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Apparues dans les années 1980, les techniques percutanées de dilatation et de désobstruction ont progressivement et profondément modifié toute l’approche médicale multidisciplinaire de l’abord vasculaire du dialysé. Le premier succès relatif de la « radiologie interventionnelle » a été celui de pouvoir traiter les sté- noses, notamment veineuses centrales, de manière très peu invasive par rapport aux techniques chirurgicales lourdes et peu utilisées dans cette localisation [1-3]. Les résultats souvent imparfaits et peu durables ont toutefois rapidement été plé- biscités dans la mesure où les réinterventions percutanées étaient perçues comme un moindre mal. L’arrivée du Wallstent à partir de 1987 a ensuite permis d’amé- liorer un peu les résultats, au moins de manière transitoire, même si on a eu à déplorer depuis un certain excès et un certain nombre d’erreurs aux conséquences stratégiques parfois graves dans la mise en place de ces stents [4, 5]. Toutes les sténoses survenant sur les abords d’hémodialyse ont ensuite été jugées comme accessibles à la dilatation, en oubliant souvent que certaines lésions (sté- noses juxta-anastomotiques des fistules artério-veineuses à l’avant-bras) étaient traitées plus durablement par la chirurgie conventionnelle. En dépit de la récidive fréquente des sténoses et donc du taux de perméabilité primaire assez bas après traitement, le caractère peu invasif et donc facilement renouvelable de la dilata- tion percutanée a progressivement amené néphrologues et patients à privilégier systématiquement l’approche endovasculaire partout où elle était disponible. C’est ainsi qu’on a vu et qu’on voit encore des fistules anormalement maintenues fonc- tionnelles à force de dilatations répétées ou rapprochées sans s’inquiéter de savoir si la création d’un abord vasculaire alternatif simple était possible. Initialement apanage exclusif des radiologues vasculaires, le traitement endovas- culaire a été progressivement réalisé également par la jeune génération de chirur- giens ou par des néphrologues lorsque le service radio-chirurgical local était défaillant. Le problème de la formation et donc de la compétence de ces nouveaux acteurs dans le domaine endovasculaire a posé et pose toujours problème même si la situation s’améliore progressivement. On a vu et voit toujours des dilatations non justifiées ou très mal faites… L’expérience acquise avec le temps et le profil des malades incidents se dégradant (grand âge, diabète, obésité), les intervenants de la première heure se sont progres- sivement enhardis et attaqués à des fistules initialement jugées comme irrécupé- rables. C’est ainsi qu’on a commencé, à la fin des années 1990, à traiter les retards de maturation puis à dilater si nécessaire l’artère radiale dans son ensemble [6, 7]. Le premier succès historique de la radiologie interventionnelle à la fin des années 1980 a été celui de permettre de désobstruer relativement facilement les abords Grandeur et faiblesse du traitement endovasculaire des complications des abords d’hémodialyse L. Turmel 1 L. Turmel, Radiologie diagnostique et interventionnelle des accès artério-veineux pour hémodialyse © Springer-Verlag France 2012

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Apparues dans les années 1980, les techniques percutanées de dilatation et de désobstruction ont progressivement et profondément modifié toute l’approche médicale multidisciplinaire de l’abord vasculaire du dialysé. Le premier succès relatif de la « radiologie interventionnelle » a été celui de pouvoir traiter les sté-noses, notamment veineuses centrales, de manière très peu invasive par rapport aux techniques chirurgicales lourdes et peu utilisées dans cette localisation [1-3]. Les résultats souvent imparfaits et peu durables ont toutefois rapidement été plé-biscités dans la mesure où les réinterventions percutanées étaient perçues comme un moindre mal. L’arrivée du Wallstent à partir de 1987 a ensuite permis d’amé-liorer un peu les résultats, au moins de manière transitoire, même si on a eu à déplorer depuis un certain excès et un certain nombre d’erreurs aux conséquences stratégiques parfois graves dans la mise en place de ces stents [4, 5]. Toutes les sténoses survenant sur les abords d’hémodialyse ont ensuite été jugées comme accessibles à la dilatation, en oubliant souvent que certaines lésions (sté-noses juxta-anastomotiques des fistules artério-veineuses à l’avant-bras) étaient traitées plus durablement par la chirurgie conventionnelle. En dépit de la récidive fréquente des sténoses et donc du taux de perméabilité primaire assez bas après traitement, le caractère peu invasif et donc facilement renouvelable de la dilata-tion percutanée a progressivement amené néphrologues et patients à privilégier systématiquement l’approche endovasculaire partout où elle était disponible. C’est ainsi qu’on a vu et qu’on voit encore des fistules anormalement maintenues fonc-tionnelles à force de dilatations répétées ou rapprochées sans s’inquiéter de savoir si la création d’un abord vasculaire alternatif simple était possible. Initialement apanage exclusif des radiologues vasculaires, le traitement endovas-culaire a été progressivement réalisé également par la jeune génération de chirur-giens ou par des néphrologues lorsque le service radio-chirurgical local était défaillant. Le problème de la formation et donc de la compétence de ces nouveaux acteurs dans le domaine endovasculaire a posé et pose toujours problème même si la situation s’améliore progressivement. On a vu et voit toujours des dilatations non justifiées ou très mal faites…L’expérience acquise avec le temps et le profil des malades incidents se dégradant (grand âge, diabète, obésité), les intervenants de la première heure se sont progres-sivement enhardis et attaqués à des fistules initialement jugées comme irrécupé-rables. C’est ainsi qu’on a commencé, à la fin des années 1990, à traiter les retards de maturation puis à dilater si nécessaire l’artère radiale dans son ensemble [6, 7].Le premier succès historique de la radiologie interventionnelle à la fin des années 1980 a été celui de permettre de désobstruer relativement facilement les abords

