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Compte rendu

Ouvragerecens :

Colette Guillaumin : Sexe, Race et Pratique du pouvoir par Danielle JuteauRecherches fministes, vol. 5, n 2, 1992, p. 190-192.

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DOI: 10.7202/057713ar

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quotidiennes avec la famille. Au dbut du mariage, les visites sortaient du dsennui ; au moment de la naissance des enfants, elles permettaient des changes de services, lavage, repassage, gardiennage, dons de vtements et moins frquemment de denres. Quant l'aide de l'Etat, si elle tait ponctuelle et plus importante du fait de la crise, les seuls revenus de plusieurs familles pendant de nombreuses annes furent ceux du Secours direct . Cependant, ces revenus ne suffisaient pas et c'est vers leurs familles et le plus souvent vers leurs mres que se tournaient les couples. C'est elles que reviendra alors la charge de les hberger, les nourrir et les entretenir (p. 222).

Par ailleurs, un des apports plus qu'intressants de l'ouvrage de Denyse Baillargeon vient de son analyse trs fine du travail domestique. Etudiant tant le lieu de sa production : le quartier, le logement et ses facilits (salle de bain, plancher de bois mou ou dur, accs au service d'aqueduc et d'lectricit), les outils de travail (pole, rfrigrateurs, machine laver, machine coudre) que l'impact de la crise sur les femmes, elle apprhende le travail domestique tout d'abord dans sa matrialit mme. S'ajoute cette analyse l'tude de l'organisation de la division sexuelle des tches. L'auteure peut alors rendre compte de l'importance de cette production de biens et de services, production essentielle la famille, et durant la crise, d'une certaine croissance du temps consacr cette production : En fait, la production domestique permettait de compenser la faiblesse des revenus familiaux en affectant ces derniers uniquement l'achat de biens et services impossibles obtenir autrement (p. 196).

La lecture de cet ouvrage fort bien document se rvle passionnante. En fait, les rfrences thoriques, historiques sont trs bien intgres, cohrentes et pertinentes, et l'on adhre facilement l'argumentation de l'auteure. En outre, l'insertion des tmoignages des femmes en rend la lecture encore plus captivante et, pourquoi pas, personnelle. Car ce sont nos mres ou nos grand-mres, et pour d'autres ce furent elles-mme, qui partagrent cette vie quotidienne.

Ccile Coderre cole de service social

Universit d'Ottawa

Colette Guillaumin : Sexe, Race et Pratique du pouvoir. Paris, Ct-femmes, 1992, 239 p.

Enfin ! Un recueil qui regroupe un nombre important de textes crits par Guillaumin depuis une quinzaine d'annes.

Enfin, parce qu'il est plus ais de se promener avec un petit bouquin sous les bras qu'avec une pile de livres et de revues entremls qui risquent de s'parpiller un peu partout sur notre parcours... Enfin, et surtout, parce qu'en runissant ces articles sous un mme couvert, Ct-femmes nous livre une vue d'ensemble de l'uvre de Guillaumin et largit ainsi notre grille de lecture.

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Les lectrices et les lecteurs de Guillaumin semblent en etfet se rpartir en deux catgories, l'une que proccupent les rapports sociaux de sexe et l'autre qui travaille davantage sur le racisme. Nous sommes en prsence de deux publics qui se ctoient peu ; de deux publics qui ne se recoupent pas, posant chacun un regard spcitique sur un aspect du corpus. Il existerait deux Guillaumin, celle qui a apport une contribution remarquable l'analyse du racisme et l'analyse des rapports de sexe. Dans ce dernier cas, les avis sont partags ; plusieurs hommes spcialistes du racisme considrent que Guillaumin, si perspicace par ailleurs, a tout simplement drap en parlant des rapports de sexe.

Sexe, Race et Pratique du pouvoir porte sur deux objets, le Sexe et la Race1. L'ouvrage tait avant tout ressortir l'unit et la cohsion d'une pense voue dnicher, dcouvrir, dchiffrer, dbusquer, dstabiliser et, pourquoi pas, dtruire des rapports de domination. Unit et cohsion, mais interpntration galement des deux objets d'analyse. Si les travaux de Guillaumin sur les rapports de sexe se nourrissent de ses rflexions sur les rapports dits raciaux, ceux qui portent sur la notion de Race sont en quelque sorte enracins dans les rapports de sexe et plus particulirement dans le statut minoritaire des femmes. Aussi la dmarche adopte l'amnera-t-elle dconstruire les notions de Race et de Sexe.

