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European Joumd of Psychology of Education 1988, Vol. III, n.0 1, 3-18 Q 1988, I.S.P.A. 3 Comparaison Sociale. Stratégies Individuelles et Médiations Socio-Cognitives. Un effet de Différenciations Comportementales dans le Champ Scolaire Jean-Marc Monteil Université de Clermont Ferrand II, France Dans le but de fonder empiriquement une conception psy- ckosociale qui vise à considérer dans l’élaboration des processus cognitifs et de leurs produits, la part essentielle des variables sociales, trois expérimentations sont présentées. Obtenus dans uri paradigme expérimental manipulant de la comparaison sociaIe, des modes d‘insertion sociale et des attributions de réussite et d’bchec, les résultats font apparaître chez les sujets expérimentaux des modifications de performances en fowction des différentes insertions sociales manipuitfes. Modifications qui vont jusqu’à inverser les réussites et les échecs des sujets aux tâches scoîaires de restitution d’informations qui leurs sont proposées. Les interprétations fournies font appel à une explication qui lie le poids du contexte socio normatif évaluatif dans lequel les sujets opérent et les médiations socio-cognitives mobilisées sous les différentes insertions sociales. Les travaux expérimentaux que nous allons présenter dans cet article font partie d’un ensemble plus vaste greffé sur des préoccupations en rapport avec ce que nous appellerons provisoirement une psychologie sociale socio-cognitive. Ces préoccupations, que nous partageons avec un certain nombre d’autres auteurs (cf. Beauvois, Joule & Monteil, 1987) ne peuvent, à travers les quelques recherches exposées ici, qu’imparfaitement s’expliciter. Aussi convient-il, en dépit du niveau de généralité oii cela peut nous conduire, d’évoquer, même brièvement, le projet plus général qui sous-tend ces travaux. Jusqu’ici l’intérêt que nous portions aux stratégies cognitives et comporte- mentales, impliquées dans les systèmes de formation et d’éducation, nous avaient amen6 à les étudfier telles qu’elles peuvent être régulées par différents dispositifs de formation (explicites ou implicites) qu’un appareil ,social (en l’occurrence socio4ducatif) peut mettre ou laisser mettre en place pour former des hommes (Monteil, 1985, 1986). Etudiées selon des méthodes descriptives sur la base à‘observations armées, ces stratégies nous avaient permis, par la mise au jour de comportements et de conduites gouvernés par des dynamiques, que nous identi- fierons globalement comme des dynamiques de différenciation, de nous poser le problème de la nature et du sens de la relation existant entre des variables sociales et cles dimensions individuelles et inter-individuelles dans l’activité cogni- tive d’un individu inséré dans un dispositif social donné (ici de formation ou d’édu- cation). Une première approche de ce problème a été réalisée dans une expérimen-

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European Joumd of Psychology of Education 1988, Vol. III, n.0 1, 3-18 Q 1988, I.S.P.A.

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Comparaison Sociale. Stratégies Individuelles et Médiations Socio-Cognitives. Un effet de Différenciations Comportementales dans le Champ Scolaire

Jean-Marc Monteil Université de Clermont Ferrand I I , France

Dans le but de fonder empiriquement une conception psy- ckosociale qui vise à considérer dans l’élaboration des processus cognitifs et de leurs produits, la part essentielle des variables sociales, trois expérimentations sont présentées. Obtenus dans uri paradigme expérimental manipulant de la comparaison sociaIe, des modes d‘insertion sociale et des attributions de réussite et d’bchec, les résultats font apparaître chez les sujets expérimentaux des modifications de performances en fowction des différentes insertions sociales manipuitfes. Modifications qui vont jusqu’à inverser les réussites et les échecs des sujets aux tâches scoîaires de restitution d’informations qui leurs sont proposées. Les interprétations fournies font appel à une explication qui lie le poids du contexte socio normatif évaluatif dans lequel les sujets opérent et les médiations socio-cognitives mobilisées sous les différentes insertions sociales.

Les travaux expérimentaux que nous allons présenter dans cet article font partie d’un ensemble plus vaste greffé sur des préoccupations en rapport avec ce que nous appellerons provisoirement une psychologie sociale socio-cognitive. Ces préoccupations, que nous partageons avec un certain nombre d’autres auteurs (cf. Beauvois, Joule & Monteil, 1987) ne peuvent, à travers les quelques recherches exposées ici, qu’imparfaitement s’expliciter. Aussi convient-il, en dépit du niveau de généralité oii cela peut nous conduire, d’évoquer, même brièvement, le projet plus général qui sous-tend ces travaux.

Jusqu’ici l’intérêt que nous portions aux stratégies cognitives et comporte- mentales, impliquées dans les systèmes de formation et d’éducation, nous avaient amen6 à les étudfier telles qu’elles peuvent être régulées par différents dispositifs de formation (explicites ou implicites) qu’un appareil ,social (en l’occurrence socio4ducatif) peut mettre ou laisser mettre en place pour former des hommes (Monteil, 1985, 1986). Etudiées selon des méthodes descriptives sur la base à‘observations armées, ces stratégies nous avaient permis, par la mise au jour de comportements et de conduites gouvernés par des dynamiques, que nous identi- fierons globalement comme des dynamiques de différenciation, de nous poser le problème de la nature et du sens de la relation existant entre des variables sociales et cles dimensions individuelles et inter-individuelles dans l’activité cogni- tive d’un individu inséré dans un dispositif social donné (ici de formation ou d’édu- cation). Une première approche de ce problème a été réalisée dans une expérimen-

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tation visant à montrer les effets différenciés des appartenances idéologiques sur 1’6valuation de comportements scolaires selon le mode d‘insertion social expéri- mentalement manipu16 des évaluateurs (Monteil, Bavent & Lacassagne, 1986),. Les résultats obtenus soulignaient l’étroitesse du rapport entre dispositif social et activité cognitive lors de tâches gvaluatives marquant ainsi l’inter-détermination (psychologique et sociale) de certains comportements. Cependant, si à peu près personne ne nie plus aujourd’hui les relations qui peuvent exister entre variables de type social et dynamique intra-individuelle par exemple, tout n’est pas pour autant clair quant au statut qu’il convient d’accorder à ces variables de type social. En effet, demeure le problème du choix des modèles explicatifs de référence utilisés pour l’étude des activités cognitives et des conduites en rapport avec les domaines d’acquisition, de gestion ou de production de connaissances.

