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LA MICROFINANCE ET LES DIFFICULTÉS DE FINANCEMENT DU MONDE RURAL L’EXEMPLE DES IMPAYÉS AU SEIN DE LA MECFEPRODES Mémoire de fin d’étude, Sciences Po Toulouse Master « Développement économique et coopération internationale » Oriane Barthélemy 2013

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LA MICROFINANCE ET LES DIFFICULTÉS DE

FINANCEMENT DU MONDE RURAL

L’EXEMPLE DES IMPAYÉS AU SEIN DE LA

MECFEPRODES

Mémoire de fin d’étude, Sciences Po Toulouse

Master « Développement économique et coopération internationale »

Oriane Barthélemy

2013

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier l’ensemble de l’équipe de la MecFEPRODES, qui par son accueil et sa

générosité a rendu ce stage très agréable et formateur.

Je remercie plus particulièrement Mme Cissé qui m’a donné l’opportunité de faire un stage au

sein de la mutuelle et Katim Touré qui a facilité sa mise en œuvre.

Abdou Ba et Henry Diatta m’ont largement aidé à comprendre les enjeux actuels de la

Feprodes et les comportements de ses clients. Ils ont toujours étés présent pour répondre à

mes questions.

Je remercie aussi l’ensemble des agents de crédits qui ont acceptés de répondre à mes

questions au cours des entretiens, sans quoi ce mémoire n’aurait pas été possible.

Mes remerciements vont aussi à Rokhaya Ndiaye et sa famille qui m’ont permis de découvrir

la culture sénégalaise et de mieux cerner l’environnement de l’étude.

Je remercie encore une fois Henry Diatta pour m’avoir relue et fournit des informations

complémentaires sur l’évolution de la Mutuelle.

Je remercie enfin Isabelle Guérin pour son encadrement en tant que maitre de mémoire. Ses

relectures et ses commentaires pertinents m’ont été très utiles pour améliorer mes premiers

écrits et arriver à ce mémoire final.

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INTRODUCTION GENERALE

La microfinance est un secteur qui a émergé rapidement. En moins de 10 ans, il est il a

pris un véritable essor et de relativement marginal est devenu un secteur très prisé et

encouragé par les institutions internationales; en 2005, les Nations Unies célèbrent « l’année

du microcrédit », en 2006, la Grameen Bank et son fondateur M. Yunus reçoivent le « prix

Nobel de la Paix ».

Cette reconnaissance a permis la croissance des financements commerciaux, et la

microfinance a ainsi pu se développer rapidement à travers le monde entier. Entre 2004 et

2008, le secteur a affiché un taux de croissance annuel de 39% sur les marchés émergents1.

Nous prendrons ici comme définition de la microfinance et du microcrédit celle proposée par

I. Guérin2, « Le microcrédit est une composante de la microfinance, définie comme

l’ensemble des services financiers (crédit, épargne, assurance, transferts de fonds pour les

migrants), généralement de faible montant, destinés aux populations exclues des institutions

financières classiques »3.

On peut se demander pourquoi un tel engouement pour la microfinance ? Bateman4

nous explique que la microfinance s’inscrit dans les logiques néo-libérales et les légitiment :

proposer une aide aux pauvres en s’appuyant sur le courant libéral dominant a rapidement

séduit l’ensemble des institutions internationales et principaux bailleurs de fond. En effet

démontrer que tout individu, même le plus pauvre, peut devenir entrepreneur et voir ses

revenus augmenter accrédite la théorie du « self-made-man » et de l’« entrepreneur innovant

schumpéterien ».

Cependant, depuis l’émergence des crises d’impayés de la microfinance vers la fin des années

2000 (2008 en Zambie, 2007-2008 au Nicaragua, en Bosnie-Herzégovie, au Pakistan et au

Maroc, 2010 en Inde, 2011 au Bénin) les critiques envers le secteur se font croissantes. Ces

                                                                                                               1  Microfinance Information Exchange (MIX)  2  Dette et pauvreté en Inde rurale, I. Guérin, 2011  3  Ici nous utiliserons principalement le terme “microfinance” ce qui englobe une offre de services financiers plus vastes que le microcrédit. On entend par microcrédit l’offre de crédit et d’épargne proposé aux populations les plus pauvres.  

4  Why doesn’t microfinance work? The Destructive Rise of Local Neoliberalism, M. Bateman (2010).  

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critiques ne sont pas récentes (Roesch 2006) mais émergent avec plus de vigueur car vérifiées

par l’Histoire. L’« euphorie » sur la microfinance est un temps révolu, et la réflexion la plus

intéressante aujourd’hui, porte sur sa restructuration, les enseignements à tirer des crises

d’insolvabilité et les facteurs qui nous permettent de l’envisager comme un outil capable

d’aider les populations.

En effet, il est important de ne pas être uniquement négatif sur ces expériences de

microfinance qui répondent toutefois aux problèmes d’exclusion financière des plus pauvres.

Le sujet aujourd’hui est notamment de revoir la politique financière, la capacité d’emprunt

des plus pauvres, leur rapport à l’argent et d’être plus réaliste quant aux impacts de la

microfinance ; que ce soit au niveau économique, dans quelle mesure la microfinance peut-

elle être un levier de développement et apporter des revenus supplémentaires aux ménages ?

Au niveau social, comment la microfinance peut-elle permettre de réduire les inégalités

d’accès aux services financiers ? Au niveau du genre, en quoi la microfinance a-t-elle une

influence sur l’empowerment5 des femmes ? Il a été démontré que la microfinance n’a pas

seulement apporté que des réponses positives et encourageantes à ces différentes questions.

La plus-value du secteur est plus complexe que les simples avantages (fin de la pauvreté,

empowerment des femmes...) mis en avant par ces précurseurs. Par exemple, une

« éradication de la pauvreté » via la microfinance ne semble pas réaliste cependant le secteur

peut permettre de limiter la vulnérabilité des ménages. Il faut re-analyser les attentes que l'on

peut avoir de la microfinance pour comprendre l’impact qu’elle a pu ou peut avoir à l’avenir.

Ce sont ces nouvelles interrogations et dynamiques qui m’ont attirées dans la

microfinance. En effet cette nécessité de revoir la pertinence et l’impact de la microfinance

me semble un challenge intéressant et prometteur qui mérite qu’on s’y attarde, car sur le long

terme c’est un vrai accompagnement politique notamment en matière de développement.

C’est dans cette optique que j’ai effectué un stage à la MecFEPRODES. Trouver une institution

de microfinance (IMF) qui corresponde à mes attentes (pratique d’une microfinance plutôt

sociale que commerciale) n’a pas été chose facile. Mais la MecFEPRODES a répondu à ces

objectifs. Durant ce stage j’ai pu observer le fonctionnement d’une IMF, la gestion de ses

risques opérationnels et ses difficultés pour maintenir son taux d’impayés à un niveau

                                                                                                               5L’empowerment désigne le processus qui permet aux individus de prendre conscience de leur capacité d’agir et d’accéder à plus de pouvoir. L’empowerment, nouvel horizon de la politique de la ville, S. Zappi, Le Monde, fevrier 2013.    

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raisonnable, synonyme de stabilité. J’ai aussi pris conscience de la vulnérabilité des ménages

ruraux, très dépendants de l’agriculture dans la région et constituant souvent la population la

plus pauvre. Les défis du financement du secteur agricole m’ont beaucoup intéressés et j’ai

compris la difficulté de concilier une politique de prêt dédiée aux entrepreneurs agricoles et

un taux de recouvrement acceptable. L’utilisation de la microfinance pour résoudre des défis

de développement dans des situations rurales difficiles est-elle vraiment la panacée ? C’est

pour répondre à ses défis que j’ai souhaité étudier la politique de recouvrement des prêts (les

taux d’impayés) des IMFs et les difficultés de financement du monde agricole.

La question centrale de ce mémoire est la suivante : En quoi les crises d’impayés

traduisent-elles les difficultés de financement du monde rural ?

Pour répondre à ces questions, il m’a semblé utile en premier lieu de revenir sur les

crises d’impayés qui se sont déclarées à la fin des années 2000. Cette revue théorique et cet

état des lieux nous permettra de comprendre pourquoi une augmentation des taux d’impayés

fragilise les IMFs et favorise l’émergence de crise globale dans le secteur. Nous analyserons

aussi les différents chemins causaux entrainant cette augmentation.

Dans un deuxième temps, nous verrons que le financement du secteur agricole est une activité

risquée. Ces risques peuvent engendrer de fort taux d’impayés si des solutions adaptées au

secteur agricole ne sont pas mises en place.

C’est ainsi que nous en arriverons à l’étude de cas de la MecFEPRODES ou la forte

augmentation des taux d’impayés est due, entre autres, aux difficultés rencontrées dans le

financement des acteurs ruraux. Nous verrons les raisons de ces difficultés et les solutions

apportées.

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SOMMAIRE

Remerciements ........................................................................................................................... 2

Introduction générale.................................................................................................................. 3

Sommaire ................................................................................................................................... 4

Listes des tableaux et des figures ............................................................................................... 5

Sigles et Acronymes................................................................................................................... 6

Partie 1 : Reprises des données théoriques sur les impayés ..................................................... 12

I- Le surendettement, facteur clé de la crise en Inde en 2010 ? ........................................... 13

A) Les politiques laxistes (conscientes ou non) des institutions de microfinance ont permis aux ménages de s’endetter jusqu’à devenir insolvables ...................................... 14

B) Les ménages se laissent tenter par la société de consommation et n’hésitent pas à s’endetter auprès de plusieurs sources (IMF, préteurs sur gage...) ................................ 18

II) Le renouveau des théories sur les impayés ou la mise en valeur des facteurs macroéconomiques et politiques .......................................................................................... 23

A) Les dérives du secteur à l’origine des crises et notamment du surendettement des ménages ........................................................................................................................... 23

B) L’influence de l’environnement macroéconomique sur la crise des impayés ............ 27

C) L’importance de la légitimité des IMF et le rôle des leaders locaux dans les crises d’impayés ......................................................................................................................... 32

Partie 2 : Les difficultés pour les institutions de microfinance de financer l’agriculture dans les pays du sud ......................................................................................................................... 37

I- Les problèmes de financement de l’agriculture : En quoi et pourquoi les IMFs ont du mal à proposer une offre de services financiers adéquats aux acteurs du monde rural ? ........... 39

A) Inadéquation entre l’offre et la demande en services financiers dans les milieux ruraux? ............................................................................................................................. 39

B) Les grands défis des IMF : risques variés et coûts de transaction élevés .................. 44

II- Quelles sont les nouvelles approches mises en œuvre par les IMFs pour répondre aux difficultés de financement de l’agriculture ? ....................................................................... 49

A) Exemples d’innovations en matière de services financiers proposés aux acteurs du monde rural ...................................................................................................................... 50

B) L’approche de filière ; une nouvelle stratégie de financement considérant une approche plus macroéconomique du problème de financement en zone rurale .............. 62

Parti 3 : Etude de cas, la MecFEPRODES : Le lien concret entre impayées et financement de l’agriculture ............................................................................................................................. 68

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I. Contexte général du Sénégal et méthode de collecte des données ................................... 70

A) La microfinanciarisation de l’économie sénégalaise ................................................. 70

B) Les caractéristiques de la MecFEPRODES: son ancrage dans la région et la prévalence de ses buts sociaux ........................................................................................................... 74

C) La méthodologie adoptée afin de récolter des informations au sein de la MecFEPRODES ................................................................................................................... 79

II- Quelles incidences l’augmentation des impayées a-t-elle sur les SFD ? Pourquoi les impayés augmentent-ils ? .................................................................................................... 81

A) Une augmentation des impayés qui se révèle handicapante pour la FEPRODES et qui correspond à une difficulté de conjuguer performances sociales et performances financières ........................................................................................................................ 81

B) Dans le cas de la MecFEPRODES, quelles sont les raisons qui ont entrainées un fort taux d’impayés ? .............................................................................................................. 85

III- Quelles solutions pour le financement de l’agriculture ? .............................................. 95

A) Les difficultés de recouvrement des crédits agricoles ................................................ 97

B) L’expérience du warrantage : une solution pour la sécurisation des crédits agricoles ? .......................................................................................................................................... 98

Conclusion.............................................................................................................................. 103

Bibliographie .......................................................................................................................... 104

Annexe ................................................................................................................................... 107

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Liste des tableaux :

Tableau 1 Niveau d'endettement croisé au Nicaragua, Maroc, Bosnie-Herzégovine et Pakistan.......................................................................................................................................... 25  

Tableau 2 Evaluation du risque sectoriel (en % des enquêtés) ............................................... 29  

Tableau 3 Avantages et limites du warrantage......................................................................... 56  

Tableau 4 Offre et demande de financement au sein d'une chaine de valeur........................... 63  

Tableau 5 Buts et objectifs sociaux de la MecFEPRODES ..................................................... 76  

Tableau 6 Les différentes caractéristiques des crédits proposés par la mutuelle ..................... 78  

Tableau 7 Tableau utilisé à la MecFEPRODES pour analyser le caractère risqué ou non d'un futur prêt. .......................................................................................................................... 93

 

Liste des figures :

Figure 1 Evolution de la structure de l'endettement (en volume) en Inde du Sud ................... 21  

Figure 2 Hausse des impayés dans les IMFs au Pakistan, Nicaragua et en Bosnie-Herzégovine. .................................................................................................................... 24  

Figure 3 Les trois acteurs du warrantage ................................................................................. 54  

Figure 4 Nombre de produits d'assurance accessibles aux exploitants agricoles à faibles revenus par région. ........................................................................................................... 60  

Figure 5 La microfinance entre utilité sociale et performances financières............................. 84  

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Liste des sigles et acronymes :

AGR : Activité Génératrice de Revenus

BCEAO : Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest

CECAM : Caisse d’Epargne et de Credit Agricole Mutuel (Madagascar)

CPAG : Consultative Group for Asisting the Poor

FARM : Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde

GEC : Groupement d’Epargne et de Crédit

IMF : Institution de MicroFinance

LPS/MF : Lettre de Politique Sectorielle de la MicroFinance

MEC : Mutuelle d’Epargne et de Crédit

MecFEPRODES : Mutuelle d’Epargne et de Crédit des de femmes productrices de la vallée

du fleuve du Sénégal

MFEEF : Ministère de la Femme, de l’Enfant et de l’Entrepreneuriat Féminin

Nabard : National Bank for Agriculture and Rural Development (India)

OCDE : Organisation for Economic Co-operation and Development

ONG : Organisation Non-Gouvernemental

OPA : Organisation Professionnel Agricole

RCB : Rural and Community Banks (Ghana)

PAR : Portefeuille à risque

PIB : Produit Intérieur Brut

SFD : Système Financier Décentralisé

SHG : Self-Help-Group

USAID : United States Agency for International Development

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PARTIE 1 : REPRISE DES DONNÉES THÉORIQUES SUR LES IMPAYÉS

La montée brutale des impayés est la manifestation la plus évidente d’une crise dans le

secteur de la microfinance. L’origine de ces impayés est la plupart du temps attribuée à un

surendettement généralisé. Ceci est vérifié mais n’en constitue pas le seul élément.

Les crises d’impayés sont des éléments complexes que des facteurs contextuels rendent

encore plus difficiles à interpréter. On relève une suite de crises d’institutions de microfinance

(IMF) depuis la crise bolivienne de 1999, chaque crise ayant ses spécificités locales.

Dans le domaine de la recherche, les explications des crises d’impayés ont évolué. La crise

indienne ayant été la plus choquante et la plus brutale a été le point de départ des analyses

concernant les impayés. Comme nous le verrons, le déclenchement de la crise indienne a été

attribué au surendettement des ménages. Les recherches ont rapidement généralisé cette cause

comme cause principale des crises de microcrédit, quitte à relire l’histoire de ce point de vue.

La création de l’indice « Over-Indebtedeness Early Warning Sign » (indice OID) par

le Center for Microfinance de l’Université de Zurich, en 2011, va dans ce sens. Cet indice est

basé sur des indicateurs qui devraient théoriquement « signaler » un risque accru de

surendettement sur un marché. Les indicateurs avancés couvrent quatre niveaux différents

(macroéconomique, marché de la microfinance, niveau des sociétés et des ménages) et 14

variables sont retenues (taux de croissance du portefeuille de crédit total, pénétration de

marché, multi-crédits, crédit à la consommation...). Outre les variables économiques, l’indice

OID tente donc de prendre en compte les logiques des ménages et des IMFs. Toutefois il ne

tient pas compte de l’environnement microéconomique, social, culturel ou politique dans

lesquels les acteurs de la microfinance évoluent. Les chercheurs y donnent une définition

complète du surendettement : «Le surendettement des personnes ou des ménages peut être

défini comme l’impossibilité de rembourser toutes ses dettes en totalité et au moment voulu.

Le surendettement ne survient que lorsque cette situation se présente de manière chronique,

c’est-à-dire dans le cadre de plusieurs périodes consécutives, et contre la volonté des

emprunteurs.»6

Plus récemment des chercheurs ont mis en évidence que les raisons des impayés sont                                                                                                                6  Le surendettement et la Microfinance, construction d’un indice d’alerte précoce, Center for Microfinance, Zurich University.    

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13  

plus complexes qu’un « simple » surendettement des ménages et qu’elles conjuguent souvent

plusieurs facteurs d’ordre économique, politique ou social. Une relecture des crises par

l’anthropologie politique ou les sciences sociales ont permis de démontrer en quoi la dette

n’est pas la seule cause des crises et le surendettement la seule raison des impayés. Comme

dans toute crise financière se rapportant à la dette, le fait d’être endetté n’est pas le principal

problème mais lorsque la crise se déclenche il en devient un, majeur, et pose surtout la

question : comment résorber la dette ? Cette question est d’autant plus cruciale que dans le cas

du microcrédit nous avons affaire à des ménages pauvres, voir extrêmement pauvres. Ils ont

peu de marge de manœuvre pour recouvrir leurs dettes, parfois 3 à 4 fois supérieures au

revenu annuel moyen du ménage. Dans ces cas là, le microcrédit a engendré un résultat

contraire à son objectif initial : aider les plus pauvres, exclus des services financiers, à sortir

de la pauvreté via une offre de microfinance adaptée.

Dans cette partie nous étudierons en premier lieu, la crise indienne (qui comme

indiqué plus haut a été très sévère) et les recherches effectuées sur ce thème démontrant

l’importance du surendettement des ménages débouchant sur une crise d’impayés.

Puis nous étudierons, l’importance de prendre en compte des facteurs macroéconomiques et

politiques afin d’avoir une vision globale des causes d’une crise d’impayés.

I - Le surendettement, facteur clé de la crise en Inde en 2010 ?

Le microcrédit en Inde a fait son apparition dans les années 70, et s’est développé à

partir des années 2000. La microfinance en Inde détient actuellement deux records : « celui du

plus grand nombre de clients actifs, avec 144 millions de crédits en cours ; celui de la plus

forte croissance, avec une croissance annuelle, entre 2005 et 2010 de 87% pour les encours

de crédit et de 63% pour le nombre de client.»7.

On peut y ajouter un autre record, celui de la crise la plus violente et par la même, la plus

médiatisée. A l’automne 2010, une trentaine de clientes d’IMFs se sont suicidées dans le

district d’Andhra Pradesh. En effet, se voyant dans l’impossibilité de régler leurs dettes et

sous la pression « inhumaine » des agents de crédits, elles n’ont trouvé que cette solution

fatale. Le gouvernement a rapidement réagi ; un décret a été rendu public par le gouvernement

de l’état d’Andhra Pradesh, punissant l’utilisation de méthodes contraires à l’éthique dans les                                                                                                                7  Les fondements d’une crise exemplaire : la microfinance indienne. I. Guérin, M. Roesch, TFD 106, Mars 2012  

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14  

procédures de recouvrement de dette. Les sanctions pouvant aller de la révocation de la

licence de l’IMF à 1,600 € d’amende ou des peines de prison allant jusqu’à trois ans.

De plus, le premier ministre de l’état d’Andhra Pradesh déclara « Les taux d’intérêts des

institutions de microfinance sont exorbitants. Les pauvres sont amenés à se suicider à cause

du fardeau que représente leur dette et des méthodes brutales utilisées pour recouvrer les

créances ». Se légitimant par les déclarations du gouvernement et le ralentissement d’activité

de nombreuses IMFs, des millions d’emprunteurs ont cessé de rembourser. En quelques

semaines, les taux de remboursement sont passés de 90% à 10%. Un an après, les crédits de

quelques 4 millions d’emprunteurs sont classés « irrécouvrables ». Les IMFs de la région

affichent des pertes record.

Certains expliquent la crise d’une façon assez manichéenne, qui donne à voir les IMFs

comme des représentantes du capitalisme libéral cherchant à tout prix le profit, et les femmes

indiennes comme des sujets passifs de la crise. « La crise actuelle du microcrédit dans l’Inde

et les suicides de femmes, sont l’aboutissement du surendettement mis en place par le grand

capital pour maintenir dans l’asservissement gouvernements et populations du tiers monde

depuis 50 ans»8.

Les raisons sont plus complexes que cela. Le surendettement en Inde serait dû à la

surchauffe du système. En effet, trop de crédits (qui se sont avérés être consacrés à la

consommation) ont été accordés aux ménages, en trop peu de temps et sans réelle vérification

de la solvabilité des ménages.

A Les politiques laxistes (conscientes ou non) des institutions de microfinance ont

permis aux ménages de s’endetter jusqu’à devenir insolvables.

Tout d’abord, il est important de comprendre que de nombreuses institutions de

microfinance se sont lancées dans une telle activité non pas pour ses retombées sociales

positives mais pour ses retombées économiques. Ainsi, on trouve de nombreuses logiques et

comportements qui différent entre la théorie et la pratique.

1) Les retombées économiques souhaitées exacerbent la concurrence et vont à l’encontre des

intérêts des clients.

La microfinance a rapidement intéressé de nombreux investisseurs et bailleurs de

fonds parce que considérée comme rentable et même propice à faire des bénéfices. En Inde,

                                                                                                               8  http://cadtm.org/Microfinance-surendettement-et  

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15  

les taux d’intérêts pratiqués par les banques vers les IMFs sont de l’ordre de 17% aujourd’hui

(I. Guérin et M. Roesch, 2012) et les taux de remboursement ont longtemps été remarquables,

avoisinant les 98%, ce qui garantit une certaine rentabilité. Ainsi, en 2010, l’investissement

étranger en capital des IMFs atteint 2 milliards USD, soit 18% de l’investissement étranger

total (CGAP, 2011). En Inde, les IMFs ont fleuri ses dix dernières années, ce qui a conduit à

une forte concurrence. Dans son rapport 2008-2009, la NABARD recense 1.050 institutions

de microfinance. Les Self-Help-Group (SHG), une forme spécifiquement indienne de

microfinance, sont passés quant à eux de 500 la première année en 1992, à 1.5 millions en

2005 et 4.6 millions en 2007 (Fernandez 2007).

La concurrence entre les IMFs est donc motivée et accrue par les buts lucratifs que

peut permettre la microfinance. Cette concurrence a engendré des effets néfastes sur le

secteur.

Un trop grand nombre d’IMFs s’installant dans un même secteur sur un même laps de temps

entraine une « chasse aux clients ». Chaque IMF tente de capter le plus de clients possibles,

selon une logique de rendement d’échelle ou la production d’une unité supplémentaire

s’accompagne d’une baisse du cout unitaire, et la même quantité de facteurs permet de

produire plus. Il est préférable que chaque agent de crédit s’occupe de 100 clients plutôt que

de 50 (parfois les agents de crédit doivent gérer jusqu’à 600 clients9), ainsi le nombre de

crédit et donc de taux d’intérêt perçus augmentent.

Les IMFs ont donc majoritairement préféré se fixer des objectifs quantitatifs plutôt que

qualitatifs. Les IMFs ont encouragé leurs agents de crédits à prospecter toujours plus de

clients, en mettant en place un système de primes, par exemple. « Dans de nombreuses

organisations de microfinance, en particulier les IMFs, les agents sont rémunérés pour partie

au nombre de clients mais surtout au volume des crédits et aux taux de remboursement »10

Les investisseurs ont poussé les IMFs dans ce sens, selon la logique économique suivante :,

plus l’agence a de clients et, de crédits en cours, plus les retours sur investissement peuvent

être élevés grâce aux remboursement des prêts et surtout aux taux d’intérêts. Le but des IMFs

était donc d’optimiser le pourcentage du taux d’intérêt acceptable et le nombre de clients

maximum pouvant être suivis par un agent de crédit. On comprend rapidement, que dans un

tel contexte de recherche de rentabilité, la concurrence ne pouvait qu’être néfaste et entrainer

des abus.

                                                                                                               9  Déclaration d’un directeur d’IMF en Bosnie-Herzégovine dans Note Focus n°61, CGAP, février 2010, p.12  10  Les fondements d’une crise exemplaire : la microfinance indienne. I. Guérin, M. Roesch, TFD 106, Mars 2012  

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16  

La concurrence peut être bénéfique pour les clients dans le sens ou les IMFs ne peuvent avoir

des taux d’intérêts trop importants sinon elles se font évincer par les autres agences. Selon la

théorie libérale, le marché de l’offre et de la demande s’autorégule, les taux d’intérêts se

stabilisent et l’on arriverait à l’optimum de Pareto. Cependant, dans la pratique, on se rend

compte que les taux d’intérêts sont largement supérieurs au solde acceptable devant assurer

une aide sociale aux exclus des systèmes financiers. Dans le Tamil Nadu, les taux d’intérêts

varient entre 4 et 25% par mois (M. Roesch).

2) La détérioration de la relation entre les agents de crédit et les clients due à la « chasse aux

clients ».

Poussé par cette nécessité d’extension rapide, les agents de crédit tendent à négliger le

suivi des clients et de leurs activités. Selon la théorie du microcrédit social, les agents de

crédit doivent s’assurer que les crédits accordés seront investis dans une activité génératrice

de revenus afin d’éviter l’endettement inutile des individus dont on sait que la solvabilité est

peu probable. Les clients doivent proposer un projet pour lequel ils souhaitent recevoir le

crédit. Les agents de crédit doivent recueillir les informations nécessaires dans le but

d’analyser le besoin réel en crédit et la capacité de remboursement du client. Les garanties

souhaitées sont plus souples que dans le secteur bancaire. Plusieurs types de garantie sont

possibles, elles peuvent être formelles comme une analyse de la trésorerie de l’entreprise

existante (très difficile à obtenir, peu de micro entrepreneurs tenant vraiment des comptes de

leurs activités). Ou plus subjectives, se basant sur l’avis de l’agent de crédit comme c’est le

cas lors d’une visite sur le terrain pour évaluer la viabilité d’un projet. Ces garanties peuvent

aussi être une référence d’un tiers attestant du sérieux du nouveau client ou le principe de

caution solidaire tel qu’il existe dans les Self Help Group (SHP) système le plus répandu en

Inde11. Dans tous les cas, les garanties ne peuvent pas se substituer à la capacité de

remboursement.

Dans la théorie, suite à l’accord de crédit (et souvent la constitution d’une épargne

minimum), le client reçoit la somme adaptée à son projet. L’emprunteur et l’agent de crédit se

coordonnent afin de trouver la durée la plus avantageuse. L’agent de crédit connaît

d’expérience la durée moyenne nécessaire pour chaque type d’activité, il peut donc guider le

                                                                                                               11  Lorsqu’un prêt est accordé à un groupe, tel les SHG, la seule garantie est la « peer pressure », chaque membre du groupe se porte garant des autres, de tel sorte qu’en cas de défaut de paiements d’un des membres les autres doivent payer à sa place s’il souhaite conserver une bonne relation avec l’IMF et recevoir d’autres prêts dans le futur.  

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17  

client. Il s’assure ainsi que la durée ne soit pas trop longue afin que le remboursement soit

effectif et que le client minimise les taux d’intérêt dus. Dans le cadre du suivi de crédit,

l’agent peut de temps à autre se rendre sur le site d’exploitation du client afin de s’assurer de

la bonne utilisation du crédit. Le suivi de crédit est très important pour inciter le client à

rembourser en temps et en heure. Cela lui montre que l’agence ne l’oublie pas et permet de

créer une relation stable entre l’agent de crédit et le client. Le suivi de crédit permet de ne pas

se retrouver dans des situations ou les agents doivent faire pression pour que les clients

remboursent à chaque fin de mois. En Inde, les pressions faites par les agents de crédit dans le

cadre des recouvrements ont aussi été décriées. On parle de « harcèlement » tellement les

techniques ont été violentes.

