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M.Claude BEAUFORT Animateur Dr Ersi BROUSKARI (GRÈCE) Chef du département direction générale des antiquités et du patrimoine culturel, Ministère de la Culture. M.Gabor SOOS (HONGRIE) Chargé de mission relation internationales, Office national du patrimoine culturel, secrétariat de la commission hongroise du patrimoine mondial. Dr Thomas WEISS (ALLEMAGNE) Jardins de Dessau, Kulturstiftung Dessau Wörtlitz. Mme Rosa CORTEZ (PORTUGAL) Directrice adjointe de la commission régionale Nord Portugal. M. Jean MUSTELLI (FRANCE) Conseiller d’Etat, ancien ambassadeur de France auprès de l’UNESCO. Comment fait-on vivre les valeurs patrimoine mondial dans d’autres sites européens ?

Comment fait-on vivre les valeurs patrimoine mondial dans d’autres sites européens ?

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Page 1: Comment fait-on vivre les valeurs patrimoine mondial dans d’autres sites européens ?

M.Claude BEAUFORTAnimateur

Dr Ersi BROUSKARI (GRÈCE)Chef du département direction générale des antiquités et du patrimoine culturel,

Ministère de la Culture.

M.Gabor SOOS (HONGRIE)Chargé de mission relation internationales, Office national du patrimoine culturel,

secrétariat de la commission hongroise du patrimoine mondial.

Dr Thomas WEISS (ALLEMAGNE)Jardins de Dessau, Kulturstiftung Dessau Wörtlitz.

Mme Rosa CORTEZ (PORTUGAL)Directrice adjointe de la commission régionale Nord Portugal.

M. Jean MUSTELLI (FRANCE)Conseiller d’Etat, ancien ambassadeur de France auprès de l’UNESCO.

Comment fait-on vivre les valeurs patrimoine mondialdans d’autres sites européens ?

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Mme Ersi BROUSKARIBonjour, je voudrais à mon tour remercier les organisateurs de cette rencontre pour leur aimable invitation. C'est

un honneur et un plaisir pour moi de vous parler des monuments grecs qui sont inscrits sur la Liste du patrimoine

mondial et de vous présenter le cadre législatif de leur gestion.

La Grèce a inscrit jusqu'à présent 17 biens culturels sur la Liste du patrimoine mondial. Ces inscriptions sont plutôt

traditionnelles et concernent des sites archéologiques, des ensembles monumentaux et des villes médiévales.

Deux d'entre eux sont des biens culturels mixtes.

Voici quelques exemples : l'Acropole d'Athènes, le Temple d'Apollon Épikourios à Bassae, le stade d’Epidaure, l’île

de Délos, le site archéologique d'Olympie, les monastères de Daphni, de Hosios Loukas et Nea Moni de Chios, la

ville médiévale de Rhodes, le monastère et la ville de Patmos, la ville byzantine de Mystras, la vieille ville de Corfou

et, finalement, les deux biens mixtes des Météores et du Mont Athos.

En Grèce, la protection du patrimoine relève de l'État. La constitution grecque stipule que la protection du

patrimoine est une obligation et une responsabilité de l'État aussi bien qu'un droit civil. La loi en vigueur relative à

la protection des antiquités du patrimoine en date de 2002 a cherché à intégrer les principes fondamentaux des

conventions internationales sur les protections du patrimoine à la législation précédente, en prenant en compte

les particularités du riche patrimoine grec.

Cette loi intervient à la suite d'une série de lois antérieures, qui ont été promulguées dès la naissance de l'État

grec moderne en 1830. La préoccupation de protection de l'héritage culturel est donc ancienne et est aussi liée à

la formation de l'identité nationale.

Selon la loi mentionnée précédemment, tous les biens culturels se trouvant sur le territoire grec sont protégés,

quelles que soient la religion et la nationalité des personnes qui les ont créées.

La loi stipule encore que la protection du patrimoine doit primer sur toute autre action de développement urbain

ou rural. L'élaboration d’études d'impact sur l'environnement et l'évaluation des conséquences du développement

sur le patrimoine culturel est obligatoire. La loi prévoit également la localisation des sites archéologiques potentiels,

la conservation des antiquités in situ, lorsque cela est possible, la conservation intégrée des monuments, etc...

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Le patrimoine mondial est placé sous la responsabilité du ministère de la Culture et plus spécialement du service

archéologique qui comprend un service central et des services régionaux qui sont localisés sur tout le territoire

grec. Le service central se compose de diverses directions générales, comme celle des antiquités, de la restauration

et de la conservation, etc...

Les compétences de ce service comme celles des services régionaux sont réparties par périodes historiques. Ainsi

il y a une division pour les antiquités classiques et préhistoriques et une autre pour les antiquités byzantines ou

postbyzantines à laquelle j'appartiens par exemple.

Il existe aussi des organes scientifiques consultatifs ainsi que des conseils archéologiques régionaux et des

conseils archéologiques centraux. Bien évidemment le ministère de la Culture collabore avec les autres ministères

notamment avec le ministère de l'Environnement et des travaux publics.

Dans la mesure où la protection du patrimoine est exercée par le ministère de la Culture, le rôle des autorités

locales est très limité en Grèce. Cependant dans certains cas spécifiques que nous allons voir tout de suite, le

ministère encourage la réalisation de projets communs.

Dans ce cadre, les biens du patrimoine mondial bénéficient du plus haut niveau de protection que la loi grecque

peut offrir. Toutes les interventions sur les monuments ne peuvent se faire qu'après présentation d’études détaillées

qui doivent être examinées et approuvées par le conseil archéologique central - qui se situe au plus haut niveau

des organes consultatifs du ministère. Les décisions finales sont prises par le ministre.

Toute action relative aux monuments, leur environnement, leur usage ou leur administration doit suivre

la même procédure.

