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N°60 OCTOBRE 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS dOSSieR P. 22 LE GRAND ENTRETIEN TAFTA OU LA PRIVATISATION DU POUVOIR Gérard Streiff TOUJOURS ŒUVRER À UN ESPOIR, NE RIEN LÂCHER Olivier Dartigolles ÉLOGE DE LA FABRIQUE: FRANÇOIS DAGOGNET ET LA QUESTION INDUSTRIELLE Julien Pasteur P. 26 COMBAT D’IDÉES P. 32 PHILOSOPHIQUES Parti communiste français COMMUN eT / OU COMMUNiSMe ?

Commun et/ou Communisme - … · temps… – au milieu de hordes de salauds auxquels il n’y a rien à dire ? Il y a, assurément, ce climat de xéno - ... exigence si brûlante

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N°60 OCTOBRE 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

dossier

P. 22 LE GRAND ENTRETIEN

TAFTA OU LA PRIVATISATION DU POUVOIRGérard Streiff

TOUJOURS ŒUVRER À UN ESPOIR, NE RIEN LÂCHEROlivier Dartigolles

ÉLOGE DE LA FABRIQUE:FRANÇOIS DAGOGNET ET LA QUESTION INDUSTRIELLEJulien Pasteur

P. 26 COMBAT D’IDÉES P. 32 PHILOSOPHIQUES

Parti communiste français

Communet/ou

Communisme ?

SOM

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La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur : Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Davy Castel, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariat de rédaction :Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Aurélien Aramini, Caroline Bardot, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas, MickaëlBouali, Étienne Chosson, Séverine Charret, Pierre Crépel, Camille Ducrot, Alexandre Fleuret, Josua Gräbener, Florian Gulli, NadhiaKacel, Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, Léo Purguette, Marine Roussillon, Bradley Smith •Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenueMathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : octobre 2016 - N°60 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Jean Quétier

LA rEvUEdU ProJEt

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3 ÉdItoGuillaume Roubaud-QuashieLes réfugiés, les salauds et nous

4 PoÉsIEsVictor Blanc« La Llorona »

5 rEGArdÉtienne ChossonLe gorille et la barbe ou l’art de partir en guerre

6 u20 LE dossIErcommUn Et/oU commUnIsmE ?Jean Quétierdu commun au communismeBradley SmithAux racines de la théorie des communsCorinne Luxembourgterritoires en commun ? Biens communs ?Camille Ducrotcommuns de la connaissance et bibliothèques,éléments de réflexionFlorian Gulli Le commun comme principe politique

21LEctrIcEs/LEctEUrsJulien Que signifie « être jeune » aujourd’hui ?

22u25trAvAIL dE sEctEUrsLE GrAnd EntrEtIEnOlivier Dartigolles toujours œuvrer à un espoir, ne rien lâcherPUBLIcAtIons dEs sEctEUrsLaurent Péréa retour du Forum social mondial à montréal

26 comBAt d’IdÉEsGérard Streiff tAFtA ou la privatisation du pouvoir

cAhIEr cEntrAL (dÉtAchABLE)Que pensez-vous de La Revue du projet ? Qu’attendez-vous de la revue politique du Parti communiste ?

28 crItIQUE dEs mÉdIAAcrimedLoi travail : mister hyde et docteur Jekyll sur BFm-tv

30 FÉMINISMEGilles GarnierLes femmes américaines ont peu à gagner mais beaucoup à perdre

32 PHILOSOPHIQUESJulien PasteurÉloge de la fabrique : François dagognet et la question industrielle

34 hIstoIrEAlexandre FernandezLa révolution mexicaine (1910-1920)

36 ProdUctIon dE tErrItoIrEsHervé Thery La production du territoire brésilien

38 scIEncEsJérémie Sibille Le cerveau, au-delà des neurones

40 sondAGEsGérard StreiffLutte de classes, les Français y croient

41 stAtIstIQUEsMichaël Orand Un million de migrants entrés en Europe en 2015

42 LIrEGérard Streiff,Leslie Kaplan, un rêve de révolution

44 crItIQUEs• Eric H. Cline 1177 avant J.-C. le jour où la civilisation s’est effondrée• Georges BalandierRecherche du politique perdu• Bruno TinelDette publique : sortir du catastrophisme• « La ville face aux discriminations » Les Cahiers de la Lutte contreles discriminations. n°1

46dAns LE tExtE (LÉnInE 2016-2017)Florian Gulli et Aurélien Araminireligion et lutte de classes

48découvrir marx

49organisez des débats

50 Bulletin d’abonnement

Sans domicile fisc, sera le livre indispensable de la rentrée. Les frèresBocquet, Éric et Alain, le premier, sénateur, le second, député, avec lacomplicité du journaliste Pierre Gaumeton, nous livrent un état deslieux implacable sur la réalité de l’évasion fiscale. Une invitation à semobiliser de toute urgence...« Il y a tout de même 32 000 milliards de dollars stockés dans lesparadis fiscaux, soit près de la moitié du PIB mondial. L’évasion fiscaleen Europe s’élève à 1 000 milliards d’euros par an ; en France, elle estde 80 milliards… »

Paru aux éditions du Cherche-Midi, 17,50 €

Sans domicile fisc

ÉDITOLes réfugiés, les salauds et nous

L’ interminable horreur desconflits au moyen-orientgénère mort, effroi, misère,exil. La France, jusqu’ici,

accueille pourtant les réfugiés avecune parcimonie dont la mesquineriefait rougir de honte des centaines demilliers de nos concitoyens. des initia-tives sont prises, localement, avec unécho loin d’être toujours négatif. Ainsi,à Ivry-sur-seine (val-de-marne), lapolitique responsable mise en œuvrepar la municipalité à direction commu-niste, politique audacieuse et expli-quée, est bien reçue dans la popula-tion. Il y a donc des possibles et notrepeuple n’est pas cet amas de caco-chymes lepénisés que certains nousdécrivent complaisamment.Pour autant, prenons au sérieux l’oppo-sition frontale qui surgit ici et là dans lepays. L’inondation puis l’incendie du cen-tre pour réfugiés de Forges-les-Bains(petite commune de l’Essonne) au débutdu mois de septembre n’ont suscité niréprobation générale ni l’expression mas-sive d’un désir de reconstruire au plusvite. Qu’en conclure ? Que nous autres,progressistes, sommes un petit villagede justes Gaulois – puisque la référencesemble être de mise ces dernierstemps… – au milieu de hordes de salaudsauxquels il n’y a rien à dire ?Il y a, assurément, ce climat de xéno-phobie et de racisme, savamment etpuissamment entretenu, et qui n’est pas sans effets dans le pays. La batailleidéologique antiraciste, universalistedemande que nous mouillions sérieu-sement la chemise : nous en avonsbeaucoup parlé dans La Revue du pro-jet et nous en reparlerons. mais, au-delà,que nous disent ces « salauds » le plussouvent ?« on n’a déjà pas les moyens de s’occu-per de nous ; on ne pourra pas s’occu-per d’eux. on ne pourra pas. » sommes-nous en mesure d’entendre cette phrase,nourrie de l’expérience quotidienne dutriste et indigne sort dans lequel on laissetant de nos concitoyens, de nos servicespublics ? ce n’est pas juste « une phrase

de salaud ». c’est une conclusion – réso-lument fausse, mais à entendre résolu-ment – à laquelle des millions de per-sonnes sont arrivées, à partir de leurréflexion – nourrie des discours décli-nistes et austéritaires dominants – et deleur expérience.si on ne veut pas que la France, le mondese remplisse de salauds, nous n’avonsd’autre choix que d’affronter sans détource qui se sédimente comme une certi-tude dans des millions de cerveaux.Que nous puissions nous occuper et desréfugiés et du peuple de France, c’estpourtant, quand on a toutes les cartesen main, quand on sait l’immense pro-fusion d’argent disponible, une évidence.mais il y a là, on le voit bien, un travailrationnel de démonstration à faire.démonstration d’autant plus serréequ’elle heurte le discours dominant, lesens commun et l’expérience ! Puisonsà pleines mains dans notre travail d’ana-lyse et de propositions ! Lisons, vendons,citons le livre d’Alain et Éric BocquetSans domicile fisc. soyons, toutes ettous, impeccables et imparables sur cesujet précis du possible.Par quoi, sans rien minimiser de toutesles batailles partielles à mener, on mesurequ’un petit nombre de questions struc-ture la vie politique d’un pays. Parmicelles-ci « Peut-on vraiment améliorernotre situation ? » figure assurément entrès bonne place. Qu’on y réponde néga-tivement et quelque pures que soientvos intentions, vous dévalerez la pentequi, en dernière instance, mène à l’ex-trême droite – puisqu’on ne peut pasaméliorer notre situation, alors, chas-sons celui-ci et celle-là, amputons lesdroits de celle-ci et de celui-là, etc.mais la démonstration ne se limite pasau fond – « si on voulait, ce serait possi-ble » –, elle doit aussi affronter le défi duchemin. La question de la force néces-saire pour arracher ce possible pose aupremier plan l’exigence du nombre, dugrand nombre, de l’organisation et durassemblement à vocation majoritaire,boussole permanente du révolutionnairequi entend changer le monde autrement

que dans des traités ou des fictions.simplement, le rassemblement n’estpas un donné : tout est fait pour nousdiviser, réduire l’horizon de rassemble-ment. Un sou mis dans cette machineet il ne reste plus que des salauds, de lahonte impuissante et du désespoir.Pour dépasser ce capitalisme qui nousmène si sûrement à l’abîme, l’heure n’estpas à s’en tenir aux petites escouadesmais à rassembler pour se donner lesmoyens effectifs du changement.Conquête du changement et conquêtedu rassemblement marchent de pair. s’ilfallait employer les grands mots, ne dirait-on pas qu’un rassemblement sans pers-pective de changement, et ce sont lesaffres de l’opportunisme, et qu’à l’in-verse, songer au changement sans s’at-tacher à construire le rassemblementqui le permet, et ce sont les délices dugauchisme ? vieille leçon d’avenir… quin’exonère pas, hélas, d’analyser, les yeuxgrands ouverts, la situation concrète etfort complexe des échéances de 2017et des recompositions qui les suivront.sans passion ni anathème, les commu-nistes sauront trouver les meilleuresvoies pour que le communisme, cetteexigence si brûlante de notre siècle, che-mine, avec les réfugiés, les justes et lessalauds, en 2017 et au-delà. n

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GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIEDirecteur de La Revue du projet

La Revue du projet veut évoluer.Remplissez notre questionnaire détachable en cahier central : quepensez-vous de La Revue du projet ?Qu’attendez-vous de la revue poli-tique du Parti communiste ?

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«La Llorona»

« Je n’sais ce qu’ont les fleurs LloronaLes fleurs du cimetière

Quand le vent les traverse Lloronaon croit les voir pleurer

Pauvre de moi, Llorona, Llorona ma chérie

on tuera notre amour Lloronaton souvenir jamais

À un saint-christ de fer Lloronames peines j’ai contées

ne sont-elles pas si grandes LloronaQu’il s’est mis à pleurer ?

Pauvre de moi, ma Llorona dans le champ de Lys

Qui n’sait rien de l’amour Lloronane sait rien du martyr

J’ai deux baisers au cœur LloronaQui ne me quittent pas

Le dernier de ma mère Lloronanotre premier baiser

Pauvre de moi, Llorona, porte moi au ruisseau

Et laisse-moi ton châle Lloronacar je me meurs de froid. »

(Extrait de « La Llorona » )

dans un célèbre poème d’Une saison en enfer, « Alchimie duverbe » rimbaud écrit aimer les « contes de fées, petits livresde l’enfance, [...] refrains niais, rythmes naïfs ». comment com-prendre ce goût pour la chanson populaire, les comptines etleur rapport à la poésie moderne ? c’est, d’abord, dans la crisede l’alexandrin dont rimbaud est à la fois symptôme et stétho-scope, façon de se replonger dans l’enfance du vers. ces chan-sons, souvent écrites en des mètres disparus, démodés, moyen-âgeux, réputés moins complexes que l’alexandrin, telsl’octosyllabe, l’heptasyllabe ou l’hexasyllabe, semblent nousramener à un état primitif du vers français, peut-être plus « pur »,qui sert de pis-aller avant la résolution de la crise de l’alexan-drin. c’est ce que note Jacques roubaud dans La Vieillessed’Alexandre. mais pourquoi le charme de ces « rythmes naïfs »nous demeure-t-il une fois la crise résolue ?

Le cas de « La Llorona » , délibérément choisi en dehors detoute histoire ou tradition françaises, permet de toucher dudoigt ce charme qui ressort d’un sentiment du merveilleuxpopulaire. « La Llorona » (littéralement « La Pleureuse ») estune chanson populaire mexicaine écrite probablement à lafin du xIxe siècle. comme souvent, son auteur est inconnu.La musique, elle, est issue d’une mélodie traditionnelle aztèqueantérieure à la conquête espagnole. Le texte de la chansons’inspire d’anciennes légendes aztèques contemporainesde l’invasion espagnole. on raconte que, certaines nuits, lesrues de tenochtitlan résonnaient des pleurs d’une femmefantomatique que certains décrivent vêtue de blanc et voi-lée. Il arrivait malheur à qui la rencontrait. Plusieurs versionsdu mythe coexistent : s’agit-il d’une antique déesse aztèquepleurant sur ses enfants massacrés par les conquistadors ?de la malinche, cette jeune Indienne devenue la maîtressede cortés revenue de l’au-delà pour expier sa trahison ? d’unemère infanticide ? d’une fiancée morte la veille de ses noces ?d’une femme assassinée par son mari ? Peu importe. toutesces versions semblent se cristalliser autour d’une promessetrahie ou non tenue, d’un abandon, d’une relation dénouéeavant son terme, d’un honneur perdu devant être racheté…cette apparition merveilleuse condense en elle toutes lesdouleurs du destin du vieux peuple mexicain humilié, trahiet traître à la fois, devant survivre dans un monde d’après lafin du monde, un monde à jamais étranger à leur souvenir…« La Llorona » porte témoignage de ce déracinement, decette identité perdue… n’est-ce pas ce que fait aussi la poé-sie lyrique, par l’élégie notamment : « Ô mon ombre en deuilde moi-même » (Apollinaire). En ce sens, l’admiration derimbaud pour les anciens vers populaires est semblable,puisqu’eux aussi témoignent d’un passé du vers qu’il n’estplus possible de rejoindre.

La chanson paraît choisir la version d’une fiancée morte avantd’avoir pu prêter son serment, du point de vue de l’amantdésormais solitaire. c’est un mythème puissant dans nom-bre de cultures populaires à travers le monde : celui de ladame blanche avec toutes ses variations, ses avatars. on leretrouve aussi bien dans Les Noces funèbres de tim Burtonque dans une chanson du groupe La rue Kétanou évoquantcette « fiancée de l’eau » qui a « marié son sang / À celui duruisseau ». Les éléments du mythe sont là : la figure féminine,le voile (châle), le lys symbole de la pureté, le ruisseau où finis-sent bien souvent les jeunes vierges dans les légendes tra-giques… La chanson compte une quarantaine de strophes,

certaines plus réussies que d’autres, dont il est assez peuprobable, au vu des changements de style et déplacementsthématiques, que toutes soient du même auteur. certainesstrophes s’éloignent du mythe et de cette simplicité qui faitla beauté de la chanson : « tous ils me nomment : “Le noir”,Llorona / noir oui mais amoureux / Je suis comme le pimentvert, Llorona / Piquant mais savoureux. » des strophes res-tent, d’autres vont à l’oubli. Elles en reviennent quelquefois.En fonction de leur qualité intrinsèque, de leur importancerelativement au noyau mythologique, de l’écho qu’elles ren-contrent dans l’esprit de l’auditeur, de ce qu’elles parvien-nent à exprimer d’un sentiment personnel ou collectif… c’esten somme ce qui fascine les poètes dans ces chansons popu-laires, dans ces contes à dormir debout : en oubliant son ouses auteurs, en transcrivant par des mots simples une pen-sée mythologique complexe qui va ainsi structurer l’espritd’un groupe, elles réalisent le vœu d’Aragon : « Le merveil-leux doit être fait par tous et non point par un seul. »

VICTOR BLANC

Erratum : dans le précédent numéro la note de bas de pageconcernait le texte sur Arthur rimbaud paru dans le numéro de juin.

REGARD

F ormé en 1985, alors que les ventes d’œuvres contem-poraines commençaient à s’amplifier de manière verti-

gineuse, le collectif Guerrilla Girls s’attaque à la dominationmasculine dans le milieu de l’art. Affiches, flyers, slogans sontautant de moyens de montrer les contradictions du systèmeet la manière dont il privilégie les artistes hommes et blancs

au détriment des femmes et des minorités ethniques.trente années après, la galerie michèle didier organise unerétrospective des productions de ce groupe, qui permet d’étu-dier l’évolution de leurs combats mais aussi de le comparerà celui, français et actuel, du collectif La Barbe.

the Guerrilla Girls, Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum ?[Les femmes ont-elles besoin d’être nues pour entrer au Metropolitan Museum ?] actualisé, 2012.

THE GUERRILLA GIRLS et LA BARBEExposition du 9 septembre au 12 novembre 2016

Galerie michèle didier 66, rue notre-dame-de-nazareth, 75003 Paris

Le gorille et la barbe ou l’art de partir en guerre

ÉTIENNE CHOSSON

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depuis quelques années fleurissent les théories dites du « com-mun » ou des « communs ». La Revue du projet a décidé de consa-crer un numéro spécial à cette question, présentant quelques-unes de ces théories et certains de leurs champs d’application.sans prétendre faire le tour du sujet, nous invitons les commu-nistes à approfondir la réflexion sur un thème qui a quelque choseà voir avec le cœur même de notre projet politique.

Commun et/ou Communisme ?D

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PRÉSENTATION

du commun au communismeun nouveau déPart ?Si le commun est dans l’air du tempsdepuis quelques années, cela s’ex-plique par une double crise. La pre-mière est liée à l’effondrement desrégimes soviétiques à la fin du siècledernier, qui a sérieusement ébranléle modèle d’émancipation proposépar le marxisme. Le terme même decommunisme peine depuis lors à êtredissocié des expériences répressives

et bureaucratiques qui se sont récla-mées de lui. Comme le chantait JeanFerrat, beaucoup tentent de réinven-ter l’avenir, « sans idole ou modèle,pas à pas, humblement ». Le « com-mun » est un des noms qui émergentde ces coups de sonde. La secondecrise arrive un peu plus tard : c’estcelle du modèle néolibéral qui ne faitplus recette. Contrairement aux affir-mations de quelques idéologues, nousn’avons pas vécu la fin de l’histoire.

Le lot de souffrances et d’aliénationsque charrie le capitalisme constitueune menace sans précédent pournotre humanité, une menace redou-blée par l’ombre de la catastropheécologique qui assombrit chaque jourun peu plus notre ciel.C’est donc dans ce contexte que l’idéedu « commun » a commencé à faireson chemin chez un certain nombred’intellectuels. D’abord au pluriel,

notamment sous la plume de la prixNobel d’économie Elinor Ostrom,plaidant dès les années 1990 pour une« gouvernance des communs », c’est-à-dire une pratique collective orga-nisée qui soit à même d’empêcherl’épuisement des ressources natu-relles. Puis au singulier, chez des théo-riciens comme Michael Hardt etAntonio Negri (Commonwealth, 2009)ou plus récemment en France PierreDardot et Christian Laval (Commun,

PAR JEAN QUÉTIER

en donnant pour titre « Le tempsdu commun » à son documentde congrès adopté en juin der-

nier à Aubervilliers, le Parti commu-niste français a choisi d’envoyer unsignal fort aussi bien à la grande massedu peuple qu’aux tenants de l’ordreétabli : le temps de l’exploitation capi-taliste, de l’accaparement des riches -ses par quelques-uns est appelé àprendre fin. Le règne des 1 % doit lais-ser la place à celui des 99 %. Maisjusque-là, pourrait-on dire, rien detrès nouveau sous le soleil : on trou-verait sans peine des idées analoguesdans de nombreuses productionscommunistes de ces dernières décen-nies. D’ailleurs, n’est-ce pas le fait quele capitalisme soit toujours là,s’adapte, résiste, qui nous contraintparfois à répéter patiemment desidées – comme celle de solidarité oude fraternité – qui devraient faire figured’évidences mais que les représen-tants de l’ordre néolibéral s’emploientà discréditer? Et pourtant, il semble yavoir quelque chose d’innovant etpresque d’inédit à parler de « com-mun » en ce début de XXIe siècle.

« La juxtaposition des initiativescollaboratives suffit-elle à garantir

la satisfaction des besoins à l’échelle de la nation tout entière ? »

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2014), qui pensent le communcomme un principe politique suscep-tible de s’étendre à toutes les sphèresde la société.

des exPérienCesConCrètesLa revendication du commun s’ex-prime également dans des expériencespratiques en pleine expansion: cellesde l’économie collaborative et de l’économie sociale et solidaire. Lesdomaines concernés sont pluriels.L’explosion du numérique à l’échellemondiale a ouvert des perspectivesmultiples au développement des com-muns de la connaissance. En France,le réseau des associations pour le main-tien de l’agriculture paysanne (AMAP),dont la première fut lancée en 2001,compterait aujourd’hui près de 270 000consommateurs. Selon le rapport deCooperatives Europe, le nombre d’en-treprises coopératives en Europe a aug-menté de 12 % entre 2009 et 2015… S’ilne s’agit pas encore d’un phénomènemajoritaire, l’audience de ces mouve-ments est bien réelle, même s’il restesouvent difficile de percevoir leur unité.En tant que communistes, noussommes aujourd’hui confrontés à laquestion suivante: comment fédérerces aspirations et ces initiatives quin’ont pas toujours été pensées commedes étapes ou des points d’appui dansla construction d’une société nouvelle?Dans certains cas, elles semblentmême avoir représenté une alterna-tive aux formes traditionnelles de l’en-gagement communiste. Il n’y a aucunefatalité à cela: le commun a tant à voiravec le communisme qu’il en consti-tue l’étymologie. À ce titre, l’émergencedu thème du commun peut sans doutenous aider à penser un communismede nouvelle génération, à conditionque nous soyons capables de propo-ser un débouché politique d’ensem-ble à celles et ceux qui se retrouventdans l’idée de commun.

Le PubLiC et Le CommunSi ce débouché politique d’ensemblene va pas de soi, c’est notamment parceque, pour des théoriciens commePierre Dardot et Christian Laval, lecommun est au-delà de l’alternativeclassique entre public et privé. Il prendla forme d’une critique adressée toutautant au marché qu’à l’État. Inutile des’attarder ici sur le marché dont onconnaît bien les tares ; c’est aux dys-fonctionnements de l’État qu’ilconvient de s’intéresser, dans la mesureoù ils montrent l’insuffisance d’unestratégie qui ferait des seules nationa-lisations le dernier mot d’une politiqueprogressiste. Mettre le principe du com-mun au cœur de notre conception des

services publics permet de garder tou-jours en tête la question de leur fonc-tionnement démocratique et de l’im-plication des usagers dans leur gestion,autant d’enjeux que les communistesmettent régulièrement en avant. Lepublic doit donc s’imprégner du com-mun.Mais faut-il en conclure, à l’inverse,que seule compte l’organisation d’uneactivité commune délibérative, quelleque soit la forme – publique ou pri-vée – de la propriété des moyens deproduction ? Sur ce point, les com-munistes ont sans nul doute des pro-positions à apporter dans le débat. Ilsaffirment qu’il ne faut pas opposer lepublic et le commun mais les pensercomme allant de pair. Car il est déci-sif qu’un certain nombre de secteursclés de l’économie échappent à la loidu marché et aux conséquences délé-tères de la concurrence.Affirmer la nécessité d’un cadre natio-nal et d’une gestion publique de cer-tains secteurs stratégiques revient éga-lement à poser la question de l’échelleà laquelle le commun peut être mis enœuvre. Nombre de mouvements quise revendiquent du commun mettenten avant la dimension locale de leurproduction ou de leur gestion. Mais cemodèle est-il généralisable à l’ensem-ble de l’économie ? La juxtapositiondes initiatives collaboratives suffit-elleà garantir la satisfaction des besoins àl’échelle de la nation tout entière? Si

l’on pense par exemple à la produc-tion d’électricité, il est tout sauf évi-dent que ce soit le cas.

LA REVUE DU PROJETouvre Le débatOn le voit bien, le temps du communest aussi le temps du débat et de laréflexion sur le projet communiste.Les théories du commun et les initia-tives qui s’en réclament doivent êtreanalysées par les communistes defaçon à en dégager les apports et leslimites. C’est pour cette raison que LaRevue du projet a décidé de consacrerson séminaire annuel de travail à laquestion du commun, comme ellel’avait fait pour la question de lagauche l’an dernier (cf.n° 50, septem-bre 2015). Les contributions des dif-férents membres de l’équipe derédaction ont permis de constituer cedossier qui entend ouvrir le débat etposer quelques jalons. On y décou-vrira un panorama des différentesthéories du commun mais aussi deschamps d’application dans lesquelsce principe peut être mis en œuvre.Nous espérons que de nombreuxmilitants pourront se l’approprier etcommencer à tracer la voie qui va ducommun au communisme.n

*Jean Quétier est rédacteur en chefde La Revue du projet. Il a coordonnéce dossier.

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extrait de l’interview de Pierre Laurent dans le magazine Reporterre Reporterre : Le « commun » plutôt que l’appropriation collective des moyens deproduction ?

Pierre Laurent : ll y a un moment déjà que nous repensons la notion d’appropria-tion collective. [...] Aujourd’hui, des choses essentielles bouleversent notre approche.d’abord, la dimension mondiale de ces enjeux, qui ne peut pas réduire la questionde la souveraineté des choix économiques au seul horizon des États nationaux.Ensuite, les bouleversements dans la numérisation de l’information, de la produc-tion et donc, de l’appropriation possible des savoirs par le plus grand nombre, nousoblige à penser avec beaucoup plus d’ambition la question du partage ; celui dessavoirs, celui des productions. Et puis, la démocratie d’aujourd’hui — et celle qu’ilfaut inventer pour le xxIe siècle — doit savoir accorder une place beaucoup plusgrande aux individus dans les dimensions collectives de mise en commun. toutcela nous pousse à être aujourd’hui favorables à des modèles d’appropriationsociale plus diversifiés que la seule propriété publique étatique.donc, nous accordons une place nouvelle aux questions de l’économie coopéra-tive, de l’économie sociale et solidaire, et aux droits d’intervention des salariés, etplus globalement des producteurs, sur l’objet de leur production.

