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COMMENT REGARDER UNE ŒUVRE D'ART ETUDE D'UN TABLEAU - Il n'y a, évidemment, pas une seule façon de découvrir une œuvre d'art. Voici une "trame" parmi celles qui sont possibles. Mais quelque soit la méthode choisie, il est très important, au Musée ou en classe de prévoir un premier temps (une à deux minutes) d'observation silencieuse afin que le spectateur s'approprie l'œuvre que l'on va étudier. - Nous vous proposons la démarche suivante pour aborder l'étude d'une œuvre d'art : essayer d'aller d'une perception globale, directement compréhensible au premier regard, vers une approche de plus en plus détaillée. Puis, terminer en prenant du recul pour une nouvelle perception de l'œuvre d'art. I- DU THEME PERÇU AU THEME EXPRIME 1) Etablir d'entrée de jeu un dialogue avec les élèves pour leur faire dire ce qu'ils perçoivent au premier regard : nombre de personnages, éléments du décor (objets, éléments architecturaux ou végétaux)... 2) Après cette découverte initiale, chercher le pourquoi de ce rassemblement d'éléments. Chaque fois que cela est nécessaire, rappeler l'événement qui a inspiré le peintre (par exemple : sujet religieux, mythologique, à dimension historique ou littéraire) ; si besoin, raconter brièvement l'épisode (par exemple : le thème biblique pour Moïse sauvé des eaux de Véronèse...). Naturellement, on repérera les "signes de reconnaissance" : ailes pour les anges, attributs des Saints (exemple : tour pour Sainte-Barbe, lion pour Saint-Jérôme...) pieds ailés pour Hermès... 3) Si possible (selon l'âge des enfants) expliquer, au-delà des apparences, le sens latent d'une œuvre, par exemple l'importance des natures mortes en Hollande au XVIIe siècle (reflet de la vie de société ; symbolisme caché) ; la signification politique d'une scène de bataille... 4) Enfin situer le tableau dans son cadre historique : Connaît-on l'auteur ? Quelle est la date de l'œuvre ? Si possible, replacer l'œuvre dans la production, l'évolution de l'artiste : choix du genre par rapport à l'époque et par rapport à l'œuvre de l'artiste; s'agit-il d'une "commande" ? pour un lieu précis ? (église, couvent). suggestion comparer le tableau étudié avec un autre tableau traitant du même sujet mais à une époque différente, ou avec une autre peinture du même artiste. II - DE L'ENSEMBLE AUX DETAILS 1) Les dimensions de l'œuvre. 2) La composition

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COMMENT REGARDER UNE ŒUVRE D'ART ETUDE D'UN TABLEAU

- Il n'y a, évidemment, pas une seule façon de découvrir une œuvre d'art. Voici une "trame" parmi celles qui sont possibles. Mais quelque soit la méthode choisie, il est très important, au Musée ou en classe de prévoir un premier temps (une à deux minutes) d'observation silencieuse afin que le spectateur s'approprie l'œuvre que l'on va étudier.

- Nous vous proposons la démarche suivante pour aborder l'étude d'une œuvre d'art : essayer d'aller d'une perception globale, directement compréhensible au premier regard, vers une approche de plus en plus détaillée. Puis, terminer en prenant du recul pour une nouvelle perception de l'œuvre d'art.

I- DU THEME PERÇU AU THEME EXPRIME

1) Etablir d'entrée de jeu un dialogue avec les élèves pour leur faire dire ce qu'ils perçoivent au premier regard : nombre de personnages, éléments du décor (objets, éléments architecturaux ou végétaux)...

2) Après cette découverte initiale, chercher le pourquoi de ce rassemblement d'éléments. Chaque fois que cela est nécessaire, rappeler l'événement qui a inspiré le peintre (par exemple : sujet religieux, mythologique, à dimension historique ou littéraire) ; si besoin, raconter brièvement l'épisode (par exemple : le thème biblique pour Moïse sauvé des eaux de Véronèse...). Naturellement, on repérera les "signes de reconnaissance" : ailes pour les anges, attributs des Saints (exemple : tour pour Sainte-Barbe, lion pour Saint-Jérôme...) pieds ailés pour Hermès...

3) Si possible (selon l'âge des enfants) expliquer, au-delà des apparences, le sens latent d'une œuvre, par exemple l'importance des natures mortes en Hollande au XVIIe siècle (reflet de la vie de société ; symbolisme caché) ; la signification politique d'une scène de bataille...

4) Enfin situer le tableau dans son cadre historique : Connaît-on l'auteur ? Quelle est la date de l'œuvre ?

Si possible, replacer l'œuvre dans la production, l'évolution de l'artiste : choix du genre par rapport à l'époque et par rapport à l'œuvre de l'artiste; s'agit-il d'une "commande" ? pour un lieu précis ? (église, couvent).

suggestion

comparer le tableau étudié avec un autre tableau traitant du même sujet mais à une époque différente, ou avec une autre peinture du même artiste.

II - DE L'ENSEMBLE AUX DETAILS

1) Les dimensions de l'œuvre.

2) La composition

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- organisation générale du tableau, répartition des masses, des vides et des pleins ; - points forts (contrastes lumineux, oppositions colorées) ; - choix des lignes directrices en fonction du sujet, prédominance des lignes courbes, des horizontales, des verticales... - composition pyramidale et circulaire, sur un seul plan ou en plans successifs.

3) La couleur

- rapport des couleurs entre elles ; - choix de la gamme colorée : tons froids (violet, indigo, bleu) ou chauds (jaune, orangé, rouge), camaïeux, tons purs, couleurs claires ou assombries ; - rapport quantitatif et qualitatif de la couleur.

4) La lumière

- répartition égale ou contrastes violents ou clair-obscur ; - jeux des ombres et des lumières ; - d'où vient la lumière ?

5) Le dessin et le modelé

- contours par les lignes (volumes cernés, incisifs, avec minutie des détails) ; - modelé par des passages ombre-lumière, des dégradés subtils ; - étude des proportions, des attitudes, des expressions ; - dessin très élaboré ou esquisses.

III - DU SUPPORT AUX MATERIAUX

ETUDE DE LA TECHNIQUE

1) Le support : peinture sur bois ? sur toile ? sur papier ? 2) Les matières picturales - préparation des supports : les dessous, les enduits... - technique choisie : peinture "à tempéra", à la cire, à l'eau (gouache, aquarelle), à l'huile, peinture acrylique, collage... 3) Les instruments utilisés : brosses, pinceaux plus ou moins fins, couteaux à palette... selon les instruments utilisés, l'aspect de la peinture est différent : empâtements ou surfaces lisses, glacis, morcellements, taches, coups de brosse visibles, empâtements trés saillants.

CONCLUSION

Pour l'étude d'un tableau, nous sommes partis d'une observation globale vers une approche de plus en plus détaillée. Prendre du recul et regarder l'œuvre d'art dans une perspective nouvelle, enrichie par cette analyse visuelle, par cette "mise à l'écoute" de notre œil.

Charles Le Brun (1619-1690) : La Résurrection du Christ (1674-1676) Pierre-Paul Rubens (1577-1640) : St Dominique et St François d'Assise préservant le monde de la

colère du Christ (1618-1620)

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RUBENS (Pierre-Paul) - (Siegen, 1577 - Anvers, 1640) Saint-Dominique et Saint-François préservant le monde de la colère du Christ

(vers 1618-1620)

Le tableau est peint pour orner le maître-autel de l'Église Saint-Paul des Dominicains d'Anvers. Le sujet : il a été prescrit par le prieur du monastère dominicain ; c'est un sujet typique de la Contre-Réforme : l'intercession de la Vierge et des Saints auprès du Christ. " Une nuit, Saint-Dominique en prière vit Jésus-Christ irrité contre la terre et sa Mère lui présentant deux justes pour l'apaiser : l'un d'eux, un moine mendiant (Saint-François) et l'autre lui-même". La scène est tumultueuse. On reconnaît : le Christ, la Vierge, Dieu le Père, et toute la ronde des Saints : Sainte-Catherine, Saint-Georges, Sainte-Madeleine, Sainte-Cécile, Saint-Jérôme, Saint-Sébastien, Saint-François et , au centre, Saint-Dominique. Ce dernier protège le globe terrestre envahi par le mal que symbolise le serpent.

L'artiste : Pierre-Paul RUBENS, à l'époque où il exécute ce tableau (vers 1618-1620) est un artiste anversois très célèbre. Sa renommée dépasse largement les limites de son pays. C'est ainsi que la reine Marie de Médicis le charge, en 1621, de décorer une galerie de son palais du Luxembourg : vingt-quatre toiles (exposées au Musée du Louvre).

Les dimensions : 5,65 m de hauteur x 3,65 m de largeur.

La composition : elle est typiquement baroque : - par son style pictural. Grand rythme, élan cosmique, effet dynamique ; - par la prédominance des courbes (spirale qui relie ciel et terre), la dissymétrie et le mouvement ascensionnel ; - par l'importance des regards, des gestes qui sont comme suspendus alors que le Christ véritable Zeus - semble émerger de l'ensemble, prêt à bondir.

© musée des Beaux Arts - Lyon

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La couleur : elle prime sur le dessin. Importance du rouge (rouge du manteau du Christ, rouge de l'étendard, rouge du vêtement de Saint-Jérôme). Vibration des couleurs, les ombres sont colorées. La lumière circule partout, glisse entre les nuages.

La technique : en examinant de plus près ce tableau on découvre : - qu'il est peint sur toile (trois grandes bandes horizontales) ; - qu'il s'agit d'une peinture à l'huile avec certains empâtements ; - que sont visibles les traces du pinceau et les passages d'une couleur sur une autre (cf. robe de Sainte-Catherine au premier plan) ; - que les couleurs comme les directions des traces de brosse participent à l'impression de frémissement.

L'histoire du tableau : Le tableau a été saisi par les Français, en 1794, dans l'Église Saint-Paul des Dominicains d'Anvers et transféré à Paris au Muséum Central. Il fera l'objet d'un envoi de l'État au Musée des Beaux-Arts de Lyon, en 1811 ; puis sera restauré sur place en 1993 : allégement des vernis, fraîcheur retrouvée des couleurs.

LE BRUN (Charles) - (Paris, 1619-1690) la résurrection du Christ (1674-1676)

Ce tableau est peint par Charles Le Brun pour le maître-autel, du chœur de l'Église du Saint-Sépulcre à Paris.

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C'est une commande faite par la puissante corporation des merciers. "Louis XIV avait emprunté à cette corporation la somme considérable de 50 000 livres pour financer la guerre contre les Espagnols en Franche-Comté. Après sa victoire, le roi accompagna le remboursement de sa dette d'une somme d'argent destinée au financement du décor de la chapelle des Merciers dans l'Église du Saint-Sépulcre à Paris" (1).

Le sujet. Le tableau est une sorte d'allégorie mêlant un thème religieux et l'histoire contemporaine. Dans le registre supérieur, le Christ, portant de la main gauche une croix, s'élève dans le ciel, se dégageant de son linceul. A ses pieds, des anges tiennent un grand drap blanc, qui forme une séparation avec la partie inférieure. On reconnaît, à sa droite, Saint-Louis, roi de France et patron de la corporation des Merciers, Louis XIV revêtu de son manteau royal et de l'armure d'un chef de guerre. Quand à Colbert, il montre de sa main gauche les richesses procurées par son gouvernement. A gauche, les soldats vaincus. Dans l'angle inférieur gauche, le blason de la corporation des Merciers.