Cela va sans dire que tous les biens du patrimoine mondial possèdent des zones de protection dans lesquelles le

service archéologique contrôle la construction - qu’il s’agisse de constructions nouvelles, d’extensions ou de

modification d’usage des bâtiments historiques

Dans certains cas, les zones de protection sont « absolues ». Toute construction y est alors interdite. Naturellement

chaque bien culturel du patrimoine mondial est un cas particulier. Ainsi à Délos toute construction moderne est

interdite, alors qu’à Thessalonique, où les monuments se trouvent dans le centre de la ville moderne, on contrôle

seulement la hauteur et la forme des nouveaux bâtiments. Autour de l'acropole d'Athènes, on a unifié les sites

archéologiques créant ainsi un vaste parc archéologique en centre urbain ; à Mystras, il existe une zone de protec-

tion absolue et à Patmos seules les restaurations de maisons sont permises.

Le financement des travaux de restauration provient des revenus du fond de ressources archéologiques du ministère

de la Culture aussi bien que de l'Union européenne. On essaie désormais d'attirer des donations privées.

Pour faciliter la réalisation de projets à grande échelle, le ministère de la Culture a mis en place des institutions

privées qui ont leur propre personnel scientifique et technique et fonctionnent en collaboration avec les services

archéologiques régionaux et sous la surveillance du ministère.

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L'Acropole, le temple d'Apollon, Délos, Mystras et Rhodes sont concernés par cette mesure. Pour vous donner un

exemple concret de gestion d'un site grec du patrimoine mondial, je m'arrête sur le cas de la ville médiévale de

Rhodes inscrite sur la Liste du patrimoine mondial en 1988.

Rhodes est l'île principale du Dodécanèse. Compte tenu de son emplacement stratégique, la ville de Rhodes s’est

développée de façon importante de l'Antiquité jusqu'à nos jours. Les fouilles ont mis à jour la partie de la ville

ancienne et byzantine. Du XIVe siècle au premier quart du XVIe siècle, la ville fut occupée par l'ordre des

Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Elle a connu son plus grand essor pendant ces deux siècles, car la population

multinationale de l'ordre de Saint-Jean a mis Rhodes en contact économique, politique et culturel avec l'Occident

tout en continuant à cultiver ses relations avec l'Orient.

Rhodes fut finalement conquise par les Turcs en 1522 après un siège de plusieurs mois. La ville fortifiée occupe un

espace de 35 ha, le contour des murailles s'étend sur 3,5 Km, les murailles percées sur tous leurs contours par des

portes sont devancées par des avant murs et des fossés et sont renforcées par intervalles par des tours et des bastions.

Sur le point nord-ouest de la ville se trouve le palais du grand maître, le Castello, qui était le centre administratif

de la ville médiévale.

La ville est l’intéressant résultat de la fusion de deux cultures : celle de l'occident et celle de l’orient. Les monuments

conservés à l'intérieur de la ville sont les témoins de toutes ces périodes historiques. On y trouve des sites

archéologiques classiques, des églises byzantines et des églises de l'époque des chevaliers.

Avant son inscription sur la Liste du patrimoine mondial, le service archéologique avait constaté que la ville

médiévale nécessitait un traitement particulier.

Considérant qu'une ville entière ne peut être restaurée que grâce à la participation active et l'assistance de la

population locale, le ministère de la Culture a procédé à la signature d'un accord avec la municipalité de Rhodes.

En vertu de celui-ci un comité a été créé.

La réalisation du projet a été confiée à l'Office de la ville médiévale de Rhodes. Sa tâche a été de conduire des

études relatives non seulement à la restauration des monuments - vous voyez ici l’hospice de Sainte-Catherine

avant et après les restaurations -, mais aussi à l'amélioration des conditions de vie afin d’inciter les habitants à rester

en centre ville. Ainsi, des travaux d'infrastructures ont été réalisés (réseau de drainage, d'éclairage électrique, etc.).

On a également pris des mesures pour réguler le trafic routier dans les limites de la ville médiévale et le

stationnement à ses abords.

On a aussi fait l'inventaire des propriétés de la cité médiévale, de leurs usages – le but étant de contrôler autant

que possible les activités commerciales et de restreindre les activités gênantes.

Toutefois, la gestion du tourisme demeure une question difficile. Les tensions sont nombreuses dans une cité

déjà trop touristique.

Outre le plan de gestion, on a réalisé, en collaboration avec les universités, des études spécialisées sur les

matériaux des monuments.

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En 1998, une institution de droit privé a été créée, compte tenu de l’envergure des travaux, afin de pouvoir

administrer les crédits - dont une partie importante provenait de l'Union européenne. Cette institution a réalisé

des travaux visant à l'intégration des monuments dans le tissu urbain.

Mais sa tâche principale était la restauration des fortifications massives de Rhodes qui sont un très bon exemple

d'architecture militaire. Ces fortifications, construites au VIIe siècle, ont été renforcées et élargies pendant la

période byzantine. Elles ont cependant dû subir une érosion importante et ont souffert des bombardements des

alliés pendant la deuxième guerre mondiale.

Les restaurations menées ont permis de mettre un frein à la détérioration des fortifications et à restituer au public

un site archéologique très populaire.

Pour conclure, je dirais que le travail de restauration et de mise en valeur se poursuit, même si les résultats ne

sont pas toujours immédiatement visibles - je vous montre quelques travaux de restauration à Délos ou au

monastère de Daphni qui a souffert d'un tremblement de terre et la vieille forteresse de Corfou.

Toutefois à mesure que le temps passe et grâce à l'ouverture de nouveaux musées, aux expositions réalisées dans

le cadre des journées européennes du patrimoine et aux diverses manifestations culturelles qui sont organisées,

on constate que l'intérêt du public augmente. Le ministère cherche désormais à s’ assurer de la participation des

citoyens pour la protection du patrimoine ; de leur côté, les municipalités commencent à prendre conscience de

l’importance des monuments et de la nécessité impérieuse de collaborer avec le ministère pour lutter contre leur

exploitation inconsidérée.

Bien, j'espère que ce que je vous ai exposé illustre l'attachement de l’Etat grec au patrimoine mondial, mais aussi

au patrimoine grec en général. Je vous remercie pour votre attention.

Merci Madame BROUSKARI.

Monsieur l'ambassadeur, il est tout à fait significatif que Madame BROUSKARI, dans l'extraordinairepatrimoine grec, ait choisi quelques témoignages intéressants comme celui de Rhodes où lastratification historique peut permettre quelques comparaisons avec le Val de Loire où nousnous trouvons.Quelles sont les impressions fortes que vous en avez retirées en matière de plan de gestion etquels sont les enseignements que l'on doit garder et capitaliser pour nous-mêmes.