Reporterre, 10 septembre 2016

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Rsinon, les biens communs seraient gas-pillés et l’homme mourrait de faim.De même, c’est aussi le gaspillage quiconstitue la seule limite que Lockepose à l’accumulation de biens privéspar un seul individu : si un hommes’appropriait cent pommes sans pou-voir les consommer, il porterait préju-dice aux autres hommes en les privantde moyens de subsistance.Aussitôt cette limite posée, Lockedonne les moyens de la repousser. Si

le cueilleur de pommes laissait pour-rir les fruits de trop qu’il s’était appro-priés, il ne serait pas dans son droit.Mais s’il les échangeait pour quelquechose qui ne pourrit pas, comme despièces d’argent, non seulement ilserait dans son droit, mais il rendraitun grand service à l’humanité en per-mettant à d’autres hommes de man-ger des pommes qui, laissées dans ledomaine commun, auraient pourridans la nature. Ainsi, par le biais ducommerce et de l’argent, Locke formule ce que M. C. Macphersonappelle un « droit illimité à la pro-priété privée » : l’appropriation pri-vée des terrains communaux permet-trait d’augmenter leur productivité etd’en faire bénéficier toute la commu-nauté grâce aux échanges marchands.Ainsi, propriétaires de tous les pays,enrichissez-vous ! Poursuivez lesenclosures partout où c’est possible !Tant que vous vous servez de votrepropriété de manière à augmenter laproductivité et à développer le com-merce, vous pouvez accumuler autantd’argent que vous voulez « sans nuireà personne », car ces petites piècesmétalliques ne pourrissent pas…Tel fut, en somme, le message adresséaux propriétaires par Locke. Cettethéorie fut effectivement mobilisée àdes fins idéologiques non seulementpar les grands propriétaires terriensen Angleterre, mais aussi par les

colons en Amérique. Afin de légitimerl’expropriation des peuples autoch-tones, on les accusait de « gaspiller »les ressources naturelles et de culti-ver la terre de manière « improduc-tive ». On connaît la suite tragique del’histoire : le prix du développementdes forces productives, ce fut l’exter-mination de peuples entiers, la miseen esclavage d’autres, la prolétarisa-tion forcée de grands pans de lasociété… Difficile de prétendre avec

Locke que l’accumulation de la pro-priété privée à cette époque n’a nui àpersonne.

«  La tragédie des Communs », aCte iiAprès que plusieurs siècles de priva-tisations eurent entraîné la quasi-dis-parition de la propriété communaledans le monde occidental, « les com-muns » semblaient relever désormaisd’une ère révolue. S’ils réapparurentdans les débats intellectuels à partirdu milieu du XXe siècle, c’est notam-ment suite à la publication d’un arti-cle intitulé « The Tragedy of theCommons » [La tragédie des com-muns] (1968) par l’écologue améri-cain Garrett Hardin (1915-2003).Contrairement à ce que le titre pour-rait laisser entendre, la tragédie àlaquelle Hardin fait allusion n’est pascelle que vécurent les populationsexpropriées de leurs terrains commu-naux. La « tragédie des communs »,c’est l’épuisement des ressourcesnaturelles qui résulte de leur exploi-tation en commun par des individusagissant indépendamment les uns desautres, sans réglementation. Imaginezen effet que chaque membre d’unecommunauté ait le droit égal et incon-trôlé de consommer les mêmes res-sources rares. Dès lors, chacun ne par-ticipe-t-il pas, malgré lui, à lararéfaction des ressources pour tous,

PAR BRADLEY SMITH*

d ans l’Angleterre médiévale, thecommons –d’où la traductionfrançaise –désignaient les ter-

rains, les prés et les bois communauxque les habitants pouvaient exploiteren commun selon un droit coutumier.Si de tels biens communaux existaientpartout en Europe à cette époque,c’est d’abord en Angleterre qu’à par-tir du XIIe siècle, ils commencèrent àêtre privatisés. Ce fut le début desenclosures qui, d’après Marx, furentune des conditions de l’accumulationprimitive du capital et de la proléta-risation de la paysannerie anglaise.

Longtemps considérée comme vouéeà la tragédie, la théorie des communsfut renouvelée en grande partie grâceà l’économiste américaine ElinorOstrom (1933-2012). Ses travaux surla gouvernance des biens communspermettent d’ouvrir le champ deréflexion de celles et ceux qui appel-lent de leurs vœux le dépassement ducapitalisme et l’émergence d’unesociété fondée sur la propriété collec-tive gérée démocratiquement. Maisavant de présenter les apports et leslimites de la théorie ostromienne,comment s’est articulé le passage dela « tragédie des communs » à la théo-rie de leur gouvernance?

« La tragédie des Communs », aCte iUn des premiers penseurs à avoir for-mulé une justification théorique dela mise en clôture des terrains com-munaux est le philosophe anglaisJohn Locke (1632-1704). Dans sonTraité du gouvernement civil (1690),il développe la théorie de l’origine dela propriété privée que voici : audépart, toute la terre appartient àl’homme en commun; mais à partirdu moment où l’on mêle son travailavec ce que Dieu a fourni en commun— par exemple, en cueillant unepomme —, on le retire de la naturecommune pour en faire sa propriété.C’est donc le travail humain qui est àl’origine de la propriété privée.Cet acte de privatisation est nécessaireselon Locke dans la mesure où laconsommation des fruits de la natureest ce qui permet à l’homme de vivre ;

« Afin de légitimer l’expropriation des peuples autochtones, on les accusait

de “gaspiller” les ressources naturelles et de cultiver la terre de manière

“improductive”. »

aux raCines de La théorie des CommunsLa théorie des communs a une longue histoire qui trouve ses racinesnotamment dans le monde anglophone.

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et donc à l’appauvrissement de l’en-semble de la communauté? Suivantcette logique malthusienne, Hardinarrive à la conclusion que seul unrégime de propriété privée permet decontrôler l’utilisation et la distribu-tion des ressources naturelles de façondurable et efficace. Il s’agit donc, endernière analyse, d’une réactivationmoderne de la vieille théorie de Locke.

Bien que Hardin soit hostile auxrégimes de propriété commune, sonarticle a néanmoins inspiré de nou-velles recherches sur la nature de cesrégimes de façon à questionner leurprétendue inefficacité. La chercheusesans doute la plus influente à cetégard fut Elinor Ostrom.

eLinor ostrom et « La gouvernanCe des biens Communs »Ostrom prit le contre-pied de Hardindans un ouvrage qui fit date: Governingthe Commons (1990) (La Gouvernancedes biens communs).En s’appuyant surdes recherches empiriques qu’ellemena sur le terrain, elle montra que lescommunautés qui possèdent et exploi-

tent des terrains ou des pêcheries encommun, loin d’être condamnées àsubir la « tragédie des communs », évi-tent l’épuisement des ressources grâceà un système de gouvernance et d’ac-tion collective. Ostrom consacra sesrecherches aux institutions et auxformes « d’agir commun » qui permet-

tent d’assurer la pérennité et l’utilisa-tion efficace des ressources communes(common-pool resources, CPR).Cette démarche conduisit à une redé-finition des communs. Tandis qu’ilsavaient désigné précédemment uni-quement des choses, le terme de« communs » pouvait aussi — et peut-être surtout — s’appliquer à uneforme de pratique collective organi-sée. Les communs seraient ainsi nonseulement un pool commun de res-sources, mais aussi un système d’af-fectation de droits et un mode de gou-vernance.En s’inspirant des travaux de l’écono-miste américain John Commons(1862-1945) et du juriste américainWesley Hohfeld (1879-1918), Ostromconçoit la propriété, non pas commeune chose, mais comme un faisceaude droits (bundle of rights) et une rela-tion sociale. La nature de ces droitset de ces relations n’est ni absolue nifigée : elle varie en fonction des ins-titutions sociales et des formes degouvernement. Ainsi, la propriété pri-vée individuelle procurant des droitsexclusifs sur l’utilisation d’une res-source n’est qu’une forme de pro-

« La “tragédie des communs”, c’estl’épuisement des ressources naturelles quirésulte de leur exploitation en commun pardes individus agissant indépendamment les

uns des autres, sans réglementation. »

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priété parmi d’autres : elle ne perdureque grâce à un système juridique ins-titutionnalisé par l’État. Les com-muns, de ce point de vue, ne s’oppo-sent pas à la propriété en tant que telle :ils représentent une autre forme depropriété, la propriété commune, régiepar un autre système de droits, derègles et de gouvernance.Ostrom identifie trois niveaux derègles qui régissent les communs,chacun donnant lieu à l’affectationde certains droits parmi les membrescommuns (commoners). Le premierniveau concerne les règles opération-nelles qui, pour un pool commun deressources donné, déterminent lesdroits d’accès et de prélèvement. Enprincipe, ces droits sont répartis demanière égale entre tous les membrescommuns. Mais comme rien n’exclutl’abus (free-riding) ni l’épuisement decertaines ressources périssables, undeuxième niveau de règles donne lieu

à des droits administratifs : les droitsde gérer, d’exclure, de céder, ou devendre. La distribution de ces droitsrelève de choix collectifs et impliqueque les communs ne sont pas forcé-ment exempts de hiérarchie, surtouten fonction de l’échelle du systèmeet du caractère des ressources. Enfin,un troisième niveau comporte lesrègles constitutionnelles : il s’agit del’institutionnalisation du système dedroits et de règles, mais aussi desconditions dans lesquelles peuventêtre modifiés une partie ou l’ensem-ble du système.Ce système d’affectation de droitsdonne lieu à différents modes de gou-vernance. La pluralité d’acteurs, cha-cun avec des droits divers, impliquel’existence d’intérêts différents au seinde la communauté. Cette situationnécessite la mise en comptabilité desintérêts particuliers par un mode degouvernance collective, ou d’« autogouvernement », pour que le systèmesoit viable à long terme. Il s’agit d’unrégime de réglementations et de dis-positifs visant à faire respecter lesrègles et donnant les moyens de résou-

dre les problèmes en cas de conflit.En 2009, Elinor Ostrom reçut le prixNobel d’économie pour ses travauxsur la gouvernance des communs.Elle reste une référence incontourna-ble pour ceux qui, à gauche, ont tentéces dernières années de traduire lathéorie des communs en projet poli-tique. Il convient de présenter ce quinous paraît constituer les apports etles limites de la théorie d’Ostrom.

aPPorts et Limites de La théorie d’ostromTout d’abord, la démarche d’Ostrompermet de dépasser le faux dilemmeentre propriété privée individuelle etpropriété publique d’État. En effet, larépartition des droits dans un régimede propriété commune est très dif-fuse : ni une minorité d’individus nil’État ne peuvent accaparer tous lesdroits de propriété sur tel ou tel poolcommun de ressources. Ils peuvent

tout au juste y participer en tantqu’acteurs communs, leurs droitscomme ceux des autres relevant dechoix collectifs. Ni anarchiques niautoritaires, les communs peuventêtre compris comme un régime dedémocratie participative réglemen-tée, si bien que le choix entre pro-priété privée ou communisme d’Étatn’a pas lieu d’être.

Deuxièmement, concevoir la pro-priété comme un faisceau de droitsvariables en fonction du régime per-met de sortir de l’idéologie dominantequi veut que la propriété se réduise àun droit absolu et exclusif sur unechose. Rester captif de cette défini-tion habituelle de la propriété etconcevoir le commun comme l’anti-thèse de la propriété, à notre sens,c’est abandonner celle-ci aux pou-voirs en place, alors qu’il conviendraitplutôt de prendre le pouvoir sur leconcept de propriété afin de le trans-former dans un sens collectif et d’ou-vrir le champ des possibles.Enfin, la démarche d’Ostrom permetd’éviter deux autres écueils : d’une

part, celui d’une approche « natura-liste » selon laquelle certaines res-sources seraient, par nature, plusappropriées à un régime de propriétéprivée, publique ou commune; d’au-tre part, celui d’une approche « féti-chiste » qui postulerait systématique-ment la supériorité d’une de ces troisformes de propriété sur les autres,quels que soient les caractères desressources. En effet, Ostrom affirmeclairement qu’il n’existe pas de déter-minisme : différents régimes de pro-priété peuvent tout à fait être appli-qués aux mêmes ressources. Lorsqu’ils’agit d’en choisir un pour une res-source donnée, il ne faut pas confon-dre la prise en compte des caractèresspécifiques de celle-ci avec une pos-ture « naturaliste ».Cette ouverture constitue à la fois laforce et la limite des analyses d’Ostrom.En adoptant une approche empirique,elle nous fournit des connaissancesprécieuses sur les communs d’un pointde vue pratique. Mais, dans leur grandemajorité, ses recherches restent sur leplan descriptif et portent sur des com-muns de petite échelle : elles offrentpeu d’indications politiques pour faireémerger une sociétédu commun. C’estce que tenteront de faire certainsacteurs et théoriciens de gauche enfaisant du commun le fil rouge d’unecritique du capitalisme et d’une poli-tique alternative.Dès lors, les questions qui restent sontles suivantes : quelles nouvelles ins-titutions politiques précises permet-traient d’accueillir et d’élargir desrégimes de propriété commune là oùils sont applicables et souhaitables ?Quels nouveaux droits et pouvoirsfaut-il donner aux commoners pourleur assurer la possibilité de partici-per aux décisions qui concernent lesactivités dans lesquelles ils sont enga-gés ensemble? Par quels moyens pra-tiques pouvons-nous lutter dès main-tenant, sans attendre une révolution,pour que les communs gagnent duterrain, tout en préparant simultané-ment les conditions d’un dépasse-ment révolutionnaire du règne ducapital ? Autant de questions aux-quelles il convient de réfléchir ensem-ble si nous voulons faire advenir « letemps du commun ». n

*Bradley Smith est responsablede la rubrique Philosophiques.

« Par quels moyens pratiques pouvons-nous lutter dès maintenant,

sans attendre une révolution, pour que les communs gagnent du terrain,

tout en préparant simultanément lesconditions d’un dépassement

révolutionnaire du règne du capital ? »

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Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

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territoires en Commun ? biens Communs ?

PAR CORINNE LUXEMBOURG*

La terre, un esPaCe de vie,un esPaCe soCiaLQu’y a-t-il de plus commun aux êtreshumains et, à la fois, de plus morceléque la terre sur laquelle nous installonsnotre corps, nous nous déplaçons, nousnous abritons. Puis nous bâtissonspour ne plus seulement nous abriter.Ensemble, nous habitons. Nous nenous logeons pas uniquement, nousnous approprions l’espace. Nous enfaisons unespace de vie, support de nosusages quotidiens. Nous en faisons unterritoire commun, délimité, adminis-tré, organisé. Nous faisons avec l’es-

pace, voire nous faisons l’espace, autantque nous nous laissons habiter par lui.Objet de perceptions et de représen-tations individuelles et/ou collectives,c’est un espace social . Les frictions etadhésions que nous y déployons fontnotre histoire commune, notre mytho-logie et notre mémoire collectivepour reprendre les mots de MauriceHalbwachs. Suivant Armand Frémont,c’est d’espace vécu qu’il est bien sûrquestion, conjonction entre l’espacede vie et l’espace social.L’être humain, géographe par obliga-tion, est contraint à ce « vivre-ensem-ble » par le fait d’être en conscience

habitant d’un espace, bien plus quepar l’injonction qui lui est sans cesseassenée. Il le fait avec plus ou moinsde succès et de volonté, cédant avecla régularité de la manipulation de lapeur, à l’enclosure, aux murs, à la frag-mentation ou tout au contraire lut-tant pour s’en affranchir.

Le territoire, un Lieu CommunAinsi le territoire est un lieu commun.Le vocabulaire de l’administrationterritoriale est révélateur de cet étatde fait : « communauté villageoise »,dit-on pour parler d’une populationvivant ensemble dans ce qui n’est pasadmis pour être une ville ; quand la

« communauté urbaine » désigneadministrativement un regroupementde communes pour, définit l’Institutnational de la statistique et des étudeséconomiques (INSEE), « élaborer etconduire ensemble un projet com-mun de développement urbain etd’aménagement de leur territoire ausein d’un espace de solidarité ».Il y a donc quelque chose de communqui apparaît comme élément fonda-teur du territoire : commun aux per-sonnes qui l’habitent, qui y vivent,commun dans le projet. En effet, leterritoire dépasse l’espace vécu danssa complexité en ce qu’il est l’objet

d’un projet autant qu’il est partie pre-nante de la construction du projet.C’est la seconde caractéristique duterritoire, c’est qu’il est à la fois objetet sujet parce qu’il englobe le milieu,l’environnement et la population quis’est installée dessus. Le territoire estsociospatial.

L’identité du territoireAlberto Magnaghi explique dans LaBiorégion urbaine : petit traité sur leterritoire bien commun que « le terri-toire n’existe pas par nature. Il ne seconçoit pas comme une simple airegéographique ou une pure entité spa-tiale. Le territoire n’est pas une chose,mais un ensemble de relations. Il estle produit des hommes, inhérent àl’art de construire leur propre milieude vie et à s’y établir selon les quali-tés requises par leur culture. Chaquecivilisation a façonné son territoirepar l’interprétation de sa relation aumilieu ambiant et à ses ressources ».Plus loin il poursuit : « L’identité duterritoire n’indique pas seulement lesentiment d’appartenance à des lieuxou à leur histoire, mais surtout l’en-semble des principes, des rationali-tés auto-organisatrices d’une sociétélocale [qui] lui permet d’autorepré-senter, d’autoprojeter son proprefutur sur le territoire. »Le territoire est alors à prendre danstoute cette complexité, complexitérelevant précisément de ce double pro-fil : à la fois support ontologique, objetd’appropriation et sujet de transfor-mations, d’interrelations, d’allers-retours entre une construction iden-titaire et la production spatiale.L’identité est constituée de critères dis-criminatoires, classiquement les élé-ments constituant une démarche

Aborder le territoire comme bien commun fait de l’espace vécu, appro-prié, non plus seulement un élément constitutif d’identité, mais sous-entend que, parce qu’il est un bien commun à toutes et tous, il est juste depouvoir y accéder, de pouvoir en disposer de manière égalitaire, mais ausside ne pas l’altérer pour que sa transmission soit possible, de le protégercollectivement.

« […] toute la série de zones que les salauds ont tracées pour nous, sur leurs plans, etdans lesquelles ils nous enferment par un trait au crayon, les zones de travail pour

toute la semaine, les zones pour la moto et celles pour la drague, les zones defemmes, les zones d’hommes, les zones de pédés, les zones de tristesse, les zones

de bavardage, les zones de chagrin et celle du vendredi soir […] »bernard-marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts, éditions stock, 1978.

« Le territoire n’est pas une chose, mais un ensemble de relations.

chaque civilisation a façonné son territoirepar l’interprétation de sa relation

au milieu ambiant et à ses ressources. »

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intersectionnelle: « race », genre, classesociale, etc., auxquels je proposed’ajouter la capacité physique du corpséprouvant l’espace au quotidien et leterritoire, ici seul critère spatial. La pro-duction spatiale résulte alors de laconjonction de ces critères, des tem-

Les diFFérentes éCheLLesÀ cette première discussion entre cescritères sociospatiaux et la constitu-tion de l’espace-temps, s’ajoute uneseconde, articulant points de vue,décisions, de la grande échelle – c’est-à-dire le niveau local, à la petite

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poralités qui leur sont liées – ainsi lerythme d’une journée varie selon quel’on est homme ou femme, son âge,ses revenus – et l’accessibilité du ter-ritoire. Il y a alors relations constantesentre ces critères et la constitution d’unespace-temps. (voir ci-dessus, Fig.1)

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Fig. 1

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échelle – considérant un territoireplus large. L’interdépendance multi -scalaire, qui participe de la construc-tion du territoire, joue à tout niveauet implique la nécessité de cohérencede décisions politiques, notammenten matière d’aménagement, laconscience d’être localement intégréau(x) monde(s), d’agir globalementsur les territoires de la proximité etdu quotidien (voir ci-contre Fig. 2).

Les contradictions multiscalaires dansl’aménagement du territoire se dou-blent d’une divergence d’intérêts.Ainsi, l’espace de solidarité convoquépour l’établissement des communau-tés de communes parle d’intérêtgénéral, de mise en commun dessavoirs, des moyens, des ressources.Et dans ce cas, la mutualisationdevrait être mobilisée pour l’intérêtde l’ensemble de la population sansdiscrimination. En réalité, on sait quecette mutualisation peut être prétexteà la réduction des services publics etinduit une discrimination liée à la dis-

tance, donc une augmentation de laprécarité – on sait que la faiblesse desrevenus augmente les difficultés àfranchir les distances – en réduisantles relais institutionnels et adminis-tratifs de proximité.

Il en va tout autrement, lorsque l’es-pace de solidarité prend les atours del’entre-soi, par exemple des gated com-munities, sorte de quartiers fermés, oùse regroupent volontairement desménages aux intérêts particuliersconvergents. Cela se solde alors parune privatisation de l’espace public et

une discrimination, temporaire oupermanente, pour son accès. Cela a àvoir avec l’affirmation d’une richesse,avec une sorte de déclaration visibled’auto-exclusion du monde, devolonté d’y échapper, faisant d’un

espace restreint un territoire pour unecommunauté réduite. Le projet existe,mais le territoire n’est plus commun:il est communautaire. C’est de laconstruction d’un rapport au mondequ’il s’agit, la désignation d’un com-mun où la communauté ne se recon-naît pas (voir ci dessous Fig. 3).

« L’imaginaire collectif attribue parglissement le communautarisme quasi

exclusivement à la définition d’un entre-soipropre à la périphérie, à la banlieue, aux

territoires populaires, perçus, représentés,vécus comme des lieux fermés. »

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Fig. 3

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venant sur les territoires et sur leursprojections participent ainsi à la défi-nition de l’espace vécu. Cet espacevécu peut s’accommoder de l’auto-exclusion volontaire, dont nous venons

de parler. Cette auto-exclusion définiten négatif un autre commun, un autreterritoire. L’évolution sémantique ducommun à la communauté engage deplus en plus fréquemment vers le com-

L’espace vécu participe de la construc-tion du territoire, du sentiment plusou moins grand de son appropriation,d’en être usager, mais aussi d’en fairele lieu d’expression et de construction

d’une identité sociale et spatiale(mélange des critères discriminatoiresconstituant une intersectionnalitésociospatiale et d’une mémoire col-lective). Les actions politiques inter-

munautarisme que serait une réuniondes « mêmes » ensemble. L’imaginairecollectif attribue par glissement lecommunautarisme quasi exclusive-ment à la définition d’un entre-soi pro-pre à la périphérie, à la banlieue, auxterritoires populaires, perçus, repré-sentés, vécus comme des lieux fermés.La particularité des territoires popu-laires est d’introduire une forte dis-crimination territoriale. Le territoire,support identitaire, construit par lecommun projeté par une société, àqui l’histoire industrielle, migratoire,puis la désindustrialisation ont des-siné une histoire, une culture com-mune, mais aussi un statut, des situa-tions, des difficultés communes. Plusencore, il s’est installé peu à peu unediscrimination avec laquelle il fautenvisager le projet de territoire.Parler de territoires communs a fina-lement toute l’allure d’un pléonasme,mais aborder le territoire en tant biencommun interroge différemment. Cela

« si la dignité d’habiter devient une notioncentrale dans ce qui constitue le territoire

comme bien commun, l’accessibilité auterritoire, la possibilité non seulement de

l’habiter mais aussi de le transformer, quelsque soient les critères évoqués

précédemment, sont garanties. »

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fait de l’espace vécu, approprié, nonplus seulement un élément constitu-tif d’identité, mais sous-entend queparce qu’il est un bien commun àtoutes et tous, il est juste de pouvoir yaccéder, de pouvoir en disposer demanière égalitaire, mais aussi de nepas l’altérer pour que sa transmissionsoit possible, de le protéger collective-ment. Ce rapport de justice à l’espace,à la production de territoire, a pourfondement la reconnaissance de l’êtrehumain à son milieu, à son environ-nement. Jean-Paul Ferrier parle, à cepropos, de contrat géographique,parallèlement au contrat social deJean-Jacques Rousseau. Ce contratgéographique prend en considérationles multiples manières de vivre etformes d’habitat et repose sur la néces-sité d’en faire un savoir populaire etl’importance de la quotidienneté.« Avec le contrat géographique, le ter-ritoire ne relève donc pas de la seulenature : un autre mécanisme y est enœuvre, le processus d’anthropisation,dont la territorialisation est l’équiva-lent géographique, inséparable del’aventure de l’humanisation. Si leshommes veulent tenter d’habiterdignement avec leurs proches et leurs

contemporains, de nouvelles concep-tions, encore difficiles à imaginer, sontà instaurer dans ce domaine. »Reprenons ici les termes proposés parJ.-P. Ferrier : le contrat géographiquepourrait encadrer ce que serait la jus-tice spatiale, à la condition d’unevolonté des êtres humains d’« habi-ter dignement ». Si la dignité d’habi-ter devient une notion centrale dansce qui constitue le territoire commebien commun, l’accessibilité au ter-ritoire, la possibilité non seulementde l’habiter mais aussi de le transfor-mer, quels que soient les critères évo-qués précédemment, sont garanties(voir ci-contre Fig. 4).

un Projet de territoireémanCiPateurEn suivant encore cette piste qui mêledignité, bien commun, contrat géo-graphique se dégagent deux propo-sitions participant à dessiner un pro-jet de territoire pour le commun,disons un projet de territoire éman-cipateur. Tout d’abord, propositionmineure : les paysages comme illus-tration des territoires. De même quele territoire, s’il est bien commun,n’est juste que s’il peut être accessi-

ble sans discriminations, dans lesmêmes conditions, Jean-Paul Ferrierfait des paysages une question de jus-tice spatiale : « Point d’ancrage de nosopinions sur le beau, occasion de pen-ser l’accès aux ressources, les pay-sages ouvrent donc de grandes ques-tions sur la justice spatiale et lesmoyens de sa réalisation suffisante,car comment accepter d’être seuls àjouir d’un paysage trouvé intéressantet à disposer de revenus suffisants ? »En proposition majeure : le droit à laville comme outil démocratique.Considérer alors le territoire commebien commun revient donc àconstruire un projet commun pour unespace vécu où les critères discrimi-natoires évoqués au début de ce textepourraient être contrebalancés par unbinôme social dignité/bien communet un autre spatialisé concernant laprise en compte multiscalaire del’aménagement du territoire et lecontrat géographique réinscrivantl’humain dans le milieu. n

*Corinne Luxembourg estresponsable de la rubriqueProduction de territoires.

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Communs de La ConnaissanCe et bibLiothèQues, éLéments de réFLexionUn profond mouvement d’interrogation agite aujourd’hui les métiers desbibliothèques et leur avenir autour de la question des communs de laconnaissance et de leurs applications pratiques.