L'artiste, Charles Le Brun, premier peintre du roi Louis XIV en 1664, membre fondateur de l'Académie royale de peinture, reçoit de nombreuses commandes grâce à la protection de Colbert. Il met son art au service du Roi, qu'il glorifie dans des œuvres comme celle-ci.

Les dimensions : 4,80 m de hauteur x 2,65 m de largeur.

© musée des Beaux Arts - Lyon La composition est très classique, très maîtrisée, à deux registres supérieur et inférieur. - la construction s'organise par plans : effet statique et rationnel, style linéaire, clarté ; distinction de chaque élément. - le dessin prime sur la couleur ainsi, les formes sont fermées. Ici on peut souligner l'art du portrait dans une grande peinture d'histoire avec des souvenirs de l'antiquité (le vase, le casque). - les regards et les gestes relient les personnages : gestes théâtraux. - les verticales et horizontales dominent.

A remarquer : la frontalité du Christ enfermé dans une ovale.

Notons cependant un "souffle baroque" dans la partie inférieure gauche : tumulte des lignes, courbes, couleurs plus frémissantes.

La couleur. Les tons sont plus clairs, plus lumineux autour du Christ, plus sombres au bas du tableau. Au centre, une tache rouge, celle du panache du casque.

La technique. En examinant de plus près ce tableau, on découvre qu'il est peint sur toile et qu'il s'agit d'une peinture à l'huile. Les touches sont très peu visibles, la matière picturale est lisse (sauf dans la partie gauche plus baroque).

Histoire du tableau. Le tableau a été installé à l'Église du Saint-Sépulcre à Paris le 20 août 1676. Il a fait l'objet d'une saisie à la Révolution. Enfin, en 1811, l'Etat l'envoie au Musée des Beaux-Arts de Lyon en 1811 (salle n°6). Fiche réalisée par Michèle Bonnet copyright crdp de Lyon

(1) Musée des Beaux-Arts, Lyon : Guide des collections, p. 146.

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http://atha.guides.free.fr/visites_themes.htm http://www.toulousevisites.com/visites-toulouse.php

Daniel Arasse, un regard d'escargot sur la toile

On n'y voit rien, tel est le titre de l'un des derniers, et des plus primesautiers ouvrages du grand historien d'art récemment disparu, Daniel Arasse. Ceux qui n'y voient rien, ce sont les doctes qui font peser sur leurs pupilles les écailles du savoir érudit, et sur les tableaux le vernis aveuglant de leur savoir scolastique et sans humour, du haut de leur chaire. Ces doctes sont gentiment égratignés dans ce petit livre plein d'ironie et de décontraction. Mais c'est aussi un constat plus profond sur la peinture elle-même, du moins la peinture de la représentation dont Arasse est spécialiste. Dans ces tableaux, l'objet principal, le plus souvent, est caché au spectateur. Les personnages eux-mêmes n'y font pas attention, sauf les plus avisés, souvent en retrait dans un coin du tableau. Car l'objet de tous ces tableaux, paradoxalement, c'est de mettre en évidence les limites de la représentation. L'essentiel - l'incarnation, l'annonciation, etc., échappe à la vision, à la représentation. Aussi faut-il représenter l'échec de la représentation, faire porter l'attention sur le signe qui signifie aussi son propre échec, l'échec de la transparence absolue, totale, à laquelle croient naïvement les pseudo savants, les tenants de l'iconographie qui ont toujours un texte à plaquer sur les images. Ce qui fait qu'ils n'y voient rien, qu'ils ne voient pas qu'on n'y voit rien.

"Nous avons la même passion pour la peinture, écrit Arasse à son amie Giulia ; comment se fait-il qu'au moment d'interpréter certaines oeuvres, nous puissions être aussi loin l'un de l'autre ? Je ne prétends pas que les oeuvres n'auraient qu'un seul sens et qu'il n'y aurait donc qu'une seule "bonne" interprétation. Non, ce qui me préoccupe, c'est plutôt le type d'écran (fait de textes, de citations et de références extérieures) que tu sembles à tout prix, à certains moments, vouloir interposer entre toi et l'oeuvre, une sorte de filtre solaire qui te protégerait de l'éclat des oeuvres et préserverait les habitudes acquises dans lesquelles se fonde notre communauté académique."

Aussi l'historien doit-il prendre le temps de prêter une attention toute singulière au détail qui alerte le regard parce qu'il ne colle pas avec l'idée toute faite à laquelle son savoir le prédispose. Parce qu'il n'arrive plus "à être surpris", à force de classer, de reconnaître, de situer, de vérifier son savoir, "un savoir de gardien de cimetière", il doit pour retrouver le plaisir de la surprise, chercher cette anomalie infime qui permettra de corriger, diamétralement parfois, l'interprétation de l'ensemble. Voir, par exemple, sur une Annonciation de Francesco Del Cossa, l'escargot qui se promène, non pas dans le tableau, mais, sur le bord du cadre. La fonction de cet escargot, comme de tel miroir révélateur chez Tintoret, tel oeil noir chez Bruegel, etc., n'est pas "de montrer ce qu'il faut voir, mais de suggérer comment regarder ce qui est donné à voir".

Daniel Arasse, On n'y voit rien, Denoël, Folio Essais, 2005, 220 p.

© A. S., Captain Doc, avril 2005

La prunelle de Dürer – Livre

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http://www.mbam.qc.ca/fr/activites/enseignants/pv/rendre_votre_visite_plus_interactive.html

Programme Livres et liens Marché de l'artInterview

Arts du mythe Interview du directeur de la collection, Ludovic Segarra

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Qu'y a-t-il à découvrir dans ces films, au-delà de l'exotisme de sociétés lointaines ? J’aimerais que ces films procurent un « frisson », une nostalgie, celle d’une innocence perdue, que ce choc soit du même ordre que lorsque l’art nègre et les arts dits primitifs ont fait leur éruption entre 1910 et 1920 et ont créé ici une révolution dans le domaine esthétique. C’est audacieux, mais je pense très profondément que nous avons besoin de ces témoignages qui peuvent éclairer nos vertiges actuels. D’ailleurs cette quête obsède les occidentaux depuis des siècles, il suffit de lire Rimbaud : « Je suis une bête, un nègre… Connais-je encore la nature ? Me connais-je ? J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse. » Paradoxalement l’extrême lointain, l’exotisme, dans le sens où Victor Segalen et Gauguin l’ont pratiqué permet de prendre conscience de sa propre originalité. En pénétrant dans l’intimité d’un peuple, d’une culture, sans verser dans un mimétisme des amateurs de pittoresque simpliste, en se dépouillant, en esprit, de sa propre culture pour mieux sentir celle des autres, pour mieux apprécier la différence, au bout de ce chemin on se retrouve « agrandi » de ce qui nous est commun, fondamentalement. Qu'est-ce qui permet de qualifier d'oeuvres d'art ces objets, plus habituellement considérés comme matériaux de recherches ethnologiques ? Pendant longtemps on a classé ces objets ethnographiques dans une catégorie spéciale, objets cultuels de sociétés autres, dont les qualificatifs de primitifs et de sauvages ont longtemps servi pour les désigner en leur niant toute dignité artistique, et les ravalant ainsi à de simples objets de curiosité. Y aurait-il une hiérarchie, une échelle des valeurs esthétiques ? On ne peut nier qu’il y ait des progrès, des supériorités. Mais il faudrait beaucoup d’aveuglement pour assurer qu’il y a un progrès absolu. André Leroi-Gourhan disait : « Le terme de primitifs est celui qu’on donne encore trop souvent aux peuples qui ne mènent pas une vie aussi perfectionnée que la nôtre dans l’ordre matériel. » Le mot art nie le terme sauvage : dès qu’il y a art, il y a civilisation. La préhistoire prouve que dès qu’il y a des hommes, il y a des arts.

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L ’outil d’acier est supérieur à l’outil de pierre taillée, mais Matisse ou Picasso sont-ils supérieurs aux peintres de Lascaux ou d’un sculpteur de masque Fang du Gabon ? Pourquoi avez-vous choisi ces objets d'art pour la collection sur ARTE ? Quels étaient les critères de votre choix ? Avec ces six premiers numéros je voulais que soient représentées les grandes zones de la planète, les prochains numéros permettront de compléter et d’affiner ce premier choix. La nature des objets choisis, est aussi variée. La poulie de métier à tisser Dogon est un petit objet humble, mais elle porte en elle le pouvoir de la parole…le masque à transformation Kwakwaka’wakw qui est impressionnant, nous plonge dans l’univers des métamorphoses… la coiffe blanche Kayapo, fragile, permet d’atteindre la terre des ancêtres…la peinture sur écorce de la terre d’Arnhem fait le lien avec 40.000 ans d’histoire…la vièle mongole à tête de cheval fait revivre les vibrations d’un cheval mort…le crâne Iatmul en étant surmodelé devient une relique… Ces objets nous permettent de voyager en esprit, dans l’imaginaire de ces peuples. La collection Arts du Mythe ne s'intéresse-t-elle qu'aux civilisations sans écriture ? Leurs productions sont-elles particulières ? On pourrait considérer qu’il y a écriture lorsque l’on essaie d’établir par le dessin une communication avec autrui. En ce sens, tout dessin est un message. Une écriture comme la chinoise combine des éléments qui sont pictographiques, à l’origine, et qui ont changé de nature en passant du concret à l’abstrait. L’ancien Mexique, observe Claude Lévi-Strauss, connaissait l’écriture. On a déchiffré des inscriptions anciennes à l’île de Pâques, aux Carolines. Beaucoup de peuples africains possèdent des alphabets ou des idéogrammes. Je ne dis pas cela pour faire des catégories et reléguer les autres dans le clan des primitifs, parce qu’ignorants l’écriture, mais rappeler qu’on généralise un peu vite et dire aussi qu’un peuple sans écriture n’est pas un peuple sans mémoire et sans connaissance. Les productions que nous choisissons ne doivent pas être isolées sur elles-mêmes, comme une fin en soi, elles doivent être liées à une communauté qui exprime à travers cet objet une vision particulière du monde, ou plutôt une présence particulière au monde, conçue comme un élément qui relie et interagit. Mon intention est de traiter dans cette collection certains objets européens qui possèdent encore cette dimension. Est-ce que les objets présentés dans la série ont toujours la même valeur que jadis dans ces civilisations ? Comment vit-on là bas avec cet héritage propre ? Certainement pas, chaque groupe réagit aux agressions intérieures et extérieures d’une façon différente et se transforme à son rythme. Je souhaite que le sous-développement des peuples de petit effectif et de vie traditionnelle, que chacun de ces peuples, si petit soit-il, soit respecté parce qu’il possède un génie propre, et il appartient aux nations plus avancées techniquement de respecter le génie de ces peuples afin qu’ils se développent dans leur propre dynamique. Pourquoi les musées ne restituent-ils pas ceux de ces objets qui ont un statut sacré ou