M. Jean MUSITELLILa première chose que je voudrais souligner, c'est qu’à travers l'exposé de Mme BROUSKARI on voit bien quelle

est l'extraordinaire propriété des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial. On va chercher en effet quels

peuvent être les éléments communs avec le Val de Loire. A priori ce n'est pas évident : nous avons là une série de

biens inscrits qui représentent un patrimoine classique, monumental, de pierre - c’était bien l’objet - et des

problèmes spécifiques liés à la nécessité de maintenir une population, un monument dans un ensemble vivant,

etc..

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Donc, la première impression que j'en retire, c’est qu’ il n’y a certainement pas un mode ou système de gestion

qui vaille pour l'ensemble des sites inscrits au patrimoine mondial - c'est d'ailleurs ce qui ressort de l'exposé de

Mme FUCHS. Ce que l'UNESCO attend c'est plutôt une obligation de résultat à travers la mise en œuvre de

moyens qui appartiennent à chacun des pays et à chacune des collectivités concernées. Ces moyens dépendent

à la fois de la nature du site et de la structure administrative du pays en question.

En matière de mise en œuvre de plan de gestion, je crois que l’on a deux difficultés contraires :

D'une part, un certain nombre de pays n'a pas de structures administratives suffisamment développées

ou de réglementations de protection du patrimoine suffisamment enracinées pour répondre à ce que sont les

exigences de l'UNESCO – et cela vaut pour un grand nombre de pays en développement en particulier, d'où la

nécessité d'avoir des formes de coopération dans ce domaine-là ;

Et puis la difficulté inverse : certains pays ont des réglementations très fortes, des systèmes administratifs

très structurés et qui risquent de ne pas permettre la prise en compte spécifique des besoins de gestion d’un site

particulier.

L'exemple parfait c'est le patrimoine du Val de Loire qui a su apporter la réponse parfaite si je peux dire, car ce

que l'on a cherché à faire, à travers un système de gestion complètement innovant, c’est transcender les divisions

administratives existantes pour apporter une réponse complètement originale à une question spécifique.

Et ça, je crois que c'est un élément important. Donc qu’il s'agisse de pierre, d'eau, de jardins ou de quoi que ce

soit, il faut trouver l'adéquation entre la réponse apportée en termes de gestion et la nature du problème posé.

Mais en amont de tout ça, il y a le fait – ce qui ressortait très bien également de l'exposé de Mme FUCHS - que

l'inscription n'est pas une fin en soi, que c’est vraiment le début d'un processus. S'il n'y a pas derrière un plan de

gestion, de valorisation, de protection, l’inscription n’a pas de sens.

Mais, c’est vrai que j'ai participé à beaucoup de pose de plaques sur des sites français inscris au patrimoine. Je

disais toujours « attention vous avez obtenu la reconnaissance, mais ce n'est pas une rente de situation, c'est un

contrat à honorer ». C'est un engagement qui effectivement nécessite une participation - ça a été dit également.

Il n'y a pas de système de gestion qui tienne s'il repose uniquement sur des lourdeurs administratives et s’il n'est

pas pris en compte par la population.

La meilleure protection, en dernière analyse, du patrimoine, c’est finalement l'amour que lui vouent les gens qui y

sont attachés et qui, au quotidien, sont là pour le protéger et le valoriser.

Et donc ,de ce point de vue, je dirais que tous les sites inscrits doivent être une sorte de laboratoire du patrimoine

mondial, fabriquer eux-mêmes leur propre expertise et, à travers les réseaux qui se mettent en place, essayer de

partager des expériences. C'est exactement ce que nous faisons aujourd'hui, donc c'est parfait.

Et bien ce contrat amoureux nous allons en chercher un deuxième exemple. Nous allons partirvers l’Europe centrale auprès d'un fleuve qui est aussi marquant dans la vie de la civilisationeuropéenne que l’est la Loire : il s’agit du Danube. Nous allons retrouver le Danube à Budapest grâce à l’intervention de M. Gabor SOOS qui nous arejoints ce matin. Il est chargé de mission relations internationales à l'Office national du patrimoine culturel et secrétaire de la commission hongroise du patrimoine mondial.

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Vous avez donc travaillé à Paris et aujourd'hui vous êtes retourné dans votre pays natal. A travers Budapest et le Danube, vous allez aborder un peu ce rapport au fleuve et à l'eau qui estle deuxième thème sur lequel la mission Val de Loire veut s'interroger et veut nourrir sa propreexpérience de l’expérience d'autrui.

M. Gabor SOOSMerci bien, bonjour Mesdames et Messieurs. Je voudrais exprimer ma gratitude et l'honneur que j'ai d’être invité à

cette table ronde, de partager notre expérience et de bien profiter de la vôtre aussi - car je dois avouer que la

situation que je vais présenter dans un instant, pose des questions auxquelles je crois, vous avez su mieux répondre

que nous, du moins jusqu'à présent.

Je suis content de m’exprimer après Mme BROUSKARI qui est intervenue sur le thème de la pierre. Je me permets

une petite mise au point parce que le Danube à Budapest pourrait aussi bien être présenté sous l'angle de la

pierre que de l’eau, car il s'agit effectivement d'un paysage urbain historique – paysage culturel avant la lettre, car

la notion de paysage culturel date des années 90 alors que le site de Budapest a été inscrit presque jour pour jour

il y a 20 ans, le 11 décembre 1987.

Je vais d'abord présenter le site, avant d’aborder les questions de sa gestion. Vous avez d’un côté Pest et de l’autre

Buda et Obuda. Ces trois villes ont été unifiées en 1872, il y a donc 135 ans et la situation géomorphologique fait

que l’on parle souvent d’amphithéâtre de Budapest.

En 1987, au moment de l’inscription, 1 % de la surface de la ville est inscrit. Sont distingués non seulement des

bâtiments, du patrimoine bâti, mais également le rapport entre spectateur et paysage, ainsi que le rapport entre

les éléments de ce paysage.