PAR CAMILLE DUCROT*

a ux États-Unis, Elinor Ostromet Charlotte Hess ont théoriséce sujet dans leur ouvrage

Understanding Knowledge as aCommons : from Theory to Practice(2007). En France, la sortie du livreLibres savoirs rassemblant des arti-cles d’une trentaine d’auteurs (Vecam,2011) et les réflexions d’associationscomme SavoirsCom1 ont entraîné lapublication de plusieurs recherchesprofessionnelles et de dossiers dansla presse professionnelle (« Biblio -thèque et communs de la connais-

sance », Bibliothèque(s), octobre 2014;« Enrichir pour partager, les biblio-thèques dans l’économie de laconnaissance », Ar(abes)que, novem-bre 2014 ; « Les communs de laconnaissance », InterCDI, juin 2016).

Que sont Les Communs de La ConnaissanCe ?Dans les travaux d’Ostrom et de Hess,la production de la connaissance estconsidérée comme un bien communavec une communauté qui lui estassociée et des règles de fonctionne-ment propres. La construction deWikipedia par exemple est étudiéepar Yochai Benkler comme une pro-duction entre pairs basée sur les com-

muns (The Wealth of Networks [Larichesse des réseaux], 2006). S’ajouteà cela que la connaissance est un biennon rival : plusieurs personnes peu-vent avoir la même connaissance.Charlotte Hess l’explique ainsi : « Lesavoir qui réside dans mon cerveaun’enlève rien au savoir qui réside dansle vôtre. » C’est aussi un bien additifpuisque l’usage des connaissancesaccroît leur valeur.Cependant, la définition des communsde la connaissance n’est pas évidenteet nécessite de dessiner en creux cequ’ils ne sont pas : une exploitationprivative du savoir et de la culturecomme le font les « géants du net » ouquelques laboratoires pharmaceu-

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tiques et grands groupes d’éditionscientifique qui, par l’utilisation destitres de propriété intellectuelle mis àleur disposition par le droit (droitsd’auteur, brevets, marques), rassem-blent le savoir et ne le diffusent qu’àun nombre restreint de personnes. Ilscréent donc des enclosures et remet-tent en question le droit d’usage d’uneressource partagée.Si le numérique par son architecture apermis d’accélérer la non-rivalité de laconnaissance, il n’empêche pas l’érec-tion de barrières autour des savoirs.Avec le livre papier, il existait des pos-sibilités d’usages collectifs comme leprêt, la revente, l’achat d’occasion oule don, qui disparaissent avec le livrenumérique. Depuis la mise en place dela Digital Rights Management (Gestion

des droits numériques), ce dernier res-semble plus à l’achat d’une licenced’utilisation ou d’un droit de lire qu’àla possession du fichier numérique.Autre exemple: celui des travaux deschercheurs en « sciences dures » qui

sont traditionnellement publiés dansdes revues scientifiques renommées.Les éditeurs de ces revues, au nombretrès limité (Elsevier, Springer etThomson Scientific se partagent 90 %du marché), sont payés par les cher-cheurs pour publier des articles etrevendent ensuite leurs publicationsaux universités.

L’insCriPtion desbibLiothèQues dans Le système de CirCuLation de La ConnaissanCeLes bibliothèques semblent historique-ment reliées aux communs même sice n’est théorisé que depuis peu : lemythe de la bibliothèque d’Alexandriepar exemple renvoie au rêve de ras-sembler le plus de connaissances pos-

sibles dans un lieu pour une commu-nauté d’usage, même si cela se faisaitau détriment de certaines personnes:les rouleaux étaient en effet confisquéspour être rendus plus ou moins bienrecopiés. Jusqu’au XIXe siècle, les livres

étaient coûteux et de caractère rival,en raison de la difficulté qu’il y avait àles produire. Les bibliothèques permet-taient un accès à une communauté. Labibliothèque de la Sorbonne s’adres-sait aux étudiants que le collège accueil-lait; dès 1290, elle se divise en deux par-ties : la « grande librairie » pourconsulter sur place des livres enchaî-nés aux pupitres et la « petite librairie »qui était une réserve de manuscrits des-tinés au prêt. Cette organi sation sertensuite de modèle pour d’autres biblio-thèques de collèges: dès le XIIIe siècle,donc, la structure de la bibliothèquede prêt existe.Beaucoup plus récemment, leManifeste de l’UNESCO sur la biblio-thèque publique (1994) affirme: « Toutepersonne, quel que soit son âge, doitavoir accès à une documentationadaptée à ses besoins. Les collectionset les services doivent faire appel à tousles types de supports et à toutes lestechnologies modernes, de même qu’àla documentation traditionnelle. Il estessentiel qu’ils soient d’excellente qua-lité, répondant aux conditions etbesoins locaux. Les collections doiventrefléter les tendances contemporaineset l’évolution de la société de mêmeque la mémoire de l’humanité et desproduits de son imagination. Les col-lections et les services doivent êtreexempts de toute forme de censure,idéologique, politique ou religieuse,ou de pressions commerciales. »

« si le numérique par son architecture a permis d’accélérer la non-rivalité de la

connaissance, il n’empêche pas l’érectionde barrières autour des savoirs. »D

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Il paraît donc nécessaire de créer descollections pour des communautésd’usagers de la bibliothèque. Lesbibliothèques sont alors vues plutôtcomme des gestionnaires d’un com-mun. Les deux économies qui tou-chent la connaissance et le savoir,commun d’un côté et privée de l’au-tre, rendent cependant ambivalentela mission des bibliothèques.

une réFLexion sur LesCommuns en oPPosition à des mouvementsd’enCLosure de LaConnaissanCe PratiQuésdans Les bibLiothèQuesQuelques bibliothécaires et cher-cheurs dénoncent des mouvementsd’enclosure à l’œuvre dans des biblio-thèques publiques. Les questions liéesà la numérisation des collections parexemple sont révélatrices de ces tensions. Certaines bibliothèques,comme la Bibliothèque nationale deFrance, ajoutent à leur numérisationdes restrictions de droits d’usage (celavaut pour certains musées aussi) :c’est la propriété matérielle qui prendle pas sur la propriété intellectuelle.Il faut les contacter et payer pour uti-liser l’image numérisée de telle outelle œuvre du domaine public pourun usage privé et parfois public. Cetterestriction s’appuie sur une interpré-tation détournée de la loi du 17 juil-let 1978 sur l’accès à l’informationpublique : des contenus du domainepublic sont requalifiés en « docu-ments administratifs » détenus parl’État afin d’apporter des restrictionsplus ou moins étendues à leur réuti-lisation. La puissance publique secomporte donc plutôt comme unacteur privé ou valorise les acteurs

privés. Leur numérisation de l’imageest considérée comme une couchesupplémentaire de droit d’auteur. Ceproblème est plus prégnant encorequand la numérisation est faite parune entreprise privée sous contrat.Google a été chargé de créer lesfichiers numériques (epub ou pdf) dela Bibliothèque municipale de Lyonen échange du droit de les commer-cialiser pendant vingt-cinq ans : on

ne connaît cependant pas les termesexacts du contrat. Ces processus peu-vent tout de même s’inverser : laBibliothèque municipale de Lyonavait d’abord placé ses fichiers numé-risés sous licence creative commons(CC) sans usage commercial ni droit

de modification, alors qu’utiliser unelicence CC sur une œuvre exige d’enêtre l’auteur. Ils sont depuis peu souslicence ouverte, beaucoup plus res-pectueuse du domaine public(Calimaq, article sur le blog S.I.Lex,23 août 2016).L’autre point de tension concerne leséditions de revues scientifiques. Si lessciences humaines ne sont pas tou-chées par ce problème, il est enrevanche très discuté parmi les cher-cheurs en « sciences dures ». Les mai-sons d’édition sont donc payées parles chercheurs pour publier leurs arti-cles. Elles revendent ensuite les revuesaux bibliothèques universitaires (BU)qui ne les diffusent que dans les labo-ratoires. Les ventes fonctionnent enbouquet, c’est-à-dire que les BU achè-tent un lot de revues sans choisir cequ’il contient, le tout avec un contratde vente confidentiel en particulieren ce qui concerne le prix de venteastronomique. Les bouquets asso-cient souvent des revues connues à

d’autres de moins forte diffusion pourpouvoir les vendre. L’argument prin-cipal des maisons d’édition pour jus-tifier leur travail et leurs prix est larelecture par des comités de cher-cheurs spécialisés, l’obligation pourles chercheurs de publier pour êtreévalués et la nécessité pour eux deconnaître ce qui se fait en matière derecherche. Les bibliothèques sontdonc un public captif obligé d’ache-

ter sans pouvoir négocier. Pour luttercontre cette enclosure qu’on leurimpose, mais dont elles constituentfinalement un rouage, les biblio-thèques se rassemblent en consor-tiums afin d’obtenir des tarifs com-muns plus ou moins publics ; mais

beaucoup ne peuvent plus supporterles frais de ces revues qui ont aug-menté de parfois 400 % au début desannées 2010 et arrêtent des collec-tions commencées pour certainesdepuis le XIXe siècle comme à laBibliothèque interuniversitaire desanté de Paris. Or arrêter la licencequand la revue est numérique revientà tout perdre puisque ce n’est pas lefichier qui est acheté mais le droit dele consulter. La riposte principalevient donc des chercheurs, soutenuspar certaines bibliothèques, qui déve-loppent l’accès libre aux publicationsvia les archives ouvertes sans comitéde lecture ou via des revues en accèslibre avec comité.

une interrogation sur La Création deCommuns et surtout deCommunautés de PartageHeureusement, les bibliothèquesapportent aussi des réponses à la for-mation des biens communs de laconnaissance et créent en pratique descommunautés autour de biens com-muns. Elles utilisent leurs espaces enhébergeant des fab-labsou des hacker -spaces. Encore plus intéressant, cer-taines bibliothèques, suivant l’exem-ple de celle de l’École européennesupérieure d’art de Bretagne à Rennes,organisent des biblioremix. Il s’agit d’in-venter, de façon participative, ce quepourrait être la bibliothèque. Pendantdeux jours, des participants aux pro-fils divers (bibliothécaires, lecteurs,desi gners, architectes, usagers et nonusagers) esquissent à travers un cer-tain nombre d’ateliers la bibliothèqueidéale. Au-delà de la communauté dubiblioremix elle-même, les bibliothé-caires mettent en commun leurs expé-riences sur un blog et l’étendent à d’au-tres villes.Certaines collections sont aussi l’ob-jet d’une transformation en bien com-mun. Les bibliothèques numériques

« certaines bibliothèques, comme laBibliothèque nationale de France, ajoutent

à leur numérisation des restrictions de droits d’usage : la propriété matérielle

prend le pas sur la propriété intellectuelle. »

« des participants aux profils divers(bibliothécaires, lecteurs, designers,architectes, usagers et non usagers)

esquissent à travers un certain nombred’ateliers la bibliothèque idéale. »

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R d’images de la Bibliothèque munici-pale de Toulouse ou de Lyon sont par-ticipatives : les internautes peuventcommenter les images, les localiseret les légender. Il est aussi possible àla communauté ainsi créée de parti-ciper à des stages de photographiequi se terminent par la publicationdes séries photographiées. D’autresbibliothèques, comme la Bibliothèquenationale et universitaire de Stras -bourg, diffusent sans restriction leursœuvres numérisées et leurs noticesde catalogues pour les collègues ouproposent des œuvres libres de droitvia des routeurs appelés biblioboxque les usagers peuvent alimenter.Les copy parties sont un des dévelop-pements les plus récents du partagede la connaissance. Comme la loiautorise la copie d’œuvre, si la sourceest licite et le moyen de copie privé,les bibliothécaires invitent leurs usa-gers à venir avec leurs ordinateurscopier des CD lors d’ateliers dédiés.Autour des bibliothèques se trouventdonc deux sortes de communautés,les usagers et les professionnels ; lesbiens communs gérés par les uns etles autres diffèrent légèrement.

et aPrès ?Les bibliothécaires s’inscrivent doncdans les réflexions théoriques et pra-tiques sur les communs. Mais cesactions sont encore des opérationsisolées et militantes, souvent bloquéespar les politiques institutionnelles quine tiennent pas compte des évolu-tions ainsi proposées. De nombreusesquestions en découlent. Est-ce quece sont de vrais communs ou desmanières de relancer la réflexion surles bibliothèques, de les rafraîchir, de sortir d’un certain isolement ?D’entrer dans le numérique? De valo-riser les bibliothèques ?Il faudrait un accompagnement poli-tique à ce mouvement qui favorise-rait les communs de la connaissance.Ainsi, le Manifeste de SavoirsCom1rappelle que « placer les politiquespubliques sous le signe des communssignifie garantir l’interopérabilité, lalisibilité, l’appropriabilité et la cita-bilité des communs de la connais-sance, et contribuer au développe-ment d’une culture de l’informationde nature à favoriser le développe-ment des connaissances et desapprentissages ». Il faut porter despropositions de réforme du droitd’auteur, de défense du domainepublic, de promotion du libre accèsaux résultats de la recherche et d’ou-verture des données publiques.n

*Camille Ducrot est responsable des rubriques Lire et Critiques.

PAR FLORIAN GULLI*

L e livre de Pierre Dardot etChristian Laval, Commun: Essaisur la révolution au XXIe siècle

(2014), est une des contributions audébat sur l’idée de commun en France.Il a fait l’objet de nombreuses discus-sions dans les milieux associatifs etmilitants. Il a eu un certain écho dansla presse. Raison pour laquelle il n’estpas inintéressant de le présenter. Ilpeut être vu comme le complémentd’un autre de leurs livres : La NouvelleRaison du monde: Essai sur la sociéténéolibérale (2009). C’est de lui qu’il fautpartir pour comprendre Commun.

Le néoLibéraLismePour Dardot et Laval, le néolibéralismeest une pratique politique de mise enconcurrence généralisée. Ce principede concurrence, à l’œuvre depuis long-temps entre les entreprises, a peu àpeu été introduit à l’intérieur mêmedes entreprises. Celles-ci, en effet, s’or-ganisent sur le mode de la fragmenta-tion interne en « centres de profits »ou « centres de résultats ». Chaqueunité doit vendre aux autres unités del’entreprise ses services, lesquelles peu-vent toujours préférer un partenaireextérieur à l’entreprise s’il propose demeilleures conditions. Ainsi, les diffé-rentes unités de l’entreprise finissentpar établir entre elles des relations

concurrentielles. Par ailleurs, au seinde chaque « centre de profit » de l’en-treprise, les individus sont eux-mêmesmis en compétition, grâce aux procé-dures d’évaluations individuelles etgrâce à la crainte du chômage.Il en est de même pour le servicepublic. L’objectif premier du néolibé-ralisme n’est pas la privatisation, maisla mise en concurrence. Le néolibéra-

lisme sait bien que nombre de tâchesprises en charge par le service publicn’intéressent pas les capitaux privés(car non rentables directement). Il fautdonc bien un service public, mais ilfaut le soumettre aux normes du mar-ché. Par exemple, la suppression de lacarte scolaire et la publication de clas-sements des lycées visent la mise encompétition.L’État est le principal agent de l’ins-tauration de la concurrence. Le néoli-béralisme est un volontarisme poli-tique mis au service de l’économiecapitaliste. Le néolibéralisme n’est pasdérégulation ou déréglementation,mais nouvelles régulations, nouvellesréglementations. L’État dans le néoli-béralisme ne disparaît pas, il se recon-figure. Cette reconfiguration se faitcontre l’État social de l’époque anté-rieure. Le public n’est donc absolu-ment pas, dans cette perspective, unremède au néolibéralisme ; il est aucontraire l’un de ses infatigables pro-moteurs. D’où la nécessité d’une nou-velle critique de l’État.

Le Commun : ni Privé, ni PubLiCÀ la politique néolibérale, Dardot etLaval entendent opposer une « poli-tique du commun ». Investir la notionde « commun », c’est essayer de sefrayer un chemin politique qui ne soitni marchand ni étatique. C’est luttercontre les formes de confiscation duprivé mais aussi du public, c’est adop-ter un point de vue critique sur l’un etsur l’autre, en soulignant leurs déficitsdémocratiques respectifs. Ce qui per-met de montrer en particulier l’insuf-fisance du thème de la nationalisation,laquelle n’est pas synonyme de démo-cratisation.Cette démarche n’est pas sans rappe-ler celle de Michael Hardt et AntonioNegri. Pour eux aussi, le commun estla proie à la fois du marché et de l’État.Mais à la différence de Dardot et Laval,la politique que proposent Hardt etNegri relève d’une conception spino-ziste du commun. Chez Spinoza, il n’ya pas d’opposition entre la nature etla société : la nature, c’est le tout, etl’homme en fait partie. Or, si la nature,c’est le tout, la nature n’est qu’un autrenom du commun. Et de même que la

Le Commun Comme PrinCiPe PoLitiQuePierre dardot et christian Laval ont popularisé etdéveloppé le thème du « commun » en France.retour critique sur l’un de leurs ouvrages.

« L’État dans lenéolibéralisme

ne disparaît pas, il se reconfigure. »

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nature chez Spinoza est dotée d’unepuissance autocréatrice spontanée, demême le commun, chez Hardt etNegri, est composé de ce que natureet humains produisent spontanément.Ainsi, une politique du commun neconsisterait pas à intervenir pour créer

le commun, car le commun se créedéjà ; on le voit notamment avecl’émergence des communs de laconnaissance que le capital tente deconfisquer par une seconde vagued’enclosures. Une politique du com-mun consisterait plutôt à libérer lecommun des entraves que le capita-lisme ou l’État pose à sa puissanceautocréatrice spontanée.Non satisfaits de cette conception« spontanéiste » du commun, Dardotet Laval insistent sur la nécessité d’ins-tituer le commun. Le commun, chezeux, est un principe politique visant àpromouvoir partout la forme de l’auto-gouvernement et de la co-activité :chaque individu qui participe à unemême activité doit aussi participer auxprises de décision politiques concer-nant cette activité. Il y a commun làoù il y a activité délibérative. Donc lecommun ne renvoie pas à ce qui estpartagé avant la co-activité (des pro-priétés communes). Il ne renvoie pasaux communautés réelles, aux appar-tenances collectives (langues, nations,etc.). Cela relève plus, pour nos deuxauteurs, de la coutume que du com-mun. Le commun est plutôt une co-activité qu’il faut instituer au moyend’une « praxis instituante ». Les nou-velles institutions remplaceront lanorme de la mise en concurrence néo-libérale par la norme de la mise en com-mun. Voilà le cœur de ce qu’ils appel-lent la « révolution du XXIe » siècle.

Promouvoir, instituer« Les » CommunsL’objectif est de construire partout desespaces de coopération et de collabo-ration. Construire le maximum d’ins-titutions baptisées « communs », quiorganisent collectivement la gestionde ressources en refusant de s’adres-ser par facilité au marché ou à l’admi-nistration publique: jardins partagés,gestion commune de l’eau, échanged’appartements, réseaux d’échangesde savoirs, associations pour le main-

tien de l’agriculture paysanne (AMAP),etc. Injecter de l’autogouvernementdans le quotidien est une idée-force,le moyen privilégié de redonner unsens à l’idée de changement.Mais le principe du commun ne doitpas s’en tenir là, il doit autant préva-

loir dans la sphère publique que dansla sphère privée. Il faut le considérercomme un principe transversal quistructure ces différentes sphères sansles dissoudre.

organiser Le Privé seLon Le PrinCiPe du CommunOrganiser le privé selon le principe ducommun ne signifie pas supprimer lapropriété privée ou restreindre sonpérimètre par transfert au public decertains domaines d’activité (santé,éducation, etc.). Cette dernière solu-tion, au passage, laisse intacte la ques-tion des rapports de pouvoir dans l’en-treprise privée. Organiser le privé selonle principe du commun consiste àlimiter le droit de propriété et le mar-ché. Un exemple, ce que Dardot etLaval entendent par « entreprise com-mune » : l’idée est de réencastrer l’en-treprise dans la société, de la réinté-grer dans la vie sociale. Il ne s’agit pasde se débarrasser des actionnaires. Ils’agit d’introduire, dans les conseilsd’administration, d’autres voix. Et passeulement celles des salariés. Cellesaussi des élus locaux, celles des asso-ciations de défense de l’environne-ment, etc. En quoi on s’éloigne del’idée socialiste traditionnelle du sim-ple contrôle ouvrier. Il s’agit de disso-cier l’entreprise, conçue comme unbien commun, des capitaux. Ce quirevient à penser un droit d’usageétendu, c’est-à-dire incluant la possi-bilité de définir les règles de l’usage,retourné contre la propriété.

organiser Le PubLiC seLonLe PrinCiPe du CommunLes services publics doivent eux aussiêtre repensés sous la catégorie du« commun ». Ils doivent se transfor-mer en « institutions du commun ».Idée intéressante, qui évite deux écueilsà l’égard du service public. Le servicepublic comme « appareil d’État » auservice de la domination bourgeoiseou comme organe déjà pleinement au

service de la société. Il faut sortir dudiscours idéalisé sur l’État sans tom-ber dans la paranoïa d’une domina-tion étatique totalitaire. L’État est unlieu de tensions et de luttes, dans lequelil faut passer à l’offensive. L’idée d’« ins-titution du commun » permet d’allerau-delà d’une position seulementdéfensive à l’égard du service public,notamment de devenir plus sensibleaux critiques formulées par les usa-gers eux-mêmes. Par exemple, en déci-dant avec eux des besoins sociaux àsatisfaire. Seule manière de faire ensorte que l’usager ne soit ni un sujetni un client. Elle permet aussi d’êtreen phase avec l’expérience des fonc-tionnaires en mettant en lumière lesluttes internes au service public oppo-sant « fonctionnaires du bas » et« noblesse d’État ».

CinQ remarQues sur Le Livre1/ Les intellectuels lisent et discutent

d’autres intellectuels. Mais ils sem-blent faire peu de cas des produc-tions des organisations. Par exem-ple, l’idée qu’il ne suffit pas denationaliser, de rendre public, n’estplus une idée neuve, et depuis long-temps. Alain Gautheron, membrede l’Institut d’histoire sociale de laCGT écrit : « En 1985, la CGT dressele bilan des nationalisations de1981-1982. Elle constate uneabsence de changement fondamen-tal dans leur gestion. » (LaRevue duprojet, n° 27, page 12) Même chosepour le terme nouveau et intéres-sant d’ « entreprise commune »,mais qui renvoie à une idée formu-lée depuis plusieurs décennies.

2/ Pourquoi avoir choisi le mot « com-mun » ? Pourquoi Dardot et Lavalne disent-ils pas plus simplement« démocratie » ? On peut se ledemander d’autant plus que leurdernier ouvrage (Ce cauchemar quin’en finit pas), qui aborde de façonintéressante beaucoup de questionsconcrètes (la dette, l’Union euro-péenne, etc.), ne fait presque aucunusage du mot « commun ». Le livreoppose cette fois-ci, dès le sous-titre,néolibéralisme et démocratie. Dansle même sens, pourquoi ne pas dire« communisme » plutôt que « com-mun » ? Parce que « communisme »désignerait la destruction du com-mun par l’État? C’est un peu rapide.« Communisme » est un mot qui sedit au pluriel. Anton Pannekoek, àqui font référence Dardot et Laval,écrit en 1947 un article intitulé « Lapropriété publique et la propriétécommune » dans lequel il préco-nise de dépasser conjointement

« Injecter de l’autogouvernement dans le quotidien est une idée-force,

le moyen privilégié de redonner un sens à l’idée de changement. »

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Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez à [email protected]

propriété publique et propriété pri-vée. Ce qui ne l’empêche absolu-ment pas de se dire « communiste ».Dardot et Laval, quant à eux, rejet-tent tour à tour le communisme dela « communauté de vie », le com-munisme de « l’association des pro-ducteurs » et finissent par réduirele concept aux pires aspects desrégimes soviétiques. Leur regard sur ces derniers est particulière-ment appauvrissant. Il ne témoigne d’aucune sorte de curiosité poursoixante-dix années d’expériencehumaine. Par exemple, pas un motsur l’autogestion yougoslave, ten-tative menée à grande échelle dans

une société industrielle, loin de la marginalité de l’autogestionaujourd’hui, que déplore pourtantle livre. Pas un mot sur la vie quo-tidienne soviétique dont on sem-ble avoir décidé a priori qu’elle n’arien d’intéressant à nous appren-dre. Pas un mot sur les travaux deKaterina Azarova sur les apparte-ments communautaires en URSSqui montrent, sans idéalisationaucune, des formes d’autogouver-nement, évidemment limitées,parmi les locataires.

3/ Le commun est défini comme co-activité, c’est-à-dire délibération etdécision. Cette définition du com-mun est-elle suffisante d’un pointde vue démocratique ? On peutémettre une critique assez simple.La moindre observation montre que,dans une délibération, les hommesparlent plus que les femmes, qu’ilsleur coupent davantage la parole,que les plus diplômés participentplus que les moins diplômés, etc.Bref, la discussion démocratique estdéformée par les différentes domi-nations du monde social, domina-tions de « race », de classe, de genre,etc. Le commun tel qu’il a été définipar Dardot et Laval n’offre aucunegarantie contre ces dominations quiparasitent la délibération. Conclusion: le commun ne peut suf-fire à lui seul à résumer la critiquesociale; il est assez peu sensible auproblème de la domination descompétents et diplômés. Il doit doncêtre complété. Il lui manque l’éga-

lité. On peut penser à mettre enœuvre des clauses égalitaires favo-risant la parité de participation. Onpeut recourir au tirage au sort, pro-cédure démocratique par excellencepour les Grecs, dont on ne trouvepas un mot dans cet ouvrage pour-tant épais et qui se revendique decette tradition antique.

4/ Le livre pointe une difficulté sansla résoudre : celui de l’inscriptiondu commun dans la durée. En effet,l’autogouvernement est souventporté par l’effervescence dumoment conflictuel (les assembléesgénérales lors des grèves, des occu-

pations d’usine, etc.). Mais onobserve toujours ensuite un reflux,une routinisation au cours delaquelle on se détourne de l’auto-gouvernement. Ce qui laisse alorsle champ libre aux minorités pouragir hors contrôle. Le problème estévoqué mais sans recevoir deréponse. Certes, les pouvoirs d’enhaut peuvent toujours s’employerà faire reculer le désir de participer.Il y a sans doute là une part devérité. Mais il y a aussi un postulatqui mérite examen, à savoir : il yaurait en chacun et à tout momentun désir de participer. Ou encore :on pourrait produire en l’hommeun tel désir constant, seul garant dela permanence de l’autogouverne-ment. Il paraît plus raisonnable d’affirmer que l’exigence de parti-cipation démocratique est uneaspi-ration humaine, mais à côté d’au-tres ; et que pour mille et uneraisons, qui ne renvoient pas à l’alié-nation, ces autres aspirations peu-vent parfois parler plus fort quecelle du commun ou même entreren contradiction avec elle. On peutpréférer passer du temps avec sesenfants ou ses amis plutôt qu’allerà une réunion de syndic. La parti-cipation démocratique est impor-tante, très utile, mais elle n’est pasun impératif catégorique. Et il n’estpas scandaleux, ni très étonnant,que beaucoup s’en détournentparce qu’ils consacrent leur tempsà autre chose. Voilà pourquoi ladélégation ne saurait se réduire àune confiscation du pouvoir. Voilà

pourquoi le tirage au sort, une foisencore, peut s’avérer intéressant. Ilpermet de penser un contrôle d’enbas qui ne présuppose pas unevolonté constante de s’intéresser àla chose publique.

