Claude Simon_歴史extrait_1856

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/2/2019 Claude Simon_ extrait_1856

    1/5

    CLAUDE SIMON

    HISTOIRE

  • 8/2/2019 Claude Simon_ extrait_1856

    2/5

    Cel nou s s ubmer ge . N ous l'o rg an is on s. Celtombe en morceeus .N ous l'organisons de nouveau et tom bonsnous-m~mes en morceaa.

    RILKE

    1 96 7 b y L E s ~mONS DEMlNurr7, r u e B e m ar d -Pa li ss y , 7.5006 ParisEn application de I . loi du 11mars 19'7, iIest interdit de reproduireincegralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation de I'ecliteur

    ou du Centre fran~ais d'exploitation du droit de copie,20, rue des Grands-Augustins, 7'006 Paris

    I SBN 2 - 70 7 3 -0 3 .5 3 -4

  • 8/2/2019 Claude Simon_ extrait_1856

    3/5

    l'une d'elles touchait presque la maison et l'ete quandje travaillais tard dans la nuit assis devant lafenetre ou-verte je pouvais la voir.oudu moins ses derniers rameauxeclaires par Ia lampe avec leurs feuilIes semblables a desplumes palpitant faiblement sur Ie fond de tenebres, lesfolioles ovales teintees d'un vert au Irreel par la lumieree1ecttiqueremuant par moments comme des aigrettescomme animees soudain d'un mouvementpropre (et der-riere on pouvait percevoir se communiquant de proche enproche une mysterieuse et delicate rumeur invisiblesepropageant dans l'obscur fouillis des branches), commesi l'arbre tout entier se revei1Iait s'ebrouairse secouait,puis tout s'apaisait et eIles reprenaient leur Immobilite,les premieres que frappaient directement lesrayons del'ampoule se detachant avec precision en avant des ra-meaux plus lointains de plus en plus faiblement eclairesde moins en moins distinctsentrevus puis seulementdevines puis completement invisibles quoiqu'on pat lessentir nombreux: s'enttecroisant se succedant se super-

    9

  • 8/2/2019 Claude Simon_ extrait_1856

    4/5

    posant dans les epaisseurs d'obscurite d'ou parvenaientde faibles froissements de faibles cris d'oiseaux endormistressai1lant s'agitant gemissant dans leur sommeilcomme si elles se tenaient toujours la, mysterieuses etgeignardes, quelque part dans la vaste maison delabree,avec ses pieces maintenant a demi vides ou Bottaientnon plus les senteurs des eaux de toilette des vieillesdames en visite mais cette violente odeur de moisi decave ou pluto~ de caveau comme si quelque cadavre dequelque bete morte quelque rat coince sous une lamede parquet ou derriere une plinthe n'en finissait plus depourrir exhalant ces acres relents de platre effrite detristesse et de chair mommeecomme si ces invisibles fremissements ces invisiblessoupirs cette invisible palpitation qui peuplait l'obscuriten'etaient pas simplement les bruits d'ailes, de gorgesd'oi-seaux, mais les plaintives et vehementes protestations quepersistaient 8emettre les debiles fantomes baillonnespar Ie temps la mort mais invincibles invaincus conti-nuantde chuchoter, se tenant la, les yeux grands ouvertsdans Ie noir, jacassant autour de grand-mere dans ce seulregistre qui leur etait maintenant permis, c'est-s-dire au-dessous du silence que quelques eclats quelques faiblesrires quelques sursauts d'indignation ou de .frayeur cre-vaient parfoisles imaginant, sombres et lugubres, perchees dans lereseau des branches, comme sur cette caricature orlea-niste reproduite dans le manuel d'Histoire et qui repre-sentait l'arbre genealogique de la amille royaIe dont lesmembres sautillaient parmi les branches sous la formed'oiseaux a tetes humaines coifIes de couronnes endia-

