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Comorbidités dans la BPCO : causes ou conséquences ? D’après la communication de P.-R. Burgel Introduction La BPCO est classiquement définie comme une maladie respiratoire chronique caractérisée par une diminution non complètement réversible des débits aériens [1]. Cette défini- tion adoptée de façon consensuelle il y a plusieurs décennies ne mentionne pas l’existence de manifestations extrarespira- toires. Il apparaît pourtant que les patients atteints de BPCO sont fréquemment atteints d’autres maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, les cancers, l’ostéoporose, les troubles neuropsychiatriques ou la dénutrition. Ces patho- logies associées, appelées comorbidités, ont un impact impor- tant sur la morbidité et la mortalité des patients atteints de BPCO. Causes de mortalité Les causes de mortalité chez les patients atteints de BPCO sont de reconnaissance récente. En 2005, Anthonisen et coll. ont analysé les causes de décès après 14,5 ans de suivi chez les patients inclus dans la Lung Health Study, un protocole testant initialement une procédure de sevrage tabagique chez des sujets volontaires [2]. À l’inclusion, les patients de cette étude avaient une BPCO modérée (VEMS/CVF = 65 %, VEMS moyen 78 %, âge 48 ans). Les principales causes de mortalité étaient les maladies cardio-vasculaires (dont les coronaropathies) et les cancers (dont les cancers bronchiques) ; l’atteinte respiratoire n’était responsable que d’une minorité de décès [2]. L’étude TORCH était une étude randomisée testant l’effi- cacité des associations fixes (corticoïdes inhalés-bêta 2 mimé- tiques de longue durée d’action) ou de chacune de ces molé- cules par rapport à un placebo sur la mortalité des patients atteints de BPCO modérée à sévère (VEMS 60 % de la valeur théorique) [3]. Sur 6 184 patients inclus dans cette étude et suivis 3 ans, 911 patients sont décédés [3]. Les causes de décès de ces patients ont été analysées par un comité d’adju- Facteurs de gravité dans l’évolution naturelle de la BPCO Service de Pneumologie, Hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France. Correspondance : [email protected] 12 Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 12-15 © 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Comorbidités dans la BPCO : causes ou conséquences ?

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Page 1: Comorbidités dans la BPCO : causes ou conséquences ?

Comorbidités dans la BPCO : causes ou conséquences ?

D’après la communication de P.-R. Burgel

Introduction

La BPCO est classiquement définie comme une maladierespiratoire chronique caractérisée par une diminution noncomplètement réversible des débits aériens [1]. Cette défini-tion adoptée de façon consensuelle il y a plusieurs décenniesne mentionne pas l’existence de manifestations extrarespira-toires. Il apparaît pourtant que les patients atteints de BPCOsont fréquemment atteints d’autres maladies chroniques tellesque les maladies cardio-vasculaires, les cancers, l’ostéoporose,les troubles neuropsychiatriques ou la dénutrition. Ces patho-logies associées, appelées comorbidités, ont un impact impor-tant sur la morbidité et la mortalité des patients atteints deBPCO.

Causes de mortalité

Les causes de mortalité chez les patients atteints de BPCOsont de reconnaissance récente. En 2005, Anthonisen et coll.ont analysé les causes de décès après 14,5 ans de suivi chez lespatients inclus dans la Lung Health Study, un protocole testantinitialement une procédure de sevrage tabagique chez des sujetsvolontaires [2]. À l’inclusion, les patients de cette étude avaientune BPCO modérée (VEMS/CVF = 65 %, VEMS moyen78 %, âge 48 ans). Les principales causes de mortalité étaientles maladies cardio-vasculaires (dont les coronaropathies) et lescancers (dont les cancers bronchiques) ; l’atteinte respiratoiren’était responsable que d’une minorité de décès [2].

L’étude TORCH était une étude randomisée testant l’effi-cacité des associations fixes (corticoïdes inhalés-bêta 2 mimé-tiques de longue durée d’action) ou de chacune de ces molé-cules par rapport à un placebo sur la mortalité des patientsatteints de BPCO modérée à sévère (VEMS � 60 % de lavaleur théorique) [3]. Sur 6 184 patients inclus dans cetteétude et suivis 3 ans, 911 patients sont décédés [3]. Les causesde décès de ces patients ont été analysées par un comité d’adju-

Facteurs de gravité dans l’évolution naturelle de la BPCO

Service de Pneumologie, Hôpital Cochin, 27, rue du FaubourgSaint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France.

