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Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 213—220 RUBRIQUE PRATIQUE Complications respiratoires après chirurgie de résection pulmonaire : nouveautés dans la prévention et la prise en charge périopératoire Pulmonary complications after thoracic surgery: New trends in prevention and patients’ management Eniko Lele a , John Diaper a , Anastase Spiliopoulos b , Jean-Marie Tschopp c , Marc Licker a,a Service d’anesthésiologie, hôpitaux universitaires de Genève, rue Micheli-du-Crest, 1211 Genève, Suisse b Service de chirurgie clinique des Grangettes, 1211 Genève, Suisse c Département de médecine interne, réseau de santé Valaisan, 3960 Sion, Suisse Disponible sur Internet le 21 juin 2009 MOTS CLÉS Chirurgie thoracique ; Complications respiratoires ; Ventilation contrôlée Résumé Les complications respiratoires représentent l’essentiel des complications post- opératoires après chirurgie thoracique. Les facteurs de risque sont l’âge, le sexe masculin, l’étendue de la résection, l’importance de la dyspnée et la dégradation des épreuves fonc- tionnelles respiratoires. La bronchoaspiration, la dysfonction diaphragmatique et le stress mécanique que subit le parenchyme pulmonaire pendant la ventilation mécanique, sont des mécanismes favorisant ces complications. La prévention passe par la prise en charge dans des centres spécialisés, des mesures préopératoires telles que l’arrêt du tabac, la renutrition et la rééducation respiratoire ainsi que par la ventilation peropératoire protectrice (réduction du volume courant) et la limitation des apports liquidiens par voie intraveineuse. En postopératoire l’analgésie péridurale ou le bloc paravertébral permettent un contrôle efficace de la douleur et la ventilation non invasive est indiquée pour certains patients à risque. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Thoracic surgery; Pulmonary complications; Summary Pulmonary complications are the main cause of postoperative complications after thoracic surgery. Risk factors are: old age, male, extent of pulmonary resection, severity of preoperative dyspnea, and major impairment in preoperative respiratory function. Gas- tric content inhalation, postoperative diaphragmatic dysfunction and pulmonary mechanical stress favor the occurrence of pulmonary complications. Management of patients in centres Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Licker). 1279-7960/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2009.05.008

Complications respiratoires après chirurgie de résection pulmonaire : nouveautés dans la prévention et la prise en charge périopératoire

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UBRIQUE PRATIQUE

omplications respiratoires après chirurgie deésection pulmonaire : nouveautés dans larévention et la prise en charge périopératoire

ulmonary complications after thoracic surgery: New trends in preventionnd patients’ management

Eniko Lelea, John Diapera, Anastase Spiliopoulosb,Jean-Marie Tschoppc, Marc Lickera,∗

a Service d’anesthésiologie, hôpitaux universitaires de Genève, rue Micheli-du-Crest,1211 Genève, Suisseb Service de chirurgie clinique des Grangettes, 1211 Genève, Suissec Département de médecine interne, réseau de santé Valaisan, 3960 Sion, Suisse

Disponible sur Internet le 21 juin 2009

MOTS CLÉSChirurgie thoracique ;Complicationsrespiratoires ;Ventilation contrôlée

Résumé Les complications respiratoires représentent l’essentiel des complications post-opératoires après chirurgie thoracique. Les facteurs de risque sont l’âge, le sexe masculin,l’étendue de la résection, l’importance de la dyspnée et la dégradation des épreuves fonc-tionnelles respiratoires. La bronchoaspiration, la dysfonction diaphragmatique et le stressmécanique que subit le parenchyme pulmonaire pendant la ventilation mécanique, sont desmécanismes favorisant ces complications. La prévention passe par la prise en charge dans descentres spécialisés, des mesures préopératoires telles que l’arrêt du tabac, la renutrition etla rééducation respiratoire ainsi que par la ventilation peropératoire protectrice (réduction duvolume courant) et la limitation des apports liquidiens par voie intraveineuse. En postopératoirel’analgésie péridurale ou le bloc paravertébral permettent un contrôle efficace de la douleuret la ventilation non invasive est indiquée pour certains patients à risque.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Pulmonary complications are the main cause of postoperative complications after

KEYWORDSThoracic surgery;Pulmonarycomplications;

thoracic surgery. Risk factors are: old age, male, extent of pulmonary resection, severityof preoperative dyspnea, and major impairment in preoperative respiratory function. Gas-tric content inhalation, postoperative diaphragmatic dysfunction and pulmonary mechanicalstress favor the occurrence of pulmonary complications. Management of patients in centres

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Licker).