De plus, dans le cas de l’Inde, on a pu remarquer que la « chasse aux clients » à

perverti le système. La crise illustre bien les dysfonctionnements et les impasses d’une

microfinance motivée par l’appât du gain. Les agents de crédit vérifient peu les projets des

clients et l’utilisation effective des crédits dans des activités génératrices de revenu. Par

exemple, en Inde du Sud, dans la région du Tamil Nadu, une étude montre que 80 % des

microcrédits sont affectés à des dépenses dites « non productives », c’est-à-dire ne générant

aucun revenu direct : en priorité remboursement d’anciennes dettes (25 %) et dépenses de

santé (19 %)12.

Cela ne correspond pas à l’idéologie de base du microcrédit ou les prêts accordés aux femmes

devaient servir des micro-entrepreneurs investissant dans des activités génératrices de

revenus. Le crédit doit être investi dans une activité rentable et permettre son expansion ou

tout au moins sa pérennité. Les surplus dégagés doivent permettre de rembourser le prêt et ses

taux d’intérêts. C’est ce que l’on explique aux nouveaux clients désireux de souscrire un

crédit. Cependant, on remarque que la réalité est loin de ce modèle théorique et que la

« chasse aux clients » pousse les agents de crédit et par la même les IMFs à s’agrandir au plus

vite, à augmenter leur portefeuille au détriment de sa qualité.

Les agents de crédits évitent de regarder de trop près l’utilisation faite des crédits parce qu’ils

risquent des remontrances par la hiérarchie, s’il s’avérait que les crédits ne soient pas destinés

à un investissement. Par ailleurs, les agents de crédit se protègent derrière le fait que souvent

les crédits ont plusieurs usages (une partie investissement, une partie consommation, une

partie remboursement...) et qu’il est plus simple dans le rapport d’écrire l’usage principal,

                                                                                                               12  Microfinance, endettement et surendettement : une étude de cas en Inde du Sud, I. Guérin et al. Revue du Tiers Monde, n°197, 2009.  

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18  

celui qui les arrange, à savoir l’investissement.

H.B Burki13 explique qu’au Pakistan, les IMFs ont ajusté les termes et conditions pour

accorder des crédits plus importants plus facilement. Pour rester compétitives, les IMFs

essaient d’attirer ou de retenir les emprunteurs en augmentant le montant des prêts, réduisant

les délais de traitement des demandes et simplifiant les exigences en matière de documents

requis. En l’absence de contrôles compensatoires des risques, de tels ajustements ne font

qu’augmenter le risque de crédit des IMFs.

Cette chasse aux clients montre la transformation de projets à caractère social vers une

financiarisation des IMFs qui cherchent le profit.

Conclusion

On comprend pourquoi les IMFs se sont plutôt fixées des objectifs de quantité plutôt

que de qualité, ce qui a entrainé des politiques d’octroi de crédit plus laxistes. Ces dérives ont

permis aux ménages de s’endetter et parfois de se surendetter. Nous allons voir comment, et

pourquoi les ménages ont eux mêmes utilisé le système pour s’endetter.

B) Une augmentation des normes de consommation financées par l’endettement auprès

de multiples sources.

1) L’endettement comme mode de consommation.

Dans les pays du nord, comme dans les pays du sud, les normes de consommation sont

plus élevées qu’autrefois. La part de la consommation des ménages consacrée aux produits

périssables (autres que la nourriture) tels que les transports, la communication, l’habillement

est de plus en plus importante. La transmission rapide des informations et des technologies a

entrainé des modes de consommations qui se globalisent. Les individus aux différents

endroits de la planète souhaitent les mêmes produits, les mêmes marques. Comme on peut

s’en douter l’acquisition de ces produits est plus facile pour les ménages des pays du Nord

ayant des revenus moyens plus élevés que la majorité des ménages des pays du Sud. Comme

l’explique D. Clerc dans « Déchiffrer l’économie », cette élévation de la norme moyenne de

consommation contribue à appauvrir ceux qui ne peuvent suivre et à entrainer des                                                                                                                13  Unraveling the delinquency problem (2008/2009) in Punjab-Pakistan, Hussan-Bano Burki, in Pakistan Microfinance Network, n°10, oct 2009.  

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19  

frustrations14. La consommation n’est donc pas un phénomène en soi mais un phénomène

social, le signe d’appartenance à une société ou à une classe. Ainsi acquérir les mêmes

produits de consommation que ceux des pays du Nord sont pour de nombreux ménages au

Sud, une manière de montrer à la société le pouvoir d’achat, donc la richesse que l’on

possède. La nécessité de ces biens est mise en avant par la publicité, ce qui pousse davantage

encore le ménage à les acquérir sentant un besoin non satisfait. En plus des biens améliorant

la condition de vie des ménages (réfrigérateur, four, lit...), des biens dits « secondaires »

(télévision, téléphone portable...) sont de plus en plus achetés par les ménages. La qualité et le

prix de ces biens jouent un rôle important sur le prestige social qu’ils peuvent apporter. D.

Clerc reprend la formule « je dépense donc je suis », pour expliquer que ces nouveaux modes

de consommation servent principalement à un individu à être reconnu comme appartenant à

une certaine classe. Cette reconnaissance sociale via l’argent dépensé est très marquante

quand on voit les sommes dépensées dans les cérémonies religieuses, comme les baptêmes ou

les mariages. Les ménages ont nécessairement besoin d’argent pour acquérir cette

reconnaissance et n’hésitent pas à s’endetter pour cela.

Fatou Diome dans son livre Celles qui attendent15 donne une explication de ce

phénomène d’(sur)endettement, qui peut paraître irrationnel: « Un matin bleu de l’île, une

rumeur annonça l’avènement du microcrédit. Quoiqu’elles n’eussent jamais eu de compte en

banque, Bougna et Arame ne furent pas les dernières à venir s’informer. Leur raisonnement

était d’une simplicité désarmante : il y avait de l’argent à prendre, elles en avaient besoin. »

L’intérêt des ménages et des femmes plus particulièrement, peut être synthétisé en leur

volonté d’acquérir de l’argent par tous les moyens, le microcrédit étant un moyen comme un

autre. On peut ajouter à cela « une addiction croissante au crédit » (Servet 2007), les

ménages prennent pour habitude de financer leurs vies quotidiennes par l’endettement.

Ainsi, parmi les diverses populations du Tamil Nadu que l’on peut qualifier de pauvres: plus

de 80 % des familles sont endettées et l’encours moyen se situe entre 15 000 et 30 000 roupies

                                                                                                               14  « Paradoxalement la croissance de la consommation engendre des nouveaux pauvres. On aura beau jeu de souligner que ces pauvres le sont bien peu, puisque nombre d’entre eux disposent de plus de confort et de calories que la majorité des habitants de notre pays, il y a deux siècle, cette comparaison n’a aucune valeur, car chacun de nous côtoie dans la rue ses contemporains et non les fantômes des sans-culottes.» Déchiffrer l’économie, D. Clerc, 17ème édition, La Découverte.  

15  Celles qui attendent, F. Diome, Flammarion, 2010, p208

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20  

selon les zones d’étude (soit l’équivalent d’au moins un an de salaire familial)16.

Le microcrédit n’intervient pas dans ces régions comme seule source de crédit possible. Le

microcrédit se superpose aux anciennes sources de liquidités, comme les prêteurs sur gages,

les tontines, la famille, les amies, les money lenders... La microfinance vient s’insérer dans un

marché financier informel très actif. On remarque sur le tableau 1, qu’en 2006, les ménages

sont principalement endettés auprès des institutions de microfinance (43,1%) et des prêteurs

sur gage (21,1%).

 Source : étude de cas en Inde du Sud, I. Guérin et al, 2009.

 

2) Comment s’articulent les dettes et leurs remboursements dans les stratégies économiques

des ménages ?

Dans cette sous-partie, nous nous baserons sur les enquêtes menées par l’équipe de

Microfinance de l’Institut Français de Pondicherry depuis 2003.

Les différentes enquêtes menées notamment par I. Guérin ou M. Roesch, dans ce cadre, ont

souligné l’importance de la jonglerie des ménages entre les différentes sources de crédit.

Avant même l’arrivée du microcrédit, la dette était une possibilité de gestion de budget pour

les ménages. Leurs ressources n’arrivent pas à couvrir leurs besoins, la course à l’argent est

permanente. « Bien menée, cette stratégie permet une meilleure répartition temporelle entre

                                                                                                               16 Microfinance, endettement et surendettement : une étude de cas en Inde du Sud, I. Guérin et al. Revue du Tiers Monde, n°197, 2009.  

Figure 1 Evolution de la structure de l'endettement (en volume) en Inde du Sud

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21  

recettes et dépenses. »17 Cependant, il faut faire attention au risque de cavalerie financière, ou

les nouveaux emprunts servent sans cesse à rembourser les emprunts antérieurs. Et l’enquête

conclue dans ce sens, les ménages s’endettent auprès des uns pour rembourser les autres. Les

ménages sont endettés en moyenne auprès de 3 à 6 prêteurs18.

Comme nous l’avons vu plus haut, les IMFs et prêteurs sur gage sont les principales sources

sollicitées. Dans le cas des prêteurs sur gage cela s’explique notamment parce qu’ils

permettent une disponibilité et une rapidité d’accès aux liquidités, ce qui leurs donnent un

avantage comparatif indéniable. Ainsi, en cas d’urgence, ce sont souvent les seuls à pouvoir

répondre aux besoins des ménages, mais à quel prix, les taux d’intérêt pratiqués sont souvent

prohibitifs.

Les prêteurs sur gage valorisent les femmes ayant des comptes dans les IMFs pour deux

raisons qui étant antinomiques montrent bien le cercle vicieux de la dette : ils savent qu’elles

peuvent obtenir un crédit facilement pour rembourser le prêteur et d’un autre coté, elles

viennent souvent gager des objets avant le passage des agents de crédit récupérant les

remboursements. Les prêteurs sur gage pratiquent des taux d’intérêt de 24 à 36% (I. Guérin,

M. Roesch) mais ne demandent aucun justificatif. C’est souvent l’or qui est mis en gage, mais

aussi les bijoux de cérémonies.

Ainsi, les ménages jonglent entre les différentes sources de liquidités et se constituent

un capital grâce à l’endettement (effet de levier). I. Guérin a mis en avant trois types de

profils, de trajectoires19 :

- L’endettement prudent, représentant 1/5ème de l’échantillon, ce sont les ménages dont

l’encours de crédit reste inférieur à 5000 roupies et qui mettent en place des stratégies

délibérées pour préserver leur solvabilité. Ils ont peu de grosses dépenses dues à une position

particulière dans le cycle de vie, c’est à dire qu’ils n’ont pas de naissance prévue ou d’enfants

en âge de se marier, par exemple.

- La résorption de dette, représentant 1/3 de l’échantillon, c’est le cas des familles qui ont

diminué leurs dettes de plus de 5000 roupies durant la durée de l’enquête.

- L’endettement croissant, représentant la moitié de l’échantillon, ce sont les ménages dont

l’endettement est supérieur à 5000 roupies (parfois beaucoup plus). Cela est du aux grosses

                                                                                                               17  La microfinance, outil de gestion du risque ou de mise en danger par sur-endettement ? Le cas de l’Inde du Sud. M. Roesch et O. Helies, 2006 18 Ibid  19  Microfinance, endettement et surendettement. Une étude de cas en Inde du Sud I. Guérin, Revue Tiers Monde, n°197, 2009.  

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22  

dépenses liées au cycle de vie et à l’ouverture de nouvelles possibilités de financement les

poussant dans des dépenses qu’elles n’envisageaient pas initialement (or, bien de

consommation).

I. Guérin conclu « L’analyse révèle la diversité des modes d’appropriation et des trajectoires,

diversité qui semble davantage liée à une position dans le cycle de vie et une propension à

l’endettement qu’à un niveau de pauvreté ou une certaine attitude entrepreneuriale ».

Cela montre bien aussi, que ce n’est pas l’endettement en valeur absolu qui pose problème,

mais le déséquilibre entre revenus et endettement (capacité de remboursement). La

microfinance vient augmenter les opportunités d’endettement, comme la télévision peut

attiser la consommation.

« Mais quand apparaît une crise, quand les possibilités de nouvel emprunt sont épuisées,

quand les intérêts de la dette ne peuvent plus être payés, les money lender et les prêteurs sur

gages savent se faire rembourser. L’ONG est plus impersonnelle, moins présente dans le

village, c’est elle qui sera la première à ne pas pouvoir recouvrer ses fonds. C’est elle qui

sera en première ligne quand éclate la crise. » M. Roesch20.

C’est ce qui s’est passé en Inde, une première fois en 2006 puis en 2010, avec les

conséquences désastreuses que l’on connaît. Le surendettement des ménages a pu être

dissimulé par les effets de jonglerie et la négligence, volontaire ou non, des agents de crédit.

La crise se manifeste par les impayés qui augmentent jusqu’à rendre insolvable une ou

plusieurs IMFs, conséquence des surendettements. Il suffit que quelques ménages se trouvent

en situation d’insolvabilité pour que toutes les agences vérifient leurs comptes et que le

château de carte s’écroule. C’est le principe de l’explosion d’une bulle spéculative, les acteurs

ont connaissance des problèmes mais se satisfont de la situation qui reste gérable sur le court

terme.

Conclusion :

Les dérives du secteur que nous avons pu voir ci-dessus ont permis aux ménages d’acquérir

facilement des prêts. Ces derniers n’ont pas hésité à s’endetter voir à se sur-endetter ayant

besoin de liquidités immédiates et sans vraiment de plan sur le long-terme. Ces endettements

massifs ont déclenchés la crise d’impayés en Inde, crise très médiatique et très étudiée.

Cependant, d’autres facteurs qu’ils soient politiques, conjoncturels ou liés d’activités

                                                                                                               20  Des dettes jusqu’à ne plus en vivre, BIM N°11 avril 2006, Marc Roesch.  

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23  

(instabilité agricole par exemple) entrainent aussi des impayés et des crises que ce soit en Inde

ou dans d’autres parties du monde. Le surendettement des ménages serait une des causes mais

pas la seule, ni la plus prépondérante.

II) Le renouveau des théories sur les impayés ou la mise en valeur des facteurs

macroéconomiques et politiques

Dans cette partie, nous montrerons que les crises de la microfinance ne sont pas simplement

liées à un surendettement chronique des populations mais qu’il faut prendre en compte des

facteurs macroéconomiques et politiques.

Nous nous baserons sur les trois facteurs entrainant des crises et résumés dans l’article, les

crises de la microfinance21 de I. Guérin, S. Morvant-Roux, F. Mourji : les dérives du secteur,

l’influence du secteur macroéconomique et la question de la légitimité des IMFs.

A) Les dérives du secteur à l’origine des crises et notamment du surendettement des

ménages.

La note focus n°61 du CGAP22 donne trois raisons à ces dérives, qui sont selon eux le

fond du problème. Ces raisons reprennent quelque peu, les explications données ci-dessus sur

les effets entrainant une augmentation des impayés. Ils ont étudié les crises de Bosnie-

Herzégovine, du Maroc, du Nicaragua et du Pakistan, qui se sont déclenchées entre 2008 et

2009. Ces quatre pays ont connu une crise de remboursement après une forte période de

croissance. Les portefeuilles à risques (PAR) à 30 jours dépassant les 10%, seuil utilisé pour

définir une grave crise d’impayés. Seul la Bosnie-Herzégovine affichait un PAR inférieur à

10%, le résultat était du à une politique agressive d’abandon de créance.

                                                                                                               21  Les crises de la microfinance, I. Guérin, S. Morvant-Roux, F. Mourji, TFD n°106, 2012 22  Croissance et vulnérabilités en microfinance, G. Chen, S. Rasmussen et X. Reille, CGAP, Note focus n°61, Fev 2010

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24  

Figure 2 Hausse des impayés dans les IMFs au Pakistan, Nicaragua et en Bosnie-Herzégovine.

Source : CGAP et al.23  

1) Le rôle de la concentration de la concurrence et de l’endettement croisé dans la montée en

flèche des impayés.

On remarque que les IMFs ont tendance à s’implanter dans les mêmes secteurs,

généralement là ou les marchés, l’activité économique et la densité de population sont les plus

importants. Le but est de s’assurer une rentabilité économique via un maximum de clients

potentiels. Les IMFs suivent un raisonnement moutonnier en supposant que si une autre IMF

s’implante dans telle ou telle région c’est parce que la demande en liquidité y est forte et les

clients potentiellement solvables. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, les IMFs

s’installent dans les mêmes régions afin de bénéficier de rendement d’échelle. Cela permet de

réduire les couts d’acquisition de nouveaux clients (couts de sensibilisation, de formation...).

Cette multiplication des IMFs a altéré les comportements de base et les principes

généraux de la microfinance sociale. Les emprunteurs sont moins dépendants d’une seule

IMF, ils ont un intérêt limité à être de bons clients (remboursement dans les temps, de la

somme exacte). A la base, une certaine pression était mise sur le client pour qu’il rembourse

effectivement la somme et les taux d’intérêts dus, sinon il n’obtiendrait pas d’autres prêts

dans le futur. Désormais, le client peut laisser sa relation avec une IMF se dégrader, sachant

qu’il peut aller demander un futur crédit dans une autre institution. On peut voir dans le

                                                                                                               23 Le PAR est calculé à l’aide des sources suivantes : Bosnie-Herzégovine – données du réseau AMFI MCO ; Maroc – données du MIX pour 2004-2008 et JAIDA pour les estimations de juin 2009 ; Nicaragua – données du réseau Asomif ; Pakistan – données du MIX pour 2004-2008, estimations du CGAP pour juin 2009.  

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25  

tableau 1 que le niveau d’endettement croisé de ces quatre pays se situe autour de 30-40%.

L’incitation à rembourser est réduite. De plus, les clients peuvent accroitre le montant de leurs

prêts en empruntant plusieurs crédits à la fois. La vérification de solvabilité, de coordination

entre le crédit accordé et les revenus du client deviennent obsolètes dans la mesure où le client

peut avoir des crédits en cours dans d’autre IMF. Les risques de surendettement et d’impayés

augmentent.

Tableau 1 Niveau d'endettement croisé au Nicaragua, Maroc, Bosnie-Herzégovine et Pakistan

Source : Note focus n°61, CPAG, 2010.

2) Les difficultés de bonne gouvernance des IMFs

Une insuffisance organisationnelle et de contrôle des systèmes jouent sur la solidité

structurelle des IMFs.

Le recrutement rapide d’employés peu ou pas qualifiés sur les questions de

microfinance conduit à dépendre d’un personnel insuffisamment préparé et donc non réactif

aux prémices de la crise. Dans les quatre pays de l’étude du CPAG citée précédemment, les

effectifs des IMFs ont augmenté de 40% à peu près chaque année entre 2004 et 2008. Souvent

le siège social exécute ses fonctions solidement mais contrôle difficilement les compétences

des agents et les actions des agences sur le terrain. Le niveau des cadres intermédiaires n’est

pas suffisamment développé pour gérer une croissance rapide, mais le Siège Social s’en

contente. Les IMFs prises dans un cercle vertueux de croissance ne prennent pas le temps de

résoudre leurs problèmes de base. Par exemple, le renforcement des capacités des salariés ou

le suivi des clients sont souvent cités comme ayant été négligé. Cependant ce sont bien ces

problèmes-là, qui entraineront la chute de l’IMF lorsqu’une crise se déclenchera. On

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26  

remarque aussi un déficit de système d’information de gestion efficace, les IMFs limitent

leurs contrôles et ne se concentrent plus que sur les chiffres de la croissance, laissant de coté

les impayés par exemple. Ses problèmes sont pourtant souvent soulignés dans les audits

internes et externes24 mais les dirigeants préfèrent souvent stimuler la croissance plutôt que de

consolider les acquis.

Un directeur d’IMF en Bosnie-Herzégovine en a convenu : « Notre priorité était

d’affronter la concurrence, non de renforcer nos capacités. » (Note focus n°61, CPAG)

3) Un changement de paradigme : les IMFs favorisent la recherche du profit plutôt que leur

caractère social.

L’étude montre qu’au delà des taux de croissance, ce sont les modalités de la

croissance qui posent problème. Ce sont les dérives qui ont eu lieu dans le secteur de la

microfinance, qui ont conduit à une crise. Cela remet en cause, l’idéologie de base du

microcrédit qui devant apporter une aide aux pauvres exclus des systèmes financiers, est

aujourd’hui plutôt utilisé à des fins lucratives. « D’un projet social mobilisant des instruments

financiers, on est largement passé à des institutions financières ayant (voire, pour certaines

d’entre elles, prétextant) une vision sociale. »25 La possibilité d’engranger des bénéfices a

biaisé le système et entrainé un cercle vicieux de concurrence effrénée. Les marges sont

assurées principalement par les taux d’intérêt versés par les clients. Des accusations

« d’usurier » sont souvent faites aux IMFs. Elles pratiquent des taux d’intérêts mensuels qui

peuvent paraître relativement faibles mais quand on les rapporte à l’année, on comprend les

difficultés que peuvent rencontrer les clients. Un client empruntant 1200 FCFA sur 12 mois

avec un taux d’intérêt de 3.5% dégressif par mois, devrait rembourser à la fin de l’année la

somme de 1473 FCFA. Le taux d’intérêt annuel est donc d’environ 23%. Le fait de rapporter

les taux d’intérêt au mois peut être trompeur et les IMFs jouent là-dessus. Il importe de savoir

si ces taux d’intérêt sont supportables par les emprunteurs. Quand les marges commerciales

sont de 150%, il est supportable d’emprunter même à 100%. Quand les rendements des

activités sont de 8%, emprunter même à 20% appauvrit. Et ce dernier cas est plus souvent la

norme que l’exception chez les micro entrepreneurs.

                                                                                                               24  La note focus du CPAG montre qu’on ne peut raisonnablement se limiter aux seuls audits financiers pour obtenir une évaluation fiable de la qualité des portefeuilles de crédit des IMF. Par exemple, les notations de deux IMF en faillite au Nicaragua et au Maroc n’ont pas identifié les faiblesses dans la méthodologie de crédit et les contrôles internes. Les agences d’audits externes devraient attacher plus d’importance à l’environnement commercial et à la dynamique de marché. 25  Les crises de la microfinance, I. Guérin, S. Morvant-Roux, F. Mourji, TFD n°106, 2012

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27  

Selon l’article « Les crises de la microfinance »26, les dérives incluent également des

pratiques de détournement de fond et de corruption.

Conclusion :

Nous voyons donc que la croissance trop rapide des IMFs dans certaines régions a entrainé

des irrégularités de fonctionnement qui n’ont pas été prises en compte. Le secteur s’est

développé rapidement mais est resté très fragile. Un moindre choc peut entrainer une crise

généralisée.

B) L’influence de l’environnement macroéconomique sur la crise des impayés.

Toujours selon l’article « les crises de la microfinance », ces crises sont à analyser

dans le cadre plus global de la macroéconomie. Les crises de la microfinance dans de

nombreux pays sont des répercussions de crise économique généralisée. Face à une

contraction de l’économie, les ménages voient leurs ressources diminuer et trouvent un accès

facile aux liquidités via le microcrédit. Ce ne sont pas que des raisons intrinsèques aux

(dys)fonctionnements des ménages et des IMFs qui expliquent l’endettement et le

surendettement des populations.

1) Comment les problèmes macroéconomiques ont influencé les comportements micro des

ménages et les ont poussé à s’endetter ?

Les raisons de la crise pakistanaise analysées par Burki vont dans ce sens27. Le cout de

vie d’un ménage moyen au Pakistan n’a cessé de s’élever entre 2006 et 2010. L’inflation a

fait augmenter les prix des matières premières et des exportations. Un dollar USD valant 60

PKR en 2006 en vaut 85 PKR en 2010. Les ménages pakistanais sont soumis à d’intenses

pressions et doivent augmenter leurs entrées de liquidités pour répondre à leurs besoins

domestiques et opérationnels. Par ailleurs, une étude menée par A. Haq et Z. Khalid28 montre

qu’il y a un lien inhérent entre macro et micro. L’instabilité macroéconomique ralentit les

activités économiques (micro), réduit les opportunités d’investissement et à ce titre entrave les

potentiels de croissance. Sans croissance, les activités génératrices de revenus recherchées par

                                                                                                               26 Ibid  27  Microcredit utilization : Shifting from production to consumption, HB Burki, Pakistan microfinance network 28 Assessing Risks to Microfinance in Pakistan – Findings from a Risk Assessment Survey, A. Haq and Z. Khalid, in Pakistan Microfinance Network, 2011  

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28  

les clients des IMFs sont moins (voir plus du tout) rentables et un cercle vicieux se met en

place. Par ailleurs, les clients sont les plus sensibles aux crises macroéconomiques parce

qu’ils manquent de ressources pour se protéger contre de telles tendances. On voit dans le

tableau 2, que le danger représenté par les variations macroéconomiques apparaît comme le

plus important selon toute les perspectives ; 89% des enquêtés29 considèrent la gravité de ce

risque comme élevé, 76% perçoivent ce risque comme étant en hausse et plus de la moitié

pensent les IMFs incapables de gérer ou d’avoir une influence sur un tel risque.

                                                                                                               29  L’étude menée par A. Haq et Z. Khalid se repose sur des interviews effectués auprès des acteurs du secteur de la microfinance au Pakistan; notamment des practiciens (64%) mais aussi des investisseurs, des donneurs, des cosultants, des chercheurs et des politiques  

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29  

Tableau 2 Evaluation du risque sectoriel (en % des enquêtés) 30

Source : Pakistan Microfinance Network, 2011.

Dans le cas du Pakistan, les effets macroéconomiques affectent les IMFs de plusieurs

façons : l’inflation provoque une augmentation des taux d’intérêt, donc du financement, le

cout de l’accès au crédit devient plus élevé pour les clients qui doivent déjà absorber

l’inflation dans leurs achats quotidiens. Les clients utilise moins les services de microfinance

devenu trop chers. Une pénurie de liquidité peut aussi toucher les IMFs et entraver leurs plans

de croissance. Les opportunités réduites en termes d’investissement renforcent les risques de

faillites d’entreprises et ne poussent pas les entrepreneurs à se lancer dans de nouvelles

                                                                                                               30  Biggest risk : le risque considéré comme le plus grave Fatest rising : pourcentage des enquêtés considérant ce risque comme en hausse Lowest ability to cope : pourcentage des enquêtés jugeant les capacités des IMF comme faible ou nulle face a tel risque  

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30  

activités. Le risque que les crédits soient dépensés en consommation plutôt que dans des

investissements augmente aussi. Les prêts accordés servent donc à contrebalancer la hausse

du niveau de vie du à l’inflation. Les ménages tentent ainsi de conserver un niveau de vie

constant via des flux de liquidités supplémentaires. C’est ce transfert d’utilisation des

microcrédits de l’investissement à la consommation qui a entrainé le surendettement des

ménages et engendré une crise dans le secteur.

De même, au Nicaragua, la crise du microcrédit en 2010 a été une répercussion de la

crise qui a surtout affecté le commerce du secteur agricole en 2009. La concurrence entre les

différentes IMFs a permis à de nombreux ménages d’accéder aux crédits, selon les logiques

que nous avons étudiées plus haut. Ces ménages se sont retrouvés en situation d’impossibilité

de rembourser leurs crédits une fois que la crise commerciale s’est déclenchée. Leurs revenus

n’étaient plus à même de subvenir à leurs besoins de consommation et au recouvrement de

leurs dettes. « Elle (la crise) s’est trouvée aggravée par l’effondrement du secteur de

l’élevage, pilier économique du Nord du pays, victime des nouvelles régulations

commerciales de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Amérique centrale, ainsi

que des conséquences de la flambée des prix du maïs due à la hausse de la demande d’agro-

carburants »31. Les clients empruntent pour conserver leurs niveaux de vie et leurs habitudes

de consommation alors que leurs ressources diminuent, ils se trouvent rapidement en situation

de surendettement. Les IMFs accumulent les créances douteuses. La crise explose.

Un autre exemple en Inde montre que la crise agricole a poussé les petits agriculteurs à

migrer en milieu urbain en quête de revenus plus importants. Les femmes ont remplacé leurs

maris dans les exploitations mais pour des salaires souvent 30% à 60% inférieur à celui des

hommes. Pour survivre au quotidien, les épouses des agriculteurs mais aussi les travailleurs

journaliers « sans terre » s‘endettent. Dans le même temps, le National Rural Employment

Guarantee Act (NREGA)32 a limité les emplois dans le secteur agricole. Le pourcentage de

famille en bénéficiant dans la région d’Andhra Pradesh est passé de 21.1% à 13.3% en un

an33. Les populations avides de liquidités se tournent rapidement vers la microfinance. Le

microcrédit a permis non pas de créer des mini-business mais de remplacer et/ou de compléter

les liquidités obtenues auparavant dans le secteur informel permettant aux familles de                                                                                                                31  Nouvelles gauches et inclusion financière : la microfinance contestée en Bolivie, en Equateur et au Nicaragua, F. Bédécarrats et al. Presses de Sciences Po, n°52, 2011  32  Le NREGA est un programme national de garantie d’emploi, mis en œuvre par le gouvernement Indien dans les zones rurales  

33  La crise du microcrédit en Andhra Pradesh (Inde), JM Servet, Revue Tiers Monde, n°207, 2011.  

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31  

subvenir à leurs besoins.