En ce qui concerne la thématique de la gestion, je voudrais vous faire partager nos interrogations, nos inquiétudes,

nos aspirations et peut-être même quelques regrets...

D'abord, je voudrais reprendre les propos de M. Jean MUSITELLI et de Céline FUCHS qui considèrent que le

système de gestion doit être perçu comme une réponse à une exigence. Effectivement, l’inscription est un

contrat à long terme.

Dans le cas de Budapest, le site inscrit se situe dans une grande agglomération, dans une capitale où la gestion

patrimoniale n'est pas le seul souci. Il faut également tenir compte du contexte administratif, politique et économique.

Il faut savoir que contrairement à la Grèce, nous n'avons pas de législation spécifique sur le patrimoine mondial.

Nous avons certes une législation sur le patrimoine culturel en général, mais aucune règle spécifique pour le

patrimoine mondial.

Mais pour appréhender au mieux la situation de Budapest, il faut passer en revue les étapes successives depuis

son inscription en 1987. Après la chute du mur de Berlin en 1990, on a adopté, dans l'euphorie du changement

de régime, une loi sur les municipalités qui a divisé Budapest en 23 arrondissements et a donné à chacun d’eux

une autonomie très forte.

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Neuf arrondissements sont directement concernés par l’inscription, car le site a été élargi en 2002.

Dans les années 90, il y a eu un développement urbain considérable sous l’impulsion des investisseurs et des

promoteurs immobiliers. Ce développement était certes important pour la ville, mais il a souvent donné lieu à des

erreurs et des difficultés en termes de gestion. Il y a un vieil adage dans le milieu professionnel du patrimoine qui

dit qu'il y a deux dangers qui guettent le patrimoine culturel : le manque d’argent et l’excès d'argent.

Notre enjeu principal pour la gestion du site est bien de faire en sorte que le patrimoine mondial devienne un

vecteur de développement et d’innovation tout en préservant les valeurs pour lesquelles le site a été inscrit.

Bien que l'on ait déjà un plan de gestion du site depuis 2004, nous n’avons toujours pas de structure de gestion,

pourtant indispensable dans une ville qui comptent 23 arrondissements autonomes.

Je voudrais m’arrêter quelques instants sur le projet d’élargissement des quais côté Buda. En effet, en 2004, la

municipalité a entrepris la construction d’un collecteur d'eaux usées et a pensé utile d’ajouter à ce projet une

route à quatre voies bordant les quais. Historiquement, les quais ont connu très tôt une activité commerçante et

de loisirs importante ; la ville à la fin du XIXe siècle s'est tournée vers le fleuve contribuant ainsi à la valorisation de

ses rives (on y a notamment construit des hôtels particuliers, l'Académie des sciences, le Parlement, etc.).

Mais dans les années 70, on a construit des routes à deux voies ouvrant ainsi aux voitures ce qui auparavant était

réservé aux vélos et aux promeneurs.

Ce nouveau projet de construction de route à quatre voies a soulevé beaucoup de réactions et ce sont les

associations qui ont pris l'initiative d’écrire à l’UNESCO.

En 2005, à l'invitation de l’État hongrois, l’UNESCO a donc dépêché une mission conjointe ICOMOS-UNESCO pour

examiner le projet. La délégation a recommandé de ne pas construire la route et de permettre un meilleur accès

de la ville au fleuve.

Depuis, des projets font régulièrement surface.

Un autre facteur qui joue dans cette histoire, est l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne en 2004 et l’accès

aux financements européens.

La conclusion, c’est qu’il nous faut vraiment trouver un système de gestion idoine qui nous permette d’agir en

amont plutôt qu’en réaction. Nous devons également essayer de mieux prendre en compte la dimension patrimoine

mondial dans le développement de la ville et l’intégrer dans la réalité des politiques urbaines.

Je voudrais quand même dire quelques mots sur un autre aspect de ce paysage, des valeurs dont on parle moins

souvent, mais qui à mon avis font partie intégrante du site : je veux parler de la dimension immatérielle de ce

paysage culturel urbain et notamment du fleuve Danube. Car si on insiste souvent sur le fait que le fleuve lie les

régions et les peuples, il faut aussi souligner l'aspect temporel de cette liaison, tel qu'elle s'exprime dans la

conscience collective.

Bien entendu tout fleuve a une histoire et l'histoire du Danube est riche et tourmentée.

Dans la poésie hongroise, c’est ATTILA József, dont la statue est d'ailleurs auprès du fleuve, qui a saisi de la façon la

plus synthétique et énigmatique la connexion que crée le fleuve entre l'espace et le temps.

Ainsi dans son poème intitulé « Le long du Danube » écrit en juin 1936, il écrit, assis sur le quai de pierre, au bout

du port d’où il voit le fleuve comme un tout, passé, présent et avenir. Il médite sur le lien entre les générations qui

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ont vécu auprès du fleuve :

« Nous nous connaissons comme la joie et la peine.

Je possède le passé, le présent leur appartient,

Nous écrivons ces vers, et ma plume, ils la tiennent.

Je suis sensible à leur présence et me souviens (…). »

Il médite à la fois sur la solidarité entre les générations et la solidarité entre les peuples, tour à tour vainqueurs ou

vaincus dans l'histoire du bassin des Carpates. Il écrit :

« Je suis le monde, tout ce qui fut est là :

Les hommes s'y affrontent,

Les conquérants morts triomphent en moi

et la peine des vaincus me tourmente (…) »

Tout ceci l’amène à souligner la vocation des peuples liés par le fleuve – ce qui je crois est fortement pertinent au

regard des objectifs de l'UNESCO

« Je veux me mettre à l'œuvre. C’est déjà une bataille à mener

Que d’avoir un passé tel que celui-ci à avouer,

Le grand combat que durent mener nos ancêtres autrefois

Saura se résoudre dans la paix

malgré le débat que se livrèrent les défunts avec le souvenir la paix saura les rejoindre(…) ».

Arrangez enfin nos affaires communes

c’est notre tâche et non la moindre.