279-7960/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.pratan.2009.05.008

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Controlledventilation

having developed a special expertise is mandatory. Prevention of respiratory complications isbased on smoking cessation, preoperative renutrition and respiratory physiotherapy, protectiveventilation during surgery (decrease in tidal volume) and restriction of intravenous fluid admi-nistration. Postoperatively, patient may benefit of epidural analgesia or paravertebral block forpain control and non-invasive ventilation when the risk is high.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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ntroduction

es indications de la chirurgie pulmonaire relèvent princi-alement du cancer pulmonaire « non à petites cellules »t accessoirement de séquestres infectieux, de tumeursénignes ou de bulles d’emphysème. Récemment, le champes indications opératoires s’est élargi à certains cas deésothéliome et au cancer anaplasique suite aux progrèse la radio- et chimiothérapie alors que les avancées de’imagerie thoracique (CT-scan, résonance magnétique) ontermis une détection plus précoce des cancers à ses stadesébutants.

Par conséquent, un plus grand nombre depatients bénéficient d’une chirurgie à viséecurative et la proportion des lobectomies et

segmentectomies s’est accrue aux dépens despneumonectomies.

Les résections pulmonaires pratiquées par thoracotomieont considérées comme des procédures chirurgicales detress « intermédiaire à majeur » en fonction de l’étendue dea résection (pneumonectomie, lobectomie, segmentecto-ie, résection cunéiforme) et de la voie d’abord chirurgicale

thoracotomie postérolatérale, mini-thoracotomie antérola-érale ou vidéothoracoscopie assistée). Comparée à d’autresypes de procédures, la chirurgie thoracique est grevée’une mortalité périopératoire élevée (2 à 12 %) avec unencidence de 20 à 40 % de complications non fatales repré-entées majoritairement par les arythmies (5—25 %), lestélectasies (3—10 %), les pneumonies (3—6 %), des bron-hospasmes (1—5 %), le syndrome de détresse respiratoireigue (acute lung injury, ALI, 1 à 5 %) et des fistules bron-hopleurales (1—3 %).

Le profil des patients opérés s’est modifié au course ces dernières décades : les patients sont plus âgésâge moyen 63 ans), la proportion des femmes a aug-enté (35—40 %) et les comorbidités cardiopulmonaires sontlus fréquentes (bronchopneumopathie chronique obstruc-ive chronique 30—45 %, maladie coronarienne 10—15 %,nsuffisance cardiaque 5—10 %). Jusqu’au début des années990, les causes de mortalité étaient surtout imputablesdes infarctus myocardiques, des problèmes infectieux,

es décompensations respiratoires et des hémorragies nonontrôlées ; de nos jours, la mortalité est majoritairementttribuée à des complications pulmonaires, principalement

’ALI, les pneumonies, et les fuites bronchopleurales per-istantes. L’optimisation de la condition préopératoire aargement contribué à réduire le risque cardiovasculairerâce aux techniques de revascularisation myocardique etux traitements pharmacologiques multifacétaires incluant

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es anti-agrégants plaquettaires, des bêta-bloquants, desloqueurs du système rénine-angiotensine et des statines.

Actuellement, les problèmes respiratoires aigus consti-uent à la fois les principales causes de mortalitéériopératoire, d’admission dans les unités de réanima-ion et de séjour prolongé à l’hôpital. Différentes mesureshérapeutiques peuvent réduire le risque de complicationsespiratoires au cours de la période périopératoire. Nousroposons de les décrire brièvement ainsi que les conceptshysiopathologiques sous-jacents.

rédiction du risque de complicationsost-thoracotomies et bilan préopératoire

a connaissance des facteurs de risque des complicationsst cruciale pour la décision du type de traitement à propo-er au patient, sachant que les bénéfices d’une interventionurative doivent dépasser la probabilité des complicationsraves affectant soit le pronostic vital, soit la qualité deie des patients opérés. L’analyse multivariée des registresuropéens et francais répertoriant l’ensemble des cas dehirurgie thoracique a permis d’identifier six facteurs deisque de mortalité périopératoire : l’âge avancé, le sexeasculin, le score ASA supérieur ou égal à 3, une dyspnée

mportante (score ≥ 5/10 sur l’échelle de Borg), des per-ormances fonctionnelles amoindries ou une perte de poidsmportante (> 10 %) ainsi qu’une résection pulmonaire éten-ue [1].

