparation était devenue nécessaire: il n 'yavait plus d'argent pour la paroisse, car laRévolution avait supprimé toutes lesdotations !". Il apportait ainsi la preuve quela Révolution avait institué un prêtrerésident et faisait réparer les bâtimentsecclésiastiques.

Ce fut aussi un dimanche que jerendis visite au curé, entre deux services, àun moment où je savais le trouver chez lui.Il était assis à dîner avec son vicaire etdeux jeunes femmes habillées comme desimples paysannes, qu'il me présentacomme ses soeurs. Son histoire est lamême que celle de la plupart des prêtresbretons. Fils de paysan, il fut élevé dans un

séminaire et lorsqu'une paroisse lui futconfiée, il installa son père, sa mère et sessoeurs au presbytère. Le père était un ivro-gne de la pire espèce, qui passait son tempsau café, au scandale du prêtre et del'Église: il devint donc nécessaire de l'en-voyer dans un lointain village où il mourutil y a environ un an. La mère et les soeurshabitent encore avec le curé. Elles sonthabillées comme de simples paysannesavec le bonnet, le col et tout le costumelocal, sans honte et sans ostentation. Vouspensez que c'est tout naturel ; mais il y aune autre façon de voir les choses si l'onprend la peine de bien observer. MêmeMadame la Comtesse de K..., la femmenouvellement convertie, au zèle si ardent,dont je vous ai parlé, dit qu'il n'y a qu'unechose qu'on peut reprocher à l'Égliseromaine, c'est que les prêtres ne sont pasdes gens de bien. Ne rejetez pas ceproblème avec dédain! Cela veut dire quele curé ne peut pas s'asseoir à la table enacajou du hobereau, ni se lier avec lui.Voilà ce que cela peut signifier pour laNoblesse ; mais pour le peuple, cela a unesignification bien plus grave.

Les bretons n'aiment pas les prêtres,et cette aversion est bien enracinée, mêmechez ces gens superstitieux etapparemment dévots. D'où vient-elle ? Jeme suis posé cette question, je l'ai mêmeposée directement aux gens, et j'en aidécouvert l'origine : c'est l'attachementviscéral du paysan français à l'argent. IItrouve les continuelles demandes des prêtresinsupportables et se révolte.

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Pour vous faire comprendre comment celafonctionne, prenons l'exemple de moncuré. Le Gouvernement le paie, je crois,1.100 Francs, soit 44 Livres par an ; ces1.100 Francs sont soumis à une déductionde 30 Francs pour diverses taxes,nationales et du diocèse, ce qui laisse aucuré des appointements de 36 Livres paran. J'admets que cette somme ne peut luipermettre de vivre que comme un paysanou un ermite, mais bien que le clergé prônesi souvent les beautés de la pauvreté, Jen’ai pas encore rencontre un de sesmembres qui la pratique personnellement.Je ne dis pas qu'ils demandent plus qu'iln'est raisonnable, mais je reconnais qu'ilsdemandent à vivre comme des hommesinstruits, comme des hommes qui, parl'éducation qu'ils ont reçue ont acquis deshabitudes et des idées qui les coupent de lavie des paysans, de la grossièreté desmanières des pauvres et de leur façon de senourrir.

Le curé fait ici ce que font lesautres membres du clergé: il demande plus.A certaines périodes de l'année, il fait letour de sa paroisse pour recueillir le denierdu culte, dont le versement n'est pasobligatoire, et il réussit à récolter unrevenu non négligeable auprès des paysansréticents.

Il m'a dit lui-même que les gensdétestaient donner de l'argent, et doncdétestaient les prêtres. J'aurais pu lui direavec quelle amertume les gens de saparoisse m'avaient parlé des prêtres engénéral et de lui-même en particulier bienqu'ils admettent qu'il soit un brave hommen'ayant qu'un défaut, son amour de l'argent; amour que je trouve très modéré, car jecrois que tous ses revenus réunisn'atteignent pas 100 Livres par an.

En fait, c'est véritablement unhomme charmant, aux manières agréables.Il travaille aussi dur qu'un paysan et neménage pas sa peine pour remplir sesfonctions, ayant scrupule de m'accompa-gner en mer dans mon bateau de peur queles gens lui reprochent d'avoir négligé sesdevoirs et déserté sa paroisse.

