Upload
hadang
View
218
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Commission sur le racisme et le ngationnisme luniversit Jean-Moulin Lyon III
Rapport Monsieur le Ministre de lducation nationale
par Henry Rousso
Septembre 2004
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Membres de la Commission :
Annette BeckerProfesseure dhistoire contemporaine
luniversit de Paris X-Nanterre
Florent BrayardCharg de recherche au CNRS (IHTP)
(Secrtaire scientifique)
Philippe BurrinDirecteur de lInstitut universitaire de
hautes tudes internationales de Genve
Henry RoussoDirecteur de lInstitut dhistoire du temps prsent (IHTP-CNRS)
(Prsident)
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
INTRODUCTION
Le 15 novembre 2001, le ministre de lducation nationale, Jack Lang, dcide la cration
dune Commission sur le racisme et le ngationnisme au sein de luniversit Jean-Moulin
Lyon III , mission reconduite par les ministres Luc Ferry et Franois Fillon.1 La prsidence en
est confie un historien, Henry Rousso, aprs que plusieurs de ses collgues, galement
historiens, ont dclin loffre. Les membres de cette commission ont t nomms le
11 fvrier 2002, sur des critres scientifiques : Annette Becker, professeure dhistoire
contemporaine luniversit de Paris X-Nanterre a t membre de la section 22 ( Histoire et
civilisations ) du Conseil national des universits, et elle est spcialiste de lhistoire des deux
guerres mondiales ; Philippe Burrin, directeur de lInstitut universitaire de hautes tudes
internationales de Genve, est un spcialiste de lhistoire du nazisme, du fascisme franais et
de lantismitisme ; Florent Brayard, charg de recherche au CNRS (Institut dhistoire du
temps prsent), responsable du secrtariat scientifique, est un spcialiste de lhistoire du
ngationnisme et de lhistoire du gnocide ; Henry Rousso a travaill sur lhistoire et la
mmoire de la seconde guerre mondiale.2 Prvue lorigine pour janvier 2003, la date de
remise du rapport a t repousse deux reprises, dabord parce que la commission na
commenc son enqute qu compter de septembre 2002, aprs les changements politiques
intervenus au printemps, ensuite cause de la nature mme du travail et des mthodes
adoptes.
1 On trouvera la prsentation de la commission, ainsi que le dossier de presse ladresse suivante:
.2 Deux autres universitaires ont fait partie de la commission lorigine : le philosophe et politologue Pierre-Andr
Taguieff, et le sociologue Daniel Filtre, spcialiste des universits. Ils nont pu poursuivre, pris par dautres projetsou dautres charges professionnelles.
Introduction p.6/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Dans la lettre de mission, le ministre crit :
Depuis une quinzaine d'annes, un certain nombre d'affaires ayant rapport au racisme et
au ngationnisme ont travers lUniversit franaise. Ce fut notamment le cas luniversit Jean-
Moulin Lyon III. Les tudiants, les personnels universitaires et, plus gnralement, l'opinion ont puavoir le sentiment que toute la lumire n'avait pas t faite sur ces affaires, ce qui a suscit les
rumeurs, la suspicion et aussi le mcontentement.
Il est temps de permettre le retour la srnit. Celle-ci passe notamment par la mise au
jour objective des faits. Un travail de cet ordre avait t conduit, il y a quelques annes, pour
l'universit Lumire Lyon II, par le professeur Bernard Comte. II apparat aujourd'hui souhaitablequ'une recherche analogue soit mene propos de l'universit Lyon III.
C'est pourquoi je vous demande, Monsieur le professeur, de bien vouloir prsider et animer
une commission historique charge de faire la lumire sur le racisme et le ngationnisme qui ontpu trouver leur expression au sein de l'universit Lyon III.
II s'agira pour vous, en reconstituant l histoire du problme et en proposant une
interprtation fonde sur des sources fiables, d'viter pour l'avenir le double cueil d'uneoccultation volontaire ou involontaire du pass et d'une polarisation injustifie sur ces
questions.
C'est cette condition que votre enqute historique permettra cette grande universit de
renforcer le rle qui est le sien et de dvelopper le rayonnement qu'elle mrite. [...]3
PRSENTATION DES FAITS
La cration de cette commission sinscrit dans une histoire locale dj longue, aux
pripties nombreuses et droutantes pour qui nest pas un observateur du milieu universitaire
et politique lyonnais. Elle rsulte court terme dune exacerbation des polmiques concernant
la prsence Lyon III denseignants proches de lextrme droite. En ralit, le problme a
surgi il y a trente ans, avec la cration mme de cet tablissement, en 1973-1974, aprs une
scission brutale avec luniversit Lyon II fonde aprs 1968 et marque gauche . Son
histoire a t maille de plusieurs scandales mettant en cause une poigne denseignants et
dtudiants, dnoncs pour leurs crits et leurs activits politiques dans et hors de luniversit.
Deux types de reproches mergent de manire rcurrente, quil ne faut pas confondre
mme sils sont lis entre eux. Le premier concerne le fait que Lyon III a abrit depuis la fin
des annes 1970, un petit groupe denseignants engags lextrme droite. Par commodit
de langage, et tout en sachant quil sagit l dune simplification, nous parlons ici d extrme
3 La copie de la lettre de mission se trouve en annexe.
Introduction p.7/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
droite pour dsigner des tendances politiques de type autoritaire, fondes sur le principe des
communauts organiques contraire aux principes dmocratiques issus des droits de lhomme
et du citoyen. Le terme dextrme droite recouvre en France, depuis 1945, plusieurs variantes
idologiques : nationalistes exclusifs hostiles aux trangers , nofascistes, partisans du
diffrencialisme biologique, ethnique ou culturel, catholiques intgristes, monarchistes
contre-rvolutionnaires. Marques par la dfaite de Vichy et de la collaboration en 1945, la
plupart des tendances de lextrme droite franaise ont refait surface la fin des annes 1950,
avec le combat pour lAlgrie franaise. compter des annes 1980, elles se sont engages
autour du Front national dans la contestation des politiques dimmigration. Dans la France du
XXe sicle, ce sont les mouvements dextrme droite qui ont le plus port le racisme et
lantismitisme, mme si toutes leurs composantes nadhrent pas ces ides, et mme sils
ne sont pas les seuls promouvoir ces formes dexclusion.
Cest ainsi que Lyon III a vu lenracinement, la fin des annes 1970, dun petit noyau
duniversitaires proches du GRECE (Groupement de recherche et dtudes pour la civilisation
europenne), un des mouvements de la Nouvelle Droite qui a suscit de vives oppositions
cause de ses thses inspires du racisme scientifique du XIXe sicle et de son
instrumentalisation de la question indo-europenne . Les attaques se sont concentres sur
lInstitut dtudes indo-europennes (IEIE), un centre de recherche cr Lyon III en 1980 par
des linguistes (Jean Haudry, Jean Varenne, Jean-Paul Allard), qui a servi de lieu de
regroupement idologique. Certains enseignants (Bruno Gollnisch, Pierre Vial) rejoignent
galement, dans ces annes-l, le Front national, o ils exercent des responsabilits
importantes. La prsence de lextrme droite Lyon III a revtu une forte visibilit et a
cristallis les passions, mme si elle a toujours t marginale : cette universit, tort ou
raison, a t stigmatise cause dun climat particulier, dans un contexte local et national
marqu par la remonte du racisme et de lantismitisme.
Le second reproche, distinct du prcdent mme sil participe du mme climat ,
concerne des agissements ngationnistes . Le terme a supplant depuis 1987 celui de
rvisionnistes pour dsigner ceux qui nient lexistence des chambres gaz, et plus
gnralement, la ralit du gnocide des juifs commis par les nazis. Trois grandes affaires ont
ainsi secou Lyon III : laffaire Roques, laffaire Notin, laffaire Plantin. La premire concerne la
dlivrance dun titre de docteur dUniversit un militant dextrme droite, Henri Roques,
par un jury de complaisance runi luniversit de Nantes, en juin 1985, et prsid par le
germaniste Jean-Paul Allard de Lyon III. Le diplme est annul lanne suivante pour vice de
forme, aprs avoir soulev une motion considrable, dans un contexte o les rminiscences
de la seconde guerre mondiale et le souvenir de la Shoah commencent sensibiliser lopinion.
Introduction p.8/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
La suivante met en cause, en janvier 1990, un autre enseignant de Lyon III, lconomiste
Bernard Notin, qui a publi un article dans une grande revue scientifique comportant des
passages racistes et ngationnistes, dclenchant une controverse dampleur nationale. Les
responsables de luniversit sont contraints, sous la pression, de prendre des sanctions
disciplinaires inhabituelles. Laffaire attire lattention car elle se dveloppe dans le contexte de
la profanation du cimetire de Carpentras et du dbat parlementaire sur la loi Gayssot
rprimant le ngationnisme, promulgue en juillet 1990. La troisime affaire, dune autre
nature, clate en avril 1999 lorsque lon apprend quun libraire traduit en justice pour diffusion
de textes ngationnistes, Jean Plantin, a soutenu avec succs, en 1990, une matrise dhistoire
contemporaine Lyon III portant sur Paul Rassinier, lun des premiers avoir ni lexistence
des chambres gaz, dans laprs-guerre.
Lyon III, universit marque droite, nest pas seule en cause dans ces affaires. Le
problme du ngationnisme touche aussi sa rivale perue comme de gauche, Lyon II. Celle-ci
doit faire face, en 1978-1979, laffaire Faurisson, du nom dun professeur de littrature qui a
jou un rle central dans lmergence de sectes ngationnistes dans les annes 1970-1980.
Laffaire Roques la concerne galement puisque lun de ses enseignants, Pierre Zind, est
membre du jury de la thse controverse. Enfin, laffaire Plantin dclenche un scandale
concomitant celui de Lyon III puisque lancien tudiant a soutenu, en 1991, un DEA dhistoire
contemporaine Lyon II sur un sujet galement suspect dintentions ngationnistes.
Sparment ou ensemble, les deux tablissements lyonnais ont connu ainsi, sur un peu plus
dune dcennie, les principales affaires de ce genre ayant touch lenseignement suprieur et
la recherche en France, soulevant la question dune ventuelle spcificit lyonnaise, et
rvlant surtout des dysfonctionnements srieux au sein des universits franaises.
