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Commercialisation de la microfinance: impact sur les plus pauvres en Afrique

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Page 1: Commercialisation de la microfinance: impact sur les plus pauvres en Afrique

Annals of Public and Cooperative Economics 84:2 2013 pp. 219–240

COMMERCIALISATION DE LA MICROFINANCE: IMPACTSUR LES PLUS PAUVRES EN AFRIQUE

parNihel HALOUANI et Younes BOUJELBENE∗

Universite de Sfax, Tunisie

RESUME: Nous cherchons a determiner si la commercialisation des IMF est as-sociee a la « derive de mission ». Plus precisement, en considerant que la commerciali-sation se caracterise par la viabilite, la concurrence, et la reglementation des IMF, nousevaluons son effet sur la taille moyenne des prets accordes. L’etude empirique est baseesur les donnees en panel de 96 IMF œuvrant dans 22 pays africains durant la periode2005–2008, et aussi sur la methode des MCO afin d’etudier l’impact de la commer-cialisation des IMF sur la taille moyenne des prets par groupe de clientele servie. Lesresultats indiquent que les IMF africaines ont une plus faible portee sociale lorsqu’ellessont autonomes financierement, mais la reglementation et la concurrence peuvent fa-voriser l’inclusion des plus pauvres. Nous constatons egalement que l’augmentation dela taille moyenne des prets est associee a des niveaux inferieurs de remboursement dupret par les plus pauvres, a la baisse de pourcentage de femmes emprunteuses, au pour-centage de population rurale et a la forme juridique d’ONG, et aussi a la predominancedu credit individuel. Ceci caracterise la derive de mission.

Mots-cles: microfinance, commercialisation, concurrence, portee, Afrique.

Microfinance, towards a commercial approach: the impact on the poorestin Africa

We are looking to determine if the commercialization of MFIs is associated with ‘mission drift’?Specifically, considering that marketing is characterized by sustainability, competition, and regu-lation the average size of loans provided is assessed. The empirical study is based on panel datafrom 96 MFIs operating in 22 African countries from 2005–2008, and also on the OLS method tostudy the impact of commercialization of MFIs on the average loan size by groups of clients served.The results indicate that African MFIs realize less outreach when they are financially autonomous,but regulation and competition may favour the inclusion of the poorest. We also find that the in-crease in average loan size is associated with lower levels of loan repayment by the poorest, witha lower percentage of women borrowers as well as the percentage of rural population and alsowith fewer NGOs, and finally by the predominance of individual credit. That which characterizesmission drift.

∗ E-mails: [email protected]; [email protected]

© 2013 The AuthorsAnnals of Public and Cooperative Economics © 2013 CIRIEC. Published by John Wiley & Sons Ltd, 9600 Garsington Road, OxfordOX4 2DQ, UK and 350 Main Street, Malden, MA 02148, USA

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Der Mikrofinanzierungs- gegenuber einem kommerziellen Ansatz:Die Auswirkung auf die Armsten in Afrika

In diesem Beitrag wird versucht festzustellen, ob die Kommerzialisierung von Mikrofinanzinsti-tuten (MFIs) im Zusammenhang steht mit dem ,,mission drift“ - insbesondere bei Berucksichtigungder Tatsache, dass Kommerzialisierung durch Nachhaltigkeit, Wettbewerb und Regulierung derMFIsgepragt wird, wird die Auswirkung auf die durchschnittliche Darlehenshohe gemessen. Dieempirische Studie basiert auf Paneldaten von 96 MFIs, die in 22 afrikanischen Landern in denJahren 2005–2008 tatig waren, sowie auf der OLS-Methode; es geht darum, die Auswirkung derKommerzialisierung von MFIs auf die durchschnittliche Darlehenshohe nach Gruppen betreuterKunden zu untersuchen. Die Ergebnisse zeigen, dass afrikanische MFIs weniger Outreach real-isieren, wenn sie finanziell autonom sind, doch konnen Regulierung und Wettbewerb die Ein-beziehung der Armsten begunstigen. Festgestellt wird auch, dass die Zunahme der durchschnit-tlichen Darlehenshohe in Zusammenhang steht mit geringeren Darlehensruckzahlungsniveaus beiden Armsten, mit dem geringeren Prozentsatz weiblicher Darlehensnehmer wie auch dem prozen-tualen Anteil der landlichen Bevolkerung und auch mit weniger NGOs - schlieβlich auch mit derDominanz des Individualkredits. Das ist es, was den ,,mission drift“ pragt.

Hacia un enfoque comercial de las microfinanzas: impacto sobre los maspobres en Africa

Se trata de determinar si la comercializacion de los IMF esta asociada a una desviacion en su“mision”. Con mayor precision, considerando que la comercializacion se caracteriza por la viabili-dad, la concurrencia y la reglamentacion de los IMF, se evalua su efecto sobre la dimension mediade los prestamos concedidos. El estudio empırico esta basado en los datos de panel de 96 IMFque operan en 22 paıses africanos durante el perıodo 2005–2008 y utiliza el metodo MCO con lafinalidad de estudiar el impacto de la comercializacion de los IMF sobre la dimension media delos prestamos en funcion de los grupos de clientes atendidos. Los resultados ponen de manifiestoque los IMF africanos tienen un menor alcance social cuando son autonomos financieramente,aunque la reglamentacion y la concurrencia pueden favorecer la inclusion de los mas pobres. Seconstata, igualmente, que el incremento de la dimension media de los prestamos esta condicionadapor los niveles inferiores de reembolso por los mas pobres, por el reducido porcentaje de mujeresemprendedoras, por la proporcion de poblacion rural y la formula jurıdica de las ONG, ası comopor el predominio del credito individual, lo que justifica la desviacion de su “mision”.

1 Introduction

Avec le nombre croissant de transformations en Afrique d’IMF (Institutions demicrofinance) subventionnees (qui se basent sur le financement des bailleurs de fonds)en IMF commerciales (qui se basent sur l’autonomie et la perennite financiere), il sembleimportant d’etudier ce phenomene en se ciblant les pauvres. En particulier, le continentafricain enregistre les taux de pauvrete les plus eleves dans le monde, avec plus de 58%de la population disposant de moins de 1,25 dollar par jour selon le rapport des Objectifsdu Millenaire pour le developpement (2011).

A l’origine, la mission de toutes les institutions de microfinance (IMF) est de fournirdes services financiers adaptes aux besoins des plus pauvres. Notre finalite dans cet arti-cle est de determiner l’impact de la commercialisation sur le risque de derive de mission.