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En outre, les gens se méfient desprêtres et cette méfiance est profondémentenracinée dans leur esprit. Mon ami etvoisin, vieux loup de mer vivant d'unepension, occupant un obscur emploi defonctionnaire et qui a une vraie tête deFrançais, m'a prodigieusement amusél'autre jour par sa propre version des tondsparoissiaux. Bien sûr, je ne fais que répéterici les paroles d'un homme sans éducation,ancien maître d'équipage ou peut-êtrequartier-maître. Cependant, sa langue bienpendue n'a fait qu'exprimer les idées quisont celles de tous les paysans, bien qu'ilsne puissent les exprimer ouvertement.Voici ce qu'il m'a dit : "Pierre D... n'ajamais été bien malin, il a donc été choisicomme fabricien. Pierre remplissait sesfonctions consciencieusement et s’occupaittout particulièrement des offrandes, car lecuré lui avait dit qu'il fallait prendre grandsoin de l'argent jusqu'à Pâques. Il seraitalors divisé en quatre parties: une partiepour le Pape, une pour l'évêque, une pourles pauvres et une pour le prêtre. Pierreavait donc réuni une somme rondelette, etquand vint le jour de faire la division, il semit au travail avec diligence. L'ensembledes pièces ayant été réparti en quatre parts,Pierre demanda ce qui allait en être fait; àquoi le curé répondit: "Je vais m'enoccuper". "Puis, dit Pierre, il a pris lesquatre parts et les a empochées : C'étaitbien la peine que je fasse tout ce travail,pour voir le curé mettre tout dans sa poche!". Pierre donna sa démission. "C'est ainsi,dit mon marin, ces prêtres, même unimbécile comme Pierre peut les percer àjour !".Pourtant, vous, lecteur, et moi-mêmesavons (ou sommes convaincus) que lecuré a fidèlement rempli la mission dont ilétait chargé et a fait remonter les sommesrespectives où il le devait, mais cela avaitfait naître des soupçons qu'il n'était paspossible de faire disparaître. D'où

proviennent-ils donc ? Pourquoi avoir desobjections à ce que les prêtres aient unsalaire décent ? Cela ne vient passeulement de l'amour de l'argent despaysans, mais aussi du fait que le prêtrelui-même est un paysan, et ils necomprennent pas pourquoi il aurait besoind'un meilleur revenu qu'eux-mêmes, oupourquoi sa mère et ses soeurs devraientavoir du vin ou du dessert, alors qu'eux--mêmes mangent du pain noir. La religionn'est pas pour eux une raison suffisante, etils sont ignorants des effets de l'éducation.

Si mes lecteurs ont la patience debien vouloir me suivre dans ma descriptionde "la vie en Bretagne", je ne m'attends pasà ce qu'un seul d'entre eux choisisse laBretagne comme lieu de résidencepermanent, malgré tous les avantagesqu'elle présente! Ce qui est évident, c'estqu'il y pleut toujours: pas un mois, à peineune seule journée sans pluie, et quellepluie! Elle pénètre partout, rend touthumide. Les routes secondaires sonttransformées en canaux les trois quarts del'année, et ce n'est que grâce à l'excellentecondition des routes départementales, auprix de fortes dépenses, que l'on peutcirculer. Si nous devions dépendre desroutes communales, nous serions isolés aumoins neuf mois sur douze.

Ce qui, pour des Anglais, seraitégalement un grave inconvénient, est le faitd'utiliser en commun maison, étable,grange et dépendances, ce qui est la règlede ce pays. Les hommes de condition quihabitent un château se lassent d'exploiterleurs terres et les louent à un fermier qui ale droit d'utiliser une certaine partie desétables et autres bâtiments. Cet arrange-ment semble fonctionner relativement bienavec les gentilshommes bretons quiconnaissent le mode de vie du peuple, maisil est tout simplement insupportable à unAnglais.

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Il n'est pas une partie de votre lieu derésidence qui soit bien entretenue. Rienn'est vraiment à vous. Vous perdez vosréserves de foin, d'avoine, etc...car lepaysan breton est un spéculateur. Vousn'avez plus de vie privée: il y a uneperpétuelle interférence entre vos propresaffaires et celles des domestiques. Cet étatde choses s'aggrave encore lorsque lechâteau a été abandonné et que le maître setrouve depuis longtemps à Paris ouailleurs.