De même, la crise de 2008 en Bosnie-Herzégovine est une répercussion de la crise en

Europe occidentale.

On peut aussi voir un lien entre transfert de migrants et crise de la microfinance. Au

Mexique, la récession de l’économie aux Etats-Unis a fait diminuer les transferts de fonds

des migrants vers leurs régions d’origine. Les ménages tablant sur une évolution constante des

revenus se sont retrouvés surendettés quand ces derniers ont diminué subitement. (Angulo et

Hummel)

2) Quel est l’impact de ces nouveaux services financiers sur le marché local ?

Lorsque les liquidités abondent sur les marchés, il faut alors se préoccuper des

capacités d’absorption des économies locales. Cela pose aussi la question de la croissance

constante de la demande et de la saturation des marchés. Les marchés locaux sont-ils capables

de faire fructifier autant de nouvelles entreprises ? On constate que les microcrédits sont très

souvent utilisés pour le même type de commerce correspondant aux spécialités de la région et

un comportement moutonnier des clients. On remarque que son voisin fait des bénéfices en

vendant des chaussures, on décide de vendre des chaussures à son tour. Est ce vraiment du

développement que de faire fermer l’entreprise voisine, qui devient moins rentable n’utilisant

pas les fonds de roulement permis par le microcrédit ? Autant les activités qui vont permettre

de redynamiser l’économie locale parce qu’elles entraînent des effets de levier, comme la

construction, sont souhaitables, autant la consommation de biens venant de l’étranger (que ce

soit d’une autre région ou d’un autre pays) ne participent pas au développement local. Penser

que les crédits à la consommation sont un moindre mal vu que les ménages pauvres

n’épargnent pas mais dépensent automatiquement, est un leurre. La consommation des

ménages ne se dirige pas forcément vers des biens régionaux ou nationaux et entraine des

fuites de capitaux qui à grande échelle peuvent déstabiliser certains secteurs de l’économie du

pays.

Si, de façon temporaire, le crédit permet de combler le déséquilibre entre les revenus

et les dépenses des ménages, il ne résout pas les difficultés des populations. Il ne fait que

reporter les échéances. Il suffit d’un affaiblissement même minime des revenus pour que,

déstabilisé, le système chute brutalement.

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32  

C) Quelle est l’importance de la légitimité des IMFs et le rôle des leaders locaux dans les

crises d’impayés ?

Le dernier facteur est politique et relatif à la légitimité ou non des institutions de

microfinance telles que perçues par les clients.

Dans certaines occasions, les clients se retrouvent dans l’impossibilité de payer, ils ne

peuvent pas, il existe aussi des cas ou les clients refusent de payer, ils ne veulent pas.

« L’anthropologie économique nous enseigne que les personnes empruntent mais aussi

remboursent en fonction de leurs propres hiérarchies et de leurs propres « cadres de

calculs » (Guérin et al., 2011 ; Servet, 2006 ; Villarreal, 2004). » Il se peut donc qu’un

individu décide de ne pas rembourser sa dette selon des logiques personnelles parce qu’il

considère l’IMF/sa dette comme illégitime. On remarque que ce type d’attitude se propage

rapidement.

1) Le cas particulier du Maroc et la perception de la légitimité de l’agence Al Amana.

Dans le cas du Maroc, la crise des impayés a été déclenchée par les clients décidant

d’eux même de ne pas rembourser leurs créances. En effet, la crise est directement liée « à

l’idée que se font les clients de la solidité, de la pérennité et de la légitimité de l’institution. Si

les emprunteurs perçoivent une certaine « faiblesse » de l’institution ou s’ils estiment ne rien

risquer, ils peuvent diffuser l’idée que le crédit peut être « non remboursable » : les taux de

remboursement peuvent alors s’effondrer en peu de temps. »34

La perception qu’ont les clients des sanctions possibles sont des facteurs de non-

remboursement. Par exemple, si un client sait d’avance qu’il ne demandera pas de deuxième

crédit, il ne perd rien à voir sa relation avec l’IMF se dégrader (retards de paiement, absence

aux réunions hebdomadaires). Et il s’avère que dans le cas du Maroc, le crédit n’est pas

considéré comme une nécessité. Le crédit ne représente pas un élément central des stratégies

des ménages pour stabiliser leurs finances. Le fait de ne pas obtenir un crédit si on ne

rembourse pas le précédent n’est pas considéré comme pouvant avoir des conséquences

graves. Par ailleurs, selon les interviews35 menées dans le cadre d’une étude sur la crise

marocaine, les clients ne craignaient pas vraiment les huissiers de justice ou la police, ne

                                                                                                               34  Les impayés de la crise marocaine : un phénomène complexe, S. Morvant-Roux, M. Roesch et I. Guérin, dans TFD 106, mars 2012.  35  Etude mentionnée ci-dessus. Enquetes qualitatives de “trajectoire de vie” d’envison 150 personnes ressources et clients d’Al Amana  

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33  

connaissant aucune personne ayant du y faire face. Cependant la pression sociale, le regard

des voisins sont des facteurs importants et le moyen le plus efficace pour motiver un client à

rembourser. Facteurs qui semblent communs à toutes les sociétés et analysés par Lamia

Karim au Bangladesh. Elle nomme cela « l’économie de la honte »36 et explique comment ne

pas rembourser signifie perdre la face.

Au Maroc, un autre facteur doit être pris en compte, la plus importante IMF Al Amana

est souvent associé dans l’esprit des individus au Maghzen, l’Etat central. Cela joue sur la

propension à rembourser des clients qui oscille entre peur et défi. Peur d’être poursuivi en

justice en cas de non-remboursement. Défi, dans le sens ou les individus peuvent considérer

leur non-remboursement comme une contre partie du désengagement de l’Etat dans la société

civile ou pour montrer leurs désaccords avec le Roi ou l’autorité centrale. D’ailleurs quelques

révoltes ont eu lieu dans différentes régions du Maroc contre les IMFs. La plus médiatisée est

celle lancée par Souad Guennoun dans une interview diffusée sur internet et soutenant les

« victimes du microcrédit ». Elle dénonce les effets pervers de l’octroi des microcrédits sur les

populations locales de la région de Ouarzazate. Relayée par Attac/Cadtm, l’appel est

explicite : « plus de 2000 femmes victimes de la paupérisation, conséquence des politiques

publiques mènent un combat courageux contre les organismes de micro-crédit qui ont

exploité la pauvreté de ces femmes pour accumuler des profits, par le biais de prêts à taux

très élevés (20 % dans certains cas), entraînant par là un approfondissement de

l’appauvrissement des femmes, dépourvues de toutes source de revenus »37.

2) L’influence des leaders locaux sur le déclenchement des crises et leurs propagations.

Le facteur politique peut influencer les clients à ne plus respecter leurs engagements.

De nombreuses crises se sont déclenchées parce que certains leaders locaux (politiques,

syndicats...) encouragent les clients à ne pas rembourser et ainsi illégitiment les IMFs.

L’analyse du CGAP38 a rendu compte de différents mouvements politiques lancés pour

déstabiliser le secteur de la microfinance. Cependant selon eux, ces mouvements sont

                                                                                                               36  Microfinance and its Discontents: Women in Debt in Bangladesh, L. Karim, Minneapolis: University of Minnesota Press, 2011 37 Appel initié par l’association Attac/Cadtm : http://badiltawri.wordpress.com/2012/03/08/caravane-de-solidarite-avec-les-femmes-victimes-du-micro-credit-a-ouarzazate/ 38 Croissance et vulnérabilités en microfinance, G. Chen, S. Rasmussen et X. Reille, CGAP, Note focus n°61, Fev 2010  

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34  

spécifiques à un contexte, à une région et ne sont pas les causes premières des crises mais des

symptômes. Mais les auteurs notent que ces différentes pressions politiques peuvent entrainer

des facteurs de contagion et pousser les individus à ne pas rembourser. Nous allons montrer

ici le rôle crucial que peuvent jouer les politiques sur la perception de légitimité qu’ont les

clients des IMFs. Il faut préciser que ce rôle des représentants politiques est surement poussé

par des raisons opportunistes qui leurs sont propres (volonté d’éloigner un concurrent,

populisme...)

Au Nicaragua, c’est le mouvement des « no pago », à la base un groupe

d’entrepreneurs politiquement puissants, qui pousse les particuliers à ne plus honorer leurs

dettes. Le président Ortega lui même incite à ne plus rembourser « Je vous ai dit qu’il faut

protester, qu’il faut se plaindre (...) vous avez bien fait de protester contre les usuriers, mais

au lieu de protester sur les routes, protestez devant les bureaux des usuriers et installez vos

piquets de grève face à leurs bureaux. Dressez-vous fermement, nous vous soutenons ! (...) Ils

menacent d’arrêter de prêter, mais ce n’est pas une faveur qu’ils font, mais des affaires pour

s’enrichir aux dépens des besoins des gens depuis qu’en 1990 ont disparu les banques qui

travaillent avec le peuple »39

La crise de 2008 au Pakistan montre l’influence des révoltes de groupes solidaires

associés aux politiques. La crise a été particulièrement importante dans la région de Punjab,

celle ou le taux de pénétration des IMFs est le plus important. La crise des impayés est lancée

par une révolte des groupes de solidarités, ne voulant plus rembourser leurs crédits. La révolte

est à l’origine contre une IMF particulière, Kashf Foundation. La crise se déclenche quand un

groupe, dans la région de Tehsil Muridke affirme son incapacité à assurer le remboursement

de prêts et leurs lassitudes face aux pressions des agents de crédits dans le cadre des

recouvrements de prêts. Il sollicite un politicien local pour qu’il les aide à obtenir l’annulation

de leurs dettes auprès de Kashf Foundation. Le support tacite du politicien a encouragé de

nombreux emprunteurs à différer le paiement de leurs crédits. Les bénéfices pour les

emprunteurs étaient assez forts pour qu’ils propagent des rumeurs d’annulations de dettes

généralisées par l’IMF. Les nouvelles de la révolte dans le Muridke, l’incapacité de Kashf

Foundation de contenir la révolte initiale et les rumeurs concernant l’effacement des dettes se

sont rapidement répandues à travers le Punjab, en premier lieu via les réseaux sociaux des

emprunteurs eux-mêmes. Les taux d’impayés s’envolent, le PAR inférieur à 30 jours passent

                                                                                                               39  Discours public de Daniel Ortega, Jalapa, le 13 juillet 2008, retranscrit dans El Nuevo Diario, 14 juillet 2008.

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35  

de moins d’1% des crédits en cours avant octobre 2008 a plus de 20% en février 200940. Bien

que les rumeurs d’effacement des dettes soient retombées, les clients n’ont pas honoré leurs

créances en partant du principe que personne dans le pays ne le fait. Un groupe explique

« nous ne rembourserons pas tant que personne d’autres dans le Pakistan a recommencé à

payer »41. La crise des impayés n’a touché qu’une seule institution mais l’effet d’entrainement

sur l’ensemble des IMFs a été réel. Un agent de crédit d’une IMF de Punjab explique que

désormais cela demande plus d’effort et de temps pour recouvrir les crédits.

En 2009 à Kolar, Karnataka (Inde), c’est un groupe religieux qui en formulant une

« fatwa » à l’encontre des IMFs de la région a entrainé une vague d’impayés et un arrêt des

relations entre les IMFs et leurs clients. Le comité Anjuman a reproché aux IMFs d’instituer

des pratiques ou les femmes devaient rencontrer des hommes non apparentés à leurs familles

et suivre des formations à l’extérieur de la ville. Ces pratiques ont étés considérées comme

contraires à la religion. Le contexte conjoncturel permettant l’émergence de crise (l’industrie

de la soie étant en récession, les clients ont multiplié leurs crédits), ce type de revendications

ont été reprises par d’autres groupes religieux afin de provoquer des crises.

Dans le cas de l’Andhra Pradesh, c’est suite à la vague de suicide d’emprunteuses en 2010

que les politiques locaux (MLAs, députés) ont réagis, poussé par les organisations de villages

et les médias. Ces réactions avaient clairement des portées électorales, le but étant de soutenir

les populations pour s’assurer de leurs voix à l’approche des prochaines élections. Ainsi,

quelques jours après la médiatisation des suicides, le leader du 2ème parti politique de l’Etat

d’Andhra Pradesh a appelé les emprunteurs à suspendre ses remboursements aux IMFs

jusqu’à ce que les gouvernements aient pris des mesures significatives contre le harcèlement

des agents de crédit envers la population. Puis comme nous l’avons expliqué plus haut, suite

aux déclarations et mesures mises en œuvre par le gouvernement, les clients ont, par effet

d’aubaine ou pas, arrêté massivement de rembourser.

Ce genre de réaction en chaine montre comment une fois que la légitimité d’une

organisation est touchée et que sa solidité est renversée, la propagation du non-

remboursement des créances va extrêmement vite du côté des clients.

                                                                                                               40 Unraveling the delinquency problem (2008/2009) in Punjab –Pakistan, Hussan-Buno Burki, Pakistant Microfinance Network, n°10, Oct 2009.    

 41  Ibid  

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36  

Conclusion

Les crises de microfinance ont des causes bien plus complexes qu’un « simple »

surendettement des ménages. On remarque que les dérives du secteur ont entrainé une forte

prévalence de clients non-solvables au sein des IMFs. De plus, les répercussions de

différentes crises économiques plus larges semblent influencer fortement les crises de la

microfinance. Ce secteur restant, comme son nom l’indique, très fortement lié au secteur

économique et financier. Enfin les entités politiques ont aussi pu avoir un rôle dans ces crises

en incitant les clients à ne pas honorer leurs dettes. Cette propagation rapide des impayés

laisse les IMFs dans des situations extrêmement difficiles, notamment quand le ratio du

portefeuille à risque dépasse celui du portefeuille productif. L’autosuffisance opérationnelle

des IMFs n’est alors plus assurée, c’est à dire que les produits d’exploitations de l’IMF ne

permettent plus de couvrir ses couts.

Conclusion de la première partie :

Les crises de la microfinance qui se sont déclarées aux quatre coins de la planète ont

chacune explosées suite à un enchainement de facteurs causaux spécifiques à chaque contexte

local. Les conséquences des crises ont été une forte augmentation du taux d’impayés. Nous

avons montré ici que cette augmentation n’est pas seulement due au surendettement des

ménages mais aussi aux dérives du secteur et à des facteurs économiques, sociaux et

politiques.

Dans le secteur rural, les financements des activités agricoles jouent aussi un rôle sur

l’augmentation massive des impayés. En effet comme nous allons le voir, le financement du

milieu rural, bien que nécessaire, est risqué. Souvent les IMFs n’arrivent pas à y assurer une

autosuffisance opérationnelle, les taux d’impayés étant trop élevés. Ce qui peut engendrer des

crises, comme nous le verrons dans la troisième partie avec le cas de la MecFEPRODES.

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37  

PARTIE II : LES DIFFICULTES POUR LES INSTITUTIONS DE MICROFINANCE DE FINANCER L’AGRICULTURE, DANS LES PAYS DU SUD.

Le financement de l’agriculture a suivi différentes tendances du 20ème siècle jusqu’à

nos jours. Les premières aides de financement pour les agriculteurs sont venues des Etats qui,

suivant les principes du keynésianisme sont intervenus pour soutenir les acteurs du secteur.

Ce constat est valable pour les pays du nord et les pays du sud. Les Etats subventionnaient

l’agriculture via des institutions de crédits telles que les banques agricoles, les banques de

développement. Les taux d’intérêt proposés étaient plutôt faibles et les crédits ciblaient

notamment l’agriculture d’exportation (café, coton, arachide). Cependant ces programmes de

crédits agricoles ont eu des impacts mitigés et ont dus essuyer de nombreuses pertes et

d’impayés42.

Le courant libéral des années 80 a favorisé une émergence financement rural par les marchés

financiers ruraux et un démantèlement de toutes formes de financements publics pour

l’agriculture. Ces derniers sont désormais considérés comme non-efficaces et un gouffre

financier pour les Etats. La logique libérale voulait que les banques commerciales

s’intéressent au financement du monde rural et se substituent à l’Etat. Ce qui n’a pas été le

cas. Les acteurs du monde rural se sont donc retrouvés exclus du système financier. La

microfinance s’est développée en réponse au manque de financement accordé aux ménages

les plus pauvres, cependant cette offre de financement délaisse le monde rural et se porte

majoritairement sur les zones urbaines.

Depuis lors, le monde agricole des pays en développement a été délaissé par les

gouvernements, les organisations internationales et autres bailleurs de fonds. « Alors que 75%

de la population pauvre mondiale vit dans les espaces ruraux, seulement 4 % de l'aide

publique au développement va à l'agriculture dans les pays en développement.»43

Un rapport de la Banque Mondiale en 200844 « L’agriculture au service du développement »

relance l’intérêt envers le monde agricole en démontrant que le secteur regorge de

potentialités pour accroitre le développement d’un pays et diminuer la pauvreté. En effet,

                                                                                                               42  Quelles politiques publiques pour améliorer le financement rural et agricole ? Le portail de la Microfinance, B. Wampfler et M. Roesch, Dossier thématique Finance rurale et agricole.  

43  L’agriculture au service du développement, Rapport sur le développement dans le monde, Banque Mondiale, 2008.  

44  Ibid  

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38  

l’agriculture représente un secteur économique majeur dans les pays du sud. Trois personnes

pauvres sur quatre vivent en zone rurale et la majorité des ruraux dépendent de l’agriculture.

Par exemple, au Mali, au Burkina Faso et au Rwanda plus de 80% de la population dépend

directement d’activités agricoles et le secteur agricole contribue pour plus de 40% à leur

produit intérieur brut (PIB). A titre de comparaison, le secteur agricole au Canada, aux Etats-

Unis et en France n’occupe que 2 à 4% de la population active et ne représente que 3 à 4% du

PIB.45

Enfin un dernier argument exprimé par Zeller46 explique que le bon fonctionnement de

quelques IMFs dans le secteur rural a lancé une vague d’optimisme auprès des bailleurs de

fonds et des chercheurs. En effet, le fait que certaines IMFs aient réussi à lier leurs contraintes

financières à une offre de crédit pour des microentrepreneurs du monde rural est

encourageant. Selon Zeller, des exemples de ces IMFs figurent dans le « Microbanking

Bulletin»47. Cet espoir vient aussi du fait que le microcrédit a fait l’objet de nombreuses

recherches et d’expériences ce qui permet aujourd’hui de mettre en avant certaines évidences

et d’éviter les erreurs connues. La bonne volonté des états et leurs implications dans le

processus de financiarisation du secteur agricole est le dernier point positif et porteur d’espoir

soulevé par Zeller.

Dans cette deuxième partie nous tenterons, en premier lieu, d’expliquer quels sont les défis

auxquels doivent faire face les IMFs pour répondre aux besoins de financement du secteur

rural. En second lieu, nous examinerons différentes expériences ou approches mises en place

pour contourner ses difficultés.

                                                                                                               45  Quelles réponses la microfinance apporte-t-elle aux besoins des agriculteurs? A. Sidibe, Liens et exclusion financière, FARM, 2008  46 Rural finance institutions and system: Models of rural financial institutions, M. Zeller, Communication in: Paving the way forward for rural finance, An international conference on best practices, 2003.

47  Le Microbanking Bulletin est un outil proposé par le MiX (Microfinance Information Exchange) qui regroupe des rapports d’informaitons financières, de performances sociales , de transparence sur différentes IMFs à travers le monde  

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39  

I- Les problèmes de financement de l’agriculture : En quoi et pourquoi les IMFs ont du mal à proposer une offre de services financiers adéquats aux acteurs du monde rural ? Les besoins des populations rurales en financement sont une réalité. Pourtant il s’avère

que la microfinance a failli dans son implantation en milieu rural, préférant se stabiliser dans

les réseaux urbains plus denses et finançant des activités plus sécurisées. Cependant comme

nous allons le voir les agriculteurs, les Organisations Professionnelles Agricoles (OPA) et les

entrepreneurs agricoles ont eux aussi besoin de financement. N’est-ce pas là le rôle de la

microfinance, permettre aux exclus de la financiarisation d’accéder aux crédits ? En tout cas,

c’est ce que les premiers promoteurs de la microfinance sur la scène internationale, tel M.

Yunus ou Hernando de Soto, poursuivaient comme objectif : permettre aux populations

marginalisées d’avoir accès aux services financiers. Alors pourquoi la microfinance ne s’est-

elle pas développée dans les milieux ruraux ? Pourquoi les clients des IMFs restent-ils

majoritairement urbains48 ? On ne peut pas croire que ce soit parce que les acteurs du monde

rural ont moins besoin de financement que ceux du secteur urbain. On peut donc se demander

pourquoi les IMF sont-elles réticentes à s’implanter en milieu rural ? Pourquoi les IMFs sont-

elles réticentes à financer le secteur agricole ?

Dans un premier temps nous évaluerons les besoins en crédit des populations rurales, dans un

deuxième temps nous verrons les défis auxquels les IMFs doivent faire face pour s’implanter

dans le milieu rural.

A) Inadéquation entre l’offre et la demande en services financiers dans les milieux

ruraux ?

La demande de financement des acteurs ruraux est spécifique et correspond à la

spécificité de leurs activités (notamment l’agriculture). Toutefois, l’offre en services

financiers des IMFs reste très générale et se contente souvent d’appliquer les méthodes et

types de crédit utilisés en milieu urbain.

1) La spécificité des besoins en financement des populations rurales

                                                                                                               48  Le portail de la microfinance, Dossier thématique: Finance rurale et agricole, B. Wampfler, M. Roesch, 2009.  

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40  

Les populations rurales, tout comme les populations urbaines, ont besoin de

financement pour répondre à leurs activités quotidiennes. Comme nous l’avons vu plus haut,

dans les pays en développement, les populations rurales vivent, pour les trois quarts, des

revenus de l’agriculture. Les spécificités des activités agricoles (que nous développerons par

la suite) impliquent des financements adaptés tenant compte de la diversité des besoins

exprimés par les populations rurales. Nous allons distinguer les besoins de l’agriculture

familiale, de ceux des organisations paysannes et de ceux des entrepreneurs agricoles.

Tout d’abord, les besoins des exploitations agricoles familiales sont les plus

importants parce qu’ils doivent permettre de faire vivre le ménage. Comme l’explique le

portail de la microfinance, répondre à ces besoins est primordial parce qu’ils sont

intrinsèquement liés aux conditions de vie des ménages. « Le budget de l’exploitation

agricole familiale est étroitement inséré dans le budget global du ménage. Dès qu’ils ont

accès au marché, les ménages développent des systèmes d’activités plus ou moins complexes,

mêlant les activités agricoles et non agricoles ; le ménage est une unité économique, mais

aussi sociale ; les besoins de financement des activités, des investissements, de la

consommation, les besoins sociaux sont étroitement liés. Ce faisant, on ne peut donc pas

traiter les problèmes de crédit agricole indépendamment de la demande globale de

financement des ménages. »49

Les besoins de financement sont de plusieurs ordres, on note notamment :

- Les besoins de court terme : le financement des intrants (engrais, graines, pesticides) en

amont des récoltes, le salaire de la main d’œuvre employée pour une saison de récolte ou tout

simplement le salaire de l’agriculteur lui-même. Il s’agit aussi du financement de

l’embouche50 dans le cadre de l’élevage (bovins, caprins, porcs). Durant les périodes de

soudure, les ménages ont souvent recours au(x) crédit(s) pour financer leurs vies quotidiennes

ou leurs activités génératrices de revenus en attendant que les bénéfices des prochaines

récoltes. Enfin, afin de stocker ou de transformer la production, les ménages peuvent aussi

faire appel à des crédits court terme.

- Besoin de moyen et long terme : Ces crédits vont servir à des investissements plus

structurels tels que les équipements pour l’intensification de l’exploitation (charrues...), la                                                                                                                49  Le portail de la microfinance, Dossier thématique: Finance rurale et agricole, B. Wampfler, M. Roesch, 2009.    

50  L’embouche consiste à engraisser un animal sur une période « courte » (de 4 mois – 6 -8 mois) pour le vendre avec une forte valeur ajoutée

 

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41  

commercialisation (transport notamment). Ces crédits souvent plus conséquents servent aussi

à financer les achats d’animaux ou de terres (plus rares).

En dehors des besoins spécifiques à l’exploitation agricole et au commerce plus général de

l’agriculture, les ménages nécessitent des crédits pour répondre à leurs besoins familiaux, tels

que la santé des membres de la famille, l’éducation, l’habitat ou l’achat de bien durable. Mais

ces types de crédit sont rarement autorisés par les IMFs. Les ménages ont aussi besoin

d’épargner, pour cela les IMFs sont plutôt réactives et proposent des services assez adaptés51.

Comme tout établissement de crédits elles en sont friandes car ce sont des ressources qui

financent les crédits octroyés.

Enfin, les ménages peuvent avoir besoin de services non financiers tels que de la formation ou

des appuis techniques. Cela est fortement poussé par les bailleurs de fonds donc régulièrement

mis en œuvre par les IMFs.

Les ménages ne sont pas les seuls acteurs dans les milieux ruraux, le développement

des organisations professionnelles agricoles (OPA) a engendré de nouveaux besoins de leurs

parts. Au sein des OPA on distingue deux types de besoin52 : ceux de ses membres (voir les

besoins des ménages), ceux propres à son fonctionnement et au développement de ses

activités (approvisionnement en intrants, la transformation et la commercialisation des

produits ou encore les services d’appui à ses membres).

Enfin les entrepreneurs agricoles (de grandes exploitations ou dans le commerce agro-

alimentaire –transformateurs, exportateurs, fournisseurs d’engrais…) ont besoin de

financement pour leur trésorerie importante, et pour faire des investissements et des

innovations. Selon la taille et la rentabilité de leurs exploitations, ces entrepreneurs peuvent

faire appel aux banques commerciales ou aux banques agricoles pour leurs besoins en crédit.

Toutefois, ces différents besoins en crédit ne sont pas tous toujours nécessaires, le

contexte propre à chaque région et à chaque filière entraine une variation des besoins.

Une étude de la fondation FARM sur le financement de l’agriculture et du monde rural au

Mali53 montre bien ce point. En effet, les auteurs explicitent les besoins des acteurs selon les

                                                                                                               51  Introduction générale, S. Morvant-Roux, Exclusion et liens financiers, Microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM, 2009.  

52  Organisations professionnelles agricoles et institutions financières rurales : construire une nouvelle alliance au service de l’agriculture familiale. Un guide opérationnel, Wampfler, B. ; Doligez, F. ; Lapenu, C., avec la contribution de Vandenbrouck, J.P. et Vilayphonh, 2008

53 Etude sur le financement de l’agriculture et du monde rural au Mali, Rapport complémentaire- Analyse de l’offre et de la demande en financement agricole, Adama Kodio, FARM, FAO, Crédit agricole, 2010.

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différentes filières agricoles. Il en ressort que pour la filière mangue, les crédits les plus

attendus sont ceux de moyen terme permettant l’amélioration végétale, de renouveler les

pieds de mangue ou de clôturer les vergers. Les acteurs de la filière « pomme de terre »

nécessitent des financements de court terme pour les fertilisants et les semences et de moyen

terme pour la conservation du produit. Pour le riz irrigué, les besoins de crédit de campagne

semble être les plus importants et doivent servir à financer les intrants, l’entretien et la main

d’œuvre sur les exploitations. Enfin pour l’échalote, les besoins de financement sont de court

terme mais s’étale sur toute l’année et vont surtout pour la transformation et le

conditionnement.

Conclusion

Les besoins de financements des acteurs ruraux sont donc divers, que ce soit en termes

de durée ou de type d’activité. Les institutions de microfinance et autres types d’organismes

financiers doivent donc avoir une bonne connaissance du secteur pour être à même de

répondre correctement et s’adapter aux besoins du monde rural.

Par ailleurs, au-delà de l’implantation de services financiers (accès) se pose la question de

l’adéquation entre, d’une part, l’offre relativement standardisée de la microfinance et, d’autre

part, les besoins diversifiés et les capacités de remboursement des agriculteurs.