Merci de votre témoignage et de la dimension imaginaire et onirique que vous avez su lui ajouter dans votre conclusion.C’est tout à fait intéressant , n’est-ce pas M. MUSITELLI, de rapprocher ces deux premières interventions. A travers l'exemple de Rhodes, on voit bien comment l'histoire commande letemps présent. A travers celui de Budapest, on sent que la vie moderne impose des choses, mais l'histoire est là aussi. Il y a là un accord essentiel à trouver entre ces deux dimensions.

M. Jean MUSITELLIOui, en effet à travers la présentation de M. SOOS on retrouve la problématique du fleuve, du fleuve en

centre-ville, du fleuve dans la ville et du fleuve dans la capitale avec la nécessité de prendre en compte cette

double dimension.

Ce que j'ai noté et que je trouve intéressant - mais c'est peut-être une interprétation excessive que je fais de son

propos - c’est que Budapest a été inscrite, il y a 20 ans, en tant que patrimoine culturel et non en tant que

paysage culturel. D'une certaine manière le développement des paysages culturels fluviaux a fait redécouvrir

l'importance du fleuve au cœur de ce patrimoine urbain.

C'est, d’une certaine manière, un « effet retour » positif de l'expérience Val de Loire. Et nous retrouvons ici, dans

des conditions qui sont totalement différentes, les mêmes types de problématiques qu’en Val de Loire :

La problématique de la domestication du fleuve. Vous avez parlé de la création des quais suite aux

inondations, comme on l’a fait à Paris, comme on l’a fait à Rome et comme on le fait dans la plupart des grandes

villes fluviales. Malheureusement, très souvent, les fleuves y ont perdu leur âme. Il y a sur ce sujet certainement

un bon dialogue à établir.

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Le problème du franchissement. Vous nous avez montré des ponts de Budapest, ces magnifiques ponts.

Il y a également des problèmes de franchissement de la Loire passés, présents et à venir me semble-t-il.

Là aussi, voilà matière à réflexion, parce que je ferai le lien entre les problèmes de franchissement et les

problèmes d'utilisation des berges. Vous avez bien montré comment dans les années de dynamisme immobilier

- les années 90 à Budapest et les années 60 à Paris - il y a eu la tentation de transformer les berges du fleuve en

autoroute urbaine. Une tentation qui s’est réalisée en partie à Paris même si cela n'a pas pris des dimensions

catastrophiques.

Et là sur ces questions, je crois que le label UNESCO peut être utilisé comme un levier pour rechercher et pour

imposer des solutions qui soient respectueuses du paysage. Il peut également faire en sorte qu'on ne poursuive

pas des entreprises aberrantes comme celles qu'on a connues dans les années 60.

Vous avez également évoqué un autre point commun : le risque de gestion émiettée d’un ensemble induit par le

partage des responsabilités entres différents arrondissements. Ici, en Val de Loire, nous avons cherché à y

répondre en créant cette structure de mission qui, sans se substituer aux responsabilités des différentes collectivités

territoriales ou circonscriptions de l’État intéressées, vient quand même apporter un mode de réponse original.

Tout ça me parait donc extrêmement intéressant parce que la conclusion provisoire que j'en tire c’est que la Liste

du patrimoine mondial ne doit surtout pas être une sorte de catalogue de brillantes exceptions, mais une sorte

de répertoire d'expériences partagées et partageables à partir desquelles, à travers un réseau et des problématiques

communes, se créent des formes d'échanges. Je crois que c’est cela qu’encore une fois aujourd'hui nous essayons

d'illustrer ; c'est cela qui fait aussi l’intérêt de cette notion de patrimoine mondial.

Si vous le voulez bien, nous allons maintenant écouter deux autres témoignages. Nous avons abordé le patrimoine

historique à travers la pierre, puis le rapport du fleuve et de la ville dans l’exemple de Budapest. Nous allons

maintenant envisager le végétal et le naturel à travers deux autres contributions, la première de M. Thomas WEISS

qui va nous parler des jardins de Dessau en Allemagne et la seconde, de Mme CORTEZ, qui parlera de quelque

chose que nous avons déjà évoqué lors de précédents rendez-vous du Val de Loire : la présence de la vigne dans

un paysage culturel vivant à travers celui du Haut Douro.

Si vous le voulez bien, nous allons maintenant écouter deux autres témoignages. Nous avonsabordé le patrimoine historique à travers la pierre, puis le rapport du fleuve et de la ville dansl’exemple de Budapest. Nous allons maintenant envisager le végétal et le naturel à travers deuxautres contributions, la première de M. Thomas WEISS qui va nous parler des jardins de Dessauen Allemagne et la seconde, de Mme Rosa CORTEZ, qui parlera de quelque chose que nousavons déjà évoqué lors de précédents rendez-vous du Val de Loire : la présence de la vigne dans un paysage culturel vivant à travers, celui du Haut Douro.

M. Thomas WEISS va s'exprimer en allemand, c’est Mme Sabine THILLAYE qui aura la gentillessede bien vouloir traduire ses propos. Je demanderai ensuite à Mme Rosa CORTEZ qui est directrice adjointe de la commission régionale Nord Portugal de prendre sa suite, et puis nous tirerons les enseignements de ces deux interventions.

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M. Thomas WEISSMesdames, Messieurs, je voudrais remercier les organisateurs de m'avoir invité aujourd'hui, je suis particulièrement

heureux d'être parmi vous, surtout au regard du partenariat qui lie depuis quelques années l’Allemagne avec

la Région Centre.

Contrairement à mes prédécesseurs, j’aimerais m’arrêter sur un exemple particulier : les jardins de Dessau Wörlitz.

Le Val de Loire et les Jardins de Dessau Wörlitz ont été inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO la

même année, en 2000. Ces deux sites ont en commun de combiner, dans des paysages fluviaux uniques, nature,

art et histoire - bien que la superficie du Val de Loire soit bien plus grande que celle des jardins de Dessau Wörlitz

qui sont situés entre Berlin et Leipzig.

Le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO a justifié le classement ainsi : « un exemple exceptionnel de

l’application des principes philosophiques du siècle des Lumières à la conception d’un paysage intégrant

harmonieusement art, éducation et économie ».

C’est la Fondation culturelle de Dessau Wörlitz qui gère les jardins - qui ont une superficie de 145 km2.

