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109 Réfractions 17 N os vies manquent cruellement de pouvoir politique.Tout nous échappe, tout est régi sans notre intervention. Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle loi, un nouveau décret, vienne réglementer, limiter, interdire l’une ou l’autre activité. Que cela concerne la production économique, les institutions judiciaires, l’enseignement public ou l’aménagement du territoire, jamais les acteurs principaux ne prennent part aux décisions. Le pouvoir de décider pour tous est confisqué par une petite classe, plus ou moins endogame et auto-reproductrice, de professionnels sur lesquels seules les puissances financières ont de l’influence. Pour le particulier, presque plus rien n’est permis, presque plus rien n’est possible. La nécessité du pouvoir politique Il me semble important de penser que, dans une société anarchiste, c’est bien de pouvoir politique que l’ensemble des membres jouiraient, et que ces deux termes, « pouvoir » et « politique » doivent être revendiqués positivement lorsque nous tentons de faire progresser notre type d’organisation collective. Ceci demande, en premier lieu, de refuser les dérives par lesquelles le sens péjoratif des termes tend à s’imposer exclusivement. On ne doit pas toujours reculer devant les avancées de la récupération du langage par les instances dominatrices, on ne doit pas toujours inventer de nouveaux mots pour qu’ils soient à leur tour immédiatement détournés de leur sens 1 . En ce qui concerne le terme « pouvoir », Eduardo Colombo écrivait dans le n° 7 de Réfractions : Comment reprendre en mains le pouvoir politique Annick Stevens Luttes et révoltes d’aujourd’hui 1 Voir dans ce numéro le compte-rendu de l’ouvrage d’Eric Hazan, LQR. La propagande au quotidien, Raisons d’agir, Paris, 2006. Réfractions n° 17, hiver 2006 Pouvoir et conflictualités

Comment reprendre en mains le pouvoir politique · 109 R é f r a c t i o n s 1 7 Nos vies manquent cruellement de pouvoir politique.Tout nous échappe, tout est régi sans notre

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Nos vies manquent cruellement de pouvoir politique. Toutnous échappe, tout est régi sans notre intervention. Il ne sepasse pas un jour sans qu’une nouvelle loi, un nouveau décret,

vienne réglementer, limiter, interdire l’une ou l’autre activité. Que celaconcerne la production économique, les institutions judiciaires,l’enseignement public ou l’aménagement du territoire, jamais lesacteurs principaux ne prennent part aux décisions. Le pouvoir dedécider pour tous est confisqué par une petite classe, plus ou moinsendogame et auto-reproductrice, de professionnels sur lesquels seulesles puissances financières ont de l’influence. Pour le particulier, presqueplus rien n’est permis, presque plus rien n’est possible.

La nécessité du pouvoir politique

Il me semble important de penser que, dans une société anarchiste,c’est bien de pouvoir politique que l’ensemble des membres jouiraient,et que ces deux termes, « pouvoir » et « politique » doivent êtrerevendiqués positivement lorsque nous tentons de faire progressernotre type d’organisation collective. Ceci demande, en premier lieu, derefuser les dérives par lesquelles le sens péjoratif des termes tend às’imposer exclusivement. On ne doit pas toujours reculer devant lesavancées de la récupération du langage par les instances dominatrices,on ne doit pas toujours inventer de nouveaux mots pour qu’ils soientà leur tour immédiatement détournés de leur sens1.

En ce qui concerne le terme «pouvoir», Eduardo Colombo écrivaitdans le n° 7 de Réfractions :

Comment reprendre en mains le pouvoir politique

Annick Stevens

Luttes et révoltes d’aujourd’hui

1Voir dans ce numéro le compte-rendu de l’ouvrage d’Eric Hazan, LQR. La propagandeau quotidien, Raisons d’agir, Paris, 2006.

Réfractions n° 17, hiver 2006Pouvoir et conflictualités

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2 Du pouvoir politique, Réfractions 7, p. 27-28.

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« En ce qui nous concerne,“pouvoir”,comme verbe ou comme substantif, faitréférence à la capacité de faire, « êtrecapable de », avoir le pouvoir (ou lacapacité) de produire des effets, ce quidonne, donc, mille possibilités d’agir surle monde.

Parmi celles-ci, la possibilité d’exercerun pouvoir, d’agir sur quelqu’un, ou surun peuple tout entier, et d’avoir sur luide l’ascendant, de l’autorité, de l’empire,de la puissance, c’est-à-dire avoir lepouvoir de lui imposer un comporte-ment ou une situation non désirés, en unmot, avoir le pouvoir de dominer.

En politique, le mot « pouvoir » secharge presque exclusivement de cetteacception, et «pouvoir» et «domination»deviennent synonymes. Ce qui est déjàcontenu dans les origines étymologiquescommunes de domination, potestas,pouvoir, puissance.

