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Compte-rendu de la session Accompagner les parents et les enfants dès la naissance : de la recherche aux pratiques de prévention Paris – Centre universitaire des Saints-Pères 5 juin 2014 Modérateur : Thomas SAIAS, Inpes, Antoine GUEDENEY, Hôpital Bichat AP-HP

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Compte-rendu de la session Accompagner les parents et les enfants dès la naissance : de la

recherche aux pratiques de prévention

Paris – Centre universitaire des Saints-Pères

5 juin 2014

Modérateur : Thomas SAIAS, Inpes, Antoine GUEDENEY, Hôpital Bichat AP-HP

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9èmes Journées de la prévention de l’Inpes – Accompagner les parents et les enfants dès la naissance : de la recherche aux pratiques de prévention

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Ouverture

Le soutien à la parentalité : une priorité de santé publique

Thanh LE LUONG Directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes)

Bienvenue à la troisième édition du colloque scientifique de l’Inpes consacrée au thème « Accompagner les parents et les enfants dès la naissance : de la recherche aux pratiques de prévention ». Je remercie les intervenants qui viendront présenter leurs pratiques et leurs travaux de recherche ainsi que Claude Martin1 qui sera le grand témoin de nos débats. La reconnaissance relativement récente de la parentalité comme déterminant majeur de la santé des enfants a transformé le paysage des interventions publiques en France. Si nous disposons, depuis le milieu du 20e siècle, d’un système universel de prévention en petite enfance envié, les changements démographiques et sociaux survenus depuis les années 1940 exigent que nous revisitions nos actions préventives. En effet, il ne s’agit pas seulement d’éviter l’apparition des maladies chez l’enfant mais d’offrir un service global d’accompagnement à la parentalité (psychologique, somatique, relationnel). Le soutien à la parentalité doit s’adapter aux évolutions sociétales pour aider les parents à investir leur « condition parentale » pour reprendre l’expression de Claude Martin. L’enfant doit être placé au centre de nos préoccupations sans perdre de vue qu’il ne peut être compris hors des soins de ses parents. On dit que l’enfant fait le parent, mais celui-ci reste dépendant de son environnement et il est de la responsabilité publique de rendre cet environnement favorable à la santé. L’Inpes a pris acte de cette responsabilité et la parentalité constitue un axe prioritaire de ses travaux. Les interventions de santé publique ne doivent plus seulement cibler les comportements de santé mais aussi, et surtout, les déterminants de santé. Pour contribuer à cette réflexion, un groupe pluridisciplinaire de 18 experts s’est réuni à l’Inpes en 2013 sous l’égide de Claude Martin. Il avait pour mission de contribuer à une réflexion globale sur les interventions de soutien à la parentalité. Ces travaux ont permis d’orienter l’Inpes vers les meilleures stratégies de prévention en tenant compte des particularités de chaque famille et des objectifs de lutte contre les inégalités sociales de santé. Par ailleurs, j’ai demandé aux services de l’Institut de s’appuyer sur l’ensemble des connaissances scientifiques produites depuis les années 1970 pour mieux connaître les services destinés aux parents, les développer et les évaluer dans un contexte français riche d’une culture de santé publique ancienne de 70 ans. L’Inpes s’investit depuis plusieurs années auprès de tous les parents et de ses partenaires de terrain afin de développer les meilleurs services pour la population. L’investissement des pouvoirs publics autour de la parentalité est un sujet essentiel mais sensible. L’Inpes ne pouvait cependant pas le contourner. Animé par un souci de co-construction avec les partenaires de terrain et de pluridisciplinarité, il élabore depuis dix ans de nombreuses publications et recherches-actions qui vous seront présentées aujourd’hui. Je souhaite que ce colloque nous permette de mieux transférer nos connaissances et d’envisager collectivement l’avenir de nos interventions dans l’intérêt des enfants et des parents.

1 Claude Martin est directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS), à l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes et à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

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Le soutien à la parentalité du concept aux pratiques