Notre problématique actuelle et les chantiers expérimentaux et quasi-expé- rimentaux qu’elle commande, visent à définir, pour l’étude de ces domaines, une perspective de recherche qui articule, d’un point de vue fondamental, plusieurs niveaux d’analyse et d’explications (intra-individuelle, inter-individuelle, positionne1 et idéologique). En ce sens nous nous situons résolument dans une épistémologie psychosociale, telle que Doise (1982) a pu l’axiomatiser. La poursuite de cet objectif, notamment dans le domaine des constructions cognitives et plus générale ment de l’éducation, ne fait pas l’objet d’une démarche solitaire. En effet, dans ses développements récents et sur la base de réflexions épistémologiques, th&ri- ques et méthodologiques nouvelles, la psychologie sociale génktique aborde des aspects souvent négligés de certaines dimensions socio-pédagogiques des situations d’acquisitions de Connaissances (cf. pour revue Mugny, 1985). De nombreux cher- cheurs attachés à ce courant (e. g. Gilly, 1985; Mugny, 1985; Perret-Clermont, 1985)

des constructions cognitives, à considérer, par exemple le rôle des pairs, de l’adulte, des positions et statuts sociaux.. .

Si ces différents aspects apparaissent, en effet, susceptibles de structurer de manière spécifique les espaces sooio-cognitifs au sein desquels s’exercent, par exemple, les activitks d’enseignement et d‘education et ainsi de participer de et à l’activité de connaissances des sujets inscnits dans ces espaces, il convient cependant de discuter la façon de les prendre en compte pour fonder une perspec- tive résolument psychosociale. Si le courant auquel nous Ifaisions précédemment référence a bien intégré à titre essentiel l’importance des variables sociales il est loin d’être evident que ceIa soit toujours le cas dans le domaine plus large d’une psychologie sociale de l’éducation. C’est la raison pour laquelle il peut être utile de spécifier le statut théorique à accorder à ce qu’il est convenu d’appeler les variables sociales.

soulignent l’importance qu’il y a, pour Ia recherche fondamentale en psychologie

Pour une démarche psychosociale

Considérées à titre de facteurs extrinsèques, les variables sociales ne sont ni plus ni moins que des stimuli qui, selon le cas, peuvent être facilitateurs, neutres ou inhibiteurs de tel ou tel comportement ou de telle ou telle conduite. Dans cette «conception extrinséque)) la démarche théorique et méthodologique impliquée consiste à indiffdrencier la d6termination sociale des conduites et comportements de leur gestion cognitive dans la mesure où les déterminants ne sont que des stimuli parmi d’autres: ce qui, dans un modèle explicatif de type binaire entraîne l’adoption d’un niveau d’explication ou prkdomine l’intra- individuel. Les rapports de position ou de statut définis par les variables sociales ne sont alors jamais appréhendés dans une perspective d’articulation de niveaux

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d‘explicatioris (Doise, 1982). Dès lors, la référence théorique considérée, même si elle est <affirmée psychosociale, n’a de social que les attributs des variables manipulées dans les paradigmes expérimentaux.

Dans le secteur des conduites *scolaires par exemple et cette fois-ci dans une visee plus pragmatique, le primat accordé au niveau intra-individuel sature les explications et concourre à la mise en oeuvre d‘un mécanisme de psychologisation qui prend en point de mire les caracgristiques individuelles d’intelligence et de personnalité pour connaître, expliquer ou prédire le comportement de quelqu’un (Leyens, 1983). Les produits de ce meScanisme (par exemple explication des échecs et réussites scolaires en termes de traits de personnalité) nourrissent des élabe rations évaluatives ulténieures participant ainsi au renforcement même de la psychologisation et à la mise en place de catégorisation sur des bases largement stéréotypiques. L‘ensemble de cette dynamique socio-cognitive favorise ainsi la construction de matrices sacio-normatives à l’aune desquelles seront évalués comportements et conduites observées.

Le niveau d‘explication intra-individuel conduit donc à rechercher les causalités clans les caractéristiques idiosyncrasiques du sujet ou dans les pro- priétes intrinsèques des objets en tant que ces objets constituent un point d’application et de mesure des capacités supposées du sujet. L‘ensemble de la conception explicative est alors intégrée dans un paradigme théorique largement référé au modèle de l’homme processeur d‘informations et décideur libre, ce que Beauvois (1984) nomme le sujet de la connaissance. Dans un modèle explicatif de ce type Ies variables sociales ne sont 6inalement considédes que comme des éléments de l’environnement à rattacher aux propriétés de l’objet, on retrouve ici, d’une certaine façon, le courant contextualiste (cf. Tiberghien, 1985).

Dans la logique de cette approche, la démarche experimentale consiste en des ajouts successifs de Variables sociales, les études dites psychosociales n’étant rien d‘autres que des études de psychologie expérimentale &nérale du traitement d’une information ou d‘un problème tenu pour social.

Aborder le problème g6néral des processus de connaissance d’un point de vue psycho-social suppose, à notre sens, de ne plus considérer l’univers cognitif cornme gouverné par des lois binaires et façonné par des dichotomies, mais au contraire d‘adopter un principe ternaire que chacun s’accorde à considérer aujourd’hui comme un principe psycho-social de base (Moscovici, 1984). Principe où l’alter, ici le social, est constitutif des modèles qui en découlent.