Notre travail peut être défini par deux phrases clés :

« Le renouveau sur des racines anciennes » ;

« Seule l’évolution constante permet de s'inscrire dans la durée ». - nous devons aussi accepter les évolutions.

L'objectif principal de la Fondation, de droit public, est d’assurer la sauvegarde et le développement des jardins de

Dessau Wörlitz, la conservation des châteaux, des parcs et des ensemble architecturaux.

La Fondation est propriétaire de plusieurs châteaux et parcs datant du XVIIe siècle et XIXe siècle, dont

Oranienbaum, le château de Mosigkau, le château de Wörlitz que vous connaissez sûrement, avec son jardin

anglais, le Luisium, ainsi qu’une centaine de bâtiments de moindre importance.

Nous favorisons évidemment l’ouverture des châteaux au public, mais nous envisageons également une utilisation

plus contemporaine des bâtiments, par exemple avec la mise en place d’un centre germano-néerlandais.

On s’interroge également sur le fait qu’un jardin puisse refléter un système politique ; on pense notamment aux

jardins du XVIIe siècle, les jardins baroques, qui reflètent l'absolutisme, les jardins anglais du XVIIIe siècle qui

reflètent l'époque des Lumières, mais est-ce qu'on peut imaginer un jardin du XXIe siècle qui illustre nos

démocraties sur les bases d'un jardin ancien ? C'est une thématique sur laquelle travaille la Fondation, et non

l’administration concernée par les monuments historiques.

En 2000 afin d'inventorier les jardins d’une manière exhaustive, les ministères de la Culture et de l'Économie ont

commandé et publié une étude intercommunale s'intitulant « inventaire et potentialité de développement de

l'infrastructure historique ».

Dans la continuité de ce travail pionnier et sur commande du ministère de la Culture, un plan directeur type,

exceptionnel en Allemagne, des monuments historiques et destiné à l'ensemble du pays, est en cours d'élaboration.

Les trois zones sont délimitées : les zones urbaines, les parcs historiques et les paysages ouverts situés entre ces

deux premières zones.

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L’inscription des jardins sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO exigeait la mise en place de ce plan directeur.

L'objectif du plan, tel que le définissait la mission initiale, consiste à fixer des directives générales, à orienter la

gestion et aider la prise des décisions des administrations régionales compétentes dans les domaines de la

protection, de l'entretien et du développement des jardins.

L'étude devrait permettre la publication d’un d'atlas des monuments historiques qui sera mis à disposition de

toutes les communes afin de les aider dans leur gestion quotidiennes.

Tous les ans, en parallèle à l'offre traditionnelle des jardins et châteaux qui jouissent d’une forte notoriété, un

programme spécifique et varié est mis en place d'avril à octobre.

Le problème, si vous me permettez d'évoquer un problème, c'est que le public qui vient nombreux se concentre

surtout sur les jardins de Wôrlitz, alors que nous aimerions une meilleure répartition.

La durée moyenne de séjour par personne et de 1,7 jour. Notre objectif est d’atteindre les trois jours - objectif que

nous essaierons d'obtenir par des mesures appropriées.

Depuis l'origine, la Fondation culturelle de Dessau Wörlitz accompagne ces évolutions, soutenue en cela par la

direction du patrimoine et de l'archéologie et d'autres administrations. La préoccupation principale de la

Fondation est de maintenir une adéquation entre nouvelles utilisations et fonctions d'origine.

Un exemple d'utilisation nouvelle d'un bâtiment historique en cohérence avec des besoins actuels, l’orangerie

Luisium est aujourd'hui utilisée comme une maison de vacances.

Et il y a d'autres petites maisons de ce genre parsemées dans les parcs et jardins que nous mettons à disposition

du public comme maisons de vacances - ce qui doit permettre également aux visiteurs d'apprécier et de mieux

découvrir le paysage.

Comme je vous le disais, ce paysage culturel est soumis à des modifications constantes, tant de la part de

l'homme que de la nature - la plus récente étant la crue séculaire de 2002.

La Fondation Dessau Wörlitz a reçu de l'État fédéral et du Land environ 27 millions d'euros pour la remise en état

des jardins et bâtiments qui devraient être terminée l'année prochaine.

Pour respecter le caractère historique des monuments, des solutions alternatives ont parfois été nécessaires ; les

digues seront ainsi remplacées dans le futur par l'utilisation des moyens de protection mobiles tels que des

tuyaux gonflables à l'air ou a l’eau. Les bâtiments qui se trouvent ainsi dans les zones inondables, devront toujours

dans le futur être protégés par ce genre d'outil mobile.

Parmi les missions plus traditionnelles d’une fondation culturelle, il y a, outre la sauvegarde des châteaux et jardins

pour les générations futures, la réalisation de travaux de recherche historique dont les résultats sont rendus

accessibles au public.

De plus, la concurrence avec des parcs de loisirs à laquelle s’ajoute la mobilité croissante d’une société qui ne

considère plus les jardins et châteaux historiques comme une destination de voyage exclusive, nécessitent une

stratégie de marketing adéquate à mener en concertation avec tous les partenaires de la région.

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Comme vous pouvez le voir sur cette image, cette stratégie de marketing ne vise pas seulement la promotion des

jardins de Dessau Wörlitz, mais également celle de deux autres sites du patrimoine mondial de l’UNESCO à

proximité - le Bahaus à Dessau, les monuments commémoratifs de Luther à Eisleben et Wittenberg – la réserve de

biosphère de Mittelelbe.

La mise en réseau, le développement durable, et une réflexion intergénérationnelle des responsables sont plus

que jamais nécessaires. Le processus d'évolution déjà évoqué qui garantit la pérennité de toute chose induit

également une réflexion quant à la stabilité des moyens financiers.

Il y a trois ans après une décision gouvernementale et afin de pouvoir répondre à ses objectifs statutaires, la

Fondation s'est vue restituer un important patrimoine foncier exploitable d'une superficie de 7000 ha - 4000 ha

de forêt et 3000 ha de terres agricoles.

Cela ne garantit pas uniquement des revenus plus importants issus du fermage et de l'exploitation forestière,

mais permet également de sensibiliser la population locale à un comportement en phase avec leur territoire.