Claude MARTIN Directeur de recherche au CNRS, EHESP

L’expression de soutien à la parentalité est récente. D’ailleurs, il est parfois difficile de faire le lien entre des actions qui datent du début du 20e siècle et ce néologisme rapidement popularisé et repris par les décideurs publics, les professionnels de l’enfance et de la famille. La parentalité fait désormais partie intégrante de notre lexique et nous semblons tous savoir ce qu’elle recouvre. Les pouvoirs publics ont toujours considéré nécessaire de contrôler, d’accompagner et de soutenir les parents dans leurs pratiques et leurs comportements éducatifs. Ainsi, si l’expression est nouvelle, les pratiques qui lui sont associées ne le sont pas. Mes recherches visent à comprendre si nous sommes passés à un nouveau régime de relations entre acteurs publics, professionnels et citoyens. C’est probablement le cas. Cependant, ce régime de relations n’a pas été entièrement modifié et certaines pratiques anciennes continuent d’irriguer les pratiques des intervenants des divers champs. Néanmoins, des nouveautés apparaissent au travers notamment de l’avènement d’une politique de la parentalité à l’échelle internationale ou au moins européenne, même s’il apparaît difficile d’établir une comparaison des pratiques nationales en la matière. A l’origine, l’Institut de l’enfance et de la famille m’avait confié la conduite d’une étude sur le passage de la notion d’autorité parentale à la notion de responsabilité parentale, ou de responsabilisation parentale, entendue comme rôle parental attendu et processus de responsabilisation des parents vis-à-vis des écueils du parcours de socialisation de leurs enfants. En 2003, le Haut conseil de la population et de la famille (HCPF) m’a confié la conduite d’un rapport sur le soutien à la parentalité. Ensuite, j’ai participé à une étude réunissant cinq pays européens2 sur l’émergence des politiques européennes de soutien à la parentalité. Son objectif n’était pas d’effectuer une analyse synchronique de ces politiques mais d’en retracer la généalogie, les objectifs, les méthodes, l’organisation institutionnelle, la nature du problème public identifié et la politique esquissée dans cinq configurations nationales différentes. Cette recherche généalogique qui s’achèvera dans moins d’une année a mis en exergue le rôle des systèmes d’acteurs et des savoirs issus de divers champs disciplinaires dans la définition des politiques de parentalité (sciences de l’éducation, psychologie, sociologie etc.). D’ailleurs, la recherche de la notion de Parenting3 dans une base de données comme SAGE aboutit à 21 000 résultats dont près de 16 000 depuis 2000, ce qui témoigne de l’importance de cette préoccupation et sa relative nouveauté.

Les leviers rhétoriques et théoriques du soutien à la parentalité

Cette session sera l’occasion d’examiner les politiques développées dans différents pays pour répondre aux problématiques identifiées par les pouvoirs publics en matière de parentalité. Parmi elles, nous retrouverons la notion de Social Investment (investissement social), relayée notamment en 2012 par une étude commandée par la Commission européenne à l’Institut Research and Development (RAND) Europe. Cette rhétorique du Social Investment convoque des thématiques déjà anciennes, comme le capital humain, et offre un nouvel écho aux travaux de James Heckman qui promeuvent l’investissement précoce dans l’enfance. L’investissement dans l’enfance repose sur une logique économique de rendement à terme d’un investissement précoce permettant d’éviter

2 Allemagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède. 3 Selon Claude Martin, la notion de Parenting est synonyme de parentalité ou plus précisément de la notion de parentage qui renvoie à ce que l’on fait en tant que parent et non à ce que l’on est.

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des dépenses ultérieures. Cette rhétorique a une portée politique et décisionnelle. Elle est une façon de raconter l’histoire et de justifier le développement des dispositifs de soutien à la parentalité. Selon ce courant, l’un des meilleurs vecteurs d’investissement dans l’enfance est l’investissement auprès des parents en raison du rôle premier qu’ils assument auprès des enfants. Plusieurs leviers argumentaires interdépendants, agencés de façon variable selon les pays, sont par ailleurs mobilisés. Le premier a trait à la défense des droits de l’enfant. A ce titre, la signature en 1989 de la Convention internationale des droits de l’enfant a entériné un levier important de reconnaissance des droits propres de l’enfant, y compris en permettant de substituer à la notion d’autorité parentale les notions de responsabilité parentale et de protection de l’enfance. Un deuxième levier théorique mobilise les thématiques de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de l’inégale condition des enfants à l’échelle européenne. Levier de mobilisation des pouvoirs publics, il repose parfois sur la notion de Parenting Deficit (déficit parental) qui renvoie à la nécessité de contrôler voire de cibler des parents considérés à risques dans une démarche de rééducation comportementale. Ainsi, des contrats peuvent être établis avec des parents considérés comme défaillants. Un troisième levier insiste généralement sur le rôle de la société civile et des associations. Il repose sur une logique d’intégration sociale et communautaire et vise l’empowerment (capacité d’agir) des parents. Cette approche tient compte des difficultés de leur parcours et vise à valoriser leurs compétences, notamment en reconnaissant leurs actions et leurs responsabilités dans des lieux de mutualisation de leurs savoirs et pratiques (groupes de paroles, cercles communautaires). Enfin, un quatrième pôle d’idées a pour étendard la santé publique. Il renvoie aux racines historiques les plus profondes des actions de soutien à la parentalité. La prévention, la promotion de la santé, l’éducation des parents et en particulier des mères, la Protection maternelle et infantile (PMI) sont autant d’outils liés à un courant de soutien à la parentalité fortement enraciné dans l’histoire du 20e siècle.