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Le contexte africain est caracterise par la predominance des IMF a vocation socialesans but lucratif, particulierement les ONG (Organisations non gouvernementales).Ceci met en question la reussite de l’approche commerciale en Afrique. Dans ce cadre,les cas de transformations different d’un pays a l’autre. D’une part, nous trouvons descas reussis de transformations et dans lesquels l’objet social des IMF n’est pas misen question, tel que BUUSAA GONOFAA en Ethiopie. Cet exemple de transformationmontre comment une IMF, en ameliorant ses indicateurs d’efficience et de profitabilite,parvient aujourd’hui a concilier la rentabilite economique en desservant une populationrurale isolee et marginalisee (SOS FAIM 2007). Il en va de pour les IMF de l’Ameriquelatine, qui poursuivent principalement une approche commerciale, sans devier de leurmission sociale d’origine tels que par exemple MiBanco au Perou et PRODEM en Bolivie.Dans ce cadre, Christen (2001) justifie l’augmentation du niveau des credits qui suit lacommercialisation des IMF par le choix de la strategie, la periode d’entree sur le marcheou l’evolution naturelle du groupe cible. Egalement, Felloni et Seibel (2003) montrentque la commercialisation des banques aux Philippines a entraine une hausse legere dela taille des prets octroyes, mais sans connaıtre des derives majeures dans leur mission.De meme, Hishigsuren (2007) analyse une IMF au Bangladesh en utilisant des archives,des enquetes et des donnees d’interview des differentes parties prenantes de l’IMF. Cetteimportante etude de cas conclut que l’IMF ne montre aucune derive de mission lorsquela taille des prets accordes est prise comme indicateur de l’inclusion des pauvres, memeen realisant une plus grande efficience. Cette idee est partagee par un courant de lalitterature microfinanciere, qui considere la transformation des IMF vers une entitecommerciale comme une evolution naturelle. (Rhyne 1998, Christen 2001, Christen andDrake 2002, Gallouj 2003, Littlefield Morduch et Hashemi 2003, Fernando 2004, Cull,Demiguc-Kunt et Morduch 2007, Mersland et Strøm 2009, Couchoro 2011).

Toutefois, l’autonomisation des IMF sans dependre des contributions directes etcontinues des bailleurs de fonds peut constituer une cause directe de la marginalisationdes plus pauvres des services offerts par le secteur de la microfinance, et ce en lesoffrant a un segment de marche plus « haut de gamme ». Particulierement, la collectede l’epargne implique des couts initiaux tres importants et l’entree en competition avecdes banques plus importantes et anciennes a cote du changement culturel des IMFtransformees « a but lucratif », degage des couts tres eleves et entraıne des changementsdans la clientele servie. Dans ce cadre, la transformation de l’ONG bolivienne PRODEM,a BancoSol en 1992, a ete a l’origine d’un risque de derive de mission (Rhyne 1998). Dememe, l’exemple de la banque mexicaine Compartamos qui a introduit une partie deson capital en bourse, amene les actionnaires a vendre leurs parts et a realiser des plusvalues financieres importantes. En consequence, l’IMF a pratique des taux d’interet treseleves, qui etaient tres excessifs pour les clients de l’IMF (Rosenberg 2007). Ce pointde vue est partage par une serie d’etudes tels que celles de Paxton, Graham et Thraen(2000); Rhyne (1998) et Christen et Drake (2002).

La question qui se pose a ce niveau et qui est a l’origine d’un debat frequent con-cerne l’impact de la commercialisation en se ciblant sur les pauvres. Notre etude differede la litterature existante en ce qui concerne la decomposition de la commercialisationen trois sous-composantes, a savoir la viabilite, la reglementation et la concurrence. Enoutre, nous utilisons les donnees en panel et nous classifions les clients servis selon lemontant de pret accorde dans le but de detecter la categorie la plus vulnerable face auxcomposantes de la commercialisation. Enfin, notre etude est specifiquement orientee

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vers la question de la derive de mission qui peut survenir lorsque l’IMF cesse de servirle segment de clients pauvres en choisissant une approche commerciale (Woller, Dunfordet Woodworth 1999 et Woller 2002).

Dans cet article, nous testons l’impact de la commercialisation sur l’inclusion despauvres pour 96 IMF situees dans 22 pays d’Afrique pour la periode 2005–2008. En effet,le secteur de la microfinance en Afrique est considere comme l’un des outils majeurs despolitiques publiques de lutte contre la pauvrete par la creation de petites activites quipermettent aux exclus du systeme financier de subsister. (Yitamben G. M. 2004). Maisfaut-il se poser la question de la continuite de cette contribution positive sur le plansocial avec la transformation des IMF ? Cette question est traitee par un ensemble detravaux dans la litterature vu son importance dans la determination du futur du secteur.(McIntosh et Wydick 2005, Olivares-Polanco 2005, Hermes et al. 2011et Ly 2009, 2012).

Tout d’abord, nous commencons par une breve revue de la litterature traitant del’approche commerciale et des signes de derives de mission. Ensuite, nous identifions lesfacteurs de commercialisation et nous presentons nos hypotheses de recherche. Apres,nous exposons la methodologie utilisee qui repose sur l’analyse des donnees en panelappliquee a l’echantillon globals pour etudier l’impact des facteurs de commercialisationsur la portee sociale des IMF, quelle que soit la taille du pret accorde. Par la suite, nouselaborons une modelisation econometrique fondee sur la methode des moindres carresordinaires (MCO) sur STATA (afin d’etudier l’impact de la commercialisation des IMFsur la taille moyenne des prets par groupe de population servie). Nous presentons enfinles statistiques descriptives ainsi que les resultats de nos estimations qui indiquent queles IMF ont moins de portee sociale lorsqu’elles sont autonomes financierement, maisque la reglementation et la concurrence peuvent favoriser l’inclusion des clients pluspauvres. Dans la section 6, nous concluons.

2 Approche commerciale et derive de mission

2.1 L’approche commerciale

A l’origine, le secteur de la microfinance met l’accent surtout sur l’impact social eteconomique pour les clients, sans donner une importance a la perennite institutionnelle(Labie et Mees 2005). Toutefois, les resultats n’ont pas ete a la hauteur des attentesmalgre le volume de subventions accorde a ces institutions, ce qui met en questionl’efficacite de l’approche subventionnee (Armendariz de Aghion et Morduch 2005). Ceciamene certains intervenants a opter pour l’approche commerciale afin de combler cesinsuffisances.

La commercialisation d’une IMF exprime sa volonte d’evoluer vers un organismeplus viable, regule par les legislations et mis sous une pression concurrentielle, ellesuppose la recherche d’une perennite financiere (Couchoro 2011 et Hermes et al. 2011).

L’approche commerciale se base donc sur trois principes cles: viabilite, concurrenceet reglementation (Christen 2001).

La premiere caracteristique des IMF qui optent pour l’approche commerciale estleur autonomisation d’un point de vue financier. Dans ce cadre, Fernando (2004) traite39 cas de transformation d’ONG de microfinance en societes privees de microfinance

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dans le monde. Il trouve que la plupart des transformations s’accompagnent d’uneamelioration de la viabilite des IMF (Bancosol en 1992, Banco ADEMI en 1998,MIBANCO en 1998). De meme, Christen (2001) trouve qu’en Amerique latine, les IMFqui ont adopte une approche commerciale ont connu une forte rentabilite qui a pu memedepasser celle des banques commerciales. D’autre part, Ly (2012) trouve que pour cer-taines ONG, la transformation vers une entite commerciale est consideree comme leseul moyen d’atteindre l’autosuffisance et la rentabilite. Cependant, il montre que plusles ONG s’engagent dans des affaires commerciales, plus elles doivent demontrer queles conflits avec les objectifs sociaux primaires sont reduits au minimum pour s’assurerque le soutien des donateurs et les exonerations fiscales demeurent justifies.

La seconde caracteristique de l’approche commerciale est la concurrence. En effet,une fois que les IMF se sont engagees a gerer leurs affaires sur une base commerciale,la concurrence devient rapidement une caracteristique de l’environnement dans lequelelles operent. En effet, l’entree dans la logique du but lucratif oblige les IMF a changer latarification de leurs produits ainsi que, leurs mecanismes de prestation afin d’augmenterleur part de marche, et entrer en concurrence avec les banques afin de servir une ciblecommune.1

Finalement, la reglementation des IMF par les autorites prudentielles est unecondition fondamentale pour la migration d’une approche subventionnee vers une ap-proche commerciale, dans la mesure ou elle permet de proposer une gamme etendue deservices financiers adaptes et de soutenir le developpement du secteur.

