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1 UFR STAPS Master Sciences Sociales et Sport Parcours Intégration POLITIQUES SPORTIVES ET RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE Le genre à l’épreuve de la mixité Analyse des stratégies politiques de la mixité dans le sport Tutrice Universitaire Présenté par Mme Angelina ETIEMBLE Maxime TETILLON Année Universitaire 2011-2012

Le genre à l’épreuve de la mixité - rspdl.com · autant d‘éléments qui diffèrent lorsque l‘on tient compte du sexe des individus. En ... Selon Colette Guillaumin, l‘oppression

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UFR STAPS

Master Sciences Sociales et Sport – Parcours Intégration

POLITIQUES SPORTIVES ET RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE

Le genre à l’épreuve de la mixité

Analyse des stratégies politiques de la mixité dans le sport

Tutrice Universitaire Présenté par

Mme Angelina ETIEMBLE Maxime TETILLON

Année Universitaire 2011-2012

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Remerciements

En préambule à ce mémoire, je souhaitais adresser mes remerciements les plus

sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de

ce mémoire.

Je tiens à remercier sincèrement Angelina Etiemble, qui, en tant que Directrice de

mémoire, s'est toujours montré à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation

de ce mémoire. Les conseils épistémologiques, méthodologiques et le balisage de mes

recherches m’ont apporté la plus grande aide.

Mes remerciements s’adressent également à toute l’équipe des enseignants du

Master SSSATI pour les échanges qu’ils m’ont accordés. Souvent informelles, ces

discussions ont permis d’alimenter ma réflexion.

J'exprime également ma gratitude à toutes les personnes m’ayant accordé des

entretiens indispensables à la réalisation de mon travail. Ils m’ont fait profiter de leurs

réseaux de connaissance et je leur en suis très reconnaissant.

Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui

m'ont toujours soutenu et encouragée au cours de la réalisation de ce mémoire.

3

Sommaire

Introduction…………………………………………………………… 4

I) Cadre théorique et méthodologie…………………………………… 11

1. Les femmes à la conquête du sport 12

2. Différences de sexe, différences de genre 16

3. Mixité : une notion complexe 22

4. Action publique : forme et généralités 28

5. La mixité en EPS 34

6. Méthodologie 37

II) La conceptions des politiques de mixité…………………………….. 43

1. L’identification du problème 44

2. Une véritable injonction à la mixité 46

3. Une mixité totale 50

4. Les stratégies de la mixité dans le sport 52

5. Politiques sportives et rapports de genre 56

III) Relais des politiques et mise en place sur le terrain………………….. 62

1. La mixité sous conditions 63

2. Politiques : formes et contenu 73

3. Toujours le poids du genre. 83

4. Le badminton : l’exception qui confirme la règle 96

Conclusion……………………………………………………………… 99

Bibliographie……………………………………………………………. 102

Annexes………………………………………………………………… 105

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Introduction

Pourquoi les femmes pratiquent plus les activités artistiques ? Pourquoi les

hommes sont majoritaires dans les sports de contact comme le football, le rugby ou la

boxe ? Pourquoi les disciplines sont marquées sexuellement et pour quelles raison la

tendance est à la séparation des sexes dans le sport ? Ces questions sont au centre des

études du genre dans le domaine des activités sportives. Leur objectif est de rendre

compte des réalités sociales de la différence des sexes. Autrement dit, comment le sport

reproduit les normes de genre et comment, à son tour, il les reconstruit.

La séparation des sexes que l’on retrouve dans le sport n’est pas spécifique à ce

domaine. La société dans son ensemble est marquée par un accord tacite qui répartit les

rôles, les tâches ou les espaces du côté masculin ou du côté féminin. Cet arrangement des

sexes est mis à jour par Erving Goffman1. Selon lui, « le sexe est à la base d’un code

fondamental, conformément auquel s’élaborent les interactions et les structures sociales ».

Ce code établit une frontière qui oppose le masculin et le féminin tout en harmonisant les

deux parties. Leurs différences sont perçues comme garantes de l’ordre social. Ces classes

de sexes s’établissent à partir des différences biologiques. Aussi minimes soient-elles,

l’organisation sociale qui en découle s’applique presque sans exception à toute la

population et vaut pour toute la vie. Ce lien entre le biologique et le social induit un

ensemble de croyances et de pratiques. C’est a partir des différences anatomiques entre les

sexes que l’on justifie l’ordre social établit. Dès leur naissance, tous les individus sont

situés dans l’une ou l’autre classe. Voila pourquoi le genre constitue un cas exemplaire de

classification sociale.

L’usage du terme genre pour désigner les rapports sociaux de sexe est récent. Ce

n’est qu’à partir des années 1980 aux Etats-Unis et des années 1990 en Europe qu’il s’est

diffusé, surtout dans les universités. Au préalable, on parlait d’« études féministes » ou d’«

études sur les femmes ». Ces appellations sont d’ailleurs évocatrices de l’origine de ces

recherches. Initialement, elles étaient effectivement liées à la démarche contestataire des

mouvements féministes. Ces initiatives reposent sur la conviction que les femmes

subissent une injustice spécifique en tant que femmes. Les luttes individuelles ou

collectives doivent permettre de redresser ces inégalités. Cet héritage est parfois oublié

aujourd’hui et le terme genre perd peu à peu sa dimension critique.

1 Goffman Erving, L’arrangement des sexes, Paris, La Dispute, 2002.

5

S’intéresser au champ sportif pour étudier le genre revêt un enjeu particulier. Plus

qu’un espace de reproduction du genre, le sport est souvent perçu comme un lieu où se

construit le genre. Historiquement, les activités sportives ont fonctionné comme un

dispositif d’affirmation et de confirmation de la masculinité. De plus, le sport n’est pas un

élément en marge de la société. Aujourd’hui, il tient une place importante dans la vie des

Français : 89% des français « bougent » au moins une fois dans l’année. Lorsque la

pratique est hebdomadaire, le chiffre reste de 65%. Hommes et femmes pratiquent le

sport dans les mêmes mesures (87% d’entre elles contre 91% d’entre eux). Cependant, le

choix des disciplines, les modalités et les lieux de pratique, les goûts et les attentes sont

autant d’éléments qui diffèrent lorsque l’on tient compte du sexe des individus. En

somme, il existe des façons différentes de faire du sport selon que l’on soit un homme ou

une femme. Quel arrangement est à l’œuvre dans cette séparation ? Qu’est ce qui explique

le caractère permanent de cette division ? Ce travail consiste à mettre à jour la nature de

ces disparités et d’en expliquer les raisons.

Les recherches entreprises l’année dernière ont permis d’aborder la notion de

genre et d’extraire les modalités de la domination masculine. Ce rapport de force qui régit

les interactions entre les sexes n’est pas perçu comme tel. Selon Pierre Bourdieu1, la

violence exercée, par les hommes sur les femmes et par la classe des hommes sur celle des

femmes, est symbolique. Il définit cette emprise par un pouvoir qui parvient à imposer

des significations comme légitimes, en dissimulant les rapports de force qui sont au

fondement de son application. Selon Colette Guillaumin, l’oppression des femmes

s’explique par l’idée que leur corps est plus « naturel » que celui des hommes2. La

contrainte corporelle est en effet au cœur de la domination. Les processus d’incorporation

tiennent une place centrale dans la reproduction de la domination. Les femmes

apprennent à limiter leur propre espace corporel en se constituant un corps proche tandis

que les hommes font l’expérience de la maîtrise de l’espace et de l’extension du corps vers

l’extérieur. Ce dernier peut également servir support à la différenciation sociale. Dans les

sociétés traditionnelles, le passage à l’âge adulte implique la confrontation à des épreuves

physiques et un marquage des corps3. Seuls les jeunes hommes sont initiés à ces rites. La

trace corporelle sert donc de support à la hiérarchisation des sexes. Dans les sociétés

contemporaines, la façon dont le corps est mis en scène témoigne aussi d’appartenances

sexuées. Les vêtements, le maquillage ou la coupe de cheveux sont des indices

d’appartenance à l’un ou l’autre sexe. La construction d’attributs, masculins d’une part et

1 Bourdieu Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998. 2 Guillaumin Colette, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de nature, Paris, Côté-femmes, 1992. 3 Le Breton David, La sociologie du corps, Paris, PUF, 1992, p. 23.

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féminins d’autre part, provoque une présentation de soi différente selon les catégories

sexuées. Cette mise en scène ne s’effectue pas uniquement par le marquage corporel. Son

usage met également en évidence la distinction entre les sexes. La tenue du corps féminin

se caractérise par la retenue pendant que celle du corps masculin est marquée par

l’expansion. En position assise, on trouvera plutôt les femmes bras et jambes croisés et les

hommes bras étalés et jambes écartées. L’inverse choquera pour l’entrave aux normes de

genre qu’il représente. Le corps sert donc d’outil de sexuation. La façon dont il est

mobilisé doit rendre compte de l’identité sexuée des individus. Par conséquent, il participe

de la conformation à l’ordre social.

Cette mise en scène du corps revêt une importance particulière lorsque l’on

s’intéresse aux activités physiques et sportives. Ces dernière ne sont en effet ni plus, ni

moins que des pratiques corporelles. Même s’il est pratiqué par les femmes, la façon dont

le sport est institué renvoie surtout aux codes de la masculinité. Le culte du corps y est

présent. « Il faut du biceps, de la densité et de la vivacité musculaire, toutes les qualités

anatomiques qui constituent le stéréotype de l’homme véritable »1. La pratique est censée

endurcir le corps, il faut résister aux coups et supporter la douleur. En quelque sorte, la

virilité gouverne le sport. De cette culture est souvent exclu tout ce qui à trait à la

féminité. Les femmes sont donc souvent renvoyées vers des pratiques plus à l’image de ce

qu’on s’imagine être leur caractéristiques. Les activités qui mettent en jeu grâce, souplesse

et beauté sont donc investies majoritairement par les femmes. En ce qu’ils sont

masculinisant ou féminisant, chacun de ces espaces se forment en cultivant les stéréotypes

qui renvoient à chacun des sexes.

Malgré tout, nombre de femmes délaissent les activités artistiques et s’engagent dans

des disciplines plus sportives. De fait, elles doivent adopter toute la motricité et toutes les

attitudes conçues comme masculines. Cet engagement du corps met à mal la féminité de

celles qui s’y engagent. Face à cette mise en danger, il existe chez les sportives une volonté

de réajuster leur identité sexuée. La mise en scène de traits féminins vient réhabiliter

l’identité quelque peu érodée par la pratique. Ces comportements peuvent être motivés

par l’envie de se conformer à l’ordre social mais sont également le fruit d’injonctions de la

part des hommes. Pour prendre part à la pratique sportive, les femmes doivent avant tout

prouver qu’elles le sont2. En s’intéressant aux femmes qui pratiquent des sports

résolument masculins (football, boxe, haltérophilie), Christine Mennesson met en

1 Baillette Frédéric, Liotard Philippe, Sport et virilisme, Montpellier, Quasimodo, 1999, p. 24. 2 Mennesson Christine, « Le gouvernement des corps des footballeuses et boxeuses de haut niveau », CLIO, Histoire, femmes et sociétés, n° 23, 2006, p. 179-196.

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évidence les attentes des entrepreneurs de morale1 apeurés de voir les sportives se

transformer en hommes. La tenue vestimentaire en marge de la pratique doit être soignée

(robe, jupe) afin de respecter les normes féminines de présentation de soi. Qu’il s’agisse

de réelles demandes ou d’une intériorisation des attentes sociales, la plupart des sportives

tiennent à leur féminité et l’entretiennent.

En tenant compte du fait que le sport peu mettre à mal les identités sexuées, le

questionnement à l’issue des premières investigations était le suivant : Comment les

sportifs mettent en scène leur identité sexuée dans le cadre de la pratique, au moyen de

leur corps. Le cas des femmes a surtout été évoqué jusqu’alors mais cette démarche visait

à tenir compte tant des comportements des hommes que de ceux femmes. L’objectif était

d’observer la façon dont chacun des individus donne à voir son identité sexuée lorsque les

espaces sont mixtes. Y a-t-il une volonté des hommes de renforcer leur masculinité en

présence de femmes ? Celles-ci réajustent-elles leur féminité en présence d’homme ? La

façon dont les corps sont mobilisés dans les pratiques mixtes participe-t-elle de la

construction du genre ?

Plusieurs notions sont engagées dans ces interrogations. L’intérêt pour l’usage du

corps est central mais il prend toute son importance dans un contexte : la mixité.

L’utilisation du corps est-elle la même dans les situations mixtes que dans les groupes

sexués ? Plus globalement, les comportements des individus sont-ils les mêmes qu’il y ait

mélange ou séparation des sexes ? Par conséquent, la réflexion doit plutôt prêter attention

aux conséquences de la coprésence des sexes dans la construction du genre.

Dans les études sur le genre, la mixité constitue l’un des enjeux actuels. Ce mode

de réalisation des relations entre les sexes est dans les temps, on pourrait même dire « à la

mode ». La croissance de l’usage du terme mixité est effectivement remarquable depuis

19972. Que ce soit en politique, dans les médias ou dans les recherches en sciences

sociales, le vocable est omniprésent3. Cette notion ne se limite pas à un champ en

particulier. On l’utilise largement pour décrire de multiples réalités. Qu’elle soit sociale,

conjugale ou scolaire, le terme mixité est utilisé pour caractériser des espaces où évoluent

des populations qui diffèrent sur un aspect particulier.

1 Au sens d’Howard Becker, L’entrepreneur de morale est un créateur de normes qui n’est pas satisfait de certains comportements qu’il juge choquant. Il entreprend donc une « croisade pour la réforme des mœurs » adéquate aux attentes sociales. Voir Becker Howard, Outsiders, Paris, Métailié, 1985. 2 Fiala Pierre, Varro Gabrielle, « Mixités : tensions discursives ou rupture linguistique ? », Langage et société, n° 121-122, 2007, p. 215-232. 3 Collet Beate, Philippe Claudine, MixitéS, variations autour d’une notion transversale, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 9.

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Pour ce travail, l’intérêt est surtout porté à la mixité sexuelle. Cette nouvelle forme

de rapport des sexes tient son origine des intentions politiques. Claude Zaidman rappelle

qu’aux niveaux politique et législatif, le statut des femmes change. En un siècle, on passe

d’une exclusion au nom de leur spécificité à leur inclusion dans une citoyenneté de type

égalitaire dans son principe juridique1. On passe d’une séparation traditionnelle à une

coexistence d’individus différents dans un même espace. Ce changement de gestion des

rapports sociaux de sexe interroge. Qu’est ce qui motive le mélange des individus qui,

« naturellement2 », se séparent ? La mixité est-elle porteuse de changements dans les

relations sociales entre les sexes ?

Les raisons de la mise en place de la mixité doivent être expliquées. Une volonté

d’égalité semble évidente. Cependant, le simple fait de mélanger des populations

différentes permet-il la réalisation de cet objectif ? Quels sont les arguments qui la

justifient ? Par ailleurs, l’appel à davantage de mixité est souvent invoqué de manière

incantatoire et particulièrement dans les discours politiques3. Face à ce manque de

réflexion sur la notion de la part des instigateurs, le terme revêt souvent le statut de

formule magique ou de mot-valise. Cependant, la mixité est loin d’être évidente. Elle peut

être à la fois agressive et accueillante4. Par conséquent, il semble primordial de se donner

les moyens qu’elle participe réellement à l’instauration de l’égalité.

Au regard des critiques qui émanent du champ scientifique, les politiques de mixité

souffrent d’une absence de réflexion. Les effets de ce manque de considération sont

doubles. D’une part, les objectifs égalitaires ne sont pas remplis et d’autre part, il arrive

que l’effet inverse se produise. Dans certains espaces, les inégalités entre les hommes et

les femmes – pour rester dans le champ étudié – se renforcent. En ce qui concerne les

rapports sociaux de sexe, l’accentuation des stéréotypes de genre a été observée dans

plusieurs espaces. Ainsi, à l’école5 comme au travail6, le groupe des dominants a tendance

à durcir les stéréotypes et celui des dominés va s’y conformer afin de répondre à leurs

attentes. Outre la reproduction de la domination, on remarque une répartition des tâches

et des rôles compte tenu des représentations du masculin et du féminin. Malgré la

1 Zaidman Claude, « La mixité, objet d’études scientifiques ou enjeu politique ? », Cahiers du Genre, n° 42, 2007, p. 205-218. 2 Cette séparation est évidemment culturelle mais n’est pas perçue comme telle. Voir Goffman Erving, op. cit. 3 Beate Collet et Philippe Claudine, op. cit. , p. 10. 4 Cassaigne Bertrand, « Mixités, égalité, identités : introduction générale », Projet, n° 287, 2005, p. 4-7. 5 Duru-Bellat Marie, « La mixité a aussi un prix », Ville, école, intégration. Diversité, n° 165, 2011, p. 95-99. 6 Cardia-Vonèche Laura, Gonik Viviane, Bastard Benoît, « L’impossible mixité dans l’entreprise », in, Collet Beate et Philippe Claudine, op. cit. , p. 55-68.

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certitude que la mixité constitue un passage obligé, elle n’est pas encore synonyme

d’égalité.

Dans un contexte où le mélange des sexes est recherché, le sport semble une

nouvelle fois être un univers spécifique. Il reste en effet un des seuls espaces où hommes

et femmes sont séparés. Cette situation tient notamment à une l’histoire au cours de

laquelle le sport à très longtemps été fermé aux femmes. Dans l’entre deux guerre, on

pouvait lire : « Le sport reste la seule occupation humaine où les femmes acceptent le

principe qu’elles sont inférieures à l’homme et incapables de concourir avec lui »1. Ce

constat était la conséquence d’une réticence des autorités sportives à laisser les femmes

pratiquer. Une nouvelle fois, les caractéristiques « naturelles » de chacun des sexes servent

à expliquer leur incompatibilité. Même si aujourd’hui le sport n’est plus fermé aux

femmes, le modèle de pratique dominant reste la séparation des sexes. Comment cet

espace tient alors compte de l’exigence de mixité que l’on observe actuellement ?

Pourquoi le mélange des sexes est-il (ou non) recherché? Est-il du à une nécessité ?

Quelles sont les conditions d’adhésion au principe de mixité ?

Ces interrogations visent surtout à rendre compte de la façon dont est gérée la

mixité. La manière dont elle se joue dans les pratiques sportives est un autre sujet. Pour

cette enquête, l’intérêt sera porté vers les diverses institution qui organisent le sport en

France. L’objectif est d’observer l’effet des politiques de mixité des sexes dans le sport sur

les rapports de genre.

Des inégalités entre les sexes ont été mises en évidence dans la pratique sportive.

Elles concernent principalement la répartition homme-femme dans les disciplines. En

définitive, lorsqu’il s’agit de sport, le sexe des pratiquants n’est jamais mis de côté.

Dans la plupart des espaces de la société où il existe des inégalités, la tendance est

au mélange des populations « différentes ». Ce brassage des individus aspire à

l’instauration de l’égalité. Dans le champ sportif, le choix de la mixité semble particulier au

regard des logique de séparation de cet espace. Par ailleurs, dans certains endroits où la

mixité est introduite, les stéréotypes de genre peuvent être renforcés. En tenant compte

de ces différents constats, la supposition est la suivante : malgré une volonté d’égalité, la

façon dont la mixité est mise en place dans le mouvement sportif fait de ce domaine un

espace de construction du genre.

1 Jean Giraudoux, Le sport, Paris, Grasset, 1928, cité par Baillette Frédéric, Liotard Philippe, op. cit. , p. 22.

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Pour analyser le contenu du message vantant les vertus de la mixité et servant de

guide à sa mise en œuvre, trois niveaux d’observation s’imposent : Le macro-social, le

meso-social et le micro-social.

Le macro-social a trait à la sphère de la décision politique. Il est principalement

étudié par le dépouillement et l’analyse de rapports publics. Ces textes émanent des

institutions qui gèrent la pratique sportive. Ils s’inspirent à la fois des politiques publiques

générales et de principes républicains et européens.

Le niveau méso-social prend en compte les personnes relais de ces politiques dans

un territoire restreint. En l’occurrence celles qui œuvrent dans les services déconcentrés

de l’Etat, les collectivités territoriales, ainsi que les comités et fédérations sportifs.

L’analyse s’appuie sur des entretiens semi-directifs avec les acteurs relais, sur l’exploitation

des contenus de rapports d’activité ou de tous les documents éclairant les attendus et la

forme des directives afférentes à la mixité.

Enfin, à une échelle micro-sociale, l’étude s’appuie sur des entretiens avec des

acteurs (dirigeants, encadrants) qui, a priori, font vivre ces directives et ces dispositifs sur

le terrain. Ce travail est complété par une investigation auprès d’un club. Il a été choisi

pour la diversité des pratiques qu’il propose (masculines, féminines, neutres). Cette

démarche à trois temps – ou trois espaces d’interprétation de la mixité – est nécessaire

pour mieux saisir les stratégies mises en œuvre et interroger leur efficience en termes

d’égalité des sexes dans les pratiques sportives.

Avant de rendre compte des résultats de l’enquête et de les analyser, il faut

identifier plus précisément un contexte où l’on prône la mixité. Son succès peut

s’expliquer par les principes républicains et le mode d’intégration français. Dans le sport,

les rapports sociaux entre les sexes sont particuliers et un passage par l’histoire peut servir

d’appui pour mieux les comprendre. Par ailleurs, l’expérience de l’éducation physique et

sportive en matière de mixité des sexes constitue une base à l’analyse du champ sportif,

qu’il soit fédéral ou associatif. A son tour, ce dernier est régit par des politiques qui visent

l’égalité des sexes. Un détour par les politiques publiques en général servira à montrer leur

organisation et l’impact qu’elles peuvent avoir sur le genre.

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I) Cadre théorique et méthodologie

Depuis une trentaine d’années, les études sur le genre ont connu un essor

important en France comme dans un grand nombre de pays. Dans les universités

françaises, cette appellation qui désigne les rapports sociaux de sexe s’est largement

imposée. Néanmoins, son usage n’est pas encore légitime en dehors du champ

académique et ne trouve que peu d’échos dans le langage courant. Les études sur le genre

permettent de dévoiler les inégalités entre les hommes et les femmes, longtemps

inexplorées. Ces travaux à approches multiples1 visent à rendre compte de la construction

sociale des sexes.

La première de ces approches consiste à faire éclater les visions naturalistes de la

différence des sexes attribuant aux hommes et aux femmes certains traits en fonction de

leurs caractéristiques biologiques. Cette démarche montre que l’on n’est pas homme ou

femme par essence, mais qu’il existe un apprentissage des comportements socialement

attendus selon le sexe des individus. Une autre conception prône une approche

relationnelle des sexes. Les études sur le genre ne doivent pas s’intéresser uniquement aux

femmes et au féminin sans considérer les hommes et le masculin. Les constructions

sociales s’établissent en effet dans une relation d’opposition. En plus d’être différenciées,

les caractéristiques sexuées sont hiérarchisées. Cette hiérarchisation est l’objet d’une

troisième approche qui consiste à appréhender les rapports de pouvoir entre les sexes.

Nommé « patriarcat »2, « valence différentielle des sexes3 » ou « domination masculine4 »

selon les courants d’études, le rapport des sexes est toujours construit dans une logique où

le masculin domine. La quatrième idée qui fonde les études sur le genre est d’articuler les

rapports de genre au sein avec les autres rapports de pouvoir. Les catégories de sexe ne

sont pas homogènes : selon la classe sociale, la « race » ou l’âge, l’expérience des rapports

de genre ne sera pas la même. Les études de genre peuvent donc s’étudier dans plusieurs

dimensions. Cependant, les quatre approches ne doivent pas être prises en compte de

façon isolée.

1 Bereni Laure, Chauvin Sébastien, Jaunait Alexandre, Revillard Anne, Introduction aux gender studies, Paris, De Boeck, 2008, p. 5. 2 Guillaumin Colette, op. cit. 3 Héritier Françoise, Masculin/Féminin, la pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996. 4 Bourdieu Pierre, op. cit. , p. 119.

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Le genre peut donc être défini comme un système de catégorisation hiérarchisé

entre les sexes (hommes-femmes) auquel des valeurs et des représentations sont associées

(masculin et au féminin). Dans ce mémoire, le genre désignera un rapport social et sera

donc employé au singulier pour le distinguer des genres grammaticaux. Pour qualifier les

positions qu’il constitue, on parlera donc de sexes.

L’intérêt porté au genre a permis de montrer son omniprésence dans l’espace

social. Son poids s’explique par le fait qu’il a longtemps été, et est parfois, toujours

considéré comme légitime. Il faut s’intéresser à la socialisation des individus pour

comprendre la prégnance du genre dans l’espace social. Lors de cette période, les

individus apprennent des rôles selon leur sexe et intègrent une vision globale qui découpe

le monde en masculin et en féminin. L’adhésion unanime des acteurs sociaux peut

s’expliquer par la perpétuelle (re)transmission des normes de genre entre les générations.

Des contraintes sont donc exercées sur les individus mais ne sont pas ressenties comme

telles. Dans les faits, la contrainte est perceptible dans les sanctions qui attendent ceux qui

l’enfreignent : discriminations, violences, stigmatisation. La force du genre pousse donc

les hommes à adopter des comportements construits comme masculins et les femmes à

adopter des comportements construits comme féminins. La confrontation des acteurs au

regard de la société entraine la perpétuelle réactivation des normes de genre.

Les différents mouvements féministes du XXème siècle et la réflexion sur le genre

ont permis d’ouvrir des espaces jusqu’alors fermés à certains sexes. Le sport, longtemps

inaccessible pour les femmes, est un exemple.

1. Les femmes à la conquête du sport

Historiquement, le sport a toujours été un espace d’affirmation de la masculinité.

Malgré tout, la pratique des femmes a connu des bouleversements considérables depuis la

seconde moitié du XIXème siècle, époque à laquelle le sport moderne s’est installé en

France.

Jusqu’à la première guerre mondiale, le sport féminin reste marginal. A cette

époque, la division radicale de la société repose sur la conviction d’une inégalité entre les

sexes et les femmes sont jugées inférieures1. Tout est organisé pour maintenir hommes et

femmes dans les fonctions qui sont les leurs : si les hommes ont le pouvoir et que les

femmes sont dominées, c’est que la nature les a forgés à ces statuts. De plus, la défaite de

1 Terret Thierry, « Sport et genre (1870-1845) », in Philippe Tétart (dir), Histoire du sport en France, du second empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, p. 356-357.

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l’armée française à Sedan en 1870 interroge la capacité des nouvelles générations à

défendre la patrie. Face à la crainte de voir la hiérarchie traditionnelle bouleversée, la

société mâle a besoin de se rassurer. Cette inquiétude s’exprime au travers de

l’institutionnalisation du sport qui devient un espace où l’on cultive la masculinité. Dans

les sociétés de gymnastique comme dans les associations sportives, les femmes sont le

plus souvent exclues et contraintes à l’immobilité.

Une pratique féminine existe malgré tout à cette période. Issues de l’aristocratie ou

de la bourgeoisie, les sportives évoluent dans des cadres peu institutionnalisés qui

s’apparentent à des espaces de sociabilité pour les classes supérieures1. Chose impensable

à l’époque, la pratique peut être mixte. Etant perçues comme des enfreintes aux normes

sociales, ces pratiques restent rares. Les cyclistes seront particulièrement visées et

plusieurs arguments sont convoqués pour prouver que cette discipline est néfaste pour les

femmes : développement d’une sexualité anormale qui met en péril la maternité ; tenue

scandaleuse à laquelle on reproche de faire disparaître les différences sexuelles ; liberté

d’action et de déplacement. On refuse tout ce qui peut amener à la confusion dans le

genre.

Les femmes peuvent tout de même pratiquer dans plusieurs disciplines sans

affronter l’ordre moral2. Bien que masculine, la gymnastique est peu à peu investie par les

femmes sans problème particulier. Cet exercice fait l’unanimité car il se prête aux visions

traditionnelles sur la place et les fonctions supposées des femmes. Le corps s’y développe

de façon à assurer la maternité et la féminité. On trouve aussi l’alpinisme où les sportives

se dégagent peu à peu du contrôle des hommes dans le sillage de mouvements féministes.

La pratique s’effectue dans les mêmes conditions que les hommes et avec eux. Enfin, la

natation devient le sport féminin par excellence. Malgré le dénudement et la mise à jour

des corps, la discipline est perçue comme hygiénique et utile aux femmes. Là encore, les

nageurs évoluent en mixité. Malgré l’ouverture progressive du sport à la population

féminine, on se rend compte que les arguments qui autorisent ou excluent les femmes

sont empreints de genre. Les françaises jouent avec cette limite pour tenter de bousculer

les stéréotypes et accéder à la pratique sportive. De nombreux clubs féminins ouvrent

alors au début du XXème siècle.

La première guerre mondiale est souvent perçue comme un moment

d’émancipation pour les femmes3. Durant cette période, les femmes ont du assurer les

1 Ibid. , p. 358-359. 2 Ibid. , p. 361. 3 Ibid. , p. 364.

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rôles des hommes, alors absents. Cependant, une fois le conflit terminé, la prise de

conscience des femmes d’une possible indépendance s’est confrontée à un mouvement de

conservation des traditions.

Au cours de la période 1914-1918, les pratiques sportives féminines se diversifient

et les compétitions fleurissent. En 1918, la Fédération des sociétés féminines sportives de

France (FSFSF) est déclarée alors que l’intégration à l’USFSA (Union des sociétés

françaises de sport athlétique), institution qui gère alors le sport en France, est toujours

impossible. La présidence de la fédération est occupée par celle qui deviendra la figure de

proue du sport féminin lors de l’entre-deux guerres : Alice Millat1. L’organisation sera

orientée de façon à ne jamais être récupérée par le mouvement des hommes, peu enclins à

voir les femmes se défaire de leur rôle de mère ou d’épouse. Lorsqu’elle est acceptée, la

pratique sportive doit être adaptée, modérée, par crainte d’une inversion des codes de

genre qu’elle pourrait provoquer. Ainsi, les fédérations non hostiles à l’intégration de

femmes adoptent des dispositifs qui permettent à toutes de participer malgré leur

« fragilité naturelle ». En athlétisme, le poids sera plus léger et les distances plus courtes.

La résistance des organisations masculines face au mouvement féminin s’observe

tant au niveau national qu’international2. Face aux refus de ces institutions de voir les

femmes participer aux jeux olympiques, la FSFI (fédération sportive féminine

internationale) est créée. Alice Millat en devient la présidente et 4 olympiades féminines

sont organisées entre 1922 et 1934. Au regard du succès de ces évènements, qui

permettent de prouver que les femmes peuvent participer à des épreuves sportives, les

institutions masculines finissent par accepter les femmes à partir de la fin des années

1920. L’acceptation des sportives dans les fédérations jusqu’alors masculines va de pair

avec le déclin de la Fédération féminine qui, déchue de ses subventions, disparaît en 1936.

Au milieu du XXème siècle, les femmes sont intégrées aux fédérations masculines. Malgré

tout, plusieurs limites persistent. Plus qu’une intégration, la prise en charge de la pratique

féminine est plutôt perçue comme un contrôle de la part des hommes. Désormais, les

adeptes de l’exercice doivent choisir entre une gymnastique destinée à développer les

normes de la féminité et un sport au sein de fédérations apparemment neutres. Enfin, les

femmes se heurtent toujours aux représentations « genrées » qui les laissent à l’écart de

disciplines inappropriées à leur prétendue fragilité (cyclisme, rugby) ainsi que de certaines

épreuves non conformes à la féminité (saut à la perche, triple saut, marathon, lancé du

marteau).

1 Drevon André, Alice Millat, la passionaria du sport féminin, Paris, Vuibert, 2005. 2 Ibid. , p. 123.

15

Pendant la seconde guerre mondiale, le sport continu d’exister. Il sera marqué par

les orientations du régime de Vichy qui veulent l’homme plus viril et la femme plus saine1.

La pratique physique doit développer la masculinité chez les hommes et les qualités

naturelles des femmes pour en faire de bonnes mères. C’est donc toujours selon les

principes fondamentaux d’esthétique et de modération que le sport féminin se développe

pendant l’Occupation. Cet essor s’explique en partie par l’impulsion des années

précédentes.

A la Libération, et malgré le rôle qu’elles ont joué dans la société pendant le second

conflit mondial, les femmes semblent oubliées2. De nouveau renvoyées à « leurs »

fonctions domestiques, elles restent minoritaires dans le sport qui reste une affaire

d’hommes. Il faut attendre les années 1960 pour observer une évolution de la place des

femmes sur la scène sportive3. Certains bastions s’ouvrent aux femmes (Cyclisme, 1959)

dont la participation à la vie sportive augmente parfois plus que celle des hommes. Ainsi,

de 6,7% des licenciés en 1961, elles passent à 14,3% en 1975. L’augmentation du temps

de loisir et la remise en cause des normes de genre à partir de la fin des années 1960

peuvent expliquer ces évolutions, tout comme les réformes qui maintiennent les jeunes

filles dans le système scolaire. Ces dernières bénéficient dorénavant d’une initiation

sportive jusqu’alors absente de la culture familiale et de la société en général. L’essor du

sport féminin reste malgré tout à nuancer car il se joue surtout sur le terrain de la

jeunesse. De plus, des interrogations sur le genre du sport persistent et cet espace reste

séparé en territoires sexuellement marqués. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’on

peut parler de féminisation du sport.

L’engagement des femmes dans la pratique sportive s’effectue de manière

spécifique4. Certains sports sont plébiscités, d’autres rejetés. Les pratiquantes se

répartissent prioritairement dans les activités jugées socialement et historiquement comme

féminines. Le choix des disciplines est « genré » et s’explique par une socialisation qui

développe des goûts sportifs conformes aux traditions. Ainsi, 92,8% des licenciés de

gymnastique volontaire sont des femmes et 96,8% des licenciés de football sont des

hommes. Alors que les hommes et les femmes s’exercent quasiment autant au sport

(licencié ou non), la répartition sexuée est inégale. Bien qu’il n’existe plus de disciplines

unisexes, les normes de genre poussent les femmes à pratiquer des sports à connotation

féminine et les hommes à pratiquer des sports à connotation masculine.

1 Terret Thierry, op. cit. , p. 373. 2 Terret Thierry, « Les femmes et le sport de 1945 à nos jours », in Philippe Tétart (dir), op. cit. , p. 287. 3 Ibid. , p. 293. 4 Ibid. , p. 301-302.

16

Ce passage par l’histoire a permis de montrer la progressive intégration des

femmes au milieu sportif. Les représentations de genre sont constamment activées pour

justifier l’incompatibilité du couple « femmes et sport ». Au cours du temps, l’évolution du

rapport homme-femme permet de réduire les inégalités entre les sexes et cette tendance se

retrouve dans le champ sportif. L’heure n’est plus à l’exclusion pure et simple. Cependant,

les progrès restent limités. Le rejet laisse place à la séparation. Les sportifs-ives se

répartissent selon leur sexe parmi les disciplines et l’on observe des sports soit

masculinisés, soit féminisés. Le clivage se réalise également au sein des disciplines où

femmes et hommes pratiquent de manière isolée. Dans les deux cas, les différences

naturelles entre les hommes et les femmes sont convoquées pour expliquer la division.

Parce qu’il naturalise la séparation des sexes, le sport est un élément qui construit le genre.

2. Différences de sexe, différences de genre

Pour être quantitativement équivalents, les engagements sportifs des hommes et

des femmes ne sont pas similaires. Outre l’inégale répartition dans les disciplines, les

conditions de réalisation de ces pratiques diffèrent.

Ainsi, le temps de pratique est plus important pour un homme. Il s’y consacre en

moyenne 14 minutes par jour contre 6 minutes pour une femme1. Celles-ci pratiquent

plus à domicile (26% contre 19%), et lorsqu’il faut quitter l’habitation pour s’exercer, elles

privilégient les espaces fermés quand leurs homologues affectionnent les espaces ouverts2.

Par ailleurs, plus de Françaises ont une pratique non licenciée (6 contre 5 sur 10) et les

Français sont plus nombreux à détenir une licence (2.5 contre 1 sur 10). Quand la

pratique est institutionnalisée, les secteurs attirent inégalement la population féminine :

30% des membres des fédérations unisport (olympiques ou non) sont des femmes et le

chiffre monte à 51% pour les fédérations multisports. La pratique codifiée, encadrée et

structurée, qui fait le plus référence au sport traditionnel, reste un univers à dominance

masculine. Cet élément est d’autant plus marqué que la pratique est compétitive : 10% des

femmes et 26% des hommes font du sport en compétition3. En ce qui concerne les

disciplines, elles s’exercent surtout aux différentes formes de gymnastique ou de danse, à

la natation ou à la marche à pied quand ils optent pour le vélo, le tennis ou encore le

football. Globalement, le « pratiquer masculin » engage technique, entraînement,

performance et collectif alors que ludique, entretien physique, relationnel et individuel

1 Insee, enquête emploi du temps 2009-2010, Insee.fr. 2 Davisse Annick, Louveau Catherine, Sport, Ecole, Société : La différence des sexes, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 46. 3 Insee, op. cit.

17

sont les modalités du pratiquer féminin. On retrouve une tendance au sport pour eux et au

corps pour elles1.

Ces différences sexuelles nous indiquent les contours de la masculinité et la

féminité dans notre culture actuelle. Les goûts et les pratiques préférentielles des hommes

et des femmes témoignent de leur rapport au monde. Les premiers choisissent des sports

qui nécessitent souvent des apprentissages techniques spécifiques, des terrains, des

adversaires et/ou des partenaires, du matériel pendant que les secondes adoptent des

pratiques surtout centrées sur l’entretien ou l’esthétisation corporelle qui ne requièrent de

sophistication matérielle ou technique. Ces attributs que l’on attache à chacun des sexes

sont devenus leur « nature »2. Les choix de pratique valident ces modèles et les goûts en

matière de sport ne les débordent guère.

L’opposition entre la nature féminine et la culture masculine peut être mise en relief

si l’on s’intéresse aux formes des pratiques. Celles qui engagement l’expression corporelle

sont le symbole de la féminité. Elles ont pour principe de masquer le travail physique et

technique éprouvant du corps pour donner à voir sa dimension naturelle3. A l’opposé, on

retrouve les sports mécaniques ou les différents sports de tir qui nécessitent la maitrise de

matériel et d’objets complexes. L’apprentissage des techniques utiles à ces disciplines est

éminemment culturel et donc associé au masculin. L’opposition entre les critères de

masculinité et les critères de féminité se donnent également à voir au sein d’une même

pratique. En s’intéressant aux cours de gymnastique, Nicole Dechavanne4 montre que

chaque sexe fait un usage différent d’une pratique conçue de manière unique. Hommes et

femmes s’approprient différemment la pratique en se référent aux normes de genre.

Si l’on suit Pierre Bourdieu, cette distribution sexuée s’opère à chaque fois que le

corps est sollicité. Elle organise totalement les pratiques et les espaces, quels qu’ils soient.

La division des choses et des activités entre le masculin et le féminin s’inscrit dans un

système d’oppositions : haut/bas, dessus/dessous, devant/derrière, droit/courbe,

sec/humide, dur/mou, dehors/dedans. L’analyse que fait Pierre Bourdieu de la Maison

kabyle, ou monde renversé, montre que ces oppositions s'organisent par homologie avec

l'opposition du masculin (extérieur) et du féminin (intérieur). Ces représentations

organisent le monde social et s’appliquent aux mouvements des corps sexués : haut/bas

// monter/descendre, dehors/dedans // sortir/entrer. Le corps devient donc l’élément

1 Davisse Annick, Louveau Catherine, op. cit. , p. 50. 2 Ibid. , p. 54. 3 Pociello Christian, Les cultures sportives, Paris, PUF, 2005, p. 104. 4 Dechavanne Nicole, « La division sexuelle du travail gymnique », in Pociello Christian, Sport et société, Paris, Vigot, 1996, p. 249-259.