Les articles ici runis nous apprennent, entre autres, que les rapports de domination ont une face matrielle et une face idelle. Que leur face matrielle renvoie un rapport social constitutif des groupes sociaux, en l'occurrence un rapport d'appropriation des tres humains, de leur individualit physique et de leur force de travail. Ils nous font dcouvrir que les catgories sociales appeles Race et Sexe sont construites dans ce rapport, qu'elles ne sont pas des catgories naturelles, fermes, relevant de l'vidence. Quoi ? s'est-on cri de toute part ! Avons-nous bien compris ? Ces catgories bien visibles (ne parle-t-on pas au Canada de minorits visibles ?) ne s'imposent-elles pas d'elles-mmes ? En effet, vous avez bien compris, de rtorquer Guillaumin.

C'est ici que commence un long et remarquable travail de dconstruction qui la conduira de la face idologique des rapports de domination leur face matrielle et inversement. Car des tres qui sont des choses dans les faits sont penss comme des choses dans la tte. Ils ont une nature, ils sont une nature. Or, penser les Races et les Sexes comme groupes possdant des traits naturels qui causent leurs pratiques et expliquent leur comportement relve du pseudo-matrialisme dmontrera Guillaumin. Il s'agit d'une inversion du raisonnement qui fait l'impasse sur le rapport de domination qui scrte l'ide de nature, il s'agit d'une pratique de domination qui masque les rapports sociaux qui donnent naissance l'idologie naturaliste. Qui plus est, montrera Guillaumin, les marques qui servent dsigner et dlimiter les groupes sont choisies aprs le rapport,

1. On a dornavant l'habitude de placer le mot race entre guillemets, indiquant ainsi qu'il s'agit d'un construit idologique ; Guillaumin, qui est une des premires dans le domaine de la recherche avoir montr le caractre idologique de la notion de race n'emploie pas les guillemets mais une majuscule ; je ferai donc de mme.

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elles ne le prcdent pas. En d'autres mots, ce n'est pas parce qu'on est noir qu'on est rduit en esclavage, mais parce qu'on a t rduit en esclavage qu'on est noir.

Cette approche novatrice est dornavant accepte chez les spcialistes du racisme ; on comprend trs bien que la Race reprsente un construit idologique, que la Race constitue non pas une catgorie empiriquement valide mais empiriquement effective. En revanche, on accepte difficilement l'ide que les catgories sexuelles sont construites elles aussi, et qu'elles ne relvent pas de l'vidence ; que c'est un rapport d'appropriation qui nous constitue en Sexe et en femmes, en classes de sexe.

Nous sommes ici, comme le veut une expression consacre, en prsence d'une contribution importante l'avancement des connaissances. L'uvre de Guillaumin reprsente un renversement complet des perspectives habituelles, qui bouleverse notre comprhension du monde et rend possible de nouvelles pistes d'analyse et de lutte.

S'interroger sur la catgorisation sexuelle des tres humains, c'est s'interroger sur la face matrielle du rapport entre les hommes et les femmes ; ce qui revient dire, c'est penser le Sexe et le Genre en dehors du naturalisme et de l'essentialisme. La catgorie femmes n'est ni transhistorique ni transnationale ; mais elle reprsente plus qu'un construit qui se greffe sur le Sexe. Les femmes sont construites au sein d'un rapport d'appropriation qui se conjugue d'autres rapports sociaux pour produire des personnes utilises des usages concrets diffrents (selon la classe sociale par exemple et l'appartenance dite raciale) et dsignes par le Sexe. La marque suit le rapport, elle ne le prcde pas...

Or cette problmatique engendre une trs forte rsistance. Pourquoi ? Dans le cas des femmes, la diffrence biologique est relle ; et on ne peut tudier de faon prcise l'mergence de ce rapport social, le moment o il s'est construit. Aussi sommes-nous devant un systme de domination extrmement difficile apprhender, et les couches nuageuses qui l'enveloppent ne semblent pas vouloir se dissiper. L'uvre de Guillaumin, fort heureusement, contribue ce processus de dmystification.

Mais la question centrale, mon avis, n'est pas d'exiger une profession de foi, une adhsion inconditionnelle la problmatique du sexage. Il faut plutt se demander dans quelle mesure l'approche propose permet d'clairer notre lanterne, de dcouvrir la face cache du rel et de rendre compte d'une manire plausible des faits observs. Et, en ce qui me concerne, tant pour l'tude de la production de l'ethnicit que pour celle de cette fraction de classe que reprsentent les religieuses, les rsultats furent inesprs.

Danielle Juteau Titulaire de la Chaire en relations ethniques

Directrice du Centre d'tudes ethniques Universit de Montral