2.2 La derive de mission

Le risque de derive de mission des IMF est souvent mis en avant pour mettreen lumiere les dangers de la commercialisation. Ce risque est en relation avec unemultitude de facteurs, particulierement avec la recherche de l’autonomie financiere,mais aussi avec la sollicitation d’un agrement aupres des autorites et la mise souspression concurrentielle. Dans ce cadre, le proxy du solde de pret moyen par emprunteurest l’indicateur le plus couramment utilise afin de mesurer le degre de ciblage de lapopulation pauvre par l’IMF, ou encore de la portee sociale des IMF (Depth of Outreach)(Bhatt et Tang 2001, Schreiner 2002, Cull et al 2007, Mersland et Strom 2009). Laderive de mission se produit lorsque la taille moyenne des prets augmente, car celaindique que l’IMF commence a servir un nouveau segment de clientele qui est plusaise et qui est en mesure de souscrire des prets plus importants tout en reduisant lerisque de non remboursement (Mersland et Strom 2009). La portee sociale des IMFpeut etre egalement associee a un ciblage intensifie des femmes en priorite (Dowla etBarua 2006), mais aussi a la predominance des prets de groupe sans garanties formelles(Armendariz de Aghion et Morduch 2005, Ghatak et Guinnane 1999). Par consequent,un changement des prets de groupe en prets individuels empeche l’IMF d’accorder desprets sans garantie qui permettent mieux d’atteinde les plus pauvres, ce qui entraınela derive de mission (Thorp, Stewart, et Heyer, 2005). De meme, Baland et al. (2007)prevoient que les prets de groupe pourraient ameliorer le bien-etre des emprunteurs enpermettant aux IMF d’offrir des prets de petite taille et des taux d’interet inferieurs,

1 Entre les banques formelles et les IMF commerciales.

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ce qui ne serait pas rentable avec des credits individuels. Dans un article plus recent,Baland et al., (2009), prevoient que les prets de groupe doivent etre plus petits queles prets individuels pour s’assurer que les emprunteurs solvables aient les incitationsappropriees pour honorer leurs prets. Un autre facteur favorisant la portee sociale est leciblage de la population rurale, puisque la pauvrete est particulierement rurale. Lorsqueles prets sont accordes sur le marche urbain, il y a donc un risque de derive de mission(Nations Unies, 2006).

Dans notre article, nous utilisons la taille de pret accorde comme mesure de laportee sociale etant donne que cet indicateur traduit efficacement la qualite des clientscibles et donc leur attitude face a une augmentation des prets accordes.

Dans ce qui va suivre, nous developpons nos hypotheses pour expliquer les fac-teurs qui contribuent a l’apparition d’une derive de mission. Les hypotheses sont enrelation avec les composantes de l’approche commerciale: la viabilite, la concurrence etla reglementation.

3 Facteurs de commercialisation des IMF

3.1 La viabilite financiere

La transformation d’une ONG en une entite commerciale necessite l’autonomiefinanciere. En effet, lorsque nous prenons la taille du pret comme mesure du niveaude pauvrete, les donnees indiquent que la methode des prets de groupe, adaptee auxbesoins des pauvres, devient lourde pour les clients aises qui sont capables d’investirdans les grandes entreprises. Dans ce cadre, Hartarska (2005) et Mersland et Strøm(2009) voient que la viabilite des IMF entraine une derive de mission. Ainsi, certainescritiques craignent que les IMF deviennent trop axees sur les profits au detriment de laportee des clients les plus pauvres. L’argument est que la hausse des profits entraıneune baisse de portee. Nous formulons ainsi l’hypothese :

H1 : Il existe un risque de derive de mission pour les IMF viables.

3.2 La concurrence

Les IMF ne peuvent pas etre etudies separement, elles font partie de l’ensembledu secteur financier de leurs zones de fonctionnement.

Concurrence et portee. Les resultats des analyses theoriques suggerent que l’impact de laconcurrence sur la portee sociale est ambigu. A cet egard, deux points de vue contradic-toires sont traites par la litterature. Le premier, soutenu par Motta (2004) et Cull et al.(2009), stipule que l’environnement concurrentiel est favorable au developpement dusecteur de microfinance et a l’inclusion des pauvres. En effet, la concurrence peut inciterles IMF a reduire les couts et accroıtre l’efficacite de leurs transactions en ameliorant laqualite de leurs services pour garantir la fidelite de leurs clients. Le deuxieme point devue, prevoit que si la concurrence accrue est associee a des faillites successives, les IMFpreferent s’engager dans des credits plus prudents avec des emprunteurs qui sont con-sideres comme surs et rentables. Cela peut reduire la portee, etant donne que les prets

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accordes a des marches inexplores sont generalement consideres comme plus risqueset couteux (Olivares-Polanco 2005, Hermes et al. 2011). Dans ce cadre, McIntosh etWydick (2005) developpent un modele theorique decrivant la facon dont la concurrenceaccrue des institutions sans but lucratif pourrait conduire a une derive de mission. Dememe, Christen (2001), prevoit que les changements structurels qui surviennent suitea la transformation des IMF afin d’augmenter leurs parts de marche, peuvent etre al’origine d’une derive de mission a cause des surendettements des clients. Cela peutconduire a la degradation du portefeuille de tous les acteurs presents sur le marche, cequi est le cas pour certaines IMF Boliviennes.

Mesures de la concurrence. Afin de savoir quel est l’impact de la concurrence sur la porteedes IMF, nous devons donner une mesure adequate de la concurrence.

La mesure de la concurrence, utilisee pour notre etude, est frequemment utiliseedans le secteur bancaire. C’est la methode de « l’Indice de Lerner » (Fernandez deGuevara et al. 2007 et Maudos et Fernandez de Guevara).

L’indice de Lerner (L) examine la difference entre le prix de marche (P) et le coutmarginal de production au niveau de l’entreprise (MC), et estime ainsi le pouvoir demarche des IMF. L’indice varie entre un maximum de 1 et un minimum de 0, de sortequ’une valeur proche de 1 ou L≈1 indique que le niveau de concurrence est minime.Cependant, L≈0 (ou P = MC) indique un niveau de concurrence tres eleve (Hermes Net al. 2011).

L’indice de Lerner (L) est mesure comme suit :

L = P − MCP

(1)

Pour adapter les mesures de cet indice avec les circonstances des IMF, nous suivonsla demarche de Maudos et Fernandez de Guevara (2004), Fernandez de Guevara et al.(2007), Hermes. N et al. (2011), ou les prix de marche sont calcules en estimant le revenumoyen de la production bancaire par le ratio suivant :

P = Total des revenus d′exploitationTotal des Actifs

(2)

Le revenu d’exploitation total est la somme des revenus d’interets et revenusd’exploitation. (Hermes. N et al. 2011).

La mesure du cout marginal est obtenue par la derivee de la fonction suivante(translog standard des couts) :

ln Cit = α0 + α1 ln yit + 12

α2(ln yit)2 +2∑

j=1

βj ln wijt +2∑

j=1

12

βj(ln wijt)2

+2∑

j=1

γj ln yit ln wijt +∑j<k

∑γ

jkln wi jt ln wikt + δ1trend

+ 12

δ2trend2 + δ3 ln yittrend +2∑

j=1

η j log wi jttrend + εit (3)

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(C) represente le cout de production total de l’IMF i a l’annee t, ıl est estime par la sommedes couts financiers et des couts d’exploitation des IMF. (y) est la variable explicative,elle represente la valeur de l’output (ou de production) et (wj) represente les differentsprix des inputs. Nous utilisons le log pour toutes les variables.