Les termes d affaire ou de scandale ne sont pas utiliss ici la seule fin de
qualifier des situations en soi intolrables. Ils suggrent une situation dans laquelle les
ractions, les mobilisations, les oppositions ont jou un rle dterminant, en transformant des
questions internes lUniversit en problmes publics. Les agissements de lextrme droite et
les problmes de ngationnisme ont suscit peu peu des manifestations dhostilit de la part
de syndicats dtudiants (comme lUNEF-ID), dassociations antiracistes (comme SOS
Racisme), de mouvements de jeunesse (comme lUnion des tudiants juifs de France), ou
encore dassociations cres Lyon III pour la circonstance ( Ren-Cassin , chez les
enseignants, Hippocampe chez les tudiants), sans parler des partis politiques
traditionnels eux aussi mobiliss, ces controverses sinscrivant dans les pripties de la vie
politique locale.
Introduction p.9/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Avec des temporalits, des modalits et des objectifs variables, ces groupes ont dploy
des rpertoires daction propres lespace public contemporain, en particulier la prise de
parole , pour informer ou pour se scandaliser . Ces actions sappuient sur des alliances
avec des mdias relayant leurs revendications. Ces actions collectives, dans leur diversit,
sont un lment crucial pour comprendre la longvit et lacuit du problme, et plus encore le
dcalage frquent entre les situations relles et leur reprsentation, en particulier leur mise en
scne mdiatique. Plusieurs acteurs interviennent dans ces affaires : les enseignants (et
tudiants) dont on incrimine les ides ou les actes, les dirigeants de luniversit, les opposants
internes ou externes, les journalistes et organes de presse locaux ou nationaux,
ladministration (direction des Enseignements suprieurs au ministre de lducation nationale,
services juridiques, rectorat), les pouvoirs politiques (gouvernement, municipalit), sans oublier
la justice puisque ds lorigine, et surtout dans la priode rcente, ces questions ont fait lobjet
de nombreuses procdures administratives ou pnales (plaintes en diffamation, poursuites
pour dlit de racisme ou de ngationnisme). La commission elle-mme a constitu cet gard
un nouvel acteur qui devait sintroduire dans un milieu dj passablement occup.
LE CHAMP DE LENQUTE
Les raisons conjoncturelles qui expliquent la cration de cette commission sont
expliques au chapitre 7 qui aborde les dveloppements les plus rcents de ce dossier. Dans
un contexte o les commissions dexperts se multiplient, sur des questions techniques comme
sur des problmes de socit, voire sur lanalyse des pisodes dramatiques du pass national,
une telle initiative peut sembler banale. Elle sort pourtant de lordinaire car la commission a d
enquter sur un organisme, lUniversit, rgi par le principe de lautonomie, dont lvaluation se
fait par des procdures bien tablies, la plupart du temps internes au milieu.
Son champ dinvestigation touche la question de la libert dexpression des
universitaires la libert acadmique qui sexerce dans le cadre de leur mtier , celle
de lautonomie relle des universits, aux modes dvaluation des travaux scientifiques ou
dattribution des diplmes, ou encore aux procdures de recrutement.
Ces problmes concernent au premier chef les universitaires et les tudiants, mais ils
touchent directement lensemble de la socit tant les universits ne sont plus aujourdhui des
mondes protgs, mais sinsrent au contraire de plain-pied dans le tissu conomique, social
et culturel dune rgion ou dun pays. Les problmes abords dans ce rapport se dploient
durant la priode qui a vu lenseignement suprieur changer en profondeur, avec lmergence
Introduction p.10/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
des universits de masse, un fait de structure essentiel pour comprendre la dimension
publique des polmiques lyonnaises. Les attentes de la socit envers lUniversit ont chang
radicalement avec la dmocratisation et lexplosion dmographique des premiers cycles. Les
diffrences entre dun ct lcole, qui concerne de manire obligatoire des mineurs, et
lUniversit, qui reoit des adultes libres de leur choix, se sont ainsi peu peu attnues, du
moins dans lesprit des jeunes et de leurs parents. Nous en avons eu de multiples exemples
dans notre enqute avec le souhait souvent exprim de limiter lautonomie des universits et la
libert des universitaires au prtexte quils forment la jeunesse : mme si cest un vieux dbat
politique et juridique, il a t raviv rcemment par la question du ngationnisme.
Le champ de notre enqute a touch galement des problmes extrieurs lUniversit,
comme lmergence de nouvelles formes dorganisation politiques, dactions publiques,
dengagements civiques. Il touche aussi, de manire centrale, les manires dinformer ou de
dsinformer, voire le statut mme de linformation et des rgimes de vrit luvre dans nos
socits. Il sinscrit enfin, cela va de soi, dans un contexte o la lutte contre lantismitisme et
le racisme sous toutes ses formes est redevenue une urgence politique, ce qui oblige bien
circonscrire au pralable les dangers et rflchir aux modes daction les plus appropris sur
le plan de lefficacit comme sur le plan thique.
Il nest donc pas surprenant que ce travail ait rencontr quelques cueils quil est
ncessaire dexposer avant de prciser la lettre et lesprit de notre dmarche.
1 Le plus important concerne sa lgitimit mme. Il a t soulev par certains de nos
interlocuteurs, sur un mode allant de la curiosit bienveillante la franche hostilit. quel titre
des universitaires franais et trangers, choisis sur la base de leurs seules comptences, sans
souci de reprsentativit, avaient-ils autorit pour valuer, mme sur quelques points prcis,
laction dun tablissement denseignement suprieur hors des instances prvues cet effet ?
Comment, sagissant de manquements disciplinaires, voire de comportements dlictueux, une
telle commission pouvait-elle agir en dehors des juridictions acadmiques ou des tribunaux ?
La difficult a t dautant plus grande que lenqute a port sur des faits impliquant des
personnes nommment dsignes et non sur des situations gnrales, une caractristique
inscrite dans la raison dtre de cette mission quil ntait pas possible dignorer.
Les universits possdent, en effet, leurs propres juridictions en matire disciplinaire, un
privilge quasi unique au sein des services publics civils nous y reviendrons au chapitre 5.
Dune manire plus gnrale, les questions touchant lindpendance des enseignants, leur
libert dexpression, lautonomie de la recherche sont lobjet de textes qui ont suscit en
Introduction p.11/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
France de trs nombreux dbats, tout particulirement dans la priode rcente, et dont il
importe de rappeler succinctement la teneur. Sur le fond, ces textes ont peu vari, malgr des
nuances idologiques. La loi de 1968, reste en vigueur jusquen 1984 et parfois au-del,
prcise :
Lenseignement et la recherche impliquent lobjectivit du savoir et la tolrance des
opinions. Ils sont incompatibles avec toute forme de propagande et doivent demeurer hors detoute emprise politique ou conomique .4
La loi de 1984 est plus diserte sur le sujet :
Le service public de lenseignement suprieur est lac et indpendant de toute emprise
politique, conomique, religieuse ou idologique ; il tend lobjectivit du savoir ; il respecte ladiversit des opinions. Il doit garantir lenseignement et la recherche leurs possibilits de libre
dveloppement scientifique, crateur et critique [...] .5
Lindpendance des enseignants est, elle, affirme dans les mmes termes dans la loi
de 1968 et dans celle de 1984 :
Les enseignants et les chercheurs jouissent dune pleine indpendance et dune entire
libert dexpression dans lexercice de leurs fonctions denseignement et de leurs activits derecherche, sous les rserves que leur imposent, conformment aux traditions universitaires et auxdispositions de la prsente loi, les principes dobjectivit et de tolrance .6
En outre, dans une dcision clbre qui prcde la promulgation de la loi Savary, le
Conseil constitutionnel a fait des liberts universitaires un droit garanti par la Constitution et un
principe fondamental des lois de la Rpublique7. Il sagit donc dune protection et dun privilge
consquents mais qui ne sont pas sans contreparties. Les situations litigieuses au sein de
lUniversit doivent en effet sapprcier laune, dun ct, dun droit qui garantit la libert
dexpression et la libert de la recherche au sein de lUniversit, et de lautre, dun devoir
dobjectivit et de tolrance, auquel sajoute la ncessit de respecter une thique et une
4 Article 35 de la loi dorientation de 1968, au titre VII Des franchises universitaires . Cet article est repris la
lettre, comme cest la rgle, dans les premiers statuts de Lyon III, 12 dcembre 1973, article 22-2.5 Article 3 de la loi du 26 janvier 1984 sur lenseignement suprieur, dite loi Savary , Journal officiel, 27 janvier
1984, p. 431.6 Article 34 de la loi dorientation de 1968, article 57 de la loi de 1984. Cette dernire sapplique cependant
cest une nuance aux enseignants-chercheurs, aux enseignants et aux chercheurs , la premire catgorie tant
une cration propre de la loi Savary.7 Dcision 83-165 DC, 20 janvier 1984. Cf. Louis Favoreu et Loc Philip, Les grandes dcisions du Conseil
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2001, 11e dition, p. 571 et suiv.
Introduction p.12/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
rigueur scientifique. Mme si notre mission ne sinscrit pas dans une logique normative, il nous
a bien fallu rflchir et exposer, y compris en tenant compte de notre subjectivit et de nos
incertitudes, quel pouvait tre aujourdhui le bon usage des liberts acadmiques. Nous
lavons fait dans lespoir de susciter un dbat partir de cas prcis et historiquement cibls.
Ensuite, et dans la mme logique, le racisme constitue depuis longtemps un dlit en droit
pnal franais, quant au ngationnisme, il lest devenu en 1990. Enquter sur leur ventuelle
expression signifie donc se pencher sur des faits entrant dans le champ de comptence de la
justice, au risque de se substituer elle, soit en revenant sur des faits jugs, soit en mettant en
exergue des faits qui nont pas donn lieu des poursuites. Sajoute un risque supplmentaire,
en particulier concernant le ngationnisme : ds lors quil sagit dun dlit, sa dfinition, son
imputation une situation ou une personne concrte oblige plus de rigueur et plus de
discernement quauparavant, en une matire o prcisment limprcision et lambigut
rgnent souvent. Cest lun des effets pervers de la loi Gayssot qui, en rprimant le
ngationnisme, a paradoxalement rendu sa qualification pralable plus difficile.
