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IUFM DE BOURGOGNE Professeur certifié Comment aborder l’histoire littéraire en classe de seconde ? GADREAU Stéphanie Lettres Modernes Mme Marina JOVIGNOT Année 2003 n° 02STA03370

Comment aborder l’histoire littéraire en classe de ...€¦ · séquence autour du roman de Balzac, Le Père Goriot . 3 I. L’histoire littéraire, le professeur et l ... relève

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IUFM DE BOURGOGNE

Professeur certifié

Comment aborder l’histoire littéraireen classe de seconde ?

GADREAU Stéphanie

Lettres Modernes Mme Marina JOVIGNOT

Année 2003 n° 02STA03370

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SOMMAIRE

Introduction…………………………………………………………. p.2

I. L’histoire littéraire, le professeur et l’élève……………………. p.3

1. A la rencontre de l’histoire littéraire : constats relatifs à la classe... p.3

2. L’histoire littéraire au collège : les acquis antérieurs……………... p.6

3. L’histoire littéraire au lycée : les premières remédiations………… p.9

II. L’histoire littéraire et l’apprentissage : du cours magistral à la lecture analytique…………………………………………… p.13

1. L’interdisciplinarité……………………………………………….. p.13

2. Le groupement de textes………………………………………….. p.16

3. L’ œuvre intégrale………………………………………………… p.19

III. Faire vivre l’histoire littéraire durant deux séquences réalisées en classe………………………………………………… p.23

1. La poésie romantique à travers Lamartine, Musset, Vigny, Hugo... p.23

2. Le Père Goriot, Balzac……………………………………………. p.26

Conclusion………………………………………………………………………. p.30

Bibliographie…………………………………………………………. p.31

Annexes………………………………………………………………...1 à 12

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Introduction

Qu’est-ce que l’histoire littéraire pour un lycéen de seconde ? Que signifie cette notionpour un jeune professeur qui vient de quitter l’université et qui n’a pas encore réfléchi à latransposition didactique qui peut en être faite au lycée ? Autant d’interrogations autour d’unmême sujet : comment aborder l’histoire littéraire en classe de seconde ? Cette notion est-elled’ailleurs une priorité en première année de lycée ? Constitue-t-elle un objectif principal ausein des séquences d’apprentissage ?

A ces questions préliminaires, il convient tout d’abord de répondre que l’histoirelittéraire est avant tout un savoir, et peut-être un savoir-faire, qui ne pourrait se définir defaçon hâtive et catégorique. En effet, l’histoire littéraire est une notion vaste qui recouvretoutes sortes de données. Ne faut-il ainsi s’attacher qu’à l’auteur, à l’évolution des genres etdes formes, à l’histoire des idées, des siècles ou même à l’Histoire tout court ? Ne faut-ilenvisager qu’une école, un mouvement, une sensibilité ou tout simplement un contexte ?L’histoire littéraire s’avère être tout cela à la fois, et notre exposé déclinera tour à tour cesdonnées puisque toutes participent à cet enseignement.

L’histoire littéraire ne peut par conséquent se définir que de façon plurielle. Enseignerl’histoire littéraire revient donc à enseigner selon différentes méthodes. Le professeur defrançais ne peut alors se contenter d’une approche unique sous peine de rendre sonenseignement trop figé. Car l’histoire littéraire ne s’envisage que dans une perspectiveévolutive. L’essentiel se réduisant en fait à une seule question : comment organiserconcrètement des séquences d’enseignement dans lesquelles intervient l’histoire littéraire ?

Cette question constituera la problématique de notre mémoire : quelles activités etquelles bases peut-on ou doit-on proposer aux élèves afin de les amener à la connaissance del’histoire littéraire ? Cette problématique se limitera essentiellement à l’exemple de deuxséquences sur le XIXème siècle, à travers le mouvement romantique et une œuvre réaliste.Toutefois, elle sera illustrée de quelques études menées en classe à partir d’autres siècles etd’autres notions littéraires.

Nos trois axes d’étude prendront ainsi en compte aussi bien l’apport du professeur quele travail personnel des élèves, l’apport théorique comme la pratique réflexive, la recherche dedémarches comme l’application d’expériences. Nous envisagerons donc dans un premiertemps les positions contrastées de l’enseignant et de l’élève face à l’histoire littéraire : aprèsquelques constats relatifs à la classe sur laquelle va s’appuyer notre réflexion, nous verrons eneffet les acquis antérieurs sur l’approche de l’histoire littéraire au collège puis les premièresremédiations que nous avons pu mettre en place à l’entrée du lycée. Nous considèreronsensuite l’apprentissage même de l’histoire littéraire entre cours magistral et lectureanalytique : nous envisagerons alors l’interdisciplinarité, le groupement de textes et l’œuvreintégrale comme vecteurs possibles d’une transposition didactique de la notion. Nousexposerons enfin les deux séquences réalisées en classe durant lesquelles nous avons tenté dedéfinir et faire vivre l’histoire littéraire : une séquence autour de la poésie romantique et uneséquence autour du roman de Balzac, Le Père Goriot.

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I. L’histoire littéraire, le professeur et l’élève

1. A la rencontre de l’histoire littéraire : constats relatifs à la classe

La classe de seconde est pour un élève la classe où se joue l’accès décisif à la littératureet aux textes littéraires. Or, jusque-là, l’adolescent n’a pas eu la possibilité d’envisager untexte selon sa portée culturelle, historique ou encore sociale. Aborder l’histoire littéraire enpremière année de lycée ressemble alors à un défi pour le jeune professeur stagiaire qui seretrouve d’emblée face à des lycéens. D’autant plus que ce sujet, qui fait l’objet de notreréflexion, ne constitue pas pour l’élève une attente, ni même une préoccupation. Seull’enseignant de lettres a été habitué à manier les textes de façon à les mettre en relation avecla société et à percevoir leur spécificité, leur originalité et leur place dans l’évolution littéraire.

Fort de ses "humanités", acquises au cours de son cursus universitaire, le professeurstagiaire se retrouve ainsi face à un public pour lequel l’histoire littéraire est une inconnue.Les élèves ne se sont jamais vraiment interrogé sur cette notion et sur l’intérêt qu’elle pouvaitavoir dans le cours de français. Entrer dans l’histoire littéraire n’est pas seulement entrer dansle savoir savant et culturel du professeur. Il s’agit de réfléchir avant tout à la transpositiondidactique qui permettrait aux élèves de développer une certaine compétence de lecture face àdes œuvres datées historiquement et socialement.

Si pour le professeur stagiaire, et, incontestablement, pour l’ensemble des professeurs delettres, l’histoire littéraire possède une valeur fondamentale dans l’histoire de notrecivilisation, il semble que pour un adolescent d’une quinzaine d’années cette consciencerelève d’un passé totalement éloigné de ses préoccupations actuelles. Il ne comprend pas bienen quoi cette étude pourrait lui servir dans la vie de tous les jours. Comment pourrait-il alorsenvisager l’enseignement du français comme l’approche de la connaissance d’unecommunauté dans laquelle l’individu doit trouver sa place ?

Le lycéen semble bien moins préoccupé par ce qu’il est historiquement et culturellementdans l’univers qui l’entoure que par ce qu’il va devenir professionnellement d’ici quelquesannées. Et c’est peut-être là que réside le paradoxe de l’enseignement du français au lycée. Eneffet, comment expliquer à un élève, venu chercher une perspective d’avenir professionnel, del’importance de la littérature dans notre civilisation alors que l’étude de textes littéraires luiparaît totalement artificielle ou tout du moins coupée de la réalité concrète qui l’amènerait àl’exercice d’un métier ? La tâche du professeur stagiaire lui apparaît par conséquent commeune véritable gageure.

Car si dès leur origine les civilisations se préoccupent de la transmission de leurpatrimoine culturel, les lycéens ne se sentent pas encore investis d’une telle "mission" etn’envisagent pas encore l’enseignement du français comme une sorte d’héritage culturel. Laclasse de seconde doit alors d’abord construire cette notion d’histoire littéraire avant del’envisager comme la construction d’une identité commune puis personnelle. Les instructionsofficielles1 l’indiquent clairement : « l’enseignement du français participe aux finalitésgénérales de l’éducation au lycée : l’acquisition de savoirs, la constitution d’une culture, laformation personnelle et la formation du citoyen. » Et d’ajouter : « l’histoire littéraire doitpermettre aux élèves de découvrir et de s’approprier l’héritage culturel dans lequel ils vivent.Elle les aide à comprendre le présent à la lumière de l’histoire des mentalités, des idéologieset des goûts saisie dans la lecture des textes. »

1 B.O. n°28 du 12/07/2001

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Ainsi le professeur de lycée doit amener sa classe à « poser cette règle que, pourcomprendre une œuvre d’art, un artiste, un groupe d’artiste, il faut se représenter avecexactitude l’état général de l’esprit et des mœurs du temps auquel ils appartenaient » car « làse trouve l’explication dernière ; là réside la cause primitive qui détermine le reste. »2 Eneffet, l’histoire littéraire se définit traditionnellement comme une histoire des auteurs et deleurs ouvrages. Elle classe chaque œuvre en fonction de son influence sur les formes et lesgenres littéraires, de son audience à son époque, de sa valeur aux yeux de la postérité.Adoptant une démarche fondée sur la description, l’analyse et la comparaison, elle étudie lalittérature sous plusieurs angles complémentaires. Toutefois, l’élève doit avoir recours auprofesseur pour mettre en place ce champ d’action. Si le cours magistral, au sens où il estprodigué dans les universités, est à proscrire dans une classe de seconde si l’on veut intéresserson public, il semble cependant que le professeur soit absolument nécessaire pour donnerquelques pistes aux élèves qui se retrouveraient face à l’étude d’un texte. Certes,l’enseignement de l’histoire littéraire ne doit pas être à sens unique, c’est-à-dire dans unvecteur exclusif allant du professeur à l’élève. Néanmoins, et surtout au début de la classe delycée, il paraît évident que la relation d’échange entre l’enseignant et l’élève est inégale.Comment étudier en classe un mouvement littéraire et culturel tel que le Romantisme si lesélèves ne peuvent déjà pas le situer au sein même d’une période historique et sociale ? Cetterelation d’échange entre l’enseignant, et plus particulièrement le jeune professeur stagiaire, etl’élève constituera ainsi un des principes fondamentaux de notre réflexion. Quelles basesdevons-nous donner aux élèves pour qu’ils puissent eux-mêmes construire cette vaste notiond’histoire littéraire ?

La classe de seconde sur laquelle va s’appuyer notre réflexion est une classe plutôthomogène, même si quelques élèves se détachent du niveau moyen de leurs camarades. C’estune classe qui mélange diverses options : une moitié des élèves suit l’option scienceséconomiques et sociales alors que l’autre moitié se répartit entre les sciences de l’ingénieur(ISING) et la physique appliquée (MPHIN). Les élèves de cette classe ne se destinent pas àdes études littéraires, excepté un élève, excellent dans toutes les matières, qui pense se dirigeren section littéraire pour exercer plus tard le métier de bibliothécaire. Ils pensent pour laplupart suivre en classe de première l’option qu’ils ont choisie cette année : ils souhaitentdonc se répartir entre la section économique et la section scientifique. Les résultats de cetteclasse sont plutôt moyens : ils se situent tous, toutes matières réunies, dans une fourchetteallant globalement de 09 à 11. La classe n’a pas véritablement de profil littéraire ouscientifique. Les élèves se placent dans une perspective tout simplement scolaire : ils font letravail demandé sans protester mais sans vraiment se poser de questions. Ils acceptent lesconsignes sans pour autant montrer une curiosité intellectuelle et culturelle. La difficulté danscette classe provient alors du fait qu’il faut parvenir à donner aux élèves des connaissancestout en essayant de leur insuffler le désir de savoir et d’apprendre. Ils attendent en fait queleurs professeurs leur dispensent toute une série de réflexions et de connaissances sans avoireux-mêmes à réfléchir. Comment pourraient-ils alors s’interroger sur la notion d’histoirelittéraire puisque la littérature n’est pour eux ni une priorité ni matière à réflexion ? Nousverrons au cours de notre exposé que les réflexions que j’ai pu mener avec eux étaient surtoutfondées sur des œuvres qui les intéressaient particulièrement mais pour d’autres raisons : parexemple l’étude de L’Ecole des femmes allait leur donner l’occasion de "faire" du théâtre !

Ainsi, réunis dans un lycée polyvalent de type urbain, les élèves de cette classe viennentessentiellement des collèges ruraux alentours. Venant d’établissements différents, il semblecependant qu’aucun d’entre eux ne pourrait définir ce qu’est l’histoire littéraire. Nonseulement le terme et la notion d’histoire littéraire ne leur disent rien mais qui plus est la seuleexpression de "mouvement littéraire" leur paraît inconnue. 2 Hippolyte Taine, Essais de critique et d’histoire, 1858

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Lors de ma première heure de cours avec cette classe, j’ai donné aux élèves leprogramme de l’année en leur expliquant qu’au lycée il était fondé sur des objets d’étude.Après leur avoir précisé ce que l’on entendait par "objet d’étude", ils semblent avoir plutôtbien compris les notions de « récit : le roman ou la nouvelle », de « théâtre : les genres etregistres », d’ « argumentation : démontrer, convaincre et persuader », ou encore de « travailde l’écriture. » Cependant, la notion de « mouvement littéraire et culturel » a dû leur êtredavantage expliquée pour leur permettre de se rendre compte des idées qu’elle recouvrait : ledécoupage du temps, l’étude des mentalités, l’étude des œuvres, ou encore les contextespolitico-économiques. Les instructions officielles sont d’ailleurs tout à fait conscientes decette difficulté : « en partant des textes et en ménageant des temps de recherche autonome, lesélèves sont amenés à construire la notion, nouvelle pour eux, de mouvement littéraire etculturel (auteurs, œuvres, contextes), pour apprendre à mieux contextualiser les œuvres qu’ilslisent. […] L’élève se construit de la sorte un savoir sur les mouvements majeurs au fil de seslectures. »

Malgré l’explicitation des différents champs d’action de l’histoire littéraire, les élèves dema classe n’arrivaient toujours pas à envisager cette notion comme "moteur de recherche"face à l’étude d’un texte. C’est pourquoi je leur ai fait faire en tout début d’année une frisechronologique faisant appel à leurs souvenirs de collégiens. Je leur ai ainsi demandé de placersur un axe allant de 1500 à aujourd’hui les grands événements historiques dont ils sesouvenaient. Ils devaient alors découper l’axe selon les siècles. Ce travail terminé, je leur aidemandé s’ils se souvenaient de certains auteurs et s’ils pouvaient replacer ces écrivains surl’axe chronologique en fonction des siècles auxquels ils appartenaient. Ils réussirent à placercorrectement des auteurs tels que Molière, Corneille, Victor Hugo ou encore Maupassant.Nous avons ensuite cherché d’autres écrivains ensemble et nous les avons affectés au sièclequi leur correspondait. J’ai demandé alors à mes élèves s’ils pensaient que le regroupementpar siècle était le seul possible pour classer différents auteurs. J’attendais de leur part uneréponse en fonction de l’histoire littéraire, c’est-à-dire en fonction des caractéristiques d’uneépoque, des mœurs d’une société, du contexte politique, voire économique, d’une période.Mais aucune remarque de la sorte. Il semble qu’ils n’aient jamais eu à envisager la littératureet l’étude d’un texte dans une telle perspective.