Dès lors, dans une problèmatique de type ternaire le ‘statut du social ne peut être selon le mot de Gilly (1985) que consubstanaiel au(x) mécanisme(s) psychola gique(s) dont on étudie le fonctionnement, l’élaboration ou les produits. On franchit le pas d’une psychologie sociale où les variables sont considérées à titre de facteurs (source de variation extrinséque) à une psychologie sociale où elles appartiennent, par leur articulation avec d’!autres, à l’explication causale. L’adhésion à une orientation de recherche adossée à ce principe ternaire ne suffit cependant pas à fonder un point de vue psychosocial unique. En effet toute problématique ternaire suppose une mddiation entre le sujet et l’objet et, comme le remarque Beauvois (19871, cette nécessité mediationnelle peut recouvrir des points de vue très différents. Plus précisément Beauvois suggère de poser cette médiation A l’un ou l’autre de deux pôles: le pôle des significations, le pôle des conduites nécessaires. Considérons pour aller vite que le pôle des significations contient par exemple le langage, les savoirs, les doctrines etc ... quant aux conduites nécessaires ce sont celles, toujours selon Beauvois, que la structure sociale impose au sujet daris le rapport à l’objet. C’est-à-dire, par exemple, oeiles qui sont impliquées par les structures organisationnelles ou institutionnelles (organisation du travail, relation maître élèves etc.. .). Aussi s’agit-il, évidemment de conduites sociale-

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ment nécessaires et non pas de conduites universelles. En d’autres termes ces conduites nécessaires définies par les propriétés du rapport à l’objet font de la structure et du cadre social de référence, dans lesquels s’exerce l’activité du sujet, une variable constitutive des élaborations cognitives, des comporte- ments et performances du sujet. Dès lors, les éléments de la structure sociale, les normes et valeurs qui supportent tel ou tel type d’organisation sociale, ne peuvent plus être considérés comme de simples facteurs (des sources de variations extrinskques). Ainsi et par exemple, les conduites qui rksultent d’une certaine forme d’organisation des relations à l’intérieur de l’kcole (la place du bon et du niauvais élève). peuvent fournir une base comportementale qui constitue tout autant que les significations et les savoirs une mediation entre l’individu et l’objet susceptible d’affecter le processus de connaissance.

C’est pourquoi, au niveau de généralité où nous nous situons, nous pouvons considérer, qu’une fois admise l’idée que l’adoption d’un principe ternaire implique de considérer les variables sooiales comme consubstantielles au(x) mécanisme(s) que l’on étudie, deux positions demeurent possibles. L‘une qui accorderait le primat aux médiations de signification orientant ses paradigmes expérimentaux et ses choix méthodologiques en direction de l’étude des représentations et des processus cognitifs. L‘autre qui accorderait le primat aux conduites socialement nécessaires orientant ses paradigmes expérimentaux et ses choix méthodologiques en direction de l‘étude des processus socio-cognitifs, c’est-à-dire les processus et les mécanismes de connaissance en tant qu’ils relèvent des proprietés nécessaires du rapport à l’objet. Aussi s’agit41 d’une psychologie sociale dont l’approche cognitive implique l’objet et les conditions sociales du rapport à l’objet.

Cette consideration de l’objet et des conditions sociales du rapport à l’objet va nous permettre ici de chercher à répondre à l’invitation des chercheurs de psychologie sociale génétique, de prendre en compte les aspects souvent négligés de certaines dimensions du champ éducatif (rôles des pairs, position, statut etc.. .).

Les travaux que nous allms présenter vont donc, dans leurs paradigmes expérimentaux, essayer de fournir au lsujct les bases comportementales à partir desquelles il pourra alimenter son processus de connaissance. La réalisation de cet objectif s’accomplira, pour plusieurs raisons, dans le cadre d’une problématique générale de la différenoiation sociale. D’abord parce qu’il s’agit d’une problé- matique fondamentale de la psychologie sociale expérimentale (cf. pour revue Codol, 1984) qui a permis et permet d’étudier de nombreuses stratégies tant individuelles, qu’inter-individuelles ou intergroupes. Ensuite parce qu’il s’agit d’une problématique qui met en oeuvre des théories de la comparaison sociale. Compa- raison sociale dont on connait le caractère réaliste et dont on sait avec quelle facilité il est possible de l’évoquer ou de la provoquzr par simple mise en relation d’individus. De plus, comme le note Rijsman (1983), cette comparaison n’est pas réductible à un seul type de comportement et peut s’exprimer de plusieurs façons qui dépendent de l’utilisation de paradigmes expérimentaux particuliers et des méthodes de comparaison qui sont utilisées. C’est ainsi que l’homme de Festinger (1954) vise à la convergence des opinions, l’homme de Codol (1973) joue la confor- mité supérieure de soi et l’homme de Lemaine (1966, 1974) recherche parfois l’incomparabilité.

Partant donc de cette problématique de la diffkrenciation sociale nous allons chercher à montrer comment un processus de comparaison (dont les caractéristi- ques seront spécifiées plus loin) peut être déterminé par les conduites socialement nécessaires qui struoturent la connaissance du sujet sur les situations qu’il est amené à vivre. Notre !intérêt ne sera pas tant ici de chercher l’explication d’un phénomène dans la connaissance issue des significations associées aux propriétés intrinsèques de l’objet, que dans la connaissance issue du rapport à l’objet. Ce

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rapport pouvant passer soit par la médiation de conduites socialement nécessaires soit par des attributions de significations accordées à l’objet.

On présentera donc une première expérimentation dans laquelle ce qui tiendra lieu de variables dépendantes sera constitué par les stratégies comportementales adoptées par des sujets. Ces stratégies seront repérées par des écarts de perfor- mances entre des situations caractérisées à la fois par des modes d’insertion sociale et des niveaux de Performances de départ différents (ici des niveaux scolaires) des sujets concernés.

Compte tenu de ce qui précéde et qui indique que le processus de connaissance d’un sujet est aussi médiatké par des conduites socialement nécessaires, c’est- L-dire par WI rapport nécessaire à l’objet, l’un des déterminants de ces stratégies comportementales sera l’introduction et la manipulation d’une comparaison sociale personnelle. Comparaison (sociale personnelle que nous définissons après Rijsman (1983) comme une comparaison entièrement basée sur un feed-back relatif au(x) mérite(s) des sujets.

