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Chronologie de la vie de Jésus Alors que les biographies des célèbres auteurs grecs Homère et Platon se réduisent à presque rien, personne ne pense à mettre en doute leur existence car leurs livres témoignent pour eux. Les œuvres de la littérature grecque classique (Euripide, Sophocle, Eschyle, Aristophane, Thucydide, Platon, Démosthène) proviennent de copies qui sont plus de 1000 ans ultérieurs aux originaux. L'auteur latin le plus avantagé est Virgile mais l'écart dépasse encore largement 3 siècles avec l'original 1 . Malgré ces écarts abyssaux, nul ne remet sérieusement en question l'historicité de ces auteurs ou l'authenticité de leurs écrits. C'est pourtant ce qu'on fait avec la biographie de Jésus alors que l'on dispose de textes datés de la fin du 2 e siècle de notre ère (le papyrus P52 étant même daté de 125). Les revues publient régulièrement les travaux des archéologues sur la vie de Jésus pour faire le point sur "ce que l'on sait vraiment". On lit, par exemple 2 : Quand à la date de l'événement, les indications de Matthieu et de Luc ne concordent pas. Selon le premier, la naissance de Jésus est située lors du règne du roi Hérode le Grand, mort en 4 avant J.C. (...); selon Luc, elle a lieu lors du recensement du gouverneur Quirinius, que l'on date en 6 (...) mais Luc fournit un autre repère chronologique, incompatible avec le précédent : Jean le Baptiste aurait commencé son activité l'an quinze du règne de Tibère » (...), et Jésus, venu se faire baptiser au Jourdain, est dit avoir « environ trente ans » au début de son ministère (...). Cette seconde mention chronologique ferait donc remonter la naissance entre 7 et 4 avant J.C. En prime: Les enquêtes historiques sur la vie de Jésus sont remplies d'anachronismes. Cette revue explique enfin que leurs auteurs revendiquent une approche laïque. Ces deux auteurs, Prieur et Mordillat, sont convaincus qu'il ne reste que très peu de certitudes sur l'enseignement exact du Nazaréen. En somme, ils sont certains de leurs doutes (ce qui est un comble pour un esprit critique). Ils professent même une conception paradoxale: Nous ne demandons pas aux personnes un discours de certitude (...) On pense que les Évangiles disent l'histoire, mais en fait, ils ne parlent pas de la même histoire, ajoute, cette fois c'est sûr , Mordillat. Les historiens religieux ont sensiblement la même approche. On lit dans une revue d'histoire: Même si les erreurs historiques abondent, qu'il n'y a pas d'harmonie dans les deux récits évangéliques, et que ni Marc ni l'apôtre Paul, les auteurs les plus anciens, ne s'en préoccupent, la conception et la naissance de Jésus prennent place dans l'Histoire (...) En préalable il faut souligner que cette conception mythologique du monde, bien éloignée de notre esprit rationnel et scientifique, correspond à celle de 1 L. VAGANAY, C.B. AMPHOUX -Initiation à la critique textuelle du Nouveau Testament. Paris 1986 Éd. Cerf pp. 18, 19. 2 G. GOLLIAU – Jésus. Les véritables textes fondateurs. Ce que l'on sait vraiment. Les dernières découvertes archéologiques in: Le Point hors-série N° 1 décembre 2008-janvier 2009 pp. 26-27, 64, 106-107.

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Chronologie de la vie de Jésus

Alors que les biographies des célèbres auteurs grecs Homère et Platon se réduisent

à presque rien, personne ne pense à mettre en doute leur existence car leurs livres

témoignent pour eux. Les œuvres de la littérature grecque classique (Euripide, Sophocle,

Eschyle, Aristophane, Thucydide, Platon, Démosthène) proviennent de copies qui sont

plus de 1000 ans ultérieurs aux originaux. L'auteur latin le plus avantagé est Virgile mais

l'écart dépasse encore largement 3 siècles avec l'original1. Malgré ces écarts abyssaux, nul ne

remet sérieusement en question l'historicité de ces auteurs ou l'authenticité de leurs écrits.

C'est pourtant ce qu'on fait avec la biographie de Jésus alors que l'on dispose de textes

datés de la fin du 2e siècle de notre ère (le papyrus P52 étant même daté de 125).

Les revues publient régulièrement les travaux des archéologues sur la vie de Jésus

pour faire le point sur "ce que l'on sait vraiment". On lit, par exemple2: Quand à la date de

l'événement, les indications de Matthieu et de Luc ne concordent pas. Selon le premier, la naissance de Jésus

est située lors du règne du roi Hérode le Grand, mort en 4 avant J.C. (...); selon Luc, elle a lieu lors du

recensement du gouverneur Quirinius, que l'on date en 6 (...) mais Luc fournit un autre repère

chronologique, incompatible avec le précédent : Jean le Baptiste aurait commencé son activité l'an quinze du

règne de Tibère » (...), et Jésus, venu se faire baptiser au Jourdain, est dit avoir « environ trente ans » au

début de son ministère (...). Cette seconde mention chronologique ferait donc remonter la naissance entre 7 et

4 avant J.C. En prime: Les enquêtes historiques sur la vie de Jésus sont remplies d'anachronismes. Cette

revue explique enfin que leurs auteurs revendiquent une approche laïque. Ces deux auteurs,

Prieur et Mordillat, sont convaincus qu'il ne reste que très peu de certitudes sur

l'enseignement exact du Nazaréen. En somme, ils sont certains de leurs doutes (ce qui est

un comble pour un esprit critique). Ils professent même une conception paradoxale: Nous

ne demandons pas aux personnes un discours de certitude (...) On pense que les Évangiles disent l'histoire,

mais en fait, ils ne parlent pas de la même histoire, ajoute, cette fois c'est sûr, Mordillat.

Les historiens religieux ont sensiblement la même approche. On lit dans une revue

d'histoire: Même si les erreurs historiques abondent, qu'il n'y a pas d'harmonie dans les deux récits

évangéliques, et que ni Marc ni l'apôtre Paul, les auteurs les plus anciens, ne s'en préoccupent, la conception

et la naissance de Jésus prennent place dans l'Histoire (...) En préalable il faut souligner que cette

conception mythologique du monde, bien éloignée de notre esprit rationnel et scientifique, correspond à celle de 1 L. VAGANAY, C.B. AMPHOUX -Initiation à la critique textuelle du Nouveau Testament. Paris 1986 Éd. Cerf pp. 18, 19. 2 G. GOLLIAU – Jésus. Les véritables textes fondateurs. Ce que l'on sait vraiment. Les dernières découvertes archéologiques in: Le Point hors-série N° 1 décembre 2008-janvier 2009 pp. 26-27, 64, 106-107.

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2 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

l'homme du monde antique (...) La logique voudrait que la naissance de Jésus ait eu lieu à Nazareth

quatre ans au moins avant la date fixée par l'Église, puisque les évangélistes nous disent qu'il est né au

temps du roi Hérode le Grand qui régna à Jérusalem de 37 à 4 avant notre ère. À cette première erreur

chronologique s'en ajoute une autre: Luc fait coïncider sa naissance avec un vaste recensement de l'Empire

que l'empereur Auguste aurait fait faire lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Or Quirinius ne

devient gouverneur de Syrie qu'en l'an 6 de notre ère3. À croire cette théologienne, qui est aussi

historienne, "l'homme du monde antique" devait vraiment être crédule pour accepter de

telles contradictions que même les plus savants de l'époque, parmi les adversaires des

chrétiens, ont été incapables de voir. La date de la mort de Jésus est tout aussi embrouillée,

malgré les nombreuses précisions du texte biblique. Mimouni4 explique: Controverse sur la

date de sa mort. Deux renseignements fournis par les sources chrétiennes servent de point de départ

incontesté quand il s'agit de fixer la date de la mort de Jésus: son exécution a lieu alors que Pilate est «

procurateur » de Judée, or ce dernier a eu cette charge de 26 à 36 de notre ère; sa disparition survient un

vendredi –l'Évangile selon Marc et l'Évangile selon Jean s'accordent sur ce point (...) La chronologie selon

les Évangiles synoptiques s'établit donc ainsi: le jeudi 14 nisan —jour de la préparation de la fête, Jésus

célèbre le repas pascal; le vendredi 15 nisan —premier jour de la fête, mort de Jésus (...) La chronologie

d'après l'Évangile selon Jean s'établit donc ainsi: le vendredi 14 nisan –jour de préparation de la fête, mort

de Jésus; le samedi 15 nisan —premier jour de la fête (...) Le témoignage du Talmud de Babylone

(Sanhédrin 43a), conforte la chronologie de l'Évangile selon Jean puisqu'il y est rapporté que Jésus a été

pendu au bois la veille de Pâque. Étonnante analyse, car comment Jésus peut-il mourir la veille

de Pâque et aussi le lendemain, le jour de Pâque! Un esprit un peu rationnel ne peut que

rejeter une telle contradiction. Porphyre5, philosophe néoplatonicien du 3e siècle, écrivait

d'ailleurs concernant la mort de Jésus: Chacun [des Évangélistes] a rédigé un récit de la Passion non

pas en accord, mais en totale contradiction avec les autres (...) De ce récit usé et discordant on peut tirer la

conclusion qu'il y eut non pas un, mais plusieurs suppliciés (...) ou bien un seul qui met du temps à mourir

et ne donne pas à l'assistance une [image] claire de sa passion. Est-ce exact, ou ne s'agit-il pas plutôt,

comme le dit le texte biblique6, de propos volontairement déformés?

Malgré les incertitudes de plusieurs siècles, les archéologues ont pourtant confiance

dans leurs chronologies; mais quand la chronologie biblique est en décalage de quelques

années avec la leur, ils affirment de façon dogmatique qu'il y a anachronisme. La biographie

3 L. CRETE, S.C. MIMOUNI – Jésus cet inconnu. Biographie non autorisée in: Historia thématique N° 110 Novembre-Décembre 2007 pp. 18. 4 S.C. MIMOUNI – Jésus cet inconnu. Biographie non autorisée in: Historia thématique N° 110 Novembre-Décembre 2007 pp. 69. 5 G. GOLLIAU – Jésus. Les véritables textes fondateurs. Ce que l'on sait vraiment. Les dernières découvertes archéologiques in: Le Point hors-série N° 1 décembre 2008-janvier 2009 p. 13. 6 Selon 2Pierre 3:16, les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens les points obscurs.

Page 3: Chrono-Jesus.pdf

CHRONOLOGIE DE LA VIE DE JESUS 3

de Jésus est symptomatique de cette critique, certains extrémistes allant même jusqu'à nier

son existence (alors que ses adversaires juifs ne l'ont jamais fait). Jésus, par exemple, serait

né autour de -2 (selon le texte biblique) juste avant la mort d'Hérode le Grand en -4 et

pendant le recensement de Quirinius en 6/7. Il est évident qu'avec de telles affirmations, la

date présumée de la naissance de Jésus devient impossible, car on ne saurait résoudre

l'équation: -2 = -4 = 6! Cette incohérence conduit à remettre en question l'historicité de

cette naissance et finalement celle du personnage lui-même. La biographie de Jésus aurait-t-

elle été maquillée pour fabriquer le mythe fondateur du christianisme?

Il faut cependant savoir que ces interprétations chronologiques, que beaucoup de

spécialistes colportent par paresse (parfois par malveillance), sont facilement réfutables. Si

on s'en donne la peine, on peut vérifier (voir les biographies d'Hérode et de Quirinius) que

Jésus est né vers la fin de septembre -2, quelques mois avant la mort d'Hérode le Grand, le

26 janvier -1, et durant la fin de la première légation de Quirinius en Syrie, de -3 à -2, soit

plusieurs années avant la seconde en Judée de 6 à 10.

En fait, les critiques sur la biographie de Jésus sont apparues très tôt et se sont

surtout focalisées sur sa filiation particulière. Celse prétendra, par exemple, que Jésus n'était

pas né de l'Esprit saint mais, plus rationnellement, d'une relation adultérine de Marie avec

un soldat nommé Panthère7. Aujourd'hui les critiques se veulent plus subtiles et affirment

que les deux généalogies de Jésus, celle de Matthieu et celle de Luc, se contredisent. Ces

critiques sont peu sérieuses8, car Jésus s'est présenté à plusieurs reprises comme "fils de

David9". Or si cette prétention messianique était sans fondement, il n'aurait jamais été pris

au sérieux, ni par le Sanhédrin, ni par les premiers chrétiens d'origine juive qui pouvaient

facilement vérifier la véracité de cette filiation dans les archives du Temple (avant sa

destruction en 70). La filiation de Jésus est clairement expliquée dans le texte biblique: il est

décrit comme étant le fils de Dieu, fils naturel de Marie et fils légal de Joseph son père

adoptif (le texte de Luc 3:23 précise que Jésus n'était pas vraiment le fils de Joseph mais

seulement: "à ce qu'on croyait"). Les femmes n'apparaissant jamais directement dans les

filiations bibliques, la généalogie naturelle donnée par Luc "Jésus, fils [de Marie, fille] de

Héli, fils de Matthat" a été présentée sous la forme conventionnelle impliquant de rattacher

Jésus à Héli. De plus, les généalogies de Matthieu et de Luc sont simplifiées10, comme on

peut le constater en les comparant à celle du livre des Chroniques (Bible de Jérusalem):

7 Dès la fin du 1er siècle le Talmud de Jérusalem (Shabbat 14d; Aboda Zara 40d) mentionne le Yeshu chrétien comme fils de Pandéra. 8 Au 1er siècle certains chrétiens voulaient établir des généalogies complètes, travail qui ne peut être que sans fin (1Timothée 1:4). 9 Matthieu 9:27, 15:22, 20:30,31; Luc 20:41. 10 Elles ne mentionnent pas tous les fils, ni les frères, ni les épouses provenant d'un mariage léviratique, ni les remariages (dans certains apocryphes le père de Marie est appelé Joiachim [=Eliachim?].

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4 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Ce qui donne les généalogies suivantes:

Mathieu 1:11-12 1Chroniques 3:15-19 Josias engendra [Joaiqim Joaiqim engendra] Jéchonias et ses frères. Après la déportation à Babylone Jéchonias engendra Salathiel [et Pedaya] Salathiel [par Pedaya] engendra Zorobabel Zorobabel engendra Abioud

Fils de Josias l'aîné, Joaiqim le deuxième (...) Fils de Joiaqim: Jékonias son fils, Sédécias son fils. Fils de Jékonias le captif: Shéaltiel, puis Malkiram, Pedaya, Fils de Pedaya, Zorobabel et Shimeï Fils de Zorobabel: Meshullam et Hananya

Mathieu 1:15,16 (filiation légale par le père selon Matthieu 1:1).

Luc 3:23,24 (filiation naturelle par la mère selon Luc 1:35).

Élioud engendra Éléazar; Éléazar engendra Matthan; Matthan engendra Jacob; Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie de laquelle naquit Jésus

Jésus était, à ce qu'on croyait, fils de Joseph [l'époux de Marie et donc], fils de Héli, fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi

Les critiques de Celse et de ses pairs ont tellement été bien intégrées dans la pensée

actuelle qu'on les retrouve maintenant presque à l'identique dans la préface de la Bible

officielle du catholicisme: A ces traditions qui étaient le patrimoine vivant d'un peuple, qui lui donnait

le sentiment de son unité et qui soutenaient sa foi, il serait absurde de demander la rigueur que mettrait un

historien moderne, mais il serait également illégitime de leur dénier toute vérité parce que cette rigueur leur

fait défaut. Les onze premiers chapitres de la Genèse sont à considérer à part. Ils décrivent de façon

populaire, l'origine du genre humain; ils énoncent en style imagé, qui convenait bien à la mentalité d'un

peuple peu cultivé (...) Mais ces vérités, qui touchent au dogme sont certaines, elles impliquent des faits qui

sont réels, bien que nous ne puissions pas en préciser les contours sous le vêtement mythique qui leur a été

donné, conformément à la mentalité du temps et du milieu (...) Pour la date de l'Exode, nous ne pouvons

pas nous fier aux indications chronologiques de 1 R 6:1 et Jg 11:26, qui sont secondaires et proviennent de

computs artificiels11. Les auteurs n'hésitent pas à conclure: Assurément ni les apôtres ni les autres

prédicateurs et narrateurs évangéliques n'ont cherché à faire de l'« histoire », au sens technique de ce mot;

leur propos était moins profane et plus théologique (excuse absurde, car si les rédacteurs ne sont pas

fiables sur des points élémentaires d'histoire pourquoi le seraient-ils sur leurs doctrines).

On le voit, la biographie de Jésus est présentée comme contradictoire, alors que ceux qui la

critiquent ne s'appuient sur aucune date absolue (seule démarche scientifique). Les

biographies d'Hérode le Grand, de Quirinius et de Varus étant imbriquées avec celle de

Jésus, elles ont été examinées de la même façon en étant ancrées par des dates absolues.

Le présent dossier examinera principalement les trois dates importantes de la vie de

Jésus: celle de sa naissance, celle de son baptême et celle de sa mort. La chronologie de son

ministère et de son procès sera également étudiée, car certains points sont contestés. 11 Bible de Jérusalem Paris 1986 Éd. Cerf pp. 27, 1410.

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Date calculée de la naissance de Jésus

En 532, sur une proposition du moine scythe Denis le Petit, l'Église décida de

compter les années à partir du 1er janvier qui suivit la naissance de Jésus, datée par lui du 25

décembre de l'an 753 de Rome (soit le 25 décembre -1). Le calendrier julien commença au

samedi 1er janvier, ce 1er jour de l'an 754 devenant le 1er jour de l'ère chrétienne. Cette

définition n'a été remise en cause qu'à partir du milieu du 19e siècle. En se fondant sur la

coïncidence de l'éclipse de lune du 13 mars -4, juste après le jeûne d'Esther du 12 mars,

l'académicien Wallon1 avait conclu que les 37 ans de règne d'Hérode, ayant débuté en -40,

s'étaient achevés en -4 , et par conséquent que la naissance de Jésus devait être fixée au 25

décembre -7. Cette datation sans aucune rigueur scientifique (voir la biographie d'Hérode le

Grand) reste (hélas) la pratique actuelle de l'Académie2. En effet, la date du 25 décembre

traditionnellement associée à la naissance de Jésus est sans fondement historique (ni

biblique), et proposer de faire naître Jésus en -7 c'est ignorer le témoignage des historiens

des six premiers siècles qui situent tous, sans exception, cette naissance en -2.

La date du 25 décembre est mentionnée pour la première fois en 204 par Hippolyte

de Rome (Commentaire sur Daniel IV:23). Cette date marquait le solstice d'hiver (pour les

Romains) et le début de l'allongement des jours. Elle fut choisie pour symboliser "la

naissance du soleil invaincu", associée à "Jésus ressuscité" selon Justin (Apologie I:67:8). La

preuve la plus évidente que Jésus n'est pas né à cette date est que, selon le texte de Luc 2:8-

12, les bergers étaient dans les champs avec leurs troupeaux cette nuit-là. La saison des

pluies commençant en automne, le soir les troupeaux étaient mis à l'abri. Kislev, 9e mois du

calendrier juif, était froid et pluvieux en Israël (Jérémie 36:22; Esdras 10:9,13), et Tébeth

(décembre/janvier) enregistrait les températures les plus basses de l'année, les hauteurs se

recouvrant parfois de neige. La présence de bergers dans les champs s'accorde, par contre,

avec une naissance datée en Tishri, à la fin de l'été (en septembre).

Les témoignages des historiens des six premiers siècles sont unanimes pour dater la

naissance de Jésus autour de -2 (si cette date était fausse, elle aurait été contestée)3:

Vers 148-152, Justin la place sous le procurateur Quirinius, 150 ans auparavant (Apologie I:46:1). Vers 170-180, Irénée de Lyon la situe dans la 41e année du règne d'Octave (Contre les hérésies III:21:3), qui

débute vers octobre -43 (il est devenu Auguste en janvier -27)4. 1 H. WALLON – Mémoire sur les années de Jésus-Christ Paris 1858 Ed. Comptes Rendus Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. 2 G. PICARD – La date de naissance de Jésus du point de vue romain in: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 139e année, N. 3, 1995. pp. 799-807. 3 Soit par des historiens chrétiens rigoureux, soit par des historiens opposants aux Chrétiens (nombreux à cette époque). 4 Les auteurs anciens comptent le règne d'Auguste non à partir de janvier -27, mais à partir d'octobre -43 lorsque Octave, le futur Auguste, forma le second triumvirat. La 42e année d'Auguste débute (à la fin de sa 41e année) donc en octobre -2.

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6 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Vers 194, Clément d'Alexandrie la situe 194 ans avant la mort de Commode [en 192] (Stromates I:21:145). Vers 204, Hippolyte de Rome date la naissance de Jésus au 25 décembre dans la 42e année du règne

d'Auguste, et sa mort lorsqu'il était dans sa 33e année, soit au 25 mars de la 18e année de Tibère César (Commentaire sur Daniel IV:23).

Vers 207, dans la 41e année du règne d'Auguste et 28 ans après la mort de Cléopâtre (en -30), selon Tertullien (Contre les Juifs VIII:11:75).

Vers 231, dans la 41e année du règne d'Auguste 15 ans avant sa mort, selon Origène (Homélies sur Luc 3:1). Vers 325, dans la 42e année du règne d'Auguste et 28 ans après la mort de Cléopâtre (en -30), selon

Eusèbe (Histoire ecclésiastique I:5:2). Vers 357, Épiphane la situe l'année où Auguste XIII et Silvanus furent consuls (Panarion LI:22:3). Vers 418, Paul Orose la situe en l'an 752 de la fondation de Rome (Histoires contre les païens VI:22,1). Si les rédacteurs chrétiens, qui étaient au centre de violentes polémiques, avaient été

d'aussi piètres historiens, comme certains le prétendent, comment expliquer que leurs

adversaires ne les aient pas épinglés pour une "erreur" aussi facile à détecter à cette époque?

En effet, les chrétiens affirmaient que Jésus était né lors d'un recensement général; or, au

début de notre ère, ceux-ci étaient effectués tous les 5 ans dans le monde romain.

On lit: Or, en ces jours-là, un décret parut de la part de César Auguste pour que toute la terre se

fasse enregistrer (Luc 2:1) ce qui place donc la naissance de Jésus lors d'un recensement

décrété par Auguste5. Luc fait donc bien référence à un enregistrement ou inventaire pour

connaître, entre autres: le nombre des citoyens et des alliés sous les armes (selon l'expression du

Breviarium) et non à un édit impérial de recensement pour préparer l'impôt. Peut-on fixer la

date de cet inventaire général? L'éloge publié en 14 de notre ère6, appelé Res Gestae Divi

Augusti, contient des indications corroborant la date de -2 pour cet inventaire. Il mentionne

trois recensements généraux7 de citoyens romains qui eurent lieu respectivement en -28, -8

et 14 d'après les années consulaires indiquées. Mais ces trois cens, qui se terminent par une

lustration, sont différents des nombreux recensements provinciaux. L'apologiste latin

Tertullien cite (vers 200) le cens général des citoyens romains de -8 (qui ne concernait donc

pas Joseph qui était juif) effectué par Sentius Saturninus en Judée, le confondant à

l'évidence avec l'inventaire de -2 (Contre Marcion IV:19:10). Justin (Apologie I:34:2), 50

ans plus tôt, renvoyait cependant aux archives romaines pour attester le cens de Quirinius8.

Les census généraux étaient quinquennaux (tous les lustres) et tous ceux rapportés par Dion

Cassius confirment cette périodicité9: 5 Le recensement étant décrété par l'empereur, il ne concernait légalement que les provinces impériales (comme la Syrie) et non les provinces sénatoriales. Les rois clients étaient traités sensiblement comme des gouverneurs romains d'après Suétone (Auguste 60). 6 Selon Suétone (Auguste 28:1) et Dion Cassius (Histoire romaine LIII:30:2), Auguste avait déjà préparé une ébauche du Breviarium en -23. 7 Res Gestae 8. La lustration est un rite de purification exécuté à chaque lustre (= 5 ans) pour s'affranchir des influences maléfiques. 8 Cette vérification était en fait théorique, car le simple citoyen n'était pas habilité à consulter les archives. De plus, le temple des Nymphes, qui était le centre de ces archives, fut incendié à plusieurs reprises. Selon Cicéron, Clodius incendia le temple des Nymphes pour effacer la trace officielle du "recensement" inscrite sur les registres publics (Pro Milone, 73). Par contre, la vérification du rythme quinquennal des cens, au début de notre ère, était facile à obtenir. 9 C. NICOLET – L'inventaire du monde. Paris 1988 Éd. Fayard pp. 133-157. – Censeurs et publicains. Paris 2000 Éd. Fayard pp. 177-187.

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 7

An Cens Caractéristique du recensement Référence

-28 -27 -26 -25 -24

Cens avec lustration mentionné dans le Res Gestae (recensement de la Gaule et de l'Espagne)

Res Gestae §8 (Dion Cassius LIII:22)

-23 -22 -21 -20 -19

Cens reporté à -22 en raison de la grave maladie d'Auguste (effectué par Paulus Aemilius Lepidus et L. Munatius Plancus)

Dion Cassius LIV:2

-18 -17 -16 -15 -14

Cens reporté, Auguste ayant refusé d'être censeur. Dion Cassius LIV:10 (Lex Iulia)

-13 -12 -11 -10 -9

Ce cens dura de -13 jusqu'à -11. (recensement de la Gaule et de l'Espagne)

Dion Cassius LIV:25-30 (Dion Cassius LIV:32)

-8 -7 -6 -5 -4

Cens avec lustration mentionné dans le Res Gestae Res Gestae §8

-3 -2 -1 1 2 3

Inventaire du monde Cens (enregistrement) mentionné par Luc 2:1

Titulus Venetus (Res Gestae §15)

4 5 6 7 8

Cens limité à l'Italie (Lex Aelia Sentia)

Recensement de Quirinius en Judée mentionné en Actes 5:37

Dion Cassius LV:13

Antiquités juives XVIII:1-4

9 10 11 12 13

Cens (prévu) suspendu en raison du désastre de Varus (Lex Papia Poppaea) Dion Cassius LVI:18

14 15 16 17 18

Cens avec lustration mentionné dans le Res Gestae Res Gestae §8

Ces recensements sont attestés par l'historien romain Dion Cassius (Histoire

romaine LIV:2-LVI:18), à l'exception de celui de -3/-2, car la partie de son histoire

couvrant la période de -6 à 4 a malheureusement été perdue. Ce schéma chronologique

implique un cens en -3/-2. C'est cette période qui est précisément celle mentionnée par Luc

pour un recensement ordonné par Auguste. L'aspect général du cens est confirmé par une

remarque de Dion Cassius qui nous apprend qu'Auguste, lors du cens en -11, fit lui-même

la déclaration de tout ce qui lui appartenait comme s'il n'était qu'un simple citoyen (Histoire

romaine LIV:35). Le recensement de Luc en -2 est donc en accord avec l'histoire romaine10.

Par contre, celui décrit [en 6/7] par Flavius Josèphe ne cadre pas avec ce schéma

chronologique. Puisque le cens d'Apamée par Quirinius concerna les personnes et fut

effectué en Syrie, alors que celui décrit par Flavius Josèphe fut un recensement de biens

(pour liquider les possessions d'Archélaüs) effectué en Judée, ils n'ont aucun point

commun, ni dans leur but, ni par la région couverte. Le cens d'Apamée doit donc être

rapproché avec celui de Luc.

10 T. CORBISHLEY - Quirinius and the Census : a Re-study of the Evidence in: Klio 29 (1936) pp. 90-92.

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8 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Deux éléments du Res Gestae accréditent indirectement un inventaire en -2. Comme

l'indique Nicolet11, si Auguste peut se vanter lors de son treizième consulat [en -2] d'avoir

donné (des donativa à Rome) 60 deniers à 200 000 personnes (Res Gestae 15), c'est que ces

personnes avaient été recensées, sinon comment Auguste aurait-il pu en prévoir le nombre?

Suétone écrit: Il fit le [recensement partiel de la population urbaine] rue par rue, et pour que la plèbe ne

soit pas détournée de son travail trop fréquemment, il projeta de faire délivrer trois fois par an des tessères

valables pour quatre mois (Auguste XL:3). Auguste se vante aussi d'avoir donné six cents

millions de sesterces aux soldats d'Italie et deux cent soixante millions aux soldats des

provinces (Res Gestae 16). L'argent donné aux soldats lors des consulats de Lucius

Caninius et Quintus Fabricius coïncide avec l'inventaire de -2. L'historien Paul Orose (en

417) place d'ailleurs le recensement d'Auguste en l'an 752 de Rome (Histoires contre les

païens VI:22,1; VII:3,4), soit en -2, juste avant le départ Caius César vers l'Orient, en -1. Ce

recensement a-t-il concerné les provinces, et plus particulièrement la province de Syrie?

L'analyse complète et détaillée d'une inscription trouvée à Venise confirme trois points du

récit de Luc (voir la biographie de Quirinius): 1) il y eut bien un recensement dans la

province de Syrie, 2) le gouverneur de l'époque était bien Quirinius, et 3) ces événements

datent bien d'avant la mort d'Hérode.

La naissance de Jésus tombe donc en -2, or Clément d'Alexandrie la place 194 ans

avant la mort de Commode (le 31 décembre 192) et Tertullien la situe dans la 41e année du

règne d'Auguste (qui débutait au second triumvirat de fin octobre -43, officialisé quelques

semaines plus tard12 par la loi lex Titia, le 27 novembre -43) et 28 ans après la mort de

Cléopâtre (le 29 août -30)13. En recoupant ces informations, la naissance de Jésus doit être

fixée en -2 dans une période comprise entre le 1er septembre et le 30 octobre. Cette

datation est en accord avec le texte de Luc 3:1-3,21-23, qui précise que Jean le Baptiseur

commença à prêcher et baptisa Jésus (présenté comme Messie) à l'âge de 30 ans environ,

dans la 15e année du règne de Tibère César.

Bien que les empereurs n'étaient pas rois [officiellement], les historiens de l'époque

parlaient cependant de leurs années de règne14, comme le fait l'évangéliste Luc. Dion

Cassius (Histoire romaine LVIII:27.1-28.5) a daté exactement le règne de Tibère, indiquant

qu'il dirigea l'empire 22 ans 7 mois et 7 jours, ce qui place le début de son règne à partir de

11 C. NICOLET - L'inventaire du monde Paris 1988 Éd. Fayard pp. 144,278 n.28. 12 APPIEN - Guerres civiles IV:5-7. 13 G. GOYAU – Chronologie de l'Empire romain Paris 2007 Éd. Errance p. 7. 14 J. FINEGAN - Handbook of Biblical Chronology Massachussetts 1999 Ed. Hendrickson pp. 340,341.

Page 9: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 9

la mort d'Auguste, le 19 août 14, et non au moment de son investiture par le Sénat romain

le 15 (ou 17) septembre 14. Tacite (Annales I:5.1) confirme aussi que Tibère devint le

maître de l'empire à la mort d'Auguste. Josèphe (selon son comput, Auguste commença à

régner après la mort de César en -44) connaît cette datation du règne des empereurs

(Guerre des Juifs II:168). La 1ère année de Tibère court donc du 19 août 14 au 18 août 15.

Cette façon de décompter les années est usuelle à l'époque. Tacite (Annales IV:1:1), par

exemple, met en parallèle la 9e année de Tibère (du 19 août 22 au 19 août 23) avec les

consulats de C. Asinius et C. Antistius, qui sont datés du 1er janvier 23 au 31 décembre 23.

Suétone (Tibère 73:2), après avoir daté la mort de Tibère le 16 mars 37, ajoute qu'il était

alors dans sa 23e année de règne (du 19 août 36 au 18 août 37). Suétone (Claude 2:1; 10:1;

45:2) précise encore que Claude est né le 1er août sous les consulats de Julius Antonius et de

Fabius Africanus (en -10), qu'il devint empereur lors de sa 50e année (du 1er août 40 au 31

juillet 41) et qu'il est mort le 12 octobre 54 dans sa 64e année (du 1er août 54 au 31 juillet

55), l'an 14 de son règne (du 24 janvier 54 au 23 janvier 55).

Pour les contemporains de Luc, la 15e année de Tibère courait donc du 19 août 28

au 18 août 29. Selon ce comput, le baptême de Jésus, six mois après le début de la

prédication de Jean le Baptiseur (Luc 1:36), est donc à situer entre le 19 février 29 et le 18

août 29. Par déduction, si Jésus avait 30 ans lors de cet événement, sa naissance devait

remonter à une période comprise entre le 19 février -2 et le 18 août -2. Comme Luc indique

que Jésus avait "environ 30 ans", le mot "environ", traduction du mot grec ("comme

si"), a fait couler beaucoup d'encre. Doit-on en conclure que la valeur du "environ 30 ans"

est de l'ordre de "30 ans +/- 10%" en fonction des normes modernes de précision, soit

entre 27 et 33 ans? La réponse ne peut venir que du contexte et des normes de l'époque.

Lorsque les auteurs classiques, comme Xénophon (Anabase II:6:20), utilisent cette

expression très particulière "il avait comme 30 ans" ( ), les traducteurs la rendent

habituellement par "il avait une trentaine". L'imprécision était habituellement comprise

comme "à l'unité près15". Quand il s'agit d'années, le terme "environ" est toujours compris

dans le sens d'un nombre d'année dont le nombre de mois peut être ignoré. Il n'y a pas

d'exception dans le texte biblique, ce qui permet de lire "environ 30 ans" comme "30 ans à

plus ou moins 6 mois". Cet intervalle de plus ou moins 6 mois, soit 12 mois au maximum,

peut s'expliquer par les deux types de décompte du temps qu'on trouve dans la Bible: après

l'Exode apparaît un comput religieux qui débute les années à Nisan (Exode 12:2), vers

mars/avril, et un comput profane (agricole), décalé de 6 mois, qui les compte à partir de

15 "environ 5 ou 6 kilomètres" Jean 6:19.

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10 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Tishri (septembre/octobre). De plus, le calendrier séleucide en Syrie était décalé de 6 mois

par rapport à celui de Babylonie. Ainsi, l'expression environ 100 ans (Romains 4:19) renvoie

en fait aux 100 ans du livre de la Genèse (Genèse 17:17).

Un détail du livre de Luc permet de fixer la date de cette naissance. Il précise en

effet qu'elle fut postérieure de 6 mois à celle de Jean le Baptiseur (Luc 1:26), dont la

conception avait été annoncée au Temple 9 mois plus tôt. Cette annonce peut être datée

vers juin, car c'est la classe d'Abbiya, à laquelle appartenait Zacharie, père de Jean le

Baptiseur, qui officiait à cette période de l'année (Luc 1:5-13). Le nom et l'ordre des classes

de prêtres sont très anciens (1Chroniques 24:7-18). Selon Josèphe (Antiquités juives

VII:365, 366), chaque classe officiait une semaine entière de sabbat à sabbat (1Chroniques

9:25; 2Chroniques 23:8), et la Mishna (Sukka 4:7) précise que durant les grandes fêtes

annuelles les 24 classes servaient ensemble, ce qui synchronisait les deux cycles de 24

semaines, le premier commençant en Nisan et le second en Tishri. Des manuscrits trouvés

à Qumrân (4Q321) confirment l'ordre saisonnier de ce calendrier16 puisqu'on lit:

[Pre]mière [année:] le [premi]er mo[is] commence durant le service de [Gamoul. Le tro]isième jour du service de Maa[ziahou], c'est la [Pâque. Le balancement de l'Omer tombe pendant le service de Yedaia. Le deuxième mois commence durant le service de Yedaia. La seconde fête de Pâque tombe durant le service de] Seorim. [Le troisième mois commence durant le service de Hakkoç.] La fête des Semaine[s] tombe pendant le service de Yechoua. [Le qua]t[rième mois commence durant le service de El]yachib. Le cinquième mois commence durant le service de [Bilgah. Le sixième mois commence pendant le service de Ezé]chiel. Le sept[ième mois commence durant le service de Maaziahou.] Le jour du Souvenir tombe pendant le service de Maaziahou. Le jour de l'Expiation tombe pendant le service de Yeoiarib. La fête des Cabanes tombe pendant le service de Yedaia. Le huitième mois commence [pendant le service de Seorim.] Le neuvième mois commence pendant le service de Yechoua. Le dixième mois commence pendant le service de Houppa. Le onzième mois commence durant le service de Hezir. Le douzième mois commence pendant le service de Gamoul.