18

qui construit la différence biologique des sexes conformément aux principes d’une vision

symbolique du monde :

« La différence biologique des sexes, c'est-à-dire la différence entre les corps

masculins et féminins [...], peut ainsi apparaître comme la justification naturelle

de la différence socialement construite entre les genres. »1

Les différences sociales entre les sexes paraissent ainsi naturelles. Certes, elles

s’appuient sur des différences biologiques, mais celles-ci sont le résultat d’une vision

symbolique du monde et non de réalités. Cette vision est donc sociale. Elle construit la

différence anatomique qui se trouve au fondement du genre, donc de l’organisation des

rôles, du temps, des espaces et des pratiques

En tant que pratique corporelle, le sport est un espace où se renégocie la

distribution sexuée. Ainsi, la motricité masculine est « naturellement portée » vers le haut,

le dessus, le grand, le droit, le fort, l’actif et le centrifuge alors que la motricité féminine

est « naturellement portée » vers le bas et le dessous, le souple, le passif et le centripète2.

Les goûts en matière de sport détaillés plus haut reflètent ces tendances. Dans les

représentations comme dans les pratiques, dès qu’il s’agit de sport, les attributs de sexe

sont présents à la fois dans la façon d’investir l’espace mais aussi dans les modes

d’engagement corporels.

Les pratiques sportives sont donc sexuées. Elles sont le lieu de l’expression des

différences entre les hommes et les femmes :

Des disciplines choisies aux façons de s’y adonner, il y a des pratiques

physiques « de femmes » – en ce que les femmes les choisissent électivement,

les aiment, en rêvent – … pratiques qu’on dit « féminines » si ce n’est pas

« féminisantes », comme il y a des pratiques physiques et sportives

« d’hommes » – en ce que les hommes les choisissent électivement, les aiment,

en rêvent – … pratiques masculines »3.

Au regard de ces différences, il est possible d’établir une classification des

disciplines selon leur connotation sexuée. A chaque extrême de ce qui pourrait être une

échelle sexuée des disciplines sportives, on trouverait les pratiques féminines et les

pratiques masculines. Les disciplines ne pouvant pas se classer dans l’une ou l’autre

catégorie se trouvent au centre de l’échelle et peuvent recevoir l’appellation « d’activité

neutre ». La répartition s’établit à partir de la motricité nécessaire (masculine ou féminine)

1 Bourdieu Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998, p. 16. 2 Davisse Annick, Louveau Catherine, op. cit. , p. 56. 3 Ibid. , p. 57.

19

dans les différents sports. La distribution des sportifs et des sportives dans les pratiques

institutionnalisées sert également d’indice pour définir la masculinité ou la féminité des

disciplines. Cet élément reste à nuancer car l’insertion des femmes dans l’institution

sportive est plus ou moins achevée selon les fédérations. Il sera quand même pris en

compte au regard de la constance des chiffres actuels (2011) avec ceux de 1994.

Grâce à ces différents outils de classification des disciplines, Catherine Louveau

identifie cinq familles de fédérations selon leur degré de féminisation1 : les disciplines

largement féminisées ; celles moyennement féminisées mais dont les effectifs féminins ont

progressé ; celles moyennement féminisées mais dont les effectifs féminins stagnent ;

celles peu féminisées mais dont les effectifs féminins ont progressé ; celles qui sont

timidement voire nullement féminisées.

Dans la première catégorie, celle des sports les plus féminisés, on trouve la

gymnastique, la danse, le twirling bâton ou les sports équestres. Au moins trois quarts des

pratiquants sont des femmes dans ces disciplines. Elles sont les premières à avoir accepté

l’entrée des femmes quand la plupart leur étaient interdites. Elles mettent en jeu la grâce,

l’esthétique et l’harmonie corporelle, parfois sur un fond musical. Peu nombreux sont les

hommes dans ces fédérations.

La seconde famille regroupe certains sports collectifs comme le basket-ball, le

volley-ball ou le handball mais également l’athlétisme ou la natation. Si cette dernière est

ouverte aux femmes dès son institutionnalisation, on ne saurait en dire autant des sports

d’équipe pour lesquels la féminisation a été plus tardive. Ces disciplines ont le point

commun d’être fondamentales en EPS (Education Physique et Sportive). Les filles se

familiarisent donc plus facilement avec celles-ci. De plus, elles se pratiquent en intérieur,

sur de petits terrains, les contacts y sont en principe prohibés et l’échange entre

partenaires y est primordial. En ce que ces éléments renvoient à la pratique féminine, les

sportives rejoignent ces activités de manière privilégiée. De son côté, l’athlétisme est

symbolique en ce qui concerne la progression des effectifs féminins. Absolument fermées

aux sportives en début de siècle, les épreuves athlétiques sont totalement ouvertes

aujourd’hui. En passant de l’immoralité à la normalité, l’athlétisme féminin met en

évidence le poids des représentations dans la détermination sexuée des disciplines.

D’autres fédérations sont moyennement féminisées mais la progressions des

effectifs est quasi-nulle. On y trouve le tennis, le ski, ou bien le golf. A l’origine élitistes, et

toujours qualifiées de « snob », ces pratiques ont été investies conjointement par les

1 Ibid. , p. 60.

20

hommes et les femmes. Cette intégration commune s’explique par le statut des disciplines

en question. Au début du siècle, ces activités font partie des modes de vie des élites. Plus

que des sports, elles sont des loisirs mondains. L’inscription sociale de ces pratiques est

une condition suffisante pour que les femmes puissent s’y aventurer. D’autant plus que les

caractéristiques de ces exercices (extérieur, instrumentalisation, duel) ne sont pas

traditionnellement familières des femmes.

Certaines fédérations peu féminisées voient leur nombre de pratiquantes

augmenter. On y trouve des activités nautiques (voile, aviron, canoë-kayak, ski nautique)

ou encore le tir à l’arc, l’escrime et le judo. Il y a trente ans, ramer, se battre ou tenir une

arme étaient des gestes plus masculins. L’instauration tardive des épreuves féminines aux

jeux olympiques – par rapport aux épreuves masculines – est un point commun à ces

disciplines. Ainsi les femmes pratiquent le judo, le tir à l’arc et l’aviron aux olympiades

respectivement 28, 72 et 80 ans après les hommes. On peut dire que ces activités sont en

cours de féminisation. Aujourd’hui, entre un quart et un tiers des effectifs sont féminins.

Quelques disciplines restent essentiellement pratiquées par des hommes. Parmi

elles, les pratiques de forte implantation régionale (pelote basque, courses landaises,

joutes), des sports pratiqués de longue date (football, rugby, cyclisme, boxe) ou les

activités plus récentes (surf, motocyclisme). Toutes ont le point commun d’être

aujourd’hui des territoires de la masculinité. Pour des raisons « naturelles et

physiologiques évidentes », ces sports de contact sont fermés aux femmes. Bien qu’ils

soient la conséquence de représentations, ces arguments sont suffisamment implantés

pour justifier l’impossible pratique des femmes dans ces disciplines. L’intégration des

femmes est souvent résumée à un contrôle de la féminité ou à une adaptation des

pratiques à la féminité1 (boxe « soft » plutôt que boxe « hard »).

Cette catégorisation est valable à un instant précis et repose sur des

représentations. L’histoire montre qu’elles évoluent. Par conséquent, la définition sexuée

des sports est amenée à changer. L’implantation historique des activités physiques pèse

également dans la classification. La façon dont les pionniers des disciplines s’en saisissent

et les façonnent augure des représentations à leur égard. Pour établir ces familles, l’intérêt

est porté vers les disciplines. Cependant, dans chacune d’elles, on retrouve un nouveau

classement sexué des modalités de pratique. Dans un sport féminisé comme la natation, il

existe une séparation sexuée entre la natation synchronisée (plutôt féminine) et le water-

polo (plutôt masculin). Les représentations qui font correspondre les sports à l’un ou

l’autre sexe sont particulièrement marquées si l’on se rapproche des extrémités de l’échelle 1 Mennesson Christine, Etre une femme dans le monde des hommes, Paris, L’Harmattan, 2005.

21

du genre. Elles expliquent l’inégale répartition des hommes et des femmes dans les

disciplines ainsi que leur difficulté à intégrer une activité « de l’autre sexe ».

Le rôle de la socialisation

Bien que les imaginaires évoluent, il y a une reproduction permanente des

stéréotypes de genre en matière de sport. C’est lors de la socialisation que les

représentations sont transmises aux individus. Erving Goffman rappelle qu’ils vont

bénéficier ou souffrir d’attentes différentes selon leur sexe1. L’engagement dans les

pratiques sportives sera donc conditionné par ces attentes. La répartition sexuée se rejoue

à nouveau. L’intérêt de Christine Mennesson pour les sportives qui choisissent des

disciplines masculines vient confirmer l’importance de la socialisation. Elle montre

effectivement que l’expérience de ces femmes conforte l’hypothèse d’une socialisation

sexuée « inversée ». Sans écarter l’hétérogénéité des cas, plusieurs éléments sont communs

chez ces pratiquantes. Les configurations familiales (position dans la fratrie, fille seule

parmi ses frères), les interactions enfantines (privilégiées avec les garçons), l’identification

au « garçon manqué » (de la jeune fille elle-même et des parents vers leur enfant), sont

autant d’éléments qui marquent la socialisation des footballeuses, boxeuses ou

haltérophiles. Le choix sexué des pratiques tient en partie au processus d’intégration des

normes sociales. Le fait d’être un homme ou une femme ne définit en rien le choix des

disciplines. Par ailleurs, une fois les disciplines choisies, le sport peut, à son tour,

intervenir en tant que sphère de socialisation. Michael Messner montre que dans un

certain nombre de sports organisés où les garçons et les hommes se retrouvent, la

violence et la compétition sont valorisées, tandis que la féminité est utilisée comme

repoussoir2. Ces espaces participent donc à la construction de la masculinité.

Qu’elle soit la conséquence de la socialisation ou qu’elle soit renforcée dans les

espaces sportifs, la répartition des individus dans les disciplines selon leur sexe est le

produit de représentations. Des constructions sociales s’appuyant sur l’implantation socio-

historiques des disciplines servent de base à la connotation sexuée des différentes

pratiques physiques. Dans le champ sportif, l’inégale répartition des sexes n’est donc pas

une conséquence de la « nature », mais prend forme à travers la culture. Au regard de cette

répartition, des politiques sportives de réductions des inégalités sont mises en place. L’une

d’entre elles vise le mélange des sexes dans le milieu sportif. Alors que la mixité était

1 Goffman Erving, L’arrangement des sexes, Paris, La Dispute, 2002, p. 47. 2 Messner Michael, Power at play: sport and the problem of masculinity, Boston, Beacon Press, 1992, cité par Bereni Laure, Chauvin Sébastien, Jaunait Alexandre, Revillard Anne, op. cit. , p. 104.

22

impensable aux débuts du sport moderne, on la retrouve largement promue aujourd’hui.

Cette orientation n’est pas exclusive au milieu sportif. Avant de s’intéresser à ce domaine

plus précisément, une analyse générale de la notion de mixité est nécessaire.

3. Mixité : une notion complexe

Omniprésent dans les champs politique, médiatique, de la recherche, ou dans le

langage courant, le terme mixité est dans les temps. Ces discours ne sont pourtant pas

uniformes. D’une part, le mot mixité n’a pas toujours la même signification et il est

difficile de s’accorder sur une définition commune à tous les contextes d’utilisation. Celles

que proposent les dictionnaires ne sont pas pour autant représentatives de l’usage

(pratique et théorique) de la notion de mixité. En ce sens, dans le cadre d’une réflexion

sociologique, il est important de différencier l’aspect didactique du terme et l’emploi qui

en est fait. D’autre part, le vocable mixité se déploie sur des terrains variés, s’y déclinant à

profusion1. La mixité se réfère parfois à la coprésence d’hommes et de femmes dans un

espace, au brassage d’élèves provenant de classes sociales différentes, à la cohabitation de

populations d’origine ethnique ou sociale différentes, ou caractérise les couples dont les

membres diffèrent du point de vue de leur appartenance nationale, culturelle ou religieuse.

Le dictionnaire peut malgré tout constituer un point de départ dans l’analyse de la

mixité. Cette notion se définit alors comme le caractère de ce qui est mixte, à savoir « ce

qui est formé d’éléments de nature ou d’origine différentes ». Cependant, la mixité ne se

résume pas à cette simple observation et il est intéressant de se pencher sur les réalités

sociales qu’elle provoque. C’est à cet objectif que s’attachent Beate Collet et Claudine

Philippe. Elles insistent sur la transversalité en interrogeant les significations sous-jacentes

du terme mixité. Ce livre servira de référence principale pour la définition du concept. Il

s’agit donc de dépasser le statut de mot-valise que peut revêtir le vocable que l’on emploie

pour évoquer des réalités bien différentes. Selon ces auteures, lorsque l’on s’intéresse à la

mixité, l’enjeu n’est pas de constater ou dénoncer sa présence ou son absence. Le but est

de dévoiler les enjeux des constructions sociales que la coprésence d’éléments différents

implique, ainsi que d’analyser les rapports de domination spécifique à l’œuvre.

La mixité en faveur l’égalité

Le point de départ de l’intérêt pour la mixité est politique. Sa mise en œuvre entre

dans le cadre du projet d’égalité qui caractérise l’idéal démocratique. Beate Collet et

1 Beate Collet et Claudine Philippe, MixitéS, variation autour d’une notion transversale, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 9.

23

Claudine Philippe dénoncent l’utilisation de la mixité comme simple idéal. Cette posture

empêche le développement d’un rapport entre les valeurs démocratiques et les réalités

sociales qui les caractérisent. Or, dans les politiques menées, on observe la formulation

d’un raccourci naturel entre le fait de mélanger des populations différentes et l’accès à l’égalité.

La mixité est parfois pensée comme une mise en œuvre de l’égalité. En transposant cette

vision dans le champ d’intérêt, on peut se demander si le mélange des sexes dans le sport

participe de l’égalité homme-femme.

Comme le montre Patrick Savidan1, deux points de vue peuvent êtres adoptés

lorsque l’on cherche l’égalité : atténuer la différence entre les individus ou bien l’accentuer.

La première solution, qui vise à l’unité du genre humain, a été acquise sur le temps long de

l’histoire et consiste à réduire l’altérité pour constituer un préalable à l’égalisation. La

seconde est plus récente et implique d’accroître la différence. Le but est d’instaurer une

égalité dans la différence. Deux raisons permettent d’expliquer ce choix : aller plus loin

dans l’instauration de l’égalité, qui ne serait alors plus simplement décrétée ; éviter que

l’égalisation ne dissimule une négation des différences pourtant existantes dans les

rapports sociaux. Beate Collet et Claudine Philippe se demandent si le succès de la mixité

n’est pas une spécificité Française qui serait

« L’expression du rapport tout à fait particulier que la conception nationale

française établit avec la reconnaissance des différences : une forte exigence

d’indifférenciation. S’agirait-il d’un idéal politique fortement chargé justement

parce que l’idéal républicain a tant de mal à venir à bout des inégalités

sociales ? »

Cette exigence d’indifférenciation peut être approfondie en se penchant sur un

débat qui s’est déroulé au cours des années 1990. Déclencheur de toute la politique pour

la mixité que l’on observe actuellement, il a débouché sur une première règlementation

d’une forme de mixité : la parité en politique.

L’exemple de la parité

A cette période, la réflexion sur la parité est impulsée par différentes autorités

internationales qui ont déjà légiféré sur l’égalité des sexes. Ainsi, l’ONU adopte en 1979 la

CEDAW (Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes). Cet

engagement s’applique à tous les domaines et incite les Etats à prendre des mesures

1 Savidan Patrick, « La justification des mixités : un problème politique ou moral ? » À partir d'un point de vue philosophique, Informations sociales, n° 125, 2005, p. 16-27.

24

temporaires pour améliorer la place des femmes dans la représentation politique1. Cet

objectif sera reformulé en 1995 lors de la quatrième Conférence mondiale des femmes à

Pékin. Des réflexions ont aussi lieu au niveau de l’Union européenne qui, en 1996, prend

officiellement position pour la prise de mesures législatives permettant de promouvoir la

participation équilibrée des hommes et des femmes aux processus de décision2. En

France, différents mouvements (féministes ou non) se sont saisis de ces injonctions pour

faire émerger un débat sur la place des femmes dans les pouvoirs de décision politique. La

revendication aura rapidement pour forme la parité, à savoir l’égalité numérique des sexes

dans les instances de décision.

Cependant, cette volonté va se heurter à certaines spécificités françaises. Parmi-

elles l’universalisme républicain. Initié lors de la révolution de 1789, il garantit l’égalité de

tous devant la loi. Il se fonde sur une définition du politique qui fait de l’individu abstrait

le représentant des citoyens et de la nation. Il repose également sur l’idée que tous les

citoyens, quelle que soit leur origine (et leur sexe), doivent se conformer à un modèle

unique afin d’être considérés comme tout à fait français3. La parité va à l’encontre de cette

valeur étant donné qu’elle tient à différencier les individus selon leur sexe. S’observe alors

un dilemme entre l’égalité et la différence : l’inclusion d’une population spécifique entrave

le principe de l’universalité de l’individu. Comment faire abstraction de la différence tout

en favorisant un type d’individu en particulier ? La différence qu’incarnent les femmes

doit-elle être reconnue4 ? Du côté des partisans de la parité, l’universalisme n’est pas

systématiquement un modèle à oublier. Il faut reconnaître l’individu abstrait comme étant

sexué, de sorte qu’il intègre les femmes. Celles-ci ne doivent donc plus se configurer à une

figure neutre historiquement masculine. Le propos d’origine proposait de reconnaître la

différence anatomique des sexes (concrète) et de se débarrasser de la signification symbolique

de la différence des sexes (abstraite). De cette manière, le genre, à savoir les différences

sociales entre les hommes et les femmes, est mis de côté.

La parité avait pour objectif global l’égalité des sexes mais était aussi un moyen

d’améliorer le système démocratique français. L’idée du bien commun de la nation, par le

renforcement d’un principe républicain, s’est vue renforcé avec la mise en opposition des

conceptions « française » et « américaine » de la représentation politique. Les pratiques

transatlantiques parfois revendiquées (en faveur de la représentation des intérêts

spécifiques d’un groupe) ont été perçues comme des tentatives de changer les fondements

1 Article 7 de la CEDAW. 2 Recommandation du 2 décembre 1996 (96/694/CE). 3 Scott Joan W., Parité! , Paris, Albin Michel, 2005, p. 7. 4 Ibid. , p. 14.

25

du système politique national. L’universalisme « à la française » a pesé dans les débats

puisque l’on a confirmé l’approche selon laquelle les figures politiques élues représentent

la nation dans son ensemble1. Le communautarisme est donc exclu de la conception

politique française.

Malgré des injonctions communes et similaires de la part des organisations

internationales, les états n’adoptent pas les mêmes réformes pour favoriser l’égalité des

sexes dans les autorités de décision. Chacun d’entre eux, eu égard à ses traditions

politiques et modèles à ses modèle de société, a adopté des règles différentes pour le

même objectif. En France le poids du discours universaliste a été particulièrement

responsable des revendications et des orientations choisies.

Le cas de la parité a fait émerger deux approches différentes dans la mise en place

de l’égalité. Le débat autour de la notion de mixité est également marqué par une nécessité

de se positionner par rapport à la différence.

Faut-il différencier ?

Nous avons donc vu que le modèle français a pour tradition de ne pas prendre en

compte les différences. Pourtant, bien qu’à la mode, l’emploi du terme mixité met en

évidence une volonté de ne pas « invisibiliser » les différences puisqu’on fait la démarche

d’assembler deux éléments qui sont différents. Comment peut-on égaliser deux parties

que l’on oppose ? Deux cas de figure apparaissent dans la mise en place de la mixité.

L’enjeu devient l’absence de hiérarchie entre les deux entités. A partir des rapports de

genre, Irène Théry envisage la mixité non pas comme un raisonnement en terme de

complémentarité (premier cas) mais comme une articulation négociée par les deux sexes

(second cas). La première situation est la plus courante aujourd’hui : Il s’agit de partir

d’identités sexuées bien distinctes et complémentaires qui placent les femmes en situation

de dominées. Cependant, « l’égalité sans revendication de la différence ne crée pas un

monde mixte, mais un monde qui propose aux femmes d’oublier qu’elles le sont ». Une

mixité « égalitaire » aurait pour principe de créer un nouvel arrangement des sexes, en

référence à la théorie de Goffman2, soit « une nouvelle articulation des sphères sociales

dans la perspective d’un nouveau commerce entre les sexes, tant sur le plan de la civilité

que de l’égalité ». L’enjeu repose sur l’établissement d’une égalité des statuts des

différences qui aujourd’hui, à cause de l’héritage des constructions sociales successives,

1 Raevaara Eeva, « Les débats sur les quotas en Finlande et sur la parité en France : Des politiques du changement ? », Les cahiers du genre, n°47, 2009, p. 185. 2 Goffman Erving, op. cit.

26

établit un rapport de domination. Une réflexion qui attribue aux facteurs formant le mixte

un statut équivalent permet de penser la mixité comme un rapprochement et non comme

une séparation. Mixité engage l’idée de remettre en cause les attributions sexuées, sociales

et culturelles héritées.

Ces éléments sont à transférer dans l’usage politique du terme mixité. En effet, le

sens de la notion (au-delà de la coprésence d’éléments hétérogènes) est occulté et l’on

tend à croire que seul l’effet de nombre ou de mélange garantirait la mixité. L’absence de

nuance dans son utilisation a pour conséquence de laisser de côté d’autres notions comme

discrimination ou inégalité, pourtant inévitables lorsque l’on parle de mixité. De fait, en

utilisant cette notion avec évidence, on oublie les effets pervers de la mixité dans certains

espaces. Que ce soit à l’école, où la mixité des sexes n’existe pas réellement1, ou dans le

monde du travail2, qui laisse entrevoir des inégalités femmes-hommes, la mixité ne va pas

de soi. Ces difficultés sont également observables dans un domaine qui nous intéressera

particulièrement par la suite, le sport.

La mixité au sens large

Le fait que la mixité s’inscrit dans des champs variés a déjà été souligné. Par

conséquent, dès lors que l’on s’y intéresse, la tendance est à se limiter au champ investis.

Les auteures de l’ouvrage référence appellent à concevoir la notion

« Dans sa transversalité, au delà des spécialisations thématiques, en combinant

les diverses différenciations sociales : sexuées, sociales, culturelles mais aussi

générationnelles ; car aucune de ces dimensions n’existe indépendamment des

autres ».

Ces propos indiquent qu’il faut envisager la mixité de manière identique quel que

soit son domaine d’implication et s’intéresser à toutes les mixités quand on aborde un

domaine particulier. Pour illustrer ces propos, l’élément central de ce travail, la mixité des

sexes, peut être utilisé. Il est inévitable que d’autres critères soient prépondérants dans la

représentation de l’ordre sexué. Ces manières de penser le rapport entre les sexes peut

varier selon les générations, les cultures ou bien les religions. A ce sujet, Pierre Bourdieu3

indique que les propriétés de sexe sont indissociables des propriétés de classe et qu’il

existe autant de façons de penser les rapports de sexe qu’il y a de classes sociales. L’intérêt

porté à la mixité des sexes ne doit pas exclure les autres mixités, qu’elles soient sociales,

religieuses ou culturelles. La variable « sexe » ne doit pas être celle qui explique ou permet

1 Durut-Bellat Marie, « La mixité a aussi un prix », Ville Ecole Intégration, Diversité, n°165, 2011, p. 95-99. 2 Cardia-Vonèche Laura, Gonik Viviane et Bastard Benoit, op. cit. 3 Bourdieu Pierre, op. cit.

27

de comprendre systématiquement ce qui se joue dans l’espace social. Cet exemple montre

qu’au sein même d’un champ, d’autres mixités émergent inévitablement. L’objet de ce

travail ne sera cependant pas la mixité. En effet le but est d’analyser les rapports de genre

au regard de la mixité et non l’inverse. C’est pour cette raison que la mixité des sexes sera

étudiée de façon isolée par rapport aux autres mixités qui n’interviendront qu’en cas de

nécessité. Il faut malgré tout les considérer pour ne pas passer à côté de la réalité du

champ principal. Pour poursuivre, il est possible de citer Colette Guillaumin1, qui propose

de penser ensemble toutes les formes de naturalisation de sexe, de race ou bien de classe.

Cette démarche révèle que dans toutes les différences qui sont établies, on retrouve un

même processus d’assignation. En effet, les différences sont construites et attribuées en

plaçant la dimension naturelle comme essentielle. L’étude commune des mixités pourra

malgré tout faire émerger des nuances dans le processus de naturalisation, avec des degrés

variables. Il est possible que les appartenances sexuées s’imposent avec plus de force étant

donné qu’elles sont conçues de manière bipolaire. L’approche interactionniste renforce

l’exception de la mixité des sexes qui se construit

« Contre le principe de sociétés clivées, où les différences entre les individus

sont analysées et socialement traitées à partir d’une appartenance à une

catégorie sociale2. »

Les rapports de sexe ne révèlent pas les mêmes mécanismes que les autres formes

de domination. En effet, femmes et hommes vivent dans les mêmes lieux et partagent (en

tant que dominées pour les femmes, et dominant pour les hommes) les formes et les

effets des ségrégations spatiale et sociales. Les femmes sont donc soumises aux effets de

la domination qui affectent les rapports de classe ainsi que ceux qui modifient les rapports

sociaux de sexe.

Beate Collet et Claudine Philippe achèvent leur propos en établissant un

programme de recherche sur la mixité. Il s’agit selon elles

« D’étudier les formes concrètes, les conséquences et l’incidence spécifique de

la coprésence d’hommes et de femmes, d’étrangers et de nationaux, de

personnes d’origine culturelle, de génération ou de classe différente, etc., dans

les différents segments de la société (famille, travail, école, voisinage) ou dans

l’ensemble de la société, par rapport à un cadre politique qui prône

l’indifférenciation. »

1 Colette Guillaumin, op. cit. 2 Zaidman Claude, « La mixité sexuelle, l’exemple de l’école », in Beate Collet et Claudine Philippe, op. cit. , pp. 15-39.

28

Si l’on adapte cette orientation au champ de recherche en question, il s’agit

d’étudier les différentes politiques de mixité et leurs conséquences dans le champ sportif,

compte tenu de l’exigence d’indifférenciation de ces politiques. Avant d’en analyser le

contenu à proprement dit, il faut s’intéresser à la façon dont elles prennent forme et à leur

mode de transmission vers le terrain.

4. Action publique : forme et généralités

Les politiques publiques sont désormais omniprésentes depuis les années 1950.

L’industrialisation des sociétés occidentales a entraîné des bouleversements sociaux et ces

actions de la part de l’Etat visent à mettre en place des moyens de régulation sociale. Une

politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale

dans un secteur de la société ou un espace géographique1. Cependant, il est difficile de

savoir à partir de quel moment on est en présence de politiques publiques. Les cinq

éléments suivant permettent d’en fonder l’existence2.

Une politique est constituée d’un ensemble de mesures concrètes. Elle comprend

des décisions explicites (lois) ou latentes par la définition de critères d’accès aux droits.

Elle s’inscrit dans un cadre général d’action, ce qui la distingue des mesures isolées. Une

politique publique vise un public qui, par conséquent, se voit affecté. Enfin, elle définit

des objectifs à atteindre. Une politique publique est donc quelque chose qui se construit.

Charles O. Jones propose une séquence d’actions en cinq étapes pour la

construction des politiques publiques3. L’identification du problème vise à définir les

enjeux et les intérêts d’une politique. Le développement du programme est la phase de

traitement du problème où l’on définit les méthodes à employer. La mise en œuvre du

programme est la phase d’application des décisions (organisation des moyens à mettre en

œuvre, interprétation des directives). L’évaluation du programme met en perspective les

résultats. A cette étape, il faut spécifier les critères de jugement, la mesure des données, les

analyser et formuler des recommandations. La terminaison du programme clôt l’action ou

en met une nouvelle en place. Elle suppose la résolution du problème. Cette grille

séquentielle permet de regrouper de manière cohérente les multiples facettes de l’action

publique mais n’est pas applicable de manière systématique.

1 Mény Yves, Thoenig Jean-Claude, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989, cité par Muller Pierre, Les politiques publiques, Paris, PUF, 2008, p. 22. 2 Ibid. , p. 22-24. 3 O. Jones Charles, An introduction to the study of public policy, Belmont Duxbury Press, 1970, cité par Muller Pierre, op. cit. , p. 24.

29

Avant d’engager une réflexion sur la conception de politiques publiques, il faut

donc qu’il y ait un problème à régler. A partir de quand un problème social fait l’objet

d’une politique ? Dans une société donnée, tout problème est susceptible de devenir

politique1. Ce n’est qu’à partir d’un certain seuil d’intensité que le problème sera pris en

charge par le gouvernement. L’intensification du problème n’est pas forcément l’élément

déclencheur d’actions sociales. En revanche, la prise de décision est liée à une

transformation de la perception des problèmes. Un problème politique est nécessairement

un construit social qui dépend de la société et du système politique concernés. Si l’on relie

ces observations au thème de cette recherche, on se rend compte que les rapports sociaux

de sexe sont désormais perçus comme un problème. Bien que l’inégalité qui les caractérise

existe depuis longtemps, le contexte (mouvements féministes, remise en cause du

patriarcat) a permis la prise en compte de ce problème par les gouvernements. La loi sur

la parité est le symbole de l’intérêt politique pour l’égalité homme-femme. Cette question

est devenue sensible aux yeux de la société – donc du gouvernement – et les politiques

publiques prennent désormais en charge la question de l’égalité des sexes. L’une des

solutions pour parvenir à cet objectif est la mixité. Il faudra donc étudier l’existence, la

conception et la mise en place de cette politique dans le champ sportif.

Pour analyser une politique, trois questions principales doivent se poser2. La

première met l’accent sur leur genèse : comment naissent et se transforment les politiques

publiques ? Cette question suppose de justifier les choix politiques. Dans les

organisations, il est nécessaire de faire la preuve du bien fondé des actions menées. Luc

Boltanski et Laurent Thévenot font l’hypothèse que les acteurs sont conduits à prendre

appui sur un nombre restreint de référents généraux qui sont des principes de

justification3. Ceux-ci peuvent être utilisés aussi bien pour justifier une action que pour la

critiquer ou en dénoncer l’injustice. Six principes cohabitent : Le premier, celui de

l’inspiration, repose sur l’inventivité, l’imagination et la spontanéité. Le principe

domestique prend appui sur la tradition et la confiance construite au cours du temps.

Celui du renom est fondé sur la reconnaissance du plus grand nombre et le crédit accordé

par l’opinion. Le principe civique est orienté vers l’intérêt général et la solidarité. Le

principe marchand est incarné par la concurrence et l’harmonie de l’offre et de la

demande. Le dernier, industriel, repose sur l’efficacité, la productivité et la prévisibilité. La

deuxième question permettant d’étudier les politiques publiques se focalise sur les

1 Muller Pierre, op. cit. , p. 28. 2 Ibid. , p. 88-89. 3 Boltanski Luc et Thévenot Laurent, De la justification, Paris, Gallimard, 1992, cité par Lafaye Claudette, La sociologie des organisations, Paris, Nathan, 1996, p. 90-91.

30

mécanismes de leur mise en place : comment fonctionne le système d’action concret à

travers lequel est élaboré et mise en œuvre une politique publique? La notion de système

d’action concret désigne le jeu à la fois structuré et mouvant des relations de pouvoir qui

s’établissent dans les rapports sociaux1. Les jeux structurés auxquels participent les acteurs

sociaux sont déterminés par des règles. Cependant, ces derniers peuvent aussi

conditionner ces règles selon leurs stratégies. L’organisation peut être un cadre nécessaire

mais la façon dont les acteurs s’en accommodent détermine le système d’action concret.

Le travail du chercheur consiste à remplir cette coquille en analysant les stratégies des

acteurs. La troisième pose la question de leurs effets sur la société : en quoi la politique

publique a modifié le tissus social qu’elle cherchait à affecter et dans quelles mesures ces

effets sont conformes aux attentes des décideurs ? Ces trois questions seront abordées

dans ce travail. La première a été, en partie, traitée. Les raisons de la mise en place de la

mixité dans la société en général ont été évoquées et les réalités du champ sportif seront

abordées en deuxième partie. Les acteurs qui interviennent dans la mise en place de la

mixité dans le champ sportif ont été cités. Ce système sera détaillé au moment de

présenter la méthode. Les effets des politiques constituent l’intérêt central de ce travail. Ils

seront exposés grâce aux entretiens réalisés avec les acteurs qui relaient les politiques de

mixité dans le sport et ceux qui les mettent en place.

L’adhésion des acteurs aux politiques est donc l’un des éléments à considérer dans

l’étude des politiques publiques. Leurs stratégies déterminent la façon dont elles prennent

forme. En effet, il doit y avoir une cohérence entre ceux qui conçoivent les actions et

ceux qui les mettent en place. Il faut tenir compte des intérêts de chacun des acteurs à

développer les programmes. La théorie du choix rationnel entre alors en jeu. Ce concept

développé par Max Weber2 montre qu’il n’existe pas une seule rationalité valable pour

chaque situation. Rien n’est irrationnel en soi. La rationalité consiste à expliquer les actes

des acteurs en « adoptant » leur point du vue. Bien que certains comportements paraissent

irrationnels au regard du chercheur, ils sont souvent très censés pour leurs auteurs. Le

manque d’information à propos des individus en question peut expliquer

l’incompréhension de leurs actes. En termes wébériens, la rationalité n’obéit pas

simplement à la raison, par opposition aux passions. Elle renvoie à l’idée de la cohérence

des actes. Selon Max Weber, il n’existe pas une infinité de rationalités. On trouve la

rationalité de finalité (Zweckrationalität) et la rationalité de valeur (Wertrationalität). La

première cherche à utiliser les meilleurs moyens pour parvenir à un but. La question n’est

1 Lafaye Claudette, op. cit. , p. 48-49. 2 Guinchard Jean-Jacques, Max Weber, vie, œuvre, concepts, Ellipses, Paris, 2006, p. 88-90.

31

pas de savoir s’ils sont bon moralement ou louables dans leur principe. La seconde

détermine la conduite à partir de principes moraux. Pour ceux qui les choisissent, ces

actes tirent leur valeur dans la fidélité aux principes suivis par les acteurs. Ils ne se

distinguent pas par leur efficacité mais par leur signification symbolique. Au regard des

deux principes mis en jeu, le conflit entre les rationalités est inévitable. Pour Max Weber,

ces deux logiques sont régies par deux éthiques antagonistes. La première est caractérisée

par la responsabilité des acteurs. En cherchant un but précis, ils acceptent d’endosser les

conséquences de leurs actes. La seconde est marquée par conviction des acteurs. Cette

éthique les conduit à respecter certaines valeurs. L’analyse des politiques doit identifier la

posture adoptée par les acteurs afin de déterminer leur adhésion aux directives.

L’intérêt porté aux acteurs sociaux est une démarche centrale de l’individualisme

méthodologique. Ce paradigme considère que les phénomènes collectifs sont

compréhensibles seulement si l’on est en mesure de déterminer les raisons qui font agir

les individus. Ce courant pose que, dans les sciences sociales, pour comprendre un

phénomène collectif, il est nécessaire de s’intéresser aux comportements individuels des

acteurs, à leurs actions et aux motivations de celles-ci. Cette posture suppose qu’il existe

ensuite un principe permettant de comprendre comment les actions individuelles peuvent

donner un résultat collectif qui n’est pas voulu consciemment par les acteurs1. Raymond

Boudon nomme effets pervers « les effets individuels ou collectifs qui résultent de la

juxtaposition de comportements individuels sans être inclus dans les objectifs des

acteurs »2. Plusieurs cas de figure se présentent. Les acteurs peuvent réaliser ou non leur

objectif, produire des biens ou des maux collectifs qui s’appliquent à certains ou à la

totalité des sociétaires. Si les acteurs sociaux agissent par intérêt, il est donc possible que la

somme des intérêts individuels ne conduise pas à la meilleure solution collective. La façon

dont les acteurs des politiques publiques se saisissent des décisions peut donc produire

des effets non désirés.

Le genre dans les politiques publiques

La mise en place de la mixité est l’une des mesures prônée par l’Etat visant l’égalité

des sexes. Les stratégies politiques déployées à cet effet sont nombreuses.

L’institutionnalisation du genre au sein de l’Etat correspond à ce que l’on nomme le

féminisme d’Etat3. Ce terme englobe les activités des instances gouvernementales étant

1 Vautier Claude, Raymond Boudon : Vie, œuvres, concept, Paris, Ellipses, 2002, p. 68. 2 Boudon Raymond, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1977, p. 10. 3 Dauphin Sandrine, « Action publique et rapports de genre », Revue de l’OFCE, n°114, 2010, p. 265-290.

32

officiellement responsables de la promotion et du droit des femmes. Les interventions de

l’Etat dans la société civile tentent de modifier les forces sociales dont la domination

masculine. Cependant, il ne faut pas considérer a priori que toutes les interventions

produisent une meilleure égalité.

Plusieurs politiques du genre existent. Celles qui visent à lutter contre les

discriminations et à favoriser l’égalité des sexes sont à développer pour ce travail car la

mixité répond à ces objectifs. Ces politiques se sont particulièrement développées en

France sous l’impulsion de l’Europe. Malgré l’importance des directives au niveau des

Etats, les mesures n’ont que peu d’impact sur les causes de la discrimination. Elles

n’apportent souvent qu’une égalité formelle entre les hommes et les femmes1. Pour

franchir le pas entre égalité formelle (considérée comme acquise) et égalité réelle, l’Etat

peut adopter des actions dites « positives »2. Ces mesures tiennent compte des inégalités

de situation entre les hommes et les femmes. Elles s’inscrivent dans une logique de

rattrapage (par rapport à la situation des hommes). A partir d’un constat d’inégalités, elles

ont une dimension réparatrice en apportant une aide temporaire aux femmes pour

combler l’écart avec les hommes. Cependant, ces actions positives peuvent entretenir le

modèle masculin alors conçu comme la norme. Malgré l’atteinte au modèle républicain –

ces mesures favorisent une population en particulier – la loi qui autorise ces actions a été

adoptée dans un grand consensus. Cependant, l’absence de contrainte et les réticences à

les mettre en œuvre de la part du système, des hommes ou bien des femmes expliquent la

faiblesse de leur mise en œuvre.

Une autre manière de lutter contre les inégalités – le gender mainstreaming – a été

promue dans les années 19903. Alors que l’action positive est une mesure spécifique, cette

« approche intégrée de l’égalité » propose la transversalité. Il s’agit de prendre en compte

la question du genre dans l’ensemble des politiques publiques pour incorporer l’égalité

homme-femme dans tous les domaines. Cette approche a permis de développer de

nouvelles pratiques. En France, les rapports relatifs aux questions d’égalité se sont

multipliés par l’encouragement de la commande publique. Des diagnostics chiffrés

contribuent à rendre visibles les inégalités et c’est sur le chiffre que se portent l’essentiel

des efforts. Le gender mainstreaming vise principalement les politiques publiques et non les

origines économiques et sociales des inégalités. De plus, bien qu’elle induise une

préoccupation générale, l’approche intégrée se trouve en concurrence avec les intérêts et

les objectifs des différentes politiques. Ainsi, l’action positive doit être maintenue pour 1 Ibid. , p. 276. 2 Ibid. , p. 277. 3 Ibid. , p. 278.

33

surmonter les obstacles à l’égalité des sexes. Cette double approche est désormais

promue.

Le genre est désormais omniprésent dans les politiques publiques. Cette notion est

intégrée dans tous les domaines et notamment dans le sport. Avant d’évoquer plus

précisément le lien entre le genre et les politiques sportives, il faut souligner les spécificités

de ces dernières.

Le sport dans les politiques publiques

L’élaboration des politiques sportives doit être envisagée comme le résultat d’une

interaction dans laquelle sont engagés de multiples agents. Ces derniers interviennent

selon leurs intérêts propres en raison de leur conception de la vie sociale1. Dans ce cadre,

les politiques participent à construire et à transformer les espaces sportifs. De leur côté,

les acteurs définissent leurs problèmes et testent les solutions susceptibles d’être

appliquées. La fonction décisionnelle est donc moins présente. Depuis les années 1980, le

ministère chargé des sports se retrouve en difficulté pour remplir une fonction autre que

réglementaire. Le processus de décentralisation et la gestion interministérielle des

politiques publiques amène le ministère des Sports à délaisser la gestion des activités

physiques et sportives pour s’orienter vers des actions ponctuelles2. Dans le champ

sportif, les politiques reposent surtout sur le travail des acteurs. La façon dont ils se

saisissent des directives politiques sera d’autant plus importante pour la réussite des

objectifs.

