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pratique | biochimie 16 OptionBio | Lundi 22 mars 2010 | n° 433 D e plus en plus souvent, la mesure de la ferritine circulante est prescrite dans des bilans biologiques de routine. À juste titre ? C’est un tableau d’asthénie chronique qui conduit généralement le clinicien à demander ce dosage. Si l’hypoferritinémie oriente effec- tivement vers une carence martiale, l’inverse n’est pas systématiquement vrai, et l’interpré- tation demande alors une démarche rationnelle du clinicien, guidée par la clinique et le conseil du biologiste. Mécanisme physiologique La perte de l’organisme en fer n’étant pas régu- lable, la régulation se fait donc par le biais de l’absorption. En 2002, il est mis en évidence que l’hepcidine régule la sortie du fer de l’enté- rocyte et du macrophage dans le sens d’une baisse du fer biodisponible, une diminution de la saturation de la transferrine et donc dans le sens d’une diminution du stock. Normalement, l’entérocyte “exporte” le fer issu de l’absorption intestinale et le macrophage “exporte” le fer issu quant à lui du recyclage de l’hémoglo- bine. La ferroportine, présente sur la surface membranaire des entérocytes et macrophages, assure ce rôle d’exporteur. Ce fer est alors pris en charge par la transferrine et stocké dans le foie sous forme de ferritine. L’hepcidine, en induisant l’internalisation et la dégradation de la ferroportine, limite la quantité de fer dans l’organisme. Que faire devant une hyperferritinémie ? Il faut tout d’abord s’assurer que le taux mesuré correspond bien à une hyperferritinémie. Les valeurs de référence peuvent en effet être varia- bles selon les trousses de dosage, mais aussi selon le sexe et l’âge des patients : un taux de 180 μg/L peut être une hyperferritinémie s’il est mesuré chez une femme avec des cycles menstruels, ou normal s’il est mesuré chez un homme. Comme toujours, l’interprétation ne doit jamais être déconnectée du contexte clinique. L’asthénie chronique, généralement à l’origine de la pres- cription, peut être associée à une arthropathie ou une hépatopathie, plus rarement à une anomalie du métabolisme des sucres. Il faut alors commencer par rechercher les causes simples, qui sont les plus fréquemment rencon- trées, avec des tests biologiques simples, traiter, puis contrôler. Le syndrome inflammatoire Le syndrome inflammatoire est la cause la plus fréquente : 30 à 40 % des hyperferritinémies sont d’origine inflammatoire. L’interleukine 6 (IL-6) agit sur l’hepcidine, provoquant une baisse de la saturation de la transferrine et une accumulation de fer dans les cellules. Dans ce cas, le fer et la saturation de la transferrine sont généralement diminués... mais pas toujours ; ici le dosage de la protéine C réactive (CRP) est incontournable. Comment interpréter une hyperferritinémie ? L’interprétation d’une hyperferritinémie nécessite une démarche rationnelle du clinicien, guidé par le biologiste. Après élimination des étiologies les plus fréquentes, plus ou moins associées (syndrome inflammatoire, lyse cellulaire, alcool, syndrome métabolique), la saturation de la transferrine constitue l’examen pivot de l’exploration. Tableau I. Principales hyperferritinémies génétiques Hyperferritinémies génétiques Chromosome Transmission Début Saturation de la transferrine Signes majeurs Sans surcharge hépatique en fer Mutation L-ferritine L-Ferritine (19q13) Dominante Adulte jeune Normale Œil (cataracte inconstante) Avec surcharge hépatique en fer Hémochromatose type 1 HFE (6p21, 3) Récessive Adulte Élevée ++ Articulations Foie (cirrhose, cancer) Hémochromatose juvénile type 2A Hémojuvéline (1p21) Récessive Adulte jeune Élevée ++ Cœur Foie (cirrhose++) Glandes endocrines (diabète, hypogonadisme) Hémochromatose juvénile type 2B Hepcidine (19q13, 1) Récessive Adulte jeune Élevée ++ Cœur Foie (cirrhose++) Glandes endocrines (diabète, hypogonadisme) Hémochromatose type 3 Récepteur transferrine 2 (7q22) Récessive Adulte Élevée ++ Foie Hémochromatose type 4B Maladie de la ferroportine type B SLC40A1 (2q32) Dominante Adulte Élevée ++ Foie (surcharge hépatocytaire, risque cirrhose) Hémochromatose type 4A Maladie de la ferroportine type A SLC40A1 (2q32) Dominante Adulte Normale ou peu élevée Foie (surcharge kupfférienne sans risque cirrhose) A(hypo)céruléoplasminémie Céruléoplasmine (3q23-q25) Récessive Adulte Normale ou diminuée Système nerveux central Pancréas (diabète) Foie (sans cirrhose) A(hypo)transferrinémie Transferrine (3q21) Récessive Enfant Élevée Anémie Dimetal transporter 1 SLC11A2 (12q49, 66) Récessive Enfant Élevée Anémie

Comment interpréter une hyperferritinémie ?