5/ Le commun est co-activité. Il résultede la mise en commun de paroleset de pensées. Il ne renvoie donc pasaux appartenances héritées. Dardotet Laval ne cessent d’insister sur cepoint. Le commun n’est pas ce quenous avons en communet dont nousavons hérité, mais seulement ce quenous faisons en commun.« L’appartenance est la conséquence,et non la cause, de la participation. »Ce découplage pose problème. Lesmouvements sociaux à Cochambaen Bolivie, exemple du livre deDardot et Laval, sont-ils réellementpensables sans référence à la com-munauté indienne? Et n’est-on pasen train de rendre les luttes incom-préhensibles, irruptions soudainessans conditions historiques ? Cerefus de lier le commun à touteforme d’appartenance est pointépar l’économiste atterré ThomasCoutrot. « Peut-on dénier aux appar-tenances héritées toute aptitude àfavoriser la production du com-mun? […] Ces communautés sont-elles seulement un instrument del’assujettissement de l’individu auxdépendances ou traditions héritées,ou ne sont-elles pas aussi des réser-voirs de ressources pour l’action col-lective? » On comprend l’intentionlouable de Dardot et Laval de ne pasentrer sur le terrain de la commu-nauté, des identités, thèmes chersà l’extrême droite. Mais on risquealors de se priver de beaucoup depoints d’appui : le rôle des solidari-tés de proximité, l’identité indienneméprisée, le commun existantd’ores et déjà dans l’État-nation, etc.Bref, peut-être serait-il intéressantde s’interroger sur les conditionssociales de la co-activité pour déter-miner quand le commun héritéfavorise le déploiement du communactivité. n

*Florian Gulli est responsable de larubrique Dans le texte.

« Il faut sortir du discours idéalisé sur l’Étatsans tomber dans la paranoïa

d’une domination étatique totalitaire »

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c’est à cette délicate question que LaRevue du projet, dans son numéro 59de septembre 2016, apporte desréponses.

« Être jeune » aujourd’hui me paraîtparticulièrement compliqué à définir.ce numéro ne l’aborde pas complète-ment. La crise de 2008 et la granderécession qui l’a suivie ont eu desconséquences particulièrement im -por tantes sur les trajectoires des jeu-nesses, en France comme en Europe.

comme pour toutes les ruptures, cen’est qu’a posteriori que l’on pourramesurer son effet et la manière dontelle aura transformé la vision queporte la jeunesse sur la société. maiscertaines conséquences sont d’oreset déjà visibles, quand bien mêmeelles seraient très contradictoires.

Prenons l’exemple de l’engagementétudiant. on observe dans les univer-sités des mouvements tectoniquesd’ampleur à l’occasion des électionsétudiantes. Les organisations syndi-cales semblent en retrait depuis plu-sieurs années, au bénéfice de forcescorporatistes. on pourrait en déduireun recul de l’engagement, mais leschoses ne sont pas aussi simples. Lesforces corporatistes tendent à déve-

lopper un discours paradoxalementplus orienté, même si elles rassem-blent en leur sein des sensibilités poli-tiques très diverses, et très loin d’êtretoutes engagées en faveur de « lasociale ».

ce sont en réalité les formes d’enga-gement qui se transforment. Un dou-ble mouvement est à l’œuvre : les nou-velles technologies de l’information etde la communication (ntIc) sontdevenues partie prenante de l’univer-sité (y compris dans la vie sociale desétudiants) et la pression financières’est accentuée. on ne s’engage doncplus de la même manière quand on avu nos parents perdre leur emploirécemment et ne pas retrouver deboulot après plusieurs années.L’engagement devient plus « mor-celé », moins total. dans le mêmetemps, l’Union nationale des étudiantscommunistes (UEc) connaît un trèsnet regain d’activité, signe que lesperspectives de mobilisation ne sontpas moins fortes.

sur un autre thème, je trouve que l’ar-ticle de marine roussillon nous laisseun peu sur notre faim. Il est évidentque la mobilité forcée est une réalitéet ne correspond pas tout à fait àl’image d’Épinal que certains essaientde généraliser (mythe de « l’aubergeespagnole », etc.). dans le mêmetemps, doit-on réellement considérerque notre projet repose avant tout surune forme de reprise du ( juste) slogande la cFdt appliqué aux étudiants,c’est-à-dire « vivre et étudier aupays » ?

J’ai bien conscience de provoquer enutilisant cette formule, mais la questionmériterait d’être approfondie. L’aspiration à rester « au pays » est légi-time, mais est-ce l’axe principal deconscientisation qu’il faut utiliserquand non seulement l’aspiration à lamobilité est également forte, les frus-trations de ne pas y parvenir pré-gnantes et que, même contraints, lesjeunes peuvent regarder leur expé-rience de manière positive (peut-êtrepar des effets d’âge et de génération ?).c’est une question que j’aimerais voirapprofondie à l’occasion d’un pro-chain numéro.

Julien, lecteur de La Revue du projet.

Que signifie «être jeune» aujourd’hui ?

« Les formesd’engagement

se transforment. »

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PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO PURGUETTE

Le grand entretien

Le Conseil national a fait le bilan de ladernière période politique et des dif-ficultés de rassemblement. Pouvez-vous nous en livrer les grandes lignes ?Le rapport introductif présenté par Pierredharréville au conseil national des 24 et25 septembre présente un panoramasur l’évolution politique de la dernièrepériode. Il est question des risques etdes dangers, notamment le péril de mar-ginalisation des idées de solidarité et deprogrès, avec une société prise dans lesfilets d’une surenchère sécuritaire etidentitaire. cette opération, qui disposede relais politiques et médiatiques colos-saux, vise à empêcher l’irruption desquestions sociales dans le débat 2017.des millions de personnes ne sont pasdupes, elles cherchent le prolongementpolitique au dernier printemps social,elles se désolent d’une gauche de trans-formation fragmentée. c’est pour celaque les appels de Pierre Laurent à desconvergences sur l’essentiel commen-cent à trouver un réel écho.

La grande consultation citoyenne a étél’occasion de dizaines de milliers dediscussions. Qu’en retenez-vous ?J’en retiens d’abord qu’il existe dans notrepeuple des ressources considérablespour ne pas livrer la France à une droiteradicalisée et un Fn banalisé. La grande

restitution de cette enquête dessinerale portrait de cette France solidaire etprogressiste, avec, bien évidemment,des contradictions, de la complexité. Àpartir de cette consultation, il est

aujourd’hui possible de rendre visiblesles grands axes de ce que « demande lepeuple » et d’en faire le mandat popu-laire, d’appeler au rassemblement, àl’union pour 2017 et après. nos objectifsde rassemblement pour les électionslégislatives peuvent vraiment s’ancrer

dans la démarche initiée par la grandeconsultation qui va se poursuivre sousdifférentes formes à l’échelle des terri-toires. J’attire l’attention sur une dimen-sion : le nombre considérable de jeunes

toujours œuvrer à unespoir, ne rien lâcherolivier dartigolles est porte-parole du Parti communiste français. Il estchargé du groupe de travail, élu lors du dernier conseil national pour animerla discussion des communistes jusqu’à la conférence nationale.

Pour La Revue du projet, il expose les différents choix qui s’offrent aux mili-tants et analyse la situation politique, ses dangers, mais aussi les perspec-tives d’espoir, les possibles issues progressistes.

« des millions de personnes n’en sont pasdupes, elles cherchent le prolongementpolitique au dernier printemps social. [...]c’est pour cela que les appels de Pierre

Laurent à des convergences sur l’essentielcommencent à trouver un réel écho. »

sociaux. c’est justement l’une des ques-tions que la commission chargée de l’ani-mation et du suivi des débats prépara-toires à la conférence nationale va suivre

de près. Il nous faut instruire collective-ment le débat pour permettre à tous lescommunistes de prendre ensemble unedécision.

La campagne des législatives est-elleenvisagée séparément de celle de laprésidentielle ? Quelles sont les ambi-tions du PCF pour cette échéance ?nous avons l’ambition d’en faire la

grande bataille pour 2017. Je ne com-prends toujours pas comment on peutdéfendre l’idée d’une vIe république,comme nous l’avons fait avec l’humain

d’abord, et comme nous allons conti-nuer à le faire, en croyant qu’un hom -me, « seul face au peuple » – l’électionprésidentielle dans tout ce qu’elle a deplus antidémocratique – puisse yrépondre. d’où la nécessité, l’urgence,d’engager le débat citoyen sur la ques-tion « de quel-le député-e de gaucheavez-vous besoin dans votre circons-cription ? ».

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qui, lors de la Fête de l’huma, ont réponduà cette enquête, se sont sentis pris enconsidération, ont formulé des avis, despropositions.

vous avez été désigné responsable d’ungroupe de travail pour préparer leséchéances de 2017, quelles sont sesmissions ?Le relevé de décisions du conseil natio-nal précise le mandat de cette com-mission. La discussion des commu-nistes jusqu’à la conférence nationaledoit permettre d’approfondir nos ana-lyses. La qualité du débat, sa sincérité,sa transparence dans le respect desdifférentes opinions exprimées seronttrès importantes. Faut-il poursuivre,après nos décisions de congrès, notredémarche de rassemblement ? Avecquelles nouvelles initiatives, quellestraductions concrètes ? ou alors faut-il choisir ? Le paysage politique n’estpas figé, il va se passer des choses. Lacommission nationale chargée de l’ani-mation et du suivi des débats prépa-ratoires à la conférence nationale apour mission de collecter, en lien avecla vie du parti, et de synthétiser les avisafin de formuler une proposition derésolution à soumettre à la conférencenationale. Il y a aujourd’hui des hypo-thèses. dans quelles conditions per-mettent-elles d’atteindre nos objec-tifs politiques ? Pour les élections de2017 et pour la suite.

Quel est l’ordre du jour de la conférencenationale et la feuille de route jusqu’àsa tenue ?La conférence nationale a, à son ordredu jour, l’analyse de l’évolution de la situa-tion et les élections de 2017, la présiden-tielle et les législatives. d’ici le 5 novem-bre,nous devons à la fois créer lesconditions de l’information et du débatdes communistes tout en poursuivantce qui a été engagé avec la grande consul-tation. Le 8 octobre, Pierre Laurent lan-cera un appel pour le rassemblementdans l’esprit de sa tribune publiée dansle journal Le Monde. Il va y avoir un effetde souffle de la primaire à droite, la ques-tion de l’unité à gauche, une gauche quitourne la page de hollande, et ne renoncepas à une politique de gauche va gran-dir semaine après semaine.

des points de vue divergents s’expri-ment sur la présidentielle, commentdécider dans l’unité ?L’unité des communistes est essentielle.Je crois qu’elle se construit dans le débat,dans l’écoute, les arguments et la frater-nité… pas forcément sur les réseaux

« L’unité des communistes est essentielle.Je crois qu’elle se construit dans le débat,

dans l’écoute, les arguments et la fraternité…pas forcément sur les réseaux sociaux. »

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Certains considèrent les élections de2017 comme perdues d’avance pourles forces progressistes. Faut-il s’yrésoudre? Qu’est-ce qui est en jeu pourla France ?non. c’est d’ailleurs la clé de tout. s’y résou-dre, ou pas, cela nous fait voir les pro-chaines semaines d’une manière diffé-rente, et cela ne nous met pas devant lesmêmes responsabilités. ne pas s’y résou-dre, c’est toujours œuvrer à un espoir, nerien lâcher. c’est maintenir une exigencepermanente pour les convergences, lerassemblement, pour des majoritésd’idées et des majorités politiques. Il estdonc question de l’actualité et du deve-nir du combat progressiste pour lesannées à venir, dans un moment où ladroite et le Fn s’organisent, avec des rap-prochements qui dessinent un bloc réac-tionnaire très dangereux, pour des poli-

tiques extrêmement régressives et vio-lentes. Il faut regarder cette réalité en face.ne pas détourner les yeux, y faire face. Encommençant par dire : il n’y a aucune fata-

lité à la catastrophe, à condition de mon-trer un autre chemin et de s’y engageravec le plus grand nombre. Il faut en mêmetemps dire que c’est possible. Et mieuxencore : que nous allons réussir. Quidécide, au final, de ce qui est possible ?cela ne serait pas mal d’en saisir directe-

ment le peuple. L’exigence démocratiqueva devenir incontournable. Je sais bien que, face aux obstacles, quine manquent pas, cela peut provoquer

du doute, de la résignation. La présiden-tielle est la broyeuse des aspirationspopulaires, c’est l’un des verrous les plusserrés contre le changement, pour main-tenir le système en l’état.ce qui est en jeu pour la France ? J’aienvie de dire la France elle-même. n

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« Il n’y a aucune fatalité à la catastrophe, à condition de montrer un autre chemin

et de s’y engager avec le plus grand nombre »

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Premier ConstatAlors que pour la première fois le Forum social mondial(Fsm) était organisé dans un pays « du nord », c’est unetriste idée de la démocratie et de la liberté qui est appa-rue au-devant de la scène : refus de près de deux cent cin-quante visas par le canada, la plupart de ressortissantsdes pays du moyen-orient et d’Afrique, parmi lesquelsAnimata traoré.Une organisation impressionnante : 35 000 participantsdont 15 000 à la marche d’ouverture avec 125 pays repré-sentés ; un millier de bénévoles ; 1 300 ateliers autogérés ;200 activités culturelles ; 6 forums mondiaux parallèlesdont un composé de parlementaires de tous les pays, ini-tié à l’époque par Francis Wurtz lorsqu’il était présidentdu Parti de la gauche européenne (PGE) et de la Gaucheunitaire européenne (GUE).

un Premier regard PositiF…Les grands axes de réflexion qui ont traversé le Fsm ontrencontré nombre de nos préoccupations ou combats enFrance, en Europe et dans le monde, déclinées sur la based’un programme de résistance : contrôle de la finance etsocialisation des banques ; taxation des transactions finan-cières ; remise en cause des dérives du libre-échange etdu dumping social, fiscal, environnemental et monétaire ;suppression des paradis fiscaux et judiciaires. des axesqui se heurtent au veto des dirigeants du capitalisme finan-cier et de leurs affidés politiques.de bout en bout a transpiré la volonté de livrer à la réflexioncollective un projet alternatif comme la transition écolo-gique, sociale, démocratique et géopolitique s’appuyantsur de nouveaux concepts : le bien commun, le bien-vivre,la prospérité sans croissance, la justice climatique, la relo-calisation, la démocratisation radicale de la démocratie.des concepts, que nous intégrons dans notre propreréflexion politique et qui ont fait l’objet de batailles poli-tiques, comme c’est le cas en Amérique latine.derrière ce grand rendez-vous de femmes, d’hommes etde jeunes, un véritable dénominateur commun : changerle monde, en mettant l’être humain au centre de la réflexion,pour son développement, son épanouissement ; avec desconceptions des changements à opérer parfois dans desdébats antagoniques.

… mais aussi un regard CritiQue !Alors que le Fsm veut aider au développement des mou-vements sociaux, la présence des acteurs sociaux estapparue un peu marginalisée. d’où un sentiment d’essouf-flement du Fsm, certainement lié en partie à une absencede lien à la politique, comme un outil possible pour trans-former socialement alors que s’y abordent des questionsessentiellement politiques. Le Fsm est pourtant une véri-table fourmilière d’idées, de réflexions, de propositionscitoyennes, un lieu où beaucoup font l’expérience qu’ilsne sont pas seuls à lutter, où s’échangent des expérienceset se transmettent des savoirs…

Pour autant, le Fsm semble confronté à des difficultés,dont celle d’une mise en cohérence et convergence pour

travailler des perspectives. Le slogan des altermondia-listes, « du local au global », a tendance de passer à « duglobal au local », renvoyant au local pour transformer cequ’on peut transformer.L’idée initiale de passer de l’antimondialisme àl’altermon-dialisme pour être plus constructif afin d’aboutir à unegrande alternative à la mondialisation et à l’économie libé-rale a tendance à s’essouffler. Beaucoup de débats rejet-tent le système et inventent des alternatives, mais tropsouvent sans jamais trouver le consensus ou les rassem-blements nécessaires.ces pratiques d’horizontalité ne nous renvoient-elles pasà d’autres interrogations ? Par exemple, en Espagne, mal-gré Podemos, la droite est toujours au pouvoir ; en France,le mouvement « nuit debout » a eu peine à se développeret à produire une alternative. on rejette le système, oninvente des alternatives mais on ne trouve jamais le consen-sus et les rassemblements nécessaires et, finalement,chacun retourne chez soi en attendant le prochain pré-texte pour se mobiliser.

c’est ce qui fait que des débats traversent le Fsm et sacoordination sur d’éventuelles réformes fonctionnelles àengager prenant en compte le débat politique, le besoinde décisions et d’organisation d’actions communes pourse mettre au service d’une construction contre les stra-tégies libérales à l’échelon international.

tout en Poursuivant notrePartiCiPation, à QueL serviCe Peut se situer notre engagement ?notre regard sur le Fsm, à la fois dans ses aspects critiqueset positifs, ne nous renvoie-t-il pas à nos propres interro-gations, nos propres recherches sur une nouvelle concep-tion de la démocratie, de la citoyenneté, de l’organisationde la souveraineté populaire ? n’est-ce pas ce que nousavons tenté d’initier avec le Front de gauche et que nousvoulons faire évoluer ? n’est-ce pas ce que nous cher-chons à structurer avec la grande consultation citoyenneet la votation qui va suivre ?

L’expérience de la délégation du PcF au Fsm 2016, c’estqu’il ne nous faut pas sous-estimer notre apport politiquedans le débat, tout comme le regard porté par nombre decitoyens et citoyennes du monde sur ce qui se passe enFrance. toutes proportions gardées, la façon dont ça bougeici peut générer de l’espoir et de la dynamique ailleurs.

A l’avenir, l’engagement de notre parti au Fsm ne doit-il pasêtre posé d’une autre manière afin d’y être plus acteur, enrespectant l’aspect fondamental du Forum social et deses règles ? En proposant par exemple des thématiquesà aborder dans le cadre d’ateliers autogérés par le biais denos secteurs de réflexion comme Espaces marx, laFondation Gabriel-Péri, LEm ou autre. n

Laurent Péréa, secteur International,http://international.pcf.fr/91729

PUBLICATION DES SECTEURS

retour du Forum social mondial à montréal

Depuis trois ans, l’Europe etles États-Unis négocientun traité de libre-échangedans le plus grand secret.Au printemps, on trouvaitl’information suivante

dans le journal du groupe commu-niste au Sénat, Initiatives : les séna-teurs qui le souhaitaient avaient lapossibilité de prendre connaissancede l’état des discussions du TAFTA ou– autre appellation – du TTIP(Transatlantic Trade and InvestmentPartnership) en consultant « le docu-ment DS 1186/16 qui dresse un bilandes discussions et des positions euro-péennes et américaines à la finmars 2016, en tenant compte desnégociations du 12e cycle ». Oui maisle document en question n’était visi-ble qu’au sein du secrétariat généraldes Affaires européennes, dépendantdu Premier ministre ; la consultationn’était possible que certains jours, àcertaines heures ; et le texte étaitexclusivement rédigé en anglais ! Uncharabia technocratique sur les tech-nical barriers to trade ou les customsand trade and facilitation qui auraitnécessité la mobilisation d’unearmée de traducteurs et de juristespour dépister les pièges. La sénatrice

taFta ou la privatisationdu pouvoirFrançois hollande proposerait à ses partenaires européens d’arrêter lesnégociations du tAFtA (Transatlantic Free Trade Agreement). Bonne nou-velle. reste que le projet est toujours dans les tuyaux et la machinerie libéralen’a pas dit son dernier mot.

de Meurthe-et-Moselle, ÉvelyneDidier, tentée par l’expérience, com-mentait : « Sans traducteur, en si peude temps, sans possibilité de prendrecopie des documents, il est impossi-ble à un parlementaire non initié decomprendre quoi que ce soit auxenjeux de ce texte. » Bel exemple dedésinvolture à l’égard des élus de lanation ; les députés européens nesont guère mieux traités.

Le TAFTA pourrait être « le plus grandaccord de tous les temps », estimeGreenpeace (voir http://blog.green-peace.fr/cp/ttipleaks-le-droit-de-savoir-a-quelle-sauce-on-veut-nous-

manger). Cela concerne en effet prèsde 50 % du commerce mondial etpourrait avoir des répercussions surà peu près tous les secteurs de l’éco-nomie (agriculture, industrie, ser-vices). Commencées en 2013, les dis-cussions ont connu leur quatorzièmeround en juillet 2016 à Bruxelles. Les

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Américains sont partisans de clore lesdiscussions pour la fin de l’année oujanvier 2017, avant le départ d’Obamade la Maison-Blanche.L’idée est de supprimer les obstaclesaux échanges entre les deux rives del’Atlantique « en nivelant par le basles normes sanitaires et profession-nelles, les réglementations environ-nementales, etc. » et de protéger lafinance et les multinationales avecl’établissement de tribunaux d’arbi-trage indépendants des États « où nepourra plus prévaloir l’intérêt géné-ral en cas de contentieux avec desgrands groupes ». Ces négociationsse sont tenues dans le plus strict

secret, selon une procédure parfaite-ment antidémocratique, les élus ayantété mis sans vergogne sur la touche.À deux ou trois reprises, le texte avait« fuité », à la marge, jusqu’à ce queGreenpeace Pays-Bas se procure lesdeux tiers du document, treize cha-pitres d’un dossier dense et complexe,

« Greenpeace parle à juste titre de“privatisation de l’exercice du pouvoir par

des intérêts privés qui cherchentuniquement leur profit, au détriment de

l’intérêt général“. »

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LA rEvUE dU ProJEt Et voUsÊtes-vous abonné-e à La Revue du projet ? oui nonComment avez-vous découvert La Revue du projet ? .............................................................................................................................Combien de numéros de La Revue du projet avez-vous lus ? …………..

En général, comment lisez-vous La Revue du projet ?Je lis la version papier Je télécharge le pdf pour lire sur mon écran d’ordinateurJe télécharge le pdf et l’imprime pour le lire Je lis la revue en ligne via calaméoJe lis les numéros de La Revue du projet au moment de leur sortieJe relis régulièrement d’anciens numéros de La Revue du projet

Autre : ............................................................................................................................................................................................................................

Diriez-vous que vous êtes tout à fait d’accord/plutôt d’accord/plutôt pas d’accord/pas d’accord du tout avec lesaffirmations suivantes ?La revue est trop théorique tout à fait d’accord Plutôt d’accord

Plutôt pas d’accord Pas d’accord du toutLa revue est facile à lire tout à fait d’accord Plutôt d’accord

Plutôt pas d’accord Pas d’accord du toutLa maquette de la revue est agréable tout à fait d’accord Plutôt d’accord

Plutôt pas d’accord Pas d’accord du toutLa revue m’est utile tout à fait d’accord Plutôt d’accord

Plutôt pas d’accord Pas d’accord du toutLa revue est trop longue tout à fait d’accord Plutôt d’accord

Plutôt pas d’accord Pas d’accord du toutAutres remarques concernant La Revue du projet en général ? ....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

LE dossIEr thÉmAtIQUECombien (approximativement) de dossiers thématiques de La Revue du projet avez-vous lus ? ......................................

Combien (approximativement) d’articles des dossiers thématiques lisez-vous en général ? .............................................

De manière générale, diriez-vous que les dossiers thématiques de La Revue du projet sont...toujours intéressants souvent intéressants rarement intéressants Jamais intéressants

Quels dossiers vous ont plus particulièrement intéressé ?..........................................................................................................................................................................................................................................

Avez-vous des remarques particulières concernant les dossiers thématiques ?....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

enQuête LeCteurscette enquête s’adresse aux lecteurs de La Revue du projet, et devrait nouspermettre de mieux vous connaître et de mieux appréhender vos différenteshabitudes de lecture. Les réponses sont totalement anonymes et ne seront

utilisées qu’à des buts internes à La Revue du projet.merci de prendre le temps de remplir ce questionnaire.