Mais, en politique, une distinctionfoncière sépare, doit séparer, «pouvoir-capacité » et « pouvoir-domination ».Dans une situation qui implique deux ouplusieurs individus, la capacité de fairepeut devenir une force commune,synergique, d’individus ou de groupes enrelation de coopération, dans des condi-tions qui n’entament pas les rapportségalitaires des participants, ni leur libertéde décision ; la domination, par contre,désigne une relation nécessairementasymétrique : l’un (ou une partie)domine, l’autre (ou l’autre partie) sesoumet.» 2

Il est essentiel, devant l’inflation desrèglements et des interdictions, dereprendre le pouvoir sur nos vies, au sensde la capacité de les organiser selon nospropres désirs et nos propres raisons.Avoir conscience de posséder un pouvoirest une condition indispensable pouragir ; c’est exactement le contraire del’impuissance qui nous mine devant laplupart des événements actuels.

Pourquoi ce pouvoir est-il nécessaire-ment politique ? La tendance actuelle,dans les mouvements progressistes, estd’opposer le social, lieu de résistances etde revendications collectives, au poli-tique, lieu de confiscation des décisionspar l’oligarchie. Or, la dimension socialene suffit pas pour conquérir l’autonomiepar rapport aux pouvoirs institués ; elledoit se doter d’une dimension politique.En effet, le social est le lieu desdifférences non réfléchies, qu’elles soientnaturelles (différences de genre, d’âge, dedons et capacités,…) ou qu’elles se soientinstallées de manière non concertée aucours de l’histoire de la société (diffé-rences de statuts et de rôles dans cettesociété). Le politique est le lieu de laréflexion de la société sur elle-même.Une communauté devient politiquequand elle s’auto-institue, quand elleétablit de manière volontaire et délibéréeses principes fondateurs. La distinctionentre social et politique, présentée icidans les termes de Castoriadis, apparaîtdéjà chez Aristote, pour qui l’homme estcertes un animal social en tant qu’il aintérêt à se regrouper pour mieuxsurvivre, mais est le seul animal politique

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3 Irène Pereira, Pour un usage anarchiste dupragmatisme, publié sur la page http://1libertaire.free.fr/ AnarchismePragamatisme01.html4 Moscovici S. et Doise W., Dissensions etConsensus, PUF, 1992.

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en tant qu’il est le seul à pouvoirexprimer des valeurs telles que le juste etl’injuste, valeurs sur lesquelles doiventêtre fondés les principes organisateurs dela cité. Ceux-ci concernent essen-tiellement la répartition des richesses etdes rôles, les règles minimales à respecterpour que la vie collective soit possible, leschoix concernant les besoins et lesmanières de les satisfaire. À la premièreétape fondatrice, qu’on appelle tradition-nellement « constituante », s’ajouterontau fur et à mesure les décisions à prendreen fonction des situations sans cessenouvelles. Et même dans une organi-sation anarchiste on retrouvera les troispouvoirs définissant toute sphère poli-tique, car il y aura toujours des règles(plus ou moins durables) à établir, desdécisions à exécuter et des conflits ou desdangers à juger. En tant qu’il participe àla vie politique ainsi définie, chaquemembre de la communauté est«citoyen» (politès) et, en tant que tel, égalà tous les autres. Cela signifie que, quellesque soient ses déterminations socialestelles que famille, profession, posses-sions, culture, chacun a une voix égale,du fait que, simplement en tant qu’êtrehumain, il a part à la rationalité quipermet de comprendre, d’argumenter etde se fixer des objectifs généraux. Nonqu’il devienne un être abstrait dépouilléde tout ce qui le constitue en propre, maisl’important est qu’il soit capable dedépasser ce qui lui est propre pourpouvoir se placer à un niveau collectif.Comme le rappelle Irène Pereira3,Proudhon définissait ainsi la méthode duconsensus démocratique, qui consistait«à chercher l’idée supérieure, synthèseou formule, dans laquelle les deuxpropositions contraires se balancent, ettrouvent leur satisfaction, puis à fairevoter sur cette synthèse, qui, exprimantle rapport des opinions contraires, seranaturellement plus près de la vérité ». Et

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elle ajoute : « Proudhon a critiqué à denombreuses reprises la démocratiecomme tyrannie de la majorité. Or lesréflexions de Proudhon sur ce qu’ilappelle la raison publique rejoignentcelles d’auteurs contemporains commeSerge Moscovici dans Dissensions etConsensus : le consensus, loin d’éliminerle conflit, le suppose, car le consensus sedistingue du vote arithmétique et ducompromis au rabais, il est undépassement des opinions individuellespar le débat. Un vrai consensus est unesynthèse. Par conséquent, ce qui fait quela démocratie électorale ou le sondagesont critiquables, c’est qu’ils reposent surla simple addition des opinions et nonsur la formation d’une véritable opinioncollective ou publique par le débatargumenté4.