Les sources de financement actuelles suivent le modèle classique, c'est-à-dire qu'elles dépendent exclusivement

de l'État fédéral et du Land. Ces conditions vont changer suite au désengagement progressif de l'institution

étatique. Les fondations de droit public en Allemagne vont devoir réfléchir à d’autres moyens de remplir leurs

objectifs statutaires.

La Fondation essaye d'augmenter régulièrement ses fonds propres, ce qui devrait lui permettre de faire face à des

déficits de financement public à moyen et à long terme.

Je vous remercie pour votre attention.

Merci M. Weiss.

Mme Rosa CORTEZJe vais vous parler de la vallée du Douro qui est une région du Portugal qui inclut un site du patrimoine mondial

culturel et paysager : les vignobles.

C'est la première région de production viticole réglementée du monde, inscrite au patrimoine mondial depuis 2001.

La vallée du Douro a une autre particularité : elle compte deux sites de l'UNESCO, les vignobles et le site des

gravures préhistoriques de la vallée de Côa qui a été inscrit en 1998.

C'est un espace touristique exceptionnel qui attire beaucoup d'investissements privés.

En revanche, la population résidante est en décroissance de 7% sur les 10 dernières années avec 221 000 habitants.

Les indices de vieillissement sont très élevés et les niveaux de qualification des populations très faibles.

En résumé nous sommes, en présence d'un paradoxe : la région doit faire face à un sérieux problème

socio-économique alors qu’elle possède un énorme potentiel de développement économique - notamment en

matière touristique.

La vallée de Douro couvre 250 000 ha dont 48 000 de vignobles - qui représentent environ 17 % de la vigne

européenne de flanc.

C’est là qu’est produit le plus fameux vin du Portugal, le vin de Porto et qu’est généré le plus gros chiffre d’affaire

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lié à la viticulture avec près de 473 millions d'euros. Le vin de Porto avec un chiffre d'affaires de 400 millions

d'euros représente à lui seul près d'un tiers des exportations de vins portugais et est commercialisé sur

106 marchés internationaux.

La vallée de Douro possède également un vaste patrimoine historique et culturel dont les figures préhistoriques

de la vallée de Côa, les châteaux, les églises, les monastères et d'autres sites classés eux aussi pour leurs valeurs

naturelles et paysagères.

La deuxième ressource majeure de la vallée c’est le fleuve Douro lui-même. C'est un des plus grands de la péninsule

ibérique avec 900 km de long. Il prend sa source en Espagne dans la province de Côa et se jette dans l’océan à

Porto. C'est un élément essentiel dans le paysage et un important facteur de développement économique

(il existe plusieurs entreprises de croisières touristiques qui opèrent sur le fleuve Douro).

La vallée du Douro est paysage culturel, évolutif et vivant, témoin d'une tradition culturelle ancienne et

simultanément d'une civilisation contemporaine dont l’activité se concentre autour d’une viticulture de qualité

développée dans des conditions environnementales difficiles.

La région est l’œuvre de l’action conjuguée de l'homme et de la nature et le résultat d'un processus séculaire

d'adaptation de techniques et de savoirs spécifiques à la culture de la vigne en milieu contraint.

En résumé, les principales ressources de la région sont le tourisme de nature, historique et culturel et, naturellement,

l’oenotourisme.

Nous avons un problème : nous avons des ressources, des plans de gestion, mais nous n'avons pas de fonds

d'organisation.

Nous avons adopté un plan intercommunal d'aménagement du territoire qui a été achevé en 2003 et qui avait

comme objectif la sauvegarde et l’évolution des paysages culturels viticoles du Douro. Il incluait des orientations

stratégiques, ainsi qu’un programme d'actions afin de permettre la gestion de cette zone et la réglementation des

bonnes pratiques agricoles face aux problèmes de décroissance et de vieillissement de la population.

Ce plan-là inclut aussi un accord de coopération des 13 municipalités concernées par l’inscription des vignobles.

Nous avons des projets très ambitieux pour le développement de cette région :

Conserver les ressources culturelles et naturelles - bases du développement du territoire,

Favoriser des projets de création des infrastructures nécessaires au développement de la région,

Stimuler et appuyer les investissements touristiques privés,

Promouvoir les planifications à même de garantir le développement durable.

Il existe trois niveaux de plans de gestion pour ce territoire. La région n’existe pas en tant que collectivité autonome,

elle dépend toujours de l'administration centrale :

Au niveau national, il existe un programme de politique d'aménagement du territoire et un plan stratégique

national du tourisme. Au regard de ce plan, la vallée de Douro est considérée comme un site prioritaire.

Au niveau régional, nous sommes en train de terminer l'élaboration du plan régional d'aménagement du

territoire. Nous avons également le plan intercommunal d'aménagement du territoire, le plan touristique de la

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vallée du Douro, des plans spécifiques de gestion des bassins hydrographiques et des réservoirs d'eau.

Et nous avons au niveau local les plans directeurs municipaux.

Comme vous pouvez le voir, il existe de nombreux plans qui impliquent diverses entités et institutions. Il est donc

très difficile de tout coordonner.

Pour remédier à cela et afin de promouvoir un processus de développement harmonieux de la région du Douro,

le gouvernement portugais a récemment pris une position politique à ce sujet en créant une structure de mission

pour la région du Douro, lors de son conseil des ministres de 2006, présidé par le président de la Commission de

coordination et de développement de la région du nord.

En accord avec cette résolution gouvernementale, les objectifs de la structure de mission sont :

Stimuler la situation et le développement de façon intégrée,

Promouvoir l'articulation entre l'administration centrale et locale qui a compétence dans la région,

Encourager la participation de la société civile.

Donc, dynamisme, partenariat, intégration et articulation sont des éléments clés pour développer la région du

Douro de manière durable et coordonnée.

Pour conclure, je dirai que la vallée du Douro avec son statut de patrimoine mondial exige un travail intensif et

continu qui doit être partagé par tous ceux qui participent au processus de développement d'une région qui

constitue une valeur universelle.

Merci.