Mise à part l’évaluation de l’extension carcinologique,e bilan préopératoire devra exclure la présence d’uneathologie cardiaque majeure et s’assurer que la fonctionulmonaire postrésection demeure compatible avec uneualité de vie satisfaisante.

L’anamnèse, l’examen clinique et les examens complé-entaires seront orientés pour identifier les facteurs de

isque prédictifs des complications cardiovasculaires et res-iratoires selon les recommandations des sociétés savantese cardiologie, de pneumologie et de médecine interneFig. 1) [2—4]. L’index de risque cardiaque (revised car-iac index, RCI) comporte six critères (dont cinq relèvent de’anamnèse) : la présence d’une maladie coronarienne (his-oire d’infarctus, d’angine de poitrine), d’un diabète sucré,’une dysfonction rénale (créatininémie > 180 �mol/L), desntécédents d’insuffisance cardiaque ou d’accident vascu-aire cérébral et la réalisation d’une procédure chirurgicale

ajeure [2]. Un score de RCI > ou = 1, surtout en présence’une intolérance à l’effort, peut justifier la prescription’examens cardiologiques pour documenter une maladieoronarienne, une insuffisance cardiaque ou une dysfonc-ion valvulaire. Dans le cas d’une hypertension artérielle
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Complications respiratoires après chirurgie de résection pulmonaire 215

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Figure 1. Bilan d’évaluation préopératoire.

pulmonaire modérée à sévère, l’indication opératoire seradiscutée en prenant en compte les effets aggravants del’amputation vasculaire associée à la résection du paren-chyme pulmonaire et donc du risque élevé de défaillanceventriculaire droite.

Le risque de complications respiratoires est essentiel-lement lié à la voie d’abord chirurgicale et à l’étenduede la résection (dysfonction diaphragmatique, réponseinflammatoire majeure, lésion phrénique ou récurren-tielle) auxquelles se surajoutent la présence d’une maladiebronchopulmonaire obstructive chronique, un âge avancé(> 70 ans), un état général débilité, un asthme mal contrôléainsi que des habitudes tabagiques et/ou alcooliques [2].La « fragilité » de l’état général peut être associée à unehypoalbuminémie, un déconditionnement musculaire, uneperte de poids (> 10 % en six mois), des déficits cognitifset une perte d’autonomie fonctionnelle. L’obésité morbideet le syndrome d’apnée du sommeil peuvent constituerdes facteurs supplémentaires de risque de complicationsrespiratoires, tout comme la présence d’une insuffisancecardiaque [1].

Dans le bilan fonctionnel préopératoire, trois dimen-sions de la fonction pulmonaire seront explorées : lamécanique respiratoire, les échanges gazeux et les per-formances aérobiques à l’effort. À partir des volumespulmonaires mesurés par spirométrie ou pléthysmogra-

phie et selon l’étendue de la résection pulmonaire, il estpossible de prédire le volume expiratoire maximal postopé-ratoire (VEMSppo). Le calcul comporte la formule suivante :VEMSppo = VEMSpréop × (1− % volume pulmonaire fonction-nel réséqué non obstrué)/100 ; l’amputation fonctionnelle

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ulmonaire étant estimée empiriquement par le nombree segments réséqués ou directement par la scintigraphieerfusionnelle ou l’angio-CT-scan hélicoïdal. La capacité deiffusion au monoxyde de carbone reflète, quant à elle,a capacité d’échange de l’interface alvéolo-capillaire ; lesaleurs postopératoires (DLCOppo) étant calculées à partires mêmes formules que celles utilisées pour le VEMSppo.