2) Quelle adéquation entre l’offre des IMFs et la demande en services financiers par les

acteurs du monde agricole ?

Le développement de la microfinance tel que promu par M. Yunus et des IMFs tel que

la Gramen Bank s’est fait pour répondre aux besoins (des urbains) souhaitant mener des

activités génératrices de revenus. Lors du transfert vers le milieu rural et le financement de

l’agriculture, les IMFs ont utilisé les mêmes approches que pour les urbains. Les mêmes

conditions de prêts, de remboursements, de demandes de garanties ont été mis en place. Les

IMFs n’ont pas pris en compte les spécificités de la demande rurale et du financement des

activités agricoles.

Ainsi on remarque que les méthodes de prêts et les produits traditionnellement utilisés par les

IMFs classiques (de type « Grameen bank ») ne sont pas adaptés au financement de

l’agriculture5455.

                                                                                                               54  Rural and Agricultural Finance Initiative (RAFI) notes, Chalmers et al, 2005.    

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43  

- La durée limitée du crédit : Les prêts accordés par les IMFs sont souvent de courte durée

pour limiter les risques d’incidents (maladies, problèmes personnels...) entravant le

remboursement. Ces prêts de courte durée permettent aussi de limiter les intérêts devant être

remboursés par les clients. Toutefois, les saisons agricoles sont souvent assez longues (6 à 9

mois) et les agriculteurs ont besoin de prêt durant toute la durée de ces saisons. Ils doivent

pouvoir contracter des prêts au début de la saison pour leurs dépenses liées à l’exploitation

agricole et rembourser quand ils ont vendu la récolte.

- Les échéances de remboursement très rapprochées : L’une des principales caractéristiques

de la microfinance est le fait que le remboursement soit fait par tranches hebdomadaires.

Ainsi les IMFs peuvent suivre semaine par semaine l’évolution de l’utilisation du crédit par le

client et « exercer une pression continue sur le client »56. Ce remboursement hebdomadaire

peut être utile au client parce qu’il cadre son remboursement ; il est obligé de l’échelonner et

de le rembourser progressivement. Cependant les activités agricoles ne permettent pas un

remboursement hebdomadaire étant donné que l’agriculteur ne reçoit son revenu sur

investissement, le prix de sa récolte, que lorsque celle-ci est vendue sur les marchés. Les

IMFs devraient donc adapter les échéances de remboursement à la saisonnalité des

exploitations agricoles et autoriser le remboursement en une fois à la fin du prêt (« in fine »).

- Le faible niveau des montants accordés : Pour éviter qu’un crédit non remboursé soit trop

important et déstabilise la trésorerie de l’IMF, ces dernières préfèrent accorder des prêts de

petit montant. En zones urbaines pour financer les activités génératrices de revenus des

bénéficiaires, de faibles montants de crédit peuvent être suffisants pour démarrer une activité.

En zone rurale, les prêts doivent être plus conséquents pour répondre aux besoins des

agriculteurs dont les charges liées à l’exploitation sont plus importantes.

- Les taux d’intérêts élevés : La rentabilité des exploitations agricoles est souvent faible et les

marges d’excédent plutôt minimes. Les taux d’intérêt des IMFs sont souvent non-supportables

par les trésoreries des petits exploitants agricoles. C'est-à-dire que le remboursement du prêt

et des taux d’intérêts liés peut être supérieur aux bénéfices engrangés grâce à la vente des

récoltes. « Ce dernier point est sans doute l’élément le plus problématique, car il révèle

l’impasse et soulève la question des subventions à l’agriculture et de la nécessité d’un soutien

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         55  Introduction de la première partie, M. Hudon, M. Labie, A. Perilleux, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM, 2009.  56 Ibid  

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44  

de l’état. »57

On comprend que l’offre en services financiers développée par les IMFs en milieu

urbain ne correspond pas aux attentes de financement du milieu rural. Les IMFs doivent

revoir les produits qu’elles proposent afin de s’adapter aux spécificités du monde rural, et y

apporter des offres de financement adéquat.

Conclusion

Les populations rurales ont des besoins en financement particuliers que les IMFs ont

du mal à intégrer dans leurs logiques organisationnelles. Ceci est une partie de la réponse au

fait qu’elles n’osent pas/ne veulent pas s’implanter dans le secteur rural. Pour ce faire, elles

doivent avoir une connaissance approfondie du secteur et des attentes des acteurs, pour leur

proposer des produits adéquats. Nous allons voir dans la partie suivante que deux autres

grands défis dissuadent les IMFs à s’implanter en milieu rural.

B) Les grands défis des IMFs : risques variés et coûts de transaction élevés.

La limitation de l’accès des populations rurales aux services financiers s’explique

d’une part par le caractère aléatoire de la rentabilité des activités agricoles et d’autre part par

les coûts engendrés par la dispersion géographique de la clientèle rurale. Ces deux défis se

rejoignent dans leur conséquence : un déficit au niveau de la trésorerie des IMFs dus aux

impayés et aux couts dépensés pour atteindre les zones reculées.

1) Premier défi majeur pour les IMFs : le fait que l’agriculture soit une activité risquée

Les IMFs sont frileuses à financer l’agriculture parce que le secteur est considéré

comme risqué. Ces risques sont de nature diverse et peuvent se combiner. La notion de

« risque » peut se définir en « la conséquence néfaste d’un événement aléatoire »58.

L’OCDE59 donne une typologie des risques liés à l’agriculture:

- Premièrement, les risques “normaux”, c’est à dire les risques inhérents  à toutes les activités.

Par exemple, les risques institutionnels, risques des conjonctures nationales ou mondiales…

- Deuxièmement, les risques cessibles (ou assurables), ici il s’agit des risques liés à l’activité

                                                                                                               57 Ibid

58  La gestion des risques en agriculture, J. Cordier, Notes et études économiques n°30, 2008. 59  L’assurance agricole climatique au Brésil : un modèle en construction ; A. Perrin-Janet, juillet 2013, FARM.  

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45  

agricole en elle-même. On note quatre grands risques ; risque prix (variabilité du cours de

vente des récoltes), risque rendement (variabilité de la quantité de la production), risque

qualité produite (variabilité de la qualité de la production), risque coût de production

(variabilité du coût de production)60. Le risque prix est notamment important pour les petits

exploitants qui n’ont aucune marge de manœuvre pour négocier les prix de vente de leur

récolte et doivent se contenter des prix fixé par le marché. Les risques rendement et qualité

produite sont corrélés aux risques cout de production et catastrophes (voir ci-après). Selon les

saisons, le prix des intrants est plus ou moins abordable, les pluies sont plus ou moins

abondantes, ces variables influent la quantité et la qualité de la production. Cette saisonnalité

accentue la vulnérabilité des ménages agricoles qui comptent sur 2 ou 3 récoltes pour vivre

toute l’année61. Le risque rendement soulève une autre question plus vaste qui est celle de la

rentabilité des exploitations agricoles et à fortiori celle des petites exploitations agricoles. B.

Wampfler et al soulignent « L’agriculture est rarement le secteur le plus rentable d’une

économie rurale et n’attire donc pas spontanément les capitaux »62

- Troisièmement, les risques catastrophes: les risques liés à l’activité agricole en elle-même

mais dont l’impact est global. Par exemple, les sécheresses touchant plus de la moitié d’un

pays ou une flambée des prix à un niveau mondial. Ces risques sont par nature incontrôlables,

imprévisibles et covariants, ce qui ne rassure pas les IMFs.

Tous ces risques confèrent un caractère aléatoire aux finances des agriculteurs. Cela

limite aussi leur vision sur le moyen et le long terme. Au début de la saison, ils ignorent quel

va être le rendement de leur récolte et à quel prix ils vont pouvoir la vendre, ils basent leur

demande en crédit sur des estimations par rapport aux années précédentes.

C. Lapenu63 souligne une autre limite « Le manque de garanties appropriées et les

cadres règlementaires, légaux et politiques peu favorables fragilisent les transactions

financières». Il parait peu probable que des transactions financières aient lieu dans ces

conditions. Surtout que, comme nous l’avons vu dans l’introduction de cette partie, les

                                                                                                               60  Assurance indicielle et warrantage, quels intérêts pour les petits agriculteurs? A Duffau et al, les éditions du Gret, 2011.  61  Risques, vulnérabilité, et produits financiers: un cadre d’analyse appliquée à la microfinance agricole et rurale, E. Bouquet, BIM, 2007  62  Organisations professionnelles agricoles et institutions financières rurales : construire une nouvelle alliance au service de l’agriculture familiale. Un guide opérationnel, Wampfler, B. ; Doligez, F. ; Lapenu, C., avec la contribution de Vandenbrouck, J.P. et Vilayphonh, 2008  63 Evolutions récentes dans l’offre et les stratégies de financement de l’agriculture, C. Lapenu, Cerise, Décembre 2007.

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anciens modes de financements de l’agriculture étatiques, ont laissé des habitudes de « non-

remboursement » de la part des agriculteurs64. Les agriculteurs restent sur le principe que les

prêts se rapprochent plus des dons ou considèrent les taux d’intérêts comme trop élevés et

sont donc réticents à rembourser les sommes dues. Redoutant ce genre de comportement les

IMFs sont méfiantes quant à l’octroi de crédit aux agriculteurs.

Cependant, les IMFs ont aussi certains avantages à s’implanter en milieu rural65

- Une forte cohésion sociale qui persiste dans beaucoup de zones rurales peut avoir un impact

sur la pression morale mis en place par le principe de caution solidaire. Dans les zones

rurales, les gens se connaissent mieux et les rumeurs circulent vite, le non-remboursement

d’un crédit est plus rapidement su par tous.

- Une faible concurrence dans l’offre de services financiers, comme nous avons pu le voir,

peu d’institutions sont implantées dans le milieu rural et il y a donc un fort potentiel de

développement pour les IMFs. Contrairement à de nombreuses zones urbaines ou l’on

s’approche du seuil de saturation.

- Un plus faible impact des crises urbaines, les zones rurales se reposant sur le secteur

agricole sont moins sensibles ou crises urbaines qu’elles soient immobilières, de capitaux…

Cet argument peut largement être revu suite aux conséquences, à double tranchants, qu’a eu

l’envolée des prix des céréales en 2007-2008 et 2010-2011 sur les petits producteurs dans les

pays du Sud66.

Malgré ces quelques avantages, les zones rurales et les activités agricoles comportent

beaucoup de risques auxquels les IMFs ne souhaitent pas se confronter et ne cherchent pas à

résoudre. Ainsi le financement du secteur agricole reste marginalisé.

2) Second défi majeur : l’enclavement des zones rurales.

La deuxième limite du financement des zones rurales tient à leurs faibles densités.

Cela engendre des coûts opérationnels relativement plus élevés pour les IMFs. Ces dernières

ont pu se développer dans les zones urbaines parce qu’elles ont la possibilité de toucher un

grand nombre de clients et ainsi le coût par habitant du service est relativement faible.

                                                                                                               64 The Role of Financial Institution, the RAFI notes, issue 3, 2005  65  Evolutions récentes dans l’offre et les stratégies de financement de l’agriculture, C. Lapenu, Cerise, Décembre 2007.  66  L’impact de la hausse et de la volatilité des prix des denrées alimentaires sur les populations rurales pauvres, FIDA, 2011  

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Bien que le potentiel de clients soit fort dans les zones rurales peu desservies par les services

financiers, leurs éclatements dissuadent les IMFs d’essayer de répondre à leurs demandes.

L’éloignement géographique de certaines exploitations entraine des coûts importants dans le

suivi et la collecte des mensualités de la part des IMFs. Ouvrir un agence (ou une filière) dans

une zone rurale peut s’avérer trop cher pour une IMF; payer des locaux, des salaires, des

équipements pour un nombre limité de clients n’est pas rentable. De plus, dans ces zones les

distances sont longues et les infrastructures faibles. Les IMFs doivent donc chercher à

diminuer leurs coûts de transaction et proposer des produits peu complexes.

Face à ses contraintes, l’exemple de Kafo Jiginew au Mali est encourageant, l’IMF a

développé des structures souples et légères qu’on appelle des « caisses rurales d’avenir »67.

Ce sont des entités de grande taille munies de points de services dans les petites localités.

Cependant un tel type d’organisation est plutôt une exception que la règle, A. Sidibe explique

que seuls « des institutions de microfinance ayant une taille suffisamment grande pour

supporter techniquement et financièrement des technologies de pointe et des services

professionnels ont les capacités de s’implanter en milieu rural. »

L’étude proposée par A. Nair et A. Fissha68, sur les banques communautaires et rurales (rural

and community banks, RCB) au Ghana semble conforter ce point. En effet, ces RCBs

supposées améliorer l’accès aux services financiers dans les zones rurales ont des

performances financières mixtes. Les banques sont de petite taille (faible nombre de clients,

faible nombre d’encours de crédits et d’épargnes), ce qui rend difficile une gestion durable et

performante de leurs finances. Elles multiplient donc les alliances stratégiques avec d’autres

banques (Bank of Ghana, Apex Bank), ce qui complexifie leurs modes de fonctionnement.

Une autre limite liée à l’éloignement géographique des zones rurales, est qu’il est

difficile pour les IMFs de recruter du personnel formé souhaitant travailler dans des zones

reculées69. Ceci complique le développement d’une offre locale de service.

Les nouvelles technologies ont apportés certaines solutions à cet enclavement des

                                                                                                               67  Quelles réponses la microfinance apporte-t-elle aux besoins des agriculteurs? A. Sidibe, Liens et exclusion financière, FARM, 2008  68  Rural banking: the case of rural and community banks in Ghana, A. Nair, A. Fissha, Brief 5 in Innovations in rural and agriculture finance, IFFPRI, 2010.  69  Evolution récente dans l’offre et les stratégies de financement de l’agriculture, C. Lapenu, Cerise, 2007

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zones rurales. R. L. Meyer note70 l’utilisation des téléphones mobiles pour procéder aux

transactions financières71, la mise en place de banques électroniques, de système de

transaction à distance (RTS) et la popularisation des cartes de crédit et des automates

bancaires (ATM). Ces nouvelles technologies, peu couteuses et faciles à opérer peuvent être

mises à profit pour offrir des services financiers aux populations rurales.

Un exemple de réussite est le projet M-PESA au Kenya, lancé en 2006, il comptabilise plus

de 9 millions de clients Kenyan en 2010, réalisant plus d’une dizaine de millions de

transactions tous les mois à travers le pays.72 Cet outil a été créé en premier lieu pour faciliter

l’envoi d’argent des travailleurs à leurs familles via des téléphones portables et non un compte

en banque puis il a été repris par les IMFs. Les clients des IMFs peuvent utiliser M-PESA

pour rembourser leur crédit, sans avoir à se déplacer mais directement via leurs téléphones.

De plus, un nouveau service appelé M- KESHO, permet aux clients de déposer et de retirer de

l’argent de leurs comptes bancaires via leurs téléphones. Ce type d’innovations n’est possible

que pour les IMFs ayant déjà une bonne implantation et un réseau capable de supporter les

couts de démarrage. Il nécessite aussi un opérateur téléphonique capable de gérer de

nombreux flux dans le cas de M-PESA le marché est géré par Vodafone. On peut se

demander si un opérateur téléphonique local serait en mesure d’assurer un tel type de marché?

Pour que cette expérience puisse se répliquer dans d’autre pays il faudrait que ce soit des

opérateurs locaux qui se chargent de gérer le marché.

Face à ces problématiques, les IMFs ont adopté plusieurs types de stratégies.

Nombreuses sont celles qui diversifient le type d’activités qu’elles financent73. Leurs

portefeuilles de prêt comportent des crédits agricoles (dans différentes zones agroclimatiques

si possibles) mais aussi des crédits pour le petit commerce, les activités de transformations, de

transports… Leurs clients sont composés d’urbains et de ruraux. Cette recherche d’équilibre

entre produits ruraux et produits urbains doit permettre d’assurer la viabilité des services.

Mais cette stratégie n’est envisageable que pour les institutions qui opèrent dans des milieux

                                                                                                               70  Les services de microfinance pour l’agriculture: potentialités et risques, R. L. Meyer, Liens et exclusion financière, FARM, 2008  71  Microfinance and mobile banking: The story so far, K. Kumar, C. McKay, S. Rotman, Focus note n°62, CPAG, 2010.  72  M-PESA: Findings new ways to serve the unbanked in Kenya, S. Lonie, Brief 8 in Innovations in rural and agriculture finance, IFFPRI, 2010.  73  Credit risk management in financing agriculture, M. D. Wenner, Brief 10 8 in Innovations in rural and agriculture finance, IFFPRI, 2010.    

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49  

mixtes.

Les IMFs diversifient aussi les types de produits financiers qu’elles proposent afin de mieux

répondre aux besoins des populations rurales ; crédit-bail, warrantage, financements

d’intrants…

Certaines IMFs mettent en place des alliances stratégiques avec d’autres secteurs comme les

bailleurs de fonds privés ou publics, leurs gouvernements mais aussi avec d’autres IMFs ou

des organisations de producteurs74. Ces alliances permettent de récolter facilement des fonds

(en dons ou en ligne de crédit gratifiée) ou de partager les risques.

Comme nous allons le voir par la suite, les IMFs lancent aussi de nouveaux produits devant

réduire les risques de financement de l’agriculture.

Conclusion

Pour participer au financement de l’agriculture, les IMFs doivent donc faire face à des

défis importants; dans un premier temps elles doivent proposer des services financiers adaptés

aux besoins des acteurs ruraux et dans un second temps relever les défis inhérents aux

activités et zones agricoles. Ces nombreuses difficultés dissuadent souvent les IMFs de

s’implanter en milieu rural et de financer le secteur agricole, préférant les milieux urbains

plus facile d’accès et ou le « retour sur investissement » est souvent plus rapide. Ainsi le

financement de l’agriculture n’est pas assuré dans de nombreuses zones agricoles.

Nous allons voir dans la seconde partie, comment certaines expériences originales de

financement agricole, peuvent permettre une offre de services financiers adaptée et une

réduction des risques auxquels sont confrontés les IMFs.

                                                                                                               74 Les services de microfinance pour l’agriculture: potentialités et risques, R. L. Meyer, Liens et exclusion financière, FARM, 2008  

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50  

II- Quelles sont les nouvelles approches mises en œuvre par les IMFs pour

répondre aux difficultés de financement de l’agriculture ?

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, l’agriculture est une activité

risquée. C’est l’une des raisons principales des difficultés de financement des exploitations

agricoles. Les IMFs se sont donc interrogées ; comment réduire les risques inhérents à

l’activité agricole ? Comment attirer de nouveaux clients avec des produits adaptés ?

Comment sécuriser les financements et limiter les impayés dans ce secteur ?

Les IMFs cherchent donc à mettre en place des stratégies de réduction des risques et pour cela

proposent des nouveaux produits.

Cette gestion des risques peut être mise en place ex-ante ou ex-post. C’est à dire que l’on peut

soit prévenir le risque, éviter qu’il se concrétise, soit agir sur ses conséquences, réduire

l’impact une fois celui-ci survenu. Dans les stratégies ex-ante on peut retenir par exemple, la

vaccination du bétail (au niveau des agriculteurs), le warrantage ou l’approche filière (au

niveau des IMFs). Les stratégies ex-post sont par exemple l’épargne (au niveau des

agriculteurs) ou les assurances (au niveau des IMFs). Ces stratégies sont donc mises en place

au niveau du prêteur (IMF), de l’emprunteur (agriculteurs, OPA) ou des deux simultanément.

Ici nous étudierons plutôt les stratégies mises en place par les IMFs pour réduire leurs risques

d’impayés face au financement du secteur agricole.

Ces nouveaux produits doivent aussi permettre aux IMFs d’apporter une réponse plus adaptée

aux besoins spécifiques du monde agricole.

Dans une première partie nous étudierons différents produits innovants ayant pour but de

limiter les risques pris par les IMFs. Dans une seconde partie nous comprendrons en quoi

l’approche filière entraine un changement de perspective pour le financement du monde rural.

A) Exemples d’innovations en matière de services financiers proposés aux acteurs du

monde rural.

1) Le crédit-bail (ou leasing), une forme alternative du crédit rural.

Une distinction est faite entre deux types de crédits-bails : financiers et

opérationnels75. A.Nair et R. Kloeppinger-Todd76 donnent la définition suivante du crédit-

                                                                                                               75  « Dans le cas d’un crédit-bail financier, les loyers du bail amortissent le prix de l’actif (l’amortissement peut être engagé sur le prix total ou sur l’essentiel du prix). Au terme de la période du crédit-bail, le preneur peut racheter l’actif pour un prix symbolique. Le preneur est responsable de la maintenance et du risque

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51  

bail financier : « Système de location d’une immobilisation d’exploitation (machines,

matériels) permettant au locataire de racheter l’actif au terme du contrat pour une valeur

fixée contractuellement. Pendant toute la durée du contrat, l’institution qui a financé l’achat

du bien en reste propriétaire. »

Ici nous nous intéresserons aux crédits-bails financier ruraux, par mesure de

simplification nous utiliserons le terme crédits-bails en se référant aux crédits-baux financier

ruraux.

Pour que les crédits-bails puissent se

développer il faut un environnement favorable

notamment au niveau juridique afin que les deux

parties puissent se référer à un tiers neutre en cas de

litige. Il faut que cette autorité supérieure ait le

pouvoir de faire appliquer les sentences. Dans le cas

contraires, il est fort probable que l’une ou l’autre

des parties soient escroquées.

Ce crédit-bail dispose de plusieurs avantages.

Du point de vue du bailleur, le principal avantage réside dans la propriété de l’actif, ainsi que

dans les droits qui s’y attachent en cas de défaut de paiement. Ce qui lui assure une grande

sécurité. Majoritairement les droits du bailleur prévalent sur celui de l’emprunteur. Ainsi, ce

dernier est largement dissuadé de faire défaut au remboursement. On note trois autres

avantages ; une législation simple et souvent favorable, des couts de transactions réduits et un

bon entretien du matériel prêté (car le preneur peut le racheter en fin de période). 77

Du point de vue du preneur, le principal avantage est le fait que l’obtention d’un crédit-bail

demande peu voir pas de garantie préliminaire. Le fait que le preneur ne soit pas propriétaire

constitue en soit une garantie. Les conditions de remboursement sont souvent assez flexibles

et en phase avec le cycle des récoltes, donc tiennent compte des périodes pendant lesquelles le

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         d’obsolescence de l’actif et le contrat de crédit-bail est généralement non annulable. A l’inverse le crédit-bail opérationnel n’inclut pas l’option de rachat de l’actif, les couts de maintenance et le risque d’obsolescence sont supportés par le bailleur et les baux sont susceptibles d’être annulés. Le bailleur récupère son investissement au travers des loyers successifs et la vente finale de l’actif. » A.Nair et R. Kloeppinger-Todd  

76  Formes alternatives de crédit rural : le cas du crédit bail, A.Nair et R. Kloeppinger-Todd, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM.  

77 Le leasing: un outil de finance rural sous utilisé, M. Roesch, BIM, 2004

« Ce cadre juridique favorable suppose : - une définition claire du contrat de crédit-bail, des actifs en location et des responsabilités ainsi que des droits des parties contractantes - une claire définition de la répartition des responsabilités à l’égard du bien mis en location - la priorité des droits du bailleur sur un actif en location - un cadre autorisant la reprise simple et rapide de la possession des actifs en location.» A.Nair et R. Kloeppinger-Todd  

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52  

bénéficiaire a la capacité de rembourser son crédit. Les couts de transactions sont plutôt

faibles. Par exemple, dans le cas du produit « Location-Vente Mutualiste » (LVM) proposé

par le réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit Agricole Mutuelles (CECAM) à Madagascar,

le taux d’intérêts mensuel est de 2.5% pour les matériaux agricoles et de 3% pour les autres.78

Les sociétés de crédit-bail fournissent souvent un soutien technique ou des formations quant à

l’utilisation des nouveaux matériaux pour les preneurs. Ce qui constitue un atout pour ces

derniers.

L’éventail des biens pouvant s’acquérir par le crédit-bail est très large : équipements

agricoles divers, matériel de transport, cheptel, équipements ménagers...

Certaines IMFs limitent les types de bien possible à l’acquisition, d’autres sont ouvertes à

toutes propositions sérieuses. L’acquisition de tel type de bien doit permettre aux agriculteurs

d’augmenter leurs rendements, leurs revenus, ce qui leur permet de payer le loyer du et

souvent de racheter le bien.

Toutefois, les preneurs encourent aussi des risques dans le cadre du crédits-bail. Ces

crédits sont souvent sur le long terme ce qui favorise le risque d’accident (maladie, décès,

catastrophes climatiques...). Ce type de crédit ne vise pas les plus pauvres des pauvres, une

capacité de remboursement limitée peut avoir pour effet l’acquisition de matériels ou de

cheptel de qualité insuffisante, et n’apportant pas les résultats escomptés par le projet79.

Le non remboursement d’un crédit-bail entraine la saisie du bien par le bailleur ce qui plonge

le preneur dans un cercle vicieux de dette n’ayant pas pu mener à terme son projet.

Pourtant, les avantages semblent l’emporter sur ces risques. Le rapport de A.Nair et R.

Kloeppinger-Todd développe trois études de cas pour analyser la rentabilité d’un crédit-bail :

celui de Networking Leasing Corporation Limited (NLCL) au Pakistan, de la DFCU80 en

Ouganda et de Arendadora John Deere au Mexique. Sur la base de cette étude, il conclue

« Non seulement ces trois entreprises sont rentables mais elles affirment par ailleurs que

leurs portefeuille ruraux sont tout aussi rentables que leurs portefeuilles urbains. La qualité

des portefeuilles étant généralement bonne, les reprises de possession relativement peu

nombreuses et seule une société a déclaré des pertes lors des quatre dernières années ».

L’étude de cas du crédit-bail proposé par la CECAM à Madagascar conclu aussi de manière

                                                                                                               78 Un crédit-bail original à Madagascar, la location-vente mutualiste en milieu rural, S.W. Ravononjatovo, G. Rakotondramanama, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM.  79  Ibid  80  DFCU: Development Finance Company of Uganda  

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53  

positive et préconise la duplication de cette expérience.

Le crédit-bail semble donc être une innovation intéressante dans les pays ou la

législation est assez forte pour contraindre chacune des parties à respecter ses engagements.

Pour que le crédit-bail ait un réel impact sur le rendement des exploitations agricoles, il est

souvent combiné à d’autres offres de crédit, ce qui permet d’étaler le risque mais augmente

aussi le montant total des remboursements pour l’agriculteur.

2) Le warrantage, une offre de crédit original pour les agriculteurs.

La technique du warrantage est apparue comme une solution aux problèmes de

financement des agriculteurs et leur manque de liquidité durant les périodes de soudure

notamment. Le warrantage permet aux agriculteurs de commercialiser plus tard et à meilleurs

prix leurs produits agricoles tout en disposant de liquidités (crédits) pour subvenir à leurs

besoins ou développer une activité rentable juste après la récolte.

Par warrantage, nous entendons un prêt garanti par un stock de produits agricoles dont la

valeur augmente sur une période donnée. « De façon classique, le crédit warrantage fait

intervenir trois acteurs : une Institution de Financement Rural, des emprunteurs et un

entreposeur privé. Chaque acteur joue un rôle essentiel dans le dispositif et y trouve en

principe un avantage qui justifie son implication dans le mécanisme. » 81.

La figure suivante permet d’expliquer la technique du warrantage et la triangulation entre le

producteur, l’entreposeur et la Banque/IMF.

                                                                                                               81 Etude de faisabilité sur le développement du crédit de stockage (warrantage), Projet Croissance Economique (PCE), International Resources Groups

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54  

Figure 3 Les trois acteurs du warrantage

Source : PCE, International Resources Group

Plusieurs objectifs sont recherchés par les agriculteurs82:

- mieux vendre la production en la conservant jusqu’à la période de prix hauts

- augmenter la capacité de financement de la campagne agricole future grâce à l’utilisation de

l’argent gagné dans l’exploitation.

- garder sa production pour l’autoconsommation pour la période de soudure

- présenter une garantie pour accéder à un prêt.

Cette technique permet aux IMFs d’assurer leurs prêts via les stocks entreposés par les

agriculteurs. En effet, s’ils ne remboursent pas leurs crédits, l’IMF peut avoir des

compensations en nature.