La mesure de l’output (y) est estimee par le total des actifs.

Les prix des facteurs de production (wj) sont traduits par deux entrees :

- (w1) = cout du travail: [Charges de personnel / Nombre d’employes].

- (w2) = cout du capital physique: [(depenses operationnelles – charges de person-nel) /immobilisations fixes nettes].

Nous estimons la fonction de cout relative a l’equation (3) a l’aide de la methodedes donnees en panel.

L’equation permet de detecter egalement les changements chronologiques atravers une variable a tendance temporelle (trend).

Apres avoir calcule (C), nous pouvons maintenant mesurer le cout marginal (MC)par la derivee premiere de la fonction de cout par rapport au (ln yit):

2MC = (Cit/yit)

⎡⎣α1 + α2 ln yit +

2∑j=1

γ j ln wi jt + δ3trend

⎤⎦ (4)

Quand P = MC, l’indice Lerner est a zero; la firme n’a aucun pouvoir de marche;la concurrence est elevee. Un indice Lerner proche de 1 temoigne de peu de concurrenceau niveau du prix; la firme exerce un pouvoir de marche (Hermes et al. 2011).

A l’egard des etudes empiriques citees plus haut, nous decidons de prendre uneposition neutre :

H2 : Il existe une relation mitigee (+/–) entre la portee et la concurrence.

3.3 La reglementation

La regulation de la microfinance est l’ensemble des regles et mecanismes quiencadrent le fonctionnement et l’evolution des IMF. Dans ce cadre, que la regulationsoit concue pour garantir la solvabilite des etablissements financiers3 ou non, elle estconsideree comme le lieu ou se definit une vision dominante de ce que doit etre lamicrofinance. Il s’avere donc que les mecanismes de regulation constituent un facteurdecisif dans le secteur de la microfinance tant sur le plan social que sur le plan financier(Bedecarrats et Marconi 2009).

2 La derivation de la fonction du cout marginal est extraite de l’article de Hermes et al. (2011).Les donnees sur le niveau de cout marginal des IMF sont obtenues en utilisant des donnees auniveau des IMF pour le cout total, la production totale, les variables d’entree et la variablebinaire temporelle (trend), en combinaison avec les coefficients estimes de la fonction de coutLn (α1,α2, γ j et δ3) disponibles dans le tableau 1.3 Regulation prudentielle.

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Tableau 1 – Resultats de la fonction de cout

Variables explicatives Ln (CT)

(Lny) 0.7195∗∗∗(0.000)

(Lny)2 0.0120(0.239)

(Lnw1) 0.3288(0.062)

(Lnw1)2 −0.0188(0.148)

(Lnw2) −0.3978∗∗∗(0.038)

(Lnw2)2 0.0719∗∗∗(0.000)

Trend 0.0334(0.340)

Trend2 −0.000038(0.650)

Lny∗Lnw1 0.00285(0.892)

Lny∗Lnw2 0.00787(0.720)

Lnw1∗Lnw2 0.0508∗∗∗

(0.025)(Lny∗trend) 0.000031

(0.947)(Lnw1

∗trend) −0.00107∗∗∗(0.001)

(Lnw2∗trend) 0.00037

(0.195)Constante −0.74661

(0.838)Observations 384R-Square 56,70%Nombre d’IMF 96

Nos modeles sont estimes par l’estimateur panel simple.∗, ∗∗, ∗∗∗ significatifs respectivement a 10%, 5% et 1%.Le coefficient est indique par les chiffres au dessus ; La probabilite est entre parenthese.Ln(CT) : Log du cout total ; Ln(y) : Log de la production totale ; Ln(y2) : Log de la production au carre ; Ln(w1) : Logdu cout de travail ; (Lnw1)2 : log du cout de travail au carre ; Ln(w2) : Log du cout de travail ; (Lnw2)2 : Log du coutde travail au carre; Trend : la tendance chronologique ; trend2 : la tendance chronologique au carre ; Lny∗Lnw1 :Log de la production totale ∗ Log du cout de travail ; Lny∗Lnw2 : Log de la production totale ∗ Log du cout decapital ; Lnw1

∗Lnw2 : Log du cout de travail ∗ Log du cout de capital ; Lny∗trend : Log de la production totale ∗ latendance chronologique ; Lnw1

∗trend : Log du cout de travail ∗ la tendance chronologique ; Lnw2∗trend : Log du

cout de capital ∗ la tendance chronologique.

La commercialisation de la microfinance donne une grande importance a lareglementation des IMF. En effet, le fait de reglementer une IMF est similaire a luiaccorder des agrements qui doivent etre tres clairs en termes de structure du capital,d’organisation, de gouvernance et de gestion, decrivant clairement les activites permiseset non permises. Dans ce cadre, les IMF qui existent ne servent probablement que moinsde 5% de leurs clients potentiels a cause de l’insuffisance des ressources a mettre en œu-vre pour satisfaire les besoins de ce marche qui proviennent principalement des bailleurs

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de fonds. A ce sujet, beaucoup d’IMF souhaitent developper leur activite en faisant appela des sources de financement commerciales, particulierement la mobilisation de depots,l’acces a des lignes de financement exterieures et donc l’amelioration de leurs resultatsfinanciers, ce qui rend obligatoire le fait d’etre assujetti a la reglementation (CGAP 1996).

A ce propos, dans une etude utilisant la taille moyenne de pret comme indica-teur d’inclusion des pauvres effectuee sur les IMF d’Amerique latine, Christen (2001)trouve des differences importantes dans la taille des prets entre les IMF reglementeeset celles non reglementees, avec une plus grande taille des prets pour le groupe d’IMFreglementees. De meme, Cull et al. (2009) montrent que la reglementation exerce unimpact negatif sur la portee. Mersland et Strøm (2009) montrent egalement que laregulation donne le droit de mobiliser l’epargne et donc l’acces a une source de finance-ment importante. Cela donne la possibilite d’augmenter le nombre de clients, maisaussi la possibilite d’augmenter le montant moyen des prets, ce qui est similaire a unedeviation de la mission sociale d’origine. Cependant, Morduch (1999) et Arun et al. (2005)prevoient que la reglementation de la microfinance fournit un environnement propice al’amelioration de la portee.

L’impact de la reglementation est alors difficile a prevoir, car une reglementationplus stricte peut impliquer moins de liberte d’action et, par consequent, des beneficesplus petits. D’autre part, la reglementation peut garantir aux clients qu’ils soient traitesequitablement. Cela pourrait conduire a une meilleure performance financiere. Nousadoptons donc une position neutre concernant l’impact de la regulation sur l’inclusiondes pauvres :

H3 : Il existe une relation mitigee (+/–) entre la portee et la reglementation.

4 Etude empirique

4.1 Source des donnees et echantillon

La source de nos donnees est le Microfinance Information eXchange (MIX).L’echantillon final est constitue de 96 IMF africaines, dont 31 sont des ONG et 65sont des IMF financieres (cooperatives4, institutions financieres non bancaires et desbanques). Les IMF choisies pour notre echantillon sont celles qui possedent des niveauxde diamants 4 et 55 (Tchakoute 2010).