Le roulement des classes de prêtres était cyclique sur l'année, ainsi la ville de

Jérusalem fut prise vers le 15 Tishri de l'an 70 , selon Flavius Josèphe (Guerre des Juifs

VI:435), mois où aurait dû officier la classe de Yehoyarib (Tosephta Taanit 2:10b). Le cycle

des 24 classes, qui durait 24 semaines, coïncidait avec l'année lunaire, car le 1er cycle

débutait après la Pâque (du 14 au 21 Nisan) et durait 24 semaines, et le 2e cycle débutait

après la fête des Cabanes (du 10 au 21 Tishri). Or, une période de 6 mois lunaire dure 177

jours (= 6x29,5), soit approximativement17 25 semaines (25x7 = 175 jours). Liste

synchronisée des classes de prêtres:

16 M. WISE, M. ABEGG, E. COOK – Les manuscrits de la mer Morte Paris 2001 Éd. Plon pp. 388-398. 17 L'année religieuse débutait au 1er Nisan. Les semaines allant du samedi au samedi, les 8 jours de Pâque (du 14 au 21 Nisan) chevauchaient 1 ou 2 semaines suivant les années. De même, l'année civile débutait au 1er Tishri, or la fête des Cabanes (du 10 au 21 Tishri) couvrait 2 ou 3 semaines. Par conséquent, toutes les classes de prêtres officiaient en moyenne 2 semaines à chaque fête, puisque l'année solaire de 365 jours comporte 52 semaines (= 24x2 + 2x2).

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 11

Classe de prêtres Mois Classe de prêtres Mois Fête de Pâque Fête des Cabanes Toutes les classes Toutes les classes 1 Yehoyarib 1 Yehoyarib 2 Yedaya

[1] Nisan mars/ avril

2 Yedaya

[7] Tishri septembre/ octobre

3 Harim 3 Harim 4 Séorim 4 Séorim 5 Malkiyya 5 Malkiyya 6 Miyyamîn

[2] Iyyar avril/ mai

6 Miyyamîn

[8] Heshwan octobre/ novembre

7 Haqqoç 7 Haqqoç 8 Abiyya 8 Abiyya 9 Yéshua 9 Yéshua 10 Shekanyahu

[3] Siwan mai/ juin

10 Shekanyahu

[9] Kislev novembre/ décembre

11 Elyashib 11 Elyashib 12 Yaqîm 12 Yaqîm 13 Huppa 13 Huppa 14 Yeshebeab

[4] Tammuz juin/ juillet

14 Yeshebeab

[10] Tébeth décembre/ janvier

15 Bilga 15 Bilga 16 Immér 16 Immér 17 Hézir 17 Hézir 18 Happiçeç

[5] Ab juillet/ août

18 Happiçeç

[11] Shebat janvier/ février

19 Pethahya 19 Pethahya 20 Yehèzqel 20 Yehèzqel 21 Yakîn 21 Yakîn 22 Gamul

[6] Elul août/ septembre

22 Gamul

[12] Adar février/ mars

23 Delayahu 23 Delayahu 24 Maazyahu

[7] Tishri 24 Maazyahu

Nisan ou [13] Adar2

Ces indications calendériques combinées aux contraintes suivantes imposent un

canevas chronologique: les sabbats coïncident avec les samedis; le 1er Tishri coïncide avec le

1er croissant visible juste après l'équinoxe d'automne (le 25 septembre à cette époque); les

24 classes de prêtres officient pendant les deux périodes de fête (Pâque du 14 au 21 Nisan

et fête des Cabanes commençant avec le Yom kippour du 10 au 21 Tishri); la durée de

l'année est 12 mois (sauf les années intercalaires qui en ont 13); la naissance de Jean le

Baptiste précède celle de Jésus de 6 mois exactement. La conception de Jean le Baptiste se

produit après l'annonce faite durant le passage de la classe d'Abbiya, soit au tout début de la

classe suivante, celle de Yéshua; la durée d'une gestation humaine est en moyenne de 273

jours (on peut supposer que les gestations de Jean le Baptiste et de Jésus se déroulèrent

normalement); la conception de Jésus est placée 3 mois avant la fin de la gestation de Jean

le Baptiste (Luc 1:56); Jésus est présenté au Temple de Jérusalem 40 jours après sa

naissance. Ces informations imposent la reconstitution chronologique suivante:

Page 12: Chrono-Jesus.pdf

12 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

avril -3 16 1 Nisan mardi 17 2 mercredi 18 3 jeudi 19 4 vendredi 20 5 samedi 24 21 6 dimanche 22 7 lundi 23 8 mardi 24 9 mercredi 25 10 jeudi 26 11 vendredi 27 12 samedi T Toutes les classes 28 13 dimanche (1Chroniques 24:7-18) 29 14 lundi Pâque 30 15 mardi

mai -3 1 16 mercredi 2 17 jeudi 3 18 vendredi 4 19 samedi T 5 20 dimanche 6 21 lundi 7 22 mardi 8 23 mercredi 9 24 jeudi 10 25 vendredi 11 26 samedi 1 Classe de Yehoyarib 12 27 dimanche 13 28 lundi 14 29 mardi 15 30 mercredi 16 1 Iyyar jeudi 17 2 vendredi 18 3 samedi 2 Classe de Yedaya 19 4 dimanche 20 5 lundi 21 6 mardi 22 7 mercredi 23 8 jeudi 24 9 vendredi 25 10 samedi 3 Classe de Harim 26 11 dimanche 27 12 lundi 28 13 mardi 29 14 mercredi 30 15 jeudi 31 16 vendredi

juin -3 1 17 samedi 4 Classe de Séorim 2 18 dimanche 3 19 lundi 4 20 mardi 5 21 mercredi 6 22 jeudi 7 23 vendredi 8 24 samedi 5 Classe de Malkiyya 9 25 dimanche 10 26 lundi 11 27 mardi 12 28 mercredi 13 29 jeudi 14 1 Siwan vendredi 15 2 samedi 6 Classe de Miyyamîn 16 3 dimanche 17 4 lundi 18 5 mardi 19 6 mercredi 20 7 jeudi 21 8 vendredi 22 9 samedi 7 Classe de Haqqoç 23 10 dimanche 24 11 lundi 25 12 mardi 26 13 mercredi 27 14 jeudi

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 13

28 15 vendredi 29 16 samedi 8 classe d'Abiyya 30 17 dimanche (Luc 1:5-8)

juillet -3 1 18 lundi 2 19 mardi 3 20 mercredi 4 21 jeudi 5 22 vendredi 6 23 samedi 9 1 1 classe de Yéshua 7 24 dimanche 2 8 25 lundi 3 9 26 mardi 4 10 27 mercredi 5 11 28 jeudi 6 12 29 vendredi 7 13 30 samedi 10 8 Classe de Shekanyahu 14 1 Tammuz dimanche 9 15 2 lundi 10 16 3 mardi 11 17 4 mercredi 12 18 5 jeudi 13 19 6 vendredi 14 20 7 samedi 11 15 Classe d'Elyashib 21 8 dimanche 16 22 9 lundi 17 23 10 mardi 18 24 11 mercredi 19 25 12 jeudi 20 26 13 vendredi 21 27 14 samedi 12 22 Classe de Yaqîm 28 15 dimanche 23 29 16 lundi 24 30 17 mardi 25 31 18 mercredi 26

août -3 1 19 jeudi 27 2 20 vendredi 28 3 21 samedi 13 29 Classe de Huppa 4 22 dimanche 30 2 5 23 lundi 31 6 24 mardi 32 7 25 mercredi 33 8 26 jeudi 34 9 27 vendredi 35 10 28 samedi 14 36 Classe de Yeshebeab 11 29 dimanche 37 12 1 Ab lundi 38 13 2 mardi 39 14 3 mercredi 40 15 4 jeudi 41 16 5 vendredi 42 17 6 samedi 15 43 Classe de Bilga 18 7 dimanche 44 19 8 lundi 45 20 9 mardi 46 21 10 mercredi 47 22 11 jeudi 48 23 12 vendredi 49 24 13 samedi 16 50 Classe d'Immér 25 14 dimanche 51 26 15 lundi 52 27 16 mardi 53 28 17 mercredi 54 29 18 jeudi 55 30 19 vendredi 56 31 20 samedi 17 57 Classe de Hézir

septembre -3 1 21 dimanche 58 2 22 lundi 59 3 23 mardi 60 3 4 24 mercredi 61 5 25 jeudi 62 6 26 vendredi 63 7 27 samedi 18 64 Classe de Happiçeç 8 28 dimanche 65

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14 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

9 29 lundi 66 10 30 mardi 67 11 1 Elul mercredi 68 12 2 jeudi 69 13 3 vendredi 70 14 4 samedi 19 71 Classe de Pethahya 15 5 dimanche 72 16 6 lundi 73 17 7 mardi 74 18 8 mercredi 75 19 9 jeudi 76 20 10 vendredi 77 21 11 samedi 20 78 Classe de Yehèzqel 22 12 dimanche 79 23 13 lundi 80 24 14 mardi 81 25 15 mercredi 82 equinoxe d'automne 26 16 jeudi 83 27 17 vendredi 84 28 18 samedi 21 85 Classe de Yakîn 29 19 dimanche 86 30 20 lundi 87

octobre -3 1 21 mardi 88 2 22 mercredi 89 4 3 23 jeudi 90 4 24 vendredi 91 5 25 samedi 22 92 Classe de Gamul 6 26 dimanche 93 7 27 lundi 94 8 28 mardi 95 9 29 mercredi 96 nouvelle lune 10 1 Tishri jeudi 97 11 2 vendredi 98 12 3 samedi 23 99 Classe de Delayahu 13 4 dimanche 100 14 5 lundi 101 15 6 mardi 102 16 7 mercredi 103 17 8 jeudi 104 18 9 vendredi 105 19 10 samedi 24 106 Classe de Maazyahu 20 11 dimanche 107 Yom kippour 21 12 lundi 108 22 13 mardi 109 23 14 mercredi 110 24 15 jeudi 111 25 16 vendredi 112 26 17 samedi 113 27 18 dimanche 114 28 19 lundi 115 29 20 mardi 116 30 21 mercredi 117 31 22 jeudi 118

novembre -3 1 23 vendredi 119 5 2 24 samedi 1 120 Classe de Yehoyarib 3 25 dimanche 121 4 26 lundi 122 5 27 mardi 123 6 28 mercredi 124 7 29 jeudi 125 8 30 vendredi 126 9 1 Heshvan samedi 2 127 Classe de Yedaya 10 2 dimanche 128 11 3 lundi 129 12 4 mardi 130 13 5 mercredi 131 14 6 jeudi 132 15 7 vendredi 133 16 8 samedi 3 134 Classe de Harim 17 9 dimanche 135 18 10 lundi 136 19 11 mardi 137 20 12 mercredi 138

Page 15: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 15

21 13 jeudi 139 22 14 vendredi 140 23 15 samedi 4 141 Classe de Séorim 24 16 dimanche 142 25 17 lundi 143 26 18 mardi 144 27 19 mercredi 145 28 20 jeudi 146 29 21 vendredi 147 30 22 samedi 5 148 6 Classe de Malkiyya

décembre -3 1 23 dimanche 149 2 24 lundi 150 3 25 mardi 151 4 26 mercredi 152 5 27 jeudi 153 6 28 vendredi 154 7 29 samedi 6 155 Classe de Miyyamîn 8 1 Kislev dimanche 156 9 2 lundi 157 10 3 mardi 158 11 4 mercredi 159 12 5 jeudi 160 13 6 vendredi 161 14 7 samedi 7 162 Classe de Haqqoç 15 8 dimanche 163 16 9 lundi 164 17 10 mardi 165 18 11 mercredi 166 19 12 jeudi 167 20 13 vendredi 168 21 14 samedi 8 169 classe d'Abiyya 22 15 dimanche 170 23 16 lundi 171 24 17 mardi 172 25 18 mercredi 173 26 19 jeudi 174 27 20 vendredi 175 28 21 samedi 9 176 classe de Yéshua 29 22 dimanche 177 30 23 lundi 178 1 L'ange Gabriel annonce la 31 24 mardi 179 2 naissance de Jésus 6 mois après

janvier -2 1 25 mercredi 180 3 celle de Jean le Baptiste (Luc 1:36) 2 26 jeudi 181 4 3 27 vendredi 182 5 4 28 samedi 10 183 6 Classe de Shekanyahu 5 29 dimanche 184 7 6 30 lundi 185 8 7 1 Tebeth mardi 186 9 8 2 mercredi 187 10 9 3 jeudi 188 11 10 4 vendredi 189 12 11 5 samedi 11 190 13 Classe d'Elyashib 12 6 dimanche 191 14 13 7 lundi 192 15 14 8 mardi 193 16 15 9 mercredi 194 17 16 10 jeudi 195 18 17 11 vendredi 196 19 18 12 samedi 12 197 20 Classe de Yaqîm 19 13 dimanche 198 21 20 14 lundi 199 22 21 15 mardi 200 23 22 16 mercredi 201 24 23 17 jeudi 202 25 24 18 vendredi 203 26 25 19 samedi 13 204 27 Classe de Huppa 26 20 dimanche 205 28 27 21 lundi 206 29 28 22 mardi 207 30 29 23 mercredi 208 31 30 24 jeudi 209 32 31 25 vendredi 210 33

février -2 1 26 samedi 14 211 34 Classe de Yeshebeab

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16 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

2 27 dimanche 212 35 3 28 lundi 213 36 4 29 mardi 214 37 5 1 Shebat mercredi 215 38 6 2 jeudi 216 39 7 3 vendredi 217 40 8 4 samedi 15 218 41 Classe de Bilga 9 5 dimanche 219 42 10 6 lundi 220 43 11 7 mardi 221 44 12 8 mercredi 222 45 13 9 jeudi 223 46 14 10 vendredi 224 47 15 11 samedi 16 225 48 Classe d'Immér 16 12 dimanche 226 49 17 13 lundi 227 50 18 14 mardi 228 51 19 15 mercredi 229 52 20 16 jeudi 230 53 21 17 vendredi 231 54 22 18 samedi 17 232 55 Classe de Hézir 23 19 dimanche 233 56 24 20 lundi 234 57 25 21 mardi 235 58 26 22 mercredi 236 59 27 23 jeudi 237 60 28 24 vendredi 238 61

mars -2 1 25 samedi 18 239 62 Classe de Happiçeç 2 26 dimanche 240 63 3 27 lundi 241 64 4 28 mardi 242 65 5 29 mercredi 243 66 6 30 jeudi 244 67 7 1 Adar vendredi 245 68 8 2 samedi 19 246 69 Classe de Pethahya 9 3 dimanche 247 70 10 4 lundi 248 71 11 5 mardi 249 72 12 6 mercredi 250 73 13 7 jeudi 251 74 14 8 vendredi 252 75 15 9 samedi 20 253 76 Classe de Yehèzqel 16 10 dimanche 254 77 17 11 lundi 255 78 18 12 mardi 256 79 19 13 mercredi 257 80 20 14 jeudi 258 81 21 15 vendredi 259 82 22 16 samedi 21 260 83 Classe de Yakîn 23 17 dimanche 261 84 24 18 lundi 262 85 25 19 mardi 263 86 26 20 mercredi 264 87 27 21 jeudi 265 88 28 22 vendredi 266 89 29 23 samedi 22 267 90 Classe de Gamul 30 24 dimanche 268 91 31 25 lundi 269 92

avril -2 1 26 mardi 270 93 2 27 mercredi 271 94 3 28 jeudi 272 95 4 29 vendredi 273 96 Naissance de Jean le Baptiste 5 1 Nisan samedi 23 1 97 Classe de Delayahu 6 2 dimanche 98 7 3 lundi 99 8 4 mardi 100 9 5 mercredi 101 10 6 jeudi 102 11 7 vendredi 103 12 8 samedi 24 104 Classe de Maazyahu 13 9 dimanche 105 14 10 lundi 106 15 11 mardi 107

Page 17: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 17

16 12 mercredi 108 17 13 jeudi 109 18 14 vendredi 110 Pâque 19 15 samedi T 111 20 16 dimanche 112 21 17 lundi 113 22 18 mardi 114 23 19 mercredi 115 24 20 jeudi 116 25 21 vendredi 117 26 22 samedi 1 118 Classe de Yehoyarib 27 23 dimanche 119 28 24 lundi 120 29 25 mardi 121 30 26 mercredi 122

mai -2 1 27 jeudi 123 2 28 vendredi 124 3 29 samedi 2 125 Classe de Yedaya 4 30 dimanche 126 5 1 Iyyar lundi 2 127 6 2 mardi 128 7 3 mercredi 129 8 4 jeudi 130 9 5 vendredi 131 10 6 samedi 3 132 Classe de Harim 11 7 dimanche 133 12 8 lundi 134 Annonce du Brevarium à Rome 13 9 mardi 135 14 10 mercredi 136 15 11 jeudi 137 16 12 vendredi 138 17 13 samedi 4 139 Classe de Séorim 18 14 dimanche 140 19 15 lundi 141 20 16 mardi 142 21 17 mercredi 143 22 18 jeudi 144 23 19 vendredi 145 24 20 samedi 5 146 Classe de Malkiyya 25 21 dimanche 147 26 22 lundi 148 27 23 mardi 149 28 24 mercredi 150 29 25 jeudi 151 30 26 vendredi 152 31 27 samedi 6 153 Classe de Miyyamîn

juin -2 1 28 dimanche 154 2 29 lundi 155 3 1 Siwan mardi 3 156 4 2 mercredi 157 5 3 jeudi 158 6 4 vendredi 159 7 5 samedi 7 160 Classe de Haqqoç 8 6 dimanche 161 9 7 lundi 162 10 8 mardi 163 11 9 mercredi 164 12 10 jeudi 165 13 11 vendredi 166 14 12 samedi 8 167 Classe d'Abiyya 15 13 dimanche 168 16 14 lundi 169 17 15 mardi 170 18 16 mercredi 171 19 17 jeudi 172 20 18 vendredi 173 21 19 samedi 9 174 Classe de Yéshua 22 20 dimanche 175 23 21 lundi 176 24 22 mardi 177 25 23 mercredi 178 26 24 jeudi 179 27 25 vendredi 180

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18 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

28 26 samedi 10 181 Classe de Shekanyahu 29 27 dimanche 182 30 28 lundi 183

juillet -2 1 29 mardi 184 2 30 mercredi 185 3 1 Tammuz jeudi 4 186 4 2 vendredi 187 5 3 samedi 11 188 Classe d'Elyashib 6 4 dimanche 189 7 5 lundi 190 8 6 mardi 191 9 7 mercredi 192 10 8 jeudi 193 11 9 vendredi 194 12 10 samedi 12 195 Classe de Yaqîm 13 11 dimanche 196 14 12 lundi 197 15 13 mardi 198 16 14 mercredi 199 17 15 jeudi 200 18 16 vendredi 201 19 17 samedi 13 202 Classe de Huppa 20 18 dimanche 203 21 19 lundi 204 22 20 mardi 205 23 21 mercredi 206 24 22 jeudi 207 25 23 vendredi 208 26 24 samedi 14 209 Classe de Yeshebeab 27 25 dimanche 210 28 26 lundi 211 29 27 mardi 212 30 28 mercredi 213 31 29 jeudi 214

août -2 1 1 Ab vendredi 5 215 2 2 samedi 15 216 Classe de Bilga 3 3 dimanche 217 4 4 lundi 218 5 5 mardi 219 6 6 mercredi 220 7 7 jeudi 221 8 8 vendredi 222 9 9 samedi 16 223 Classe d'Immér 10 10 dimanche 224 11 11 lundi 225 12 12 mardi 226 13 13 mercredi 227 14 14 jeudi 228 15 15 vendredi 229 16 16 samedi 17 230 Classe de Hézir 17 17 dimanche 231 18 18 lundi 232 19 19 mardi 233 20 20 mercredi 234 21 21 jeudi 235 22 22 vendredi 236 23 23 samedi 18 237 Classe de Happiçeç 24 24 dimanche 238 25 25 lundi 239 26 26 mardi 240 27 27 mercredi 241 28 28 jeudi 242 29 29 vendredi 243 30 30 samedi 19 244 Classe de Pethahya 31 1 Elul dimanche 6 245

septembre -2 1 2 lundi 246 2 3 mardi 247 3 4 mercredi 248 4 5 jeudi 249 5 6 vendredi 250 6 7 samedi 20 251 Classe de Yehèzqel 7 8 dimanche 252 8 9 lundi 253

Page 19: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 19

9 10 mardi 254 10 11 mercredi 255 11 12 jeudi 256 12 13 vendredi 257 13 14 samedi 21 258 Classe de Yakîn 14 15 dimanche 259 15 16 lundi 260 16 17 mardi 261 17 18 mercredi 262 18 19 jeudi 263 19 20 vendredi 264 20 21 samedi 22 265 Classe de Gamul 21 22 dimanche 266 22 23 lundi 267 23 24 mardi 268 24 25 mercredi 269 25 26 jeudi 270 equinoxe d'automne 26 27 vendredi 271 27 28 samedi 23 272 Classe de Delayahu 28 29 dimanche 273 nouvelle lune 29 1 Tishri lundi 1 1 naissance de Jésus 30 2 mardi 2

octobre -2 1 3 mercredi 3 2 4 jeudi 4 3 5 vendredi 5 4 6 samedi 24 6 Classe de Maazyahu 5 7 dimanche 7 6 8 lundi 8 7 9 mardi 9 8 10 mercredi 10 Yom kippour 9 11 jeudi 11 10 12 vendredi 12 11 13 samedi T 13 12 14 dimanche 14 13 15 lundi 15 14 16 mardi 16 15 17 mercredi 17 16 18 jeudi 18 17 19 vendredi 19 18 20 samedi T 20 19 21 dimanche 21 20 22 lundi 22 21 23 mardi 23 22 24 mercredi 24 23 25 jeudi 25 24 26 vendredi 26 25 27 samedi 1 27 Classe de Yehoyarib 26 28 dimanche 28 27 29 lundi 29 28 30 mardi 30 29 1 Heshvan mercredi 2 31 30 2 jeudi 32 31 3 vendredi 33

novembre -2 1 4 samedi 2 34 Classe de Yedaya 2 5 dimanche 35 3 6 lundi 36 4 7 mardi 37 5 8 mercredi 38 6 9 jeudi 39 7 10 vendredi 40 présentation au Temple 8 11 samedi 3 Classe de Harim 9 12 dimanche 10 13 lundi 11 14 mardi 12 15 mercredi 13 16 jeudi 14 17 vendredi 15 18 samedi 4 Classe de Séorim 16 19 dimanche 17 20 lundi 18 21 mardi 19 22 mercredi 20 23 jeudi

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20 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

21 24 vendredi 22 25 samedi 5 Classe de Malkiyya 23 26 dimanche (visites des mages) 24 27 lundi 25 28 mardi 26 29 mercredi 27 1 Kislev jeudi 3 28 2 vendredi 29 3 samedi 6 Classe de Miyyamîn 30 4 dimanche

décembre -2 1 5 lundi 2 6 mardi 3 7 mercredi 4 8 jeudi 5 9 vendredi 6 10 samedi 7 Classe de Haqqoç 7 11 dimanche 8 12 lundi 9 13 mardi 10 14 mercredi 11 15 jeudi 12 16 vendredi 13 17 samedi 8 classe d'Abiyya 14 18 dimanche 15 19 lundi 16 20 mardi 17 21 mercredi dédut des Saturnales 18 22 jeudi 19 23 vendredi 20 24 samedi 9 classe de Yéshua 21 25 dimanche fête de la Dédicace 22 26 lundi 23 27 mardi solstice d'hiver 24 28 mercredi 25 29 jeudi meurtre des nouveaux nés 26 30 vendredi Jésus a 3 mois 27 1 Tebeth samedi 10 Classe de Shekanyahu 28 2 dimanche 29 3 lundi 30 4 mardi 31 5 mercredi

janvier -1 1 6 jeudi 2 7 vendredi 3 8 samedi 11 Classe d'Elyashib 4 9 dimanche 5 10 lundi jeûne du 10 Tebeth 6 11 mardi 7 12 mercredi 8 13 jeudi 9 14 vendredi éclipse de lune 10 15 samedi 12 Classe de Yaqîm 11 16 dimanche 12 17 lundi 13 18 mardi 14 19 mercredi 15 20 jeudi 16 21 vendredi 17 22 samedi 13 Classe de Huppa 18 23 dimanche 19 24 lundi 20 25 mardi 21 26 mercredi 22 27 jeudi 23 28 vendredi 24 29 samedi 14 Classe de Yeshebeab 25 1 Shebat dimanche 26 2 lundi mort d'Hérode 27 3 mardi 28 4 mercredi 29 5 jeudi 30 6 vendredi 31 7 samedi 15 Classe de Bilga

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 21

Pâque le 14 Nisan (lundi 29 avril -3). Début du premier cycle des 24 classes le samedi 26 Nisan (11 mai -3). Classe d'Abbiya (8e semaine), début le samedi 16 Siwan (29 juin -3). Classe de Yéshua (9e semaine), début le samedi 23 Siwan (5 juillet -3). Début de la gestation de Jean le

Baptiseur (naissance 273 jours plus tard). Yom kippour le samedi 10 Tishri (19 octobre -3). Début du second cycle des 24 classes le samedi 24 Tishri (2 novembre -3). L'ange Gabriel annonce la naissance de Jésus 6 mois après celle de Jean le Baptiseur, soit le lundi 23

Kislev (30 décembre -3), 2 jours avant la fête de la Dédicace. Début de la gestation de Jésus. Naissance de Jean le Baptiseur le 1er Nisan (samedi 5 avril -2). Naissance de Jésus le 1er Tishri (lundi 29 septembre -2), après 273 jours de gestation.

Selon le texte biblique, Jésus est né dans une famille de Galilée vivant à Nazareth

qui, à cause de l'enregistrement ordonné par Auguste, dut se déplacer à Bethléhem, ville

natale de Joseph (Luc 1:26,27; 2:1-4). En arrivant à Bethléhem, vers fin septembre -2, Marie

accouche de Jésus le 29 septembre puis, conformément à la coutume juive, monte au

Temple de Jérusalem 40 jours plus tard (Luc 2:22; Lévitique 12:1-8) soit le vendredi 7

novembre -2. Vers la fin novembre, des astrologues, sans doute venus de Babylone, patrie

d'origine de l'astrologie (Daniel 1:20; 2:27), atteignent Jérusalem. Quelques jours plus tard,

ils arrivent vers l'enfant Jésus, puis repartent vers Babylone mais sans repasser par

Jérusalem. Fin décembre, voyant qu'il avait été berné, Hérode décide de faire tuer tous les

nouveau-nés de Bethléem. Les parents de Jésus, avertis du projet, partent en Égypte18. Si

Hérode ignorait l'âge de l'enfant, il connaissait par contre le moment où l'étoile était

apparue, soit au début du voyage des astrologues. Si ceux-ci sont venus de Babylone à dos

de chameaux, cela a dû leur demander entre 2 et 4 mois de trajet19. Se fondant sur cette

durée estimée du trajet et en ajoutant le retard, Hérode a dû évaluer l'âge de l'enfant avec

une marge de sécurité confortable de 2 ans avant d'ordonner le massacre des enfants, vers

le 25 décembre -2, car l'enfant Jésus devait avoir 3 mois à ce moment20. Jésus étant né le 1er

Tishri, 3 mois après conduisent au 26 décembre -2 . Seuls les Évangiles rapportent cet

événement (Matthieu 2:1-16), mais le fait est plausible, car les dirigeants de l'époque

consultaient souvent des Chaldéens (appelés mages) pour connaître l'avenir21. Hérode serait

mort peu de temps après. La famille de Jésus en fut immédiatement informée et revint

18 Bien que l'événement soit terrible il ne concernait qu'une ville insignifiante de Judée (Matthieu 2:6), ce qui expliquerait le silence de Flavius Josèphe. De plus, l'importante fête des Saturnales a dû occulter ce meurtre de quelques nouveaux-nés. Cette fête romaine (Saturnalia), célébrée du 17 décembre au solstice d'hiver (le 23 décembre), était connue en Palestine, selon le Talmud (Aboda zara I:3; 8a), car elle était proche de la fête de la Dédicace (Jean 10:22) du 25 Kislev (le 21 décembre en -2). 19 Trajet de 4 mois (en -468) entre Babylone et Jérusalem (environ 1500 kilomètres), selon Esdras 7:7-9. Effectivement, il fallait à cette époque entre 4 et 6 semaines pour parcourir les 500 kilomètres de Babylone à Suse (C. WAERZEGGERS – Babylonians in Susa in: Der Achämenidenhof The Achaemeznid Court. Ed. Harrassowitz Verlag, 2010, p. 796). Par conséquent, si les mages sont partis de Babylone au moment de la naissance de Jésus (septembre -2), ils durent arriver à Jérusalem vers la fin novembre -2. 20 Les Évangiles mettent en parallèle sa vie avec celle de Moïse, ce dernier ayant cet âge dans la même situation (Actes 7:19-20). 21 TACITE Annales II:27:2; XII:22:1. Lors de la naissance d’Octave, Nigidius Figulus prédit grâce aux astres que celui-ci allait recevoir une souveraine puissance et empêcha son père qui prit peur de le tuer (DION CASSIUS Histoire romaine XLV:1:1-3). Hérode fit tuer son fils Antipater parce que celui-ci avait voulu régner avant terme (FLAVIUS JOSEPHE Antiquités juives XVII:185-191).

Page 22: Chrono-Jesus.pdf

22 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

habiter à Nazareth ce qui leur permit de célébrer la Pâque (Matthieu 2:19-23; Luc 2:39-41),

soit le 7 avril -1, puisque les parents de Jésus sont présentés dans les Évangiles comme des

Juifs pieux. La date de naissance de Jésus, fixée au 29 septembre -2, est en accord avec les

deux informations chronologiques provenant du comput julien bien attesté:

Jésus est né lors d'un enregistrement général de l'empire romain. Or, selon Dion

Cassius, ceux-ci étaient quinquennaux et, comme les dates de ces recensements du

début de notre ère sont bien connus puisqu'ils sont datés respectivement de 4, 9 et 14,

il est facile de déduire que le précédent dû avoir lieu en -2. Cette coïncidence n'est pas

fortuite car peu de temps avant, le 5 février -2, l'empereur Auguste devint le "Père de la

patrie" et décréta à cette occasion de faire "l'inventaire du monde".

Jésus ayant environ 30 ans en l'an 15 de Tibère, soit en 29 de notre ère, il est encore

facile de calculer l'année de sa naissance en -2 (= 29 - 30, pas d'année 0).

La date de la naissance de Jésus est bien attestée, et elle n'a été remise en question

qu'au milieu du 19e siècle quand certains chercheurs proposèrent de dater la mort d'Hérode

en mars -4. Si cette datation était exacte, Jésus serait né 2 ans après la mort d'Hérode, alors

que le texte de Matthieu indique sans équivoque que sa naissance eut lieu peu de temps

avant, et non après, la mort d'Hérode.

Le philosophe Celse, qui rédigea (vers 178) une attaque en règle contre les chrétiens

et qui fut un farouche contestataire de leur doctrine, qu'il connaissait bien, n'a rien trouvé à

redire sur le fait que Jésus soit né sous le règne d'Hérode; il écrit22:

Tu as commencé par te fabriquer une filiation fabuleuse, en prétendant que tu devais ta naissance à une vierge. En réalité, tu es originaire d'un petit hameau de la Judée, fils d'une pauvre campagnarde qui vivait de son travail. Celle-ci, convaincue d'adultère avec un soldat Panthère, fut chassée par son mari, charpentier de son état. Expulsée de la sorte et errant çà et là ignominieusement, elle te mit au monde en secret. Plus tard, contraint par le dénuement à t'expatrier, tu te rendis en Égypte, y louas tes bras pour un salaire, et là, ayant appris quelques-uns de ces pouvoirs magiques dont se targuent les Égyptiens, tu revins dans ton pays, et, enflé des merveilleux effets que tu savais produire, tu te proclamas Dieu (...) Tu racontes que des Chaldéens, ne pouvant se tenir à l'annonce de ta naissance, se mirent en route pour venir t'adorer comme Dieu, alors que tu étais encore au berceau; qu'ils annoncèrent la nouvelle à Hérode le Tétrarque, et que celui-ci, dans la crainte que, devenu grand, tu n'usurpasses son trône, fit égorger tous les enfants du même âge pour te faire périr à coup sûr. Mais, si Hérode a fait cela mû par la crainte que plus tard tu ne prisses sa place, pourquoi, arrivé à l'âge d'homme, n'as-tu pas régné? Pourquoi te vit-on alors, toi, le Fils de Dieu, vagabond de malheur, ployé sous la frayeur, désemparé, courant le pays avec tes dix ou onze acolytes ramassés dans la lie du peuple, parmi des publicains et des mariniers sans aveu, et gagnant honteusement une précaire subsistance ? Pourquoi fallut-il qu'on t'emportât en Égypte ? Pour te sauver de l'extermination par l'épée? Mais un Dieu ne peut craindre la mort. Un ange vint tout exprès du ciel t'ordonner à toi et à tes parents de fuir. Le grand Dieu, qui avait déjà pris la peine d'envoyer deux anges pour toi, ne pouvait-il donc préserver son propre fils dans son propre pays ? Aux vieilles légendes qui racontent la naissance divine de Persée, d'Amphion, d'Éaque, de Minos, nous n'ajoutons plus foi aujourd'hui. Encore sauvent-elles au moins la vraisemblance, en ce qu'elles attribuent à ces personnages des actions vraiment grandes, admirables et utiles aux hommes.

22 Celse (L. ROUGIER) -Discours vrai contre les chrétiens 1999 Paris Éd. Phébus pp. 47-49.

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 23

Celse mentionne "Hérode le Tétrarque qui fit égorger tous les enfants"; il s'agit bien

d'Hérode le Grand, nommé tétrarque de Judée (Guerre des Juifs I:244) par Antoine à partir

de -42 (puis nommé roi en -40 par le Sénat romain), et non de son fils Hérode Antipas, qui

reçut lui aussi le titre de tétrarque "chef de district" (Matthieu 14:1). Si les chrétiens avaient

confondu les deux rois, Celse, qui était prompt à la critique, n'aurait pas manqué de se

gausser d'une aussi grossière erreur. Les critiques de Celse reposent avant tout sur la

calomnie quand il affirme, sans preuve, que la filiation de Jésus est fabuleuse et que la

filiation véritable serait le fruit d'un adultère. Si cette affabulation était avérée, les

prétentions de Jésus d'être le Messie auraient été dénuées de tout fondement devant le

Sanhédrin et il aurait été jugé pour folie et non pour crime de lèse majesté. De plus, les

premiers chrétiens étant juifs ils pouvaient aussi vérifier la filiation de Jésus dans les

archives du Temple (jusqu'en 70).

La combinaison de la chronologie de la vie Jésus, au début de notre ère, avec celles

d'Hérode le Grand, de Quirinius et de Varus, donne un agencement des événements

parfaitement cohérent qui illustre la situation particulièrement complexe au moment de la

mort d'Hérode. Tibère, qui avait en théorie une position de corégent, n'exerçait plus sa

fonction depuis son retrait à Rhodes en -5, de plus, comme il arrivait en fin de mandat, son

successeur Caius César avait déjà été désigné (en décembre -1). Vu le jeune âge du nouveau

corégent, Auguste lui avait adjoint deux consuls expérimentés: Marcus Lollius comme

recteur (pour le conseiller) et Quinctilius Varus comme légat (pour commander les légions).