    mantees et pourvus de nez (ou plutot de bees) bourbo-niens et monstrueux : elles, leurs yeux vides, ronds, per -peniel lement larmoyants derriere les voilettes entre lesrapides battements de paupieres bleuies ou plutot noir-cies non par les arclsmais par l'ige, semblables a cesmembranes plissees glissant sur les pupilles immobilesdes reptiles, leurs sombres et luisantes toques de plu-mes traversees par ces longues aiguilles aux pointes ai -gues, dechirantes, comme les bees, les serres des aiglesheraldiques, et jusqu'a ces tenebreux bijoux aux tene-breux eclats dont Ie nom (jais) evoquait phonetiquementcelui d'un oiseau, ces rubans, ces colliers de chien dissi-mulant leurs cous rides, ces rigides titres de noblessequi, dans mon esprit d'enfant, semblaient inseparables desvieilles chairs jaunies, des voix dolentes, de meme queleurs noms de placesfortes, de Beurs,de vieilles murai1les,barbares, derisoires, comme si que1quedivinite facetieuseet macabre avait condamne les lointains conquerants wisi-goths aux lourdes epees,aux armures de fer, a se survivresans fi n sous les especes d'ombres seniles et outrageesappuyees sur des cannes d'ebene et enveloppees de crepeGeorgettepouvant entendre dans Ie silence le pas claudiquantde la vieille bonne traversant la maison vide frappantouvrant la porte du salon avancant sa tete de Meduselancant d'une voix brusque furieuse et comme outrageeelle aussi les noms aux consonances reches medievales- A malrik , Willum, Gouarbia - assortis de titres degenerales ou de marquises, puis s'effa~ant laissant pene-trer dans leur aura d'eclatantesevocatione ou chatoyaientles images de barons germaniques de hallebardes de cites

    10 11

  • 8/2/2019 Claude Simon_ extrait_1856

    5/5

    italiennes de gardenias 1'un ou l'autre de ces informespaquets de fourrures et de chiffons que 1'on voit hanterles parcs des stations thermales preoccupes de tisanesde cataplasmes et de troubles de circulationet elles s'asseyaient, rigides, dans les fauteuils solennelssous les tableaux aux cadres dores, tragiques, pitoyableset, Anos yeux d'enfants, vaguement redoutables en depit(ou peut-etre en raison) de leur formidable fragilite oude leurs ridicules comme cette tante de Reixach, cettebaronne Cerise qui avait autrefois brille dans les concourshippiques, gardant de sa jeunesse virile - ou peut-etreetait-ce simplement Ie fait de son enorme fortune - uneliberte de manieres qui contrastait avec celIes de grand-mere et de ses amies aux trois quarts ruinees, et dont Ienom etait pour moi la source de multiples associations,affubIee d'un maquillage ridicule dont elIe enluminaitmaladroitement son visage ravine, les vieilles levres ere-vassees peintes d'un rouge evoquant de facon bouffonnelafraicheur du mot cerise qu'on retrouvait aussi dansles couleurs pimpantes agrestes (casaque verte, mancheset toque cerise) portees par les jockeys que grand-mereet maman m'avaient montres APau la premiere fois O Uj'avais assiste A une course de chevaux, Ie mot toquelui-meme amenant Amon esprit (s'accordant au maquil-lage, Ala legende d'amazone, au registre aigu et precieuxde sa voix et aux coiffures emplumees qu'elle arborait)Ie qualificatif de toquee qui paradoxalement la nimbaitpour mol d'un prestige particulier, le fait de se conduirec'est-s-dire de pouvoir se conduire et parler d'une faconun peu folIe constituant en quelque sorte par soi-memeun privilege non seulement inherent A sa situation de

    fortune mais encore Ason Age,parce que si dire toqueed'une femme encore jeune, comme je l'avais parfoisen-tendu faire par oncle Charles, impliquait mepris ou api-toiement, son accouplement avec Ie mot vieille lui conferait au contraire dans mon esprit une sorte de majesteet de mystere, 1'englobant dans cette aura d'obscure puis-sance qui les entourait toutes : vaguement fantastiques,vaguement Incredibles, retirees dans leur royale solitude,cette roide majeste qui contrastait avec leur fragilitephysique, et ce privilege exclusif qu'elles detenaient,p.uisqu'on disait d'elles qu'elles alIaient bient8t mourir,tout - jusqu'Aces maquillagesmaladroits - concourantA leur conferer l'aspect mythiqueet fabuleux d'etres ami-chemin entre l'humain, l'animal et Ie surnaturel, siegeant comme ces areopages de creatures (juges ou c l i V i nites souterraines) qui dedennent la clef d'un monde paredu prestige de l'inaccessibleassemblee non pas a vrai dire demomies, car presquetoutes, commegrand-mere, etaient plutetgrasses, repletes,sinon legerement obeses, mais d'ombres falotes, Basques(etoffes, chairs) attendant la mort, ou peutetre dejamortes, semblables (avec leurs voix dolentes, leurs visageseffondres sous leurs noires, etincelantes et mineralesparures, leurs toques aux scintillantes aigrettes, leursscintillants colliers, leursdoigts bagues) A ces mollespitisseries qu'elles engloutissaient, leurs masques tou-jours empreints de ce meme air d'affliction, de penna-

    nente desolation etde permanente hebetude, leurs levresbleuitres ou restait accroche un peu de ce sucre pitissier poudreux, et parfois le furtif passage d'une langueentr'aper~e, grisitre, grumeleuse et, aurait-on dit, adhe-12 13