Que revendiquer, par conséquent, quinous fasse avancer concrètement vers laréalisation d’une véritable communautépolitique? La réponse la plus simple estde supprimer l’obstacle principal quinous en éloigne, c’est-à-dire lespersonnes et les institutions qui ontconfisqué le pouvoir politique. Celas’appelle une révolution et ça semblecomplètement hors d’atteinte. Danscertaines régions du monde, cependant,des progrès sont réalisés en ce sens, dontil vaut la peine d’évaluer les conditionsde possibilité et les résultats respectifs. Jene propose évidemment pas un pano-rama exhaustif et détaillé des initiativesexistantes ; j’envisagerai seulementquatre pays d’Amérique latine quiillustrent chacun une stratégie possiblede récupération du pouvoir politique par

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un mouvement de masse. Dans chacunde ces processus, je ne m’intéresseraiqu’aux aspects qui pourraient servir demodèles ou au contraire de repoussoirs,d’idées à exploiter ou d’erreurs à éviter,pour ceux qui dans le reste du mondecherchent à avancer vers une sociétélibertaire. Mon but est de répondreconcrètement à l’éternelle question «quefaire?», par des perspectives d’action quitiennent compte d’une dominationmondiale tellement écrasante qu’ellesemble parfois vouer toute entrepriserévolutionnaire à l’échec.

L’impasse de certains mouvements sociaux

Avant de tenter une ébauched’évaluation de ce type, je voudraismontrer le caractère illusoire de certainespropositions qui circulent dans lesmilieux progressistes.

Une première manière de se fourvoyercomplètement est celle qu’on entendproposer de plus en plus souvent, quiconsiste à créer un parti politique censéappuyer les revendications du mouve-ment social. Ainsi, par exemple, leComité pour l’annulation de la dette dutiers-monde appelle à une conférencesur le thème «La dimension politique del’alternative », où cette dimensionpolitique est en fait réduite à la formationd’un parti, comme le montre laprésentation suivante : « Le slogan“ changer le monde sans prendre le

5 Cf. cette déclaration de Susan George après leForum Social Mondial de Bamako : «Si jamais lemouvement était sommé de devenir un acteur“politique” dans le sens classique, assujetti auxdécisions d’une structure dominée par quelques-uns, non seulement cela ne marcherait pas maisje crains que cela ne fasse que reproduire, en plusgrand, la crise que nous avons connue à AttacFrance avec l’épisode des Listes cent pour centaltermondialistes. » (http://www.cadtm.org).

pouvoir”a fait florès à une époque. Cecirenvoie au dilemme rencontré par laplupart des composantes du mouvementaltermondialiste au Nord comme au Sud.“Le pouvoir corrompt”, c’est bien connu[…] mais peut-on faire aboutir les reven-dications altermondialistes sans arti-culation avec le pouvoir politique?». Unautre exemple, émanant d’une tendanceplutôt sympathique aux anarchistes, estcelui du mouvement pour la décrois-sance, qui vient de fonder un «Parti pourla décroissance » se préparant à«présenter des candidats dans toutes lescirconscriptions françaises en 2007 pourprésenter la décroissance à l’ensemble denos concitoyens. Le Parti pour ladécroissance appelle toutes celles et tousceux qui souhaitent que la décroissancesoit portée dans le champ politique à lerejoindre». Certains voient le danger quiguette une telle transformation desmouvements en partis5, mais ils ne voientpas d’alternative pour entrer dans le«champ politique» ou pour se donner dupouvoir politique. Du coup, un rassem-blement de résistances de l’ampleur duForum Social Mondial se trouve devantun dilemme insurmontable : ou bienchercher des relais dans la classepolitique instituée, au risque de voir sespropositions déformées et récupérées àd’autres fins, ou bien se résigner àcontester sans pouvoir peser vraimentsur les décisions, qui se prennent ailleurs.

Une autre proposition qui me sembletout aussi illusoire est celle de ladémocratie participative, dans la mesureoù elle est toujours pensée commecomplémentaire à l’institution fonda-mentale qui reste la démocratiereprésentative. La recherche d’unecomplémentarité entre les deux systèmesdébouche nécessairement sur l’impos-sibilité d’étendre la participation au-delàde décisions locales et subsidiaires parrapport à la législation étatique. Un

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6 http://www.dabordsolidaires.ca.7 Alexandre Seron, «Citoyenneté et participation :un mariage de raisons», Hors série de Politique,HS3, septembre 2005, réalisé par SolidaritéSocialiste, Pour la solidarité et Infosud (rueCoenraets, 68, 1060 Bruxelles).