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rituel à leurs détenteurs d'origine ? Là aussi je ne peux pas répondre, parce que cela est du ressort des institutions, des états et aussi des collectionneurs … Je ne peux émettre qu’un souhait en vous racontant une situation que j’ai vécue au Mexique lors du tournage d’un film avec les indiens Lacandons sur le Chilam-Balam, qui est un texte virulent écrit par les Mayas après l’arrivée des conquistadors. Chankin, le patriarche du groupe, me racontait que le site de Palenque était leur lieu sacré où ils venaient régulièrement pour effectuer des rituels. Leur vie est maintenant dans la forêt du Peten. Palenque avait gardé sa charge sacrée jusqu’au jour où une équipe d’archéologues a découvert, dans la crypte où les Lacandons officiaient, un très beau masque de jade de la période classique. Ce masque fut envoyé au musée de Mexico, il est aujourd’hui dans une très belle vitrine, et les Lacandons ne viennent plus à Palenque que pour vendre leurs babioles aux touristes. Replacer le masque de jade dans la crypte de Palenque n’aurait pas de sens, il y a eu une cassure, maintenant les indiens Lacandons ont leur vie religieuse ailleurs. Rendre est une évidence, que les objets retournent dans leur pays d’origine pour réparer des pans de mémoire et que les populations se réapproprient leur histoire. Cette action serait juste afin d’instaurer le temps des retrouvailles, le temps de la réconciliation… Mais comment restituer ? C’est un problème très complexe…pour se déculpabiliser il ne faudrait pas que ces objets tombent dans des dépôts inaccessibles, des nécropoles pompeuses ou encore dans des circuits du trafic de l’art… il y a un très bel exemple, chez les Kwakwaka’wakws, de la Colombie Britannique, qui se sont organisés depuis des années et ont obtenu de la part du gouvernement canadien la restitution des masques qui servaient aux cérémonies des potlatchs, et, récemment, la fille d’André Breton vient d’être rebaptisée « U’ Ma », « celle qui a rendu » parce qu’elle a remis un masque qui appartenait aux collections de son père aux descendants de ceux qui l’avaient créé, près d’un siècle plus tôt. Avant de trôner sur le bureau du poète, il était utilisé durant les danses traditionnelles…. Voilà un bel exemple… Maintenant qu’ils ont obtenu la restitution de leurs objets de culte, les Kwakwaka’wakws luttent pour qu’on leur redonne leur terre, c’est ce même combat que mènent les aborigènes d’Australie à travers la reconnaissance de leurs peintures qu’ils considèrent comme des actes de propriétés. Il serait intéressant de suivre l’expérience des Kwakwaka’wakws à travers leur association qui se nomme : « U’Mista » ( littéralement : « le retour de l’objet perdu »). Dans le cinquième épisode de la collection vous présentez et expliquez la philosophie des Dogons par un objet d'usage courant, une poulie de métier à tisser ? Ne serait-il pas plus approprié d'utiliser comme exemple une "figure en rapport avec les ancêtres"? Non… Cette petite poulie, objet qui est à nos yeux profane, cette petite poulie remplit chez les Dogons tout à fait cette fonction, parce que dans l’Afrique traditionnelle les choses ne sont pas séparées et l’artisanat est indissociable de la parole. Les artisans accompagnent leurs travaux de chants rituels ou de paroles sacramentelles rythmées, et leurs gestes retracent le mystère de la création primordiale liée elle-même au pouvoir du Verbe. Ainsi dit-on en Afrique : « Le forgeron forge la Parole, le tisserand la tisse, le cordonnier la lisse en la corroyant ». Cette interdépendance nous est merveilleusement racontée dans les ouvrages d’Amadou Hampâté Bâ : « On peut dire que le métier ou la fonction traditionnelle, sculpte l’être de l’homme. Toute la différence entre l’éducation moderne et la tradition orale est là. Ce qu’on

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apprend à l’école occidentale, pour utile que ce soit, on ne le vit pas toujours, tandis que la connaissance, héritée de la tradition orale, s’incarne dans l’être tout entier. Les instruments ou outils du métier matérialisant les paroles sacrées, le contact de l’apprenti avec le métier l’oblige, à chaque geste, à vivre la parole. C’est pourquoi la tradition orale, prise dans son ensemble, ne se résume pas à la transmission de récits ou de certaines connaissances. Elle est génératrice et formatrice d’un type d’homme particulier. On peut dire qu’il y a la civilisation des forgerons, la civilisation des tisserands, la civilisation des pasteurs, etc…. » Pourquoi avoir nommé cette collection « arts du mythe », alors qu'on évoque presque systématiquement les « arts premiers » à propos de ces objets ? Comment nommer cette collection, ces arts sont-ils : tribaux, sauvages, primitifs, premiers… il n’y a pas d’arts sauvages parce que cela signifierait qu’ils viennent de groupes sans lois, mais, précisément, dès qu’un groupe d’hommes se constitue, il se définit aussitôt par l’obéissance à des lois… primitifs, premiers, dans le sens où ces arts évoqueraient la période préhistorique, cela n’a pas lieu puisque la plupart de ces arts sont encore contemporains. Devant cette difficulté, même le futur musée a renoncé à nommer d’une façon emblématique ces arts, puisqu’il portera le nom du quai où il est situé : le musée du quai Branly. Le seul nom possible, englobant, généreux, pour cette institution est porté par l’ancien musée prestigieux de la place du Trocadéro : le musée de l’Homme. Mais revenons à notre collection, un jour, lors d’une conversation très libre sur ce sujet avec mon ami Yves Jaigu, ancien directeur des programmes de France 3 et membre du Comité des Programmes de la Sept Arte, l’expression : « arts du mythe », nous apparut comme une évidence, puisque la plus juste. Chacun de ces arts, même les plus humbles, comme la poulie de métier à tisser, nous renvoie à une parole, à un mythe dont il est la représentation. Le mythe raconte l’histoire d’un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des «commencements». Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des êtres surnaturels, une réalité est venue à l’existence, c’est toujours le récit d’une création, on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être, comment on est sorti du chaos et comment on a organisé le chaos en lui donnant formes. Ces histoires viennent du fond des âges, elles sont les rêves…les rêves des peuples… Ainsi chaque histoire, chaque mythe, identifie, avec la plus grande intimité, une communauté, et chacune des œuvres d’art de notre collection raconte cette relation qui nous plonge dans le merveilleux. Et puis c’est un juste retour des choses, c’est à eux de parler de leurs masques, de leurs statues, de leurs crânes, et comment peuvent-ils le faire ? En racontant le mythe qui a conduit l’artiste dans cette création. Dans chaque film, ce moment est le « nœud » où l’on entend le chant, le rythme d’une langue, c’est pour moi une façon de rendre l’oeuvre, symboliquement. Pour les artistes européens au début du 20ème siecle - comme Gauguin et la géneration de Picasso - les sculptures primitives africaines servaient de stimulant. Pourquoi l'art africain a eu un tel impact sur l'art moderne ? Cela semble être arrivé au bon moment… Avant d’être un approfondissement de nos idées sur l’art, les arts « primitifs » furent un choc, un scandale, et ceux qui saluaient les statues d’Afrique ou d’Océanie étaient aussi des iconoclastes des effigies de l’Occident. « La Grèce n’a jamais existé », s’écriait André Breton dans un poème à la gloire de l’île de Pâques. Mais de Dada au Surréalisme, puis aux mouvements d’idées récentes, les dévastateurs d’hier sont

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devenus les artisans d’un humanisme total. Il est probable qu’André Breton serait plutôt tenté de dire aujourd’hui, non pas que » la Grèce n’a jamais existé », mais que « l’Océanie et l’Afrique ont aussi existé ». Il suffit d’écouter la musique d’avant ces influences, et après, ou de regarder la peinture en comparant, pour affirmer que l’intérêt marqué par les artistes occidentaux pour la culture de sociétés tribales a joué un rôle déterminant dans l’éclosion de l’art moderne. Ces objets ont eu une incidence déterminante dans l’esthétique et la conception même de l’art de Gauguin, des Fauves, de Picasso, de Brancusi et des artistes expressionnistes allemands. Ils ont influencé des créateurs aussi différents que Modigliani, Klee, Giacometti, Moore, les surréalistes et les expressionnistes abstraits. La fantastique étude dirigée par William Rubin sur « Le primitivisme dans l’art du 20e siècle », éditée chez Flammarion en France, donne tous les détails : zone par zone, artiste par artiste, de ce merveilleux brassage, et Rubin conclut son introduction par : « Forts de notre supériorité, nous nous sentons à des années-lumière des populations tribales. Mais pour autant que l’art soit un indice tangible de l’avancement spirituel des civilisations, l’affinité qui relie l’art tribal à l’Art moderne devrait nous inciter à réfléchir. » Quel rôle jouent aujourd'hui les arts premiers pour les artistes contemporains? Je ne suis pas suffisamment compétent pour vous dire à quel point « les arts premiers » influencent aujourd’hui certains artistes, et je ne connais pas d’études traitant ce sujet, il faut peut-être de la distance, du temps, pour cela… mais par ailleurs on voit émerger au sein même des cultures traditionnelles des courants artistiques qui explosent, comme au début des années 70, à Papunya, dans le grand désert de l’ouest australien. Les initiés révélèrent leurs « rêves » pour s’opposer à la politique d’assimilation du gouvernement fédéral de Canberra. Ces peintures venues du fond des temps et soudain fixées sur des toiles, avec de l’acrylique, allaient exercer un pouvoir de fascination, faire douter les plus civilisés des civilisés, donner naissance à une école picturale étonnamment moderne. Ces artistes ont servi d’exemple et d’autres clans aborigènes ont eux aussi relevé des défis picturaux. Aujourd’hui tous ces courants sont exposés dans les grandes capitales du monde, nous les avons découverts en France lors d’une grande exposition à La Villette grâce à Sylvie Grossman et Jean-Pierre Barou. On peut observer ces révolutions dans beaucoup de contrées, heureusement… On peut observer sur ces 6 premiers numéros de la collection que chacun de ces groupes ethniques est presque obsédé par la différenciation, ne pas ressembler à l'autre, et pourtant ils semblent nous raconter les mêmes histoires, comme des facettes différentes ? Vous avez raison, prenons l’exemple de la coiffe blanche des Kayapos du Brésil qui ont jeté leur dévolu sur les oiseaux parce que seuls les oiseaux se prêtent à merveille pour exprimer la diversité physique au sein d’une même catégorie, et cela sans ambiguïté. Sur ce sujet voici ce que dit Gustaaf Verswijver, anthropologue spécialiste des Kayapos, qui a été notre guide pour le film sur ce sujet. « Pour être un homme véritable il faut se parer de plumes, un véritable homme doit s’exprimer par des plumes. En naissant, un oiseau est un oiseau, un ara est un ara, un homme, par contre, en naissant n’est pas Kayapo, Bororo, il le devient. Naître c’est être un homme, seulement. La véritable nature se détermine plus tard et l’on devient Kayapo par un enchaînement de