Ainsi, lors de notre séquence sur un mouvement littéraire et culturel du XIXème siècle,à savoir le Romantisme, la préparation de l’explication d’un texte était pour eux synonymed’une recherche biographique de l’auteur, jointe parfois à la paraphrase du texte. Aucunerecherche sur le sens du texte en fonction du contexte socio-politique ne leur était venue àl’esprit. Le sens étant à peine envisagé, comment pouvait-il en être autrement pour lesprocédés d’écriture qui caractérisent généralement un courant littéraire spécifique ? Que direpar conséquent sur la notion de réception de l’œuvre ? Les élèves n’envisagent absolumentpas ce point de vue. S’ils ne ressentent déjà pas un texte d’aujourd’hui en fonction de lalittérature contemporaine, comment pourraient-ils alors envisager un texte du XVIIème ouXIXème siècle en fonction des mœurs de l’époque ? Ils ne se sentent pas véritablementconcernés par les enjeux qu’un texte peut avoir sur une société.

Les élèves ne se posent ainsi aucune question sur l’histoire littéraire. Il leur paraîtévident qu’un texte a un auteur, une date de composition, une autre de publication, et que cetexte s’inscrit dans l’histoire de celui qui l’a écrit. Et c’est pour eux une évidence que l’on doitcommencer l’étude d’un texte par quelques mots sur l’auteur, son œuvre, alors que cesquelques mots ne servent ensuite à rien ; ils ne constituent pas une "entrée" dans la lecturemais une sorte de rituel sans finalité. L’histoire littéraire se résume par conséquent pour eux àces quelques remarques traditionnelles.

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De ce fait, il semble tout à fait évident qu’à l’entrée d’un nouveau cycle les lycéensn’ont pas du tout été préparés à considérer la littérature en fonction d’une continuité, ou aucontraire d’une rupture, entre les œuvres, les auteurs, les époques. L’enseignement du françaisau lycée devient alors pour eux délicat dans la mesure où ils doivent se poser d’autresquestions face aux textes et envisager la littérature dans son évolution, dans son ensemble,c’est-à-dire comme un tout et non plus comme une simple juxtaposition d’œuvres éparses. Etsi « cet enseignement s’inscrit dans la continuité de celui du collège », force est de reconnaîtreque l’explication de texte n’est guère envisagée au collège selon une telle perspective. Aulycée, les « démarches sont [désormais] plus réflexives » puisque « le français doit à la foisapporter des connaissances et s’attacher à former la réflexion et l’esprit critique [de jeunesadultes]. »3

2. L’histoire littéraire au collège : les acquis antérieurs

Alors que l’enseignement du français au lycée est fondé sur l’enseignement d’objetsd’étude obligatoires ou facultatifs, l’enseignement du français au collège s’organise autourd’un objet plus précis et concret, à savoir la maîtrise des discours. « On entend, par discours,toute mise en pratique du langage dans un acte de communication à l’écrit ou à l’oral. »4

L’approche de la littérature ne se fait donc pas de la même manière au lycée qu’aucollège. Si, pour l’un comme pour l’autre, la formation d’une culture commune est un desobjectifs essentiels de l’enseignement du français, il semble toutefois qu’elle ne soit pasenvisagée dans la même perspective évolutive. Peut-être est-ce d’ailleurs dû au fait d’unedifférence de public entre le collège et le lycée. Si le collège réunit obligatoirement tous lesenfants d’une même classe d’âge, le lycée, lui, a déjà opéré une sélection : seuls les élèvessouhaitant poursuivre des études plus générales sont pris en compte ; la classe de secondes’appelant d’ailleurs bien « seconde générale indifférenciée. » On ne peut donc enseigner lamême chose à un public de collégiens que l’on doit « rendre capable de comprendre et des’exprimer clairement, à l’oral comme à l’écrit » et à qui l’on doit « fournir les élémentsessentiels d’une culture commune »5 qu’à un public de lycéens venu chercher « l’acquisitionde savoirs, la constitution d’une culture, la formation personnelle et la formation ducitoyen »6. Les finalités de l’enseignement du français au lycée soulignent ainsi laprédominance de la maîtrise de la langue et de la connaissance de la littérature. Commentalors enseigner une même étude de texte au collège et au lycée ?

Face à une classe de seconde, le professeur stagiaire se trouve souvent surpris par lemanque de culture générale des élèves. La surprise est d’autant plus grande qu’il sait qu’aucollège, ses collègues ont mené un véritable travail pour amener les élèves à « s’approprierdes éléments clefs d’une culture commune »7. Ainsi, la classe de sixième insiste sur lesorigines gréco-latines et judéo-chrétiennes de notre civilisation ; alors que la classe decinquième se concentre plus nettement sur des textes représentatifs de références culturellesdu Moyen Age, de la Renaissance et de l’âge classique, la classe de quatrième étudie quant àelle des textes de satire ou de critique sociale du XVIIIème siècle ; enfin, en classe detroisième on engage la réflexion sur le discours autobiographique et argumentatif (à traversl’essai, la lettre ouverte, le conte philosophique …).

3 B.O. n°28 du 12/07/20014 Programmes officiels de la classe de 6ème

5 Programmes officiels de la classe de 6ème

6 Programmes officiels de la classe de seconde générale et technologique7 Programmes officiels de la classe de 6ème

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Les élèves ont donc déjà eu l’occasion de considérer certains siècles comme porteurs deréférences, de valeurs sociales et culturelles. Tout comme ils ont déjà eu l’occasion de manierdes manuels scolaires traitant d’histoire littéraire, même si la notion n’est effectivement pasprésentée sous cette appellation. En effet, prenons l’exemple de l’un des manuels les plusfréquemment utilisés dans les collèges, à savoir le manuel de littérature édité chez HachetteEducation et dont le titre exact est Littérature et expression8. Prenons ce manuel au niveau dela classe de quatrième. Nous remarquons que dans le sommaire de cet ouvrage, quatrechapitres sont consacrés au thème : "l’écrit et le temps". Le quatrième chapitre est d’autantplus intéressant pour notre réflexion qu’il s’intitule précisément "les artistes et leur temps :auteurs des XVIIe, XVIIIe, et XIXe siècles". Au cours de ce chapitre, sont envisagés des étudesde textes, des ateliers de lecture-écriture, des points de repères et des études d’image. Toutesces activités sont bien entendues directement reliées à la notion d’histoire littéraire.

Ainsi, les études de textes proposées sont toutes marquées d’un point de vue historique,social ou encore culturel. Sont présentés de cette façon des extraits des Mémoires du cardinalde Retz, des Lettres de madame de Sévigné, des Lettres persanes de Montesquieu, du Cid deCorneille, des Fables de La Fontaine, de Jeannot et Colin de Voltaire, des Rêveries dupromeneur solitaire de Rousseau, ou encore des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand.Chaque texte est d’autant plus marqué que figure à ses côtés un encadré dans lequel sontexposés quelques renseignements sur l’auteur, son œuvre et son époque.

Nous pouvons lire ainsi pour madame de Sévigné : « Marie de Rabutin-Chantal,marquise de Sévigné (1626-1696), est une épistolière célèbre. Dans ses lettres à sa fille enparticulier, elle évoque aussi bien sa vie personnelle que la Cour. » Comment alors ne pasévoquer l’histoire politique, sociale et culturelle du XVIIème siècle puisque l’étude mêmed’un tel texte fait véritablement appel à des références précises ? Le contexte littéraire, àtravers par exemple l’évocation du Roi-soleil, de la cour, de la mode des salons, sera parconséquent dans ce cas indispensable. Tout comme est indispensable l’encadré qui jouxte letexte de Corneille : « à l’époque où la pièce Le Cid est créée, en 1636, Richelieu, ministre deLouis XIII, s’applique à faire respecter l’interdiction des duels, poursuit la lutte contre lesGrands du royaume. La réflexion sur la toute puissance du roi, l’obéissance exigée desgrands seigneurs, leurs tentatives de rébellion sont l’une des préoccupations de Corneille etde ses contemporains. C’est aussi l’un des ressorts de l’action de la pièce. » L’expression« préoccupations de Corneille et de ses contemporains » relève déjà bien de l’histoirelittéraire. Le professeur ne peut alors que mettre en rapport le texte et la société de l’époquepour mener à bien son étude ; le sens du texte en est d’autant plus éclairé.

L’atelier lecture-écriture qui fait suite à ces études de textes reprend d’ailleurs cette idéesous forme de leçon, divisée en trois parties : "repérer le contexte", "témoigner de son temps","l’intérêt éternel d’une œuvre". L’élève peut ainsi y apprendre que « la compréhension d’uneœuvre est souvent facilitée par la connaissance des circonstances dans lesquelles elle a étéécrite » ou « que les constructions de langue renseignent parfois sur l’époque d’écriture, telleque la locution "avant que de" qui appartient à la langue classique. » Ces remarques de langueposées dès le collège seront alors approfondies au lycée pour montrer les procédés d’écriturepropres à une époque, un courant, un mouvement littéraire, en l’occurrence ici le classicisme.Les exercices qui font suite à la leçon sont d’ailleurs tout à fait pertinents puisque à partir detextes contemporains de Daniel Rondeau et d’Italo Calvino, il est demandé aux élèves derelever tout ce qui évoque notre époque. L’étude de la langue devient alors significative d’unesociété lorsqu’on compare des textes de siècles différents. La perspective évolutive que sepropose de prendre en charge l’histoire littéraire est ainsi déjà bien présente.

8 Littérature et expression, 4ème, Hachette éducation, 1998

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Et le chapitre de terminer d’ailleurs par une étude de l’image à travers un tableaud’Antonio Péréda intitulé Le songe du gentilhomme et un tableau d’Antoine Watteau intituléPèlerinage à l’île de Cythère. Face à l’œuvre de Péréda, on demande aux élèves de relever parexemple les éléments du tableau permettant de situer l’œuvre au XVIIème siècle. Quant autableau de Watteau, on demande aux élèves de trouver dans l’œuvre ce qui justifiel’expression « fête galante », inventée précisément par l’Académie en 1717 pour caractériserl’œuvre du peintre, nouvellement reçu dans cette institution. Là encore les connaissancesculturelles sont nécessaires. Et là encore la perspective évolutive est de rigueur puisqu’uneœuvre picturale du XVIIème siècle ne se lit pas de la même façon qu’un tableau du XVIIIèmesiècle. La dernière question de cette étude de l’image, intitulée à bon escient "l’œuvre et sonsiècle", question qui clôt en outre le chapitre, se présente d’ailleurs sous une formecomparative : « en quoi les deux œuvres présentées sur cette double page s’opposent-elles ? »

Nous voyons bien à travers cet exemple de manuel, utilisé dans de nombreux collèges,que l’histoire littéraire n’est pas une matière nouvelle pour les élèves qui arrivent au lycée.Toutefois, elle n’est pas traitée sous cette appellation, ni même d’ailleurs comme une matièreà part entière. Elle est moins une matière qu’une manière transversale d’aborder la littérature.

L’histoire littéraire traverse en effet au collège l’enseignement du français pris dans sagénéralité et n’est mentionnée qu’en fonction des textes à étudier. Elle ne peut effectivementconstituer une séquence entière : aucun professeur de collège n’aurait l’idée d’intituler une deses séquences "l’histoire littéraire", ni même "approche de l’histoire littéraire". Cette notiondoit être envisagée selon eux, et à raison, selon une perspective évolutive de la littérature. Or,les programmes de collège n’envisagent la littérature qu’en fonction des différentes formes dediscours : le discours narratif en 6ème, le discours essentiellement descriptif et explicatif en5ème et 4ème, enfin le discours principalement argumentatif en 3ème. C’est pourquoi le manuelLittérature et expression qui a servi d’exemple pour illustrer notre réflexion n’envisage lecontexte socio-politique d’une œuvre qu’en vertu des différentes formes de discours qui vontpermettre d’embrasser un même sujet, à savoir ici les bases de la formation d’une penséecritique à travers le genre de l’essai, de la lettre, du conte philosophique aux XVIIème etXVIIIème siècles. Le classicisme ou le siècle des Lumières ne sont absolument pas envisagéspour eux-mêmes, c’est-à-dire en tant que mouvements littéraires. Ils ne sont que les prétextesà l’élucidation du sens textuel permettant ensuite d’étudier le discours théâtral, comme pourLe Cid par exemple, le discours explicatif, pour l’essai ou la lettre, le discours argumentatif,avec le conte philosophique …

Néanmoins, et il est important de le souligner, les élèves n’arrivent pas en premièreannée de lycée totalement dépourvus de connaissances. Si le collège insiste sur la maîtrise desdiscours, il semble cependant que celle-ci a déjà permis aux adolescents de se forger unminimum de patrimoine culturel. Certes, le conte philosophique de Voltaire est étudié pour legenre littéraire qu’il représente et pour son aspect critique de la société. Toutefois, il peut êtreenvisagé dans son évolution au cours des siècles : ce conte philosophique n’a rien à voir avecle conte du XVIIème siècle, considéré, lui, dans une vision relevant plutôt du merveilleux, dela magie, et étudié comme tel en classe de 6ème. L’histoire littéraire commence alors déjà à sedessiner dans l’esprit des élèves à qui l’on aurait expliqué ce changement. Le lycéen ne peutalors plus nier une certaine connaissance de l’histoire littéraire : il la nommait simplementdifféremment. Comme il ne peut nier un certain héritage littéraire : il a étudié des textes, desauteurs, et il s’en souvient. Il lui suffit juste de se remémorer tout cela. Mais il sembletellement plus facile pour un élève de se reposer sur son professeur. Faire mine d’avoir oubliéses années de collège le conforte dans l’idée que toutes les connaissances essentielles pourl’obtention de bons résultats – ce qui est sa préoccupation première en début de lycée – vontémaner de l’enseignant sans qu’il lui soit nécessaire de fournir un véritable effort intellectuel.