Toutefois certaines conditions préalables sont nécessaires afin que le warrantage soit

un succès. Les fluctuations des prix agricoles ne doivent pas être perturbées par des

subventions ou par la distribution massive d’aide humanitaire. Il faut une bonne connaissance

du milieu c’est à dire des marchés et de la fluctuation des prix mais aussi de la saisonnalité

des activités et des revenus agricoles. En effet, pour réduire le risque pris par l’emprunteur, il

faut être sur que la hausse relative des prix entre la récolte (prix bas) et la soudure (prix                                                                                                                82  Etude de faisabilité sur le développement du crédit de stockage (warrantage), International Resources Groups  

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55  

élevés) sera supérieure aux coûts liés au stockage du produit (traitement, gardiennage, pertes

de poids ou de qualité, etc.) et de son financement (en cas d’emprunt pour financer le

stockage). Cependant les variations des prix d’une année à l’autre sur un marché peuvent être

très fluctuantes, la technique du warrantage ne permet donc pas de diminuer le risque « prix »,

« On ne peut donc pas parler de réduction du risque prix mais de spéculation sur

l’augmentation des prix avec une bonne espérance de gain».83

Les institutions mettant en place cette technique doivent être capables d’effectuer rapidement

leurs opérations afin de permettre à l’emprunteur de profiter de possibilités commerciales

intéressantes.

Ensuite, le système d’entreposage doit avoir toutes les normes requises pour qu’il n’y

ait pas de perte des produits entreposés, ce qui remettrait en cause tout le système.

Il faut aussi faire attention à l’inflation qu’un tel stock peut créer sur les marchés, dans le cas

d’un marché local trop réduit84. On pourrait voir une augmentation des prix agricoles sur les

marchés locaux, l’offre étant insuffisante. La mise en place d’un tel stock –devant permettre

aux agriculteurs d’augmenter leurs revenus- ne doit pas avoir d’effets pervers sur les

consommateurs.

Enfin, il faut faire un choix judicieux des produits faisant l’objet du warrantage. S.

Boubacar dans « Introduction et développement du warrantage au Niger »85 explique : « Les

produits agricoles les plus intéressants sont les produits faciles à stocker, non périssables et

dont les prix augmentent d’un cycle de production à l’autre, le riz par exemple. Le produits

fragiles –comme la tomate, le chou, le niébé sont difficiles à prendre en gage car leurs

conservations est de très courte durée et onéreuses. Des produits très volumineux (les

pastèques, les fanes de niébé) demandent beaucoup d’espace de stockage et en conséquence

entrainent des prix de stockage très élevé. »

L’étude précitée faite par l’International Resources groups récapitule les avantages et les

limites du warrantage :

                                                                                                               83  Assurance indicielle et warrantage, quels intérêts pour les petits agriculteurs? A Duffau et al, les éditions du Gret, 2011.  84  Sécurité alimentaire: pour des stocks de réserve, B. Valluis, 2013.    85  Introduction et développement du warrantage au Niger à travers les institutions de microfinance et au profit des producteurs agricoles, S. Boubacar, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM.  

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56  

Tableau 3 Avantages et limites du warrantage

Avantages Limites

Sécurisation des prêts octroyés par IMF Nature des produits à stocker

Sécurisation du stock Coût de stockage et autres risques

Haut degré de liquidité du stock N’intéresse pas les grands producteurs

Vente des récoltes différée Prix doivent atteindre un niveau supérieur au

coût du crédit

Sécurité alimentaire Le système favorise la spéculation

Diversification des activités durant la période

de soudure

Importation massive liée à la baisse du prix

mondial

Participation des producteurs dans la fixation

des prix

Les prix baissent au niveau national

Préparation campagne à venir Intervention État dans la fixation prix

Cette technique semble donc prometteuse. Selon S. Boubacar, « Les IMFs trouvent

que le warrantage est actuellement le type de crédit le plus sur en milieu rural. Il améliore

simultanément leurs encours de crédit, leur taux de recouvrement et leur taux de

pénétration. » Cette conclusion ne vaut pas que pour le cas du Niger, le warrantage se

développant dans l’Afrique de l’Ouest en conservant ces avantages comme l’explique l’article

de ROPPA86.

3) La microassurance, une stratégie de réduction des risques ex-post.

La microassurance s’est développée en suivant la logique des assurances agricoles et

est considérée comme la suite logique du microcrédit.

La microassurance est définie par l’International Association of Insurance Supervisors (IAIS)                                                                                                                86  Le warrantage et les bourses agricoles au cœur des stratégies de développement du secteur agricole et de sécurité alimentaire, ROPPA, Réseau des Organisations Paysannes & de Producteurs de l’Afrique de l’Ouest, 2010.    

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57  

et la Consultative Group for Assiting the Poor (CGAP) par « une assurance accessible à la

population à faible revenu, fournie par une variété d’entités différentes, mais mise en œuvre

conformément aux pratiques d’assurance généralement admises (...). Cela signifie notamment

que le risque assuré dans le cadre d’un contrat de microassurance est géré sur la base des

principes d’assurance et financé par des primes. »

La microassurance consiste donc à fournir une assurance agricole aux petits producteurs,

générant de faibles revenus, dans les pays du sud. Elle a de nombreuses caractéristiques

communes à l’assurance agricole telle que proposée dans les pays du nord.

Les différences entre assurance agricole et microassurance agricole tiennent aux différents

marchés qu’elles ciblent.

J. Roth et MJ. McCord87 donne cette définition de l’assurance : « L’assurance peut être

décrite comme le remboursement à un individu ou à une entreprise de tout ou partie d’une

perte financière due à un événement ou à un risque imprévisible. Cette protection s’exerce

par le biais d’un mécanisme de mise en commun (ou pooling) : chaque personne vulnérable

au risque alimente le fonds en versant une petite somme d’argent (la prime). Le fonds est

ensuite utilisé pour dédommager les membres qui subissent une perte. Le principe de mise en

commun permet de percevoir une indemnité beaucoup plus élevée que la valeur des

paiements de primes effectuées par un membre. »

L’événement assuré, le montant de la prestation, le bénéficiaire et la durée de la couverture

sont les quatre éléments définis dans les polices d’assurance, c’est à dire le contrat légal

établit entre l’assureur et l’assuré.

Les principes énoncés dans l’encadré semblent logiques

en théorie mais sont moins clairs dans la pratique.

Prenons le principe « non contrôlable ». L’expérience et

la compétence de chaque agriculteur jouent un rôle sur la

gestion des risques. Par exemple, une épidémie peut être

liée aux mauvaises pratiques de soins accordés au bétail,

ce qui incombe à l’agriculteur, il peut donc en être le

déclencheur. Par rapport à l’univocité, il s’avère  souvent

                                                                                                               87  La microassurance agricole: pratiques et perspectives mondiales, J. Roth, MJ. McCord, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM.  

 

Tout risque n’est pas assurable: il faut qu’il soit : - aléatoire, c’est à dire imprévisible. - peu probable et indépendant, il ne doit pas être en mesure de toucher tous les agriculteurs appartenant au même pool. Il doit être non covariant. - non contrôlable, l’assuré ne doit pas être en mesure de déclencher le risque. - univoque, facilement déterminable (et chiffrable) par l’assureur. Et enfin, la conséquence du risque doit avoir eu des conséquences financières négatives.  

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difficile d’évaluer les pertes agricoles parce qu’elles peuvent être dues à une combinaison

d’événements assurés et non assurés. Le risque covariant est l’une des principales

problématiques pour les assurances agricoles. Les caisses d’assurance protégeant une partie

de la population située sur un même territoire, en cas de catastrophes naturelles (sécheresse,

inondations, gels...), notamment climatiques, il est fort probable qu’elles touchent

simultanément toute la région et donc tous les agriculteurs-clients.

D’autres externalités ou logiques comportementales négatives peuvent influer sur les

microassurances agricoles : l’anti sélection, le fait que seuls les agriculteurs les plus à risque

fassent la demande d’être assurés, la fraude ou encore le risque moral (le statut d’assuré

encourage les comportements irresponsables ou indésirables)

Ces limites sont communes entre l’assurance et la microassurance agricole. Les défis

spécifiques à relever par la microassurance sont la multiplication de polices (permettant de

rentabiliser les primes) et la mise en place de produits peu couteux et peu complexes.

En effet, la microassurance étant destinée à des populations aux revenus faibles, les primes

versées par chaque assuré ne peuvent qu’être limitées, ainsi les institutions ont intérêt à

accroitre leur nombre de clients pour que les capitaux drainés soient tout de même importants.

Comme l’explique J. Roth et MJ. McCord88, « Pour atteindre le seuil de rentabilité ou

générer un profit, l’assureur doit vendre un nombre important de police ». Ainsi, les

organismes proposant de la microassurance ont intérêt à vendre à des groupes d’individus

plutôt qu’au cas par cas. De même la mise en place de produits peu couteux et peu complexes

permet de diminuer les frais de fonctionnement et de transaction et ainsi d’augmenter la

rentabilité des institutions.

Plusieurs types d’assurance sont possibles.

L’assurance des animaux concernant principalement la couverture de troupeau et non

d’animal particulier.

L’assurance de récoltes ; l’assurance des récoltes à risque particulier ou

l’assurance multirisques.

L’assurance indicielle est définit par J. Roth et MJ. McCord en ces termes : «L’assurance

indicielle est un moyen de protection contre le risque corrélé, tel que des événements

                                                                                                               88  La microassurance agricole: pratiques et perspectives mondiales, J. Roth, MJ. McCord, Exclusion et liens financiers, microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, FARM.  

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59  

climatiques extrêmes. (...) On ne peut à proprement parler d’ « assurance », car les pertes

individuelles ne sont pas évaluées, mais en lieu et place, ce système permet d’indemniser tous

les souscripteurs lorsque la variable indirecte, ou l’indice, réunit certaines conditions au sein

d’une même zone géographique. » Les prestations sont versées si les rendements de la récolte

d’une zone spécifiée deviennent inférieurs à un niveau donné. Ce type d’assurance est très

utilisé dans la microassurance, elle permet de réduire le risque moral et les couts d’estimation

de la perte pour les agriculteurs. Les nouveaux investissements et perspectives de

développement dans ce secteur privilégient l’assurance indicielle89. Cependant il entraine

aussi un « risque de base » c’est à dire une inadéquation entre le montant reçu et la valeur

réelle perdue par l’assuré. Il s’avère aussi très difficile de déterminer l’indice à utiliser, les

données météorologiques des pays en développement étant souvent non actualisées90.

Malgré les intérêts que la microassurance agricole peut avoir pour les agriculteurs dans

les pays en voie de développement, elle est peu répandue. J. Roth et MJ. McCord ont établi un

« paysage de la microassurance agricole », il en ressort qu’il y aurait seulement 122 produits

de microassurance dans le monde. Ces produits se divisent en deux, 26% sont des produits de

microassurance tels que décrit plus haut, 74% sont des produits de banques agricoles

accessibles aux agriculteurs à faibles revenus. Ils se répartissent entre les différentes régions

du monde en développement comme suit :

                                                                                                               89  Ibid  90  Assurance indicielle et warrantage, quels intérêts pour les petits agriculteurs? A Duffau et al, les éditions du Gret, 2011.  

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60  

Figure 4 Nombre de produits d'assurance accessibles aux exploitants agricoles à faibles revenus par région.

Sources : Agricultural microinsurance, Global practices and prospects, J. Roth, MJ. McCord, 2008

On voit donc que plus de 60% des produits de microassurance se sont développés en

Amérique Latine et dans les Caraïbes. Les auteurs spécifient que les explications d’un tel

écart entre le nombre de produits en Amérique Latine et dans les autres continents, ne sont

pas claires. Une des raisons soulevées est le fait que, en Amérique Latine, ces produits sont

souvent subventionnés par les gouvernements.

Le faible développement de la microassurance agricole dans les différentes régions91

serait du aux difficultés pour les institutions d’être viables et rentables sur le long terme. Par

exemple, l’analyse faite par J. Roth et MJ. McCord sur les assurances indicielles dans les pays

en développement souligne que très peu de projets sont passés du statut de projet pilote à

projet à part entière. Les programmes de microassurance agricole qui fonctionnent sont en

réalité subventionnés par les gouvernements et des bailleurs de fonds, à l’instar du programme

d’assurance nationale agricole du gouvernement indien (BASIX) dont le total des indemnités

correspondait environ à 5 fois le montant des primes. L’article de S. Ranjan conclue par

« l’obstacle majeur à leurs déploiements (ndrl : les microassurances) est le cout, qui devrait

être, par conséquent, subventionné par le gouvernement ». Un récent article d’A. Perrin-

                                                                                                               91  Bien que 60% des produits de microassurance soit en Amérique Latine et Caraibes, cela ne réprésente que 73 produits, on peut donc dire que sur l’ensemble des régions l’offre de service de microassurance reste faible.  

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61  

Janet92 montre les avantages et les défis des programmes nationaux d’assurances agricoles au

Brésil. En introduction, elle note que les couts engendrés par les Etats pour soutenir les

agriculteurs via des assurances sont largement récompensés par la réduction de l’endettement

des agriculteurs, jouant un rôle majeur dans l’économie du pays.

Malgré ces obstacles, il semble important de lier financement de l’agriculture et

microassurance, en promouvant cette dernière comme un « accès aux stratégies de

financement » ou « stratégies de réduction des risques » pour les agriculteurs.93

Conclusion

Ces nouveaux produits, bien qu’à l’origine pas spécialement conçus pour les IMFs, peuvent

facilement être appropriés par ces dernières et proposés à leurs clients.

Ils permettent de réduire les risques encourus par les IMFs dans le cadre du financement de

l’agriculture, il faut toutefois faire attention à ce qu’ils soient adaptés aux contextes

spécifiques. Ces produits sont très encourageants et prouvent que le financement des activités

agricoles peut être compatible avec des retours sur investissement positifs pour les IMFs.

                                                                                                               92  L’assurance agricole climatique au Brésil : un modèle en construction ; A. Perrin-Janet, juillet 2013, FARM. 93 Microinsurance innovations in rural finance, M. Wiedmaier-Pfister, B. Klein, Brief 12 in Innovations in rural and agricultural finance, IFFPRI, 2010.    

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62  

B) L’approche de filière ; une nouvelle stratégie de financement considérant une

approche plus macroéconomique du problème de financement en zone rurale.

L’approche filière ou « value chain » est largement poussée par les anglosaxons qui

voient en ce nouveau concept la résolution aux problèmes de financement du secteur agricole

(tels que nous les avons vu dans la première partie).

Une définition du concept de l’approche de filière pour l’agriculture peut être la suivante:

« approche qui couvre l’ensemble des activités et des participants impliqué dans le processus

de transformation agricole, du champs de l’agriculteur à la table du consommateur »94.

1) L’approche filière : principes et schéma conducteur.

L’approche filière part du principe que les différents acteurs de la chaine de valeur

sont interdépendants. Cette approche offre une opportunité de réduire les couts et les risques

du financement de l’agriculture et d’atteindre les petits producteurs (souvent situés en bas de

la chaine de valeur). On considère deux types de financement dans la chaine de valeur95 :

- Financement interne : ceux qui ont lieu au sein de la chaine de valeur. Par exemple quand

un fournisseur d’intrants octroie un crédit à un agriculteur.

- Financement externe : ce sont les financements octroyés par des acteurs extérieurs à la

chaine de valeur mais rendu possible par cette dernière. Par exemple, quand une institution de

microfinance octroie un prêt à un fermier sur la base d’un contrat avec un acheteur.

De plus cette approche renforce la qualité et l’efficacité des filières agricoles en 96 :

- identifiant les besoins de financement pour renforcer la chaine de valeur

- adaptant les produits financiers aux besoins des participants de la chaine

- réduisant les couts de transaction

- utilisant les liens et les connaissances développés par la chaine de valeur pour limiter les

risques des différents partenaires.

                                                                                                               94  Agricultural value chain finance, Rodolfo Quiros, summary of the conference “agricultural value chain finance », 2006. 95Agricultural value chain, finance strategy and design, technical note, IFAD, 2012. 96 Agricultural Value Chain Finance, Tools and Lessons, C. Miller and L. Jones, FAO, 2010.  

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L’USAID97 retrace l’offre et la demande de financement au sein d’une chaines de valeur :

Tableau 4 Offre et demande de financement au sein d'une chaine de valeur.

Au vu de ce que nous avons étudié dans les parties précédentes, on comprend en quoi

chacune des parties prenantes de la chaine de valeur sont complémentaires. Les institutions de

microfinance offrent des services financiers aux petits agriculteurs mais aussi aux associations

de producteurs, aux fournisseurs d’engrais et aux commerçants et transformateurs locaux. Ces

services peuvent être des crédits de court, moyen, long terme, selon le contexte mais aussi des

crédits-bail ou des assurances (via des organismes de microassurance notamment). Les IMFs

adaptent leurs services selon les besoins des différents acteurs. Les acteurs quant à eux, ont

principalement besoin de financement avant récolte (producteurs, fournisseurs d’engrais) ou

                                                                                                               97  Value chain finance, Rural and Agricultural Finance Initiative (RAFI) notes, issue 2, USAID  

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de financement à l’export (association de producteurs, commerçants locaux). Cela sera

expliqué plus en détails dans la seconde partie de cette analyse. Enfin les besoins de

récépissés concernent le cas du warrantage comme nous l’avons vu plus haut.

Ce schéma montre en quoi l’offre et la demande de services financiers à l’échelle

d’une filière sont complémentaires. Cela peut être un élément de réponse à la difficulté de

satisfaire les besoins spécifiques des agriculteurs. Si les IMFs envisagent des financements

dans le cadre d’une demande plus large que celle des seuls producteurs alors l’offre et la

demande semblent s’équilibrer. Il s’agit d’avoir un point de vue plus macro.

Cependant, ce schéma ne montre pas en quoi cette chaine de valeur permet de limiter les

risques d’impayés et de réduire les couts de suivi pour les IMFs. Nous allons voir cela grâce à

une étude de cas, au Pérou sur le financement de la filière café.

2) Etude de cas du financement de la chaine de valeur « café » au Pérou.

Le programme CUMIP98 a vu le jour en 2006 au Pérou, financé par UsAid; il doit

permettre aux petits agriculteurs ruraux d’accéder aux crédits. Pour éviter, ou tout du moins

limiter, les risques vus dans la partie ci-dessus, le projet a décidé d’adopter une « approche

globale de financement de filière ». Cela consiste à « travailler avec neuf coopératives de

crédit pour améliorer leur performance financière et l’adéquation de leurs conditions

d’épargne et de crédit, faciliter les liens de marché pour accroître la compétitivité de la

filière et créer un réseau d’agences pour diminuer les coûts de transaction. »99

Un partenariat a été mis en place avec la coopérative Santo Cristo de Bagazan qui

regroupe de nombreux producteurs ou associations de producteurs de café dans la région de

San Martin. Après une évaluation initiale des difficultés rencontrées par les acteurs ruraux, il

a été décidé d’aider le financement d’une association ayant un accord de vente avec un

acheteur. Pour cela deux types de crédit ont été proposés :

- Un crédit à la production pour les agriculteurs, devant leur permettre de financer leur

récolte (notamment le surplus de liquidités nécessaire pour une récolte dite biologique). Ce

crédit à une échéance de 6 à 9 mois et le taux d’intérêt est de 2% par mois. Il est garanti par

des commandes ou un titre de propriété. Des formations techniques sur les critères à respecter

pour répondre à une agriculture « biologique » sont fournies par des assistant(e)s techniques,

                                                                                                               98  CUMIP: Credit Union Market Integration Program  

99  Expériences innovantes dans le financement des filières (2) : la méthodologie WOCCU au Pérou, H. Schiff and J. Stallard, AMAP microReport, 2009  

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financé par la coopérative.

Un projet du même type en Bolivie, pour le financement des cultures de café, a mis en place

un crédit « avance sur commande », qui de par son appellation est assez clair.100

- Un crédit commercial a été proposé à l’association devant lui permettre de payer les

producteurs dès la livraison, avant de recevoir le paiement de l’acheteur. Ce crédit a une

échéance de 1 mois et un taux d’intérêt de 2.2% par mois. Il est garanti par l’engagement à

fournir le produit.

Une telle approche permet de limiter deux types de risques vus plus haut : la difficulté

de suivi de l’utilisation des prêts et les impayés. Pour le suivi des clients, la coopérative

s’appuie sur l’association de producteurs, les assistants techniques et le(s) vendeur(s). Ces

différents acteurs de la filière s’assurent du suivi de la production, chacun ayant un intérêt

spécifique à son bon déroulement. Le coût et la charge du suivi sont réduits pour la

coopérative de crédit. Au niveau des impayés, le fait que tout ou partie de la production soit

promise à un acheteur est une bonne garantie. La coopérative peut même, dans certains cas

recevoir directement le remboursement des prêts par les acheteurs, une fois que ceux-ci ont

reçu leurs commandes. On appelle ce type de mécanisme des remboursements « intégrés ».

C’est aussi ce que préconise l’approche Rabobank101 ; l’acheteur paye l’agriculteur

directement via l’IMF, ce qui permet de rembourser son crédit puis d’alimenter le compte de

l’agriculteur. Ainsi le risque d’impayés, avant encouru par l’agriculteur et l’IMF, se

transforme en risque de « performance » suivi par l’agriculteur et l’acheteur.

Un point important pour le succès d’une telle organisation est que le produit doit

correspondre aux attentes des acheteurs, il est donc important qu’acheteurs et producteurs

dialoguent entre eux en amont pour se mettre d’accord sur les conditions d’achats et de

ventes. On remarque aussi l’importance du rôle des organisations professionnelles agricoles

dans ce type de financement.

Une limite peut être soulevée, cette approche ne résout pas le problème des aléas

climatiques qui peuvent endommager tout ou partie de la production. Cette limite n’est pas

soulevée par le document de H. Schiff et J. Stallard, elle est cependant primordiale. Une telle

approche semble donc gérable que sur des productions considérées comme peu enclines aux

                                                                                                               100  “Lorsque l’agriculteur reçoit une commande de produit de la part d’un client, le prêteur avance les fonds nécessaires à la pro- duction, à l’emballage et à l’acheminement de la commande.” Purchase order finance in Bolivia, Innovations in financing value chains, H. Schiff, J. Stallard, AMAP, 2009. 101  Rural banking in Africa: The Rabobank approach, G. Van Empel, Innovations in rural and agriculture finance, IFFPRI, 2010  

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aléas climatiques ou autres risques non contrôlables. L’approche du financement par la filière

est donc souvent cantonnée aux filières « historiques » d’une région, tel que le coton en

Afrique de l’Ouest ou le café en Amérique Latine102. L’approche filière reste souvent

cantonnée aux filières dites équitables, apportant une forte plus-value aux produits103. Il serait

profitable de généraliser ce processus en tenant compte des expériences passées.

Une dernière limite peut venir de l’interdépendance des acteurs, en cas de crise dans la filière,

cela entraine des situations difficiles pour tous les acteurs.

Conclusion :

Ces différentes évolutions dans la réponse des IMFs aux besoins des agriculteurs

semblent prometteuses. Ces évolutions ayant fait l’objet de nombreuses recherches, rapports,

on peut espérer que les prochaines mises en œuvre s’appuieront sur la bibliographie déjà

existante et notamment sur les leçons tirées des expériences précédentes.

Toutefois, il ne faut pas oublier que le fonctionnement (ou non) de toutes ces avancées

techniques et de ces produits innovants restent très souvent lié à l’adéquation entre la

technique utilisée et le contexte local104. Chaque contexte a ses problématiques et ses

opportunités, il faut prendre en compte tout cela avant de mettre en œuvre les solutions

envisagées. Pour cela, les phases d’évaluations initiales de l’environnement local sont très

importantes.

Conclusion de la deuxième partie :

Le financement de l’agriculture est donc une opération risquée, demandant de fortes

connaissances sur le sujet. Les besoins des exploitants agricoles sont néanmoins réels et

nécessitent que l’on se penche sur la question. Les nouvelles approches laissent présager des

innovations intéressantes et plus proches des besoins des agriculteurs. Cependant nombre

d’IMF sont toujours découragées face aux risques et aux couts de financement des zones

rurales, qui jouent fortement sur leur pérennité financière. Cela repose la question de

l’adéquation possible entre performances financière et vision sociale des IMFs105, qui est

particulièrement prononcée en milieu rural. En effet, rendre possible l’accès des exploitants

                                                                                                               102  Evolutions récentes dans l’offre et les stratégies de financement de l’agriculture, C. Lapenu, Cerise, Décembre 2007.  103  Ibid  104  Purchase order finance in Bolivia, Innovations in financing value chains, H. Schiff, J. Stallard, AMAP, 2009.  105  Performance sociale versus performance financière des institutions de microfinance, I. Berguiga, 2008  

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agricoles aux services financiers ne peut pas se faire au dépend de la pérennité financière des

IMFs.

Alors se repose la question des subventions à l’agriculture par les gouvernements, qui reste

ouverte106 et semble souvent la seule solution pérenne pour une offre de services financiers

accessibles à tous. Toutefois, il ne faudrait pas retomber dans les mêmes schémas non-

efficaces des années 60-70 tel que nous l’avons vu dans l’introduction. Ces subventions sont

une réalité dans certains pays émergents tels que l’Inde, le Brésil, la Turquie ou la

Thaïlande107, bien que ces pratiques soient fortement combattues par l’OMC en raison du

principe de libre-échange (mais autorisé pour la majorité des pays du Nord...). Cependant de

telles interventions restent très peu probables dans un grand nombre de pays en

développement ou les finances étatiques restent faibles. Ainsi le secteur rural a besoin des

IMFs, étant pour l’instant les seules à apporter une réponse de grande ampleur aux problèmes

d’exclusion financière. Il s’agirait donc de faire du lobby auprès de ces dernières en leur

démontrant que, via les nouvelles stratégies de financement et les nouveaux produits vus ci-

dessus, elles peuvent allier financement de l’agriculture tout en gardant une trésorerie

positive.

Dans une troisième partie, nous allons étudier un cas concret ou le financement de

l’agriculture a mis en difficulté une IMF. Nous verrons aussi comment certains des produits

innovants étudiés ci-dessus ont pu être une solution à ces difficultés de financement.

                                                                                                               106  Voir Quelles politiques publiques pour améliorer durablement la contribution de la microfinance a l’agriculture?, F. Doligez, B. Wampfler,    107  Les subventions agricoles des pays émergents: incompatibles avec les règles de l’OMC?, centre d’études et de prospective, veille n°51, 2012.    

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PARTIE III : ETUDE DE CAS, LA MECFEPRODES :

LE LIEN CONCRET ENTRE IMPAYES ET FINANCEMENT DE L’AGRICULTURE.

Au Sénégal, l’Etat a accompagné le processus de microfinanciarisation108 de

l’économie depuis les années 90. Suite à la crise bancaire des années 80-90, l’Etat et les

bailleurs de fond se sont lancés dans un assainissement du secteur. Ils ont mis en avant la

microfinance comme instance prioritaire permettant de financer les plus pauvres dans leurs

activités. Ainsi le secteur de la microfinance, dès les premières institutions, a été encadré par

l’Etat. Cela a permis un suivi du secteur par les autorités et a limité les risques de crises, les

institutions de microfinance, sous convention cadre, doivent faire l’objet d’audit externe. Les

différentes institutions étatiques donnent un cadre pour la protection des épargnants et des

déposants.

La loi sénégalaise a institué le terme Système Financiers Décentralisés (SFD) pour désigner

les différentes formes d’IMFs, nous utiliserons donc ce terme dans cette partie.

Ce cadre légal, bien qu’instituant certaines normes à respecter, a permis une croissance

importante du nombre de SFD en peu de temps. Le taux de pénétration de la population totale

est passé de 5% à 13% entre 2003 et 2012109. Ceci a entrainé les conséquences que nous

avons pu voir dans le première partie (concurrence importante, dégradation des

portefeuilles....). Le ratio du portefeuille à risque (PAR) à 90 jours des SFD dépasse souvent

la norme réglementaire de 3%, notamment dans les trois grands réseaux110. De plus, il est

important de comprendre que le secteur de la microfinance n’a pas remplacé les autres

sources de financement des ménages. Les tontines par exemple restent très présentes au

Sénégal pour des raisons socioculturelles. Mais la microfinance a donné aux ménages la

possibilité de se financer via le secteur formel.

Bien que le secteur ait entrainé une forte dynamique de financiarisation de l’économie, un

secteur reste particulièrement délaissé : le secteur agricole. Les SFD financent principalement

des zones urbaines. En 2010, la région de Dakar mobilise 45% de l’encours de dépôts et 43%

                                                                                                               108  On entend par processus de microfinanciarisation, l’importance prise par la microfinance dans le secteur économique et bancaire.    109  www.microfinance.sn  110  Crédit Mutuel du Sénégal ; PAMECAS et ACEP.  