Des valeurs de DLCOppo ou VEMSppo inférieures à0—40 % sont hautement prédictives des complications res-iratoires postopératoires et d’une qualité de vie diminuéemoyen terme [5,6].L’évaluation de l’état fonctionnel recourt soit aux tests

imples de marche ou de montée d’escaliers, soit au testomplet de capacité cardiopulmonaire (CPT) qui mesureirectement la consommation d’oxygène lors d’un effortaximal (picVO2) et qui résulte des interactions entre les

onctions respiratoire, circulatoire et locomotrice [4—6].e risque de complications cardiopulmonaires périopéra-oires est faible (< 5 %) chez des patients avec une valeur deicVO2 supérieure à 20 ml/kg par minute et/ou capables deonter plus que cinq étages (> 22 m de dénivellation) [6].

n revanche, les risques cardiopulmonaires s’avèrent éle-és voire prohibitifs chez les patients ayant des valeurs deicVO2 inférieures à 10 ml/kg par minute. Pour les valeursntermédiaires de picVO2 (10 à 20 ml/kg par minute), leisque de complications cardiopulmonaires sera fortement

nfluencé par l’étendue de la résection pulmonaire : uneneumonectomie sera jugée à haut risque chez un patientyant une picVO2 de 10 à 12 ml/kg par minute alors qu’elleera jugée à risque acceptable pour une picVO2 supérieure15 ml/kg par minute (Fig. 2).
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igure 2. Mécanismes des complications pulmonaires.

Le groupe de travail des sociétés européennes de chi-urgie et de pneumologie préconise le calcul systématiquees volumes fonctionnels pulmonaires postrésection (VEM-ppo, DLCOppo) ainsi que la mesure de la picVO2 chez laajorité des patients (VEMS ou DLCO < 80 %). Malheureu-

ement dans de nombreuses institutions hospitalières, laesure de la CPT n’est souvent pas disponible et sa réa-

isation est relativement laborieuse. Dans ces cas, le teste la montée d’escaliers peut être considéré comme unubstitut acceptable permettant de préciser le risque car-iopulmonaire (faible si > 22 m d’ascension, élevé si < 12 m).ien que la mise en évidence d’une désaturation en O2

l’effort ou d’une limitation du périmètre de marche< 220 m/6 min) constituent des signes d’alerte quant auisque cardiopulmonaire, ces tests manquent de fiabilitéronostique et leur utilisation systématique ne semble pasustifiée.

écanismes des complicationsulmonaires

hez la majorité des patients subissant une anesthésie géné-ale, des atélectasies se développent suite à la baisse du

onus des muscles inspiratoires et peuvent atteindre jusqu’àà 20 % du volume pulmonaire total. Le degré d’hypoxémieostopératoire est directement corrélé au volume total deserritoires atélectasiés et à la diminution de la capacitéésiduelle fonctionnelle.

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Bien que la ventilation mécanique favorise les échangesazeux, elle produit une grande hétérogénéité des rap-orts ventilation—perfusion : les zones supérieures duoumon sont hyperventilées alors que les zones leslus déclives « résistent » à la ré-expansion, la pres-ion d’insufflation du ventilateur y étant opposée parne pression égale voire supérieure à celle exercéear les viscères abdominaux. Ce stress mécanique estlus intense dans certaines zones instables caractériséesar un petit rapport ventilation—perfusion où la répéti-ion des cycles d’ouverture—fermeture alvéolaire génèren stress mécanique qui inactive la production de sur-actant et favorise une réaction inflammatoire et desésions oxydatives. Des facteurs toxi-infectieux, des phé-omènes d’ischémie-reperfusion, l’alcoolisme chroniquet un apport excessif de liquides intraveineux peuvente surajouter au stress mécanique ventilatoire selon unoncept d’agressions séquentielles multiples pour induiren œdème « lésionnel » alvéolo-capillaire correspondant auyndrome de l’ALI (Fig. 2) [7]. Par ailleurs, la réalisa-ion d’une résection pulmonaire étendue (pneumonectomie)end le poumon controlatéral (déclive) plus vulnérableux effets délétères de la ventilation mécanique et auxffets toxiques des germes bactériens (colonisation pré-xistante des voies aériennes), surtout en présence de

éficiences des systèmes de défenses immunitaires et anti-xydantes.

Dans les suites opératoires, la tendance au collapsuslvéolaire peut être accentuée par une dépression de laommande centrale de la respiration (surdosage en opiacé

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ou en sédatif), une dépression des muscles inspiratoires(curarisation résiduelle, déconditionnement musculaire,syndrome inflammatoire), des lésions iatrogènes des nerfsphrénique ou récurrentiel ou par une dysfonction réflexe dudiaphragme.

La pneumonie postopératoire peut résulter d’unebroncho-aspiration du contenu gastrique ou de la réten-tion de sécrétions contaminées au niveau des territoiresatélectasiés. Le tabagisme, des transfusions multiples, unétat immunitaire déficient, une colonisation bactériennepréexistante ou une contamination lors de la procédure chi-rurgicale sont considérés comme des facteurs de risque desinfections pulmonaires.