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Origines et fondements des expérimentations de soutien aux parents et aux enfants

Historique des actions expérimentales de soutien à la parentalité aux Etats-Unis et à l’international

Le soutien à la parentalité : un enjeu d’action publique en France et à l’international

Cécile DELAWARDE Psychologue clinicienne, doctorante en sociologie, Université Paris-Descartes4

De multiples rapports d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou la Commission européenne montrent qu’une mauvaise santé mentale a des conséquences sanitaires, sociales et économiques majeures. D’ailleurs, la France affiche des scores de santé mentale peu favorables dont les coûts sont importants. Dans ce contexte, divers organismes gouvernementaux français recommandent le développement d’interventions préventives et de promotion de la santé mentale, notamment durant la petite enfance. Par exemple, le Plan national d’action contre le suicide (PNAS), le Plan psychiatrie et santé mentale (PPSM) et le Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives formulent des recommandations pour le développement de programmes de promotion des Compétences psychosociales (CPS) des enfants et des compétences parentales. Ces recommandations sont d’ailleurs reprises dans le dernier Contrat d’objectifs et de performance (COP) de l’Inpes. Aux Etats-Unis, pays pionnier dans ce domaine, les programmes de soutien à la parentalité sont généralement d’origine universitaire et font partie intégrante des dispositifs et des modes de prise en charge. Ils sont généralement évalués par le biais d’Essais randomisés contrôlés (ERC) et font l’objet de nombreuses publications scientifiques. Celles-ci affichent des résultats statistiques significatifs sur la réduction des troubles mentaux et du comportement, la consommation de substances psychoactives, l’absentéisme scolaire, la délinquance mais aussi sur la promotion des compétences cognitives et psychosociales. Aux Etats-Unis, ces programmes s’inscrivent également dans une rhétorique économique selon laquelle leur diffusion universelle permettrait de réduire les inégalités sociales et de renforcer la productivité des nations en dotant précocement les individus de compétences leur permettant de s’insérer plus aisément sur le marché du travail. Leur développement témoigne d’une nouvelle conception de la santé mentale et des services qui lui sont rattachés. Ce changement se situe à la croisée de plusieurs évolutions : une évolution scientifique avec le développement des neurosciences, de la médecine du comportement, de la génétique qui constituent un nouveau référentiel théorique ; une évolution sociale et économique au travers d’une tendance à valoriser la santé mentale comme élément de cohésion sociale et de productivité individuelle et une évolution politique, l’exécutif pouvant ainsi disposer d’interventions coût-efficaces et de méthodes simples et standardisées.

  4 Les travaux de recherche en sociologie de Cécile Delawarde portent sur le développement des politiques préventives fondées sur des données scientifiques et plus particulièrement sur la transposition des recherches internationales vers les dispositifs français. Ses travaux novateurs visent à documenter de manière globale (politique, sociale, professionnelle) l’utilisation de la science dans l’élaboration des politiques publiques.

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L’émergence des actions expérimentales de soutien à la parentalité aux Etats-Unis dans les années 1960

Les années 1960 sont marquées aux Etats-Unis par un climat de réformes sociales importantes (mouvements en faveur des droits civiques et des droits des femmes, luttes contre la pauvreté et les inégalités sociales), par la désinstitutionnalisation de la psychiatrie et par la prise en charge progressive des patients par la communauté. Cette période se traduit également par une volonté gouvernementale d’appuyer des efforts visant la prévention plutôt que le traitement et un intérêt croissant pour les populations vulnérables, défavorisées ou marginalisées. L’action sociale préventive est particulièrement renforcée par le programme Great society du président Lyndon Johnson qui accorde des budgets importants au développement et à l’évaluation de programmes voués à la lutte contre la pauvreté. Plusieurs interventions précoces visant à lutter contre les inégalités d’éducation vont ainsi se développer dans divers états de la côte est des Etats-Unis. Par exemple, le projet Perry Preschool de 1962 a pour objectif d’aider les jeunes enfants afro-américains de familles financièrement précaires à améliorer leurs résultats scolaires. Il repose sur un programme préscolaire de deux heures et demie par jour et institue des Visites à domicile (VAD) auprès des familles afin de promouvoir les compétences intellectuelles et académiques des enfants. En 1965, le programme Head Start vise à soutenir le développement physique, social, émotionnel et psychologique d’enfants de familles défavorisées et à promouvoir leur accès à des services de soins et de nutrition. Ces deux programmes vont être parmi les premiers à faire l’objet d’Essais contrôlés randomisés qui révèlent de très bons résultats5.

Les années 1970-1980 : le développement de la promotion de la santé

Durant les années 1970-1980, la prévention et la promotion de la santé continuent de se développer et à se spécifier. En 1978, la conférence d’Alma-Ata de l’OMS inaugure un mouvement moderne de la promotion de la santé dont les contours seront définis par la charte d’Ottawa en 1986. Aux Etats-Unis, le parti républicain est également au pouvoir durant ces deux décennies avec un retentissement palpable sur l’orientation des politiques sociales et préventives. L’ensemble des financements publics consacrés aux recherches sociales et préventives sont ainsi bloqués sous Richard Nixon dans l’attente d’obtenir davantage de preuves scientifiques de l’efficacité des programmes. Cette volonté d’avoir recours à la méthode expérimentaliste et probabiliste dans l’évaluation des pratiques va se diffuser dans presque l’ensemble des secteurs du soin et des politiques de santé6. Dans ce contexte, les premières recherches d’efficacité sur les programmes préscolaires vont se poursuivre tandis que les techniques expérimentales vont gagner en précision. A partir des études longitudinales des cohortes des premiers programmes, de nouvelles découvertes scientifiques sont réalisées. Il est notamment constaté que les performances intellectuelles des enfants n’ont pas augmenté sur le long terme comme l’avaient suggérés les premiers résultats des années 1960 mais que d’autres résultats positifs apparaissent sur toute une série d’autres indicateurs tels que les performances académiques, l’employabilité, le capital et l’autonomie financière, la criminalité et le nombre d’arrestations des bénéficiaires. Les premières analyses en termes de coûts/bénéfices des programmes sont également entreprises. Pour ce faire, les chercheurs prennent en compte l’utilisation des services sociaux et éducatifs, le montant des taxes payées par les participants, le taux de criminalité et son coût social qu’ils comparent aux frais déboursés par l’Etat pour le développement des interventions. Ces analyses montrent que les