Après la mort d'Hérode, un procurateur financier, Sabinus, a été ajouté pour estimer les

biens de ce roi client. L'ensemble des carrières, de tous les personnages impliqués sur

période de -6 à 4, est le suivant (le règne effectif d'Hérode est compté après la prise de

Jérusalem et la mort d'Antigone, son rival au trône de Judée):

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24 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

An Hérode gouverneurs en Syrie 1 âge d'Hérode 2 règne effectif d'Hérode en Judée 3

règne légal d'Hérode 4 5 6

7 Tibère légat impérial d'Orient 8 Varus gouverneur de Syrie 9

10 11

-6

12 Quirinius désigné gouverneur 1 de Cilicie 2

3

66 30 33

Quirinius gouverneur de Cilicie 4 5 6

Tibère Varus

Quirinius

Bataille contre les Homonades 7 8 Tibère se retire à Rhodes 9

10 11

-5

12 1 2 3

67 31 34

4 5 6

(Tibère)

7 Testament d'Hérode dans lequel 8 ses fils sont nommés rois (à Rome) 9

10 11

-4

12 Quirinius désigné gouverneur 1 de Syrie 2 3

68 32 35

[0]

4 5 6

(Tibère)

7 Quirinius gouverneur de Syrie 8 9

10 11

-3

12 1 2 Auguste déclaré Père de la Patrie 3

69 33 36 [1]

4 5 Début du recensement d'Auguste 6

Quirinius

inventaire du monde 7

-2

8

70 34 37 [2]

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DATE DE LA NAISSANCE DE JESUS 25

9 Naissance de Jésus 10 11

12 Varus désigné gouverneur de Syrie 1

Mort d'Hérode 2 Iturée intégrée au royaume d'Hérode 3

Funérailles d'Hérode

4

An 3 du règne des fils d'Hérode 5 Varus est commandant de légions 6

Sabinus

en Judée et Sabinus procurateur 7 Quirinius proconsul d'Asie 8 Caius César arrive en Orient 9 M. Lollius recteur de Caius César

10 guerre [de Varus] en Syrie 11 sous les auspices de Caius César

-1

12 Archélaüs émet sa 1ère pièce, datée 1

de l'an 3 Caius César nommé consul

3

3

4 5 6

C. César

Varus

Quirinius

7 Caius César négocie avec les Parthes 8 9

10 11

1

12 1 2 3

4

4 5 6

C. César

M. Lollius disgracié 7 Quirinius recteur de Caius César 8 (en Arménie) 9

10 11

2

12 1 2 3

5

4 5 6

Quirinius

7 8 9

10 11

3

12 1 2

Mort de Caius César 3

6

4 5

4

6

7

Page 26: Chrono-Jesus.pdf

26 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

7 8 9

10 11

12 1 2 3

4 5 6

Saturninus

7 8 9

10 11

5

12 1 2 3

8

4 5

6 Quirinius juge et censeur de Syrie 7 8 9

10 11

6

12 1 2 3

9

Archélaüs déposé par Quirinius 4 10 5

Quirinius

6 Varus gouverneur de Germanie 7 8 9

10 11

7

12

Varus

Les carrières d'Hérode le Grand, de Quirinius et de Varus ont été examinées à part

(voir les Chronologies de la vie d'Hérode, de Quirinius et de Varus).

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Date calculée de la mort de Jésus

La datation de la mort de Jésus est controversée. Elle est actuellement souvent

supposée en 30, voire en 29, de notre ère. L'étude réalisée par Depuydt1 sur cette question

est représentative de l'argumentation utilisée. Il débute son étude en affirmant que depuis le

début du 20e siècle la date de 29 est presque universellement acceptée. Cette première

affirmation est déjà contestable, puisque les historiens2 qui calculent cette date en se servant

des données provenant des Évangiles aboutissent au vendredi 3 avril 33, qui est la date

traditionnelle (le pape a consacré 1933 comme année sainte pour commémorer le 1900e

anniversaire de la mort de Jésus). Il affirme ensuite que les sources évangéliques seraient

contradictoires: certains situent la mort de Jésus au début du jour et d'autres à la fin du

jour, au début du 15 Nisan. En fait cette idée résulte d'une mauvaise compréhension du

comput biblique. Selon le texte d'Exode 12:1-8, la Pâque juive devait être célébrée la nuit

du 14 Nisan. Or, chez les Juifs le soir (marqué par le coucher du soleil) précède le matin

(Genèse 1:5-31) contrairement au calendrier julien. Ainsi cette fête se déroulait au début du

14 Nisan, soit à fin du 13 Nisan vers 18 heures et non à la fin du 14 (et début du 15 Nisan).

Meier, dans son livre Un certain juif Jésus. Les données de l'histoire, consacre une grande

partie de ses recherches à fixer précisément la date de la mort de Jésus et propose de

contredire la chronologie synoptique: En guise de corollaire, j'ajouterais deux avantages à la solution

que je propose et qui contredit la chronologie synoptique3. En effet, si Jésus et ses disciples avaient

célébré la Pâque le 13 ou le 15 Nisan ils auraient été en infraction avec le calendrier officiel

du Temple, ce qui est inconcevable compte tenu du légalisme qui sévissait à l'époque4.

Le texte de Luc 3:1-4, 21-23 date précisément le ministère de Jésus (contrairement à

ce que Depuydt affirme) puisqu'il en fixe le début durant l'an 15 de Tibère (qui va du 19

août 28 au 18 août 29). Le baptême de Jésus est situé six mois après celui de Jean le

Baptiseur, soit entre le 19 février 29 et le 18 août 29. Selon Luc, Jésus a comparé son

ministère peu productif à celui du prophète Élie qui apporta uniquement son aide à

quelques veuves d'Israël et cela pendant 3 ans et 6 mois selon les textes de Luc. De même,

vers la fin de son ministère, Jésus a comparé son action à celle d'un vigneron cultivant un

1 L. DEPUYDT – The Date of Death of Jesus of Nazareth in: Journal of the American Oriental Society 122:3 (2002) pp. 466-480. 2 G. GOYAU – Chronologie de l'empire romain Paris 2007 Éd. Errance p. 46. 3 J.P. MEIER - Un certain juif Jésus Les données de l'histoire I Paris 2004 Éd. Cerf pp. 235-262. 4 Il n'est même pas sûr que les Esséniens, vivant à l'écart du Temple, qui proposaient un calendrier dissident, l'aient réellement pratiqué. Leur année solaire n'ayant que 364 jours, au lieu de 365, elle était désynchronisée de l'observation (5 jours de retard au bout de 4 ans).

Page 28: Chrono-Jesus.pdf

28 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

figuier depuis 3 ans avec très peu de résultats (Luc 4:24-28; 13:5-9). Selon les indications

fournies par ces textes, la durée de 3 ans et 6 mois couvrirait une période allant de

l'automne 29 au printemps 33.

Les quatre évangiles décrivent plusieurs événements qui peuvent être situés dans le

temps (fêtes, saisons, durées précises). La mise en parallèle de ces données est cohérente et

permet la reconstitution chronologique suivante (les repères datables sont en grisé):

an Événement servant de repère chronologique Matthieu Marc Luc Jean 1 X 2 XI 3 XII 4 I Ministère de Jean le Baptiseur en l'an 15 de Tibère. 3:1-12 1:1-18 3:1-18 1:6-28 5 II 6 III 7 IV

15

8 V Baptême de Jésus en l'an 15 de Tibère. 3:13-17 1:9-11 3:21-38 1:32-34 9 VI Jésus (né en -2) est âgé d'environ 30 ans. 10 VII Ministère de Jésus (6 mois après celui de Jean) 11 VIII

29

12 IX 1 X 2 XI 3 XII 4 I Temple construit depuis 46 ans. Fête de Pâque. 2:13-25 5 II Jean le Baptiseur emprisonné. 4:12 1:14 3:19,20 4:1-3 6 III Jésus en route vers la Galilée 4 mois avant la moisson. 4:35 7 IV (au mois VII) "Le royaume des cieux s'est approché". 4:17 1:15 4:14,15 4:44,45

[16]

8 V 9 VI 10 VII 11 VIII

30

12 IX 1 X 2 XI 3 XII Festin avec les collecteurs d'impôts. 9:9-17 2:13-22 5:27-39 4 I Célébration d'une fête des Juifs (Nikanor ou Purim?). 5:1 5 II Les disciples arrachent des épis (moisson du blé). 12:1-8 2:23-28 6:1-5 6 III 7 IV

[17]

8 V 9 VI 10 VII Mort de Séjan. La politique impériale devient pro-juive. 11 VIII Jésus calme une tempête (entre août et décembre). 8:18-27 4:35-41 8:22-25

31

12 IX 1 X 2 XI Hérode Antipas fait décapiter Jean le Baptiseur. 14:1-12 6:14-29 9:7-9 3 XII 5000 hommes nourris juste avant la Pâque. 14:13-21 6:30-44 9:10-17 6:1-13 4 I 5 II 6 III 7 IV Olympiade 202:4

[18]

8 V 9 VI 10 VII Enseignement lors de la fête des Cabanes (10 Tishri). 7:11-52 11 VIII La moisson est grande et en culture depuis 3 ans. 10:2 13:7

32

12 IX Fête de la Dédicace (25 Kislev). 10:1-39 1 X 2 XI 3 XII Entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. 21:1-17 11:1-11 19:29-44 12:12-19 4 I Repas de la Pâque (le vendredi 14 Nisan). 26:20,21 14:17,18 22:14-18 5 II Judas est congédié puis instauration de la Cène. 26:21-25 14:18-21 22:21-23 13:21-30 6 III 7 IV

33

[19]

8 V

Page 29: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA MORT DE JESUS 29

La fête des Juifs mentionnée en Jean 5:1 (ayant lieu vers le printemps selon sa place

dans la reconstitution) peut désigner la fête de Nikanor5 qui avait lieu autour de mars, car

les autres fêtes plus connues, comme la Pâque (mars/avril) ou la fête de la Dédicace (vers

fin décembre) sont toujours mentionnées par leur nom dans le texte de Jean.

Le texte de Jean 2:13-20 vient confirmer le début du ministère de Jésus en 29. Il

rapporte une discussion placée lors de la première Pâque: La Pâque des Juifs étant proche et

Jésus monta à Jérusalem (...) Les Juifs lui dirent alors: "Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire". Le

terme naos désigne le sanctuaire du Temple et non le Temple [iéron] lui-même. Josèphe

(Antiquités juives XX:219) précise que le Temple n'était pas encore achevé à l'époque du

procurateur Albinus (62-64). Concernant le sanctuaire, il écrit:

Quand Hérode acheva la 17e année de son règne, César vint en Syrie (...) Ce fut à cette époque, dans la 18e année de son règne, après les événements mentionnés précédemment, qu'Hérode entreprit un travail extraordinaire: la reconstruction du temple de Dieu à ses propres frais (...), mais le sanctuaire [naos] lui-même fut construit par les prêtres en un an et six mois (Antiquités juives XV:354, 380, 421).

Dion Cassius situe le voyage d'Auguste en Syrie dans le printemps de l'année, quand

Marcus Apuleius et Publius Silius étaient consuls, soit autour de février/mars -20 qui

correspond effectivement à la fin de la 18e année d'Hérode (Histoire romaine LIV:7:4-6).

Les travaux du sanctuaire ont donc commencé en 20/19 et se sont achevés vers 18/17

puisqu'ils ont duré 1 an et demi. La durée de 46 ans amène donc effectivement dans une

période datée vers 29/30.

La mort de Jean le Baptiste tombant au début de l'an 32 est confirmée par Flavius

Josèphe. Selon lui, le meurtre de Jean le Baptiste par Hérode Antipas avait entraîné une

"vengeance divine": destruction de son armée par Arétas, roi de Pétra, et mort de son frère

Hérode Philippe qu'il date dans la 20e année de Tibère (33/34) après 37 ans de règne

(Antiquités juives XVIII:106-119).

Depuydt affirme que les sources les plus anciennes fixent la mort de Jésus en 29 en

citant Tertullien (155-222) qui date la mort de Jésus durant les consulats de Rubellius

Geminus et de Rufius (sic) Geminus. En fait, la source la plus ancienne qui date la mort de

Jésus provient de l'historien grec Phlégon de Tralles qui a achevé en 140 sa chronologie des

événements les plus importants datés par les olympiades. Matthieu évoque, par exemple, un

tremblement de terre et des ténèbres surprenantes (Matthieu 27:45-54), et non une éclipse

de soleil, durant la mort de Jésus de midi à 15 heures, l'heure de la prière, selon Actes 3:1

(ces 3 heures dépassent la durée d'une éclipse de soleil). Plusieurs auteurs rapportent cet

événement exceptionnel. Thallus, historien samaritain du 1er siècle, déclare dans le 3e livre 5 La fête de Nikanor avait lieu le 13 Adar à cette époque (Antiquités juives XII:412; 2Maccabées XV:36).

Page 30: Chrono-Jesus.pdf

30 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

de ses Histoires (rapporté par Jules l'Africain6 vers 220 de notre ère): Dans le monde entier, une

obscurité effrayante, par l'obscurcissement d'une éclipse de soleil, se répandit et, par l'effet d'un tremblement

de terre, des rochers se fendirent et de nombreux bouleversements se produisirent en Judée et dans le reste de

la terre. Phlégon de Tralles donne une date précise, rapportée par Eusèbe: En la quatrième

année de la CCIIe olympiade, il y eut une éclipse de soleil, la plus grande que l'on eut jamais vue, et la nuit

se fit à la sixième heure du jour [midi], au point que les étoiles furent visibles dans le ciel. Et un grand

tremblement de terre, ressenti en Bithynie, causa de nombreux bouleversements à Nicée7. La 4e année de

la 202e olympiade va de juillet 32 à juillet 33, ce qui confirme la date du 3 avril 33. Cette

information était considérée comme fiable à l'époque car Origène (en 248) l'a citée pour

réfuter Celse (Contre Celse II:14,33,59), philosophe grec très critique à l'égard du

christianisme mais bien au fait de l'histoire.

Eusèbe8 précise aussi dans sa citation de Phlégon que Jésus avait commencé son

ministère en l'an 15 de Tibère et qu'il était mort 3 ans plus tard en l'an 18 (soit au début de

la 4e année de l'olympiade). Il donne une durée plus exacte de pas tout à fait 4 ans dans un

autre de ses livres (Histoire ecclésiastique I:10:2). Jérôme, qui a édité la chronique d'Eusèbe,

la considérait comme fiable. Selon Irénée de Lyon ce sont les hérétiques qui propageaient

[en 177] une durée de seulement 1 an pour le ministère de Jésus (Contre les hérésies

II:22:5).

Deux éléments indirects fournis par les Évangiles permettent de confirmer cette

datation par l'astronomie. Le jour de la Pâque pouvait coïncider avec n'importe quel jour de

la semaine, mais le lendemain, correspondant au 1er jour de la fête des Azymes, devait être

un sabbat (Lévitique 23:5-7). Si ce sabbat du 15 Nisan coïncidait avec le sabbat habituel du

samedi, on parlait alors d'un "grand sabbat". Comme Jésus fut ressuscité le premier jour de

la semaine du système juif (Jean 19:31; 20:1), notre dimanche, il est donc mort le vendredi

14 Nisan. Il est possible de calculer quel était le jour de la semaine correspondant au 14

Nisan de notre calendrier. Or, la seule année pour laquelle le 14 Nisan tombe un vendredi9

sur la période allant de l'an 29 à l'an 35 est l'an 33. Depuydt propose le vendredi 15 avril 29

en postulant une erreur de 1 jour sur l'observation du 1er croissant, mais cette solution est

improbable car il faudrait admettre que ce 1er croissant ait été vu un jour trop tôt, pendant

la nouvelle lune!

6 JULIUS AFRICANUS - Chronographiæ Turnhout 1966 Ed. Brepols (Migne) Patrologiæ Graecae t. X p. 91. 7 EUSEBE - Chronicorum Paris 1857 Patrologiae Graecae t. XIX Ed. Migne p. 535. 8 R. HELM – Eusebius Werke Berlin 1956 Ed. Akademie-Verlag Berlin pp. 174,175. 9 http://pagesperso-orange.fr/pgj/julien.htm

Page 31: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA MORT DE JESUS 31

Le jour correspondant au 14 Nisan sur la période 26-36 est le suivant:

An 14 Nisan dans le calendrier julien éclipse de lune 26 Vendredi 22 mars Non 27 Mercredi 9 avril Non 28 Lundi 29 mars Non 29 Samedi 16 avril Non 30 Mercredi 5 avril Non 31 Lundi 26 mars Non 32 Lundi 14 avril (non visible à Jérusalem)* (Oui)* 33 Vendredi 3 avril Oui 34 Lundi 22 mars Non 35 Lundi 11 avril Non 36 Vendredi 30 mars Non

Une deuxième confirmation de l'année 33 provient de la précision du livre des

Actes sur les phénomènes célestes qui se produisirent lors de la mort de Jésus: Le soleil se

changera en ténèbres et la lune en sang (Actes 2:20). Généralement, lors d'une éclipse de lune

celle-ci apparaît rouge-sang10, ce qui est l'explication la plus naturelle du texte des Actes.

L'historien romain Quinte-Curce évoque, par exemple, une éclipse de lune, dans des termes

qui éclairent comment on percevait ce phénomène à l'époque (vers 50 de notre ère):

Alexandre fit, en ce lieu, une halte de deux jours et, pour le suivant, donna l'ordre du départ. Mais, vers la première veille, la lune, s'éclipsant, commença par dérober l'éclat de son disque; puis, une sorte de voile de sang vint souiller sa lumière: inquiets déjà aux approches d'un si terrible hasard, les Macédoniens furent pénétrés d'une profonde impression religieuse, et en même temps de frayeur. C'était contre la volonté des dieux, disaient-ils, qu'on les entraînait aux extrémités de la terre: déjà les fleuves étaient inabordables et les astres ne prêtaient plus leur ancienne clarté; partout ils rencontraient des terres dévastées, partout des déserts: et pourquoi tant de sang? pour satisfaire la vanité d'un seul homme! Il dédaignait sa patrie, il désavouait son père Philippe, et, dans l'orgueil de ses pensées, aspirait au ciel! Une sédition allait éclater, lorsqu'Alexandre, toujours inaccessible à la crainte, commande aux chefs et aux principaux officiers de son armée de se rassembler en corps dans sa tente, et en même temps aux prêtres égyptiens, qu'il regardait comme très habiles dans la connaissance du ciel et des astres, de faire connaître leur opinion. Ceux-ci savaient bien que, dans le cours des temps, s'accomplit une suite marquée de révolutions, et que la lune s'éclipse lorsqu'elle passe sous la terre, ou qu'elle est cachée par le soleil; mais ce que le calcul leur a révélé, ils se gardent bien d'en faire part au vulgaire. À les entendre, le soleil est l'astre des Grecs, la lune celui des Perses: aussi, toutes les fois qu'elle s'éclipse, c'est pour les Perses un présage de ruine et de désolation; et ils citent d'anciens exemples de rois de cet empire, à qui la lune, en s'éclipsant, témoigna qu'ils combattaient avec les dieux contraires. Rien ne gouverne si puissamment les esprits de la multitude que la superstition: emportée, cruelle, inconstante en toute autre occasion, dès que de vaines idées de religion la dominent, elle obéit à ses prêtres bien mieux qu'à ses chefs. Aussi, la réponse des Égyptiens, à peine publiée dans l'armée, fit renaître les esprits abattus à l'espoir et à la confiance (Histoires IV:10).

Quinte-Curce donne une description exacte de l'éclipse datée du 13/VI de l'an 5 de

Darius III (20 septembre -331) par une tablette astronomique babylonienne (BM 36761),

mais la prétendue source égyptienne de ses explications est en fait une citation tronquée

d'Hérodote (Enquête VII:37) puisque ce dernier précise que les Perses sacrifiaient au soleil

10 Cette éclipse de lune semble coïncider avec la fin légale des sacrifices sanglants au Temple, selon Daniel 9:27. Il y eut également une autre éclipse de lune en 587, le 4 juillet (13 Tammuz), mentionnée en Joël 3:3-5, juste avant la destruction du 1er Temple. Le Talmud (Mishna Taanit 4:6 28b) rapporte que les sacrifices au Temple cessèrent le 17 Tammuz à cause d'une pénurie totale de brebis et le texte de 2Rois 25:1-4 date le début de la chute de la ville au 9 Tammuz.

Page 32: Chrono-Jesus.pdf

32 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

et aussi à la lune (Enquête I:131). Quinte-Curce reconnaît d'ailleurs lui-même ce point

quand il écrit:

C'était un usage traditionnel chez les Perses, de ne se mettre en marche qu'après le lever du soleil, lorsque le jour brillait de tout son éclat. Le signal du départ, donné par la trompette, partait de la tente du roi: au-dessus de cette tente, assez haut pour que tout le monde pût l'apercevoir, brillait l'image du soleil enchâssée dans du cristal (...) Venait ensuite un char consacré à Jupiter, traîné par des chevaux blancs, et que suivait un coursier d'une grandeur extraordinaire, que l'on appelait le coursier du soleil: des houssines d'or et des vêtements blancs distinguaient les conducteurs de ces chevaux (Histoires III:3).

En fait, lorsque Quinte-Curce explique qu'une éclipse lunaire avec son voile de sang

ne peut être un présage de mort il exprime les conceptions de son temps dans les milieux

cultivés. Il indique cependant que ces éclipses étaient perçues comme prémonitoires dans

les milieux populaires. Au 1er siècle Flavius Josèphe partageait ce point de vue:

Ne vous laissez pas troubler par les convulsions d'éléments inanimés et ne voyez pas non plus dans le tremblement de terre le signe prémonitoire d'un nouveau malheur. Les phénomènes qui affectent les éléments [cosmologiques] sont purement naturels et ils n'apportent aux humains rien de plus que le tort qu'ils leur causent ( (Guerre des Juifs I:377)).

Il est probable que l'évangéliste Luc, qui était médecin, partageait lui aussi ce point

de vue scientifique sur les éclipses de lune (des ténèbres anormales sont parfois provoquées

par d'épais nuages ou une importante nuée soit de poussières soit de cendres). Il y eut

effectivement une éclipse partielle de lune le vendredi 3 avril 33. Elle commença vers

15h40 et fut visible à Jérusalem de 17h50 à 18h30. Elle est, de plus, selon les calculs

astronomiques11, la seule à tomber un vendredi12 entre l'an 26 et l'an 36 (période de la

légation de Pilate en Judée).

Les dates provenant des calendriers lunaires sont faciles à vérifier car la nouvelle

lune précède de 1 jour (ou 2) le 1er jour de chaque mois coïncidant avec le 1er croissant

visible. Le calendrier lunaire hébraïque fixe la fête de Pâque au 14 Nisan, date traditionnelle

de la mort de Jésus. Cette date peut être rétrocalculée par l'astronomie sur la période 29-35,

de l'an 15 de Tibère (début du ministère de Jésus en 29) à 35 (fin de la légation de Ponce

Pilate). De même l'éclipse de lune impose l'année 33 pour la mort de Jésus. Ces deux

coïncidences sur la date du vendredi 14 Nisan imposent le vendredi 3 avril 33.

An de Tibère An 14 Nisan (calendrier julien) Éclipse de lune Événement 15/16 29 Samedi 16 avril - baptême de Jésus (Luc 3:1-23) 16/17 30 Mercredi 5 avril - 17/18 31 Lundi 26 mars - 18/19 32 Lundi 14 avril (non visible à Jérusalem) mort de Jean le Baptiste 19/20 33 Vendredi 3 avril Oui mort de Jésus 20/21 34 Lundi 22 mars - mort d'Hérode Philippe 21/22 35 Lundi 11 avril -

11 http://eclipse.gsfc.nasa.gov/LEcat5/LE0001-0100.html Le maximum de l'éclipse est à 14h47 UT et son début est fixé 86 minutes avant, soit à Jérusalem à 15h41 = 14h47 – 86 + 2h20. 12 J.P. PARISOT, F. SUAGHER - Calendriers et chronologie Paris 1996 Éd. Masson pp. 164-166.

Page 33: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA MORT DE JESUS 33

Il est ensuite possible, grâce notamment au récit de Marc, de reconstituer presque

heure par heure les derniers jours de la vie de Jésus:

Calendrier hébraïque heures Événement Calendrier julien Référence

Jeudi 13 Nisan 18 - 24

24 - 6 Jeudi 2 avril

6 - 12 12 - 15 Préparation de la Pâque. Marc 14:12-16 15 - 18 Le soir est venu. Judas est congédié après le Marc 14:17-21

Vendredi 14 Nisan 18 - 21 repas pascal, puis institution de la Cène. Marc 14:22-25 21 - 24 Jésus arrêté. Procès du Sanhédrin. Marc 14:26-71

24 - 6 Reniement de Pierre. Chant du coq. Vendredi 3 avril Marc 14:72

6 - 9 Enquête de Pilate puis devant Hérode. Marc 15:1-5

9 - 12 Procès de Pilate (offrande de paix vers 15h) Marc 15:6-19 12 - 15 nuit 1 Ténèbres anormales (mort de Jésus à 15h). 3 heures de ténèbres Marc 15:20-41

15 - 18 jour 1 Mise au tombeau de Jésus. (éclipse de lune) Marc 15:42-47

Samedi 15 Nisan 18 - 24 Grand sabbat. Jean 19:31

24 - 6 nuit 2 Samedi 4 avril

6 - 12 jour 2 Pilate fait garder la tombe jusqu'au 3e jour. Matthieu 27:62-66 12 - 15 15 - 18 Dimanche 16 Nisan 18 - 24

24 - 6 nuit 3 Dimanche 5 avril Jean 20:1

6 - 9 jour 3 Résurrection au début du jour. Marc 16:1-2

Cette reconstitution repose sur l'hypothèse d'un 1er jour lunaire coïncidant avec le

1er croissant visible. Depuydt a raison de rappeler que cette observation était délicate et

pouvait être entachée d'une erreur de 1 jour. Cependant, dans ce cas, il s'agissait d'un retard

(dû à l'inobservation) et non d'une avance de 1 jour. Ainsi, contrairement à ce qu'on lit trop

fréquemment, il n'y a pas de contradiction ni d'anachronisme entre les quatre récits

évangéliques. La seule difficulté provient d'une situation exceptionnelle signalée par le texte

de Jean 19:31, celle d'un grand sabbat. En effet, la veille du sabbat était appelée la

"Préparation" comme le rappelle le texte de Marc 15:42, et la veille de la fête des Azymes

(du 15 au 21 Nisan), coïncidant avec la Pâque, était également appelée la "Préparation". Le

contexte permet de comprendre de quelle préparation on parle:

Or, c'était la Préparation de la Pâque (...) Comme c'était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat — car ce sabbat était un grand jour — demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes (...) A cause de la Préparation des Juifs, comme le tombeau était proche (Jean 19:14, 31, 42).

Dans ces passages, la Préparation coïncide avec la Pâque et désigne donc la

préparation du sabbat à venir et non la préparation de la Pâque elle-même qui avait déjà eu

lieu le jour précédent (le 13 Nisan). Un autre texte a souvent été mal compris, il s'agit de

Jean 18:28: C'était le matin. Eux-mêmes n'entrèrent pas dans le prétoire, pour ne pas se souiller et

pouvoir manger la Pâque, qui laisse croire que Jésus et ses disciples avaient célébré cette fête

Page 34: Chrono-Jesus.pdf

34 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

avec un jour d'avance. En fait, le Talmud (Pesahim 6:3) précise que la Pâque juive

comprenait l'agneau pascal, consommé au début du 14 Nisan (après le coucher du soleil) et

un "sacrifice de paix" consommé durant la journée du 14 Nisan (vers 15 heures, après la

prière). C'est ce sacrifice (non exigé par la loi mosaïque) que vise le texte. Comme la Pâque

était célébrée dans les foyers et que le sacrifice de paix était apporté au Temple, c'est ce

dernier qui en vint principalement à désigner la fête elle-même. Ce point explique aussi

l'anachronisme apparent observé dans le procès de Jésus rapporté par le Talmud:

Quarante jours auparavant, le héraut avait crié: il s'en va à la lapidation parce qu'il a pratiqué la sorcellerie et qu'il a égaré Israël: si quelqu'un a à parler en sa faveur, qu'il vienne et le dise. Mais comme on ne présenta rien en sa faveur, il fut pendu à la veille de Pâque. Ulla objecta: penses-tu qu'on pouvait parler en sa faveur N'était-il pas un de ces séducteurs que l'Écriture (Dt 13:9) ordonne de ne pas épargner ? Pour Jésus, c'était tout autre parce qu'il avait des relations avec l'empire. Nos maîtres enseignent: Jésus avait 5 disciples: Matthay, Nakay, Neser, Bouni et Toda (Sanhédrin 43a).

Cette condamnation (lapidation!) de Jésus a effectivement été envisagée la veille du

sacrifice de paix (marquant la Pâque du Temple). La plupart des prétendus anachronismes

sur le déroulement de la Pâque dans les récits évangéliques proviennent d'interprétations

fondées sur des lectures de textes tardifs qui ne reflètent pas la situation du 1er siècle,

certaines controverses étant même artificielles. Par exemple, la détermination du jour pour

le sacrifice de l'agneau pascal est présentée comme problématique car il devait avoir lieu

"entre les deux soirs", expression comprise (?) "du coucher de soleil au crépuscule", alors

qu'il n'y a pas de controverse sur ce sujet dans le Talmud. Là encore l'absence de

controverse, avant la destruction du Temple en 70, vient de ce que l'interprétation du

passage "litigieux" était évidente. On lit en effet:

Ce sera pour vous un animal sans défaut, mâle, âgé d'un an; vous le choisirez d'entre les moutons ou d'entre les chèvres. Vous le conserverez d'entre les moutons ou d'entre les chèvres. Vous le conserverez jusqu'au 14e jour de ce mois, et l'assemblée tout entière d'Israël l'immolera entre les deux soirs. On prendra du sang et on en mettra sur les deux montants et sur le linteau de la porte dans les maisons où l'on aura mangé l'agneau. On en mangera la chair cette nuit même; on la mangera rôtie au feu, avec des azymes et des herbes amères (Exode 12:5-8 Pirot Clamer).

Puisque les Juifs devaient manger l'agneau rôti la nuit du 14 Nisan, son immolation

et sa préparation avaient forcément eut lieu avant cette nuit, donc entre le soir précédent

(celui du 13 Nisan) et le soir du 14 Nisan. La précision "entre les deux soirs" était utile pour

deux raisons: la conservation de la viande et du sang était restreinte à une période

maximum de 24 heures pour des raisons d'hygiène et la préparation ne devait pas empiéter

sur la fête elle-même. Les seules discussions que l'on trouve dans le Talmud sont sur les

points suivants: Si la Pâque tombe un jour de sabbat que peut-on préparer? À quelle heure

commence-t-on la préparation de la Pâque? À quelle heure offre-t-on les sacrifices au

Temple? On lit ainsi:

Page 35: Chrono-Jesus.pdf

DATE DE LA MORT DE JESUS 35

Si le 14 Nisan survient un jour de sabbat on doit faire disparaître tout ce qui doit l'être avant le sabbat, selon Rabbi Meïr; les sages disent: en son temps. Rabbi Eléazar ben Sadoq: le prélèvement sacré avant le sabbat, les aliments profanes en leur temps (...) Les sages disent: en Judée on travaillait la veille de Pâque jusqu'à midi; mais en Galilée on ne faisait absolument rien; quant à la nuit, les Shammaïtes interdisaient le travail, les Hillélites le permettaient jusqu'au lever du soleil (...) Le sacrifice perpétuel du soir était égorgé à huit et demie [14h30] et offert à neuf et demie [15h30]. Les veilles de Pâque on avançait tout d'une heure, que ce fût un jour ordinaire ou un sabbat. Si la veille de Pâque tombe une veille de sabbat, on égorge à six et demie [12h30] et on offre à sept et demie [13h30] et ensuite (on égorge) la Pâque. Rabbi Ismaël assure qu'on suit le même ordre en semaine et au sabbat; Rabbi Aqiba veut que l'ordre suivi au sabbat soit le même que celui de la veille de Pâque tombant une veille de sabbat; la raison de ce dernier, c'est qu'il faut laisser la place pour le sacrifice perpétuel (...) On offre une victime de fête en même temps que l'agneau quand celui-ci est immolé un jour de semaine (...) La veille de Pâque, proche du sacrifice de l'après-midi [15h], qu'on ne mange rien jusqu'à la nuit [18h] (...) On doit la manger la nuit avant minuit [24h].13

Ces remarques ne portent que sur l'heure (et non sur le jour) et montrent aussi que

la législation de cette époque n'était pas figée. Les auteurs juifs du premier siècle, comme

Philon d'Alexandrie (Questions et réponses sur l'Exode I:11) et Flavius Josèphe,

confirment que l'offrande du sacrifice de paix servait à désigner le jour de Pâque: Et eux,

quand arriva la fête appelé Pâque, au cours de laquelle les Juifs offrent des sacrifices de la 9e à la 11e heure

[de 15h à 17h] (Guerre des Juifs VI:423). La préparation de la Pâque, le jeudi après-midi,

était perçue comme faisant partie de la fête puisqu'on lit dans le Livre des Jubilés14 (160-150):

Que les enfants d'Israël observent la Pâque en son temps fixé, le 14e jour du 1er mois, entre les soirs, de la 3e partie du jour [14h-18h] à la 3e partie de la nuit [18h-22h], ainsi deux parties du jour [celles de 14h-18h et de 6h-18h] sont données à la lumière et la 3e partie [celle de 18h-22h] à la nuit (Livre des Jubilés 49:10).

Cette conception de la préparation explique l'anomalie apparente du texte de Marc:

La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans 2 jours (...) Le premier jour des Azymes, où l'on

immolait la Pâque, ses disciples lui disent: "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu

manges la Pâque?" (Marc 14:1-12). Le rédacteur évangélique considérait donc que la Pâque

marquait le début des Azymes, comme le faisait fréquemment Flavius Josèphe à cette

époque et que cette fête commençait en pratique avec la préparation de la veille: La fête des

Pains sans levain que nous appelons “la Pâque” (...) Lorsque arriva le jour des Azymes, le 14e du mois de

Xanthique [Nisan] (Antiquités juives XVIII:29; Guerre des Juifs V:99).

Certains textes, comme celui de Marc 15:25, sont montés en épingle pour affirmer

des "incohérences chronologiques15". Selon ce texte: c'était la 3e heure quand il le crucifièrent

alors qu'il est précisé un peu plus loin, aux versets 33 et 34: Il fut la 6e heure, l'obscurité se fit sur

la terre entière jusqu'à la 9e heure. Et à la 9e heure Jésus clama un grand cri. Jésus est cloué à la 6e

heure [12h] (et non à la 3e heure), puis meurt à la 9e heure [15h]. Le texte de Marc se réfère 13 J. BONSIRVEN - Textes rabbiniques des deux premiers siècles Roma 1985 Ed. Pontifico Istituto Biblico pp. 200-218. 14 J.C. VANDERKAM – The Book of Jubilees: A Critical Text Louvain 1989 Ed. E. Peeters. 15 R.E. BROWN – La mort du Messie. Encyclopédie de la passion du Christ. Paris 1994 Éd. Bayard pp. 938, 939.

Page 36: Chrono-Jesus.pdf

36 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

donc à la 3e heure du procès devant Pilate (ayant commencé vers 9h, après son retour

devant Hérode) et non à la 3e heure de la journée [9h] pour souligner la durée des

traitements pénibles infligés à Jésus. Il précise en effet au verset 15 que Jésus avait été

torturé (flagellation romaine)16. De plus, au verset 21, on apprend que Simon de Cyrène

revenait des champs (soit en fin de matinée) lorsqu'il fut réquisitionné pour aider Jésus à

porter son gibet vers son lieu de supplice.

Les ténèbres qui débutent à midi coïncident avec la mise à mort de Jésus et se

retrouvent dans le texte d'Amos 8:9: En ce jour-là, dit le Seigneur Jéhovah, je ferai coucher le soleil en

plein midi et j'envelopperai la terre de ténèbres (Crampon). Cette précision permet de comprendre

le comput étonnant de Matthieu 12:40 donnant la durée du séjour mortuaire de Jésus: De

même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant 3 jours et 3 nuits, de même le Fils de

l'homme sera dans le sein de la mort durant 3 jours et 3 nuits. Jésus étant mort le vendredi vers 15h

et ressuscité le dimanche vers 6h, il n'est resté que 39 heures dans la mort et non 72 heures

(= 3x24h). En fait il y a bien un total de 3 jours et 3 nuits17.

Brown18, qui a consacré un long excursus à la datation de la mort de Jésus, explique

en final pourquoi la date du vendredi 3 avril 33, qui semble bien devoir s'imposer, a

pourtant été rejetée: Si nous excluons 27, non seulement astronomiquement faible, mais prématuré pour

la mort de Jésus à la lumière de presque toutes les indications évangéliques sur la vie et son ministère

énumérées ci-dessus, cela laisse deux possibilités pour que le 14 nisan soit un Jn/Vj, c'est-à-dire (traduit en

calendrier julien) le 7 avril 30 et le 3 avril 33. On relève une tendance générale à rejeter 33, car cela

impliquerait un Jésus trop âgé et un ministère trop long, puisqu'il aurait eu presque 40 ans à sa mort,

après un ministère d'environ 4 ans. S'il mourut en 30, il aurait eu alors 36 ans et aurait eu un ministère

d'un peu moins de 2 ans. Aucune date ne répond à tous les détails des indices évangéliques sur la naissance

et le ministère de Jésus; mais comme nombre de ces détails sont à visée théologique et approximatifs, je ne

vois aucun problème à ces deux dates. D'une certaine façon la situation politique en 33 (après la chute de

Séjan à Rome en octobre 31) expliquerait mieux la vulnérabilité de Pilate aux pressions du peuple, mais

c'est un argument trop incertain pour justifier une préférence.