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procédure dont l’ornementation du corps constitue un des traits les plus marquants de la culture Kayapo. Elle confère à l’individu la qualité d’être humain différent des autres êtres humains voisins ou lointains. Dans un certain sens être Kayapo c’est être peint et coiffé comme un Kayapo. Cela s’exprime dans la mythologie, comment moduler l’apparence, couper les cheveux selon le style Kayapo et le corps est peint de motifs de son groupe, et ce positif est le même quand on adopte un étranger, l’origine importe peu, seule l’identité culturelle et sociale compte. La plume est donc pour les Kayapos un instrument de classification et aussi un moyen essentiel de marquer son identité. Il y a un véritable langage des plumes, chaque groupe ethnique a son style particulier et cela est le point commun de tous les Indiens d’Amérique, depuis les grandes forêts canadiennes du Nord du continent à la Patagonie, à l’extrême sud. » Depuis les temps immémoriaux l’homme a toujours voulu marquer sa différenciation, chez les Kayapo on se pare de plumes, ailleurs on se peint, on se tatoue, on se scarifie, on s’étire le cou, on se modèle le crâne, on se bande les pieds, on se perce les oreilles ou les lèvres … cela devrait alimenter notre réflexion alors que survient, comme un bouleversement, « la globalisation » avec ses images d’uniformisation … j’ai envie de vous lire la lettre de Dan George, chef des Indiens Capilanos, lettre écrite en 1975 à chacun de nous, il commence en précisant qu’il est né il y a 1000 ans… et poursuit: « Accompagnez-moi dans la cour de récréation d’une école où l’on prétend encore à une intégration. Voyez comme son asphalte noire est unie, plate et laide ; alors, regardez : c’est l’heure de la récréation, les élèves se précipitent par les portes. Voilà alors deux groupes distinctes : ici, des élèves blancs et là-bas, près de la barrière, des élèves autochtones. Et puis, regardez encore, la cour noire, unie, ne l’est plus : les montagnes se dressent, les vallées se creusent ; un grand vide s’établit entre les deux groupes, le vôtre et le mien, et personne ne semble capable de le franchir. Attendez, bientôt la cloche va sonner et les élèves vont quitter la cour. Le mélange des élèves se fait dedans parce que dans une classe, il est impossible de trouver un grand vide, les êtres sont devenus petits, rien que des petits êtres ; les grands, on n’en veut pas, du moins, pas sous nos yeux. Ce que nous voulons ? Nous voulons avant tout être respectés et sentir que notre peuple a sa valeur, avoir les mêmes possibilités de réussir dans l’existence, mais nous ne pouvons pas réussir selon vos conditions, nous élever selon vos normes, nous avons besoin d’une éducation spéciale, d’une aide spécifique pendant les années de formation, nous avons besoin d’orientation et de conseil, de débouchés équivalents pour nos diplômes sinon nos étudiants perdront courage et se diront : « A quoi bon ! » Je sais que dans votre cœur, vous voudriez bien m’aider. Je me demande si vous pouvez faire beaucoup. Eh bien ! Oui, vous pouvez faire une foule de choses. Chaque fois que vous rencontrez mes enfants, respectez-les pour ce qu’ils sont : des enfants, des frères. » La richesse c’est la multiplicité des regards, des goûts, des croyances, des langages, des chemins … La richesse c’est le Divers. Propos recueillis par Marianne Lévy-Leblond, ARTE France et Angelika Schindler, ARTE Deutschland

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• LES SCèNES DE L'IMAGE Le statut de l’imagination et la pratique de l’imaginaire ont occupé la réflexion et l’écriture de Sartre du début à la fin de sa vie et constituent assurément l’une des lignes forces de son œuvre. Dès 1927, il rédige un diplôme d’études supérieures consacré à L’Image dans la vie psychologique : rôle et nature, inspiré tant par les mystiques chrétiens que par les expérimentations cliniques. Et, quelques années plus tard, alors qu’il ambitionne d’écrire un traité sur l’imagination, il se fait injecter de la mescaline pour étudier de l’intérieur la production d’images hallucinatoires. C’est encore Husserl qui lui donne à comprendre une distinction décisive entre l’imagination et la perception : au lieu d’être ravalée au rang d’une chose, l’image est définie comme le produit d’une conscience imageante. Cette proposition prend à revers toute une tradition philosophique qui dévalorise l’imaginaire comme perception dégradée ou simulacre trompeur. Sartre, avec L’Imaginaire, réhabilite l’acte d’imaginer en insistant sur sa liberté et sa transcendance : « L’imagination n’est pas un pouvoir empirique et surajouté de la conscience, c’est la conscience tout entière en tant qu’elle réalise sa liberté ; toute situation concrète et réelle de la conscience dans le monde est grosse d’imaginaire en tant qu’elle se présente toujours comme un dépassement du réel. (…) Le réel est produit hors du monde par une conscience qui reste dans le monde et c’est parce qu’il est transcendantalement libre que l’homme imagine.» 7 Cette affirmation sur la liberté de la conscience imageante est redoublée par une deuxième proposition théorique radicale qui signe la marque de Sartre sur la théorie de l’imaginaire : l’intention de la conscience, lorsqu’elle imagine, vise non seulement à constituer et isoler son objet mais aussi et surtout à l’anéantir. En effet, imaginer quelqu’un ou quelque chose implique de les poser comme absents et hors d’atteinte. Dès lors, la conscience imageante transforme ses objets en imaginaire, à partir d’un représentant analogique, et les irréalise. Ainsi de l’ami que j’imagine, explique Sartre : construisant son image sur quelques éléments ressemblants, je le pose comme n’étant pas là, je le « néantise ». Ce geste philosophique de Sartre offre à l’imagination un statut et une puissance qui englobent tous les types d’images, quel que soit leur régime de présentation : l’image mentale, l’image plastique et l’image stylistique appartiennent à une grande famille, de sorte qu’un rêve, un tableau ou une métaphore proviennent d’une position commune de la conscience imageante qui isole et déréalise ses objets. De là viennent la force et la faiblesse de son argument, car la réhabilitation philosophique de l’imagination va de pair avec l’oubli des images dans leur singularité. Sartre poursuivra inlassablement ses analyses pour débrouiller tous les usages de l’imaginaire et il les développera d’un point de vue tant théorique que pratique. À partir de cette élaboration, il établit en effet un partage entre philosophie et littérature : la première use de l’image à titre de schème symbolique pour appréhender les phénomènes. La qualité d’un objet, par exemple, peut être approchée par un schème tel que le visqueux, dont Sartre montre qu’il implique un rapport de la conscience à la matière, à la fois active et passive, libre et aliénée. La littérature, en revanche, recourt aux images déréalisantes pour entraîner le lecteur dans le vertige des simulacres. Cependant, ce démarcage théorique n’empêchera pas Sartre de le contredire dans sa pratique : son écriture philosophique est souvent figurative, et son engagement littéraire en appelle au réalisme subjectif. Assurément cette place de l’imaginaire l’obsède, jusqu’à ses derniers travaux sur Flaubert, où il tentera d’af?ner la notion et les fonctions de l’image, renouvelant considérablement ses premières thèses phénoménologiques. Mais ce qui modifiera considérablement son regard, ce sont les images de l’art. La fréquentation des artistes et des ateliers fait découvrir à Sartre la matérialité des images. Cette attention aux artistes vient à la fois d’un intérêt accru pour la création esthétique et d’une stratégie intellectuelle de l’après-guerre. À l’instar de Breton,

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Sartre consacre de nombreux articles à des peintres et des sculpteurs dont il cherche la proximité avec ses propres analyses existentielles. L’exercice s’avère périlleux car il risque de plaquer des catégories philosophiques sur des pratiques originales, mais il oblige précisément le théoricien à entrer dans la matière des œuvres. L’approche et le style de Sartre deviennent alors plus analytiques et manifestent un grand souci de l’expérience esthétique. À la question philosophique : « qu’est-ce qu’imaginer ? » s’est substitué le souci du spectateur : « comment regarder une image ? ». Giacometti, Calder, Wols, Masson, Rebeyrolle, Cartier-Bresson accompagnent alors les pérégrinations de Sartre, dont les textes oscillent entre l’esthétique philosophique et la critique d’art. Les préfaces qu’il offre aux expositions de ces artistes décrivent au plus près l’épreuve d’une étrangeté que la conscience découvre et intègre. Elles constituent autant de variations qui mêlent l’observation concrète et les envolées théoriques : à quelle distance regarder une sculpture de Giacometti ? demande Sartre ; la ligne de Masson définit-elle un contour ou permet-elle une dérive des formes ? La pâte picturale de Rebeyrolle condamne-t-elle la forme à l’inertie ? Ces interrogations iconographiques rejoignent les obsessions intimes de Sartre, qui n’hésite pas à y introduire ses dissertations et ses fantasmes. Ainsi de Giacometti, dont les toiles lui paraissent manifester l’isolement du corps par l’imaginaire : « Il veut que ses figures, au cœur de leur vide originel, sur sa toile immobile, passent et repassent sans cesse du continu au discontinu. La tête, il veut à la fois qu’elle s’isole, puisqu’elle est souveraine ; et que le corps la reprenne ; qu’elle ne soit plus qu’un périscope du ventre au sens où l’on dit de l’Europe qu’elle est une presqu’île de l’Asie. Les yeux, le nez, la bouche, il veut en faire des feuilles dans un feuillage, séparées et fondues tout ensemble.» 8 Une des fascinations de Sartre pour la sculpture et la peinture réside précisément dans le jeu des matières et des formes. Comment un corps passe-t-il dans un autre, par quel investissement érotique les figures se transforment-elles, de quelles propensions les pâtes sont-elles capables pour incarner la violence de ces mutations ? Telles sont les questions qui orientent les goûts de Sartre pour les artistes : Masson, en qui il retrouve un imaginaire métamorphique, ou Rebeyrolle, dont l’engagement politique vient du traitement cru des matériaux. Cette affinité éclairée par l’art contemporain a aiguisé le regard de Sartre sur les techniques de la peinture, que sa phénoménologie avait négligées, mais elle ne l’a toutefois pas conduit à édifier une esthétique selon un programme philosophique de type kantien. Il n’a en effet jamais abandonné le souci de penser l’activité artistique dans une pluralité collective et politique, ce dont témoigne un autre grand projet inachevé consacré au Tintoret. En 1957, il publie un fragment important de cette étude qui conjugue la biographie et l’iconographie. Le choix de ce peintre du xvi e siècle tient à sa situation plébéienne dans une époque de gloire et de décadence de la ville italienne : « Le Tintoret a mené le deuil de Venise et d’un monde ; mais quand il est mort, personne n’a mené son deuil et puis le silence s’est fait, des mains hypocritement pieuses ont tendu ses toiles de crêpe. Arrachons ce voile noir, nous trouverons un portrait, cent fois recommencé. Celui de Jacopo ? Celui de la Reine des mers ? Comme il vous plaira : la ville et son peintre n’ont qu’un seul et même visage.» 9 Sartre a l’ambition d’articuler la psychanalyse existentielle et l’analyse historique marxiste, comme il l’a fait avec les écrivains. Cependant, le manuscrit de ce texte comprend aussi de très nombreuses pages d’une étonnante acuité sur les tableaux du Tintoret. Sartre s’y montre un connaisseur avisé des techniques et de la représentation picturales à la Renaissance : il s’est résolument plongé au cœur des plasticités imaginaires pour y poursuivre encore ses obsessions sur la pesanteur et l’élasticité des corps. La présence du corps dans l’image, son incarnation, sa matérialisation, a donc été l’un des fils conducteurs de la réflexion de Sartre sur l’image. Et elle s’est manifestée dans sa version