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exemple parmi mille autres est fourni parune initiative québécoise, par ailleursbien sympathique, qui s’appelle« D’abord Solidaires. Mouvement etréseau citoyen d’action politique ».Revendiquant « le bonheur de définirensemble le monde dans lequel nousvoulons vivre» et cherchant à «pluraliserles lieux du politique et du pouvoir», lemouvement appelle les citoyens « àmettre de l’avant des alternatives à la foisutopiques et réalistes, à interpeller lespouvoirs politiques et économiques, àfaire en sorte que le peuple seréapproprie son pouvoir d’agir »6.Cependant, les lieux d’interventionauxquels ils font référence sont toussubordonnés aux institutions officielles :budgets participatifs, conseils dequartiers, opérations populaires d’amé-nagement, coopératives, cogestion desservices publics, formations à lacitoyenneté à destination de la popu-lation et des élus. L’illusion est de croireque l’oligarchie pourrait céder sur des

revendications mettant en question nonseulement ses privilèges mais aussi savision bornée de ce que doit être uneorganisation politique. À cet égard,l’incapacité quasiment générale depenser une autre perspective estmanifeste dans un numéro spécial de larevue Politique qui, derrière le titreaccrocheur de « Gérons la ville nous-mêmes. Catalogue d’expériences partici-patives », cache une soumission affli-geante aux pouvoirs publics : « Si lesprocessus participatifs touchent aupouvoir, il y a là une crainte à démystifier:les processus participatifs ne renversentpas la pyramide, mais cherchent plutôt àactiver de meilleurs allers-retours entermes de fréquence, de quantité, dequalité entre le sommet et la base7.»

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8 Raul Zibechi, «Dix ans de mouvement pique-tero : le changement social en marche », IRCPrograma de las Américas, juillet 2005. Traduit del’espagnol pour RISAL (Réseau d’Information etde Solidarité avec l’Amérique latine, bulletinn°102 : http://risal.collectifs.net). Les noms etadresses de contact des principales organisationssont disponibles en annexe de cet article.9 Idem.10 Cf. Cécile Rambeau, «En Argentine, occuper,résister, produire », Le Monde diplomatique,septembre 2005.

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mouvements prennent en mainl’éducation et la santé, qu’ils abordentselon des critères propres, à tel point quecertains groupes ne reproduisent pas lesnormes du système. Dans l’éducation, ilsappliquent les méthodes participativesde l’éducation populaire. Dans la santé,ils cherchent à éviter la dépendance ausavoir médical et aux médicaments,chers, difficiles à trouver et aux résultatsincertains8.» Les espaces collectifs crééssur ces bases n’ont pas complètementdisparu ; ils sont parfois d’une tailleconsidérable par rapport à ce que nousconnaissons en Europe: «L’UTD (Unionde trabajadores desocupados) de GeneralMosconi, un village de 15000 habitants,qui vivait de l’entreprise pétrolièrepublique privatisée par Menem et qui futun des berceaux du mouvement pique-tero, est passé à une étape sans précé-dent : elle a 31 potagers, une fermeentière, un système de recyclage debouteilles, des pépinières, des ateliersmétallurgiques et de charpenterie danslesquels sont fabriqués des chaises et deslits, une colonie agricole de 150 hectares,un élevage de porcs et d’autres animaux;ils ont construit une cantine commu-nautaire pour les indigènes de la zone etdes salles de premiers soins. Il y a 2000personnes liées aux projets de l’UTD,établis dans des relations communau-taires et horizontales, sur une populationactive de 8000 personnes9.»

Du côté des entreprises autogérées,même si le nombre de celles quicontinuent à être exclusivement entre lesmains des travailleurs est devenu bienfaible, il n’en reste pas moins quel’expérience a modifié profondémentl’attitude des ouvriers vis-à-vis de leurtravail10. Dans tous les témoignages,l’élément positif le plus souvent mis enavant est la prise de conscience que lacompétence n’est pas l’apanage d’uneclasse de privilégiés mais que chacun est

Évaluation du pouvoir politiquedes mouvements sociaux

en Amérique latineArgentine : explosion ponctuelle etnormalisation

Parmi les multiples formes d’organisationqui sont nées, pour des raisons de survie,à la suite de l’effondrement économico-politique de l’Argentine en 2001, bienpeu ont survécu à la restaurationeffectuée par le gouvernement Kirchner.Celui-ci a réussi à calmer la majeurepartie de la population, non par unrenversement du système ultra-libéralresponsable de la crise, mais par unevaste opération d’assistanat permettantde supprimer la pauvreté la plus crianteau prix d’une dépendance absolue desplus pauvres vis-à-vis de l’État. Lemouvement le plus radical, celui despiqueteros, ces chômeurs qui bloquaientles routes pour faire entendre leur refusdu modèle dominant, est à présentcriminalisé par les autorités et rejeté parla population rentrée dans les rangs.Cependant, les bouleversements qu’ilsont initiés peuvent avoir une influencedurable : « Une des caractéristiques dumouvement piquetero, et qui l’apparenteaux mouvements féministes et indigènes,est qu’il pratique le changement social“ici et maintenant”, sans attendre qu’unjour l’État résolve les problèmes. Les