2 - La commission a d prendre en compte galement lampleur des attentes son
gard, trs diffrentes voire contradictoires suivant les cas. Presque tous les acteurs
importants de la controverse avaient en effet lespoir quune telle entreprise conforte leur
position et infirme celle des adversaires. Les dirigeants de Lyon III, qui avaient accept le
principe de cette commission bien quelle entretnt la suspicion leur gard, espraient quelle
ramne le dossier des proportions moindres. Ceux qui lont rclame, notamment certaines
associations tudiantes, ont dclar quune nouvelle enqute devait tre mene tout en
estimant quelles avaient dj entrepris un important travail dinformation et de sensibilisation.
Ctait laisser entendre implicitement que le travail militant accompli devait tre avalis par une
instance plus autorise . La tactique, habituelle dans les actions collectives
contemporaines, consiste instrumentaliser le principe mme de lexpertise en arguant
dabord du fait que sil y a investigation, cest quil y a problme, puis en essayant de peser sur
les experts, pour enfin dnoncer le cas chant lexpertise si elle ne correspond pas aux
attentes, en rappelant alors que linformation a dj t fournie par les associations sur le
terrain. La commission a ainsi subi, sans surprise, la pression de certains groupes qui lui ont,
par ailleurs, fourni une documentation prcieuse. En revanche, ni luniversit, ni les pouvoirs
publics qui lui ont grandement facilit laccs des documents en principe inaccessibles
nont tent de peser sur son travail. Enfin, quelques protagonistes ont manifest leur hostilit
Introduction p.13/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
lentreprise parce quils lestimaient infonde, drangeante ou illgitime8. Cela sest ressenti
dans les quelques rares refus que nous avons rencontrs dans nos demandes dentretiens
(trois au total). Dans lensemble, la commission a t cependant bien reue, et nous avons eu
le sentiment que lon attendait delle quelle puisse noncer une interprtation gnrale un tant
soit peu fiable du problme.
3 - Une troisime difficult rsultait de ce que cette controverse a donn lieu depuis
deux dcennies, une multitude dcrits, de rcits constitus , qui sont la fois des sources
dinformations et une forme dcran opaque pour qui veut dconstruire le dossier. La plupart
ont t conus comme des rquisitoires, lexception du rapport du CNE et des textes de
Bernard Comte, plus nuancs, et ils offrent aux yeux dun observateur extrieur un corpus
sdiment par la rptition. La liste qui suit ne recense quune partie de la littrature consacre
Lyon III, et prsente des textes de nature diffrentes qui ont pour particularit davoir tous t
abondamment utiliss pour constituer un dossier essentiellement charge.
- En 1992, le Comit national dvaluation des tablissements publics caractre
scientifique, culturel et professionnel publie la premire valuation statutaire de Lyon III. Le
rapport a t demand par le ministre Lionel Jospin aprs laffaire Notin. Si lapprciation estglobalement favorable, le texte comporte des passages svres qui incriminent au premier chef la
scission originelle.9
- compter de 1995, lassociation tudiante de Lyon III Hippocampe publie rgulirement
des rapports volumineux sur lextrme droite Lyon III , qui constituent des pices essentielles
du dossier charge contre luniversit.10
8 Avant que lenqute ne dbute, la commission a t lobjet de deux sries dattaques. La premire est venue
des milieux ngationnistes, sous limpulsion de lhistorien britannique David Irving, un des chefs de file de cesmouvements, qui ont lanc sur internet des offensives par voie de courriels auprs des membres de la commission,
certaines comportant des menaces ; la seconde est une lettre ouverte du 8 mars 2002, adresse Jack Lang,
par le prsident de SOS-Racisme, Malek Boutih, et lcrivain Didier Daenincks, du Cercle Marc-Bloch qui, sans
prendre contact avec les intresss, et sans prendre le temps de sinformer, mettaient violemment en cause adhominem la probit intellectuelle des membres de la mission. Cette initiative, reste sans cho, donne la mesure des
controverses ; elle sinscrit dans des pripties expliques aux chapitres 6 et 7.9 CNE, LUniversit Jean-Moulin Lyon III, Rapport dvaluation, Paris, septembre 1992 (ces documents sont
disponibles auprs du CNE), 160 p. Cf. infra, chapitre 1.10 Hippocampe, association tudiante de Lyon III, LExtrme droite Lyon III 1990-1995, s.l., s.d., multigraphi,
275 p. ; Rapport dexcution, anne 1997-1998, s.l., s.d., multigraphi, non pagin [environ 500 p.] ; Rapport
dactivit de lassociation Hippocampe sur lextrme droite Lyon 3, septembre 1998-septembre 2001, s.l., s.d.,
multigraphi, 492 p. ; Rapport dactivit de lassociation Hippocampe sur lextrme droite Lyon III, Septembre2001-septembre 2002, s.l., s.d., multigraphi, 197 p.
Introduction p.14/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
- En octobre 1997, un collectif de plusieurs associations tudiantes de Lyon III, dont
Hippocampe, lUEJF, lUNEF-ID, adresse aux pouvoirs publics un rapport sur lInstitut dtudesindo-europennes, qui reprend les lments des rapports publis depuis 1995.11
- En octobre 1999, suite une demande de la prsidence de Lyon II, Bernard Comte,
matre de confrences en histoire contemporaine Lyon II, rend un rapport qui constitue lapremire synthse densemble du problme ngationniste dans les universits lyonnaises.12 En
2000, Bernard Comte rdige un autre texte, non diffus, sur la partition de Lyon II dont il a t unacteur, et qui constitue une amorce de lhistoire de la scission, inacheve faute daccs aux
archives de Lyon III .13
- En dcembre 1999, un collectif dextrme gauche publie un texte qui dnonce les
contre-vrits du rapport Comte, et amalgame aux cas dj voqus toute une srie dautres
affaires , entrinant explicitement lide que Lyon serait devenu la capitale dungationnisme .14 Il faut ajouter ce texte, une srie darticles et douvrages reprenant les
mmes thses lesquelles sinscrivent dans le contexte de laffaire Videlier, du nom dun chercheurdu CNRS appartenant lorigine une quipe de recherche de Lyon II, et qui s'est engag dans
la lutte contre le ngationnisme dune manire qui a suscit de trs vives controverses. Cetteaffaire est essentielle pour comprendre lensemble du dossier compter des annes 1993-
1994.15
- En juin 2002, alors que notre commission a dj t dsigne, le Conseil lyonnais pour le
respect des droits, une instance prside par le maire, rend un rapport qui porte presque le mme
intitul que le ntre, et reprend pour lessentiel, sous forme abrge, les publicationsdHippocampe.16
- Enfin, il faut ajouter un dossier de presse de plusieurs milliers de pages pour la seule
priode 1990-2000, en ne tenant compte que des principaux journaux locaux ou nationaux, unchiffre qui donne la mesure de lattention accorde aux pripties des universits lyonnaises. Sy
ajoute une bibliographie non ngligeable mais en proportion moindre.
11 Association des gographes et amnageurs, Hippocampe, UNEF-ID, UEJF, Le racisme en qute de
lgitimit universitaire : le cas de lInstitut dtudes indo-europennes de luniversit Jean Moulin Lyon III ,
multigraphi, 35 p.12 Bernard Comte (en collaboration avec Jean-Michel Rampon), Mmoire historique sur les affaires de
ngationnisme dans les universits lyonnaises (1978-1999), ralis la demande de Bruno Gelas, prsident de
luniversit Lumire Lyon 2, 1999, multigraphi, 75 p (dont annexes).13 Bernard Comte, La partition de 1973 et la singularit de luniversit Lyon III, texte rdig en mars-avril 2000,
multigraphi, 61 p.14 Pour la mmoire : contre-rapport. Les dix affaires qui branlrent le monde universitaire lyonnais (1978-1999).
Livre rouge pour en finir avec le ngationnisme et les contre-vrits du Rapport Comte , par le collectif : Cercle
Marc-Bloch, Golias, Ras lFront, SOS-Racisme, dcembre 1999, 40 f., multigraphi. Nous sommes redevables destravaux de Bernard Comte, qui nous a fourni une partie de sa documentation.
15 Voir, notamment, louvrage collectif Ngationnistes : les chiffonniers de lhistoire, Paris/Villeurbanne, d.
Syllepse/d. Golias, 1997, 234 p. Sur laffaire Videlier, voir le chapitre 6.16 Conseil lyonnais pour le respect des droits, Rapport sur le ngationnisme et le racisme luniversit Lyon 3,
juin 2002, 39 f.
Introduction p.15/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Pour surmonter ces difficults intrinsques, la commission a adopt une mthode fonde
sur quelques principes noncs pour la plupart ds lorigine.
1 - Tout dabord, rappel essentiel, elle ne sest pas situe sur un plan normatif,
disciplinaire ou juridique, mais de manire principale sur celui de lanalyse et de lexplication.
Cest la raison pour laquelle au terme de commission , nous avons prfr tout au long de
ce travail celui de mission . Plutt que de convoquer les protagonistes, nous sommes
alls vers eux, sur le terrain, pour recueillir des informations, couter leur version des faits.
Que nous considrions, cela va sans dire, les ides racistes ou ngationnistes comme
abjectes, ne nous a pas empchs de les aborder comme des sujets denqute et
dinterrogation. Lambition tait moins de condamner que doffrir la discussion un texte qui
puisse clairer les contours du problme, tout en assumant et revendiquant notre libre facult
de jugement et dapprciation.
2 - Nous avons cherch renouveler les sources disponibles, dont on trouvera la liste
exhaustive en annexe. Nous avons donc men un travail de documentation approfondi, en
privilgiant les sources de premire main, notamment les archives de luniversit (qui nous ont
t relativement accessibles), celles du rectorat de Lyon (ouvertes sans aucune restriction et
dont lapport a t dcisif), celles du ministre de lducation nationale (trs riches), ainsi que
de nombreux fonds documentaires privs. Nous avons pu avoir accs des dossiers ad hoc
sur les affaires traites ici. Nous avons eu accs aux dossiers de personnels, indispensables
la bonne marche de notre enqute, grce la diligence des services du rectorat, en particulier
de la division de l'enseignement suprieur et des personnels du priv (DISUP ou DISUPP).