La date de 33 est donc principalement rejetée à cause de la date présumée de sa

naissance en -7, qui est fausse! L'erreur engendre l'erreur. La deuxième raison qui pousse

actuellement à rejeter les données chronologiques du texte biblique est, selon l'expression

16 L'instrument habituel était un fouet court (flagrum ou flagellum) comprenant plusieurs lanières de cuir de longueurs inégales, tressées ou non, sur lesquelles étaient fixées par intervalles de petites boules de métal ou des esquilles d'os de mouton particulièrement tranchantes. 17 Selon la reconstitution chronologique, on compte comme nuit 1 le vendredi 14 nisan de 12h à 15h (nuit miraculeuse); jour 1 le vendredi 14 nisan de 15h à 18h; nuit 2 le samedi 15 nisan de 18h à 6h; jour 2 le samedi 15 nisan de 6h à 18h, nuit 3 le dimanche 16 nisan de 18h à 6h; jour 3 le dimanche 16 nisan de 6h à 18h. 18 R.E. BROWN – La mort du Messie. Encyclopédie de la passion du Christ. Paris 1994 Éd. Bayard pp. 1485-1516.

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DATE DE LA MORT DE JESUS 37

de Brown, que "nombre de ces détails sont à visée théologique et approximatifs",

notamment concernant le procès scandaleux de Jésus. En fait, le chapitre de ce livre

consacré à la datation de la naissance de Jésus (soit le lundi 29 septembre -2) et celui

examinant le déroulement complet de son procès sont extrêmement précis, contrairement à

l'affirmation désabusée de Brown. De même, sa remarque sur Séjan est trop rapidement

désavouée. En effet, La menace voilée des autorités juives d'en appeler à César contre

Pilate (Jean 19:12) appuie bien cette date. En effet, cette menace suppose qu'ils étaient

susceptibles d'être écoutés; or, selon Philon d'Alexandrie, après la mort de Séjan en octobre

31, Tibère demanda aux gouverneurs des provinces d'avoir des égards pour les Juifs, car les

accusations portées contre eux dans le passé [avant 32] avaient été mensongères (Légation à

Caius 159-161). Cette remarque implique de situer le procès de Jésus après 32 de notre ère.

Certains commentateurs chrétiens proposent de situer la mort de Jésus en 30 de

notre ère car, selon un texte du Talmud, le temple de Jérusalem a été désapprouvé (par

Dieu) à partir de cette date:

Nos rabbins enseignent: 40 ans avant le destruction du temple, le sort (pour le nom) ne vint pas dans la main droite, la bandelette écarlate ne devint pas blanche, la lampe occidentale ne s'allumait pas et les portes du sanctuaire s'ouvraient d'elles-mêmes, jusqu'à ce que Yohanan ben Zakkay leur fit ce reproche: Sanctuaire, sanctuaire, pourquoi t'épouvantes-tu, toi-même? Je sais que tu seras détruit et déjà à ton sujet Zacharie, fils d'Addo avait prédit (Yoma 39b).

Ce texte ne mentionne pas la mort du Messie, cependant les Évangiles confirment

le rejet du temple à partir de cette date:

Et la Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. Il trouva dans le Temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes et les changeurs assis. Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les bœufs; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables, et aux vendeurs de colombes il dit: « Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce ». Ses disciples se rappelèrent qu'il est écrit: « Le zèle pour ta maison me dévorera ». Alors les Juifs prirent a parole et dirent: « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi? ». Jésus leur répondit: « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai ». Les Juifs lui dirent alors: « Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras? Mais lui parlait du sanctuaire de son corps (Jean 2:13-21).

Il y a manifestement une incompréhension sur l'identification du "sanctuaire".

Selon l'interprétation chrétienne, le sanctuaire (le temple de Jérusalem pour les Juifs) s'est

incarné en Jésus à partir de 30 de notre ère. La destruction de ce "sanctuaire" n'a donc duré

que 3 jours (du 14 au 16 nisan de l'an 33), par contre, le temple de Jérusalem (le sanctuaire

désapprouvé) allait être détruit définitivement en 70.

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38 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Page 39: Chrono-Jesus.pdf

Date calculée du baptême de Jésus

Le texte de Luc donne plusieurs précisions concernant le baptême de Jésus, il

s'agissait donc d'un événement important du point de vue chronologique:

C'était la 15e année du règne de l'empereur Tibère. Ponce Pilate était alors gouverneur de la Judée, Hérode régnait sur la Galilée avec le titre de tétrarque (...) Le peuple était dans l'expectative et observait Jean. Chacun se demandait en secret s'il ne serait pas le Christ (...) Tout le peuple accourait vers Jean pour se faire baptiser. Jésus fut aussi baptisé (...) Jésus avait environ 30 ans quand il commença à exercer son ministère (Luc 3:1, 15, 23 Kuen).

Selon ce texte, Jésus apparaît comme messie au moment de son baptême (le mot

messie signifie "oint" en hébreu et a été traduit en grec par christ), dans la 15e année de Tibère

(du 19 août 28 au 18 août 29) lorsqu'il a environ 30 ans. Comme il est né le 29 septembre -

2, il a exactement 30 ans le 29 septembre 29 ce qui implique de fixer son baptême vers la

fin de la 15e année de Tibère. Le texte de Luc permet donc de situer approximativement le

baptême de Jésus autour d'août 29. Il indique aussi qu'à cette époque, le peuple attendait le

messie. L'historien Flavius Josèphe explique pourquoi1:

Il vaut la peine de raconter de cet homme les traits les plus dignes d'exciter l'admiration. Tout, en effet, lui réussit d'une façon extraordinaire comme à un des plus grands prophètes; tout le temps de sa vie il fut en honneur et en estime auprès des rois et du peuple; mort, il jouit d'un renom éternel, car tous les livres qu'il a composés et laissés sont lus chez nous encore maintenant, et nous y puisons la conviction que Daniel conversait avec Dieu. Il ne se borna pas à annoncer des événements futurs, ainsi que les autres prophètes, mais il détermina encore l'époque où ils se produiraient. Et tandis que les prophètes annonçaient des calamités et s'attiraient pour cette raison la colère des rois et du peuple, Daniel fut pour eux un prophète de bonheur de sorte que ses prédictions de bon augure lui conquirent la bienveillance de tous et que leur réalisation lui valut la confiance de la foule et la réputation d'un homme de Dieu (...). Il naîtrait parmi eux un roi qui ferait la guerre au peuple juif et à ses lois, détruirait leur forme de gouvernement, pillerait le Temple et interromprait les sacrifices pendant trois ans. Et c'est, en effet, ce que notre nation eut à subir de la part d'Antiochus Epiphane, comme Daniel l'avait prévu et en avait, bien des années auparavant, décrit l'accomplissement. De la même façon, Daniel a écrit aussi au sujet de la suprématie des Romains et comment ils s'empareraient de Jérusalem et feraient du Temple un désert. Tout cela Daniel, sur les indications de Dieu, l'a laissé consigné par écrit, afin que ceux qui le liraient et seraient témoins des événements admirent de quelle faveur Daniel jouissait auprès de Dieu et y trouvent la preuve de l'erreur des Epicuriens. Ceux-ci, en effet, rejettent de la vie la Providence et ne croient pas que Dieu s'occupe des choses [humaines] (Antiquités juives X:266-276).

De même, un commentaire juif sur le messie de Daniel 9:26, trouvé à Qumrân et

daté du début de notre ère, précise que ce messie, supprimé après les soixante-deux

semaines, est aussi le messager annonçant la bonne nouvelle contenue en Isaïe 61:2.

D'autres commentaires2 indiquent que ce messie de David devait accomplir la prophétie en

Genèse 49:10, indiquant qu'il serait un roi issu de la tribu de Juda, en accord avec les

targums d'Onkelos et de Jérusalem pour qui le Shilo ("C'est à lui") de cette prophétie serait

un roi libérateur et s'identifie au messie. 1 A. PAUL - Le concept de prophétie biblique Flavius Josèphe et Daniel in: Recherches de Sciences Religieuses Tome 63 Paris 1975 pp. 367-384. 2 M. WISE, M. ABEGG JR., E. COOK - Les manuscrits de la mer morte Paris 2001 Éd. Plon p. 171, 340, 600.

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40 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Influencés par leur nationalisme, certains Juifs (à partir de -167) assimilèrent le

messie au grand prêtre Onias III comme le suggère le texte de 1Maccabées 1:54, à tel point

que les traducteurs de la Septante ont modifié la traduction grecque du livre de Daniel pour

la faire coller à ces événements3. Jésus n'adhérait pas à cette identification, puisque,

contrairement à certains Juifs hellénisés de son époque qui voyaient cet événement dans le

passé, il l'annonçait pour l'avenir: Quand vous apercevrez la chose immonde qui cause la désolation,

dont a parlé Daniel le prophète, se tenant dans un lieu saint (que le lecteur exerce son discernement)4.

Au 1er siècle les attentes messianiques étaient fortes principalement en raison du

texte de Daniel5. Aujourd'hui, de très nombreux Juifs n'attendent plus le messie pour une

époque déterminée et beaucoup croient qu'il pourrait s'agir d'un messie collectif (l'État

d'Israël) et non d'un messie individuel. Dans la préface de la Bible du rabbinat français

rédigée par le Grand Rabbin de France Jacob Kaplan, on lit: Mais de toutes les prophéties

figurant dans le Livre, il en est une qui est souvent évoquée. Elle se rapporte à la résurrection de l'Etat

d'Israël. Quand, en novembre 1947, l'Organisation des Nations Unies décida la création d'un Etat Juif,

l'événement, pour bien des croyants, apparut dans une perspective supra-terrestre. Tant de prédictions

avaient annoncé —et depuis des millénaires— ce retour d'Israël sur la terre ancestrale qu'ils ne purent

s'empêcher d'apercevoir dans le vote historique une manifestation éclatante de l'action divine dans le monde.

De plus, le lendemain de la proclamation de l'indépendance d'Israël (14 mai 1948), qui était un Sabbat, le

cycle liturgique, par une coïncidence qui mérite d'être rappelée, indiqua comme Haphtara un texte d'Amos

où on pouvait lire: "Voici, des jours vont venir, dit l'Eternel, où... je ramènerai les captifs de mon peuple

Israël; ils restaureront leurs villes détruites et s'y établiront, planteront les vignes et en boiront le vin,

cultiveront des jardins et en mangeront les fruits". Que penser de cette "récupération politique" des

prophéties messianiques de l'Ancien Testament? Cette interprétation est en fait

relativement récente. Elle est due à la grande figure du judaïsme Rabbi Shlomo Yitshaqi dit

Rashi de Troyes (1040-1105) qui modifia sa compréhension du chapitre 53 du livre d'Isaïe

vers la fin de sa vie. Avant cette époque, il pensait, comme tous les Juifs avant lui, que ce

texte s'appliquait à un messie individuel. Cependant, heurté par les terribles massacres de la

communauté juive de Rhénanie, conséquence de la première croisade en 1096, il crut voir

dans ces terribles souffrances la réalisation de la prophétie d'Isaïe chapitre 53 qu'il appliqua

donc au peuple d'Israël considéré comme un messie collectif. Cette explication originale

3 H. COUSIN - La Bible grecque in: supplément aux Cahiers Évangile 74 St. Étienne 1990 Éd. Cerf pp.105-111 S. PACE JEANSONNE - The Old Greek Translation of Daniel 7-12 Washington 1988 Ed The Catholic Biblical Association of America pp. 29,125 4 Matthieu 24:15. 5 P. GRELOT – L'espérance juive à l'heure de Jésus in: collection «Jésus et Jésus-Christ» n°62, 1994 Éd. Desclée.

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DATE DU BAPTEME DE JESUS 41

présente de graves difficultés. Premièrement, elle renie les enseignements de tous les

rabbins précédents (sans exception) qui enseignaient la venue d'un messie individuel, et elle

refuse la chronologie biblique sur la venue du messie que les Juifs, dans leur ensemble,

attendaient au 1er siècle de notre ère, avant la destruction du Temple qui eut lieu en 70.

Selon le texte de Mika 5:1-2, le Messie sortirait de la ville nommée Bethléhem

Éphratha, ce qui implique un messie individuel. Cette compréhension est confirmée par les

Évangiles en Matthieu 2:2-6 et par le Targum de Mika qui dit: De toi [Bethléhem] Messie sortira

devant moi. D'ailleurs, dans les deux grandes prières juives le messie est invoqué. Dans la

quatorzième bénédiction de la Tephilla on dit: Fais miséricorde, Y., notre Dieu (...) à Israël ton

peuple (...) et au règne de la maison de David, Messie de ta justice. Et dans le Qaddish on dit: Qu'il

introduise son Messie et qu'il rachète son peuple6. Cette compréhension d'un messie individuel a

poussé de nombreux juifs à calculer l'époque de sa venue, notamment au début de notre

ère. Par exemple, le célèbre rabbin Aqiba avait cru voir en Bar Kohkba (tué en 135) le

messie attendu (Talmud Ta‘anit 68d).

Pour éclaircir cette question importante, il faut bien examiner la chronologie

biblique prophétique, car elle prétend indiquer l'époque de l'apparition du messie. C'est

d'ailleurs de cette manière que les Juifs et les chrétiens décidèrent de régler la polémique

entre eux lors de la célèbre dispute de Barcelone qui les opposa en 1263 au travers du débat

organisé par le roi d'Espagne entre Paul Christiani, Juif converti au catholicisme, et Rabbi

Moïse ben Nahman (Nahmanide), l'une des plus hautes autorités du judaïsme espagnol.

Comme on le sait7, il n'y a pas eu d'entente sur l'interprétation de la prophétie de Daniel,

puisque Christiani concluait que le messie avait dû apparaître vers 70 lors de la destruction

du Temple (!), et que Nahmanide, lui, prévoyait son apparition pour 1358 (!).

Aujourd'hui, il est facile de constater que ces deux célèbres protagonistes se sont

totalement trompés. Pour les chrétiens, le messie est Jésus, mort en 33 de notre ère tandis

qu'en 1358 il ne s'est rien passé, pas plus qu'en 70, si ce n'est la destruction de Jérusalem

par Titus, fils de Vespasien et futur empereur romain. Vu leur importance, les arguments de

cette dispute méritent d'être réexaminés car le livre de Daniel prétend contenir la clé du

calcul des temps messianiques. Le Talmud (Megilla 3a) précise que lorsque le Targum des

prophètes (contenant Daniel) fut composé par Yonathan ben Uzziel, une bat qol (voix

céleste) se fit entendre disant: Qui est celui qui a révélé mes secrets aux hommes?. L'auteur répond

qu'il n'a pas fait cela pour son honneur mais à l'honneur de Dieu afin que les divisions ne se

6 J. BONSIRVEN - Textes rabbiniques des deux premiers siècles. Roma 1985 Ed. Pontifico Istituto Biblico pp.2,3. 7 NAHMANIDE - La dispute de Barcelone in: collection «Les Dix Paroles» 1984 Éd. Verdier pp.45-47.

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42 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

multiplient pas en Israël. Il voulait publier le targum des hagiographes, mais la bat qol lui dit:

Assez, parce que là est révélé le terme (date de la venue) du Messie.

À l'époque les protagonistes acceptaient la prophétie des semaines d'années du

chapitre 9 de Daniel comme se rapportant à l'époque de l'apparition du messie, ce qui n'est

plus le cas aujourd'hui (ce qui complique encore les choses). En consultant les

commentaires des traducteurs actuels dans les Bibles catholiques (Jérusalem) ou juives

(Chouraqui), par exemple, on constate que pour beaucoup de biblistes:

Le livre de Daniel aurait été écrit par un auteur anonyme peu après -167.

Le messie de Daniel 9:26 désignerait le grand prêtre Onias III assassiné vers -172 par

Antiochus IV Épiphane8.

DANIEL A-T-IL REDIGE LE LIVRE DE DANIEL? Depuis l'apparition de la critique des sources, puis de la critique littéraire qui lui est

très liée, de nombreux spécialistes pensent (bien qu'il y ait une multitude de "chapelles")9

que les livres de la Bible obéissent à une sorte de darwinisme littéraire, c'est-à-dire que

"différentes sources plus ou moins anciennes" ont progressivement été amalgamées par un

auteur (ou des auteurs) plus ou moins habilement. Quels sont les arguments qui permettent

une conclusion aussi catégorique? Le texte de Daniel 7:1 affirme que Daniel a écrit son

livre! De même le texte d'Exode 17:14 (et Exode 34:27) affirme que Moïse est le rédacteur

de l'ouvrage qui lui est attribué. Ces affirmations sont-elles authentiques? Les principaux

arguments de la critique sont de trois ordres: 1) Si un document possède un mot apparu à

une époque donnée, tout le document a dû apparaître, au plus tôt, à cette époque. Le livre

de Daniel contenant des mots grecs apparus au 2e siècle avant notre ère, il serait donc de

cette époque. 2) Un document récent est la copie, plus ou moins bien faite, d'un (ou

plusieurs) document ancien. Le livre de Daniel évoquant Babylone, il aurait donc puisé ses

sources dans les différents récits babyloniens. 3) Les miracles sont, d'un point de vue

rationnel et par principe, impossibles. "L'abomination qui cause la désolation", mentionnée

en Daniel 11:31, est identifiée à la profanation du Temple en -167 par Antochius IV dans le

livre des Maccabées écrit autour de -100 (1Maccabées 1:54). Des biblistes en concluent que

cette prophétie a dû être écrite après l'événement qu'elle annonce (la prophétie étant

postulée impossible) et supposent en conséquence une date de rédaction du livre de Daniel

entre -167 et -164. 8 M. SARTRE - D'Alexandrie à Zénobie. Histoire du Levant antique Paris 2001 Éd. Fayard p. 344 9 P. GUILLEMETTE M. BRISEBOIS - Introduction aux méthodes historico-critique in: Héritage et projet 35 Québec 1987 Éd.Fides pp. 223-350.

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DATE DU BAPTEME DE JESUS 43

Ces trois objections sont réfutables. La première repose sur l'ignorance. Le mot

pardés "parc" en hébreu, par exemple, qui apparaît trois fois dans la Bible (Cantique des

cantiques 4:13; Ecclésiaste 2:5; Néhémie 2:8), dériverait du mot grec paradéisos. Comme ce

mot n'apparaît pour la première fois dans les textes connus que dans le récit de Xénophon

(Anabase 6,29,4-8), soit vers -400, certains concluent que ces livres de la Bible ne peuvent

avoir été écrits avant cette époque. Des études ultérieures ont montré que le mot grec

paradéisos viendrait du vieux perse (vers -600). Une datation fondée uniquement sur la

connaissance très limitée que nous avons nécessairement de l'histoire des langues anciennes

est souvent spéculative10. Par exemple, selon un dictionnaire de référence11, les mots ketem

"or" (Job 28:16,19), pardes "parc" et karoz "héraut" (Daniel 3:4) sont tardifs puisque pardes et

karoz auraient été empruntés au grec (paradeisos "paradis" et kerux "héraut"). Selon un

dictionnaire plus récent12, ces mots rares existaient en akkadien: kutîmu viendrait du

sumérien KU-DIM "orfèvrerie" (avant -2000), pardêsu "enclos" du vieux perse pari-dîdâ

"muret autour" et kirenzi "proclamation" serait emprunté à la langue hourrite (vers -1500).

Selon une étude plus approfondie13, le mot vieux perse pari-dîdâ viendrait du mède pari-

daiza. Or, la langue mède était parlée à Ecbatane et remonte au début du 1er millénaire avant

notre ère14. Les affirmations d'anachronismes sont donc maintenant devenues

anachroniques et reposaient en fait sur une illusion, les mots disparus étant en fait des mots

hibernants15. Dans l'état actuel de nos connaissances, il n'y a que trois mots —cithare, luth

et cornemuse— n'apparaissant qu'en Daniel 3:5, qui auraient une origine grecque et

seraient apparus après l'époque de Platon. Même cette supposition est douteuse car le mot

"cornemuse", sûmponyâ en hébreu, sumphônia en grec, apparaît déjà sous la forme sumphônos

dans l'Ode Pythique 1:70, datée de -460, soit à l'époque d'Esdras.

Cependant, la réécriture par le copiste Esdras de tous les livres bibliques (écrits au

départ en paléo-hébreu) en caractères araméens, selon la tradition juive (Sanhédrin 21b),

complique la critique du texte. Esdras doit avoir vécu entre -500 et -400, car il fut un

contemporain de Néhémie qui, lui, rédigea son livre aux environs de -400. En effet, Darius

10 P. GUILLEMETTE M. BRISEBOIS - Introduction aux méthodes historico-critique in: Héritage et projet 35 Québec 1987 Éd.Fides pp. 287-300 11 F. BROWN, S.R. DRIVER, C.A. BRIGGS – A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament Oxford 1951 Ed. Oxford University pp. 508, 825, 1097. 12 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 159, 171, 266. 13 P. LECOQ – Les inscriptions de la Perse achéménide Paris 1997 Éd. Gallimard p. 116. 14 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne Paris 2001 Éd. Robet Laffont p. 517. 15 A.R. MILLARD - The Tell Fekheriyeh Inscriptions in: Biblical Archaeology Today 1990. Jerusalem 1993, Ed. Israel Exploration Society p. 523 A.R. MILLARD - A Lexical Illusion in: Journal of Semitic Studies 31 (1986) pp. 1-3.

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44 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

le Perse, mentionné en Néhémie 12:22, est identifié à Darius II (appelé Ochos ou Nothos),

qui régna de -423 à -405; or, si Néhémie relate ce fait, il l'a forcément écrit après le début

du règne de Darius II, soit après -423. De plus, dans une lettre trouvée dans les papyrus

d'Éléphantine (datée vers la fin de -408)16, il est mentionné que Yohanân était grand prêtre

à Jérusalem à cette époque. Or, de nouveau, si Néhémie relate ce fait, il a dû l'écrire après -

408. Donc, si on admet que Néhémie décrit la succession des grands prêtres jusqu'à la fin

du règne de Darius II, il a dû achever son livre après -405. De plus, il est probable, selon la

coutume juive, qu'Esdras ait commencé son travail de copiste vers l'âge de 30 ans,

acquérant avec les années une grande réputation. Il paraît aussi logique de supposer qu'il

rédigea son propre livre vers la fin de sa vie, soit à la même époque que Néhémie. Esdras a

donc probablement recopié l'ensemble de la Bible sur une période allant de -455 (20e année

d'Artaxerxès) à -405, ce qui peut expliquer la présence anachronique de certains mots.

Esdras a réactualisé certains termes techniques. Le mot "darique (1Chroniques 29:7)", par

exemple, est anachronique puisque cette unité monétaire, apparue seulement après -520,

était inconnue à l'époque de David quatre siècles plus tôt. Esdras a visiblement effectué une

conversion d'une ancienne unité en une autre plus courante et familière à son époque

(Esdras 8:27). L'historien Xénophon (428-355) commet le même "anachronisme" dans son

ouvrage sur Cyrus (Cyropédie V:2)!

Ainsi, conclure que le livre de Daniel a été rédigé au 2e siècle avant notre ère,

uniquement sur trois mots jugés tardifs, engendre des paradoxes quasi inexplicables. Il est

généralement admis que le livre d'Ézéchiel fut rédigé au début du 6e siècle avant notre ère.

Or, ce livre cite le prophète Daniel, prouvant qu'il avait déjà une grande réputation à cette

époque (Ezéchiel 14:14,20; 28:3). Comment expliquer alors cet anachronisme? De plus,

l'araméen utilisé par Daniel est très proche de celui utilisé par Ézéchiel ou par Esdras

(araméen d'empire surtout utilisé de -600 à -330)17, bien antérieur à l'araméen de certains

rouleaux de Qumrân écrits dans cette langue et datés du 2e siècle avant notre ère. En fait,

on pourrait renverser l'argument: comment expliquer que le livre de Daniel ne contienne

que seulement trois mots d'origine grecque s'il avait été rédigé au 2e siècle avant notre ère,

époque où la langue grecque submergeait largement le monde d'alors? Plus surprenant,

comme le remarque l'hébraïsant Carl Keil, la Septante a omis en Daniel 5:3 et 5:23 de

mentionner les femmes, conformément à la coutume des Macédoniens, des Grecs et des

Romains. Or l'original hébreu précise dans ces textes qu'il y avait les concubines et les

16 A. COWLEY -Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C. Oxford 1923 N°30-31, pp.108-122 17 A.K. KITCHEN “The Aramaic of Daniel” in: Notes on Some Problems in the Book of Daniel London 1965 Ed.The Tyndale Press pp. 31-79.

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DATE DU BAPTEME DE JESUS 45

épouses de second rang (conformément à ce qu'a montré l'archéologie). Ce détail insolite

prouve indirectement que la traduction grecque du texte de Daniel est tardive et a été

réalisée durant le 2e siècle avant notre ère. Le fait que la version hébraïque parle, par contre,

des concubines suppose une date de rédaction bien antérieure à la période grecque.

Certains détails historiques peu connus confirment l'ancienneté du livre de Daniel.

En effet, le rédacteur de ce livre se présente avant tout comme un témoin oculaire; il ne cite

aucun récit babylonien et n'adhère aucunement à la mythologie polythéiste. Par contre, la

seule source qu'il cite expressément en Daniel 9:2 est le livre de Jérémie. Supposer que

Daniel ait rédigé son récit d'après des sources babyloniennes est une pure spéculation. Un

élément prouvant qu'il a réellement été un contemporain des éléments mentionnés est la

découverte faite en 1854 dans les ruines d'Ur d'une inscription confirmant l'existence d'un

personnage nommé Belshatsar. Aucun historien n'avait jamais entendu parler d'un tel

individu: ni Hérodote (484-425), ni Thucydide (460-398), ni Xénophon (428-355), ni

Ctésias (450-390), ni Bérose (330?-250?), à tel point que les historiens du début du 19e

siècle affirmaient que ce roi Belshatsar apparaissant en Daniel 5:1 devait être un mythe car,

selon les sources connues, il était unanimement admis que Nabonide avait été le dernier roi à la

chute de Babylone en -539. Une découverte d'écrits cunéiformes en 1854 a montré que

Nabonide (Nabû-na’id) avait confié la royauté à son fils aîné Belshatsar (Bêlsharutsur "Bêl,

protège le roi"), ce qui expliquait son absence de Babylone lors de sa chute. Dernier détail

montrant encore la précision du récit biblique: Belshatsar n'étant qu'un corégent (puisque

son père Nabonide restait le roi en titre, non mentionné dans le récit de Daniel), il ne

pouvait offrir à Daniel comme position la plus élevée dans son royaume que la troisième

place, selon ce que rapporte précisément Daniel 5:16, et non la deuxième puisque les deux

premières étaient déjà occupées (par lui et par son père). Finalement, les historiens

"redécouvrirent" ce que les lecteurs de Daniel connaissaient depuis bien longtemps. De

même, une chronique babylonienne a révélé que lors de sa 1ère année de règne, Cyrus avait

nommé un roi de Babylone (appelé Ugbaru), comme l'indique le texte de Daniel18.

En fait, ce qui irrite le plus les philosophes athées, c'est la présence de prophéties

chronologiques précises dans le livre de Daniel, ce qui est inacceptable par principe pour

un rationaliste. Mais refuser a priori la possibilité des prophéties, c'est refuser l'élément

distinctif de la Bible par rapport à tous les autres livres:

Notez, avant tout, qu'aucune prophétie de l'Écriture ne reflète une pensée personnelle. Un message prophétique n'émane jamais d'un caprice humain. Ces saints hommes de Dieu ont parlé parce que le Saint-Esprit les y poussait, et ils ont prononcé les paroles que Dieu leur inspirait (2Pierre 1:20,21; Kuen).

18 Ce roi est appelé Darius le Mède en Daniel 5:31, et Harpage par Hérodote (Enquête I:108,127-130,162,177-178).

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46 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Cette particularité biblique permet d'expliquer quelques événements surprenants.

Par exemple, lorsque Alexandre le Grand a mené campagne au 4e siècle avant notre ère

pour éliminer tous les amis de la Perse, il a étrangement épargné la Judée qui était pourtant

un de leurs alliés et, paradoxalement, a entretenu de bons rapports avec les Juifs. L'historien

Flavius Josèphe en donne la raison: lorsque Alexandre voulut envahir Jérusalem, la ville lui

ouvrit ses portes et on lui montra le livre prophétique de Daniel annonçant qu'un puissant

roi grec vaincrait et dominerait l'empire perse, selon le texte de Daniel 8:20-21, ce qui

impressionna favorablement Alexandre (Antiquités juives XI:337).

Les sceptiques objecteront de nouveau que tout cela a dû être écrit après coup pour

transformer cet heureux événement (qui devient alors inexplicable) en prophétie. Pour

trancher sans appel cette objection chronique du fait prophétique lui-même, il est

avantageux de réexaminer la prophétie des soixante-dix semaines d'années. Les découvertes

de Qumrân ont permis d'établir de façon indiscutable que le livre de Daniel existait bel et

bien avant -100. Le manuscrit hébreu 4Q114 est daté de -115 et le manuscrit grec19 4QDanc

entre -100 et -50. Or, si la chronologie du messie annoncé en Daniel 9:25 correspond

exactement à l'apparition de Jésus en tant que Christ, l'affirmation d'une rédaction après

coup (explication rationaliste) devient insoutenable.

ENQUETE HISTORIQUE SUR LE MESSIE DE DANIEL 9:25? Le messie de Daniel 9:25 est particulier puisqu'il est qualifié de "Guide". Ensuite il

est associé à la suppression du péché (verset 24). Enfin, il doit apparaître avant la

destruction du second Temple (qui eut lieu en 70) puisque la prophétie indique que cette

période précédant le messie débuterait par la reconstruction de Jérusalem et du Temple et,

qu'une fois le messie venu le Sanctuaire serait détruit (verset 26). Conscient de la difficulté à

identifier le grand prêtre Onias III à un Prince, la Bible du rabbinat français suppose que le

messie guide (ou prince) désigne ici un autre messie et propose Cyrus qui fut effectivement

un roi (ou prince) qualifié de messie (ou oint) en Isaïe 45:1. Nahmanide croyait que le

messie prince désignait plutôt Zeroubabèl puisqu'il avait été le premier gouverneur de Juda,

et il citait le passage des Psaumes 105:15 où Dieu dit: Ne touchez pas à mes messies [ou oints]

pour indiquer que Zeroubabèl pouvait être considéré comme un messie puisque ce terme

qualifie ceux qui sont oints ou désignés pour une mission.

19 S. PACE JEANSONNE - The Old Greek Translation of Daniel 7-12 in : The Catholic Biblical Quarterly Monograph Series 19 Washington 1988 p. 7.

Page 47: Chrono-Jesus.pdf

DATE DU BAPTEME DE JESUS 47

Les commentateurs juifs modernes20, incapables d'identifier clairement le prince de

Daniel 9:25, proposent au choix: Cyrus, Zeroubabèl ou Yéshoua fils de Yôtsadaq, même si

aucun ne correspond à la chronologie du livre de Daniel. De plus, ces commentateurs

préfèrent lire (en dépit de la grammaire): jusqu'à l'onction du prince au lieu de la phrase

biblique habituelle: jusqu'à Messie remarquable. Enfin, par rapport à la chronologie qui ne

colle pas, ils concluent que c'est Daniel qui s'est trompé! Ces différentes identifications

comportent deux graves inconvénients. Premièrement, elles n'expliquent pas comment le

péché est supprimé depuis la mort d'un prince (dont la vie est en général mal connue) ni

comment la justice est rétablie. Ensuite, l'identification chronologique paraît manifestement

déficiente. Or, selon Daniel 9:2 et 9:22, cette prophétie a en effet été donnée pour effectuer

des calculs chronologiques précis et non de vagues supputations. La Bible du rabbinat

français traduit paradoxalement le texte de Daniel 9:25 par: Sache donc et comprends bien qu'à

partir du moment où fut donné l'ordre de recommencer à reconstruire Jérusalem jusqu'à un prince oint

(Cyrus) il y a sept semaines; et durant soixante-deux semaines [Jérusalem] sera de nouveau rebâtie. Une

note précise que les semaines désignent des semaines d'années, sur quoi tous les traducteurs

sont unanimes21. Cette traduction défie cependant le bon sens pour deux raisons:

Premièrement elle laisse sous-entendre que Jérusalem serait reconstruite pendant une

période de 434 ans (62 semaines, soit 62x7 ans). Cette interprétation du traducteur

contredit le texte d'Esdras 6:14,15 fixant la date de fin de reconstruction du Temple

dans la 6e année de Darius Ier, soit en -515, suivie de la fin de la reconstruction des

murailles de Jérusalem dans la 20e année d'Artaxerxès Ier, selon Néhémie 2:1; 6:15.

Ensuite, la Bible du rabbinat français laisse sous-entendre que l'événement important

n'est plus un messie à venir (Daniel connaissait le "messie" Cyrus) mais l'annonce de la

reconstruction de Jérusalem. Là encore, cette interprétation du traducteur est démentie

par la chronologie. Cyrus a libéré les Juifs de Babylone en -538, ce qui permet de

calculer la date de l'ordre de reconstruction en ajoutant sept semaines, soit 49 (7x7) ans,

ce qui nous amènerait en -489 (= -538 + 49) selon cette traduction. Cependant, la Bible

précise aussi que l'ordre de reconstruction de Jérusalem fut donné par Artaxerxès

Longue-Main dans la 20e année de son règne (Néhémie 2:1-8), en -455, voir la

Chronologie achéménide synchronisée. Il resterait donc un écart de 34 ans (= 489 - 455)

impossible à combler.

20 H. GOLDWURM, N. SCHERMAN - Daniel, traduction et commentaires Paris 2001 Éd. du Sceptre pp. 240-242, 260-263. 21 Cette conclusion découle des textes suivants: Tu compteras 7 semaines d'années, 7 fois 7 ans, c'est-à-dire le temps de 7 semaines d'années, 49 ans (Lévitique 25:8); Vous avez reconnu le pays 40 jours. Chaque jour vaut une année: 40 ans vous porterez le poids de vos fautes (Nombres 14:34); Je t'en ai fixé la durée à un jour pour une année (Ezéchiel 4:6).

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48 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

En remplaçant Cyrus par Zeroubabèl, qui commença à gouverner vers -536, selon

le texte d'Esdras 3:1-8, le gain n'est que de 2 ans; il reste encore environ 32 ans à combler.

Pire, le livre de Daniel précise que le messie serait retranché après les 62 semaines, soit 434

ans (= 62x7). Or, si ce messie était le grand prêtre Onias III (assassiné vers -172), l'ordre de

reconstruction de Jérusalem (début des 62 semaines, d'après la Bible du rabbinat) aurait été

donné vers 606 (= 434 + 172), ce qui constitue une impossibilité, puisqu'il y aurait cette

fois environ 161 ans (= 606 - 445) à combler. La chronologie élimine donc ces candidats,

mais qu'en est-il de Jésus?

JESUS CORRESPOND-IL CHRONOLOGIQUEMENT AU MESSIE DE DANIEL 9:25?

Les Juifs n'acceptent évidemment pas cette identification, généralement pour les

trois raisons suivantes: 1) Ayant été persécutés, depuis bientôt deux mille ans, par des gens

qui se disaient chrétiens, les Juifs ont pris depuis longtemps le nom de Jésus en horreur. 2)

Reconnaître Jésus implique une totale remise en question des fondements du judaïsme. 3)

Si Jésus était le messie promis, pourquoi y a-t-il toujours des guerres, des maladies et des

malheurs, alors que le messie devait apporter un règne de paix et de bonheur?

Il est cependant possible de répondre à ces trois objections légitimes: 1) Jésus lui-

même a annoncé que Dieu rejetterait quiconque assassine en son nom, qu'il soit juif (Jean

8:40,44) ou chrétien (Matthieu 7:21-23; 1Jean 3:10,11). Les chrétiens fidèles ne peuvent se

battre et faire du mal à leur prochain (2Corinthiens 10:3,4; Jean 13:35; Matthieu 5:44,45). 2)

Si on élimine le texte de Daniel, comment savoir à quelle époque devait apparaître le

Messie? 3) La troisième objection repose sur un amalgame de différents événements

prophétiques s'étalant en fait dans le temps. Les Juifs avaient remarqué, par exemple, que le

chapitre 53 du livre d'Isaïe décrit un "messie souffrant". Par contre, les chapitres suivants

(60 et 61) de ce même livre décrivent aussi un "messie glorieux". Comment concilier ces

deux descriptions en apparence contradictoires? Pour résoudre cette énigme, certains Juifs

d'aujourd'hui supposent, comme on l'a vu, un "messie souffrant" représentant le peuple juif

et attendent un "messie glorieux". Ils en viennent à imaginer deux messies22. Les Juifs de

Qumrân étaient déjà arrivés à cette conclusion mais pour des raisons complètement

différentes. Ayant constaté que le "messie glorieux" serait aussi un "messie royal", ils en

concluaient logiquement qu'il devait venir de la tribu de Juda. Ce "messie royal" étant

appelé à prendre la tête d'un royaume de prêtres (Exode 19:6), ils en ont conclu qu'il serait

22 C. CHALIER, M. FAESSLER - Deux messies : fils de Juda, fils de Joseph in: Judaïsme et christianisme l'écoute en partage, Paris 2001 Éd. Cerf pp. 307-345.