Merci Mme CORTEZ

Alors M. MUSITELLI tirons maintenant les conclusions de tout ceci. Dans les deux témoignagesqui viennent de nous être donnés nous retrouvons donc l'idée de la gestion d'un paysage culturelvivant, à travers la capacité d'ordonnancer la nature dans l'art des jardins et celui de vivre et dese nourrir de la nature à travers la viticulture.

Quels enseignements tirez-vous de ce qui vient de nous être dit par rapport à la préoccupationqui est la nôtre dans cette table ronde ?

M. Jean MUSITELLICe n'est pas évident de conclure parce que les deux interventions ont été riches, et chacune focalisée sur un

aspect particulier. Mais à propos de cette notion de patrimoine vivant, ce qui m'a frappé, notamment chez les

deux derniers intervenants, c'est la volonté d'inscrire dans la durée chacun de ces sites et donc de bien montrer,

qu'effectivement, quand on s'engage dans un exercice de gestion, cela signifie que l'on s'engage pour très longtemps.

C'est une bonne façon de répondre à un certain nombre de questions, notamment ce que signalait

Mme CORTEZ sur le fait que des sites comme le Douro doivent, à travers l'inscription, trouver des formes de gestion

durable qui permettent de compenser des évolutions socio - géologiques qui peuvent être nuisibles à la

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pérennité des sites en question.

Donc, je crois que c'est important à prendre en considération, il n'y a pas de gestion sans projection dans la durée

- je crois que dans le Val de Loire c’est une dimension qui est déjà très largement prise en compte.

Ce qui me paraît bien ressortir aussi de ces interventions, c'est que le patrimoine est vraiment un catalyseur

d'identité - mais je dirais catalyseur d'identité au bon sens du terme. Je ne suis pas un fanatique de l'identité, mais

c'est vrai que le patrimoine suscite une forme de sentiment d'appartenance qui, s'il est bien orienté et bien géré,

ne s'assimile pas à des formes de nostalgie passéiste et surtout moins encore à des formes de repli sur soi. C'est

important de conserver cette dimension de coopération, d'ouverture internationale qui est vraiment le meilleur

antidote à toute forme de repli sur soi.

Parce que c'est l'esprit même de la convention de 1972. La convention de 1972 n'a pas été faite pour réaliser un

gigantesque catalogue des merveilles de la création humaine - même si ça revient un peu à ça. Elle a été conçue

comme un instrument de solidarité pour préserver le patrimoine mondial, c'est-à-dire quelque chose qui est sous

la protection de la communauté internationale, de l'ensemble des humains. Cela ne peut se faire qu’à travers des

formes de solidarité internationale de redistribution qui sont vraiment un moteur essentiel.

Pour cela il faut que l'on dispose des laboratoires que sont chacun de nos sites, d'un stock d'expériences, de bonnes

pratiques qui sont élaborées en réponse aux questions, aux défis que chacun se pose - là je crois que l'on est

vraiment en plein de ce que sont l'esprit et la lettre de la convention de 1972.

Cette identité, positive dans sa façon de s’ouvrir sur les autres, j'ai pu observer à quel point elle avait été pour

le Val de Loire, y compris peut-être dans les conditions un petit peu tumultueuses de l’inscription, un facteur

de rayonnement.

De ce point de vue, il est intéressant de remarquer que, le patrimoine c'est aussi une école du regard, c'est

quelque chose qui apprend à voir. Moi, pendant des décennies, j’ai franchi la Loire, mais je n’ai pas vraiment vu

ce qu'il y avait sur ses berges. J'ai vu des villes magnifiques, j’ai vu des châteaux, j'ai vu des parcs, mais je n'avais

jamais regardé vraiment la Loire avant cette expérience.

Et ça, c'est évidemment le côté éducatif. Il faut certes que les populations aiment leur patrimoine, mais il faut

aussi les aider à en comprendre la valeur, les aider à le lire, faire en sorte qu’elles ne soient pas analphabètes dans

la lecture du paysage comme on peut l'être dans la lecture d'un livre.

Justement M. MUSITELLI, il y a sept ans quand vous avez défendu ce dossier, ce concept de patrimoine culturel vivant, est-ce que vous imaginiez que peut être vous étiez en train de créerlà une école du monde de demain ? On vient de vivre cette dernière année des choses étonnantes ;on est passé presque dans un nouveau paradis du développement qui est celui du développementdurable. Il y a là aujourd'hui un nouveau rapport qui doit s'établir avec le monde, avec la nature.

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M. Jean MUSITELLIOui, je crois que c'est une chance à saisir, c'est vraiment un atout dont il faut s'emparer.

Les contributions qui ont été faites, il faut les prendre comme dans les livres. Il faut les prendre comme des

laboratoires dans lesquels s'élaborent des expériences innovantes en grandeur réelle et qui effectivement sont

réplicables. A travers ça, je crois que ce qui apparaît c'est une lecture nouvelle du territoire et, bien entendu, du

paysage et de sa gestion durable, fondée sur un équilibre dynamique entre des activités humaines qui doivent

continuer à se développer, qu'elles soient économiques, touristiques, culturelles. Il s’agit également d’un nouveau

respect du territoire et du paysage.

On va même un peu au-delà de ce que sont les objectifs du patrimoine mondial, mais en même temps on

enrichit la conception en montrant qu'on n’est pas dans une vision monumentale, « patrimoniale » au sens

ancien. On s’inscrit dans une logique de développement durable, du vivant et dans une certaine intelligence au

monde, un certain rapport entre les habitants et leur environnement naturel.

De ce point de vue là je crois que c'est vraiment une expérience très prometteuse lorsque, bien entendu, elle est

envisagée avec une vision aussi ambitieuse que celle qu'on essaie de mettre en œuvre ici.

C’est la première fois que dans ces Rendez-vous du Val de Loire nous avons un peu quitté le périmètre du territoire inscrit pour regarder, pendant toute une matinée à l'extérieur afin depouvoir faire notre profit des savoirs et des expériences acquises par d'autres.

Alors, je voudrais remercier tous ceux qui se sont exprimés au titre des quatre pays et je vousremercie aussi Monsieur l'Ambassadeur pour la synthèse que vous avez réalisée de ces différentes interventions.

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