L‘hypothèse générale soumise au traitement expérimental s’énonce ainsi: Les écarts de performances introduits par les modes d’’insertion sociale en

fonction des niveaux de départ des sujets ne seront pas seulement différents mais iront dans des sens différents selon que les sujets seront ou non en situation de comparaison sociale personnelle. En effet, si la comparaison sociale était con- sidérée comme un facteur extrinsèque, elle ne pourrait jouer que sur l’ampleur du phénomène alors que, considése comme consubstantielle de la stratégie, elle participe au fondement même du phénomène. Ainsi et par exemple, un sujet en réussite en mode d‘insertion individualisant aura en situation de comparaison sociale des performances supérieures à celles obtenues en situation de non-com- paraison, alors que le même sujet en mode d’insertion anonymant aura des performances plus faibles en comparaison qu’en non-comparaison.

Dans l a perspective de la confirmation de cette hypothèse, on aura identifié une variable sociale participant à titre essentiel à un mécanisme cognitif intra- individuel (en l’occurrence l’élaboration d‘une stratégie). Dès lors on pourra considérer qu’une variable sociale peut avoir un statut, de fait et de droit, équivalent Èt celui des caractéristiques humaines idiosyncrasiques et de l’espèce.

Cela nous conduira, ultérieurement, à traiter expérimentalement l’articulation des caractères manipulés (mode d’insertion et niveau de départ) pour mettre en oeuvre la si ratégie comportemen’tale et pour analyser leur pertinence au regard des phénomènes observés (la différence des écarts de performances). Mais pour l’heure, présentons notre première expérimentation.

Expérience 1.

Méthode

Sujets. La population expérimentale est composée d’élèves masculins qui fréquentent des classes de quatrième de l’enseignement secondaire français et qui appartiennent à des groupes de niveaux scolaires différents (niveau II et niveau IV qui correspondent à des performances élevées dans le premier cas et à des performances faibles dans le second cas). Nous identifierons cette variable invoquée comme une variable de niveau scolaire à deux modalités (réussite vs échec). L’échantilloii extrait de cette population est égal à N=64 répartie en 32 niveau II et 32 niveau IV.

La situation expérimentale est supportée par un même cours de biologie donné par un même professeur à des groupes de huit élèves (4 élèves en réussite

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scolaipe, 4 élèves en échec scolaire) dans plusieurs collèges comparables d’une même région.

Les variables et leur opérationalisation. La V.I. comparaison sociale per- sonnelle vs non comparaison sociale personnelle est opérationnalisée de la manière suivante. En condition avec comparaison il est dit publiquement, et de manière identifiée, aux sujets (qui, issus de différentes classes, ignorent leur niveau respectif), que les uns appartiennent aux niveaux II et les autres aux niveaux IV (ce qui correspond à la réalité). Dans la condition sans comparaison est dit au contraire aux sujets qu’ils appartiennent au même niveau, sans précision de ce niveau (ce qui ne correspond pas à la réalité).

La V.I. mode d’insertion sociale est opérationnalisée par l’opérateur principal (en l’occurrence le professeur chargé du cours), juste avant qu’il ne delivre un exposé de biologie de quarante cinq minutes. En modalité insertion anonymante (IO) il est dit aux élèves que nul ne sera interrogé pendant la durée du cours. En modalité insertion individualisante (Il) est dit au contraire aux élèves que chacun sera interrogé pendant le déroulement du cours. En fait dans aucune de ces conditions les sujets ne seront sollicités, le professeur s’en excusant à la fin de son expose en invoquant un manque de temps. On obtient donc un plan factoriel croisant trois V.I. à deux modalités chacune avec tirage au sort de huit groupes indépendants de huit sujets.

La demi-journée suivante une interrogation écrite composée de dix questions portant strictement sur le cours délivré est organisée. Elle est corrigée à l’aveugle selon un barème précis par quatre professeurs de Biologie, chacun des correcteurs disposant de l’ensemble des copies distribu& dans quatre ordres différents, les conditions expérimentales étant préalablement repérées.

La variable dépendante correspond, selon les modes d’insertion sociale qui engendrent soit de l’anonymat soit de l’individualité, à l’écart entre les différences de performances obtenues par les élèves en échec scolaire et celles obtenues par les &lèves en réussite scolaire.

Hypothèse opérationnelle. On attend une interaction double. En effet dans l‘hypothèse d’une interaction si(mp1e entre le mode d’insertion et le niveau scolaire (réussite/échec), la comparaison sociale personnelle ne serait qu’un fadeur extrinsèque puisque ne faisant qu’amplifier ou diminuer le phénomène. Alors que l’existence d’une interaction double attesterait le caractère de variable con- substantielle de la comparaison sociale personnelle au mécanisme d’élaboration d’une stratégie socio-cognitive. Plus préciskment on attend qu’il y ait une inte- raction entre niveau scolaire et mode d‘insertion sous l n condition avec comparaison sociale et qu’il n‘y en ait pas sous la condition sans comparaison sociale. En effet, la comparaison sociale est de nature à accroître le poids des contextes évaluatifs.

Résultats et interprétation

Conformément à l’hypothèse on obtient une interaction d’ordre deux. (Cf. fig. 1 et les résultats de l’analyse de variance en annexe). La condition sans comparaison traduit un effet principal de la variable Niveau scolaire (réussite/ /échec), ce qui n’a rien d'sonnant les sujets répondant conformément aux attentes habituelles du système évaluatif auquel ils sont confrontés dans leur vie scolaire ordinaire. Ici le mode d’insertion social ne joue pas. En revanche dans la situation comparaison les stratégies comporlementales exprimées par les écarts de performances entre modes d’insertions sont significativement diffk- renciées selon que l’on est en réussite ou en échec (méthode de contrastes: p < .01).