5 A l’issue des interventions, des gains de 10 à 15 points de Quotient intellectuel (QI) mesuré par l’échelle Stanford-Binet, ont ainsi été observés chez les enfants bénéficiaires jusqu’à l’âge de 7-8ans. 6 Cette restriction budgétaire et cette exigence scientifique vont se poursuivre tout au long des années 1980 sous la présidence de Ronald Reagan.

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économies liées à la participation à ces programmes sont nettement plus importantes que leurs coûts. Au cours des années 1970-1980, plusieurs programmes de parentalité voient le jour dans une perspective de réduction des inégalités de santé comme le Nurse Family Partnership (NFP) conçu par David Olds. NFP est un programme de VAD auprès de mères primipares à faibles revenus afin de diminuer certains risques liés à leur contexte de précarité. Il est expérimenté par trois ERC en 1977, 1988 et 1994. L’intervention consiste en deux VAD par semaine effectuées par des infirmières, du 8e mois de grossesse au 21e mois de l’enfant et d’une VAD mensuelle jusqu’à ses deux ans. L’objectif de ces visites est triple : promouvoir des comportements de santé durant la grossesse (alimentation, non-consommation d’alcool, de drogues), améliorer la santé et le développement de l’enfant (travail sur l’allaitement, prévention de la maltraitance infantile, réduction de la prématurité, augmentation du poids à la naissance), améliorer l’autosuffisance économique de la famille en aidant les parents à développer des projets (planification des grossesses futures, éducation, retour à l’emploi). Les évaluations du NFP démontrent des améliorations significatives dans ces trois domaines et il est diffusé progressivement dans 43 Etats à partir des années 19907. D’autres programmes universitaires sont par ailleurs développés dans le cadre de démarches expérimentales comme les programmes Strenghtening Families Program (SFP), Incredible Years ou Triple P en Australie. Bien que ces programmes diffèrent par leurs contenus théoriques, leurs modalités et les populations ciblées, leurs évaluations expérimentales contribuent à recenser et préciser les facteurs de risque et de protection du développement de l’enfant.

 

Les années 1990 ou le temps des analyses économiques

Durant les années 1990, le champ de la prévention et de la promotion de la santé se mêle au développement institutionnel des politiques fondées sur des données scientifiques probantes8. Cette tendance se traduit par une quantification et une évaluation systématique du coût des interventions, une rationalisation des pratiques, l’élimination de celles qui n’ont pas fait leur preuve et la promotion des pratiques considérées comme efficaces. Dans ce contexte, l’argument économique devient une référence en matière d’investissement dans les politiques préventives. Les analyses coûts/bénéfices des programmes des années 1960 portées par des économistes comme John Heckman contribuent à impulser une réorientation majeure des politiques de développement du capital humain. Elles mettent en avant le fort retour sur investissement des programmes, matérialisé par une meilleure productivité et de moindres dépenses liées à la justice criminelle et aux coûts sociaux. Elles montrent l’importance de l’acquisition précoce des CPS en tant que déterminants de santé et de performance professionnelle nécessaires à la prospérité personnelle et sociétale. Les économistes encouragent ainsi l’implantation de programmes d’éducation à de nouvelles compétences pour les enfants de 0-5 ans et leurs familles9.       Les développements des neurosciences, de la génétique et de la psychologie du développement contribuent à souligner l’impact majeur des comportements de santé de la mère durant la grossesse ou de la qualité de l’éducation sur le développement cérébral, les résultats académiques, sociaux, 7 En étant soutenu par des financements privés et publics à niveau local et fédéral comme Medicaid, des services maternels et infantiles ou encore des services sociaux. 8 Les politiques fondées sur les données scientifiques probantes, evidence-based en anglais, s’appuient sur les résultats d’évaluation de l’efficacité des programmes issus des recherches scientifiques. Elles visent à financer des services humains et sociaux plus efficaces et efficients. 9 Ces programmes visent notamment à renforcer la maîtrise de soi, l’ouverture, les capacités à collaborer, à planifier et à persister qui permettent aux individus de s’insérer plus aisément dans le marché de l’emploi et d’avoir des vies productives, autant d’éléments nécessaires à la prospérité personnelle et sociétale.

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physiques et civiques de l’enfant. Les programmes visent ainsi l’apprentissage de nouvelles compétences parentales par le biais d’entraînement au développement d’interactions positives avec les enfants et à la réduction des pratiques parentales considérées comme négatives. Ces interventions se déroulent à domicile, par téléphone, à l’école ou au sein de centres communautaires, de classes ou d’églises. Elles peuvent prendre des formats divers et se dérouler individuellement, collectivement, ou en auto-administration.