Il est vraiment prodigieux deconstater combien de belles demeures ontété désertées par leurs propriétaire danscette belle Bretagne. Ont-ils été emportéspar la pluie, ou bien aspirés ailleurs parl'amour que les Français portent auxgrandes villes et à la vie en société ? Quoiqu'il en soit, vous voyez ici des maisonsabandonnées avec tout leur mobilier, ce quime rappelle le conte célèbre du repas demariage préservé en l' état pendantcinquante ans du fait que le marié avaitsubi quelque accident le jour du mariage.J'allai voir le château de Penanrun l'autrejour. C'est un bâtiment splendide, d'environtrente pièces, situé dans un parc, avec desdépendances anciennes, des jardins et desvergers. Il est à louer actuellement pourune bouchée de pain : voici son histoire.

Il y a vingt ans, le fils d'un vieuxsoldat qui avait bien servi la France ahérité de la propriété. Il avait des idéesnouvelles: il a fait raser l'ancien manoir (qui était, paraît-il, bien plus beau que samaison moderne) et fait construire leprésent château à un coût très élevé. Il y ahabité cinq ans, puis soudain a tout ferméet a quitté le pays. Ce château est restéfermé quinze longues années, mis à part lefait que son beau-frère et sa sœurvenaient y passer quelques semaines l'été.Mais il y a six ans, le beau-frère enquestion est venu comme d'habitude, puis a

quitté les lieux de la même façon que lepropriétaire. Il a suspendu sa veste, sonlinge de rechange, ses bottes, tous sesvêtements, à une patère dans sa chambrecomme s'il allait les mettre quand il vien-drait s'habiller. Mais il n'est jamais venus'habiller, ses vêtements y sont toujours etc'est là que je les ai vus, mangés aux mites,comme si on venait juste de les y placerune demi-heure auparavant. Toute lamaison est dans le même état: divans,chaises, tableaux, tout tombe peu à peu enpoussière, de telle façon que tout est abîméet inutilisable. Les dépendances sontlouées à un fermier, comme d'habitude.Qui voudrait s'engager dans les réparationset la rénovation d'un château tel que celui-là et le meubler à nouveau ?

Ce qui fait le charme de laBretagne, ce sont les "paysans". Ce n'estpas étonnant, car ils sont vraiment "suigeneris", ils diffèrent totalement de touteautre population. Ils ont à la fois la naturesombre et taciturne de l'Espagnol et letempérament drôle et impétueux del'Irlandais. Il est difficile de comprendrecomment une même personne peut être à lafois silencieuse et bruyante, réservée etdébordante de jovialité. Et pourtant, il enest ainsi.

Elle doit tenir du tigre, cette popu-lation qui jusqu'en 1847 prenait plaisir àfaire périr ses amis à coups de fouet, lequelétait fabriqué de la façon suivante : lapartie souple mesurant environ cinq mètresde longueur atteignait, à une petite distancede la poignée, l'épaisseur d'un brasd'homme pour devenir plus mince versl'extrémité tressée terminée par un noeudtrès serré, qu'un enduit de glu rendait pluscoupante encore. Ce jouet était fixé à unmanche de bois solide et rigide, et nonseulement pouvait découper un homme ensteaks, mais même lui ôter la vie dès lepremier coup.

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Et cependant un historien local fait le récitd'une fête à laquelle il a assisté en 1847, oùl'attraction principale fut un combat entredouze hommes, six de chaque côté, avecces armes mortelles. Le claquement de cesfouets faisait, dit-il, plus de bruit qu'uncoup de fusil: on pouvait l'entendre à unedistance de quatre kilomètres, et lorsqueplusieurs faisaient claquer leurs fouets deconcert, le bruit était si terrible que l'on nepouvait que s'enfuir ou se boucher lesoreilles.

Ces douze hommes se faisaient faceà une distance correspondant presque à lalongueur de leur fouet. Ils étaient debout,n'ayant comme vêtements pour se protégerque des culottes courtes de feutre et deschemises en solide toile à voile. Commetous les paysans bretons de l'ancien style,ils portaient les cheveux longs, tressés dansle dos et coupés sur le front à la façon du"Garçon Bleu" de Gainsborough. Ilsn'avaient ni chapeau, ni couvre-chef. Lebras gauche était nu, mais le bras droit, quitenait le fouet, était protégé du poignet aucou par un brassard ou bouclier d'un cuirépais. On pouvait reconnaître à quel campils appartenaient par la couleur de lahouppe de leur fouet, rouge ou blanche.Ces hommes qui se tenaient ainsi face àface étaient prêts à être blessés à mort pourla gloire, mais aussi pour un prix quiconsistait en une demi-douzaine demouchoirs à rayures et une livre de tabac.