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de l’encours de crédit.111 En outre, on note que la majorité des crédits octroyés sont utilisés

pour des activités commerciales. Le financement de l’agriculture, comme nous l’avons étudié

dans la deuxième partie, fait face à des difficultés (risques importants, éclatement

géographiques des clients). Les IMFs cherchant à s’assurer un PAR faible ne se lancent pas

dans le financement du secteur agricole, considéré comme trop risqué.

Cependant, l’objectif de l’Etat est d’intégrer la microfinance au secteur financier global tout

en gardant son caractère social. La volonté des autorités est de faire de la microfinance un

outil de développement économique et social. Les rapports et colloques émanant du

gouvernement concluent souvent sur la nécessité de financer le monde agricole, de trouver

des produits financiers adaptés aux besoins des populations rurales112. Les bailleurs de fonds,

soutenant l’action du gouvernement ou des différents SFD poussent aussi dans ce sens113.

Ainsi plusieurs SFD, à l’aune de la MecFEPRODES, se sont lancées dans le financement

agricole et sont confrontées aujourd’hui aux problèmes que nous avons pu voir dans la

deuxième partie. Le défi est de rester rentable tout en aidant les agriculteurs dans leurs

activités.

Nous allons voir comment le gouvernement a mis en place un cadre légal structurant. Puis

nous étudierons plus spécifiquement le cas de la MecFEPRODES, les difficultés qu’elle

rencontre depuis 2004 avec la montée des impayés, notamment dans le secteur agricole et ses

initiatives pour endiguer le problème.

                                                                                                               111  Etats des lieux sur le secteur de la microfinance au Sénégal, Expériences de microfinance au Sénégal, F. Doligez, F. Seck Fall, M. Oualy, 2012 112 Compte-rendu de l’atelier de restitution de l’évaluation finale du Programme d’Appui a la Lettre Politique Sectorielle de la microfinance, Direction de la Microfinance, septembre 2012. Enjeux et défis, Le portail de la Microfinance au Senegal, MFEEF. 113 Le Canada souhaite lancer un Projet d’Appui a la Finance Rurale, qui devrait démarrer en 2014, Revue conjointe du programme de coopération entre le Sénégal et le Canada, Direction de la Microfinance, juillet 2013. Evaluation finale du programme cadre UE/ACP sur la Microfinance, Rapport final, Janvier 2012.  

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I- Contexte général du Sénégal et méthode de collecte de données Nous étudierons dans cette partie, l’émergence puis le renforcement du secteur de la

microfinance au Sénégal. Ensuite nous verrons les caractéristiques de la MecFEPRODES, en

tant que mutuelle d’épargne et de crédit. Enfin nous verrons dans quel cadre les informations

utilisées ont été récoltées.

A) La microfinanciarisation de l’économie sénégalaise.

L’Etat s’est rapidement investit dans les activités de microfinance y voyant un outil de

développement efficace pour les populations sénégalaises. L’encadrement du secteur par

l’Etat a permis le développement « d’une vision commune, d’un cadre définissant les modes

opératoires et (...) la mise en cohérence et l’harmonisation des interventions des différents

acteurs. »114. Cela a limité les dérives possibles dans le secteur (comme nous avons pu les

voir dans la première partie), notamment au niveau du respect des objectifs sociaux des

institutions de microfinance. On peut toutefois se demander si les trois grands réseaux

répondent réellement à des logiques sociales plutôt que financières.

1) Des années 1990 à 2004, une restructuration nécessaire du secteur.

Suite à la crise bancaire qui a frappée toute la zone de l’Afrique de l’Ouest durant les

années 80-90, le Sénégal a lancé un vaste programme d’assainissement du secteur sous

l’impulsion de la BCEAO. En effet, suite à la crise les principales banques sénégalaises ont

été restructurées, huit ont été liquidées (cinq du secteur public, trois du secteur privé), les

autres se sont réorganisées pour répondre à des logiques purement commerciales.

De plus, la principale banque de développement du Sénégal s’est recentrée vers une clientèle

spécifique : sociétés d'État, import-export, zones et cultures d'exportation, aménagements

hydro-agricoles.115 Ainsi, les petites et moyennes entreprises et les ménages ayant peu ou pas

de garantie n’ont pas pu accéder au système financier formel. Elles se sont tournés vers le

secteur informel tel que les gardes de monnaies, l’épargne associative, les tontines...116.

Comme l’explique M. Lelart, le secteur informel s’est avéré être le seul type de financement

envisageable pour ces ménages pauvres, ne payant ainsi pas de frais de gestion et ne devant

pas donner de garantie au préalable. Le secteur informel est définit par H. de Soto comme,                                                                                                                114  Etats des lieux sur le secteur de la microfinance au Sénégal, Expériences de microfinance au Sénégal, F. Doligez, F. Seck Fall, M. Oualy, 2012 115 (Doligez, Gentil, 1996). 116 Voir M. Lelart, De la finance informelle à la microfinance, Agence universitaire de la Francophonie.    

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«l'ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de la législation pénale,

sociale ainsi que fiscale et qui échappent à la comptabilité nationale» 117. Il donne une

définition large du secteur informel en le montrant comme « illégal » face à l’Etat et ses

réglementations. En se finançant via le secteur informel, les ménages ne peuvent avoir recours

à l’Etat et à son droit en cas de litiges, ce qui peut être très risqué pour eux.

Face à cela, l’Etat sénégalais a souhaité encourager l’émergence de systèmes de

financements alternatifs, tel que la microfinance. Les différentes formes d’institutions de

microcrédit sont désignées au Sénégal sous l’appellation de Systèmes Financiers

Décentralisés (SFD). Cela comprend les réseaux, mutuelles d'épargne et de crédit,

groupements d’épargne et de crédit et autres structures signataires de Convention-cadre. Les

SFD sont régis selon la loi n°2008-47 du 03 septembre 2008 et le décret n°2008-1366118.

Plusieurs dispositions ont été mises en place pour encadrer l’essor de la microfinance.

C’est le cas notamment du projet ATOMBS (Projet d’Assistance Technique aux Opérations

Bancaires Mutualistes du Sénégal) en 1990. Puis de la Cellule d’Assistance Technique aux

Caisses Populaires d’Épargne et de Crédit AT/CPEC en 1992 devant assurer la tutelle du

ministre de l’économie et des Finances sur les institutions de microfinance (IMF).

On peut identifier une deuxième période dans l’histoire de la microfinance au Sénégal avec

l’avènement de la loi –cadre dite PARMEC qui fut adoptée en 1995. La loi se fixe les

objectifs suivants119 : protection des déposants, sécurité des opérations, recherche

d’autonomie financière des SFD et intégration de la finance informelle dans le cadre légal. La

loi régule notamment les institutions mutualistes d'épargne et de crédit qui se trouvent placées

sous tutelle du ministère des Finances. L'obtention de l'agrément leur confère la personnalité

morale en contrepartie duquel elles sont tenues de communiquer un ensemble d'informations

et de se soumettre au contrôle et aux règles prudentielles des autorités.

La mise en place de ce cadre juridique a entrainé une croissance fulgurante dans le secteur.

On est passé de 18 SFD en 1995 à 258 au 31 décembre 2011, repartis comme suit : 13 réseaux

                                                                                                               117  La définition du secteur informel a fait l’objet de nombreuses études comme le montre Les origines du concept de secteur informel et la récente définition de l’emploi informel, J. Charmes, Banque mondiale, 2004. Ici nous retiendrons celle parue dans L'économie informelle avenir du tiers monde?, H. De Soto, Revenue alternatives économiques, n 122, 1994. 118 République du Sénégal, loi n°2008-47, 03/09/2008, portant réglementation des Systèmes Financiers Décentralisés. République du Sénégal, décret n°2008-1366, 28/10/2008, portant application de la loi relative à la réglementation des Systèmes Financiers Décentralisés au Sénégal. 119 Loi n*95-03 du 5 janvier 1995 portant sur la réglementation des institutions mutualistes ou coopératives d’épargne et de crédit, République du Sénégal.  

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de microfinance, 3 sociétés commerciales (Microcred, Saint Louis Finances et Microsen) et

222 MEC120.

2) La Lettre de Politique Sectorielle de la Microfinance, appui de l’Etat pour faire de la

microfinance un véritable outil de développement.

Cette forte croissance a entrainé des effets négatifs, comme nous avons pu l’expliquer

dans la première partie. On été relevé notamment des problèmes de gouvernance et

l’insuffisance du contrôle interne, la relative dégradation du portefeuille, la faible

performance des systèmes d’information de gestion...

Ainsi, depuis 2003, l’État sénégalais a pris des mesures importantes traduisant sa volonté de

faire de la microfinance un véritable outil de développement économique et social. En 2003,

un Ministère en charge de la promotion et du développement de la microfinance a été créé : le

Ministère de la Femme, de l’Enfant et de l’Entrepreneuriat Féminin (MFEEF) et en son sein

la Direction de la Microfinance. Cette dernière assure l’élaboration et la mise en œuvre de la

politique générale du Gouvernement en matière de microfinance.

En 2004, une Lettre de Politique Sectorielle de la microfinance (LPS/ MF)121 ou

Stratégie nationale de développement de la microfinance, fixe les orientations du secteur.

L’élaboration de la LPS/MF témoigne de l’engagement de l’État pour ce secteur dont le

développement devrait permettre de mettre en place un cadre concret d’appui à la stratégie de

promotion des micro et petites entreprises, d’appui au développement, de réduction de la

pauvreté et de mobilisation des ressources internes et externes pour le développement. Le

processus d’élaboration de la Lettre Sectorielle s’est fait en concertation avec les différents

acteurs de la microfinance (les pouvoirs publics, les services financiers décentralisés, les

partenaires bailleurs de fonds et le secteur privé), c’est donc le résultat d’une action concertée

prouvant la volonté des acteurs de mettre en place une politique commune et plus efficace en

la matière. A l’issu du processus participatif, les acteurs du secteur ont validé le document de

politique sectorielle, sa stratégie et son plan d’action quinquennal (2005-2010) lors d’un

atelier national en décembre 2004.

L’objectif général de la LPS est de « favoriser l’accès à des services de microfinance

viables et durables à une majorité des ménages pauvres ou à faibles revenus et des micro -                                                                                                                120  Etats des lieux sur le secteur de la microfinance au Sénégal, Expériences de microfinance au Sénégal, F. Doligez, F. Seck Fall, M. Oualy, 2012 121 République du Sénégal, Document actualisé de politique sectorielle de la microfinance et plan d’action (2005-2010).  

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entrepreneurs sur l’ensemble du territoire d’ici à 2015, grâce à des institutions de

microfinance (IMF) viables s’intégrant dans le système financier national ». La vision

commune partagée par les acteurs est de « disposer d’un secteur de la microfinance

professionnel, viable et pérenne, diversifié et innovant, intégré au secteur financier, assurant

une couverture satisfaisante de la demande du territoire et opérant dans un cadre légal,

réglementaire, fiscal et institutionnel adapté». La LPS s’est fixé 4 grands axes stratégiques :

- (1) L’amélioration de l’environnement légal et réglementaire pour un développement

sécurisé du secteur.

- (2) Un cadre institutionnel permettant une gestion articulée et concertée du secteur et de la

politique sectorielle.

- (3) Une articulation renforcée entre IMFs et Banques, favorisant le financement des MPE et

PME, et une intégration du secteur de la microfinance au secteur financier.

- (4) Une offre viable et pérenne des produits et services adaptés, diversifiés et en

augmentation, notamment dans les zones non couvertes par des SFD professionnelles.

Une réactualisation du plan d'action de la LPS a démarré en 2008 et se poursuivra jusqu'en

2013. Elle porte sur :

- Au niveau de l'axe stratégique 2, l'introduction d'actions et de modalités relatives à la

création d'un partenariat durable entre SFD et prestataires de services non financiers,

l'encouragement à la mise en réseau des institutions non affiliées ;

- Au niveau de l'axe stratégique 3, l'introduction d'un troisième résultat relatif à la mise en

place de mécanismes facilitant l'accès des PME et SFD aux différentes sources de

financement ;

- Au niveau de l'axe stratégique 4, l'introduction d'une action relative au renforcement de la

communication sur le secteur par l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan de

communication sectoriel.

Approuvée par le Gouvernement du Sénégal en avril 2005, le plan d’action de la LPS a

également reçu le soutien des partenaires bailleurs de fonds à l’issue d’une table ronde des

bailleurs organisée à la même période. Ceux-ci se sont engagés à soutenir la réalisation du

plan d’action en finançant les 20,8 milliards FCFA du budget.

Pour mettre en cohérence les interventions dans le secteur et assurer le suivi-évaluation de la

mise en œuvre du plan d’action, un Comité National de Coordination des activités de

microfinance (CNC) a vu le jour en 2004. Ce comité a notamment durci les critères

permettant la reconnaissance des GEC (groupements d’Epargne et de Crédit) en tant que

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telles122. Ces GEC sont passés de 404 en 2004 à 315 en 2005.123 Une évaluation124 finale a

été réalisée au second semestre 2012. Elle souligne une bonne pertinence et une efficacité

générale du dispositif de mise en œuvre. Le plan d’action de la LPS a su s’intégrer aux

priorités nationales. Cependant plusieurs recommandations ont été formulées, entre autres ;

« prendre en charge le financement du monde rural par le renforcement du financement des

SFD ruraux et l’appui aux initiatives locales, notamment celle promues par les Organisations

Paysannes », « poursuivre le processus de professionnalisation des SFD », « diversifier les

produits en fonction du ciblage et du maillage effectués (microassurance, mobile banking) ».

Le Plan d’Action de la Lettre Politique Sectorielle a été prolongé pour une période d’au

moins 12 mois (2012-2013).

Conclusion

L’Etat sénégalais a donc poussé et organisé l’émergence du secteur de la microfinance

depuis le milieu des années 90. Il a été supporté par de nombreux bailleurs de fonds,

notamment depuis l’avènement de la microfinance sur la scène internationale dans les années

2000. Les deux principaux défis du secteur, selon le MFEEF, sont la professionnalisation des

SFD et le développement de produits attractifs et durables, notamment en milieu rural.

B) Les caractéristiques de la MecFEPRODES: son ancrage dans la région et la prévalence

de ses buts sociaux.

La MecFEPRODES est connu dans la région de Saint Louis et plus largement dans la

Sénégal. Elle est reconnue pour son expertise dans le domaine agricole de la région de Saint

Louis. Son ancienneté et ses projets à buts sociaux, lui ont permis de gagner la confiance de

sa clientèle cible.

1) La MecFEPRODES, mutuelle pionnière dans la région de Saint Louis.

La Fédération de groupements et associations de femmes productrices de la vallée du

fleuve du Sénégal (FEPRODES) a été lancée en 1997 sous l’impulsion de Madame Cissé pour

financer les femmes du delta du fleuve du Sénégal dans leurs activités agricoles notamment.

                                                                                                               122  Afin que le secteur reste gérable par le gouvernement, celui-ci a durci ses critères notamment ceux envers « de grosses tontines améliorées » que l’on pouvait retrouver dans ces GEC. 123 Rapport d’activités de la cellule AT/CPEC 124 Compte-rendu de l’atelier de restitution de l’évaluation finale du Programme d’Appui à la Lettre Politique Sectorielle de la microfinance, Direction de la Microfinance, septembre 2012.  

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75  

La MecFEPRODES a été créée à partir des cotisations de 50 FCFA de 50 femmes. Elle est

promue Mutuelle d’Epargne et de Crédit (MecFEPRODES) dans le cadre de la loi PARMEC en

1999.

L’histoire de la région a entrainé une répartition des parcelles agricoles entre les

hommes, chefs des ménages, laissant les femmes en dehors des décisions. Bien que la

constitution sénégalaise de 2001 accorde aux femmes « un accès égal à la terre et aux

ressources naturelles », les pratiques foncières coutumières persistent. Ces traditions

consistent en une répartition des terres entre hommes. Ainsi, les résultats d’une étude menée

par le GESTES125, « montrent que 94,53% des ménages possédant une terre ont pour chef un

homme et 5,47% ont pour chef une femme. » Dans la vallée du fleuve Sénégal, 69.8% des

femmes affirment ne pas avoir accès à la propriété foncière.126 Cela ne signifie pas que les

femmes n’ont pas accès aux exploitations agricoles mais « cet accès consiste surtout en

permissions temporaires à cultiver de petits terrains. »127 N’étant pas propriétaire, les femmes

ont que très peu d’impacts sur les décisions prises et leur avis est rarement pris en

considération. Pourtant les femmes, sont souvent responsables des ressources alimentaires du

ménage128. En outre, S. Souleymane129 explique : « elles ont une plus grande propension que

les hommes à dépenser leurs surplus net pour l’alimentation familiales, l’habillement,

l’éducation et la santé des enfants. »

Face à cet inégal accès aux terres, les femmes ont développé des initiatives parallèles

et se sont constituées en organisations. Ces organisations se sont regroupées au sein de la

MEC. C’est dans ce contexte que la mutuelle s’est fixée ses objectifs :

- lutter contre la pauvreté qui s’est féminisée

- lutter pour l’accès à la terre, au crédit et la protection des ressources naturelles ;

-lutter pour la participation de la femme rurale à tous les progrès techniques dans l’élaboration

et la réalisation de toute politique nationale relative à l’agriculture et de toute autre activité

rurale.

                                                                                                               125  Les femmes et la terre, Groupe d’Etude et de Recherche Genre et Société (GESTES), Université Gaston Berger, Saint Louis, 2012. 126 Ibid 127  Ibid  

128 « Outre leurs rôle d’épouse et de mère, elles devaient souvent combler les défaillances du père de famille, remplacer le fils prodigue et incarner l’espérance des leurs. De toute façon, c’est toujours aux mères que les enfants réclament à manger. » F. Diome, Celles qui attendent, Flammarion, 2010. 129 Microfinance, pauvreté et développement, S. Soulama, AUF, 2005.  

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76  

La mutuelle compte aujourd’hui plus de 346 groupements et associations et plus de 38 000

femmes. D’abord ouverts qu’aux femmes, les activités de la mutuelle se sont élargies aux

hommes, en 2004.

Sa mission est définie de la manière suivante : « Contribuer à la réduction de la pauvreté en

offrant des produits et services financiers et non financiers adaptés aux besoins des

populations, en particulier les femmes et micro-entrepreneurs ». En outre, les buts sociaux

que s’est fixé la mutuelle sont les suivants :

Tableau 5 Buts et objectifs sociaux de la MecFEPRODES

Buts sociaux Objectifs sociaux, dans chacune des trois prochaines années

(2010-2013) :

Sélection :

Les femmes et les jeunes micro-

entrepreneurs en particulier

1- Au moins 25% des nouveaux adhérents sont des jeunes micro-

entrepreneurs

2- 60% des nouvelles adhésions sont des femmes issues du monde rural

3- 55% des nouveaux membres sont en dessous du seuil de pauvreté

Satisfaction :

Offrir des produits et services

financiers et non financiers adaptés

1- 40% des bénéficiaires de crédit ont reçu au moins une formation en micro-

entreprise

2- 70% des bénéficiaires de crédit sont des femmes

3- 50% du portefeuille de crédit est détenu par les femmes

4- 25% du portefeuille de crédit est détenu par des jeunes micro-

entrepreneurs

Dépassement :

Contribuer à la réduction de la

pauvreté

1- 30% des bénéficiaires de crédit ont vu leur épargne volontaire progresser

d’au moins 10%

2- 40% des anciens clients femmes rurales bénéficiaires de crédit

franchissent le seuil de pauvreté au bout de 5 ans

 

Source : Appui à la mise en place d’un système de gestion des performances sociales (GPS), audit externe, 2010. La mutuelle s’est aussi dotée d’une fondation FEPRODES permettant de mettre en place

des projets innovants et pionniers, notamment pour sécuriser la filière riz. La fondation est

soutenue par différents bailleurs de fonds (Usaid, Oikocrédit, Grameen Crédit Agricole

Fondation), ce qui lui permet de mener des projets expérimentaux.

Pour atteindre ses objectifs, la mutuelle s’est dotée d’une Assemblée Générale, d’un conseil

d’administration et d’un bureau fédéral. Le siège de la mutuelle est situé à Saint Louis

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77  

(Département de Saint Louis), et des guichets se sont ouverts tout au long de la vallée du

fleuve. On en compte aujourd’hui 8 dans les deux autres départements de la région :

Boundoum, Gaé, Thiagar, Richard-Toll, Ross-Bethio (Département de Dagana), Fanaye,

Podor, Thillé Boubacar (Département de Podor). Ainsi la MEC est très ancrée sur le territoire

de la région de Saint Louis, ce qui lui donne une bonne connaissance du terrain et une

expertise sur l’agriculture et sa commercialisation, les principales activités exercées dans la

région.

2) Analyse croisée des produits de crédit proposés par la mutuelle.

La MecFEPRODES proposent plusieurs types de produits, selon le domaine d’activité, le

type de projet, la situation (stable, précaire...) du client. L’offre de crédit inclut des crédits

individuels et de groupe octroyés en milieu rural, péri urbain et urbain. Depuis toujours,

l’institution est particulièrement impliquée dans le soutien de la filière rizicole de la Vallée du

Fleuve Sénégal.

Le crédit le plus octroyé est le crédit de campagne, destiné au financement de la production,

de la transformation et de la commercialisation de produits agricoles (riziculture, maraichage,

agroforesterie, élevage, pêche et transformation de pêche).

La MecFEPRODES propose aussi le crédit d’équipement, destiné à l’achat de matériel agricole,

de transformation, de transport ou autres infrastructures. Il s’adresse aussi bien aux groupes

qu’aux individuels, qui désirent créer ou consolider leurs entreprises.

Le crédit commerce, accordé pour le financement des activités génératrices de revenus. Il

s’adresse aussi bien aux groupes qu’aux individuels.

Le crédit individuel, consacré aux individus souhaitant se lancer dans une activité génératrice

de revenus.

Enfin, le prêt Diamra, destiné a des personnes vulnérables, aux moyens très limités et

particulièrement aux femmes. Le renouvellement est rapide si le remboursement est régulier

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78  

Tableau 6 Les différentes caractéristiques des crédits proposés par la mutuelle

Crédit

Campagne

Crédit

Equipement

Crédit

Commerce

Crédit

individuel

Prêts

Diamra

Bénéficiaires Groupes de 5 personnes

Groupe ou individu

Groupe ou individu

Individu Individu

Plafond (en FCFA)

500 000 - 10 000 000

350 000- 4 000 000

350 000 - 5 000 000

50 000- 5 000 000

50 000

Echéance Rembourse- ment unique

Selon l’activité Rembourse- ment mensuel

Rembourse- ment

mensuel

Taux d’intérêt

1.7% mensuel dégressif

1.7% mensuel dégressif

1.7% mensuel dégressif

1.7% mensuel dégressif

1.2% mensuel non

dégressif

Durée du prêt Varie selon les campagnes

12 à 36 mois 6 à 12 mois 6 à 36 mois 10 mois

Différé Néant Selon l’échéance

1 mois, 2 mois pour

collecte, transformation et

commercialisation du riz local.

1 mois

Apport 10% du crédit sous forme d’épargne préalable

Entre 10 et 20% du crédit sollicité sous

forme d’épargne préalable

Groupe : 10% du crédit sollicité

sous forme d’épargne préalable.

Individus : 20%

Epargne préalable :

1/5 du crédit

Epargne préalable : 200FCFA par mois pendant 3

mois

Garantie Caution solidaire

Groupe : Caution

solidaire + nantissement

du prêt Individu :

valeur supérieur au

montant du prêt (titre froncier, nantissement

du prêt)

Groupe : caution solidaire

Individus : épargne

obligatoire de 6% du montant du

prêt

Nantissement du prêt ou être valisé

par une personne solvable Epargne régulière pendant 3

mois.

Depuis 2007, la mutuelle s’est dotée d’un système d’information de gestion informatisée,

permettant la production de données fiables et d’améliorer la gestion de l’ensemble de

l’institution (portefeuille, liquidité...).

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79  

La MecFEPRODES est financée par des cotisations des groupements et associations membres,

des bénéfices générés par des activités initiées et des dons et libéralités (bailleurs de fond,

projet gouvernementaux).

C) La méthodologie adoptée afin de récolter des informations au sein de la

MecFEPRODES

Les données reportées proviennent d’une collecte d’informations effectuée au sein de la

MecFEPRODES avec l’aide des agents de crédit. De nombreux documents ont été mis à ma

disposition durant les 2 mois et demi qu’auront duré mon stage. Enfin des discussions au sein

de la MecFEPRODES et dans le cadre de colloque avec des organismes partenaires m’ont

permis de faire une analyse personnelle de la situation.

Une enquête auprès des clients directement s’est révélée inenvisageable du fait que je ne parle

pas le dialecte Wolof. Cependant j’ai pu obtenir des informations sur leurs statuts par leurs

dossiers et sur leurs comportements par des interviews effectuées auprès des agents de

crédit.130 En effet, les différents agents de crédit de l’agence du siège de Saint Louis ont

accepté de me donner leur ressenti sur la situation actuelle de la MecFEPRODES, leur relation

avec les clients et sur les logiques comportementales des clients. Cette aide précieuse m’a

permis de mieux comprendre les enjeux de la situation, notamment sur les impayés et le

financement de l’agriculture.

Ces récoltes d’informations ne sont donc pas directement des « paroles de clients »,

cependant j’ai aussi suivi les agents de crédit sur le terrain dans le cadre de leurs actions de

recouvrement de crédit. Cela m’a permis d’avoir une vision plus précise des difficultés du

recouvrement, de la réaction des clients et des raisons invoquées sur les délais et retards de

remboursement. J’ai ainsi pu apprécier la diversité des cas et des difficultés rencontrées par

les clients dans l’exercice de leurs activités. Dans les missions de terrain, ma vision du

caractère social de la MEC s’est confirmée, les agents (contrairement à ceux en Inde)

cherchant d’abord à trouver une solution acceptable pour les deux parties avant d’en venir aux

« menaces » d’huissier et de justice131.

Les entretiens avec les agents de crédit m’ont aussi appris à dissocier le discours donné par les

clients de la réalité des faits. Il faut être conscient que certains des clients mènent un discours

                                                                                                               130  Annexe XX : grille d’entretien pour les agents de crédit. 131 A ce jour, aucun client n’a jamais été poursuivi en justice, des accords à l’amiable ont toujours été trouvés.  

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80  

type, cherchant à contourner le système et attirer la sympathie de l’agent de crédit, voire à le

manipuler. Toutefois, certains clients ont de vraies revendications à l’égard de la mutuelle. Il

est parfois difficile de discerner le vrai du faux et cela pose aussi la question de la légitimité et

de la subjectivité des agents de crédit à déterminer les bons des mauvais clients (et les

sanctions en découlant).

Les participations aux discussions sur les orientations et les projets futurs de la mutuelle

m’ont sensibilisée aux difficultés organisationnelles et politiques auxquelles elle doit faire

face.

J’ai aussi pu apprécier la dynamique des membres de l’équipe et notamment de

Madame Cissé à monter de nouveaux projets, à être innovant, à se réformer afin que la MEC

reste compétitive.

Enfin, la participation aux colloques sur le développement et l’organisation de la filière riz

m’a permis de voir les différentes actions menées dans la région de Saint Louis, les points

d’accords et de désaccords entre les organisations relevant de visions stratégiques différentes

sur le long terme. En effet, les différents organismes n’ont pas forcément la même idée du

développement durable, de la structuration de la filière riz du fait de leurs expériences

passées. D’ou l’intérêt de les capitaliser pour que les erreurs ne se reproduisent pas

indéfiniment.

Tout cela m’a permis de mieux comprendre la difficulté de conjuguer performances sociales,

organisationnelles et financières pour les IMFs.

Conclusion

La microfinance est bien implantée au Sénégal et de nombreux SFD se sont développés

sur des modes différents (mutuelle, ONG, réseaux...). Le gouvernement a largement

encouragé l’émergence du secteur. La Mec fait partie du réseau des SFD qui s’est développé

au Sénégal. La MEC est très ancrée dans la région et tient à son caractère social.

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81  

II- Quelles incidences l’augmentation des impayées a t elle sur les SFD ?

Pourquoi les impayés augmentent-ils ?

Depuis 2004, la MecFEPRODES voit ses impayés augmenter. Partie d’un taux de

remboursement quasi-parfait, la mutuelle voit depuis quelques années son taux d’impayés

augmenter et ce n’est que récemment que ce problème a été pris en compte et que des

solutions sont apportées. Son PAR à 30 jours est passé de 10% en 2004 à 35% en 2011

A) Une augmentation des impayés qui se révèle handicapante pour la MecFEPRODES et

qui correspond à une difficulté de conjuguer performances sociales et performances

financières.