Malgré cette spécificité, le sport est un outil efficace pour les pouvoirs politiques. Il

apparaît comme une ressource qui n’a jamais cessé de servir les intérêts des

gouvernements qui se sont succédé depuis près d’un siècle3. Aujourd’hui, le répertoire de

valeurs et de principes qui fonde l’idéologie sportive n’est pas remis en cause. La fonction

sociale et éducative du sport est réaffirmée au regard du culte de l’excès et de la

performance. Cependant, les actions sont menées avec le monde fédéral dont la logique

principale est compétitive. La posture des politiques, qui continuent de soutenir les vertus

morales du sport, semble être un obstacle au réel développement de politiques sociales et

sportives. Le manque de réflexion sur les contenus de ces politiques paraît inhiber le « rôle

social » du sport. L’échec du sport comme outil de prévention de la délinquance dans les

1Arnaud Lionel, Augustin Jean-Pierre, « L’Etat et le sport : construction et transformation d’un service publique », in Arnaud Pierre, Attali Mickaël, Saint-Martin Jean, Le sport en France, Paris, La Documentation française, 2008, p. 51. 2 Ibid. , p. 64. 3 Ibid. , p. 51.

34

« quartiers difficiles » est un exemple de ce défaut d’attention1. A l’image de la mixité, on

peut voire que le sport est utilisé de manière incantatoire. Etant donné l’assemblage

d’éléments parés de vertus socialisantes et intégratrices, on peut s’attendre à ce que le

résultat soit, au moins, différent des attentes. L’association du sport et de la mixité ne

reste que peu expérimentée, sauf dans un espace où le contexte l’a rendue obligatoire :

l’éducation physique et sportive.

5. La mixité en EPS

La question de la mixité dans le sport fédéral n’est que peu abordée. La réflexion

est plus engagée lorsque l’on parle d’éducation physique et sportive, c'est-à-dire

l’enseignement du « sport » à l’école. Bien qu’il soit entré peu à peu dans les mœurs sans

quelconque mouvement revendicatif, le mélange des sexes est désormais obligatoire dans

l’enseignement2. La loi Haby de 1975 entérine une situation déjà largement pratiquée. A

cette époque, son application en EPS reste marginale et la persistance de la séparation des

sexes paraît si légitime que nulle réflexion pédagogique ne porte spécifiquement sur cette

question3. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la mixité est questionnée et débattue.

Les silences précédents sont bousculés et ses limites sont évoquées. La réflexion sur

l’égalité des sexes s’intensifie à cette période et la mixité devient un paramètre dans

l’analyse des rapports de genre. Mais le milieu de l’EPS est loin de fournir une réponse

aux questions posées étant donnée la liberté des enseignants à appliquer ou non le

mélange des sexes4. Dès lors, il faut s’interroger sur les raisons de cette liberté d’action et

sur les motifs du choix ou du refus de la mixité.

Le fait que la séparation des sexes en EPS soit toujours à l’œuvre et donc

indirectement acceptée tient à plusieurs raisons5. La première tient à l’héritage des années

1960-1970. Bien qu’elle soit aujourd’hui minoritaire, la tradition de cette discipline qui

résistait au tout mixte a perduré. De plus, le sport est un espace qui sépare les sexes.

L’analogie à la tradition fédérale est un autre élément qui justifie la division. Par ailleurs,

on remarque que la mixité n’est pas pratiquée dans les mêmes mesures selon le niveau des

classes. Cette observation s’estompe au fil du temps mais plus on s’adresse à des élèves

âgés, moins la mixité est mise en place. Ce constat peut être pondéré au regard des classes

1 Falcoz Marc, Koebel Michel (dir.), Intégration par le sport : représentations et réalités, l’Harmattan, Paris, 2005. 2 Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, Pratiques et représentations de la mixité en EPS, Paris, Revue EPS, 2006, p. 10. 3 Ibid. , p. 15. 4 Ibid. , p. 21. 5 Ibid. , p. 41.

35

non mixtes de certaines filières particulièrement sexuées. Malgré cela, ce n’est pas l’âge

qui, intrinsèquement, explique les variations. Les différences de morphologie, liées à l’âge

et au sexe, sont invoquées pour séparer les filles et les garçons. On trouve également la

sexualité, qui deviendrait un frein à la mixité dans une discipline où les corps se touchent

et se côtoient1. Les enseignants en EPS ne choisissent cependant pas la mixité ou la

séparation de manière radicale. Ils sont amenés à expérimenter les deux situations2. Cette

orientation est d’ailleurs celle que souhaite Geneviève Fraisse. Selon elle, la mixité n’est ni

un moyen d’avancer vers l’égalité, ni une valeur, ni encore un engagement politique, mais

une expérience que la pédagogie peut légitimement rompre quand cela est nécessaire3.

Pour justifier le choix de la mixité ou de la séparation, deux raisons sont évoquées.

Selon une enquête4, la composition initiale des classes (mixte ou non) et la décision de

l’équipe EPS déterminent les orientations. En ce qui concerne le sentiment des

enseignants à l’égard de la mixité, la réponse est claire : 80% des enseignants y sont

favorables et environ 70% pensent que la mixité joue un rôle essentiel en EPS.

Cependant, ceux qui font le choix de la mixité s’en justifient d’abord pour des raisons de

justice sociale et non pour des raisons de confort pédagogique. A cet égard, 70% des

professeurs d’EPS pensent que la mixité ne facilite pas leur travail et 60% sont d’accord

avec le fait que le démixage rend l’enseignement de l’EPS plus juste. Cette observation est

confortée par Annick Davisse : les opinions de principe sont souvent favorables à la

mixité mais sa faisabilité vient compliquer le choix5.

D’après les enseignants, la mixité en EPS peut à la fois respecter les différences des

élèves et pénaliser un des sexes6 (plus les filles que les garçons). Il n’est donc pas simple

de réaliser la mixité. En outre, bien qu’elle soit considérée comme essentielle, elle ne pèse

pas suffisamment sur l’enseignement. Ce perpétuel aller-retour entre avantages et

inconvénients est caractéristique de la question de la mixité en EPS. Bien que son

importance soit relative, un paramètre en fait un variable plus décisive : la nature des

activités physiques et sportives7.

Si la mixité n’est pas pénalisante pour l’un des sexes de manière inhérente, il est

possible que les stéréotypes associés aux disciplines sportives viennent inférer sur cette

1 Parker Andrew, « The construction of masculinity within boy’sphysical education », Gender and education, n°8, 1996, p. 141-157, cité par Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, op. cit. , p. 43. 2 Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, op. cit. , p. 44. 3 Fraisse Geneviève, « Que penser d’une évidence ? », Travail, genre et sociétés, n°11, 2004, p. 195-197. 4 Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, op. cit. , p. 47. 5 Davisse Annick et Louveau Catherine, op. cit., p. 286. 6 Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, op. cit. , p. 51. 7 Ibid. , p. 52.

36

conviction. Ainsi, les représentations qui aboutissent à attribuer une connotation sexuée

aux disciplines ne sont pas remises en cause par la situation de mixité. Selon les

enseignants, les sports « masculins » tendent à favoriser les garçons, les sports « féminins »

favorisent les filles et les sports « neutres » ne favorisent ou ne pénalisent pas l’un ou

l’autre des sexes1. Les enseignants sont enclins à penser que la mixité crée les conditions

d’une inégalité à partir du moment où l’on enseigne des activités connotées2. Cette

inégalité est d’autant plus marquée dans les activités masculines. Ces avis déterminent

l’enseignement. La mixité est plus fréquente dans les activités mixtes et la séparation des

sexes s’observe plus lorsque l’on enseigne des disciplines fortement connotées. Les

représentations sur la dimension sexuée des disciplines sont donc à l’œuvre quand il s’agit

de faire le choix de la mixité.

En pratique, plusieurs éléments sont perçus comme des obstacles à la mixité3.

L’expérience des activités physiques et sportives des élèves est différente selon le sexe.

Ceux qui sont spécialistes (le plus souvent les garçons) se retrouvent en situation

inconfortable en cas de mixité. Celle-ci vient rompre avec le modèle traditionnel de

séparation dans le monde sportif. Parmi les contraintes spécifiques au sport, le traitement

des rapports de genre semble être l’un des plus compliqués. Une majorité d’enseignants

estiment également que les qualités physiques diffèrent selon le sexe et qu’il s’agit d’un

obstacle à la mixité. Sans forcément établir de hiérarchie entre garçons et filles, on

retrouve tout de même les stéréotypes sur la force masculine et la souplesse féminine,

toutes deux perçues comme « naturelles ». Des lors que les enseignements visent au

développement de ces qualités « sexuées », la séparation est plus simple. Les différences

de comportements entre les garçons et les filles sont également jugées comme un frein à

la mixité. Le fait que ces derniers soient plus dissipés entraîne une plus grande présence et

une plus grande attention à leur égard. L’explication tient cependant moins à un problème

de mise en œuvre de la mixité qu’à un souci d’équité. Les obstacles à la mixité ont tous un

point commun. Le fait que le sport soit une activité plutôt masculine, les différences

physiques et de comportement sont autant d’éléments qui renvoient au genre. Ces

représentations que l’on trouve à la fois chez les enseignants et chez les élèves sont donc

le principal obstacle à la mixité.

Alors même que la mixité est obligatoire en EPS, son application n’est pas

systématique. Lorsqu’elle existe, c’est le cas dans la majorité des situations, les enseignants

s’en justifient pour des raisons d’éthique sociale. C’est effectivement inconfortable d’aller 1 Ibid. , p. 54. 2 Ibid. , p. 112. 3 Ibid. , p. 58.

37

à l’encontre d’un des grands principes de l’école. Malgré tout, le démixage des classes est

pratiqué car il permettrait plus de confort pédagogique, d’une part, et de justice de

l’enseignement, d’autre part. Au regard de ces deux éléments, on peut imaginer que la

mixité dans le sport fédéral risque d’être compliquée à instaurer. Bien que les logiques du

sport et de l’EPS ne soient pas comparables, les activités pratiquées dans chacun de ces

espaces sont similaires. Ainsi, face à la volonté de pratiquer la mixité, les mêmes obstacles

risquent de se dresser. Dans le champ sportif, la logique est à la séparation homme-

femme et il n’existe aucune obligation en matière de mélange des sexes. En somme, aucun

élément justifiant la mixité en EPS ne se retrouve dans le milieu fédéral. L’intérêt que

porté à la pratique licenciée devra déterminer les obstacles et les aspects facilitateurs de la

mixité. L’éthique sociale qui gouverne sa mise en place en EPS est-elle seulement due aux

obligations dans cet espace ou la retrouve-t-on plus largement dans le sport ? Quels

éléments influencent le choix de la mixité dans le champ sportif ? Ces nouvelles

interrogations ont initié l’enquête réalisée.

6. Méthodologie

La recherche a pour but d’analyser les politiques publiques qui traitent de la mixité

dans le sport. Avant de s’intéresser à leur contenu, il faut identifier les différents acteurs

qui interviennent à leur mise en place. Alors qu’il est plus présent dans d’autres domaines,

l’Etat est particulièrement relayé quand il s’agit de politiques sportives. De fait, plusieurs

institutions interviennent dans la gestion du sport en France.

Les différentes administrations d’Etat jouent malgré tout un rôle dans l’élaboration

des politiques publiques et sportives1. Depuis les années 1980, l’Union européenne

oriente de manière décisive les conduites des acteurs de ces politiques. Chaque état

membre doit entrer dans le cadre d’action définit par l’institution continentale. Le sport

n’échappe pas à ce fonctionnement. Les Etats sont invités à suivre les pistes de réflexion

édictées par l’U.E. En France, le ministère des sports est responsable de leur conduite.

Depuis 2006, un centre national de développement (CNDS) du sport existe et suit les

orientations générales dictées par le ministère. L’action de l’Etat est également relayée sur

tout le territoire Français dans des services déconcentrés. On trouve ainsi les DRJSCS

(Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) au niveau régional

et les DDCS (Directions départementales de la cohésion sociale) au niveau départemental.

Les prestations de l’Etat dans le domaine du sport visent à développer à la fois la

compétition, l’emploi mais aussi l’intégration sociale par le sport.

1 Muller Pierre, op. cit. , p. 97.

38

Le mouvement sportif fédéral entre également en jeu dans la conduite des

politiques sportives. L’Etat délègue aux fédérations le pouvoir d’organiser et de

promouvoir la pratique de leurs disciplines et les soutient par le biais des conventions

d’objectifs. Les différentes fédérations sont implantées à l’international (fédérations

internationales), au niveau national (fédérations françaises), au niveau régional (ligues

régionales) et au niveau départemental (comités départementaux). Localement, les clubs

sont à la fin de la chaîne fédérale et sont chargés de mettre en place les projets.

Le champ sportif est gouverné par une autre entité, le mouvement olympique. Il a

pour but d’assurer la collaboration entre l’Etat, représenté par le ministère des sports, et le

mouvement sportif dont il est le porte parole. Cette organisation est également

représentée de l’échelon international jusqu’au niveau départemental (Comité

international olympique, Comité national olympique et sportif français, comité régional

olympique et sportif, comité départemental olympique et sportif). La dimension sociale

est également prise en compte par ce mouvement.

Les collectivités territoriales constituent le dernier « groupe » qui participe à la mise

en place des politiques sportives. Les conseils généraux et régionaux, les regroupements

intercommunaux ou les villes sont compétents pour gérer la pratique sportive sur leur

territoire.

Toutes ces institutions ne travaillent pas de manière isolée mais en commun.

Chacun des mouvements est représenté sur les différents territoires et les partenariats

sont ainsi facilités. Selon leur niveau de compétence, leurs rôles sont malgré tout

différents. Ainsi, on peut regrouper les institutions selon trois familles, qui correspondent

à trois instants de l’intervention publique. Le premier groupe, correspondant au niveau

macro-social, a pour objectif de définir les champs d’action et les objectifs des politiques

selon les problèmes identifiés. Y figurent les instances nationales et internationales qui

sont souveraines dans les différents mouvements évoqués. On trouve ensuite les « relais »,

qui composent le niveau méso-social. Leur but est de transmettre les politiques sur un

territoire restreint. A ce stade, les organisations sont souvent des déclinaisons du niveau

précédent. Elles doivent orienter la démarche des acteurs de terrain concernés par les

politiques. Ces derniers finalisent l’action publique en mettant en place les programmes

définis plus haut. Ils sont en contact direct avec la population cible des politiques et

constituent le niveau micro-social. L’enquête réalisée a tenu compte de ces trois niveaux

de compétences. Chacun d’entre eux ont été analysés en explorant les différents

mouvements qui les composent.

39

Le niveau législatif a été étudié au travers différents rapports émanant des

institutions qui le composent. L’Union européenne, le Sénat et le Ministère des sports

français sont tous à l’origine de rapports qui traitent la question du sport, de la mixité, ou

bien des deux à la fois. Ces rapports sont le plus souvent à la charge de spécialistes des

thèmes en question. Dans un premier temps, un état des lieux du sujet est établi en tenant

compte des travaux scientifiques et de la réalité sociale. A l’issue de cette étape, des

problèmes sont identifiés selon les sensibilités du moment. Des objectifs sont alors définis

et des pistes sont proposées pour parvenir à les remplir. Le dépouillement de ces textes

permet de juger la place faite à la mixité dans les politiques publiques, de voir les raisons

de sa mise en place et d’observer la façon dont la mixité est définie par les autorités

publiques. Le lien entre la mixité et le sport doit répondre à ces mêmes questions en les

transposant à ce domaine restreint. Les spécificités du champ sportif ont été soulignées, il

faut donc voir comment on s’en accommode pour définir les politiques publiques.

L’analyse de ce premier niveau sert à extraire une ligne directrice en matière de mixité

sportive. Hormis le contenu du message, le lien entre les niveaux est à considérer. La

réalisation des principaux objectifs doit être interrogée aux autres niveaux. Cette

démarche permet de juger la cohérence des politiques.

La méthode employée pour analyser l’activité des relais et de ceux qui mettent en

place les politiques est différente. Les institutions se trouvant à ces niveaux sont plus

accessibles. Il est donc possible de rencontrer les individus qui y évoluent. L’enquête s’est

donc orientée vers les organisations qui servent de relais aux politiques publiques à

l’échelle d’un département et ceux qui les mettent en œuvre. Des élus de comités sportifs,

des représentants du mouvement olympique, des employés des services déconcentrés de

l’Etat, des présidents de club et des professionnels de l’encadrement sportif ont été

rencontrés. Des entretiens ont été réalisés avec ces acteurs ressource pour analyser leur

implication dans les politiques publiques en matière de mixité sportive.

Le choix de l’entretien tient à plusieurs raisons. Cet outil permet d’aborder

certaines questions sans restreindre le champ des réponses. Grâce à cette méthode, un

mode de conversation plus habituel s’engage et il est plus facile de rebondir sur ce que dit

l’interviewé. L’intérêt peut se révéler majeur pour la compréhension de l’univers auquel il

appartient. Il s’agit donc d’allier l’aspect technique tout en établissant une relation

commune. Selon Pierre Bourdieu, l’entretien est en quelque sorte une « improvisation

réglée »1 : une improvisation car chaque entretien est singulier et peut produire des effets

1 Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980, cité par Blanchet Alain, Gotman Anne, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Armand Colin, 2012, p. 19.

40

de connaissance particuliers ; réglé car il demande un certain nombre d’ajustements qui

correspondent à la technique de l’entretien. L’écoute de l’autre vient se greffer à

l’interrogation pure. Il s’agit non seulement d’écouter les enquêtés sur les sujets proposés

mais également de les laisser parler sur le thème donné. Cet outil permet d’aller à la

recherche des questions des acteurs eux-mêmes. Il place au premier plan le point de vue,

l’expérience, la rationalité et la logique de l’acteur. Le but de cette recherche étant

d’étudier les conditions d’adhésion à la mixité dans le champ sportif, il est important de

s’intéresser au point de vue des acteurs (personnellement et en tant que représentant

d’une institution). Tous les éléments fondent leur réflexion et déterminent leur position

vis-à-vis des politiques puis, par conséquent, leur action. Aujourd’hui, l’enquête par

entretien est beaucoup utilisée dans l’évaluation des politiques publiques.

L’entretien s’impose quand on ignore le monde de référence1. Il est justifié quand

on ne veut pas décider a priori du système de cohérence des informations recherchées. Les

résultats visés par l’enquête d’entretien ne peuvent prendre en compte les causes mais

plutôt les processus. L’entretien révèle la logique d’action des enquêtés, leur principe de

fonctionnement. Le but de ce travail est d’étudier les conditions de réalisation de la mixité

dans le sport. La question est de savoir ce qui pousse les acteurs à pratiquer la mixité et de

connaître les raisons qui les motivent à passer (ou non) de la séparation au mélange des

sexes. Pour ce travail, les entretiens ont un usage principal, ils constituent le mode de

collecte essentiel de l’information. La recherche s’intéresse aux représentations et aux

pratiques des enquêtés. Elle vise la connaissance des pratiques et des idéologies qui les

justifient. Bien qu’erronées, ces représentations sont à la base des pratiques des acteurs et

doivent donc être considérées.

Le mode d’accès aux enquêtés s’est fait indirectement. Les demandes d’entretien

ont été faite par l’intermédiaire des institutions auxquelles appartiennent les interviewés2.

Les personnes n’étaient pas recherchées pour leurs caractéristiques personnelles mais

pour leur appartenance à une organisation qui œuvre dans les politiques sportives. En

passant par un tiers institutionnel, les acteurs sont soumis à une certaine contrainte. Leur

acceptation ne dépend pas seulement de leur motivation. Ils représentent une institution

et cette posture facilite les réponses favorables. Cette méthode est utilisée lorsque l’on

veut accéder à une population spécifique. Tel est l’objectif de ce travail. La méthode de

proche en proche est venue compléter la précédente. Elle consiste à demander à chaque

1 Blanchet Alain, Gotman Anne, op. cit. , p. 36-38. 2 Ibid. , p. 53.

41

interviewé de désigner d’autres enquêtés potentiels1. Ce dispositif vise à identifier le réseau

global du champ de la recherche. Il exige cependant que les personnes aient le moins de

relations possibles afin d’éviter la préparation des réponses et les effets de censure de la

part du second enquêté.

La réalisation d’entretien demande la conception d’un guide regroupant l’ensemble

de thèmes que l’on souhaite explorer. Cette trame dépend du type d’entretien que l’on

compte réaliser. Pour cette recherche, l’entretien semi-directif a été retenu pour la liberté

de parole qu’il induit. Il structure l’interrogation mais ne dirige pas le discours. Ce cadre

peu structuré suppose la préparation de deux éléments. La formulation d’une consigne

inaugurale et la constitution d’axes thématiques. La consigne permet d’introduire le thème

et de laisser l’interviewé en parler dans un premier temps. Les différents axes thématiques

regroupent les éléments recherchés. S’ils sont abordés complètement par l’interlocuteur, le

chercheur n’en parle pas. S’ils ne sont pas évoqués, ou de manière incomplète, des

relances qui rebondissent sur le discours de l’enquêté doivent être formulées. En fin

d’entretien, les axes ont tous été traités sans qu’il n’y ait eu forcément de question à leur

propos.

Lors des entretiens réalisés, la consigne inaugurale était la suivante : « Vous êtes

[responsable, président, etc.] de [comité, service de l’Etat, collectivité, club]. Je m’intéresse

à la mixité dans le sport et j’aimerai que vous me parliez de ce qui est mené en la matière

dans votre structure ». Dans les axes thématiques figurait la mixité des sexes a proprement

dit (pratique ou non de la mixité, type de mixité, rôle, portée, limites, effets), la définition

du public (composition des effectifs, différences éventuelles entre les sexes, nature des

différences, prise en compte des différences, type de recrutement), les spécificités du sport

(selon les disciplines, les modes de pratique), les partenaires (lesquels, quels types de

partenariat, pour quelles raisons, liens avec les autorités supérieures) et le résultats des

actions menées (sentiment de réussite/échec, raisons de la réussite/échec, remédiations,

pertinence des objectifs). Ces éléments pouvaient être complétés par des questions

ponctuelles. Ces dernières visaient à faire réagir les interviewés sur des points plus précis,

une campagne de communication, un fait d’actualité ou un évènement qui s’est déroulé

dans leur institution. Cette démarche permet de faire parler les enquêtés sur des faits

concrets. Ce discours peut entériner la position de l’interlocuteur ou bien faire émerger

une certaine incohérence entre des déclarations théoriques très stéréotypées et la réalité

des pratiques.

1 Ibid. , p. 54.

42

Pour analyser l’implication des relais dans les politiques, le terrain considéré est un

département. Pour ce qui est des lieux de pratiques, un club omnisport du département en

question a été choisi pour la diversité de l’offre qu’il propose. Par ailleurs, le nombre

conséquent d’adhérent (1500 environ) qui pratiquent dans ce club suppose une certaine

représentativité. Les liens entretenus par les institutions de ces deux niveaux expliquent

ont déterminé leur sélection. L’étude des relations entre les niveaux est alors permise. Des

entretiens ont été réalisés avec des membres d’organisations qui ont à charge toutes les

disciplines (relais : mouvement olympique, services de L’Etat ; mise en place : président

du club omnisport). Pour analyser les réalités du mouvement fédéral dont le rôle dans les

politiques est central, cinq disciplines ont été ciblées : le badminton, le basket-ball, le

football, le tennis et le tennis de table. Ces sports ont été choisis car ils se répartissent

différemment sur l’échelle sexuée des disciplines. Aucune pratique féminine n’a pu être

considérée puisqu’aucune d’entre elles ne figure dans le club omnisport en question. Les

entretiens ont donc été réalisés avec les acteurs évoluant aux différents niveaux de

compétence du mouvement fédéral (membre de comité départemental, président de club,

éducateur sportif). Pour toutes les disciplines choisies, au moins deux personnes

correspondant à deux statuts différents ont été rencontrées. Au total 13 entretiens ont été

faits avec un total de 15 personnes. Le cumul des rôles de certaines d’entre elles a permis

d’avoir un aperçu de 21 postes différents. Quelques uns nuancent leur implication de

président de club de celle de membre d’un comité. Cette double étiquette permet d’avoir

un aperçu des deux rôles. Cet aspect est intéressant car selon la position des acteurs, les

points de vue sur la mixité diffèrent.

43

II) La conception des politiques de mixité

Ce premier niveau des politiques sportives, macro social, est celui où les décisions

sont prises, où les orientations sont déterminées. Eminemment politique, on y retrouve

toutes les institutions compétentes pour gérer la pratique sportive en France, en Europe

et au niveau mondial. La prise en compte de tous ces niveaux est importante étant donné

le rôle des organisations internationales dans l’orientation des politiques publiques

françaises aujourd’hui. Avant d’analyser le contenu des programmes, il faut rappeler le

contexte dans lequel l’intérêt pour l’égalité des sexes dans le sport s’est développé.

La déclaration de Brighton

C’est pendant les années 1990 que la réflexion sur les rapports de sexe dans le

sport débute. Une volonté de corriger les déséquilibres sexués dans cet espace émerge.

Cette prise de conscience n’intervient pas à une période neutre. Elle est en effet souvent

considérée comme l’âge d’or de la prise en compte des rapports de sexe par les politiques.

Cette question devient sensible et problématique. Dans la plupart des domaines, des

actions à visée égalitaire sont donc élaborées. Ainsi, pour le champ sportif, une première

conférence internationale sur « Les femmes et le Sport » est organisée en mai 1994 à

Brighton (Grande Bretagne). Comme son nom l’indique, cette réunion des décideurs du

domaine du sport est essentiellement orientée vers la place des femmes dans le

mouvement sportif. On peut y lire :

« La déclaration fournit les principes à la base de mesures nécessaires à

l’augmentation de la participation des femmes à tous les niveaux du sport et

dans tous les rôles.» 1

Le constat de la moindre participation des femmes aux activités physique et

sportives semble être au soubassement de ces politiques. La population des sportifs n’est

pas à l’image de la population globale. Ce point est le problème central qui justifie

l’élaboration de stratégies visant à y remédier. D’emblée, on remarque que l’attention est

surtout portée vers la dimension numérique. Le souci de rendre le sport équitable passe

principalement par le recrutement des femmes dans tous les domaines du sport. A ce

moment, il n’y a pas la trace des termes « mixité » ou « parité ». Même s’ils ne sont pas

utilisés, ils semblent être sont une volonté sous jacente aux actions à mener. Malgré la

considération quasi exclusive des femmes, les deux sexes sont pris en compte. Une

1 La déclaration de Brighton sur les femmes et le sport, 1994, p. 1.

44

demande de réflexion sur une population mixte est d’ailleurs envisagée dans la

Déclaration de Brighton.

A l’issue de ce rassemblement, plusieurs orientations sont choisies pour permettre

un engagement plus important des femmes dans le sport. Un appel à leur intégration dans

la pratique et aux postes de directions est lancé ; la conviction que les femmes peuvent

apporter quelque chose de nouveau et de bénéfique est affirmée ; la croyance en les

valeurs du sport pour mener à bien ce projet est formulée. La réalisation des objectifs doit

passer par une structuration du champ sportif. Les gouvernements et les organisations

sont donc mobilisés pour mettre en place des dispositifs visant à l’égalité des sexes dans le

sport (formation des acteurs, planification des politiques, conception d’installations). Ces

pistes sont toujours celles que l’on suit actuellement. Cette première réflexion, bien qu’elle

soit récente, semble être pionnière en ce qui concerne l’égalité des sexes dans le sport. Les

recommandations faites à cette occasion son très semblables aux politiques menées

aujourd’hui.

Pour superviser ces politiques, différents réseaux sont créés à partir de la

conférence de Brighton : le groupe de travail international sur femmes et sport (IWG) et

le réseau européen femmes et sport (EWG). Les pays se succèdent à la tête de ces

organisations et des rencontres sont régulièrement organisées. La France est à la tête de

l’EWG sur la période 2002-2004. Les écrits produits par ces organisations ont été utilisés

pour analyser les politiques. Sont aussi convoqués des rapports du parlement européen

(2003), le Livre blanc européen sur le sport et le rapport d’Helsinki sur le sport. Au niveau

national, l’étude s’appuiera sur un rapport du Ministère des sports (2004), sur deux

rapports du Sénat (2004 et 2011), ainsi que sur les orientations du pôle sport, mixités,

éducation, citoyenneté (SEMC) et du centre national de développement du sport (CNDS).

Ces textes n’ont pas tous la même commande. Il faut analyser les contenus des écrits en

ayant à l’esprit l’objet du rapport en question. Certains d’entre eux traitent de la mixité et

font ponctuellement référence au sport quand d’autre mènent exclusivement une

réflexion sur le thème femmes et sport.

1. L’identification du problème

Cette étape est à la base du développement des politiques publiques. La sensibilité

pour l’égalité des sexes s’est progressivement développée à la fin du XXème siècle. Dans

tous les textes analysés, cette préoccupation n’est pas toujours clairement rappelée. Elle

semble être devenue un élément fondamental pour une société moderne. Malgré le fait

que tout le monde s’accorde sur ce principe, sa réalisation est plus difficile. Le sport étant

45

identifié comme un espace où les inégalités entre les sexes sont particulièrement

marquées, des actions sont déployées afin de remédier au problème. Ainsi, l’objectif

général que se donne le groupe de travail international sur « femmes et sport » est de

« réaliser une culture sportive durable qui facilite et valorise la pleine participation des

femmes dans tous les aspects du sport1 ». Cette vision globale se retrouve à tous les

niveaux d’action, parfois sous des formes différentes.

Comme on l’a déjà évoqué, les chiffres du sport sont le principal élément servant à

montrer les inégalités. Différentes statistiques « sexuées » concernant la pratique et

l’encadrement sont exposées pour mettre à jour les disparités. Des informations sur

l’inégale répartition des sexes dans les disciplines sont également communiquées. Ces

éléments mettent à jour une plus faible participation féminine, ce qui pose problème.

Même si des progrès sont identifiés, il faut accélérer le processus. C’est d’ailleurs le rôle

des politiques publiques. A partir de ces constats, des inégalités entre les individus et des

discriminations à l’encontre des femmes sont pointées. Sans remettre en cause l’existence

de ces ségrégations, on remarque que ces processus sont considérés comme inhérents aux

données chiffrées. Ils ne sont pas étudiés de manière approfondie. Cette observation

relève d’emblée l’orientation adoptée par les politiques publiques : la disparition des

inégalités sociales passe par l’équilibre chiffré. Qu’en sera-t-il des discriminations lorsque

cette sorte de parité sera atteinte ? Les processus sociaux néfastes peuvent-ils être éliminés

de cette façon ? Cette situation rappelle les propos de Beate Collet et Claudine Philippe

concernant des mesures politiques pour la mixité : « elles sont prises à la surface visible et

n’interrogent pas les processus de fond2 ».

Le discours qui accompagne la mise au jour des chiffres de l’engagement sportif

est intéressant. Une forme de catastrophisme est perceptible à l’idée que les femmes sont

moins présentes dans le sport. Quelques exemples illustrent cette remarque :

- « C’est une situation alarmante ; la place réservée aux femmes est pour le

monde associatif français une question de survie ; il y a un immobilisme

coupable du mouvement sportif ; il faut agir dans l’urgence. »3

- « Une détérioration récente de la situation des femmes est observée ; la

situation des filles dans les cités relève d’un véritable drame»4

- « La marginalisation des situations mixtes est inquiétante. »1

1 Présentation de l’IWG : www.iwg-gti.org. 2 Collet Beate, Philippe Claudine, MixitéS, variations autour d’une notion transversale, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 236. 3 Deydier Brigitte, Rapport Femmes et sport, pour le Ministère des sports, 2004, p. 10, p. 12. 4 Gautier Gisèle, La mixité menacée ? Rapport d'information sur l'activité de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, n° 263, 2004, p. 89.

46

Ces extraits montrent bien que désormais, l’égalité des sexes est, plus qu’un

principe, une philosophie. Les espaces qui ne mettent pas en œuvre cette égalité sont

montrés du doigt. Là encore, l’intérêt est porté sur l’existence des discriminations et des

séparations et non pas sur leur formes ni sur la façon dont elles se jouent. De fait, eu

égard aux sensibilités actuelles, il est « grave » de laisser les inégalités s’établir. Alors même

que les rapports de sexe semblent évoluer dans le sens de l’égalité, la situation dans le

sport est aujourd’hui « alarmante » et la « survie » de cet espace est en jeu. L’évolution des

mœurs est donc déterminante des politiques à l’œuvre. Mais au regard des remarques, les

pratiques n’évoluent pas aussi vite que les mentalités, ce qui explique le catastrophisme

ambiant.

2. Une véritable injonction à la mixité

Les femmes sont donc moins présentes que les hommes dans le sport. D’après les

textes, cette situation traduit les inégalités qui règnent dans cet espace : mettons en place

la mixité pour faire disparaître les discriminations et autres processus néfastes. C’est à

partir de cette réflexion que les politiques sportives semblent être bâties. La mixité est la

forme de relation entre les sexes qui correspond à l’idéal démocratique. Le terme n’est pas

toujours utilisé mais les objectifs des politiques tendent vers le mélange des sexes.

L’appellation mixité est surtout valable en France. On la retrouve largement employée

dans les différents rapports des instances législatives françaises. Le rapport Femmes et

Sport de l’U.E met également en jeu cette notion, peut-être parce qu’il a été élaboré par

une délégation française.

Réaffirmer inlassablement le principe de mixité ; garantir la mixité ; développer la

mixité ; s’attacher à la mixité ; afficher une plus grande mixité ; valoriser la mixité ;

encourager à davantage de mixité ; assurer une totale mixité, sont autant de formulations

scandées dans les textes analysés. La fréquence de son utilisation et la volonté implacable

de la mettre en œuvre ne fait aucun doute : une réelle injonction à la mixité des sexes dans

le sport est formulée par les politiques. Cet appel au mélange se fait aussi à travers le refus

de la séparation : le caractère néfaste du démixage est dénoncé ; on craint que la mixité ne

soit menacée ; ceux qui sont contre la mixité sont exclus des politiques ; on se dresse

contre le « grignotage » de la mixité. Le brassage des sexes est toujours réaffirmé. Les

différents rapports font pourtant référence au courant critique de la mixité. Ce dernier

remet en cause ses effets bénéfiques sur l’égalité des sexes. Malgré cette mise en garde du

champ scientifique, peu d’institutions en tiennent compte. Pour illustrer cette situation, on

1 Fraisse Geneviève, Rapport sur femmes et sport pour le Parlement européen, p. 6.

47

peut citer Luc Ferry, alors Ministre de l’éducation nationale. Selon lui, les recherches en

question ne peuvent pas être conclusives1. Des défauts méthodologiques sont invoqués

pour discréditer ces recherches.

La mixité entre principes et expériences

Au milieu de ce large plébiscite, quelques modérations sont apportées aux bienfaits

de la coprésence des sexes. Elles restent cependant très marginales et sont quasi-absentes

au moment où les recommandations sont données pour conduire politiques. Dans cette

optique, le rapport du Sénat « la mixité menacée » peut être cité. Les travaux d’Annick

Davisse (elle-même favorable à la mixité) sont utilisés pour montrer que le mélange (en

EPS) peut concourir au renforcement des stéréotypes de sexe. C’est au conditionnel que

sont relatées ces observations (« la mixité aurait des effets nocifs »), et peu d’enseignement

en sont tirés. Il est envisagé de faire respirer la mixité à certains moments, sur les cours

d’éducation physique et d’éducation sexuelle pour l’exemple de l’école. La dimension

corporelle de ces activités est notable, ce point sera développé plus tard. En somme, les

espaces où la mixité peut-être absente ne sont que des exceptions qui confirment la règle.

La croyance en la mixité n’est pas aussi forte à tous les niveaux. Le rapport sur

« femmes et sport » de l’Union européenne semble prendre plus de précautions sur sa

mise en œuvre. Conscients qu’elle peut être néfaste, les auteurs de ce texte souhaitent

lancer des réflexions sur les enjeux de la mixité. Le mélange des sexes n’est pas considéré

comme une réussite évidente et les acteurs qui la mettent en œuvre doivent être formés à

cette spécificité. Pour éviter d’avoir affaire à des bricolages non réfléchis et éviter les effets

nuisibles de la mixité, il faut tenir compte des résistances à sa mise en place. Un discours

sur la prise en compte des différences est développé et la complexité de la situation est

prouvée. Ce rapport est le seul qui soulève ces questions. La mixité est tout de même

prônée, mais avec une plus grande lucidité. Cette posture reste cependant très marginale

lorsque l’on arrive au niveau national. Sans en faire la raison essentielle de cet oubli,

l’identité des auteurs de ces rapports est à souligner. Celui de l’Union européenne est

dirigé par une universitaire spécialiste des questions de relation entre les sexes (Geneviève

Fraisse) alors que les rapports nationaux sont conduits par des anciens sportifs ou

responsables de fédération (Brigitte Deydier) ou par des politiciennes (Michèle André et

Gisèle Gautier). La cohérence entre les rapports « femmes et sport » de l’U.E et celui de la

France est faible. Les précautions apportées au niveau continental sont absentes à

l’échelon suivant. La production du Ministère des sports est d’ailleurs très critiquée par le

1 Gautier Gisèle, op. cit. , p. 88.

48

champ scientifique, parfois jugé catastrophique1. Au regard de cette situation, le lien entre

les différents niveaux des politiques semble limité.

Pourquoi la mixité ?

Bien que le message varie selon le stade des politiques, la mixité jouit toujours de

représentations favorables. L’égalité entre les sexes est l’objectif final de sa mise en place.

Il faut alors s’intéresser plus précisément aux « vertus » attribuées à la mixité. Ces aspects

sont souvent utilisés pour justifier le choix du mélange des sexes.

Dans un premier temps, le peu d’argument de justification est à souligner. Les

critiques du champ scientifique sur l’utilisation quelque peu incantatoire de l’appel à la

mixité sont perceptibles dans les contenus analysés. Leur caractère injonctif déjà mis en

évidence abonde dans ce sens. Il faut la mixité, mais surtout par principe. Ensuite, lorsque

les bienfaits du mélange sont détaillés, on se rend compte qu’ils concernent une nouvelle

fois les fondements républicains :

- « La mixité est l’une des clefs de l’égalité, elle permet d’apprendre à vivre

ensemble et présente un certain nombre d’avantages ».2

- « La participation de jeunes filles au sport est un élément d’émancipation. La

mixité contribue au brassage social et à l’ouverture sur les autres. »3

- « La participation des femmes à tous les aspects du sport va de l’intérêt de

l’équité, du développement et de la paix ».4

Ces exemples montrent que la mixité correspond à un idéal politique fortement

chargé de principes républicains. Cette observation qu’ont pu faire Beate Collet et

Claudine Philippe en parlant des politiques plus généralistes se retrouve dans les politiques

sportives. Les arguments utilisés pour justifier la mixité relèvent de principes

fondamentaux. Il s’agit là d’un moyen parmi d’autres de rendre compte de ses choix. Le

principe civique semble être celui adopté pour justifier les politiques de mixité. Il implique

l’engagement d’actions collectives orientées vers l’intérêt général et la solidarité. Les

politiques sportives prennent appui sur cette forme de légitimité pour justifier leur action

en faveur de la mixité. On peut noter que ce principe est caractéristique de l’action sociale.

Elles sont en effet toujours destinées à l’intérêt commun. Ce régime de justification va

1 Annick Davisse, lors de la conférence « Sport au féminin » à Allonnes le 18 octobre 2011. 2 André Michèle, Rapport d’activité fait pour l’année 2010-2011 au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et compte rendu des travaux de cette délégation sur le thème « Femmes et sports », 2011, p. 111. 3 Deydier Brigitte, op.cit., p. 4, p. 20. 4 La déclaration de Brighton sur les femmes et le sport, p. 2.

49

donc de soi dans l’action publique. C’est peut être cette évidence qui induit le manque

d’arguments justifiant la mixité. Elle est a priori perçue comme un bienfait et se justifie

donc par elle-même. Plus qu’une option qui permettrait de développer les principes

républicains, la mixité devient elle-même un principe républicain.

Le sport : représentations et réalités

La mixité, forme spécifique de relation entre les sexes, est perçue comme

bénéfique pour l’égalité. Sa mise en place est donc largement promue dans tous les

espaces de la société. Lorsque l’on s’intéresse à la pratique sportive, un autre élément

entre en jeu. En plus de la mixité, les bienfaits du sport semblent faire de cet espace un

formidable outil pour l’égalité des sexes.