Quand le signal fut donné par unvieux paysan, les lutteurs prirent uneattitude de défi, fouet levé, la lanière rete-nue dans la main gauche. "Frappez !" dit lamême voix, et les douze câbles furentlâchés en un instant; mais on n'entenditaucun claquement quand ils s'emmêlèrent,s'affrontant dans l'air à mi-hauteur. Lesplus réputés libérèrent rapidement leurfouet et assénèrent un deuxième eteffroyable coup à leurs adversaires, lesbalafrant de longues estafilades livides ousanguinolentes. Au troisième coup, le sangruisselait et tous les visages étaient

tailladés, à l'exception de deux: ces deux làétaient les chefs, l'un grand, l'autre petit;l'un lourd, l'autre léger ; l'un tout en chair,l'autre musclé et nerveux, bien que faisantseulement un mètre cinquante. Un étrangeraurait misé sur le géant, mais les gars dePipriac 1 connaissaient trop bien lesprouesses du nain pour risquer leur argentcontre lui.

Le combat redoubla de fureur : leshommes dédaignaient de parer les coups,ils ne pensaient qu'à en donner. Le bruitressemblait à celui d'une salve de fusils.Les lanières se firent souples pour saisir, setendirent à nouveau et se nouèrent dans lesang. Les visages n'étaient plus humains;les cheveux longs pendaient en avant,baignés de sueur et de sang. Mais aucundes deux champions n'avait reçu un seulcoup. Eux s'étaient ménagés, s'étaientprotégés et avaient paré les coups, sachantque c'était d'eux que dépendrait l'issue dela lutte. Mais cette fois, l’homme de hautetaille atteint son but: une longue blessurebleue, en spirale, le long de laquelle lesang gicle ici et là, zèbre le bras du petitJoseph et le fait tituber de douleur. Il sereprend, lance son fouet en direction deson adversaire et l'extrémité mortelle nerate le visage du grand Joseph que dequinze centimètres. Stimulé par sonpremier succès, Kaer s’avance et met toutesa force dans le coup qu'il lance endirection de Josille. Le petit homme neprend même pas la peine de l’éviter, illance son fouet en souplesse en faisant unesorte de pirouette, sans aucun effort. Lecoup de Kaer n'atteint pas son but; maislorsque Josille retire son fouet d'un coupsec, tout le visage de Kaer est coupé endeux, une plaie gigantesque, les os mêmesont à nu.

1 Chef-Iieu de canton d'llle-et-Vilaine, près deRedon.

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Il n 'y a plus que ces deux-là en lice, lesautres ont conclu une trêve et sont occupésà soigner leurs graves blessures. Kaer,aveuglé par le choc, protège son visage deson brassard de cuir et fait une pause.Josille, bien loin de profiter de l'occasionpour presser son avantage, sort calmementson mouchoir de sa poche pour se moucherbruyamment, au grand amusement de ceuxqui ont misé sur lui et qui considèrent celacomme une bonne plaisanterie. Les riresrendent Kaer furieux, il perd son sang-froid, ne se contrôle plus. Il frappe, trépi-gne, marque quelques beaux coups, maisJosille garde son calme, et au bout de dixminutes le géant, couvert de blessures, lachemise en lambeaux, l'écume à la bouche,aveuglé, s'affaisse sur les genoux."N'abandonne pas !" crient encorequelques voix. Mais l'effort pour se leverest vain. Josille, apparemment incapable depitié, comme tout bon paysan breton, semouche à nouveau et se prépare à porter lecoup de grâce à l'homme presqu'à terre. Unfrisson parcourt la foule... Mais Josille estmeilleur que les apparences ne le laissentsupposer, car au lieu de tailler dans lapauvre chair, il enlève avec dextérité lefouet des mains de la victime, puis croiseles bras sur la poitrine. Kaer ferme les yeuxet pose sa tête brûlante sur le sable. LesBlancs sont proclamés vainqueurs. Lessimples participants reçoivent seulementun mouchoir d'une valeur de six pence ², etJosille la livre de tabac. Je ne sais si on voitencore de telles scènes, mais ce récit est sirécent qu'il éclaire le paysan breton tel queje le rencontre.