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16 OptionBio | Lundi 22 mars 2010 | n° 433

De plus en plus souvent, la mesure de la ferritine circulante est prescrite dans des bilans biologiques de routine. À juste

titre ? C’est un tableau d’asthénie chronique qui conduit généralement le clinicien à demander ce dosage. Si l’hypoferritinémie oriente effec-tivement vers une carence martiale, l’inverse n’est pas systématiquement vrai, et l’interpré-tation demande alors une démarche rationnelle du clinicien, guidée par la clinique et le conseil du biologiste.

Mécanisme physiologiqueLa perte de l’organisme en fer n’étant pas régu-lable, la régulation se fait donc par le biais de l’absorption. En 2002, il est mis en évidence que l’hepcidine régule la sortie du fer de l’enté-rocyte et du macrophage dans le sens d’une baisse du fer biodisponible, une diminution de la saturation de la transferrine et donc dans le sens d’une diminution du stock. Normalement, l’entérocyte “exporte” le fer issu de l’absorption

intestinale et le macrophage “exporte” le fer issu quant à lui du recyclage de l’hémoglo-bine. La ferroportine, présente sur la surface membranaire des entérocytes et macrophages, assure ce rôle d’exporteur. Ce fer est alors pris en charge par la transferrine et stocké dans le foie sous forme de ferritine. L’hepcidine, en induisant l’internalisation et la dégradation de la ferroportine, limite la quantité de fer dans l’organisme.

Que faire devant une hyperferritinémie ?Il faut tout d’abord s’assurer que le taux mesuré correspond bien à une hyperferritinémie. Les valeurs de référence peuvent en effet être varia-bles selon les trousses de dosage, mais aussi selon le sexe et l’âge des patients : un taux de 180 μg/L peut être une hyperferritinémie s’il est mesuré chez une femme avec des cycles menstruels, ou normal s’il est mesuré chez un homme.

Comme toujours, l’interprétation ne doit jamais être déconnectée du contexte clinique. L’asthénie chronique, généralement à l’origine de la pres-cription, peut être associée à une arthropathie ou une hépatopathie, plus rarement à une anomalie du métabolisme des sucres.Il faut alors commencer par rechercher les causes simples, qui sont les plus fréquemment rencon-trées, avec des tests biologiques simples, traiter, puis contrôler.

Le syndrome inflammatoireLe syndrome inflammatoire est la cause la plus fréquente : 30 à 40 % des hyperferritinémies sont d’origine inflammatoire. L’interleukine 6 (IL-6) agit sur l’hepcidine, provoquant une baisse de la saturation de la transferrine et une accumulation de fer dans les cellules. Dans ce cas, le fer et la saturation de la transferrine sont généralement diminués... mais pas toujours ; ici le dosage de la protéine C réactive (CRP) est incontournable.

Comment interpréter une hyperferritinémie ?

L’interprétation d’une hyperferritinémie nécessite une démarche rationnelle du clinicien, guidé par le biologiste. Après élimination des étiologies les plus fréquentes, plus ou moins associées (syndrome inflammatoire, lyse cellulaire, alcool, syndrome métabolique), la saturation de la transferrine constitue l’examen pivot de l’exploration.

Tableau I. Principales hyperferritinémies génétiquesHyperferritinémies génétiques Chromosome Transmission Début Saturation de la transferrine Signes majeurs

Sans surcharge hépatique en fer

Mutation L-ferritine L-Ferritine (19q13) Dominante Adulte jeune Normale Œil (cataracte inconstante)

Avec surcharge hépatique en fer

Hémochromatose type 1 HFE (6p21, 3) Récessive Adulte Élevée ++ Articulations Foie (cirrhose, cancer)

Hémochromatose juvénile type 2A Hémojuvéline (1p21) Récessive Adulte jeune Élevée ++ Cœur Foie (cirrhose++) Glandes endocrines (diabète, hypogonadisme)

Hémochromatose juvénile type 2B Hepcidine (19q13, 1) Récessive Adulte jeune Élevée ++ Cœur Foie (cirrhose++) Glandes endocrines (diabète, hypogonadisme)

Hémochromatose type 3 Récepteur transferrine 2 (7q22)

Récessive Adulte Élevée ++ Foie

Hémochromatose type 4B Maladie de la ferroportine type B

SLC40A1 (2q32) Dominante Adulte Élevée ++ Foie (surcharge hépatocytaire, risque cirrhose)

Hémochromatose type 4A Maladie de la ferroportine type A

SLC40A1 (2q32) Dominante Adulte Normale ou peu élevée Foie (surcharge kupfférienne sans risque cirrhose)

A(hypo)céruléoplasminémie Céruléoplasmine (3q23-q25)

Récessive Adulte Normale ou diminuée Système nerveux central Pancréas (diabète) Foie (sans cirrhose)

A(hypo)transferrinémie Transferrine (3q21) Récessive Enfant Élevée Anémie

Dimetal transporter 1 SLC11A2 (12q49, 66) Récessive Enfant Élevée Anémie

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La lyse cellulaireLa deuxième cause d’hyperferritinémie est la lyse cellulaire. L’élévation de la ferritine est considérée comme directement proportionnelle à l’intensité de la lyse, et cela quelle que soit son origine. Elle est généralement identifiée du fait du contexte clinique, du bilan des transaminases, des CPK, et d’une numération sanguine.