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Peut-être est-ce alors pour cela que le professeur stagiaire se trouve surpris puis démuniface au manque apparent de culture littéraire et générale de ses élèves. Le collège n’insistecertes pas sur les courants littéraires tels que le classicisme, le romantisme, le naturalisme, lenouveau roman, mais il propose des études de textes portant par exemple sur la cour de LouisXIV, sur l’épopée napoléonienne, sur la deuxième guerre mondiale. Et tous ces textes mettenten cause une époque, une société, une littérature. L’élève n’est donc pas totalement dépourvude connaissances quant à la notion, nouvelle pour lui certes, d’histoire littéraire. Car « lecollège est le niveau d’enseignement le plus élevé commun à tous les élèves », et « lorsqu’ilsle quittent, leurs itinéraires se diversifient, mais ils ont tous besoin des mêmes connaissancesfondamentales dans les domaines linguistique et culturel. »9

3. L’histoire littéraire au lycée : les premières remédiations

Quelle que soit leur orientation, en classe de seconde comme en classe de première etau-delà, « l’enseignement du français contribue à la formation personnelle et civique deslycéens. »10 La tâche du professeur stagiaire, et celle d’ailleurs de tout professeur, est doncd’amener ses élèves à s’ouvrir au monde et aux autres, non seulement d’un point de vuelittéraire mais également d’un point de vue culturel. L’histoire littéraire telle que nous l’avonsdéfinie précédemment devient alors un des mots clefs de l’enseignement au lycée puisque « laconstruction d’une culture suppose un dialogue de la littérature avec d’autres arts, d’autreslangages, et du littéraire avec le non-littéraire : c’est de cette façon que les lycéens percevrontque la littérature n’est pas un monde à part mais bien un creuset où se forgent le langage, lesimages, ainsi que le jugement personnel. »11

Car il est vrai que les lycéens ne voient pas l’intérêt et l’enjeu de la littérature telle qu’onleur enseigne en classe de français. Elle leur paraît trop abstraite et non en interaction réelleavec le monde dans lequel ils évoluent. C’est pourquoi « les programmes du lycée se devaientd’envisager une conception globale et équilibrée de la littérature et de la discipline "français".Ils se devaient de considérer la langue, la littérature et la culture dans leur ensemble, en tenantcompte du passé et du présent, et de tout le passé, car la langue, la littérature et la culture neprennent sens que dans leur perspective historique. »12 Aussi le premier objet d’étude quiapparaît dans les instructions officielles de seconde est-il l’étude d’un mouvement littéraire etculturel du XIXème ou du XXème siècle : « en partant des textes et en ménageant des tempsde recherche autonome, les élèves sont amenés à construire la notion, nouvelle pour eux, demouvement littéraire et culturel (auteurs, œuvres, contextes), pour apprendre à mieuxcontextualiser les œuvres qu’ils lisent. »13

Le premier travail du professeur stagiaire est donc de se demander quelles démarches ilva pouvoir, et même devoir, adopter pour faire comprendre à ses élèves comment se construitla notion de mouvement littéraire d’un point de vue concret. Car en effet, l’explicitation del’expression en début d’année ne permet pas à l’élève de se représenter totalement ce qu’ellerecouvre. Sans un texte, voire même un groupement de textes, sous les yeux, la notion luiapparaît encore comme trop abstraite. La mise en contexte ne suffit alors pas. L’histoirelittéraire nécessite en outre l’étude méthodique de données historiques, esthétiques et sociales,et surtout l’étude des changements qui adviennent pour les principaux genres : c’est dans cesévolutions ou mutations que se forment les scansions de l’histoire littéraire et culturelle.

9 Programmes officiels de la classe de 3ème

10 Documents d’accompagnement des programmes de la classe de seconde et de première11 Documents d’accompagnement des programmes de la classe de seconde et de première12 Documents d’accompagnement des programmes de la classe de seconde et de première13 Programmes officiels de la classe de seconde générale et technologique

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Ainsi, à la fin de notre première séquence qui portait sur la nouvelle fantastique, j’aidemandé aux élèves de ma classe s’ils parvenaient à dissocier le fantastique du merveilleux.Le registre fantastique ayant été vu dans le détail durant les quatre ou cinq premières semainesde l’année, je pensais que ces deux notions seraient pour les élèves connotées d’un point devue avant tout historique. Nous avions en effet étudié des textes du XIXème siècleessentiellement, tels que La Morte amoureuse de Gautier, L’Etrange cas du Docteur Jekyll etde Mister Hyde de Stevenson et en œuvre intégrale Véra de Villiers de l’Isle-Adam. Lesélèves devaient ensuite choisir et lire en lecture personnelle une nouvelle de la liste suivante :La Morte ou La Chevelure de Maupassant, Le Pied de momie ou La Cafetière de Gautier, LePortrait ovale d’Edgar Poe, Le Nez de Gogol ou encore L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly.

Toutes ces lectures nous avaient permis de faire apparaître les caractéristiques duregistre fantastique et celles du genre de la nouvelle. Je voulais ainsi y ajouter la différenceentre le fantastique et le merveilleux puisque socialement et historiquement ils ne présententpas la même vision du monde. Je voulais par conséquent faire appel à leurs souvenirs decollège sur le conte de fées tel qu’il apparaît dans l’Orient des Mille et une nuits ou toutsimplement en France, voire en Europe, au XVIIème siècle avec un auteur tel que Perrault. Ilfallait donc dissocier la nouvelle fantastique du conte merveilleux en fonction de la valeurqu’y occupe le surnaturel. En effet, dans la nouvelle fantastique, le surnaturel dérange, inspirele doute et l’inquiétude par son irruption soudaine dans la réalité ; à l’inverse, dans le contemerveilleux, le surnaturel est accepté comme une norme. Dans le conte merveilleux, il existeune harmonie entre l’ordre politique, au sens de l’ordre qui touche la cité, et l’ordre divin :aucun bouleversement social et économique ne vient troubler la croyance en une divinitéprécise et identifiée. Au contraire, dans la nouvelle fantastique, cette harmonie est mise àmal : les divers régimes qui se sont succédés au cours du siècle ont amené un bouleversementdans les croyances ; tout relève alors du désordre, tant la raison que les actions.

Bien sûr je n’attendais pas de mes élèves une telle réponse, celle-ci relevant d’uneréflexion qui ne pouvait être la leur en arrivant au lycée. Toutefois, je pensais qu’ils seraientcapables de faire la distinction entre un univers imaginaire et un univers quotidien puisque ladifférence entre les deux genres s’inscrit à l’origine dans cette séparation. S’ils ont bienidentifié le conte merveilleux comme le monde des fées ou des magiciens par exemple etl’univers fantastique comme le monde de l’angoisse, ils n’ont cependant pas vu que ce dernierpouvait appartenir à notre quotidien et n’ont alors pas envisagé la distinction des genres dansune perspective d’évolution des mentalités, tant au niveau des auteurs qu’au niveau deslecteurs, entre le XVIIème et le XIXème siècle.

Ainsi, dans un premier temps, nous avons dressé ensemble un bilan qui montrait lescaractéristiques de chaque genre. Nous avons ainsi montré que dans le récit merveilleux, leséléments surnaturels sont en fait présentés comme familiers et naturels alors que dans le récitfantastique, ils apparaissent comme relevant du doute ou du rêve. Je leur ai alors apporté lesconnaissances historiques évoquées précédemment en leur montrant ainsi que dans un récitmerveilleux, le narrateur et le lecteur acceptent d’emblée que le monde où évoluent lespersonnages du conte fonctionne différemment de notre univers ; on ne s’étonne donc ni del’existence de fées, de sorcières ou de magiciens, ni d’entendre des animaux parler. Al’inverse, dans un récit fantastique, l’action commence au cœur d’un univers quotidien etfamilier jusqu’à l’irruption d’un élément perturbateur inexpliqué. Face à une question de cettesorte, nous pouvons remarquer que les acquis des élèves ne suffisent pas et que le professeurdoit alors avoir recours à l’histoire littéraire pour apporter les connaissances qu’il leur manquepour traiter à bien le sujet.

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Sans ces connaissances historiques et politiques, mes élèves auraient pu certes définir lanouvelle fantastique, mais ils seraient restés au niveau du repérage, de l’inventaire descaractéristiques propres au genre. Aucune réflexion autour du registre même du fantastiquen’aurait été possible sans cet apport culturel. Or, « durant leur scolarité au collège, les élèvesont eu à lire des œuvres qui portent des références culturelles majeures, de l’Antiquité à nosjours. Ils ont acquis un premier ensemble de connaissances littéraires de l’héritage culturel.Au lycée, il s’agit de l’enrichir et de l’approfondir. Le but principal est la lecture de textes etd’œuvres, de façon à constituer progressivement des repères culturels forts qui permettent auxlycéens de comprendre leur présent à la lumière du passé. Mais l’un des rôles spécifiques dulycée, une de ses différences par rapport au collège, est aussi de proposer une approcheplus réflexive. »14

Car c’est cette approche réflexive qui permet à l’élève de lycée d’entrer véritablementdans la littérature. Et il entre dans ce monde littéraire non seulement à travers ses propresrecherches mais également, et peut-être surtout, grâce à l’aide de son professeur. Quelle n’estalors pas la tâche du professeur stagiaire confronté pour la première fois à une telleresponsabilité ! D’autant plus que nous avons vu que l’enseignant est parfois nécessaire pourdéfinir une notion qui recouvre des données historiques, sociales ou politiques que l’élève nepeut connaître de lui-même. Certes, les élèves ont à leur disposition des manuels scolaires.Mais si pratiquement tous, en classe de seconde, font une part à l’histoire littéraire, il est vraique souvent ils ne permettent pas à l’élève de dégager seul un premier sens du texte.L’enseignant doit alors trouver une démarche pédagogique qui allie recherches personnellesdes élèves à un apport plus magistral des connaissances.

Prenons ainsi par exemple le manuel utilisé dans le lycée où j’exerce : Français, 2nde,aux éditions Bréal. Chaque chapitre de ce manuel se termine par un bilan intitulé « Histoirelittéraire et culturelle. » Lors de notre séquence sur un mouvement littéraire et culturel duXIXème siècle, à savoir le Romantisme à travers la poésie, j’ai choisi de faire étudier auxélèves des poèmes issus de cet ouvrage puisqu’ils me paraissaient être tout à faitcaractéristiques de ce courant. En outre, il me semblait que le chapitre intitulé justement « LeRomantisme » était élaboré de manière à amener peu à peu les élèves à construire eux-mêmesles spécificités du mouvement romantique. Le premier texte du chapitre, un extrait de Faustde Goethe, a pour titre « A l’aube du romantisme, un lien fusionnel avec la nature. » Enintroduction de ce texte, et par-là même de ce chapitre, les auteurs du manuel donnentquelques indications sur le mouvement lui-même : « Le romantisme est un phénomèneartistique européen ; il n’inspira pas seulement la littérature, mais aussi la musique, lapeinture. Il ne saurait se définir en un mot, cependant son principal caractère estprobablement d’exprimer, parfois avec emphase, les souffrances de l’homme "borné dans sanature, infini dans ses v œux". » Cette courte introduction montre déjà aux élèves qu’une desspécificités de la poésie romantique est le rapport qu’entretient le poète avec la nature. Lestextes que nous avons étudiés ensuite les ont confortés dans cette idée. Nous avons travailléainsi sur Le Lac de Lamartine, La Nuit d’octobre de Musset, La Maison du Berger de Vigny,et A un poète de Victor Hugo. Ces textes nous ont permis de voir par ailleurs d’autrescaractéristiques du courant romantique telles que l’inspiration poétique ou encore la fonctiondu poète. Les élèves ont pu construire par eux-mêmes la notion de mouvement littéraire etculturel à travers ces différentes études de textes ainsi qu’à travers leurs propres recherchessur le mouvement romantique en peinture et en musique. Toutefois, aucune indicationhistorique ne leur était donnée dans le manuel.

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Ainsi, pour construire la notion de "mal du siècle", inévitable lorsqu’on étudie le poèmede Musset, j’ai dû leur faire part de données historiques nécessaires à la bonne compréhensionnon seulement de cette expression mais également, et plus largement, du courant littéraire etculturel même du romantisme. Comment en effet étudier un tel mouvement sans parler desrégimes politiques successifs du XIXème siècle durant lesquels s’est forgée la déception desidéaux prônés par la Révolution française, par les épopées napoléoniennes … ? Cetéclaircissement sur le contexte politico-historique du romantisme ne s’est pas fait de manièretotalement magistrale ; je suis partie bien entendu des connaissances historiques des élèvesacquises au cours de leurs études au collège. Mais il est vrai que sans cet apport, les élèves nepouvaient voir seuls tout l’enjeu des textes proposés. Voici d’ailleurs le bilan du chapitreconsacré à la poésie romantique dans ce manuel :

« La poésie romantiqueAu XIXe siècle la poésie met au cœur du monde le poète désigné pour en saisir la vérité.

La notion de romantisme est associée aux manifestations de la sensibilité. Lesromantiques, en effet, disent volontiers leurs émotions, et le sentiment de la natures’exprime chez eux avec force. Mais le romantisme est d’abord une manière de penserqui s’est développée au début du XIXe siècle, dans toute l’Europe. Les héros de Goethe(p.131) souffrent également d’une inquiétude métaphysique qui les pousse às’interroger sur leur raison d’être et à se mesurer au mystère de l’univers.

Le poète apparaît alors comme un intermédiaire entre les hommes et le monde qu’ilsignorent : vivant plus intensément que les autres, le poète, comme le pélican, offre sasouffrance créatrice par les mots qui traduisent et livrent la vérité de son être. Car,pour un poète romantique, penser et parler coïncident ; la poésie est effusion, en elle serejoignent l’âme du poète et ceux qui l’écoutent : le poète sort de sa tour d’ivoire pourdevenir prophète. »

Comment les élèves peuvent-ils concevoir, sans l’aide de leur professeur, l’idée mêmede courant romantique à travers un résumé qui insiste davantage sur la métaphysique del’écriture romantique que sur son avènement et son esthétique ? La chronologie qui estdonnée à la suite de ce bilan s’attache d’ailleurs essentiellement à des dates d’événementslittéraires plutôt qu’à des dates d’événements historiques :

XIXème siècleLe romantisme

1790-1869 Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques (1820)

1797-1863 Alfred de Vigny, Les destinées (1864)

1810-1857 Alfred de Musset, Les Nuits (1835-1837)

1802-1885 Victor Hugo, de Premières Poésies (1815) à Les rayons et les Ombres(1840)

Les bilans de fin de chapitre sur l’histoire littéraire et culturelle sont certes intéressantset nécessaires pour les élèves, mais il est vrai qu’ils ne leur permettent cependant pas deconstruire seuls la notion même de mouvement littéraire. Le professeur stagiaire doit alorschoisir et adopter une démarche pédagogique propre à cet apprentissage.