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11 Cf. notamment l’interview d’un travailleur del’usine de céramique Zanon par Raul Zibechidans Un autre monde est possible : les céramiquesZanon (IRC Programa de las Americas, 4 janvier2005) ; traduit pour RISAL, 3 février 2006.12 Punto Final, n°593, Chili, 10 juin 2005 ; traduitpour RISAL, bulletin n°106.13 «Argentine : gauches et mouvements sociaux»,Entre voces, n°5, janvier 2006 ; traduit pour RISAL,31 mai 2006.

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capable de participer aux décisionstechniques et financières par l’inter-médiaire des assemblées, et que le travailproduit dans ces conditions est beaucoupmoins pénible que celui effectué pour unpatron11.

Comment interpréter la retombée decette formidable explosion d’initiativesautonomes? Jusqu’à un certain point, onpeut suivre l’analyse du sociologueargentin Atilio Borón, selon lequel elle estdue à la « fragilité constitutive, socio-logique, de la multitude », à l’absenced’une organisation globale, à la fragmen-tation de la protestation «qui ne parvientpas à prendre forme dans une structurepolitique plus large qui ne soit pas levieux parti traditionnel12.» Le manque deconscience politique et de projet globalqui caractérise la majeure partie de lapopulation argentine a certainementfavorisé le retour rapide à la normale ;une fédération durable des diversmouvements aurait été nécessaire pourencourager chacun à maintenir son auto-organisation et à refuser de retomberdans le système étatico-libéral. Enrevanche, en aucun cas ce ne devait êtrele rôle d’un parti, quel qu’il soit, car unparti est incapable de sortir du cadre deréférences selon lequel il est normal quela majorité s’en remette aux décisions,aux commandes et à l’assistanat d’uneminorité au pouvoir. Comme l’écritMaristella Svampa13, «une responsabilité

majeure incombe à la gauche partisane,surtout aux diverses variantes dutrotskisme, qui représente le degré le plusélevé du dogmatisme idéologique en cequi concerne ses définitions du pouvoir,du sujet politique et de la stratégie deconstruction. […] En second lieu, nouspouvons signaler le rôle plus récent donton peut créditer la gauche populiste, quia fini par remettre en avant les élémentsles plus négatifs de la tradition national-populaire, grâce à son alliance avecNestor Kirchner. […] Le primat dusystème politico-partisan tend às’exprimer dans une forte volonté desubordination des masses organisées àl’autorité du leader et dans une méfiancenotoire envers les nouvelles formesd’auto-organisation sociale et enversleurs exigences de réappropriation deleur pouvoir (empowerment) et d’auto-nomie. ». Comment réagir à une tellesituation, qu’on se trouve à l’intérieur ouà l’extérieur ? La réponse est claire : ensoutenant les mouvements autonomes,en les aidant à diffuser leur modèle, às’agrandir, à convaincre toujours plus demonde de la qualité d’une existenceindépendante. Il ne faut pas négligercependant qu’une telle convictiondépend probablement de facteurspsychologiques difficiles à cerner, commeles conditions de formation d’un individuqui aspire à la liberté et non à lasoumission – mais c’est une autrehistoire, qui demande un développementpropre.

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14 Entretien du 15 octobre 2005 avec Raul Zibechi,cité par celui-ci dans « Bolivie : deux visionsopposées du changement social », IRC Programade las Americas, 22 nov. 2005 ; traduit pour RISAL,16 déc. 2005.

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Bolivie : discontinuité entre les mouvementssociaux et le gouvernement qui en est issu

En Bolivie, les mouvements sociaux sontpour la plupart d’origine communautaire(pas seulement ethnique mais aussi deproximité géographique ou profes-sionnelle) et ils forment spontanémentdes multitudes très nombreuses uniesvers un même objectif. Fin 2005, lesdifférentes associations luttant contre laprivatisation de l’eau et de l’électricité,ainsi que les comités d’habitantsrégissant déjà de fait une partie desservices urbains et ruraux, se sont réunisen un « Front national de défense del’eau et des services de base et de la vie»dont le but est de promouvoir la gestioncommunautaire comme alternative auxmodèles public et privé. Tout en soute-nant l’élection du président Morales, issude l’un de ces mouvements, celui descultivateurs de coca, les acteurs de cefront restent méfiants vis-à-vis de sonattitude une fois au pouvoir. Commentne pas l’être devant l’attitude ambiguë duvice-président, Alvaro Garcia Linera, quidéclarait peu avant son élection :« Comment gouverne-t-on avec desmouvements sociaux ? Un gouverne-ment concentre des décisions et lesmouvements décentrent la prise dedécisions. Comment concilier l’État et lesmouvements? Le mouvement social estattiré par le pouvoir mais ensuite il sereplie dans le corporatisme. Lemouvement social ne peut pas gérer nioccuper l’État14.»