Au sein de la MecFEPRODES, les impayées ont augmenté ces dernières années. Ces

hausses ont des conséquences déplorables sur le bon fonctionnement de la mutuelle et la met

en danger quant à sa viabilité financière. Cela révèle aussi les difficultés des SFD à concilier

leurs objectifs sociaux et financiers.

1) Le cas de la MecFEPRODES

Tout d’abord, selon la législation en cours au Sénégal, un système de financement

décentralisé ne peut avoir un PAR à 90 jour supérieur à 3% (de l’ensemble de son

portefeuille). De plus, selon la BCEAO pour qu’une institution financière soit viable, il faut

que son épargne soit double de son encours de crédit. A la MecFEPRODES, le taux d’impayés

est de 35%.

D’un point de vue comptable, on note les crédits jusqu’à 24 mois de retard comme crédits en

souffrance. Ce sont ces crédits qui sont comptabilisés dans le taux d’impayés. Les crédits

ayant plus de 24 mois de retard sont enregistrés comme crédits radiés, c’est à dire qu’ils

passent en perte, ils ne sont plus enregistrés comme impayés. Lors du recouvrement, l’argent

recouvré est comptabilisé comme un produit exceptionnel.

Les fonds propres sont composés des taux d’intérêts, des frais de gestion et de dossier

et des subventions des partenaires. Ces fonds propres doivent normalement être ré-investis et

permettre de financer les crédits futurs. En cas d’impayés trop importants les fonds propres

servent à provisionner les crédits passés en perte. En résumé les fonds propres sont utilisés

pour rembourser à la place des clients les dettes dues à la MecFEPRODES afin d’alléger le

portefeuille défaillant.

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82  

Pour faire face à ses « trous budgétaires », la MEC pourrait décider d’augmenter ses taux

d’intérêt ou de diminuer ses frais opérationnels mais cela ne serait pas congruent avec sa

politique sociale.

De ce fait, la MecFEPRODES doit contracter des lignes de crédit plus importantes afin de ne pas

voir diminuer son activité d’octroi de crédit et satisfaire ses clients. Or les lignes de crédit

contractées auprès des banques coutent chères, les taux d’intérêt sont élevés.

Enfin, la dégradation du portefeuille a une incidence négative sur les fonds alloués par les

bailleurs de fonds. Le taux des PAR à 30 jours ou 90 jours, étant l’indice le plus souvent pris

en compte par les bailleurs pour analyser la stabilité des SFD. Cette stabilité étant un gage de

qualité.

2) Les difficultés rencontrées par les SFD pour lier intérêts financiers et sociaux.

Les SFD sont confrontées à des logiques internes afin de conjuguer leurs

performances financières et leurs performances sociales. En effet, les SFD doivent faire face à

un double défi d’impact et de pérennité ; d’impact afin de faciliter l’accès aux crédits pour les

ménages ne pouvant se financer par le secteur bancaire classique, de pérennité afin que la

mutuelle perdure dans le temps, ne fasse pas banqueroute. L’histoire de la microfinance a

montré les difficultés pour les IMFs autonomes (sans allocations publiques) d’acquérir un

équilibre financier viable permettant d’avoir toujours les liquidités suffisantes pour financer

ses clients tout en gardant leurs objectifs sociaux d’utilité et de proximité.

Dès lors, de nombreuses SFD ont progressivement glissés vers des visions plus commerciales

que sociales. En effet pour s’assurer un faible taux d’impayés, il apparaît plus simple de se

focaliser sur les clients les plus surs et les plus rentables. Les SFD financent plutôt « les plus

riches parmi les pauvres »132. On comprend que cette logique ne permet pas de répondre au

problème d’exclusion financière des catégories sociales les plus pauvres de la population.

Mais, elle permet aux SFD de s’assurer un taux de remboursement quasi-parfait.

De plus, il peut s’avérer que les actionnaires mettent une pression sur les SFD, souhaitant voir

leurs dividendes augmenter. Pour répondre à ses volontés les SFD peuvent augmenter leurs

taux d’intérêts. Les actionnaires se justifient en expliquant que le financement du microcrédit

est un investissement risqué donc que les taux d’intérêt doivent y être plus élevés. Cependant,

cela exclu les emprunteurs les plus pauvres, ce qui va à l’encontre des buts de la microfinance

                                                                                                               132  Introduction à la microfinance, M. Sangaré, ESSACHESS, Journal of Communication studies, 2008.  

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83  

sociale. Ainsi de nombreuses SFD sont aujourd’hui plus motivées par l’appât du gain que par

une volonté intrinsèque d’aide aux plus démunis. Des SFD ont changé de statut pour devenir

Société Anonyme ou Banque, ce qui peut être révélateur des stratégies adoptées. Il faut

toutefois nuancer, comme l’explique JM. Servet133, certaines coopératives ou mutuelles ont

permis des détournements de fonds par les administrateurs ou les employés, ont favorisé les

emprunteurs urbains au détriment des paysans, alors que Basix en Inde (organisation à forme

lucrative) est reconnue comme appartenant à l’économie solidaire. Il n’en reste pas moins,

que « les objectifs économiques des établissements ayant adopté un statut lucratif incluent,

outre le recouvrement de leurs coûts, la rémunération du capital, ce qui induit une contrainte

supplémentaire sur leurs prix et leur stratégie. »134

Suite aux nombreuses crises auxquelles la microfinance a été confrontée (voir

première partie), ces logiques de préférence pour le financier ont été décriées135 et sont

aujourd’hui largement remises en cause.

F. Bédécarrats dans sa thèse136 a cherché à voir quels types de structure étaient la plus à même

de conjuguer performances sociales et performances financières, il en a extrait le tableau ci-

après.

                                                                                                               133  La crise du microcrédit en Andhra Pradesh (Inde), JM Servet, Revue Tiers Monde, n°207, 2011  

134  La microfinance entre utilité sociale et performances financières, F. Bédécarrats, Thèse de doctorat en Sciences Politiques, Paris I Panthéon Sorbonne, juin 2012. 135 Commercialisation et dérive de la mission des IMF: La transformation de la microfinance en Amérique Latine, R. Christen, 2001 Du bon usage de l’approche “commercial”, M. Labie et M. Mees, 2005 Quand le microcrédit se mue en business très rentable, J. Bouissou, Le Monde, 31 janvier 2010 136 La microfinance entre utilité sociale et performances financières, F. Bédécarrats, Thèse de doctorat en Sciences Politiques, Paris I Panthéon Sorbonne, juin 2012.  

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84  

Figure 5 La microfinance entre utilité sociale et performances financières

Source : F. Bédécarrats, élaboration à partir de la base de données de CERISE (2011), 306 IMFs

représentées.

On remarque que les Banques et IMFs à but lucratif ont de manière générale de moins

bons résultats que les ONG et les coopératives. Cependant les banques ont une bonne qualité

et diversité de services comparativement aux ONG et coopératives. Ces dernières ayant de

bons résultats au niveau du ciblage des exclus et des bénéfices pour les clients. La relation

avec la clientèle et la confiance sont aussi plus importante dans ce type de structure.

Toutefois, les SFD se doivent d’être viables financièrement afin de pouvoir financer les plus

démunis. F. Bédécarrats se pose la question suivante « Comment la contribution au

développement et à la réduction de la pauvreté affecte- t-elle la pérennité économique des

IMFs ?» Même si l’on a vu que le respect des performances sociales est un atout majeur pour

les SFD, il ne faut pas que cela entrave la viabilité de l’institution. Hors certains objectifs

sociaux peuvent entrainer des externalités négatives sur la stabilité financières des SFD. Par

exemple, le ciblage des plus pauvres des pauvres (the poorest of the poor) est difficile, il est

fréquent que les SFD dévient vers une clientèle plus aisée donc moins risquée, ayant plus de

garanties. Outre les débats théoriques sur l’impact du microcrédit sur les plus pauvres, les

SFD sont limitées dans leurs actions de prêts au plus pauvres, ces derniers étant plus

difficilement au courant des modalités de crédit. Pour atteindre les plus pauvres, il faut mener

des réelles actions ciblées vers eux avec des produits spécifiques, ce qui demande plus de

formations pour les clients et plus d’attention de la part des agents de crédit.

Selon les mêmes logiques le financement de l’agriculture reste un domaine très risqué pour

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les SFD et peut les mettre en péril si elles n’ont pas un portefeuille suffisamment diversifié ou

des produits spécifiques. Enfin, les formations des clients et du personnel ont un cout

important mais sont pourtant primordiaux au bon fonctionnement des SFD.

Un autre facteur à prendre en compte est le sentiment ressenti ou non, par les agents de

crédits, du caractère social de leur travail. Souvent les dirigeants ont conscience (et cela peut

être leur principale motivation) de l’impact positif de leurs actions sur la population locale.

De plus, cette performance sociale permet d’attirer les bailleurs de fonds. Pour autant les

agents de crédit ou le personnel des agences n’ont pas forcement conscience des externalités

sociales de leurs actions. Ils considèrent leur travail comme un service financier pour la

population et non comme un outil de développement. Cela peut entrainer un manque à gagner

en terme de motivation pour le personnel et les agents de crédit, qui ne ressentent pas les

aspects positifs de leur travail. A la MecFEPRODES, cela peut être le cas, certains salariés

considérant la Mec plus comme une banque qu’une institution d’aide aux exclus financiers.

On pourrait supposer que ne voyant pas les logiques d’ensemble et l’impact du microcrédit

sur les clients137, ils en oublient les raisons principales de l’existence de la MecFEPRODES.

D’autres exercent leur métier parce que c’est le seul qu’ils ont trouvé (suite à leurs recherches

d’emploi) et non pour répondre à leurs aspirations personnelles de venir en aide aux autres.

Conclusion

Pour exister une IMF (ou toute entreprise) doit avoir des comptes sains, c’est à dire

une trésorerie positive ou l’ensemble des recettes doit être supérieur (ou égale) aux dépenses.

Sa comptabilité doit donc respecter les codes spécifiques à toute entreprise. Cela permet

d’éviter une fragilisation de l’institution, un endettement trop important et au pire des cas une

faillite. Bien qu’ayant un but social, ces règles de comptabilités basiques s’appliquent aussi

aux SFD. S’ils souhaitent pouvoir continuer à proposer des services financiers aux exclus de

la finance, ils doivent s’assurer d’avoir un bilan comptable positif. La MecFEPRODES s’est vu

confrontée à ce problème, les taux d’impayés de ses crédits ayant fortement augmenté ces

dernières années. Alors qu’elle met en avant son statut d’organisation sociale « aidant les

femmes de la vallée du fleuve Sénégal » à accéder aux crédits, elle a de plus en plus de mal à

limiter ses taux d’impayés. Ce qui aurait pu lui être fatal et desservir la cause de tous ses

                                                                                                               137  L’impact du microcrédit reste une question ouverte; voir:  Viabilités et impacts de la microfinance, Bilan et Perspectives, dossier préparatoire des journées d’études IRAM, septembre 2001. La microfinance est-elle socialement responsable? I. Guérin, C. Lapenu, F. Doligez, Revue Tiers-Monde, n197, 2009.  

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86  

clients. Dans un tel cas un SFD arrive à son paradoxe en ne remplissant ni ses obligations

financières ni ses obligations sociales.

B) Dans le cas de la MecFEPRODES, quelles sont les raisons qui ont entrainé une

augmentation du taux d’impayés?

Les clients du microcrédit sont de fait des individus ne pouvant accéder aux crédits

classiques dans les banques commerciales, car n’ayant pas les garanties nécessaires. Les

clients de la MecFEPRODES sont donc plutôt des petits entrepreneurs sans ressources

stabilisées. C’est notamment le cas des populations dites « précaires », c’est à dire qu’elles se

situent juste au-dessus du seuil de pauvreté mais un risque exogène peut les faire basculer en

dessous. Ainsi, les finances des clients sont souvent vulnérables, elles ne sont pas résilientes

face aux aléas de la vie. Dans cette partie nous reviendrons sur les difficultés majeures

rencontrées par les clients et entrainant la montée des impayées au sein de la MecFEPRODES.

Nous verrons aussi les difficultés de l’octroi et du suivi des dossiers des clients.

1) L’instabilité des finances des ménages : source de précarité et sujet d’impayés.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les difficultés de remboursement des

emprunteurs ne sont pas simplement dues à un simple échec de leurs activités, c’est même

rarement le cas.

En effet, ce n’est pas que leurs stratégies commerciales soient mauvaises mais plutôt que leur

vie personnelle est trop étroitement liée à leurs activités. L’excédent des ressources est

souvent employé pour les dépenses incompressibles des ménages. Il y a une confusion entre

gestion professionnelle et gestion domestique des revenus et des dépenses. Selon les

estimations des agents de crédit seul 1 client sur 10 serait capable de donner un bon bilan

d’exploitation. Pour les autres, ils observent une confusion entre les revenus des activités et

l’argent domestique. De plus, très peu de clients ont de l’épargne mobilisée. D’ailleurs l’offre

de produit d’épargne au sein de la MecFEPRODES est sous utilisé par les clients. Le plus

souvent ce sont les investissements dans du bétail ou dans les tontines qui constituent

l’épargne des ménages. Ainsi en cas de problème l’argent octroyé est directement sacrifié et

utilisé dans une activité non génératrice de revenus.

Les besoins quotidiens sont pressants et la tentation d’utiliser l’argent du crédit pour

soulager les charges familiales trop fortes. Toutefois, on note que les crédits Diamra et autre

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petit crédit (inférieur à 200 000FCFA) tombent moins souvent en impayés que les autres.

Ce ne sont pas les plus nécessiteux (si on suppose que le crédit Diamra est demandé par les

plus pauvres) qui vont avoir le plus de mal à rembourser.

Cette utilisation de l’argent immédiatement en cas de difficultés vient aussi du fait d’une très

forte prévalence pour le présent. I. Guérin explique138 « Les femmes n’hésitent pas à vendre à

perte pour satisfaire leurs besoins immédiats. Les notions de capital et de résultat n’ont plus

la même signification ; lorsque l’horizon temporel se rapproche de l’immédiat, le capital n’est

pas un stock mais un apport de liquidité ». De plus, au moment des fêtes religieuses

(musulmanes notamment), les ménages n’hésitent pas à s’endetter davantage pour respecter

les traditions. Certaines SFD proposent des crédits adaptés, comme c’est le cas du « crédit

événement » du Groupe MECIS (Mutuelle d’Epargne et de Crédit Islamique du Sénégal)139

Des sensibilisations plus insistantes sur l’importance d’utiliser l’argent dans une

activité génératrice de revenu devraient êtres faites lors de la procédure d’octroi de crédit.

Cependant comme l’explique les agents de crédit, les clients disent « oui à tout » pour avoir

leur crédit mais ne sont pas forcement attentif à ce qu’il leur est dit. Il est difficile de leur faire

prendre conscience qu’il faut utiliser leur argent de manière efficiente, pour un projet précis

afin de ne pas se laisser embarquer dans une spirale de l’endettement.

Ces logiques comportementales soulignent deux problèmes dus à la précarité des

finances des ménages et qui mènent à des situations d’impayés : celui du caractère souvent

instable des finances des clients ce qui les rend vulnérables aux chocs et celui du

détournement d’objectif. Les deux raisons pouvant être cumulatives.

- Caractère instable des finances des clients :

La principale raison du non-remboursement évoquée par les clients lors des recouvrements est

l’émergence d’un problème familial (maladie, décès, perte d’un emploi...). Ainsi, un aléa de la

vie peut obliger le client à interrompre son activité ou à se servir de la totalité des bénéfices

pour recouvrir l’incident. Le surplus dégagé n’est alors plus dédié au remboursement de son

crédit et des intérêts mais aux nouveaux besoins survenus. Cela est aussi vrai au niveau

                                                                                                               138  Pratiques monétaires et financières des femmes en situation de précarité. Entre autonomie et dépendance, Thèse de Doctorat, I. Guérin, 2000  139  Les produits financiers islamiques, Expériences de microfinance au Sénégal, F. Doligez, F. Seck Fall, M. Oualy, 2012  

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national, selon une enquête menée par le CGAP140, 60% des ménages sénégalais (à bas

revenus) considèrent la maladie comme principale menace pour les finances, viennent ensuite

les décès pour 11% d’entre eux.

Prenons l’exemple de Madame Ndeye Fatou Gningue : elle a reçu plusieurs crédits pour

restaurer une buvette puis pour la faire fonctionner (fonds de roulement)

Elle a déjà reçu deux crédits, un de 50 000FCFA en juillet 2008 et remboursé en septembre

2008. Un autre de 150 000FCFA en 2010. Elle a reçu un troisième prêt de 150 000FCFA

devant être remboursé en 12 mois. Elle a un an de retard sur ce dernier prêt. Elle s’occupait de

la buvette avec sa mère et partageait donc les prêts avec elle. Elles avaient aussi un commerce

d’import de petits produits venants de Dakar (tissus, produits de beauté) qu’elles revendaient

à Saint Louis. L’année dernière sa mère est tombée malade et est décédée. Outre le choc

émotionnel, le décès a eu des répercussions sur les finances de la cliente. Elle a du avancer les

frais lié à l’enterrement et le fait qu’elle doive s’occuper seule de la buvette a entrainé un

ralentissant des activités. Par la suite Ndeye Fatou Gningue a été hospitalisée et a du arrêter

son activité de vente, ne pouvant plus se déplacer à Dakar. Maintenant elle ne se consacre

plus qu’à sa buvette qui n’a pas fait faillite. Ce n’est donc pas parce que l’activité menée par

Ndeye Fatou Gningue n’était pas rentable qu’elle n’a pas pu rembourser son crédit

mensuellement mais bel et bien les difficultés personnelles qui ont fait que l’argent était

alloué à d’autres causes plus urgentes.

On peut aussi prendre l’exemple de Monsieur Ibrahima Dioum qui s’occupe d’une affaire de

petit commerce depuis 15 ans. Il est émigré en Europe. Son dernier prêt est de 2 000 000

FCFA. Il a des retards d’échéance depuis 9 mois. Lors d’un déplacement sur le terrain pour

faire recouvrir le prêt, son épouse nous explique qu’Ibrahima est tombé malade et a été

hospitalisé en Italie. Il n’est pas rentré depuis 6 mois. Son commerce consistait en l’import et

l’export, d’abord de meubles puis progressivement d’un éventail plus large de marchandises.

Il a déjà investit son capital mais n’a pu faire fructifier ses investissements suite à sa maladie.

Sa femme est aussi cliente à la MecFEPRODES, c’était un couple de bons clients mais suite à sa

maladie Ibrahima Dioum se retrouve en situation de retard de paiement.

On comprend donc que ses individus soient dans des situations très précaires et

instables ; une maladie, un décès peuvent totalement perturber leurs investissements, leurs

calculs de trésorerie. Cela pose aussi la question des assurances pour les plus pauvres ou de

                                                                                                               140  Cartographie de la demande et de l’utilisation des services financiers par les populations à bas revenus, CGAP, juillet 2013.  

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l’épargne. L’assurance est parfois prise en compte dans les groupes solidaires mais cela reste

des cas très particuliers. L’épargne quant à elle est souvent mobilisée sous forme de cheptels

ou de tontines mais est rarement placé dans les banques ou les IMFs. En effet, l’argent dans

ce cas risque d’être sollicité par des proches dans le besoin ou perçu par la famille comme lui

appartenant (non individuellement mais collectivement) selon un principe de solidarité sur le

revenu141. Ainsi la tontine reste un moyen sur de mobiliser une épargne à laquelle on ne

« peut pas » toucher. De même, l’argent « donné » pour les cérémonies de mariages ou de

baptême de la famille proche permet d’assurer un revenu lors du baptême ou du mariage d’un

de ses propres enfants.

- Détournements d’objectifs ;

Les clients de la mutuelle sont des personnes en situation précaire, dont les besoins quotidiens

ne sont pas satisfaits. Ainsi il est fréquent que le crédit soit en partie consommé avant même

de pouvoir être investi dans l’activité ou que le client décide d’investir son capital dans une

activité autre que celle convenue avec l’agent de crédit. Cependant pour la mutuelle l’objet du

crédit doit être unique, par exemple soit de l’achat de matériel pour l’agriculture, soit un fond

de roulement pour la commercialisation mais un crédit ne peut pas servir pour les deux.

On note deux cas typiques de détournement d’objectif ;

- Lorsque le client octroie seulement une partie de son crédit à son activité devant être

génératrice de revenus. Les agents de crédit expliquent que le client « mange » le crédit avant

de l’investir. Le client va, par exemple, dépenser seulement 150 000 FCFA dans son activité

sur le crédit de 200 000 FCFA qu’il a reçu. Cela entraine des problèmes pour le bon

fonctionnement de son activité parce que cela diminue son fond de roulement dans le cas du

commerce par exemple, ou de ses investissements dans le cas de l’agriculture. Les retombées

financières seront réduites, les difficultés pour rembourser seront plus fortes.

C’est le cas de Madame Dia Aissatou Thiam qui a pris un crédit de 500 000 FCFA sur 10

mois pour une activité de petit commerce. Elle a 5 mois de retard et doit 300 000 FCFA à la

mutuelle. Une partie du crédit a servi aux dépenses du ménage et ce n’est que dans un second

temps qu’elle a investi dans son fond de commerce. Son mari travaillait en Italie mais a été

licencié, depuis elle ne reçoit plus d’aide de sa part, elle a donc utilisé une partie du crédit

pour subvenir aux besoins de la famille en attendant que son mari trouve un autre emploi.

                                                                                                               141  La Tontine, pratique informelle d'épargne et de crédit dans les pays en voie de développement, M. Lelart, 1990.  

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Ayant investi trop faiblement dans son fond de roulement, son commerce ne fonctionne plus

très bien parce qu’elle ne peut pas acheter assez de produits pour satisfaire sa clientèle.

- Lorsque le client affecte son crédit à une activité autre que celle figurant dans son dossier.

C’est le cas quand un client rencontre des problèmes familiaux et détourne l’argent du crédit à

la résolution de ses problèmes (exemples mentionné ci dessus). Ou quand un client change

d’activité pendant la durée de son prêt. Ce dernier exemple pose problème notamment quand

la nouvelle activité exercée est plus risquée et n’aurait probablement pas été financée par la

mutuelle de prime abord. C’est le cas, par exemple, d’un client ayant inscrit sur sa fiche qu’il

allait cultiver le riz alors qu’au final, il a décidé de cultiver la pastèque dont les marges à la

vente peuvent être plus rentables mais qui suppose un savoir faire technique particulier et des

méthodes de conservation spécifiques. Ce client n’a pas réussi à exploiter correctement ses

plants de pastèques et s’est retrouvé avec une récolte quasi nulle. N’ayant engrangé aucun

bénéfice, il s’est vu dans l’incapacité de rembourser son prêt.

Le détournement d’objectif est une des raisons principales des problèmes d’impayés.

Nous n’avons pas de statistiques sur le risque d‘impayé selon le respect ou non des projets

initiaux mais lors des recouvrements les agents de crédit se rendent compte de ces dérives de

crédit. Et selon eux c’est l’une des sources du problème des impayés.

D’autant plus qu’en cas de détournement des objectifs, les clients sont plus réticents à aller

demander de l’aide à la mutuelle. Les clients se sachant en tort ne vont pas aller demander des

recommandations à leur agent de crédit affilié ; ils ont plutôt tendance à chercher une autre

solution. De nombreux clients essayent de ré-investir le capital restant dans une autre activité,

espérant dégager des revenus mais qui sont toujours plus faibles au fur et à mesure que le

capital investi diminue.

Le détournement absolu d’objectif est lorsque le crédit sert directement pour la consommation

du ménage. C’est le cas des familles n’ayant pas d’autres alternatives pour accéder à des

liquidités immédiates. Ce risque augmente à l’approche des périodes de fêtes comme Tabaski

ou Korité. Le crédit à la consommation est formellement interdit par la Feprodes. Cependant

l’achat de matériel d’intérieur comme un frigo n’est pas totalement considéré comme un

crédit à la consommation, si le/la client(e) explique comment il va pouvoir en tirer des

revenus. Toutefois, il arrive que dans certains dossiers, l’intitulé du prêt indique son

utilisation dans une activité non génératrice de revenus comme la maladie, les soins

médicaux.

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2) Les difficultés commerciales dus à la surabondance de produits identiques sur les marchés.

Une autre difficulté soulevée par les agents de crédits selon leurs observations et celles

de leur client est l’étroitesse du marché local.

On voit une forte concurrence dans les domaines de l’agriculture et de sa commercialisation,

activités privilégiés de la région. La concurrence est aussi très rude pour les petits commerces.

Au siège, le crédit commerce ou individuel pour fonds de roulement de petits commerces est

le plus répandu. Toutes les femmes vendent les mêmes types de produits dans les mêmes

endroits. Il n’y a pas de stratégie de différenciation, que ce soit au niveau du prix, de la qualité

ou de la marque. Ainsi la concurrence est rude parce que l’offre est très importante alors que

la capacité de consommation (la demande) des ménages est restreinte. On peut même se

demander si pour certains biens, le marché n’est pas saturé.

On voit aussi un mécanisme moutonnier se mettre parfois en place. Il suffit qu’un type

d’activité fonctionne pour que tout le monde l’imite et se mette à faire la même chose (vendre

les mêmes produits). Les commerçant(e)s ne se posent pas forcement les bonnes questions ;

quelle a été l’avantage comparatif de l’activité qui a fait que cela a si bien fonctionné ?

Localisation idéale, bonne présentation, accueil chaleureux, capitalisation d’expériences... Ils

tentent juste leur chance « parce que si ça a fonctionné pour le voisin, il n’y a pas de raisons

que ça fonctionne pas pour moi ». On a retrouvé ce mécanisme avec la culture de l’oignon

pour la culture de la haute saison de 2012, une campagne a bien fonctionné, tout les paysans

ont cultivé l’oignon pendant la période suivante ce qui a entrainé une sur-production

d’oignons, une offre démesurée sur les marchés, les prix ont chutés et les agriculteurs n’ont

pas pu dégager des recettes suffisantes.

L’autre problème récurrent du petit commerce est la vente à crédit. Les commerçants

vendent à crédit car cela leur permet de faire payer plus cher le produit à leur client. Par

exemple, une carafe coutant 700FCFA, peut être vendue à crédit sur trois mois à

300FCFA/mois. D’un coté, le commerçant aura fait 200FCFA de marge en plus, de l’autre le

client est satisfait parce qu’il échelonne ses déboursements. Cependant avec ce type de

pratique, les risques d’impayés sont élevés, notamment dans le cas de la vente auprès de la

famille ou des connaissances proches. Ou encore des commerçants de quartier qui se

retrouvent dans l’impossibilité de refuser des biens de première nécessité aux ménages non

solvables et qui acceptent donc la vente à crédit tout en sachant qu’il est peut probable qu’ils

soient remboursés rapidement. Ou tout simplement si les clients disparaissent après avoir

laissé une dette conséquente. Les commerçants doivent toutefois se plier à ce genre de

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pratique parce que la concurrence est forte et que s’ils ne le font pas, les clients iront

simplement voir ailleurs. C’est ce qui est arrivé à Monsieur Lo Ameth Iyane. Il utilisait son

crédit pour faire du petit commerce. Il vend des pantalons et des chemises. Le crédit lui sert

de fond de roulement. Il a emprunté 500 000 FCFA sur 7 mois. Il a 10 mois de retard. Avant

cela, il travaillait dans une entreprise qui l’a limogé. Il a été repris par une autre entreprise

mais qui devait le payer avec un différé d’un mois correspondant à une phase test. Il a donc

contracté un prêt en l’utilisant dans le petit commerce pour subvenir à ses dépenses

quotidiennes en attendant sa première paie. Mais il a vendu à crédit et n’a pas récupéré

l’argent du. Il n’a pas pu rembourser son prêt aux échéances dues.

3) Les difficultés d’octroi et de suivi de prêt, problèmes sous jacents à celui de bonne

gouvernance.

Cette montée des impayés nous questionne sur l’octroi et le suivi des dossiers des

clients. En regardant de plus près le portefeuille dégradé, on se rend compte que certains

crédits ont 2 ans ou plus de retard, certains crédits ont été octroyés pour des activités non

génératrices de revenu. Comment de telles situations ont pu arriver ?

La difficulté d’évaluer le risque lors de l’octroi d’un crédit.

Lors de l’octroi de crédit, l’agent en charge doit vérifier le potentiel de l’activité

financée afin de s’assurer du remboursement effectif du prêt. L’agent de crédit doit connaître

les logiques sous jacentes des activités qu’il finance afin de juger du caractère rentable ou non

du projet d’un client. De par son ancienneté et son ancrage dans la région, les agents de crédit

de la MecFEPRODES ont une bonne connaissance des activités financées.

L’agent de crédit possède des outils d’analyse pour évaluer la solvabilité des clients.