L’alcoolLe rôle de l’alcool est multiple : stimulation de la production de ferritine, cytolyse, réduction de la synthèse d’hepcidine. Dans ce cas, l’interroga-toire et la biologie sont souvent capricieux, seul le test de sevrage est pertinent : au bout de 15 j de sevrage, la ferritine sera fortement diminuée.

Le syndrome métaboliqueL’hyperferritinémie est généralement modérée, proportionnelle au degré d’insulinorésistance. Les mécanismes sont complexes et l’examen clinique témoigne souvent ici d’un foie dit “de surcharge”, hyperéchogène. Il est à noter que cette surcharge concerne les graisses (responsables de l’échogé-nicité) et non le fer. La perte de poids entraîne une diminution de la ferritinémie.

Face à la saturation de la transferrineSi les causes les plus fréquentes, plus ou moins associées, sont écartées, c’est-à-dire notamment s’il y a maintien de l’hyperferritinémie, la satura-tion de la transferrine est alors l’examen pivot de l’exploration. Là comme pour la plupart des analy-ses, la maîtrise des conditions préanalytiques est un corollaire indispensable à un résultat fiable : personne à jeun, prélevée sur place, et transferrine préférentiellement dosée par néphélométrie.

La saturation de la transferrine est élevéeLe phénotype d’hémochromatose est lié à une carence en hepcidine, responsable d’une augmen-tation du fer et de la saturation de la transferrine ; du fer non lié apparaît entre les cellules parenchy-mateuses, aboutissant à une hémochromatose.

maladie hépatique

chronique, l’insuffisance hépatocellulaire peut être responsable d’une surcharge en fer, induite par une transferrine circulante basse et une réduction de production d’hepcidine. Si l’origine de la cirrhose est connue, la recherche d’une cause génétique est inutile.

hémochromatose génétique est tout à fait justifiée si le patient ne présente pas de pathologie hépatique évoluée et après avoir écarté une dysmyélopoïèse compensée. Il s’agit dans ce dernier cas de personnes âgées présen-tant une anémie, une macrocytose. Le diagnostic différentiel d’une hémochromatose avec une dys-myélopoïèse ou une cirrhose est une distribution hétérogène du fer d’un nodule à l’autre.Le diagnostic d’hémochromatose HFE est posé si la recherche d’une homozygotie C282Y sur le gène HFE est positive. Dans le cas contraire, une enquête pour rechercher une hémochromatose non HFE pourra être menée par un centre de réfé-rence en matière de surcharges en fer. Chez un patient jeune, il pourra s’agir d’une mutation du gène de l’hémojuvéline ou de l’hepcidine, chez le patient plus âgé d’une atteinte du gène du récep-teur de la transferrine 2, et encore plus rarement d’une mutation touchant le gène de la ferroportine de type B.Il est important de se rappeler que, d’une part, la vie de l’hémochromatose n’est pas linéaire, et que, d’autre part, il existe des facteurs modulateurs

comme l’alimentation, les syndromes inflamma-toire, métabolique... qui peuvent expliquer éven-tuellement une valeur normale voire abaissée de la saturation de la transferrine (du fait de l’aug-mentation de production d’hepcidine).

La saturation de la transferrine est normale ou basseLe point important est, dans le cas d’une satura-tion de la transferrine normale ou basse, d’iden-tifier s’il existe une surcharge martiale. Seule l’IRM hépatique, associée à la biopsie hépatique, permet de conclure à une vraie surcharge mar-tiale. Le fer provoque un hyposignal magnétique, le noircissement est proportionnel à la surcharge, et l’on admet que la surcharge est proportionnelle au stock en fer de l’organisme. La biopsie permet de situer le compartiment hépatique en cause.Une surcharge modérée est plutôt en faveur d’une hépatosidérose dysmétabolique. Une surcharge marquée peut justifier d’une recherche de muta-tion du gène de la ferroportine de type A, ou du gène de la céruléoplasmine.Enfin, si aucune surcharge n’est mise en évi-dence, des causes exceptionnelles d’hyperfér-ritinémie seront évoquées, secondaires à une maladie de Gaucher, une dysthyroïdie ou un cancer, ou génétiques par mutation du gène de la L-ferritine. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication d’Y. Deugnier, lors des 51es Journées de biologie clinique, Paris, février 2009.