La majorite des IMF de notre echantillon ont subi une transformation de leurstatut entre 2005 et 2008, ce qui justifie le choix de cet intervalle de temps. En outre,

4 Juridiquement, une cooperative est une societe privee. Nous classifions les cooperativesparmi les societes financieres etant donne que ces institutions offrent la possibilite d’avoir desservices financiers d’epargne, de credit, d’assurance ou de transferts.5 Echelle de diamant effectuee par MIX afin de classifier les IMF selon la transparence et laqualite de l’information. Les IMF de niveau 4 sont celles qui divulguent des informations relativesa la portee, a l’impact des activites de microfinance sur la clientele cible. Leurs etats financiers(bilan et compte de resultats) sont audites et certifies par les experts comptables et commissairesaux comptes. Les IMF de niveau 5 sont celles qui sont, en plus des caracteristiques des IMF deniveau 4, notees par des agences de notation.

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COMMERCIALISATION DE LA MICROFINANCE 229

Tableau 2 – Repartition regionale et de statut legal des IMF

Nombre d’IMF

SOUS REGION AC 8AC AN 20

AE 31AA 12AO 25

Total 96

STATUT LEGAL ONG 31ONG SF

∗65

∗Societes Financieres

a partir de 2009, la base de donnees6 a ete actualisee par le Mix Market afin d’inclurel’ensemble des normes du Social Performance Standards (SPS) (Cerise 2009, Bedecarratset Marconi 2009).

Nous retenons les IMF de l’Afrique dans notre etude puisqu’elles sont en moyennesignificativement moins performantes que celles des autres regions du monde (Lafour-cade et al. 2006, Cull et al. 2007, Gutierrez-Nieto et al. 2009).

Le tableau 2 resume la composition de l’echantillon selon la region et le statutjuridique des IMF.

4.2 Modele et mesure des variables

Afin de repondre a la question de notre recherche, qui vise a estimer l’impact de lacommercialisation des IMF sur la portee sociale, nous estimons un modele de regressionlineaire. L’equation de notre estimation est de la forme suivante:

dijt = c + OSSijt + REG jit + Lernerijt + WBijt + RPijt + INDIVijt + FORJURijt

+ AGEijt + SIZEijt + εi jt

(5)

Notre variable dependante (dijt) mesure la portee des IMF, c.a.d. la capacite de l’IMF aatteindre les pauvres par le ratio suivant :

di = solde du pret moyen par emprunteurRNB par habitant

(6)

Le solde de pret moyen est l’indicateur utilise dans notre etude afin de mesurerle degre de portee des IMF (Bhatt et Tang 2001, Schreiner 2002, Cull et al. 2007,Mersland et Strom 2009). L’ajustement par le RNB par habitant permet d’une part lanormalisation de la taille de pret moyen puisqu’il n’est plus en termes de monnaie locale,et d’autre part offre un ajustement de la richesse globale d’un pays. Nous recourons dans

6 Standards de performances sociales mis en place sur le Mix Market.

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230 NIHEL HALOUANI ET YOUNES BOUJELBENE

ce cadre a la classification selon les criteres du Microbanking Bulletin (Afrique)7 et nousutilisons deux groupes de population : (groupe 1 : di<20%) representant les plus pauvresclients, et (groupe 2 : di>20%) representant les clients aises (Montalieu 2002, MorduchJ. 2006).

Concernant les variables explicatives, nous utilisons trois grandes mesures large-ment utilisees dans la litterature de la commercialisation d’une IMF (Olivares-Polanco2005, Cull et al. 2009, Hermes et al. 2009, Hermes et al. 2011).

Tout d’abord, nous mesurons la viabilite financiere des IMF par l’autosuffisanceoperationnelle (OSSijt). Le deuxieme facteur est la concurrence, cette variable estmesuree par l’Indice de Lerner : (Lernerijt). Le troisieme facteur est la reglementationdes IMF (REGi jt) mesuree par une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’IMF estreglementee et 0 sinon.

Nous ajoutons des variables specifiques a l’IMF qui permettent d’expliquer l’impactde la commercialisation des IMF sur la portee sociale. (WBijt) mesure le pourcentage defemmes emprunteuses ; (RPijt) mesure le pourcentage de la population rurale dans lazone d’intervention de l’IMF ; (INDIVijt) est une variable binaire qui prend la valeur 1si l’IMF adopte la methodologie de credit individuel, 0 sinon (Mersland et Strøm, 2009et Tchakoute, 2010) ; (FORJURijt) est une variable binaire qui prend la valeur 1 sila forme juridique est une ONG, et 0 sinon. D’autre variables specifiques a l’IMF sontindicatrices de son age (AGEijt) (nombre d’annees depuis la creation) et de sa taille(SIZEijt), mesuree par le logarithme de l’actif total de l’IMF (Cull et al., 2009). Letableau 3 decrit l’ensemble des variables ainsi que les sources de chacune.

4.3 Methode d’estimation

Notre etude empirique est effectuee en deux etapes. La premiere consiste a testerl’impact des facteurs de commercialisation sur la taille moyenne des prets de l’ensembledes IMF de notre echantillon. Nous estimons cette relation en utilisant les methodeseconometriques des donnees en panel afin de tenir compte de la dimension temporelle(de 2005–2008) et transversale (96 IMF) pour l’echantillon global (N = 384). Le but d’unetelle analyse consiste a tester l’apparition d’une « derive de mission » au fil du temps,puisque l’evolution de l’IMF peut etre accompagnee par un changement de clients serviset meme du lieu d’intervention, ce qui peut causer avec le temps une « derive de mis-sion ». Dans une deuxieme etape, nous recourons a une modelisation econometriquefondee sur la technique de regression avec les MCO sur STATA (afin d’etudier l’impactde la commercialisation des IMF sur la taille moyenne des prets par groupe de popula-tion servie). Pour ce faire, nous utilisons deux echantillons. Le premier reunit le grouped’IMF qui servent les clients les plus pauvres (groupe 1 : N = 128 pour les IMF ayantle di<20%). Ce premier echantillon va nous permettre de saisir l’impact de la trans-formation des IMF sur la categorie la plus pauvre des emprunteurs qui possedent unrisque d’insolvabilite plus eleve et qui risquent d’etre exclus apres la transformation de

7 Si di <20%, la population servie est tres pauvres, si 20% <di<149%, la clientele servie estd’une pauvrete moyenne, si di=149%, le groupe de population servi est aise (Schreiner M 2002,Montalieu 2002, Morduch J. 2006).

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COMMERCIALISATION DE LA MICROFINANCE 231

Tableau 3 – Operationnalisation et definitions des variables

Variables Mesures SourceVariables dependantes

di di = solde du pret moyen par emprunteurRNB par habitant . Ce ratio evalue le degre de la pauvrete des

clients servis par l’IMF.MIX∗

Variables explicatives : Facteurs de commercialisationOSS Ratio d’Autosuffisance operationnelle : MIX

OSS = [Produits financiers/ (Charges financieres+chargesd’exploitation+provisions pour creances douteuses)]. Ce ratio mesure lacapacite de l’IMF a couvrir ses couts a partir de ses revenus d’exploitation.

MIX

REG Variable binaire : 1 si l’IMF est regulee par un organisme de reglementation, 0sinon.