Deux calculs sont principalement utilisés pour minimiser les risques d’impayés :

- Calcul du besoin réel en crédit :

En considérant 1- besoin d’investissement (mobilier, petit matériel...)

2 - total des dépenses de l’activité

3 – apport en espèce

4 – stock

Un crédit pour investissement (campagne, individuel, diamra) doit vérifier que [1-3] soit

égale au montant du prêt.

Un crédit pour fonds de roulement (commerce, groupe) doit vérifier que [2-3-4] soit égale au

montant du prêt. Dans ce cas un ratio de liquidité générale ou fonds de roulement peut aussi

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être calculé, [Actif CT -stocks, encaisse, comptes clients] / [Passif CT -comptes fournisseurs].

Ce ratio doit être supérieur ou égale à 2.

- Analyse de la capacité de remboursement :

En considérant A- Revenus personnels

B- Dépenses personnelles

C- surplus disponible pour le remboursement (A-B)

D- bénéfice de l’activité

E- montant disponible pour le remboursement (D+ ou C-)

La capacité de remboursement correspond à [E/(capital+intérêts+épargne obligatoire)] et doit

être supérieur à 2.

Cependant ce genre de calcul n’est possible que lorsque les clients sont dans la

capacité de fournir les informations nécessaires, ce qui n’est pas souvent le cas. D’ailleurs, la

fiche client comporte ces calculs mais ils ne sont pas souvent complétés. Par contre, les agents

de crédit s’efforcent de remplir la partie « Analyse du risque », complétée lors de l’entretien

avec le client et selon leur ressenti. Chaque agent de crédit s’occupe en moyenne entre 300 et

350 clients. Selon leurs temps disponible, l’entretien s’effectue soit à la MEC soit chez le

client. Dans ce cas, les informations données par le client sont plus facilement vérifiables et

l’agent de crédit en profite pour analyser l’environnement du client. L’agent de crédit regarde

par exemple si le client possède des biens matériaux (signe d’une certaine richesse et garantie

possible) tels que une télévision, un réfrigérateur, des meubles de qualité ou encore un vélo.

Tableau 7 Tableau utilisé à la MecFEPRODES pour analyser le caractère risqué ou non d'un futur prêt.

Satisfaisant Insatisfaisant N/A

1. Capacité et volonté de payer l’emprunteur

2. Stabilité et sécurité du revenu ou de l’emploi

3. Stabilité d’adresse

4. Pouvoir actuel de remboursement

5. Niveau et qualité des garanties

6. Coefficient d’endettement

7. Antécédent de crédit

8. Equilibre du budget familial

9. Intégration dans le milieu

10. Références – fiabilité de l’emprunteur

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Les agents de crédit doivent faire face à un problème d’asymétrie d’informations. Le

client ne révèle que ce qu’il souhaite révéler. Différentes techniques sont utilisées par les

agents pour obtenir des informations fiables mais ils n’y parviennent pas toujours. Ils peuvent

par exemple se rendre sur le lieu de l’activité afin de constater par eux-mêmes de la stabilité

de l’activité et d’analyser le risque potentiel. Ou tout simplement analyser le degré de richesse

par la possession ou non de biens mobiliers (réfrigérateur, canapé, télévision...) et leurs

qualités. Si le client est malin, il peut montrer des objets qui ne lui appartiennent pas. En

outre, les agents de crédit ne peuvent pas connaître le degré d’endettement du ménage, que ce

soit au niveau d’autres banques, d’IMFs ou du secteur informel. Les agents de crédit sont

particulièrement vigilants avec les petits fonctionnaires, qui ayant les garanties suffisantes

peuvent obtenir des prêts auprès des banques commerciales.

Toutefois, avec l’accroissement rapide du nombre de client, les vérifications avant l’octroi du

prêt se sont souvent limitées à un entretien avec le client.

Les dysfonctionnements du suivi des dossiers.

L’autre raison évidente de la montée des impayés est le dysfonctionnement des suivis

de dossier au sein de la mutuelle. Le laisser faire de la mutuelle n’incite pas les clients à venir

rembourser leurs dettes. Il est improbable qu’un client ayant plus de 2 ou 3 mois de retard

vienne de lui même à la mutuelle pour solder son prêt. C’est le cas de Monsieur Alioune

Samba qui a pris un prêt de 50 000 FCFA pour urgence médicale sur 10 mois et n’a rien

remboursé depuis. Il avait emprunté car son fils et sa femme étaient malades. Il a commencé

par avoir un mois de retard, puis deux, puis trois et a fini par ne pas rembourser même s’il en

avait les moyens parce qu’il « n’a vu personne ». Vu que personne ne lui a réclamé ce qu’il

devait, ou ne l’a rappelé à l’ordre sur ses obligations, il a pensé « être oublié » et a agit en tant

que tel.

Le suivi d’un dossier n’est pas chose facile, idéalement il faut aller sur le terrain avant

l’octroi du prêt et une fois que le client a eu son prêt pour vérifier son utilisation. Enfin, dans

le cas d’un retard de paiement, il faut téléphoner (retard de moins d’un mois) ou aller le voir

chez lui (retard supérieur à un mois). Tout cela demande du temps et de l’énergie.

Les agents de crédit manquent de temps pour pouvoir mener à bien le suivi de tous leurs

dossiers. Depuis 2011 et l’emploi de nouveaux agents de crédit, chacun s’occupe de 300 à

350 clients, le siège compte désormais 5 agents de crédit et chaque guichet en compte deux

supplémentaires. Auparavant, il y avait que 3 agents de crédit au siège et un dans les autres

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guichets, le suivi de crédit n’était alors pas une priorité.

Le recouvrement des dettes est une tâche difficile. Sur le terrain il fait souvent chaud. Les

adresses sont souvent incorrectes et les agents de crédit passent donc du temps à chercher le

client. Ensuite, il n’est jamais agréable de devoir rappeler à quelqu’un ses dettes, surtout

quand on a en face de soi un client dans la grande nécessité.

L’équipe d’agents de crédit a été renouvelée, il y a 6 mois environ, notamment pour

répondre à ce problème d’impayés. Il a été demandé aux nouveaux agents de durcir leur

politique de recouvrement. Les dossiers ont été transférés, ce qui est positif et permet

d’améliorer les taux recouvrements. Il est plus facile pour les agents d’aller recouvrir des

crédits de clients qu’ils ne connaissent pas parce qu’ils seront pris plus au sérieux par ces

derniers, et le client n’essayera pas de négocier. Par contre dans le cas du suivi des dossiers,

ces transferts ont eu un impact négatif, le client ne reconnaissant plus l’agent, la relation de

confiance qui a pu s’instaurer n’est plus là, la franchise du client est plus longue à obtenir.

Aller sur le terrain est souvent la manière la plus efficace de recouvrir les dettes. Cela

permet de rappeler aux clients qu’ils ne peuvent pas ne pas rembourser leurs dettes, que la

mutuelle ne les a pas oubliés, qu’il n’y a pas de laxisme. Plusieurs clients ont expliqué que

« ne voyant personne de la mutuelle se présenter chez eux pour justifier leur retard, ils ont

supposé que la mutuelle les avait oublié, eux et leurs dettes ». Cela évite aussi que se

répandent l’impression ou la rumeur que la mutuelle ne suit pas ses crédits et qu’elle ne puisse

rien faire si on ne rembourse pas. Ce genre de rumeur est très préjudiciable parce qu’elle peut

entrainer des réactions (de non-remboursement) en chaine.

Par ailleurs la seule présence de l’agent de crédit au sein du domicile familial active la

pression sociale sur le client. Etre un mauvais payeur est toujours synonyme de honte, il n’est

pas souhaitable que les voisins, la belle-famille voient un agent de crédit venir chez soi.

Cependant, il est important que les agents de crédit aient un bon contact avec la population, la

qualité de la relation avec le personnel des SFD est perçue comme un vecteur indispensable

de fidélisation de la clientèle.

Ces politiques laxistes en matière d’octroi et de suivi des dossiers peuvent souligner

des problèmes organisationnels et un défaut de communication entre les agents de crédit et les

dirigeants. Ce manque de suivi des dossiers pose un problème de fond et notamment le fait

qu’il ait été perçu si tardivement, ce qui a entrainé une réponse tardive. Entre le moment ou la

question du suivi et du manque d’information a été soulevé et les tentatives de solutions ont

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été mises en œuvre, d’autres cas d’impayés se sont développés. Plus un retard de

remboursement est important plus il est difficile à recouvrir.

La MecFEPRODES a donc dû faire face à des problèmes relatifs aux caractères instables

des finances de ses clients, à leurs difficultés de se trouver une place sur un marché ou la

concurrence est importante et à un manque de rigueur dans l’octroi et le suivi des dossiers.

Conclusion

On comprend que la montée des impayés est extrêmement préjudiciable pour une IMF

parce que cela remet en cause leur viabilité financière et peut la mener à la faillite. Un trop

fort taux d’impayés rend plus difficile toute négociation avec ses partenaires (bailleurs de

fonds, autres banques). En effet, cela décrédibilise l’IMF étant perçue comme non-

responsable ou incapable de gérer son portefeuille.

Dans le cas de la MecFEPRODES, plusieurs raisons semblent être à l’origine de ce problème,

elles ne sont pas exclusives et se combinent. Les problèmes, exposés ci-dessus, sont en partie

responsables du fort taux d’impayés. Toutefois, comme nous allons le voir dans la troisième

partie, les défauts de paiements du secteur agricole jouent aussi un rôle important dans cette

dégradation du portefeuille.

III- Quelles solutions pour le financement de l’agriculture ? Comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, le financement de l’agriculture par

les SFD est toujours risqué. Ses difficultés n’ont pas épargnées la MecFEPRODES qui a du

restructurer beaucoup de dettes de ses clients agriculteurs suite aux sécheresses consécutives

des 2009 et 2010. Ces impayés, dont le recouvrement est très difficile, ont fait plongé le PAR

de la mutuelle. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, ces taux d’impayés ne

peuvent pas rester élevés parce que cela fragilise l’institution. Nous allons revenir sur les

difficultés qu’a rencontrées la Mec dans son activité de crédit agricole puis voir les solutions

envisagées pour sécuriser ces crédits et permettre une offre de service financier plus durable

pour les agriculteurs.

A) Les difficultés de recouvrement des crédits agricoles

A l’origine la mutuelle ne faisait pas de crédit agricole mais dans la région ce type de

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crédit est le plus demandé et le plus nécessaire. L’agriculture est la principale activité de la

région, le crédit agricole est donc un produit très sollicité par les populations locales. Afin de

renforcer son rôle social dans la région, et poussée par ses partenaires, la mutuelle s’est lancée

dans ce type de crédit depuis 2002.

Le crédit agricole est risqué puisqu’il finance l’agriculture qui subi les aléas des catastrophes

naturelles (inondations, sècheresse...) et des problèmes techniques (au niveau des pompes

notamment). En outre, comme nous l’avons expliqué dans la deuxième partie, l’agriculture

n’est pas un secteur très rentable, les marges sont faibles. Ainsi, les agriculteurs ne peuvent

pas supporter un cout élevé du crédit. Pour toutes ses raisons, les agriculteurs se retrouvent

facilement et fréquemment dans des situations délicates, détenant peu de récoltes tout en

devant rembourser leur(s) crédit(s). La mutuelle a aidé les agriculteurs en échelonnant leurs

dettes mais les catastrophes naturelles arrivant plus fréquemment, les pertes se cumulent et le

remboursement devient de plus en plus difficile.

Dans une région comme Saint Louis, l’économie tourne autour de l’agriculture, c’est

l’activité principale. Ainsi une baisse de la production enraye le bon fonctionnement du

marché et c’est toute l’activité économique qui se trouve ralentie.

Au niveau de l’agriculture, deux raisons principales sont données par les clients de la Mec qui

se retrouvent en situation d’impayé :

- le rôle des catastrophes naturelles (risque catastrophe, tel que mentionné dans la deuxième

partie). Ce type d’explication est vérifiable et observable. Quoique comme nous l’avons vu

dans la deuxième partie, les micro-assureurs peuvent avoir du mal à déterminer les pertes

exactes subies par un agriculteur suite aux aléas climatiques.

- les problèmes de commercialisation, les agriculteurs n’ont pas réussi à vendre ou ont vendu

à un mauvais prix (risque prix). Ce type de raisons est plus difficilement vérifiable.

On observe au sein de la vallée des problèmes de stockage du riz. Les agriculteurs vendent

tous au même moment, à la fin de la saison des récoltes, ne pouvant stocker pour revendre

plus tard, alors même que les prix du sac de riz ou de paddy sont bas sur les marchés. Cela

limite les bénéfices possibles des agriculteurs. Paradoxalement, durant les saisons creuses, ces

mêmes agriculteurs achèteront du riz à d’autres commerçants et à un prix plus élevé qu’ils ne

l’ont eux même vendu. (Plus globalement, ce problème semble toucher l’ensemble du pays, le

Sénégal continue d’importer du riz de l’étranger).

On rencontre le même problème avec l’oignon, culture toutefois moins risquée que le riz.

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Depuis la prise de conscience du problème des impayés, de nouvelles procédures sont

mises en place :

- le remboursement en nature : un expert va sur le terrain pour récolter le riz directement au

client en quantité équivalente au remboursement du crédit et de ses intérêts.

- L’assurance agricole, elle va devenir obligatoire, au sein de la mutuelle, pour tout client

souhaitant un crédit agricole. L’assureur sera la Compagnie Nationale des Assureurs

Agricoles du Sénégal (CNAAS), qui propose une assurance à 10 000F/hectare. En cas de

dommage vérifié, l’assuré se voit rembourser à hauteur de 300 000FCFA.

- Un rééchelonnement de la dette est désormais possible. Si le paysan accepte de signer un

moratoire pour rééchelonner sa dette, un autre crédit peut lui être accordé. Ainsi le crédit

(même le premier non-remboursé) n’apparaît plus dans les crédits « passés en perte » mais

« en cours ».

- Un suivi rapproché des clients, les agents de crédit doivent se rendre sur le terrain à chaque

étape de la culture

B) L’expérience du warrantage : une solution pour la sécurisation des crédits agricoles ?

La MecFEPRODES participe à un programme novateur de warrantage financé par USaid

depuis 2010. Le crédit warrantage est considéré comme un moyen de sécurisation du crédit

agricole et une aide à la commercialisation.

Dans la vallée du fleuve, la région de Saint Louis, l’agriculture représente 40% des activités

exercées par les familles. Le riz étant la principale culture. La production totale représente

324 000T. La production commercialisée est estimée à 246 000T, dont 85% pour la

production des petits producteurs et 15% pour celle des producteurs dits "commerciaux".

(Barris, 2009).

Les agriculteurs rencontrent toujours de nombreuses difficultés pour semer, récolter de façon

suffisante, financer leurs activités puis la commercialiser.

Les IMFs étant réticentes à financer le monde rural, les agriculteurs ne parviennent pas

toujours à disposer des fonds nécessaire pour financer leurs activités. Ils ont soit recours au

secteur informel, se soumettant aux frais usuriers, soit ils sous exploitent leurs parcelles soit

utilisent des intrants moins chers mais de plus mauvaises qualités.

De plus, les agriculteurs ont des difficultés pour commercialiser leur riz.

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Les ressources tirées de la production de riz des agriculteurs de la vallée peuvent être réparties

en trois parties suivant leurs destinations: le remboursement du crédit (25%),

l’autoconsommation (18%) et la commercialisation non contrainte (57%)142. On se rend

compte qu’un dénominateur commun rassemble de nombreux agriculteurs, la vente dite

« contrainte » c’est à dire la vente des produits directement après les récoltes. Bien que les

prix soit très bas sur les marchés, les agriculteurs doivent vendre leurs produits pour

rembourser les différentes dettes contractées pour la production. Cette vente prématurée des

récoltes correspond aux besoins en liquidités nécessaires pour les agriculteurs afin de payer la

main d’œuvre saisonnière, de faire face aux dépenses sociales incompressibles (scolarité,

fêtes religieuses,...), de rembourser ses crédits et de financer la contre saison. Ainsi on voit

une forte variation du prix du riz, sur la période novembre - décembre, juste après la récolte, il

est de 7.000FCFA le sac de 80kg, soit 88FCFA le kilo. Durant les mois de février et de mars,

le prix du sac est de 10.800FCFA soit 135 FCFA le kilo. La variation du prix est de 53%143.

Les fluctuations du prix du riz blanc sont moins importantes que celle du paddy parce que le

marché est plus ou moins régulé par les importations concurrentielles de riz. Le manque à

gagner des agriculteurs qui vendent leur récolte trop tôt est important. D’autant plus s’ils

doivent racheter du riz, pendant les périodes de soudure, pour leur consommation personnelle.

Dans ce cas, les agriculteurs puisent dans leurs ressources immatérielles comme le bétail ou

matérielles comme les produits agricoles, qu’ils revendent pour pouvoir financer les dépenses

du ménage. Ces mécanismes d’adaptation sont désavantageux pour les agriculteurs, les prix

de ses ressources ayant eux aussi tendance à diminuer pendant les périodes de soudure. Par

exemple un mouton ou un caprin sera vendu à 15.000FCFA au lieu de 40.000FCFA, un

cheval à 150.000FCFA au lieu de 300.000 FCFA ou encore les semoirs à 15.000 FCFA au

lieu de 50.000 FCFA.

Le modèle proposé dans le cadre du Projet Croissance Economique (PCE) se base sur

les agriculteurs, regroupés en organisations paysannes (OP) ou non, les SFD et les rizeries.

Tout d’abord, un magasin de stockage correspondant aux normes techniques et

sanitaires en matière de stockage de riz, doit être construit. Dans le cadre du partenariat, un

magasin a été construit en juin 2012 à Souloul. Il sera géré par Madame Marième Diouf. Un

                                                                                                               142  Etude de faisabilité sur le développement du crédit de stockage (warrantage), Projet Croissance Economique (PCE), USAID.  

143  Ibid  

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comité de gestion du magasin composé des bénéficiaires doit être mis en place pour gérer la

gestion de l’infrastructure.

Ensuite l’organisation du warrantage doit s’effectuer de la façon suivante :

L’organisation paysanne et la rizerie se mettent d’accord, en amont de la campagne agricole

sur la quantité de riz que la rizerie est prête à racheter après les récoltes. La SFD peut

accorder un prêt à la rizerie pour financer ses fonds de roulement.

Suite à la récolte, les sacs de paddy/riz des agriculteurs sont entreposés dans le magasin de

stockage prévu à cet effet. Les agriculteurs reçoivent un récépissé mentionnant le nombre de

sac mis en stock, le prix de gestion du magasin et le prix de vente. Le comité de gestion ayant

déterminé au préalable les frais unitaires (par sac) de stockage afin de supporter les couts de

maintenance et de gardiennage. Le magasin est fermé par un double cadenas, la SFD et

l’organisation paysanne détiennent chacune une clef. La porte ne peut être ouverte qu’avec

l’accord des deux parties. Cela permet d’éviter les détournements de fonds.

La mutuelle peut accorder des crédits aux agriculteurs pour qu’ils répondent à leurs

besoins de liquidités immédiates ou investissent dans des activités génératrices de revenus

(AGR). La vente du riz se fait quand les prix augmentent, les principaux acteurs doivent rester

informés sur les fluctuations du marché et se mètrent d’accord sur l’ouverture du magasin.

Dès lors, les agriculteurs peuvent rembourser leurs dettes auprès de la mutuelle, soit par la

vente de leur riz, soit par les bénéfices engendrés par l’AGR.

Le prix de vente du riz est de 87 FCFA le kilo au mois de novembre – décembre. Il

passe à 135 FCFA au mois de février – mars. Supposons un agriculteur participant au projet,

empruntant une somme de 500 000 FCFA avec un taux d’intérêt de 1.7% mensuel dégressif

au mois de décembre, il devra rembourser 533.142 FCFA en mars. Le stockage dans le

magasin de Souloul lui coute 100 FCFA/sac/mois. Au total, les charges de l’agriculteur seront

de 533.542 FCFA (crédit, taux d’intérêt, prix de stockage).

Pour que l’opération de stockage soit rentable pour l’agriculteur, il doit entreposer au

minimum 50 sacs de riz, qu’il pourra revendre au prix de 10 800 FCFA le sac au mois de

mars (quand les prix ont augmenté). Ainsi à l’ouverture du stock, il disposera de 540 00

FCFA en nature (en riz).

S’il avait vendu ses 50 sacs directement après la récolte, il aurait gagné 350 000CFA. Alors

que grâce au magasin de stockage, il a reçu 540 000FCFA. Ce qui, même s’il doit payer les

taux d’intérêt et les frais de stockage, lui fait un revenu nettement supérieur.

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Conclusion

Comme nous l’avons vu dans la deuxième partie les prêts aux agriculteurs ne sont pas

favorisés par les organismes de microfinance. Ils sont considérés comme trop risqués.

Cependant la MecFEPRODES s’est lancé dans le financement des agriculteurs afin de répondre

à leur récurrent manque de liquidité entravant leurs productivités. La mutuelle n’a pas été

épargnée par les difficultés inhérentes à type de financement et ses taux d’impayés ont

augmenté. Pour faire face à cela, diverses actions sont menées pour limiter ces risques de

défaut de paiement; on note notamment la mise en place de microassurance et la participation

à un projet de warrantage. Ces innovations correspondent à celles que nous avons étudié dans

la deuxième partie et semble cohérente avec l’environnement local. La filière riz étant bien

implantée dans la vallée du fleuve, l’approche filière telle que nous l’avons vu précédemment

pourrait aussi être une réponse à la volonté de financer les agriculteurs.

Conclusion de la troisième partie

La MecFEPRODES a durant 7 ans connu un taux de remboursement quasi-parfait.

Cependant depuis 2004, ses taux d’impayés sont en constante augmentation. Lors de mes

recherches j’ai cherché à comprendre les raisons d’une telle augmentation.

La MecFEPRODES jouit d’un environnement institutionnel favorable. En effet, depuis 1995 et

l’avènement de la loi PARMEC, le gouvernement sénégalais cherche à encadrer et à

promouvoir l’essor de la microfinance dans le pays. Ainsi l’Etat encadre l’évolution du

secteur et appuie les Services Financiers Décentralisés par de nombreux colloques et

formations sur le sujet. Cette implication de l’Etat favorise aussi les recherches et les études

sur la microfinance effectuées sur le sol national. La MecFEPRODES a donc pléthore de

documentations sur lesquelles s’appuyer. Un dernier point positif de cet engagement de l’Etat

est qu’il favorise les bailleurs de fonds à investir dans le secteur, considéré comme stable.

Tout cela a permis à la MecFEPRODES de se développer dans un environnement dynamique.

Cependant, cela n’a pas permis d’éviter une dégradation de son portefeuille. Comme

nous l’avons vu dans cette partie, cette dégradation est due à plusieurs facteurs qui se

combinent. Le caractère instable des finances des ménages peut les faire basculer d’une

situation ou le remboursement est possible à une situation ou rembourser devient impossible,

et cela très rapidement. La forte concurrence commerciale est une autre barrière au

développement d’une microentreprise à forte valeur ajoutée. Ces risques sont difficilement

évaluables de prime abord par les agents de crédit, il arrive donc que des crédits soient

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accordés et non-remboursés. La MecFEPRODES a aussi dû faire face à un manque de suivi des

dossiers des clients, dans un premier temps du à un nombre trop réduit d’agents de crédit.

Dans un second temps, un laps de temps dommageable a été constaté entre cette montée et un

durcissement de la politique de suivi de dossier, ce qui a accentué les difficultés de

recouvrement. Ces raisons sont assez communes à toutes IMFs qui s’implantent dans un pays

en développement.

La particularité de la MecFEPRODES a été de se lancer dans le financement des activités

agricoles, secteur délaissé. La demande en services financiers de la part des agriculteurs de la

région était importante. La mutuelle a répondu à ses attentes mais on peut supposer que le

risque de tels crédits n’a pas été assez pris en compte, ce qui a engendré une forte

augmentation des impayés. Depuis lors la mutuelle cherche à se restructurer en engageant de

nouveaux agents de crédits, en durcissant sa politique de suivi des dossiers notamment des

dossiers en retard et enfin en cherchant à proposer des produits plus adaptés aux agriculteurs

(warrantage, microassurance).

La MecFEPRODES devrait surveiller de près ses taux d’impayés pour ne pas tomber elle-

même dans un cercle vicieux financier ou ses charges seraient supérieures à ses recettes. Elle

devrait durcir sa politique d’octroi de crédit bien que cela soit difficile dans un contexte

concurrentiel grandissant dans la région. Un renforcement du suivi des dossiers des clients

semblerait être aussi une bonne idée. Comme le dit la formule de la BCEAO « gérer ce que

l’on peut cadrer et encadrer ce que l’on arrive à gérer ». La mutuelle se retrouve confrontée

aux difficultés de financement du monde agricole que nous avons pu étudier dans la seconde

partie, comme nous l’avons démontré, une solution à ces problèmes consiste à proposer des

produits plus adaptés aux agriculteurs. Pour cela, elle peut s’appuyer sur les nombreuses

tentatives en la matière dans la région (warrantage au Niger, mobile-banking au Burkina

Faso...). De plus, un partenariat pour mettre en place un financement de type « filière »

pourrait sembler envisageable dans la région ou il existe de nombreuses organisations

paysannes, rizeries, acheteurs de gros. La filière riz de la vallée du fleuve est la plus

importante du pays et peut compter sur son historicité et la fertilité des sols pour rester

productive et rentable.

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CONCLUSION GENERALE

Les crises d’impayés qui ont émergé depuis les années 2000 dans le secteur de la

microfinance ont révélé la fragilité de ce secteur. Chaque crise est originale puisqu’ancrée

dans le contexte spécifique du pays où elle survient. Cependant ces crises ont aussi un point

commun : la croissance importante d’impayés qui finit par déstabiliser une IMF. Comme

nous l’avons vu dans la première partie, il est possible de catégoriser les principales causes

qui entraînent une crise, l’endettement des ménages, les dérives du secteur, l’environnement

économique, l’influence des politiques et le financement du secteur agricole. L’analyse des

causes de ces crises nous permet de comprendre pourquoi et comment les ménages se

retrouvent dans l’impossibilité de rembourser leurs créances.

Une cause spécifique qui peut engendrer une crise est le financement du monde rural.

Comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, le crédit agricole est risqué parce

qu’inadapté aux financements du secteur, ainsi il reste toujours délaissé par les IMFs. La

microfinance est, tout de même, nécessaire aux acteurs agricoles des pays en développement

car ils ne peuvent pas accéder aux modes de financement classique. Cela limite notamment

leurs possibilités d’accéder aux crédits et donc leurs investissements, alors que ces services

doivent les aider à sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Nous avons montré que de récentes

innovations en matière de financement du secteur agricole permettent de réduire les risques

inhérents au secteur et d’apporter une aide aux agriculteurs. Il serait donc souhaitable que les

IMFs prennent connaissance de ces nouveaux types de services afin d’accroître leur

portefeuille rural et de répondre aux besoins des ruraux.

L’exemple de la MecFEPRODES permet de comprendre concrètement comment le

financement du secteur agricole a pu avoir des conséquences néfastes sur le bilan économique

de l’institution. Ainsi en voulant aider les populations rurales, l’institution s’est mise en péril.

Cependant les nouveaux produits proposés par la mutuelle semblent correspondre aux attentes

des acteurs ruraux et avoir fait leur preuve dans d’autres régions, ce qui est encourageant pour

le futur de l’institution.

La microfinance a su surmonter les crises auxquelles elle a dues faire face. Le secteur

devrait améliorer son offre de services financiers envers le monde rural, tout en prenant garde

aux risques d’impayés. Ainsi les institutions de microfinance garderaient leur objectif

premier : fournir une aide pérenne aux exclus financiers.

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Annexe 1: Questions posées aux agents de crédit de la MecFEPRODES.  

Depuis combien de temps travailles tu pour la MecFeprodes ? Combien de clients suit-tu (nombre de dossier total, nombre de dossier en cours) ? Tu trouves que c’est beaucoup ?

Quelles sont les principales raisons évoquées par les clients pour justifier leur non-remboursement ? Quelles sont, selon vous, les principales raisons du non-remboursement des clients ? Pourquoi les impayés ont augmenté plus fortement ces dernières années ?

Quel type d’activité retrouves tu le plus souvent dans les cas des impayés ? S’agit-il de petite ou de grande somme ? Comment se passe le recouvrement ? Quelle image ont les clients de la MecFeprodes ? Ont-ils conscience du caractère social de la MecFeprodes ? Les clients viennent-ils vous voir en cas de problèmes, de difficultés avec leurs crédits ?