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spectaculaire par son engouement pour le théâtre. Assurément, la scène n’est pas une image du même régime qu’un tableau ou un rêve, mais elle implique aussi l’imagination et s’inscrit dans une problématique de la représentation que le dramaturge Sartre renouvelle considérablement. Car ses créations théâtrales s’accompagnent d’une réflexion critique sur le statut de l’imaginaire lorsqu’il suppose une scène des corps. Pour bien comprendre la dramaturgie sartrienne, il faut revenir à la première expérience de la scène qui a décidé le philosophe et romancier à se lancer dans la création théâtrale. Prisonnier en Allemagne en 1940, Sartre écrit une pièce destinée à ses camarades de captivité pour la fête de Noël : Bariona, ou le fils du tonnerre a pour sujet la nativité du Christ et propose une sorte de réécriture des récits évangéliques par laquelle la naissance de Jésus devient un espoir de résistance à la tyrannie. Sartre joua lui-même le rôle d’un roi mage et découvrit alors la puissance collective de la scène, à la fois l’incarnation concrète de l’imaginaire et sa réception immédiate par un public de chair. Lorsqu’il rentre en France à la faveur d’une libération médicale, il entreprend d’écrire une œuvre qui touche directement les spectateurs et les engage dans un monde allégorique où se découvre le sens de l’existence. Mais l’écriture d’une pièce exige d’intégrer quantité de contraintes spectaculaires et il faudra la fréquentation du metteur en scène Charles Dullin pour que le philosophe délaisse l’éloquence au profit de l’action théâtrale. Les Mouches constituent la première véritable épreuve de Sartre avec le genre théâtral et inaugurent dix pièces écrites sur une vingtaine d’années, qui consacreront l’un des dramaturges majeurs de l’après-guerre. Cette œuvre ne témoigne pourtant pas d’une grande originalité théâtrale et relève d’une mode plutôt convenue depuis le début du xx e siècle, celle de la reprise des pièces antiques selon une version parodique pour un public lettré. Dans ce genre, elle soutient difficilement la comparaison avec Giraudoux, mais Sartre y a imprimé une vision existentielle et un message de résistance à l’Occupation allemande. Le personnage principal, issu de l’Orestie d’Eschyle, y dénonce la collaboration, le méaculpisme et invite à la résistance, autant d’allusions à la situation de la France sous Pétain. Assurément, Sartre croit à la valeur cathartique du mythe et il entend à la fois réinvestir la tragédie grecque et forger lui-même des mythes contemporains. Peu à peu, Sartre construit une théorie et une pratique originales à partir d’une motivation philosophique du genre théâtral et d’une conception de l’imaginaire spectaculaire. On lui a souvent reproché d’écrire un théâtre à thèse. Cependant, la scène n’y est pas un lieu d’illustration mais plutôt un espace problématique où s’opposent des consciences, des corps, des temporalités, sans intention édifiante. De ce point de vue, Huis clos reste sans doute sa pièce la plus réussie et la plus innovante : la situation scénique présente trois personnages réunis en enfer et qui découvrent peu à peu la signification d’une telle rencontre. L’intrigue n’est plus fondée sur une action mais sur une délibération où la parole effectue le sens plus qu’elle ne l’exprime : la confrontation des alibis, des excuses et des mauvaises fois fait tomber les faux-semblants, met à nu les consciences et les place devant leurs responsabilités. La fameuse formule, « l’enfer c’est les autres » 10 , offre moins un constat pessimiste qu’elle ne signale la nécessité de passer par le regard des autres pour assumer sa liberté et définir son passé. La dimension philosophique ne doit toutefois pas faire oublier la puissante construction dramaturgique de la pièce et sa structure ternaire, qui déplace constamment les positions sans jamais s’achever, puisque les derniers mots sont : « Eh bien, continuons. » 11 Cette circulation infinie de la parole et la destruction des images que les personnages se font d’eux-mêmes dans un espace dénué de miroirs a inspiré plus d’un dramaturge de l’après-guerre. En 1944, Huis clos prend place au cœur des débats collectifs et singuliers sur le bilan des lâchetés, mais la pièce fait date aussi par sa politique de la représentation. La dramaturgie de Sartre s’inscrit dans une remise en cause du théâtre de caractères et une

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révolution esthétique entamée depuis le début du xx e siècle. Les notions de personnage, de représentation, de temps et d’espace ont été considérablement révisées au cours des manifestes avant-gardistes et Sartre imprime sa marque dans une dimenssion sur le statut du réel, de l’imaginaire et de la mimésis. Face aux thèses d’Antonin Artaud sur l’investissement pulsionnel d’un espace scénique collectif, et à celles de Bertolt Brecht sur la démystification de l’illusion théâtrale, il cherche à conserver la figuration imaginaire tout en faisant appel à l’esprit critique du spectateur. C’est pourquoi il maintient la prégnance de la parole, du sens, de l’acte, et présente des libertés dépouillées de leur décorum. L’intrigue est conservée, mais les situations ordinaires sont épurées au point d’atteindre à la structure élémentaire du mythe. Au lieu du drame bourgeois, Sartre construit des tragédies de la liberté. La singularité de son théâtre a cependant pâti du succès de deux courants dramaturgiques dominants et concurrents de l’après-guerre : le brechtisme et le nouveau théâtre le reléguèrent dans un genre trop conventionnel. D’un côté, les critiques et les metteurs en scène privilégiaient une approche marxiste des situations, de l’autre ils découvraient les avant-gardes avec Beckett et Ionesco. Sartre n’en a pas moins maintenu son cap, à l’écart des innovations formelles, en traitant sans didactisme de conflits à la fois intimes et collectifs : en 1948, Les Mains sales a pour sujet les relations contradictoires de l’intellectuel avec les partis révolutionnaires. Cette pièce connut un grand succès mais suscita des interprétations politiques contrastées au point d’amener Sartre à en interdire la représentation. L’inspiration philosophique reprend le dessus en 1951 avec Le Diable et le Bon Dieu, selon une couleur shakespearienne, qui situe son action dans les conflits religieux de la Renaissance. Pierre Brasseur en fut le magistral interprète et la pièce a connu récemment un regain de popularité avec une mise en scène de Daniel Mesguish. Les questions du bien et du mal, du choix et de la responsabilité nourrissent des monologues aux formules brillantes. Le théâtre sartrien reste en effet une œuvre d’écriture plus que de spectacle, donnant toujours la primeur aux fastes du langage verbal. La dernière grande réussite théâtrale de Sartre fut Les Séquestrés d’Altona, en 1959, car elle conjugue à la fois le tragique de la liberté, la figuration mythique et la vision historique. Serge Reggiani y incarnait le personnage de Frantz, le fils d’une grande famille allemande reclus dans sa chambre peuplée de crabes imaginaires. De nouveau, la délibération à huis clos fait revenir les fantômes de la guerre, la culpabilité et la folie des hommes pris dans une horreur collective. Le suicide commun du père et du fils laisse vide le plateau de scène où ne subsiste qu’un magnétophone qui diffuse le discours testamentaire d’un enfant du siècle au prophétisme funèbre : « Peut-être n’y aura-t-il plus de siècles après le nôtre. Peut-être qu’une bombe aura soufflé les lumières. Tout sera mort : les yeux, les juges, le temps. Nuit. Ô tribunal de la nuit, toi qui fus, qui seras, qui es, j’ai été ! J’ai été ! Moi, Frantz, von Gerlach, ici, dans cette chambre, j’ai pris le siècle sur mes épaules et j’ai dit : j’en répondrai.» 12 La violence historique résonne en direction des contemporains de la guerre d’Algérie et Sartre joue intentionnellement de cette commune responsabilisation des individus. À sa manière il entend, lui aussi, répondre de son siècle, une fois ce deuil accompli : la génération de l’après-guerre doit se porter sur tous les fronts de la politique, consciente de l’enfantement délétère de l’Histoire. Il faut refaire la matrice, réinventer la filiation, transformer la liberté en libération perpétuelle. Le séquestré présente ainsi un complexe familial sur lequel Sartre construit une contre-mythologie personnelle : il lui oppose la figure du bâtard qui implique une rupture générationnelle et un désir d’enfantement sans paternité. Comment Sartre a-t-il articulé ce mythe à un engagement politique maximal ? La réponse exige de suivre le parcours qui a conduit un orphelin de père à devenir la mauvaise conscience de son temps.

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7 L’imagination, Gallimard, 1940, p.236 8 « Les peintures de Giacometti », in Situations IV, Gallimard, coll « Blanche », 1964, p.358 9 «Le séquestré de Venise» in Situations IV, op.cit, p.345-346 10 Huis clos, Gallimard, coll. «Folio», 1974, p.92 11 ibidem, p.94 12 Les Séquestrés d'Altona, Gallimard, coll. «Folio», 1972, p.375 http://blog.matoo.net/index.php/archives/2005/11/02/ars-longa-vita-brevis/ Intervention d’Alain Liégeon , professeur de philosophie au lycée

Rodin

Matisse au tournant des années trente

Le face à face avec l’événement poétique (Mallarmé)

et l’espace architectural (Mérion)

Il s’agit ici d’éprouver la thèse suivante : Matisse serait moins le peintre de la couleur d’une part, de l’arabesque d’autre part, que le peintre de l’espace. L’intérêt central de la peinture serait, selon ses propres termes, de « donner, à partir d’une surface limitée, l’idée de l’immensité »[1]. En Histoire des Arts, cette thèse d’un Matisse dont le souci final serait de donner à penser au spectateur de ses œuvres un espace infini, ici et maintenant, est déjà développée dans l’ouvrage de René Percheron et Christian Brouder, Matisse, de la couleur à l'architecture (Paris, Citadelles et Mazenod, 2002), essentiellement à propos de la chapelle de Vence. Mais l’ambition consiste ici à étendre cette thèse au-delà des derniers travaux de Matisse. A ce titre, la période des années trente consiste pour Matisse en un tournant, qui consiste à sortir du cadre du tableau pour se livrer à ce qu’il nomme lui-même une peinture décorative. C’est alors à d’autres espaces qu’il va s’affronter, en particulier à l’espace du livre en illustrant Mallarmé, et déjà à l’espace architectural en décorant la fondation Barnes à Mérion. L’idée d’un espace infini sort ainsi du cadre de tableau pour s’étendre à d’autres supports, Matisse restant ainsi peintre tout en allant au-delà de la peinture comme discipline.