Nous avons galement consult des sries longues, voire compltes : procs-verbaux des
conseils de luniversit, puis des conseils dadministration (plniers ou restreints), des
commissions de spcialistes, collection complte du journal de luniversit, de sorte
comprendre la logique des acteurs dans une temporalit autre que celle des moments de
crise. Laccs ces documents, dont les dlais lgaux de communication sont parfois trs
longs, a t rendu possible grce aux lettres des diffrents ministres qui ont permis de les
obtenir sur le principe des drogations de la loi de 1979, tant entendu que beaucoup de ces
archives navaient pas encore t verses, voire que certains dossiers taient encore actifs au
sein des administrations visites. Nous avons parfaitement conscience que le contenu de ces
documents est en principe confidentiel, et nous nous sommes donns pour rgle, sachant que
le rapport avait de fortes chances dtre public, de ne prendre dans ces dossiers que des
lments ayant directement un rapport avec la question qui nous tait pose ou permettant de
Introduction p.16/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
comprendre la carrire dun protagoniste important. Ajoutons que pour simplifier la lecture et
pour viter des effets dannonce, nous avons dcid de ne pas reproduire de documents en
annexe mais dintgrer les plus significatifs, par des citations longues voire intgrales, dans le
corps mme du texte, donc dans la continuit de la dmonstration.
En parallle, nous avons interrog, parfois longuement et plusieurs reprises, prs de
soixante-dix personnes, en couvrant un spectre dactivits et de situations aussi large que
possible, et sans pouvoir viter quelques absences, faute de temps. Lobjectif ntait pas
seulement, comme dans une recherche habituelle, de recueillir des informations ou de
simprgner dun climat, il tait galement dentendre, parfois de restituer des paroles, mme
de manire allusive, de telle sorte largir autant que possible le spectre des opinions
exprimes sur ces affaires.
3 - Nous avons tent de renouveler la problmatique du dossier. Faire lhistoire dun
problme a signifi non seulement tablir et reconstituer les faits mais analyser dun mme
mouvement leurs reprsentations, non de manire statique mais dune faon dynamique, en
tenant compte des interactions provoques. La question ntait pas seulement de comprendre
ce qui stait pass mais danalyser pourquoi ce qui stait pass avait pris, tel moment, telle
configuration dans lesprit des acteurs concerns et de lopinion publique en gnral. Comment
un simple article, une soutenance de mmoire, un centre de recherche au rayonnement
mdiocre ont-ils pu susciter des ractions sans rapport avec leur importance intrinsque ? Le
dossier Lyon III sest en outre construit dans le temps jusqu devenir un problme public ,
quittant lenceinte limite de luniversit pour se dployer dans un espace rgional et mme
national. Il a intress et mobilis progressivement non plus quelques protagonistes, mais les
pouvoirs publics, lopinion, la presse. Son originalit tient une double caractristique : dun
ct, il a constitu par effet cumulatif un abcs de fixation, les polmiques sajoutant les unes
aux autres et gnrant des crises rptitives en apparence insurmontables ; de lautre, il sest
mu en problme symbolique, suscitant des dbats politiques ou de socit dune porte
gnrale allant bien au-del de ses origines. Nous avons cherch rendre compte autant que
possible de cette situation complexe.
4 - Nous avons galement abord la question avec un autre dtat desprit. Il fallait ainsi
rompre avec lunivocit des arguments noncs par les acteurs sur le terrain, et sortir de la
logique de dnonciation/justification, envahissante et peu explicative. Nous avons galement
tent de proposer une dmarche pondre, qui ne se contente pas de dcrire un phnomne
sui generis, mais essaye de lapprcier en fonction dune chelle de mesure, pour en saisir
limportance relative : une allusion ngationniste dans un texte nest pas de mme nature
Introduction p.17/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
quun travail visant tout entier nier le gnocide, mme sils sont tous deux condamnables ;
une sanction disciplinaire sapprcie sa svrit relative, la frquence avec laquelle elle est
donne, sa ralit une fois tous les recours puiss.
Il a fallu galement se dpartir du caractre rptitif des rcits sur le sujet. Disposant
dune documentation exceptionnelle, nous avons pris le parti de jouer sur les chelles
dobservation. Dun ct, nous avons accord une place consquente au contexte gnral :
lhistoire des universits, lhistoire de lextrme droite, de lantismitisme et du ngationnisme,
lhistoire des pratiques et usages du pass, des politiques de la mmoire. De lautre, nous
nous sommes situs des chelles trs rduites, relevant de lhistoire dite vnementielle ,
sans pour autant chercher faire de rvlations tout prix. La vrit de ce dossier se niche
dans les dtails. Pour rompre avec les clichs, il nous a fallu faire le rcit minutieux des
changes entre un prsident duniversit et le ministre au sujet de cas individuels
problmes. Il nous a fallu dresser des chronologies fines, par exemple des articles de presse
au regard du fil des vnements, une comparaison indispensable pour comprendre les
stratgies et les coups mdiatiques. Il a fallu accorder une grande attention aux procdures
rglementaires et disciplinaires afin de redonner toute sa place la dimension juridique des
choses, souvent nglige au profit de laspect moral et politique, avec pour effet de pas
comprendre certaines contraintes relles des acteurs.
Enfin, parmi les prsupposs de mthode, il nous a paru ncessaire de dlimiter notre
champ denqute non seulement en fonction de la lettre de mission et des attentes du
ministre, mais aussi en prenant en compte les ncessits propres du dossier. Nous avons agi
ici comme des chercheurs, prenant la libert de poser toutes les questions qui nous
paraissaient pertinentes : si lon a fait appel des experts universitaires et des historiens et
non des fonctionnaires de ladministration ou des juristes, cest bien que lon attendait du
sujet une approche qualitative, et plus encore un point de vue , fond et argument. Nous
avons ainsi inclus des analyses sur Lyon II, luniversit voisine, car plusieurs des affaires
voques leur sont communes. Nous avons tenu compte de laction des associations,
syndicats et autres mouvements collectifs, lments essentiels dapprciation, au mme titre
que le rle de la presse. Nous avons cependant cart de notre enqute des lments qui
nentraient pas dans notre propos, comme les polmiques sur la dbaptisation de certaines
facults (Alexis Carrel) ou universits (Louis Lumire), ou encore touchant aux diffrends
habituels qui existent au sein dune grande universit et qui navaient pas de lien avec le sujet
trait ici, mme si les protagonistes le vivent de la sorte sur le terrain.
Introduction p.18/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Sur le fond, nous avons cherch rpondre trois sries de questions :
1 - Dans quel contexte, dans quelles conditions et avec quelle ampleur, luniversit
Lyon III a-t-elle recrut des enseignants professant ouvertement des ides dextrme droite ?
Quelle tait la nature exacte de ces ides ? Comment faire le dpart entre les conceptions
racistes et les thories ngationnistes ? Pourquoi ces enseignants ont-ils t lobjet de
critiques rptes, et jusqu quel point ont-ils outrepass les principes de neutralit,
dobjectivit et de tolrance qui fondent la libert des universitaires ? Ces questions font lobjet
des chapitres 1 3 aprs une prsentation gnrale de luniversit Lyon III (par souci de
clart, chaque chapitre se termine par un bref rcapitulatif des principaux points abords).
2 - Comment les instances dirigeantes de Lyon III ont-elles gr les crises successives
des affaires Roques, Notin et Plantin ? Quel a t leur degr dimplication, leur marge de
manuvre pour agir, notamment vis--vis de ltat, un acteur de premier plan, trs sollicit et
trs prsent en dpit de lautonomie suppose des universits ? Dans quelle mesure y a-t-il
une continuit dans la politique de cette universit et comment situer les volutions, les
ruptures au regard des habitus de longue dure ? Sur quelles bases peut-on comparer Lyon III
et Lyon II dans la gestion des dossiers de ngationnisme ? Ces questions sont traites aux
chapitres 4 et 5, ainsi que dans la premire partie du chapitre 7.
3 - Comment expliquer la persistance des polmiques et des tensions, parfois
longtemps aprs les moments de crise proprement dits, alors que le nombre de personnes
impliques est trs faible ? Comment analyser les dcalages temporels, parfois grands, entre
les vnements scandaleux et les mobilisations ? Comment sest construit le problme
public de Lyon III, et quels en ont t les enjeux visibles ou masqus ? Ce thme est abord
essentiellement au chapitre 6 et dans la dernire partie du chapitre 7, tandis que les
conclusions gnrales tentent desquisser les possibles sorties de crise.
Annette Becker et Florent Brayard ont assur une part de la collecte des documents et des tmoignages ; tous
deux ont pris en charge, avec Philippe Burrin, la relecture et les discussions sur les versions successives du
manuscrit ; Henry Rousso a conduit les entretiens et dpouill la documentation, il a conu et rdig le rapport final.
-1-LA FONDATION (1968-1974)
LES TENSIONS DE LUNIVERSIT FRANAISE (XIXe-XXe SICLES)
Depuis la Rvolution, lenseignement suprieur franais a t travers par trois grandes
tensions qui restent, aujourdhui encore, perceptibles. La premire relve de lquilibre,
variable suivant les poques, entre le poids de la tutelle tatique une spcificit franaise ,
et le degr dautonomie des universits en matire de gestion, de recrutement, de cursus. La
deuxime concerne les relations entre le niveau suprieur dorganisation quest lUniversit,
qui obit une logique horizontale et pluridisciplinaire, et les composantes infrieures, relevant
dune logique verticale et le plus souvent monodisciplinaire. LUniversit, lorsquelle existe en
tant quinstitution, a pour fonction dagrger des facults, des dpartements, des centres de
recherche o prdominent des disciplines distinctes qui nont ni les mmes mthodes, ni les
mmes traditions, ni les mmes objectifs. Enfin, la troisime tension rsulte des finalits de
lenseignement suprieur, charg dans des proportions variables dans le temps et dans
lespace, de former des lites, de produire du savoir et dduquer le plus grand nombre au-del
de lcole obligatoire, trois missions parfois antinomiques.