L’équipe de La Revue du projet

réPondez de PréFérenCe en Ligne sur Le Questionnaire ComPLethttp://tinyurl.com/enqueterevueduprojetsinon envoyez vos réponses à : La Revue du projet, 6, av. mathurin-moreau75167 Paris Cedex 19

LEs rUBrIQUEsCombien de rubriques de La Revue du projet lisez-vous en général ?...................................................................................À quelle fréquence lisez-vous les rubriques suivantes ?• Lectrices/Lecteurs À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• travail de secteurs À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• combat d’idées À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• critique des média À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• Féminisme À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• Philosophiques À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• histoire À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• Production de territoires À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• sciences À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• sondages À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• statistiques À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• Lire À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• critiques À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque• dans le texte À chaque fois ou presque souvent de temps en temps Jamais ou presque

En général, quelles rubriques de La Revue du projet vous intéressent ? .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Avez-vous des remarques particulières concernant les rubriques ?...................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

L’ÉvoLUtIon dE LA ReVUe DU PRoJeTRecommanderiez-vous la lecture de La Revue du projet à d’autres personnes ?

oui, dans des cercles militants oui, à n’importe qui nonSi non, pourquoi ? ........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Avez-vous des remarques particulières à adresser à l’équipe de La Revue du projet ?..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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ÂGE moins de 25 ans Entre 26 et 40 ans Entre 41 et 60 ans Plus de 60 ans

GEnrE Femme homme

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o N°1 : LA SÉCURITÉ • octobre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°2 : LES SERVICES PUBLICS • novembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°3 : Quelle ÉCOLE pour aujourd’hui et pour demain • décembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°4 : Comment changer dans LA MONDIALISATION • janvier 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°5 : LA GAUCHE DE L’AVENIR? 80 thèses pour remettre la gauche sur le bon pied • février 2011 . . . . X ...... ex. o N°HS : Rencontre nationale pour un PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex.o N°6 : ÉCOLOCOMMUNISTE, sans complexe • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°7 : EUTHANASIE : a-t-on le droit de mourir ? • avril 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°8 : PROJET SOCIALISTE : une analyse critique pour avancer à gauche • mai 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°9 : LE MULTICULTURALISME, un cauchemar? • juin 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°10 : CLASSE OUVRIÈRE : le fantôme de la gauche • septembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°11 : Place au PEUPLE • octobre/novembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°12 : DÉMONDIALISATION • décembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°13 : Lumières sur L’ÉNERGIE • janvier 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°14 : CRISES : construction et subversions • février 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°15 : Politiques du GENRE • mars 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°16 : LE VOTE UTILE? le vote utile ! • avril 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°17 : MIGRATIONS au-delà des fantasmes • mai 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°18 : SPORT$, l’humain d’abord • juin 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°19 : Le polar imagine 2013 • septembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°20 : ART ET CULTURE, les sentiers de l’émancipation • octobre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°21 : Habiter LA VILLE • novembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°22 : NOUVEAUX ADHÉRENTS Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Faut-il les garder ? • décembre 2012 . . X ...... ex. o N°23 : Vive LE PROGRÈS • janvier 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°24 : LES MOTS PIÈGÉS • février 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°25 : Bien NOURRIR LA PLANÈTE • mars 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°26 : À la conquête d’une nouvelle CONSCIENCE DE CLASSE • avril 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°27 : NATIONALISATIONS: l’intérêt général • mai 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°28 : LA RETRAITE : une bataille capitale • juin 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°29 : COMMUN(ism)E et municipales • septembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°30/31 : Vive LA RÉPUBLIQUE • octobre/novembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°32 : LES TERRITOIRES de l’égalité • décembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Refonder l’EUROPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°33 : Dessine-moi une VILLE HUMAINE • janvier 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°34 : PEUR • février 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°35 : Pour en finir avec LA DROITISATION • mars 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°36 : Sous les pavés, L’EUROPE • avril 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°37 : Enseignement supérieur et recherche SAVOIRS où aller ? • mai 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°38 : LE CORPS • juin 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°39 : La fabrique de L’ASSISTANAT • septembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°40 : FAB-LAB du bidouillage informatique à l’invention sociale • octobre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°41 : LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE • novembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°42 : COMMUNISME de nouvelle génération • décembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°43 : LIBERTÉ ! • janvier 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°44 : MÉDIA Besoin d’oxygène • février 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°45 : FÉMINISME au cœur des luttes révolutionnaires • mars 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°46 : NATION, une voie vers l’émancipation • avril 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°47 : MUSULMANS: dépasser les idées reçues • mai 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Convention nationale du PCF sur l’INDUSTRIE • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°48 : LES MOTS GLISSANTS • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°49 : Non ! Il n’y a pas de GUERRE DES CIVILISATIONS • septembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°50 : 4 essais sur LA GAUCHE • octobre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°51 : CLIMAT, le temps des choix politiques • novembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°52 : LAÏCITÉ, outil d’émancipation • décembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°53 : ÉDUCATION, état d’urgence • janvier 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°54 : POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE: de la guerre à la paix • février 2016 . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°55 : LOGEMENT, le droit au bien-être • mars 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°56 : (ANTI-)PRODUCTIVISME? De quoi parle-t-on • avril 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°57 : Nouvelles vagues en MÉDITERRANÉE • mai 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°58 : LE BONHEUR • juin 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°59 : JEUNESSE sacrifiée ? ou engagée ! • septembre 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... ex. = .............. €

« sur des questions allant des télé-communications aux pesticides, del’alimentation à l’agriculture en pas-sant par les barrières commerciales ».

une doubLe régressionCe qui en ressort avant tout, c’est unedouble régression. Le TAFTA consa-cre la mainmise des multinationalessur tout le processus décisionnel.Greenpeace parle à juste titre de « pri-vatisation de l’exercice du pouvoir pardes intérêts privés qui cherchent uni-quement leur profit, au détriment del’intérêt général ».Par ailleurs, l’orientation générale du« traité » se ferait « au détriment desenjeux environnementaux ou desanté publique ». Ainsi l’anciennerègle de la protection environnemen-tale serait supprimée ; la lutte contreles changements climatiques seraitmise à mal ; le principe de précautionserait oublié.

Si les pouvoirs, des deux côtés del’Atlantique, maintiennent cettechape de plomb, c’est parce qu’ilssont conscients de la forte hostilitésuscitée par leur marchandage. C’estle cas dans la plupart des pays concer-nés ; c’est particulièrement vrai enAllemagne. Lors de la visite d’Obamaà Hanovre en avril 2016, des dizainesde milliers de manifestants scan-daient: Yes we can… stop TTIP!AngelaMerckel dit souhaiter accélérer les dis-cussions et les conclure sous la pré-sidence d’Obama mais sa position esttrès contestée. Une pétition à l’échellede l’Europe avait déjà récolté, au prin-temps, entre 3 et 4 millions de signa-tures. Les sondages tant en Europequ’aux États-Unis confirment ce dés-aveu populaire. Seuls 17 % desAllemands pensent que cet accordserait une bonne chose ; c’est aussi lecas de 18 % des Américains.

La duPLiCité« hoLLandaise »L’opinion française est peu et malinformée des enjeux du TAFTA. LesFrançais le reconnaissent dans unrécent sondage (IFOP/Atlantico). Sideux sondés sur trois disent avoirentendu parler du TAFTA, seuls 28 %admettent « savoir de quoi il s’agit ».Lucides, ils sentent l’arnaque, pen-

sent majoritairement que cela vad’abord servir les entreprises améri-caines, que ce sera un mauvais couppour le consommateur français. Pourdéfendre les intérêts de la France danscette « négociation », ils accordentd’abord leur confiance aux syndicatset aux ONG, très loin devant le gou-vernement français ou la Commissioneuropéenne.Les révélations de Greenpeace ontaccru cette opposition (voir le collec-tif Stop TAFTA). Et le Brexit est venuencore perturber ces discussionstransatlantiques.Dans cette affaire, François Hollande,son Premier ministre, le gouverne-ment, mais la droite également ontpratiqué une sorte de double jeu,démarche qui leur est familière. Lesreprésentants français au sein des ins-titutions européennes ont participédepuis 2013 aux échanges. La réuniondu G7 au Japon, en mai dernier, amanifesté une volonté commune

– avec donc l’aval français – de par-venir « dès cette année [2016] à l’ac-cord sur le TAFTA, à condition qu’ilsoit ambitieux, complet, d’un hautniveau de qualité et mutuellementbénéfique ».

Dans le même temps, le pouvoir a faitpart, de manière ostentatoire, de sesréticences sur l’opération. MatthiasFekl, le secrétaire d’État au Commerceextérieur, a assuré cet été que laFrance refusait de donner un chèqueen blanc à la Commission. FrançoisHollande a confirmé que l’accord neserait pas signé cette année. Le PCFs’est dit satisfait de cette position etdans le même temps « extrêmementvigilant » sur sa mise en œuvre car deson côté, Bruxelles, imperturbable,répète que « les discussions avan-cent ». En dernière instance, l’issuedes discussions va beaucoup dépen-dre de la façon dont l’opinion conti-nuera de se faire entendre. n

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une mainmise des entrePrises

sur Les grandes déCisions

tandis que la protection de l’environnement et de la santéest mise à mal, les grandes entreprises ont des possibilitésd’accéder aux premiers stades des prises de décision. L’unioneuropéenne s’est bien cachée dans son dernier rapportrendu public (The twelfth round of negociations for thetransatlantic trade and investment partnership) de men-tionner la forte influence des industriels alors que dans lesdocuments « fuités », il est fait mention explicitement dubesoin de les consulter.[…] en publiant ces documents,greenpeace appelle tous les responsables politiques euro-péens, les parlementaires et les organisations de la sociétécivile à les lire et à s’en saisir, tant les conditions de consul-tation étaient jusqu’alors restreintes. nous n’avons pu ana-lyser que les parties qui couvrent nos domaines d’exper-tise et grâce aux décryptages à venir des autres acteurs,cette publication permettra enfin à des millions de citoyensde mieux comprendre ce qui se négocie en leur nom. enl’état actuel, ce texte graverait dans le marbre un gigan-tesque transfert de pouvoir démocratique vers les multi-nationales. il est temps d’ouvrir le débat et de mettre unterme à ces négociations ».

Greenpeace

CRITIQUE DES

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Loi travail :mister hyde et docteurjekyll sur bFm-tv

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mister hyde et Le soCioLogueLe vendredi 29 avril 2016, nicolas Jouninest invité sur BFm-tv. La chaîne d’infor-mation en continu se mettrait-elle à faireappel aux chercheurs en sciencessociales pour comprendre l’actualité ?Que les adeptes de la « priorité au direct »se rassurent, le sociologue ne doit soninvitation qu’au fait d’avoir été placé, laveille, en garde à vue, suite à son inter-pellation le jour même lors d’une mani-festation contre la loi travail. Et l’entre-tien montrera que le souci decomprendre n’est pas une préoccupa-tion que le journaliste – en mission demaintien de l’ordre cathodique – a encommun avec le sociologue.Le bandeau de présentation de nicolasJounin donne le ton : nicolas Jounindevient nicolas Jouanin  et n’estqu’un manifestant contre la loi Travail.dans la suite de l’entretien, ce bandeauapparaîtra à trois reprises. dès le début,comme dans toute la suite, François

Gapihan oppose aux propos du socio-logue une « version des faits » conformeà la version policière :— François Gapihan : « vous êtes socio-logue et manifestant anti loi travail. hierd’ailleurs vous avez défilé à Gennevilliersprès de Paris et ça ne s’est pas très bienterminé pour vous. vous bloquiez, mesemble-t-il, le port de la ville. racontez-nous votre version des faits. »— nicolas Jounin : « […] c’était une mani-festation non violente. Il y a un disposi-tif de répression policière qui s’est misen place… »— FG : « Un dispositif policier… »— nJ : « Un dispositif de répressionpolicière. »— FG : « Chacun ses mots. »— nJ : « oui. »— FG : « C’est votre version. »Une version que François Gapihan n’hé-site pas à mettre subrepticement endoute, demandant par exemple, ànicolas Jounin qui détaille sa « version » :« Pourquoi la police vous serait-elle tom-bée dessus d’un coup d’un seul alors quevous n’avez, dites-vous, rien à vous repro-cher ? » tout l’entretien va être une sériede variations sur le même thème : d’uncôté, nicolas Jounin va essayer de par-

ler de ce dont François Gapihan ne veutpas entendre parler, à savoir les raisonsdu mouvement social contre la loi travailet la quasi-impossibilité, notammentdans l’interview même à laquelle il estconvié, de s’exprimer à propos de cetteloi ; de l’autre, le journaliste va sans cesseramener le sociologue à sa situation per-sonnelle de manifestant interpellé parla police et lui enjoindre de condamner« les violences » (des casseurs). Quandnicolas Jounin souligne ainsi que FrançoisGapihan ne semble intéressé que par« les casseurs », il provoque une réac-tion énervée du journaliste, contraint desortir de sa neutralité de façade pourcélébrer le travail de BFm-tv :— nJ : « Il y a différentes manières demanifester et il se trouve que vous met-tez toujours l’accent principalement surces formes-là. »— FG : « c’est faux ! »— nJ : « et du coup vous invisibilisez, vousméprisez, des centaines de milliers depersonnes… »— FG : « Faux ! »— nJ : «… qui manifestentpacifiquement. »— FG : « Non, je ne peux pas vous laisserdire ça, pardonnez-moi mais là pour le

PAR ACRIMED

La mobilisation contre la loi travail a donné lieu à nombre de morceaux de bra-voure journalistique, étudiés en détail dans le copieux dossier de notreMédiacritique(s) paru début juillet. mais nous avions gardé en réserve ce dou-ble exploit de François Gapihan, journaliste de BFm-tv aussi à l’aise dans l’in-terrogatoire d’un sociologue coupable d’indulgence envers les manifestantsque dans la causerie complice avec un syndicaliste policier.

Chaque mois, La Revue du projet donne carte blanche à l’association aCrimed(action-Critique-médias) qui, par sa veille attentive et sa critique indépendante,est l’incontournable observatoire des média.

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coup je prends position. c’est le travailde toute une rédaction, on rendcompte des violences policières quisont, encore une fois, présumées ouavérées […] comme c’est le cas dans cecas de ce jeune de 21 ans à rennes qui aperdu un œil, on en a rendu comptetoute la journée donc, me semble-t-il,on est parfaitement objectifs. »Et face à nicolas Jounin qui pointe l’in-visibilisation des autres manifestants, lejournaliste poursuit son plaidoyer touten nuance et en modestie : « on entendleurs mots d’ordre, on entend leurs slo-gans mais comme depuis plusieurssemaines il y a des débordements quiressemblent quand même à des scènesde guérilla urbaine on ne peut pas pas-ser à côté de ça, enfin, ce serait graveégalement. Vous le comprenez ? »Et après le plaidoyer, l’acte d’accusation :« vous dites donc que cette loi travailc’est une forme de violence sociale, maisil y a chez vous une forme d’ambiguïtétrès claire. Est-ce que pour vous la vio-lence sociale que vous dénoncez per-met ensuite d’en venir à une violencetout court lors de manifestations ? est-ce que vous dénoncez, pour être trèsclair, les violences qui ont été commiseshier ? Et c’est une réalité, elles ont étécommises. »À aucun moment le journaliste n’a l’idéede solliciter les qualités de « sociologuedu travail » de n. Jounin qui, ne se laissantpas intimider par le dispositif, déconstruitavec calme la manière dont BFm-tv mal-traite la mobilisation en cours. Excédé,F. Gapihan revient aux fondamentaux :quand BFm montre les casseurs (et c’estle cas, sur les images qui occupent sou-vent les deux tiers de l’écran), l’invité doitregarder et parler des casseurs. Et si pos-sible, les condamner.

doCteur jeKyLLet Le PoLiCierdix-huit minutes à peine après avoir priscongé de nicolas Jounin, FrançoisGapihan, redevenu dr Jekyll, s’est mon-tré fort prévenant avec le syndicalistepolicier Luc Poignant.dès le début de l’entretien apparaît unbandeau : LEs PoLIcIErs En PrEmIÈrELIGnE , bandeau univoque, simpliste etanxiogène qui s’affichera en permanencelors des échanges entre F. Gapihan et L. Poignant, et qui donne là encore leurton. L’entretien avec n. Jounin va servird’introduction, dans laquelle le journa-

liste adopte d’emblée le point de vuepolicier : « Bienvenue. vous êtes mem-bre et porte-parole du syndicat UnitésGP Police Fo. Pour commencer, uneréaction aux propos de l’invité de22 heures, c’était en direct sur BFm-tv,ce jeune homme qui estime avoir été vic-time de violences policières hier, […] il neparle pas de dispositif policier encadrantune manifestation mais de dispositif derépression policière. Et puis, selon lui éga-lement, pour cesser la dynamique d’unmouvement protestataire selon lui, lespoliciers procèdent à des violences, àdes violences policières évidemment.Qu’en pensez-vous ? »François Gapihan ne nomme pas nicolasJounin, ne fait pas état de son statut desociologue, et prend bien soin de sedémarquer de ses propos. cette pré-sentation très orientée est l’occasionrêvée pour Luc Poignant de répondrepar une assertion que BFm-tv emploierapour l’archivage de l’entretien : « La vio-lence ce n’est pas du côté de la police,elle est contre la police. » Journalistescrupuleux, François Gapihan ne peutpas, face à un syndicaliste policier, nepas parler « des faits de violences poli-cières » – mais il le fait en s’acquittant du« minimum minimorum syndical », sansposer véritablement de question à cesujet : « Il y a eu des faits de violencespolicières avérés. c’est arrivé. »cette rapide évocation permet à LucPoignant d’évacuer le sujet, et du reste,tout au long de l’entretien, il ne recevraaucune objection sérieuse de la part dujournaliste ; il déroule ses « éléments delangage » sans difficulté et le journalistene fera qu’enchaîner de complaisantesquestions et relances. F. Gapihan repassed’abord un extrait de l’entretien den. Jounin, pour que L. Poignant réagisse :séquence qui montre un journaliste sou-cieux de ne pas froisser son invité et évi-tant de relever les outrances manifestesdu syndicaliste policier.— FG : « [La police] a normalement undevoir de maîtrise. »— LP : « Ah ben, il y a de la maîtrise, je peuxvous dire que ce qui s’est passé hier, il ya eu une très grande maîtrise, il y a untrès grand professionnalisme parceque… »— FG : « J’ai peut-être mal formulé maquestion mais lorsqu’un jeune perd sonœil par une balle de défense, est-ce quele tir a été proportionné et maîtrisé ? »— LP : «  vous allez très vite dans la

besogne, c’est-à-dire que pour lemoment il y a une enquête, la préfec-ture… »— FG : « si c’est le cas, on reste au condi-tionnel. »— LP : « croyez-moi, mes collègues, il yen a beaucoup qui travaillent plus de20 heures, ils ne sont pas là pour le plai-sir et ils n’ont pas du tout l’intentiond’agresser les jeunes, au contraire ilsaimeraient bien que ça se passe bienparce qu’au lieu de rester vingt heuresils resteraient douze heures. »c’est alors qu’au moyen d’une questionaussi vague que creuse, mais qui marqueune sollicitude dont n. Jounin a étécurieusement privé, F. Gapihan donne àL. Poignant l’occasion de gratifier les télé-spectateurs d’une grotesque (voire indé-cente) exagération.— FG : « Quel est ce soir l’état d’esprit despoliciers justement de manière géné-rale ? »— LP : «  on est un peu tendus. […]Premièrement on a les nôtres qui tom-bent ! on en a pratiquement 80 hier quisont tombés. depuis deux mois ça faitpratiquement 300 fonctionnaires depolice qui sont au tapis. c’est quandmême pas normal. »Au lieu de souligner qu’il s’agit là de « saversion », F. Gapihan préfère étaler entoute ingénuité sa complicité avecL. Poignant : « Ce n’est, ce n’est pas lapremière fois, loin de là que vous venezsur le plateau de “Week-end direct” etde manière générale sur BFM-TV LucPoignant, à chaque fois vous nous répé-tez ça, il n’y a aucun changement ? »François Gapihan dit vrai – au moins surla présence récurrente de son interlo-cuteur : en 2016, le syndicaliste policiera ainsi été invité sur BFm-tv les 6 février,16 février, 19 février, 29 avril, 18 mai, 22 juin,23 juin et 20 juillet.

Le sociologue nicolas Jounin avait misles pieds dans le plat hostile de BFm-tv,le syndicaliste policier Luc Poignant s’esttrouvé comme un poisson dans l’eausécuritaire de la chaîne d’information encontinu. traduction en chiffres :François Gapihan a prononcé 27,1 % etLuc Poignant 72,9 % des mots formulésau cours de l’entretien du syndicalistepolicier. François Gapihan a prononcé43,3 % et nicolas Jounin 56,7 % des motsformulés au cours de l’interview du socio-logue/policier… n

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PAR GILLES GARNIER*

La misogynie et la vulgarité dedonald trump poussentnaturellement les femmes àaller vers un vote clinton.c’est longtemps ce qu’a cruhillary clinton et, contraire-

ment à sa dernière campagne contreBarack obama en 2008, elle a moinsdéveloppé dans ses discours la néces-saire défense des revendications desfemmes. Il faut dire que face à deuxnouveautés en 2008, un noir ou unefemme à la maison Blanche, hillaryclinton avait joué la carte des femmes,celle des « minorités » comme on ditaux États-Unis, étant acquise àobama.

L’amériQue de trumPcette année, le combat de hillary clintonest plus difficile qu’on ne le croit. d’abordparce que trump prend soin de ne pasparler la langue des élites américaineset qu’il semble réveiller un électoratdéclassé qui, il y a encore peu de temps,ne pesait pas dans l’élection américaine.Parce que peu écoutées, parce que peurelayées par les média, les préoccupa-tions de l’Amérique de trump n’étaientpas dans les radars médiatiques états-

Les femmes américainesont peu à gagnermais beaucoup à perdre

uniens. L’outrance, la vulgarité de donaldtrump ne sont pas, malheureusement,un handicap pour l’élection présiden-tielle. (Je me suis gardé de citer les pro-pos misogynes de donald trump, on peutles retrouver dans n’importe quel moteurde recherche.) Le « politiquement cor-rect » est perçu aux États-Unis, commele code d’une frange de la population, laplus politisée. Les média, les associa-tions, les universitaires réagissent àchaque débordement de trump et ilsont raison, mais quel poids cela a-t-ildans une Amérique qui considère que« les libéraux : en vrac ceux qui défen-dent les droits des minorités, les per-sonnes LGBt et les féministes » sont une

plaie pour les États-Unis ?

Les libéraux sont représentés par hillaryclinton, alors que «  l’Amérique pro-fonde, » celle que trump dit vouloir repré-senter, n’est pas touchée par ces argu-ments du « bien-parler ». Une Amériqueoù massivement les femmes s’occupentdes enfants, où travailler n’est qu’une

option, où la politique est réservée auxhommes et où les valeurs comme la vir-ginité, le mariage sont encore cardinales.La situation des femmes issues desgrandes villes de l’est et celle des femmesdu sud profond ne sont absolument pascomparables. trump flatte les instinctsles plus bas des Américains, et cela nesuffit pas à effrayer une bonne partiedes électeurs qui se retrouvent dans lespropos de ce bateleur de foire, qui pensecomme eux, qui parle comme eux et quise comporte avec les femmes commeeux. c’est cette symbiose entre un can-didat et une Amérique que nous connais-sons peu en Europe et qui nous étonne.Les analystes européens y compris pro-gressistes ont en tête une Amérique new-yorkaise, ouverte, cosmopolite et per-méable aux idées progressistes enmatière de société. Il n’y a pas uneAmérique mais plusieurs et c’est ce qu’acompris trump en s’attaquant aux « bien-pensants ». ne pas critiquer les Latinos,les Afro-Américains, les femmes et leshomosexuels est une règle non écritedans le milieu politique américain, y com-pris chez bon nombre de républicains.trump bouscule ces règles en faisantentrer la conversation de bar à la maison-Blanche. Il doit faire coller à la candidateclinton tous les stéréotypes liés à l’es-tablishment. si elle défend les revendi-cations des femmes, c’est parce qu’elle

clinton/trump, si la partie est encore ouverte et que les sondages donnentles deux candidats dans un mouchoir de poche, on peut penser que, sur laquestion des femmes, le match est joué et que hillary clinton remporteramassivement les suffrages des femmes américaines. Est-ce si simple ?

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« trump fait entrerla conversation

de bar à la maison-Blanche. »

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« je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de fémi-niste chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson. »

rebecca West écrivaine et essayiste féministe anglo-irlandaise

est une femme et les États- Unis ontbesoin d’un homme à poigne, lui. Pourtrump, le fait que clinton soit une femmesuffit à la disqualifier.

hiLLary CLinton et Le droit des Femmeshillary clinton a pourtant quelques han-dicaps sur le dossier du droit des femmescomme sur d’autres. Elle est d’abord dusérail et ses compétences (indéniables)font qu’elle n’est pas une femme neuveen politique, qu’elle est soutenue par labonne société et par Wall street. Pendantla primaire, c’est Bernie sanders qui aété le plus pointu et le plus exigeant surles droits des femmes et le féminisme.Il a su rallier l’intelligentsia féministe his-torique et les jeunes, femmes ouhommes, sur des revendications socialeset sociétales. Il a été le premier depuislongtemps à faire que ces combats, cesluttes, ces revendications se rejoignent.c’est très nouveau aux États-Unis qu’uncandidat bouscule les pronostics atten-dus et empêche la favorite de se prome-ner dans la primaire comme dans une

partie de campagne. c’est ce qui a faitque de nombreuses femmes se sontreconnues, pourtant, dans cette candi-dature d’un homme de plus de 70 ans.

clinton a, pour rallier le soutien desanders, accepté des avancées sur laquestion des droits comme l’IvG. maisdésormais candidate à l’élection et plusà la primaire démocrate, elle doit tenircompte des indécis et de ces électeurset électrices états-uniens qui ne font pasdes droits une question primordiale maisqui parlent plus de leurs salaires, de l’em-

ploi et surtout de la place des États-Unisdans le monde. Elle voit aussi ressurgirdes critiques sur son attitude au momentdu scandale Lewinsky et le choix qu’ellea fait de rester avec Bill clinton, malgréle comportement de son Président demari avec une stagiaire de la maison-Blanche. Le scandale qui touche actuel-lement sa principale conseillère sur leségarements téléphoniques de son épouxpeut également la desservir.

Les États-Unis sont très friands des storytelling (contes)  et des bio pics (films bio-

graphiques). trump comme clinton sonttous les deux à leur manière profondé-ment américains. L’avenir de la planèten’est vu que par le prisme du rôle desÉtats-Unis dans le monde. si le premierse rapproche de la vulgarité de nixon, iln’en a pas le pedigree d’homme politiqued’expérience ; s’il se rapproche d’unreagan ou d’un Bush père et fils sur uneAmérique toujours première, il n’a pasautour de lui une équipe expérimentéedans les arcanes du pouvoir, comme sesprédécesseurs, qui avaient tous dirigéun État avant de diriger une Fédération.

clinton, elle qui se réclame d’Eleanorroosevelt n’en a pas l’étoffe. madameroosevelt n’hésitait pas à parler haut etfort des droits sociaux et de l’Amériquequi souffre. hillary clinton a plus de malau vu de sa biographie et de son entou-rage à être sur le même registre.

Faire entendre Les soutiens de sandersLe bilan de la campagne est déjà cala-miteux, les propositions passent large-ment après l’analyse des faits et gestesdes candidats. La presse est à l’affût despetites phrases et des dérapages de cha-cun d’entre eux et ne développe que troppeu leur programme.

si c’est trump qui gagne, il y aura desreculs et des renoncements à des reven-dications des femmes sur les salaires,sur l’accès à l’IvG, etc.

si c’est clinton, et si j’ose la comparai-son avec obama, le symbole ne suffitpas. Un noir à la maison-Blanche n’a pasfondamentalement changé la vie de sescompatriotes afro-américains. Il y a fortà parier qu’une femme comme clintonà la maison-Blanche ne fera pas chan-ger la vie des femmes américaines, oualors à la marge.

mais entre progresser peu et reculer for-tement, le choix clinton/trump n’en estpas un. Un macho assumé et particuliè-rement « beauf » utiliserait les droits desfemmes comme punching-ball. car il estfacile aux États-Unis de faire consensussur ce genre de sujets ; d’autant plus queles propositions économiques de trumpsont fantaisistes et irréalistes. Les sujetsde société seront pour lui un moyend’exister. Il y a un réel danger à l’électionde trump.mais il n’y a pas d’enthousiasme, mêmedes femmes, à voir hillary clinton à accé-der à la Présidence. La seule nouveautéest le poids que représentent désormaisles soutiens de sanders à l’intérieur ducamp démocrate et leur capacité à faireélire des élus plus progressistes et plusféministes. Ainsi le changement ne vien-drait pas de l’élection présidentielle maisbien d’un nouveau parlement. Et là leschoses peuvent avancer pour les femmesaméricaines. Faisons-leur confiance pourqu’elles se fassent entendre aussi aumoment des élections au sénat et à lachambre des représentants. n

*Gilles Garnier est collaborateur du secteur international du Conseilnational du PCF.