Lerner Indice de Lerner : L = P−MCP

(Le prix de marche diminue du cout marginal, le tout est ajuste par le prixdu marche)

MIX

Variables explicatives :WB Pourcentage de femmes emprunteuses. MIXFORJUR Variable binaire : 1 si l’IMF est une ONG, 0 sinon MIXINDIV Variable binaire : 1 si l’IMF adopte des contrats individuels, 0 sinon. ratingfund

PR Pourcentage des populations du pays qui appartiennent a des zones rurales. IDM‡

AGE Nombre d’annees depuis la creation de l’IMF. MIXSIZE Logarithme du total des actifs de l’IMF. MIX

∗MIX : Mixmarket, “Microfinance Information Exchange », www.themix.org.†Rapports de notations disponibles sur le (www.ratingfund.org).‡IDM : Indicateurs du developpement dans le monde.

l’IMF. Le deuxieme echantillon concerne le groupe d’IMF qui servent les clients a pau-vrete moyenne et les clients riches (groupe 2 : N = 256 pour les IMF ayant le di>20%).Les clients appartenant a ce groupe possedent un risque d’insolvabilite beaucoup moinseleve que ceux du premier groupe. La difference entre ces deux groupes nous permet dedetecter dans quelle mesure les plus pauvres peuvent garder leurs comptes aupres desIMF apres transformation.

L’estimation par la methode des MCO necessite de realiser le test del’homoscedasticite qui consiste a etudier le comportement des erreurs (residus) issuesdu modele. Afin de detecter une eventuelle heteroscedasticite des erreurs, nous utilisonsle test de White.

5 Resultats empiriques

5.1 Statistiques descriptives

Le tableau 4 presente les statistiques descriptives des variables explicatives con-tinues ainsi que de la variable dependante. Concernant l’evolution de la variable dela concurrence mesuree par l’indice de Lerner a travers les pays et au fil du temps,nous schematisons ces evolutions pour l’echantillon global respectivement dans lesfigures 1 et 2. Les figures 3 et 4 schematisent l’evolution temporelle de l’indice de Lernerrespectivement pour les IMF servant les emprunteurs les plus pauvres (di<20%) et lesIMF servant les clients aises (di>20%).

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232 NIHEL HALOUANI ET YOUNES BOUJELBENE

Tableau 4 – Statistiques descriptives des variables continues dans l’echantillon global

di OSS Lerner WB RP SIZE Age

Moyenne 73,06 117,11 0,30 59,12 25,81 8,93 11,04Mediane 41,67 112,45 0,28 59,48 24,00 8,67 9,00MAX 615,85 521,87 0.99 153,96 75,00 13,80 58,00MIN 0,00 3,99 0,01 0,00 11,00 4,94 4,00

Observation 384 384 384 384 384 384 384

00.10.20.30.40.50.6

Indice de Lerner

Figure 1 – Evolution de « l’indice de Lerner » a travers les pays de l’echantillon global.

0.27

0.28

0.29

0.3

0.31

2005 2006 2007 2008

Indice de Lerner

Figure 2 – Evolution de la moyenne estimee de « l’indice de Lerner » a travers le temps(echantillon global).

0.28

0.3

0.32

0.34

2005 2006 2007 2008

Indice de Lerner: di<20%

Figure 3 – Evolution de la moyenne estimee de « l’indice de Lerner » a travers le temps(groupe 1 : di<20%).

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COMMERCIALISATION DE LA MICROFINANCE 233

0.260.270.280.290.30.31

2005 2006 2007 2008

Indice de Lerner: di>20%

Figure 4 – Evolution de la moyenne estimee de « l’indice de Lerner » a travers le temps(groupe 2 : di>20%).

Tableau 5 – Statistiques descriptives des variables binaires dans l’echantillon global

Echantillon du Echantillon duEchantillon Global groupe 1 : (di<20%) groupe 2 : (di>20%)

Variables Modalites Frequence (%) Frequence (%) Frequence (%)

REG 0 88 25,28% 70 54,46% 18 14,22%1 296 85,05% 58 45,31% 238 92,96%

Total 384 128 256FORJUR 0 260 67,70% 35 27,34% 224 87,5%

1 124 32,29% 93 72,65% 32 12,5%Total 384 128 256

INDIV 0 91 23,69% 29 22,65% 63 24,60%1 292 76,04% 99 77,34% 193 75,39%

Total 384 128 256

L’analyse des donnees du tableau 4 indique que la moyenne du ratio (di) pourl’echantillon global est situee entre 20% et 149%. On peut dire que la clientele servie estd’une pauvrete moyenne, et qu’en moyenne les IMF de l’echantillon sont viables (117%>

100%). L’indice de Lerner moyen est de 0,3, ce qui suggere que les IMF dans notre basede donnees sont confrontees a des niveaux moyens de concurrence. La figure 1 presentele niveau moyen de l’indice de Lerner par pays de l’echantillon global. Elle montre que laTunisie possede la moyenne la plus elevee de l’indice de Lerner, ce qui est similaire aune situation de monopole exercee par l’ONG ENDA. Le Congo detient la moyenne laplus faible de l’indice de Lerner, ce qui traduit un niveau de concurrence tres eleve dansce pays et par consequent la faible capacite concurrentielle de l’ONG CAPPED.

La figure 2 montre que la valeur moyenne de l’indice de Lerner dans l’echantillonglobal mesurant la distance entre le prix du marche et le cout marginal augmentegraduellement des 2005 pour atteindre un pic de 0,31 en moyenne en 2006, demontrantque les IMF en Afrique exercent, certainement, un pouvoir de marche. L’indice chuteapres cette date pour se stabiliser a partir de 2007 jusqu’en 2008 a la moyenne de (0,305).Cette variation traduit la forte concurrence dans le secteur de microfinance africainexercee notamment par l’entree de nouvelles IMF, et par la transformation d’autresONG en des institutions financieres reglementees a vocation commerciale. Dans ce cas,les deux categories d’institutions (ONG et societes financieres) servent la meme categoriede clientele, et donc la concurrence devient de plus en plus accrue.

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234 NIHEL HALOUANI ET YOUNES BOUJELBENE

Tableau 6 – Matrice de correlation entre la variable dependante et les variablesexplicatives

di OSS REG LERNER WB FORJUR INDIV RP SIZE AGE

di 1,00OSS 0,09 1,00REG 0,35 − 0,09 1,00LERNER − 0,04 − 0,01 − 0,14 1,00WB − 0,40 − 0,06 − 0,23 0,10 1,00FORJUR − 0,38 0,06 − 0,52 0,10 0,33 1,00INDIV 0,11 0,03 0,04 0,03 − 0,03 0,13 1,00RP − 0,13 − 0,09 − 0,22 0,05 − 0,01 0,14 − 0,12 1,00SIZE 0,09 0,14 0,03 − 0,04 − 0,26 − 0,07 0,03 − 0,06 1,00AGE 0,17 0,12 0,00 − 0,03 − 0,13 0,00 0,10 − 0,01 0,44 1,00

Les valeurs en gras sont significativement differentes de 0 a un niveau de signification alpha = 0,05.

La figure 3 montre que l’evolution de l’indice de Lerner pour le groupe 1 (di<20%)tend vers une situation de concurrence aigue vers la fin de l’annee 2008. Cette situationest attendue pour cette categorie d’IMF puisqu’elle se compose principalement d’ONGqui sont a but non lucratifs et qui ne peuvent pas realiser de profits qui leurs permettentde combattre la concurrence des autres formes juridiques. La situation est totalementinversee dans le cadre des IMF du groupe 2 (di>20%) (figure 4), qui evoluent vers une sit-uation de monopole durant la periode de l’etude. Ce groupe est compose principalementd’IMF a vocation commerciale.