Correspondance :[email protected]

12Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 12-15

© 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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dication indépendant [4]. Seuls 35 % des décès étaient dus à lamaladie respiratoire : près de 2/3 des patients décédaient decauses non liées à l’atteinte respiratoire (fig. 1). Les donnéesdisponibles indiquent donc que les comorbidités, en particulierles maladies cardio-vasculaires et les cancers, sont des causesmajeures de mortalité chez les patients atteints de BPCO à tousles stades de la maladie.

tées pour l’âge, mais l’absence d’ajustement en fonction du sexeet des habitudes tabagiques ne permet pas d’établir un liendirect entre la BPCO et la présence de comorbidités cardio-vasculaires.

Curkendall et coll. ont évalué la prévalence des maladiescardio-vasculaires de la BPCO sur une cohorte rétrospectivede patients de plus de 40 ans vus entre 1997 et 2000 auCanada [6]. L’analyse de ces données, ajustées sur l’âge et lesexe, montre une prévalence plus importante des maladiescardio-vasculaires chez les patients ayant eu un diagnostic deBPCO (défini par la prise régulière de bronchodilatateurs)(fig. 2). Un biais majeur de cette étude est une consommationcumulée de tabac nettement plus importante dans le groupede patients ayant une BPCO.

1313© 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Comorbidités dans la BPCO : causes ou conséquences ?

Cancers

21 %

Atteintes

respiratoires

35 %

Maladies

cardio-vasculaires

26 %

Autres

18 %

Fig. 1.

Causes de mortalité dans l’étude TORCH. L’étude TORCH asuivi 6 184 patients atteints de BPCO (VEMS � 60 %) pendant3 ans. Un comité indépendant a évalué les causes de mortalitéchez les 911 patients décédés sur cette période. Environ 65 % despatients sont décédés de causes non directement liées à l’atteinterespiratoire de la BPCO [3, 4].

80

70

60

50

40

30

20

10

0

Arythmie Coronaropathie IDM Insuffisance

cardiaque

AVC Autres

(HTA)

Hospitalisation

C-V

% d

u n

om

bre

de s

uje

ts

*21,1

11,7*

11,2

6,4*

5,63,2

*31,3

9*

9,67,9

*70,4

54

*22,8

11,2

BPCO (n = 11 493)

Non BPCO (n = 22 986)

* p < 0,05

Fig. 2.

Risque de pathologies cardio-vasculaires en fonction de la présenced’une BPCO. Les auteurs ont étudié la prévalence des patholo-gies cardio-vasculaires à partir des données rétrospectives d’unecohorte de patients ambulatoires canadiens âgés de plus de 40 ans.L’analyse a porté sur la période 1997-2000. Les données sontappariées pour l’âge et le sexe. Le tabagisme était plus importantchez les patients atteints de BPCO (identifiés par la consomma-tion régulière de bronchodilatateurs) [6].Quelles relations entre maladies

cardio-vasculaires et BPCO ?

Les liens entre la BPCO et les maladies cardio-vasculairesméritent une discussion. Ces maladies ont en commun denombreux facteurs de risque, tels que leur association auvieillissement, à l’intoxication tabagique et à des prédisposi-tions génétiques. Il apparaît dès lors difficile d’établir un liendirect entre la BPCO et les maladies cardio-vasculaires, du faitde nombreux facteurs confondants.

La prévalence des comorbidités cardio-vasculaires chez lespatients atteints de BPCO a été évaluée dans des études épidé-miologiques. Holguin et coll. ont évalué la prévalence despathologies cardio-vasculaires sur le registre global des patientshospitalisés aux États-Unis entre 1979 et 2001 en fonction dela présence d’une BPCO (identifiée sur les codages des hospi-talisations en diagnostic principal ou associé) [5]. La prévalencede l’HTA (16,5 % vs 12,6 % du nombre total de sujets hospi-talisés), des pathologies coronariennes (15 % vs 10,2 %) et del’insuffisance cardiaque (9,8 % vs 3,6 %) était plus importantechez les patients atteints de BPCO. Ces données étaient ajus-