En juin dernier, la composition de laConstituante a déçu les attentes desmouvements sociaux ; en effet, enexigeant que les candidats appartiennent

à un parti politique, le gouvernement amontré son incapacité à dépasser le jeuhypocrite de la démocratie représen-tative, quitte à y perdre sa seule chanced’atteindre la majorité des deux tiersnécessaire à un changement en profon-deur. Il est difficile d’ailleurs de ne paspenser que ce gouvernement d’extrême-gauche autoritaire a volontairementpréféré partager le pouvoir avec la droiteplutôt que de le remettre entre les mainsde mouvements populaires incontrô-lables. En Europe, on pourrait profiter decette expérience pour exiger que toutnouveau projet de Constitution émaned’une véritable assemblée constituante,c’est-à-dire d’une assemblée capable derefléter toutes les propositions politiques(au sens large évoqué ci-dessus) quitraversent les sociétés concernées. Maisil ne faut pas se faire d’illusion: même endonnant la parole aux associations etmouvements populaires, la volonté d’unchangement radical d’organisation poli-tique sera extrêmement minoritaire. Lespopulations des pays riches ne sont pasencore prêtes pour une telle reven-dication.

En Bolivie, il reste la possibilité que lefront social se désolidarise du gouverne-ment et que se généralise la conscienceque, même d’extrême-gauche et issu desmouvements en lutte, aucun gouver-nement n’admettra jamais la prise enmains des ressources vitales par le peupleauto-organisé.

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Venezuela : initiatives communautairessous contrôle étatique

Les anarchistes ont un point de vueétrange sur le Venezuela. Quand on lit Ellibertario15, on a l’impression d’entendreparler d’un autre pays que celui décrit partous les autres médias d’extrême-gauche.Aucune mention n’y est faite de l’auto-organisation de la population pour créerles conseils locaux, les missions d’alpha-bétisation, les médias communautaires,etc. Certes, le processus en cours s’appa-rente plus à la démocratie participativedans un cadre étatique traditionnel qu’àune véritable révolution politique. Maispeut-on considérer comme négligeablele formidable développement desinitiatives locales, tant dans le domaineéconomique (même s’il s’agit plus de« cogestion » avec l’État que d’auto-gestion véritable) que dans le domainepolitique (même si la consultationpopulaire, la révocation du mandat prési-dentiel, les assemblées décisionnelles decitoyens, etc. ne mettent pas en causel’existence du gouvernement)? La popu-lation montre un dynamisme inventif etautonome presque unique au monde, et,plus rare encore, le gouvernementl’encourage à se prendre en mains etfinance des projets de développemententièrement conçus par les associationslocales. On sait que le président n’aimepas les anarchistes mais ne serait-il pasplus efficace, plutôt que de nier toutaspect positif à la « révolution boliva-rienne», de participer aux multiples ini-tiatives populaires dans l’intention de lespousser de l’intérieur vers toujours plusd’autonomie? Comme l’exprime lucide-ment un grand admirateur du processusactuel : « Un des probables défis desprochains mois est la constructiond’organisations et mouvements sociauxautonomes des institutions et dugouvernement. Si la démonstration de la

capacité mobilisatrice de la population aété faite, lors du coup d’État notamment,il n’existe aucune organisation politiqueou sociale qui s’apparente à ce qui existedans les pays voisins (les paysans sansterre du Brésil, les indigènes équatoriensde la CONAIE, les différents groupespiqueteros argentins, etc.), ce qui peutconstituer à terme une grandefaiblesse16. » Analyse partagée par lejournaliste uruguayen Raul Zibechi : «Lechavisme n’est pas seulement en sym-biose avec les mouvements : il intervienten eux et essaye de les subordonner à sesobjectifs. Il serait trop simpliste de rejeterla faute uniquement sur les gouver-nements, et de ne pas voir quand ceuxd’en bas choisissent le chemin facile de lasubordination, par commodité, parparesse à lutter pour l’autonomie ou enéchange de bénéfices matériels. Alorsque toute l’Amérique latine estsaupoudrée par des gouvernementsprogressistes et de gauche, le temps del’ambiguïté s’est installé : les déclarationsd’autonomie et de “commander enobéissant” dissimulent souvent lasubstitution de la politique “d’en bas”parla politique d’État, qui elle est toujoursune politique “d’en haut”17. » Face à latendance naturelle de tout pouvoirinstitué de contrôler même ce qu’ilprétend laisser libre, l’attitude la plusefficace me semble celle de ce travailleurde l’usine d’aluminium Alcasa18 : «Nousn’avons jamais eu l’intention de faire unecogestion social-démocrate et réformiste