Quant aux vêtements des gens de lacampagne, ils sont pittoresques, sipittoresques en vérité que lorsque quelquesotte servante s'entiche de la modeparisienne et la suit, elle ressemble à unecorneille au milieu d'oiseaux au plumage

chatoyant. Et cependant, je dois dire, àmon grand regret, que la façon de s'habillerchange. Nos vieux paysans portent dessabots, des guêtres, de très amples culottesserrées sous le genou, avec blouse et gilet,les cheveux longs comme ceux d'unefemme; un large chapeau plat en feutrecomplète le costume. Nos jeunes gens ontadopté les pantalons, mais ils continuent àporter la blouse brodée au col et l'amplegilet fluide, le plus souvent fait d'une étoffede couleur bleu-foncé, brodé dans le dosd'une représentation du Saint Sacrement;ces broderies disparaissent, ainsi que lacoutume de porter les cheveux longs etbouclés. Les femmes portent une jupecourte, de tissu très épais, avec des plis à lataille, qui ressemble plus à un kilt écossaisqu'à autre chose.

² De très faible valeur: une Livre = 20 shilling, un shilling = 12 pence (pluriel de penny).

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Elles ont une sorte de veste de drap brodéou gilet avec manches, et par dessusencore, un autre sans manches, avec uneencolure carrée bien échancrée à l'avantpour mettre en valeur leur chemisetteblanche joliment empesée ; à la chemisetteest attaché un énorme col qui dépasselargement les épaules et qui est unemerveille d'adresse dans les arts del'empesage et du repassage. Ce col, ainsique la grande coiffe de la région, quidiffère dans chaque commune, complète lecostume. Bien sûr, il y a différentes sortesde coiffures, certaines amples et légères,d'autres bien ajustées, certaines sontcolorées, d'autres brodées, et ceci donne àtoute manifestation un aspect très varié etagréable. Mais ma plume ne saurait décriretout cela.

Le foyer du paysan breton est trèsspécial et diffère de tout ce que j'ai pu voirailleurs. Une vieille étable, une écurie,n'importe quelle dépendance fait aussi bienson affaire que tel autre bâtiment, et seratoujours utilisé dans la mesure où il estdisponible. Mais que la maison soitconstruite de pierre, de bois ou de torchis,l'extérieur est presque toujours le même: ilprésente une porte au milieu et deux petitesfenêtres carrées d'environ quarantecentimètres de côté. A l'intérieur le sol estde terre battue, véritablement en terre, etcomme la Bretagne est un pays trèspluvieux, les sols en terre sont presquetoujours humides, souvent avec des flaquesd'eau.

Je me souviens m'être arrêté unjour, en revenant de la pêche, dans l'une deces masures qui servait d'auberge, et avoireu des difficultés à trouver un endroit secoù poser mes pieds. Étant enclin àbavarder, je demandai à mon hôtecomment un homme tel que lui, que jeprenais pour un homme d'une certaineaisance, à voir les meubles de valeur qu'ilpossédait, pouvait supporter de vivre dans

une telle porcherie. Il me répondit qu'ilportait toujours des sabots que l'humiditéne pouvait traverser. Quant à dormir dansun tel lieu, qu'est-ce que cela pouvait bienlui faire, lorsqu'il était bien en sécuritédans son lit clos (merveilleux buffet bretonaménagé en lit). Même si la mer devaitenvahir sa demeure, ce serait le dernier deses soucis. Les plus pauvres masures ontleur lit clos et leur armoire d'un bois augrain fin, pour la plupart magnifiquementsculptés. Cette auberge avait tout un côtéoccupé d'un seul et unique meuble pourfaire dormir toute la famille. Une sorte dehaut placard sculpté prenait toute lalongueur du mur. Il comprenait un lit àchaque extrémité et une grande horloge aumilieu, une horloge comme nos ancêtres enavaient dans leur cuisine.