***

La période niçoise des années 20 était certainement la dernière où Matisse reste cantonné à l’espace du tableau, et à l’acte de peintre comme style singulier. En cela, le séjour de Matisse auprès du tableau et du style aura été bien plus long que celui des artistes de son époque. A la fin des années 20 en effet, il y a déjà des années que Picasso s’est essayé à la production de nouveaux objets qui ne peuvent plus être qualifiées de tableaux, ni non plus de sculptures ; la période cubiste aura été aussi pour lui l’occasion d’aller jusqu’aux limites de l’abstraction, ouvrant ainsi la voie à un art pictural des formes rompant avec l’art de la touche. Matisse, lui, ne pourra quitter l’objet tableau et l’acte de peindre selon la touche qu’une fois qu’il aura fini d’explorer le tableau comme le lieu par excellence de la facticité. La période niçoise aura donc été une période nécessaire pour déployer par et dans l’acte de peindre ceci que la peinture est morte, qu’elle n’est plus qu’un espace générateur d’un décor factice et de figures purement décoratives. Matisse proclame donc la mort de la peinture non comme geste polémique, mais par production d’œuvres qui amènent précisément le tableau peint jusqu’à la

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saturation du genre tableau fait de touches, d’arabesques, de figures stylisées. Cette saturation effectuée, Matisse ne va pas s’employer à remplacer les figures factices du tableau, qu’il dénonce lui-même comme factices, par d’autres figures toutes aussi factices. a) C’est pourquoi il restera toujours sourd à l’appel de l’abstraction, au simple remplacement des figures singulières du tableau par des figures géométriques - non-humaines - livrées au regard du spectateur. Pour lui, l’abstraction consistera simplement à déplacer l’accent de la facticité picturale de l’acte de peindre à l’acte de regarder la peinture. b) Il ne s’agit pas non plus pour Matisse de transférer la facticité picturale sur la facticité technique, d’où son refus au même titre des ready-made. c) Enfin, son refus d’explorer le collage comme manière de sortir de la facticité bi-dimensionnelle pour la transférer sur une facticité tridimensionnelle confirme ceci :

Matisse ne sortira pas du cadre du tableau et du style par la voie de la figure. Il ne rompt jamais avec la figure, même s’il en épuise les ressources de l’intérieur de l’espace pictural. Il n’est pas question pour lui de quitter l’espace du tableau par un événement proposé à l’endroit de ce qui peuple habituellement le tableau, mais bien au contraire de remettre en question le tableau lui-même comme espace par excellence de l’art. C’est pourquoi la crise traversée par Matisse à la fin des années 20 ne pourra avoir d’issue que sur le mode d’un questionnement proposé en amont, adressé à l’espace même de l’art. Matisse s’inscrira ainsi définitivement son art à rebours des avant-gardes, la quête de l’événement étant pour lui antinomique à sa propre recherche, ici de l’essence de l’espace de l’art une fois épuisées les ressources du tableau. Comme il le dit lui-même en 1929 à Tériade : « la véritable jeunesse n’est pas celle qu’on pense, celle par laquelle on commence, mais celle qui s’épanouit au moment où l’artiste conquiert sa propre liberté »[2].

Les deux œuvres majeures qui lui sont confiées au début des années 30 - les « illustrations » des Poésies de Mallarmé par Skira et la « fresque » pour la lunette de la fondation Barnes à Merion - seront pour lui l’occasion de mettre en question l’espace pictural en n’utilisant plus le support habituel de la toile. Par la feuille blanche d’une part, support usuel du poème, et le mur blanc d’autre part, support usuel de l’architecte d’autre part. Matisse va ainsi sortir du cadre du tableau et du style, une fois poussée à sa saturation la surface de la toile, en investissant par le dessin et la couleur les supports d’autres arts. Sur le terrain de la poésie et de l’architecture, il va s’attacher non à concurrencer le poète et l’architecte comme d’autres spécialistes en art, mais à montrer par les ressources habituelles de la peinture - dessin et couleur - les supports de l’artiste comme autant de purs espaces. Comment ? a) D’une part, Matisse ne va pas illustrer les poèmes de Mallarmé, c’est-à-dire proposer des images qui seraient les équivalents picturaux du poème. Au contraire, il va s’attacher à faire porter le regard du spectateur, à partir de son propre dessin, sur la feuille blanche laissée en réserve par le poète, non comme un simple support neutre préalable à son événement créateur, mais comme l’espace même d’où son art s’origine. b) D’autre part, il ne va pas peindre à Mérion une fresque sur le mur d’une pièce qui serait l’équivalent d’une toile, d’un espace réservé par l’architecte à un complément pictural. Mais il va produire des panneaux qui s’ajustent à un espace purement architectural, les lunettes se situant au niveau d’écoinçons au-dessus des trois portes-fenêtres de la salle centrale. Ainsi, les figures de la « Danse », faites de couleur sans touche, seront conçues moins pour se montrer elles-mêmes que pour montrer la structure de l’espace dans lequel elles s’insèrent littéralement - elles dansent sur le mur mais aussi dans le mur - c’est-à-dire la structure même de l’architecture. Ainsi Matisse restera-t-il peintre en un sens tout à fait autre que celui de peintre de chevalet, que peintre de la toile et du style. Mais au sens de celui qui n’a de cesse de questionner en direction de l’espace dans l’art, en le montrant autant qu’il est possible par les ressorts, dessin et couleur, de la peinture.

Texte rédigé par Alain Liégeon

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[1] Matisse, Ecrits et propos sur l’art, « A divers interlocuteurs », p.266.

[2] Matisse, in Tériade, Ecrits sur l’art, « Documentaire sur la jeune peinture I, Considérations liminaires », p.179.

HATEAU Dominique et DARRAS Bernard (dir.)

Arts et Multimédia, l’œuvre d’art et sa reproduction à l’ère des médias interactifs

Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, 202 p.

A l’heure où, en France, le multimédia culturel, et plus précisément le cd-rom d’art est devenu l’une des pierres de taille de la production multimédia, cet ouvrage fait le point (état des lieux appelé à évoluer) sur une série de questions posées par cet objet.

Les questions posées sont de trois ordres, qui regroupent les contributions sous trois thèmes :

L’œuvre d’art et sa reproduction : quels statuts respectifs à l’heure du multimédia.

Bernard Darras et Anna M. Kindler présentent une étude de représentations concernant le rapport qu’entretient l’œuvre d’art à l’unicité et au multiple : une œuvre doit-elle ou non être unique ? Le public est scindé selon deux critères : français et canadiens, novices et experts. Les résultats montrent que dans l’ensemble les français novices restent attachés à une conception traditionnelle de l’œuvre d’art, conçue comme devant être unique, par opposition aux experts français et à l’ensemble des canadiens, dont la conception moderne de l’art correspond à celle d’une œuvre pouvant être multiple. Le terme opposé à l’unicité diffère cependant d’une population à l’autre : si les novices français comparent l’œuvre unique à sa copie, français experts et canadiens font référence à l’œuvre multiple (et non copiée ou reproduite).

Dans la foulée de la première recherche présentée, Bernard Darras investigue ce qui, pour la population française de celle-ci, fait la différence entre l’œuvre d’art originale, la copie, le multiple et la reproduction. L’unicité de l’œuvre d’art est opposée à sa copie par les novices, et à l’œuvre multiple par les experts, de sorte que les premiers ont plus tendance que les seconds à considérer cette unicité comme un impératif. A partir d’une nouvelle population, Darras poursuit en se penchant sur les jugements liés aux productions non-uniques et non-originales (par rapport à l’original unique). Au sein de celles-ci, la reproduction se distingue : les faiblesses qui lui sont attribuées sont plus nombreuses et plus consensuelles que celles assignées au multiple ou à la copie. Darras les réorganise en une " théorie des faiblesses de la reproduction, (…) [qui] fait écho à une théorie équivalente de l’œuvre originale et unique. " (p. 24). La troisième partie de l’article est consacrée aux reproductions dans le cd-rom d’art. Les résultats portent sur l’intérêt attribué par les sujets aux outils de l’interactivité et du

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multimédia et aux sources d’information disponibles dans les cd-roms d’art ; le public interrogé fait montre d’une attitude valorisant les outils et informations centrées sur l’œuvre elle-même (zoom, affichage plein écran, analyse iconographique, plastique, etc.), au profit de ceux contextualisant l’œuvre (vues du musée, historique de l’œuvre, etc.). Ces résultats poussent Darras à conclure à une " dissonance culturelle entre les capacités d’un nouveau média et ce que l’on attend de lui ".

Gérard Pelé nous offre un article plus réflexif qu’empirique. Après une courte première partie consacrée à l’interactivité et à la simulation dans les interfaces et la navigation hypermédia, Pelé revient sur la définition première de l’hypertexte, conçu comme le couplage d’une base de données évolutive et d’une procédure de calcul permettant la génération de liens au cours de la consultation, conférant à la base sa structure. L’auteur oppose le principe de l’hypertexte à ce qu’il est devenu le plus souvent : un ensemble de données déjà structurées par des liens prévus par un concepteur, formant un réseau figé. Dans la pratique, l’hypermédia n’existe donc pas encore. Dans la définition originale, nous dit Pelé (et c’est là l’une des idées centrales de l’article), " ce qu’on attribue à la machine, en termes de capacités associatives, on le retire à l’utilisateur " (p. 43). La machine se voit attribuer pour une part un fonctionnement organique (proche du fonctionnement de notre propre mémoire). Moyennant la confiance dans la capacité du système à remplir sa mission d’association, le système machine-utilisateur peut fonctionner sur le mode de la répartition des tâches : dégrossissement par la machine sur base de critères de recherche, génération de liens, puis navigation par l’utilisateur dans les liens générés. Et l’auteur de rapprocher ce fonctionnement de l’évolution d’Internet, où les moteurs de recherche (fonctionnant sur ce modèle) ont un succès croissant.

L’article de Pierre Barboza se centre sur l’analyse des interfaces de navigation de quatre hyperdocuments présentant le corpus d’un photographe, et débouche sur plusieurs recommandations concernant la conception de tels interfaces. Les problèmes identifiés dans les interfaces étudiés sont de plusieurs ordres, parmi lesquels le classement des images (sur base d’une description objective (auteur, nom, support, etc.) ou de la description de l’image ?), et le peu d’initiative est laissée à l’utilisateur, qui ne dispose pas des " outils appropriés au développement de sa propre logique " (p. 52) dans la navigation. L’auteur recommande de respecter la spécificité du fonctionnement iconique d’une part, et de partir du potentiel d’interaction entre utilisateur et ordinateur. Le concept de posture d’interface (position assignée par le dispositif à l’utilisateur par rapport à l’image) vient appuyer cette seconde ligne de conduite. Dans les modalités de passage d’une image à l’autre, l’auteur propose de jouer sur l’opposition " même contenu — contenu différent ", appliquée à différents critères (forme, composition, dénotation, connotation). Enfin, en ce qui concerne l’exploration des images elles-mêmes, il s’agit de redonner son importance à l’image elle-même (par opposition aux informations documentaires la concernant).

Jac Fol nous livre un article réflexif, partant de la métamorphose de notre relation aux savoirs imprimée par le multimédia. Dans ce contexte, il identifie trois modalités possibles du renouvellement des pratiques artistiques du multimédia : le multimédia comme moyen de diffusion de l’art, comme pratique artistique autonome, et comme " autre " support pour les pratiques artistiques. L’auteur développe cinq tendances artistiques à l’aulne du multimédia (le mutualisme (collaboration des producteurs artistiques entre eux, et participation productive de l’assistance), l’encyclopédisme ludique (), l’actualisme (tendance de l’actualité à revendiquer de plus en plus un statut artistique), le transformisme (amenuisement de la différenciation d’autres pratiques (sociale, politique, économique, etc.) de la part de l’art, dont

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c’était la spécificité) et le productivisme) (tendance à faire dans le grand public et la diffusion la plus large possible), au sein desquelles il détaille chacune des trois pratiques identifiées.