Sin et coll. ont étudié les causes de mortalité évaluées aubout d’une vingtaine d’années chez 1 861 patients inclus entre1971 et 1975 dans l’étude NHANES et ayant eu une spiro-métrie à l’inclusion [7]. Les auteurs ont montré qu’un VEMSabaissé est un facteur de risque de mortalité cardio-vasculaireindépendant de l’âge, du sexe, et du tabagisme [7]. Cettedonnée importante indique que le lien entre les pathologiescardio-vasculaires et la BPCO n’est pas uniquement expliquépar le vieillissement et le tabagisme. Le risque de maladiescardio-vasculaires, en particulier d’infarctus du myocarde, estaugmenté chez les patients ayant une inflammation systémiquede bas grade, caractérisé par une élévation modérée de la C-reactive protein (CRP) [8].

Certains auteurs ont émis l’hypothèse que le lien entre laBPCO et les comorbidités cardio-vasculaires soit la présencede cette inflammation systémique de bas grade chez les patientsatteints de BPCO [9].

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P.-R. Burgel

Pinto-Plata et coll. ont mesuré la CRP par une méthodeultrasensible de façon répétée sur une période de 18 mois [10].Les patients atteints de BPCO (n = 88) ont été comparés à desfumeurs sans BPCO (n = 33) et à des sujets normaux nonfumeurs (n= 38). Tous les patients ont été évalués en état stable(en dehors des exacerbations) et ont eu une épreuve d’effortcardiologique visant à éliminer la possibilité d’une coronaro-pathie latente. Cette étude indique que la CRP ultrasensibleest élevée chez les patients atteints de BPCO indépendammentde la présence d’une coronaropathie associée et du tabagisme[10]. Ces résultats sont compatibles avec l’hypothèse que l’élé-vation de la CRP explique, au moins en partie, la prévalence etla mortalité élevée liée aux pathologies coronariennes chez lespatients atteints de BPCO.

Mécanismes de l’inflammation systémique

Les causes de la présence d’une élévation de la CRP chezles patients atteints de BPCO sont mal identifiées. Une pre-mière hypothèse est que l’atteinte pulmonaire de la BPCOserait responsable de cette élévation des marqueurs d’inflam-mation systémique.

Vernoy et coll. ont essayé de corréler les concentrationsde marqueurs d’inflammation (IL-8 et TNF-R55 et TNF-R75)dans le plasma et les expectorations de patients atteints deBPCO (VEMS moyen 56 %, n = 18) et de patients fumeursayant une fonction respiratoire normale [11]. Ces auteurs onttrouvé une élévation des marqueurs d’inflammation dans lesexpectorations des patients atteints de BPCO par rapport auxfumeurs ; il n’y avait, par contre, aucune corrélation entre lesconcentrations des différents marqueurs analysés dans le sérumet dans les expectorations. Ces résultats semblent indiquer quela fuite plasmatique de médiateurs inflammatoires produits auniveau pulmonaire n’explique pas la présence d’une inflamma-tion systémique chez les patients atteints de BPCO [11].

Takabatake et coll. ont mesuré les taux plasmatiques desrécepteurs TNF-R55 et TNF-R75 chez 27 patients atteints deBPCO (VEMS moyen 52 %) [12]. Ces auteurs ont mis en évi-dence une corrélation inverse entre la PaO2 et les taux sériquesde TNF-R55 et TNF-R75, suggérant que l’hypoxémie favo-rise l’apparition de l’inflammation systémique. Cette explica-tion ne rend pas compte de la présence d’une inflammationsystémique de bas grade chez les patients non hypoxémiquesatteints de BPCO.

Aronson et coll. ont étudié 1 131 patients n’ayant pas depathologie pulmonaire connue chez lesquels ils ont réalisé desépreuves fonctionnelles respiratoires et un dosage de la CRPultrasensible [13]. Ces auteurs ont montré qu’une concentra-tion plasmatique élevée de CRP était associée à un VEMSabaissé chez les patients tabagiques et non tabagiques. Cettedonnée suggère que l’élévation de la CRP puisse être généti-quement déterminée et associée à un VEMS abaissé indépen-damment de l’intoxication tabagique [13].