Durant la journée, les lits sontinvisibles, la nuit également, je suppose :on peut y accéder par deux petites portescoulissantes qui possèdent des petitescolonnettes pour l'aération. Les portes nesont ouvertes que pour permettre l'entréeou la sortie du locataire. Elles restentfermées jour et nuit, si bien qu'il estpossible de pénétrer dans une pièce de cetype (ce que j'ai fait) à minuit, sans voirhomme, femme ou enfant, jusqu'à ce queles petites portes s'entr'ouvrent et que lestêtes de toute une famille émergent de ceque l'on peut bien appeler un salon de nuit.Si l'on ajoute à ce lit clos une armoire(buffet aux grandes portes qui se rabattent),quelques ustensiles de cuisine, un banc oudeux et une table, vous avez l'inventairecomplet d'une maison bretonne, qu'elle soitoccupée par un fermier ou un ouvrieragricole. Il y a un an, je suis allé visiter unchâteau à louer. Il appartenait à un richefermier qui s'était installé dans l'étableimmédiatement après son achat. C'est làque je le vis, avec les vaches, les chevaux,les cochons et les domestiques, la pièce oùil vivait n'étant séparée d'eux que par unemince cloison de bois.

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J'ai cité les domestiques avec le bétail:c'était effectivement ainsi, un hommedormait dans une sorte de petit lit en boisbrut, dans une étable avec dix vaches.C'était nécessaire, d'après mon fermier, aucas où elles se seraient enfuies la nuit.

De même que le paysan breton vitde façon primitive au milieu de son bétail,il pense et agit de façon primitive. Il a peud'idées et elles lui viennent de ses ancêtres.Je suppose que la religion en Bretagnereste à peu de choses près telle qu'elle étaità l'époque de Saint Louis, à l'exception desabus des prêtres et de leur conduiterépréhensible en accord avec les moeurs duMoyen Age et en relation avec l'appui queleur accordait l'État à cette époque.

Jean, le fermier, vient de rentrerd'un pèlerinage de trois semaines àLourdes avec 1.500 bretons, presque tousdes paysans. Il a dû dépenser beaucoupd'argent : le billet de train et I 'hôtel, cen'est pas rien! Cela peut sembler curieux(de parler de train et d'hôtel à propos depèlerinage, et c'est effectivement curieux,car on s'attend naturellement à ce que l’ou-verture et les idées nouvelles que lepremier apporte et le luxe que le secondsuggère soient des moyens très efficacespour faire cesser des coutumes médiévales- ce qui se produira un jour - mais pour lemoment ils servent les intérêts de ceux quivivent de cette superstition antique etétrange qui les rend prospères. Plus d'unexpédient utilisé - pour ranimer quelquetemps un rêve qui s'éteint ne rend que plusinéluctable le réveil final.

Ma bonne, Françoise, a elle aussifait son pèlerinage, et a fait l'expérienced'un miracle sur sa propre personne, auquelje peux donner tout le poids de montémoignage désintéressé.Tout le monde savait que Françoise buvait- elle était pratiquement tombée dans ladéchéance - et tous pensaient que c'étaitpour toujours, quand, un beau jour , elleenleva bas et chaussures et se rendit auprès

d'un certain saint afin d'être guérie de sonivrognerie. Pieds nus elle partit, pieds nuselle revint, guérie et saine d'esprit. Pendantsix mois elle ne but aucune boissonfermentée, trouvant quelque soulagementuniquement avec du vinaigre et de l'eau.Au bout de six mois elle partit à nouveaunu-pieds, car elle devait des remerciementsau Bon Dieu pour le miracle qu'il avait faitpour elle. Elle habite maintenant cheznous, elle est sobre comme un juge (devraitl’être), et aussi gaie qu'un grillon. Cemiracle, je peux en témoigner, et s'il seprolonge effectivement, ce seravéritablement un miracle. Il est la preuvede l'efficacité d'une volonté très fortetendue vers une fin, même si cette volonténe procède que de notre esprit.

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Ce que l'homme ne peut faire seul, il peutle faire à l'aide d'une petite fiction bienmise en scène, les "dramatis personae" et letableau final étant tous en place dansl'esprit de la personne dès le début.Françoise pense qu'un démon familier veutfaire échouer tous ses projets et s'efforce dela faire jurer. Hier, elle essaya plusieursfois d'allumer une bougie avec un bâtonenflammé, sans succès: c'était la faute deson démon. Mais quand enfin elle réussit,elle s'exclama : " Ah! J’ai gagné, tu nem'as pas fait jurer "'. Mais la flammes'éteignit quand elle posa la bougie sur latable ; elle remarqua d'un ton lugubre :"Non, finalement, c'est lui qui a gagné !".Toutes ces idées sont communes chez nosBretons.