Face à la production et à la reproduction artistique, Jean-Pierre Balpe pose la re-production : après avoir occupé différents statuts, " l’œuvre d’art est [aujourd’hui] dans l’événement toujours recommencé dont on ne peut conserver que des traces ", dit-il (p. 65). Il exemplifie son propos à travers trois générateurs de texte, faisant ou non partie d’un dispositif plus large. " Romans " est un ensemble de quatre générateurs de romans, chacun des quatre créant des situations, des personnages, des décors qui peuvent être utilisés par les trois autres. " Trois mythologies et un poète aveugle " consiste en la mise en relation d’un générateur de texte et d’un générateur de musique, de trois lecteurs (lisant les productions du générateur de texte), d’un percussionniste, d’un pianiste et d’une soprano, interagissant lors d’une soirée spectacle. Enfin, " Barbe-Bleue " articule un générateur de livret et de dialogue, un générateur de musique, un générateur de scénographie, le tout composant un " opéra génératif numérique ". A travers ces trois exemples, Balpe nous montre comment l’œuvre artistique est désormais " un ensemble ouvert, générique, de multiples dont chacun est pourtant un original " (p. 78)

Le multimédia d’art : analyse du cd-rom sur l’art

Ondine Bréaud et Françoise Casanova étudient la façon dont l’œuvre artistique est abordée, contextualisée, spectacularisée au sein de cd-roms consacrés à la peinture et à la sculpture. Elles distinguent quatre " pratiques du mode reproductif / représentatif de l’œuvre " dans ces supports, ces quatre modes regroupant eux-mêmes " quatorze types d’apparition et de disparition de " l’œuvre " " (p. 82). Les modes distingués sont : la présence à l’écran de l’œuvre seule, destinée à être regardée, contemplée ; son accompagnement par des co-textes, destinés à la rendre intelligible ; son insertion dans un contexte réel ou imaginaire (musée existant, exposition virtuelle) dont elle sert de faire-valoir ; et enfin la reconstitution de son motif en trois dimensions.

Claire Gacongne, à travers une analyse comparative de trois cd-roms sur Cézanne, synthétise les grandes questions classiques sur les fonctions du cd-rom d’art. Elle met ainsi en question " la capacité d’un tel média à transmettre des connaissances sur un artiste " (p. 101). Selon elle, la consultation du cd-rom ne peut se substituer à la vision de l’œuvre originale ; celui-ci met par contre à disposition une foule de connaissances ‘annexes’ sur celle-là. Mais, s’interroge l’auteur, sont-elles nécessaires à la compréhension d’une peinture ? Par rapport au livre, le cd-rom représente un structure offrant un désordre organisé, reposant sur les choix de l’utilisateur, qui rompt avec la linéarité du texte. Mais une telle (dé)structuration ne nuit-elle pas à la compréhension de l’évolution de la peinture de Cézanne ?, et n’entrave-t-elle pas " l’échafaudage de l’ensemble de connaissances qui se crée habituellement dans un cheminement linéaire " (p. 107) ? Et l’auteur de conclure qu’il est des sujets plus appropriés à certains supports qu’à d’autres, la peinture de Cézanne ne figurant pas parmi les sujets les mieux rendus par le cd-rom.

Dominique Château se centre sur le cd-rom Une passion pour l’art, Renoir, Cézanne, Matisse et le Dr. Barnes, et se demande si la méthode de visite des musées inaugurée par le collectionneur que fut le docteur Barnes transparaît dans ledit cd-rom. Après quelques repères historiques sur le personnage, l’auteur rappelle brièvement la méthode —rapprochant les œuvres les plus hétéroclites pour en dégager les qualités plastiques, picturales— et ses présupposés idéologiques. A partir des parcours proposés par le cd-rom, l’auteur en vient à une double conclusion en regard de sa question de départ. D’une part, le support offre un

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ensemble de documents (lettres articles, etc.) explicitant ladite méthode ; mais il n’offre en revanche aucune mise en œuvre réelle de celle-ci. Ainsi, la visite virtuelle de la Fondation Barnes, lieu où la méthode Barnes devrait être la plus manifeste, c’est un discours d’historien, descriptif et iconographique qui est tenu, au sein duquel les aspects historiques et encyclopédiques priment sur la mise en avant des spécificités plastiques des œuvres exposées.

André Gardies part de son expérience de conception d’un cd-rom sur Le cinéma des Lumières pour dégager quelques spécificités du " langage multimédia " (comparé au langage cinématographique). Il se centre dans un premier temps sur la notion d’unité minimale du langage qui, toujours temporelle au cinéma, s’identifie à l’écran dans le multimédia, et correspond ici à une unité de savoir. Il envisage ainsi en quoi la notion d’unité minimale doit être modalisée par les opérations possibles sur cette unité, et les rapports que celle-ci entretient au reste du support.

La notion même d’unité doit être modalisée par :

• la possibilité de déliaison des différentes sources de savoirs (texte, image, son) • les opérations complémentaires pouvant être menées sur cette unité (loupe, escamot,

etc.) • la dépendance de cette unité vis-à-vis d’unités plus larges, son implication dans une

logique verticale (lien de niveaux supra ou infra) et horizontale (unités de même niveaux)

La question de la navigation et de l’interactivité retient ensuite son attention. La question posée est : en quoi la possibilité de navigation transforme-t-elle la maîtrise du discours ? Sur quatre dimensions : la temporalité (plus de primat de la chronologie), les principes d’ordonnancement (causalité, argumentation, etc. ne peuvent plus être mis en avant facilement qu’au sein d’un bloc), les liaisons (quels liens, quels parcours possibles), et les transformations (action de l’utilisateur produisant des transformations à l’écran). Et, partant, quels sont les rapports entre les nouvelles opérations permises par le support et " la dimension informative du discours factuel. Produisent-elles des informations nouvelles ? Si oui sont-elles de même niveau que celles données par le discours émetteur " (p. 130). Il distingue ainsi dans le produit conçu le discours produit par le concepteur, qu’il maîtrise, et " une situation illocutionnaire au cours de laquelle l’utilisateur agit en temps réel sur le discours en cours " (p. 130) pour produire son propre discours, qui ne rétro-agit jamais sur le premier.

Les usages muséaux : vers une modification des pratiques muséales face au multimédia (qu’il y soit intégré ou qu’il s’y substitue).

La recherche empirique qui sous-tend l’article de Jean Davallon, Hana Gottesdiener et Joëlle Le Marec a pour but de comprendre comment l’usage du cd-rom de musée est en train de se construire. Des entretiens approfondis ont été menés auprès de trois populations (usagers assidus, néophytes, et acheteurs potentiels de cd-roms repérés sur les lieux de vente). Les auteurs tirent des conclusions sur deux plans : sur le rapport aux œuvres que le cd-rom instaure d’abord : celui-ci offre un ensemble d’outils (zoom, angles multiples, etc.) qui peuvent être mis " au service d’un décodage de l’œuvre " (p. 137) ; sur le fonctionnement du cd-rom ensuite : comment celui-ci construit un rapport entre lui et l’utilisateur (avantages : rapidité, flexibilité, souplesse ; propice au " feuilletage " ; possibilité revendiquée d’intervenir directement sur le contenu) ; entre œuvres ou entre l’œuvre et d’autres informations (par opposition au livre : qualité d’images inférieure, qualité supérieure des informations,

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accessibilité des informations précises), et enfin entre lui et la visite du musée (à part pour une minorité, la visite reste indispensable ; le cd est alors considéré alternativement comme tremplin et stimulant à la visite, comme outil de préselection dans celle-ci, comme aide à la navigation dans le lieu réel (une visite virtuelle permet de se familiariser avec l’endroit, comme incitant à aller voir l’original ou à poursuivre en visitant une réflexion amorcée avec le cd, ou encore comme catalogue de l’exposition après visite).

Ils se départissent de la position voyant dans la reproduction une " perte d’authenticité " par rapport à l’original, position située du point de vue de l’œuvre, considérant le public comme un ensemble indistinct, fait de gens ne sachant pas ce qu’ils font ni ce qu’ils regardent. La question n’est pas celle de la reproduction à l’original, mais celle de la présentation de l’œuvre à la médiatisation de cette présentation. Le cd-rom propose des " façons de voir ", comme s’il indiquait comment regarder avec un regard éduqué, mais aussi des " modes d’accès physique, cognitif et symbolique aux œuvres " (p. 143). La médiation de l’œuvre opérée par le cd-rom ne correspond pas à une dévalorisation, mais plutôt à un moyen de construire de nouvelles relations à celle-ci, complémentaires à celles de la visite.

Xavier Perrot envisage en quoi l’insertion des médias interactifs dans le musée peut transformer et redéfinir celui-ci, générant de nouvelles formes d’institutions muséales. Le multimédia ouvre de nouvelles portes au musée, le dégageant des contraintes de l’espace physique qui lui sont propres. A l’heure actuelle, les musées recourant aux médias interactif conçoivent exposition et produits multimédias soit comme redondants, soit comme totalement différenciés ; d’où la nécessité mise en avant par l’auteur de travailler à une complémentarité des deux, ainsi qu’à une intégration du multimédia dans l’exposition. Celui-ci peut aussi se substituer à l’exposition. Le rapport s’inverse alors, comme dans le cas du Projeto Portinari, musée à instance multiple. Pour Perrot, " redéfinir le musée aujourd’hui [à l’aulne des médias interactifs], c’est penser son rôle dans la société de l’information " (p. 155). A l’heure où le musée n’est plus nécessairement une témoin matériel de l’homme, c’est la notion même de patrimoine qu’il convient de repenser.

Bernadette Goldstein part du constat que le multimédia stimule les deux missions (scientifique et d’éducation - diffusion) du musée, et force celui-ci à sortir de ses murs, " dans une démarche de médiatisation consciente " (p. 159). Mais quelle production de sens, quels changements dans l’activité de l’usager, dans ses représentations de ce qu’il consulte ceci engendre-t-il ? L’auteur montre comment dans les pratiques des musées, des exigences divergentes envers les technologies numériques doivent être conciliées : exhaustivité et qualité scientifique d’une part, ambition éducative (textes de commentaires, possibilité de comparaison ou animations d’œuvres pour éduquer le regard) de l’autre. Elle envisage ensuite les rapports bilatéraux entre médiation des savoirs et médiation technique : comment la conception technique est fonction du contexte d’usage (la borne muséographique dépend du projet éducatif du musée, le cd-rom culturel est conçu en fonction de publics précis), comment les stratégies de médiation s’élaborent sur base des possibilités techniques et de l’écriture naissante propre aux nouveaux médias. Enfin, elle stigmatise la variation des usages en fonction des contextes, sur base d’observations portant sur les usagers de bornes muséographiques, d’un cd-rom culturel et du site web d’une exposition imaginaire.

Frédérique Payn nous propose une étude du cd-rom du musée d’Orsay, et des relations qu’il entretient à l’exposition. Au contraire des guides imprimés, instruments de visite du musée, le cd-rom reproduisant l’exposition, consulté à domicile, est relativement autonome de celle-ci. Il est à la fois reproduction du musée et entité autonome, ayant son organisation et son style

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propre. Au lieu de résoudre le problème de l’orientation dans le musée, constate Payn, le cd-rom le dédouble : à l’orientation dans le lieu réel s’ajoute celle " dans l’architecture même du cd-rom qui est un univers de routes possibles " (p. 168). Et l’auteur d’identifier les sources de désorientation dans le cd-rom du musée d’Orsay. Si ce cd-rom propose une simulation du musée d’Orsay, le musée simulé est lui aussi virtuel : il s’agit d’un musée vide de ses visiteurs, une utopie, " [u]n musée suspendu dans le temps et dans l’espace, un musée exposé " (p. 172). L’auteur conclut en observant que le cd-rom constitue par certains aspects un musée à lui seul : il " substitue à l’exposition muséale son propre mode d’exposition " (p. 173), dont la logique de socialisation, propre aux musées réels, est évincée.