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« La seule nouveauté est le poids quereprésentent désormais les soutiens de

sanders à l’intérieur du camp démocrate etleur capacité à faire élire des élus plus

progressistes et plus féministes. »

« Il y a fort à parierqu’une femme

comme clinton à la maison-Blanche

ne fera pas changer la vie des femmes

américaines, oualors à la marge. »

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Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résul-tent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich Engels - L’Idéologie allemande.

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PAR JULIEN PASTEUR*

un rêve déChu ?En moins d’un demi-siècle, les questionsde l’usine et de l’industrie ont en appa-rence cessé d’être un des points névral-giques de la vie politique. Privé de support,réduit à l’état de fossile médiéval – corpo-ratismes ou privilèges –, le souvenir desluttes entre dans une ère glaciaire savam-ment orchestrée. on va à carmaux ou àFlins comme en un inoffensif dimancheà la campagne. Et par un curieux pivote-ment historique, c’est désormais le corpspatronal qui, à la faveur d’une chemisedéchirée, expose son poitrail dénudé à lacompassion victimaire. Entraînée par une rhétorique martelantla « fin des idéologies », la critique de l’in-dustrialisme et du monde usinier faitrecette. Les hauts fourneaux de la sidé-rurgie, la lumière bleutée des arcs à acéty-lène ou les magmas de la pétrochimiedélimitent la part sombre d’un imagi-naire qui fait figure de repoussoir. À l’uni-vers d’en bas – la mine, la forge, le corpsouvrier – s’est substituée l’exaltation desvaleurs d’en haut, immatérielles et hygié-niques. L’esprit d’entreprise, cettenouvelle théologie, assurera désormaisle salut des anciens damnés de la terre.

éloge de la fabrique :François dagognet et la question industrielle

on pourrait sans trop de peine multiplierles exemples (à l’école, au cinéma, dansla littérature ou la philosophie) du désen-chantement, sinon du mépris qui entou-rent le monde industriel. L’usine à rêvesne paraît pas simplement en panne. Elleest aussi déserte que les friches aban-données en lisière de nos périphéries,dérisoires métaux en jachère ou anciensfleurons désormais exposés au seulopprobre écologique. Frappées d’obso-lescence par un libéralisme qui fustige sespesanteurs en regard d’une dématériali-sation croissante des échanges, lamémoire industrielle est graduellementréduite à une stricte fonction muséale –avec les usines changées en lofts commeseule archive du rêve ouvrier. L’utopieindustrielle a rompu les derniers liens quil’arrimaient encore fragilement au pro-grès social. Faudrait-il donc se résigneraux injonctions rassurantes d’une tech-nocratie devenue poétique, paraphantses déclarations d’amour à l’entreprisedu sceau d’un adieu à l’usine ?

des eFFets aux Causes :une distinCtionnéCessairedès lors, et puisque les incursions de laphilosophie contemporaine dans cedomaine se démarquent trop rarementde la déploration, sans doute ne faut-ilpas manquer de relire François dagognet– disparu l’an passé. Épistémologue à l’œu-

vre foisonnante, où l’on croise aussi biendiderot que comte, Proudhon, vasarelyou Engels, il s’est attelé dans L’Inventionde notre monde au problème idéologi-quement piégé d’une réhabilitation del’industrie. Le lecteur se demandera aus-sitôt si la tentative est bien raisonnable.Peut-on passer sous silence les trop nom-breux désastres écologiques que l’indus-trie provoque ? Peut-on ignorer le rôle his-torique qu’elle a joué dans la concentrationcapitaliste, la propagation du profit aumoindre coût ou le modèle managérialcomme seule régulation des rapportssociaux ? dagognet ne méconnaît pas cescritiques ni l’application grossière « desprocédés technoscientifiques qui lui per-mettent d’inonder le marché de ses pro-duits indifférenciés, standardisés ». motivépar « des fins commerciales et domina-trices », l’industrie « exploiterait, donc avi-lirait le savoir ». Aussi semble-t-il vain dese réclamer d’un changement de pers-pective : « de quelque côté qu’on l’exa-mine, il concrétise l’horreur ». commentdonc faire volte-face, sauf à se couler dansla logique de l’ennemi ? À l’industrialismeconspué, devra-t-on substituer le chantde ses vertus progressistes, quitte à s’aveu-gler sur ses ravages ? ce sont ces alternatives impossibles– entre deux maux, choisir le moindre –dont dagognet nous engage préalable-ment à nous déprendre. tranchonsd’abord, dit-il, le lien funeste qui réduit

François dagognet propose de considérer l’usine et l’industrie comme des« objets philosophiques » à part entière. Il suggère de renoncer à unecondamnation unilatérale de l’industrie – le saccage écologique, la déshu-manisation consumériste – pour l’envisager également comme l’instru-ment d’une possible réconciliation progressiste.

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l’objet aux conséquences de son appli-cation. de ce que la pierre sert indiffé-remment à édifier les murs de la prisoncomme ceux des bibliothèques, neconcluons pas à la condamnation de l’ar-chitecture, du mortier ou du burin.Pareillement pour l’industrie : « si nousne cacherons pas, écrit-il, sa redouta-ble puissance ni ses incontestablesméfaits – ceux que le capitalisme a sus-cités et que le socialisme cherche à cor-riger – nous verrons aussi qu’il incarnece qui transforme le monde ; nous nousaccrocherons à la formule selon laquellela société de production produit d’abordla société. » dévoyée par le consumé-risme, les monopoles ou la concurrencemondialisée, son rôle historique dans lafédération des luttes passe au secondplan. Pour nous, la disqualification duprojet industriel équivaut à la systéma-tisation de ses excès. mais n’est-ce pas confondre ce qui devraitêtre distingué ? dans le Manifeste du particommuniste, marx et Engels comparaient« les rapports de propriété bourgeois, lasociété bourgeoise moderne, qui a faitéclore de si puissants moyens de produc-tion et de communication » à un « magi-cien, désormais incapable d’exorciser lespuissances infernales qu’il a évoquées ».si l’esprit du capitalisme s’est bel et bienincorporé celui de l’industrie, au point dese confondre avec elle, ne faut-il pas ten-ter de rompre le sortilège ? sans adopterla lecture de marx, mais dialoguant avecelle, François dagognet propose de consi-dérer l’usine et l’industrie comme des« objets philosophiques » à part entière.on souscrira sans trop de peine à sonconstat : « Le monde usinier dans sonensemble […] n’est pas entré vraimentdans la culture philosophique. » Pour endénoncer les méfaits, une vaste littéra-ture a surtout propagé la légende noirede ses dévastations : chaînes de montageinhumaines, cadences infernales, ou capo-ralisme des petits chefs. dans L’Établi(robert Linhart), ou encore La Jungle(Upton sinclair), on lira les récits de cescorps pulvérisés, abîmés par la disciplinetayloriste et renonçant à l’espoir.

industriaLisme et Peur des massesnéanmoins, demande dagognet, les philosophes ont-ils mieux réussi ? Àquelques exceptions près (comte,Proudhon ou marx), il faudra répondrepar la négative. chez les principaux pen-seurs (de nietzsche à Bergson), l’indus-trie n’est guère mieux considérée. Parfoishostiles au monde moderne, ils dénon-cent l’usine comme un non-lieu, un enfer,une anti-nature. dans l’éternel débatentre la quantité et la qualité, ils se pro-noncent sans hésiter pour la seconde :

la logique industrielle étant celle de lamasse, on y est contraint de fabriquertoujours plus vite, et donc mal. Avec elles’invente le drame du conformisme etdu « standard ». Les imperfections rési-duelles (rayures, taches, dépôts) de l’an-cien artisanat disparaissent ; rien ne per-met plus de distinguer l’original de lacopie. scandaleusement, par le miracledes photoreproductions, l’ouvrier peutaccrocher un tableau de maître à sonchevet – ce qui, à coup sûr, choqueral’esthète. La fabrication en série rendcaduque l’idée de privilège ou de distinc-tion, y compris au sein des domaines tra-

ditionnellement réservés de la cultureou de l’art. dans le procès fait à l’indus-trie, on lit cette ancienne peur : celle dela masse, du multiple, du nombre. Envoulant tout donner à tous, ne court-onpas le risque de dévaluer certains objetsen leur ôtant ce qu’ils ont d’unique ? Lesourire de la Joconde conservera-t-ilson mystère dès lors qu’il décore la moin-dre boîte d’allumettes ou l’emballage ali-mentaire ? Les arguments qui sous-ten-dent ces craintes – légitimes – sontpourtant à double tranchant. La phobieindustrielle, ce n’est plus à prouver, faitaussi le meilleur alibi d’une phobie popu-laire. En rendant techniquement possi-ble l’égale possession des choses partous, en réduisant considérablement lespectre de la rareté qui autorise les spé-culations, l’industrialisme dérange.

un matériaLismerenouveLé« La propriété éminente de l’entreprisefabricatrice, écrit dagognet, vient […] dece qu’elle va édifier ses propres consti-tuants. son principe philosophique pour-rait s’énoncer ainsi : à partir d’unités ordi-naires, peu coûteuses, abondantes,construire des ensembles jusqu’alorsinconnus, cela encore à moindres frais. »

ne doit-on pas alors renoncer à unecondamnation unilatérale de l’industrie– le saccage écologique, la déshumani-sation consumériste –, mais l’envisagerégalement comme l’instrument d’unepossible réconciliation progressiste? dansun texte de 1867 écrit pour l’Expositionuniverselle de Paris, victor hugo risqueune formule : « toutes les utopies d’hiersont les industries de maintenant. » dansun flot ininterrompu, il évoque la machineà vapeur de Papin, le chemin de fer, lemorse, les « air-navires ». « Qu’est-ce quetout cela ? demande-t-il.  du rêvecondensé en fait. » hugo, qui a toujourssouffert de gigantisme, nous invite :« Allons, allons, incendiez-vous dans leprogrès. Une chevelure de flamme survotre tas de charbon noir. Peuples, vivez. »La recommandation du poète pourraitprêter à sourire, à notre époque d’indus-trialisme désenchanté. retournée comme un gant, l’ivresse tech-nologique évoque davantage le triomphemondialisé du capitalisme culturel que lebonheur des peuples. Par une étrangeinversion, c’est désormais la technopho-bie qui a troqué son vieux manteau réac-tif pour se déguiser en agent secret desforces de libération. secondés par lesrestes d’un certain romantisme de stylepetit-bourgeois, nous paraissons coopé-rer volontairement à l’éloge incondition-nel de « l’original », du « naturel », desmatières « nobles », du « terroir ». maisces revendications ne trahissent-elles pasà leur tour une idéologie particulière ?« Finalement, demande encore dagognet,le naturel prétendu – celui du cuir, de lasoie, du bois, […] – traduit moins les avan-tages matériels que la supériorité de celuiqui peut s’en entourer. » sans surprise, lebourgeois – ou qui se veut tel – préféreral’authentique au plastique. Les matières« amorphes », l’éthylène et ses dérivésindustriels, correspondront davantageaux « masses », à l’arbre généalogiqueincertain. cette faiblesse (le plastique nefait pas rêver) ne recèle-t-elle pas aussiune force ? capable de faire tout avecpresque rien, beaucoup avec peu, accom-plissant des prodiges en silence, le rêveindustriel ne doit-il pas être rendu à ceuxqui l’ont réellement forgé ? Après tout, ilconstitue bien l’invention de notremonde. n

*Julien Pasteur est philosophe.Il est docteur en philosophie del’université de Franche-Comté.

« retournéecomme un gant,

l’ivressetechnologique

évoque davantagele triomphe

mondialisé ducapitalisme culturelque le bonheur des

peuples. »

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

PAR ALEXANDRE FERNANDEZ*

La photo la plus célèbre de larévolution mexicaine montreEmiliano Zapata et Francisco«  Pancho  » villa, côte à côte(ils s’étaient rencontrés unepremière fois quelques jours

plus tôt et ne devaient plus en avoir l’oc-casion) le 6 décembre 1914. villa, jovial etsouriant, est assis, comme par dérision,sur l’immense siège présidentiel ; à sagauche, Zapata, l’air sombre (quelquesinstants plus tard, il s’installera à son tour,à peine deux minutes, dans le fauteuilprésidentiel). cette photographie est enquelque sorte un condensé de l’histoireimmédiate de la révolution et de sesenjeux. Pour l’heure, les paysans enarmes étaient maîtres du mexique et dusiège du pouvoir, le Palais national, aprèsquatre années de révolution. c’estl’image, très rare en fin de compte, d’uneprise de pouvoir authentiquementpopulaire. mais Zapata quittait mexico le9  décembre, villa le 15  janvier ! Ils nesavaient que faire de ce pouvoir qu’ilsavaient conquis (à peine trois ans plustard le journaliste révolutionnaire états-unien John reed, qui avait suivi villa dansson épopée conquérante, raconteraitcombien, au contraire, Lénine se réjouitd’avoir tenu plus longtemps que lescommunards de Paris).

La dynamiQuerévoLutionnaireLe 5 octobre 1910, un fils de grande famille,Francisco madero, formé au libéralismepolitique en France s’élève contre la sep-tième réélection du président Porfirio díaz(au pouvoir depuis 1876) et annonce uneinsurrection pour le 20 novembre. Au jourdit, alors que madero est en exil aux États-Unis, plusieurs groupes d’à peine quelques

La révolution mexicaine(1910-1920)s’il est légitime de s’interroger sur la signification historique de la révolutionmexicaine, le trait majeur de cette révolution fut l’importance et l’intensité de laparticipation populaire, rurale et paysanne, à l’événement.

dizaines d’hommes parfois prennent lesarmes, notamment dans l’État septen-trional du chihuahua. madero revient aumexique en février, tandis qu’en marsEmiliano Zapata soulève l’État du morelosafin de restaurer leurs droits aux commu-nautés rurales indiennes spoliées par ledéveloppement du capitalisme aumexique depuis les années 1880. Les pre-miers succès (au nom de madero) deschefs de guerre orozco, un muletier, etFrancisco « Pancho » villa, un demi-ban-dit, dans le nord, conduisent le présidentdíaz à démissionner en mai au profit demadero afin d’éviter tout débordementpopulaire. Président du mexique, maderos’emploie à désarmer les révolutionnaires(dont villa), à rétablir au mexique le bonfonctionnement de la constitution libé-rale de 1867, à respecter la liberté de lapresse (et même quelques mesures enfaveur des ouvriers de mexico), mais ometles revendications paysannes sur la terre.Le 25 novembre 1911, Zapata appelle àpoursuivre la lutte armée jusqu’à satis-faction de celles-ci. En février 1913, le géné-ral huerta, soutenu par les anciens por-firistes, les grands propriétaires et l’Église,renverse madero et le fait assassiner. Legouverneur de l’État septentrional ducoahuila, venustiano carranza, refuse dereconnaître huerta comme président.Bien que s’étant autoproclamé PrimerJefe, son autorité est toute théorique surPancho villa, qui, à la tête de sa Divisiondel Norte, composée de garçons vacherset de paysans, inflige au printemps 1914de retentissantes défaites (Zacatecas) àl’armée fédérale de huerta. dans lemorelos, Zapata, qui a refusé de recon-naître quelque autorité à carranza commeà huerta, installe une véritable republicade campesinos. Les révolutionnaires l’em-portent sur la contre-révolution de huertaà l’été 1914 mais se divisent sur le sens àdonner à la révolution à l’automne lors de

la convention d’Aguascalientes où, s’étantrapprochés, villistes et zapatistes veulentécarter carranza trop lié au monde bour-geois. c’est dans ces conditions que villaet Zapata entrent à mexico le 6 décem-bre 1914.La vieille oligarchie que représentait encorehuerta avait perdu le pouvoir pour tou-jours et même une partie de ses biens –résultat acquis par la révolution mexicainede 1914 et que n’avaient obtenu enAmérique latine ni l’expérience réformistede Batlle en Uruguay au début du siècle nia fortiori le mouvement de 1909 enArgentine, ni même la « révolution » demadero en 1911-1912. or la bourgeoisie nou-velle, celle dont carranza pouvait être tenupour le représentant, ne parvenait pas àcontrôler ce pouvoir laissé vacant par lachute de huerta.Il ne s’agissait pas seulement de prendrele pouvoir, encore fallait-il l’exercer, ce quinécessitait un programme, une politiquepour l’appliquer et un parti. Il est proba-ble que Zapata pensait posséder un véri-table programme, mais sans doute sen-tait-il aussi que ce dernier était tropexclusivement agrariste et que, de toutemanière, l’alliance stratégique qu’il for-mait avec villa n’était pas exempte demalentendus et ne possédait pas, au-delàde l’enthousiasme et des carabines deses partisans, d’outil politique capable detransformer en véritable révolution socialela victoire acquise par les armes. En réa-lité, l’un comme l’autre ne savaient quefaire du pouvoir.En 1915, au nom de carranza, le généralÁlvaro obregón, remportait sur villa plu-sieurs batailles, très sanglantes, dans lecentre puis le nord du pays. À partir de 1916,Pancho villa, dont la popularité ne fléchitpourtant pas, ne pourra désormais menerque des opérations de guérilla, parfois avecun certain éclat, telle l’opération menéecontre les États-Unis. En 1916, à leur tour

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les zapatistes étaient réduits à leur terri-toire du morelos, mais ils reprirent quelqueoffensive au début de 1917.À bien des égards, la constitution de 1917fut le fruit d’un « compromis révolution-naire ». des éléments du socle libéral de1857 étaient bien entendu conservés,cependant, les radicaux (notamment lesofficiers «  jacobins  » de l’entouraged’obregón soutenus par les ouvriers anar-cho-syndicalistes de mexico) avaient pesédavantage que les modérés partisans decarranza. La séparation de l’État et del’Église était raffermie tandis que l’article 3affirmait le caractère obligatoire et laïquede l’enseignement. surtout, l’article 27, quiconcernait le régime de propriété desterres, portait la marque des idéaux lesplus avancés de la révolution et notam-ment ceux des zapatistes : il posait pourprincipe que la propriété des terres et deseaux était originellement propriété de lanation et donc ne relevait pas du droit natu-rel mais d’un fait social. En conséquence,la nation avait le droit d’imposer les moda-lités de son exercice, privé ou socialisé, etd’exproprier pour cause d’utilité publique.toutefois, carranza fut élu président : larévolution bourgeoise très anticléricale ettrès socialement conservatrice semblaitl’avoir emporté. mais la lutte des classesau sein de la révolution se poursuivit jusqu’àl’assassinat de Zapata (avril 1919) et la red-dition de Pancho villa (en juillet 1920 aprèsune ultime action d’éclat). L’assassinat decarranza permit à obregón de gagner lesélections de mai 1920 et de devenir pré-sident du mexique en décembre 1920. Larévolution armée était terminée.

de Quoi « La révoLutionmexiCaine » Fut-eLLe Le nom ?L’accomplissement, même partiel, de cer-taines des promesses de la révolution àdestination des masses populaires sousLazaro cárdenas dans les années 1930(réforme agraire d’ampleur, nationalisationdu pétrole, etc.) permit que se parachevâtle « mythe de la révolution » qu’obregónavait tout de suite entrepris d’élaborer.contre la dictature, le pouvoir des puis-sants et de l’étranger, s’étaient dressés« l’apôtre de la démocratie » FranciscoIndalecio madero et le peuple mexicain.derrière madero, désormais incontesta-ble, devait se poursuivre l’accomplisse-ment de la révolution – c’est-à-dire la résis-tance à la contre-révolution (celle qu’onavait vaincue dans la personne de huerta,celle qu’on allait vaincre : la révolte catho-lique des cristerosà la fin des années 1920,sorte de « vendée » que le gouvernementde mexico combattit avec rigueur) – et laconsolidation de ses acquis. Passions etmalentendus qui avaient déchiré la« famillerévolutionnaire » devaient faire place à laraison, incarnée par le PrI (Parti de la révo-lution institutionnalisée) qui allait être fondé

par les successeurs d’obregón. cette visionunanimiste de la révolution qui rassemblaitdans une même généalogie madero-carranza-villa-Zapata-obregón-cárdenass’imposa jusque vers les années 1960, avantde subir les critiques de gauche du mou-vement étudiant en particulier en 1968 (vio-lemment réprimé) et l’offensive de la droitequi pour la première fois gagna les élec-tions de 2000.c’est précisément sur l’expérience révo-lutionnaire qu’obregón (ce qui ne l’empê-cha pas de laisser assassiner un Panchovilla retiré de la révolution mais dont leprestige ne diminuait pas en 1923) puis,dans les années 1930, cárdenas s’attelè-rent à fonder le mexique nouveau. sur lesbases de la constitution de 1917 et de l’ar-ticle 27, tout particulièrement, fut confir-mée après la mort de carranza l’alliancedu gouvernement issu de la révolutionavec les syndicats ouvriers et une part deszapatistes. c’était là non seulement abou-tissement des choix stratégiques des unset des autres, mais également, et plus pro-fondément – bien que très imparfaite-ment –, signe d’intégration des ouvriers etdes paysans à l’État et à une nation mexi-caine qui ne serait plus exclusivement cellede la gente de razón, des « civilisés ». c’estdans le même esprit qu’il faut compren-dre l’effort spectaculaire (50 millions depesos sur un budget de 350) entreprisdans le domaine de l’éducation. Il s’agis-sait de considérer les indigènes commedes mexicains. Et on sait l’importance decette « révolution culturelle » mexicaine,dont témoignent les noms de david Alfarosiqueiros, diego rivera et José clementeorozco, de Frida Kahlo. La rationalité dumexique serait en quelque sorte subliméedans ce que l’on ne tardera pas à désignercomme l’essence des « trois cultures »(indienne, espagnole, « moderne »).Une révolution bourgeoise sans doutemais conduite et gagnée par la petite bour-geoisie jacobine (obregón) et dont la dyna-mique a été donnée par l’irruption immé-diate des masses dans le processus sousla forme de la guerre paysanne menée parZapata et villa. malgré tout, si la révolutionmexicaine œuvra au profit du développe-ment du capitalisme national, les articles 27et 123 de la constitution de 1917 étaientbien destinés à adosser la consolidationde ce capitalisme national au consente-ment populaire, parce que, précisémentil y avait eu, à leur mesure, intervention demasse dans le processus de dizaines demilliers d’ouvriers et surtout de centainesde milliers de paysans. Par-delà la rhéto-rique, c’était là toute la différence avec leshistoires de la construction de l’État et ducapitalisme national ailleurs en Amériquelatine – et que l’on s’y réfère ou que l’ons’en défie, par sa révolution le mexique servit de repère à tout le continent. Le trait majeur, profond (ce qui ne signifie

pas exclusif et ce qui n’invalide pas l’inter-prétation de la signification historique glo-bale du phénomène), de cette révolutionfut l’importance et l’intensité de la parti-cipation populaire, rurale et paysanne, àl’événement, qui fut décisive. s’il y eut biensûr d’autres révoltes armées paysannesailleurs, rarement elles auront été commeau mexique entre 1910 et 1920 (c’est en cesens que la révolte des cristeros fut unphénomène essentiellement différent), àla fois complètement articulées au mou-vement révolutionnaire général, issu dulibéralisme démocratique, et en mêmetemps – et non sans contradictions, à l’évi-dence – profondément différentes, en cesens qu’elles émanaient du « plus pro-fond » du peuple mexicain. de cette dia-lectique, plus que tout autre, le zapatismefut l’expression. En somme, il y eut comme plusieurs révo-lutions simultanées, différentes mais arti-culées les unes aux autres, en fonction descaractéristiques propres du mexique, dela mobilisation des respectifs « groupessociaux  » (c’est-à-dire ici «  socioeth-niques », pour se conformer à une classi-fication européo-centrée) et du (des) ter-ritoire(s) où se déploya leur influence. Larévolution a mis en cause presque tout leterritoire et tous les groupes sociaux dontelle tendait à dissoudre les anciens cadresde vie par le déracinement des hommeset bien souvent également des femmes(soldaderas). Ainsi, les paysans devinrent-ils à la fois révolutionnaires et guerriers.car il n’y avait d’autre praxis révolution-naire qu’armée, en même temps que larévolution légitimait les actes de guerre.En vertu de ces caractéristiques, aucunedes révolutions, la petite-bourgeoised’obregón, la paysanne-ranchera de villaau nord, la paysanne-indienne de Zapata,n’aurait seule triomphé : que l’on consi-dère, pour s’en réjouir ou en faire la cri-tique, que le processus révolutionnaire aété accompli ou «  interrompu  » parobregón (« Bonaparte mexicain » pourcertains), furent nécessaires à la dyna-mique révolutionnaire mexicaine desalliances de tous types qui en font la trameévénementielle. Au reste, les caudillosrévolutionnaires – personnages qui peu-vent apparaître à l’observateur européendu xxIe siècle « hauts en couleur » – furentl’expression profonde de l’ethos popu-laire, de l’imaginaire et des aspirations col-lectives. L’attitude, le comportement, l’ex-ploit individuel condensaient les vertusdu peuple en même temps qu’en agis-sant le chef révolutionnaire en accom-plissait la destinée. n

*Alexandre Fernandez est historien.Il est professeur d’histoire contem-poraine à l’université de BordeauxMontaigne.

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Le Brésil est quinze fois plus vaste

que la France, mais il n’allait pasde soi qu’il devînt le géant qu’ilest aujourd’hui. Le domainealloué au Portugal par le traitéde tordesillas (qui délimita en

1494 les possessions espagnoles et por-tugaises) était borné par un méridien pas-sant par les bouches de l’Amazone. deuxsiècles et demi plus tard, les frontièresactuelles, près de trois mille kilomètresplus à l’ouest, étaient presque partoutatteintes, et la force du sentiment natio-nal, forgé dans cette conquête, a permisde surmonter séparatismes et tentativesd’invasion étrangère.Paradoxalement, le Brésil doit justementson immense extension à la pression desrivalités étrangères. Elles ont forcé lePortugal à prendre au sérieux uneconquête engagée à contrecœur, puisà l’étendre et à la consolider. cela n’ex-plique pas tout, c’est grâce à la coïnci-dence d’une action politique délibéréeet continue et d’un fort dynamisme pion-nier qu’ont pu être réalisées l’extensionet l’unification du territoire.