Les années 2000 : une diffusion mondiale des programmes de soutien à la parentalité

Avec le retour de l’administration démocrate dans les années 2000, les évaluations fondées sur les données scientifiques probantes deviennent une référence pour justifier les investissements préventifs face aux opposants républicains. Les programmes Head Start ou NFP profitent de dotations fédérales et de nombreuses fondations investissent des millions de dollars pour construire de nouvelles infrastructures tandis que des centres de recherche sont créés pour collecter des données sur la nature des programmes et leur nombre de bénéficiaires. Le mouvement actuel de soutien à la parentalité, appuyé par une recherche scientifique fondée sur des faits probants, se diffuse progressivement à l’échelle mondiale, européenne et française. Au début des années 2000, plusieurs rapports de l’OMS soulignent l’intérêt de diffuser ces programmes. Deux rapports de 2004 et de 2005 établissent une définition officielle de la prévention et de la promotion de la santé mentale evidence-based et encouragent la diffusion de plusieurs programmes évalués par des ERC (NFP, Perry Preschool, Incredible Years ou Triple P). Parallèlement, une stratégie pour la santé mentale est mise en place à l’échelle européenne dans une volonté d’homogénéisation des politiques nationales, des corpus théoriques et des pratiques, et de promouvoir le recours aux données probantes. L’objectif de développement de compétences cognitives, affectives, comportementales et des CPS dans une perspective de croissance et de cohésion sociale est repris en 2005 par la Commission européenne et par le conseil de l’Union européenne (UE) en 2008. En France, la reconnaissance de la souffrance psychique et de la santé mentale positive permet, à partir des années 1980-1990, le développement de prises en charge psychothérapeutiques et psychosociales diverses visant à optimiser le potentiel de l’individu et à renforcer ses compétences. Au tournant des années 1990-2000, le paradigme de la santé mentale s’élargit au-delà de la seule souffrance psychique des populations défavorisées. Le développement des interventions préventives précoces est alors promu dans la sphère de la santé publique afin d’agir sur certains facteurs de risques et de protection de santé mais aussi dans le champ des politiques sociales, économiques et familiales afin de préparer la force de travail de demain. Plusieurs politologues travaillant sur les réformes des systèmes de protection sociale européens reprennent les analyses des économistes américains et insistent sur la nécessaire intervention dans le domaine de l’enfance. L’objectif sous-tendu par ce mouvement est le suivant : afin de renforcer l’égalité des chances, l’intégration sociale et la productivité, il faut concentrer l’investissement dans la petite enfance et la famille. Il s’agit de passer de politiques sociales réparatrices et compensatrices à une stratégie préventive d’investissement social10. En France, plusieurs actions ont été impulsées par des organismes de santé publique ou des fondations privées (SFP, Triple P, Abecedarian, Parler Bambin, PANJO) et sont en cours d’implantation. Ces évolutions dans le champ de la prévention précoce témoignent d’une redéfinition des prises en charge, d’une transformation de l’information, des systèmes de connaissances et des identités professionnelles. L’application de ces programmes sur le terrain n’est pas toujours évidente et a fait l’objet de nombreuses controverses. Initialement médiatisée par le collectif « Pas de zéro de

10 Selon Gosta Esping-Andersen et Bruno Palier : « Il s’agit de préparer plutôt que de réparer, de prévenir, de soutenir, d’armer les individus et non pas de laisser fonctionner le marché et d’indemniser les perdants ».

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conduite pour les enfants de trois ans » en 2006, la critique de ce modèle porte sur l’approche factuelle de l’evidence-based. En s’appuyant sur les faits observables en contexte expérimental, celle-ci serait insensible aux données contextuelles et aux dimensions socioculturelles de son objet. Plus globalement, ces controverses pointent les enjeux politiques, économiques et financiers qui sous-tendent le développement de la prévention précoce dans une perspective de rationalisation des dépenses publiques.

Les précautions de transposition des recherches internationales aux pratiques françaises

Les interventions préventives précoces evidence-based sont le fruit d’enjeux scientifiques, politiques et économiques majoritairement développés dans un contexte américain. Elles se sont développées dans un environnement de disparités socioéconomiques importantes liées au niveau de revenus et à l’ethnicité, dans un pays où des millions d’enfants ne bénéficient pas d’assurance pour les soins primaires. Dans un système libéral fortement inégalitaire, ces interventions sont destinées à réduire les inégalités sociales de santé en proposant une égalité de chance pour tous. La France dispose pour sa part de services de droit commun comme la PMI, les Réseaux d’écoute, d’aide et d’accompagnement aux parents (REAAP), les points info-famille ou les lieux d’accueil enfants-parents. Alors que ces interventions se sont développées aisément dans un contexte nord-américain, quasiment dépourvu de services de droit commun, leur présence en France doit faire l’objet d’une réflexion préalable autour du choix des populations concernées, de l’adaptation de leur contenu et des moyens de mesurer leur impact. Plus globalement, il convient de réfléchir à la manière dont peuvent s’articuler les connaissances professionnelles, politiques, scientifiques ainsi que les connaissances dites profanes, c’est-à-dire celles des parents, en vue de mettre en place des services utiles à la population et d’évaluer les services existants. Cette approche permettrait de concilier les exigences d’efficacité et d’implantation des actions de soutien à la parentalité.