Page 49: Chrono-Jesus.pdf

DATE DU BAPTEME DE JESUS 49

aussi prêtre. Or, cela posait un problème insoluble puisqu'un Juif ne pouvait appartenir

simultanément à la tribu de Lévi (détentrice du privilège sacerdotal) et à la tribu de Juda.

Pour résoudre cette difficulté, les Esséniens ont supposé l'existence simultanée de deux

messies: l'un issu de Lévi et un autre issu de Juda23. Dans le Talmud (Sukka 52a), on

disserte d'ailleurs sur un messie qui serait fils de Joseph, tué avant l'apparition d'un messie

fils de David, issu de Juda. Juda et Joseph représentant, selon Ezéchiel 37:16, les deux

parties d'Israël réunies. La solution de recourir à deux messies plutôt qu'à un seul avec deux

accomplissements est bien compliquée mais, surtout, contraire au bon sens car elle oblige

(comme le reconnaissent d'ailleurs certains commentateurs juifs modernes) à la conclusion

suivante: Le Messie arrivera quand tous seront justes; il arrivera quand tous seront pécheurs. Il viendra en

grande pompe et dans la gloire; il viendra dans la plus grande discrétion et dans le dénuement. Il viendra à

une date fixe; il peut venir à tout moment (...). Contradictoires et embarrassants sont les textes qui traitent

cet apogée tant attendu dans l'Histoire24. L'incohérence est évidente.

En fait, la solution proposée par les Évangiles permet de résoudre ce paradoxe

apparent de façon bien plus simple. En effet, le droit à la prêtrise aaronique était héréditaire

(Nombres 3:6-9) comme le droit à la royauté. Cependant le droit à la prêtrise pouvait aussi

être obtenu directement de Dieu (cas exceptionnel), comme ce fut le cas pour Aaron ou

pour Melchisédech (Hébreux 5:6; Psaumes 110:4). D'ailleurs, aucune prophétie ne

mentionne que le messie devait apparaître dans la tribu de Lévi. Par contre la Bible

annonçait qu'il apparaîtrait dans la tribu de Juda (selon Genèse 49:10). Étant dans

l'incapacité d'expliquer le calcul proposé par le livre de Daniel, les rabbins (Sanhedrin 97b)

découragèrent leurs disciples de calculer la venue du messie. Malgré la confusion des

opinions sur cette question, Maïmonide, l'une des plus grandes figures du judaïsme, croyait

à un messie individuel apportant une ère de félicité. Ce point de vue original atteste

l'attachement de nombreux Juifs à une antique espérance messianique. D'ailleurs,

aujourd'hui encore, plusieurs personnalités du judaïsme croient à la venue d'un messie

individuel, Roi de gloire, fils de l'homme, fils de David, préexistant à la création, identique à

l'esprit de Dieu qui planait à l'origine sur la face des eaux et racheteur d'Israël25. Les rabbins

Loubavitch espèrent même la venue imminente de ce messie. Dans cette perspective, le

calcul rigoureux de Daniel 9:24-27 prend donc toute son importance.

23 M. WISE, M. ABEGG JR., E. COOK - Les manuscrits de la mer Morte Paris 2001, Éd. Plon pp.171,340. 24 H. GOLDWURM, N. SCHERMAN - Daniel, traduction et commentaires Paris 2001 Éd. du Sceptre p. XLVIII. 25 A. CHOURAQUI -Histoire du Judaïsme in: Que sais-je n°750, Paris 1995 Éd. PUF pp.96,97.

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50 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

LES CALCULS CHRONOLOGIQUES DE DANIEL 9:24-27

Avant de débuter le calcul, il est nécessaire de disposer d'une traduction littérale,

exempte d'influences (pro-messianiques ou anti-messianiques) car, comme on l'a constaté,

vu l'enjeu les traducteurs ont très souvent été tentés d'infléchir la traduction en supposant,

par exemple, que puisque le messie et la période sont mentionnés deux fois dans les versets

24 à 27, cela impliquait l'existence de deux messies ou de deux périodes distinctes! Si cela

était le cas, on pourrait trouver quelque perversité chez Daniel puisqu'il aurait donné un

texte: qu'il devait comprendre et faire comprendre, selon Daniel 9:23, alors que finalement il ne

s'appliquerait à personne d'une manière claire! Ce ne serait pas raisonnable d'autant qu'il est

facile de constater que la première période de 70 semaines est bien identique à la seconde

(62 + 7 + 1, soit un total de 70 semaines). Par conséquent cette période concerne

naturellement le même messie ou oint. Traduction littérale de Daniel 9:23-27:

hébreu MT traduction littérale observations

et comprends

en la parole

et fais comprendre L'expression "fais comprendre" se retrouve en Daniel 8:16, où l'ange Gabriel fait comprendre à Daniel, qui doit à son tour, après avoir compris, faire comprendre au peuple.

en la chose vue

septaines (semaines) Le mot "semaines" est habituellement au féminin en hébreu alors qu'il est au masculin dans le texte de Daniel. Pour garder cette variante, les traducteurs utilisent soit l'expression "semaines [d'années]" soit le mot "septaines".

septante

a été déterminé

sur peuple de toi

et sur ville

sanctuaire de toi Le mot "sanctuaire" pourrait aussi être traduit par le mot "saint". Il désigne cependant au verset 26 clairement le [lieu] saint, c'est-à-dire le sanctuaire.

pour faire cesser

la transgression

et pour terminer

le péché

et pour absoudre

faute

et pour faire venir

justice

des durées

et pour sceller Le sens de "sceller" est à la fois d'accomplir et de

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DATE DU BAPTEME DE JESUS 51

mettre fin.

vision Le mot "vision" a le sens de prophétie.

et prophète

et pour oindre

sanctuaire Le mot qodèsh a le sens de "ce qui est saint". Le Saint des Saints désigne généralement le "Très-Saint".

des sanctuaires

et tu connaîtras

et tu seras perspicace

depuis sortie

de parole

pour faire retourner

et pour bâtir

Jérusalem

jusqu'à messie Le mot "messie" pourrait être traduit par "oint", mais toute la révélation de Gabriel concerne ce messie particulier, qualifié ensuite de guide ou de remarquable. Il vise donc le Messie et non un messie quelconque.

remarquable Le mot "remarquable" a un sens littéral de "sur le devant" en hébreu; il signifie "en chef" en Jérémie 20:1 ou "important" en Proverbes 8:6 quand il qualifie un autre mot (ce qui est le cas ici). Cette qualification attire donc l'attention sur un oint remarquable: le Messie. Employé seul il signifie "conducteur" ou "guide". Théodotion a traduit cette expression en grec par "jusqu'au Christ chef".

septaines

sept

et septaines Le mot "et" a ici le sens de "puis".

soixante et deux

elle retournera

et elle fut bâtie

place publique

et fossé

et dans détresse

des temps

et après

les septaines

soixante et deux

il sera tranché

messie

et rien

pour lui

et la ville

et le sanctuaire

il détruira

peuple remarquable Voir l'observation sur le "messie remarquable". Les peuples remarquables sont décrits par Daniel (au

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52 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

chapitre 2): il s'agit des Babyloniens puis des Médo-Perses puis des Grecs puis des autres peuples ayant un lien avec les serviteurs de Dieu. Le peuple remarquable après les Grecs a été le peuple romain.

venant

et fin de lui Le mot "lui" semble renvoyer au sanctuaire.

dans le déferlement Le mot "déferlement" est aussi utilisé dans un sens métaphorique (déferlement de colère en Proverbe 27:4) ce qui n'est pas le cas du mot "inondation" en français.

et jusqu'à fin

guerre

il a été décrété

des désolations

il fera prévaloir Le mot "il" semble renvoyer au messie.

alliance

pour la multitude Multitude ou multitudes. Certains traducteurs juifs traduisent ici ce mot par "grands" (mais ce choix obscurcit le texte) alors qu'ils gardent le sens commun partout ailleurs (comme en Daniel 11:44).

septaine

une seule

et la moitié

de la septaine

il fera cesser

sacrifice

et offrande

et sur aile

de choses immondes Les "choses immondes" désignent généralement les idoles païennes (peut-être ici les enseignes des armées romaines représentées par des ailes d'aigle).

désolation

et jusqu'à extinction

il a été décrété

elle se répandra

sur [ce qui est] désolé Si on "lisse" cette traduction littérale, en tenant compte des remarques précédentes,

on obtient le texte suivant: Comprends la parole et fais comprendre la chose vue. Soixante-dix

semaines [d'années] ont été décrétées sur ton peuple et sur ta ville sanctuaire [Jérusalem] pour faire cesser la

transgression, pour supprimer le péché et pour absoudre la faute, pour faire venir une justice de durée

indéfinie, pour sceller vision et prophète et pour oindre le sanctuaire des sanctuaires. Il faut que tu saches et

sois perspicace: depuis la sortie de la parole pour rétablir et pour rebâtir Jérusalem jusqu'à messie

remarquable il y aura sept semaines [d'années] puis soixante-deux semaines [d'années]. Elle reviendra et

sera rebâtie, avec place publique et fossé, mais dans la détresse des temps. Après les soixante-deux semaines

[d'années] messie sera retranché, avec rien pour lui. Et la ville et le sanctuaire seront détruits par un peuple

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DATE DU BAPTEME DE JESUS 53

remarquable qui va venir. Et sa fin [celle du sanctuaire] sera dans le déferlement, et jusqu'à la fin, la

guerre, ce qui a été décrété ce sont des désolations mais il fera prévaloir l'alliance pour la multitude une

semaine [d'années] et, à la moitié de la semaine [d'années], il fera cesser le sacrifice et l'offrande. Et sur

l'aile de choses immondes ce qui cause la désolation et, jusqu'à l'extinction, ce qui a été décrété se répandra

sur ce qui est désolé (Daniel 9:23-27). Il est possible que ce texte hautement polémique ait

subit quelques modifications de la part des copistes juifs, comme le prouve la traduction

pro-maccabéenne de la Septante. Cependant, la traduction juive de Théodotion rédigée

(vers 175) dans un contexte anti-chrétien reste très proche du texte massorétique26

puisqu'on lit: Sois donc attentif à ma parole et comprends la vision. Un nombre de soixante-dix semaines

a été fixé pour ton peuple et la Cité sainte, pour que la prévarication soit abolie, que le péché prenne fin, que

la Justice éternelle vienne, que les visions et les prophéties soient accomplies et que le Saint des Saints soit

oint. Sache le donc et comprends: à partir de l'édit qui sera émis pour que Jérusalem soit mise à part et

réédifiée, jusqu'au Christ chef, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines. Et Jérusalem reviendra

elle-même, et ses murs avec ses fossés seront rétablis, malgré la difficulté du temps. Et après les soixante-

deux semaines, l'Oint sera mis à mort sans qu'il y ait en lui de cas de condamnation. Mais détruira la ville

et Saint Temple, avec un chef qui viendra, et [la ville et Saint Temple] succomberont à la catastrophe et

s'abîmeront dans les ruines jusqu'à la fin de la guerre décrétée. Et la semaine une confirmera pour toujours

l'alliance avec la multitude. Et à la moitié de la semaine, les oblations et les sacrifices seront abolis. Puis sur

le Temple, sera l'abomination de la désolation, et la désolation ne finira qu'avec la fin des temps.

Paradoxalement, cette traduction juive est encore plus favorable à l'interprétation

chrétienne que le texte massorétique. Ces remarques préliminaires permettent d'élaguer

quelques propositions erronées et de se focaliser sur ce qui fait réellement problème dans

l'identification du Messie. Cette traduction met donc en évidence plusieurs points:

Une période totale de 490 ans (= 70x7) est nécessaire avant que tout ce qui est annoncé

soit accompli. Cette période se décompose en 3 parties (62 + 7 + 1)x7 = 70x7.

Le point de départ, d'une période de 49 ans (= 7x7), puis de 434 ans (= 62x7), soit 483

ans en tout, est précisé par l'expression: la sortie de la parole pour rétablir et pour rebâtir

Jérusalem. Cette période se termine avec l'apparition du Messie. Le texte précise aussi

que la période de reconstruction est dans "la détresse des temps" et qu'après la période

de 434 ans le Messie est retranché dans le dénuement.

Finalement, une nouvelle puissance mondiale doit arriver pour détruire la ville et le

sanctuaire. Le texte précise que dans les derniers 7 ans (1x7) qui restent, l'alliance se

26 D. BARTHELEMY –Critique textuelle de l'Ancien Testament in: Orbis Biblicus et Orientalis 50/3 Friboug 1992 pp.434-496.

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54 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

poursuit mais seulement jusqu'à la moitié (7/2 = 3,5 ans) de la période, et qu'ensuite

l'offrande et le sacrifice ne sont plus nécessaires.

Quelques commentateurs modernes ont essayé de rattacher le livre de Daniel au

Poème de Danel exhumé à Ugarit et daté du 14e siècle avant notre ère, mais excepté le nom

du personnage (et encore sans le "i"), il n'y a manifestement aucun point de contact entre

les deux récits. Même si l'authenticité du livre fut parfois contestée, le grand Maïmonide

(Guide des égarés 2:45) lui reconnaissait une inspiration d'origine divine et plaçait l'auteur à

égalité avec Salomon et David. Le texte de Daniel 9:24-27 est clairement messianique; il

évoque un messie individuel dont la trame chronologique est parfaitement définie. La

période couverte est de 490 ans. Le point de départ pour calculer l'apparition de ce messie

particulier est précisé par l'expression: depuis la sortie de la parole pour rétablir et pour rebâtir

Jérusalem. Ce messie en chef est finalement retranché dans un dénuement complet, puis la

ville et le sanctuaire sont détruits. Le texte précise qu'après l'apparition de ce messie, le

péché est supprimé et la justice est rétablie, entraînant de facto la suppression de l'offrande

et du sacrifice. La chronologie élimine les prétendants messianiques autres que Jésus.

En effectuant une rapide confrontation avec l'histoire généralement admise par les

historiens, on obtient la chronologie suivante: Artaxerxès Ier commença à régner à partir de

-465; 20 ans plus tard (soit en -445) Néhémie est autorisé à commencer les travaux

(Néhémie 2:1-8), qui seront achevés 49 ans plus tard (en -396). En ajoutant les 434 ans

restants, on obtient 39 de notre ère, date où devait apparaître le Messie, retranché 3 ans et

demi plus tard, soit en 43. La correspondance est donc mauvaise, car Jésus est mort en 33,

soit 10 ans plus tôt. En fait, la chronologie achéménide actuellement reçue est erronée

puisque Artaxerxès Ier a commencé à régner à partir de -475 et non de -465 (voir la

Chronologie achéménide). Cette erreur est à l'origine des innombrables polémiques concernant

cette célèbre prophétie27.

Le point de départ des 490 ans est fixé: Depuis la sortie de la parole pour rétablir et pour

rebâtir Jérusalem jusqu'à Messie principal il y aura sept semaines [d'années] puis soixante-deux semaines

[d'années]. Or, cet ordre de rétablir et de rebâtir Jérusalem fut donné par Artaxerxès Ier dans

la 20e année de son règne (Néhémie 2:1,5,8) au mois de Nisan, soit mars/avril -455.

Comme Néhémie précise que la muraille de la ville fut terminée le 25 Élul (22 septembre)

en 52 jours, on peut en déduire qu'il fit entendre cette: parole de rétablir et rebâtir Jérusalem aux

Juifs revenus dans cette ville le 3 d'Ab (2 août). Esdras et Néhémie donnent une

chronologie précise de cette période. Ainsi, Cyrus émet un édit de libération des Juifs, dès

27 L. BIGOT - Les 70 semaines de Daniel Paris 1911 Éd. Letouzey & Ané in: Dictionnaire de théologie catholique tome VI.1 pp. 75-103.

Page 55: Chrono-Jesus.pdf

DATE DU BAPTEME DE JESUS 55

sa 1ère année de règne (Esdras 1:1-2), qui arrivent à Jérusalem vers octobre -538. Le 2e mois

de la 2e année de leur arrivée (avril/mai -537) ils commencent la reconstruction du Temple

qui est terminée à la fin de la 6e année du roi perse Darius Ier, soit en -515. Dans la 7e année

de son règne, Artaxerxès Ier (en -468) demande à Esdras d'aller à Jérusalem pour embellir le

Temple puis, dans sa 20e année, il donne cette fois l'ordre à Néhémie de reconstruire la ville

et non plus seulement le Temple. La ville est finalement inaugurée vers la fin du règne de

Darius II (Néhémie 12:22), soit en -406 (= -455 + 49). Chronologie des événements28:

Date Événement Référence Avril/mai? -538 Ordre de rebâtir le Temple par Cyrus la 1ère année de règne. Esdras 1:1-2

Septembre/octobre -538 Tout le peuple est réuni à Jérusalem le 7e mois. Esdras 3:1 Avril/mai -537 Début de la reconstruction du Temple la 2e année d'arrivée. Esdras 3:8-10

mars/novembre -522 Opposition des Samaritains qui écrivent à Bardiya [Artaxerxès] Esdras 4:7-23 12 mars -515 Temple achevé (extérieur) à la fin de l'an 6 de Darius Ier. Esdras 6:15

-485/-484 Tentative de génocide contre les Juifs peu après la mort de Darius, soit en l’an 12 de Xerxès (Esther 3:7).

Esdras 4:5-6

Mars/avril -468 Ordre d'embellir le Temple (intérieur) en l'an 7 d'Artaxerxès. Esdras 7:8,20 Mars/avril -455 Ordre de rebâtir Jérusalem lu à Néhémie en l'an 20. Néhémie 2:1-8

2 août -455 Ordre de rebâtir Jérusalem lu aux chefs juifs (le 3 Ab). Néhémie 2:16-18 22 septembre -455 Murailles de Jérusalem achevées en 52 jours (le 25 Elul). Néhémie 6:15 28 septembre -455 Ordre de rebâtir Jérusalem lu au peuple (le 1er Tishri). Néhémie 8:1-2

Septembre/octobre -406 Ville de Jérusalem achevée (inauguration). Fin de Darius II. Néhémie 12:22-43 Selon cette reconstitution chronologique, le peuple entendit l'ordre de rebâtir Jérusalem

le 1er Tishri -455, point de départ de la prophétie des 70 semaines. En ajoutant les 69

semaines d'années, soit 483 ans, la dernière semaine d'années (la 70e), marquant une

confirmation de l'alliance, couvre une période allant du 1er Tishri 29 (= -455 + 483 + 1) au

1e Tishri 36 (= -455 + 490 +1), et la moitié de cette dernière semaine tombe donc en 33. Il

est possible de déterminer exactement les dates correspondantes grâce à l'astronomie en

sachant que le 1er Tishri correspond au 1er croissant visible (après la nouvelle lune) après

l'équinoxe d'automne (le jour de la semaine est calculé par un logiciel)29:

An Date calendrier hébraïque

Événement astronomique

Date calendrier julien

Numéro du jour

29 Équinoxe d'automne Dimanche 25 septembre 29 Nouvelle lune Lundi 26 septembre 0000 29 1er Tishri 1er croissant Mardi 27 septembre 0001 33 [14 Nisan] [Pleine lune] Vendredi 3 avril 1284 36 Équinoxe d'automne Lundi 24 septembre 2554 36 Nouvelle lune Lundi 8 octobre 2568 36 1er Tishri 1er croissant Mardi 9 octobre 2569

28 L. PIROT, A. CLAMER – La Sainte Bible Tome IV Paris 1949 Éd. Letouzey et Ané pp. 305-310. 29 http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/temps/saisons.php http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/phenomenes/phases_lune/index.php http://pagesperso-orange.fr/pgj/julien.htm

Page 56: Chrono-Jesus.pdf

56 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Puisque, selon la prophétie de Daniel, le Messie est retranchée au milieu de la

dernière semaine (qui dure donc 7 ans, soit exactement 2569 jours), la date indiquant le

moment où il est retranché est d'une précision remarquable puisque le 1284e jour, marquant

la moitié de cette semaine (= 2569/2), tombe précisément sur le vendredi 3 avril 33.

Selon ce comput, Jésus aurait-il été baptisé le 1er Tishri 29? La réponse est non pour

les trois raisons suivantes:

Si Jésus avait été baptisé le 1er Tishri, il n'aurait pu assister à la fête du Yom Kippour le 10 Tishri, ni à la fête des Cabanes du 15 au 21 Tishri (Nombres 29:12) puisque le texte biblique précise qu'il passa 40 jours dans le désert juste après son baptême (Matthieu 3:16-4:2). Étant donné que Jésus est présenté comme un Juif pieux (respectant la loi juive), il serait illogique d'accepter qu'il ait pu violer une obligation aussi primordiale de la loi juive.

Le 1er Tishri 29, Jésus avait exactement 30 ans. Or Luc a choisi d'écrire "environ 30 ans", ce qui sous-entendait que Jésus n'avait pas exactement cet âge. Luc est généralement plus précis dans son langage que les autres évangélistes. Il préfère utiliser 14 fois ce terme "environ" dans ses écrits, contre seulement 6 fois pour tous les autres rédacteurs du Nouveau Testament. Ainsi, on lit chez Luc: environ la 6e heure (Luc 23:44), alors qu'il y a seulement la 6e heure chez Marc. Cet écart n'est pas systématique, puisque Marc précise: environ 4000 hommes (Marc 15:33; 8:9), alors que Matthieu se contente d'un simple: 4000 hommes (Matthieu 15:38). Luc écrit encore: environ la 9e heure en Actes alors qu'il sous-entend le mot "environ" en un autre endroit (Actes 10:3; 3:1).

Le Messie devait apparaître lorsque la parole pour rétablir et pour rebâtir Jérusalem fut prononcée; or cette parole n'a pas été émise le 1er Tishri, mais presque deux mois avant.

Selon Néhémie cet ordre de rebâtir Jérusalem lui fut donné par Artaxerxès Ier au

mois de Nisan. Comme il précise également que la muraille de la ville fut terminée le 25

Élul en 52 jours (Néhémie 2:1,5,8; 6:15), on peut en déduire que Néhémie fit entendre cette

parole de rétablir et rebâtir Jérusalem aux chefs juifs revenus dans cette ville le 3 Ab (Néhémie

2:11,16-18.). Cette durée de 52 jours semble être prophétique, car le sanctuaire (fondation

du Temple) devait être reconstruit en 3 jours selon Jean 2:19-22 et le temple complet,

représenté par l'église ointe de l'Esprit Saint selon Éphésiens 2:20-22, devait être réalisé à la

Pentecôte selon Actes 2:1-4, soit 52 jours après le 14 Nisan (selon Lévitique 23:15,16), jour

marquant la "démolition" du sanctuaire représenté par le corps de Jésus. Cette date du 3 Ab

-455 servant de point de départ, le point d'arrivée (483 ans après) correspond au 3 Ab 29

(lundi 1er août 29). En combinant les données historiques, calendériques et astronomiques,

on obtient le bilan suivant:

Naissance de Jean le Baptiste le samedi 5 avril -2. Naissance de Jésus le lundi 29 septembre -2 à Bethléem. Début de la prédication de Jean le Baptiste le samedi 5 février 29. Baptême de Jésus le 3 Ab 29 soit le lundi 1er août 29, à l'âge de 29 ans et 10 mois, dans la 15e année de

Tibère (allant du 19 août 28 au 18 août 29). Au 1er Tishri de l'an 29, soit le mardi 27 septembre, Jésus a exactement 30 ans. Mort de Jésus le 14 Nisan 33 soit le vendredi 3 avril à l'âge de 33 ans et 6 mois.

Page 57: Chrono-Jesus.pdf

DATE DU BAPTEME DE JESUS 57

Pentecôte de l'an 33 le 6 Siwan, 50 jours à partir du 16 Nisan (Lévitique 23:15,16) le dimanche 24 mai 33). Fin de l'alliance spéciale avec les Juifs le 1er Tishri 36 soit le mardi 9 octobre, marquée par la conversion

du centurion Corneille (Actes 10:30).

Le texte de Daniel annonçait donc l'apparition du Messie le lundi 1er août 29 et sa

mort le vendredi 3 avril 33, ce qui est d'une précision impressionnante; mais ce texte

contient d'autres indices qui confirment ce comput. La reconstitution chronologique du

baptême de Jésus est la suivante:

30 1 samedi juil-29 31 2 dimanche 1 3 lundi Baptême de Jésus qui devient le Messie au 3 Ab 2 4 mardi 1 (à la date où les murailles du Temple ont débuté). 3 5 mercredi 2 4 6 jeudi 3 5 7 vendredi 4 6 8 samedi 5 7 9 dimanche 6 8 10 lundi 7 9 11 mardi 8

10 12 mercredi 9 11 13 jeudi 10 12 14 vendredi 11 13 15 samedi 12 14 16 dimanche 13 15 17 lundi 14 16 18 mardi 15 17 19 mercredi 16 18 20 jeudi 17 19 21 vendredi 18 20 22 samedi 19 21 23 dimanche 20 22 24 lundi 21 23 25 mardi 22 24 26 mercredi 23 25 27 jeudi 24 26 28 vendredi 25 27 29 samedi 26 28 30

Ab

dimanche 27 29 1 lundi 28 30 2 mardi 29

aoû-29

31 3 mercredi 30 1 4 jeudi 31 2 5 vendredi 32 3 6 samedi 33 4 7 dimanche 34 5 8 lundi 35 6 9 mardi 36 7 10 mercredi 37 8 11 jeudi 38 9 12 vendredi 39

10 13 samedi 40 Fin des 40 jours dans le désert (attaques de Satan). 11 14 dimanche 41 12 15 lundi 42 13 16 mardi 43 Noces de Cana 14 17 mercredi 44 15 18 jeudi 45 16 19 vendredi 46 17 20 samedi 47 18 21 dimanche 48 19 22 lundi 49 20 23 mardi 50 21 24 mercredi 51 22 25 jeudi 52 Date marquant l'achèvement des murailles du Temple. 23 26 vendredi 24 27 samedi

sep-29

25 28

Elul

dimanche Équinoxe d'automne.

Page 58: Chrono-Jesus.pdf

58 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

26 29 lundi Nouvelle lune. 27 1 mardi Jésus a 30 ans. Début de la 70e semaine de Daniel. 28 2 mercredi 29 3 jeudi

30 4 vendredi 1 5 samedi 2 6 dimanche 3 7 lundi 4 8 mardi 5 9 mercredi 6 10 jeudi Yom kippour. 7 11 vendredi 8 12 samedi 9 13 dimanche

10 14 lundi 11 15 mardi 12 16 mercredi 13 17 jeudi 14 18 vendredi 15 19 samedi 16 20 dimanche 17 21 lundi

Fête des Cabanes.

oct-29

18 22

Tishri

mardi

Selon cette reconstitution, la 70e semaine d'années débute le mardi 27 septembre 29

au moment où Jésus a exactement 30 ans. Cette coïncidence n'est pas fortuite puisque les

textes évangéliques donnent à Jésus un rôle de grand prêtre (Hébreux 3:1; 7:26; 8:1). Or les

prêtres commençaient à officier seulement à partir de 30 ans (Nombres 4:3; 1Chroniques

23:3). La reconstitution fait apparaître que:

Jésus est baptisé dans le Jourdain le 3 Ab 29 (lundi 1er août) et devient le Messie dans la

15e année de Tibère César à l'âge de 29 ans et 10 mois.

Il débute son ministère le 1er Tishri 29 (mardi 27 septembre) à l'âge de 30 ans.

Il meurt à Jérusalem le 14 Nisan 33 (vendredi 3 avril) vers 15 heures à l'âge de 33 ans et

6 mois, soit quelques heures avant une éclipse de lune.

(Il est curieux de constater que les deux dernières durées mentionnées dans le texte

de Daniel30 apparaissent aussi dans le comput du ministère de Jésus, car entre le 25 Elul 29

(vendredi 23 septembre) et le 14 Nisan 33 (vendredi 3 avril) il y a 1290 jours et entre le 1er

Tishri 29 (mardi 27 septembre), lorsque Jésus (grand prêtre) a 30 ans et la Pentecôte de l'an

33, soit le 50e jour après le 16 Nisan 33 (dimanche 24 mai), il y a 1335 jours).

Selon Fénelon: Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays. Autant dire que sans

chronologie l'histoire n'existe pas, il n'y a que des fabulistes qui se croient historiens. Si la

géographie et la chronologie sont bien les yeux de l'histoire, alors le bon historien aspire à être

de tous les temps et de tous les pays.

30 Le texte de Daniel 12:11-12 apparaît après une description chronologique qui s'est terminée en Daniel 12:4. Cet ultime détail semble renvoyer à la mort de l'Agneau perpétuel évoqué en Daniel 11:31.

Page 59: Chrono-Jesus.pdf

Y a-t-il des anachronismes dans le procès de Jésus?

Dans la biographie de Jésus, le procès devant le Sanhédrin puis devant Pilate est

l'élément majeur et attire aussi l'essentiel des critiques. Procès illégal pour les uns,

incohérent ou impossible pour les autres. Ces critiques visent généralement à nier

l'authenticité de ce procès et par contrecoup l'authenticité de l'accusé. La littérature sur ce

procès célèbre abonde, et le livre de Brown consacré à la mort de Jésus, par exemple, ne

comporte pas moins de 1700 pages (en incluant la préface).

Il n'est pas question d'examiner toutes les controverses soulevées par ce procès, ni

de comprendre les intentions des différents protagonistes, mais seulement de vérifier si sa

reconstitution chronologique conduit vraiment à des incohérences, des contradictions ou

des invraisemblances. Après tout, lors d'une enquête judiciaire, une telle reconstitution

n'est-elle pas le seul moyen dont disposent les juges pour accuser ou pour innocenter?

Certains éléments du procès semblent contradictoires quant à la motivation de la

condamnation et à la procédure suivie par les autorités parce qu'il y a imbrication de deux

systèmes judiciaires et juridiques, celui des autorités juives (grand prêtre) et celui des

autorités romaines (préfet de Judée). Le fait que ces différents systèmes ont évolué avec le

temps sans qu'on en ait toujours les traces complique encore la tâche de l'enquêteur.

Il faut commencer par une remarque capitale sur la légalité de ce procès: si les

premiers chrétiens, qui étaient tous (d'anciens) juifs, ont vigoureusement dénoncé la

fourberie du Sanhédrin, jamais ils ne lui ont reproché d'avoir agi illégalement, ce qui aurait

été un argument déterminant dans les controverses avec leurs anciens coreligionnaires. Les

violations de la loi juive étaient épinglées, comme le montre le texte d'Actes 23:1-5:

Fixant du regard le Sanhédrin, Paul dit: Frères, c'est tout à fait en bonne conscience que je me suis conduit devant Dieu jusqu'à ce jour. Mais le grand prêtre Ananie ordonna à ses assistants de le frapper sur la bouche. Alors Paul lui dit: C'est Dieu qui te frappera, toi, muraille blanchie! Eh quoi! Tu sièges pour me juger d'après la Loi, et, au mépris de la Loi, tu ordonnes de me frapper! Les assistants lui dirent: C'est le grand prêtre de Dieu que tu insultes? Paul répondit: Je ne savais pas, frères, que ce fût le grand prêtre. Car il est écrit: Tu ne maudiras pas le chef du peuple.

Brown1 remarque fort justement: Si les écrivains évangéliques écrivent que les autorités juives

étaient malhonnêtes et sans pitié, ils ne disent jamais qu'en jugeant et condamnant Jésus les autorités

agissaient illégalement au regard de la loi romaine ou de la Loi de Moïse. Les évangélistes n'attirent jamais

l'attention sur l'un quelconque des conflits avec les procédures mishnaïques indiquées ci-dessus. Cette

accusation, si elle avait été émise, serait devenue un élément important dans la polémique antijuive. Ainsi,

1 R.E. BROWN – La mort du Messie. Encyclopédie de la passion du Christ. Paris 1994 Éd. Bayard p. 413 note 69.

Page 60: Chrono-Jesus.pdf

60 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

même si ce procès fut scandaleux, il ne fut pas considéré comme illégal! La connaissance du

contexte de l'époque explique ce paradoxe. La reconstitution chronologique permet de

situer les grandes phases du procès. La division du temps en 4 veilles de 3 heures (Marc

6:48) est d'origine romaine et diffère des 3 veilles israélites de 4 heures (Juges 7:19)2.

CONTEXTE HISTORIQUE DU PROCES DE JESUS

Calendrier Heures Événements majeurs du procès. Matthieu Marc Luc Jean

Mercredi

12 Nisan 15 - 18 Anne et Caïphe cherchent un moyen de faire condamner Jésus

à mort, mais pas pendant la fête de Pâque. 26:1-5 14:1-2 22:1-2

18 - 24 Judas propose à Anne et Caïphe de leur livrer Jésus. 26:14-16 14:10-11 22:3-6 24 - 6

6 - 12 12 - 15 Préparation de la Pâque. 26:17-19 14:12-16 22:7-13

Jeudi

13 Nisan

15 - 18 Le soir est venu, la Pâque peut commencer. 26:20-21 14:17-21 22:14

18 - 22 Repas pascal, puis Judas est congédié. Institution de la Cène.

Reniement de Pierre prévu, déplacement au mont des Oliviers. 26:21-33

26:34-46 14:22-25

14:26-41 22:15-30

22:30-46

13:1-18:1

22 - 2 Jésus est arrêté par la police du Temple, puis est emmené chez

Anne, l'ancien grand prêtre, pour une enquête sur son

enseignement, puis chez Caïphe, le grand prêtre en titre. Le

Sanhédrin cherche des faux témoignages, mais il y a

discordance. Caïphe propose au Sanhédrin l'accusation de

blasphème qui n'emporte pas l'adhésion de tous.

26:47-56

26:57-65

26:65-68

14:42-52

14:53-60

14:61-65

22:47-53

22:54

18:2-11

18:12-23

18:24

2 - 6 Pierre renie Jésus 3 fois. Deuxième chant du coq. 26:69-75 14:66-72 22:55-65 18:15-27

6 - 9 Le Sanhédrin tient conseil pour mettre à mort Jésus, puis le

livre à Pilate (Judas se pend puis se fracasse en tombant).

Enquête de Pilate qui renvoie Jésus à Hérode Antipas.

Après des moqueries, Hérode renvoie Jésus devant Pilate.

27:1-10

15:1-5 22:66-71

23:1-11

18:28-32

9 - 12 Procès de Pilate. Enquête sur la royauté de Jésus. Pilate

propose l'acquittement, qui est refusé. Pour épargner Jésus,

Pilate propose la libération de Barabbas, un meurtrier, mais

celle-ci est acceptée. Pour faire relâcher Jésus, il le fait fouetter,

mais les Juifs l'accusent d'être complice et ainsi d'être contre

César. Pilate se lave les mains et accepte de condamner Jésus

sous le motif de crime de lèse-majesté "Roi des Juifs".

27:11-23

27:24-31

15:6-19 23:13-23

23:24-43

18:33-40

19:1-22

12 - 15 Simon de Cyrène aide Jésus jusqu'au lieu de supplice. Pour

l'anesthésier, du vin drogué est proposé à Jésus qui refuse.

Ténèbres anormales de 12 à 15h. Pour le rafraîchir, quelqu'un

offre du vin aigre à Jésus qui accepte. Mort de Jésus à 15h.

27:32-45 15:20-41 23:44-49 19:23-30

Vendredi

14 Nisan

15 - 18 ("Pâque" offrande de paix). Josèphe d'Arimathie, membre du

Sanhédrin et disciple secret de Jésus, demande à Pilate, qui

accepte, le corps de Jésus pour le mettre dans son tombeau.

27:46-56

27:57-61

15:42-47 23:50-56 19:31-41

18 - 6 Grand sabbat (sabbat coïncidant avec le 1er jour des Azymes). (19:31)

6 - 12 A la demande d'Anne et de Caïphe, Pilate fait garder la tombe

par des soldats jusqu'au 3e jour (dimanche). 27:62-66

Samedi

15 Nisan

12 - 18 18 - 6 Dimanche

16 Nisan 6 - 9 Résurrection au début du jour, un ange apparaît à des femmes.

Anne et Caïphe en sont informés et payent les gardes pour

qu'ils disent que le corps a été dérobé pendant leur sommeil.