Ces gens ne paraissent pas sales.Leurs vêtements sont toujours convenableset, les jours de fête, ils sont non seulementbeaux, mais de prix. Et cependant je croisqu'un paysan breton ne se lave pas uneseule fois dans sa vie. Je n'ai jamais vuquelque chose qui pouvait servir à latoilette dans aucune des pièces qu'ilshabitent, je n'en ai jamais vu aucun se laverdans un baquet, un ruisseau, ni à un puits.Et pourtant, personne n'est mieux placé quemoi pour les observer. En face de mafenêtre se trouve le puits, l'unique pointd'eau de la communauté : c'est là que tousdoivent se rendre pour chercher de l'eau, etcependant je n'ai jamais vu quelqu'un laverautre chose que des vêtements au puits ouaux abords du puits. En vérité, ils sont (ilne peut en être autrement) aussi sales queles porcs qui vivent et dorment près de leurlit. Chaque fois que j'ai affaire à eux, jelaisse un grand espace entre nous,particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants, etl'expérience prouve que j'ai tout à faitraison de prendre cette précaution.

L'hiver en Bretagne est une période

épouvantable, une période de pluieincessante, de routes si mauvaises qu'ellessont quasiment impraticables, de longueset lugubres journées sans soleil. Je ne peuxrecommander la Bretagne si l'on chercheune résidence d'hiver. Il n 'y a pas ici de"foyer" ; (Home dans le texte) dans le sensanglais. Les maisons ne sont pasconstruites pour l'agrément et le confort.Les pièces communiquent les unes avec lesautres, si bien qu'elles ont beaucoup deportes. Pas de salon vraiment confortable,ni de sièges de détente, ni de cheminée quifasse rêver de pantoufles et d'un bon livre ;pas de chambre de malade susceptible dedevenir presque plus accueillante que lesalon habituel. Même dans les grandesdemeures, les chambres ne sont, pour laplupart, que de simples placards. Il est vraique dans un très grand château, il estpossible de trouver une ou deux piècesdestinées à être des pièces d'apparat,meublées comme des boudoirs, avec unealcôve pour le lit, mais c'est rare, et mêmedans ce cas les meubles sont là pour ledécor, ils sont inconfortables et nepermettent pas de se reposer. Il ne faut pascritiquer les lits français: eux au moins sontparfaits. L'Angleterre, comparée à laFrance dans ce domaine, est un pays sau-vage et barbare. Je ne parle pas de la formedes bois de lit. Je ne m'en prends pas àl'ancien lit à baldaquin, je parle des matelasmous, moelleux, épais, entassés sur unsommier, sorte de coffrage à ressorts. Jesais que dans certaines maisonsanglaises et que dans la plupart des hôtelsanglais on trouve une pâle imitation de ceslits français, mais comme ces pâles copiessont loin d'égaler les originaux ! LesAnglais économisent sur les matelas, ilséconomisent aussi sur ce qui est utilisépour le rembourrage, et pire encore, ils ontl'incorrigible habitude de tellement serrer lalaine, le crin, ou la bourre de laine, que celarevient à dormir sur une planche.

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Au contraire, tout est mou dans unvéritable lit français, si mou qu'il peut êtreouvert et refait tous les ans à la maison, aulieu d'attendre des années, comme dans lesmaisons anglaises, pour les amener au prixd'un onéreux voyage chez Maple and Co,ou Heal and Co, qui font ce travail à lavapeur dans leurs merveilleusesinstallations.

C'est en hiver plus qu'en toute autresaison que le paysan breton se révèle telqu'il est vraiment, car le sol de sa maisonest à mi-distance entre une mare et uneporcherie. Il a des vêtements toujourshumides, quand ils ne sont pas bons àtordre. Il n'a aucune sorte de confort dansson intérieur et semble n’en rechercheraucun. Un grand nombre d’entre eux nesont pas seulement d’une richesse relative,ils sont vraiment très riches. Par exempleJean, notre fermier, possède au moins20.000 Francs, ou 800 Livres, ce qui n'estpas une somme négligeable pour untravailleur, même en Angleterre ;cependant il n'a qu'un désir, augmenter cequ'il possède. Rendre sa maison plusconfortable pour l'hiver ne lui vient mêmepas à l’esprit. Son cas n'est pas du toutexceptionnel, et pourtant cet homme vabientôt mourir de phtisie. Il y a deux ans, ledocteur l'avait prévenu de cesser des’exposer au froid et à l’humidité souspeine d'une mort prochaine ; cependant, iln'y a pas renoncé et la conséquenceen est qu’il est maintenant mourant. Il y aquelques jours, j'ai entendu dire qu'il étaitalité, qu'il allait très mal et crachait le sang.Je lui rendis donc visite et le trouvaieffectivement très mal. Sa chambre nepouvait pas être plus humide: elle n'avaitpas de rideaux, la porte d'entrée étaitgrande ouverte, le feu se réduisait àquelques braises que l'on ranimerait, ensoufflant dessus, uniquement pour faire lacuisine ou pour les besoins de la ferme. Iln'avait pas de médicaments ni de nourritureparticulière, mais se nourrissait comme les