Dans tous les textes sélectionnés, les auteurs des politiques partent du principe que

le sport est paré de vertus. A la lecture de ces différents rapports, on note que le sport est

considéré comme bienfaisant par essence :

- « Le sport contribue de manière importante à la cohésion économique et

sociale et à l'intégration de la société. Tous les résidents devraient avoir accès

au sport. »1

- La déclaration de Brighton valorise les politiques qui « encouragent la

reconnaissance par les femmes des valeurs intrinsèques du sport et sa

contribution à l’épanouissement personnel et à un mode de vie sain »2.

- « Le Parlement européen […] stipule que la communauté doit tenir compte

de la spécificités des fonctions sociales, éducatives et culturelles du sport, et

que, depuis l’Antiquité, le sport a une valeur démocratique, […] le sport

constitue un moyen d’affirmation et d’épanouissement ainsi qu’un vecteur de

citoyenneté et de solidarité. »3

Le « rôle social du sport4 » est une idée très rarement remise en cause. Une fois

seulement, les bienfaits du sport sont conditionnés par une pratique juste et équitable.

Cette remarque formulée dans la Déclaration de Brighton reste peu développée, floue, et

l’on parle quelques lignes plus loin des « valeurs intrinsèques » du sport. Ces

représentations sont très ancrées et l’on s’étonne lorsque le sport provoque des effets

néfastes :

1 Livre blanc européen sur le sport, 11 juillet 2007. 2 La Déclaration de Brighton sur les femmes et le sport, op. cit. , p. 3. 3 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 6. 4 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 18.

50

- Il a ainsi constaté qu’aujourd’hui, dans un certain nombre de cas, le sport en

milieu associatif, au lieu de jouer une fonction de rencontre, d’ouverture et

d’émancipation, notamment des femmes, devenait parfois le théâtre de

pratiques d’exclusion ou de prosélytisme.

Ces exemples permettent de rappeler qu’il n’existe aucune valeur inhérente à la

pratique sportive. Il est capable du pire comme du meilleur. C’est la façon dont il est

utilisé qui détermine les bienfaits ou les méfaits procurés. Au regard des discours tenus

dans les politiques sportives, cette réalité semble se noyer dans les représentations. Le

risque encouru est de produire des discriminations et de l’exclusion là où l’égalité et

l’intégration sont souhaitées. Le sport n’est donc pas réellement pensé pour qu’il soit

bénéfique. La façon dont la mixité et le sport sont gérés se ressemble. Ils sont tous les

deux pensés a priori comme salutaires. Cette situation semble particulièrement marquée

dans le champ sportif. Peu de réflexion existe sur la mise en place de la mixité dans cet

espace. Les représentations favorables dont le sport bénéficie et le rôle moins central

qu’on lui attribue dans la société (par rapport à l’éducation, au travail) explique cette

situation. Cependant, on compte malgré tout sur lui pour jouer un rôle intégrateur. Les

moyens déployés ne semblent pas être à la hauteur des enjeux. Au regard de cette

situation, on peut envisager que les politiques de mixité dans le sport engendrent des

effets pervers.

3. Une mixité totale

Alors que l’injonction à la mixité n’est que peu justifiée, la réflexion sur sa mise en

œuvre semble plus aboutie. En effet, une attention particulière est portée sur les lieux où

elle doit prendre forme. La déclaration de Brighton, fondatrice de la réflexion sur l’égalité

des sexes dans le sport, ainsi que tous les autres discours sont fermes : tous les niveaux du

sport sont concernés. Qu’il s’agisse des pratiquant-e-s, des dirigeant-e-s, des encadrant-e-s,

des médecins ou des formateurs, tous les groupes d’acteurs doivent comporter des

hommes et des femmes de manière significative. L’effort est particulièrement porté sur les

dirigeant-e-s et sur les pratiquant-e-s. Le lien entre les deux est d’ailleurs souvent établi, ce

point sera développé plus tard. Les politiques donnent donc l’impression de survoler tous

les espaces sportifs. Cependant, la totalité des mesures concernent le sport fédéral.

L’intérêt pour les chiffres peut expliquer cette orientation. En effet, le sport organisé

institutionnellement est le seul domaine où des statistiques sont produites. Comme c’est à

partir des constats chiffrés que sont pensées les politiques, celles-ci s’orientent de manière

privilégiée vers la pratique de club. Les activités auto-organisées ne sont pas prises en

51

compte tant pour ce qui est des constats que pour les actions à mener. Parmi la sélection

de textes, seul l’un d’entre eux y fait référence. A propos des « 18 millions de femmes qui

pratiquent une activité physique chaque semaine », Brigitte Deydier estime que les

responsables sportifs sous-estiment ce phénomène1. Cependant, à la suite de ce constat,

l’objectif est de faire venir les femmes dans les fédérations et parfois même de les inciter à

rejoindre les clubs2. En somme, si l’on tient compte de toute la population qui pratique

une activité physique en France, il y a une forme de mixité. Le fait que le sport soit

essentiellement observé au travers des fédérations, où la mixité « fait défaut », explique la

volonté d’y instaurer le mélange des sexes.

Ce qu’on entend par mixité doit être précisé. Par définition, elle correspond à la

coprésence des sexes dans un même espace. L’espace de référence est déterminant du

type de mixité que l’on attend. Si l’on se réfère à la part d’hommes et de femmes dans les

clubs et les fédérations d’une part, et de leur présence simultanée sur un même terrain de

sport d’autre part, on ne parle pas de la même mixité. Les enjeux et les modes de mise en

place ne sont pas les mêmes. Dès lors, pour être plus clair, le terme « mixité sportive »

sera utilisé pour qualifier un club, une fédération ou tout autre groupement sportif qui

comporte de manière significative des hommes et des femmes. La pratique commune

entre les sexes, sur un même terrain, sera qualifiée de sport mixte. Les deux formes sont

évoquées mais au regard des programmes politiques, il s’agit surtout de tendre vers la

parité des effectifs aux différents niveaux des fédérations. Pour parvenir à cet objectif, les

efforts sont surtout portés vers la population féminine. L’engagement sportif est

sexuellement déséquilibré et les actions doivent corriger cette situation. Comme ce sont

les femmes qui « souffrent » d’un retard, les politiques de mixité correspondent

essentiellement à un processus de féminisation.

La mixité du côté des femmes

Si l’on se concentre sur les propositions et les recommandations formulées à l’issue

des différents textes, il est possible de voir si les actions sont centrées sur la mixité ou bien

sur le sport féminin. Il y a des variations selon les niveaux de compétence. Ainsi, les

directives des écrits internationaux concernent autant les deux sexes que les femmes

uniquement (21 éléments mixtes pour 23 éléments féminins). Lorsque l’on passe au

niveau français, les recommandations sont majoritairement axées vers les femmes. Elles

sont deux fois plus nombreuses que les instructions mixtes dans les rapports du Sénat (1

1 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 11. 2 La déclaration de Brighton sur les femmes et le sport, p. 3.

52

contre 2 et 8 contre 15) et se trouvent omniprésentes dans le texte du Ministère des sports

(3 contre 14). Le vocabulaire employé est également révélateur de l’orientation privilégiée

des actions vers les sportives.

- « Les résultats de ces enquêtes et de ces entretiens feront l’objet de

préconisations puis d’un plan de féminisation sur plusieurs années »1 ; « Une

féminisation de ces formations d’éducateurs s’est progressivement opérée sous

l’impulsion du ministère »2

- « Une charte pour la féminisation des clubs pourrait être élaborée en

partenariat avec les comités départementaux du Comité Olympique, les

fédérations et les clubs ; Objectif : féminiser toutes les fédérations dans les

quatre ans. » 3

Les termes « féminiser », « féminisation » et « participation des femmes » sont très

présents dans les différents textes : 12 fois dans la déclaration de Brighton (pour 4 pages) ;

16 mentions pour le rapport de l’U.E (15 pages) ; 42 fois dans le rapport d’activité du

Sénat de 2011 (80 pages) ; 10 fois dans le rapport du Sénat de 2004 (35 pages) ; 13 fois

dans le rapport Femmes et Sport du Ministère de 2004 (22 pages). Ces chiffres ne sont

pas exhaustifs, ils permettent simplement de montrer l’orientation principale des

politiques. Les termes mis en relief sont ceux dont la récurrence est la plus marquée.

4. Les stratégies de la mixité dans le sport

Les politiques de rééquilibrage des inégalités sexuées dans le sport se concentrent

donc essentiellement sur la pratique féminine. Cette option est déterminante de la forme

que prennent les politiques ainsi que de leur contenu.

Les espaces de décision politique

Comme cela a été déjà souligné, les acteurs qui définissent les politiques de mixité

dans le sport accordent une importance particulière aux postes de direction. A l’image de

la loi sur la parité en politique, on considère que l’arrivée des femmes aux postes de

décision est un élément charnière de l’évolution des rapports sociaux de sexe. Cette

approche est caractéristique du gender manstreaming (ou approche intégrée). Elle consiste à

« réorganiser l’ensemble des processus de décision aux fin de faire incorporer la

perspective de l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, à tous les

1 André Michèle, op. cit. , p. 114. 2 Ibid. , p. 128. 3 Deydier Brigitte, op.cit. , p. 13.

53

niveaux et pour tous les acteurs généralement impliqués dans la mise en œuvre des

politiques correspondantes »1. A la lecture des textes sélectionnés, ce point est souvent

développé.

- « Aider à augmenter le nombre de femmes dans les organes de prise de

décision et dans les administrations du sport à tous les niveaux. »2

- « Sans femmes à des postes de direction ou de décision […] les filles et les

femmes ne pourront jouir de chances égales. »3

- « Le parlement Européen demande aux États membres et aux autorités de

tutelle de conditionner leur agrément et leur subventionnement aux

groupements sportifs et aux autorités sportives à des dispositions statutaires

garantissant une représentation équilibrée des femmes et des hommes à tous

les niveaux et pour tous les postes de décisions. »4

- « Valoriser l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes. »5

- « Le ministre des sports s’est d’ailleurs dit convaincu qu’une plus grande

mixité dans le sport passait, en priorité, par la féminisation des instances

dirigeantes du mouvement fédéral. »6

Dès que l’on veut développer la mixité dans le sport, une attention particulière est

portée aux sphères de décision. Le symbole de cet engagement est une inscription dans la

loi. En effet, le décret du 7 janvier 2004 (n°2004-22) instaure le principe de

proportionnalité entre le nombre de femmes licenciées (dans une fédération, une ligue, un

comité) et le nombre de sièges dont elles disposent au comité directeur (de cette même

fédération, ligue ou comité). Même si ce décret n’a pas la valeur d’une loi, il exerce une

contrainte sur la constitution des organes de décision. Malgré une volonté de réduire les

inégalités, cette contrainte risque de les maintenir à certains endroits. Les fédérations très

masculinisées risquent de voir leur direction inchangée alors qu’elles sont les cibles

principales des politiques. Pour ne prendre qu’un exemple, cette loi oblige aujourd’hui la

fédération de football à avoir environ … 3% de dirigeantes. Désormais, la tendance est

surtout à l’obtention de 20% des sièges au minimum pour le sexe le moins représenté. Cet

engagement résulte d’une prise de conscience que les politiques ne sont pas neutres7. Sans

Sans la prise en compte des différences de situation entre les hommes et les femmes, les

1 Dauphin Sandrine, Sandrine Dauphin « Action publique et rapports de genre », Revue de l'OFCE, n° 114, 2010, p. 278. 2 IWG guidelines. 3 Déclaration de Brighton sur les femmes et le sport, p. 2. 4 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 12. 5 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 10. 6 Gautier Gisèle, op. cit. , p. 59. 7 Dauphin Sandrine op. cit. , p. 278.

54

actions peuvent être productrices d’inégalités. Ainsi, en mettant la mixité en place aux

stades de décision, on pense représenter les intérêts de chacun des sexes.

Des politiques à double approche

La promotion de l’approche intégrée de l’égalité conduit à une plus grande

diffusion de données sur les différences de situation entre les hommes et les femmes1.

Soulignés précédemment, les chiffres de la participation sportive sont très importants aux

yeux des dirigeants politiques. De plus, comme on le lit dans les textes du corpus, de

nombreuses études sont demandées afin de mieux cerner les enjeux et définir l’action à

mener. L’adoption du gender mainstreaming a entrainé l’établissement de diagnostics chiffrés

propres à éclairer l’action publique. Depuis, le poids des chiffres est devenu considérable.

C’est pour cette raison qu’en termes d’outil et de mise en œuvre, c’est sur le chiffre que

porte l’essentiel de l’effort. Une des critiques de cette approche est qu’elle ne prend pas en

compte les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes2. On ne ferait que

regarder les inégalités de situation entre deux groupes que l’on suppose égaux. Pourtant, le

gender mainstreaming doit considérer les hommes et les femmes dans un contexte

relationnel. Les politiques d’égalité des sexes dans le sport ont tendance à passer au

travers de cet enjeu en n’adoptant que le point de vue féminin. Cette posture semble être

un obstacle à une réelle prise en compte des inégalités en termes de relation.

Il faut rappeler que l’approche transversale doit se coupler à des actions positives

pour que les politiques publiques soient efficaces. Bien que ces deux formules soient

promues dans tous les textes, seule Geneviève Fraisse (U.E) y fait référence de manière

claire. Le reste du temps, les actions sont plutôt justifiées par le bon sens, comme si ces

deux pratiques étaient ancrées dans l’action publique. Des actions ponctuelles sont donc

créées. On peut citer le trophée Femmes et Sport mise en place sous l’action du Ministère.

Il vise à récompenser une dirigeante pour ses performances, pour une initiative ou pour

une action favorisant la responsabilisation des femmes au niveau local ou national. On

trouve aussi une journée nationale dédiée au sport qui est l’occasion de mettre en avant les

différentes fonctions de la femme dans le sport en tant que pratiquante, dirigeante,

bénévole, technicienne ou arbitre3. Ces manifestations permettent de rendre les politiques

politiques d’égalité des sexes visibles pendant que l’approche intégrée leur donne la

possibilité de devenir des préoccupations générales.

1 Ibid. , p. 279. 2 Rankin Pauline et Vickers Jill, Les mouvements de femmes et le féminisme d’Etat : intégrer la diversité à l’élaboration des politiques gouvernementales, Ottawa, Condition féminine Canada, cité par Sandrine Dauphin op. cit. , p. 280. 3 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 12.

55

Le déploiement des politiques

Afin d’être certain que ces politiques sont mises en œuvre, un cadre d’action est

établi. Les politiques publiques ont pour but de toucher toute la population cible. Pour

parvenir à cet effet, la contribution de toutes les institutions est requise. Les collectivités

territoriales, les clubs et les institutions des différents mouvements sportifs sont

convoqués pour participer à la mise en place des projets. Pour faciliter l’action et

l’adhésion de ces acteurs aux politiques de mixité, le pôle de ressources « Sport, éducation,

mixité et citoyenneté » a été créé. Il constitue une ressource au développement de la

pratique sportive féminine et pour l’accès des femmes aux fonctions de responsabilités

associatives et techniques1. Ce service dépend de l’Etat et doit soutenir la mise en place

des politiques « femmes et sport ». Là encore, on ne parle de mixité que dans le titre : les

actions sont essentiellement destinées aux femmes. Un correspondant est présent dans

chaque département pour qu’aucun espace ne soit négligé.

Pour mettre en place à proprement dit les politiques, des dispositifs de formation

sont établis. Cependant, les objectifs sont encore une fois différents selon les niveaux de

compétence. D’une part, on trouve les directives européennes dans lesquelles on souhaite

former les professionnels du sport à la façon de gérer mixité et à la notion de genre.

D’autre part, la volonté des instances française est surtout de former les femmes afin

qu’elle puisse accéder aux postes où l’on aimerait les voir. Cet exemple montre à nouveau

le manque de cohérence entre les échelons des politiques. Les conséquences de ces

disparités entre les discours seront abordées par la suite.

Le dernier point qui concerne le cadre des politiques a trait aux contraintes mises

en place pour permettre la réussite des politiques. Celles-ci peuvent prendre la forme de

lois. Cependant, le régime de subvention tient particulièrement ce rôle en ce qui concerne

les politiques « femmes et sport ». En ce qui concerne les aides de l’Etat, le CNDS (centre

national de développement du sport) en est le pourvoyeur. Parmi les projets soutenus de

manière privilégiée, on trouve ceux qui concernent la pratique féminine. Cette sorte de

contrainte positive doit inciter les acteurs du sport à développer des projets allant dans ce

sens. La contrainte peut également être privative dans le cas où aucun effort n’est fait

dans le sens de la mixité.

- « Le parlement européen demande aux États membres et aux autorités de

tutelle de conditionner leur agrément et leur subventionnement aux

groupements sportifs et aux autorités sportives à des dispositions statutaires

1 Pôle sport, éducation, mixité et citoyenneté, http://doc.semc.fr.

56

garantissant une représentation équilibrée des femmes et des hommes à tous

les niveaux et pour tous les postes de décisions. »1

- « Pour les collectivités locales, le critère principal de financement des clubs

porte essentiellement aujourd’hui sur le nombre de licenciés. Il est

indispensable qu’il soit pondéré par leur rôle dans l’intégration sociale du

public féminin. »2

- « Recommandation : […] intégrer la mixité dans les critères d’attribution des

subventions municipales aux clubs de sport. »3

En France, l’organisation des activités sportives dépend généralement de

financements publics. Les politiques jouent donc sur ce terrain pour obliger les

groupements sportifs à mener des actions en faveur de la mixité. Ce régime de

subventions passe essentiellement par une aide au développement du sport féminin,

cheval de bataille des politiques de mélange des sexes.

Les actions menées pour la mixité ont pour but l’égalité des sexes. Pour être plus

précis, et comme il l’est indiqué dans les directives, le but est de faire disparaître les

stéréotypes de genre qui sont au cœur de la hiérarchisation et des rapports de pouvoir

entre les sexes. L’objet de ce travail est la construction du genre. L’intention est de rendre

compte de l’effet des politiques de mixité des sexes sur les rapports sociaux entre les

hommes et les femmes. Avant de passer aux niveaux des relais et de la mise en place des

politiques sur le terrain, l’analyse des programmes de mixité permet de traiter cette

question.

5. Politiques sportives et rapports de genre

La prise en compte des différences est un élément déterminant lorsque l’on met en

place des politiques de lutte contre les discriminations et les inégalités. Le modèle

républicain français est à l’indifférenciation et à la reconnaissance de l’individu universel.

Malgré tout, le fait que la différence des corps sexués était prise en compte dans

l’universalité a été souligné. C’est donc cette posture qui est adoptée dans les politiques

sportives. Ce choix est promu tant par l’Union européenne que par les institutions

françaises :

1 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 12. 2 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 22. 3 André Michèle, op. cit. , p. 164.

57

- « Le Parlement européen considère que la pratique sportive des filles et des

garçons doit accepter le défi de fabriquer de l’égalité à partir de la différence

des corps ».1

- « Il ne s’agit pas ici de nier l’existence, chez l’un ou l’autre sexe, de

particularités physiques ou biologiques, mais plutôt d’insister pour que celles-ci

soient acceptées et prises en compte sans pour autant aboutir à exclure les

femmes d’une partie du champ sportif. »2

Les différences de sexe sont donc prises en compte. D’autres différences sont

également considérées dans les politiques. Elles ont trait à l’engagement sportif et sont

liées au genre. Ces disparités sont décelables dans les attentes spécifiques de chacun des

sexes. Dans les rapports, les souhaits des pratiquants pèsent dans l’établissement des

directives :

- « Le Parlement européen considère la nécessité d’une offre sportive

correspondant aux besoins des femmes à chaque étape de leur vie, notamment

pour les femmes enceintes et les jeunes mères avec des conseils pour la

pratique de sports adaptés à leur situation. »3

- « L’objectif est de médiatiser les différentes approches du sport, en dehors

de la compétition qui bénéficie de retombées médiatiques directes, et en

souligner les aspects santé, famille, convivialité, facettes auxquelles les femmes

sont très attachées. »4

Une nouvelle fois, les spécificités sont du côté des femmes et leur pratique semble

perçue comme différente de l’activité traditionnelle. La féminisation consiste donc à

adapter l’offre aux spécificités féminines. Certes, cette méthode permet l’ouverture de

certaines disciplines aux femmes. Elles pourront y trouver des activités cohérentes avec

leurs attentes. A travers cette méthode, on cherche plutôt une mixité sportive étant donné

la séparation des hommes et des femmes selon leurs modes de pratique. De plus, en

« adaptant les pratiques »5, le risque est de maintenir les stéréotypes de genre. En effet, ce

mode de recrutement maintient les sexes dans des activités que l’on considère comme

masculines ou féminines. La répartition ne se fait plus au gré des disciplines mais au sein

1 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 7. 2 André Michèle, op. cit. , p. 100. 3 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 7. 4 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 12. 5 Ainsi La Fédération Française de Judo a créé le Tai-so, approche douce du judo, et la Fédération Française de Basket-ball indique que l’opération « Génération Basket Filles » initiée en Ile -de-France il y a deux ans, a permis l’augmentation de la participation des filles grâce notamment à la modification des règles de jeu privilégiant la course, l’endurance et les logiques de passe plutôt que la « détente sèche » plus physique.

58

des disciplines. Ce processus était déjà à l’œuvre dans certains sports – on peut citer la

natation où le water polo est plutôt masculin et la natation synchronisée à tendance

féminine – et les politiques tendent à le renforcer. On veut bousculer les stéréotypes qui

empêchent les femmes d’accéder à certaines disciplines. Cependant, les programmes

conduisent à rejouer ces stéréotypes dans chacun des sports. Dans ce contexte, la mixité

renforce le genre : la séparation repose en effet sur des représentations sociales sexuées. Il

s’agit d’un effet pervers au sens de Raymond Boudon. En voulant se dresser contre les

stéréotypes de genre, les politiques en viennent à les recréer ailleurs, et de manière

involontaire. Le problème du chiffre est résolu mais pas celui des représentations.

La façon dont les femmes sont considérées vient marquer le poids du genre dans

les politiques sportives. Les femmes, en plus d’être perçues comme des pratiquantes, sont

souvent vues comme des mamans. Cette situation tient son origine du constat de leur

faible présence dans le champ sportif. Souvent, la non-pratique féminine est expliquée

(par les femmes elles-mêmes ou par les responsables des politiques) par le manque de

temps. La charge de travail domestique et la prise en charge des enfants sont des obstacles

à l’activité sportive. Cependant, selon Catherine Louveau1, la question n’est pas celle du

temps à trouver mais du temps à prendre. Au regard des réalités de chaque groupe social,

on se rend compte que ce n’est pas celles qui ont le moins de temps qui pratiquent le

moins. C’est surtout le type de socialisation féminine qui pèse dans l’accession à la

pratique. Plus le rôle de mère aura été intégré, moins les femmes auront tendance à s’en

défaire. La possibilité de faire du sport sur des horaires où les enfants doivent être pris en

charge reste alors impossible. Les politiques semblent prendre en compte le « problème »

de la garde des enfants :

- « Le Parlement européen insiste sur la nécessité de tout mettre en œuvre

afin de permettre aux femmes de pratiquer une activité sportive et physique en

offrant un meilleur accès aux installations sportives, par des cours spécifiques,

des horaires réservés, et en prévoyant des structures d'accueil pour les enfants

et une bonne desserte des centres sportifs. »2

- « La création de crèches ou de structures d’accueil pour les jeunes enfants

peut constituer également un levier significatif pour faciliter l’accès des femmes

aux activités sportives. »3

Ces arrangements permettant aux femmes de pratiquer paraissent être un réel

progrès. Cette orientation joue sur les obstacles ressentis comme tels par les femmes et

1 Louveau Catherine, Davisse, Annick, op. cit. , p. 38-44. 2 Fraisse Geneviève, op. cit. , p. 10. 3 André Michèle, op. cit. , p. 108.

59

qui les empêchent de faire du sport. Cependant, cette option ne remet pas en cause la

tendance au maternalisme (entendu dans le sens de considérer les femmes avant tout dans

leur statut de mères). Les rôles de sexes se voient confortés et l’on s’éloigne d’un idéal où

le care1 est pris en charge à la fois par les hommes et par les femmes (universal care-giver

model)2. Ainsi, l’action publique modifie les forces sociales en intégrant les femmes à des

espaces où l’accès leur est difficile mais ne produit pas pour autant une meilleure égalité.

Le fait de décharger un instant les femmes de la garde de leur(s) enfant(s) maintient la

représentation qui les prédispose naturellement à cette fonction et plus généralement à la

prise en charge du care. De plus, la mise en place des politiques permettant aux femmes de

faire du sport les placent dans une sorte de dépendance de l’action sociale. Il s’agit donc

d’une adaptation aux rôles de genre plus que d’une réelle restructuration des rapports de

genre.

La prégnance des normes de genre se donne à voir dans d’autres aspects des

politiques de mixité sportive. Le constat de l’absence des femmes aux postes de décision

s’explique souvent au moyen de stéréotypes :

- « Il est apparu clairement dans les auditions que le frein principal à la prise

de responsabilités électives était le manque de confiance, la crainte de ne pas

savoir faire, surtout dans les domaines juridiques, fiscaux, des assurances, de la

gestion des salariés, domaines de plus en plus prégnants dans le travail des élus.

Les contraintes de gestion du temps constituent également un obstacle. »3

A la lecture de ce passage, on observe que les obstacles sont situés du côté des

femmes. L’absence de capacité de direction serait inhérente au « côté féminin ».

Cependant, ces constats sont surtout le fruit de représentation et semblent mettre de côté

les relations sociales qui se jouent dans les espaces de direction. En situation de mixité, et

d’autant plus dans les lieux de pouvoir, les dominants ont tendance à renforcer les

stéréotypes4. Les dominés s’y conforment généralement pour répondre aux attentes, de

genre notamment. En plaçant le problème du côté des femmes, les politiques ne tiennent

pas compte des rapports de pouvoir à l’œuvre. L’objectif est de former les femmes pour

qu’elles développent les qualités nécessaires pour diriger et qu’elles puissent tirer leur

épingle du jeu :

1 Posture éthique relative à l'ensemble des aides et soins apportés aux besoins des autres. Toute une somme de valeurs sont portées par le care (prévenance, responsabilité, attention éducative, compassion, attention aux besoins des autres). 2 Dauphin Sandrine, « Action publique et rapports de genre », Revue de l'OFCE, n° 114, 3/2010, p. 272. 3 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 18. 4 Duru-Bellat Marie, « La mixité a aussi un prix », Ville, école, intégration. Diversité, n° 165, 2011, p. 95-99.

60

- « Chaque fédération est invitée, dès 2005, à recenser les candidates

potentielles et les nouvelles élues et à prévoir pour elles un plan de formation

spécifique et pragmatique : prise de parole, conduite de réunion, gestion des

conflits. »1

Cet objectif de formation est fait pour aider les femmes à mieux figurer dans les

instances de décision. Cependant, il y a fort à parier que les rapports de pouvoir ne soient

affectés grâce à ce seul biais. Cette incertitude peut se renforcer au travers d’un autre

aspect. Il concerne la façon dont est justifiée la volonté de faire venir les femmes aux

postes de dirigeants. En effet, elle repose sur le principe de complémentarité des sexes qui

est au cœur du genre. Cette dimension est absente au niveau international mais on la

retrouve dans le rapport « femmes et sport » du Ministère des sports :

- « Il est indéniable que [les femmes] apportent un nouveau regard et de

nouvelles méthodes de management, un discours différent, authentique et

direct, une écoute attentive des autres, une approche personnelle dans la

gestion des conflits. »2

Ces déclarations révèlent la répartition traditionnelle des capacités et des rôles

selon les sexes. Elles se veulent bienfaisantes et servent à convaincre les élus en place que

l’arrivée des femmes est un avantage. Malgré tout, cette manière d’instaurer la mixité

renforce encore les normes de genre, bien que cela ne soit pas la volonté des décideurs.

Au lieu d’une renégociation de l’arrangement des sexes, cette politique maintient le

principe de complémentarité en le considérant naturel.

Un ultime élément naturalisant les différences entre les sexes est perceptible dans

les orientations des politiques sportives. Il s’observe uniquement dans les rapports

nationaux. On peut ainsi lire que la pratique féminine n’est possible que si l’encadrement

se féminise :

- « La possibilité de former les jeunes filles des quartiers serait une solution

très intéressante pour faciliter le contact avec ces jeunes filles. »3

Cet extrait met en relief plusieurs aspects. On remarque dans un premier temps le

raccourci établi entre le sexe des individus et celui des pratiquants : une femme serait

prédisposée à encadrer les filles. La ressemblance des individus sexués semble expliquer

leur proximité. Ce premier aspect est peu développé à ce niveau des politiques, il sera

précisé dans l’analyse des deux autres niveaux où il est plus marqué. Le second aspect

1 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 15. 2 Deydier Brigitte, op. cit. , p. 11. 3 Ibid. ,p. 19.

61

concerne la mixité sociale. D’après les directives, les enjeux du mélange des sexes ne sont

pas les mêmes selon l’espace où il a lieu. Les « quartiers » seraient des espaces moins

sensibles à la mixité des sexes. Les hommes qui gèrent le sport dans ces endroits seraient

contre la mixité. La dimension religieuse transparaît. L’Islam serait effectivement

particulièrement pratiqué dans les quartiers. Les rapports sexués que prône cette religion

semblent être perçus comme des obstacles à la mixité. Souvent fantasmée, l’idée que les

femmes sont exclues des espaces de pratique dans les quartiers est bien présente chez les

politiques. L’islamophobie sous-jacente explique donc la stigmatisation de ces espaces. La

seule solution qui permettrait de faire pratiquer les jeunes filles des quartiers est la mise en

place d’un encadrement féminin. Cette situation est caractéristique de l’ethnicisation des

rapports de genre. Bien qu’il parte d’une bonne volonté, ce processus stigmatise les

religions en question ainsi que les femmes de ces espaces. En forçant les traits de leur

domination, les politiques maintiennent ces femmes dans une situation de dominées.

*

* *

Initiées par des mouvements internationaux, les politiques de mixité des sexes dans

le sport se déclinent selon les principes de chacun des Etat où elles prennent forme.

Malgré le lien institutionnel qui existe entre les différents niveaux de législation, les

contenus des politiques ont du mal à être cohérents. Plus on descend dans la chaîne des

politiques, plus les orientations perdent de leur pertinence. En France, la réflexion

institutionnelle sur la mixité sportive semble limitée. Elle est confiée à des personnes non

spécialistes qui utilisent surtout leurs propres représentations pour concevoir les

directives. Le champ scientifique est peu consulté, et parfois même contredit. L’injonction

à la mixité est surtout une formule incantatoire qui situe le mélange des sexes comme

l’objectif principal. Alors que c’est le cas au niveau européen, les politiques nationales

n’évoquent à aucun moment la mixité comme un nouveau rapport entre les sexes. C’est

d’ailleurs essentiellement du côté des femmes que l’on pense la mixité, et non dans une

forme relationnelle. Les discriminations et processus sociaux que la mixité peut générer

sont oubliés tant on la perçoit comme un gage d’égalité. Bien que l’objectif de ces

politiques soit l’égalité des sexes, la façon dont elles rejouent les normes de genre semble

renforcer la différenciation et la séparation entre les sexes. Avant même leur mise en

place, la forme et le contenu des politiques provoquent des effets pervers. La mise à

l’épreuve des politiques de mixité à l’adhésion des acteurs permettra de déterminer leurs

effets sur les rapports sociaux entre les sexes.

62

III) Relais des politiques et mise en place sur le terrain

Ces deux niveaux des politiques publiques sont abordés en communs. Un fois les

entretiens réalisés, il s’est avéré que le contenu des discours était très semblable. Plusieurs

éléments peuvent expliquer cette situation. Dans un premier temps, la nature des acteurs

qui officient à ces différents niveaux. Toutes les personnes rencontrées en tant que

membre des institutions-relais sont (ou on été) membre de club. Cette situation est

fréquente et les individus figurent parfois dans plusieurs institutions relais en plus de leur

activité dans les clubs. Une deuxième observation concerne l’organisation des politiques.

L’enquête de terrain est claire, il n’existe pas à proprement dit de politiques uniformisées

telles qu’on peut le prétendre au regard du niveau législatif. On retrouve surtout des

actions ponctuelles qui résultent d’initiatives individuelles. La réflexion sur le mélange des

sexes est peu développée et les liens entre les différents acteurs sont très limités. Chaque

discipline fonctionne selon les principes qu’elle définit. Les têtes de réseaux ayant en

charge la mixité sont rarement identifiées et leur marge activité se limite souvent à du

partenariat. Par conséquent, les politiques sont « pensées » à partir de principes d’égalité

quelque peu instables et teintés de représentations. Les rôles des différents acteurs ne sont

pas clairement définis, on a donc plutôt à faire à un discours uniformisé que l’on retrouve

à tous les étages qu’à une réelle organisation politique. Malgré cette refonte des deux

derniers niveaux, les relais et les « artisans » de la mixité seront différenciés au gré du

propos. Cette distinction permet de replacer l’action dans le domaine de compétences.

Un autre élément est à souligner avant d’engager l’analyse des entretiens. Il permet

de renforcer l’idée que la réflexion autour de la mixité dans le sport est rare. Le propos

concerne d’ailleurs plutôt le sport féminin, puisque c’est sous cet angle que la question du

mélange est le plus souvent abordée. Les entretiens se déroulent généralement en deux

temps. Une première partie est consacrée à l’exposition des actions menées par les

institutions, ou au compte rendu des pratiques des éducateurs sportifs. A cette étape, la

discussion porte sur les aspects très concrets des politiques et aboutie la plupart du temps

sur les problèmes rencontrés dans la gestion et la mise en place des programmes. Dans un

second temps, le dialogue quitte le champ purement sportif pour aborder des notions plus

générales : le rapport entre les sexes, les éventuelles différences entre les hommes et les

femmes, la mixité et son lien avec l’égalité. A ce moment, les acteurs interrogent leurs

propres pratiques et leurs propres représentations. Ces réflexions personnelles semblent

nouvelles. Elles rompent le schéma traditionnel de pensée qui repose sur des

représentations. Même si peu de réponses aux problèmes rencontrés sont trouvées, les

63

individus reconnaissent que les politiques de mixité reposent parfois sur des principes

quelque peu instables.

Une fois ces remarques faites, il faut passe à l’analyse du contenu des entretiens. Le

but est d’identifier les conditions d’adhésion aux politiques de mixité afin d’évaluer leur

impact sur les rapports de genre. Au regard des discours, une chose est sure : l’injonction

politique à la mixité détermine moins les pratiques que l’expérience du terrain.

1. La mixité sous conditions

Dans le sport, la mixité peut être entendue selon deux modes. Il s’agit soit de la

présence significative des deux sexes dans un même groupement sportive (fédération,

club), soit de la pratique commune entre hommes et femmes sur un même terrain. Ces

deux situations, nommées respectivement mixité sportive et sport mixte, vont être

abordées de manière distincte. Elles sont effectivement perçues de manière antagoniste.

La mixité sportive

Ce modèle de mixité est particulièrement promu au niveau législatif. Cette

préoccupation se retrouve aux niveaux des relais et des clubs. Aux questions qui les

invitent à parler de la mixité, les enquêtés répondent systématiquement en abordant la

question du chiffre. Plus précisément, c’est le sport féminin qui est évoqué et la faible

présence des femmes est pointée. A ce niveau, on est également sensible à l’idée que les

sportives sont minoritaires1 dans le champ sportif.

Qu’ils soient issus de mouvement omnisports ou de disciplines spécifiques, les

acteurs relèvent tous le manque de femmes dans leurs effectifs. Cependant, les chiffres ne

sont pas les mêmes dans tous les sports, dans tous les espaces ni dans tous les clubs.

Cependant, qu’elles représentent 3% ou 35% des pratiquants, le discours est le même : on

veut plus de femmes car il n’y en a pas assez. Pourtant à la base de cette observation, les

chiffres n’entrent pas en compte dans les objectifs. On ne veut pas tel pourcentage ou

telle quantité de sportives. On en veut simplement plus. La mixité, envisagée du côté des

femmes, n’est pas quelque chose qui se décrète à partir d’un seuil. Le chiffre vient prouver

qu’il y a un manque mais la mixité semble surtout être un enjeu « à la mode ». Le discours

est d’ailleurs très uniforme chez tous les acteurs, malgré des réalités différentes. L’idéal

pourrait être le 50/50 mais les acteurs du sport n’en font pas un objectif. Si la mixité n’est

que peu définie, la forme qu’elle doit prendre reste également sans réponse. Le mélange

1 La minorité évoque ici la dimension numérique.

64

est surtout initié au travers de sensibilités. Il n’y a pas d’objectifs précis mais plutôt une

volonté d’égalité immatérielle qui semble dépasser le cadre purement sportif.

La façon dont les enquêtés justifient la mixité est révélatrice de leur croyance en sa

participation à l’égalité des sexes. Peu d’arguments sont donnés mais la coprésence

d’hommes et de femmes dans les organisations sportives est perçue comme une évidence.

- « C’est un problème, pourquoi ? Parce qu’on est dans la parité et que le

sport est réservé à tous, donc autant aux hommes qu’aux femmes. Voilà. »

- « Je dirai que ce qui est bien, c’est la vie en société. La société est mixte donc

le sport doit être mixte aussi. »

- « C’est pour le lien social, pour que tout le monde se retrouve autour d’une

même activité. »

Pendant les entretiens, les acteurs interrogés s’étonnent souvent qu’on les interroge

sur les raisons de la mixité. Ce principe est très ancré. Un certain inconfort est d’ailleurs

perceptible chez les acteurs lorsque la présence des femmes fait défaut dans leur structure.

Cette situation semble souffrir de préjugés défavorables. Dans ce contexte, la mixité est

un moyen de prouver sa bonne foi, de montrer que l’on est ouvert à tous et à toutes. Ce

discours est à la base de la mise en place de la mixité. La justification met à nouveau en

jeu le principe civique1. Il vise l’intérêt général, dans ce cas ceux des hommes et des

femmes à la fois.

Si la mixité sportive était simple à réaliser, peu d’interrogations existeraient à son

égard. C’est parce qu’elle est difficile à mettre en place qu’elle reste un problème.

Lorsqu’ils sont identifiés, les obstacles à la mixité sont toujours du côté féminin. D’après

les enquêtés, ils concernent à la fois les pratiquantes et les institutions sportives. Dans les

deux cas, la « nature » de la discipline détermine la possibilité d’y introduire la mixité.

Lorsque les freins à la mixité sont attribués aux femmes, leur manque d’implication est

pointé. Pour certains, elles ne veulent pas faire de sport, tout simplement. D’autres vont

plus loin :

- « On s’autorise à penser que les femmes ne pratiquent pas assez. Peut être

parce qu’elles ne s’y autorisent pas ou parce que le sport n’est pas accessible

pour elles. »

Parmi les contraintes évoquées, on retrouve celles qui ont trait à leur prétendu rôle

de mère. Le temps consacré aux activités domestiques ne leur permettrait pas de s’engager

1 Boltanski Luc et Thévenot Laurent, De la justification, Paris, Gallimard, 1992, cité par Lafaye Claudette, La sociologie des organisations, Paris, Nathan, 1996, p. 90-91.

65

dans une pratique sportive. Les représentations concernant le sport et les différentes

disciplines seraient aussi une barrière. La tendance à penser que le sport est fait pour les

hommes est perçu comme un obstacle. Lorsqu’elles pratiquent, les femmes rejoindraient

de façon privilégiée le peu d’activités dites féminines. Cette orientation se ferait au

détriment de la majorité des autres activités, masculines ou neutres.

Alors que les obstacles se situant du côté des sportives reposent sur des

suppositions, ceux que l’on trouve du côté de l’institution semblent plus fondés.

L’expérience des acteurs rencontrés en atteste : les discussions avec certains d’entre eux

mettent en relief le peu de considération pour la pratique féminine de la part de

institutions. Ainsi, il existe un hermétisme de la part de certains responsables (des

hommes exclusivement) qui ne considèrent le sport uniquement dans sa déclinaison

masculine. Beaucoup d’entre eux se disent ouvert à l’intégration des femmes mais en

pratique, rien n’est fait pour y parvenir. Ainsi, des soucis logistiques ou d’organisation

sont invoqués pour justifier l’impossibilité d’accueillir les femmes. Volontairement ou

non, on a du mal à modifier la structuration actuelle afin qu’elle puisse accueillir les

individus des deux sexes (installations, plannings, encadrants…). Fantasme ou réalité, on

pense que les individus des plus anciennes générations seraient moins favorables à

l’intégration des femmes à cause d’une moins grande sensibilité à la question de l’égalité

des sexes. L’aspect organisationnel sera approfondit plus tard mais cet exemple montre

d’emblée que les politiques dépendent de l’adhésion des acteurs.