La ConQuête PortugaiseLorsque Pedro Alvares cabral aborda lacôte du futur Brésil, le 22 avril 1500, l’ob-jectif majeur de la couronne portugaisen’était pas de conquérir de nouvelles

découvertes de nouvelles ressources, poussée pionnière et volonté poli-tique se sont conjuguées pour provoquer la formidable expansion du ter-ritoire portugais.

terres, mais de contrôler la route desépices. Il fallut attendre, pour que l’im-plantation portugaise se consolide, qu’ellesoit menacée par la rivalité d’aventuriersétrangers, français principalement. Larésistance portugaise dissuada lesEuropéens du nord d’insister davantage.Une fois le contrôle du littoral acquis, lapénétration de l’intérieur du continentse fit par des expéditions appelées ban-deiras car elles servaient notamment ày planter le drapeau portugais (bandeira).

Leur foyer principal fut une modestebourgade, são Paulo, d’où partirent desgroupes formés d’une poignée de Blancs,de quelques dizaines de métis et sur-tout d’Indiens ralliés, qui connaissaientbien les chemins anciens et les res-sources du milieu.Le mobile de ces aventures était évidem-ment l’appât du gain, car elles visaient àcapturer des Indiens pour les plantationsde canne à sucre du littoral. Plus tard, lesbandeirantes se tournèrent vers larecherche des métaux et pierres pré-cieuses ; ce sont eux qui ont découvert

à la charnière des xvIIe et xvIIIe sièclesles gisements d’or du minas Gerais, duGoiás et du mato Grosso. ces expédi-tions ont joué un rôle fondamental dansl’expansion du domaine portugais et puis-samment contribué à donner au pays,dès le xvIIe siècle, une étendue prochede l’actuelle : sans elles, les succès desdiplomates portugais, qui obtinrentensuite la reconnaissance de jure de l’oc-cupation de facto, n’auraient évidem-ment pas été possibles.

La partie n’était pourtant pas gagnée,car cette immense colonie risquait à toutmoment d’éclater si l’autorité centralefaiblissait. napoléon a été l’un des arti-sans involontaires de l’unité brésilienne ;en envahissant la péninsule ibérique il ainduit la décision prise par le roi duPortugal de se réfugier au Brésil. si João vIen avait décidé autrement, on peut aisé-ment imaginer que cet espace aurait pudonner naissance à une série de payslusophones de taille et d’originalité com-parables aux anciennes subdivisions del’Empire espagnol.

PAR HERVÉ THERY*

La productiondu territoire brésilien

« La force du sentiment national, forgédans cette conquête, a permis de

surmonter séparatismes et tentativesd’invasion étrangère. »

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération, habi-ter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la consti-tution d’un savoir populaire émancipateur.

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une série de CyCLeséConomiQuesc’est d’autant plus plausible que le paysa longtemps fonctionné comme unarchipel. son économie a reposé pen-dant plus de quatre siècles sur une sériede « cycles » économiques, quelquesgrandes productions constituant tour àtour l’essentiel de ses exportations : sucreau xvIe siècle, or à la fin du xvIIIe, café auxIxe et xxe, caoutchouc au début du xxe.La formation du territoire ne se réduitpourtant pas à ces cycles majeurs. Lecycle du sucre engendra des cyclessecondaires qui marquèrent d’autresespaces. Il fallait notamment élever lesbœufs pour la viande et le cuir, mais sur-tout pour actionner les moulins à sucrequi broyaient les cannes. ces besoinsentraînèrent la mise en place de zonesspécialisées d’élevage extensif dans lesertão, les savanes de l’intérieur, qui per-mirent de conquérir et d’occuper cesimmenses espaces.Les mines d’or, plus tard, elles aussi,eurent besoin de bœufs, et le mouve-

ment d’expansion de l’élevage se pour-suivit plus loin vers l’intérieur. Le trans-port de l’or favorisa également l’élevagedes mulets dans les savanes herbeusesde l’extrême sud, ce qui donna une impul-sion décisive à l’extension du domaineportugais vers le sud, face aux Espagnols.découvertes de nouvelles ressources,poussée pionnière et volonté politiquese sont donc conjuguées pour provo-quer la formidable expansion du terri-toire portugais : en 1750, au traité demadrid, qui délimita les empires espa-gnol et portugais, le Brésil avait atteintpresque partout ses limites actuelles.des rectifications importantes, concer-nant à chaque fois des centaines de mil-liers de kilomètres carrés, eurent lieujusqu’au début du xxe siècle, elles furenttoutes favorables au Brésil car les diplo-mates appuyèrent efficacement la pous-sée pionnière, et firent confirmer en droitle fait accompli par les pionniers.Le xIxe siècle et le début du xxe ontensuite été marqués par les cycles ducaoutchouc et du café, qui ont contri-

bué à remodeler le territoire et l’écono-mie du pays, mais sans en changer l’en-veloppe globale. de cette longue suc-cession de cycles, le pays est sortiprofondément marqué dans sa struc-ture régionale et dans son style de déve-loppement, les « îles » produites par lescycles économiques étant encore aumilieu du xxe siècle séparées par devastes espaces presque vides. Il restait– et il reste encore – place pour de nou-velles ruées quand une nouvelle res-source apparaît ici ou là. mais la puis-sance des moyens modernes detransport et de communication réduittous les jours les no man’s land et a per-mis de transformer enfin l’archipel encontinent. n

*Hervé Thery est géographe. Il estdirecteur de recherche honoraire auCNRS et professeur invité àl’université de São Paulo.

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construc-tion du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. et nous pen-sons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sans science n’estsouvent qu’une impasse.

ENTRETIEN AVEC JÉRÉMIE SIBILLE*

Lors de ta thèse au Collège de France,puis à yale, tes recherches se sontconcentrées sur une région du cerveauqui s’appelle l’hippocampe. Pourquoiun tel intérêt ?cette « petite » sous-région du cerveauinterne est reconnue, depuis les années1950, comme un des relais nécessaires àla construction de la mémoire, plus pré-cisément au stockage des épisodes qu’onpeut exprimer par le langage. En effet, unpatient, après avoir subi l’ablation de sesdeux lobes hippocampaux, devint inca-pable de former de nouveaux souvenirs,alors qu’il se souvenait des épisodes anté-rieurs à l’opération.depuis lors, l’hippocampe a probable-ment été une des parties les plus étudiéesdu cerveau. Avec sa région adjacente(appelée cortex entorhinal), il contientl’essentiel des neurones qui encodent laposition spatiale d’un animal. du moins,leur activité est significativement corré-lée avec la position réelle de l’animal dansl’espace, dans un environnement donné :ce sont, en quelque sorte, des neurones« GPs » dont chacun s’active à un endroitprécis. Grâce au concert de leur activité,suppose-t-on, l’animal « sait » où il setrouve, dans quelle direction il se meut,et surtout d’où il vient. ces découvertesont été récompensées en 2014 par le prixnobel de médecine et de physiologiedécerné à may-Britt et Edvard moser ainsiqu’à John o’Keefe. Le « chaînon man-quant » qui nous permettrait de reliermémorisation et représentation spatialeest en passe d’être caractérisé : la repré-

Le cerveau, au-delà des neurones

sentation spatiale au sein de l’hippocampeservirait de squelette sur lequel les détailsépisodiques seraient « ajoutés » par unmécanisme encore inconnu. Le stockage,quant à lui, a été manipulé avec succèspar des équipes françaises et américaines.

d’ordinaire, on associe le cerveau etson fonctionnement à celui des neu-rones. Pourtant, d’autres types de cel-lules jouent un rôle important, notam-ment les astrocytes, que tu as étudiés.Peux-tu m’en dire plus à leur sujet ?Les neurones, lorsqu’ils sont activés, génè-rent un signal électrique (on dit : « unpotentiel d’action ») et ils le transmettentaux neurones en aval, ceci par l’activationdes régions qui connectent les extrémi-tés de deux neurones (et qu’on appelle« synapses »). mais il existe dans le cer-veau d’autres cellules plus nombreuses(dites « gliales »), en particulier les « astro-cytes » (en forme d’étoiles) qui sont « non-excitables  » : celles-ci ont-elles uneinfluence sur les neurones voisins, qui euxsupportent l’essentiel des signaux mesu-rés dans le cerveau ? Jusqu’à récemment,les astrocytes n’étaient considérés quecomme des cellules passives, incapablesde participer au flux d’information quesupportent les neurones.

Pourquoi cette opinion sur la passivitédes astrocytes est-elle en train dechanger ?Les astrocytes sont cinq à dix fois pluspetits que les neurones ; leur forme en« buisson », d’une complexité inégaléedans la diversité cellulaire observée chezles mammifères, est une autre de leurscaractéristiques. ceci leur permet virtuel-lement de pénétrer dans tous les micro-

domaines disponibles du tissu neuronalafin de couvrir les synapses neuronalespar la formation de « pieds » astrocytaires.selon les régions du cerveau, les astro-cytes couvrent localement entre 30 et100 % des synapses neuronales. de plus,le nombre de contacts astrocytes-neu-rones excède de deux à dix fois le nom-bre de synapses. Par exemple, dans l’hip-pocampe, chaque neurone forme entre10 000 et 30 000 synapses, alors que lesastrocytes couvrent entre 30 000 et100 000 synapses, selon les études. Entermes imagés, l’astrocyte est comme lesystème d’exploitation d’un téléphoneportable : il s’assurerait du bon fonction-nement du téléphone permettant la com-munication entre celui qui parle (neuroneémetteur) et celui qui écoute (neuronerécepteur).Les astrocytes jouent donc un rôle acti-vement régulateur, et non celui de sup-port passif. de nombreuses recherchestant théoriques qu’expérimentales leconfirment. Par exemple, nous avonsmontré que, si l’on retire la capacité d’ab-sorption des astrocytes du potassiumextra-cellulaire généré par l’activité desneurones, ces derniers ne peuvent sur-vivre de manière autonome que pendantune durée de cinq secondes avant dedevenir spontanément épileptiques.

Quelles sont et d’où viennent les der-nières avancées en la matière ? en quoil’astrocyte régule-t-il le neurone ?cette dernière décennie a été riche enpublications et concepts nouveaux dansle domaine, mais des vérifications indé-pendantes par d’autres laboratoiresdevront confirmer la reproductibilité desrésultats. citons seulement quelques

Le mot « neurone » est entré dans le langage courant, mais il existe, dans lecerveau, d’autres types de cellules méconnues du grand public, par exempleles « astrocytes » indispensables à son bon fonctionnement.

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études clés. des équipes anglaises ontobservé que les astrocytes contrôlentdirectement les mécanismes neuronaux(« potentation à long terme » ; en anglais :LtP) à la base de tout apprentissage. deséquipes françaises ont observé que lesastrocytes synthétisent presque exclusi-vement certaines des protéines régulantcette même LtP. des équipes italiennes,américaines et asiatiques observent àl’unisson les effets négatifs des dérégula-tions du calcium dans les astrocytes surles neurones. nathalie rouach (monancienne tutrice de thèse au collège deFrance) a publié dans la revue Science en2008 un article caractérisant le rôle exclu-sif des astrocytes dans le contrôle de lamachinerie énergétique neuronale.dernièrement, le même laboratoire a montré qu’une protéine impliquée dansle contact astrocytes-astrocytes (laconnexin 30) régule fortement la morpho-logie des astrocytes, au point de pouvoirdéréguler drastiquement le fonctionne-ment des neurones : les souris ayant lamodification génétique qui supprime cetteprotéine montrent une capacité de mémo-risation contextuelle inférieure à celle desanimaux normaux.

Pour en revenir à l’hippocampe, en quoiles astrocytes pourraient-ils jouer unrôle important dans son fonctionne-ment ?Les astrocytes de l’hippocampe sontnécessairement localisés à proximité deces cellules « GPs » et influencent donc,entre autres par les mécanismes cités ci-dessus, le fonctionnement des neuronesde l’hippocampe. Lorsqu’un animal sedéplace, l’information spatiale est traitéequasi immédiatement. Le délai d’activa-tion des astrocytes (disons cinq secondes,pour simplifier) rend difficile de saisir lerôle exact de ceux-ci. si nous pouvionscomprendre réellement toute l’activitédu cerveau pendant ces cinq secondes,nous verrions clairement en quoi les astro-cytes régulent le traitement de l’informa-tion... Pour le moment, ceci n’est qu’unespéculation raisonnable.

en matière de techniques, en quoil’étude des astrocytes est-elle éven-tuellement différente ou plus difficileque l’étude des neurones ?Les neurosciences ont commencé parobserver le comportement seul (Pavlov,1849-1936) ou des extraits de cerveau dis-séqués (cajal, 1852-1934). depuis lors, le

nombre des techniques ciblant des inter-médiaires entre ces deux types d’obser-vations a beaucoup augmenté. mais, engénéral, cellules gliales et neurones sontobservés ensemble ; il faudrait alors dis-poser d’outils d’observation spécifiquestouchant exclusivement l’un ou l’autre deces deux types cellulaires. malheureu -sement, neurones et astrocytes sont trèssouvent sensibles aux mêmes agents chi-miques, d’où des effets secondaires nondésirables. Par exemple, une étude a

observé tel effet d’un médicament sur lesneurones, mais ce médicament se fixepréférentiellement sur les récepteurshomologues astrocytaires ; donc sont-celes astrocytes influencés qui modifient lecomportement des neurones ou le moin-dre effet sur les neurones qui crée cetteobservation directement ? or les ques-tions de ce genre, omniprésentes en bio-logie, trop partiellement maîtrisées, sontla source de bien des confusions.

Pour finir, ces dernières années ont vules neurosciences faire des progrèsspectaculaires, avec une plus grandediversité de techniques et d’outils. enquelques mots, quels sont à tes yeuxles grands défis à venir ?Il faudrait mettre au point de nouveauxoutils pour mesurer plus précisément lessignaux électriques cellulaires. Les tech-niques existantes sont pensées etconstruites pour les neurones, pas pourles astrocytes. certains développementspourraient être aisément réalisés, maisentre l’idée et le produit, la route est sou-vent longue ! mon défi personnel est deparvenir à une nouvelle approche, plusfonctionnelle, sur des techniques de tissuen culture.de mon expérience américaine, j’ai puentrevoir « le futur » des neurosciencesqui va vers une meilleure compréhensiondu cerveau, tant dans ses différences inter-

individuelles, que dans l’importance de la« préconception » génétique. Les finan-cements américains poussent notam-ment à investir dans la recherche sur levieillissement et les maladies neurodégé-nératives. En outre, les aspects les plusnovateurs dans ce domaine, encore enpleine extension, sont probablementdavantage dans la disponibilité de tech-niques telles que « l’optogénétique » quipermet l’activation de neurones via desstimulations lumineuses, et qui ouvre une

nouvelle ère dans les neurosciences enpermettant la manipulation de régionsspécifiques choisies du cerveau, chez l’ani-mal éveillé. Enfin, les techniques toujoursplus précises d’Irm vont vraisemblable-ment nous rapprocher de la possibilitéde « scanner » le cerveau et la penséehumaine de manière raisonnable… ce quiréaliserait ce vieux rêve américain d’undétecteur de mensonges viable. Les neu-rosciences de demain vont s’immiscer deplus en plus dans cette terra incognitaqu’est encore aujourd’hui le cerveau,ouvrant des nouvelles portes telles que la« lecture » de ce que le cerveau « pense » ;ou la possibilité d’interagir avec certainesfonctions choisies du cerveau, grâce à l’op-togénétique applicable chez l’humain, cequi générera un nouvel essor de techniquesdont je ne me risquerai pas à essayer dedessiner les contours. tout ceci me faitdire que l’essentiel des défis à venir pourla neuroscience de demain relèvera pro-bablement plus de la bioéthique que dusimple défi technico-scientifique. n

*Jérémie Sibille est neurobiologiste. Ilest post-doctorant à l’université deYale (États-Unis).

Propos recueillis par Khanh Dao Duc.

« L’astrocyte est comme le systèmed’exploitation d’un téléphone portable :

il s’assurerait du bon fonctionnement dutéléphone permettant la communicationentre celui qui parle (neurone émetteur)

et celui qui écoute (neurone récepteur). »

PAR GÉRARD STREIFFSO

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Lutte des classes, les Français y croientLa lutte des classes est une réalité pour 69 % des Français.ce résultat figure dans une enquête odoxa/Le Parisien/FranceInfo du 29 avril dernier. 69 %, soit cinq points de plus qu’il y atrois ans.« Les Français croient encore à la lutte des classes », noteodoxa. Il y a dans ce petit mot « encore » comme du dépit,de la surprise en tout cas.Après plusieurs décennies de normalisation idéologique,d’appels au consensus mou, où la notion même de« classe » était bannie, où l’expression de « lutte declasses » faisait très xIxe siècle, ce résultat, avouons-le, esttrès intéressant et tout à fait encourageant.L’enquête, il est vrai, intervenait au plus fort de la bataillecontre la loi travail et alors qu’on parlait beaucoup de l’af-faire des Panama papers, un sujet qui a très fortement etdurablement marqué l’opinion.

citons encore odoxa : « dans un xxIe siècle naissant, àl’heure où le monde globalisé exacerbe la compétition, leprofit et la rentabilité, on ne s’étonnera pas de la pertinencede cette “lutte” dans l’esprit d’un peuple (de droite commede gauche à quasiment aucune différence) qui a toujoursété idéaliste et porteur de nouvelles idées souvent copiéespar d’autres dans le monde entier. »

Quand on demande aux sondés s’ils se sentent directementconcernés, les sympathisants de gauche (69 %) et les sym-pathisants du Fn (68 %) affichent les scores les plus hauts,10 points supérieurs à la moyenne. seuls les sympathisantsde droite hors Fn renversent les résultats puisqu’ils sont unemajorité de 58 % à ne pas se sentir concernés par la luttedes classes. n

La Lutte des CLasses est-eLLe toujours une réaLité ?Oui : 69 %

Non : 31 %

vous sentez-vous ConCerné Par La Lutte des CLasses :Très concerné : 13 %

Plutôt concerné : 46 %Pas vraiment concerné : 41 %

Les Personnes se disant ConCernées Par La Lutte des CLasses seLon Leur symPathie PoLitiQue :

Gauche : 69 %Front national : 68 %

Droite (hors FN) : 42 %

PAR MICHAËL ORAND

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Le prolongement des conflits au moyen-orient et le change-ment de politique d’accueil des réfugiés dans les pays de larégion (notamment le Liban et la Jordanie) en 2014 ont pro-voqué en Europe un afflux de migrants inédit. cet événement,parfois qualifié de crise migratoire, a alimenté l’actualité et lesdébats tout au long des deux dernières années, plus souventsur le mode émotionnel que pour proposer une véritable ana-lyse du phénomène. L’InEd a publié en avril dernier un arti-cle offrant des éléments statistiques permettant de reposerquelques termes du débat : « Un million de migrants arrivéssans visa en Europe en 2015 : qui sont-ils ? », Population etsociétés, n° 532, InEd, avril 2016.

Le fait le plus marquant dans les entrées de migrants en Europeen 2014 et 2015 est la place prépondérante qu’a prise laméditerranée comme voie de passage. Alors qu’entre 1998et 2013, le nombre de migrants arrivant en Europe par la merétait stable, autour de 50 000 par an, ils sont 200 000 en 2014et près de 900 000 en 2015 à avoir traversé la méditerranée(graphique 1). cela représente près de 90 % des entrées enEurope, puisqu’on estime à 1 million le nombre de personnesentrées sans visa sur le territoire européen en 2015.

Un des éléments les plus mis en avant est la dangerosité deces traversées. Il est évidemment très difficile de connaîtreprécisément le nombre de morts survenues lors de telles tra-versées, mais des estimations relativement bonnes sont dis-ponibles. Au regard de ces estimations, il apparaît que l’an-née 2015, avec près de 3 500 décès, est une des années lesplus meurtrières (graphique 2). L’année 2011 l’a été cepen-dant encore plus, avec plus de 4 000 décès. En rapportantau nombre de traversées, l’année 2015 a finalement été l’an-

née où la létalité de la traversée a été la moins élevée depuis2000, avec 3,7 décès pour 1 000 traversées, contre par exem-ple 83,4 décès pour 1 000 traversées en 2009. cela est pro-bablement dû en partie à la mise en place d’opérations derecherche spécifiques, mais aussi à un changement de tra-jet : la plupart des traversées se font désormais depuis laturquie vers la Grèce, plutôt que depuis la Libye.

Il est également par nature difficile d’obtenir des élémentssur qui sont les migrants arrivés en Europe. Les sourcesgrecques et italiennes, non exhaustives, permettent toute-fois d’avoir une vision assez bonne de leurs origines démo-graphiques. En 2015, les syriens composent la majorité desmigrants arrivés dans ces deux pays, avec plus de 450 000personnes. Fait moins connu, ce sont les Afghans qui repré-sentent la deuxième nationalité la plus nombreuse, avec prèsde 200 000 personnes, puis les Irakiens (65 000 environ) etles Érythréens (autour de 40 000). Les arrivées récentesconcernent donc essentiellement des réfugiés originaires derégions en guerre, éligibles la plupart du temps au droit d’asile.

En France, les conséquences de ces nouvelles arrivées ontété plus limitées : le nombre de demandes d’asile a augmentéde 24 % entre 2014 et 2015, ce qui est important, mais sanscommune mesure avec l’ampleur de l’afflux observé. sur les80 075 demandes d’asiles enregistrées en France en 2015,seulement 19 506 ont donné lieu à une attribution de l’asile,soit 24 %. n

un million de migrants entrésen europe en 2015

graPhiQue 1 : nombre d’entréesirréguLières Par La mer en grèCe,

itaLie, esPagne et à maLte

source : InEd

graPhiQue 2 : nombre de déCès en merdurant La traversée de La

méditerranée vers L’euroPe

source : InEd

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PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRARD STREIFF

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faire connaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projet des communistes.

Leslie Kaplan, un rêve de révolution

a Comme artSi vous demandez à Leslie Kaplan ce qu’elle faisait parexemple en 1960, elle vous parlera probablement d’Àbout de souffle de Jean-Luc Godard, de L’Avventura deMichelangelo Antonioni ou de Tirez sur le pianiste deFrançois Truffaut. Et en 1961? Elle répondra sans douteLola de Jacques Demy et Une femme est une femme deJean-Luc Godard. Et ainsi de suite. Tous ses livres oupresque sont truffés de références à des films, des livres,des personnages qui l’ont construite. L’art l’a faite. Unhéritage qu’elle transmet à ses lecteurs.

e Comme éCritureNerveuse, théâtrale, dépouillée, sobre, efficace, pratique.Une écriture de l’ordre de l’urgence.Quand, adolescente, elle lit ses premiers romans, elledécouvre aussitôt qu’au monde bien réel qui lui fait face,elle peut opposer un autre monde, imaginaire, celui desmots et des images.

F Comme FamiLLeLe père était diplomate américain ; il va passer unedouzaine d’années à l’ambassade de Paris comme attachéculturel. Un sas d’entrée privilégié pour Leslie Kaplandans le monde de la culture. Kaplan père sera un tempsporte-parole du gouvernement américain durant laguerre du Vietnam, alors que Leslie défile pour la paix,milite dans une organisation maoïste et travaille en usine.

h Comme humourLeslie Kaplan aime placer dans ses récits des blagues. Onpeut y voir un clin d’œil à la grand-mère, juive polonaiseexilée aux États-Unis et résolument irrévérencieuse (voirl’encadré).

K Comme KaFKaÀ mettre sans doute, dans son panthéon, entre Marx etFreud. Sa trilogie ?

m Comme marChandise« La marchandise, un objet simple, quotidien. On a affaireà elle, on croit la connaître, voici une table, voici unechaise, et puis non, elle se révèle double, contradictoire.Valeur d’usage et valeur d’échange. La division du tra-vail et l’échange créent des rapports humains abstraits.Ce qu’on vaut sur le marché est autre chose que ce qu’onfait. Étrangeté de cette rationalité, absurdité tendanciellede ce système, tout est référé à l’équivalent général, l’ar-gent, et on avance dans le texte (Le Capital, NDA) pousséeet portée par l’ironie de Marx, son sarcasme, vraimenton se le demande, ce que c’est, la société, comment çamarche, à quoi ça tient. Il y a des secrets, d’où vient laplus-value, d’où vient l’exploitation. Dévoilement desdiscours, même bienveillants. »Leslie Kaplan, Mon Amérique commence en Pologne,p.112.

P Comme PsyChanaLyseL’œuvre de Leslie Kaplan se caractérise par une doublequête de liberté, « politique » et « existentielle ». Le tra-vail psychanalytique n’est jamais très loin. La place desrêves, au sens propre, des songes sur lesquels on travaille,comme un psy peut inciter à le faire, est importante.Dans Le Psychanalyste, un psy, justement, tout émoustillé,décrit le rêve qu’une patiente vient de lui raconter. Larêveuse affrontait un épouvantable personnage; inquiète,elle demande à cet adversaire s’il va lui faire du mal.« Mais madame, c’est votre rêve! » lui répond alors l’autre.

r Comme révoLutionLe mot et la chose traversent tous les récits de l’auteure.Ou presque. Cette puissante et nécessaire aspiration àrenverser l’ordre des choses et les modes de domination.L’évocation de la Révolution de 1789 irrigue son dernier

Écrivaine et dramaturge, Leslie Kaplan est l’auteure d’une œuvre résolumentengagée. Petit abécédaire.