autres de pain de seigle et de galettes oucrêpes de blé noir. Je lui dis, en présencede sa femme, que je le trouvais bien mal.Dans la nuit, elle s'alarma lorsqu'il vomitdu sang, si bien qu'elle vint chez moi, lematin suivant, en larmes, me demander cequ'elle devait faire pour lui. Je lui dis de luiprocurer de la chaleur, de la viande, de lasoupe et autres réconforts, et elle alla doncacheter deux livres de pain blanc ! Quandce pain blanc arriva à la maison, sa mère(la belle-mère de Jean), qui vit chez eux,s'emporta, puis resta maussade toute lajournée, car c'étaient, d'après elle, desdépenses inconsidérées. Il faut savoir quependant des jours je lui avais envoyé de lasoupe, de la viande et des pâtisseries de mapropre table, en partie parce que je pensaisqu'il devait recevoir de l'aide sans délai, enpartie parce que je ne pouvais supporter devoir cet homme mourir d'inanition sousmes yeux, car il ne pouvait manger lagrossière nourriture qu'ils consommenthabituellement et donc ne prenait rien dutout. Ils ont accepté tous mes cadeaux,pratiquement sans un merci, et n'ont pascherché à se procurer autre chose, jusqu'àce jour où Yvonne acheta ce pain blanc. Ehbien, ce jour là, alors que sa mère étaitfurieuse, elle entra en larmes dans macuisine et dit à ma bonne combien c'étaitdifficile pour elle. La bonne vint me lerapporter immédiatement et protesta endisant que je ne devais pas continuer àenvoyer de la nourriture à un homme richeet avare, entouré de deux femmeségalement avares, alors que de vraispauvres n'avaient rien, sinon leur main àtendre pour demander de l'aide. Je répondisque je n'avais jamais jusque-là refuséd'aider un vrai pauvre et que j'avaisl'intention de continuer à prodiguer del'aide à Jean" en dépit de son attitude dictéepar son avarice" car je ne pouvaissupporter de voir un homme mourir dans lebesoin alors que je n'étais pas moi-mêmedans la gêne.

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Mais je lui recommandai de gronderYvonne sévèrement et de lui dire qu'elledevait remplir son devoir envers son mari"même si elle devait pour cela mettre samère à la porte" d'autant plus qu'ils'agissait d"une femme riche qui avait bienles moyens de tenir sa propre maison. Ehbien! Faites attention à la réponsed'Yvonne :" Ah! Ce n'est pas possible, car il se peutque mon mari meure bientôt, et alorsj'aurai besoin de l'aide de ma mère… "

Remarquez bien cette réponse, dis--je, son égoïsme le plus complet, et dites -moi si de telles personnes ont quelquevaleur, quelque profondeur de caractère '?Quant à moi, je ne le pense pas.

Le temps a changé et Jean va mieuxdepuis quelque temps" mais il n'en a plusque pour quelques mois à vivre. Il est déjà

sorti sous la pluie et il sera à nouveau alitédans quelques jours, à vomir du sang.Comme il allait très mal, sa femme m'avaitsupplié, alors que j'allais moi-même chezle docteur à une quinzaine de kilomètres,de demander un remède pour lescrachements de sang de son mari. Je le fis,et expliquai aussi les conditions de vieliées à l'habitat et à l'entourage familial. Ledocteur, qui est un homme très intelligent,me dit qu'il les connaissait bien tous, etqu'Yvonne passerait bientôt un trèsmauvais moment. Je dis: "Va-t-il doncmourir bientôt ?- Oui! dit-il, mais ce n'est pas là le mauvaismoment auquel je pense. Ce sera encorebien plus douloureux pour elle quand,après l’enterrement "elle devra venir payermes honoraires !"

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