De quelles données d’efficacité dispose-t-on sur les programmes de soutien à la parentalité ?

Quels sont les programmes prometteurs pour améliorer la vie des enfants ?

Amélie PETITCLERC Post-doctorante en psychologie, Université de Columbia11

Mon analyse des données d’efficacité des programmes de soutien à la parentalité ciblera les interventions dès la grossesse reposant sur les VAD ou sur une combinaison de VAD auprès des parents et d’interventions éducatives auprès de l’enfant. Les Etats-Unis sont un terrain fertile de développement de ces programmes. De plus, de nombreuses organisations de recherche y ont évalué l’impact des programmes de soutien à la parentalité. Sous la présidence de Barack Obama, des investissements importants ont été transférés aux Etats américains pour développer les programmes de VAD. 70 à 75 % de ces crédits ont été fléchés autour de programmes s’appuyant sur des données scientifiques probantes. L’organisme de recherche Coalition for Evidence-Based Policy a mené une étude rigoureuse des données attestant des effets de différents programmes sur l’amélioration des conditions de vie des enfants à long terme. Elle en a conclu que seul le programme NFP offrait des données probantes d’effet à long terme. 11 Docteur en psychologie de l’Université Laval à Québec, Amélie Petitclerc a précédemment travaillé au Geary Institute de Dublin. Ses travaux de recherche portent sur la prévention des troubles de santé mentale et du comportement des enfants. Elle investit les aspects cliniques de ces questions et les enjeux méthodologiques, évaluatifs et politiques qui en découlent.

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Figure 1 - Quels programmes probants pour l'amélioration des conditions de vie des enfants ?

(source : Coalition for Evidence-Based Policy)

Un programme de visites à domicile modèle : Le Nurse Family Partnership (NFP) Program

Le NFP vise les mères primipares, non-mariées et à faibles revenus. Il repose sur le principe de VAD rapprochées pendant la grossesse et après la naissance, puis espacées à raison d’une visite par mois. Ces VAD sont entièrement assumées par des infirmières. Le NFP vise à améliorer les comportements favorisant la santé pendant la grossesse, les soins de l’enfant et à contribuer au développement personnel (éducatif et professionnel) de la mère. Son coût est élevé et se situe à 10 000 euros par famille pour une période de deux ans. Le NFP est médiatisé car il est le seul programme à avoir fait l’objet de nombreuses recherches sur ses effets à long terme. En effet, il a fait l’objet de trois ERC12 dans des contextes démographiques et géographiques variés (Elmira dans l’Etat de New-York, Memphis dans l’Etat du Tennessee et Denver dans l’Etat du Colorado). A Elmira, NFP s’adressait principalement à des femmes blanches à faibles revenus, non-mariées et d’un âge moyen de 19 ans. L’ERC d’Elmira a permis une évaluation à très long terme de NFP jusqu’au 19e anniversaire de l’enfant. Les effets les plus importants de NFP concernent les familles les plus défavorisées. A Memphis, l’expérience concernait des femmes urbaines, principalement afro-américaines et à faibles revenus, non-mariées et d’un d’âge moyen de 18 ans. A Denver, elle concernait une importante proportion de femmes d’origine mexicaine, à faibles revenus et non-mariées. Dans cette dernière ville, un groupe était accompagné par des infirmières tandis qu’un autre groupe était accompagné par des professionnels de divers champs ou de non-professionnels formés. Cette originalité d’intervention visait à évaluer les pistes d’économie de NFP par le recours à d’autres intervenants.

Les effets des programmes sur les parents

Le NFP a engendré une réduction des cas avérés de maltraitance ou de négligence. A Elmira, les cas de maltraitance ont été deux fois moins nombreux pour les familles du groupe d’intervention que celles du groupe contrôle sur une période de 19 ans. Il engendre également une diminution des visites médicales pour des motifs de blessures ou d’ingestions de produits considérés comme des indicateurs de maltraitance. Pour sa part, le Early Intervention Program repose sur un dispositif moins intensif et moins coûteux. Pendant la grossesse, les parents sont réunis en groupes 12 Dans le cadre des ERC, les participants au programme sont assignés aléatoirement au groupe contrôle ou au groupe d’intervention. Le groupe contrôle fait l’objet d’interventions et d’un suivi pédiatrique minimaux tandis que le groupe d’intervention fait l’objet de VAD mensuelles. Les ERC sont la méthode d’évaluation qui offre les meilleures garanties scientifiques car elle permet de s’assurer que les effets escomptés sur les populations sont liés au programme et non à d’autres phénomènes.