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opus, également pièce de théâtre, Mathias et la Révolution(2016). On y retrouve l’enthousiasme populaire qu’unerévolution est capable de susciter. Voir par exemple, dansce dernier livre, la séquence de Valmy ! Autres person-nages de ses écrits : la Commune de Paris, Mai 68, la révo-lution scientifique.

s Comme soixante-huitDans de nombreux textes, une place à part revient àMai 68. Leslie Kaplan en a gardé d’ailleurs, dans son écri-ture, une des caractéristiques, à savoir la disponibilité àl’autre, la sociabilité retrouvée, la curiosité pour autrui,une espèce de desinhibition collective aussi qui est sansdoute une des marques de tous les grands mouvementspopulaires et des grandes grèves. En mai 68, tout le mondeparle à tout le monde! Et on parle de tout, de la politique,du sexe, de la folie, de l’amour, de l’économie, de l’art.« C’est quelque chose à quoi on n’avait pas droit », dit unde ses personnages. Il y a un « esprit 68 » dans les pagesde cette auteure. Elle a d’ailleurs consacré un poème àMai 68, paru dans Écrire, Mai 68, livre collectif publié parCatherine Flohic aux éditions Argol ; ce texte est reprisdans le roman Mon Amérique commence en Pologne,p.129-139. En voici le final :« Quelque chose se passetout peut arriversurprise, étonnement, rencontreles limites reculentle présent se déploiele monde est là, dans les détailsil y a de ces momentsrares, exemplairesoù ce qui s’invente dans la sociétéest aussi largeaussi vraique dans l’art. »

t Comme teChnoCrates (du maL)Une large partie du roman Fever (La Fièvre) est con-sacrée à ces technocrates du Mal comme Eichmann, co-organisateur de la « solution finale » et bourreau debureau, fasciné d’avoir pu un jour partager la table deHeydrich, qu’il avait ainsi vu « boire et manger », commesi cette proximité avait été son bâton de maréchal.

u Comme usineLa doxa « marxiste-léniniste » de ces années soixanteencourageait les militants intellectuels à travailler etmiliter à l’usine. Ce que fera Leslie Kaplan, à Mantes, àLyon ; d’où son premier roman, L’Excès-L’usine (1982),salué par Sartre notamment.

v Comme viLLeLeslie Kaplan est une urbaine. Ses histoires fleurent bonle bitume, la rue, la foule surtout. On ne l’imagine pasnous raconter une histoire en vert. Ses villes, ce sont NewYork, un peu, et Paris, beaucoup, passionnément, à lafolie, côté Montparnasse ou Denfert-Rochereau.

LE MARI DE REBECCA« C’est rebecca, elle vient de se marier, et Kobi son maripasse son temps à lui parler de sa mère, comment ellefait le potage, comment elle prépare le poisson, j’adoreta cuisine, ma chérie, mais ma mère elle rajoute tou-jours plus d’oignons, ça donne un goût vraiment spé-cial, ou comment elle décore la maison, Ces fleurs sontjolies, rebecca, mais ma mère, elle a un don pour lesplantes, ce qui s’appelle la main verte, etc., etc.rebecca n’en peut plus. Finalement elle en parle à sameilleure amie, sarah. sarah réfléchit, et elle dit àrebecca, écoute, rebecca, il y a une chose quandmême pour laquelle Kobi ne va pas faire de comparai-sons, tu me comprends… alors va t’acheter de jolieschoses, des dessous en dentelles, des déshabillés, et cesoir attends-le avec ça… rebecca trouve que c’est unebonne idée, une très bonne idée, elle va s’acheter toutun tas de dentelles sexy, des choses et des choses etdes choses, des dessous noirs les plus affriolants, lesplus aguichants, les plus stimulants, elle dépense unmaximum, et le soir elle attend son mari, allongée lan-goureusement sur le lit, vêtue d’un ensemble soutien-gorge et slip noirs du plus bel effet. Quand Kobi arrive,elle l’appelle, il entre dans la chambre à coucher et ils’arrête net, figé, le souffle coupé. au bout d’unmoment il se ressaisit et il dit, rebecca, qu’est-ce qui sepasse, tout ce noir. dis-moi la vérité. il est arrivéquelque chose à maman. »

Extrait de Mon Amérique commence en Pologne

LEsLIE KAPLAn, c’Est UnE QUInZAInE dEromAns, Un EssAI, dEs PIÈcEs dE thÉÂtrE.PUBLIÉs PoUr L’EssEntIEL chEZ P.o.L. :

• L’Excès-L’usine, 1982• Depuis maintenant, 1996• Les Prostituées philosophes, 1997• Le Psychanalyste, 1999• Fever, 2005• Mon Amérique commence en Pologne, 2009• Louise, elle est folle, 2011 (théâtre)• Déplace le ciel, 2013 ( théâtre)• Mathias et la Révolution, 2016

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Cet ouvrage précieux nous fait comprendre que « les civi-lisations sont mortelles », comme disait Paul Valéry etpermet de relativiser le sentiment de décadence et d’im-puissance nous touchant, en montrant le chemin à nepas suivre. n

Recherche dupolitique perduÉditions Fayard, 2015

GEORGES BALANDIER

PAR YVETTE LUCAS

« Nous sommes parvenusau temps du politiquecaché, effacé, impuis-sant. » Ainsi débute cetouvrage écrit dans les

mois qui ont suivi janvier 2015. Pour Georges Balandiercet effacement du politique est l’effet de deux change-ments majeurs intervenus dans la seconde moitié du XXe

siècle : l’explosion informatique opérant la dématériali-sation du monde; la décolonisation, rupture de domina-tion qui exerce un « effet de choc à l’intérieur même dela société qui l’a exercée en longue durée ». Ce n’est pasla fin de l’historicité mais le passage à une nouvelle ère,amorcée avant la fin du siècle, qui se passe dans uncontexte de mondialisation où s’établit la mise en com-munication généralisée, avec une double conséquence :l’expansion du capitalisme financier où la marchandiseatteint une valeur suprême, et la difficulté conjoncturelledes gouvernants à répondre à des situations inédites, sur-tout aux crises répétées qu’elles engendrent. Désormais,l’économique mange le politique dont l’espace devientconfus, de moins en moins lisible, alors que s’impose letemps de l’immédiat, la pression de l’urgence.C’est par le détour de l’anthropologie politique, familièredes sociétés de la tradition qu’il a longuement étudiées,que Balandier développe son explication, analysant lecheminement de la démocratie et de ses avatars jusqu’àl’impuissance des gouvernants actuels. Le recours à l’an-thropologie politique lui permet d’aborder la démocra-tie par les vicissitudes qui affectent le pouvoir symbo-lique durant les périodes où elle se constitue depuis ladisparition de l’Ancien Régime jusqu’au moment de larupture gaulliste qui redonne au président à la fois le pou-voir symbolique et le pouvoir gouvernant. Après quoi, latransition démocratique s’effectuera en utilisant la formed’une monarchie républicaine héritée du gaullisme. L’échec, la « perte » du politique réside dans la persis-tance à se maintenir dans des formes anciennes inadap-tées, dans le refus de voir les mutations du monde et dechercher les voies nouvelles qu’une telle situation impose.La solution, très clairement exprimée par Balandier :« Vouloir neuf pour pouvoir mieux ». Aujourd’hui s’ex-prime un désir de démocratie, encore ambigu. « La démo-cratie ne s’exporte ni ne s’importe. Elle ne surgit pasimmédiatement d’une révolte, elle se construit et résulted’une histoire, d’une civilisation, non pas seulement d’unrejet du pouvoir établi. La démocratie advenue est alorsune figure de la civilisation. » Ainsi le jeune chercheurde 95 ans conclut-il son propos : « Pour accéder à une

1177 avant J.-C.le jour où la civilisations’est effondréeÉditions La Découverte,2015

ERIC H.CLINE

PAR FLORIAN GULLI

L’année 2016 semble êtrecelle où la crise de la mon-

dialisation entre dans sa phase critique, avec une conjonc-tion de facteurs à risques (guerres, attentats, crise éco-nomique et écologique…). Cette situation paraît inéditeet donne l’impression d’un saut dans l’inconnu.Eric H. Cline, professeur d’histoire et d’anthropologie àl’université de Washington, offre un éclairage inattendusur une période largement méconnue de l’histoireancienne, l’âge du bronze, période aux similitudes trou-blantes avec la nôtre. L’auteur s’intéresse au Moyen-Orient (ou Croissant fertile) de -1800 à -1100 av. J.-C. quiconnut un surprenant essor des échanges culturels, éco-nomiques, militaires, religieux…Cette première proto-mondialisation, certes limitée dansl’espace, amena à la création d’un vaste champ d’inter-dépendances disposant de ses règles et de ses codes. Lesarchives retrouvées indiquent d’intenses relations diplo-matiques entre les différents États, engagés à l’époquedans un jeu d’équilibre des puissances impliquantguerres, mariages dynastiques, alliances et même embar-gos (ancêtres de nos sanctions économiques).Les artistes étaient cosmopolites et voyageaient dans lesdifférents royaumes, s’influençant les uns les autres dansune émulation créatrice. Dans cet espace, on put s’en-tendre et communiquer par l’utilisation généralisée dansles échanges d’une lingua franca incarnée par l’akka-dien, langue parlée par toutes les élites de l’époque.Un tel tableau amène à se demander comment ce mondea disparu. L’ouvrage de Cline permet d’avancer uneréponse faisant étrangement écho à nos préoccupationsmodernes. Par une investigation poussée, parfois diffi-cile d’accès, il montre les multiples causes de l’écroule-ment de toutes ces civilisations :• tout d’abord, un sévère changement climatique quiaugmenta les périodes de sécheresse et affama les popu-lations. Les tensions sociales s’accrurent, des émeutesde la faim éclatèrent et affaiblirent considérablementles États touchés ;

• ensuite, cette crise agricole obligea de nombreusespopulations à émigrer, ce qui entraîna des conflits avecles États plus favorisés comme l’Égypte. Ces popula-tions, appelées « peuples de la mer », s’installèrent sou-vent par la force dans les territoires conquis et, se divi-sant en petites chefferies, se firent continuellement laguerre ;

• enfin, cet effondrement de la production agricole, basede l’économie primitive, couplée à l’insécurité gran-dissante, causa la fin du grand commerce, qui fut catas-trophique pour ces sociétés habituées depuis des siè-cles à dépendre de marchandises extérieures.

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« La ville face aux discriminations »Les Cahiers de la Lutte contre lesdiscriminations N°1

PAR SHIRLEY WIRDEN

Les « Cahiers de laLCD », édités avec leconcours du Com -missariat général àl’égalité des territoireset les éditionsL’Harmattan, destinésà l’usage de toutes ettous, notamment desétudiants et cher-cheurs, ne sont pas

seulement une nouvelle revue sur les discriminationsmais engagée contre les discriminations. ArnaudAlessandrin (docteur en sociologie et chercheur associéau Centre Émile-Durkheim) et Johanna Dagorn (doc-teure en sciences de l’éducation, chercheuse associée auLACES), tous deux responsables de la revue, expliquentque ces cahiers se veulent un appui pour permettre àl’action de succéder à la réflexion. L’objectif est donc clai-rement établi : donner des clés aux actrices et acteurspubliques pour transformer le réel.

Les exemples sont multiples et les discriminations bientrop nombreuses pour être énumérées de façon opé-rante. L’intérêt d’une telle revue et de ce premier numérosur la ville est de porter une réflexion, un regard, uneanalyse sur le rapport entre une entité comme la ville etla discrimination en tant que telle. Une pensée globalese forme autour de la question de la discrimination afinde s’abstraire de chaque cas particulier pour analyser leproblème à la racine. On ne trouvera donc pas un numérosur l’homophobie ou le sexisme. Toutes les discrimina-tions sont par exemple présentes dans la ville et elle al’avantage d’être la matière première d’élus proches dela population concernée. Hélène Bidard, maire adjointede Paris, chargée de l’égalité femmes-hommes, de la luttecontre les discriminations et des droits humains, a ainsiété sollicitée pour être membre du comité d’orientation.Plusieurs actrices et acteurs du champ intellectuel oupolitique sont ainsi appelés à contribuer à ces cahiersafin de croiser les thématiques et travailler dans unedémarche intersectionnelle. Travailler le sujet propre dela discrimination face à des structures comme la ville ou,dans un prochain numéro l’école, permet d’analyser lesconséquences dans la société, tel un reflet, de notre orga-nisation des rapports sociaux basée sur l’exploitationdes uns par les autres et engendrant le repli sur soi et lahaine d’autrui.Il s’agit pour chacune et chacun de trouver sa place, sonpropre espace au sein d’une entité complexe comme laville. Ce que la ville peut mettre en œuvre pour assurercela est fondamental. Si Baudelaire écrivait que « jouirde la foule est un art », nous pourrions également direque c’est une question de volonté et de choix de poli-tiques publiques. n

démocratie partagée, il est surtout nécessaire de l’ouvriraux différences afin de la fermer à la dynamique des domi-nations exclusives, puis funestes. » n

Dette publique: sortir du catastrophisme

Éditions Raisons d’agir,2016

BRUNO TINEL

PAR IGOR MARTINACHE

La réduction de la dettepublique, ou plus exacte-ment du rapport de cettedette au produit intérieurbrut (PIB), semble avoirété en priorité absoluedans la zone euro suite àla crise des subprimes,transformée par un tour

de passe-passe des banques en « crise des dettes souve-raines ». Et pourtant, ce ratio d’endettement public necesse de poursuivre sa progression, à l’inverse de l’acti-vité intérieure et de l’emploi qui, eux, stagnent désespé-rément. C’est ce faux paradoxe que vient éclairer ici BrunoTinel, économiste à l’université de Paris-1, en s’appuyantnotamment sur les outils du courant dit postkeynésien,c’est-à-dire des héritiers de Keynes qui ne l’ont pas trahipour tenter de faire la synthèse entre ses analyses et cellesdu courant néoclassique dominant. En résulte un ouvrageà la fois très pédagogique (même si on n’échappe pas àquelques équations) et politiquement affûté, qui vientremettre à l’endroit ce que certains responsables poli-tiques et médiatiques ne cessent de présenter à l’envers.L’auteur propose ainsi dans un premier temps un cer-tain nombre de clarifications essentielles sur la dettepublique, expliquant par exemple comment celle-ciconstitue le soubassement nécessaire de toute activitééconomique, et se traduit en contrepartie par un ensem-ble d’actifs qui fait que, loin d’être endettés dès leur nais-sance comme aiment à l’ânonner certains commenta-teurs autorisés des média, tous les Français sont en réalitédétenteurs d’un patrimoine commun équivalent àpresque 10 000 euros par personne. L’auteur expliqueensuite de manière convaincante comment seule unepolitique de relance budgétaire peut permettre de réduirele ratio dette publique/PIB, tandis qu’à l’opposé des poli-tiques pro-cycliques, c’est-à-dire d’austérité en tempsde crise, viennent au contraire alimenter la récession etce faisant à la fois creuser le déficit public et freiner l’ac-croissement du PIB. Enfin, dans une dernière partie,l’économiste met en évidence les enjeux redistributifs,entre classes bien plus qu’entre générations, qui sous-tendent la question de l’endettement public, à travers lastructure des prélèvements obligatoires, la politiquemonétaire et la financiarisation de la dette publique miseen œuvre dans l’Hexagone il y a maintenant trois décen-nies. Bref, un ouvrage à lire avec attention, et à diffuserlargement auprès de nos élus et des journalistes intoxi-qués par la doxa libérale. n

Quelle attitude le parti révolutionnaire doit-il adopter à l’égard de la religion ? Il est clairque le matérialisme dont il se réclame est, d’un point de vue théorique, hostile à la reli-gion. Pour le matérialisme, « le brouillard religieux » charrie des représentations erro-nées de la réalité et se met souvent au service des pouvoirs en place. Quelles sont tou-tefois les implications politiques de cette critique de la religion ? Le parti révolutionnaire

doit-il développer une propa-gande athée dans le but deconvaincre les croyants derenoncer à leur foi ? PourLénine, la question religieusedoit rester au second plan carelle risque toujours de faire lejeu de la bourgeoisie en divi-sant les ouvriers selon leurconfession.

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairages contem-porains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

PAR FLORIAN GULLIET AURÉLIEN ARAMINI

matériaLisme et reLigionLe programme politique du Parti ouvriersocial-démocrate de Russie repose surune base philosophique matérialiste. Lematérialisme, opposé à l’idéalisme,affirme que la seule manière de connaîtrela réalité est de partir de la matière dontles sciences de la nature donnent uneconnaissance toujours plus précise. Lessensations, les idées, la conscience, lapensée, thèmes privilégiés de l’idéa -lisme, ne sont que des imagesdu mondeextérieur, des reflets. Dans une perspec-tive matérialiste, que Lénine déve -loppera longuement en 1909 dansMatérialisme et empiriocriticisme, lesidées, la conscience, la pensée deshommes ne sont pas indépendantes ducorps ; elles sont « liées au fonction-nement des nerfs, du cerveau ». Sur cette base, tout ce qui existe n’estque matière : les idées d’une âmeimmatérielle, d’un Dieu créateur oud’une vie après la mort n’ont donc pasde réalité et ne sont que des produc-tions du cerveau humain.Ces idées religieuses sont nées del’igno rance et de l’imagination des

Notre programme est fondé tout entier sur une philosophie scienti-fique, rigoureusement matérialiste. Pour expliquer notre programmeil est donc nécessaire d’expliquer les véritables racines historiques etéconomiques du brouillard religieux. Notre propagande comprendnécessairement celle de l’athéisme ; et la publication à cette fin d’unelittérature scientifique que le régime autocratique et féodal a proscriteet poursuivie sévèrement jusqu’à ce jour doit devenir maintenant unedes branches de l’activité de notre Parti. Nous aurons probablementà suivre le conseil qu’Engels donna un jour aux socialistes allemands :traduire et répandre parmi les masses la littérature française du XVIIIesiècle athée et démystifiante1.Mais en aucun cas nous ne devons nous fourvoyer dans les abstractionsidéalistes de ceux qui posent le problème religieux en termes de « raisonpure », en dehors de la lutte de classe, comme font souvent les démo-crates radicaux issus de la bourgeoisie. Il serait absurde de croire que,dans une société fondée sur l’oppression sans bornes et l’abrutissementdes masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par laseule propagande. Oublier que l’oppression religieuse de l’humanité n’estque le produit et le reflet de l’oppression économique au sein de la sociétéserait faire preuve de médiocrité bourgeoise. Ni les livres ni la propa-gande n’éclaireront le prolétariat s’il n’est pas éclairé par la lutte qu’ilsoutient lui-même contre les forces ténébreuses du capitalisme. L’unitéde cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combat-tant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unitéd’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel.Voilà pourquoi, dans notre programme, nous ne proclamons pas et nousne devons pas proclamer notre athéisme ; voilà pourquoi nous n’inter-disons pas et ne devons pas interdire aux prolétaires, qui ont conservétels ou tels restes de leurs anciens préjugés, de se rapprocher de notreParti. Nous préconiserons toujours la conception scientifique du monde ;il est indispensable que nous luttions contre l’inconséquence de certains« chrétiens », mais cela ne veut pas du tout dire qu’il faille mettre la ques-tion religieuse au premier plan, place qui ne lui appartient pas ; qu’ilfaille laisser diviser les forces engagées dans la lutte politique et écono-mique véritablement révolutionnaire au nom d’opinions de troisièmeordre ou de chimères, qui perdent rapidement toute valeur politique etsont très vite reléguées à la chambre de débarras, par le cours même del’évolution économique.

Lénine, « Socialisme et religion », Novaïa Jizn, 1905

(Œuvres, tome 10, Paris, Éditions sociales et Moscou,

Éditions du progrès, 1967, p. 83-84).

1.Voir F. Engels, La Littérature politique des émigrés. Le programme

des communards blanquistes émigrés (note de Lénine).

religion et lutte de classes

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désirent rien autant que remplacer ladivision des ouvriers en grévistes etnon-grévistes selon la participationà la grève par la division en croyantset incroyants. » Il faut donc mettrel’athéisme en sourdine lorsque celui-ci risque d’affaiblir « la classeopprimée ».

Cela ne signifie pas renoncer pure-ment et simplement à la propagandeathée, à la publication de brochurescritiques à l’égard de la religion oud’ouvrages scientifiques égratignantles dogmes religieux. Ce travail doitêtre fait ; il n’est pas question derenoncer à « la conception scienti-fique du monde ». Le matérialismeexige au contraire de tenir compte desdéveloppements de la science qui doi-vent être diffusés largement. Maisc’est l’actualité des luttes sociales quidécide de la place à accorder à ce tra-vail dans le militantisme et dans leparti. L’attitude défendue par Léninen’a rien de commun avec l’opportu-nisme électoral qui refuse d’aborderles questions religieuses par peur des’aliéner la partie des électeurs sen-sibles à la religion. Elle est très éloi-gnée aussi de l’attitude libérale quiaffirme que toutes les opinions sevalent et qui renonce bien facilement,au nom de la tolérance, à la discus-sion rationnelle. Opportunisme etlibéralisme délaissent les questionsthéoriques. Lénine estime au con -traire qu’elles sont fondamentales.Pour être utile et bénéfique, la propa-gande athée doit donc tenir comptedes situations concrètes de la luttedes classes et « être subordonnée à satâche fondamentale, à savoir : audéveloppement de la lutte des massesexploitées contre les exploiteurs »(Lénine, « De l’attitude du parti ouvrierà l’égard de la religion », p. 437). n

pour le soulagement qu’elle procure.On ne peut dépasser la religion, penseLénine à la suite de Marx, qu’en trans-formant la réalité sociale. Plus cemonde sera insatisfaisant, plus ladétresse y sera grande, plus il y aurade religion. À l’inverse, plus les con-ditions d’une vie heureuse serontétablies ici-bas, plus la religion, privéede sa source, reculera.

« nous ne devons PasProCLamer notre athéisme »Lénine tire les conséquences politiquesde cette analyse : « Dans notre pro-gramme, […] nous ne devons pasproclamer notre athéisme. » La ques-tion religieuse doit rester au secondplan. Ce qui se traduit concrètementpar la possibilité accordée au croyantd’adhérer au parti révolutionnaire sansrenoncer au préalable à sa religion.Pour Lénine, le refus d’afficher sonathéisme ne peut avoir qu’une seulejustification: le progrès de la lutte desclasses. Il faut mettre au second plantout ce qui pourrait diviser la « classeopprimée ». Les désaccords en matièrede religion sont des « désaccordssecon daires » qui, non seulement,détournent les masses des problèmeséconomiques mais qui empêchentaussi leur unité dans la lutte révolu-tionnaire. « L’unité d’opinion des pro-létaires sur le paradis du ciel » n’est enrien une condition des luttes sociales;celles-ci naissent de l’exploitation, dela répression, du mépris, etc. Elles met-tent en mouvement des individus auxopinions différentes, notamment enmatière religieuse, mais aux intérêtscommuns. « En un tel moment et enune telle circonstance, écrit Lénine en1909, dans “De l’attitude du partiouvrier à l’égard de la religion” (p. 438),le propagandiste de l’athéisme feraitle jeu du pope et des popes, qui ne

hommes. Ils en avaient besoin pourexpliquer les phénomènes naturels,parce que leur faisaient défaut de véri-tables connaissances scientifiques.Cette explication de la religion à par-tir de l’ignorance, certes valable pourles premières sociétés, est toutefoisinsuffisante. Marx portait plus avantson analyse de la religion; il expliquaitde manière matérialiste la religion etle besoin de croire à partir de la luttedes classes. Les hommes font la reli-gion et inventent leurs dieux dans dessituations historiques précises. La reli-gion, en particulier son succès dansles masses populaires, s’explique ainsipar des causes sociales, liées à l’or-ganisation éco nomique de la société.

Les exploités croient en une viemeilleure dans l’au-delà parce qu’ilssouffrent concrètement dans un ordresocial injuste. La religion les soulage ;elle est « l’opium du peuple », selonla formule célèbre de Marx. La reli-gion a donc ses racines dans la mi -sère sociale et se nourrit de « la peurdevant la force aveugle du capital,aveugle parce que ne pouvant êtreprévue des masses populaires, qui, àchaque instant de la vie du prolétaireet du petit patron, menace de luiapporter et lui apporte la ruine“subite”, “inattendue”, “accidentelle”,qui cause sa perte, qui en fait un men-diant, un déclassé, une prostituée, leréduit à mourir de faim » (« De l’atti-tude du parti ouvrier à l’égard de lareligion », Œuvres, tome 15, Paris, Édi-tions sociales et Moscou, Éditions duprogrès, 1967, p. 432-444, p. 436).

ineFFiCaCité de La ProPagande athéeEn cherchant à combattre la religionde manière abstraite, c’est-à-dire sanstenir compte de ses racines sociales,la propagande athée se trompe decible. Il est souvent peu efficace demontrer la faiblesse des preuves del’existence de Dieu, de critiquer lesarguments en faveur de l’immor ta -lité de l’âme, ou de mettre en lumièredes épisodes historiques peu com-patibles avec l’existence d’un Dieumiséricordieux. Cette propagandeoublie les racines existentielles – etnon théoriques – de la foi : la réactionà « la détresse réelle ». Elle oublie quel’individu vient à la foi, non pas enraison de sa vérité et de la solidité desarguments qui la soutiennent, mais

écrit dans l’effervescence des troubles révolutionnaires qui ébran-lent la russie tsariste durant l’année 1905, l’article « socialisme etreligion » est publié le 3 décembre dans le journal bolcheviqueNovaïa Jizn (nouvelle vie). alors particulièrement actif à saint-Pétersbourg, Lénine s’attache à préciser la politique que le partirévolutionnaire doit adopter à l’égard de la religion dans un contextepolitique où le mouvement nationaliste des Cent-noirs mène despogroms contre les juifs et la bourgeoisie russe attise les haines reli-gieuses pour empêcher l’unité des classes populaires.

En collaboration avec La Revue du projet, les éditions socialesviennent de publier : Découvrir Marx

Est-il encore besoin de découvrir marx ? comme souvent, cequi semble su comme une sorte d’évidence est en réalité malconnu. ce qui s’applique particulièrement à marx tant le rapportà son œuvre fut l’occasion de grandes passions, de bellesactions et de méfaits terribles. marx n’en finit pas d’interpellerceux qui s’essaient à penser nos sociétés et leurs mouvements,les actions humaines et leurs effets.découvrir marx, c’est laisser de côté les formules et les simplifi-cations pour se confronter directement aux écrits de l’auteur.cet ouvrage, accessible à tous, présente, explique et com-mente douze textes de Karl marx, douze textes utiles à la com-préhension du monde moderne dont il fut l’un des grandsannonciateurs et des plus subtils critiques.

Cet ouvrage rassemble notamment des textes parus dans larubrique « Dans le texte » de La Revue du projet.

Prix : 9 €. Disponible dans toutes les bonnes librairies, plus d’informations sur : www.editionssociales.fr

Autres parutions de La Revue du projet

Découvrir Marx

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et marine roussillon (75) ; appelés par des exigences universitaires,Quentin corzani (91) et Igor martinache (59) nous donneront moins deleur temps. mais, Aurélien Aramini (90), Fanny chartier (92), Benjaminsozzi (69) et Josua Gräbener (69), récemment arrivés dans l’équipe,sauront poursuivre la tâche. Entre l’ancien et le nouveau, la revue pour-suit sa route en vous remerciant toutes et tous.

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o Standard : 4 X 14 € o Chômeurs/étudiants : 4 X 10 € o Souscription : 4 X 18 €

récurrent/répétitifTYPE DE PAIEMENT Vous pouvez à tout moment vous désabonner en appelant au 01 60 86 03 31.

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