Finalement, la qualité du geste chirurgical dépend de laformation et du degré d’expertise de l’opérateur et influen-cera de manière très déterminante la durée de l’opérationet de la ventilation unipulmonaire, le besoin transfusionnelainsi que la survenue de complications spécifiques telles quela fistule bronchopulmonaire.

Prévention des complications pulmonaires

Facteurs organisationnels

À ce jour, les résections pulmonaires font toujours partiedu catalogue des prestations de la chirurgie générale et laréalisation de ces procédures se partage entre chirurgiensgénéralistes et thoraciques. En Amérique du Nord, plusieursétudes de cohortes de patients ont bien démontré les avan-tages de la spécialisation chirurgicale et de l’organisationde soins intégrés autour de pathologies homogènes tels quele cancer pulmonaire [8].

Une réduction de la mortalité périopératoire(−20 à 40 %) et une prolongation de la survie ontété démontrées si les patients cancéreux étaientopérés par des chirurgiens formés en chirurgiethoracique, dans des centres hospitaliers ayant

un recrutement suffisant en procédurescomplexes et dotés d’infrastructures adéquates,notamment la disponibilité de soins intensifs ou

de soins intermédiaires.

Une équipe d’anesthésie bien formée et régulièrementexposée à des cas de chirurgie thoracique sera égalementplus performante, notamment dans la réussite des gestestechniques (intubation sélective, cathéter péridural tho-racique) et l’application de stratégies organoprotectrices.Fortes de ces constats, les autorités sanitaires devraientpromouvoir la mise en place d’équipes, de réseaux multi-disciplinaires centrés sur le patient cancéreux pulmonaire,couvrant une aire géographique et intégrant les différentspartenaires médicaux et soignants.

Phase préopératoire

À partir du bilan préopératoire et de la stratification desrisques, l’équipe multidisciplinaire doit pouvoir répondreaux trois questions suivantes : le patient est-il apte à subirune résection pulmonaire ? Sa condition physiologique peut-elle être améliorée et si oui, par quels moyens ? Existe-t-il

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es alternatives thérapeutiques (résection moins étendue,bord mini-invasif, chimioradiothérapie) ?

Le traitement médical sera poursuivi jusqu’au jour de’opération, à l’exception des anticoagulants oraux et desnti-agrégants de la classe des thiopyridines (clopidrogel)ui seront arrêtés trois à six jours avant l’opération selones recommandations de nos sociétés savantes. Chez desatients bronchospastiques, le traitement bronchodilata-eur habituel sera poursuivi et éventuellement complétéar l’administration de corticoïdes (prémédication) et deidocaïne (avant l’intubation).

L’impact bénéfique des programmes de re-nutrition, deé-entrainement à l’effort ainsi que celui de l’abstentionabagique et alcoolique ont été bien démontrés, notammentn termes de réduction des complications pulmonaires et dea qualité de la cicatrisation de plaies et des anastomoses1,10]. Bien que ces interventions ne garantissent pas le suc-ès et nécessitent un délai de temps d’au moins six à huitemaines, elles doivent être proposées et discutées avant’opération. Informé du diagnostic et conscient des enjeuxhérapeutiques, le patient sera plus « réceptif » à suivre lesonsignes d’hygiène de vie et se sentira investi d’une res-onsabilité nouvelle, cet engagement personnel contribuantargement au succès de la prise en charge (patient’s empo-erment).

hase peropératoire

’exclusion pulmonaire est impérative en chirurgie pul-onaire puisqu’elle facilite le geste opératoire tout eniminuant les forces de cisaillement au niveau du poumonpéré. Les manipulations des tubes à double lumière, desloqueurs bronchiques et du fibroscope nécessitent une cer-aine expertise pour assurer un positionnement correct etviter des lésions iatrogènes.

Une étude rétrospective récente incluant plusde 1000 patients de chirurgie thoracique indique

que l’implémentation d’une stratégie deventilation « protectrice » comportant de petits

volumes courants (4—6 ml/kg), une pressionpositive en fin d’expiration (PEP) ainsi que desmanoeuvres de recrutement alvéolaire, s’avèrebénéfique en terme de réduction de l’incidence

de l’ALI et des atélectasies [9].