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parentaux. Suite à l’accouchement, deux VAD sont assurés par des infirmières et le nombre de VAD dépend ensuite des besoins des familles. Ce programme a permis de diminuer le nombre de visites médicales pour des motifs de blessure. Le programme Early Head Start combine quant à lui des interventions éducatives auprès de l’enfant et des VAD et a engendré une diminution des punitions corporelles. Nous observons qu’une expérimentation canadienne n’a pas révélé d’effets du NFP sur la diminution des cas de maltraitance. Cette absence d’impact peut s’expliquer par la présence accrue de services publics de santé gratuits au Canada qui diminue le travail à effectuer en la matière. Elle peut également s’expliquer par le fait que le NFP avait porté au Canada sur un échantillon à risques de familles déjà référées aux services de protection de l’enfance. Il faudra approfondir les recherches pour expliquer ces résultats variables et intensifier, le cas échéant, le NFP auprès des familles déjà référées aux services de protection de l’enfance. Le NFP a eu des effets sur le parcours de vie des parents. Il a réduit de 15 à 20 % le nombre de grossesses subséquentes au programme, a augmenté la durée de la relation de couple à Memphis, a réduit l’incidence des arrestations et des condamnations chez la mère ainsi que le recours aux services sociaux et aux coupons alimentaires. Ces diminutions demeurent néanmoins limitées. Par exemple, la durée de recours aux services sociaux s’élève à cinq mois pour le groupe d’intervention contre 5,5 mois pour le groupe contrôle, ce qui génère tout de même une réduction de 10 % des dépenses publiques. D’autres programmes ont témoigné d’effets plus limités sur le parcours des parents. Ainsi, le Early Intervention Program a augmenté la participation éducative et la réussite au lycée des mères tandis que le Early Head Start a renforcé la participation éducative des mères et leur formation à l’emploi. En revanche, le NFP n’a pas produit d’effets directs sur l’emploi des mères, leur réussite au lycée, leur vie conjugale ou d’éventuels abus de substances psychoactives. Les programmes de VAD ont peu d’effets sur la santé mentale des parents. Or, 50 % des mères ciblées par ces programmes souffriraient de dépression. Certaines études estiment que les programmes de VAD sont plus efficaces lorsque la mère est dépressive quand d’autres études affirment le contraire. La santé mentale est ainsi une variable importante et mal ciblée de ces programmes13. Le NFP a réduit la consommation de tabac pendant la grossesse à Elmira et Denver et l’hypertension à Denver. De manière générale, les programmes de VAD ne témoignent pas des effets escomptés sur la durée de gestation ou le poids de naissance du bébé. Cependant, il faut tenir compte des situations initiales des mères. Par exemple, 55 % des mères fumaient à Elmira contre seulement 7 % à Memphis.

Les effets des programmes sur les enfants

Le NFP a réduit les consommations d’alcool, de tabac et de marijuana chez les enfants de 12 ans. Pour sa part, le programme Healthy Steps a amélioré les comportements de la mère visant la santé et la sécurité de l’enfant (vaccination, visites médicales). En revanche, le NFP n’a pas d’effet sur les taux de vaccination. Le NFP présente des effets sur le développement cognitif et la réussite sociale des enfants des mères aux faibles ressources psychologiques et intellectuelles. Il a notamment amélioré le langage et le fonctionnement exécutif de ces enfants (augmentation de 4 à 7 points de QI). A Memphis, il a amélioré leurs performances en lecture et en mathématiques. L’approche combinée de Early Head Start montre pour sa part des effets sur le langage et le développement cognitif de l’enfant. En revanche, le NFP n’a pas montré d’effets sur la répétition d’année scolaire, sur le recours aux services éducatifs spécialisés ou la capacité attentionnelle des enfants.

13 Dans ce contexte, certains programmes de soutien à la parentalité comportent un volet de prévention (Mothers and Babies) ou de traitement (In-Home Cognitive Behavior Therapy) de la dépression maternelle.

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Le NFP a amélioré certains aspects du comportement des enfants (attention, sociabilité) mais n’a pas eu d’effet sur les conduites agressives et prédélinquantes. A Memphis, il a réduit l’incidence à 12 ans des troubles dépressifs et anxieux. Le University of California Los Angeles (UCLA) Family Development Project a amélioré la sécurité de l’attachement14 mais cet effet n’est généralement pas observé dans les programmes de VAD. Le NFP a réduit de manière importante l’incidence des arrestations (21 % pour le groupe d’intervention contre 37 % pour le groupe contrôle) et des condamnations chez les filles d’Elmira à 19 ans. Ces données témoignent du bénéfice économique lié à ces programmes qui diminuent le passage des jeunes dans le système judiciaire. En revanche, le NFP n’a pas eu d’effet visible sur les consommations d’alcool et de tabac, le nombre de grossesses, la réussite scolaire ou l’emploi des jeunes.

Facteurs de succès des programmes de soutien aux parents et aux enfants

Ces programmes ont plus d’effets sur les enfants des familles les plus pauvres ou dont les mères ont peu de ressources psychologiques, cognitives et psychosociales. A Denver, le NFP a eu deux fois plus d’effets lorsqu’il mobilisait des infirmières plutôt que d’autres professionnels. Ces programmes présentent également plus d’effets lorsqu’ils ciblent les besoins multiples des familles, des relations de qualité parent-enfant et lorsqu’ils combinent, à l’image du Perry preschool, un programme éducatif et des VAD15.