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Figure 1: Mmns scores on the written çontrol task following the teacher's lesson. Interaction between comparison, Social insertion and Academic level.

NOTEY20

16- Réussi t e i i Réussite *r / \

11- \

10- \

c- \

8-

7-

\

\

\

Echec ', Echec -A -

I I 1 I

Inser-An0 1 d e r - Ind 1 nser -An0 Inser-Ind

SANS COMPARAISON AVEC COMPARAISON

Figure 1: Scores moyens au controle écrit consécutif à l'exposé de l'enseignant. Effet des interactions entre les facteurs comparaison, (avec/sans), «Insertion, (anonymantelindividualismte) et «niveau s,colaire» (réussite/échec).

Tout se passe comme si le mode d'insertion anonymant avait un effet d'annihilation de la soumission aux attentes sociales habituelles. L'écart entre les sujets en réussite et en échec est, en effet, significativement plus faible en mode d'insertion anonymant qu'en mode d'insertion individualisant. En mode d'insertion anony- mant on peut considérer, en raison même de l'anonymat, que la pression sociale est faible et que, dès lors, les conduites socialemient nécessaires ne sont pas mobilisées. Seuls demeurent les variables idiosyncrasiqEes et celles relevant de l'histoire du sujet pour expliquer le résidu d'écart entre bons et mauvais élèves. Dans le cas du mode d'insertion individualisant les écarts sont au contraire fortement accusés entre réussite et échec. Tout se passe comme si les bons élèves se surpassaient pour répondre aux attentes. La comparaison extrémisant la perception de ces attentes, ici scolaires, les conduites socialement nécessaires (répondre bien quand on est bon) deviennent encore plus necessaires. Les mauvais élèves, quant à eux, répondent à ces mêmes attentes en étant conformes à leurs performances les plus faibles.

Conclusion jmctuelle et provisoire

Cette première expérimentation qui s'appuie sur des différences de niveaux scolaires prk-existants chez les sujets, tend d'une part à confirmer qu'une variable sociale (ici la comparaison) peut participer de plein droit à l'élaboration cognitive et d'autre part à montrer que la manipulation de données sociales, en l'occurrence

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des modes d'insertion, des niveaux de réussite et d'échec (ici constatés) et de la comparaison, détermine le caractère socialement nécessaire des conduites, attesté ici par les performances réalisées. Il convient de noter enfin, et peut-être n'estce pas négligeable, que cette manipulation a permis d'obtenir des perfor- mances scolaires de niveau presque équivalent chez des élèves étiquetés comme potentiellement bons ou mauvais.

Toutefois, pour étudier de manière plus précise les mécanismes à l'oeuvre dans l'établissement des stratégies ici constatées, il est indispensable de réaliser cette expérimentation dans une situation où les sources de variations considérées comme déterminantes sont toutes provoqukes. On s'est donc appliqué à réaliser une nouvelle expérimenta'tion dans laquelle la variable niveau scolaire (réussite vs échec) a un statut non plus de variable invoquée mais de variable provoquée.

Expérience II.

Méthode

A partir d'une tâche leurre, 'la description Scrite d'une paramécie colorée, préalablement observke au microscope, on attribue publiquement et aléatoirement de la réussite vs de l'échec à des sujets expérimentaux. Ces sujets ( N = 32) sont toujours des élèves de quatrième de l'enseignement français, et sont tous de niveau scolaire équivalent et élevé.

Le déroulement de l'expérience est en tout point identique à celui de l'expérience princeps. S'agissant de \ érifier expérimentalement l'existence du mécanisme mis au jour, seule la condition comparaison sociale est opérationna- lisée. Nous avons quatre groupes indlépendants de huit sujets dans un plan factoriel 2 x 2.

Hypothèses

Conformément aux premiers résultats obtenus il est conjecturé: 1) Que le mode d'insertion anonymant annule les conséquences de l'attribution

de réussite et d'échec. En effet, étant donné l'absence de différence imputable au niveau scolaire des élèves (puisque tirés 'au sort à partir d'un échantillon de sujets de niveau identique) le résidu d'écart de performance observé en situation naturelle n'a plus de raison d'être.

2) Que le mode d'insertion individualisant produift des conduites en confor- mité avec le mode de réponse en vigueur dans l'école: les sujets etiquetés en réussite obtiennent des performances élevées, les sujets étiquetés en échec obtiennent des performances plus faibles. Autrement dit on attend que le mode d'insertion individualisant produise des écarts significatifs entre les performances des élèves auxquels on a attribué de l'échec et celles de ceux auxquels on a attribué de la réussite. On prédit donc une interaction mode d'insertion/attribution de réussite QU d'échec dont la forme apparait dans la figure 2.

Résultats

Conformément à l'hypothèse on constate une interaction entre le mode d'insertion et l'attribution de réussite et d'échec ( F = 104, p < .001). Cette interaction (cf. Fig. 3) va dans le sens d'une augmentation des écarts entre les sujets auxquels on a attribué de la réussite et ceux auxquels on a attribué de l'échec en mode d'insertion individualisant. En revanche, en mode d'insertion anonymant, et con-

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COMPARAISON SOCIALE ET MEDIATIONS SOCIO-COGNITIVES 1 1

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Figure 2: Expected interaction between Social insertion and Attribution of success on the control task scores.

Réussi te NOTE / 2 0

Réussi te

\ \ \ \ \ \

\ Echec ' 8

\ \ \ \ \ \

\ Echec ' 8

I I I

Insert ion Anonymante

Insert ion Individualisante

Figure 2: Interaction .attendue entre les variables «mode d'insertion, et «niveau attribué, (échec/réussite) sur les performances à l'épreuve de contrôle.

Figure 3: Interaction between Social insertion and Attribution of success on the control task scores.

NOTE / 2 O Réussi te

Echec

1 !