La Convention, en 1793, dans sa lutte contre les corporations, avait supprim les
anciennes universits mdivales. Napolon cr, en 1806-1808, un systme centralis connu
sous le nom d universit impriale , qui renforce le monopole de ltat et le caractre
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.20/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
national de lenseignement, et limite considrablement lautonomie des anciennes facults
(droit, mdecine, sciences, arts et lettres, ainsi que thologie), qui sont en outre concurrences
par les grandes coles (Ponts, Mines, cole normale suprieure). Ce systme est rform
par la IIIe Rpublique, en 1896, sous linfluence du modle allemand, mais sans faire
disparatre la tutelle de ltat (financements publics, diplmes nationaux). Les universits
existent nouveau comme des entits autonomes, qui regroupent en leur sein les diffrentes
facults, mais o ces dernires occupent une place prpondrante. On a mme pu parler de
rpublique des facults pour dsigner la pratique universitaire du XXe sicle jusquen
1968.1 Dans ce systme, la tutelle tatique est forte, lchelon universitaire faible, voire
inexistant, et lchelon facultaire prpondrant. Cela permet dentretenir de trs fortes
hirarchies : entre les professeurs et les autres enseignants de rang non magistral, notamment
les assistants et matres-assistants, recruts en masse dans les annes 1960 pour faire face
aux nouvelles populations tudiantes ; entre les enseignants et les tudiants, la marge de
manuvre et la capacit dexpression de ces derniers tant trs limites ; entre les disciplines
elles-mmes, suivant une classification implicite mais trs prgnante, o dominent quelques
disciplines jalouses de leurs prrogatives, comme par exemple le droit. Le doyen de facult,
qui est lu par tous les professeurs dune mme discipline ou dun mme ensemble de
disciplines ses pairs possde par ailleurs une position prpondrante, et constitue un
interlocuteur privilgi de ltat.
la fin des annes 1960, ce systme traditionnel doit faire face des contestations de
toutes parts, et surtout une profonde transformation due lexplosion dmographique :
29 000 tudiants en 1900, 78 000 en 1930, 137 000 en 1950, 500 000 600 000 en 1968 on
approche du million en 1985, pour atteindre une fourchette entre 1 200 000 et 1 500 000 dans
les annes 1990, et prs de 2 300 000 aujourdhui.2 Le taux de scolarisation dans le suprieur
dune classe dge de 20-24 ans passe de 2 % en 1920 plus de 19 % en 1971 et 30 % en
1985.3 LUniversit change alors de nature. La France, aprs les tats-Unis, et en mme
temps que dautres pays europens, doit affronter le problme des universits de masse, et
avec elles un changement profond des objectifs, des modes de gouvernance, des attentes
son gard, de la population qui sy dploie avec les nouvelles couches sociales tudiantes et le
recrutement massif denseignants de grades infrieurs. Nagure protges du monde
extrieur, les universits deviennent des microsocits complexes et ouvertes.
1 Christine Musselin, La longue marche des universits franaises, Paris, PUF, 2001, 218 p., p. 43-44.2 Antoine Prost, ducation, socits et politiques. Une histoire de lenseignement de 1945 nos jours, Paris, d.
du Seuil, 1997 (nlle. d.), 254 p., p. 139 ; Christophe Charle, op. cit., p. 121.3 Christophe Charle, Jacques Verger, Histoire des universits, Paris, PUF, 1994, (coll. Que sais-je ? ).p. 122.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.21/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Aprs la crise de mai 1968, issue pour partie de la crise de lUniversit traditionnelle, la
loi dorientation du 12 novembre 1968, dite loi Edgar Faure, rforme en profondeur le systme
et cherche prendre acte des volutions de la socit franaise. Fonde sur lide que
lenseignement suprieur doit sadapter la socit moderne , en assumant une fonction de
transmission des savoirs et de formation permanente, et en souvrant la recherche, elle
transforme radicalement linstitution : refondation de lUniversit comme niveau suprieur
autonome dorganisation, cration de nouvelles entits, suppression des facults,
encouragement la pluridisciplinarit, intgration de lenseignement et de la recherche par la
cration du statut d enseignant-chercheur , tablissement dune dmocratie lective qui
associe des reprsentants des enseignants de toutes catgories, des tudiants, des
techniciens et des administratifs au sein du nouveau Conseil de luniversit , qui comprend
galement des personnalits extrieures (lus locaux, entrepreneurs, syndicalistes),
lection dun prsident duniversit avec un mandat quinquennal.
Cette loi, qui consacre un nouveau modle universitaire, a rencontr de grandes
difficults dapplication. Elle heurte des traditions et des positions sociales bien enracines. La
cration des nouvelles units denseignement et de recherche (UER) en lieu et place des
anciennes facults, la ncessit doprer des regroupements disciplinaires parfois forcs ou
factices pour entrer dans les normes imposes, lexacerbation dintrts particuliers
(disciplinaires ou statutaires) dans les nouvelles instances, la tension entre le dsir dune prise
de parole tous azimuts et les ncessits pragmatiques, les affrontements politiques parfois
violents, tout cela gnre de trs fortes tensions au sein des nouvelles entits ainsi cres, et
en particulier au sein du milieu universitaire lyonnais, qui est travers de profonds clivages
durant cette priode.
UN PCHORIGINEL
Lexpression a t utilise maintes reprises par les dirigeants de Lyon III pour expliquer
que les attaques contre leur universit avaient pour cause principale son existence mme, et
plus encore sa cration dans des conditions trs conflictuelles : on nous en veut depuis ce
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.22/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
temps-l , nous a dclar Pierre Vialle.4 Le constat est en partie exact puisque la plupart de
ceux qui critiquent cette universit, que ce soit les associations, les journalistes ou le milieu
enseignant local font presque toujours remonter le problme la scission de 1973, voyant
dans lorigine une part importante de lexplication des problmes ultrieurs.5 Quelle que soit sa
pertinence intrinsque, cette rfrence un vnement fondateur qui cre linstitution elle-
mme comme il inaugure la controverse qui lentoure , appartient limaginaire des
protagonistes, dun bord comme de lautre. Elle conditionne leur vocabulaire, que ce soit dans
le registre de la justification ou de la stigmatisation. Le topos, dans sa rptition mme, montre
quel point lvnement a laiss des traces qui doivent tre prises en compte comme des
lments part entire du dossier, mme sil ne sagit pas ici de faire une histoire dtaille de
la scission. Cest dautant plus important, que les problmes rencontrs par Lyon III et les
autres universits lyonnaises ne se rduisent pas des controverses politiques ou des
disputes locales. Ils sinscrivent dans le cadre beaucoup plus large de la mutation sociale et
institutionnelle des universits la fin des annes 1960. Cest un lment parfois minor du
contexte gnral des polmiques lyonnaises.
Le 17 dcembre 1969, un an aprs la promulgation de la loi Faure, le ministre de
lducation nationale, Olivier Guichard, invit par les universitaires lyonnais, annonce la
cration de deux nouvelles universits : Lyon I, qui regroupe les anciennes facults de
sciences et de mdecine, et Lyon II, qui regroupe lancienne facult des Lettres et de sciences
humaines, et celle de Droit6. Cette cration sinscrit demble dans le provisoire puisque le
ministre annonce galement la cration de deux autres universits dans un avenir proche, qui
4 Il a lui aussi utilis lexpression de pch originel lors dune rencontre entre tous les anciens prsidents de
luniversit : Henri Roland (1974-1979, puis 1994-1997), Jacques Goudet (1979-1987), Pierre Vialle (1987-1988,
puis 1989-1994), Gilles Guyot (1997-2002), et deux membres de la commission, Florent Brayard et Henry Rousso,
le 8 avril 2003, dans les locaux de Lyon III. Celle-ci a fait suite nos demandes dentretien avec chacun dentre eux,
lesquels ont refus de nous parler individuellement, au prtexte que nous navions pas assez respect lesformes . Ce mode dexpression collectif avait en fait pour objet de nous proposer une version officielle de lhistoire.
La rencontre a donc t loccasion de signifier, sous la forme dune note verbale liminaire lue par Jacques
Goudet, dans une atmosphre assez trange, tout le mpris dans lequel la plupart dentre eux (Gilles Guyot except
qui nous avait dj reus deux reprises) tenaient la mission, qui relevait leurs yeux dun droit extraordinaire etmme exorbitant (Jacques Goudet). Elle nous a permis de comprendre intuitivement quelle avait pu tre nagure
latmosphre Lyon III, et a constitu un bon exercice d histoire orale , les uns et les autres ayant malgr tout
accept lchange.5 Cest le cas notamment des crits de Bernard Comte, qui a consacr un texte indit et bien document sur
cette seule question : La partition de 1973 et la singularit de luniversit Lyon III, op. cit. Cet historien tait lu des
matres-assistants au conseil de luniversit Lyon II, avant la partition, puis lassemble consultative provisoire de
la nouvelle universit Lyon II, en 1973, aprs la scission, laquelle il tait oppos. Dans ce texte, qui est aussi un
tmoignage, il dfend la culture Lyon II , cherchant allier la valeur scientifique au souci de dmocratiepluraliste (p. 17), par contraste avec sa rivale.
6 Arrt du 5 dcembre 1969, Journal officiel du 17 dcembre 1969.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.23/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
seraient issues des deux nouvelles entits. Je vous propose de prendre la rsolution que la
rgion du Rhne et des Alpes montre lexemple la France et lEurope en organisant le
libre-change des ides et des hommes entre lUniversit et la socit industrielle et leur
ducation permanente lune par lautre .7 Ces paroles optimistes refltent le ton de la
nouvelle socit du nouveau gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, mais il masque
les tensions majeures qui perdurent, Lyon, comme ailleurs, dans certaines universits.
La nouvelle universit Lyon II accueille, en 1969, environ 13 000 tudiants, dont 8000
venus de lancienne facult des Lettres et 5000 de lancienne facult de droit. Ces effectifs
reprsentent plus du tiers de lensemble des tudiants de la rgion. Quatre ans plus tard, au
moment de la scission, ils sont prs de 19 000, alors que le contingent maximum fix par loi
Faure tait de 8000. Lyon II regroupe 14 nouvelles UER trs ingales en taille et en poids :
lUER de Sciences juridiques (ex-facult de Droit) comprend elle seule 4000 tudiants.