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II. L’histoire littéraire et l’apprentissage : du cours magistral àla lecture analytique

1. L’interdisciplinarité

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Comme nous avons pu le voir dans la première partie de notre exposé, l’histoirelittéraire n’engage pas simplement une réflexion sur l’auteur, sa vie, son œuvre, le contextesocio-économique dans lequel il évolue. L’histoire littéraire traverse également les siècles etde ce fait développe le contexte historico-politique des œuvres. L’apprentissage de l’histoirelittéraire ne peut alors relever simplement de la discipline français. Il met automatiquement enjeu une autre discipline : l’histoire. Et il est vrai que l’enseignement des lettres etl’enseignement de l’histoire possèdent bien des points communs. Ainsi, en histoire, « lesprogrammes de lycée ont pour finalité la connaissance et la compréhension par les élèves dumonde contemporain. »15 Est donc privilégiée « l’étude de quelques moments historiques quisont des jalons importants dans l’élaboration de la civilisation contemporaine et quiconstituent souvent des ruptures majeures (ruptures culturelles, politiques, économiques etsociales). »16 Ces instructions sont-elles si différentes des instructions du français ? Non,puisque toutes deux mettent en scène les fondements mêmes du monde contemporain. Toutcomme l’Histoire, l’histoire littéraire s’inscrit bien dans une logique de rupture : qu’est-cequ’un mouvement littéraire si ce n’est un courant esthétique qui veut se démarquer de sesprédécesseurs ? L’histoire littéraire peut donc se définir à travers la notion de succession :succession d’auteurs, d’œuvres, de sociétés, d’idées, de genres, de formes …

L’interdisciplinarité peut ainsi s’avérer être une première démarche pédagogique pourétudier l’histoire littéraire en classe de français. En effet, nous avons vu précédemment qu’ilétait impossible de parler d’un mouvement littéraire tel que le Romantisme sans rappelerquelques données historiques permettant d’envisager ce courant comme la volonté de montrerà travers l’écriture les espérances et les déceptions de toute une génération. L’inspirationromantique est étroitement liée aux concepts mis en place par les révolutionnaires puis par lerégime napoléonien. Comment par conséquent étudier le Romantisme en classe de françaissans jamais avoir étudié la Révolution française de 1789, le Premier Empire puis laRestauration en classe d’histoire ? L’un ne peut aller sans l’autre. Tout comme au collège,l’enseignement au lycée est fondé sur l’échange des disciplines. On ne peut enseigner unematière sans s’ouvrir à d’autres. Les programmes officiels l’ont d’ailleurs bien ressentilorsqu’ils ont instauré les itinéraires de découverte au collège et les travaux personnelsencadrés au lycée : « l’enseignement du français entretient des relations dans plusieursdomaines avec d’autres disciplines. »17

Etablir une frise chronologique en début d’année, comme je l’ai fait avec les élèves dema classe, devient donc pertinent dans la mesure où le contexte historique est rappelé etreplacé correctement. Les références à ce contexte sont alors plus vite comprises puisque lesélèves peuvent y accéder directement tout au long du cours, la frise étant placée en effet endébut de classeur. D’autant plus que cette frise est complétée tout au long de l’année : avantd’étudier un nouveau texte et d’envisager sa période, l’élève peut dans un premier tempsvérifier à travers la frise s’il possède toutes les connaissances nécessaires pour aborder letexte. Si certaines lui font défaut, il pourra avec l’aide de son professeur ou de son coursd’histoire compléter les événements, les idées qui vont permettre l’étude approfondie du texte.

Nous l’avons vu, certains manuels scolaires n’hésitent pas à insérer dans leurs pages desrepères chronologiques, bien souvent sous forme de tableau. Ainsi, pour ce qui concerne leRomantisme, le manuel de chez Hachette éducation18 glisse dans ses dernières pages untableau pour chaque siècle : deux colonnes sont mises en présence, l’une pour les grandsévénements historiques, l’autre pour les courants et les œuvres qui se sont développés au

15 Programmes officiels d’histoire et géographie de la classe de seconde générale et technologique16 Programmes officiels d’histoire et géographie de la classe de seconde générale et technologique17 Programmes officiels de la classe de 6ème

18 Des textes à l’œuvre, Français 2nde, Hachette éducation, 2000

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cours de ces événements essentiellement politiques. Voici le début du tableau consacré auXIXème siècle :

Evénements politiques Œuvres et phénomènes littéraires français

XIXème siècle

Difficile avènement du parlementarisme

��1799-1814 Pouvoir personnel de Bonaparte ¶1799-1804 Consulat

¶1804-1814 Premier Empire

Réorganisation administrative, financière,judiciaire, religieuse – Guerres de libération puisde conquête

��1814-1830 Restauration (Louis XVIII,Charles X) Etablissement d’une monarchieconstitutionnelle

¶1815 Les Cent Jours - Waterloo

¶1830 Révolution de juillet

��1830-1848 Monarchie de Juillet (Louis-Philippe) ¶1848 Mouvements nationaux etrévolutionnaires en Europe

Modernité, romantismes et réalismes

LE ROMANTISME

�Le mal du siècle : Chateaubriand, René(1802) ; Musset, La confession d’un enfant dusiècle (1836)

�Théâtre : Hugo, Hernani (1830) ; Musset,Lorenzaccio (1834) ; Vigny, Chatterton (1835)

�Poésie lyrique : Lamartine, Méditationspoétiques (1820) ; Musset, Les Nuits (1835-1837) ; Hugo, Les Contemplations (1856) ;Vigny, Les Destinées (1864)

�Roman et nouvelles : Hugo, Notre-Dame deParis (1831), Les Misérables (1862) ; Nerval, LesFilles du feu (1854)

S’il est vrai que ce tableau donne des indications pertinentes et nécessaires du point devue du contexte politique, force est de reconnaître que l’articulation logique entre les deuxcolonnes ne peut être comprise par l’élève seul. Comment comprendre par exemple le mal dusiècle des romantiques simplement par rapport aux dates du pouvoir personnel de NapoléonBonaparte et à celles du retour de la monarchie avec la Restauration ? Comment lier la notionde pouvoir à la notion de malaise qu’elle entraîne ? Si nous regrettions à la fin de notrepremière partie l’absence de toutes données historiques, il semble cependant que celles-ci nesuffisent pas à elles seules à envisager tous les aspects d’un texte.

Le professeur s’avère donc indispensable pour faire le lien entre histoire et littérature. Etau sein même de cette relation ne réside pas tant la difficulté de l’enseignement de l’histoirelittéraire que celle de son apprentissage. Car il convient de faire sans cesse un aller-retourentre deux disciplines, entre deux méthodes d’approche du monde. Le professeur stagiairepeut alors ressentir une certaine gêne en début d’année à relier ces deux disciplines. Cetembarras vient sans doute de ses propres études, du collège à l’université. En effet, biensouvent, il n’a abordé l’histoire littéraire que lors de son cursus universitaire. Il a donc pu êtrehabitué à un enseignement plutôt cloisonné des différentes matières : la mixité disciplinaire nelui pas été transmise ainsi.

Enseigner une discipline telle que le français à travers un apprentissage décloisonnén’est alors pas chose facile au premier abord. Le professeur stagiaire n’est d’ailleurs pas tantsoucieux de réussir à construire une belle séquence abordant la notion d’histoire littéraire quede faire comprendre cette notion à ses élèves. La réception est plus importante pour lui que lapréparation et la production amenant à cette réception. Peut-être les programmes officielssont-ils pour cette raison orientés vers l’interdisciplinarité. Ainsi, nous avons vu que les

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programmes d’histoire de la classe de seconde s’attachaient aux fondements du mondecontemporain. Les thèmes étudiés sont donc un exemple de citoyenneté dans l’Antiquité ; uneapproche de la religion chrétienne, composante majeure de la civilisation occidentale ; ladiversité des civilisations médiévales ; une nouvelle vision de l’homme et du monde à laRenaissance ; le tournant fondamental représenté par la période révolutionnaire en France ; etl’Europe en mutation pendant la première moitié du XIXème siècle. Si tous ces thèmes nepeuvent être mis en relation directe avec la discipline français, il est vrai cependant quenombre d’entre eux participent activement à l’histoire littéraire.

Ainsi, le thème sur la nouvelle vision de l’homme et du monde à la Renaissance a pourtitre plus général "humanisme et Renaissance". Est alors préconisée l’étude desbouleversements tant religieux (les Réformes) qu’artistiques (l’imprimerie, les universités,collèges, académies, l’Humanisme), sans oublier la conscience de l’élargissement du monde àtravers les grandes découvertes. La relation entre la discipline histoire et la discipline françaisprend en outre tout son sens lorsque les programmes suggèrent comme entrées possibles pouraborder ce thème différentes personnalités (écrivains, artistes, mécènes) ou différentes œuvresemblématiques. L’interdisciplinarité devient par conséquent nécessaire et très intéressantepour l’étude d’un texte. La recherche du contexte, historique, social, politique, peut en effetêtre tout à fait facilitée si certaines notions ont déjà été vues en classe d’histoire.

Au début de ma séquence sur l’argumentation, qui traitait de l’objet d’étude démontrer,convaincre, persuader et qui portait sur l’éducation en débat, j’ai choisi d’étudier avec mesélèves un texte de Montaigne. Il s’agissait d’un extrait des Essais, pris dans le chapitre "Del’institution des enfants". Avant de l’étudier en classe, j’ai donné aux élèves des questions depréparation sur le texte à faire à la maison. Il semble que le contexte, l’auteur, le siècle ne leuraient pas trop posé de problèmes pour y répondre, mais il est vrai que les questions étaientd’abord centrées sur le texte : il s’agissait surtout de voir la stratégie argumentative del’auteur. D’ailleurs, lorsque nous avons commencé à étudier le texte en classe, j’ai demandé àmes élèves s’ils connaissaient Montaigne. J’eus le grand plaisir de voir que non seulementl’auteur leur était familier mais surtout que le courant humaniste leur avait déjà été expliquépar leur professeur d’histoire. En étudiant en cours d’histoire le thème "humanisme etRenaissance", ils avaient ainsi étudié les mutations importantes qui font apparaître lesruptures et les continuités des XVème et XVIème siècles à travers des œuvres littéraires,picturales, sculpturales … Ils étaient déjà dans l’histoire littéraire sans le savoir. Et le travaild’explication de texte en classe de français en a été d’autant plus facilité et intéressant quepour aborder l’extrait de Montaigne je suis partie des connaissances des élèves, de leurpréparation du texte pour ensuite l’approfondir ensemble.

Le même travail s’est ensuite renouvelé, toujours dans la séquence sur l’argumentation,avec un texte de Rousseau. Là encore, mes élèves avaient étudié en classe d’histoire desnotions qui nous étaient nécessaires du point de vue de l’histoire littéraire pour expliquer unextrait de Emile ou De l’éducation. Ils avaient travaillé le thème sur la Révolution et lesexpériences politiques en France jusqu’en 1851. Les valeurs et les principes qui ont fondé lespensées rousseauistes puis révolutionnaires étaient ainsi déjà acquises. Inversement, lorsqu’ilsont eu à aborder les expériences politiques en France jusqu’en 1851, ils ont pu reprendre lafrise chronologique établie en classe de français, et qui nous avait servi notamment pourl’étude du Romantisme, afin d’apporter des pré-acquis au cours d’histoire.

L’interdisciplinarité est donc une première démarche possible pour amener les élèves àenvisager et contextualiser l’histoire littéraire, qui est, ne l’oublions pas, une notion nouvellepour eux. Certes, le cours d’histoire ne saurait éclairer totalement l’étude d’un texte, et, nousl’avons vu, le tableau ou la frise chronologique a ses limites dans la mesure où il requiert

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l’aide du professeur. Cependant ils peuvent servir de point de départ et permettre justement unapprofondissement intéressant sur un texte ou un ensemble d’œuvres.

2. Le groupement de textes

Si l’interdisciplinarité permet d’approcher dans un premier temps l’histoire littéraire, legroupement de textes permet ensuite de la faire vivre dans l’esprit des élèves. N’est-ce pas ceque préconisent d’ailleurs les programmes officiels lorsqu’ils soutiennent qu’au lycée lefrançais « doit donner une culture active »19 ? Comment alors ne pas envisager un mouvementlittéraire dans une dynamique d’ensemble alors que les œuvres qui le constituent participentpratiquement toutes d’une même société, d’une même période, des mêmes principes, de lamême esthétique … ? L’histoire littéraire est un monde de mutation, et un courant littéraireprend vie dans cette mouvance, l’intégrant ou la rejetant, mais toujours en la considérant et enla respectant.

Le groupement de textes facilite donc l’acquisition de données historiques, sociales,politiques, dans la mesure où ces données sont les mêmes pour toute une série d’auteurs :l’étude de textes devient par conséquent plus efficace puisque, le contexte ayant déjà ététraité, il suffit alors de s’attacher au texte même. Certes, cela est possible pour un ensemble detextes participant d’un même courant littéraire, donc d’une même période. Toutefois, même sil’on cherche à étudier un thème précis, comme l’éducation par exemple, le groupement detextes paraît tout à fait pertinent du fait des ruptures ou des continuités qu’il met en œuvre àtravers les siècles. C’est pourquoi la pratique du groupement est intéressante : elle apparaît eneffet comme un instrument didactique permettant de construire des savoirs et des savoir-faire.

Le groupement de textes permet ainsi :

- de mettre en place et d’assurer la maîtrise d’instruments d’analyse littéraire- d’affermir la reconnaissance et la distinction des "classes" de textes (formes,

genres, types, registres)- de construire des savoirs d’ordre culturel sur un auteur, une période, un

mouvement esthétique- de s’inscrire dans une relation avec l’œuvre intégrale pour en prolonger

l’étude, pour la préparer, pour en approfondir un aspect dominant dans untravail d’intertextualité

Toutes ces fonctions du groupement de textes participent activement à la construction del’histoire littéraire : par son support, sa forme, ses références, son esthétique. Aborder unenotion telle que celle de l’histoire littéraire en classe de seconde ne peut se faire de façonthéorique, les élèves n’ayant pas assez de connaissances culturelles pour cela. Le groupementde textes s’avère donc un excellent moyen d’allier une notion abstraite à la réalité concrèted’un texte. Proposant quatre à six textes dans une même séquence, il en limite un peu lalongueur mais en accentue la valeur et en approfondit considérablement son exploitation. Ilpermet ainsi de travailler sur des textes littéraires riches, de mettre au point des notions ayanttrait aux genres littéraires, aux types de textes, aux registres, aux mouvements littéraires, detravailler sur des topoi, de s’interroger sur des systèmes de valeurs.