15 Mensuel anarchiste vénézuelien, accessible surle site : www.nodo50.org/ellibertario.16 Frédéric Lévêque, « Venezuela : une “révo-lution”démocratique », RISAL, 30 août 2005.17 Raul Zibechi, Hugo Chavez et les mouvementssociaux ou le temps des ambiguïtés. RISAL,15 février 2006.18 Rafael Rodriguez, interviewé par FabriceThomas (RISAL, Inprecor, nov. 2005).

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comme en Allemagne, mais tactique-ment nous avons adopté ce nom. Ils’agissait d’indiquer qu’on voulait lacogestion comme transition vers l’auto-gestion. Ici nous instaurons la cogestionavec contrôle ouvrier et conseil d’usineen vue de donner aux travailleurs tout lepouvoir sur la production, la distributionet la commercialisation. Nous avonsvoulu un processus par en bas, desélections dans chaque atelier, danschaque groupe de travail, de “déléguésporte-parole”. Un système d’électiondirecte, contrôle et comptes rendus,révocabilité, rotation des tâches, etc.Quand il y a un problème à trancher, onconvoque une assemblée des travailleursdu département. On procède de même àl’échelle de l’ensemble de l’entreprise.»

Mexique : une région autonome développe une alternative à la démocratie représentative

Au Chiapas, une région entière est entrain de constituer, sur une base popu-laire extrêmement large, des institutionslégislatives, économiques, sociales etjudiciaires indépendantes de l’État mexi-cain. Les « conseils de bon gouverne-ment », qui gèrent les cinq communesautonomes ou caracoles, s’occupentprincipalement de développer lesinfrastructures scolaires et médicales,mais aussi de la production, du transportet de la justice. Les membres de cesconseils assument leur mandat parroulement, de manière révocable et nonrémunérée, et pendant qu’ils se dédientainsi à la communauté, leur champ estcultivé par les autres en attendant qu’ils yretournent. Le chemin est long pour sedéfaire de certaines pratiques domi-natrices (en particulier, la domination deshommes sur les femmes ou l’influencemilitaire de l’EZLN) mais la réflexion surles avancées et sur les améliorations àapporter est permanente dans lespublications zapatistes.

«L’Autre Campagne» a constitué unenouvelle étape dans la diffusion duprocessus zapatiste d’autonomisation. Eneffet, cette longue traversée du Mexique,qui eut lieu de janvier à mai 2006,pendant la campagne électorale prési-dentielle, avait pour buts de rencontrer,d’écouter et, si possible, de réunir toutesles sortes de mouvements de lutte et derésistance éparpillés dans le pays. SergioRodríguez, directeur de la revue zapatisteRebeldía, la présente ainsi : « L’objectiffondamental apparaît comme laconstruction d’un nouveau mouvementsocial et politique, la naissance d’unmouvement autonome et indépendantde la politique de l’État mexicain et de sesinstitutions. Le programme qui s’en

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19 Interviewé en octobre 2005 par Miguel Romero(Viento Sur, n° 83, trad. Inprecor, décembre 2005).Marcos explique longuement son désaccord avecLopez Obrador et les raisons pour lesquelles il necroit pas au changement social par les urnes,dans « Les zapatistes et la Otra : les piétons del’histoire. Quatrième partie : Deux piétons sur desroutes différentes… et avec un but différent». Onpeut lire ce texte (daté du 26 septembre 2006)notamment dans les archives de la Listed’information du Comité de solidarité avec lespeuples du Chiapas en lutte (CSPCL), hébergéessur le site listes.samizdat.net

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dégagera sera le résultat d’un longprocessus. […] Il y a quelques moisencore on disait qu’il n’y avait pas deprocessus d’auto-organisation sociale auMexique en dehors du Chiapas. Ce quenous ont montré les réunions de «l’AutreCampagne », c’est qu’il existe desprocessus d’auto-organisation trèsprofonds, souterrains, apparus après lesoulèvement zapatiste de 1994, mais quirestaient invisibles et qui se révèlentmaintenant. […] Marcos est un outil quel’EZLN met à la disposition de lacampagne. Ce n’est pas un dirigeant, niun coordinateur, mais un outil pourpermettre que les gens apportent auprocessus de coordination leurs idées,leurs expériences ou leurs façons delutter contre le pouvoir19.»