28:1-15 16:1-2 24:1-14 20:1-18

2 La veille du milieu de la nuit va de 22 heures à 2 heures.

Page 61: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 61

Cette reconstitution chronologique fondée sur le récit des quatre évangélistes est

tout à fait cohérente. Comme on l'a vu dans le chapitre consacré à la datation de la mort de

Jésus, la préparation de la Pâque du 14 Nisan était souvent assimilée, au 1er siècle, avec celle

du 1er jour des Azymes (le 15 Nisan). Le rédacteur de l'évangile de Marc considérait par

exemple que la Pâque marquait le début des Azymes (Marc 14:1-12), comme Flavius

Josèphe (Antiquités juives XVIII:29; Guerre des Juifs V:99) qui écrit: La fête des Pains sans

levain que nous appelons “la Pâque” (...) Lorsque arriva le jour des Azymes, le 14e du mois de Xanthique

[Nisan]. De même, les Juifs du 1er siècle appelaient Pâque aussi bien le repas pascal célébré

au début du 14 Nisan que l'offrande de paix offerte au Temple dans la journée (à partir de 15

heures), ce qui est confirmé par Philon d'Alexandrie (Questions et réponses sur l'Exode

I:11) et Flavius Josèphe (Guerre des Juifs VI:423): Et eux, quand arriva la fête appelé Pâque, au

cours de laquelle les Juifs offrent des sacrifices de la 9e à la 11e heure [de 15h à 17h].

Le procès de Jésus s'est déroulé à Jérusalem sous la direction officielle de Caïphe,

nommé grand prêtre (de 18 à 37 de notre ère) par Valérius Gratus, et de Ponce Pilate,

nommé préfet de Judée (de 26 à 36) par Tibère César. Les différentes juridictions à cette

époque (de -12 à 41) et dans cette région étaient les suivantes3: Légat d'Orient

Gouverneur de Syrie

Préfet de Judée

de à Grand prêtre (Judée)

Marcus Titius [Hérode le Grand] -12 -10 Simon, fils de Boéthos Caius Sentius Saturninus [Hérode le Grand] -10 -6 Simon, fils de Boéthos (Tibère) Publius Quinctilius Varus [Hérode le Grand] -6 -5 Matthias, fils de Théo. (Tibère) Publius Quinctilius Varus [Hérode le Grand] -5 -3 Joazar, fils de Boéthos? (Tibère) Publius Sulpicius Quirinius [Hérode le Grand] -3 -1 Joazar, fils de Boéthos? Caius César Publius Quinctilius Varus [Archélaüs] -1 2 Éléazar, fils de Boéthos Caius César [Caius César] [Archélaüs] 2 4 Éléazar, fils de Boéthos Lucius Volusius Saturninus [Archélaüs] 4 6 Jésus, fils de Sée Publius Sulpicius Quirinius Coponius 6 9 Anne, fils de Seth Publius Sulpicius Quirinius? Marcus Ambibulus 9 12 Anne, fils de Seth Q. Caecilius Metellus Silanus Annus Rufus 12 15 Anne, fils de Seth Q. Caecilius Metellus Silanus Valerius Gratus 15 16 Ismaël, fils de Phiabi Q. Caecilius Metellus Silanus Valerius Gratus 16 17 Éléazar, fils d'Anne Germanicus Caesar Cnaeus Calpurnius Piso Valerius Gratus 17 18 Simon, fils de Kamithos Germanicus Caesar Cnaeus Calpurnius Piso Valerius Gratus 18 19 Joseph Caïphe Cnaeus Sentius Saturninus Valerius Gratus 19 21 Joseph Caïphe [Lucius Aelius Lamia] Valerius Gratus 21 26 Joseph Caïphe [Séjan] [Lucius Aelius Lamia] Ponce Pilate 26 30 Joseph Caïphe [Séjan] [Lucius Aelius Lamia] / Ponce Pilate 30 32 Joseph Caïphe Lucius Vitellius? Lucius Pomponius Flaccus Ponce Pilate 32 35 Joseph Caïphe Lucius Vitellius Lucius Vitellius Ponce Pilate 35 36 Joseph Caïphe Lucius Vitellius Marcellus 36 37 Joseph Caïphe Lucius Vitellius Marullus 37 39 Théophile, fils d'Anne Publius Petronius Marullus 39 41 Théophile, fils d'Anne

3 J.P. LEMONON - Ponce Pilate Paris 2007 Éd. De l'Atelier pp. 263-265. E. SCHÜRER - The history of the Jewish people in the age of Jesus Christ Vol. I 1987 Edinburgh Ed. Matthew Black F.B.A. pp. 243-266, 357-398.

Page 62: Chrono-Jesus.pdf

62 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

En théorie, la législation romaine est assez simple puisqu'elle s'appuie sur deux

grands principes: 1) le gouverneur d'une province impériale reçoit pleine autorité sous la

forme d'un imperium que l'empereur lui délègue (en en fixant les limites), ce qui lui permet

de le représenter dans sa province et 2) le Sénat romain accepte la législation des peuples

conquis (pour des raisons pragmatiques de manque de personnels), mais se réserve la

juridiction criminelle. En pratique, évidemment, les rapports administratifs et juridiques

entre les différentes autorités se compliquent pour les raisons suivantes:

Les gouverneurs des petites provinces (comme la Judée) sont principalement désignés

jusqu'à Claude, par le titre de préfet plutôt que par le titre de procurateur. En fait, ils

cumulaient les deux charges, celle de préfet représentant un pouvoir administratif par

l'exercice d'une juridiction civile et criminelle et celle de procurateur représentant les

intérêts financiers et fiscaux de l'empereur. Pilate était donc un procurateur-préfet.

Les gouverneurs n'avaient officiellement de comptes à rendre qu'à l'empereur, mais

deux situations faisaient exception. Pour des raisons stratégiques, dans une grande

région comme celle d'Orient, l'empereur pouvait nommer un légat spécial en le

munissant d'un imperium particulier associé à des instructions écrites (mandata). Dans

cette situation, les gouverneurs de Syrie et de Judée devaient coopérer avec ce légat

impérial en Orient4 (l'interprétation des instructions de l'empereur pouvait cependant

engendrer des conflits)5. Lucius Vitellius, en tant que légat d'Orient6, a pu révoquer

Pilate7. Une deuxième situation pouvait faire exception, celle de la vacance du pouvoir.

Tibère, par exemple, se retira (en 27) dans l'île de Capri et laissa la gestion des affaires à

Séjan, préfet du prétoire8 qui était ainsi pratiquement corégent9. En 33 de notre ère,

Pilate pouvait donc être interpellé soit par Vitellius, légat d'Orient, soit par Macron,

nouveau préfet du prétoire (Séjan ayant été exécuté pour trahison le 18 octobre 31).

Une province était normalement dirigée par un gouverneur, mais l'empereur pouvait

nommer un gouverneur tout en lui demandant de rester à Rome ou bien en l'envoyant

tout en conservant l'ancien (avec vraisemblablement une mission différente)10.

Les proconsuls étaient théoriquement des collègues de l'empereur et pouvaient, à ce

titre, intervenir auprès des gouverneurs, notamment en cas de problèmes juridiques11. 4 TACITE -Annales XV:25. 5 Comme celui entre Germanicus Caesar, Cnaeus Calpurnius Piso et Valerius Gratus, voir TACITE -Annales II:43. 6 TACITE -Annales VI:32. 7 FLAVIUS JOSEPHE Antiquités juives XVIII:88-89. 8 Y. PERRIN, T. BAUZOU – De la Cité à l'Empire : histoire de Rome Paris 2004 Éd. Ellipses p. 295. 9 VELLEIUS PATERCULUS –Histoire romaine II:127. 10 TACITE -Annales I:80; VI:27. 11 F. HURLET – Le proconsul et le prince d'Auguste à Dioclétien Paris 2006 Éd. Ausonius pp. 309-314.

Page 63: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 63

Le cas le plus complexe était

celui de la Judée puisque deux

juridictions très différentes se

chevauchaient: celle du préfet et

celle du grand prêtre. La situation de

la région était la suivante (en 33):

Pomponius Flaccus, gouverneur

de Syrie, résidait à Antioche et

disposait de 4 légions (de 5000 à

6000 soldats chacune)12. Il

contrôlait les villes d'Azot,

Jamnia et Phasaëlis, attribuées

par Hérode à sa sœur Salomé13,

car elles avaient été rattachées

ensuite à la province de Syrie.

Hérode Philippe, tétrarque de

Batanée, de Trachonitide,

d'Auranitide, de Gaulanitide et d'Iturée résidait à Césarée de Philippe et disposait d'une

troupe de soldats utilisés comme policiers ou douaniers. Ces soldats pouvaient être

réquisitionnés par les gouverneurs en cas de guerre et intégrés comme troupe auxiliaire

à côté des légions (au moins jusqu'en 47 de notre ère, puisqu'après cette date les Juifs

en sont exemptés)14.

Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée, résidait à Tibériade. Comme Hérode

Philippe, il disposait lui aussi d'une troupe de soldats (juifs) qu'il a utilisée, par exemple,

comme escorte lors de son voyage à Jérusalem15.

Pilate, préfet de Judée, résidait habituellement à Césarée et disposait de 5 cohortes (de

500 à 600 soldats chacune) et d'un escadron de cavalerie16 pour faire régner l'ordre dans

sa province. Ces soldats étaient soit des Romains, soit des Samaritains recrutés à

Sébasté17. Le texte des Actes18 mentionne vraisemblablement la Secunda Italica Civium

Romanorum ainsi que la Prima Augusta qui stationnaient à Jérusalem. 12 Légions: VI Ferrata, X Fretensis, III Gallica, XII Fulminata (après 18). 13 Antiquités juives XVII:189. 14 Antiquités juives XIV:202-204. 15 Luc 23:7-11. 16 Antiquités juives XIX:365. Escadron de cavalerie nommé Ala I Gemina Sebastenorum. 17 Guerre des Juifs II:52. 18 Actes 10:1; 21:31-32; 27:1.

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64 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Caïphe, grand prêtre, résidait à Jérusalem et disposait d'une police du Temple dirigée

par des capitaines19 et d'une troupe de soldats20 (juifs) utilisés comme policiers pour les

affaires criminelles ou comme douaniers pour les affaires fiscales. Les gardiens du

Temple étaient sous la direction d'un capitaine21. Le terme grec stratègos "capitaine" est

la traduction du terme hébreu sagan apparaissant dans l'Ancien Testament22.

Anne, ancien grand prêtre, résidait à Jérusalem et faisait partie du Sanhédrin en tant que

grand prêtre honoraire. Il a probablement rencontré Jésus lorsque celui-ci, âgé de 12

ans, était monté au Temple pour célébrer la Pâque23. La coexistence de plusieurs grands

prêtres24 était anormalement fréquente au 1er siècle25 (de 6 à 66).

Lorsque ces personnages se retrouvent à Jérusalem pour la célébration de la Pâque,

ils sont tous sous l'autorité de Pilate, Hérode Antipas, par exemple, n'étant là qu'en tant que

personne privée. Les Juifs restent toutefois sous l'autorité morale du grand prêtre, y

compris ceux de la diaspora. La situation la plus complexe (qui a fait couler beaucoup

d'encre) était celle d'une infraction religieuse car le droit criminel romain était peu

explicite26 dans ce domaine. Ce cas particulier d'un crime religieux engendre deux

questions: Le Sanhédrin était-il habilité par Rome à condamner à la peine capitale et avait-t-

il le droit de l'exécuter? Brown, après avoir examiné dans le détail cette question complexe,

aboutit à cette conclusion: Les Romains autorisèrent les Juifs à condamner à mort dans certains cas

évidents d'infractions religieuses, par exemple la violation des interdits concernant la circulation dans

certaines zones du Temple et peut-être l'adultère. Au-delà de cette sphère religieuse déterminée, les autorités

juives étaient supposées transmettre les affaires aux Romains, qui décidaient de prononcer et d'exécuter ou

non une sentence de mort27. Sur quels éléments repose cette conclusion?

LE DROIT CRIMINEL EN JUDEE DANS LES ANNEES 30

Lorsque Archélaüs, ethnarque de Judée, fut destitué par Quirinius (en 6), sa

province passa sous l'autorité de Coponius, premier préfet de Judée, qui reçut les pleins

pouvoirs (imperium) y compris d'infliger la peine de mort28. Sous le royaume hérodien, le

Sanhédrin possédait aussi ce droit29 et cette juridiction religieuse était une particularité des

19 Luc 22:4; Actes 5:21-26. 20 Luc 3:14. 21 Guerre des Juifs VI:294; Antiquités juives XX:131, 208. 22 Esdras 9:2; Néhémie 2:16. 23 Luc 2:41-46. 24 Nombres 35:25. 25 Guerre des Juifs II:243. 26 A l'exception de la loi sur les cultes illicites (superstitio illicita), mais la religion juive était reconnue par Rome comme licite. 27 R.E. BROWN – La mort du Messie. Encyclopédie de la passion du Christ. Paris 1994 Éd. Bayard p. 426. 28 Guerre des Juifs II:117, 167; Antiquités juives XVIII:1-2. 29 Antiquités juives XIV:177; XV:173.

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 65

royaumes juifs (Contre Apion II:184-188). Cette exception fut entérinée par Rome30,

comme le rappellent Flavius Josèphe et Philon, auteurs juifs du 1er siècle. Ils précisent aussi

que cette juridiction religieuse spéciale était perçue comme un privilège (Antiquités juives

XVI:174; Legatio ad Caium 307-308). Selon le Talmud de Jérusalem31:

On enseigne: 40 ans avant la ruine du Temple, on enleva [aux Juifs] les jugements de peine capitale. Du temps de Shiméon ben Shetah on leur enleva les jugements en matière pécuniaire (Sanhédrin 18a).

Ces deux événements importants se sont déroulés sous la juridiction romaine32: le

premier en 30 puisque le Temple a été détruit en 70, et le second en -65, au tout début de

l'administration romaine de Syrie33 car Shiméon ben Shetah, maître à l'époque du second

Temple, enseigna sous les règnes d'Alexandre Jannée (103-76) et de Salomé Alexandra (76-

67), ce qui situe donc la fin de l'indépendance pécuniaire des Juifs vers -65. Le Talmud ne

donne pas la raison de la disparition de la peine capitale qui avait été accordée jusqu'alors

au Sanhédrin et n'indique pas non plus si cela concernait tous les crimes civils (meurtres,

adultères, infanticide), religieux (sacrilège, blasphème) ou seulement les crimes civils.

La perte du droit à la peine capitale par le Sanhédrin en 30 se situe donc sous la

légation de Pilate (26-36). Plusieurs indices suggèrent que cet incident est lié à l'attaque de

Jésus contre les changeurs du Temple34 au début de son ministère (Jean 2:13-17) en 30 car

la famille possédante d'Anne était corrompue et l'intervention de Jésus a révélé un scandale

qui a dû pousser Pilate à restreindre les pouvoirs judiciaires du Sanhédrin. Le Talmud de

Babylone35 critique les prêtres de la maison d'Anne [Hanin] à cause de leurs conspirations

et rapporte que les éventaires de produits des fils d'Anne [Hanan] (qui étaient sur le mont

des Oliviers) furent détruits vers 67 parce que leurs propriétaires ne payaient pas la dîme —

ils étaient peut-être impliqués dans la hausse excessive du prix de tout ce qui était

nécessaire au sacrifice du Temple. Flavius Josèphe relate:

Quand Albinus fut arrivé à Jérusalem, il mit tout son zèle et toute sa diligence à pacifier le pays en faisant périr la plupart des sicaires. Mais de jour en jour le grand pontife Ananias [fils d'Anne] croissait en réputation et obtenait de façon éclatante l'affection et l'estime de ses concitoyens: en effet, il savait donner de l'argent et il essayait quotidiennement de faire sa cour par des présents à Albinus et au grand pontife. Il avait des serviteurs très pervers qui s'adjoignaient les hommes les plus audacieux pour fondre sur les aires et prendre de force la dîme des prêtres, non sans frapper ceux qui ne la leur cédaient pas (Antiquités juives XX:204-207).

30 Le pouvoir judiciaire du grand-prêtre est entériné par Rome dès -142 (1Maccabées 15:16-21). 31 J. BONSIRVEN - Textes rabbiniques des deux premiers siècles Roma 1985 Ed. Pontifico Istituto Biblico p. 503. 32 J.P. LEMONON - Ponce Pilate Paris 2007 Éd. De l'Atelier pp. 76-81. 33 Qui débuta avec le proquesteur propréteur Marcus Aemilius Scaurus (65-62). 34 R.E. BROWN – La mort du Messie. Encyclopédie de la passion du Christ. Paris 1994 Éd. Bayard pp. 403, 467. 35 Pesahim 57a; Baba Mesia 88a; Tosephta Menahot 13:21-22.

Page 66: Chrono-Jesus.pdf

66 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

De plus, le Talmud de Babylone établit un lien entre l'expulsion du Sanhédrin, 40

ans avant la destruction du Temple (en 70) et les malversations de la famille d'Anne

(Sanhédrin 41a; Sabbat 15a; Aboda Zara 8b, Tosephta Menahot 13:21-22). Ces faits, même

dépeints à travers les préjugés pharisiens, expliquent l'enchaînement logique quivant: 1)

Jésus dévoile au grand jour une extorsion financière orchestrée par Anne, ancien grand

prêtre; 2) la révélation de ce scandale pousse Pilate à intervenir pour calmer les Juifs spoliés

en plaçant les pouvoirs judiciaires du Sanhédrin sous son contrôle; 3) suite à cet incident,

Anne a vraisemblablement dû garder rancune contre Jésus; 4) Pilate, dans un souci

d'apaisement, instaure peut-être à cette époque la coutume de libérer un prisonnier pour la

Pâque. Si Pilate, à partir de 30 de notre ère, contrôle la juridiction criminelle civile

(notamment les exécutions), il laisse toutefois la juridiction religieuse sous la responsabilité

du Sanhédrin pour deux raisons: les Romains n'avaient aucune compétence juridique pour

apprécier les crimes religieux juifs, comme le sacrilège ou le blasphème, et il n'était pas

nécessaire de supprimer de telles prérogatives car cela aurait inutilement irrité les Juifs et pu

déclencher une révolte.

La compétence du Sanhédrin36 correspondait à celle d'une Cour suprême religieuse

et s'étendait par conséquent sur l'ensemble des Juifs (Actes 9:2: 22:5: 26:12), soit bien au-

delà de la Judée (après la destruction de Jérusalem en 70, le Sanhédrin a cessé d'exister sous

sa forme antérieure). Les crimes religieux faisant encourir la peine capitale étaient peu

nombreux, essentiellement le blasphème et le sacrilège. Le blasphème consistait à maudire

Dieu en le nommant, crime codifié dans la loi de Moïse; le coupable devait être lapidé à

mort à l'extérieur du camp (Lévitique 24:14-16). Cette procédure fut, par exemple,

injustement appliquée pour exécuter Naboth (1Rois 21:13,14). Le sacrilège consistait dans

la profanation des ustensiles du Temple (Nombres 4:15). Par exemple, dans la citation

d'une lettre d'Agrippa Ier (41-44) à Caius, Philon explique que l'entrée dans le Saint des

Saints par un Juif, fut-il prêtre ou même grand prêtre lorsqu'il n'y est pas expressément

autorisé, constitue un crime passible d'une mort sans appel (Legatio ad Caium 306-307).

Flavius Josèphe rapporte qu'un soldat romain (vers 50) qui avait déchiré et jeté au feu la

Sainte Loi avait été condamné à mort sur la demande des Juifs par le procurateur Cumanus

à cause de cette profanation (Guerre des Juifs II:229-231). Flavius Josèphe met ces paroles

dans la bouche de Titus:

36 E. SCHÜRER - The Great Sanhedrin in Jerusalem in: The history of the Jewish people in the age of Jesus Christ Vol. II 1986 Edinburgh Ed. Matthew Black F.B.A. pp. 199-226. J. MASSONNET - Sanhédrin In: Dictionnaire de la Bible, Supplément Paris 1991 Ed. Letouzey & Ané pp. 1357-1413.

Page 67: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 67

N'est-ce pas vous [Juifs] qui avez intercalé des stèles gravées en caractères grecs et latins, proclamant que personne ne doit franchir ce parapet [du Temple]? Ne vous avons-nous pas permis de mettre à mort ceux qui le franchissent, fussent-ils Romains? (Guerre des Juifs VI:125-126; Antiquités juives XV:417).

Le texte de Josèphe mentionne là un droit exceptionnel à la peine capitale et non un

droit au lynchage comme certains le prétendent, car les Juifs étaient extrêmement légalistes.

Les textes évangéliques confirment ce point.

Durant l'occupation romaine, le Sanhédrin avait légalement le droit de mettre à

mort pour un crime religieux:

J'ai persécuté à mort cette Voie, chargeant de chaînes et jetant en prison hommes et femmes, comme le grand prêtre m'en est témoin, ainsi que tout le collège des anciens. J'avais même reçu d'eux des lettres pour les frères de Damas (...) Pour moi donc, j'avais estimé devoir employer tous les moyens pour combattre le nom de Jésus le Nazaréen. Et c'est ce que j'ai fait à Jérusalem; j'ai moi-même jeté en prison un grand nombre de saints, ayant reçu ce pouvoir des grands prêtres, et quand on les mettait à mort, j'apportais mon suffrage (Actes 22:4-5; 26:9-10).

Le Sanhédrin pouvait donc non seulement condamner à mort pour un crime

religieux, mais aussi exécuter la sentence comme cela ressort du dialogue entre Pilate et le

Sanhédrin au moment du procès de Jésus:

Pilate sortit donc au-dehors, vers eux, et il dit: Quelle accusation portez-vous contre cet homme? Ils lui répondirent: Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. Pilate leur dit: Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre Loi [Pilate considère donc qu'il s'agit d'un crime religieux et rappelle aux Juifs qu'ils peuvent le condamner sans lui] Les Juifs lui dirent: Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort [Pilate n'avait nul besoin que des Juifs lui expliquent la loi, mais par cette remarque il comprend qu'il s'agit d'un crime civil qui est par conséquent sous sa juridiction] Lorsqu'ils le virent, les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant: Crucifie-le! Crucifie-le! Pilate leur dit: Prenez-le, vous, et crucifiez-le; car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation [Pilate refuse de nouveau le classement du crime dans le registre civil comme les Juifs le souhaitent, mais, s'agissant d'un crime religieux, il considère que c'est à eux de le juger et de l'exécuter. Cela prouve que Pilate leur reconnaît le droit de mettre à mort pour ce type de crime]. Les Juifs lui répliquèrent: Nous avons une Loi et d'après cette Loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait fils de Dieu [Les Juifs reconnaissent enfin qu'il s'agit effectivement d'un crime religieux, mais en lui dévoilant la nature extraordinaire du "délit", ils jouent sur le côté superstitieux du Romain et font aussi référence à la loi romaine sur les cultes illicites qui avait permis, par exemple, de mettre à mort Socrate]. Lorsque Pilate entendit cette parole, il fut encore plus effrayé (Jean 18:29-31; 19:6-8).

Les Juifs ont d'ailleurs essayé à diverses reprises d'utiliser la loi romaine sur les

cultes illicites (supertitio illicita) pour faire condamner à mort les Judéo-chrétiens:

Alors que Gallion était proconsul d'Achaïe, les Juifs se soulevèrent d'un commun accord contre Paul et l'amenèrent devant le tribunal en disant: Cet individu cherche à persuader les gens d'une manière contraire à la loi [culte illicite]. Paul allait ouvrir la bouche, quand Gallion dit aux Juifs: S'il était question de quelque délit ou méfait [crime civil], j'accueillerais, Juifs, votre plainte, comme de raison. Mais puisqu'il s'agit de contestations sur des mots et des noms de votre propre loi [crime religieux] à vous de voir! Être juge, moi, en ces matières je m'y refuse (Actes 18:14-16; 23:27-30; 25:15-20.).

Les motifs pour mettre légalement à mort Jésus, ou les premiers Judéo-chrétiens,

étaient en nombre limité et se trouvent résumés par:

Paul se défendait: Je n'ai, disait-il, commis aucune faute contre la Loi des Juifs [crime de blasphème], ni contre le Temple [crime de profanation], ni contre César [crime de lèse-majesté] (Actes 25:8).

Page 68: Chrono-Jesus.pdf

68 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Cette charge de crimen laesae majestis a été invoquée contre Jésus mais Pilate avait

d'abord considéré qu'elle était inappropriée (Luc 23:13,14). La loi intitulée Lex Julia majestis,

promulguée en -48, considérait comme crime toute activité contre la souveraineté de

Rome. Le crime de blasphème est encore plus subtil. En toute rigueur le blasphème

consistait à "injurier Dieu en le nommant", selon Lévitique 24:16, ce qui était très rare. En

effet, le nom de Dieu [YHWH, ce nom de 4 lettres est appelé le Tétragramme] était encore

connu à cette époque, puisque Flavius Josèphe écrit:

Le grand prêtre avait la tête couverte d'une tiare de lin fin bordée d'un liseré violet, et entourée d'une autre couronne, en or, qui portait en relief les lettres sacrées [YHWH]: ce sont quatre voyelles [IOUA] (Guerre des Juifs V:235).

Ce nom était toutefois peu prononcé. Philon, philosophe juif du 1er siècle (-15, 50),

précise dans son livre sur la vie de Moïse:

Il y avait aussi une plaque d'or travaillée en forme de couronne et portant les quatre caractères gravés [YHWH] d'un nom que seuls avaient le droit d'entendre et de prononcer dans les lieux saints ceux dont l'oreille et la langue avaient été purifiées par la sagesse, et personne d'autre et absolument nulle part ailleurs (...) Sur le turban se trouve la plaque d'or, sur laquelle sont imprimées les gravures des quatre lettres qui forment, est-il dit, le nom de Celui qui est, vu que sans l'invocation de Dieu rien de ce qui existe ne peut tenir debout (De vita Mosis, II, 114-132).

La prononciation du nom de Dieu fut licite jusqu'au milieu du 2e siècle de notre ère;

après cette date, le rabbin Abba Shaü spécifiera que celui qui "prononce le Nom selon ses lettres"

n'aurait pas part au monde à venir (Sanhédrin 101a; 10:1). L'expression "prononcer le Nom

selon ses lettres" signifie prononcer le Nom comme il s'écrit ou selon le son de ses lettres, ce

qui est différent d'épeler le nom selon ses lettres. En effet, il était autorisé d'épeler le nom

YHWH selon ses lettres (puisque le Talmud lui-même le fait), c'est-à-dire en hébreu Yod,

He, Waw, He; par contre, il était interdit de le prononcer selon ces mêmes lettres. Le nom

hébreu YHWDH, par exemple, se prononce IOUDA (Juda) selon ses lettres et s'épelle: Y,

H, W, D, H; de même, le nom YHWH se prononce IOUA37 et s'épelle Y, H, W, H. En fait,

les Juifs décomposaient le blasphème biblique "injurier Dieu en le nommant" en deux

parties: 1) "injurier Dieu" par des paroles blasphématoires (apostasie), puis 2) "nommer

Dieu". Pour éviter que les témoins d'un blasphème dans ce type de procès ne deviennent

eux-mêmes des blasphémateurs en rapportant les paroles injurieuses ou blasphématoires et

en utilisant le nom de Dieu, ils devaient le remplacer par une expression convenue d'avance

comme "Yosé frappe Yosé" (Yosé étant un nom de 4 lettres remplaçant le nom de Dieu),

Sanhédrin 7:5. Le procès d'Étienne en est une bonne illustration. 37 Ce nom a été utilisé par plusieurs hébraïsants dans leur traduction latine de la Bible: Agostino Giustiniani en 1516, Sébastien Casteillon en 1551, Augustin Crampon en 1856, etc. Cette forme Ioua avait l'inconvénient d'être proche du nom latin Ioue (Jupiter), ce qui pouvait entraîner des confusions. Ainsi l'historien latin Valerius Maximus écrivait que le préteur Cornelius Hispalus avait expulsé (en -139) des Juifs qui avaient essayé de corrompre des Romains par un culte à Sabazi [Sabaoth] Iouei. Le célèbre Augustin d'Hippone (354-430) croyait lui aussi que les Juifs avaient adoré le dieu Ioue dans le passé (De consensu evangelistarum). Philon de Byblos, lorsqu'il a traduit en grec son Histoire phénicienne (au début de notre ère), a transcrit Iéüô le nom de Dieu. Joachim de Flore (en 1195) utilisait la forme Ieue (Expositio in Apocalypsim), mais l'érudit polyglotte Nicolas de Cues (en 1445) argumentait pour Ieoua (sermo XLVIII dies sanctificatus).

Page 69: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 69

La procédure suivie pour le procès d'Étienne, décrite dans le chapitre 6 du livre des

Actes, est similaire à celle du procès de Jésus. Tout d'abord, Étienne est accusé de "paroles

blasphématoires". Il est donc conduit devant le Sanhédrin pour être jugé (Actes 6:11-12).

Les "paroles blasphématoires" sont en fait de l'apostasie (Actes 6:14), ce qui est le prétexte

habituellement retenu contre un blasphémateur potentiel (Actes 21:21). Il s'agit bien d'un

procès officiel et non d'un lynchage organisé car Paul était présent à ce procès (Actes 7:58-

8:1) en tant que "commissaire" du Sanhédrin (Actes 26:9-10). Étienne, s'il était condamné

comme apostat, risquait soit la prison (Actes 8:3), soit la flagellation (Actes 22:19-20 ) soit

l'excommunication (Jean 12:42), mais pas la peine capitale. Pour réfuter l'accusation

d'apostasie qui pesait sur lui, Étienne va rappeler qu'il adhérait toujours aux enseignements

de la foi juive en citant, entre autres, le célèbre épisode du buisson ardent qui contient la

révélation du Nom (Actes 7:30-33), ce qui l'a amené à utiliser plusieurs fois le nom de Dieu

(Actes 7:31, 33, 49). Le fait d'utiliser le nom divin n'était pas répréhensible en soi, mais

l'utiliser dans un procès pour blasphème avant le verdict final transformait l'accusation de

"paroles blasphématoires" en "blasphème", selon le Talmud (Sanhédrin 7:5), ce qui entraînait

automatiquement une exécution par lapidation, et c'est ce qui se produisit effectivement

(Actes 7:58). Certains ont cru qu'Étienne avait blasphémé lorsqu'il a mentionné le "Fils de

l'homme debout à la droite de Dieu" (Actes 7:56) mais cela ne correspond pas à la

définition juive du blasphème. De plus, l'interdiction de citer Jésus existait déjà (Actes 4:18;

5:28) mais la peine encourue dans ce cas était uniquement la flagellation (Actes 5:40) et pas

la mort. Cette sanction a été souvent appliquée (Actes 22:19) aux chrétiens d'origine juive

(mais pas aux autres chrétiens considérés comme païens par le Sanhédrin).

On a cru aussi que la lapidation d'Étienne avait été un lynchage (voir Luc 4:29)

parce que les témoins hurlent et se mettent les mains sur les oreilles avant de le lapider

(Actes 7:58). C'est oublier que les membres du Sanhédrin, et plus particulièrement Paul qui

se voulait irréprochable (Philippiens 3:6), étaient tous très légalistes et n'auraient pas permis

une telle infraction. Le procès s'est d'ailleurs terminé par la déposition des vêtements

déchirés des témoins aux pieds de Paul (Actes 7:58), ce qui indique que les témoins avaient

validé la condamnation du blasphème en déchirant leurs vêtements comme l'exigeait la

tradition (Isaïe 36:22). Le fait que les témoins étaient en colère lors du procès prouve

seulement qu'ils étaient violents (Actes 8:3) et qu'ils avaient été fortement contrariés par les

paroles piquantes d'Étienne (Actes 7:51-54). Au 1er siècle, la colère n'est pas illégale

(Éphésiens 4:26), mais seulement déconseillée (Jacques 1:19,20).

Page 70: Chrono-Jesus.pdf

70 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

La définition des crimes religieux nécessitait une interprétation de la Torah qui

empêchait les Romains d'y prendre part. Ils considéraient tout cela comme une simple

querelle sur des mots et des noms (Actes 18:15). Pour contourner cette difficulté, les Juifs

ont donc transformé les accusations de blasphème ou d'apostasie, non recevables par la loi

romaine, en accusation d'introduction d'un culte illicite (Actes 16:21; 17:18; 18:13), la seule

loi romaine à traiter du crime religieux. Pour résumer quelques cas de figure:

Cas Crime: Peine encourue: Autorité compétente: 1 Meurtre d'un romain. Peine capitale. Gouverneur 2 Crime commis par un Juif: homosexualité,

bestialité, idolâtrie, sorcellerie, etc. (Sanhédrin 7:4).

Peine capitale. Sanhédrin pour le jugement mais, après 30, gouverneur pour l'exécution.

3 Meurtre d'un Juif par un Romain. Peine capitale. Gouverneur 4 Religion illicite d'un Romain. Bannissement ou peine capitale. Gouverneur 5 Sédition contre les autorités romaines. Peine capitale. Gouverneur 6 Sédition contre les autorités juives. Flagellation et excommunication Sanhédrin 7 Profanation du Temple. Peine capitale. Sanhédrin 8 Paroles blasphématoires (apostasie). Flagellation et excommunication Sanhédrin 9 Blasphème. Peine capitale. Sanhédrin

Il est évident que le crime de sédition, comme le blasphème ou l'apostasie, ouvrait

une large place à l'interprétation38. Tout désordre pouvait en effet être perçu comme une

révolte (Actes 19:40). Lorsqu'un Juif était en plus citoyen romain, l'application de la loi

devenait un véritable casse-tête car il fallait définir sous quelle juridiction (juive ou romaine)

l'affaire devait être jugée et cela en fonction du délit qui était lui-même soumis à

l'interprétation du magistrat. Sous ce rapport, le cas de Paul est édifiant. D'abord accusé

d'apostasie par les Juifs (Actes 21:21, cas 8), puis de profanation du Temple (Actes 21:28, cas

7) interprétée comme une sédition contre les autorités romaines (Actes 21:38, cas 5), et de

nouveau d'apostasie (Actes 22:22-25, cas 8). Comprenant qu'il était condamné d'avance dans

un procès devant le Sanhédrin, Paul invoque sa citoyenneté romaine pour être jugé par le

gouverneur (Actes 22:26-29), ce qui posait problème car le motif religieux retenu n'avait

plus aucune valeur sous la juridiction romaine (Actes 23:28-30). Pour sortir de cet imbroglio

juridique, Paul en appelle à César comme il en avait le droit (Actes 25:11,12), sachant que sa

condamnation devenait ainsi impossible (Actes 25:27; 26:32).

ANALYSE CHRONOLOGIQUE DU PROCES DE JESUS Le procès de Jésus, bien que très documenté par les quatre évangélistes, est souvent

présenté comme contradictoire, voire illicite ou impossible, par les commentateurs

38 A.Y. COLLINS - The Charge of Blasphemy in Mark 14.64 in: Journal for the Study of the New Testament 26:4 (2004) pp. 381-401.

Page 71: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 71

modernes. La reconstitution chronologique des événements permet cependant d'en

constater la cohérence et la vraisemblance.

L'élément déclencheur a lieu le lundi 10 Nisan 33 quand Jésus renverse les tables

des marchands du Temple en dénonçant leur corruption, ce qui provoque une soif

insatiable de vengeance de la part des grands prêtres (Marc 11:15-18). Le lendemain, Jésus

dénonce aussi l'avidité mercantile des scribes (Marc 12:38-40; 14:1-2.) qui s'associent alors

aux grands prêtres pour trouver un moyen de le tuer (ils souhaitent toutefois le faire en

dehors de la fête de Pâque, qui était proche, à cause de la popularité de Jésus). Il est

possible que Judas Iscariote se soit senti visé par ces attaques, car il était lui-même

corrompu (Jean 12:6) ce qui expliquerait sa traîtrise ultérieure (Judas n'envisageait sans

doute qu'un procès pour rébellion contre le Temple).

Le Sanhédrin voulait éviter une arrestation pendant la Pâque à cause d'un éventuel

tumulte, mais la collaboration inattendue de Judas a dû accélérer leur projet:

Or Judas, qui le trahissait, connaissait aussi l'endroit, car Jésus s'y était souvent trouvé en compagnie de ses disciples. Judas donc ayant pris la troupe et des gardes des grands prêtres et des pharisiens, vint là avec lanternes, torches et armes (...) Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du grand prêtre (...) la troupe et le tribun et les gardes des Juifs se saisirent de Jésus et le lièrent. Et ils le conduisirent d'abord chez Anne; car il était beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là (Jean 18:2-13; Pirot Clamer).