J’ai choisi de traiter l’objet d’étude démontrer, convaincre, persuader, en prenant poursujet l’éducation en débat, à travers un groupement de textes. Les instructions officielles de laclasse de seconde recommandent d’ailleurs d’étudier l’argumentation et ses effets sur le

19 B.O. n°28 du 12/07/2001

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destinataire à travers un groupement de textes et de documents (éventuellementiconographiques) plutôt qu’une œuvre au choix du professeur. Je me suis alors servie d’un desmanuels de mes élèves pour extraire les textes à étudier. Il s’agit du manuel Les nouvellespratiques du français, chez Hatier. Dans ce manuel, un dossier, reconnaissable à sa couleurrose, s’intitule tout simplement "Groupement de textes". Le sous-titre étant "L’éducation, duXVIème au XXème siècle". Les textes choisis comportent un extrait des Essais de Montaigne,un extrait de Emile ou de l’éducation de Rousseau, un extrait du Spectateur français deMarivaux, et un extrait de Balles d’or de Guy Tirolien. A ces textes, j’ai ajouté encompléments des dessins de Plantu parus dans Le Monde et un texte de Alain, extrait del’ouvrage Propos sur l’éducation.

L’introduction à ce groupement de textes, dans le manuel, est la suivante :

« Différents par leur contexte de publication et leur genre, les textes suivants peuvent cependant être confrontés autour des thèmes suivants :

- la définition des méthodes d’une "bonne" éducation- le rôle des pères et des maîtres dans l’apprentissage- la critique de certaines contraintes de l’éducation »

Ce groupement de textes ne porte donc pas sur un mouvement littéraire et une période précis.Son objectif est plutôt thématique et même problématique. Il est néanmoins intéressant du faitqu’il traverse différents siècles et qu’il s’attache à la réception même des œuvres :l’expression « leur contexte de publication », citée dans l’introduction, n’est pas innocentepar rapport à un tel objectif. Elle témoigne particulièrement de l’importance de l’histoirelittéraire pour comprendre pleinement ces textes.

En effet, l’histoire littéraire indique non seulement le contexte dans lequel a été écrit letexte, mais également le contexte dans lequel ont été lues et reçues ces œuvres. Ainsi, pour letexte de Marivaux, le manuel donne ces quelques explications en introduction : « Marivauxs’inspire, dans cette feuille de son journal périodique Le Spectateur français, des conceptionspédagogiques de Madame de Lambert dont il fréquentait le salon au début du XVIIIèmesiècle. Madame de Lambert dispensait ce conseil : "Vous ne vous rendrez maîtresse del’esprit qu’en instruisant le c œur". » Ce rapide préambule m’a alors permis d’apporter auxélèves quelques connaissances d’histoire littéraire avant même d’étudier le texte. Je leur aiainsi parlé des salons littéraires en leur expliquant que tout comme les cafés, les salonsservaient au XVIIIème siècle de tremplin à la diffusion des idées et des goûts, qu’ils étaienttenus exclusivement par des femmes, qu’ils étaient l’endroit idéal pour permettre aux plusgrands noms du siècle de se rencontrer afin de se convaincre de leur indépendance, de leurdroit à la libre parole et de leur mission de diffuseur des Lumières. Je leur ai enfin parlé de lacensure qui veillait à l’époque mais qui ne parvenait pas à enrayer les hardiesses et lesattaques ironiques des écrivains.

Certes, cet exposé pouvait paraître relever plutôt du cours magistral. Mais les élèvesavaient déjà acquis quelques connaissances sur le siècle des Lumières grâce à leur coursd’histoire. Le cours de français s’est donc avéré être un cours véritablement dialogué. Etl’histoire littéraire a pu être envisagée et comprise dans la mesure où en abordant les salons etla censure, nous avons pu aborder les moyens de réception d’une œuvre telle que celle deMontaigne ou de Tirolien, ainsi que la censure au XVIème siècle par rapport à celle duXXème siècle. Le groupement de textes a permis de parcourir ainsi les siècles et d’aborderl’histoire littéraire comme une première entrée en littérature.

Ce groupement de textes a en effet permis à mes élèves d’acquérir différents savoirs etsavoir-faire littéraires. Grâce à leurs premières connaissances, acquises notamment dans une

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autre discipline, et au cours dialogué sur le contexte socio-politique des œuvres, nous avonspu aborder plus facilement la lecture analytique des textes. Car « les élèves qui entrent enseconde ont déjà appris, tant dans leur cursus antérieur que dans leurs pratiques personnelles,à s’approprier des écrits divers selon des modalités de lecture variées. On vise à développerleur goût et leur capacité de lire, en les confrontant cependant à des œuvres plus éloignées deleur univers familier, dans un souci de formation d’une culture partagée. » Ainsi, « lalecture analytique a pour but la construction détaillée de la signification d’un texte et constituedonc un travail d’interprétation. »20 Et cette recherche du sens passe également par laconnaissance de quelques notions d’histoire littéraire.

Aussi avons-nous étudié, grâce à la lecture analytique, divers éléments qui font d’untexte une entité littéraire dans sa spécificité et en même temps dans son appartenance à unemouvance générale. Nous avons pu ainsi définir à travers le texte de Montaigne cequ’entendaient par "usage" au Moyen Age les responsables de l’éducation : nous avons doncrapidement survolé la méthode médiévale qui reposait sur l’enseignement des techniquesd’argumentation, de la grammaire (du latin bien entendu), et de la théologie (c’est-à-direl’étude des commentaires sur les textes sacrés). En outre, le texte de Rousseau a permis derappeler quelques valeurs fondamentales pour l’auteur qui permettent de passer de l’étatd’enfant à l’état de citoyen : nous avons alors vu que ces valeurs s’avéraient déjà être lesprémisses d’un état révolutionnaire, ou du moins plus libéral. D’autant plus que le texte deMarivaux nous avait déjà conduit sur la voie de "l’honnête homme", idéal du XVIIème sièclerepris au XVIIIème.

Prenant résolument son ancrage dans l’histoire des idées, ce groupement de textes liaitune réflexion socio-historique à une interrogation sur la permanence des valeurs : celles del’éducation, du respect des uns des autres, de la tolérance (notamment avec l’école des blancsopposée à celle du petit garçon du poème de Tirolien) …Ce groupement – par son ancragehistorique, sa perspective morale, sa diversité – ouvrait dès lors sur l’appréhension et lacompréhension de l’"esprit des lumières" incarné par les philosophes du XVIIIème siècle etrejoignait ainsi le programme d’une autre discipline, à savoir l’histoire, comme si l’histoirelittéraire était en fait l’affaire de tous et de tout.

Ainsi, j’ai voulu joindre en complément à cette séquence des dessins de Plantu parusdans Le Monde pour montrer qu’au XXème siècle la réception d’une œuvre est différentedans la mesure où les supports de communication ont véritablement changé. Or, nous l’avonsvu, l’histoire littéraire a également à voir avec le contexte de réception d’une œuvre. Traiterde l’éducation à travers les siècles, un des objectifs de notre séquence sur l’argumentation,signifiait également traiter du sujet aujourd’hui. Parler ainsi de la diffusion des idées à traversles médias actuels s’avérait être une continuité logique au travail mené sur les salons et lacensure au XVIIIème siècle, en étudiant de ce fait les différences par rapport à l’époquecontemporaine. Les salons deviennent ainsi chez le dessinateur des salles de télé où la seulelecture préconisée par les parents, notamment la mère (qui reprend elle-même l’image de lafemme tenant salon au XVIIIème siècle), est celle du magazine télévisé. Si, à l’époque deRousseau et de Marivaux, les salons étaient ressentis comme les diffuseurs sérieux decertaines valeurs positives, il semble qu’aujourd’hui les médias prennent des libertés avec cesvaleurs pour mieux les affirmer : seul le contexte sociologique, politique, historique le permet.Le monde a évolué et l’histoire littéraire participe activement à cette mouvance. Legroupement de textes est alors un des moyens possibles pour véhiculer cette idée et une desdémarches didactiques envisageables pour l’étudier.

20 B.O. n°28 du 12/07/2001

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3. L’ œuvre intégrale

Outre le groupement de textes, l’œuvre intégrale peut également s’avérer être un moyend’amener les élèves à la connaissance de l’histoire littéraire. L’étude de l’œuvre intégralepermet en effet d’envisager une œuvre non seulement du point de vue stylistique et esthétiquemais également du point de vue historique. L’étude ne s’attache pas moins aux aspectstechniques de la création qu’aux interrogations que pose l’œuvre sur l’homme et la société :on vise l’acquisition d’une culture et l’affinement de la réflexion critique tout en donnant lesinstruments et les compétences d’une pratique autonome de la lecture. Ainsi, à côté de ladimension analytique de l’étude, d’autres aspects de l’œuvre sont à prendre en compte,notamment sa mise en perspective historique, l’étude de son contexte biographique et culturelainsi que l’histoire de sa réception.

En effet, nous l’avons vu, l’étude de l’histoire littéraire montre qu’une œuvre classiquene peut être comprise de la même manière par un spectateur ou un lecteur du XVIIème siècleque par un contemporain du XXIème siècle. Non seulement les mentalités ont évolué, mais lalangue dans laquelle celles-ci se développent a également subi des mutations. Peut-être plusque le groupement de textes, l’œuvre intégrale permet l’analyse de ces changements dans lamesure où elle permet de confirmer un état de langue à l’intérieur d’un corpus plus important.Les instructions officielles l’attestent : « la maîtrise de la langue est la condition première del’accès aux textes et de la formation de la pensée. Elle engage l’identité individuelle etcollective. Lorsque les œuvres et textes étudiés l’appellent, l’analyse des variations sociales ethistoriques de l’usage langagier est abordée. »21

Ainsi, si l’on considère les lectures analytiques qui peuvent être menées lors de l’étuded’une œuvre intégrale, on remarque que l’étude de l’évolution d’un mot permet parfois deconcevoir une partie de l’interprétation du texte. Prenons par exemple le substantif "comédie".Lors de la séquence que j’ai menée avec mes élèves autour de l’objet d’étude le théâtre, lesgenres et registres (comique et tragique), et portant sur l’œuvre intégrale L’Ecole des femmesde Molière, j’ai choisi de m’attacher pour la première séance à une rapide histoire du théâtre.A partir de six croquis représentant un théâtre grec, romain, médiéval, élisabéthain, à lafrançaise et à l’italienne22, j’ai commencé par demander aux élèves ce qu’ils savaient sur lethéâtre dans son évolution au fil des siècles. Je les interrogeais donc tant au niveau del’écriture théâtrale qu’au niveau de sa représentation (mise en scène comme réception). Mesélèves n’avaient jamais eu à envisager le genre théâtral dans une telle perspective. Ils avaientquelques idées sur le genre même de la comédie, mais elles relevaient essentiellement duregistre comique au sein notamment des pièces de Molière. Ils ne s’étaient jamais intéressésaux origines du théâtre. Je leur ai donc parlé du théâtre grec en tant que théâtre civique, c’est-à-dire en tant que théâtre de la cité responsable. Je leur ai ainsi montré que le théâtre était à cemoment-là un théâtre essentiellement tragique qui visait surtout, à travers des faits semi-légendaires, le bien-être de la cité. J’ai ensuite relié ces remarques au théâtre romain qui, poursa part, traduisait l’apogée de la civilisation du spectacle : un spectacle comique, venant desfarces et des satires, mais aussi tragique, issu quant à lui de la tragédie grecque. J’ai alorsdemandé à mes élèves s’ils pouvaient définir le terme de tragédie ainsi que celui de comédie.Leurs observations portaient principalement sur les réactions du public : la tragédie inspirantpour eux les larmes alors que la comédie provoque plutôt le rire. Aucun d’entre eux n’a ainsipu me dire qu’à l’origine on nommait toute pièce de théâtre une "comédie", le mot étantemprunté au latin « comoedia » qui signifiait « pièce de théâtre » et « genre théâtral ».

21 B.O. n°28 du 12/07/200122 Histoire du théâtre dessinée, André Degaine, Nizet, 2002

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Certes je ne leur demandais pas de me citer l’étymologie du terme, mais je pensais quel’origine du mot leur était familière de manière à pouvoir considérer la comédie de Molièrecomme un genre en pleine mutation. En effet, la comédie désigne jusqu’au XVIIème siècletoute pièce de théâtre, tout spectacle. Elle prend alors le sens plus précis de « piècedivertissante représentant des personnages de moyenne et basse condition », par opposition àtragédie, puis à drame. L’évolution du substantif étant étrangère aux élèves, ils ne pouvaientalors envisager la pièce de Molière, L’Ecole des femmes, comme la première grande comédieen cinq actes qui constitue un moment essentiel dans l’histoire du théâtre français : ellerenouvelle en effet le genre de la comédie au sens de "divertissement qui fait rire". Nousavons alors rappelé quelques œuvres importantes dans la carrière de Molière. Les élèves sesouvenaient de certaines pièces telles que L’Avare, Le Bourgeois gentilhomme, Le Maladeimaginaire ou encore Tartuffe. Rappelant rapidement le sujet de ces pièces, nous en avonsconclu que Molière voulait critiquer les vices de ses contemporains pour qu’ils y prennentgarde et qu’ils s’en corrigent. Cela nous a alors permis de constater que cette préoccupation sedéveloppait de plus en plus à partir de L’Ecole des femmes. Grâce à la bibliographie desœuvres de l’auteur et surtout à leur date de publication, nous avons pu nous rendre comptequ’après s’être essayé à la farce, Molière a glissé vers une comédie dont l’enjeu n’était plus defaire rire le spectateur par des bouffonneries, mais de représenter sur la scène, pour lescorriger, les vices de son temps, tels que l’hypocrisie religieuse, l’obsession d’un maniaqueridicule ou encore l’ambition nobiliaire d’un bourgeois. Ce dernier exemple m’a d’ailleurspermis de faire remarquer aux élèves qu’au XVIIème siècle certains bourgeois étaient prêts àtout pour qu’on les croie nobles. Nous en avons ainsi déduit que le ridicule du personnaged’Arnolphe provenait pour une part de cette prétention nobiliaire : Arnolphe cherche en effetà se faire appeler Monsieur de la Souche alors que ses terres se résument essentiellement àune unique métairie.