Insert ion I nd i v i dua 1 i San te

I

1 nser t ion Anonyman te

Figure 3: Ef Eet des interactions entre ,les variables «Insertion» et univeau attribué, sur les performances à l'épreuve de contrôle.

trairement aux attentes, une différence apparaît entre la condition réussit et la condition échec. Elle est certes plus faible qu'en insertion individualisante mais néanmoins significative (méthode des contrastes p < .01). Les sujets positivement sanctionnés réussissent moins bien que les sujets négativement sanctionnés.

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Znterprttation - discussion

En insertion individualisante, les écarts constatés et attendus confirment bien l’importance des conduites socialement nécessaires qui amènent le sujet à se conformer aux attributions de réussite ou d’échec qui lui sont faites et qui, dans l’univers scolaire, correspondent à des attentes de comportement. Sous cette condition expérimentale d’insertion individualisante, les contraintes sociales sont en !effet constamment activées par le risque permanent d’interrogation, et elles mobilisent chez le sujet des conduites en conformité avec les régles implicites ou explicites à l’oeuvre dans l’univers évaluatif de l’école, rendu ici particulièrement saillant.

Dans la condition insertion anonymante (garantie de ne pas être interrogé), il est possible de considérer ces mêmes contraintes sociales comme n’étant pas mobilisées. Dès lors, la marge de manoeuvre du sujet est accrue et donc, dans le rapport à l’objet, la part de la médiation par les conduites nécessaires diminue au profit de la part de la médiation liée à la signification. Autrement dit, la médiation assurée par les significations apparaît lorsque les contraintes sociales relâchent leur emprise, confirmant ainsi que les mCdiations efficientes dépendent de la densité des systèmes d‘emprises socio-normatifs. En l’occurrence le mode d’insertion anonymant, qui réduit - de fait - la vigueur du système d’emprise et co-exterisivement accroît la ,laxité de la situation, augmente la part de signification attribuable par le sujet à l’objet. Ainsi le sujet attribue une valeur de sanction négative à l’anonymat lorsqu’il est en position de réussite, alors qu’il lui atti.ibue une valeur positive lorsqu’il est en position d’échec. Une fois l’information traitée selon le codage de cette valeur, le système d’emprise social reprend ses droits et détermine le rapport du sujet à l’objet, lequel sujet se conforme aux règles qu’il vient d’identifier (je suis sanctionné positivement je réussis, je suis sanctionné négativement, j‘échoue). Le sujet vient ici en quelque sorte de participer à Télabol. ration d u cadre psychosocial qui régit ses conduites.

En résumé, l’observation du phénomène, constaté pour partie en condition naturelle, et répliqué ici en condition de type laboratoire, permet:

1) D’un point de vue pragmatique, de considérer l’expérience réalisée comme un système de production de bons et de mauvais élèves par la modalité insertion individualisante et par sa modalité anonymante comme un système susceptible de supporter la mise en oeuvre d’un dispositif capable d’inverser les dynamiques d‘échec et de réussite. Cette considération ne doit cependant pas être entendue comm’e dotée d’une portée pédagogique opératoire et ceci pour des raisons qui tiennent à la fois à la complexité des situations pédagogiques réelles, et à la ponctualité du traitement expérimental opéré ici. Néanmoins, peut-être est-il possible de remarquer qu’un même mode d‘insertion social utilisé en pédagogie peut, selon les situations qui le supportent, produire des effets inverses.

2 ) D’un point de vue théorique, d’accorder un certain crédit à l‘hypothèse de la consubstantialité de certaines variables sociales (ici comparaison sociale, mode d’insertion, attribution de valeur) aux mécanismes qui supportent l’élabo- ration de stratégies cognitives. De plus, les résultats obtenus semblent permettre d’avancer une explication selon laquelle la vigueur du contrôle des systèmes d’emprise sociale déterminerait la part relative des différentes médiations utili- sées pour élaborer des stratégies cognitives et donc alimenter un processus de connaissance. Dans les situations fortement structurées, la part de la médiation des conduites socialement nécessaires dominerait alors que, dans les situations faiblement structurées, la part des médiations de signification augmenterait.

Par extension on pourrait s’attendre à ce que les sujets à valeur sociale attribuée positive recherchent des situations sociales dans lesquelles l’individualité

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COMPARAISON SOCIALE ET MEDIATIONS SOCIO-COGNITIVES 13

et la liberté d'action serait maximale alors que les sujets à valeur sociale attribuée négative recherchent des situations sociales fortement réglementées et structurées dans lesquelles prédomine l'anonymat. Dans le prolongement logique de cette géné- ralisation nous avons pu faire l'hypothèse (Monteil, 1987) que l'adhésion à des systèmes idéologiques en rapport avec des modes d'insertions du type de ceux abordés ici, ne dépendrait pas des propriétés intrinsèques de ces systèmes idéo- logiques mais de l'intérêt du sujet en fonction de la position qu'il occupe à un moment donné de son histoire sociale. En d'autres termes le traitement cognitif des espaces sociaux ne serait pas gouverné par une rationalité liée à ces espaces mais par la valeur que le sujet leur attribue en fonction des conduites sociales qu'ils sont susceptibles de lui permettre et des renforcements qu'il escompte en retirer. C'est pourquoi nous faisons ici i'hypothèse que le mécanisme psychosocio- cognitif que nous venons de repérer, sera d'autant plus actif que l'objet sur lequel i: s'applique présentera des caractéristiques d'enjeu social fort.

Les disciplines scolaires comme espaces socio-cognitifs valués: Expérience III.