Le zapatisme ne prétend pas servir demodèle ; il appelle chaque mouvementdans le monde à trouver sa propre voieen fonction de sa propre situation. Il fautsouligner, en effet, que la très largeautonomie institutionnelle qui a étéinstallée avec les conseils de bon gouver-nement n’est possible que pour lescommunautés indigènes, auxquellesl’article 2 de la Constitution mexicainereconnaît le droit de fixer elles-mêmesleur organisation commune, y comprisleur politique économique et lerèglement de leurs conflits internes. Enrevanche, il est hors de question pourl’État mexicain d’accorder une auto-nomie comparable à toute autre commu-nauté qui ne reposerait pas sur ces basesethniques ; ce serait évidemment ouvrirla porte à un affranchissement généraliséde l’autorité de l’État et, par conséquent,à la reconnaissance de son obsolescenceet à sa disparition rapide. Cependant, unetelle concession n’a pas été accordéespontanément par l’État mais au prix deconfrontations très violentes reposant surdes siècles de résistance. Rien n’em-pêche, par conséquent, n’importe quelle

communauté de réclamer la mêmeexception en invoquant d’autres raisonset d’obtenir par la lutte l’affranchisse-ment par rapport à un système politiquequi lui est complètement étranger. Ladifférence entre un tel processus et larévolution traditionnellement conçuecomme renversement du pouvoir établi,est qu’il est moins difficile de libérerseulement un certain territoire del’emprise de l’État, dans la mesure où ceterritoire est occupé exclusivement outrès majoritairement par des personnesconvaincues et déterminées à lutter. Lariposte de l’État peut être moins violentesi 1° on ne lui demande pas l’indé-pendance (c’est-à-dire la création d’unautre État), mais l’autonomie ; 2° leterritoire en question possède le moinspossible de ressources essentielles àl’État ; 3° la solidarité internationaleempêche une répression trop forte ;4° d’une manière générale, l’État a plus àperdre qu’à gagner (en termes matérielset symboliques) en engageant unevéritable guerre civile. Les exemples derépression brutale contre la revendicationd’indépendance ou d’un territoireautonome sont écrasants : Palestine,Tchétchénie, Kurdistan…, mais dansaucun des cas ces quatre conditions nesont remplies, alors qu’elles le sont auChiapas.

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20 «Dernières nouvelles de l’Utopie», Le Mondediplomatique, août 2006, p. 14-15.

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Conclusion : toutes les pistes ne se valent pas

La confrontation des expériences dereprise en mains du pouvoir politique parle peuple aboutit à montrer que, si l’onexclut le renversement des institutionsdominantes par la force, dans la mesureoù cela suppose un rapport de forcefavorable qui n’existe nulle part, lastratégie la plus efficace est celle desZapatistes, qui ont obtenu uneindépendance réelle, même si elle esttoujours précaire et menacée. Pourquoine pas nous réunir pour revendiquer unterritoire géré selon nos principes? Unerevendication de ce type existe, avec la« IIe République du Vermont », unmouvement qui propose aux Vermontoisde faire sécession par rapport aux États-Unis et de redevenir une républiqueindépendante. Il y a quelques années, cemouvement se disait libertaire et appelaitles libertaires du monde entier à venirs’installer dans cette région peu peupléepour constituer une majorité d’habitantset refonder l’organisation politique surdes bases anarchistes. Les référenceslibertaires ont disparu du site(www.vermontrepublic.org) maisl’orientation reste la décentralisationpolitique, l’autosuffisance économiquerégionale, le mode de vie écologique, lasolidarité et l’égalité de tous lescitoyens.

En l’absence d’une région que sacohésion sociale permettrait de faireévoluer tout entière, la multiplication desentreprises autogérées, y compris desmédias communautaires, est susceptiblede faire évoluer les mentalités et dedonner le goût de l’indépendance, de ladécision collective et du libre choix des

principes organisateurs. Cependant, ladifficulté de passer de petites expérienceslocales à une échelle suffisante pourrenverser le système dominant est bienmise en évidence dans l’important articlede Serge Halimi qui relate la rencontreorganisée par Michael Albert (ami deChomsky et animateur du réseaud’information Z-net) en juin dernier surle thème de la société future et de sesébauches déjà réalisées20. Il montre bienque la multitude d’espaces autogérés etde laboratoires d’organisations égalitairesne pèse en rien sur la marche écrasantedu capitalisme.

La seule conclusion certaine à tirer del’ensemble de ces analyses, est que seregrouper géographiquement pouratteindre un nombre et une puissancesuffisante se révèle une conditionindispensable à un quelconque progrèsvers la société que nous désirons ; quetoute collaboration avec les pouvoirs enplace ferait perdre au projet sa substanceet sa raison d’être ; que l’affranchisse-ment total par rapport à la législationd’un État est possible et reste le seulmoyen de fonder une communautépolitique digne de ce nom.

Annick Stevens