Le tableau 5 renseigne la frequence des variables binaires. Nous remarquons queplus de la moitie des IMF de l’echantillon global ne sont pas des ONG (67,70%), que lamajorite des IMF sont reglementees (85,05%) et qu’elles optent principalement pour lecredit individuel (76,04% contre 23,69%). Pour les IMF appartenant au premier groupe(di<20%), nous remarquons que la forme juridique dominante est l’ONG (72,65%), etque la methodologie de credit largement utilisee est le credit individuel (77,34%), alorsque le nombre d’IMF reglementees est presque egal a celui des IMF non reglementees(45,31% vs 54,46%). Pour la categorie d’IMF offrant des prets aux clients aises (di>20%),nous remarquons que presque la totalite des IMF sont reglementees (92,96%) et que lamajorite des IMF optent pour des formes juridiques financieres (87,5%) offrant descredits individuels (75,39%).

5.2 Principaux resultats empiriques

Notre principal objectif dans cet article est d’etudier l’impact de la transformationdes IMF sur la capacite de celles-ci a servir les pauvres et a ameliorer leur bien-etre.Nous estimons notre modele a l’aide du logiciel STATA. Nos resultats sur le test decolinearite (tableau 6) montrent qu’il existe une forte correlation negative entre la vari-able de reglementation et celle de la forme juridique. Cette relation est justifiee par lapredominance des ONG non reglementees dans notre echantillon.

Les resultats du tableau 7 montrent que les modeles de regressions sont signifi-catifs comme indique par les coefficients (R2). La premiere colonne consiste a estimerl’impact des facteurs de commercialisation sur la capacite a inclure les pauvres parmi les

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COMMERCIALISATION DE LA MICROFINANCE 235

Tableau 7 – Resultats de la regression de l’echantillon global (Panel) et par categorie declientele servie (MCO)

Variables explicatives di (echantillon globale1) di (gr1) <20%2 di (gr2) >20%3

OSS 0.10572∗∗ 0.0107∗∗∗ 0.2899∗∗(0.057) (0.012) (0.047)

REG 33.169∗∗∗ − 1.900∗∗ 80.722∗∗∗(0.021) (0.043) (0.000)

Lerner − 11.210∗∗ − 2.137∗∗∗ − 17.695∗∗∗(0.045) (0.001) (0.021)

WB − 0.3007∗∗ − 0.9825∗∗∗ 0.0141(0.049) (0.000) (0.563)

Par30 0.1439∗∗∗ 0.0390∗∗∗ − 0.0017∗∗(0.023) (0.001) (0.052)

RP − 0.4764 − 0.0631∗∗∗ 0.3186(0.413) (0.03) (0.402)

INDIV 19.036 2.823∗∗∗ 24.392∗∗∗(0.284) (0.017) (0.024)

FORJUR − 42.00∗∗∗ − 3.579∗∗∗ 25.076∗∗∗(0.028) (0.007) (0.043)

AGE 1.508 0.0217 2.2696∗∗∗(0.091) (0.609) (0.004)

SIZE 6.4230 − 0.7387∗∗∗ 24.453∗∗∗(0.097) (0.021) (0.000)

constante 108.24∗∗∗ 6.808 158.026∗∗∗(0.013) (0.077) (0.000)

N 384 128 256R2 53.45% 87.98% 70.63%

1L’echantillon global est estime par l’estimateur panel simple.2L’echantillon (groupe 1) est estime par MCO, avec la correction de l’heteroscedasticite a l’aide du test de Whitedans STATA;3L’echantillon (groupe 2) est estime par MCO, avec la correction de l’heteroscedasticite a l’aide du test de Whitedans STATA.∗, ∗∗, ∗∗∗ significatifs respectivement a 10%, 5% et 1%.Le coefficient est indique par les chiffres au dessus ; la probabilite est entre parenthese.

emprunteurs de l’IMF dans l’echantillon global (N = 384) en utilisant l’estimateur desdonnees en panel. La deuxieme colonne (groupe 1 : N = 128 pour les IMF ayant di<20%)et la troisieme colonne (groupe 2 : N = 256 pour les IMF ayant di>20%), sont des modelesestimes a l’aide de la methode des MCO sur STATA (afin d’etudier l’impact de la com-mercialisation des IMF sur la taille moyenne des prets par groupe de clientele servie).La diminution de la taille moyenne des prets est consideree comme une indication d’unemeilleure inclusion des pauvres (Cull et al., 2007).

Concernant la premiere colonne du tableau 7, nous trouvons que les coefficientsde la viabilite et de la reglementation sont positivement significatifs avec la variabledependante mesurant la taille moyenne de pret. Ceci veut dire que les IMF qui sontautonomes et qui sont reglementees font preuve d’une derive de mission, et ce en aug-mentant la taille moyenne des prets servis. Or, ceci n’est pas le cas avec la variable deconcurrence (Lerner). Dans ce cas le signe de la relation est significativement negatif. Eneffet, il s’avere que la concurrence accrue entre les IMF entraıne une tendance a servirles pauvres. La concurrence est alors favorable a l’inclusion des pauvres. Ce resultat estconforme a ceux de Motta (2004) et Cull et al. (2009).

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236 NIHEL HALOUANI ET YOUNES BOUJELBENE

La deuxieme colonne du tableau 7 consiste a tester l’impact de la commercialisationsur la portee sociale des IMF qui distribuent les credits aux clients les plus pauvres(di<20%). Ce tableau montre qu’il existe des signes de derives de mission exerces parla viabilite des IMF. Nous pouvons deduire alors que les IMF qui sont financierementautonomes tendent a augmenter la taille moyenne de leurs prets et a preter davantageaux clients aises. En effet, pour survivre dans un marche de plus en plus concurrentiel,les IMF doivent reduire les operations couteuses et accroıtre leur efficience, ce quisuggere que la poursuite de l’objectif social et celui de l’autonomie financiere sont deuxobjectifs contradictoires. Ce point de vue corrobore notre hypothese H1 et confirme lesresultats d’Hartarska (2005) et Mersland et Strøm (2009).

Toutefois, la reglementation et la concurrence semblent favoriser la reduction dela taille moyenne des prets dans le premier groupe, et donc defendre le droit des pluspauvres a etre inclus dans le secteur de la microfinance. A ce propos, il s’avere que nosresultats pour le premier groupe (di<20%) sont conformes a ceux de Morduch (1999)et d’Arun et al. (2005). Concernant l’impact positif de la concurrence sur la portee desplus pauvres, ce resultat est trouve par Motta (2004), Cull et al. (2007, 2009) et Hermeset al. (2011) qui suggerent que la concurrence pousse les microcredits vers les marchesles plus pauvres a travers la diversification des produits offerts, la reduction des rentesdu monopole et aussi la reduction des niveaux des taux d’interet sur les prets accordes,ce qui peut ameliorer la portee sociale.

En ce qui concerne la troisieme colonne (di>20%), nous remarquons qu’il existedes signes de derives de mission exerces par la viabilite et la reglementation sur les IMFde ce groupe. Ainsi, la reglementation et la viabilite sont defavorables a la portee socialedans le cadre des IMF servant les clients aises (di>20%). En effet, la reglementation tenda renforcer les pratiques de type commercial, sans tenir compte de la dimension socialedes activites de microfinance. Ceci entraine un freinage de la multiplication d’IMF sansbut lucratif, posent aussi des contraintes pour l’intervention dans les lieux ruraux etaupres du secteur agricole entrainant un changement dans la composition de nouveauxclients parmi les clients existants et une reorientation des zones pauvres vers les zonesles plus riches refletant ainsi une derive de la mission de l’IMF (Cull et al. 2007).