Pour mettre à l'épreuve des faits l'hypothèse précédemment émise nous avons considéré que les disciptines d'enseignement socialement-scolairement valo- risées étaient susceptibles de fournir une base d'expression plus forte pour le mécanisme observé, que celles plus neutres ou dévalorisées. On peut penser que la perception, par les individus, d'une hiérarchie des dimsciplines scolaires fait fonctionner l'école comme le lieu d'une réfraction des valeurs socialement attri- buées à chacune de ces disciplines par le discours et les pratiques culturelles dominantes. En effet, en l'état actuel de nos connaissances en psychologie cogni- tive, aucun argument scientifique ne permet de fonder une hiérarchie des disci- plines sur une hiérarchie des opérations impliquées par telle ou telle. D'autant que l'on a pu montrer (Simon, 1982). qu'une catégorisation simple des savoirs disciplinaires qui serait en correspondance avec des compétences cognitives spé- cifiques requises pour le ,traitement de leur contenu était sans fondement empi- rique. Du point de vue de l'épistémologie cognitive aucune différence fonda- mentale ne permet de distinguer les processus de traitement requis par la construction et le maniement des différents savoirs, même quand ils renvoient à des connaissances procédurales et déclaratives diversYfiées (ensemble de règles et d'informations trait6es dans un énoncé logicemathématique et dans un énoncé littéraire). Ce n'est donc pas à des raisons tenant aux modalités de traite- ment cognitif des différents types de savoir qu'est imputable l'organisation hiérarchique institutionnelle des savoirs disciplinaires gérés à l'école.

Conform6ment à nos positions théoriques de départ, il nous apparaît que c'est bien 1 'explication psychosociale, par 'sa vocation à intégrer des variables à plusieurs niveaux de détermination qui peut être invoquée pour avancer un autre type d'hypothese. Ce serait la réfraction des valeurs sociales dans l'école et pariant sur les savoirs disciplinaires, qui, en organiserait une perception hiérarchique déterminée, dans sa forme, par des systèmes de valuation idéologique. Ii semble donc pertinent de conjecturer que l'individu opère des transactions avec les savoirs disciplinaires par le rapport socialement nécessaire qu'il entretient avec eux au travers des enjeux sociaux auxquels correspondent ces savoirs. Dans cette perspective le savoir n'est plus considéré seulement dans sa dimension générique niais aussi comme un objet spécifié par les conditions sociales sous lesquelles sa perception est mobilisée dans l'action par l'intervention de sys-

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tèmes d’évaluation liés aux enjeux sociaux dont cet objet rend compte. On est, de ce fait, en présence non plus seulement d’un savoir générique, mais de savoirs différenciés. Le psychologue social peut dès lors accorder un intérêt tout par- ticulier aux conduites du sujet inscri,t dans un rapport à ces ‘savoirs.

C’est pourquoi, dans une dernière expérimentation nous allons faire fonctionner le mécanisme de comparaison précédemment repéré, dont on a vu combien il était différenciateur de conduites. L‘hypothèse générale soumise au traitement expérimental s’énonce donc ainsi: le mécanisme de comparaison sociacognitif affectera d’autant plus fortement les performances du sujet que l’objet sur lequel il s’applique sera plus chargé de valeur par l’enjeu qu’il représente, et ceci dans un cadre social où cela à un sens.

Méthode

La procédure expérimentale dans son déroulement et ‘ses variables est en tout point identique à celle de l’expérience précédente, elle s’applique simplement dans quatre d)isciplines au lieu d’une seule (Mathématiques, Biologie, Histoire- Géographie, Education manuelle et technique}. Disciplines qui font d’ailleurs l‘objet d‘une évaluation hiérarchisée dans l’univers scolaire, aussi bien pour les élèves que pour les parents (Chambon, 1984), hiérarchie correspondant à l’ordre de présentation ci-dessus.

Les tâches leurres servant de support à l’attribution des sanctions (réussite vs échec) sont évidemment (comme dans le paradigme de base en biologie avec l’observation de la paramécie), par leur nature, en correspondance avec la dis- cipline traitée. Quatre groupes tirés au hasard d‘un échantillon de N = 128, sont affectés aléatoirement aux quatre disciplines.

Hypothèse

Nous attendons que l’interaction mode d’insertion/attribution de réussite ou d‘échec se manifeste d’autant plus fortement que la tâche concernera des disciplines socialement scolairement valorisées. Dans l’(impossibilité ou nous nous ‘trouvons de comparer direotement des scores obtenus à des épreuves, certes de même type, mais nécessairement différentes en raison de la diversité des discipliines (Mathématiques, Biologie, Histoire-Géographie, Education manuelle et technique),, nous prendrons comme indicateur le pourcentage de la variance totale, associé à chaque étude disciplinaire et nous chercherons à mon’trer que ce pourcentage, estimation du «poids» concernant l’interaction qui nous intéresse ici, croit en fonction directe de la valorisation de la discipline. En résumé, on devrait observer une part croissante de variance totale associée à l’interaction I x S selon l’ordre disciplinaire suivant: Education manuelle et technique, Histoire- Géographie, Biologie, Mathématiques.

Résultats

Les effets d’interaction sont statistiquement significatifs en maths (F = 133,2; p < .ûûl), biologie (F = 84,4; p < .OfIl) et Histoire-géographie (F = 10,39; p < W). Les résultats vont par ailleurs en tous points dans le ‘sens de l’hypothèse avancée:

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COMPARAISON SOCIALE ET MEDIATIONS SOCIO-COGNITIVES 15

Figure 4: Interaction between Social insertion and Attribution of success on the c&trol task scores, depending on the subject matter.

\ \ \

\ E ‘. ! !

R

y . \

E -0

! !

P

E

! I

Ins-An0 Ins-Ind Ins-Ano Ins-Ind Ins-Ano Ins-Ind Ins-Ano Ins-Ind

MATH BIOLOGIE HIST-GE0 E.M.T.