Particulièrement promue au niveau législatif, la mixité sportive l’est également au

niveau des relais et des différents groupements qui la mettent en place. Elle est devenue

inévitable dans le sport pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Cependant, La

présence des femmes reste faible aux yeux des responsables des organisations sportives.

Le mélange passe par le recrutement féminin et c’est cette tâche qui pose problème. Deux

cas de figure cohabitent. Pour certains, cette méthode est une manière de dépasser les

contraintes qui pèsent sur les femmes et qui les empêchent de faire du sport. Mais pour la

majorité, le but est simplement d’avoir plus de sportives dans leurs effectifs. Dans les

deux cas, les objectifs sont difficiles à atteindre. Cette situation s’explique peut-être par

l’absence de buts clairement définis. On veut la mixité sportive, sans détailler ce que l’on

met derrière cette notion. Elle n’est ni quantifiée, ni qualifiée. Les obstacles culturels et les

difficultés à dépasser le simple principe de s’ouvrir aux femmes maintiennent la mixité

sportive au statut de problème.

66

Le sport mixte

Contrairement à la mixité sportive, cette forme de mélange entre les hommes et les

femmes n’est pas souhaitée. On ne peut même pas qualifier cette orientation de choix : la

question d’une éventuelle pratique commune entre les sexes ne se pose pas. A quelques

exceptions près, on préfère la séparation. Cette situation se résume au travers des propos

d’une des personnes enquêtée :

- « Le sport rassemble mais pas forcément sur le terrain. »

- Contrairement à la mixité sportive, une multitude d’arguments viennent

justifier la séparation. En tête, le physique revient avec insistance et évidence :

- « Les garçons ont plus de force, plus de rapidité ».

- « A cause de l’impact physique, le mélange est difficile. »

- « L’homme est plus fort et plus puissant, donc dans l’impact, peu de filles

pourront y arriver. […] La testostérone fait que malheureusement, la femme

n’est pas l’homme. »

- « Effectivement, la puissance du garçon arrive beaucoup plus naturellement,

c’est beaucoup plus naturel. »

Ces propos illustrent que l’adhésion à la pratique mixte dépend de la façon dont on

prend en compte les différences biologiques. Certes, elles existent, mais c’est surtout la

manière dont on les considère et dont on les renforce qui détermine leur importance.

Dans le sport, où la culture du physique est très présente, les différences corporelles sont

capitales d’après les enquêtés. Cependant, ces derniers évoquent rarement des

caractéristiques proprement physiques. La vitesse, la puissance, l’explosivité ou la détente

n’ont rien à voir avec le biologique. Ce sont surtout des qualités que l’on développe,

notamment dans le cadre de la pratique sportive. Ce sont également celles que l’on associe

au masculin. Les caractéristiques féminines étant différentes, la pratique commune est

jugée impossible. Ces obstacles au mélange des sexes sont souvent invoqués avec

évidence. Aucune justification fondée n’est apportée. Ces arguments sont plutôt utilisés

en tant que représentations. Malgré tout, ces images sont à la base de la séparation des

sexes.

Un deuxième argument revient fréquemment. Il concerne le niveau de jeu des

pratiquants. D’après les personnes rencontrées, celui des hommes est plus élevé que celui

des femmes. Cet écart rend l’affrontement mixte impossible. Cette observation semble

fragile. Il s’agit souvent d’une déclinaison des caractéristiques physiques. Le niveau de jeu

n’est pas forcément naturalisé mais en sport, pour réaliser de bonnes performances, la

67

dimension physique est centrale. Comme les acteurs partent du principe que les femmes

sont désavantagées physiquement, leur niveau de jeu en serait affecté.

Les représentations des individus ne sont pas les seuls éléments qui viennent

inférer sur la possibilité de mise en commun des sexes. L’organisation du sport va

également dans le sens de la séparation. Les compétitions sont sexuées. A leur niveau, les

relais des politiques et ceux qui les mettent en place peuvent difficilement instaurer des

pratiques mixtes dans un cadre qui prône la séparation. Rassembler les hommes et les

femmes viendrait à remettre en cause la tradition du sport où la séparation est de

coutume. Cette habitude est d’ailleurs un élément qui explique la séparation. Les enquêtés

avouent ne pas se poser la question en suivant le modèle fédéral. Pour procéder au

mélange des sexes, des arrangements seraient nécessaire pour qu’elle soit équitable.

Personne ne semble prêt à franchir cette étape qui reviendrait à dénaturer le sport. La

culture de la séparation est donc très présente et il est difficile d’aller à son encontre. Les

initiatives sont absentes, peu sont ceux qui osent aller à l’encontre de la tradition sportive.

A l’inverse, le discours des acteurs conforte le modèle en place.

D’autres arguments viennent appuyer le refus de la mixité sportive. Ils ne reposent

pas sur des principes préalables à la pratique mais sont formulés à la suite

d’expérimentations de la mixité. D’après les déclarations, le mélange des sexes contient

plus d’inconvénients que d’avantages. Cette réalité serait surtout à l’œuvre chez les enfants

ou les adolescents. Un certain inconfort est pointé chez les encadrants comme chez les

pratiquants. Les premiers notent que le mélange se fait souvent au détriment des filles.

Les garçons jouent souvent entre eux et ces dernières sont cantonnées au rôle de

spectatrices. Pour ce qui est des sportifs, le mélange n’est tout simplement pas souhaité. Il

faut quand même souligner que ce point de vue n’est pas celui des pratiquants mais des

encadrants. Même si elle est à modérer, cette observation revient à de nombreuses

reprises. Ces difficultés à mettre en place la mixité sportive rappelle celles qui existent

dans les cours d’éducation physique et sportive1 (EPS). Dans cet autre contexte, la mise

en commun des sexes est plus ou moins obligatoire. C’est d’ailleurs cette contrainte qui

pousse le plus souvent à mixer les groupes. Dans le sport, aucune obligation en la matière

n’existe. Face aux difficultés et aux réticences, la séparation est donc de mise.

L’expérience de la mixité est le plus souvent un échec chez les plus jeunes. Pour ce

qui est des adultes peu de problèmes sont relevés, tout simplement car la mixité est

rarement expérimentée. Les quelques cas où elle prend forme seront détaillés plus tard.

1 Terret Thierry, Cogérino Geneviève, Rogowski Isabelle, Pratiques et représentations de la mixité en EPS, Paris, Revue EPS, 2006.

68

En somme, la mixité ne serait pas possible à tous les âges. Cette variable est une autre

règle qui détermine le mélange. Une nouvelle fois, le corps entrent en jeu :

- « Les meilleurs filles qui jouent à un bon niveau, elles peuvent jouer jusqu’à

14 ans. Après il y a trop de différences. »

- « A 9-10 ans, le physique ne joue pas encore. C'est-à-dire que pour un

garçon où une fille, la notion de puissance, d’explosivité n’est pas encore bien

présente. »

- « Ce sont des jeunes, donc ils peuvent jouer gars et filles ensemble. Quand

on voit des jeunes de 12-13 ans, au niveau de la force, un garçon et une fille, ce

n’est pas pareil. »

Chacun fixe une limite d’âge à partir de laquelle le mélange n’est plus possible. Ce

n’est pas cet élément qui, en soi, empêche la mixité mais les bouleversements physiques

qui surviennent à cet âge. A la puberté, les corps deviennent trop différents pour que le

mélange s’établisse. Le développement musculaire masculin est la principale évolution

dont on tient compte et semble rédhibitoire. Sans nier les modifications physiologiques

qui se jouent à la puberté, le discours des enquêtés repose surtout sur des représentations.

L’âge à partir duquel le mélange est impossible varie selon les interlocuteurs. Plus que de

réels problèmes rencontrés, c’est l’habitude de séparer à partir de cet âge qui semble être

le principal élément de justification. La tradition n’est pas remise en cause. C’est pour l’âge

que la séparation est établie et non pas pour les éventuels difficultés que la mixité produit.

Cette variable semble surtout être un obstacle construit qu’un obstacle réel.

Pour diverses raisons, la pratique mixte n’est pas souhaitée. Les arguments servant

de justification sont perçus comme évidents. A aucun moment on ne les remet en cause.

Les obstacles sont rarement la conséquence d’expérimentations mais sont, a priori,

considérés comme tels. Les règles et les traditions sportives qui privilégient la séparation

paraissent déterminer l’adhésion au mélange des sexes. Même si le physique sert de

soubassement à la division, la division semble surtout être la conséquence de pratiques

sociales. Pour illustrer le fait que la séparation est surtout une affaire de préférence que

d’obstacle, il faut s’intéresser à toutes les situations où la pratique mixte se donne à voir.

Même si c’est par défaut qu’elle prend forme, il arrive que les hommes et les femmes

pratiquent ensemble.

Les personnes rencontrées s’accordent à dire que dans l’idéal, il faut former des

groupes sexués. Cependant, pour diverses raisons, des groupes mixtes sont souvent

formés. Malgré le refus unanime de cette situation et les problèmes qu’elle est censé

produire, les discours changent quand la mise en commun des sexes est inévitable.

69

Lorsque le nombre de pratiquant ou d’encadrant fait défaut ou quand « l’âge » le

permet, le sportif et les sportives sont regroupés. Dans ces situations, les obstacles

disparaissent et la mixité devient bénéfique.

- « La mixité peut leur apporter plus d’entraide, plus de communication entre

eux, entre garçons et filles. Ca peut faciliter le rapprochement qu’il n’y a pas

forcément en dehors du sport, et derrière, ça peut créer des liens. »

- « En acceptant de partager quelque chose que l’on aime avec d’autres qui

sont différents, que ce soit physique, intellectuel ou au niveau du sexe, on leur

apprend la tolérance. »

- « C’est vrai que les hommes ont un niveau supérieur, donc ça peu apporter

une expérience et un apprentissage pour les femmes. »

A une exception près1, toutes les personnes rencontrées voient des effets

bénéfiques dans le mélange des sexes. Les trois éléments mis en relief dans ces exemples

sont ceux que l’on retrouve le plus souvent. La mixité aurait des vertus socialisantes et

apporterait tous les bienfaits nécessaires à de bonnes relations entre les sexes. De plus, le

discours sur la différence entre les sexes opère. Cependant, certains voient en la mixité un

moyen de les faire accepter quand d’autres perçoivent la possibilité de montrer aux

pratiquants qu’au fond, hommes et femmes ne sont pas si différents. Pour finir, le

mélange permettrait une « saine émulation » où chacun des sexes bénéficierait la présence

de l’autre. Cet argument n’est valable que dans un sens : ce sont toujours les hommes qui

tirent les femmes vers le haut. On retrouve l’image de l’homme dominant et figure de

référence lorsqu’il s’agit de sport. Dans les trois cas, les discours reposent sur des

représentations. Finalement, peu importe ce que la mixité amène car de toute façon, elle

ne peut pas faire de mal. La croyance en les bienfaits du mélange des sexes explique

surement la différence entre les discours. Chacun interprète les effets du brassage à sa

façon, mais tout le monde s’accorde à dire que lorsqu’elle à lieu, la mixité est bénéfique.

Les différents avantages venant d’être énoncés sont répartis selon les âges. Quand

ils mettent en jeu la dimension éducative, ils sont propices à un jeune public. Lorsque l’on

parle d’un public plus mature, les bénéfices de la mixité diffèrent. Dans ce cas,

l’argumentaire est beaucoup moins développé, ce sont surtout les représentations

favorables à l’égard de la mixité qui semblent jouer : c’est bien, c’est sympa, on apprécie,

ça change de la séparation. En somme, quels que soit le contexte, il y a des avantages.

Cette observation renforce l’idée que ce n’est pas le mélange des sexes en lui-même qui

1 La mixité n’était pas jugée néfaste mais pas non plus forcément bénéfique. Elle était perçue comme quelque chose de « sympa », mais aucun effet avantageux n’était permis par cette situation d’après l’interlocuteur.

70

provoque des bienfaits mais toutes les images favorables qu’on lui attribue. En ne voyant

que les bienfaits, on met de côté la possibilité que la mixité soit néfaste. Le sport mixte

n’est donc ni pensé ni véritablement mis en place. On se saisit plutôt des espaces où il

existe et on les construit comme bienfaisant en se servant des a priori favorables dont jouit

la mixité.

Loisir ou compétition ?

Hormis toutes les raisons venant d’être évoquées, un autre aspect est déterminant

de la mixité, dans toutes ses formes. Il s’agit de la présence ou non de compétition qui,

lorsqu’elle est présente, mène inévitablement à la séparation. A l’inverse, dès lors que la

compétition disparait, la mixité redevient possible.

La variable compétitive influe tant sur la mixité sportive que sur la pratique mixte.

Dans le premier cas, ce sont les attentes des sportifs qui entrent en jeu. En effet, les

femmes seraient plus sur un modèle de pratique loisir, détente, alors que les hommes

privilégieraient la compétition. Les observations mises à jour par Catherine Louveau1 se

retrouvent dans les propos des enquêtés :

- « Je pense que les filles veulent prendre soin de leur corps, sans forcément

faire de compétition. »

- « Tout au début, l’enseignement du tennis n’a pas été prévu pour les petites

filles. C’est quand même un sport où l’on se bat contre l’autre […] D’une

manière générale, les petites filles sont moins compétitrices. »

- « Quand je vois les filles, elles n’ont pas l’esprit de compétition par rapport

aux garçons. »

Dans l’esprit des personnes rencontrées, il existe de véritables différences entre les

attentes des sportives et celles des sportifs. La distinction la plus marquée concerne le

mode d’engagement dans la pratique. Les femmes seraient donc plus loisir, copinage et

détente lorsque compétition, résultat et affrontement priment pour les hommes. Dans ce

contexte, l’offre proposée par les fédérations ou les clubs semblent déterminer la mixité

sportive. Les groupements qui orientent leurs activités essentiellement sur la compétition

disent avoir du mal à recruter des féminines. C’est pourtant dans cette optique qu’est

structuré le sport fédéral. Les rencontres avec les représentants des comités ont permis de

mettre à jour cet aspect : la performance est la priorité et c’est au travers de cet usage que

l’on tente de développer la pratique. Dans ces institutions, on remarque également que ce

1 Davisse Annick, Louveau Catherine, Sport, Ecole, Société : La différence des sexes, Paris, L’Harmattan, 1998.

71

sont les compétitrices qui sont les plus fidèles. L’objectif est donc d’habituer les jeunes

filles, le plus tôt possible, à participer aux compétitions. Ce positionnement porte souvent

préjudice à celles qui recherchent une pratique de loisir, ou qui arrivent tardivement dans

une discipline sans avoir vécu une « socialisation compétitive » :

- « Vers 12-13 ans, les compétitrices restent, les meilleures restent et les autres

n’ont plus envie. »

- « Si à l’origine, en poussin, en benjamin, on ne leur a pas donné l’envie de se

défoncer, de travailler, d’avoir des contraintes et tout ça, qu’est ce que tu veux

leur donner en minime ou cadettes. C’est des générations de perdues qui vont

alimenter des DF3 ou des DF2 (championnats les moins élevés) dans le

meilleur des cas. »

Pour favoriser l’engagement des femmes dans le sport fédéral, cette option semble

être un échec. Elle ne concerne pas la majorité des sportives et beaucoup d’entre elles ne

sont pas prises en compte. Pour les responsables, ce qui compte est le « vrai sport », celui

qui met en jeu l’affrontement et la compétition. Malgré ces résistances, de plus en plus de

pratiques de loisir se créent d’après les paroles des personnes rencontrées.

Ainsi, beaucoup de clubs offrent la possibilité de pratiquer sans s’engager en

compétition. Sur le terrain concerné par cette recherche, plusieurs exemples peuvent être

cités : la plupart des clubs ont des créneaux que l’on nomme loisir, découverte ou bien

détente ; un club de tennis de table propose du fit-ping, mélange de fitness et de tennis de

table ; une section athlétisme organise des sorties hebdomadaires de marche nordique.

Dans tous les cas, la part de femmes est plus importante dans ces groupes que dans les

effectifs totaux. Le développement de ce type de pratiques est utilisé comme un levier par

les clubs afin d’augmenter le nombre de licenciés. Le responsable de la section omnisport

est clair :

- « Moi, ma politique, c’est que chaque sportif puisse trouver du plaisir dans

ce qu’il fait. Je respecte ceux qui font du loisir, je respecte ceux qui font de la

compétition. »

Bien que cette vision s’explique surtout par la volonté d’attirer le plus de monde

possible, on tient compte des attentes « naturellement différentes » des femmes pour

qu’elles viennent pratiquer. La mixité sportive passe donc par une adaptation de l’offre. Il

y aurait d’une part le loisir, plus féminin, et d’autre part la compétition, plus masculine.

La variable compétitive est également déterminante quand il s’agit de sport mixte.

Le fait que ce mode de pratique est massivement rejeté a déjà été souligné. Cependant, dès

lors que la compétition disparait, le mélange des sexes devient possible. Cette situation

72

renforce l’idée que l’impossibilité du mélange est surtout culturelle. Tous les obstacles

(physique, niveau) disparaissent dans le contexte du loisir. Ce n’est d’ailleurs pas la

confrontation qui pose problème puisqu’il est fréquent que des rencontres mixtes aient

lieu. Ainsi, hommes et femmes pratiquent en commun et s’affrontent dans le cadre

d’entrainements, de stages ou dans les pratiques de loisir qui viennent d’être évoquées.

C’est plutôt le résultat qui importe. Dès que le résultat est acté, que la rencontre se joue

dans le cadre d’un championnat ou qu’il y a un classement à l’arrivée, hommes et femmes

sont séparés. D’après les acteurs, des arrangements prennent forme pour que la mixité

soit possible. Ainsi, on peut citer l’exemple d’un championnat de basketball loisir, mixte,

où les règles sont quelque peu adaptées pour que les femmes ne soient pas pénalisées.

C’est d’ailleurs toujours au bénéfice des femmes que les modifications sont apportées.

Comme si elles souffraient d’un retard qu’il faudrait combler. Dans ce type de pratiques,

la mixité est donc possible et peu de problèmes sont relevés. Cependant, lorsque l’on

évoque la possibilité de transposer ces adaptations dans un contexte compétitif, le refus

est catégorique. D’après les personnes rencontrées, ce choix signifierait de dénaturer le

sport. Les logiques de chaque discipline devraient être modifiées et personne n’est prêt à

opérer ce changement. C’est donc le sport tel qu’il est construit et tel qu’on l’entretient qui

rend la pratique mixte impossible. Les différences physiques ne sont donc pas un obstacle

en soi. Elles sont perçues comme telles dans un contexte où la dimension corporelle tient

une place centrale. La construction sociale des corps et la culture sportive sont les deux

principaux éléments qui rendent la pratique mixte « naturellement » impossible.

Au regard des orientations choisies par les institutions relais et les acteurs qui

mettent en place les politiques, la mixité sportive est la forme de mélange privilégiée. Sur

ce point, il y a une certaine constance entre les niveaux des politiques puisque c’est

également ce modèle qui est promu par les instances législatives. La différence réside dans

la distinction entre la mixité sportive et le sport mixte. Le refus de ce second mode de

pratique est formulé au niveau du terrain d’après les représentations mais aussi en tenant

compte des expériences. Au niveau législatif, le rejet de la pratique mixte tient au fait

qu’elle n’est quasiment pas évoquée. Dans des rapports, la coprésence des sexes sur un

même terrain de sport est écartée dès le départ. En ignorant ce type de pratique, on le

considère d’emblée comme impraticable. C’est vraisemblablement pour cette raison que la

mixité sportive concentre l’essentiel des préoccupations à tous les niveaux. Plus facile à

mettre en œuvre, elle écarte cependant la dimension relationnelle des rapports de genre.

La stratégie de mixité peut alors se résumer sous la formule « ensemble, mais séparés ».

73

2. Politiques : formes et contenu

Quelles que soient les formes de mixité, de réelles difficultés à sa mise en œuvre

sont perceptibles. L’adhésion au message politique qui prône le mélange des sexes ne

dépend pas seulement de la volonté des acteurs. En effet, les contenus des programmes et

la façon dont ils sont transmis d’un niveau à l’autre déterminent le résultat des politiques.

Il faut s’intéresser aux méthodes utilisées par les relais pour toucher les acteurs du terrain

et leurs effets sur la conduite des projets. Le rôle des différentes institutions et les liens

qu’elles entretiennent seront abordés dans un premier temps. L’analyse des actions

menées servira ensuite à évaluer les conséquences de la structuration en question.

Le rôle de l’Etat au niveau local

Au niveau départemental, c’est la direction départementale de la cohésion sociale

qui prend en charge les politiques sociales en matière de sport. Cependant, comme c’est

indiqué au plus haut niveau de l’Etat, le pouvoir de mettre en place les politiques est

délégué au mouvement fédéral. Au regard des propos de l’agent chargé de traiter la

question des femmes et du sport sur le territoire de l’enquête, le rôle de l’Etat reste

minime :

- « L’Etat aujourd’hui n’est plus acteur mais partenaire. On est dans une

réforme des politiques publiques, on est dans une baisse des effectifs. Ce qui

fait qu’aujourd’hui, on est partenaires des projets, conseillers des projets. Je

dirai presque qu’on est devenu un service de mise en réseau. Il reste encore un

peu de crédits à apporter et c’est ce qui fait qu’on arrive encore un peu à jouer

dans la cour. »

L’action de l’Etat étant limitée, il est difficile de la qualifier « de politique ». Il

n’existe pas de réelles initiatives de la part de ces services. La manœuvre consiste à

identifier les demandes provenant du terrain et de les soutenir soit financièrement, soit en

apportant des informations ou des contacts. Cette posture prend donc plus la forme

d’actions positives, qui visent particulièrement la population féminine. L’approche

intégrée de l’égalité ayant pour but d’instaurer la prise en compte des deux sexes à tous les

niveaux semble difficile à mettre en œuvre au regard des moyens disponibles. Cependant,

le choix de partir de la demande du terrain repose sur plusieurs conditions. Il faut que les

protagonistes manifestent un intérêt pour la question de la mixité d’une part, et que le

service de l’Etat soit identifié. Or, d’après les membres du mouvement fédéral rencontrés,

cet interlocuteur n’est pas connu. De plus, et bien que l’on souhaite développer la

74

pratique féminine, peu d’initiatives sont prises au niveau des lieux de pratique. Cette

situation est relevée par les institutions relais dont l’action concerne toutes les disciplines.

D’après les membres de ces organisations, il s’agit même plus qu’un simple manque

d’initiatives. Face à l’injonction à la mixité, un sentiment de « ras-le-bol » provenant du

terrain est perceptible.

Les modalités d’adhésion aux politiques

Avant de détailler les modalités d’adhésion et les résistances aux politiques, il faut

d’abord préciser que l’injonction à la mixité est véritablement ressentie au niveau du

terrain. Qu’il soit initié par un régime de subvention, par des orientations des fédérations

ou par l’éthique sociale actuelle, le message qui préconise le mélange des sexes touche les

espaces de pratique sportive. C’est toujours du côté du sport féminin que l’effort est

porté.

A aucune exception, les personnes rencontrées considèrent le sport féminin

comme un réel enjeu sportif actuel. Tout le monde reconnait que l’injonction à

développer la pratique des femmes est légitime. Malgré cet accord de principe, chacun ne

réagit pas de la même façon à ces directives. Selon les disciplines, selon les lieux d’où

provient l’injonction et selon les personnes en place, le message est interprété

différemment. Par conséquent, les politiques menées au niveau local n’ont pas les effets

attendus. Les effets de la mixité varient suivant la façon dont elle est mise en place et

suivant la forme qu’elle prend.

Le régime de subvention est un premier élément qui forme l’injonction. Ce mode

d’action positive, visant à déclencher des efforts spécifiques pour le sport féminin, est

particulièrement promu au niveau législatif. Différentes institutions pourvoyeuses de

fonds (Conseil général, services déconcentrés de l’Etat, CNDS) pratiquent cette

« discrimination positive ». Face à ces opportunités, plusieurs stratégies sont adoptées par

les groupements censés mettre en place les politiques. On trouve dans un premier temps

ceux qui ne s’en servent pas, soit car ils l’ignorent, soit par choix. La méconnaissance des

acteurs ressources est donc un obstacle à la mixité, tout comme la volonté des dirigeants,

déjà soulignée. Viennent ensuite ceux qui reconnaissent l’utilité de cette mesure et qui

envisagent de l’utiliser. Cependant, aucune des personnes rencontrées ne se sont servies

de ces appuis. Cette situation montre que lorsqu’elles sont connues, on ne se saisit pas de

ces ressources. La troisième catégorie concerne ceux chez qui l’on ressent un ras-le-bol

vis-à-vis du régime de subvention. Cette situation est à la fois relevée par les têtes de

réseaux que par les acteurs du terrain :

75

- « Aujourd’hui, on a un peu le sentiment d’un ras-le-bol sur « Sport et

Femmes », parce que c’est une thématique redondante depuis un peu plus de

dix ans et qui ne porte pas toujours ses fruits comme on l’attend. Le

mouvement sportif aurait tendance à dire qu’il y en a marre qu’il y en ait que

pour les femmes. »

- « C’est vrai qu’au niveau des clubs et des comités, il y en a ras-le-bol de ça.

Ca va quoi ! On n’a pas besoin de dire LA FEMME, il faut qu’elle vienne faire

du sport. »

La dimension financière de l’injonction est particulièrement pointée pour justifier

cette lassitude à l’égard des politiques de mixité. En effet, alors que les autres aspects

peuvent être ignorés, celui-ci pénalise les clubs. D’après eux, d’autres besoins existent et

ils sont délaissés au profit du sport féminin, perçu comme moins prioritaire. Malgré ce

sentiment, le régime de subvention ne pénalise pas à proprement dit les structures

sportives. Les responsables regrettent juste ces contraintes sans pour autant s’y

conformer. Il n’y a donc pas d’effet incitateur pour le développement de la pratique

féminine qui est alors plutôt délaissée. Le dernier cas de figure émerge de cette situation et

vient à nouveau freiner l’essor du sport féminin. Plusieurs personnes rencontrées avouent

que les subventions décrochées pour des projets « Femmes et Sport » ne sont pas utilisées

à cet effet. Le peu de contraintes qui existent dans le suivi des actions est également un

effet pervers des politiques de mixité.

La saturation à l’égard de l’injonction à la mixité s’observe également lorsque l’on

s’intéresse aux sphères de décision. Dans les politiques, on souhaite particulièrement la

mixité de ces espaces. Le décret dont le but est d’instaurer la représentativité dans ces

instances n’est cependant pas accueilli de façon uniforme. Là encore, le principe de cet

élément juridique est reçu de manière très positive. C’est plutôt les difficultés de sa mise

en place qui entrainent un discours critique à l’encontre de cette forme d’incitation à la

mixité. La proportionnalité implique un certain pourcentage d’homme et de femmes.

Lorsqu’il n’y a plus de femmes candidates et que des poste sont libres, il arrive que ceux-ci

restent vacants afin de respecter la représentativité. Pour contourner les obstacles, les

interviewés reconnaissent l’existence de « femmes fantôme », à savoir des noms sur des

listes. Pour finir, bien que le décret date de 2004, la proportionnalité n’est toujours pas en

place. Elle commence, au mieux, à entrer dans les statuts des comités sportifs, 2012 étant

une année d’élection des bureaux. La mixité des institutions relais peine donc à être mise

en place, souvent au détriment des femmes. Les effets néfastes dus à la structuration des

bureaux sont complétés par des effets sur les relations entre les sexes. Le matraquage de

mesures en faveur des femmes a tendance à irriter les hommes en place. Une séparation

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des classes sexuées s’opère et plusieurs interlocuteurs estiment que la situation se dégrade.

L’insertion des femmes est ressentie comme quelque chose d’imposé et non pas comme

un arrangement. La séparation hommes-femmes se rejoue et chacun est perçu au prisme

de son sexe. Les membres féminins des institutions sont souvent considérés comme des

« femmes-quota ». Cette situation est probablement due à la façon dont est mise en place

le décret : une obligation plus qu’un arrangement. On se préoccupe plus du résultat que

de l’expérience de la mixité. Bien qu’elle existe, celle-ci n’est pas toujours bénéfique. Les

relations entre les sexes se voient détériorées et les obstacles pour les femmes peuvent

être renforcés. De plus, leur absence perdure et devient critiquée (« elles ne font pas

beaucoup d’efforts pour rejoindre les bureaux »). Très peu de mesures sont prises pour

qu’elles s’investissent dans les instances de décision. Les obstacles à cet engagement sont

plus ou moins connus mais les actions visant à les surmonter restent très marginales.

L’attention est donc essentiellement portée sur les chiffres. Les relations sociales

engendrées par les politiques ne sont pas considérées. Les effets négatifs de ces politiques

sont ressentis au niveau du terrain et c’est surement ce qui explique les nombreuses

situations de non-adhésion à la mixité. Cette situation met en relief le choix rationnel des

acteurs. Ils ne se reconnaissent pas dans politiques. Les acteurs y adhèrent seulement s’ils

s’y retrouvent. Il semble que ce ne soit pas le cas. Le rejet des politiques semble s’explique

par une rationalité de valeur. Les acteurs suivent leurs propres principes. La mixité ne

faisant pas partie de leur bagage quand il s’agit de sport, elle est globalement rejetée.

L’assemblage des comportements individuels provoque cette situation.

Partenariat entre les acteurs : des réseaux très limités

Le lien entre les différents niveaux des politiques et entre les acteurs d’un même

niveau est un élément permettant d’analyser les politiques en question. Or, d’après les

déclarations des personnes rencontrées, peu de relations existent entre les niveaux et entre

les mouvements qui gèrent la pratique sportive.

Cette observation est présente dès les relais des politiques. Selon leur nature

(mouvement olympique, comité sportif, service de l’Etat), la connaissance des orientations

politique n’est pas la même. La DDCS est donc le service ressource pour les différentes

organisations sportives d’un département. Cependant, compte tenu des obstacles actuels

qu’elle rencontre, cette institution peine à toucher largement les lieux de pratique. Ce

service est très rarement connu par les clubs et son partenariat se limite à quelques

comités. De leur côté, les groupements sportifs ne connaissent pas cet interlocuteur ou ne

le reconnaissent pas comme un allié à la mise en place de la mixité. Cette situation se

77

retrouve également entre les collectivités (mairies, conseil général…) et les clubs. Seul

l’aspect financier semble relier ces deux champs, sans pour autant engager la variable de la

mixité comme c’est pourtant demandé au niveau législatif. Les partenaires extérieurs au

sport fédéral les plus fréquents sont les écoles. Cependant, ces espaces sont plutôt perçus

comme des réservoirs à licenciés que comme des alliés pour construire la mixité. La voie

qui fonctionne le plus est donc celle des disciplines, c'est-à-dire entre les associations

sportives et leur comité de tutelle. Face à l’éventualité de mener une action pour la mixité

dans le sport, la majorité des professionnels ou des présidents de club demanderaient

conseil à leur comité. D’autres ne savent pas vers qui se tourner.

C’est donc les liens intra-disciplinaires qui sont les plus efficaces. Les clubs

s’appuient essentiellement sur le mouvement fédéral pour orienter leur pratique. Ce

mouvement est par ailleurs celui sur lequel s’appuie le ministère des sports pour mettre en

place les politiques sportives. La mixité doit donc être gérée par les fédérations.

Cependant, il s’agit d’une politique sociale. Même si les fédérations ont pour but le

développement général de leur discipline, l’aspect compétitif tient une place importante

dans ces organisations. Cette observation s’est confirmée lors des rencontres avec des

membres de comités sportifs. L’incompatibilité entre la mixité et la compétition a été

soulignée précédemment. Dans ce contexte, le fait de confier au mouvement fédéral la

prise en charge des politiques de mixité semble contradictoire. Les entretiens ont permis

de montrer que les comités rejettent le sport mixte et que l’on adhère difficilement à l’idée

de développer la mixité sportive. Le mélange pourrait donc être impulsée par les

institutions à visée sociale mais celles-ci manquent de moyens pour être efficaces et ne

sont généralement pas connues des acteurs du terrain.

En plus d’une adhésion limitée à l’idée même de la mixité, le mode de diffusion des

politiques et des directives semble être un obstacle au mélange des sexes. Dans la pratique

comme dans l’organisation, sport et mixité ne font pas bon ménage. De plus, l’étape finale

qui consiste à évaluer les politiques de mixité semble absente. Le service de l’Etat en

charge de la mixité dans le sport ne peut assumer ce rôle. Par ailleurs, le manque de

cohésion entre les niveaux et entre les mouvements ne permet pas de construire une

vision globale des effets de la mixité. Les acteurs des relais et les ouvriers des politiques

pointent d’ailleurs le fait qu’ils ne sont pas consultés. Leur expérience n’est pas prise en

compte par les instances qui construisent les politiques. Cette situation peut expliquer la

non-adhésion aux directives d’une part, et leur incompatibilité avec les réalités sociales

d’autre part. Le retour du terrain interroge la démarche politique : Les auteurs des

politiques sportives de mixité se posent-ils les bonnes questions pour parvenir à l’égalité

78

des sexes ? L’injonction à la mixité vise-t-elle autre chose que la visibilité des sportives

dans le sport ? De cette façon, ne met-on pas de côté les relations entre les sexes ? Ces

interrogations sont issues de l’analyse de la structuration des politiques. L’intérêt pour leur

contenu est également nécessaire afin de comprendre les difficultés à mettre en œuvre le

mélange des sexes.

L’injonction à la mixité : une coquille vide

Qu’ils soient responsables d’institutions-relais ou professionnels du terrain, tous les

enquêtés s’accordent à dire que les décisions en matière de mixité sont prises en

autonomie. Les premiers lancent des actions suite à leur propre réflexion et les seconds

« bricolent » la mixité lorsqu’ils y ont à faire. Dans les deux cas, les acteurs regrettent le

manque de contenu dans l’injonction à la mixité et déplorent le fait de devoir se

débrouiller seuls.

D’après les membres des relais, tous les programmes visant à développer le sport

féminin – là encore, c’est sous cet angle qu’est pensée la mixité – sont construits à la suite

d’un raisonnement en interne :

- « C’est nous, c’est le comité qui décide des actions […] On a des réunions

tous les mois, on débat des idées de chaque élu et c’est comme ça que ça se

fait. »

Peu d’outils sont donc fournis aux institutions relais afin qu’ils jouent leur rôle de

diffusion des programmes. Au mieux, on copie ce qui est fait aux niveaux supérieurs et on

essaie de calquer le même type d’action sur les territoires concernés. Si certains réseaux

intra-disciplinaires fonctionnent bien, l’entente d’un niveau à l’autre n’est pas toujours de

mise dans tous les sports. Ainsi, les désaccords avec les instances supérieures peuvent

donner lieu à des court-circuitage des politiques :

- Oh bah de toute façon, c’est une prise de décision locale. On a des

directives mais pff… Ce n’est pas notre caractère de les suivre. On fait ce

qu’on a envie de faire. »

Cette situation vient enrayer la machine politique et l’on se retrouve dans une

situation où chacun agit selon ce qu’il juge utile et efficace. Cependant, les questions de

mixité dans le sport sont gérées par peu de personnes et peu de consultation existe entre

ces acteurs. De plus, étant donné le peu d’actions réalisées en matière de mixité ou pour le

sport féminin, on se satisfait de celles qui existent sans forcément interroger leur utilité. A

l’image des campagnes de recrutement ou de communication autour du sport féminin, on

79

remarque quelques contradictions dans les actions menées. Ainsi, un comité propose une

« journée des princesses » qui vise à recruter les jeunes filles non licenciées. Interrogée sur

le choix de ce titre, le représentant du comité en question répond :

- « Pour attirer les filles je pense. On ne voulait pas qu’il y ait la notion de

compétition. Puis on s’est dit… voila à deux ou trois, c’est né comme ça. »

Une certaine évidence pour le choix du nom apparaît, tout comme un manque de

réflexion autour de la communication. Celle-ci a d’ailleurs souvent tendance à mettre en

scène la féminité. Alors que le but est de faire entrer les femmes et les filles dans le sport

pour dépasser les inégalités entre les sexes, ces méthodes ont tendance à rejouer les

stéréotypes de genre en réintroduisant l’image typique féminine. Outre les réserves que

l’on peut émettre sur l’efficacité de ces outils, la façon à travers laquelle on tente de mettre

en place la mixité renforce les normes de genre, de la féminité pour cet exemple.

En ce qui concerne les professionnels du terrain rencontrés, un certain flou règne

autour de la question de la mixité. Ils se disent souvent dépourvus d’outils lorsqu’il faut

mettre en place des choses en faveur des femmes ou lorsqu’il s’agit de gérer un groupe

mixte :

- « On y va à l’aveuglette quoi. On ne sait pas où se lancer pour que ça

marche. »

- « On nous le demande mais après c’est "faites ce que vous pouvez". »

- « Moi ça va m’arriver l’année prochaine et franchement, je ne sais pas

comment gérer ça. Je pense que c’est à gérer différemment et je ne pense pas

que ça va être évident. »

Alors que ces personnes déclarent agir de manière identique lorsqu’ils prennent en

charge des groupes sexués ou mixtes, ils pensent tout de même qu’une gestion différente

est nécessaire. Cependant, aucune méthode pour aborder la mixité n’est connue. En plus

des relations garçon-filles, la mise en jeu des corps inhérente au sport est perçue comme

un obstacle supplémentaire. Ensuite, dès qu’il faut œuvrer pour la mixité sportive, de

multiples problèmes sont rencontrés (manque d’adhésion, peu de femmes intéressées) et

ne sont toujours pas résolus. S’ils reconnaissent qu’ils ne se renseignent pas auprès des

institutions de tutelle pour mener à bien leurs projets (comités, ligues, fédérations), les

acteurs pointent le manque de ressources à leur disposition. Cette situation prend du relief

quand on aborde la question de la formation des professionnels. Aucun d’entre eux n’a

été sensibilisé à la question de la mixité. Cette circonstance tient peut être au fait que la

mixité sportive n’est pas souhaitée dans le milieu fédéral. Cependant, D’après l’expérience

des personnes enquêtées, les diplômes de l’encadrement sportif ne prennent pas du tout

80

en compte la variable du sexe. On apprend donc dans ces formations à encadrer des

individus neutres. Cependant, en sport, comme cela a été souligné précédemment, la

neutralité penche surtout du côté masculin. C’est donc selon cette approche (compétition,

confrontation) que tous les sportifs sont pris en charge. Les encadrants reconnaissent

parfois – ou leurs propos le montrent – que cette démarche se fait souvent au détriment

des filles. Les lacunes que présentent les formations sont souvent reconnues par les

représentants des institutions-relais qui en dispensent parfois. L’absence des questions de

mixité ou plus globalement de la dimension sexuée du public dans la formation des

professionnels du sport est peut-être du aux orientations législatives nationales. En effet,

alors que l’Union européenne préconise la présence de contenus sur le genre et la mixité,

le Ministère des sports n’évoque pas cet aspect. Même si peu de relations existent entre le

niveau législatif et le terrain, Il n’y a qu’un pas pour établir un lien de cause à effet entre

ces deux stades et expliquer l’absence de formation à la mixité.

Le manque de ressources pour les relais et les artisans des politiques de mixité

semble être un véritable obstacle à sa mise en place. Pour diverses raisons (manque de lien

entre les niveaux, formation insuffisante), le message prônant la mixité a du mal à

dépasser le stade de l’injonction. De plus, peu d’outils sont transmis au terrain pour

mettre en œuvre le mélange des sexes. Plus qu’une politique, la mixité semble surtout

prendre forme pour les bienfaits qu’elle est censée provoquer. C’est moins par le biais des

politiques que pour l’idéal social actuel qu’on tente de la développer. Ce qui œuvre le plus

pour le mélange des sexes est l’ensemble des représentations favorables dont jouit la

mixité et non pas l’efficacité des politiques menées. Peu importe la façon dont elle est

mise en place, elle semble suffire à elle-même. Cependant, les ouvriers de la mixité

rencontrent de vraies difficultés à la mettre en place. Par défaut, des expériences sont

menées mais n’ont pas la réussite attendue. Face aux incantations, les relais et les acteurs

du terrain semblent changer d’orientation et se fier de plus en plus aux attentes des

pratiquants pour la conduite de leurs projets.