Ce détour par une simple notion d’histoire littéraire nous a ensuite permis de considérerles différents comiques qui fondent justement une "grande comédie". J’ai alors demandé auxélèves s’ils se souvenaient de ces composantes du registre comique. Si le comique de mots(comme répétitions ou tics de langage) leur était familier, il semble que le comique decaractère (personnage ridicule du fait de son obsession), de gestes (coups de bâton,déguisements, mimiques exagérées) et de situation (quiproquos) avaient été un peu oubliés.Après avoir défini rapidement ces notions, nous avons alors pu les envisager dans leurcontexte, c’est-à-dire au sein même du premier acte. L’étude de l’œuvre intégrale devient parconséquent intéressante puisqu’elle permet une vérification plus importante de certainesnotions du fait de la longueur du corpus envisagé. J’ai en effet interrogé les élèves sur cesdifférents comiques tout au long de l’étude de l’œuvre. En outre, l’étude de ce registre m’aégalement permis de faire quelques remarques d’histoire littéraire. J’ai ainsi pu demander àmes élèves s’ils savaient d’où venait le comique de gestes, c’est-à-dire dans quelle troupethéâtrale pouvions-nous essentiellement le voir. Peut-être était-ce une question difficile poureux car cela impliquait une certaine culture littéraire et surtout théâtrale qu’ils n’avaient sansdoute pas. Cependant il était tout à fait possible qu’on leur ait parlé au collège de la commediadell’arte, ou du moins du théâtre d’improvisation qui mettait en scène des personnages telsque Matamore (le soldat fanfaron), Arlequin (le valet), Pantalon (le vieillard) ou encoreColombine (la servante). La commedia dell’arte permet en effet d’aborder le genre de lacomédie puisqu’elle a exercé une grande influence sur le théâtre comique français auXVIIème et au XVIIIème siècle, particulièrement sur Molière et Marivaux. Là encore l’œuvreintégrale permet une approche indéniable de l’histoire littéraire. Ainsi, « il s’agit de percevoirles spécificités (le théâtre comme texte et comme spectacle) et les évolutions du genre, lesliens mais aussi les distinctions entre genre et registre. »23

23 Programmes officiels de la classe de seconde générale et technologique

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Le détour par l’histoire du théâtre nous a également permis de considérer le genre mêmede la comédie dans son évolution. Ainsi, parler du théâtre médiéval en tant que théâtre quipermet de présenter à la fois l’histoire sainte de façon divertissante et des farces inspirant unenseignement, c’est aussi parler de la difficulté de la comédie à être considérée comme ungenre noble, tel que celui de la tragédie. A travers sa volonté d’écrire de grandes comédies, etnotamment à travers L’Ecole des femmes, Molière a participé à cette évolution. En effet, sicertaines scènes, telle la scène 2 de l’acte I qui met en scène des valets un peu simples d’espritface à un maître presque tyrannique, relèvent directement de la farce avec des bousculades,des mots erronés, des mimiques exagérées, d’autres scènes cherchent au contraire à travailleret approfondir le caractère des personnages. Ainsi, au cours de notre étude de la pièce, nousavons pu envisager les personnages d’Arnolphe et d’Agnès comme des personnagescomplexes. Arnolphe apparaît tour à tour comme un tyran ridicule et un amoureux maladroitqui se voit ravir la femme qu’il aime : il suscite à la fois l’antipathie et la pitié. Agnès, quant àelle, donne l’image d’une jeune fille ingénue et en même temps dotée d’une intuition subtile.Et c’est grâce à l’étude de l’œuvre intégrale que les élèves ont pu approfondir leurs réflexionssur les personnages. Ils ont pu remarquer que si Arnolphe était un être si complexe, c’étaitsans doute parce qu’il incarnait la verve comique comme la veine tragique. Certes, Molière etle XVIIème siècle en général ne souhaitaient pas mélanger les genres et les registres ; maisfaire remarquer aux élèves qu’il y a déjà là les prémisses du théâtre contemporain, c’estcontinuer à les faire entrer dans la littérature au moyen de l’histoire littéraire qui leur apportenon seulement des connaissances mais aussi une réflexion sur l’évolution du monde et desmentalités. Il était alors nécessaire de revenir sur le théâtre élisabéthain évoqué en début deséquence afin de le montrer comme le précurseur d’un théâtre mixte où le comique et letragique se croisent sans cesse pour signifier le questionnement de l’homme face à un mondequ’il juge difficile à saisir car instable et protéiforme.

Ainsi l’étude de l’œuvre intégrale permet d’apporter différentes connaissances littéraireset culturelles aux élèves tout en tenant compte de leurs propres acquis et leurs propresexpériences de la littérature. Loin d’être fondées sur un cours qui se voudrait magistral, cesconnaissances ont été amenées à travers un véritable dialogue entre élèves et professeur.L’œuvre intégrale a permis un tel travail du fait de son étude installée dans le temps : au fildes lectures et des analyses, j’ai pu mener avec mes élèves une réflexion en profondeur tant auniveau de l’œuvre qu’au niveau de son contexte d’écriture et de réception. Nous avons ainsipu revoir la notion de règle des trois unités, en vigueur à l’époque classique et concernanttoute pièce de théâtre au XVIIème siècle, et la vérifier au fil de l’œuvre. Nous avons ainsiconstaté que si l’unité de temps s’avérait possible dès le début de la pièce (Arnolphe voulantrégler la question de son mariage "dès demain"), l’unité de lieu posait davantage deproblème : la pièce est censée se passer sur une place de ville alors qu’Arnolphe rendconstamment visite à Agnès dans une de ses deux maisons. Les élèves se sont rendu compteseuls du problème que cela posait. Ils ont alors voulu savoir pourquoi la règle des trois unitésavait été instaurée puisqu’elle était difficilement applicable. Grâce à l’étude de cette règle aufil de l’œuvre, les élèves ont pu acquérir des connaissances supplémentaires sur le théâtre etson évolution. Je leur ai en effet appris que la règle des trois unités avait été créée par leshumanistes dans un souci de théâtre régulier et abolie aux siècles suivants pour cause derenouvellement du genre. Abordée lors de l’étude d’un texte à l’intérieur d’un groupement, lanotion d’humanisme ne leur a pas posé véritablement de problème de compréhension dans lamesure où ils l’avaient déjà étudiée en cours d’histoire.

Ainsi, l’histoire littéraire ne peut relever d’une démarche didactique précise etprédéterminée. Elle se distille au fil des études et parcourt tant les groupements de textes queles œuvres intégrales. Elle se construit surtout en fonction du savoir et de l’attente des élèves,l’essentiel étant de leur apporter une culture littéraire tout en suscitant chez eux le désir deconnaissances. Il s’agit alors de faire vivre l’histoire littéraire pour mieux se l’approprier.

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III. Faire vivre l’histoire littéraire durant deux séquences réaliséesen classe

1. La poésie romantique à travers Lamartine, Musset, Vigny et Hugo

Les deux premières parties de notre exposé ont tenté de montrer que l’histoire littérairene pouvait constituer une matière à part entière. Elle se révèle en effet au fil du texte, del’œuvre et s’inscrit dans une perspective évolutive sans cesse en mouvement. L’histoirelittéraire ne peut donc être envisagée de manière figée, appartenant à un savoir révolu et fixédans le temps. Elle doit apparaître au contraire comme une notion qui donne toute sa valeur àla littérature dans la mesure où toutes deux se remettent sans cesse en question, apportantconstamment de nouvelles informations qui révèlent alors le sens multiple des textes.

Ainsi, avant d’aborder les textes qui composaient ma séquence sur l’objet d’étude unmouvement littéraire et culturel du XIXème ou du XXème siècle, et qui portait sur la poésieromantique, j’ai demandé à mes élèves lors de la première séance ce que signifiait pour euxl’adjectif « romantique ». Je leur ai alors expliqué que ce travail nous permettrait de voir si lanotion même de romantisme appartenait à une époque passée, marquée historiquement etlittérairement, ou si elle pouvait encore être comprise et utilisée aujourd’hui telle qu’elleapparaissait au XIXème siècle. J’ai donc demandé aux élèves de réfléchir quelques minutesaux termes qu’ils pourraient donner pour tenter de définir cette notion. Nous avons alorsinscrit au tableau tous les mots que l’adjectif leur avait inspirés. Les réponses des élèvesfurent très différentes. Certains n’envisageaient le terme que dans une perspective amoureuse,retenant essentiellement le sentiment même d’amour, alors que d’autres le considéraient avanttout comme l’expression plus générale d’une émotion suscitant la rêverie, la beauté de lanature : amour, tendresse, douceur, clair de lune, ballade, poème … Les élèves ont ainsi notéla liste des mots dans leur classeur afin de pouvoir vérifier la notion au cours de la séquence.Nous en sommes donc restés là pour cette première définition du romantisme puisqu’un desobjectifs de la séance était d’amener l’étude de ce mouvement littéraire par le biais de laréception : que traduisent pour la jeune génération d’aujourd’hui les idées développées deuxsiècles auparavant par de jeunes écrivains ? Il s’agissait ainsi de confronter deux époques biendifférentes. On peut d’ailleurs d’emblée remarquer que les préoccupations romantiques nesont plus celles des adolescents du XXIème siècle. Aucun élève n’a en effet relié l’adjectif« romantique » à la fuite du temps, au goût pour les voyages, à la politique, thèmes chers auxromantiques. Mais il est vrai que ne connaissant pas ce courant littéraire, les élèves nepouvaient envisager ces réponses. En outre, hors de toute référence littéraire, ils vivent au seind’un siècle totalement différent, tant politiquement que socialement. L’écriture romantiquepeut alors leur apparaître comme une écriture datée historiquement. Or, pour comprendrel’origine de cette écriture, il convient de donner d’abord aux élèves quelques repèrespolitiques et historiques sur la période envisagée afin de considérer ensuite le contexte social.

Ma première séance s’attachait donc également à voir avec les élèves comment, à partird’une succession de régimes politiques, était né le romantisme. Ne voulant pas basculer dansle cours magistral ni me substituer au cours d’histoire, j’ai choisi d’aborder cet aspecthistorique de façon ludique. Mes élèves aiment travailler en sous-groupe : c’est en effet uneclasse assez unie où personne ne se sent en compétition avec les autres. Le travail y gagneainsi en spontanéité et même en efficacité. J’ai donc demandé à mes élèves de composer desgroupes et d’essayer, d’après leurs souvenirs de collège et leurs connaissances personnelles,de replacer dans l’ordre les différents régimes de la fin du XVIIIème siècle et du XIXèmesiècle. Ils devaient donc établir une frise chronologique. Je ne leur demandais bien sûr pas dedates précises, sachant pertinemment qu’ils ne pourraient se les remémorer.

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La liste était par conséquent la suivante :

le Second Empirele Consulat

la Restauration

la IIIème Républiquele Directoire

la Monarchie de juillet

la Révolution françaisele Premier Empire

la IIème République

Le groupe qui parviendrait à replacer correctement le plus de régimes possibles serait déclarévainqueur ! Les élèves ont généralement réussi à indiquer correctement la Révolutionfrançaise, le Premier Empire, le Second Empire et la IIIème République. Nous avons ainsirefait tous ensemble la frise chronologique au tableau afin de compléter les connaissances dechacun. Je leur ai alors demandé quelles étaient selon eux les grandes figures politiques de cesdifférents régimes. Ils se souvenaient essentiellement de Napoléon Ier et de Napoléon III. Lesréponses que j’attendais, comme Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, ne leur sont pasvenues immédiatement à l’esprit. Ces personnages leur étaient toutefois familiers. Ilsn’arrivaient simplement pas à les affecter au bon régime. Notre réflexion a ainsi abouti aucroquis suivant :

LouisXVI

LeDirectoire

LeConsulat

LePremierEmpire

LaRestauration

LaMonarchiede juillet

LaIIèmeRépublique

Le SecondEmpire

LaIIIèmeRépublique

NapoléonIer

Louis XVIIIpuisCharles X

Louis-Philippe

NapoléonIII

La PhilosophiedesLumières

Le Romantisme Le Réalisme

Une fois ce "jeu" terminé, j’ai essayé de montrer aux élèves pourquoi un tel travail s’avéraitintéressant et nécessaire pour comprendre le mouvement romantique. Je leur ai alors parlé del’esprit littéraire qui régnait à l’intérieur de chaque régime politique, leur indiquant ainsi lelien entre l’histoire et la littérature. Nous avons d’abord rappelé les actes de libertéfondamentaux issus de la Révolution française : prise de la Bastille (symbole de l’AncienRégime), abolition des privilèges, déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, abolitionde la monarchie et proclamation de la république. Nous en avons conclu que ces actesaboutissaient directement au Directoire pendant lequel le général Bonaparte remporte desvictoires (guerres extérieures) qui le conduisent au pouvoir grâce à un coup d’état du 18brumaire 1799. Commence alors le Consulat durant lequel Napoléon Ier (sacré le 2 décembre1804) engage la France dans une double politique d’organisation intérieure et de conquêtesextérieures. Nous avons ainsi noté que c’est pendant le Premier Empire que les images dehéros couverts de gloire peuplent les rêves des jeunes gens nés "avec le siècle", tandis que secrée, déjà, le mythe napoléonien. Avec l’exil de l’Empereur disparaissent les ambitions decette jeunesse à laquelle la Restauration n’apporte que tristesse et conformisme.

1789 1799 1804 1815 1830 1848 1852 1870

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De là naît la pensée et le mouvement romantiques. Les incertitudes politiques et lesrevendications libertaires conduisent aux journées révolutionnaires de 1830. S’installe alors laMonarchie de juillet : s’ouvre de ce fait le règne des banquiers et des bourgeois durant lequelles inégalités s’accroissent et qui fait de l’artiste un marginal vivant difficilement de sa plume.La République finira tout de même par s’installer solidement et parviendra à se développermalgré des crises graves et nombreuses, les chutes des ministères et les scandales financiers.Nous avons alors déduit de toutes ces remarques que la transition entre le XVIIIème et leXIXème siècle se fait par la Révolution. Ce déchaînement de plusieurs années – issu d’unbouleversement des idées et d’une remise en cause des traditions – contribue à l’émergenced’une sensibilité nouvelle reposant sur l’exaltation du sentiment, le goût pour le passé, le rêve,la nature et la défense des peuples opprimés au nom de la liberté. Le Romantisme s’opposeainsi au goût et à la tradition classiques et s’identifie au mal de vivre qui succède auxenthousiasmes de la Révolution et de l’épopée napoléonienne.