Ce concept ventilatoire multifacétaire du « poumonuvert » a pour objectif à la fois de contrecarrer la for-ation d’atélectasies, de restaurer la capacité résiduelle

onctionnelle et de limiter les contraintes mécaniquesu niveau bronchoalvéolaire. Ces données observation-elles confortent les données cliniques et expérimentalesémontrant une réduction de la réponse inflammatoireulmonaire associée à l’utilisation de volumes courantsphysiologiques ». En chirurgie pulmonaire, il serait doncouhaitable d’abandonner les volumes courants tradition-els (8—10 ml/kg), jugés supraphysiologiques et délétères.

ar rapport au mode ventilatoire « volume contrôlé », leux décélérant du mode en ventilation « pression contrôlé »avoriserait la distribution plus homogène du mélange deaz dans les territoires alvéolaires. Le niveau de PEP opti-ale ainsi que la périodicité des manœuvres de recrutement
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e sont pas précisés, ces ajustements du mode ventilatoireourraient être guidés par la mesure « en ligne » du volumeulmonaire atélectasié ou du volume résiduel fonctionnel.

Le niveau optimal de fraction inspiratoire d’oxygèneFIO2) reste un sujet de controverse [10]. Une FIO2 de00 % doit être évitée dans la mesure du possible puisquee « wash-out » complet de l’azote augmente la forma-ion des atélectasies de résorption. Un niveau moindre’hyperoxygénation (FIO2 50—80 %) évite ce phénomène etontribuerait à réduire le risque d’infection du site opéra-oire en renforcant l’activité bactéricide des leucocytes. Aontrario, cette hyperoxie pourrait majorer la formation deadicaux libres impliqués dans les lésions alvéolo-capillairesulmonaires, bien qu’il n’y ait pas de données cliniques quionfortent cette hypothèse.

Le choix de l’agent anesthésique ne semble pas primor-ial, puisqu’il n’influence pas le « devenir » postopératoire.a préférence est habituellement donnée aux agents anes-hésiques de courte durée d’action et d’élimination rapideui permettent une extubation rapide avec une bonneualité de réveil. Les agents volatils, en particulier leévoflurane, présentent des propriétés bronchodilatatricesntéressantes chez des patients bronchospastiques alorsue le desflurane atténuerait davantage la réponse inflam-atoire et le recrutement de neutrophiles par rapport

u propofol intraveineux. Par ailleurs, la combinaisone l’anesthésie générale avec une analgésie périduraleimite l’utilisation des opiacés intraveineux, accélérant ainsia phase de réveil et permettant une extubation « surable » d’un patient adéquatement analgésié et réactif. Laurarisation résiduelle sera dépistée par des tests de stimu-ation neuromusculaire et sera corrigée par l’administration’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.

Puisque les patients subissant une résection pulmonaireont particulièrement sensibles à toute élévation de laression capillaire pulmonaire, des régimes liquidiens res-rictifs ont été préconisés avec un seuil transfusionnel visante maintien d’une hémoglobinémie supérieure à 80—90/L.ctuellement, les moniteurs non invasifs de la volémiet du débit cardiaque (doppler transœsophagien, analysee la courbe de pression ou de pléthysmographie) per-ettent d’optimiser le remplissage liquidien et d’éviter à

a fois le risque de surhydratation et d’hypovolémie aveces conséquences délétères sur l’oxygénation tissulaire dea cicatrice opératoire et du territoire splanchnique. Laittérature scientifique répercute l’impact favorable du rem-lissage liquidien intraopératoire guidé par les données duonitorage et un algorithme qui intègre les paramètres

émodynamiques (fréquence cardiaque, précharge et débitardiaque), respiratoires (contenu sanguin en O2) et méta-oliques (lactate, température, saturation veineuse en O2).es études incluant des patients de chirurgie généraleémontrent qu’un remplissage optimisé sur la base d’indiceynamique du remplissage volémique contribue à réduiree manière significative l’incidence des complications infec-ieuses et chirurgicales, en comparaison avec un remplissageibéral, jugé souvent excessif.

hase postopératoire

e processus de réadaptation peut être débuté dès’extubation en salle d’opération pour autant que le

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E. Lele et al.

atient soit adéquatement analgésié et réveillé, qu’il puisseinsi collaborer activement avec les équipes soignantes.e suivi postopératoire sera facilité et accéléré grâce à’utilisation de protocoles de soins standardisés réperto-iant à la fois les ressources et moyens thérapeutiques misn œuvre ainsi que les objectifs fonctionnels. Le but deette démarche interdisciplinaire étant de restaurer pleine-ent les fonctions d’organes préexistantes (hydratation et

limentation orale, miction) et l’autonomie fonctionnelleassis au fauteuil, lever et déambulation, soins d’hygièneersonnelle) tout en assurant la sécurité et le bien-être duatient.