Les actions sur le terrain : entre adaptation et résignation

Pour une grande partie des institutions-relais et des groupements sportifs, le terrain

est le premier espace consulté pour décider des orientations. Suite aux différentes

tentatives de recruter des femmes afin de parvenir à la mixité sportive, un constat

domine : les femmes ne viennent pas pratiquer dans les clubs. Face à ce constat, deux

possibilités cohabitent. D’un côté, on trouve ceux qui tentent d’identifier les attentes des

femmes pour leur proposer une pratique adéquate. De l’autre côté, de nombreux acteurs

81

du sport semblent résignés et pensent que si les femmes ne viennent pas faire du sport,

c’est tout simplement parce qu’elles n’en n’ont pas envie.

Dans le premier cas, la motivation de développer le sport féminin est soit

inhérente à la fonction des personnes rencontrées (leur fonction est de le développer), soit

elle est perçu comme une manière de renflouer les effectifs. Dans les deux cas, on tient

compte de ce que souhaitent les femmes. Même si l’on tient compte des attentes des

femmes dans les différents rapports du niveau législatif, elles sont souvent oubliées au

moment des recommandations. Les relais et les acteurs de terrain tentent donc de

distinguer les attentes des éventuelles sportives pour leur proposer une pratique adaptée.

Celle-ci doit aussi tenir compte des obstacles à l’engagement sportif, quand il y en a.

- « Moi, ma politique est que chaque sportif puisse trouver du plaisir dans ce

qu’il fait. Il faut s’ouvrir à toutes les formes de pratique. »

- « Je pense qu’il y a eu un temps ou on proposait de choses toutes faites.

Aujourd’hui, les associations réfléchissent à adapter les créneaux et les

pratiques aux attentes des femmes. »

Ce choix est donc très présent aujourd’hui même si, en pratique, peu de

consultation du public et d’enquêtes sur les souhaits des pratiquantes existent. Il existe

malgré tout un risque lorsque l’on adopte cette démarche. Les attentes des femmes sont

parfois définies par les responsables eux-mêmes. Cette posture d’entrepreneur de morale,

au sens d’Howard Becker1, vise à influencer un groupe dans le but de lui faire adopter une

norme. Cette méthode « bien pensante » occulte souvent la réalité et peut mobiliser des

idées reçues. Cette situation existe au niveau des politiques de mixité sportive. En effet,

les programmes sont souvent pensés dans les directions des instances sportives. C’est

avec étonnement que les personnes rencontrées constatent que les méthodes adoptées ne

fonctionnent pas. Le sport féminin est souvent pensé à la place des personnes concernées.

Il n’est pas rare que les orientations choisies aillent à l’encontre de ce que souhaitent les

femmes. Les contradictions au cœur de ces processus seront détaillées par la suite.

La seconde posture face à l’échec des politiques de mixité sportive s’apparente à

une forme de résignation ou de découragement. Différente du ras-le-bol, cette position

consiste à justifier l’insuccès des actions menées par des forces extérieures auxquelles il est

difficile de résister. Même s’ils ne sont pas nommés ainsi, les rapports de genre tels qu’ils

sont aujourd’hui semblent être les principaux obstacles à l’équité des sexes dans le sport :

1 Becker Howard, Outsiders, Paris, Métailié, 1985.

82

- « A mon sens, le sport n’est ni plus, ni moins le reflet de la société. Il ne faut

pas forcer les choses. Par rapport au travail, il n’y a pas d’enjeux dans le sport

qui pénalisent un sexe plus qu’un autre. »

- « C’est la mentalité des dirigeants. Ce n’est pas simple et avant que les gens

changent, il passera beaucoup d’eau sous les ponts. »

- « J’ai envie de dire qu’avec les anciennes générations, c’est presque peine

perdue. Il faut attendre que le temps passe et attendre les nouvelles

générations. »

Ces éléments sont surtout apportés par ceux qui ne développent guère le sport

féminin. Plusieurs éléments sont remarquables dans ces déclarations. Plus que des

obstacles, on rejette la faute sur les acteurs des politiques ne souhaitant pas développer le

sport féminin (anciennes générations, dirigeants peu concernés). Réelle ou fantasmée, on

prend cette situation comme un pré-requis contre lequel on n’agit pas. Seul le temps peut

résoudre les maux. Cependant, compter sur le renouvellement des générations n’est pas le

choix le plus judicieux. Selon Catherine Louveau1, « laisser faire le temps, la culture, c’est

favoriser la reproduction ». Cette situation est pourtant fréquente, ce qui montre que de

nombreux espace ne sont pas atteints par les politiques de mixité. Le sentiment que le

sport n’est que le reflet de la société et qu’il ne faut pas forcément aller à l’encontre des

mécanismes sociaux est également présent. Pour illustrer cette situation, les propos de la

responsable de la commission féminine d’une institution omnisport peuvent être cités :

- « A un moment donné, si elles ont envie de venir elles viendront et si elles

n’on pas envie elles iront faire autre chose. Si elles n’ont pas envie, elles n’ont

pas envie et puis c’est tout. »

L’absence de véritables politiques est donc remarquable. Pour diverses raisons, les

acteurs du sport ont du mal à s’engager pleinement dans des programmes dont le but

serait de bouleverser les inégalités entre les hommes et les femmes. Si cette situation est

souvent la conséquence d’une absence de volonté ou un désintérêt, on retrouve une autre

raison qui a déjà été observée au niveau législatif. En effet, on ne s’attarde pas à penser la

mixité : le sport en ferait naturellement quelque chose de bénéfique.

1 Louveau Catherine, in André Michèle, Rapport d’activité fait pour l’année 2010-2011 au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et compte rendu des travaux de cette délégation sur le thème « Femmes et sports », 2011, p. 100.

83

Sport et mixité : mariage parfait, mais impossible

Comme cela à été noté précédemment, l’adhésion à la mixité dépend de

nombreuses conditions. Malgré tout, le mélange des sexes est une formule plébiscité

lorsque sa mise en place est possible. De nombreuses représentations attribuent au

mélange des vertus socialisantes. D’après les déclarations des enquêtés, cette observation

est d’autant plus vraie dans le sport. La majorité d’entre eux pensent que cet espace

possède des vertus en soi. L’association de ces deux éléments serait donc bénéfique, ce

qui peut expliquer l’absence de réflexion à propos de la mixité dans le sport et la lassitude

vis-à-vis de l’injonction :

- « On ne va pas faire que des trucs pour les femmes, que des trucs pour les

handicapés, que des trucs pour le social. On fait du sport, point. »

- « Le sport en général est une excellente école de la vie. Et accepter de faire

quelque chose qu’on aime avec d’autres qui sont différents, au niveau du

physique, du sexe, on leur apprend la tolérance aux jeunes. Mais de là à faire

des compétitions avec des équipes mixtes, on n’est pas rendu là encore. »

Ces déclarations le prouvent, les bienfaits de la mixité dans le sport s’apparentent

encore à un idéal. Malgré la croyance en certaines valeurs du sport et de la mixité, de

nombreuses difficultés à en récolter les bienfaits sont soulignées. Le mélange n’est que

partiel et le sport suit toujours une logique de séparation des sexes. La force des

représentations et leur perpétuelle réactivation ont tendance à faire passer ces constats au

second plan. Plutôt que de penser la mixité sportive afin qu’elle devienne possible et

réellement bénéfique, on continue de la rejeter en invoquant les spécificités du sport. En

dépit de toutes les vertus qu’on lui prête, il reste un espace qui sépare les sexes et, par

conséquent, il renforce le genre. Apparemment prometteur, le couple sport et mixité

semble impraticable au regard de l’évidence avec laquelle on l’utilise.

3. Toujours le poids du genre.

Les normes de genre sont le premier élément justifiant l’adhésion, ou non, à la

mixité. Avant de détailler plus précisément leur importance et la façon dont elles se

retrouvent dans le discours des acteurs rencontrés, la relation enquêteur-enquêté peut déjà

mettre à jour des éléments sur les rapports sociaux entre les sexes.

84

Un statut à négocier

Le contenu des entretiens n’est donc pas le seul outil permettant de saisir les points

de vue et les pratiques de personnes rencontrées. Leurs réactions, leurs attitudes pendant

et en dehors de l’entretien sont utiles pour compléter leur discours. De plus, la façon dont

j’ai pu être considéré par les enquêtés a vraisemblablement eu des effets sur leur parole. Il

faut effectivement avoir à l’esprit que ces derniers cherchent à avoir une certaine

conformité dans leurs propos. En tenant compte de ce qu’ils savent de l’enquêteur, ils

peuvent orienter leur pensée pour faire bonne figure. Cette réalité des relations sociales

évoquée notamment par Erving Goffman1 doit être connue et utilisée pour apprendre de

l’enquêté plus de choses qu’il ne veut dire. Ainsi, mon statut de jeune étudiant m’à

surement permis de déceler d’autres réalités. Bien que cette posture m’ait inévitablement

fait passer à côté d’autres vérités, celles qui ont pu être mises à jour doivent être

considérées.

Mon âge est le premier élément ayant servi à l’obtention d’informations. Lors des

entretiens, et particulièrement avec les membres des institutions-relais, j’ai souvent été

considéré comme un novice à la recherche des caractéristiques masculines et féminines

permettant de justifier l’adhésion, ou non, à la mixité. Le fait même de poser ces questions

« évidentes » a surement renforcé ma posture de profane. Mon but étant de mettre à jour

les représentations à l’œuvre pour le choix du mélange des sexes, j’ai donc utilisé la

position que m’ont attribué les enquêtés afin de les faire parler au maximum. Ceux-ci

étaient alors plus précis dans leurs propos, ce qui m’a permis d’avoir un aperçu le plus

clair de leur vision des choses.

L’autre aspect, le plus marquant, découle du fait que je sois un homme. C’est

d’ailleurs avec un certain étonnement que certains de mes interlocuteurs ont découvert

qu’un homme pouvait s’intéresser aux inégalités de sexe dans le sport. Cette situation

montre que les femmes sont le plus souvent en charge de ces questions et que ce sont

elles que l’on attend dans ce rôle. Il faut ensuite distinguer les entretiens avec des femmes

de ceux réalisés avec les hommes. Il ne s’agit pas de séparer ces deux populations une

nouvelle fois mais il s’avère que la relation enquêteur-enquêté est différente selon le sexe

des interlocuteurs. Ainsi, lorsque des femmes ont été rencontrées, elles se situaient

souvent comme les représentantes des femmes en général et je devenais le mandataire du

groupe des hommes. Le « nous » ou le « on » étaient souvent utilisés par ces personnes

1 Goffman Erving, La mise en scène de la vie quotidienne – La présentation de soi (Tome 1), Paris, Editions de minuit, 1973.

85

pour se qualifier alors que le « vous » servait à me désigner, moi et tous les hommes. En

opérant cette classification, les interviewées ont tendance à rejouer les rapports de sexe

qui peuvent exister dans le milieu où elles évoluent. Quand il s’agit de parler du rapport

entre les sexes, les identités sexuées semblent prendre encore plus d’importance. D’après

les femmes rencontrées, la mise en place de politiques visant l’égalité des sexes dans le

sport s’apparente à un duel entre les classes de sexes. En tant qu’homme, je devenais le

témoin des difficultés qu’ont les femmes à évoluer sans contraintes dans le champ sportif.

Les hommes utilisaient eux aussi les pronoms pluriels pour se désigner mais la

dimension revendicative n’était pas présente. La catégorisation effectuée par les femmes

se retrouvait dans les interactions masculines. Cette fois-ci, je devenais le semblable de

mes interlocuteurs. La classification était moins marquée mais certains propos ou attitudes

ont été permis par la proximité instaurée. Des plaisanteries engageant les stéréotypes de

genre étaient souvent présentes dans les discours. Une femme n’aurait surement pas

entendu que l’organisation de sorties shopping par les clubs permettraient d’attirer les

sportives ni même que le port de la jupe sur les terrains pourrait susciter l’intérêt pour le

sport féminin. Sérieux ou sur le ton de la boutade, ces propos informent des

représentations à l’œuvre sur le terrain de l’enquête. Le discours politiquement correct

souvent formulé pendant les entretiens est pondéré par ces incartades qui permettent

d’imaginer la façon dont les femmes peuvent évoluer dans ces espaces.

Les différences, entre nature et culture

Directement ou indirectement, les différences entre les sexes sont à la base de la

séparation des hommes et des femmes dans le sport. Cette division se réalise parmi les

disciplines où la répartition des sexes est inégale. Elle s’observe également au sein des

sports puisque la pratique mixte est le plus souvent jugée comme impraticable. Parmi les

différences, celles qui tiennent au physique sont les plus importantes selon les acteurs. La

mise en jeu des corps, centrale dans cette activité explique ce point de vue. Malgré tout,

l’aspect anatomique n’est pas le seul élément constitutif de la différence des sexes. Les

prédispositions psychologiques et sociales que mettent en jeu les enquêtés pour

caractériser la distance entre les hommes et les femmes tiennent aussi une place

importante. Ils servent à justifier l’inégale répartition des sexes dans le sport et la difficulté

à mettre en place la mixité. Alors que ces différents attributs sont considérés comme

naturels, ils correspondent plutôt à des représentations de genre au cœur de la

reproduction de la séparation des sexes.

86

« C’est en nous » ; « la nature fait que » ; « à la base nous ne sommes pas faits

pareil ». Tourtes ces formules sont présentes dans le discours des personnes rencontrées.

Selon eux, il faut considérer les différences entre les sexes comme préalables à l’existence

humaine. Dès que l’on parle d’égalité des sexes, il faut composer avec ces différences. En

aucun cas le but est de remettre en cause leur fondement. Ces distinctions, pures vues de

l’esprit, peuvent être classées en deux parties. Certaines sont en effet de représentations

assimilable à des stéréotypes et qu’il est facile de démanteler (« c’est sur que les femmes

ont des difficultés pour changer une roue »). D’autres sont plus enracinés et on fait

parfois appel à la science pour asseoir leur existence. Ce processus de légitimation des

différences de sexe par la science est très présent dans la société tout comme sur le terrain

de la recherche. Certes, des travaux scientifiques visant à trouver une trace matérielle de la

différence entre les hommes et les femmes existent mais ils sont critiquables. Si l’on suit

Irène Jonas1, ce courant de recherche est une sorte de réaction à un contexte historique

marqué par la remise en cause des idées dominantes en matière de différence des sexes. A

partir des hypothèses évolutionnistes et des recherches en neuropsychologie, on attribue

un rôle déterminant aux gènes et à l’activité cérébrale dans les rôles sexuels et les relations

entre les sexes : « Etablissant d’entrée une corrélation entre le biologique et le

comportemental, le constat des différences devient l’explication de la différence ainsi

naturalisée, rationnalisée ; mieux encore : légitimée par la science »2. La recherche

d’argument biologiques permettant d’expliquer les différences entre les individus sexués

se résume à chercher des raisons en dehors de l’histoire et de la société. En abordant les

différences sous l’angle du déterminisme biologique, on accepte la division sociale entre

homme et femmes. Cette démarche vise à trouver une trace matérielle des différences

naturelles entre hommes et femmes et fait l’impasse sur la persistance des inégalités

sociales.

Au regard des entretiens réalisés, deux façon de prendre en compte les différences

existent. Soit on en tient compte et on adapte la pratique aux spécificités de chaque sexe,

soit on fait comme s’il n’y en avait pas et chacun des sportifs reçoit le même traitement.

Dans les deux cas, les différences entre les sexes sont présentes dans l’esprit des acteurs et

leur « valeur » scientifique coupe court à leur remise en cause. Par conséquent, toutes les

actions visant à l’égalité des sexes sont conçues en tenant compte des différences

« naturelles » (physiques, psychologiques, sociales) entre les sexes. Etant donné que l’on

considère ces différences dans les politiques, leur reproduction semble inévitable. De plus,

1 Jonas Irène, Moi Tarzan toi Jane, critique de la réhabilitation « scientifique de la différence hommes-femmes, Paris, Syllepse, 2011. 2 2 Jonas Irène, op. cit.

87

le physique est un argument central de la différenciation des sexes. En ce qu’elle engage

de manière privilégiée cet aspect, la pratique sportive est un espace privilégié de la

séparation des sexes. Dans un contexte qui place le physique au cœur de la distinction

hommes-femmes, le sport tel qu’il est construit renforce le genre.

Prise en compte des différences : les effets du positionnement

Les deux postures adoptées par les personnes qui mettent en place la mixité ne

sont pas appliquées dans les mêmes mesures. Alors que le mélange des sexes est le

symbole de l’indifférenciation des individus et d’une prise en charge identique, il n’est que

peu pratiquée. La préférence va vers la prise en compte des spécificités, réelles ou

imaginaires, de chaque sexe. De fait, le souhait d’une mixité où les individus seraient

considérés de façon similaire reste rare. Déjà présente au niveau législatif, la

différenciation pratiquée se dresse contre l’idéal politique, parfois utopique, qui ne

reconnait que l’individu universel.

Parmi les personnes rencontrées, celles qui ont fait le choix du mélange et de

l’indifférenciation sont peu nombreuses. Comme cela a déjà été évoqué, la pratique mixte

prend le plus souvent forme par défaut. Le fait de ne pas tenir compte des différences est

donc plus une adaptation dans la contrainte qu’un réel choix. Ces cas de figure sont

surtout remarquables dans les disciplines où peu de femmes s’engagent, celles que l’on

qualifie de masculines. Le mélange est la conséquence du nombre restreint de féminines,

alors obligées de pratiquer avec les garçons. D’après la description de ces situations par les

enquêtés, plusieurs observations peuvent être faites. Etant donné que les filles sont

souvent isolées dans des groupes masculins, celles-ci ont tendance à se rassembler dès

qu’elles sont au moins deux. Cette situation est d’autant plus marqué que l’âge des sportifs

augmente. Les plus jeunes (6 ans et moins) se mélangeraient plus facilement que les

générations plus âgées. Même si des observations sont nécessaires pour nuancer les

déclarations des acteurs, ces derniers remarquent que les plus jeunes n’ont pas encore

l’habitude de se diviser en groupes de sexes. La socialisation sexuée n’aurait pas encore

œuvré complètement et la norme de la séparation ne serait pas totalement intégrée par les

plus jeunes sportifs. A l’inverse, plus l’âge avance, plus les pratiquants se regroupent selon

leur sexe. Alors que l’on attribue cette séparation aux différences physiques, la

socialisation sexuée semble y jouer un rôle important. Cette réalité prend d’autant plus de

relief si l’on s’intéresse aux attentes des sportifs. Pour des questions de confort et

d’habitude, la séparation et le regroupement sont le plus souvent souhaités. La mixité

vient alors rompre l’usage traditionnel de la séparation des sexes. En ce qu’elle prend

88

forme par tradition, la séparation des sexes trouve son fondement dans le social et non

dans le biologique.

L’autre observation qui émerge des groupes mixtes concerne le modèle proposé

aux pratiquants par les éducateurs. En effet, bien que les garçons et les filles figurent dans

le même espace, l’encadrement n’est pas conçu de façon neutre. C’est souvent le modèle

masculin qui est transmis. Cette situation s’observe le plus souvent chez les jeunes pour

qui la mixité n’est pas encore interdite par le règlement sportif. Pour arriver à s’intégrer

pleinement dans ces groupes, les filles doivent prouver qu’elles ont le même niveau, le

même esprit et qu’elles sont aussi capables que les garçons. Ces éléments conditionnent

l’acceptation des filles dans ces groupes. Cependant, le modèle masculin-neutre pose

problème. On regrette que les jeunes filles isolées figurant dans ces groupes ne soient pas

complètement féminines. Souvent qualifiées de garçons manqués, on attend d’elles une

certaine conformité aux normes sexuées. Bien que leur intégration puisse être entière dans

ces groupes de garçons, on signifie à ces jeunes filles qu’elles ne sont pas totalement

semblables à leurs homologues. On leur rappelle qu’elles doivent l’être et la séparation est

de nouveau à l’œuvre :

- « Nos dirigeants, nos éducatrices et nos éducateurs leur demandent de faire

un effort sur leur savoir-être et sur leur esthétique pour donner une belle image

du foot féminin. On a eu pendant deux années « l’aide » d’Adriana Karembeu

[…] Maintenant c’est Gaétane Thiney qui va être la référente féminine sur le

territoire pour les 2-3 prochaines années. Elle représente très bien le foot

féminin avec sa technicité, sa combativité et une certaine beauté aussi. »

L’aller retour entre les « valeurs » du sport masculines et les normes féminines est

perceptible dans cet extrait. Une fois encore, on renforce le genre en en rejouant les

normes.

Bien qu’ils soient rares, les groupes mixtes ne garantissent ni l’indifférenciation, ni

le mélange absolu. Le poids d’une socialisation empreinte de genre induit une nouvelle

séparation des sexes au sein des rassemblements mixtes. Cette répartition tient aux

habitudes, à la fois des pratiquants et des encadrant qui ont du mal casser cette séparation.

De plus, la culture sportive étant plutôt du côté de la masculinité, c’est sous ce modèle

que les jeunes filles sont formatées dans cette activité. En dépit d’une prise en charge

commune aux deux sexes, on attend des filles qu’elles se distinguent du groupe en faisant

preuve de leur féminité. Malgré la mixité, chacun est appelé à respecter son rôle en se

conformant aux normes de genre.

89

En ce qui concerne la mixité sportive, la séparation se situe à un autre niveau.

Cette forme de mélange correspond à la présence d’hommes et de femmes dans le sport

en général. La coprésence des sexes se situe au niveau d’un club ou d’une fédération et le

chiffre tient une place importante dans sa définition. A aucun moment, cette forme de

mixité n’engage la cohabitation des hommes et des femmes sur un même terrain sportif.

D’emblée les individus sont divisés et se divisent selon leur sexe. Les arguments qui

expliquent cette séparation ont déjà été évoqués. Ils concernent les différences entre les

sexes dont on tient alors compte. Malgré cette séparation, la pratique sportive pourrait

être identique. Ce n’est cependant pas ce qui se passe et la formation des groupes sportifs

sexués reposent sur des logiques différentes.

Mode privilégié dans les politiques, la mixité sportive a pour but de rétablir le

déséquilibre hommes-femmes de l’engagement sportif. Pour parvenir à cet objectif,

l’effort est porté vers les femmes. Pour les « inciter » à rejoindre le mouvement fédéral, la

pratique sportive est adaptée à leurs « spécificités ». Cette démarche suppose d’emblée que

le sport n’est pas destiné aux femmes puisque des arrangements sont nécessaires à leur

participation.

Ainsi, les personnes rencontrées sont conscientes des représentations qui existent à

propos des différentes disciplines. Certaines, « féminines », sont plébiscitées par les

femmes alors que les activités « masculines » sont souvent délaissées. Plutôt que de lutter

contre les représentations, comme c’est parfois demandé dans les directives européennes,

l’approche consiste à féminiser la pratique afin qu’elle convienne aux femmes. Les

exemples cités précédemment incorporant fitness ou relaxation aux sports plus

traditionnels sont symboliques de cette adaptation : en y injectant des activités

« féminines », on souhaite modifier l’image masculine du sport pour susciter l’adhésion

des femmes. Les stéréotypes de genre sont rejoués et la frontière entre la pratique

masculine et féminine est renforcée.

Un deuxième élément concerne la distinction entre loisir et compétition. Les

femmes préférant ce premier mode d’engagement. Tout est fait pour qu’elles puissent

pratiquer sous cette forme. Plusieurs action sont mises en place en tenant compte de cet

aspect, dont celle que détaille une responsable d’un comité de tennis :

- « Pour les femmes, on décline une animation qui est sous forme de

compétition mais qui n’a aucun but compétitif. Elles se font plaisir, il n’y a pas

de classement, ce n’est pas homologué. C’est juste 4 femmes, elles sont

ensemble pour se faire plaisir avec un tout petit semblant de compétition mais

qui ne sert à rien. »

90

Bien que cette formule vise à satisfaire les attentes des femmes, leur indisposition

pour la compétition est réaffirmée. En plus de rejouer les normes de genre, cette méthode

a tendance à consolider la frontière entre les modes d’engagements sexués dans le sport.

La culture du sport étant compétitive, il y a une distinction entre le « vrai » sport mettant

en jeu l’affrontement et le « faux » sport qui met de côté cette dimension. Les modes de

pratique sont alors hiérarchisés et par conséquent, hommes et femmes le deviennent à

leur tour.

Les normes de genre au centre des stratégies de mixité

D’autres différences sexuées entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’adapter les pratiques.

Elles concernent leurs aspects techniques et physiques. Convaincu que les femmes et les

hommes ne pratiquent pas de la même façon, chacun des individus est orienté de manière

spécifique vers des modes de jeu différents. Les encadrants favorisent un jeu simple et

peu éprouvant chez les premières et un jeu complexe et physique chez les seconds. Ces

deux exemples, l’un reprenant l’animation tennis de la citation précédente et l’autre

concernant le tennis de table, prouvent le marquage sexué des ressources mobilisés lors de

la pratique :

- « Lors de ces animations, les femmes jouent avec des balles molles, en un

set. Elles jouent deux simples et un double, ça dure une heure et demie ».

- « Même s’il y a quelques filles qui jouent comme les gars, le jeu est différent.

Les filles, ça coupe beaucoup, ça frappe, alors que les garçons sont beaucoup

plus fins dans le jeu, c’est complètement différent. »

On retrouve les systèmes d’oppositions complexe/simple ou fort/faible dont parle

Pierre Bourdieu1. Ces représentations au cœur de la distinction sociale des sexes se

retrouvent dans le sport. Elles sont mise en jeu par les pratiquants et renforcées par les

initiateurs des clubs qui poussent les sportifs à pratiquer selon les normes de genre. Le fait

que les individus s’approprient les pratiques de manière différentes a été évoqué2. Cet

aspect est également favorisé par les acteurs qui mettent en place la pratique. Alors que le

biologique sert systématiquement de référence, l’expérience des individus semble jouer un

rôle prépondérant. Les femmes s’orientent et sont orientées vers des engagements

corporels plus « féminins » pendant que les hommes adoptent plutôt une motricité

« masculine ». Les deux modes d’engagement étant différents, il semble normal que la

1 Bourdieu Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998. 2 Dechavanne Nicole, « La division sexuelle du travail gymnique », in Pociello Christian, Sport et société, Paris, Vigot, 1996, pp. 249-259.

91

pratique mixte soit déséquilibrée. Au regard de cette situation, l’impossibilité du mélange

ne résulte pas seulement des données biologiques mais également de la façon dont on

façonne les sportifs, eu égard à leur sexe. En ce qu’il différencie les corps, les esprits et les

compétences des individus, le mode de gestion de la mixité sportive renforce le genre.

Les différentes adaptations sont élaborées pour deux objectifs. Le premier est de

faire correspondre l’activité sportive aux spécificités féminines. Perçues comme naturelles,

ces particularités sont le fruit de représentations sociales et le fait de s’y conformer

renforce les stéréotypes. Le second consiste à féminiser les pratiques et leur image afin

que les femmes rejoignent les clubs. En plus de permettre aux femmes de pratiquer le

sport en adéquation avec leurs attentes, le développement du sport féminin permet

d’accroitre le nombre de pratiquants. L’augmentation des effectifs est un des objectifs les

plus importants pour les clubs et autres associations qui proposent du sport. En effet, le

chiffre est souvent l’élément principal qui détermine les aides financières. Il vient

également légitimer la portée d’une organisation. Par conséquent, de plus en plus de clubs

ont compris qu’en adaptant la pratique aux attentes de tous, une plus grande participation

était possible. Cet objectif est également présent au niveau législatif. Alors que l’objectif

initial de la mixité sportive est l’égalité des sexes, la façon dont elle prend forme tend à

renforcer la frontière entre les sexes puisqu’elle entretient leurs différences. L’analyse des

contenus des pratiques permet d’aboutir à cette conclusion. L’organisation structurelle des

politiques de mixité sportive doit également être prise en compte.

L’adaptation du sport aux spécificités féminines touche également l’organisation

des différentes institutions. A plusieurs niveaux, des actions sont menées pour favoriser

l’accession des femmes à tous les niveaux du sport. Ainsi, on les pousse à intégrer les

instances de décision et on adapte les espaces et les temps de pratique. Bien que ces

arrangements soient conçus comme des soutiens à l’engagement des femmes dans le

sport, les raisons de leur mise en place et les principes qui les justifient reposent toujours

sur les rôles de genre.

Avant d’être des sportives, les personnes rencontrées considèrent le plus souvent

les femmes comme des mamans. Leur présence moindre est souvent justifiée par

l’impossibilité de concilier leur maternité et l’activité sportive. Plus que leur rôle de mère,

toutes les tachent domestiques qui incombent « naturellement » aux femmes sont des

obstacles à la pratique. Comme au niveau législatif, la démarche consiste à adapter les

horaires pour placer les temps de pratique au moment où les femmes sont déchargées des

contraintes familiales. Plus qu’une renégociation des rôles de genre, on les reconstruit en

tenant compte de la situation actuelle. Même si le but est de permettre l’accès des femmes

92

au sport, on ancre leur position de gestionnaire de la vie familiale. C’est le résultat qui est

visé, à savoir la présence de sportives dans le mouvement fédéral. La répartition sexuée

des tâches est maintenue mais cet aspect ne semble pas être considéré dans les politiques.

Cette observation est également perceptible si l’on s’intéresse aux instances de direction.

Les réunions sont généralement le soir et tardives et l’on a du mal à s’imaginer qu’une

femme puisse venir régulièrement aux rassemblements à ces moments. L’objectif est une

nouvelle fois d’adapter les horaires. Plus qu’une réelle impossibilité de quitter leur

domicile, c’est surtout les représentations sociales qui semblent jouer. Celles-ci font que

les femmes ne sortent pas à des heures avancées car ce n’est pas là qu’on les attend. Bien

que l’on modifie les modalités pratiques en faveur des femmes, l’ordre social est renforcé

et les normes de genres ne sont pas remises en cause.

La façon dont on recrute les femmes dans le sport est également spécifique. Plus

que les hommes, on les oriente vers tous les rôles existants. Cette observation pourrait

mettre en évidence la volonté de les voir à tous les niveaux du sport. Malgré tout, cet

aiguillage semble vouloir faire comprendre aux femmes qu’elles peuvent participer au

sport dans des rôles différents et plus conformes à leur statut que celui de sportives :

éducatrices, accompagnatrices et dans le meilleurs des cas, dirigeantes. Surtout présente

dans les sports masculins, cette situation semble montrer aux femmes que le sport ne leur

est pas complètement ouvert. Ce balisage n’est pas toujours conscient mais montre encore

que l’intégration des femmes dans le sport ne se fait pas sans considérer les normes de

genre. Les manières d’accueillir sont donc déterminantes de la répartition des sexes. La

conception du discours des recruteurs pose d’emblée les limites de la mixité.

Les arguments qui justifient l’insertion des femmes dans le sport ne sont pas non

plus dépourvus de représentations. Les raisons invoquées pour la mise en place de la

mixité dans les instances de direction et dans les équipes d’éducateurs sportifs ne mettent

pas de côté les différences de genre. Au contraire, elles deviennent un atout dans la

construction de la mixité.

D’après les enquêtés, la mixité des directions tire bénéfice de la complémentarité

des sexes. Comme au niveau législatif, les acteurs sont convaincus que les femmes

apportent des idées différentes de celles des hommes :

- « Aujourd’hui, on est convaincu que les femmes vont apporter dans le

monde du football. Elles ont d’autres idées que les hommes. »

- « Je dirais que les hommes et les femmes ont des points de vue différents,

d’où la richesse de la complémentarité. »

93

La complémentarité est particulièrement présente dans l’esprit des personnes

rencontrées. Les hommes et les femmes auraient naturellement des points de vue, des

idées et toute une somme de prédispositions affirmant qu’ils se complètent. Cette idée est

un élément central du genre. Il s’agit une nouvelle fois de représentations. La nature est

convoquée pour justifier l’omniprésence de ce concept. La complémentarité des corps

sexués est symbolisée par la procréation qui nécessite un peu de chacun des sexes, mais

surtout un peu de différent. Cet arrangement des sexes que décrit Erving Goffman1 est

pourtant intégré au cours de la vie par les acteurs sociaux. Il constitue une forme de

différenciation sociale des individus sexués. La façon dont le sport utilise cette

construction sociale produit son renforcement. La mixité des instances de décision est

donc marquée par la consolidation des stéréotypes de genre. Par conséquent, même si le

mélange existe, les individus restent symboliquement séparés. En plus de cette nouvelle

division, les individus se trouvent hiérarchisés. La difficulté pour les femmes de faire face

à une majorité d’hommes a été montrée. C’est parce que le système de complémentarité

place les caractéristiques « masculines » au dessus des propriétés « féminines » qu’il

hiérarchise les deux parties. Dans toute interaction sexuée, la division entre celui qui dirige

et celui qui est dirigé semble indispensable2. L’ordre social place l’homme dans la posture

de dominant. Cette situation se rejoue donc dans les directions des instances sportives. Le

durcissement des stéréotypes identifié dans le milieu du travail en situation de mixité est

également à l’œuvre dans ces espaces. Dans le sport, même lorsque le corps est absent, la

séparation et la hiérarchisation des sexes sont à l’œuvre.

Tant au niveau politique que sur le terrain, il existe une volonté de rendre visible la

pratique sportive féminine. Le mélange n’a pas seulement pour objectif d’instaurer de

nouvelles relations entre les sexes mais est parfois l’objet d’une réelle mise en scène. Il y a

une volonté de rompre avec l’invisibilité traditionnelle dont souffriraient les femmes. En

apparence, cette démarche consiste à bouleverser les codes de genre qui ont tendance à

pousser les femmes vers l’intérieur et la discrétion. Même si l’invisibilité est empreinte de

genre, elle traduit seulement un entre-soi assumé par chacune des parties. Cependant les

entrepreneurs de morale ignorent souvent les processus sociaux à l’œuvre en veulent

forcer la mixité3. Cette croisade peut d’ailleurs être traduite comme une volonté d’apaiser

les espaces en question. Les individus à l’origine de ces campagnes ne font que rejouer les

normes de genre. En partant du principe que des rivalités tendues opèrent dans les

1 Goffman Erving, L’arrangement des sexes, Paris, La Dispute, 2002. 2 Jonas Irène, op. cit. , p. 118. 3 Etiemble Angelina, Zanna Omar, « Les tours parlent – Des jeunes filles et des tours dans un quartier de Rennes », VEI Diversité, n°165, 2011, p. 41-47.

94

espaces masculins, on compte apporter la douceur féminine et apaiser les tensions. Les

propos de certaines personnes rencontrées vont dans ce sens :

- « Lorsqu’il y a des femmes dans les bureaux, les discussions et les échanges

sont moins tendus. On n’impose pas, on discute. On est plus dans les échanges

démocratiques, cordiaux. Dans la pratique également, je dirais que les échanges

sont plus respectueux. Sur les terrains féminins, je n’entends pas de gros mots,

je n’entends pas de fâcheries qui existent chez les hommes. »

En s’appuyant une nouvelle fois sur les représentations de genre, la mixité est

construite comme une forme de relation hommes-femmes satisfaisante. Parce qu’elles

rompent l’ambiance traditionnelle des espaces sportifs en apportant de nouvelles choses,

les femmes sont conviées dans les clubs. Dans un contexte où les échanges démocratiques

sont recherchés, l’image adoucie qui les caractérise est un argument genré supplémentaire

justifiant la mixité sportive.

Le dernier élément marquant la prégnance des normes de genre dans les politiques

de mixité concerne l’encadrement sportif. Déjà évoquée au niveau législatif, il existe une

volonté de placer des femmes pour encadrer les femmes. Celles-ci seraient plus aptes à

prendre en charge un groupe de filles et les hommes plus disposés à gérer un groupe de

garçons. La proximité des sexes et le lien privilégié qu’ils entretiennent renforcent cette

perception. Cette vision n’est ni plus, ni moins, qu’une nouvelle forme de séparation

socialement conforme. Malgré tout, d’autres images participent à entériner cette

conception de l’encadrement. Elisa Herman détaille les représentations à l’œuvre dans

l’idéologie de la complémentarité de l’encadrement en étudiant les centres de loisirs1.

Le premier aspect concerne la « prédisposition » des femmes à prendre en charge

les jeunes enfants de façon générale. L’éthique du care gouverne ces représentations :

- Elles sont plus proches de l’éducation, est sont plus proches de l’affection et

de l’émotionnel par rapport à l’homme justement. Donc elles ont un vrai rôle à

jouer dans les associations.

Le genre est à nouveau présent dans les images transmises. Le côté naturel des

spécificités féminines transparaît. Cependant, ces qualités sont pondérées par celles que

l’on attribue au masculin, à savoir la connaissance de la discipline et l’autorité. Une

nouvelle séparation mise au jour par Elisa Herman2 se retrouve dans le sport. La

complémentarité est marquée par une hiérarchisation des tâches. Celles qui sont nobles

1 Herman Elisa, « La bonne distance. L’idéologie de la complémentarité légitimée en centres de loisirs », Cahiers du genre, n°42, 2007, p. 121-139. 2 Ibid. , p. 137.

95

(entrainement technique et discipline) sont associées aux hommes et les femmes se voient

attribuer les fonctions plus communes (affection et soin).

La propension des femmes à s’occuper des autres en se souciant de leur bien être

n’explique pas à elle seule cette répartition. La notion de panique morale qui pèse sur les

hommes entre également en jeu. Cette notion se caractérise par l’intensification d’une

peur autour d’un problème social1. Cependant, il y a une disproportion entre l’angoisse

collective et la menace présente. En l’occurrence, la panique concerne le soupçon de

pédophilie qui entoure les hommes s’occupant d’enfants. Les professionnels de

l’encadrement sportif rencontrés ont d’ailleurs cet aspect à l’esprit :

- « Je fais un peu plus attention quand je montre les geste parce que voilà, ce

sont des filles… Un mec je vais me mettre plus facilement derrière je vais le

pousser un peu. Avec les filles je suis un peu plus doux quoi. Enfin voilà, c’est

des filles, il faut faire attention. »

Le spectre de la sexualité est présent, d’autant plus lorsque des hommes s’occupent

de jeunes filles. La mise en place d’éducatrices pour s’occuper des jeunes filles traduit la

peur des enquêtés d’être mal jugés. En sport, le contact des corps semble perçu comme

une menace. La mixité des équipes d’encadrement permet donc aux acteurs de justifier

leur bonne foi en contournant les problèmes qui peuvent être rencontrés. Des

représentations favorables à l’égard des femmes existent et on en joue pour ne pas éveiller

les tabous. Cette réalité est très présente au regard des entretiens avec les membres des

clubs. Une éducatrice avoue avoir été recrutée pour développer et prendre en charge la

pratique féminine, « parce qu’elle est une femme ». Cependant, quand les acteurs sont

interrogés sur le fondement de ces représentations, ils s’accordent sur le fait qu’une

femme n’est pas plus compétente pour encadrer les jeunes filles. D’après eux, le fait

d’avoir des éducatrices dans un club est bénéfique pour l’image. Les parents seraient

sensibles à la mixité des encadrants et plus enclins à confier leur fille à des femmes. Plus

qu’un bénéfice sur la pratique et sur les pratiquants, la mixité est également une image à

entretenir. Elle permet aux institutions sportives d’être bien perçu par le public. Les

visions de l’esprit à propos de la mixité et des prédispositions sexuées sont entretenues.

Par conséquent, la façon dont est pensée la mixité des éducateurs renforce elle aussi le

genre.

Toutes les normes de genre ne sont pas remises en cause. Cependant, les acteurs

rencontrés ont souvent conscience qu’ils rejouent des stéréotypes. Cette posture semble

1 Ibid. , p. 123.

96

parfois être un choix même si ce n’est pas toujours conscient. En effet, ils ont tout intérêt

à se conformer à l’ordre établi pour ne pas être discrédités. Un chamboulement des

représentations de genre à leur niveau entrainerait une stigmatisation de leur institution.