Judas n'a dirigé la troupe de soldats qu'en tant que guide ou éclaireur, car il y avait

un tribun militaire (chiliarque littéralement "chef de 1000") à leur tête. Ce tribun était

vraisemblablement juif plutôt que romain. En effet, s'il avait été romain, les grands prêtres

auraient dû demander l'autorisation au préfet pour diriger cette opération de police. Or,

Pilate ignorait l'existence de Jésus à ce moment, comme le prouvent ses questions du

lendemain matin et son refus initial de s'occuper de cette affaire (Luc 23:3-7; Jean 18:29).

Le tribun et la troupe ont donc vraisemblablement été mis à la disposition du Sanhédrin

par le roi Hérode Antipas. Les termes militaires utilisés pour désigner les soldats étant les

mêmes, qu'ils soient juifs ou romains (Antiquités juives XVII:215). Le nombre de soldats

pour arrêter Jésus semble élevé (entre 500 et 600), mais les autorités juives craignaient sans

doute de rencontrer une vive opposition des partisans de Jésus estimés à 120 personnes à

cette époque (Actes 1:15). Pierre, juif pieux, disposait paradoxalement d'une épée, ce qui

était considéré comme légitime (principe d'autodéfense) à cause du brigandage (Antiquités

juives XVIII:319-323). La présence de l'épée était en fait destinée à illustrer le principe de

neutralité chrétienne dans les luttes armées et non le principe d'autodéfense (Luc 22:35-38;

Matthieu 26:52). Ce refus d'utiliser les armes permettra à Jésus de réfuter l'accusation

ultérieure de sédition.

Page 72: Chrono-Jesus.pdf

72 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Jésus est d'abord conduit chez Anne pour un interrogatoire sur son enseignement.

Cette première audition étant infructueuse, Jésus est ensuite conduit chez Caïphe pour un

interrogatoire officiel. L'accusation initiale concerne une éventuelle profanation du Temple

(qui est passible de la peine capitale), mais les témoins cités se contredisent. Caïphe propose

ensuite une nouvelle accusation sur les propos blasphématoires de "Christ, Fils de Dieu"

(Matthieu 26:59-63). Jésus avait déjà réfuté cette accusation de "Fils de Dieu" que les Juifs

considéraient comme blasphématoire (Jean 10:31-36). Si elle était validée, il risquait cette

fois l'excommunication (Jean 9:22). En fait, Caïphe voulait à tout prix prononcer la peine

de mort et s'attendait à ce que Jésus utilise le nom de Dieu dans sa défense, ce qui aurait

transformé les "paroles injurieuses ou blasphématoires" en "blasphème" (crime passible de

mort par lapidation). Conformément à la procédure juive, Caïphe a employé des substituts

peu usités du nom divin comme: "le Béni" ou "le Dieu vivant", pour éviter d'être lui-même

un complice du blasphème. La suite du procès pourrait laisser croire que le piège du grand

prêtre a fonctionné:

Jésus lui dit: Tu l'as dit. Seulement je vous le dis, à partir de maintenant, vous reverrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Toute-Puissance et venant sur les nuées du ciel! Alors le grand prêtre déchira ses vêtements et dit: Il a blasphémé! Que vous en semble? Ils répondirent: Il mérite la mort! (Matthieu 26:64-66).

En fait, le piège a échoué car si Jésus a reconnu indirectement être le Fils de Dieu, il

n'a utilisé qu'un substitut du nom de Dieu (la Toute-Puissance). Légalement, il pouvait

avoir "blasphémé" contre les hommes en affirmant sa filiation divine, mais il n'avait pas

"blasphémé contre Dieu". Cette interprétation du blasphème était délicate, comme cela

ressort de l'explication de Philon:

La loi suivante fut promulguée: celui qui maudira Dieu, qu'il porte le poids de son péché. Celui qui prononcera le nom du Seigneur, qu'il meure (...) pour qu'aucun des disciples de Moïse ne s'habitue à traiter à la légère, d'une façon générale, le nom de Dieu. Car cette appellation est digne du plus grand respect et du plus grand amour. Et si quelqu'un, je ne dis pas blasphème le Seigneur des hommes et des dieux, mais ose prononcer son nom hors de propos, qu'il subisse comme peine la mort (...) Et après cela, nous jugerions dignes de pardon ceux qui par le fait d'une langue négligente, prononcent hors de raison et traitent comme mot superflu le nom le plus saint, le nom divin? (De vita Mosis II:203-208).

Par contre, le piège tendu à Jésus fonctionnera avec Étienne et d'autres Judéo-

chrétiens que Paul forcera à blasphémer, selon Actes 26:10,11. Le dernier cas connu est

celui de Jacques, le frère de Jésus, lapidé en 62 (Antiquités juives XX:200). En déchirant ses

vêtements, le grand prêtre39 voulait forcer le jugement de blasphème, mais sa question

"Que vous en semble?" trahit son manque de conviction. Dans le procès d'Étienne, le texte

des Actes précise que les témoins avaient déchiré leurs vêtements, validant ainsi l'accusation

39 La Loi de Moïse interdisait au grand prêtre de déchirer ses vêtements (Lévitique 21:10), mais il s'agissait de ses habits sacerdotaux (Lévitique 10:6) et non de ses vêtements ordinaires.

Page 73: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 73

de blasphème, alors que les membres du Sanhédrin se sont contentés de répondre "Il

mérite la mort" et non "Il doit être lapidé" (ce qui était la condamnation habituelle pour ce

genre de crime). Jésus ne sera donc pas lapidé. Le compte-rendu du procès dans le Talmud,

bien que partial, éclaire cette accusation manquée. Selon le Talmud:

Quarante jours auparavant [la condamnation était donc préméditée], le héraut avait crié: il s'en va à la lapidation parce qu'il a pratiqué la sorcellerie et qu'il a égaré Israël [Jésus a été condamné comme apostat et aurait dû être lapidé s'il avait été blasphémateur]: si quelqu'un a à parler en sa faveur, qu'il vienne et le dise. Mais comme on ne présenta rien en sa faveur, il fut pendu à la veille de Pâque [Jésus fut effectivement condamné le 14 Nisan vers 3 heures et exécuté à 12 heures, peu avant le sacrifice de Pâque, appelé offrande de paix, débutant à 15 heures]. Ulla objecta: Penses-tu qu'on pouvait parler en sa faveur? N'était-il pas un de ces séducteurs que l'Écriture (Dt 13:9) ordonne de ne pas épargner ? Pour Jésus, c'était tout autre parce qu'il avait des relations avec l'empire [c'est Pilate qui officiellement condamna Jésus, ce qui pouvait laisser croire à une sédition contre l'empire romain]. Nos maîtres enseignent: Jésus avait 5 disciples: Matthay, Nakay, Neser, Bouni et Toda [Jésus avait en fait 12 disciples] (Sanhédrin 43a).

Le plus controversé dans le procès de Jésus a été sa tenue durant un jour de fête, ce

qui est considéré comme illégal dans le Talmud. Cette critique doit être nuancée car la mise

par écrit du Talmud n'a commencé qu'à partir de 200 de notre ère et son contenu reflète

principalement le point de vue pharisien (les sadducéens ayant disparu après la destruction

du Temple, leur point de vue n'est qu'assez rarement cité). De plus, les interdictions

concernant les peines capitales tombant les jours de sabbat ou de fête étaient débattues, et

les interprétations n'étaient pas unanimes40. En supposant que le Talmud ait transmis la loi

telle qu'elle était appliquée au 1er siècle, le procès de Jésus ne l'a pas violée:

Dans les jugements civils, celui qui a prononcé la condamnation peut ensuite gracier et inversement; dans les procès criminels celui qui a prononcé coupable, peut ensuite prononcer innocent, mais pas inversement. Les premiers se jugent le jour et peuvent se terminer la nuit; les seconds doivent se juger et se terminer de jour. Les jugements civils peuvent se terminer le même jour, soit pour gracier, soit pour condamner; les jugements criminels peuvent se terminer le même jour pour gracier, mais le lendemain, pour condamner: aussi bien on ne les juge pas la veille soit du sabbat, soit d'un jour de fête (Sanhédrin 4:1).

Le procès de Jésus a commencé la nuit et s'est terminé le même jour pour "gracier",

car il ne sera pas lapidé, et n'a donc pas enfreint la loi du Talmud.

Le matin étant arrivé, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, en sorte de le faire mourir. Et après l'avoir ligoté, ils l'amenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur (Matthieu 27:1-2; Bible de Jérusalem).

N'ayant pu condamner Jésus pour blasphème, les autorités juives décident de ne pas

le lapider, donc de le gracier mais, pour atteindre leur objectif initial de le mettre à mort, les

grands prêtres le livrent à Pilate en le présentant comme un "roi des Juifs" pour qu'il tombe

sous l'accusation de crime de lèse majesté (se déclarer roi sans l'accord de Rome entraînait

la peine de mort). Un tel crime ne pouvait cependant être jugé que par le gouverneur (Actes

24:1-5, 22-27). De plus, ce procès ne pouvait avoir lieu que le vendredi avant 15 heures, car

40 E. MUNK, I. SALZER – La guemara: Sanhédrin. Paris 1974 Éd. C.L.K.H. pp. 162-170.

Page 74: Chrono-Jesus.pdf

74 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

un décret de César Auguste (Antiquités juives XVI:163) précisait que les Juifs ne devaient

pas se présenter au tribunal le jour du sabbat (samedi), ni après la 9e heure (15 heures) le

jour de la Préparation (vendredi).

La procédure judiciaire en Palestine au 1er siècle était sensiblement la même que

celle suivie en Égypte. Philon explique dans son De specialibus legibus que les Juifs égyptiens

avaient leurs propres tribunaux, avec un ethnarque juif comme principal magistrat. Ils

pouvaient juger leurs coreligionnaires en matière civile et criminelle selon leur propre loi.

Mais, dans les crimes contre la société au sens large, l'accusé devait être traité selon les lois

romaines. Quant à l'exécution, les tribunaux juifs pouvaient condamner à mort mais

devaient demander l'approbation du pouvoir romain. Sur les questions religieuses

[blasphème ou sacrilège] que les Romains ne considéraient pas comme capitales, il n'y avait

apparemment pas toujours de réaction romaine quand des Juifs exécutaient un autre Juif

(Actes 12:1-4). Jésus fut condamné par le Sanhédrin pour paroles blasphématoires (se dire

"Fils de Dieu" était considéré comme une apostasie) mais non pour blasphème. Il

n'encourait donc que l'excommunication. Mais comme les grands prêtres voulaient

l'éliminer, il fut livré au gouverneur avec un autre chef d'accusation, celui d'être "roi des

Juifs" (se déclarer roi sans l'aval de Rome était un crime de lèse-majesté passible de mort),

ce qui constituait un tournant.

Alors Judas qui l'avait trahi vit qu'il [Jésus] était condamné. Pris de remords, il rapporta les 30 sicles d'argent aux princes des prêtres et aux anciens, disant: J'ai péché en livrant le sang innocent. Ils lui répondirent: Qu'est-ce que cela nous fait! C'est ton affaire. Alors, il jeta les sicles dans le sanctuaire, s'éloigna et alla se pendre41. Les princes ramassèrent l'argent et dirent: Il n'est pas permis de le mettre au trésor, puisque c'est le prix du sang. Après délibération, ils achetèrent le champ du potier pour sépulture des étrangers. Aussi ce champ fut-il appelé "le champ du sang" encore de nos jours. Alors s'accomplit la parole du prophète Jérémie42 qui disait: Ils ont reçu les 30 sicles, prix de celui qui a été mis à prix par les fils d'Israël, et ils les ont donnés pour le champ du potier, comme l'avait prescrit le Seigneur (Matthieu 27:3-10).

La condamnation de Jésus était devenu inéluctable à partir du moment où il était

livré au gouverneur. Judas comprend alors qu'il a contribué à faire tuer Jésus (en hébreu

"livrer le sang" signifie tuer (Genèse 4:10), et "champ du sang" se comprend comme

"champ du tué"). La somme de 30 sicles constituait une compensation pour de sérieuses

blessures faites à un esclave (Exode 21:32). Le 14 Nisan, au lever du jour, le Sanhédrin

transfère Jésus devant Pilate.

Ils menèrent donc Jésus de chez Caïphe au prétoire; c'était le matin. Mais eux n'entrèrent pas dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, mais de manger la pâque. Pilate vint donc dehors vers eux et dit: Quelle accusation portez-vous contre cet homme? Ils lui répondirent: Si ce n'était un malfaiteur nous ne l'aurions pas livré. Sur quoi Pilate leur dit: Prenez-le vous-mêmes et

41 Le texte d'Actes 1:18 précise qu'après s'être pendu Judas est tombé la tête en avant et creva par le milieu, et que toutes ses entrailles se répandirent. La pendaison est sous-entendue au verset 16, car il renvoie au texte de Psaumes 41:9; or l'ami intime de David qui l'a trahi est Ahitophel, qui s'est effectivement pendu selon 2Samuel 17:23. 42 La citation prophétique provient en fait de Zacharie 11:12-13 et de Jérémie 32:6-15. Quand il s'agit d'une citation mixte, ce qui est le cas ici, seul le prophète le plus connu est cité. Par exemple, la citation mixte en Marc 1:2-3 provient de Malachie 3:1 et d'Isaïe 40:3.

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 75

jugez-le suivant votre Loi. Les Juifs lui dirent: Il ne nous est pas permis de mettre à mort. Tout ceci afin que s'accomplît la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir43. Pilate donc rentra dans le prétoire, appela Jésus et lui dit: Tu es le roi des Juifs? Jésus répondit: Est-ce de toi-même que tu dis cela ou d'autres te l'ont dit de moi? Pilate répliqua: Est-ce que je suis Juif moi? Ta nation et les grands prêtres t'ont livré à moi; qu'as tu fait? Jésus répondit: Mon royaume ne vient pas de ce monde; si mon royaume était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs; mais maintenant ma royauté n'est pas d'ici. Pilate lui dit: Ainsi donc tu es roi? Jésus répondit: Tu le dis; je suis né et je suis venu en ce monde pour ceci: rendre témoignage à la vérité; quiconque est ami de la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité? Ayant dit cela, il sortit de nouveau et leur dit: Quant à moi, je ne trouve contre lui aucun grief (Jean 18:28-38).

Les grands prêtres très légalistes, craignent que le palais du gouverneur contienne

du levain (Actes 10:28; Exode 13:6-7), ce qui les rendrait rituellement impurs et les

empêcherait de manger la Pâque, non le repas pascal déjà consommé dans la nuit mais

l'offrande de paix offerte au Temple à 15 heures. Pilate, estimant que c'est un crime

religieux, demande au Sanhédrin de juger Jésus (il ignore donc que cela avait déjà été fait).

En précisant qu'ils ne pouvaient le mettre à mort, les grands prêtres laissent entendre qu'il

s'agit d'un crime civil et, donc, uniquement de la compétence du gouverneur. Pilate se

concentre alors sur l'accusation de "roi illégal" (Lex Iulia de maiestate), qui ne s'appliquait en

toute rigueur qu'à un citoyen romain44; mais, comme Jésus ne la confirme pas directement

et reste silencieux, il considère qu'une absence d'aveu innocente le coupable, ce qui est

conforme à la loi romaine45.

Alors Pilate dit aux grands prêtres et aux foules: Je ne trouve aucune culpabilité en cet homme. Mais eux insistaient avec force en disant: Il soulève le peuple par sa prédication par toute la Judée, depuis la Galilée, où il a débuté, jusqu'ici. A ces mots, Pilate demanda si l'homme était Galiléen et, apprenant qu'il était de la juridiction d'Hérode, il le renvoya à Hérode, qui était lui-même à Jérusalem, en ces jours-là. Or Hérode, à la vue de Jésus, se réjouit fort, car depuis longtemps il désirait le voir pour ce qu'il avait entendu dire de lui, et il espérait le voir accomplir quelque miracle. Il lui posa de nombreuses questions, mais il ne répondit rien. Les grands prêtres étaient là, qui l'accusaient avec violence. Hérode, de concert avec les soldats, le traita avec mépris et, se jouant de lui, il le revêtit d'un vêtement de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Or, Hérode et Pilate devinrent en ce jour-là amis l'un de l'autre, car auparavant, ils étaient ennemis (Luc 23:4-12).

Pilate aurait pu libérer Jésus mais se livre à un calcul diplomatique. Hérode Antipas,

étant en visite privée, n'avait aucun pouvoir en Judée, même sur un concitoyen en dehors

de sa province. L'incident relaté en Luc 13:1-2 indique que Pilate avait massacré des

Galiléens, ce qui avait dû fortement irriter Hérode. Pour retrouver de bonnes relations avec

ce roi vassal, Pilate lui offre donc gracieusement46 d'effectuer le jugement d'un compatriote,

ce qui plait effectivement à Hérode. N'ayant obtenu aucun aveu, il renvoie Jésus à Pilate

avec un manteau de couleur éclatant [symbole de la royauté], montrant qu'il considérait

Jésus comme un roi fantoche. Jésus retourne donc devant Pilate.

43 Le texte de Matthieu 20:19 annonçait qu'il serait attaché à un poteau, traitement réservé aux "maudits" (Deutéronome 21:22,23). 44 En cas d'insurrection, elle pouvait aussi s'appliquer à un Juif, comme le mentionne Tacite dans le cas de Simon (Histoire V:9). 45 SALLUSTE –Bellum Catalinae 52:36. 46 JUSTIN –Dialogue 103:4.

Page 76: Chrono-Jesus.pdf

76 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Le procès romain de Jésus reprend (autour de 9 heures du matin):

Or Pilate, ayant convoqué les grands prêtres, les chefs et le peuple, leur dit: Vous m'avez amené cet homme comme perturbateur du peuple; j'ai instruit l'affaire devant vous et je n'ai rien trouvé de répréhensible dans cet homme, au sujet de ce dont vous l'accusez. Mais Hérode non plus; car il nous l'a renvoyé; c'est donc que rien qui mérite la mort n'a été accompli par lui. Je le renverrai donc après l'avoir châtié. Mais tous ensemble ils crièrent: Fais mourir celui-ci et délivre-nous Barabbas; celui-ci, pour une sédition qui avait eu lieu dans la ville et pour meurtre, avait été mis en prison. De nouveau, Pilate leur adressa la parole, dans le dessein de relâcher Jésus. Mais ils lui crièrent: Crucifie-le! Crucifie-le! (Luc 23:13-21).

Le cas de Barabbas prouve que Pilate était le seul responsable de la peine capitale

pour les crimes civils commis par des Juifs. Les condamnés à mort restaient en prison

jusqu'à leur exécution (Antiquités juives XX:215). Un magistrat romain pouvait accorder,

dans certains cas, une "remise de peine" à un condamné en tenant compte de circonstances

atténuantes47 (Pilate avait donc le droit, en tant que gouverneur, d'accorder cette grâce). La

coutume de relâcher un prisonnier était propre à la Judée et avait été instituée par Pilate

pour plaire au peuple, selon Marc 15:6. En effet, durant les premières années de sa légation,

il avait commis plusieurs bévues à cause de son ignorance des coutumes locales, comme

dans l'affaire des étendards (Guerre des Juifs II:169-174; Antiquités juives XVIII:55-59), ce

qui avait engendré un climat houleux d'incompréhension avec les Juifs. Pour s'attirer les

faveurs des foules, il avait alors instauré cette coutume populaire. La libération de Jésus

aurait pu réussir, Pilate répugnant à se sentir manipulé par les grands prêtres. Mais ceux-ci

réussirent à retourner la foule qui avait pourtant acclamé Jésus 3 jours auparavant (Marc

15:10-11). En outre, la femme de Pilate, ayant eu un rêve prémonitoire, était même venu

trouver son mari au tribunal, pendant le procès, pour le prévenir d'épargner Jésus (Matthieu

27:19)48, ce qui a dû renforcer la crainte superstitieuse de Pilate. Pilate tente d'attendrir la

foule afin de pouvoir libérer Jésus:

Alors donc Pilate prit Jésus et le fit flageller. Et les soldats, ayant tressé une couronne d'épines, la lui mirent sur la tête, et le revêtirent d'un manteau de pourpre, et ils s'approchaient de lui en disant: Salut, roi des Juifs! et ils lui donnaient des soufflets. Pilate revint dehors et leur dit: Je vous le fais amener dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve contre lui aucun grief. Jésus vint donc dehors, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et il leur dit: Voilà l'homme! Dès qu'ils l'eurent vu, les grands prêtres et les scribes s'écrièrent: Crucifie! Crucifie! Pilate leur dit: Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le, car moi je ne trouve aucun grief contre lui. Les Juifs répondirent: Nous avons une Loi, et selon la Loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. Lors donc que Pilate entendit cette parole, il s'alarma davantage. Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus: D'où es-tu? Mais Jésus ne lui donna pas de réponse. Pilate lui dit donc: Tu ne parles pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te délivrer et que j'ai pouvoir de te crucifier? Jésus lui répondit: Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi s'il ne t'avait été donné d'en haut; voilà pourquoi celui qui m'a livré à toi à un plus grand péché (Jean 19:1-11).

47 SENEQUE –Sur la clémence II:7. 48 Est-il possible que la femme de Pilate ait été à Jérusalem avec lui? Suétone (Auguste §24) rapporte qu'Auguste n'avait pas autorisé les gouverneurs à prendre leur femme avec eux dans leurs postes et n'autorisait qu'une visite durant les mois d'hiver. Cette rigueur semble s'être relâchée sous Tibère, car le fils adoptif de l'empereur, Germanicus, emmena sa femme Agrippine en Germanie et en Orient selon Tacite (Annales I:40; II:54). En 21, Caecina, ex-légat, tenta de faire adopter une politique refusant aux magistrats d'emmener leurs épouses avec eux dans leur juridiction, mais il ne parvint pas à convaincre le sénat (Annales III:33-34).

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 77

Puisque la scène se passe dans le prétoire, les soldats sont romains. La couronne

d'épine et le manteau de pourpre symbolisent ironiquement la royauté. En disant "Prenez-

le vous-mêmes et crucifiez-le", Pilate reconnaît au Sanhédrin le droit de mettre à mort pour

des crimes religieux mais, quand il apprend la nature exacte du crime, il est saisi d'une

crainte superstitieuse. La réponse de Jésus est vraisemblablement à double sens, car "celui

d'en haut qui donne le pouvoir" ne peut être que l'empereur pour Pilate (mais Dieu pour

Jésus) et "celui qui lui a livré Jésus" est Caïphe (Judas pour Jésus). Le procès semblant

déboucher sur un acquittement force les Juifs à trouver un nouvel argument. Pilate

entreprend de libérer Jésus:

A partir de ce moment, Pilate cherchait à le délivrer; mais les Juifs se mirent à crier: Si tu relâches, tu n'es pas ami de César; quiconque se fait roi se déclare contre César. Pilate donc, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors, puis il s'assit au tribunal, au lieu dit du Dallage, en hébreu Lieu-élevé. C'était la préparation de la Pâque, vers la 6e heure [12 heures]. Et il dit aux Juifs: Voilà votre roi! Là-dessus ils se mirent à crier: Enlève-le! Enlève-le! Crucifie-le! Pilate leur dit: Crucifierai-je votre roi? Les grands prêtres répondirent: Nous n'avons pas d'autre roi que César (Jean 19:12-16).

Les grands prêtres reviennent donc à l'accusation initiale de crime de lèse-majesté.

Cette accusation ne concernait en principe que les citoyens romains ayant attaqué la dignité

de l'empereur mais, à partir de 30 de notre ère, Tibère devint particulièrement sensible à la

trahison et avait considérablement durci cette loi pour pouvoir l'appliquer au moindre

ennemi49. Le fait de désigner l'empereur par le nom de César n'est devenu fréquent qu'à

partir de Vespasien mais la province de Judée avait devancé cette coutume car les pièces de

monnaie frappées sous le règne de Tibère50 l'avaient d'abord été au nom de César puis au

nom de Tibère César. La menace d'être dénoncé à Tibère comme ennemi de l'empereur ne

pouvait être prise à la légère par Pilate, surtout après 31. En effet, avant cette date, les Juifs

n'avaient aucun crédit auprès de l'empereur qui avait délégué la gestion de l'empire à Séjan,

son co-régent. Ce haut dirigeant avait été un ennemi des Juifs et était très

vraisemblablement un des principaux responsables des ennuis qu'ils connurent sous Tibère

aux environs de 28-31. Selon Philon, Tibère demanda aux gouverneurs des provinces

d'avoir des égards pour les Juifs car les accusations portées contre eux dans le passé

s'étaient révélées mensongères (Contre Flaccus §§ 1-3; Légation à Caius §§ 159-161).

L'empereur avait eu la faiblesse de se laisser impressionner par un personnage peu

recommandable. Trois indices confirment son rôle: les Juifs ont commencé à revenir à

Rome aussitôt après la mise à mort de Séjan (le 18 octobre 31) car, au début du règne de

Caius, ils sont assez nombreux en cette ville; les deux faux pas de la carrière de Pilate en

49 TACITE –Annales II:50; III:38; SUETONE –Tibère §§55, 58. 50 J. MALTIEL-GERSTENFELD –260 Years of Ancient Jewish Coins Tel Aviv 1982 Ed. Kol Printing Service Ltd pp. 180-184.

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78 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Judée (l'affaire des boucliers dorés et le massacre des Samaritains) se situent après la chute

de Séjan et donc à un moment où il n'y a plus à Rome d'hostilité vis-à-vis des provinciaux

de Judée; enfin, Tibère apparaît respectueux des coutumes nationales.

L'incident des boucliers d'or, qui eut lieu vers 32 de notre ère, est rapporté par

Philon (Légation à Caius §299-305). Il éclaire le comportement de Pilate envers les Juifs:

Pilate, qui était procurateur de Judée, consacra à l’intérieur de Jérusalem, dans le palais d’Hérode, des boucliers d’or, moins pour honorer Tibère que pour déplaire au peuple (...) on leur adjoignit les autres membres de la famille royale et tout ce qu’il y avait de hauts personnages pour le prier de renoncer à cette innovation et d’enlever les boucliers, de ne pas violer les usages de nos ancêtres, jusqu’alors respectés par les rois et les empereurs. Pilate opposa à ces prières un refus plein de raideur, car il était d’un caractère dur et opiniâtre. Alors on s’écria: Ne nous provoque pas à la révolte et à la guerre; ne cherche pas à troubler la paix; ce n’est pas honorer l’empereur que de violer des lois depuis longtemps établies; que ce ne soit pas un prétexte pour toi de persécuter la nation. Tibère ne veut rien changer à nos usages. Si tu le prétends, montre-nous de lui un édit, une lettre ou quelque chose de pareil. Dans ce cas nous ne nous adresserons pas à toi, nous enverrons des députés porter une supplique au seigneur. Cette dernière parole accrut son irritation plus que tout le reste. Il craignit que, si on envoyait des députés, on ne vint à découvrir les autres méfaits de son gouvernement, ses vexations, ses rapines, ses injustices, ses outrages, les citoyens qu’il avait fait périr sans jugement, enfin son insupportable cruauté. Blessé au vif, Pilate ne savait que résoudre; il connaissait la fermeté de Tibère en de telles circonstances; il n’osait enlever les objets consacrés, et ne voulait pas d’ailleurs se rendre agréable à ses sujets. Les grands le devinèrent, et s’aperçurent qu’il se repentait de sa conduite, sans vouloir le témoigner. Ils écrivirent à Tibère une lettre remplie d’humbles prières. L’empereur, ayant appris la réponse de Pilate et ses menaces, bien qu’il fût peu enclin à la colère, s’irrita si violemment qu’il est à peine utile de le dire, tant l’événement le prouva. Sur le champ, sans vouloir remettre l’affaire au lendemain, il lui écrivit pour blâmer énergiquement son audace et lui ordonner de faire aussitôt enlever les boucliers. De la métropole on les transporta à Césarée, à laquelle ton bisaïeul Auguste avait donné son nom, et on les lui consacra dans son temple. De la sorte on accorda le respect dû au prince avec l’observance des mœurs antiques du pays.

Vu ce contexte, on peut comprendre pourquoi Pilate n'a pas pris les paroles du

Sanhédrin à la légère lorsque celui-ci l'a menacé d'en référer à Tibère. Pilate a donc

finalement condamné Jésus pour éviter un trouble de l'ordre public. Il a fait afficher un

écriteau mentionnant le crime de lèse-majesté [Roi des Juifs] pour préserver une apparence

de légalité. Cette légalité de façade transparaît bien dans le récit de Tacite (Annales XV:44):

Pour étouffer ce bruit, Néron supposa des accusés et frappa des peines les plus raffinées, les gens détestés à cause de leurs mœurs criminelles, que la foule appelait "chrétiens". Celui qui est à l'origine de ce nom est Christ, qui, sous le règne de Tibère, avait été condamné à mort par le procurateur Ponce Pilate; réprimée sur le moment, cette exécrable superstition faisait sa réapparition non seulement en Judée, où se trouvait l'origine de ce fléau, mais aussi à Rome où tout ce qui est partout abominable et infâme vient aboutir et se répand. Donc, on arrêta d'abord ceux qui avouaient, puis, sur leur dénonciation, une foule immense, qui fut condamnée, moins pour crime d'incendie que pour sa haine du genre humain. Leur exécution fut transformée en jeu: on les revêtit de peaux de bêtes et ils périrent sous la morsure des chiens ou bien ils furent cloués à des croix, ou bien on y mit le feu, pour que, lorsque le jour baissait, ils brûlent et servent d'éclairage nocturne. Néron avait prêté ses jardins pour ce spectacle (...) Aussi à l'égard de ces hommes coupables et qui méritaient les derniers supplices, montait une sorte de pitié, à la pensée que ce n'était pas pour l'intérêt de tous, mais pour satisfaire la cruauté d'un seul, qu'ils périssaient.

Redevable à son protecteur, Tacite ne pouvait pas être vraiment objectif sur des

affaires impliquant les autorités politiques, pas plus, ni moins, que les médias de toutes les

époques. L'absence de preuve provoquait cependant une gêne chez les magistrats

Page 79: Chrono-Jesus.pdf

UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 79

scrupuleux. Pline le Jeune, lorsqu'il était gouverneur de Bithynie, écrit à l'empereur Trajan

pour exprimer ses scrupules:

Je me suis fait un devoir, seigneur, de vous consulter sur tous mes doutes. Car qui peut mieux que vous me guider dans mes incertitudes ou éclairer mon ignorance? Je n'ai jamais assisté aux informations contre les chrétiens; aussi j'ignore à quoi et selon quelle mesure s'applique ou la peine ou l'information. Je n'ai pas su décider s'il faut tenir compte de l'âge, ou confondre dans le même châtiment l'enfant et l'homme fait; s'il faut pardonner au repentir, ou si celui qui a été une fois chrétien ne doit pas trouver de sauvegarde à cesser de l'être ; si c'est le nom seul, fût-il pur de crime, ou les crimes attachés au nom, que l'on punit. Voici toutefois la règle que j'ai suivie à l'égard de ceux que l'on a déférés à mon tribunal comme chrétiens. Je leur ai demandé s'ils étaient chrétiens. Quand ils l'ont avoué, j'ai réitéré ma question une seconde et une troisième fois, et les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés: car, de quelque nature que fût l'aveu qu'ils faisaient, j'ai pensé qu'on devait punir au moins leur opiniâtreté et leur inflexible obstination. J'en ai réservé d'autres, entêtés de la même folie, pour les envoyer à Rome, car ils sont citoyens romains. Bientôt après, les accusations se multipliant, selon l'usage, par la publicité même, le délit se présenta sous un plus grand nombre de formes. On publia un écrit anonyme, où l'on dénonçait beaucoup de personnes qui niaient être chrétiennes ou avoir été attachées au christianisme. Elles ont, en ma présence, invoqué les dieux, et offert de l'encens et du vin à votre image que j'avais fait apporter exprès avec les statues de nos divinités; elles ont, en outre, maudit le Christ (c'est à quoi, dit-on, l'on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement chrétiens). J'ai donc cru qu'il les fallait absoudre. D'autres, déférés par un dénonciateur, ont d'abord reconnu qu'ils étaient chrétiens, et se sont rétractés aussitôt, déclarant que véritablement ils l'avaient été, mais qu'ils ont cessé de l'être, les uns depuis plus de trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d'années, quelques-uns depuis plus de vingt ans. Tous ont adoré votre image et les statues des dieux; tous ont maudit le Christ. Au reste ils assuraient que leur faute ou leur erreur n'avait jamais consisté qu'en ceci: ils s'assemblaient, à jour marqué, avant le lever du soleil ; ils chantaient tour à tour des hymnes à la louange du Christ, comme en l'honneur d'un dieu; ils s'engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, de brigandage, d'adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt; après cela, ils avaient coutume de se séparer, et se rassemblaient de nouveau pour manger des mets communs et innocents. Depuis mon édit, ajoutaient-ils, par lequel, suivant vos ordres, j'avais défendu les associations, ils avaient renoncé à toutes ces pratiques. J'ai jugé nécessaire, pour découvrir la vérité, de soumettre à la torture deux femmes esclaves qu'on disait initiées à leur culte. Mais je n'ai rien trouvé qu'une superstition extraordinaire et bizarre. J'ai donc suspendu l'information pour recourir à vos lumières. L'affaire m'a paru digne de réflexion, surtout à cause du nombre que menace le même danger. Une multitude de gens de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront chaque jour impliqués dans cette accusation. Ce mal contagieux n'a pas seulement infecté les villes; il a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant que l'on y peut remédier, et qu'il peut être arrêté. Ce qu'il y a de certain, c'est que les temples, qui étaient presque déserts, sont fréquentés, et que les sacrifices, longtemps négligés, recommencent. On vend partout des victimes qui trouvaient auparavant peu d'acheteurs. De là on peut aisément juger combien de gens peuvent être ramenés de leur égarement, si l'on fait grâce au repentir (Lettres X:97-98).

La réponse de Trajan est instructive; il confirme le principe de condamnation sans

preuve sur simple dénonciation:

Vous avez fait ce que vous deviez faire, mon cher Pline, dans l'examen des poursuites dirigées contre les chrétiens. Il n'est pas possible d'établir une forme certaine et générale dans cette sorte d'affaires. Il ne faut pas faire de recherches contre eux. S'ils sont accusés et convaincus, il faut les punir; si pourtant l'accusé nie qu'il soit chrétien, et qu'il le prouve par sa conduite, je veux dire en invoquant les dieux, il faut pardonner à son repentir, de quelque soupçon qu'il ait été auparavant chargé. Au reste, dans nul genre d'accusation, il ne faut recevoir de dénonciation sans signature. Cela serait d'un pernicieux exemple et contraire aux maximes de notre règne (Lettres X:97-98).

Le comportement de Pilate est donc conforme à celui des magistrats romains de

son époque.

Les grands prêtres et les anciens suggérèrent aux foules de demander Barabbas et de réclamer la mort de Jésus. Le procurateur prit donc la parole: Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche? Ils répondirent: Barabbas. Pilate leur dit: Alors que

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80 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

faut-il faire de Jésus dit le Christ? Ils dirent tous: Qu'il soit crucifié! Il leur dit: Quel mal a-t-il donc fait? Ils se mirent à crier plus fort: Qu'il soit crucifié! Alors Pilate voyant ses efforts inutiles, et que le tumulte ne faisait qu'augmenter, prit de l'eau, se lava les mains en présence de la multitude, disant: Moi, je suis innocent du sang de cet homme. C'est votre affaire! Tout le peuple répondit: Que son sang retombe sur nous et nos enfants! Alors il fit relâcher Barabbas, et, après avoir flagellé Jésus, il le livra pour être crucifié. Alors les soldats du procurateur emmenèrent Jésus dans le prétoire et assemblèrent auprès de le lui la cohorte entière. Ils le déshabillèrent et lui passèrent une chlamyde rouge. Ils tressèrent une couronne d'épines et le lui mirent sur la tête avec un roseau à la main droite. Alors ils fléchissaient le genou devant lui et ils se moquaient de lui en disant: Salut, roi des Juifs. Ils lui crachaient dessus et, lui prenant le roseau, ils le frappaient à la tête. L'ayant ainsi accablé de moqueries, ils lui retirèrent la chlamyde et lui remirent ses vêtements, après quoi ils l'emmenèrent pour être crucifié. En sortant, ils trouvèrent un Cyrénéen, du nom de Simon; ils le réquisitionnèrent pour porter sa croix (Matthieu 27:20-32).