Lyon II apparat donc comme un ensemble hypertrophi, htroclite de lavis de tous les
observateurs de lpoque, un monstre qui la rend peu viable en ltat.8
De 1968 1973, on sy affronte sur les missions de luniversit : culture gnrale ou
dbouchs professionnels ; sur lorganisation interne : modle centralis fdral ou modle
facultaire confdr ; sans oublier les rivalits classiques entre disciplines et entre
personnes. Llection du premier prsident, le juriste Jean-Pierre Lassale, ncessite prs de
treize tours de scrutin au sein du nouveau conseil de luniversit.9 Lamalgame des deux ples
originels, Lettres et Droit, ne fonctionne pas, et la partition est dj une option implicite inscrite
dans la cration mme de la premire Lyon II.
Les conflits se cristallisent notamment lors des dbats sur les extensions immobilires
hors du centre ville, pour accueillir les nouvelles populations tudiantes. Dans un premier
temps, en 1969-1970, le gouvernement semble toujours favorable la ralisation de deux
autres nouvelles entits, lune sur le domaine de Lacroix-Laval, un terrain trs rsidentiel de la
commune de Charbonnires, louest de Lyon, avec les scientifiques (biologie et pharmacie),
lautre Bron-Parilly, dans la banlieue est industrielle, avec les lettres et les sciences
humaines. Le premier projet est partiellement abandonn en octobre 1970, notamment
7 Texte intgral de lallocution, archives du ministre de lducation nationale, direction des Enseignements
suprieurs, F17bis 17006. Voir galement, Lcho-Libert, 18 dcembre 1969.8 Le terme est de lhistorien Andr Latreille, doyen de la facult des Lettres, dans Lcho-Libert, 25 fvrier 1971
o il publie un texte pour dfendre Lyon II, la laisse pour-compte .9 Llection est acquise le 27 fvrier 1971. Cf. Bernard Comte, La partition de 1973, op. cit., p. 11.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.24/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
cause de la redfinition du schma damnagement urbain du Grand-Lyon , prvu pour
stendre vers lest et le sud-est. lt 1972, le conseil de luniversit de Lyon II se prononce
en faveur dun projet pdagogique du nouvel ensemble de Bron-Parilly. Mais celui-ci suscite de
trs vives rticences, notamment de la part des juristes, qui ne veulent pas rejoindre ce
nouveau ple, install prs de la ZAC de Vnissieux10.
Ces discussions rvlent plusieurs lignes de fracture : entre les disciplines considres
comme intressantes sur le plan conomique, et les autres ; entre le choix dune universit
litiste, installe au centre ou dans des quartiers rsidentiels, et celui dune universit
construite en milieu populaire ; entre une logique damnagement rgional, dfendue par ltat,
et celle dintrts locaux la mairie de Lyon craint notamment le dveloppement du ple
universitaire de Grenoble. Cest une grave erreur davoir mis [la Facult des Lettres] prs des
autoroutes car il faut faire des ponts spciaux et proximit des fonderies Berliet qui fument
toute la journe. Cest aussi idiot que davoir mis celle de Nanterre dans les bidonvilles. Par
contre, louest de Lyon, le site [de Lacroix-Laval] est admirable et tout le monde serait
enchant dy habiter et ltat parle dinstaller ces coles 40 km de Lyon dans des zones
industrielles ! , dclare Louis Pradel, le maire de Lyon, lors dune runion du conseil
municipal.11
Les controverses masquent enfin de profonds clivages idologiques. Lopposition est
conduite par un clan minoritaire mais trs actif. Il est anim notamment par le juriste Andr
Decocq, assesseur du doyen de la facult de Droit et un italianisant, Jacques Goudet,
professeur la facult des Lettres, qui va jouer un rle de premier plan dans la scission. Les
deux hommes sont membres du Service daction civique, lorganisation cre en
dcembre 1959 pour soutenir laction du gnral de Gaulle, et qui est devenue une sorte de
basse police du rgime.12 Ils sont galement membres de lUnion nationale
interuniversitaire (UNI), une organisation, lorigine satellite du SAC, cr en 1968 pour
regrouper tous ceux qui entendent soustraire lducation nationale lemprise communiste
10 Extrait du PV de la runion du conseil de luniversit Lyon II, 3 juin 1972, archives du rectorat, dossier sur la
partition de Lyon II.11 Sance du 11 dcembre 1972, Archives dpartementales de Lyon (cote 2690), Fonds documentaire
Hippocampe, carton I (1968-1981) (voir annexes). Cf. galement, Le Progrs, 12 dcembre 1972.12 Sur le SAC, voir le rcent ouvrage de Franois Audigier, Histoire du S.A.C. La part dombre du gaullisme,
Paris, Stock, 2003, 521 p. Le SAC a t dissous en juillet 1982, aprs la tuerie dAuriol et la tenue dune commissionparlementaire, en 1981-1982 : Assemble nationale, Rapport de la Commission denqute sur les activits du
Service daction civique, 2 volumes, Journal officiel 18 juin 1982.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.25/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
et gauchiste, et dfendre la libert en luttant contre toutes les formes de subversion .13 Les
deux hommes sont dailleurs chargs dimplanter lUNI Lyon, en 1969, notamment au sein
des anciennes facults de Lettres et de Droit14.
La personnalit de Jacques Goudet a jou, au demeurant, un rle important. Nous avons
recueilli de trs nombreux tmoignages le crditant dune bonne rputation universitaire, mais
voquant souvent le climat de violence politique qui lentoure15. Nous avons dailleurs pu le
vrifier dans les archives consultes. Il est lpoque la cible dune partie du monde tudiant
cause de ses mthodes autoritaires, de son obsession de l agitation , de son got de la
provocation. En mars 1969, la suite dlections mouvementes de dlgus tudiants, et
prtextant des menaces physiques contre sa personne, il demande au recteur le transfert
de son UER ditalien et dtudes nolatines dans les locaux du Lyce Jean-Moulin de Lyon. Il y
dclenche une motion indescriptible, et une raction de rejet des lves et des parents, qui
manifestent leur inquitude de voir le lyce devenir un lieu daffrontements.16
Ces incidents rsultent dune stratgie de la tension des milieux proches de lextrme
droite, et dune raction lactivisme, parfois violent lui aussi, dune partie de lextrme gauche
les vnements de 1968 ont t particulirement durs Lyon, qui a connu un mort, celle
dun commissaire de police, cras par un camion lanc par des manifestants. Ils sinscrivent
dans une politique plus gnrale de la droite universitaire la plus radicale, qui cherche aprs
1968, contrler quelques lieux o le rapport de forces pencherait en sa faveur. Cette
politique a port ses fruits Paris IV, o a t cr lUNI, ou Aix-Marseille III, une universit
dominante juridique, fonde presque au mme moment et dans des circonstances bien plus
conflictuelles que celles de Lyon III, cause notamment de la personnalit controverse du
juriste Charles Debbasch. Cette stratgie a dailleurs t enclenche dans lentourage de
Georges Pompidou, inquiet de linfluence relle ou suppose des groupes dextrme gauche.17
13 Assemble nationale, Rapport de la Commission denqute, op. cit., tome 1, p. 219.14 Ibid., p. 221.15 Goudet avait des troupes, ctait trs organis. Ctait un combattant , nous a dclar le philosophe
Franois Dagognet, qui a pourtant rejoint Lyon III, lorigine. Entretien du 6 octobre 2003. Plusieurs autres de nosinterlocuteurs, aussi bien des enseignants de Lyon II ou de Lyon III que dautres personnalits, nous ont livr des
informations concordantes.16 Cette affaire a fait lobjet dune correspondance volumineuse que nous avons pu consulter aux archives du
rectorat.17 Tmoignage de Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire, qui tait lpoque conseiller
technique au cabinet de Joseph Fontanet, ministre de lducation nationale, entretien du 10 octobre 2003.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.26/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Toutefois, il faut se garder de tomber dans une lecture trop romantique de lhistoire
de laprs 1968, et exagrer rtrospectivement ces affrontements idologiques. Laction de la
droite radicale universitaire nexplique pas, elle seule, la partition de Lyon II. Celle-ci rsulte
dune situation de blocage aussi bien politique quinstitutionnelle, mme sil est trs net, au vu
des documents consults, quune minorit politique a bien exploit son profit les problmes
de cette universit. Le 5 juin 1973, alors que les discussions sur lavenir de cette dernire
senlisent, Le Progrs fait tat dune information officieuse sur la division de ltablissement
ds la rentre prochaine . Dix jours plus tard, le 15 juin, le recteur Pierre Louis, sur ordre du
ministre, prsente un projet de cration de deux nouvelles universits, Lyon II et
Lyon III , qui constitue un contre-projet un texte labor par les juristes et les enseignants
de gestion. Cinq semaines plus tard, le 26 juillet 1973, est publi le dcret de cration des
deux nouvelles universits.18 Cest une victoire pour les opposants.
Pourquoi une telle soudainet aprs des mois de tergiversations ? Daprs Jean-Claude
Casanova, le ministre Joseph Fontanet a dcid de rgler de manire autoritaire le cas des
quelques universits nayant pas russi tablir un mode de fonctionnement normal aprs les
rformes de 1968, comme Lyon ou Aix-Marseille.19 Il prend ainsi une dcision dordre public
qui cherche affirmer la primaut de ltat sur le principe de lautonomie universitaire lorsque
les universitaires savrent incapables de rgler seuls une crise majeure un cas de figure que
nous rencontrerons plusieurs reprises dans ce dossier. La dcision revt galement un
caractre personnel. En acceptant une partition en deux units que seule la couleur
idologique distingue (au moins dans les premires annes), Joseph Fontanet accde la
demande dun de ses plus proches amis, le juriste Maurice-Ren Simonnet, de la facult de
Droit de Lyon. Cest un lment apparemment anecdotique qui a jou, semble-t-il, de manire
dcisive dans le dossier lyonnais20. Maurice-Ren Simonnet, comme Joseph Fontanet, est un
ancien rsistant, ancien secrtaire gnral adjoint de la Jeunesse tudiante chrtienne. Il a
fond sous lOccupation, avec Gilbert Dru, les Jeunes chrtiens combattants. Il a t
galement lun des rdacteurs du manifeste du Mouvement rpublicain de Libration .