Figure 4: Effet de l’interaction entre les variables cinsertionu et aiveau attribué» (réussite/échec) sur les performances à l’épreuve de contrôle dans chacune des disciplines.

pourcentage de la variance totale associée à l’interaction mode d‘insertion attri- bution de rkusite YS échec: E.M.T. = 8.74 %, Hist-Géo = 22.79 %, Biologie = 59.90 Vo, Math = 65.25 %. Ces résultats confirment ceux des expérimentations précédentes. Ils permettent, par ailleurs, de souligner l’intérêt qu’il convient de porter aux médiations en psychologie sociale cognitive. En effet les donnees ici obtenues permettent de considérer que la part de médiation attribuable à l’un ou à l’autre des pôles de signification et de conduites nécessaires varie en fonction de la hauteur de l’enjeu c’est-à-dire en fait en fonction de la vigueur du système d’emprise sociale. C’est ainsi, par exemple, qu’en éducation manuelle et technique, ià où l’emprise est moins forte la part de signification accordée à la situation domine nettement la part de médiation accordée aux conduites socialement néces- saires. Les résultats attestent en effet, d’une part que les sujets ne se comportent pas selon les attributions qui leur sont faites et, d’autre part que le mode d‘insertion est sans effet.

Il convient de mmarquer qu’il s’agit bien ici pour les sujets d’une mise en oeuvre différenciée de conduites effectives qui sont des réactions paramétrées par l’enjeu représenté. En effet, le dispositif expérimental est conçu de telle sorte qutil ne permet pas une élaboration comparative des réponses aux situations ce qui exclut, pour le sujet, la possibilité de produire une évaluation, de porter une appréciation sur les disciplines considérées. Dès lors qu’il empêche cette élaboration comparative, le dispositif fait ressortir à travers l’expression de conduites effectives, dans une situation marquée de manière spécifique, la sensi- bilité du mécanisme de comparaison sociwognitive à la vigueur des systèmes d’emprise sociale.

On notera enfin, en une remarque discrète, que la modification éventuelle d’un compofiement scolaire dans une discipline donnée, ne dépend sans doute pas uniquement des caractéristiques idiosyncrasiques de ses ressortissants mais aussi de la modification du modèle culturel dominant à un moment donné dans une société.

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Conclusion générale

Les travaux que nous venons de présenter doivent être considérés comme l’expression d‘une démarche visant, dans une perspeotive théorique et expéri- mentale résolument psycho-sociale, à attirer l’attention sur trois points principaux:

a) le statut consubstantiel de certaines variables sociales à l’élaboration de certains mécanismes cognitifs individuels;

b), l’,importance qu’il peut y avoir à considérer plusieurs types de médiations dans le rapport du sujet à l’objet. Des médiations de signification, et des médiations comportementales;

c) l’influence de la vigueur des systèmes d’emprise sociale sur l’élaboration et la gestion de stratégies cognitives et comportementales.

Concernant le point a), si la consubstancialité de certaines variables à l’élaboration de mécanismes cognitifs doit pouvoir être retenue, il convient égale- ment de ne pas perdre de vue que nombre de variables sociales peuvent intervenir à la fois au niveau consubstantiel et à titre de facteurs (Monteil & Castel, 1987). S’agissant du point b) , prendre en compte, à titre heuristique, deux types de médiations ne signifie nullement les situer dans un rapport mutuellement exclusif. En effet comme nos résultats semblent permettre de le dire il faut plutôt les considérer comme les pôles d’une dimension supportant l’activité de connaissance du sujet.

Pour le point c) enfin, les strategies cognitives et comportementales, si elles sont régulées par des systèmes sociaux à plus ou moins fortes emprises, comme nos résultats là encore semblent pouvoir le laisser entrevoir, réclament i notre avis d’être étudikes dans une dimension temporelle, ce qui du point de vue méthodologique n’est pas sans poser de cruciaux problèmes.

Par ailleurs, si l’ensemble de ces recherches utilise comme support, voire parfois comme objet, le champ de l’éducation, les conclusions partielles que nous avons pu émettre ici et là ne doivent cependant pas être retenues comme des praxéologies potentielles mais tout au plus comme l’indice qu’une démarche péda- gogique, quelle qu’elle soit, est toujours à rapporter, pour son efficacité, aux condi- tions de ses insertions idéologiques et sociales. Enfin, au delà de cet aspect pragmatique, les résultats obtenus dans ces expérimentations semblent bien attester que c’est à travers ses conduites que le sujet peut nous révéler l’articulation existant entre des espaces socio-cognitifs et des champs d’action qui leur correspondent.

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ANNEXE ANOVA traitement expérience Z.

Source Somme des Carrés

dl carrés moyens F P ~~

A = COMP/NON-COMP B = REUSSITE/ECHEC C = ANONYM/INDIVID A * B A * C B * C A * B * C Erreur

1 1 1 1 1 1 1

56

39.06 390.06

.14 11.39 .99

45.56 50.77 20.12

39.06 108.69 c .O001 390.06 1085.39 c .O001

.14 .39 NS 11.39 31.69 c .O001 .99 2.78 NS

45.56 126.78 c .O001 50.77 141.26 < .O001 .36

Total 63 558.11

Social cornparison, individual strategias and socio-cogni- tive mediations. An effect of behavioural differenciations

at school

Three experimentations are described in order to give a bruis to an emp-rical psycho-social conception aimed at taking into consideration the essential role of social variables. The eaperimental paradigm udeals with» social comparison modes of social insertion and ustrccess-failure attributionsu. The r e

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sults show modifications in performance depending on the various social insertions that are dealt with. These modifica- tions go as far as inverting success and failure in the recom- trucfion of information asked of them in the experirnent. The interpretations are based on an explanation that links the weight of the socio-normative evaluation conitext in which sub- jects operate to the sociocognitive mediations involved in the various social insertions.

Mots clés: Médiations sociocognitives, Insertion sociale, Emprise sociale, Com-

Reçu le: Octobre 1987 Révision reçue le: Novembre 1987

paraison sociale.

Jean Marc Monteil. Laboratoire de Psychologie Sociale, Université Blaise Pascal Clermont II, 34, avenue Carnot, 63000 Clermont Fmmd.

Thèmes actuels de Recherche:

1) Insertions sociales et dynamiques socio-cognitives dans les processus d’acquisition dans le champ de l’éducation et de la formation.

2) Etude des déterminants socio-cognitifs de l’adhésion idéologique.

Publications les plus représentatives en Psychologie de 1’Education:

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