Lors de l’analyse de la qualite du portefeuille de credit dans le cadre des deuxgroupes d’emprunteurs, nous saisissons que pour ceux qui recoivent des credits de pe-tite tailles (di<20%), la relation entre la variable mesurant le delai de remboursement(Par30) et la taille moyenne des prets est positive et significative, alors que cette re-lation est significativement negative pour le groupe de clientele recevant des prets detailles plus elevees (di>20%). Ceci justifie que la categorie de population du premiergroupe enregistre des retards de remboursements plus importants par rapport a ceuxdu deuxieme groupe, a mesure que la taille des prets augmente. Ce resultat est conformea celui d’Armendariz et Morduch (2010).

La population rurale exerce un impact negatif sur la variable (di<20%), et doncpermet de reduire la taille moyenne de prets et de realiser la portee des pauvres. Cesresultats montrent que les IMF servant le groupe de population le plus pauvre (di<20%)restent fideles a une clientele rurale et pauvre et ne changent pas cette categorie ciblepar l’effet du developpement du secteur de microfinance, et donc elles ne montrent pasdes signes de derive de mission. L’intervention majoritaire dans des zones urbainesconstitue par contre un frein a l’atteinte de la portee sociale a travers l’accroissement

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de la taille des prets accordes, ce qui n’est pas en ligne avec les resultats trouves par(Adaire et Berguiga 2010).

Concernant la forme juridique, nos resultats montrent que la forme juridiquede reference (l’ONG) est celle qui est capable de realiser la portee des clients lesplus pauvres (di<20%). Toutefois, elle ne l’est pas pour l’ensemble des IMF appar-tenant au deuxieme groupe (di>20%). Ceci montre que les IMF qui collectent les depots(Cooperatives et societe privees) presentent donc des niveaux de portee sociale signi-ficativement inferieurs a ceux des ONG, lorsque la taille des prets est retenue commebase de comparaison. Ce resultat est conforme a ceux d’Hartarska (2005) et Mersland etStrøm (2009), toutefois ils contredisent ceux de Tchakoute (2010). Il s’explique par lescouts exiges par la transformation des ONG en une entite commerciale mais aussi par lacontrainte de collecte de depot. Le signe negatif issu de la relation entre la taille de pretet la forme juridique du premier groupe d’IMF (di<20%) est justifie par la predominancede la forme juridique d’ONG dans l’echantillon du groupe 1 (avec 72,65% des IMF quisont des ONG : tableau 5), ce qui favorise la portee des pauvres. En ce qui concerne ledeuxieme groupe (di>20%), il est clair qu’il tend a servir des credits de grande taille,ce qui explique la relation positive et significative entre la taille de pret et la formejuridique. Nous remarquons que la composition de ce groupe est dominee par les IMF avocation commerciale (87,89% des IMF sont des societes financieres). Ce dernier resultatmontre que la commercialisation des IMF permet a celles-ci de se concentrer de plus enplus sur les clients qui peuvent absorber des prets plus importants et donc de se devierde l’objet social de l’IMF.

L’augmentation de la taille des IMF est egalement favorable au ciblage des em-prunteurs les plus pauvres (groupe 1) puisqu’elle entraine une reduction de la taille desprets accordes aux clients. Ce resultat est conforme a celui de Vanroose (2008) et Ahlinet al. (2010). Toutefois, les variables de la taille et de l’age des IMF sont positivementet significativement associees a la taille moyenne des prets pour le deuxieme groupe(di>20%). Ce resultat montre que la maturite des IMF est accompagnee par une aug-mentation de la taille des prets accordes et en consequence de la taille de l’actif totalde l’IMF, tel que prouve par Christen et al. (1995). Nous concluons alors que pour lavariable di>20%, la taille et l’age de l’IMF exercent un impact negatif sur la porteesociale.

Le coefficient positif et significatif entre di<20% et di>20% avec la methodologiede credit individuel, fournit quelques preuves de derive de mission au fil du temps.Ceci prouve que quelle que soit la clientele cible, la taille de credit (dans le cadre de lamethodologie de credit individuel) s’accroit avec le temps. Ces resultats sont en ligne avecceux d’Armendariz de Aghion et Morduch (2005), Ghatak et Guinnane (1999), Thorp,Stewart et Heyer (2005) et Baland et al. (2007, 2009). En effet, dans le cadre des pretsindividuels, la responsabilite de remboursement incombe uniquement a l’emprunteurunique, tandis que lorsqu’il s’agit d’un pret de groupe, la responsabilite sera partageeentre les membres du groupe. C’est pour cette raison qu’on observe un taux d’abandon decredit (mesuree par le PAR30) eleve pour les IMF du premier groupe qui sont composeesprincipalement de credits individuels (77,34% des credits accordes dans le groupe 1 sontindividuels : tableau 5), alors qu’il ne l’est pas dans le cadre des IMF du deuxieme groupe,bien qu’ils distribuent principalement des prets individuels. Ceci montre la vulnerabilitedes plus pauvres face a la methodologie de credit individuel.

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6 Conclusion

Il existe une crainte que la commercialisation des IMF entraine une « derivede mission », au fur et a mesure que l’IMF cherche des marches plus rentables quigenerent moins de couts aux depens des clients plus pauvres. Dans le cadre de cetarticle, nous evaluons l’impact des facteurs de commercialisation et d’autres variablesqui, selon la litterature sur la microfinance, peuvent egalement affecter la taille du pret,sur l’inclusion des pauvres afin d’eclairer le debat entre la commercialisation des IMFet la portee sociale de celles-ci. Nous utilisons des donnees aupres de 96 IMF œuvrantdans 22 pays africains durant la periode 2005–2008, et nous fournissons des preuvesdescriptives et econometriques a partir des estimations de donnees en panel sur la« derive de la mission » pour l’echantillon global. Ensuite, nous utilisons des regressionsavec MCO sur STATA afin d’etudier l’impact de la commercialisation des IMF sur lataille moyenne des prets par groupe de population servi (groupe 1 : di<20% et groupe2 : di>20%).

Nous concluons que la reglementation et la concurrence favorisent le ciblage desplus pauvres (di<20%), tandis que la viabilite favorise la « derive de mission » desIMF quelle que soit la categorie de clientele servie. Nos resultats peuvent renseignerles IMF africaines sur l’importance de la commercialisation pour la realisation de larentabilite et la portee de leurs institutions, a condition qu’elles gardent les subventionscomme source de financement importante et sacrifient donc la realisation de l’autonomiefinanciere (rester dependants des bailleurs de fonds et des donateurs bilateraux).8

Ceci est similaire aux principes de l’approche des welfaristes qui incitent au recoursaux subventions et qui pretendent que les IMF peuvent assurer la viabilite financieresans atteindre l’autosuffisance economique (Morduch 1999). Nous constatons egalementque l’augmentation de la taille moyenne de pret est associee a des niveaux inferieursde remboursement du pret par les plus pauvres clients, a la baisse de pourcentage defemmes emprunteuses, du pourcentage de population rurale et de la forme juridiqued’ONG, et aussi a la predominance du credit individuel. Cela caracterise la derive demission.

D’autres etudes pourraient inclure d’autres mesures qui peuvent influencer lataille des prets tels que les taux d’interets, la productivite du personnel et autres.

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8 Lorsque le pays donateur conserve la haute main sur ses contributions de sorte que lesdecisions relatives aux decaissements de fonds sont laissees a la discretion du pays donateur.(ACDI 2003).

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