L’article d’Isabelle Rieusset-Lemarié traite des musées virtuels et de leur usage de la photographie, en partant de la position selon laquelle " la reproduction photographique n’y est pas duplication mais métamorphose de l’œuvre d’art " (p. 175). L’unité de support de reproduction permet de confronter celle-ci à d’autres œuvres, là où " l’isolement fétichiste de l’œuvre " (p. 179) occultait le lien entre elles. En nous libérant du fétichisme de l’unicité de l’œuvre, la reproduction photographique peut mettre en avant sa genèse. Elle fait de l’image une œuvre autonome. L’auteur constate ensuite la distance entre cette conception de la reproduction et l’usage qui est fait de celle-ci dans les sites web de musées virtuels. Ceux-ci sous-exploitent largement leur spécificité, comme s’ils ne pouvaient rivaliser avec leurs équivalents réels, et ne permettent le plus souvent de découvrir que des chefs-d’œuvre reconnus, sans exploiter les liens entre œuvres déjà évoqués. Le décalage est d’autant plus grand par rapport aux œuvres d’art numériques, " œuvre interactive en réseau dont la reproduction en temps réel n’est plus duplication d’une œuvre achevée mais re-production d’une œuvre en constante métamorphose " (p. 186). C’est sur ce nouveau type d’œuvre que l’auteur clôt son article, en explorant ce sur quoi se fonde l’aura de telles œuvres.

Jean-Louis Weissberg se centre dans son article sur le projet Lascaux III, reproduction en réalité virtuelle des grottes de Lascaux, et articule la réflexion sur l’œuvre originale (la grotte) à celle sur sa " virtualisation " : " mettre la virtualisation à l’épreuve de Lascaux, c’est-à-dire faire résonner entre eux, par delà les millénaires, deux régimes de figuration " (p. 190). Après avoir cherché la légitimité d’une telle entreprise dans la notion de répétition, à la base de tout geste de création artistique, l’auteur imagine un scénario pour une visite virtuelle de Lascaux. Virtualiser n’est pas dupliquer, nous dit-il : le but n’est pas de générer une copie exacte, mais de produire quelque chose de nouveau : donner accès à l’histoire dont Lascaux I, la grotte, est l’aboutissement, et ce afin de créer une nouvelle vision de l’œuvre. La virtualité de Lascaux III est à prendre au sens étymologique : la reconstitution de l’histoire de Lascaux I comporte une dimension hypothètique, incertaine, elle est faite de possibles. Lascaux III permet aussi de pousser plus loin la réflexion sur le mode de représentation propre à l’original, intégrant la profondeur, nous dit Weissberg, ainsi que de mettre en avant l’hypothétique symbolisme qui régit la construction de l’œuvre. L’auteur se penche ensuite sur la question de l’élaboration d’une déontologie de la virtualisation d’œuvres, d’espaces, de sites, dans leurs rapports aux originaux : celle-ci —dit-il— devrait " préciser ce que l’on peut espérer d’une telle transposition " (p. 200). L’article se termine enfin sur quelques hypothèses quant à ce qui nous fait craindre que la copie se substitue à l’original, que l’on confonde les deux, là où personne ne se méprend jamais sur l’une ni sur l’autre.

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Un regard mystique :

Commencer par afficher les peintures en cliquant ici. Les peintures s'afficheront dans la partie basse de votre écran. Elles proviennent d'un site personnel qui présente plusieurs pages d'art chrétien. Pour en savoir plus sur ce site, vous pouvez aller voir sa page d'accueil. Attention : pour toutes les reproductions, droits réservés.

Prendre le temps de regarder les reproductions

1 - Pietro Cavallini (1250 - 1344) (mosaïque) Santa Maria, Trastevere Rome

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2 - Giotto di Bondone (1266 - 1337) (fresque) Chapelle d'Arena Padoue

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3 - Gérard Hornebout (XV° siècle) British Library Londres

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Stephan Lochner -(14051451)Pinakothek

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Martin Schongauer (1430 - 1491) Pinakothek Munich

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Maître Esiguo (XV° siècle) Musée des Beaux-Arts Rouen

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Piero della Francesca (1416 - 1492) National Gallery Londres

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Domenico Ghirlandaio (1449 - 1494) Sainte Trinité Florence

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Francesco Botticini (1446 - 1497) Museum of Art São Paolo

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9 peintures pour prier le Mystère de la Nativité

Commencer par afficher les peintures. Les peintures s'afficheront dans la partie basse de votre écran. Elles proviennent d'un site personnel qui présente plusieurs pages d'art chrétien. Pour en savoir plus sur ce site, vous pouvez aller voir http://www.ifrance.com/tadou/index.html . Attention : pour toutes les reproductions, droits réservés. Prendre le temps de regarder les reproductions en petit format qui sont apparues en bas de l'écran. Choisir celle qui me donne spontanément envie d'aller voir de plus près. Cliquer dessus pour la charger en grand format sur mon ordinateur (une nouvelle fenêtre s'ouvrira). Une fois le document chargé, je pourrai me déconnecter pour prier avec l'image choisie tout en poursuivant la lecture les indications ci-dessous (soit en les lisant sur cet écran, soit en les imprimant à partir de ce fichier texte). Regarder la peinture, les couleurs, les formes, la disposition des objets et des personnages. Me laisser toucher par l'impression d'ensemble. Puis fermer les yeux pour me tourner vers le Seigneur. Me rendre présent à sa présence. Marquer l'entrée en prière par un signe de croix par exemple, une phrase… Demander au Seigneur la grâce que propose Saint Ignace pour la Nativité : " Une connaissance intérieure du Seigneur, qui pour moi s'est fait homme, afin de mieux l'aimer et le suivre ". Redire cette phrase plusieurs fois pour que son sens passe de ma tête à mon cœur et que je puisse la dire avec un profond désir de connaissance intérieure du Christ fait homme par amour pour moi, pour tous les humains. Dans un premier temps : Considérer les personnages célestes, leur position, leur attitude. Voir comment ils s'intéressent à ce qui se passe sur la terre et leur rôle. Voir les personnages de la terre, les uns après les autres, leur habillement, leur âge, leur attitude, comment ils sont les uns par rapport aux autres. Les uns graves ou joyeux, les autres tristes ou étonnés, etc. Puis regarder Marie, Notre-Dame, qui vient d'accoucher et l'enfant Jésus qui vient de naître. Voir où ils sont situés par rapport à l'ensemble de la scène, leur habillement, leur posture… Dans un deuxième temps : Entendre ce que les uns et les autres disent et comment ils conversent entre eux. En particulier entendre ce que l'ange du Seigneur et les bergers disent : Luc 2, 10- 15. Par l'imagination, essayer d'entrer dans les propos qui ont pu être les leurs au moment de cette naissance.

L'ange dit aux bergers : “ Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèhe. ” Et soudain se joignit à l'ange une troupe nombreuse de l'armée céleste, qui louait Dieu, en disant : “ Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! ” Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux : “ Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître. ”

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Luc 2, 10 -15 © Traduction Bible de Jérusalem, Editions du Cerf

Dans un troisième temps : Comprendre ce qui se dit dans cette œuvre picturale. En comparant avec l'évangile, découvrir ce qui est fidèle au texte et ce qui s'en détache. Le peintre transmet ce qu'il a compris lui-même de la venue de Dieu parmi nous. Pour cela il a donné des expressions aux personnages, il les a mis dans une situation particulière qui peut me réjouir ou me heurter. Me laisser toucher par tout cela pour comprendre à mon tour un aspect de cet avènement :

“ Lui, de condition divine, Ne retint pas jalousement, le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti lui-même Prenant condition d'esclave, Et devenant semblable aux hommes… ”

Ph. 2,6-7 © Traduction Bible de Jérusalem, Editions du Cerf

Terminer en parlant au Sauveur qui vient de naître, à la Vierge Marie ou au Père pour lui partager mes découvertes, mes joies et mes peines. Conclure avec un “ Notre Père ” pour élargir ma prière à l'Eglise universelle. A un autre moment, je pourrai choisir une autre des 9 autres reproductions, et vivre un nouveau temps de prière.

L'ange dit aux bergers : "Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche." Et soudain se joignit à l'ange une troupe nombreuse de l'armée céleste, qui louait Dieu, en disant : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance !" Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux : "Allons jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître."

Luc 2, 10 -15 © Traduction Bible de Jérusalem, Editions du Cerf.

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Regarder la peinture, les couleurs, les formes, la disposition des objets et des personnages. Me laisser toucher par l'impression d'ensemble.

Puis fermer les yeux pour me tourner vers le Seigneur. Me rendre présent à sa présence. Marquer l'entrée en prière par un signe de croix par exemple, une phrase… Demander au Seigneur la grâce que propose Saint Ignace pour la Nativité : " Une connaissance intérieure du Seigneur, qui pour moi s'est fait homme, afin de mieux l'aimer et le suivre ". Redire cette phrase plusieurs fois pour que son sens passe de ma tête à mon cœur et que je puisse la dire avec un profond désir de connaissance intérieure du Christ fait homme par amour pour moi, pour tous les humains

Dans un premier temps : Considérer les personnages célestes, leur position, leur attitude. Voir comment ils s'intéressent à ce qui se passe sur la terre et leur rôle. Voir les personnages de la terre, les uns après les autres, leur habillement, leur âge, leur attitude, comment ils sont les uns par rapport aux autres. Les uns graves ou joyeux, les autres tristes ou étonnés, etc. Puis regarder Marie, Notre-Dame, qui vient d'accoucher et l'enfant Jésus qui vient de naître. Voir où ils sont situés par rapport à l'ensemble de la scène, leur habillement, leur posture…

Dans un deuxième temps : Entendre ce que les uns et les autres disent et comment ils conversent entre eux. En particulier entendre ce que l'ange du Seigneur et les bergers disent : Luc 2, 10- 15. Par l'imagination, essayer d'entrer dans les propos qui ont pu être les leurs au moment de cette naissance.

Dans un troisième temps : Comprendre ce qui se dit dans cette œuvre picturale. En comparant avec l'évangile, découvrir ce qui est fidèle au texte et ce qui s'en détache. Le peintre transmet ce qu'il a compris lui-même de la venue de Dieu parmi nous. Pour cela il a donné des expressions aux personnages, il les a mis dans une situation particulière qui peut me réjouir ou me heurter. Me laisser toucher par tout cela pour comprendre à mon tour un aspect de cet avènement :

"Lui, de condition divine, Ne retint pas jalousement, le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti lui-même Prenant condition d'esclave, Et devenant semblable aux hommes… "

Ph. 2,6-7 © Traduction Bible de Jérusalem, Editions du Cerf.

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Terminer en parlant au Sauveur qui vient de naître, à la Vierge Marie ou au Père pour lui partager mes découvertes, mes joies et mes peines.

Conclure avec un "Notre-Père" pour élargir ma prière

à l'Eglise universelle.

A un autre moment, je pourrai choisir une autre des 9 autres reproductions, et vivre un nouveau temps de prière.