Une fois ces données historiques, politiques et sociales posées, nous avons pu nousintéresser de près à l’écriture romantique. J’ai choisi d’étudier le mouvement littéraire duRomantisme au moyen d’un groupement de textes. Il comportait un extrait des Méditationspoétiques de Lamartine, « Le Lac » ; un extrait des Poésies nouvelles de Musset, « La Nuitd’octobre » ; un extrait des Destinées de Vigny, « La Maison du Berger », et un extrait desRayons et les ombres de Hugo, « A un poète ». A ces poèmes, j’ai choisi d’ajouter la préfaceaux Recueillements poétiques de Lamartine et une peinture de Caspar David Friedrich,Voyageur contemplant une mer de nuages. J’ai donc décidé de commencer par l’étude d’unpoème de Lamartine, « Le Lac ». L’objectif de cette étude était de voir sur quoi reposaitl’inspiration poétique chez les romantiques. La lecture analytique du poème nous a ainsipermis d’étudier les thèmes de la nature à travers l’évocation des quatre éléments de l’univers(la terre, l’eau, le feu, l’air) et la complicité entre l’homme et le monde qui l’entoure. Nousavons également parlé du thème du temps, et plus précisément de la fuite du temps. Ces deuxaxes de lecture nous ont alors permis de passer de l’étude d’une expérience personnelle (celledu poète) à l’étude d’une expérience plus universelle et humaine. En utilisant desdéterminants définis et des expressions généralisantes, tels que « le temps » ou « l’homme »,Lamartine cherche à convoquer l’humanité toute entière. Il en appelle alors aux« malheureux » pour lesquels les « heures propices » doivent continuer à couler. J’ai ainsidemandé aux élèves qui étaient selon eux ces « malheureux ». Je voulais à l’occasion del’étude de ce poème leur donner une notion d’histoire littéraire. Certains élèves sont parvenusà me donner la réponse exacte : il s’agissait en effet de personnes mortes. Je leur ai alorsdemandé quelle métaphore était développée à ce moment-là du poème. Ils n’ont pas su merépondre : cela impliquait des références littéraires qu’ils n’avaient peut-être pas. Je leur ai parconséquent dit que selon Lamartine le temps doit s’écouler comme s’écoule la mort dans leseaux du Styx. Lorsque je leur ai parlé du Styx comme une référence à l’Antiquité et comme lefleuve des Enfers qui emmenait les morts soit dans la région de l’Enfer soit dans la région duParadis, leurs souvenirs se sont soudainement éveillés. Ils se souvenaient d’avoir entendu leterme même de "Styx" au collège. Cette très courte notion d’histoire littéraire nous a alorspermis de conclure sur l’interprétation littéraire du texte. Les élèves ont en effet compris quepour Lamartine, et ainsi pour les poètes romantiques, le temps passe inexorablement etconduit inévitablement à la mort : l’homme romantique est seul, mélancolique et habité par lanostalgie du passé ; la nature est alors le témoin de cette nostalgie comme le temps est lacause de cette mélancolie. Ainsi, évoquée à l’intérieur d’un poème, une référence d’histoirelittéraire semble s’avérer plus efficace pour les élèves. En effet, elle leur paraît relever d’uneexplication concrète qu’ils pourront retenir plus facilement puisque s’appuyant sur unexemple précis. Et nous le disions précédemment : l’histoire littéraire ne peut s’envisager demanière théorique et magistrale.

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C’est pourquoi le groupement de texte sur la poésie romantique s’avérait selon moi unexcellent moyen de donner aux élèves quelques notions d’histoire littéraire sans que celaprovoque en eux une réticence et un ennui. Ainsi, le deuxième texte à étudier lors de cetteséquence était un extrait des Poésies nouvelles de Musset, « La nuit d’octobre ». Si j’ai menél’explication de texte de façon à bien faire comprendre aux élèves la notion de souffrance,présente chez les poètes romantiques et notamment ici à travers la métaphore de l’eau, je n’aitoutefois pas suffisamment insisté sur le contexte religieux, essentiel pour l’interprétation dece poème. Alors que je me suis arrêtée sur la référence au baptême (à travers une nouvellefois la métaphore de l’eau) comme l’entrée dans quelque chose de nouveau, ici la poésie aprèsavoir retrouvé l’inspiration, je n’ai fait aucune allusion à la notion de Rédemption. Or, c’estelle qui permet d’expliquer l’écriture romantique : comme la souffrance du Christ fut salutairepour l’homme, la souffrance du poète est salutaire pour l’écriture et l’inspiration poétique.Comme beaucoup de poètes romantiques, Musset est un poète chrétien qui croit au péchéoriginel de l’homme. Je n’ai donc pas suffisamment montré aux élèves que pour expliquerune partie de la littérature française, il était nécessaire d’avoir quelques notions sur la religionchrétienne. Avec cet apport d’histoire littéraire, puisque le contexte religieux fait partie ducontexte social d’une époque, les élèves auraient certainement été plus sensibles au texte etainsi à son interprétation. Ils auraient certainement moins ressenti d’ennui face à un texte quimontre une douleur lancinante au fil des vers. En outre, ils auraient sans aucun doute eul’impression d’apprendre des éléments concrets de la littérature. Tous n’auraient certainementpas été intéressés, mais nombre d’entre eux aiment sortir de cours en emportant avec eux desconnaissances nouvelles. Et l’histoire littéraire permet justement cet éveil à la connaissance,ce désir de savoir.

Je n’ai donc pas aborder le texte suivant, à savoir « La Maison du Berger » de Vigny, dela même manière. Je suis partie davantage de la réaction des élèves et de leur compréhensionplus globale du texte pour atteindre l’objectif de la séance qui portait sur la relation que lesromantiques entretenaient avec la nature. A partir de leur interprétation du poème, noussommes parvenus à montrer que Vigny utilisait les figures de la personnification et de laprosopopée pour caractériser la nature et pour signifier un dialogue entre elle et le poète. Celanous a permis de montrer pourquoi la nature se comparait à un théâtre : il s’agit d’un théâtredu monde où tout se joue : la joie, le bonheur, la souffrance … Je leur ai alors parlé du"theatrum mundi", c’est-à-dire le "grand théâtre du monde", en leur expliquant que cela seréférait à la conception que se faisait le XVIIème siècle du théâtre. Je leur ai ainsi définirapidement la vision baroque du théâtre : le baroque apparaît en littérature dans une société enpleine mutation et qui est le produit d’une prise de conscience, d’un moment de contestationde l’ordre établi. Je leur ai ainsi montré que le théâtre baroque est un questionnement del’homme face à un univers difficile à saisir car instable et que tout donc n’est qu’apparence,changement et inconstance. Les élèves ont d’eux-mêmes compris la relation avec l’écritureromantique : elle aussi naît dans un contexte d’instabilité, notamment à travers les régimes quise succèdent au XIXème siècle, la frise chronologique ayant été très utile ici. Je leur ai alorsindiqué que les dramaturges baroques utilisent à profusion le théâtre dans le théâtre car lemonde est un théâtre : la salle de spectacle n’est pas un lieu à part, ce qui s’y donne à voirest un condensé de la vie ordinaire qui n’est elle-même qu’un théâtre. J’ai cité en exemple cesvers de Shakespeare, en leur expliquant que les romantiques redécouvrent justement cetauteur : « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que lesacteurs. » Nous avons ainsi conclu ensemble qu’il existe la même crise de conscience, lamême révolte chez les poètes romantiques et les écrivains baroques. Ce détour par l’histoirelittéraire a permis d’approfondir le sens du poème de Vigny : la nature est le lieu impassibleoù se déroule le grand théâtre du monde, c’est-à-dire la représentation de la vie humaine. Pourles poètes romantiques, l’homme est lié à la nature dans un rapport ambigu de complicité etd’angoisse, du fait de l’immensité de la création.

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L’histoire littéraire, dans cette séquence, a été ressentie par les élèves comme un apportconcret permettant une meilleure interprétation des textes. S’ils ne l’ont pas envisagée commeun enseignement figé et ennuyeux, c’est sans doute parce qu’elle ne leur a pas été présentéecomme tel : j’y ai fait en effet référence au fil de l’étude des œuvres et non en tant qu’objectifprécis d’une séance. Les élèves ont eu l’impression que ces références culturelles et littérairespouvaient toujours être d’actualité, à travers notamment la vision baroque du monde en tantque théâtre de la vie humaine et des apparences : selon eux, la société moderne, la nature quinous entoure ressemblent aujourd’hui encore un peu à cela. Ils ont donc envisagé l’histoirelittéraire dans sa perspective évolutive. Lorsque nous avons comparé les caractéristiquespropres à l’écriture romantique, formulées à partir des textes étudiés, avec la liste donnée endébut de séquence et dressée à partir des premières impressions que suscitent le terme mêmede romantisme, les élèves se sont aperçus seuls que les différences majeures provenaientessentiellement de l’évolution des mentalités, du contexte politique, économique, social. Cesréférences culturelles et littéraires ne leur ont pas semblé en outre dépourvues de tout intérêt.En effet, s’ils se sont appropriés plus facilement l’histoire littéraire, c’est justement parcequ’eux-mêmes ont participé à sa construction : ils ont trouvé seuls une partie desconnaissances qu’elle soulevait (le théâtre de la nature par exemple). Ainsi, parce qu’ils ontenvisagé l’histoire littéraire comme un apport pour l’étude d’un texte et non comme unenouvelle matière sur un passé révolu, les élèves de ma classe se sont souvenus de ce que nousavions dit sur le "theatrum mundi" lors de notre séquence sur le théâtre et de celle sur l’étuded’une œuvre intégrale, Le Père Goriot de Balzac.

2. Le Père Goriot, Balzac

L’histoire littéraire traverse en effet aussi bien les siècles que les auteurs. Elle ne prendpas seulement vie au sein d’une succession de textes qui la dévoilent peu à peu. Elle s’éveilleégalement au cours de l’existence d’un auteur et de son œuvre. Nous l’avons vu, l’écrivain, etpar-là même l’ensemble de son œuvre, est en quelque sorte tributaire du contexte dans lequelil évolue. Sa pensée, son écriture reflètent l’époque dans laquelle il s’insère. On ne peut parconséquent étudier une œuvre intégrale sans indiquer quelques notions d’histoire littéraire.

Ainsi, lors de ma séquence sur l’étude d’une œuvre intégrale, mêlant les objets d’étudele genre narratif et un mouvement littéraire et culturel du XIXème ou XXème siècle, j’ai choiside traiter avec les élèves du courant littéraire qui succédait à celui que l’on venait de voir, àsavoir le Romantisme. Le Père Goriot de Balzac était à mon sens un bon moyen de passer duRomantisme au Réalisme, tout en approfondissant le genre narratif et le discours descriptif.Avant d’aborder l’œuvre en détail, j’ai commencé par présenter à mes élèves l’auteur et sonœuvre. Je leur ai donc demandé de chercher la biographie de Balzac à la maison. Nous avonsensuite parcouru cette biographie en classe pour ne retenir que les aspects de la vie del’écrivain nous permettant d’expliquer sa carrière littéraire. Les élèves ont ainsi retenu desdates telles que 1819, lorsque Balzac choisit de renoncer à ses études de droit pour s’installerdans une mansarde et se consacrer à son œuvre, ou 1826, date des premières difficultésfinancières de l’écrivain qui ne va alors cesser de composer afin de gagner de plus en plusd’argent, ou encore les années 1830, où Balzac devient un écrivain à la mode, ce qui luipermettra vingt ans plus tard d’être célébré par Victor Hugo lui-même lors de ses obsèques auPère-Lachaise. Je voulais montrer aux élèves à travers cette recherche que Balzac était unécrivain prolifique qui avait consacré toute sa vie à l’écriture, peaufinant dans le moindredétail ses ouvrages afin de parvenir à une représentation, la plus fidèle possible, de la sociétécontemporaine et du caractère humain.

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Balzac voulait en effet redonner ses lettres de noblesse au genre romanesque. Il pensaitqu’il fallait donc travailler et retravailler chaque texte pour donner au public une œuvre digned’être achetée et lue. Cela m’a alors permis d’insérer une très courte notion d’histoire littérairedans le cours. J’ai donc indiqué aux élèves qu’au XIXème siècle on voyait encore dans leroman un genre inférieur, mal défini et réservé à un lectorat féminin. Balzac voulait luttercontre ces idées reçues et, pour cela, a choisi, comme nombres de romanciers, de publier LePère Goriot dans les journaux, sous forme de roman-feuilleton : le public était ainsi élargi etle roman gagnait peu à peu ses lettres de noblesse, les écrivains jouant sur l’effet d’attente etde surprise des lecteurs. En outre, si Balzac voulait tant s’adresser à l’ensemble de la sociétéhumaine, c’était sans doute pour mieux l’étudier et en rendre compte. Cette référenceculturelle m’a de ce fait amené à parler du projet littéraire de Balzac. J’avais demandé auxélèves de rechercher, outre la biographie, des indications sur l’œuvre de Balzac. Partant durésultat de ces recherches, j’ai indiqué aux élèves que Balzac avait eu l’idée première d’une« comparaison entre l’humanité et l’animalité, les espèces sociales devant correspondre àl’espèce zoologique. »24 L’œuvre doit donc s’appuyer sur le type, seule instance littérairepermettant de cerner les hommes. Nous avons alors déduit de ces recherches et apportslittéraires que La Comédie humaine se subdivisait en trois niveaux. Nous avons parconséquent établi ensemble cette liste :

o les études de mœurs :- "scènes de la vie privée"ex. : Le Père Goriot (1834)

- "scènes de la vie de campagne"ex. : Le Lys dans la vallée (1835)

- "scènes de la vie de province"ex. : Eugénie Grandet (1833)

o les études philosophiques :ex. : La Peau de chagrin (1831)

o les études analytiques :ex. : Les Petites misères de la vieconjugale (1855, posth.)

- "scènes de la vie parisienne"ex. : La Cousine Bette (1846)

- "scènes de la vie militaire"ex. : Les Chouans (1829)

- "scènes de la vie politique"

Certains ouvrages donnés ici à titre indicatif paraissaient familiers aux élèves : peu d’entreeux avaient lu ces œuvres mais ils avaient tous entendu parler d’Eugénie Grandet ou desChouans par exemple. Cette liste leur a permis en outre d’exprimer leurs premièresimpressions de lecture sur Le Père Goriot. D’après leurs réactions sur l’intrigue du roman, ilssemblaient surtout étonnés que Balzac ait rangé Le Père Goriot dans les "scènes de la vieprivée" plutôt que dans les "scènes de la vie parisienne". Selon eux, il s’agissait davantage del’entrée de Rastignac dans la société bourgeoise et parisienne que la déchéance et le malheurde Goriot face à ses filles. Sans le savoir, les élèves avaient fait une remarque qui relevaitdirectement de l’histoire littéraire : en s’attachant au contexte social développé dans l’intriguedu roman, ils avaient fait référence au contexte social dans lequel évoluait Balzac, c’est-à-direune société mêlant toutes les classes sociales, toutes les ambitions humaines, tous les dramesfamiliaux ou personnels. Les élèves en ont donc déduit que Le Père Goriot est un roman où semêlent l’ambition privée et parisienne de Rastignac à l’ambition personnelle et bourgeoise deGoriot pour sa famille.