Par rapport aux opiacés par voie parentérale, lesechniques d’analgésie locorégionale évitent la survenue’une dépression respiratoire, de nausées et les états’obnubilation. L’analgésie péridurale thoracique pour-uivie pendant deux à quatre jours (jusqu’au retraites drains thoraciques) constitue la technique antal-ique de référence en raison de sa sécurité, de laualité supérieure de l’analgésie, y compris lors de laobilisation, et de la réduction des complications car-iovasculaires (infarctus, arythmies, thromboembolies) etespiratoires (atélectasies, pneumonies). Néanmoins, despisodes d’hypotension artérielle (bloc sympathique majoréar l’hypovolémie relative) peuvent retarder et limiter laéambulation du patient. Le bloc paravertébral représentene bonne alternative offrant une analgésie ciblée sur leôté opéré, en l’absence de répercussion hémodynamiqueotoire.

De simples manœuvres d’inspiration profonde (avec uneEP à 10 cmH2O , par série de 30, répétées à chaqueeure des périodes d’éveil) s’avèrent efficaces pour dimi-uer les zones d’atélectasies [11]. Des techniques deentilation non invasive (VNI) en mode de pression posi-ive continue (CPAP) ou à deux niveaux de pressionBiPAP) sont justifiées de manière prophylactique chezes patients à hauts risques (BPCO sévère, décondition-ement musculaire, insuffisant cardiaque). La VNI évitegalement le recours à l’intubation trachéale en case surdosage anesthésique, de curarisation résiduelle ou’hypoxémie sévère secondaire à des atélectasies impor-antes, une décompensation cardiaque ou un ALI, pourutant que le patient reste suffisamment réactif et coopé-atif [12].

onclusions

our les procédures interventionnelles complexes, il existene grande variabilité des pratiques professionnellessource d’erreurs et de soins inappropriés — et une forte

ésistance des cliniciens à appliquer des recommandationsondées sur des données scientifiques et celles émanante groupes d’experts. Dans le contexte actuel de laimitation des coûts de la santé et des progrès scienti-ques, nos équipes médicales ont le devoir de mettren œuvre des procédures médicotechniques visant à la

ois la réduction des complications postinterventionnelles,’amélioration du bien-être du patient et la diminution duéjour hospitalier. Une approche multimodale des soins,ppelée « fast-tracking » appliquée en chirurgie colorectale,permis de raccourcir de un à trois jours la durée du séjour
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Complications respiratoires après chirurgie de résection pulmonaire 219

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Figure 3. « Chemin clinique » pour la chirurgie thoracique.

à l’hôpital sans majoration du taux de complications et à lasatisfaction générale des patients et des soignants.

En chirurgie thoracique, la durée du séjour hospitalier estconditionnée par quatre facteurs : des douleurs mal contrô-lées, la survenue de complications, le drainage thoraciqueet le défaut d’autonomie fonctionnelle.

L’élaboration d’itinéraires cliniques (IC) réunit les dif-férents « acteurs du terrain » (chirurgiens, anesthésistes,pneumologues, oncologues, médecins traitants, infirmiers,physiothérapeutes) afin de coordonner la prise en chargeintrahospitalière, définir des objectifs et choisir desméthodes diagnostiques et thérapeutiques, justifiées par lesdonnées de la médecine factuelle et/ou l’expérience collec-tive des soignants. Différentes actions sont intégrées dansl’IC, dès la consultation préhospitalière jusqu’au retour àdomicile, en passant par l’unité d’hospitalisation chirurgi-cale, le bloc opératoire, la salle de réveil postanesthésiqueet les soins intermédiaires (Fig. 3).

L’implémentation d’un IC orienté vers une réhabilitationprécoce permet d’harmoniser l’ensemble des processus cli-niques et administratifs, de stimuler la communication entreles différents métiers et d’améliorer l’efficience des soins,tout en garantissant leur qualité et leur sécurité.

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