Grandeur et faiblesse du traitement endovasculaire des complications des abords d’hémodialyseL. Turmel

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L. Turmel, Radiologie diagnostique et interventionnelle des accès artério-veineux pour hémodialyse© Springer-Verlag France 2012

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1totalement thrombosés alors que les premières publications sur le sujet en 1985 avaient été défavorables [8, 9]. C’était également l’époque où beaucoup de montages prothétiques en PTFE (goretex) avaient été indûment placés avec pour corollaire aujourd’hui bien connu un taux phénoménal de thromboses. La dis-ponibilité des équipes de radiologie vasculaire a permis de traiter rapidement ces thromboses aiguës et d’éviter le recours aux cathéters temporaires. Du goretex, on est passé aux fistules natives et c’est au début des années 2000 que les premières publications ont prouvé que la majorité des fistules natives thrombosées pouvaient être récupérées par radiologie interventionnelle [10], alors qu’il n’était pas rare à l’époque de lire et de penser qu’une fistule thrombosée était une fistule perdue, vérité hélas encore d’actualité dans beaucoup d’endroits, même en France…En matière d’abords pour hémodialyse, la faiblesse de l’approche endovasculaire est, comme pour la chirurgie, celle d’une grande complexité et de la nécessaire implication majeure des opérateurs dans ce domaine. Ce n’est pas une activité à temps partiel. L’accès à des installations radiologiques de qualité et le coût du matériel consommable (guides, cathéters, ballons, stents) sont un frein spécifique supplémentaire à la mise en œuvre de ces techniques dans bien des villes de bien des pays.Enfin, même si cela est toujours peu vrai en France, les radiologues vasculaires ont rapidement commencé à jouer un rôle dans la mise en place et le remplace-ment des cathéters veineux centraux [11]. Qui peut gérer culturellement mieux qu’eux les sténoses centrales et les difficultés de cathétérisme rencontrées à cette occasion ?En résumé, la grandeur de l’approche endovasculaire, c’est son caractère peu inva-sif et facilement répétable, c’est de sauver des abords vasculaires non récupérables par chirurgie conventionnelle ou de les sauver de manière infiniment moins inva-sive que ne le pourrait la chirurgie. Sa faiblesse, c’est son coût, la fréquence des resténoses contrastant avec la perfection du résultat immédiat (la « toute-puissance du radiologue ») après dilatation et les mauvaises pratiques résultant de la formation insuffisante de bien des intervenants. Les abus résultent toujours d’une mauvaise coordination multidisciplinaire : dila-ter des sténoses non évolutives, peu serrées ou qui n’existent pas, accumuler les poses de stents en menaçant l’avenir, s’acharner à redilater quand on pourrait envisager la création d’un nouvel abord vasculaire sur le membre opposé, quand ce n’est pas sur le même bras.On parlera du radiologue interventionnel dans cet ouvrage tout en étant conscient que d’autres spécialistes (chirurgiens, néphrologues, cardiologues…) investissent maintenant ce domaine initié par les radiologues.

RÉFÉRENCES

1. Gaux JC, Bourquelot P, Raynaud A et al. (1983) Percutaneous transluminal angio-plasty of stenotic lesions in dialysis vascular accesses. Eur J Radiol 3 : 189-93

2. Gordon D, Glanz S, Butt K et al. (1982) Treatment of stenotic lesions in dialysis access fistulas and shunts by transluminal angioplasty. Radiology 143 : 53-8

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Grandeur et faiblesse du traitement endovasculaire des complications des abords d’hémodialyse 3

3. Hunter D, Castaneda-Zuniga W, Coleman C et al. (1984) Failing arteriovenous dia-lysis fistulas : evaluation and treatment. Radiology 152 : 631-5

4. Turmel-Rodrigues L, Pengloan J, Blanchier D et al. (1993) Insufficient dialysis shunts : improved long-term patency rates with close hemodynamic monitoring, repeated per-cutaneous balloon angioplasty, and stent placement. Radiology 187 : 273-8

5. Turmel-Rodrigues L, Bourquelot P, Raynaud A, Sapoval M (2000) Primary stent pla-cement in hemodialysis-related central venous stenoses  : the dangers of a potential. « Radiologic dictatorship ». Radiology 217 : 600-2

6. Turmel-Rodrigues L, Mouton A, Birmelé B et al. (2001) Salvage of immature forearm fistulas for haemodialysis by interventional radiology. Nephrol Dial Transplant 16  : 2365-71

7. Turmel-Rodrigues L, Boutin J, Camiade C et al. (2009) Percutaneous dilation of the radial artery in nonmaturing autogenous radial-cephalic fistulas for haemodialysis. Nephrol Dial Transplant 24 : 3782-8

8. Zeit R, Cope C (1985) Failed hemodialysis shunts  : one year of experience with aggressive treatment. Radiology 154 : 353-6

9. Bookstein J, Fellmeth B, Roberts A et al. (1989) Pulsed-spray pharmacomechanical thrombolysis : preliminary results Am J Roentgenol 152 : 1097-100

10. Turmel-Rodrigues L, Pengloan J, Rodrigue H et al. (2000) Treatment of failed native arterio-venous fistulae for hemodialysis by interventional radiology. Kidney Int 57  : 1124-40

11. Trerotola S (2000) Hemodialysis catheter placement and management. Radiology 215 : 651-8