24 Avant-propos de La Comédie humaine, 1842

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Ces premières impressions de lecture m’ont ensuite permis de parler plus précisémentdu projet de La Comédie humaine. Pour éviter de basculer dans le cours magistral, j’aisimplement fait remarquer aux élèves que dans le vaste ensemble que constitue La Comédiehumaine, Balzac projette de « peindre les deux ou trois mille personnages saillants d’uneépoque » et de « faire concurrence à l’état civil. »25 L’œuvre comprend ainsi près de centouvrages et quelques deux mille personnages dont environ cinq cents apparaissent dansplusieurs romans : Eugène de Rastignac, les filles du père Goriot, Vautrin …Le personnageest ainsi vu sous divers éclairages, ce qui accentue le réalisme de l’ensemble. Balzac satisfaitde ce fait son goût pour le théâtre, renvoyant en coulisse puis rappelant à sa guise sespersonnages : dans cette fresque colossale, chaque roman figure ainsi une scène de la "grandecomédie du monde". A ces mots, les élèves ont immédiatement pensé à l’origine même duterme "comédie" en tant que terme désignant toute pièce de théâtre, ainsi qu’au "theatrummundi" évoqué quelques semaines auparavant. Ils ont donc pu se représenter les personnagesdu roman comme un échantillon de la société du XIXème siècle : madame Vauquer, patronned’une pension lugubre et misérable ; le père Goriot, ancien commerçant, ruiné par sa propreambition d’avoir voulu voir ses filles entrer dans le milieu de la haute bourgeoisie ; Eugène deRastignac, jeune noble ruiné et ambitieux, étudiant en droit ; Victorine Taillefer, jeunehéritière reniée par son père ; les domestiques, les étudiants en médecine … Les élèves ontréussi à analyser ces personnages non seulement grâce à la description qu’en fait Balzac audébut de son œuvre mais également grâce au contexte socio-politique que nous avions évoquélors de la séquence précédente et qui portait déjà sur le XIXème siècle. L’étude de l’incipit duroman nous a en outre permis de confirmer cette volonté de réalisme : « All is true ». Cettephrase, écrite en anglais par Balzac, m’a alors autorisée à insérer une petite référence littérairedans le cours. Cette citation provient en effet d’une pièce de Shakespeare, Henry VIII, danslaquelle le dramaturge anglais cherche à retracer un épisode de l’histoire de son pays de façonla plus réaliste possible. En évoquant cet écrivain, les élèves ont immédiatement vu le lienavec le "theatrum mundi". Ils ont alors compris pourquoi Balzac comparait son roman à undrame : le terme « drame » est à prendre aussi bien au sens de "grand théâtre du monde" qu’ausens de "qui attire la pitié, les larmes". J’ai donc profité de cette analyse pour dire aux élèvesque le mot « drame » signifiait au départ "action" puis "digne de pitié" et enfin "pièce dethéâtre". Ce détour par l’étymologie d’un mot nous a alors permis d’étudier un pan del’histoire littéraire. En effet, en caractérisant son roman de « drame », d’« œuvre accomplie »,Balzac continue à s’inscrire dans une thématique théâtrale. L’« œuvre accomplie » faitréférence à Boileau : « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à lafin le théâtre rempli. »26 J’ai donc expliqué aux élèves la règle des trois unités et la structurenécessaire aux pièces classiques. A partir de ces connaissances, je leur ai demandé en quoi leroman de Balzac pouvait s’apparenter à une pièce de théâtre. Ils ont bien sûr trouvé queBalzac avait abandonné l’unité de lieu, de temps et d’action : nous sommes dans un roman etcela n’est donc plus possible. Toutefois, ils ont eu plus de mal à reformuler la structure mêmedu roman, qui rejoint, il est vrai, la structure d’une tragédie. Bien que le chapitre I se terminepar cette phrase : « ici se termine l’exposition de cette obscure, mais effroyable tragédieparisienne », les élèves ont, semble-t-il, eu des difficultés à envisager le premier chapitrecomme l’exposition d’un drame dans lequel commence à se jouer le drame de l’ambition et ledrame de la paternité. Le chapitre II leur a posé moins de problème : il s’agit en effet despéripéties qui se développent autour de deux actions principales, le dilemme de Rastignac(choisir entre Goriot et Vautrin) et son entrée dans le monde. Quant aux chapitres III et IV, lesélèves les ont plutôt bien envisagés comme les deux dénouements du drame : l’arrestation deVautrin et la mort de Goriot.

25 Avant-propos de La Comédie humaine, 184226 Boileau, L’Art poétique, 1674

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Ce parallèle entre roman et théâtre n’a pas été inutile : non seulement il éclairait le sensde l’œuvre, mais il permettait en outre de faire acquérir aux élèves des savoirs qu’ilsignoraient jusque-là, ou du moins qu’ils n’arrivaient pas à se remémorer. Les élèves se sontd’ailleurs souvenus de cette règle des trois unités ainsi que de la structure d’une pièceclassique lorsque nous avons abordé notre séquence sur le théâtre. Ils ont donc pu envisagerl’histoire littéraire dans son évolution : par exemple l’abandon des règles classiques au coursdes siècles, le changement des mentalités qui conduisent à des mouvements littéraires etculturels différents, la vie d’un auteur qui influe sur son œuvre (Victor Hugo n’écrivait paspour les mêmes raisons que Balzac …) ou sur celle d’un autre. Ainsi, pour terminer maséquence sur l’étude du Père Goriot, J’ai choisi de montrer à mes élèves les sources littérairesde ce roman de Balzac. Je leur ai donc distribué ceci :

LES SOURCES LITTERAIRES DU ROMAN DE BALZAC, LE PÈRE GORIOT

Importante et significative est l’influence shakespearienne sur Le Père Goriot.

De Shakespeare, Balzac va revendiquer le patronage en mettant en épigraphe de la première édition deson roman l’expression qui avait servi de sous-titre à l’Henri VIII du dramaturge anglais, « All istrue » (« Tout est vrai »). Plus tard, la même formule sera réincorporée à la fin du premier paragraphedu livre : « Ah ! sachez-le : ce drame n’est ni une fiction, ni même un roman. All is true … »

Mais la pièce de Shakespeare qui, de toute évidence, a le plus influencé l’auteur du Père Goriot est LeRoi Lear (1606) dont l’intrigue peut se résumer comme suit :

Le roi Lear a trois filles, Goneril, Régane et Cordélia. Déshéritant la troisième qu’il suppose lemal aimer, il a richement doté les deux aînées. Hypocrites, flatteuses, poussées par leur mari, celles-cin’ont en réalité de cesse d’exploiter le vieux souverain, ajoutant à leurs machinations mépris etcalomnies. Plein de fureur, Lear ne peut s’empêcher de continuer à les aimer, espérant vainement quel’une se révèlera au moins meilleure que l’autre. Mais devant la haine mutuelle des deux s œurs et lacruauté que lui infligent leurs querelles, le roi s’enfonce dans la folie et la maladie. Désespéré,dépouillé, Lear meurt peu après le décès de sa troisième fille, Cordélia, qui s’était révélée, trop tard,comme la seule véritablement affectueuse.

Balzac a en effet délibérément choisi de réinterpréter, sous forme romanesque, et dans le contexte dela société parisienne de la Restauration, le mythe shakespearien de la paternité aveuglée et martyrisée.Toutefois, il a supprimé de la distribution le personnage très important de Cordélia qui permettaitd’opposer aux figures filiales de l’ingratitude et de la trahison celle de la fidélité et de l’affection vraie.Rastignac est sans doute un moment « tenté » par ce rôle. Mais il cède finalement, lui aussi, auxvertiges de l’ambition, du pouvoir et de l’argent. Le Père Goriot se termine en effet par ces mots : « Ànous deux maintenant ! » puis « Et pour premier acte du défi qu’il portait à la société, Rastignac alladîner chez madame de Nucingen. »

Après la lecture de ce document, les élèves semblaient davantage comprendre ce que signifiaitla mise en perspective d’une œuvre avec l’histoire littéraire dans laquelle elle évolue. Lacomparaison de Balzac avec Shakespeare permettait en effet de voir un contexte d’écrituredifférent, une réception différente de l’œuvre, mais au fond un même questionnement dumonde, de l’univers, de la société.

L’histoire littéraire est une histoire en mouvement, le XVIIème siècle ne ressemblant enrien au XIXème siècle. Mais c’est avant tout de l’histoire et des histoires qui ne relèvent nid’une connaissance catégorique ni d’un enseignement particulier : elle parcourt les sièclescomme elle parcourt les textes. C’est au travers de contextes divers que l’on multiplie leshistoires. Rien n’est acquis d’avance : c’est l’histoire qui fait des histoires comme ce sont leshistoires qui font une histoire.

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Conclusion

A la question inaugurale qui ouvrait notre mémoire, à savoir « l’histoire littéraire est-elleune priorité ? », les éléments de réponse développés au fil de ces pages orientent cette notionnon seulement vers une priorité mais bien plus encore vers une finalité. L’importance d’un telobjectif relève en effet du souci du professeur d’apporter à ses élèves une culture littéraire etgénérale, leur permettant d’entrer dans la compréhension des textes comme dans la littératureet peut-être surtout dans leur patrimoine culturel.

Nous avons essayé de rendre compte d’une expérience didactique fondée sur la diversitédes démarches comme sur la variété des apprentissages. Cette expérience, riche d’avancées etde doutes, d’erreurs et de réussites, de tentatives et d’approches diversifiées, permet la prisede conscience d’une pratique propre non seulement à l’enseignement du français maiségalement à l’enseignement de l’histoire humaine. Les instructions officielles nous ont en celaouvert la voie : il s’agit en effet de mettre en avant une réflexion sur les différentes attitudesface à l’existence, à connaître l’histoire des idées et des mentalités, à observer les codes et lesusages qui régissent les rapports humains. Ainsi, parmi les compétences à développer chez lesélèves, la connaissance de l’héritage culturel passe par l’étude des œuvres et de leur contexte,tant en classe de français qu’en classe d’histoire par exemple.

Sans systématiser, pour chaque séquence, l’histoire littéraire, l’approche de celle-ci estdésormais fondée sur la perception de l’historicité des textes, de leur évolution et de leurcontexte, politique, économique, sociologique … Si chaque séquence peut toutefois souleverun point d’histoire littéraire, il est vrai qu’on ne peut envisager chaque séance ainsi. Nousl’avons vu, l’histoire littéraire se révèle au fil des textes ; elle ne relève en rien d’unenseignement précis, minuté et prémédité. Elle se découvre au contraire au fil des discussionsavec les élèves, de leur interprétation des œuvres. Certes, le professeur est nécessaire pourapporter des données essentielles à la compréhension de certains textes et pour préparer ainsil’interprétation qu’il va en être faite. Mais c’est bien en cela que l’histoire littéraire dévoiletoute sa valeur : elle permet, de façon plus extensive, un parcours didactique partant d’unsavoir construit à la construction de ce savoir. Et c’est peut-être à travers cette expériencequ’elle va susciter chez l’élève le désir d’apprendre et de savoir. Le professeur veut en effetrendre l’élève acteur de son propre apprentissage ; il doit par conséquent éveiller chezl’adolescent un intérêt pour ce qui lui est enseigné et lui montrer la voie d’un avenir fondé surl’héritage culturel nécessaire à sa vie d’homme.

Dans cette perspective, particulièrement d’actualité, le cadre de l’histoire littéraire resteouvert à de nombreuses activités à venir, d’autres démarches à réaliser, et à de nombreusesquestions auxquelles il faudra répondre. Car l’histoire littéraire ne peut s’aborder que de façonponctuelle, au fil des heures, des séances, des séquences, et plus encore, au fil de notre propreexpérience humaine.

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BIBLIOGRAPHIE

&& Ouvrages généraux:

o J. ROHOU, L’Histoire littéraire : objets et méthodes, Nathan Université, coll. 128,1996

o A. ARMAND, L’Histoire littéraire : théories et pratiques, Bertrand-Lacoste, coll.Didactiques, 1993

o A. DEGAINE, Histoire du théâtre dessinée, Nizet, 2002

&& Manuels scolaires :

o H. SABBAH, Littérature 2nde : des textes aux séquences, Hatier, 2000

o E. AMON, Y. BOMATI, Méthodes et pratiques du français au lycée, Magnard, 2000

o A-M. ACHARD, J-J. BESSON, C. CARON, Littérature et expression, 4ème, HachetteEducation, 1998

o G. WINTER, Français,2nde, Bréal, 2000

o R. LANCREY-JAVAL, Des textes à l’œuvre, Français 2nde, Hachette Education,2000

o C. ETERSTEIN, A. LESOT, Les nouvelles pratiques du français, 2nde, Hatier, 2000

&& Revues :

o B.O. n°28 du 12 juillet 2001

o B.O. Hors – Série n°6 du 29 août 2002

o Documents d’accompagnements des programmes de la classe de seconde et depremière

o Programmes officiels de la classe de sixième, 1995

o Programmes officiels de la classe de cinquième, 1996

o Programmes officiels de la classe de quatrième, 1997

o Programmes officiels de la classe de troisième, 1998

I

Annexe 1

Frise chronologique d’une élève, à laquelle viennent s’ajouter des connaissances délivrées parle professeur ou d’autres élèves. Les mouvements littéraires (en vert) ont été complétés aucours de l’année.

II

Annexe 2

MONTAIGNE, Essais, « De l’institution des enfants » (1590).

III

Annexe 3

ROUSSEAU, Emile ou De l’éducation (1762).

IV

Annexe 4

MARIVAUX, Le Spectateur français (1723).

V

Annexe 5

GUY TIROLIEN, Balles d’or, « Prière d’un petit enfant nègre » (1943).

VI

Annexe 6

Dessins de PLANTU, parus dans Le Monde.

VII

Annexe 7

Croquis de théâtre, extraits de l’Histoire du théâtre dessinée.

VIII

Annexe 7 bis

Croquis de théâtre, extraits de l’Histoire du théâtre dessinée.

IX

Annexe 8

LAMARTINE, Les Méditations, « Le Lac » (1820).

X

Annexe 9

Voici deux copies d’élèves répondant à une question sur l’histoire littéraire lors d’uncontrôle : « en quoi ce poème appartient-il au Romantisme ? Justifiez votre réponse endéfinissant ce mouvement littéraire. »

XI

Annexe 10

MUSSET, Poésies nouvelles, « La Nuit d’octobre » (1762).

XII

Annexe 11

VIGNY, Les Destinées (posthume, 1864).

XIII

Annexe 12

Exemple d’une copie portant sur le mouvement littéraire du réalisme. La question était : « cetextrait évoque-t-il, pour vous, la fiction ou la réalité sociale et historique ? Justifiez votreréponse en fonction de ce que vous savez des courants littéraires au XIXème siècle. »

Comment aborder l’histoire littéraireen classe de seconde ?

RESUME :La lecture approfondie d’une œuvre passe autant par l’analyse du style etdes procédés d’expression que par l’approche historique qui vient lacompléter. Etudier un texte revient alors à étudier le contexte politique,économique, sociologique, artistique dans lequel il s’inscrit. C’est pourquoil’histoire littéraire se définit traditionnellement comme une histoire desauteurs et de leurs ouvrages. Mais comment amener les élèves à envisageret s’approprier de telles connaissances littéraires et culturelles face à uneœuvre ? Tel est l’objectif de ce mémoire qui s’attache aussi bien à laconstruction d’un patrimoine culturel qu’à sa réception.

MOTS CLES :littérature ; histoire ; écrivain ; démarche didactique ; héritage culturel

Lycée Chevalier d’Eon, TONNERRE

Classe de Seconde