Aux yeux des soldats (500 à 600 pour une cohorte), Jésus était condamné pour

crime de lèse-majesté mais Pilate, qui savait le motif religieux de l'accusation, voulait

démontrer son innocence à la foule des Juifs en utilisant ses codes rituels qu'il connaissait

visiblement bien (bain de purification et symbolisme du sang). Le supplice romain de la

croix est mal connu. Il est différent de l'exécution pour blasphème qui consistait à lapider le

coupable puis à pendre (et non à clouer) son cadavre à un bois (poteau ou arbre) pendant

une journée en guise de déshonneur51. Le supplice romain consistait généralement à faire

porter au condamné une traverse de bois (le patibulum) jusqu'au lieu du supplice où se

trouvait enterré verticalement un poteau d'exécution (le stipes crucis)52. Le condamné était

ensuite attaché et cloué à la traverse puis il était hissé sur le poteau, ce qui formait un T:

poteau vertical et traverse horizontale. Le titre (titulus) était placé au-dessus de la tête du

condamné. Jésus est-il mort sur une croix? Plusieurs éléments permettent d'en douter (le

consensus actuel sur la forme de la croix repose uniquement sur une tradition tardive)53.

L'exécution de Jésus n'était pas prévue par Pilate et ne fut prononcée qu'en fin de matinée,

ce qui laissait peu de temps pour l'installation du poteau d'exécution. Dans ces conditions,

il est possible qu'on ait fait porter à Jésus le poteau entier et non la traverse, ce qui

expliquerait aussi sa difficulté à le porter (il avait certes été flagellé, ce qui avait dû

fortement l'affaiblir, mais le poteau entier pesait environ 100 kg, soit environ 70 kg en le

traînant par terre). Selon Plutarque (46-125): tout malfaiteur qui va l'exécution porte sa propre croix

(Les délais de la justice divine §9 in: Les Œuvres morales) et selon Artémidore de Daldis

(110?-180?): la personne qui est clouée sur la croix commence par la porter jusqu'au lieu d'exécution

(Oneirokritika 2:56). Mais le terme grec stauros utilisé pour "croix" désigne

fondamentalement un pieu ou un poteau vertical54; ainsi la traduction de "Crucifie-le" 51 Antiquités juives IV:202; Deutéronome 21:22-23; Mishna Sanhédrin VI:3. 52 Le patibulum était une pièce de bois de 2 m 30 à 2 m 60 et d'environ 40 kg. Le stipes crucis était une pièce de bois de 4 m à 4 m 50 d'environ 100 kg, et le titulus était un écriteau en bois cloué au dessus, au sommet du patibulum. 53 G. SAMUELSSON – Crucifixion in Antiquity. An inquiry into the Background of the New Testament Terminology of Cruxifixion Tübingen 2011 Ed. Mohr Siebeck (University of Gothenburg). 54 W.E. VINE –An Expository Dictionary of the New Testament Words New York 1985 Ed. Thomas Nelson Publishers p. 138.

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 81

pourrait aussi bien être "Empale-le"ou "Met le au poteau". La forme des croix romaines

était très variée55. Le sens du mot grec n'éclaire donc pas la forme de la "croix" (mot qui

vient du latin crux)56. Les auteurs évangéliques57 utilisent fréquemment un autre vocable

pour désigner la croix, le mot xylon "bois" (qui n'a pas la forme d'une croix!) favorise le sens

de "poteau". De même, Justin (100-160) a comparé la croix du Christ à l'arbre de vie du

jardin d'Eden, au bâton de Moïse, au bâton de Jacob, au sceptre de Juda, au manche de la

hache d'Élisée (Dialogue avec Tryphon §86), aucune de ces comparaisons n'évoquant la

forme d'une croix. Les Romains, en réquisitionnant Simon de Cyrène, paraissent avoir violé

la loi romaine, mais il est probable qu'ils aient voulu que ce condamné très affaibli arrive

vivant pour que la sentence du gouverneur soit exécutée.

Ils prirent Jésus et portant sa croix, il sortit vers l'endroit dit "le Crâne", qui s'appelle en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent et avec lui deux autres, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate écrivit aussi l'inscription qu'il fit placer sur la croix. Il y était écrit: Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. Cette inscription, beaucoup de Juifs la lurent, car l'endroit où Jésus avait été crucifié était proche de la ville. Elle était rédigée en hébreu, en latin et en grec. Les grands prêtres des Juifs dirent donc à Pilate: Ne laisse pas écrit: Le roi des Juifs, mais qu'il a dit: Je suis roi des Juifs. Pilate répondit: Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit (Jean 19:16-22).

Conformément aux coutumes romaines et juives, le lieu du supplice était situé à une

petite distance de la ville (l'étude archéologique a permis d'estimer ce parcours à 600 mètres

environ)58. Apparemment il n'y a pas eu de minute du procès mais, Jésus n'étant pas citoyen

romain, le titre (titulus) rédigé par Pilate et résumant la nature de l'infraction suffisait à

respecter un minimum de légalité. La rédaction de l'inscription a été faite dans les trois

langues officielles de la Judée. Les Jérusalémites pouvaient lire en latin et en grec l'édit

condamnant l'entrée du Temple sous peine de mort59. La langue hébraïque était la langue

officielle du Temple et, dans cette langue, l'inscription pouvait se lire: Yeshu Hanozri

Wumelek Hayehudim60 (un acrostiche du nom divin YHWH)61, ce qui dut particulièrement

contrarier les grands prêtres. Le compte-rendu oral du procès a vraisemblablement été

conservé par Joseph d'Arimathie et Nicodème, deux membres respectés du Sanhédrin et

sympathisants chrétiens, ainsi que par l'apôtre Jean, proche du grand prêtre (Jean 18:16).

Lorsqu'ils eurent crucifié Jésus, les soldats prirent ses vêtements, dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat, et en plus la tunique. Cette tunique était sans couture, d'un seul tissu depuis le haut. Ils se dirent donc les uns aux autres: Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l'aura (Jean 19:23-24).

55 FLAVIUS JOSEPHE -Guerre des Juifs V:451; SENEQUE – De consolatione ad Marciam 20:3. 56 Même en latin le sens du mot crux est assez large au début de notre ère. Le poète latin P. Papinus Statius (45-96), par exemple, utilisait le mot cruce pour désigner le timon d'un char (Silvæ IV,III:28), donc dans le sens de barre. 57 Actes 5:30; 10:39; 13:29; Galates 3:13; 1Pierre 2:24. 58 L. PIROT –La Sainte Bible tome X Paris 1935 Éd. Letouzey et Ané pp. 466-469. 59 Guerre des Juifs VI:125-126. 60 S. BEN-CHORIN –Bruder Jesu. Der Nazarener in Jüdischer Sicht Munich 1977 Ed. Deutescher Taschenbuch p. 180. 61 On retrouve un tel acrostiche en Esther 7:7 relatant la pendaison d'Haman, initialement prévue pour Mardochée.

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82 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Les soldats chargés de l'exécution forment une escouade (Actes 12:4), la plus petite

unité de l'armée romaine. Ces soldats devaient garder le condamné jusqu'à son dernier

soupir et avaient le droit de se répartir le butin des condamnés. Pétrone explique (Satyricon

111) qu'un soldat était désigné pour garder des voleurs crucifiés afin d'éviter que leurs

corps ne soient descendus et que ces voleurs ne s'échappent, car il était possible de survivre

à une crucifixion. Parmi les trois amis de Flavius Josèphe, qui avait été crucifiés et que Titus

a autorisé à dépendre, un a survécu (Autobiographie 420-421).

A la 9e heure [15 heures] environ, Jésus cria d'une voix forte: Eli, Eli, lema sabacthanai? ce qui veut dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? Quelques-uns des assistants, en entendant ces paroles, dirent: Il appelle Élie. Aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge, l'imbiba de vinaigre, et l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui tendit à boire. Les autres disaient: Laisse, nous allons voir si Élie vient le sauver. Pour la seconde fois Jésus poussa un grand cri et il rendit l'esprit (Matthieu 27:46-50).

Les assistants sont des Galiléens (principalement des femmes) qui parlent araméen.

L'expression hébraïque en Psaumes 22:1: Eli, Eli, lama azabtani est traduite en araméen par:

Elahi, Elahi, lema sabaqtani, que l'on retrouve transcrite en grec dans Marc 15:34 sous la

forme Eloi, Eloi, lama sabacthani. La confusion entre Elahi "mon Dieu" et Eliya "Élie" est

possible en araméen. La boisson des soldats romains servant à se désaltérer était la posca, de

l'eau avec du vinaigre. Plutarque écrit que Caton l'Ancien buvait de l'eau lors de ses

campagnes, mais occasionnellement, quand il avait grand soif, il demandait du vin vinaigré

(Vie de Caton I:7).

Comme c'était la préparation, afin que les corps ne demeurassent point sur la croix pendant le sabbat — car c'était un grand jour que le jour de ce sabbat — les Juifs demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes, et qu'on les enlevât. Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre crucifié avec lui. Venant à Jésus, lorsqu'ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes (...) Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était le disciple de Jésus, mais en cachette, par crainte des Juifs, demanda à Pilate d'enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc et enleva son corps. Nicodème, qui était venu auprès de lui tout d'abord la nuit, vint aussi apportant environ 100 livres d'un mélange de myrrhe et d'aloès. Ils prirent donc le corps de Jésus et ils l'entourèrent de bandelettes avec les aromates, suivant la manière d'ensevelir en usage chez les Juifs. Or, à l'endroit où il avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin un tombeau neuf, où personne n'avait été déposé. C'est là que, à cause de la préparation des Juifs, ce tombeau étant proche, ils déposèrent Jésus (Jean 19:31-42).

La préparation du sabbat tombe le vendredi. Les Juifs, vraisemblablement une

délégation du Sanhédrin, a demandé d'achever les condamnés. Cette opération (le

crurifragium) consistait à fracturer les jambes, ce qui provoquait une mort immédiate par

asphyxie, le condamné ne pouvant plus prendre appui sur ses pieds pour respirer. La loi

romaine reconnaissait que le corps de ceux qui avaient subi la peine capitale ne devaient pas

être refusé à leurs proches (selon Ulpien) ni à quiconque le demandait pour leur donner

une sépulture (selon Julius Paulus), à l'exception des cas de trahison. Le crime de lèse-

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 83

majesté empêchait en effet de fournir une sépulture aux condamnés, comme le relate Tacite

(Annales VI:29) à l'époque de Tibère. Mais cette loi ne s'appliquait qu'aux citoyens romains

(Jésus était un Juif de la province de Judée) et Tibère, après la mort de Séjan, avait demandé

aux gouverneurs de respecter les coutumes locales (or les Juifs devaient inhumer leurs

morts). Philon décrit une répression (en 37/38) sous Flaccus, le préfet d'Égypte:

Cest un usage de ne punir les criminels qu’après la célébration des fêtes qui ont lieu à l’anniversaire de la naissance des empereurs. Or c’était durant ces fêtes que Flaccus affligeait de peines imméritées des gens innocents. Ne pouvait-il, s’il tenait à les punir, les réserver pour plus tard? Au contraire, il pressait, il précipitait l’affaire dans le but de se rendre agréable à nos ennemis, espérant qu’en gagnant leurs bonnes grâces il viendrait à bout de ses desseins. J’ai vu autrefois des crucifiés qu’à l’approche de ces fêtes on rendait à leurs parents, selon l’usage, pour être ensevelis. On trouvait convenable de faire participer les morts au bienfait de ces réjouissances, et d’observer à leur égard la solennité. Loin de faire descendre les crucifiés de leur gibet, Flaccus faisait crucifier les vivants, à qui du reste les circonstances devaient procurer non point leur grâce, mais seulement un sursis. Avant de les crucifier, on ne laissait pas de les fouetter au milieu du théâtre, et de leur faire subir le supplice du fer et du feu. L’ordre des spectacles était ainsi fixé: depuis le matin jusqu’à la 3e ou la 4e heure [9 ou 10 heures] on fouettait, on pendait, on rouait, on jugeait les Juifs, puis on les menait au supplice à travers l’orchestre (Contre Flaccus 81-86).

Selon Philon, il était anormal de laisser le corps des suppliciés sur le gibet et de ne

pas les ensevelir, ce qui suppose une situation différente avant 37/38 (époque des

persécutions antijuives en Egypte). La tradition juive est constante: un mort devait obtenir

une sépulture même si les circonstances étaient défavorables, comme le précise le Talmud:

Le grand prêtre ni le naziréen ne peuvent se souiller par la mort de leurs proches, mais ils le peuvent pour faire un acte méritoire. S'ils trouvent en voyage et rencontrent un mort qu'il serait méritoire d'enterrer, suivant Rabbi Eliézer, le grand prêtre peut se souiller, mais pas le naziréen, tandis que les docteurs soutiennent le contraire (Nazir 7:1). Même les condamnés à mort méritaient une sépulture: Quiconque fait passer la nuit à un mort (sans l'ensevelir) viole une interdiction (Dt 21:23); mais il ne la viole pas s'il attend par honneur pour le mort, pour lui faire apporter cercueil et linceul. On n'enterre pas le condamné dans le tombeau de ses pères; mais deux cimetières étaient disposés pour le tribunal: l'un pour les tués et étranglés, l'autre pour les lapidés et brûlés (Sanhédrin 6:5).

La délégation du Sanhédrin (dont Joseph d'Arimathie faisait vraisemblablement

partie) qui réclame à Pilate d'abréger les souffrances des condamnés et de leur procurer une

sépulture est donc conforme à la loi juive. Le texte d'Actes 13:27,28 confirme que c'est

cette délégation qui a déposé le corps de Jésus dans un tombeau. Le texte de Marc 15:43

ajoute que Joseph d'Arimathie eut du courage car, en offrant son propre tombeau pour

ensevelir Jésus (Matthieu 27:57-61), il désavouait moralement ses collègues, qui pouvaient

alors l'excommunier pour désaccord avec le jugement (Sanhédrin 3:7; Jean 12:42). Ignorant

que ce membre éminent du Sanhédrin était aussi un disciple de Jésus en secret (Nicodème

était aussi un sympathisant), les femmes qui avaient suivi Jésus ne coopérèrent pas avec les

membres de la délégation (qui étaient collectivement responsables de la mort de Jésus) pour

l'ensevelissement:

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84 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Et voici qu'un homme Joseph, qui était membre du conseil — il n'avait pas donné son assentiment à leur décision et à leur acte — d'Arimathie, ville des Juifs, et qui attendait le règne de Dieu, vint trouver Pilate pour lui demander le corps de Jésus. Et, après l'avoir descendu, il l'enveloppa d'un linceul et le déposa dans un tombeau creusé dans le roc, où personne n'avait encore été mis. C'était le jour de la préparation, et le sabbat commençait à luire [18 heures]. Les femmes qui l'avaient accompagné depuis la Galilée, ayant suivi de près, regardèrent le tombeau et la façon dont le corps avait été mis, et, s'en étant retournées, elle préparèrent des aromates et des parfums. Mais le jour du sabbat, elles se tinrent au repos, selon le précepte [de la Loi] (Luc 23:50-56).

Il est surprenant que Pilate ait accepté la demande de Joseph d'Arimathie car, Jésus

ayant été condamné officiellement pour crime de lèse-majesté, cette caution morale risquait

de faire de lui un complice. Mais il savait que ce motif n'était qu'une façade et qu'il

n'encourait donc aucun risque à satisfaire la demande du Sanhédrin, d'autant plus qu'il

pouvait légitimement supposer que ce choix étrange serait une source de tensions pour ses

membres. Pour éviter d'étaler leurs dissensions au grand jour et d'encourager indirectement

les partisans de Jésus, le Sanhédrin va demander à Pilate de garder la tombe en invoquant

comme raison officielle: dissuader d'éventuels partisans de Jésus de récupérer le corps pour

réaliser frauduleusement la prophétie sur sa résurrection, ce qui encouragerait la "sédition".

En fait, par cette présence de soldats romains, le Sanhédrin voulait laisser croire que Jésus

était bien un criminel selon la loi romaine.

Le lendemain, qui était le jour après la préparation [soit le sabbat], les princes des prêtres et les pharisiens se présentèrent en nombre chez Pilate et lui dirent: Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit de son vivant: Dans 3 jours je ressusciterai. Ordonnez donc que le tombeau soit bien gardé jusqu'au 3e jour, de peur que les disciples ne viennent le dérober, et qu'ils ne disent au peuple: Il est ressuscité d'entre les morts. Cette dernière imposture serait pire que la première. Pilate leur répondit: Vous avez une garde; allez, gardez-le comme vous savez le faire. Ils s'en allèrent donc et, pour s'assurer du tombeau, apposèrent les scellés sur la pierre, et y mirent des gardes (Matthieu 27:62-66).

La première imposture se référait au titre usurpé selon la loi romaine de "roi des

Juifs" (mais aussi de s'être déclaré "Messie et Fils de Dieu" pour le Sanhédrin). La réponse

de Pilate montre qu'il ne désirait pas diriger une opération de police au profit des Juifs, mais

le Sanhédrin a dû lui rappeler qu'il ne pouvait faire travailler ses policiers durant le sabbat,

ce qui a forcé Pilate à déléguer quelques-uns de ses soldats pour assurer cette garde, comme

on peut le vérifier dans la suite du récit.

Après le sabbat, à l'aube du 1er jour de la semaine [dimanche], Marie-madeleine et l'autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Et voici qu'il y eut un grand tremblement de terre. Car l'ange du Seigneur descendit du ciel, s'approcha, roula la pierre et s'assit dessus. Il avait le visage brillant comme l'éclair, et les vêtements blancs comme neige. A sa vue, les gardes tremblèrent de peur ils devinrent comme morts (...) Les femmes quittèrent en hâte le sépulcre, partagées entre la crainte et une vive joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples (...) Tandis qu'elles étaient en route, quelques gardes revinrent en ville raconter ces événements aux grands prêtres. Ceux-ci, dans une réunion, tinrent conseil avec les anciens, et ils donnèrent une forte somme d'argent aux soldats, leur disant: Dites que ses disciples sont venus la nuit, pendant votre sommeil, et qu'ils l'ont dérobé. Que si cela arrive aux oreilles du gouverneur, nous saurons lui persuader de ne pas vous inquiéter. Les soldats prirent l'argent et se conformèrent à ces instructions. Et le bruit en est répandu parmi les Juifs jusqu'à ce jour (Matthieu 28:1-15).

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 85

Les femmes sont venues au sépulcre apporter les aromates nécessaires à

l'ensevelissement, car elles ignoraient que Jésus avait été enseveli selon les normes (et même

de façon royale au regard des quantités utilisées). Les gardes sont bien des soldats romains

(verset 12) puisqu'ils doivent rendre compte au gouverneur et non aux grands prêtres. Pour

avoir laissé échapper leur prisonnier, ils risquaient la peine de mort (Actes 16:27; Guerre

des Juifs V:482). La proposition du Sanhédrin a dû les rassurer, d'autant plus qu'elle était

appuyée par une forte somme d'argent. La clémence de Pilate était assurée, car le

commanditaire de la mission était le Sanhédrin lui-même et les gouverneurs romains

pouvaient négocier ce genre de négligence, comme le rapporte Tacite:

Les sentinelles cherchèrent dans la honte du général une excuse à leur faute; "Il leur avait, disaient-ils, commandé le silence, pour que rien ne troublât son repos. Ainsi les signaux et les appels étant suspendus, eux aussi étaient tombés dans le sommeil" (Histoire 5:22).

LA VERSION OFFICIELLE EST-ELLE HISTORIQUE ? Le procès de Jésus est représentatif sur la manière dont les autorités d'un pays

utilisent en toute légalité les techniques de désinformation pour éliminer un élément jugé

subversif (troublant l'ordre public). Selon le compte-rendu du Talmud (Sanhédrin 43a),

Jésus fut condamné à mort parce qu'il avait pratiqué la sorcellerie [Exode 22:18] et parce

qu'il avait égaré Israël par ses enseignements apostats [Deutéronome 13:6-9]. Légalement les

faits paraissent caractérisés: Jésus était assimilé à un séditieux/hérétique. Les Évangiles sont

en désaccord avec cette version officielle puisque l'accusation de sorcellerie est matière à

interprétations: comment savoir si les miracles accomplis par un prophète viennent de Dieu

(Matthieu 12:24-27) et s'il s'agit d'un vrai ou d'un faux prophète? L'accusation d'apostasie

est sujette aux mêmes difficultés: vrai ou faux enseignement?. En somme, comme le

constate Pilate d'un air désabusé: qu'est-ce la vérité?

La question se résume à: Jésus était-il vraiment un imposteur ou un hérétique?

Jacques Bernard résume l'alternative au tout début de son livre: La condamnation à mort [de

Jésus] est la conséquence du blasphème. Son exécution sera confiée aux Romains. Depuis, les motifs de

scission entre juifs et chrétiens tournent autour de cette accusation62. La question est bien posée, mais

la réponse, 400 pages plus loin, n'est guère satisfaisante: La foi est le paramètre heuristique

essentiel pour comprendre l'apocalyptique et ce qu'a pu être le "blasphème de Jésus". La clé d'une

enquête scientifique, qu'elle soit historique ou judiciaire, est une reconstitution

chronologique précise, seul critère de "vérité". En fait, au 1er siècle, il y a blasphème (dire

62 J. BERNARD –Le blasphème de Jésus Paris 2007 Éd. Parole et Silence pp. 5, 401.

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86 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

des paroles qui attentent à la gloire de Dieu, ce qui entraîne l'excommunication) et

Blasphème (maudire Dieu en le nommant par son nom propre, ce qui entraîne la

lapidation). Jésus n'a pas été accusé de Blasphème puisqu'il a judicieusement évité de

nommer Dieu durant son procès, mais de blasphème en se prétendant le Fils de Dieu assis

à sa droite. Nous connaissons mal les conceptions juives du premier siècle sur le Fils de

l'homme assis à la droite de Dieu63 mais, selon le Talmud, c'était un blasphème que

d'affirmer être assis dans un trône à la droite de Dieu puisqu'il est écrit au sujet des trônes

mentionnés en Daniel 7:9:

Car c'est une tradition: l'un pour lui [le Fils de l'homme], l'autre pour David, d'après rabbi Aqiba. Mais rabbi José lui: Aqiba, jusqu'à quand profaneras-tu la Gloire? (Sanhédrin 38b).

Les prétentions de Jésus d'être assis à la droite de Dieu étaient donc considérées

comme blasphématoires mais l'interrogation du grand prêtre: Que vous en semble? (Matthieu

26:66) montre aussi que son interprétation pouvait se discuter. Cette accusation finale de

Blasphème fut rejetée par le Sanhédrin puisque Jésus n'a pas été lapidé, mais l'affirmation

d'être assis à la droite de Dieu a été jugée blasphématoire et assimilée à de l'apostasie. Or,

selon la Loi mosaïque, certains cas d'apostasie pouvaient entraîner une condamnation à

mort (Deutéronome 13:6-11), et c'est cette exégèse qui a permis au Sanhédrin de "gracier"

légalement Jésus (selon la loi juive) puis de le livrer aux autorités romaines pour le faire

exécuter. Le motif religieux d'apostasie étant transformé en motif politique de crime de

lèse-majesté (selon la loi romaine). Pour le Sanhédrin, le pouvoir en place, Jésus n'était

qu'un hérétique à éliminer (Actes 24:5).

De tout temps les chasseurs de sorcières, d'hérétiques ou de sectes se sont servis du

pouvoir établi (Actes 24:5). Les défenseurs de l'ordre établi cherchent en général à

l'infléchir en le poussant sur une pente autoritaire64. Le processus est toujours le même:

manipulation des foules par la diffusion d'informations terrifiantes (mais erronées): "Jésus

guérit par Belzébuth"; propagation de rumeurs (non fondées): "Jésus veut détruire le

Temple et pousse les gens à ne pas payer ses impôts, les disciples ont dérobé son corps

pour faire croire à sa résurrection"; pratique de l'amalgame: "Jésus était entouré de deux

authentiques malfaiteurs lors de son exécution, Jésus a fréquenté des prostituées".

63 P. GRELOT –L'espérance juive à l'heure de Jésus Paris 1994 Éd. Desclée pp. 200-205. 64 B. LEMPERT –Le retour de l'intolérance. Sectarisme et chasse aux sorcières Paris 2002 Éd. Bayard p. 135.

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 87

Une biographie polémique: pourquoi ?

La biographie de Jésus peut être établie avec une grande précision. Bien qu'il y ait

des preuves tangibles et vérifiables, les données évangéliques sont contestées. Les mobiles

de cette contestation apparaissent en fait dès l'origine. Lorsque l'apôtre Paul fait connaître

Jésus aux philosophes d'Athènes, le texte des Actes précise:

Il tomba, entre autres, sur des philosophes épicuriens et stoïciens qui l'entreprirent et engagèrent une discussion assez serrée avec lui. Les uns s'exclamaient: — Qu'est ce que ce radoteur peut bien vouloir dire avec ses sornettes? D'autres affirmaient: — Il a l'air de faire de la propagande pour de nouvelles divinités importées de l'étranger — car ils l'avaient entendu parler de Jésus et de la résurrection (...) Lorsqu'ils entendirent parler de résurrection des morts les uns commencèrent à ricaner, d'autres lui dirent: — Nous t'écouterons là-dessus une autre fois. C'est ainsi que Paul se retira de leur assemblée (Actes 17:18, 28-3; Kuen).

Paul, perçu comme un illuminé par les philosophes, n'a pas vraiment été écouté.

Celse écrira même (vers 178) un pamphlet Contre les chrétiens pour dénigrer la vie de Jésus.

En effet, la possibilité d'une résurrection gênait ces philosophes habitués à la notion

d'immortalité de l'âme développée par Platon. De plus, la notion même d'un Dieu unique

était perçue par eux comme une intolérance envers les autres divinités. Ce refus provenait

d'un préjugé que Paul a essayé de surmonter en citant les Phénomènes d'Aratus (qui a écrit

vers -270) et l'Hymne à Zeus de Cléanthe (331-233):

En effet, c'est en lui [Dieu] que nous vivons, que nous agissons, que nous existons. C'est bien ce que certains de vos poètes ont reconnu: “Nous aussi, nous sommes de descendance divine”.

On pourrait se demander pourquoi aucun historien n'essaie de proposer une thèse

sur la chronologie, alors que le besoin est criant. Un livre de Plutarque, écrit spécialement

contre le "père de l'histoire", donne les raisons de ce paradoxe. Hérodote par son enquête

avaient discrédité les historiens qui l'avaient précédé, rangeant ceux-ci au rang peu enviable

de mythologues. L'utilisation de la chronologie devenait le nouveau critère de vérité; or la

plupart des historiens préfèrent "philosopher" et s'appuyer sur les autorités reconnues65,

méthode plus prestigieuse que celle consistant à effectuer de fastidieuses recherches

chronologiques. Les reproches apparaissant dans le livre de Plutarque, intitulé La malignité

d'Hérodote, en disent long sur les véritables raisons de ces attaques; on lit:

Le style simple et facile d'Hérodote, mon cher Alexandre, sa diction naturelle et coulante, trompent la plupart des lecteurs qui jugent de son caractère par son style. C'est le comble de l'injustice, disait Platon, de paraître juste quand on ne l'est pas; c'est aussi l'excès de la méchanceté de cacher sous un dehors de candeur et de simplicité une malignité profonde. Comme il a dirigé surtout les traits de sa malice contre les Béotiens et les Corinthiens, sans épargner pour cela les autres peuples, je me crois obligé de défendre, contre cette partie de son histoire, l'honneur de mes ancêtres et celui de la vérité ; car si je voulais

65 G. BERNARD, J.-P. DESCHODT – Mythes et polémiques de l'histoire Paris 2008 Éd. Studyrama.

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88 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

relever toutes les autres erreurs dans lesquelles il est tombé, il me faudrait écrire plusieurs volumes (...) Premièrement, un écrivain qui, dans le récit d'un fait, se sert d'expressions dures et offensantes, tandis qu'il peut en employer de plus douces; qui, par exemple, au lieu de dire que Nicias était superstitieux, le traite de fanatique; qui taxe d'emportement et de fureur l'inconsidération et la légèreté de Cléon dans ses discours: un tel écrivain est un homme malintentionné, et qui se plaît à présenter ce qu'il raconte sous un jour défavorable. Secondement, lorsqu'un historien use de circuits et de détours pour faire entrer dans son histoire le récit d'un malheur ou d'une mauvaise action qui n'ont pas avec son sujet une liaison nécessaire, il est évident qu'il prend plaisir à médire (...) Troisièmement, un trait de méchanceté opposé à celui-ci et qui n'est pas au fond moins répréhensible, c'est de passer sous silence des discours et des actions honnêtes (...) Mais l'historien doit toujours dire la vérité quand il la connaît; et lorsqu'il est partagé entre plusieurs traditions incertaines, il faut qu'il préfère celle qui est plus avantageuse aux personnes dont il parle (...) Au reste, cet historien aime tellement les Barbares, que, disculpant Busiris du reproche qu'on lui fait d'avoir immolé des victimes humaines et sacrifié ses hôtes, et qu'attribuant à tous les Égyptiens un grand amour pour les dieux et pour la justice, il fait retomber sur les Grecs la honte de ces sacrifices abominables (...) Il dit cependant que l'Hercule égyptien n'est qu'un dieu du second ordre, et Bacchus du troisième ; qu'ils ont eu une origine connue et ne sont pas éternels. Il dit bien que ce sont des dieux, mais qu'étant d'une nature mortelle, il faut leur faire des libations comme à des héros, et non leur offrir des sacrifices. Il en dit autant de Pan, confondant ainsi les objets les plus augustes et les plus respectables de la religion des Grecs avec les fables vaines et ridicules des Égyptiens (...) Cependant tous les poètes et les savants de l'antiquité, Homère, Hésiode, Archiloque, Pisandre, Stésychore, Alcman et Pindare, ne font nulle part mention d'un Hercule égyptien ou phénicien, et n'en connaissent qu'un seul, né en Béotie ou originaire d'Argos (...) si les monuments que chaque ville a dressés ne sont que de vains cénotaphes; si les trépieds et les autels consacrés aux dieux sont chargés d'inscriptions fausses et trompeuses; si enfin Hérodote est le seul qui ait connu la vérité, et que tous les autres écrivains qui ont entendu parler des Grecs aient été trompés par l'opinion publique, qui aura exagéré ces exploits ? (...) Hérodote, il faut être en garde contre ces calomnies et ces critiques amères qu'il cache sous des phrases si douces et si polies; autrement on prendrait, sans s'en apercevoir, des peuples et des personnages les plus illustres de la Grèce, l'opinion la plus fausse et la plus absurde.

En résumé Plutarque reproche à Hérodote de bafouer l'honneur des ancêtres de la

Grèce en donnant crédit aux fables vaines et ridicules des Égyptiens, de trop aimer les

Barbares, de trop critiquer les dieux grecs et de ne pas assez parler de façon avantageuse de

sa nation, et ainsi de désavouer tous les autres écrivains qui avaient, eux, la faveur de

l'opinion publique. Ce qui est piquant dans ces critiques, c'est qu'elles sont encore

perpétuées à l'encontre des biographies scientifiques (fondées sur les dates absolues) par la

plupart des historiens actuels. Le manque de culture scientifique est un handicap majeur

pour apprécier l'aspect rigoureux de la chronologie. Là encore les critiques de Plutarque

illustrent assez bien cette lacune:

Il en a encore évidemment imposé sur le compte des Lacédémoniens, en assurant qu'ils vinrent trop tard à Marathon au secours des Athéniens, pour n'avoir voulu se mettre en marche que le jour de la pleine lune. Non seulement ils sont entrés cent fois en campagne, où ils ont livré des combats les premiers jours du mois, sans attendre la pleine lune, mais à cette bataille même, qui se donna le 6 du mois de boédromion, leur retard fut si peu considérable, qu'ils virent encore les morts étendus sur le champ de bataille. Voici néanmoins ce que dit Hérodote au sujet de la pleine lune: « Il leur était impossible de partir sur-le-champ, parce qu'ils ne voulaient pas violer la loi qui leur défendait de se mettre en marche avant la pleine lune, et l'on n'était alors qu'au neuvième jour du mois; ils attendirent donc que la lune fût dans son plein » Eh quoi! Hérodote, tu transportes la pleine lune au commencement du mois, où cet astre est dans son premier quartier, et tu intervertis l'ordre du ciel et des jours, et le cours entier de l'univers!

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UNE BIOGRAPHIE PEUT-ELLE ETRE HERETIQUE ? 89

Plutarque étale son ignorance66! En effet, selon Hérodote, les Lacédémoniens de

Sparte, qui campaient au 9e jour du mois, ne partirent vers Marathon [en -490] qu'après la

pleine lune [le 15 du mois]. Or, il explique (Enquête VI:106-107; VII:206) que les Spartiates

étaient retenus par les fêtes de Carnéia [du 7 au 15 du mois de Carnéios]. Si on admet que

les calendriers grecs débutaient bien à la nouvelle lune (ce qui est incertain) les données

d'Hérodote sont cohérentes. Les calendriers67 de Sparte et d'Athènes débutaient

vraisemblablement (à cette époque) à la nouvelle lune après le solstice d'été soit au 28 juin

(en -490). Carnéios étant le 2e mois à Sparte, il débutait donc au 27 juillet, et le mois de

Boédromion étant le 3e mois à Athènes il débutait au 26 août. Si les Lacédomiens sont

partis de Sparte à la pleine lune du 15 Carnéios [le 10 août] ils ont dû arriver à Marathon

environ 14 jours plus tard68 [le 25 août]. La date du 6 Boédromion [le 31 août] marquant la

célébration de la bataille tombe 6 jours après la date précédente, ce qui est acceptable vu les

incertitudes sur les dates et les calendriers grecs de cette époque. La preuve de ce manque

de rigueur est donnée par Plutarque lui-même:

Cette bataille [de Marathon] fut donnée le 4 du mois Boédromion [soit le 29 août en -490], selon la manière de compter des Athéniens; et suivant celle des Béotiens, le 27 du mois Panémos [soit le 22 août en -490] (Vie d'Aristide XIX:8,9).

Établir une biographie exacte n'est pas une mince affaire. Euripide disait: Le sage a

deux langues, l'une pour dire la vérité, l'autre pour dire ce qui est opportun [la langue de bois]. L'histoire

véritable ne se fait pas sans histoire et elle ne se laisse trouver que par ceux qui la cherchent

réellement. La vérité (historique) vient toujours du ciel (des astronomes).

66 D.W. OLSON – The Moon and the Marathon in: Sky & Telescope Septembre 2004 pp. 34-41. 67 E.J. BICKERMAN - Chronology of the Ancient World London 1980 Ed. Thames and Hudson pp. 27-40. 68 Sparte et Marathon sont séparées par une distance de 240 kilomètres. Selon l'historien grec Arrien, l'armée d'Alexandre a pu parcourir la distance entre Persépolis et Suse (environ 500 km) en 29 jours, soit une vitesse moyenne de 17 km/jour. Si on utilise cette valeur, il aurait fallu environ 14 jours à l'armée lacédémonienne pour rejoindre Marathon.

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90 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Curriculum vitae de Jésus

Né à Bethléem le 29 septembre -2.

Départ pour l'Égypte afin d'éviter le massacre des nouveau-nés le 25 décembre -2. Jésus

est alors âgé de 3 mois (comme Moïse dans la même situation, selon Actes 7:20-21).

Après la mort d'Hérode, le 26 janvier -1, retour à Nazareth (vers mars -1).

En 12, à l'âge de 12 ans (et 6 mois), il rencontre le grand-prêtre Anne au Temple.

Baptisé dans le Jourdain le 1er août 29, devient le Messie dans la 15e année de Tibère

César à l'âge de 29 ans et 10 mois (ou environ 30 ans, selon Luc 3:1,23).

Début de son ministère le 27 septembre 29 à l'âge de 30 ans (Nombres 4:3).

Les marchands du Temple sont chassés lors de la 1ère Pâque de son ministère, en avril

30, et annonce que celui-ci, bien que bâti depuis 46 ans, allait être détruit.

Les marchands du Temple sont chassés une nouvelle fois lors de la 4ère Pâque de son

ministère, le lundi 30 mars 33. Déclenchement des hostilités contre Jésus.

La Cène est instituée au début du vendredi 14 Nisan (le jeudi 2 avril 33 vers 18 heures).

Mort à Jérusalem le vendredi 3 avril 33 vers 15 heures à l'âge de 33 ans et 6 mois, juste

avant une éclipse de lune "rouge sang" (Actes 2:20).