La vie des clubs étant dépendante du nombre d’adhérents, le but est de s’adapter au

maximum à leurs attentes. Des pratiques allant à l’encontre des normes en rigueur

n’attirent apparemment pas les sportifs et peuvent même les faire fuir. Les espaces

sportifs doivent, eux aussi, prouver leur conformité. Ce processus que l’on retrouve

principalement dans les relations sociales est également à l’œuvre au niveau institutionnel.

Même si cette démarche ne justifie pas à elle seule le refus de la mixité, il faut en tenir

compte pour expliquer ce choix. Alors que les politiques de mixité sont initialement

conçues pour dépasser les inégalités entre les sexes, la façon dont elles prennent forme

participe de la perpétuelle retransmission des normes de genre.

4. Le badminton : l’exception qui confirme la règle

Parmi les disciplines considérées, le badminton fait figure d’exception. C’est en

effet la seule qui a intégré le mélange des sexes. Dans ce sport, c’est la pratique mixte qui

est privilégiée et l’on se soucie peu de la mixité sportive devenue évidente. La mixité se

décline sous la forme de double mixte, deux paires composées d’un homme et d’une

femme s’affrontent. C’est un des seuls sports olympiques (avec l’équitation) où femmes et

hommes se retrouvent sur un même podium. D’après le membre de la fédération de

badminton rencontré, cette la mixité se fait naturellement en badminton. Evidemment

culturelle, le mélange est notamment rendu possible grâce à un règlement qui le favorise.

Alors que d’autres disciplines comme le tennis ou le tennis de table on délaissé le

double mixte un temps expérimenté, cette forme de pratique en badminton tient à une

politique qui l’a toujours favorisée. Inscrite à tous les niveaux de compétition comme dans

le loisir, l’obligation de présenter une paire mixte en compétition conforte son maintien.

Les représentations favorables à l’égard de la mixité jouent également dans cette discipline

et leurs membres sont convaincus que le mélange comporte des bienfaits, sans pour

autant les détailler. Dans ce contexte où tout semble bien fonctionner, il faut se demander

pourquoi le badminton ne rencontre pas les obstacles des autres disciplines.

D’après la personne rencontrée, la mixité se pratique avant tout parce qu’elle est

rendue « possible » par les spécificités intrinsèques au badminton. Lorsque ces

particularités sont détaillées, on se rend compte qu’elles se rapportent aux éléments perçus

somme des obstacles dans les autres disciplines. Ainsi, l’absence de contact entre les corps

des pratiquants permettrait la mixité. Cet argument montre que même lorsque le mélange

97

est possible, le physique est l’élément de justification. Le raisonnement est donc identique

à celui des sports qui rejettent la mixité. Les principes de justification sont les mêmes,

seule la conclusion change. Cette situation est une preuve que la nature n’est en aucun cas

responsable de la séparation. C’est plutôt la façon dont on considère et dont on construit

les différences qui augure de la mixité. La culture et l’historique des disciplines pèsent

donc beaucoup plus que la « nature » des individus. Cependant, le prisme des

représentations de genre inverse le regard et fait passer le « naturel » au premier plan.

Bien que la mixité soit une pratique courante en badminton, il est impossible de la

considérer comme totale. Le poids des représentations sur le physique des individus

prend souvent le dessus sur le mélange. Bien qu’il induise la coprésence d’hommes et de

femmes, le double mixte reste conditionné. En compétition, il faut que la mixité soit

présente des deux côtés du filet. Une paire mixte ne peut pas jouer contre une paire

unisexe. En jugeant cette situation déséquilibrée, on suppose que la valeur des individus

diffère selon leur sexe. Un couple mixte est avantagé face à deux femmes et défavorisé

face à deux hommes. Malgré la mixité, la valeur physique est toujours prise en compte et

on a toujours à l’esprit la domination de masculine dans cette activité. La variable de l’âge

vient confirmer cette observation. Les jeunes badistes peuvent pratiquer garçon contre

filles et paires mixtes contre paire démixées seulement jusqu’à un certain âge. A l’inverse

des autres disciplines, la mixité des plus jeunes ne prend pas forme par défaut mais elle est

également limitée lorsqu’arrive l’adolescence. A compter de cet période, la mixité devra

être équilibrée (un homme et une femme contre une femme et un homme), là encore

pour « des raisons évidentes » d’inégalité physiques entre les sexes. Plus que jamais, la

mixité dépend des représentations à l’égard des différences.

Le dernier élément prouvant que la mixité n’empêche pas la séparation concerne

les modalités de pratique du double mixte :

- « On prend en considération les facteurs de puissance. Ca rentre dans la

tactique du mixte. La fille va être plus facilement en position proche du filet

par rapport au gars qui va couvrir la zone arrière et va avoir les volants haut

pour pouvoir smasher. Mais dans la tactique l’intérêt est de pousser la fille au

fond pour inverser le rapport de force. En gros la discipline, la tactique de jeu a

pris en considération d’avoir deux personnes de sexe différents. »

La façon dont est pensée la pratique mixte a tout d’une nouvelle séparation entre

les individus sexués. Les rôles sont déterminés par le fait d’être une femme ou par le fait

d’être un homme. La motricité et les tâches à accomplir sont réparties selon le système de

98

bicatégorisation sexuée évoqué par Pierre Bourdieu1. Les femmes se chargent des volants

bas quand les hommes frappent ceux qui viennent de haut. Ces derniers contrôlent ce qui

se passe se plaçant derrière et dirigent leur partenaire. Ils frappent fort et loin quand elles

renvoient les volants courts et peu rapides. Tout l’enjeu consiste à mettre à mal le point

faible que constituent les femmes. Les oppositions entre haut/bas, fort/faible, rapide/lent

se retrouvent dans la pratique. A chaque fois, l’élément dominant est associé au masculin.

Cette domination est renforcée dans un premier temps par la position de l’homme sur le

terrain, qui contrôle et dirige le jeu (indirectement, il contrôle et dirige sa partenaire). La

domination est également renforcée en considérant la femme comme le point faible de la

paire.

La façon dont la mixité est pratiquée en badminton montre bien que le mélange

des sexes ne permet pas forcément l’égalité. La domination symbolique est au centre des

rapports hommes-femmes. Bien que la mixité soit rendue possible, les représentations

sociales qui entretiennent la différence entre les sexes ne sont pas mises de côté.

1 Bourdieu Pierre, op. cit. , 1998.

99

Conclusion

L’analyse des conditions d’adhésion à la mixité s’est donc appuyée sur l’organisation des politiques qui gouvernent le mélange des sexes. Une enquête en trois temps correspondant à trois niveaux d’investigation a permis d’interroger les différents aspects de l’action publique qui prône la mixité : les raisons de l’existence de ces politiques, la façon dont elles prennent forme et leurs effets sur les rapports sociaux entre les sexes.

La mixité prend toute son importance dans un contexte qui prône l’indifférenciation. Les spécificités du Modèle républicain français permettent d’expliquer son succès. Le mélange des individus est réalisé pour atténuer leurs différences. Leur rapprochement doit leur faire prendre conscience de leur similitude. La mixité est donc utilisée comme un moyen d’atteindre un idéal où les relations sociales seraient dépourvues d’inégalités et de discriminations. Ce sont donc surtout les principes démocratiques universels qui justifient la mixité. Malgré tout, cette posture est très critiquée. En se focalisant sur ces préceptes, l’injonction à la mixité met de côté les rapports sociaux à l’œuvre. En supposant que la mixité produit naturellement l’égalité, on ne pense ni la façon dont elle doit prendre forme ni les précautions d’emploi qu’elle nécessite. Le mélange n’est pas évident et cette réalité est souvent oubliée par les incantateurs. L’égalité, la démocratie et la paix sont au centre du système de pensée qui gouverne la mixité. Le discours qui entoure cette notion attribue toute une somme de vertus au brassage des individus. Par conséquent, ces représentations se retrouvent dans l’esprit des acteurs sociaux et tout le monde s’accorde à dire que le mélange d’individus « différents » est bénéfique. Ainsi, cette forme de relation est largement diffusée dans les espaces particulièrement marqués par les inégalités sociales. En ce qu’il est perçu comme un lieu de ségrégation sociale des sexes, le sport est sujet à l’injonction à la mixité. La séparation hommes-femmes à toujours été la norme dans les activités sportives. Les sensibilités actuelles pour l’égalité des sexes déclenchent les politiques. Le seuil de tolérance vis-à-vis des déséquilibre sociaux entre les sexes s’abaisse et le sport est à son tour régit par la volonté de réduire les inégalités.

Des mesures sont donc prises pour parvenir à cet effet. Des politiques sont construites dans les plus hautes instances qui gèrent la pratique sportive et sont diffusées sur le terrain à travers les différents réseaux sportifs. L’initiative des directives peut être attribuée à des groupements internationaux qui, dans les années 1990, ont pointé la nécessité d’agir sur le champ sportif. Bien qu’initiées au niveau international, chacun des pays est libre d’adhérer aux politiques selon ses principes. Ainsi, la mixité est une spécificité française qui se retrouve quasi-exclusivement dans les programmes nationaux.

100

Les différences d’orientation entre les niveaux de compétence sont d’ailleurs très marquées. Au niveau législatif comme chez les relais ou les artisans de la mixité, chacun se saisit des directives des institutions supérieures et les adapte à sa propre vision des choses. A partir des relais, la rationalité des acteurs est engagée. L’adhésion à la mixité dépend des choix des acteurs. Allant parfois à l’encontre des politiques, ces derniers déterminent le cadre d’action des politiques. Celles-ci sont souvent court-circuitées par les acteurs qui ne se reconnaissent pas dans les demandes institutionnelles. Par conséquent des effets pervers peuvent se développer. Parfois néfastes, ils émergent de la somme des comportements individuels et sont à l’opposé des objectifs initiaux des directives. Les politiques de mixité sont en effet marquées par la non adhésion des acteurs du terrain. Un « ras-le-bol » à l’égard de l’injonction à la mixité s’observe. Cette tendance s’explique par plusieurs éléments. Les spécificités du sport sont invoquées. La séparation étant la norme sportive, il est difficile d’aller à son encontre. De plus, l’absence de contenus caractérise les politiques. Aucun outil n’est fourni aux acteurs pour qu’ils puissent mettre en place la mixité dans de bonnes conditions. Les quelques tentatives sont souvent soldées par des échecs. L’expérience de la mixité se dresse contre l’évidence qui la caractérise. La façon dont elle est pensée, transmise et la façon dont les acteurs se saisissent de l’injonction ne favorise pas sa mise en œuvre.

La structuration des politiques semble déterminer les effets de la mixité. Bien que globalement, cette forme de relation entre les sexes soit peu développée, elle existe dans de nombreux endroit. Les espace mixtes ne semble pas tenir à la force des politiques mais plutôt aux initiatives des sportives. Le mélange se décline sous deux formes. La coprésence des sexes sur un même terrain (sport mixte) et la présence d’hommes et de femmes dans une même institution sportive (mixité sportive). La première n’est que peu pratiquée, hormis chez les jeunes où en situation de loisir. Les représentations sur les différences physiques entre les hommes et les femmes rendent le mélange impossible. Ce sont bel et bien des vues de l’esprit qui expliquent la séparation. La seconde formule est plus fréquente et se caractérise par la séparation dans la mixité. C’est elle qui est le plus développée quand il existe des actions menées pour la mixité. La démarche consiste à prendre en compte les spécificités de chacun des sexes pour adapter la pratique sportive. Par spécificités, il faut entendre toutes les différences entre les hommes et les femmes. Qu’elles soient perçues par les acteurs comme physiques, psychologiques ou qu’elles concernent les attentes des pratiquants, ces différences sont toutes des représentations dues au genre. En ce qu’elles utilisent les différences entre les sexes, les stratégies de la mixité renforcent les normes de genre. Toutes les actions menées ne forment qu’une réinterprétation des stéréotypes sur rôles sociaux des sexes. Alors qu’elle est conçue pour dépasser les différences entre les sexes, la façon dont la mixité est

101

pensée renforce les différences et justifie à nouveau la séparation. L’expérience de la mixité met à mal les principes au fondement de sa mise en œuvre.

Ces conclusions sont établies à l’issue du travail de recherche. Elles concernent le terrain enquêté et ne prétendent pas donner un aperçu global des réalités sociales du champ sportif. Pour vérifier ces premiers constats et évaluer leur pertinence, une enquête de terrain menée sur une plus vaste échelle est nécessaire. En effet, l’analyse des politiques de mixité des sexes aura d’autant plus de valeur si elle se confronte à la variété du terrain. En portant la réflexion sur la rencontre entre la mixité genrée et la mixité sociale, les résultats peuvent être nuancés. Le terrain de l’enquête s’est réduit à un département et à un club. Certains niveaux des politiques sont restés inexplorés et le public présentait une certaine uniformité. Un travail qui pendrait en compte la mixité sociale de la population permettrait de montrer les différences et les similitudes des rapports de genre selon les milieux sociaux.

102

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Présentation de l’Internationnal Working Group on women and sport : www.iwg-gti.org.

105

Annexes

Organigramme su sport en France 104

La déclaration de Brighton sur les femmes et le sport 105

Guide d’entretien 110

Entretien avec un membre d’une ligue régionale de football 112

Entretien avec un membre d’un comité départemental de badminton 123

106

Organigramme du sport en France

Rôle Administration

d'Etat Mouvement Olympique

Mouvement Sportif Fédéral

Collectivités Territoriales

LEGISLATION

Niveau International

Union Européenne

CIO Comité

International Olympique

Fédérations Internationales

Niveau National

Ministère des Sports

CNOSF Comité National

Olympique et Sportif Français

Fédérations Françaises

RELAIS

Niveau Régional

DRJSCS Direction Régionale de la Jeunesse, des

Sports et de la Cohésion Sociale

CROS Comité Régional

Olympique et Sportif

Ligues et Comités Régionaux

Conseils Régionaux

Niveau Départemental

DDCS Direction

Départementale de la Cohésion Sociale

CDOS Comité

Départemental Olympique et

Sportif

Comités Départementaux

Conseils Généraux

Niveau Intercommunal

Communautés de Communes /

Urbaines / d'Agglomérations

MISE EN PLACE

Niveau Local Clubs Commune

Conseil Municipal

107

LA DÉCLARATION DE BRIGHTON SUR LES FEMMES ET LE SPORT

Les femmes, le sport et le défi du changement. La première conférence internationale sur

les femmes et le sport, à laquelle on participé des décisionnaires du domaine des sport des

niveaux national et international, a eu lieu à Brighton, au Royaume-Uni, du 5 au 8 mai

1994. Elle a été organisée par le British Sports Council avec l’appui du Comité

International olympique. La conférence a porté sur les moyens d’accélérer le processus de

changement pour corriger les situations de déséquilibre que connaissent les femmes

lorsqu’elles participent ou s’impliquent dans le sport. Les 280 déléguées des 82 pays

participants, représentant des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, des

comités nationaux olympiques, des fédérations internationales et nationales de sport et

des établissements d’enseignement et de recherche, ont appuyé la Déclaration suivante.

La Déclaration fournit les principes à la base de mesures nécessaires à l’augmentation de

la participation des femmes à tous les niveaux du sport du dans tous les rôles. De plus, les

participantes et les participants à la conférence ont accepté d’élaborer une stratégie

relative à l’élément féminin dans le sport qui englobe tous les continents. Celle-ci doit être

appuyée par tous les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux oeuvrant

dans le domaine du développement du sport. Une telle approche stratégique

internationale donnera lieu à la préparation de programmes modèles et à des

développements réussis qui seront communiqués aux pays et aux fédérations sportives,

accélérant ainsi le changement en vue d’une culture sportive plus équitable à l’échelle

mondiale.

CONTEXTE

Le sport est une activité culturelle qui, si elle est pratiquée d’une manière juste et

équitable, enrichit la société et favorise l’amitié entre les nations. Le sport est une activité

qui permet à l’individu de se connaître, de s’exprimer et de s’épanouir; de réaliser des

objectifs personnels, d’acquérir des compétences et de montrer son talent; d’interagir avec

les autres, d’avoir du plaisir, de se maintenir en bonne santé et d’être bien dans sa peau. Le

sport stimule l’engagement, l’intégration et la responsabilité au sein de la société et

contribue à l’évolution de la collectivité.

Le sport et les activités sportives font partie intégrante de la culture de toute nation. Or,

malgré que les femmes et les filles forment plus de la moitié de la population mondiale, le

pourcentage d’entre elles qui participent au sport est toujours inférieur à celui des

hommes et des garçons, même s’il varie d’un pays à l’autre. Bien que la présence des

femmes dans le sport se soit intensifiée au cours de la dernière année et qu’il y ait

108

davantage d’occasions pour elles de s’engager sur la scène nationale et internationale, le

nombre de représentantes à des postes de décision et de direction dans le sport n’a pas

augmenté pour autant. Les femmes sont considérablement sous-représentées parmi les

gestionnaires, les entraîneurs et les officiels, surtout aux échelons supérieurs. Sans femmes

à des postes de direction ou de décision et sans modèles féminins dans le sport, les filles

et les femmes ne pourront jouir de chances égales. Les expériences, les valeurs et les

attitudes des femmes peuvent enrichir, valoriser et faire évoluer le sport. De même, la

participation au sport peut enrichir, valoriser et faire évoluer la vie des femmes.

LA DÉCLARATION

A. PORTÉE ET BUTS DE LA DÉCLARATION

1. PORTÉE

La Déclaration s’adresse à tous les gouvernements, aux autorités publiques, aux

organisations, aux entreprises, aux établissements d’enseignement et de recherche, aux

organisations, féminines et aux individus qui sont responsables ou qui ont une influence

directe ou indirecte sur la conduite, le développement ou la promotion du sport ou qui

sont impliqués au niveau de l’embauche, de la formation, de la gestion, du développement

ou de la santé des femmes dans le sport. Cette Déclaration a pour but de compléter les

chartes, les lois, les codes et les règlements sportifs locaux, nationaux, et internationaux

existants.

2. BUTS

Le but prépondérant est de créer une culture sportive qui facilite et valorise la pleine

participation des femmes à tous les aspects du sport. Il y va de l’intérêt de l’équité, du

développement et de la paix que les organisations gouvernementales et non

gouvernementales et toutes les institutions impliquées dans le sport appliquent les

principes mis de l’avant dans cette Déclaration en élaborant les politiques, les structures et

les mécanismes appropriés qui:

· assurent aux filles et aux femmes la possibilité de faire du sport dans un environnement

sûr que les appuie et qui protège les droits, la dignité et le respect de la personne;

· augmentent la participation des femmes à tous les niveaux du sport et dans tous les

rôles;

· garantissent que les connaissances, les expériences et les valeurs des femmes contribuent

au développement du sport;

109

· encouragent la reconnaissance de la participation des femmes dans le sport comme une

contribution à la vie publique, au développement communautaire et à la création d’un

pays sain;

· encouragent la reconnaissance par les femmes des valeurs intrinsèques du sport et sa

contribution à l’épanouissement personnel et à un mode de vie sain.

B. PRINCIPES

1. L’ÉQUITÉ ET L’ÉGALITÉ DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS LE SPORT

a. Les appareils d’Etat et gouvernementaux doivent faire tout leur possible pour s’assurer

que les établissements et les organisations responsables du sport respectent les normes

d`équité des sexes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits

de la personne et de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les

formes de discrimination à l’endroit des femmes.

b. Une chance égale de participer et de s’impliquer dans le sport, que ce soit pour des fins

de loisirs, de promotion de la santé ou de haute performance, est un droit fondamental

pour toutes les femmes, quels que soient leur race, leur couleur, leur langue, leur religion,

leur principes, leur orientation sexuelle, leur âge, leur état civil, leur handicap, leurs

croyances ou leur affiliation politique et leur origine nationale ou sociale.

c. Les ressources, les pouvoirs et la responsabilité doivent être répartis équitablement,

sans discrimination sexuelle, et cette attribution doit corriger tout déséquilibre au niveau

des avantages offerts aux femmes et aux hommes.

2. INSTALLATIONS

La participation des femmes dans le sport est influencée, en partie, par la variété des

installations et l’accès à ces installations. La planification, la conception et la gestion de ces

installations doivent répondre convenablement aux besoins des femmes, surtout celles qui

se préoccupent de la garde et de la sécurité de leurs enfants.

3. LE SPORT SCOLAIRE ET LES JEUNES

Les recherches on démontré que les filles et les garçons voient le sport de deux points de

vue complètement différents. Les responsables du sport, de l’éducation, des loisirs et de

l’éducation physique pour les jeunes devraient s’assurer que les chances de participation et

les occasions d’apprentissage qui correspondent aux valeurs, aux attitudes et aux

aspirations des filles soient intégrées aux programmes visant à développer la condition

physique et les aptitudes des jeunes pour le sport.

110

4. INCITATION À LA PARTICIPATION

La participation des femmes dans le sport est influencée par la gamme d’activités offertes.

Les responsables de la diffusion des activités et des programmes sportifs doivent offrir et

promouvoir des activités qui répondent aux besoins et aux aspirations des femmes.

5. LE SPORT DE HAUTE PERFORMANCE

a. Les gouvernements et les organisations sportives doivent offrir des chances égales aux

femmes d’atteindre leur potentiel sportif en s’assurant que toutes les activités et tous les

programmes visant à améliorer la performance tiennent compte des besoins précis des

athlètes féminines.

b. Les personnes qui appuient les athlètes d’élite ou les athlètes professionnels doivent

s’assurer que les occasions de compétition, les récompenses, les mesures d’incitation, la

reconnaissance, les commandites, la promotion et autre formes d’appui sont fournies

équitablement aux femmes et aux hommes.

6. LE LEADERSHIP DANS LE SPORT

Les femmes sont sous-représentées dans les postes de direction et de décision dans tous

les sports et organisations sportives. Les responsables de ces secteurs d’activité doivent

élaborer des politiques et des programmes et concevoir des structures qui entraîneront

une augmentation du nombre de femmes aux postes d’entraîneuses, de conseillères, de

décisionnaires, d’officielles, de gestionnaires et de personnel de soutien, à tous les niveaux,

en portant un attention particulière au recrutement, à la formation et au maintien en poste

du personnel.

7. ÉDUCATION, FORMATION ET PERFECTIONNEMENT

Les responsables de l’éducation, de la formation et du perfectionnement des entraîneuses

et des entraîneurs et des autres membres du personnel sportif doivent s’assurer que les

processus éducatifs et les expériences acquises dans le cadres de ces processus satisfont

aux normes d’équité des sexes et aux besoins des athlètes féminines offrent une

représentation fidèle du rôle des femmes dans le sport et tiennent compte des

expériences, des valeurs et des attitudes des femmes en matière de leadership.

8. INFORMATION ET RECHERCHE SUR LE SPORT

Les responsables de la recherche et de la diffusion de l’information sur le sport devraient

élaborer des politiques et des programmes visant à augmenter les connaissances et la

compréhension sur les femmes et le sport et s’assurer que les normes de recherches sont

fondées sur la recherche sur les femmes et les hommes.

111

9. RESSOURCES

Les responsables de l’attribution des ressources devraient s’assurer qu’il existe un appui et

un soutien pour les athlètes féminines, les programmes féminins et les mesures spéciales

pour l’avancement de cette Déclaration de principes

10. COLLABORATION NATIONALE ET INTERNATIONALE Le organisations

gouvernementales et un gouvernementales devraient intégrer la promotion des questions

d’équité des sexes et le partage des exemples de bonnes pratiques en matière de politiques

et de programmes sportifs et féminins de leur propre organisation dans les organisations

d’envergure nationale et internationale.

112

Grille d’entretien

Consigne inaugurale :

Vous êtes [responsable, président, etc.] de [comité, service de l’Etat, collectivité,

club]. Je m’intéresse à la mixité dans le sport et j’aimerai que vous me parliez de ce qui est

mené en la matière dans votre structure.

Thèmes de relance :

- La mixité :

La mixité est-elle présente dans les organisations que vous dirigez ?

Quelle forme prend-elle ?

Pourquoi vouloir, ou non, la mixité ? Dans quels buts ?

Comment est-elle mise en place ?

Quels sont les bénéficies et les inconvénients de la mixité ?

Quels en sont les effets ?

- Le public :

Comment sont composés vos effectifs ?

Percevez-vous des différences entre les hommes et les femmes dans la pratique / en

dehors ?

Quelles sont ces différences ?

Comment en tenez-vous compte ?

Comment fonctionnez-vous pour recruter les pratiquants ?

- Les partenaires :

Qui sont-ils ?

Quels sont les supports de transmission des programmes ?

Quels liens entretenez-vous avec les autorités de tutelle ?

- Le sport:

Quel est le rôle du sport selon vous ?

Les pratiques des hommes et des femmes sont-elles similaires ?

Quelles sont les différences / les similitudes ?

113

- Les effets des politiques

Comment jugez-vous les résultats des actions menées ?

Les objectifs sont-ils remplis ?

Quels changements souhaiteriez-vous apporter aux actions menées ?

114

Entretien avec un membre d’une ligue régionale de football

Pouvez-vous me donner un aperçu de la façon dont est gérée la mixité au niveau

du comité et de la ligue ?

Pendant de longues années le foot féminin a été à côté d foot des garçons. Ce n’était pas

trop géré par la DTN (Direction technique nationale). C’était géré par un groupe de

femmes avec leurs commissions aux niveaux national et régional. C’était à côté, dans le

fonctionnement, les tests n’étaient pas les mêmes, les sections n’étaient pas les mêmes, il

n’y avait pas du tout égalité. Depuis 3 ans la DTN a repris le foot féminin en main avec

l’idée de transversalité à tous les niveaux. Dans tous les domaines, ce qui est fait pour les

garçons est fait au niveau de filles. Au niveau de la pratique aussi, il y avait des pratiques

différentes. Il y avait de la mixité jusqu’à 15, 16 voire 17 ans. Donc il y a des règles qui

sont mises au fur et à mesure des années, c'est-à-dire la mixité on la supprime tout

doucement depuis 3 ans. C'est-à-dire que maintenant à partir de 14 ans tu ne peux plus

jouer avec les garçons, même s’il y a encore quelques dérogations pour des filles qui sont

isolées. Mais l’idée c’est de rassembler un maximum de jeunes filles le plus souvent

possible, entre elles, pour pouvoir créer des équipes. Donc ça c’est au niveau des filles,

des pratiquantes. Et au niveau des éducatrices il y a toujours eu un travail de transversalité,

elles faisaient les mêmes diplômes que les garçons, il n’y a pas de diplômes spécifiques

filles. Même si on a essayé d’aménager pour elles, ça ne prenait pas autant. Parce que leur

problème aux filles c’est de redonner. Elles sont relativement consommatrices et elles ont

du mal à redonner ce qu’elles ont appris comme peuvent le faire certains garçons de la

masse. Et depuis cette année au niveau de la DTN, il n’y a plus de commission régionale

féminine. Il va être installé, on est en cours là, des commissions régionales de

féminisation. C’est plus technique. C’est vraiment la femme, en tant que présidente,

dirigeante, arbitre, éducatrice, qui va former cette commission pour l’intégration de la gent

féminine au niveau des comités départementaux. Tout ce qui était technique et que l’on

pouvait avoir en commission régionale, ça a disparu et c’est sous forme de cellule

technique, par exemple le football en milieu scolaire, les filles sont complètement

intégrées dans cette cellule avec les garçons. Donc on a une cellule en milieu scolaire où

on a des garçons et on a des filles. C’est de la transversalité, voila. Et même au niveau de

la DTN, la conseillère technique régionale (foot féminin) travaille complètement avec les

garçons. Sur les brevets d’état garçons, enfin mixtes, sur les stages fédéraux mixtes, sur les

sélections garçons, elles sont vraiment complètement intégrées. Donc ça c’est vraiment

nouveau depuis septembre, c’est officialisé depuis septembre 2011 par notre DTN. Donc

ça change quand même pas mal la donne puisque ça va s’instaurer maintenant dans le

temps. Au niveau des clubs de Division 1, ils vont avoir l’obligation maintenant d’avoir

des équipes féminines. C’est L’UEFA (Union européenne de football association) qui va

115

imposer ça dans les licences des clubs de Ligue de Champions. Les clubs qui veulent se

présenter en Ligue des Champions ont des critères et des obligations, de stade, de

communication, de qualité d’école de foot, de centre de formation, et la gent féminine va

être une obligation. C’est pour ça que nous (le Mans) on a pris les devants, Paris a pris les

devants, Marseille s’y est mis la saison dernière, Montpellier, Rennes vont être obligés de

s’y mettre. Bon le Mans on est en avance, par rapport à ça. Mais on avance dans l’idée,

parce que ça fait une dizaine d’années que cela a été mis en place, mais dans le fond il y a

encore beaucoup de boulot. Il va falloir que les générations de dirigeants passent parce

que c’est dur pour eux d’intégrer, et d’accepter la femme en tant que telle.

Pour quelle raison vous pensez ?

Le machisme tout simplement.

Dans le foot en particulier ou c’est plus une raison de génération ?

Je pense que c’est la société en général, les garçons en général. Mais après c’est un

problème de génération. Les jeunes dirigeants conçoivent complètement, ceux qui ont 30-

40 ans, ceux qui sont jeunes président et qui sont en haut d’un organigramme d’un club

de ligue. Les districts ont complètement compris que la femme va apporter à une

association, va apporter une autre idée tout ça. Les générations 60-70 ans qui animent

actuellement nos comités l’acceptent, oui, mais dans les actes c’est plus dur. En discussion

c’est plus dur.

Pourquoi au niveau des instances de décision on favorise la pratique de la mixité

et dans la pratique, on a abaissé l’âge de la mixité ? Comment cela s’explique ?

(Silence) Pourquoi ? L’idée c’est de créer des équipes féminines le plus tôt possible On

sait dans la connaissance de l‘enfant que la fille et le garçon, jusqu’à l’école primaire, ça

apprend aussi vite, techniquement elle peut avoir d’aussi bonnes qualités, tactiquement

aussi, dans la lecture du jeu aussi et morphologiquement aussi. Après, arrivé au collège, la

différence de maturité arrive. C'est-à-dire que la fille a un an ou deux ans de maturité plus

tôt que le garçon, donc elle peut encore suivre à 11 ans, 12 ans, le rythme des matches

physiquement parlant. Mais après, elles ne peuvent plus suivre, il y a vraiment un gros

décalage athlétique qui fait que si on fait des rencontres garçon-fille, jusqu’à 13-14 ans ça

va aller mais à partir de 15 ans la testostérone va faire que ça ressemble plus à rien dans le

foot, dans notre pratique. Donc l’idée c’est de créer des équipes dans les catégories U12-

U13, dans ces catégories là, donc 6ème-5ème, pour pouvoir faire des championnats et

pouvoir créer des équipes en sénior. Nous on a 5-6 clubs seulement, enfin 6 équipes

féminines dans le département. Ce qui est peu. Et dans les écoles de foot, chez les 6-13

ans on est à 300 gamines dispatchées sur le département et ce qu’il faut qu’on fasse c’est

rassembler ces filles, les habituer à jouer ensemble, puis à un moment donné, si on les

116

habitue, elles vont créer de l’affinité et après elles vont créer des équipes sur un

quadrillage départemental, sur notre territoire.

Pour le moment, cela fonctionne par ententes ?

Oui complètement. Il y a 3 clubs … des clubs qui fonctionnent très bien : Le Mans FC,

qui fonctionne très bien depuis deux ans maintenant avec des obligations qui ont été

données d’en haut et qui font qu’il a fallu se pencher réellement sur le développement et

sur le fait de licencier des petites. Il y a deux ans il y avait zéro fille à l’école de foot.

Aujourd’hui elles sont à 28 en l’espace de deux ans, donc il y a eu un vrai travail. A

Changé, le club de Changé fait un vrai travail de développement. Et puis après il y a Sablé

qui commence à s’y mettre. Ils avaient mis un peu le frein mais ils commencent à s’y

remettre. Après c’est un problème d’argent, de rémunération d’une personne pour

pouvoir organiser et développer. Donc il faut que cela soit dans des « projets club ». Et

après c’est des ententes, ce sont des clubs très isolés comme le Breil-sur-Mérise, comme

du côté de La Ferté Bernard, du côté de Conlie, du côté d’Aubigné-Racan, Anille-Braye,

où il y a des personnes qui ont 2-3-4 filles, qui ont envie de développer la pratique pour

les filles mais qui ont besoin de filles de clubs aux alentours à 10-15 km pour pouvoir

créer un équipe. Bon, ça va prendre, on espère qu’un club comme La Ferté Bernard va s’y

mettre complètement, va pouvoir faire une équipe féminine. Il y a dix ans il y avait une

équipe féminine, malheureusement ils ont perdu leur licenciées au fur et à mesure des

années quoi.

Pour reprendre l’exemple du club qui se retrouve désormais avec 28 jeunes filles

dans leurs effectifs, quelle a été la méthode pour recruter ?

Après ce sont des réseaux de connaissance. Ils se sont rapprochés du district pour ouvrir

les portes des écoles primaires. La tu va aller faire des animations avec des cycles de foot

et à travers les conventions que l’on a avec l’inspection académique, bah t’as toujours

quelques filles qui sont intéressées par le foot. Après elles ne savaient pas forcément où

aller, comment faire. Mais après c’est de la proximité, c’est du porte-à-porte presque et il

faut plaire. C'est-à-dire proposer un projet aux parents puis décider les mamans et les

papas qu’il y a vraiment moyen de faire e la pratique « foot » pour les filles et qu’il n’y a

pas que la danse, la natation ou la gym pour leurs filles.

Vous pensez que c’est ça qui est responsable de la faible présence féminine dans

les sports dits masculins comme le foot ?

Ah oui, oui ! C’est la première raison. La première raison c’est l’image de la petite fille qui

doit aller dans des réseaux féminins. C’est « ma fille fera de la danse, ma fille fera de la

gym… » comme « mon garçon fera du rugby, fera du foot ». Je ne sens pas la même chose

au niveau du hand ou du basket. Et très souvent ce n’est pas la maman qu’il faut décider

mais plutôt le papa.

117

Et pourquoi le foot est catégorisé comme un sport masculin, par rapport au hand

par exemple ou d’autres sports que l’on met du côté féminin ?

Bah déjà il y a l’image de la pratique du foot dans le années 1980-1990, voire avant. C'est-

à-dire que l’image de la femme qui joue au foot ce n’était pas l’image de la femme sportive

séduisante. Aujourd’hui on est sur une vague très, très positive qui est le travail des 5

dernières années où toutes ces jeunes filles qui jouent aujourd’hui en équipe de France

dont passées par des pôles. Aujourd’hui, l’équipe de France, ce sont de véritables

sportives, elles s’entrainement pratiquement tous les jours, il y a quelques

professionnelles. Et nos dirigeantes, les éducatrices et les éducateurs leur demandent de

faire un effort sur leur savoir-être et sur leur esthétique pour donner une belle image du

foot féminin. On a eu pendant deux années « l’aide » d’Adriana Karembeu qui n’était pas

footballeuse mais qui a fait parler, en bien ou en mal mais qui a fait parler. Et la

communication c’est d’abord ça. Maintenant c’est Gaétane Thiney qui va être la référente

masculine (lapsus) sur le territoire pour les 2-3 prochaines années. Elle représente très

bien le foot féminin avec sa technicité, sa combativité et une certaine beauté aussi qui ne

laisse pas indifférentes les femmes et les mamans, puis les hommes et les papas. Et puis ce

sont de véritables sportives aujourd’hui, elles sont capables de multiplier les courses, elles

sont capables d’accepter les charges d’entrainement ce qui n’était pas le cas avant.

Donc il est nécessaire de jouer sur le physique ?

Oui, oui ! Ca et leur dépense d’énergie sur les matches. C’est l’antagonisme du foot

masculin qui fonctionne actuellement. On voit plutôt des hommes individualistes, qui ont

du mal à sourire pour la plupart, un jeu qui n’est pas très alléchant alors qu’ils sont sur le

même projet de jeu que les femmes, ou les femmes sont sur le même projet de jeu que les

hommes, mais c’est plus difficile à mettre en place avec les garçons. Mais il y a surtout un

élan de générosité en équipe de France féminine qui est super intéressant. Maintenant

elles sont de plus en plus médiatisées, et on sait qu’avec les médias il va y avoir des

déviances. Il y a les Jeux Olympiques qui arrivent donc il faut profiter de ce temps là. Il va

se passer ce qui se passe actuellement avec le rugby hein, qui commence à rencontrer les

mêmes problématiques que le foot. Ils ont dix ans de retard sur le foot et chez nous les

filles ont dix ans de retard sur les garçons en termes de médiatisation.

Justement, comment est-il possible de jouer de cette image au niveau local sans

en être dépendant pour prévenir les éventuelles dérives du haut niveau ?

Ah bah on est dépendant, on n’y peut rien. On peut rien faire, on le voit bien avec les

garçons et les effets de la Coupe du monde (2010). On ne peut pas les chiffrer, sinon avec

le nombre de licenciés mais est-ce vraiment à cause de la Coupe du monde ? Oui

certainement au niveau de dirigeants. Mais les plus jeunes n’ont pas conscience de ce qui

s’est passé, les parents oui. Nous ce que l’on peut faire ?...Pas grand-chose si ce n’est

118

qu’en élite c’est une petite somme de personnes alors que ce qu’il y a dans le foot amateur

c’est multiplié par 20 ou par 30. Si l’on prend les garçons c’est 800 professionnels. A côté

de ça il y a presque 2 millions de pratiquants. C’est rien mais c’est ce qui est mis en avant

quand on ouvre les ordinateurs, quand on va sur internet, quand on regarde la télé c’est le

professionnalisme qui est mis en avant ce n’est pas l’amateurisme. A nous de mettre des

valeurs, comme pour les garçons, d’éducation, d’enseignement d’une pratique, il n’y a pas

de différences. Donc la on profite de cette vague pour faire un maximum de

rassemblements, un maximum de communications pour orienter les filles sur nos ententes

ou sur nos clubs et puis sur la création d’équipes pour pouvoir remonter en nombre de

licenciés. Sur le territoire (Sarthe) il y a une augmentation de 12% de licences féminines,

ce qui n’est pas négligeable. Il y a 1 million de licenciées en Allemagne, nous on est à

60 000. Donc il y a du job.

Il s’agit juste d’augmenter le nombre de licenciées ou d’équilibrer le pourcentage

de pratiquants selon leur sexe ?

Ah non il n’y a pas de comparaison avec les garçons. Aujourd’hui, les techniciens, on est

convaincu que les filles vont apporter dans le monde du football, dans les comités et dans

les associations. Elles ont moins de temps en générale, surtout si elles sont maman, mais

elles ont d’autres idées. Elles sont plus proches de l’éducation, est sont plus proches de

l’affection et de l’émotionnel par rapport à l’homme justement. Donc elles ont un vrai

rôle à jouer dans les associations. Moi je les appelle les clubs modernes : Le Mans est un

club moderne avec l’intégration des filles même si tout n’est pas fait encore

complètement. Je vois encore des éducatrices qui sont en marge pour s’habiller. C'est-à-

dire qu’elles n’ont pas encore leur vestiaire pour se changer, elles sont obligées de

s’habiller dans les toilettes donc ce n’est pas encore à égalité. Mais si on prend un club

comme Changé, eux ils ont tout compris. Les filles ont tout compris surtout. Ce sont des

jeunes filles qui se sont prises en charge à l’intérieur d’une association et elles développent

la pratique pour les filles. Il y a des filles qui ont passé leur diplôme d’éducatrices et elles

sont allées chercher des petites pour faires des équipes pour l’avenir. Elles sont allées

vendre leurs billets pour la coupe de France où elles ont fait un 32ème de Finale. Elles se

sont prises en charge, elles sont allées à Super U et elles ont vendu 150 billets le dimanche

du lendemain de leur vente. Le lendemain il y a eu 350 personnes au stade. Ca ne s’est

jamais vu à Changé. Donc elles apportent une dynamique pour l’association. Puis

l’homme est très dans la compétition. Il est peut être pas assez dans le mélange des

genres, dans le milieu associatif.

Hormis le physique, est ce que des différences de motivations ou d’aspiration

expliquent la non-mixité ?

Il y a un moment donné de toute façon elles ne peuvent plus jouer avec les garçons.

L’homme est plus fort, pas plus endurent car c’est la charge d’entrainement qui fait cela.