Dput, ancien secrtaire dtat, il a t secrtaire gnral du Mouvement rpublicain
populaire entre 1955 et 1962.21 Son profil idologique est donc trs loign de lextrme droite
18 Dcret du 26 juillet 1973, Journal Officiel du 27 juillet 1973.19 Tmoignage cit de Jean-Claude Casanova.20 Selon Jean-Claude Casanova, Maurice-Ren Simonnet et Jacques Goudet ont rencontr Joseph Fontanet
la fin mai 1973. Ceci concorde avec les tmoignages de Gilles Guyot, lpoque lu tudiant au conseil de
luniversit, entretien du 7 avril 2003 (avec laide de Florent Brayard), et de Franois Dagognet, entretien cit.21 Sur lengagement rsistant de Maurice-Ren Simonnet, voir Alain-Ren Michel, La J.E.C. Jeunesse tudiante
chrtienne face au Nazisme et Vichy (1938-1944), prface de Ren Rmond, Lille, Presses universitaires de Lille,
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.27/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
ou de la droite radicale son nom apparat dailleurs trs rarement dans les rcits ultrieurs qui
dnoncent avec la cration de Lyon III, une mainmise quasi exclusive de lextrme droite. En
ralit, cette cration a t rendue possible par une alliance entre des catholiques modrs et
des lments de la droite radicale, sur fond de rivalits disciplinaires le refus des juristes de
travailler avec des littraires.
Il est dautres indices qui vont dans le mme sens, comme le ralliement de composantes
sur des motivations autres que politiques. Cest le cas des philosophes qui dcident de
rejoindre la nouvelle universit Lyon III, sous la conduite de Bernard Bourgeois et de Franois
Dagognet. Le point a t souvent invoqu par les dirigeants de Lyon III lors de nos entretiens
comme une forme de justification, les philosophes tant supposs plus ou moins de
gauche . Dans un premier temps, le conseil de lUER de Philosophie, qui a de faibles effectifs
compars la masse des juristes, ragissant aux projets officieux de partition, adopte le
22 mai 1973 une motion dans laquelle il stonne de ne trouver aucune justification
pdagogique la bipartition prconise , tout en dplorant le caractre de plus en plus
bureaucratique de lancienne Lyon II.22 Trois semaines plus tard, le mme conseil vote par
six voix contre deux et une abstention le ralliement de lensemble des philosophes la future
Lyon III.23 Dans un texte diffus quelques mois plus tard, le mme Conseil sen explique,
invoquant une politique de prsence :
Beaucoup, exprimant leur surprise, nous ont reproch de venir constituer lalibi
dmocratique dune universit dont les composants majeurs leur semblaient peu anims par
lesprit dmocratique. Auraient-ils eu raison [], quils auraient alors eu tort de conseiller lerenoncement dfendre et promouvoir cet esprit dmocratique l o il aurait t menac ! .24
Toutefois, ce ralliement sexplique avant tout par la crainte des philosophes de
disparatre comme UER autonome au sein de la nouvelle Lyon II et par celle de se voir
imposer une alliance force avec les psychologues. ces raisons officielles, sen ajoute une
autre, plus prosaque, mais qui illustre bien une des dimensions de la rupture : le refus daller
Bron. La philosophie doit rester en ville , nous a dclar Franois Dagognet, reprenant une
1988, 311 p. Sur le MRP, voir Pierre Letamendia, Le Mouvement Rpublicain Populaire. Le MRP. Histoire dungrand parti franais, prface de Franois Bayrou, Paris, Beauchesne diteur, 1995, 381 p. Nous remercions Gilles
Le Bguec, professeur Paris X-Nanterre, pour son aide sur cette question.22 Compte rendu du conseil de lUER de Philosophie, 22 mai 1973, archives du rectorat, dossier sur la partition.23 Compte rendu du conseil de lUER de Philosophie, 13 juin 1973, Id..24 La facult de Philosophie face aux deux nouvelles universits lyonnaises , texte diffus lautomne 1973,
sign du conseil de la facult de Philosophie de Lyon, archives du rectorat, dossier sur la partition.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.28/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
des proccupations des philosophes lpoque et un topos des philosophes.25 Il a dailleurs
ajout, avec le recul dune histoire qui ne sest pas droule dans la srnit escompte, que
cette discipline tait dans la nouvelle Lyon III le petit sommet spiritualiste qui permettait de
garantir la tendance droitire .26
Le projet de partition du ministre a recueilli 51 voix pour, 14 contre, 6 bulletins blancs et
1 refus de vote. Il a donc t approuv une trs large majorit (71 %).27 Selon Bernard
Comte, la lassitude et la rsignation aurait eu leur part dans le choix des syndicats
enseignants, notamment le SNESup, et tudiants de voter le projet ministriel, moyennant
quelques assurances28. Cest possible. Toutefois, et cest un lment important dans
lapprciation globale du dossier, si loffensive est venue dune minorit de la droite radicale, si
elle a rencontr des appuis pour des raisons autres que politiques, si la sparation rsulte
dune intervention autoritaire de ltat, elle nen a pas moins t largement accepte sinon
souhaite par lensemble des acteurs concerns. Nous avons dailleurs pos plusieurs de
nos interlocuteurs la question de savoir, avec le recul, si la scission avait t un handicap pour
le dveloppement ultrieur de Lyon II.29 La plupart des rponses ont t ngatives, avec
largument que cette scission tait invitable et quelle ne faisait que consacrer un rapport de
forces sur le terrain. Il ntait plus possible de le rsorber au sein de lancienne Lyon II, tant les
rancurs, de part et dautre, taient grandes, et tant les divergences sur le rle et le
fonctionnement de luniversit taient profondes. Si la sparation a cr une situation nouvelle
de rivalit et de concurrence, elle nen a pas moins mis fin des conflits internes rcurrents.
25
Cest que jaime apprendre [dit Socrate] ; or la campagne et les arbres ne veulent rien menseigner, tandis
que les hommes de la ville, eux, le font. , Platon, Phdre, 230e, notice de L. Robin, Texte tabli par C. Moreschiniet traduit par P. Vicaire, Paris, Les Belles-lettres, 1985, p 7.
26 Entretien cit.27 Procs-verbal du conseil de luniversit Lyon II, 15 juin 1973, archives du rectorat, dossier sur la partition.28 Bernard Comte, La partition de 1973, op. cit., p. 13.29 Tmoignages de Maurice Niveau, recteur de lAcadmie de Lyon durant la dcennie 1980, qui nous a
grandement clairs sur le dossier (entretien du 5 fvrier 2003) ; de Maurice Garden, professeur mrite dhistoire
contemporaine Lyon II et qui a t notamment directeur de la recherche et des tudes doctorales, au ministre de
lducation nationale, sous le ministre Jospin (entretien du 15 octobre 2003) ; tmoignage de lactuel prsident deLyon II, Gilbert Puech (entretien du 4 novembre 2003), ainsi que dautres enseignants de Lyon II, dans des
conversations informelles.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.29/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
LA NOUVELLE UNIVERSIT LYON III
Le dcret du 26 juillet 1973 cre deux universits qui assument lensemble des
activits exerces par lactuelle universit de Lyon II (article premier). Durant plusieurs mois,
chacune des deux nouvelles entits discute de ses statuts au sein dune assemble
consultative provisoire. La nouvelle Lyon II place sa tte le germaniste et socialiste Ren
Girard. Le 14 septembre 1973, lassemble consultative de Lyon III se runit pour la premire
fois pour lire son prsident. Cest Jean Haudry, matre assistant de sanskrit, qui prend la
parole le premier car il tient rappeler que la runion de ce jour est, en grande partie, due
aux efforts conjoints de Messieurs Goudet et Simonnet , et, puisque le premier nest pas
candidat la prsidence, il propose le nom du second.30 Il est contr par Franois Dagognet,
qui estime quun autre candidat doit se prsenter car beaucoup denseignants de lancienne
Facult des Lettres souhaiteraient quun membre appartenant une unit non massive se
prsente pour contrebalancer ce quils craignent dune unit trs puissante comme la Facult
de droit .31 Il propose alors le nom dHenri Roland, qui dirige lInstitut dadministration et de
gestion des entreprises (IAGE), une composante importante car la nouvelle universit affiche
un souci de professionnalisation . Ce juriste offre un profil plus modr . Il est dailleurs
reprsentatif de la majeure partie des juristes lyonnais et il apparat apte fdrer des
composantes trs diverses. Il est lu une trs courte majorit : 18 voix contre 16 Maurice-
Ren Simonnet (sur 35 votants). Le 1er mars 1974, une fois les nouveaux statuts adopts et
accepts par le ministre, il est lu prsident de la nouvelle universit, par 32 voix contre 12
Maurice-Ren Simonnet et 8 Jacques Goudet.32
Lors du choix dune dnomination pour le nouvel tablissement, Franois Dagognet
propose le nom de Jean Moulin :
Il ne me parat pas bon que notre nouvelle universit porte le nom de Lyon III. Ce
numrotage (trois) empche de la personnaliser. Je propose lAssemble dabord quellerecherche un patronyme. Ensuite, je souhaite quelle envisage celui de Jean Moulin, hros
national. La culture, le droit ne peuvent pas ignorer ceux qui ont dfendu un idal. On mopposeraque Jean Moulin ne fut pas un intellectuel au sens strict, un thoricien, mais les tudes ne doivent
30 Assembl consultative provisoire de luniversit Lyon III, procs-verbal de la runion du 14 septembre 1973,
archives du rectorat, dossier sur la partition.31 Ibid.32 Procs-verbal de la sance du 1er mars 1974 du conseil de luniversit, archives du rectorat.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.30/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
pas se couper du rel, de la vie, de la Nation. Raison de plus pour rappeler le nom de ceux qui
ont mis en avant le culte de la libert 33
La proposition rencontre un assentiment gnral, et elle est soutenue par Maurice-Ren
Simonnet, Andr Decocq et Jacques Goudet. La rsolution obtient 31 voix pour, 2 voix contre
et 2 bulletins blancs. Il faut noter que le nom de Jean Moulin est videmment inscrit,
lpoque, dans la mmoire lyonnaise, et quil est sorti dun certain oubli, lchelle nationale,
depuis la panthonisation de dcembre 1964, orchestre par le rgime gaulliste la fin de la
guerre dAlgrie. Il faut galement prciser que ce choix, comme le souligne Franois
Dagognet lui-mme, est la fois un choix moral et un choix politique, bien que le nom de
Moulin nait pas encore la dimension universelle quil aura dans les annes ultrieures.34
Dans les mois qui suivent la scission, on assiste un vritable partage des dpouilles.