Conclusion

La présence de comorbidités est fréquente chez lespatients atteints de BPCO. Les cancers et les comorbiditéscardio-vasculaires contribuent largement à leur mortalité.La relation causale entre la BPCO et les maladies cardio-vasculaires reste difficile à établir, en raison de facteurs derisque communs (vieillissement, tabagisme), mais l’abais-sement du VEMS semble être un facteur de risque indé-pendant de pathologies cardio-vasculaires. Le rôle del’inflammation systémique dans la survenue des comorbi-dités cardio-vasculaires chez les patients atteints de BPCOest suspecté, mais reste à établir avec certitude. Le dépis-tage et le traitement précoce des comorbidités, en particu-lier cardio-vasculaires, pourrait avoir un impact importantsur la morbidité et la mortalité des patients atteints deBPCO.

Références

1 Pauwels RA, Buist AS, Calverley PM, Jenkins CR, Hurd SS, GOLDScientific Committee : Global strategy for the diagnosis, management,and prevention of chronic obstructive pulmonary disease. NHLBI/WHO Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease(GOLD) Workshop summary. Am J Respir Crit Care Med 2001 ; 163 :1256-76.

2 Anthonisen NR, Skeans MA, Wise RA, Manfreda J, Kanner RE,Connett JE : The effects of a smoking cessation intervention on 14.5-year mortality: a randomized clinical trial. Ann Intern Med 2005 ; 142 :233-9.

3 Calverley PM, Anderson JA, Celli B, Ferguson GT, Jenkins C, JonesPW, Yates JC, Vestbo J : Salmeterol and fluticasone propionate and sur-vival in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2007 ;356 : 775-89.

4 McGarvey LP, John M, Anderson JA, Zvarich M, Wise RA : Ascertain-ment of cause-specific mortality in COPD: operations of the TORCHClinical Endpoint Committee. Thorax 2007 ; 62 : 411-5.

5 Holguin F, Folch E, Redd SC, Mannino DM : Comorbidity and mor-tality in COPD-related hospitalizations in the United States, 1979 to2001. Chest 2005 ; 128 : 2005-11.

6 Curkendall SM, DeLuise C, Jones JK, Lanes S, Stang MR, GoehringEJ, She D : Cardiovascular disease in patients with chronic obstructivepulmonary disease, Saskatchewan Canada cardiovascular disease inCOPD patients. Ann Epidemiol 2006 ; 16 : 63-70.

7 Sin DD, Wu L, Man SF : The relationship between reduced lung func-tion and cardiovascular mortality: a population-based study and a sys-tematic review of the literature. Chest 2005 ; 127 : 1952-9.

8 Pai JK, Pischon T, Ma J, Manson JE, Hankinson SE, Joshipura K,Curhan GC, Rifai N, Cannuscio CC, Stampfer MJ, Rimm EB : Inflam-matory markers and the risk of coronary heart disease in men andwomen. N Engl J Med 2004 ; 351 : 2599-610.

9 Agusti AGN : Systemic effects of chronic obstructive pulmonary disease.Proc Am Thorac Soc 2005 ; 2 : 367-70.

10 Pinto-Plata VM, Mullerova H, Toso JF, Feudjo-Tepie M, Soriano JB,Vessey RS, Celli BR : C-reactive protein in patients with COPD,control smokers and non-smokers. Thorax 2006 ; 61 : 23-8.

14 Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 12-15

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11 Vernooy JH, Küçükaycan M, Jacobs JA, Chavannes NH, BuurmanWA, Dentener MA, Wouters EF : Local and systemic inflammation inpatients with chronic obstructive pulmonary disease: soluble tumornecrosis factor receptors are increased in sputum. Am J Respir Crit CareMed 2002 ; 166 : 1218-24.

12 Takabatake N, Nakamura H, Abe S, Inoue S, Hino T, Saito H, Yuki H,Kato S, Tomoike H : The relationship between chronic hypoxemia and

activation of the tumor necrosis factor-alpha system in patients withchronic obstructive pulmonary disease. Am J Respir Crit Care Med2000 ; 161 : 1179-84.

13 Aronson D, Roterman I, Yigla M, Kerner A, Avizohar O, Sella R, Bar-tha P, Levy Y, Markiewicz W : Inverse association between pulmonaryfunction and C-reactive protein in apparently healthy subjects. Am JRespir Crit Care Med 2006 ; 174 : 626-32.

1515© 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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