119

L’homme est plus fort et plus puissant, donc dans l’impact, il a y peu de filles qui

pourront y arriver. Les meilleures filles qui jouent à un bon niveau, je parle d’un niveau

régional, elles peuvent jouer jusqu’à 14 ans. Après il y a trop de différence. La testostérone

fait que malheureusement la femme n’est pas l’homme. Ce qui ne veut pas dire que les

garçons ne l’accepte plus mais elle devient la 12ème, le 13ème, la 14ème joueuse. Elle aura été

au maximum de ses qualités athlétiques pour jouer avec les garçons. Après il y en qui vont

jusqu’à 15 ans mais aussi plus tôt ou vers 11 ans, elles deviennent le 12ème homme, le 13ème

homme… enfin la 12ème femme, la 13ème femme dans une équipe mixte. On est dans les

limites de fonctionnement. Beaucoup de filles, de jeunes femmes arrêtent le football à

l’âge de 14 ans, c’est l’âge. C’est la première chute de licenciées.

Ca se ressent donc réellement dans les effectifs ?

La courbe descend clairement à 13-14 ans. Soit elles arrêtent, si on n’arrive pas à leur

proposer des clubs, des associations qui permettent des les accueillir. Ou alors elles font

15, 20, 40 km comme c’était le cas les autres années.

Et les plus jeunes ?

Alors les plus jeunes elles sont en mixité, soit elles jouent dans les clubs où il y a plein de

petites filles parce qu’il y a des filles qui ont envie de jouer entre fille, c’est des copines de

classe, d’école ou de quartier, donc elles sont 4 ou 5 et elles jouent ensemble et ça ne pose

aucun problème. Il y a même une section du secteur de l’Huisne ou il y 7 filles qui jouent

ensemble et où il y a deux garçons, de Cherré à côté de La Ferté Bernard, qui n’ont pas de

copains pour faire de foot donc ils ont accepté de jouer avec des filles donc ils jouent

ensemble en championnat tous les samedis. Et la ils sont en mixité et ça se passe

apparemment très bien.

Et ils évoluent dans des championnats féminins ?

Non, on a des équipes filles qui jouent dans des championnats « secteur garçons ». On

crée des rassemblements 5-6 fois l’année où les filles jouent entre filles, des équipes

féminines contre des équipes féminines.

Lors de ces rassemblements, les équipes sont déjà existantes ou elles sont

constituées pour l’occasion ?

Ce sont des équipes qui sont déjà constituées, qui jouent dans des championnats garçon et

que l’on rassemble tous les deux mois sur différentes pratiques. On les a rassemblé au

mois d’octobre à Coulaines pour faire une journée de tournoi, après c’était à Arnage en

décembre. La on va faire un tournoi national pour les équipes U13, la fête du football au

mois de mai puis on va faire un rassemblement pour les équipes de la Mayenne.

Quel est l’objectif de ces rassemblements ?

120

Leur donner de l’animation supplémentaire, leur permettre de jouer les une contre les

autres. Et puis c’est l’avenir, c’est l’avenir du football, pour qu’il y ait des équipes en sénior

au niveau départemental. Aujourd’hui au niveau départemental on n’a aucun

championnat. On n’a pas de championnat, ça n’existe pas.

Et l’idéal serait de créer des championnats uniquement féminins ?

Oui, de créer des championnats départementaux, et après il y aura des championnats

régionaux. Dans 5 ans je pense qu’on aura des championnats régionaux chez les jeunes.

Pour ce qui est du recrutement vous sentez qu’il y a de la demande ? Le souci est

surtout de démarcher ?

Oui démarcher c’est le bon mot. En gros il y a un gros, gros travail de communication.

Hier on était à la finale de futsal départementale d’UNSS, on a une convention avec eux.

Il y avait 17 équipes. Ca fait 130-140 gamines qui ont joué au futsal, licenciées et non-

licenciées. Avant on avait beaucoup de non-licenciées et maintenant on a beaucoup de

licenciées qui font du futsal avec l’UNSS. Il y a une super ambiance, la salle était pleine.

Ca fait 3 ans que l’on a mis ça en place avec l’UNSS et tous les ans ça monte, ça monte, ça

monte. Tous les ans il y a 3-4 équipes supplémentaires. Ce qui est marrant c’est que c’est

tout l’est du département. Ca va de La Ferté Bernard, Bouloir, Changé, Ecommoy,

Pontvallain, voila. Les collèges de l’ouest pour l’instant ils ne participent pas. Alors qu’à

Fyé il y a des jeunes filles, à Conlie il y a des jeunes filles, Sablé il y a des jeunes filles.

Donc il faut toucher les profs d’EPS, c’est des réseaux après. Donc ça prend, et en

parallèle il y a de plus en plus de demande.

Le fait de les réunir entre filles est un moyen de les attirer et de les garder ?

Ah oui, ça c’est sur.

Donc la mixité n’est pas un objectif ?

Ah non, non. La mixité jusqu’à 11 ans oui. Après il faut qu’elles jouent entre elles. Mais si

les filles, en raison de l’isolement de leur club, jouent avec des garçons, on les laisse.

Aujourd’hui le problème dans le foot et peut être dans d’autres sports, c’est qu’on voit des

plans de développement pour le football dans les quartiers, puisqu’on s’est aperçu qu’il y

avait des footballeurs et qu’il fallait occuper les jeunes. Mais dans le milieu rural, le

football a un rôle très important comme peut être le basket ou bien le hand. Il y a plein de

terrains de foot sauf qu’il n’y a personne pour proposer les activités. Aujourd’hui il n’y a

pas de développement du foot dans le milieu rural. On s’occupe des quartiers mais on ne

s’occupe pas du milieu rural. Et dans le milieu rural il y a des filles et il fat aller à la pêche

quoi.

121

Et toutes ces politiques qui favorisent la pratique des filles, elles sont décidées

localement ou ça vient de plus haut ?

Ce sont les hommes qui décident.

Et à quel niveau c’est décidé, à la fédération ou plus localement ?

Avant, nos dirigeants fédéraux s’occupaient des garçons, des garçons, des garçons et puis

les filles étaient à côté. On les acceptait parce qu’il l fallait. Dans les comités régionaux

c’était la même chose et dans les comités départementaux aussi. Et ça a été la chute du

foot féminin les années passant. Aujourd’hui la femme demande l’égalité avec l’homme

depuis plusieurs années. Il y a vraiment de l’intérêt de la part des femmes pour les

associations. Et les jeunes dirigeants on comprit ce que pouvaient apporter quelque chose

de nouveau. Elles font partie prenante de notre football aujourd’hui. Nos association on

tout intérêt à accepter les femmes. Parce que les femmes ne sont pas toujours bien

accueillies dans les clubs. Il faut faire un effort pour les accompagnatrices, pour les

recevoir dans des structures adaptées. Le monde fédéral a compris qu’il ne suffisait pas de

construire des terrains mais aussi des clubhouse pour accueillir les familles. Il faut offrir

des installations pour que les hommes puissent pratiquer, les femmes aussi mais

également se permettre d’accueillir les familles pour que le club vive bien.

Vous avez parlé de L’UNSS tout à l’heure, est-ce-que vous avez d’autres

partenaires pour le recrutement ?

UNNS, UGSEL, sinon Conseil Général… Avec toutes les collectivités de toute façon si

tu parles de sport au féminin c’est la priorité. Je ne sais pas si j’ai le droit de le dire mais

aujourd’hui, quand c’est la guerre pour aller chercher des subventions à droite ou à

gauche, avec le CNDS, avec les différentes conventions d’objectifs avec le conseil général

ou le conseil régional en ce qui concerne la ligue ou avec la fédé, c’est en priorité le foot

féminin.

Et c’est bien reçu par les clubs ? Est-ce que ces priorités là sont les mêmes que

celles des clubs ?

Ah non. Non, non ! Les présidents, les éducateurs n’accueillent pas ça très bien. C’est le

problème de générations. Je vois bien que les clubs, les éducateurs, les présidents qui ont

60 ans, on accepte, oui. Mais ce n’est pas complètement intégré dans leur manière de

fonctionner, dans les pouvoirs de décision, et dans l’écoute. Ou alors on met des

personnes par défaut. On ne leur (les femmes) donne pas l’intérêt qu’elles peuvent avoir.

On a quand même certaines femmes de qualité qui peuvent être présidente, trésorière,

secrétaire ou éducatrices et qui mènent des associations. On en a 7-8 très facilement. Et ce

sont des femmes qui doivent monter au niveau des comités départementaux, et qui

doivent apporter la bonne parole, ou des idées nouvelles à nos dirigeants.

122

Est-ce que le système de subvention, qui favorise le foot féminin, est accélérateur ou

facilitateur du développement du foot féminin ? J’imagine que c’est fait pour cela.

On a des aides financières. On en a besoin des aides financières. Tu vois, je sors de

plusieurs réunions pour des subventions. L’argent ne fait pas tout, après il y a la

communication, les ressources humaines pour aller vers ces personnes, pour nécessiter

des envies pour entrer dans les associations puis du temps. La femme bénévole est avant

tout maman, et le temps familial et le temps hebdomadaire ne lui permet pas de donner

autant qu’un homme. Un homme souvent il ne compte pas ses heures pour l’association.

Les femmes sont obligées, c’est d’abord la famille. C’est la différence entre l’homme et la

femme.

Dans les formations d’éducateur qui sont dispensées, est-ce qu’il y a des volets sur

la prise en charge de la mixité ou des éléments sur les manières de prendre en

charge les enfants selon leur sexe ?

On a différents niveaux de formation. Pour nous, les formateurs, les conseillers

techniques, il faut qu’on s’habitue à parler aussi bien des joueuses que des joueurs. Et ça

commence par le langage employé, mais même ça c’est déjà dur. Mais si notre forme de

communication on parle aussi bien du joueur que de la joueuse et de la joueuse comme du

joueur, on a déjà gagné sur nos stagiaires. C’est déjà très important d’avoir un discours

très mixte. Et après à travers nos formations. On a des formations pour un public 6-11

ans fille-garçon, connaissance du public fille comme garçon mais il n’y a pas trop de

différence. Après on fait la même chose pour ce que l’on appelle la préformation, c'est-à-

dire les 12-16 ans où la justement on parle de la connaissance de l’ado, donc du garçon et

de la fille. Et la il y a des différences donc on fait réellement la différence entre les deux

genres. Après en sénior, on fait la différence entre les deux genres aussi. Dans la

connaissance mais aussi dans la pratique parce qu’on a pu vraiment les mêmes pratiques

aujourd’hui.

Au niveau des plus petits, la différence n’est pas faite et est-ce que les éducateurs

sont formés à gérer la présence d’enfant des deux sexes ?

Non je pense que le mélange permet aux garçons, plus qu’aux filles, de s’apercevoir qu’il y

a des filles qui jouent très bien au foot. Je reviens surtout vers la communication et sur

l’image que va renvoyer le foot féminin aux garçons. Et les garçons quand ils sont dans les

jeux dans nos stages, et qu’ils s’aperçoivent que des filles qui jouent au niveau régional ou

même national sont capables de prendre le ballon et de frapper aussi fort, de prendre le

ballon et de dribbler aussi vite, de prendre le ballon et de faire des passes des 25-30

mètres aussi bien ou même mieux que certains garçons, c’est la gent féminine qui va

gagner. C’est vers ça que l’on va aller. Si on sépare les deux dans nos formations on

ne va plus permettre aux garçons d’avoir une image du foot féminin. Le garçon c’est un

123

macho. On peut dire ce que l’on veut, c’est d’abord lui et on s’en aperçoit tous les jours.

Maintenant ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas apprendre à vivre avec les filles, accepter

les filles dans l’association. Ca ne veut pas dire qu’il faut jouer ensemble mais il faut

partager les terrains, il faut partager les vestiaires, les sites, les moments et puis voila.

Et en ce qui concerne l’emploi sportif, il n’existe pas des obstacles pour accéder

aux postes entre un éducateur et une éducatrice ?

Et bah non ! On aurait eu cet entretient il y a deux ou trois ans je t’aurais dis oui

certainement. Maintenant non. On a un agrément avec la DDCS pour les services

civiques. On a 20 services civiques, on a quelques filles. Pas suffisamment, après c’est un

problème de masse. Sur 20 on a deux filles, deux tous les ans. Les filles font aussi bien

que les garçons. Il y a des filles qui sont nulles et des garçons qui sont nuls.

Et si l’on prend l’exemple d’un poste à pourvoir dans un club, les filles ont-elles

autant de chance que les garçons pour l’obtenir ?

Oh bah certainement dans certains clubs. Mais la j’ai deux clubs qui cherchaient des

emplois, et qui sont toujours à la recherche d’emplois d’éducateurs ou d’éducatrices. Je

leur ai posé la question en disant que j’avais des éducatrices et ils m’ont répondu que si

elles avaient les compétences ils prenaient. C’est ce qu’on m’a dit au téléphone, après dans

la réalité je ne sais pas. Mais même si le service civique n’est pas considéré comme un

emploi, il y a des filles qui ont été recrutées parce qu’elles sont filles et pour les mettre

dans les écoles de foot. Parce qu’elles vont être plus maternelles, elles vont être plus

proches, elles vont avoir ce côté de maman que n’ont pas obligatoirement les garçons.

Mais il y en a certaines qui on les compétences pour s’occuper des U13 ou des U15. Il n’y

a aucun problème.

Pour s’occuper d’une équipe fille, on est regardant sur le sexe de la personne qui

va les entrainer ?

Non c’est les compétences. On a des sections sportives féminines. On en a deux, une au

collège Albert Camus et une au lycée le Mans sud. Au lycée c’est un garçon qui s’en

occupe. Aujourd’hui on n’a pas de profil féminin pour s’en occuper. Au collège on a une

fille qui s’en occupe, qui est brevetée d’état. Elle est bien au collège, on est dans une limite

de fonctionnement. Par rapport à l’affectif, par rapport aux méthodes pédagogiques et par

rapport au management surtout. Ce qui est le plus problématique, c’est le management

des filles entre filles. C’est compliqué. Je pense que l’homme a plus de poigne que la

femme pour gérer des femmes, à un certain niveau. C’est un avis personnel mais on voit à

la Coupe du Monde qui s’est déroulée en Allemagne, il y a beaucoup plus d’hommes à

gérer les femmes. Les hommes qui ont vraiment la connaissance de la femme en tant que

telle, de la gestion de la femme, aura plus de qualité je pense, plus de résultats. Au niveau

124

du hand ce sont les hommes qui gèrent les femmes, au niveau du basket je ne sais pas. Les

garçons à gérer c’est compliqué mais la gent féminine, entre elles, à gérer c’est compliqué.

Pourquoi plus que les garçons ?

La femme est … La femme a … est très revancharde … Quand elle est fâchée avec

quelqu’un, elle ne reviendra jamais. L’homme lui, si on le prend comme un animal, il va se

bagarrer, il va donner un coup de poing et après ça va être les meilleurs copains du

monde. Alors que les femmes ça ne va pas être ça, elles seront fâchées à vie et elles ne

reviendront pas ensemble.

Dans l’idéal, que faudrait-il faire pour que le football féminin soit accepté dans les

clubs et également de manière plus générale ?

(Silence) J’ai envie de dire qu’il y a trois profils de personnes. Il y a ceux qui sont ouverts à

toute proposition et qui ont déjà autour d’eux une femme qu’ils écoutent, je parle de leur

couple. Cela permet, dans le cadre de discussions familiales par exemple, de leur ouvrir les

yeux, ce qui va faire qu’ils vont écouter et appliquer ce que leur a dit la femme. Le

problème des anciennes générations c’est que généralement ils partent, et quand ils

reviennent chez eux la table est mise, le ménage est fait, il n’y a pas de répartition des

tâches. Donc j’ai envie de dire, c’est presque peine perdue. Il faut attendre que le temps

passe et attendre les nouvelles générations. C’est ce qu’on voit dans certains cas. Alors

c’est très général ce que je dis. Après il y a quand même un gros virage à prendre c’est que

les complexes sportifs aujourd’hui sont tels, comme il y a plus de licenciés garçon, que les

licenciées fille, il y a des endroits où ils n’ont pas le moyen d’accueillir les filles. Ils ont

plus de garçons que de filles donc il n’y a pas moyen, les filles vont dans les toilettes, ou

vont dans les vestiaires des arbitres. Ca c’est une réalité, il y a des endroits, je vois bien, ils

disent : « comment veut-tu qu’on fasse, s’il y a une équipe féminine on va les mettre où,

on est déjà débordés ». Donc ça veut dire que soit il faut changer les plannings et il y a des

endroits je ne vois vraiment pas comment ils peuvent faire. Et puis après il y a l’étape au

dessus, aller voir les collectivités et dire : « il faut nous agrandir ». Et puis si ils

agrandissent voila il y a tout de suite des équipes féminines et les vestiaires et les plannings

arrivent à être organisés pour qu’il y ait les garçons et les filles en transversalité quoi.

Et le fait que le sport féminin soit important pour les collectivités n’est pas un

moyen pour obtenir des installations ?

Bah oui mais si tu n’a pas les licenciés, le maire il va dire : « il est gentil votre projet mais

d’abord vous trouvez des licenciés et ensuite si vous avez plus de licenciés et notamment

des filles, on va rajouter un bloc de vestiaires pour faire quelque chose ». Voila. Donc tu

vois c’est un peu le chat qui se mord la queue. Il y a des endroits, pour les citer, à Léon

Bollée par exemple où il y a des garçons et des filles qui s’entrainent, ils ont des terrains

où c’est bien organisé mais dans les vestiaires ce n’est pas le cas. Et pourtant il y a des

125

vestiaires, c’est juste un problème d’organisation. On les voit bientôt dans le cadre d’un

label et on va leur dire. Si c’est en interne que c’est évoqué ça ne va pas être pris en

compte. Mais si c’est quelqu’un de la ligue ou du district qui le dit ils auront une oreille

plus attentive. Donc on va y arriver. Et en plus au Mans ce sont des anciens qui gèrent. Il

y a des endroits où ça va être compliqué de changer. Alors qu’un jeune président, il a tout

compris, il n’y a pas plus d’espace, ils se sont juste organisés et c’est intégration totale. Il y

en a qui disent « oui », mais ils trouvent toujours des excuses et il y en a d’autre il n’y a pas

d’excuse et on avance quoi. Ce qui est important c’est que dans les projets de club et de

jeu, c’est que les gens travaillent ensemble. Il y a des exemples comme à Changé et au

Mans où les équipes féminines sont entrées dans le projet de club et le projet de jeu. C’est

important et c’est unique en France. Les plus grands clubs comme Lyon et Paris sont

dans le même projet de club mais pas dans le même projet de jeu. Qui dit jeu dit

éducation et enseignement. Et la au Mans on a réussi à intégrer l’entraineur des filles dans

la conception du projet de jeu du club entier. Donc les éducateurs ont souvent compris

les enjeux mais les présidents ce n’est pas toujours le cas. Il faut attendre que les jours

passent et après il y a des moments stratégiques où il faut recruter des personnes qui

pourront faire avancer les choses.

126

Entretien avec un membre d’un comité départemental de badminton

Pour commencer je voudrais savoir ce qui est fait en matière de mixité des sexes

au niveau du comité départemental de badminton.

Bah la mixité elle se fait, on va dire naturellement. Parce que l’activité, dans sa forme de

pratique, permet et offre la possibilité à des femmes de jouer entre elles, en simple dame,

en double dame mais aussi en double mixte. Et c’est le seul sport olympique où il y a un

podium ou les hommes et les femmes obtiennent la même place. C’est le seul sport

olympique mixte. Le tennis a abandonné cette mixité, on en entend carrément plus parler.

Il y avait aussi le tennis de table, mais je ne connais pas suffisamment l’activité pour savoir

s’il y a toujours du double mixte. Mais nous dans les compétitions on joue en mixte et

c’est vraiment une discipline a part entière avec ses spécificités. Mais c’est ça qui plait

aussi.

Et depuis quand on joue en mixte ?

C’est comme ça depuis la création de l’activité. La fédération française a été crée en 1986.

Mais ça date de cette ouverture, la fédération a toujours maintenu cette mixité.

La mixité est une bonne chose selon vous ?

Ah oui c’est bien.

Pour quelles raisons ?

Déjà faire jouer garçons et filles en même temps c’est rare. Parce qu’il y a toujours une

notion de garçon plus puissant que la fille. Mais chez nous on prend en considération ces

facteurs la, facteurs de puissance. Ca rentre dans la tactique du mixte. La fille va être plus

facilement en position proche du filet par rapport au gars qui va couvrir la zone arrière et

va avoir les volants haut pour pouvoir smasher. Mais dans la tactique l’intérêt est de

pousser la fille au fond pour inverser le rapport de force. En gros la discipline, la tactique

de jeu a pris en considération d’avoir deux personnes de sexe différents.

Selon vous, cette tactique s’est développée en pratiquant ou en tenant comptes de

caractéristiques dites « féminines » ou « masculines » ?

A mon avis c’est l’un avec l’autre. Oui, oui.

Vous avez dit tout à l’heure que le bad permettait la mixité. Pourquoi ce sport le

permet et pas forcément d’autres disciplines ?

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Je pense que ça l’est dans les autres sports. En tennis, j’en fais et a l’époque du mixte la

fille était plus avancée, plus proche du filet par rapport au gars qui couvrait plus l’arrière

du terrain. Il y a automatiquement plus de vitesse de déplacement chez le garçon parce

que musculairement, il est plus … voila. Donc la tactique et les intentons de jeu sont liées

à la forme des pratiquants.

Quand un pratiquant arrive dans un club de bad, on lui propose le mixte aussi

facilement que la pratique par sexe ?

Oui, oui. Souvent quand on joue, on joue une équipe mixte contre une équipe de double

homme. Bon, de préférence, on aime mieux jouer équipe mixte contre équipe mixte mais

on se met en mixte très facilement, naturellement. Sans aucun… ça fait partie à part

entière d l’activité.

Est-ce qu’il y a des limites à la mixité, des éléments qui font qu’elle pose

problème ?

La problématique souvent elle intervient quand la paire mixte est formée de conjoint-

conjointe. La il y a souvent des tensions parce qu’il y a le côté affectif qui prend le dessus,

donc voila, mais on ne va pas forcément l’extérioriser quand on est avec quelqu’un avec

qui on n’a pas de lien si proche. Mais bon, le jeu est tellement rapide que les fautes de la

joueuse ou du joueur, il faut les accepter.

Donc il y a mixité dans la pratique. Et est-ce que le fait qu’il y ait cette mixité dans

le jeu permet la mixité chez les dirigeants des clubs, comités ou à la fédération ?

Tout à fait. Dans les statuts, par exemple pour ceux du comité de la Sarthe de badminton,

je crois que les statuts imposent, imposent hein, minimum 4 ou 5 filles au sein du comité

directeur. Ca fait partie des statuts. Et très souvent dans les clubs, les femmes sont

représentées au sein du bureau. D’ailleurs, moi je suis du club des cèdres en badminton, et

dans le bureau sur président, secrétaire et trésorier, il y a deux femmes sur les trois.

Président c’est le gars et secrétaire et trésorier ce sont les femmes.

En tant que comité départemental, est-ce qu’il vous arrive de réintroduire la

mixité dans des endroits où elle pourrait être abandonnée ?

Oui mai ce n’est pas par rapport à la mixité mais par rapport au public féminin. Mais ça

c’est au niveau ministère.

Donc ça prend quelle forme ?

Bah pour tout ce qui demande des subventions dans le cadre du CNDS, il y a six points

qui favorisent des actions vers lesquelles il faut aller, et la pratique féminine est un des

points. Ca sert à subventionner les actions mises en place pour le public féminin.

128

Et est-ce que ces injonctions à développer le sport féminin sont bien accueillies

dans un sport qui a déjà fait pour le sport féminin ?

Ah oui, oui. C’est même naturel. Et pendant l’inauguration de la maison des sports, le

ministre des sports David Douillet est venu et a reprécisé au niveau national l’incitation de

la pratique féminine. Parce qu’ils se sont rendu compte qu’aux derniers JO, les médailles

étaient de plus en plus difficiles à obtenir par le public féminin. Donc nous on a de la

chance car on est un sport naturellement féminisé et on est à peu près à 35-40% de

femmes.

Et justement, est-ce qu’il y a un idéal du 50-50 ?

Non, non. Pas spécialement. Contrairement à d’autres disciplines où la pratique féminine

est de plus en plus difficile, comme les sports collectifs. Nous on maintient toujours des

inter-clubs, que ça soit chez les jeunes ou chez les adultes, on maintient la mixité donc

une équipe inter-club ça va être 3 garçons et 3 filles. Et on ne conçoit pas d’organiser des

tournois uniquement pour les hommes. A partir du moment où l’on organise un tournoi,

c’est d’office garçon-fille. On ne se pose même pas la question. C’est ouvert aux deux, ce

n’est vraiment pas sectorisé ou ciblé, restrictif quoi.

La mixité dans le badminton est plus le résultat d’une mise en place ou parce que

la pratique la permet ?

On va dire que c’est dès le début, les règles. C’est un sport d’opposition avec un filet qui

sépare, il ‘y a pas de contact, donc on va dire qu’il n’est pas concevable de privilégier un

sexe plus que l’autre.

Sur une échelle ou sur une règle où l’on trouverait les sports « féminins » d’un

côté, « masculins » de l’autre, où placeriez-vous le badminton ?

Mixte ! Au milieu donc, complètement. Comme je dis c’est le seul sport qui est représenté

donc si on est seule discipline olympique c’est qu’au niveau de la fédération internationale

ça n’a pas été rejeté quoi.

Justement au moment de décider de l’entrer d’une pratique mixte aux JO,

comment le CIO a perçu cette idée ?

Ils ont accepté le règlement propre à la fédération internationale de badminton. En

général c’est ça, quand le CIO accepte une discipline, ils ont le droit de regard mais ils

acceptent les règles de la fédération concernée.

Dans certaines disciplines, la mixité est plus facile dans les pratiques de loisir

qu’en compétition. C’est le cas pour le badminton ?

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Oui, en badminton il y a beaucoup de femmes qui préfèrent le loisir parce qu’il y a

convivialité et il y a surtout l’approche qui est assez facile. Comme l’approche est facile,

les femmes prenne du plaisir tout de suite, il n’y a pas besoin de prendre beaucoup de

cours pour se faire plaisir. Le plaisir est quasi immédiat. Après je ne dis pas qu’il ne faut

pas prendre des cours pour progresser mais le plaisir est immédiat. Ca plait beaucoup aux

femmes.

Donc il y aurait des différences dans les motivations entre les hommes et les

femmes ?

Ah oui, oui, oui. Les femmes ce serait plus dans le côté je dirai convivial, le plaisir.

L’homme ça serait plus axé sur… défier quoi, défier quelque chose, se mettre des

objectifs.

Et étant donné qu’il y ait deux idéals de pratique différents, le fait de mélanger ne

pose pas de soucis ?

Bah on va dire, c’est vrai que les hommes peut être tirent les filles vers la compétition un

peu car qui dit pas de filles dit pas d’équipe. Donc on fait en sorte de les intégrer et c’est

pour ça que pendant les entrainements il ne faut pas les laisser à part quoi. Et c’est pour

ça que l’on entretient ça par du jeu mixte au quotidien, pour casser … pour ne pas les

laisser ensemble quoi.

Dans les compétitions, il y a des épreuves simples et doubles par sexe ainsi que

double mixte à tous les âges ?

Oui à tous les âges.

Même en jeune ?

Même en jeune. On fait un début de compétition en départemental ouvert aux poussins

où là, quand on fait des doubles, on ne parle même plus de mixte, un double homme peut

jouer contre un double mixte, c'est-à-dire qu’on mélange complètement.

Et ça dure jusqu’à quel âge de cette façon ?

De poussin jusqu’à moins de 11 ans.

Et pourquoi cet âge ?

Bah parce qu’on va dire que c’est le début de l’approche, c’est le début de la pratique pour

l’initiation à la compétition. Après pour une compétition beaucoup plus homologuée on

sépare les garçons et les filles. Enfin on les sépare, on fait toujours du mixte mais on ne

peut plus voir un double homme contre un double mixte. C’est pour éviter de faire des

clivages et voila.

130

Ensuite pour ce qui est de la formation, est-ce qu’il y a un volet sur la gestion de

groupes mixtes ?

Non. Non, Non. C’est axé sur les attentes de pratiquants. Donc c’est connaitre les

caractéristiques du public, et dans public il y a hommes et femmes. Donc voila, les

attentes peuvent être différentes ou mêmes communes.

Donc on transmet le fait que les hommes et les femmes peuvent avoir des attentes

différentes ?

Non. C’est avoir des outils pour proposer quelque chose aux femmes puisqu’elles ont

malgré tout besoin d’avoir un retour positif donc il peut y avoir la notion de progresser

tout en s’amusant. Donc après dans les formations j’essaie de passer des outils qui

permettent d’animer des séances et rendre les choses les plus variées possibles Parce que

bon, deux femmes qui jouent l’une contre l’autre tout le temps, j’en rencontre, au bout

d’un certain moment elles se lassent, elle en ont marre de jouer tout le temps contre la

même partenaire, elles ont besoin de renouveau.

Et la mixité est quelque chose de demandé ? Lorsqu’elles ont le choix, les femmes

préfèrent la mixité ?

Les femmes sont demandeuses de la mixité. Sincèrement quand elles ont des

entrainements libre, elles demandent à faire du mixte. Elles demandent réellement plutôt à

rester toujours qu’entre femmes à l’entrainement. Souvent elles demandent, elles plus que

nous.

On attribue souvent au sport des vertus éducatives. Est-ce que vous pensez que la

mixité participe de cette éducation et apporte quelque chose de plus dans les

disciplines, comme le badminton, où elle est présente ?

Oui tout à fait. Nous on le ressent surtout auprès des jeunes. Quand on fait jouer des

jeunes en mixte, on sent qu’il y a quand même pas mal de réticence, de timidité et

justement on … justement on encourage à communiquer ensemble car c’est toujours un

âge où c’est toujours les filles d’un côté et les garçons de l’autre. Et justement ça leur fait

du bien. On sent des réticences aujourd’hui pour que la fille ait son rôle sur le terrain et

que le gars ait aussi son rôle.

Donc les réticences sont autant du côté masculin que féminin ?

Oh les deux, les deux. On sent qu’ils ont du mal à changer mais ça vient a force. Comme

ça fait partie intégrante des règles du jeu, ils doivent s’y mettre.

Et est-ce que, étant donné la mixité, le fait que les filles battent les garçons pose

problème ?

131

On va dire, ça c’est sur, que la fierté est un peu atteinte mais comme dans toute euh …

mais justement, c’est la partie éducative, c’est accepter que l’autre soit plus forte, et

souvent on va dire, comme chez les jeunes les filles sont souvent plus en avance, sont

souvent plus grandes au même âge. Donc en badminton elles sont toute à leur avantage.

Moi je vois chez les jeunes, la différence quand je fais jouer un garçon contre une fille en

simple elle n’est pas si évidente que ça. Et souvent la fille arrive à très bien se débrouiller

parce qu’elle va plus jouer avec sa tête et le gars va plus jouer avec son physique mais

comme il n’a pas non plus une puissance euh … en tout cas la différence est moindre

chez les jeunes, la différence physique, en terme de puissance et de déplacement, que chez

les adultes, même si elle existe. Après au niveau du public féminin, ce que je remarque en

badminton c’est, des fois, la partie mentale. Le mental des filles est beaucoup plus friable.

Je l’ai encore vu le weekend dernier, elles sont capables de mener et puis d’un coup, il n’y

a plus rien. Elles doutent, enfin voila. Alors que les gars vont être capables de réagir.

Et comment vous expliquez cette différence ?

Bah c’est leur côté introverti on va dire, plus de retenue. Plus de retenue, ça c’est sur on le

retrouve.

Etant donné qu’il y ait deux formes de pratique différentes, est-ce que l’on

entraine les filles et les garçons de la même façon ?

Oui, oui. On leur apprend la gestuelle, la technique, les intentions de jeu, la tactique. Et

donc c’est la même chose. Sauf que l’on va revenir plus vers des choses. Les filles je leur

dit d’arrêter d’envoyer des volants très haut, et de chercher le fond du terrain parce que ça

demande d’avoir plus de puissance et elles en ont moins. Il faut plus varier les coups.

Au niveau des chiffres, la part de licenciés homme ou femme a toujours été la

même ou il y a eu des évolutions ?

Ca a toujours été a peu près entre 30 et 40%.

En ce qui concerne les pôles de formation pour le haut niveau, est-ce qu’on y

retrouve la mixité ?

Oui, oui, dans les entrainements dans les pôles espoir … dans les pôles espoir les

entrainements sont communs mais après je ne dis pas que les séances de musculation,

elles seront adaptées, bien sur. Alors qu’à l’INSEP, je sais que les séances sont différentes.

C'est-à-dire que les filles s’entrainent ensemble, enfin, elles n’ont pas le même programme.

La mixité peut exister soit au travers d’un équilibre numérique, soit par une

coprésence des sexes dans un même espace. Selon vous, quelle « type » de mixité

s’apparente le plus à celle qui est à l’œuvre dans le badminton ?

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La deuxième. Oui car comme c’est naturel, de cela en découle les chiffres.

Selon vous, la mixité sportive, compétitive ou non, se trouve-t-elle dans une

période de développement ?

Non, moi j’ai plutôt l’impression que c’est l’inverse. OU alors il va falloir adapter des

règles mais…

Vous parliez du tennis tout à l’heure, il y aurait eu un élan pour la pratique mixte

mais cela se perd ?

Oui c’était au début. Il y a trente ans, les rencontres interclubs se faisaient en mixte.

Maintenant c’est fini les interclubs mixtes, en tennis je parle. C’est d’un côté les équipes

homme et de l’autre les équipes femmes. Et les résultats sont vraiment séparés. Donc

c’est de la part de ce genre de fédérations, après c’est à eux à essayer de composer avec ça.

Vous avez une idée du changement d’orientation ?

Non je ne sais pas. Est-ce que c’est par rapport à une disparité. Pour développer une

pratique de qualité et pour éviter que les écarts soient trop importants entre les hommes

et les femmes. Parce que ça pouvait peut-être aussi, les nouvelles pratiquantes, ça pouvait

peut être les freiner Le fait d’être amener à jouer contre des gars qui jouaient plus fort etc.

Plus largement, est-ce que vous pensez que le sport peut participer de l’égalité des

sexes en mettant en œuvre la mixité ?

Ah bah oui tout à fait. Après c’est à chaque fédération de trouver des moyens pour

imposer, pour valoriser cette pratique. L’Etat, le fait, par les subventions, en insufflant, en

donnant des consignes etc. mais après c’est au niveau des instances fédérales, de chaque

fédération.

Pour quelles raisons y a-t-il encore des réticences dans la plupart des fédérations ?

Pour moi c’est plus une question de société. C’est de plus en plus difficile d’attirer les filles

à faire du sport en compétition. Je pense que dans les autres sports c’est ce qui en ressort.

Même nous on le perçoit. Jouer en loisir comme ça c’est bien mais jouer en compétition,

les filles c’est de plus en plus difficile. Donc je comprends que dans des sports collectifs,

volley, basket, je comprends pourquoi il y a des regroupements de clubs, de villages pour

arriver à maintenir une équipe.

Et pour le cas du badminton, le rejet de la compétition chez les femmes s’observe

à tous les âges ou il y a des tranches d’âge ou c’est plus présent ?

Oui tous les âges je pense, c’est général.

133

On observe souvent un moment charnière vers 15-16 ans, ou les motivations

changent et où le sport devient moins important chez les jeunes filles. Vous le

sentez ?

Oui c’est pour cela que je parlais de société. D’ailleurs maintenant les possibilités

d’activité, autres que le sport pour les filles, c’est sortir, être derrière un ordinateur etc.

donc c’est plus facile de se mettre derrière un ordinateur, de se cacher, plutôt que de se

mettre en short, en baskets et d’aller sur un terrain et d’avoir réellement un retour. Faire

du sport c’est se mettre en danger.

L’aspect corporel est donc assez important ?

L’aspect corporel mais aussi le fait de se mettre en danger, mettre en danger sa propre

perception de soi, son égo, mettre son égo de côté, etc.

Et on se donne plus à voir en situation de compétition qu’en loisir ?

Oui, automatiquement. Parce que compétition c’est résultat, et les résultats sont marqués,

référencés, il faut en rendre compte, il y a un classement qui est fait donc voila. Le

classement va donner un peu la hiérarchie et la valeur de la personne quoi.

Et est-ce qu’il y a d’autres obstacles qui empêchent les filles d’aller vers la

compétition, que ce soit d’après les éducateurs ou d’après les filles puisque

l’interprétation n’est pas forcément la même ?

C’est se faire mal. Pour moi c’est ça. Et c’est les filles mais c’est aussi les garçons. Mais

voila, il y de plus en plus de difficulté à se faire mal.

Et la pratique est développée dans un but compétitif ?

Non. Moi je sais que l’entrainement j’adapte. Les filles que je sens présentes en termes de

compétitivité, je vais les orienter dans un créneau où c’est des compétiteurs. Et les filles

où c’est vraiment le copinage, où elles arrivent à deux ou trois pour s’entrainer, le contenu

va être adapté pour que ça reste ludique mais malgré tout elles apprennent des choses

parce qu’elles en ont besoin. Mais elles ont besoin d’un retour positif, d’une source de

motivation. On a le public, et après c’est à nous de nous adapter selon les caractéristiques

de ce public.

Sur votre teritoire, comment évoluent les effectifs ?

On prend entre 12 et 13% chaque année. Quand je suis arrivé en 2002, mes premiers

mois à ce poste là on était à 740 licenciés, et là on est à 1820. En dix ans.

Et selon vous, comment expliquer cette augmentation alors que beaucoup de

sports sont en déclin sur le nombre de licenciés ?

134

On en revient à ce que j’ai dis tout à l’heure, c'est-à-dire que le bad offre une approche

facile, un plaisir immédiat, c’est ça que recherchent de plus en plus de personnes, et puis

progrès assez rapidement. Et puis ce qu’il y a c’est que ça a été pratiqué au niveau scolaire,

c’est le premier sport au niveau scolaire. Déjà le tremplin se fait bien, tous les clubs sont

déjà quasiment tous saturés. Après il y a plein de clubs non affiliés, malheureusement il y

en a quasiment autant. Bon la c’est une pratique un peu plus différente bien sur.

Donc c’est la dimension loisir qui tire les chiffres vers le haut ?

Bien sur. Les compétiteurs on les prend dans le bassin du loisir c’est comme dans tous les

sports. Plus il y a de nombre plus on aura de chance de sortir quelqu’un.

Et la politique d’un comité est plus sur la compétition ou sur le développement de

la discipline pour le plus grand nombre, le loisir ?

C’est le développement de la pratique au plus grand nombre, un peu partout dans la

répartition géographique. Et après, proposer une pratique adaptée à toutes les catégories

d’âge. Donc ça part des plus jeunes, ça passe par différentes formes de pratique qui ont

été mises en par la fédération. Et puis après avec les adultes. Mais désormais un jeune de 6

ans peut faire deux types de « compétition », s’initier à des petites rencontres, des petits

ateliers.

Et la répartition loisir-compétition-mixité est la même dans tous les pays où l’on

pratique le badminton ?

Il y a des pays au niveau de l’Europe qui sortent du lot. C’est le Danemark, c’est le

meilleur pays européen, après il y a l’Angleterre, l’Allemagne et la France.

On dit toujours que des pays comme le Danemark ou l’Allemagne sont plus « en

avance » sur la France en termes d’égalité homme-femme. Est-ce que vous pensez

que le succès du badminton dans ces pays peut s’expliquer par l’état des relations

homme-femme dans ces pays ?

Oui ils ont su prendre en considération les pratiquants homme comme les pratiquants

féminins et d’ailleurs il y a une paire mixte danoise qui a été championne olympique 2008

à Pékin, devant les pays asiatiques qui dominent toutes les disciplines en badminton.

Si vous avez des choses à ajouter et que je n’ai pas évoqué n’hésitez pas…

Nous on est bien placés par rapport à la pratique féminine. Elle est complètement

intégrée à la pratique. Elle est naturelle, c’est vraiment la chose qui en ressort quoi.

Et c’est une sorte de fierté ?

135

Pas forcément, parce que c’est naturel, mais on en ressort une fierté car autour de nous les

autres disciplines peinent dans la pratique féminine. Donc nous quelque part, on set pas

en avance, mais on tient la route. Bon après il y a tous ce qui est chiffres, et je regardais

sur le site de la DDCS, il y a tous les chiffres des licenciés avec la part de féminin. Et c’est

intéressant à voir.