Le recteur, sur injonction du ministre, a accord aux enseignants de lancienne Lyon II la
libert de choix .35 Peut-tre, la chose a-t-elle t suggre par les demandeurs de telle sorte
se diriger vers une forme d homognisation respective des deux nouvelles entits,
comme dans un partage territorial plus ou moins librement consenti. En tout cas, si cette
dcision facilite court terme la sparation, elle donne le sentiment que les enseignants sont
ainsi propritaires de leurs postes, et que lautonomie des universits se confond avec
lautonomie des universitaires : cest l sans doute que rside un premier glissement originel
qui va marquer une bonne partie de lhistoire de Lyon III. En chappant, au moins dans les
dbuts, la rgle commune, celle-ci donne demble limage dun sanctuaire politique.
Durant plusieurs mois, les enseignants se rpartissent ainsi en fonction daffinits
personnelles ou idologiques, ce qui entrane une rpartition trange des ensembles
disciplinaires. Sur le plan des effectifs, la nouvelle Lyon II comprend environ 11 300 tudiants,
et Lyon III 770036. Les 334 enseignants qui rejoignent (ou restent) Lyon II se rpartissent de
manire plus ou moins quilibre entre les sciences conomiques (45), les sciences
psychologiques et sociologiques (38), les sciences de lhomme (57), les tudes franaises
(64), les UER de langues (anglophones, allemandes, scandinaves), lInstitut dtudes
33 Lettre de Franois Dagognet au prsident de lassemble conslutative provisoire, lue lors de la sance du 21
septembre 1973, archives du rectorat, dossier sur la partition.34 Sur ce point, voir Jean-Pierre Azma (dir), Jean Moulin. Actes du colloque organis Paris, 10-11 juin 1999,
Paris, Flammarion, 2000. Voir galement, du mme auteur : Jean Moulin : le politique, le rebelle, le rsistant, Paris,
Perrin, 2003, 507 p.35 Procs-verbal cit. Jean-Claude Casanova nous a dit que tel tait bien le souhait du ministre, entretien cit.36 Lettre de ladministrateur civil provisoire aux prsidents des deux assembles consultatives, 29 septembre
1973, archives du rectorat, dossier sur la partition. Le rapport du CNE de 1992 donne lui le chiffre de 6737 tudiants
en 1974, op. cit., p. 22.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.31/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
politiques (11). Les 175 enseignants de Lyon III se regroupent surtout en sciences juridiques
(92), en sciences de lantiquit (48), en tudes italiennes et roumaines (27), en philosophie
(15), en gestion (6) et au sein de lInstitut du monde du travail (4)37. lvidence, larchitecture
de Lyon III reflte les alliances politiques (litalien de Jacques Goudet, le sanskrit de Jean
Haudry), et lagrgat densembles sans autre cohrence disciplinaire, du moins au dbut, que
la capacit des juristes convaincre des entits de plus petite taille de venir les rejoindre. La
sparation a un caractre parfois tonnant : les latinistes se sont spars des hellenistes, les
historiens ont t dchirs, y compris lorsquils travaillaient sur le mme domaine comme
lhistoire du christianisme. Pour faire face la logique de concurrence, pour ne pas dire de
guerre ouverte, la nouvelle Lyon II se bat pour constituer un dpartement de sciences
juridiques, contre lavis du ministre, la plupart des juristes ayant rejoint Lyon III, sauf ceux qui
sont ouvertement classs gauche. De mme, les deux universits se disputent les locaux du
centre ville, quai Claude-Bernard. Il est cet gard frappant de voir quel point la question
des territoires, aussi bien physiques (les localisations) que professionnels (les disciplines),
constitue un enjeu crucial dans les controverses : cest un critre didentit majeur des
universitaires, comme sils se dfinissaient moins par leurs missions que par lattachement
une charge , des titres , voire des terres y affrant, un vestige de la vieille
conception de lUniversit qui rsiste encore lpoque, malgr les changements induits par
mai 1968.
Les statuts de la nouvelle universit Lyon III sont approuvs par le ministre par arrt
du 12 dcembre 1973, plus rapidement que ceux de la nouvelle Lyon II, qui peine se
remettre de la crise. Ils montrent clairement une prfrence pour le modle facultaire . Les
six UER nouvellement crs reprennent en effet les dnominations anciennes (article 4), sans
le caractre pluridisciplinaire impos par la loi de 1968 : Facult de Droit , Institut
dadministration et de Gestion des Entreprises , Institut dtudes du Travail et de la Scurit
Sociale , Facult des Lettres et Civilisations , Institut des Langues, civilisations
trangres et linguistique applique (qui devient par la suite Facult ), Facult de
Philosophie . La rpartition du nombre de siges au sein du conseil de luniversit montre,
dun ct, le poids prpondrant des juristes (17 siges sur 42), mais, de lautre, la place prise
par des disciplines qui craignaient dtre marginalises dans lancienne Lyon II : toutes les
autres composantes obtiennent en effet chacune 5 siges.
37 Ibid. Ces chiffres vont par la suite voluer, mais ils donnent une bonne indication de la rpartition premire,
donc de la logique qui prside au moment de la scission mme
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.32/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
Au total, la scission consacre la cration dune entit politiquement marque, et perue
comme telle, alors mme que lune des revendications majeures de la nouvelle universit est
l apolitisme , une condition ncessaire , comme le proclame Henri Roland, juste aprs
son lection la prsidence.38 Les lments les plus radicaux qui ont contribu la partition
occupent sans surprise des places importantes : Andr Decocq est doyen de lUER de
Droit (1974-1976), Jean Haudry est doyen de lUER de Lettres (1974-1976), Jacques
Goudet est la tte de lInstitut des Langues (1974-1978). Ce dernier est par ailleurs premier
vice-prsident enseignant, lu une courte majorit (28 voix contre 22 et 3 abstentions). Le
deuxime vice-prsident enseignant est Grard David, un littraire, ancien secrtaire gnral
de la Fdration Rhne-Alpes des Rpublicains indpendants, lu 27 voix contre 22 et 3
abstentions. La plupart des personnalits cites sont dailleurs des universitaires rputs dont
personne, y compris gauche, ne conteste la comptence scientifique ou la lgitimit
occuper ces fonctions, ce qui ne sera pas toujours le cas dans les annes ultrieures. Mais
ces lments, qui ont focalis rtrospectivement lattention, compte tenu des
dysfonctionnements survenus des annes aprs, ne sont pas les seuls puisque dautres
sensibilits politiques plus modres, ou des universitaires beaucoup moins marqus
politiquement obtiennent galement des postes importants : cest le cas chez les philosophes
o la direction de lUER est assure presque sans discontinuer jusquen 1987 par Franois
Dagognet, avec un court intermde o cest Bernard Bourgeois qui le dirige (1976-1977) ; cest
les cas chez les gestionnaires o lIAGE (ou IAE) est dirig par Andr Varinard (1976-1987),
un juriste rput, qui sera par la suite recteur.
38 Le Progrs, 2 mars 1974.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.33/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
* **
Au regard de notre enqute, la scission de 1973 et les conditions dans lesquelles Lyon III
a t cre constitue donc sans nul doute un moment important et significatif, mais dont il
importe de situer les effets mesurables.
La partition a t voulue pour des raisons politiques tenant une certaine conception de
lUniversit : respect de la hirarchie traditionnelle, affirmation de lautonomie des
composantes, refus de la politisation (surtout celle des tudiants), que lon peut
sommairement rsumer comme une raction 1968 et ses squelles immdiates dans le
monde universitaire. ct de cette conception plus ou moins partage par tous ceux qui la
rejoignent, sont venus se greffer dautres considrations, plus tactiques, ou personnelles,
tenant la situation de certaines disciplines, comme la philosophie, au sein de lancienne
Lyon II.
Cette partition a t conduite par un noyau actif et minoritaire de la droite radicale
universitaire, allie dautres composantes politiques, notamment les catholiques modrs, et
elle a t rendue possible par lintervention de ltat, dont la dcision de crer deux universits,
avec le libre choix des enseignants de rejoindre lune ou lautre, a constitu un facteur
dterminant et renforc le caractre politique de la scission. Toutefois, la prsence dune
minorit radicale au moment de la cration ne signifie en rien que la suite de lhistoire tait dj
crite et inscrite dans lacte de fondation.
Cette scission, avec le recul, semble avoir t invitable, et elle na pas engendr que
des effets ngatifs pour la partie qui ne la voulait pas, pas plus quelle na engendr que des
effets positifs pour celle qui la ardemment souhaite et obtenue. Elle a cependant laiss de
profondes squelles et un ressentiment durable au sein du milieu universitaire lyonnais. Elle a
surtout laiss le souvenir dune violence originelle dont les effets nont cess de jouer depuis.
chapitre 1 : La fondation (1968-1974) p.34/263
Rapport sur le racisme et le ngationnisme Lyon III
- 2-
LES DBUTS
En 1992, le Comit national dvaluation, une instance charge dvaluer les
tablissements denseignement et de recherche, publie le premier rapport jamais ralis sur
Lyon III. Il dresse un bilan trs complet de lactivit de luniversit depuis sa cration. Les
premires lignes de ce texte sont cependant une critique trs virulente des conditions dans
lesquelles sest effectue la cration :
Mme si les dissentiments, les suspicions et les rancunes qui lont prcde et
accompagne se sont aujourdhui apaiss, il nen reste pas moins que rien ne peut tre comprisde la structure, du fonctionnement et des problmes actuels de luniversit Jean-Moulin sans une
rfrence attentive lacte de fondation qui nest rien dautre quun divorce voulu, exig et obtenuavec une obstination passionne et des pressions persvrantes, qui doivent tre rappeles,
comme doit tre rappele aussi la capitulation sans condition du ministre de lducationnationale. Peu de dchirements ont t aussi irrationnels que celui de lex-universit de Lyon II si
lon considre quil a t prmdit durant quatre ans en dpit de toutes les exigences du servicepublic. Si les deux dcennies qui se sont coules depuis lors ont apais les rancurs, elles nont
pas effac tous les effets fonctionnels et cette dcision doit rester comm