Echanges avec la salle

Concepts d’efficience et d’efficacité

De la salle Quelle est la nuance entre les notions d’efficience et d’efficacité ? Amélie PETITCLERC Le terme d’efficience (efficacy en anglais)16 est employé lorsque des expérimentations sont menées dans des conditions très contrôlées de recherche. Le terme d’efficacité (effectiveness en anglais) renvoie au déploiement moins contrôlé d’un programme à partir des ressources existantes dans la communauté. Par exemple, le premier ERC de NFP à Elmira était très contrôlé alors que l’expérimentation de Memphis s’est déployée à partir des ressources existantes. En effet, des acteurs de la communauté ont été formés pour fournir des services à leurs concitoyens.

Indemnisation des bénéficiaires des programmes de soutien à la parentalité

De la salle Les participants à ces programmes recevaient-ils des indemnités financières ? Quelle est votre opinion et celle des chercheurs français sur cette question ?

14 La théorie de l'attachement est un champ de la psychologie qui traite des relations entre êtres humains. Son principe de base est qu'un jeune enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, de développer une relation sécurisée d'attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue. 15 Pour plus d’informations sur les programmes de VAD, consultez les sites du Home Visiting Evidence of Effectivness (homvee.acf.hhs.gov) et de l’encyclopédie sur le développement des jeunes enfants (www.enfant-encyclopedie.com). 16 La traduction est difficile, puisque l’anglais comporte trois termes semblables (efficacy, efficiency, effectiveness) et le français n’en comporte que deux. On devrait probablement utiliser « efficacité » dans les deux cas ici.

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Amélie PETITCLERC Les participants à ces programmes ne reçoivent pas d’indemnité. Leur engagement est plutôt motivé par l’octroi de services y compris de services minimaux pour le groupe contrôle que par d’éventuelles indemnités financières. Cécile DELAWARE Les programmes de soutien à la parentalité ne reposent pas sur l’indemnisation mais sur la motivation des participants. En revanche, des indemnités sont parfois octroyées dans le cadre d’études expérimentales qui impliquent une passation d’entretiens ou la réponse à des questionnaires. Néanmoins, ces indemnités sont seulement de l’ordre de 30 dollars.

Thomas SAIAS (Chargé d’expertise scientifique, Inpes) En France, il serait très difficile de faire accepter par un comité éthique une proposition d’indemnisation des participants à une intervention. En revanche, des contreparties financières sont régulièrement octroyées dans le cadre de la participation à une évaluation (ERC, étude en milieu réel).

Quelle prise en compte du handicap dans les programmes de soutien à la parentalité ?

De la salle (Jean-Louis BOSC, Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif – UNISDA) Les cas de familles comprenant des enfants ou des parents handicapés, sont-ils pris en compte dans ces programmes ? Amélie PETITCLERC Malheureusement, ces familles sont généralement exclues des données de recherche pour des raisons méthodologiques. Il est par exemple difficile de recruter en clinique un échantillon suffisant de familles dont les enfants ou les parents présentent des handicaps. En revanche, d’autres programmes de recherche ciblent les familles comprenant des personnes handicapées comme le programme Infant Health and Development Program (IHDP) développé pour les enfants prématurés. Malheureusement, ce programme ne bénéficie pas d’une diffusion nationale aux Etats-Unis malgré ses résultats satisfaisants et n’a fait l’objet que d’un ERC à la fin des années 1970. Il combinait des VAD et des services éducatifs. N’étant pas spécialiste du sujet, j’ignore si des ERC ont été développés pour aider des publics marqués par d’autres handicaps. Thomas SAIAS Les précédentes présentations ont montré comment les politiques publiques s’étaient emparées des programmes de soutien à la parentalité fondés sur des résultats scientifiques. Les prochaines interventions seront l’occasion de mettre en lumière diverses approches disciplinaires (psychologie, économie, sciences infirmières) et postures professionnelles vis-à-vis de l’accompagnement à la parentalité.

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Les développements des interventions précoces : quelles disciplines et quels professionnels ?

Les apports de la psychologie et des sciences de l’homme

L’apport de connaissances des études longitudinales sur le développement de l’enfant

Michel BOIVIN Professeur de psychologie, Université Laval, Québec17

Ma présentation visera à montrer l’apport des études longitudinales en matière de connaissances et d’orientation des politiques de développement du jeune enfant. Suite à une commande de la Société royale du Canada (SRC) et de l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS), j’ai co-dirigé avec Clyde Hertzman un bilan des connaissances sur le rôle de l’adversité dans la petite enfance en matière de développement des mésadaptations. La notion d’adversité précoce renvoie aussi bien à la pauvreté qu’à la maltraitance. Ce rapport visait à évaluer le lien de causalité entre l’adversité précoce d’un environnement et des mésadaptations ultérieures (échec scolaire, délinquance) et à envisager les moyens de répondre à ces mécanismes de causalité. Depuis le début des années 2000, nous connaissons une révolution des connaissances permettant une meilleure compréhension des processus de développement dans l’enfance. Cette amélioration des connaissances, permise par des études longitudinales couvrant un large spectre de la petite enfance à l’âge adulte, concerne notamment l’épidémiologie développementale. De la même manière, les développements de la neuroscience du développement, de la génomique/épigénomique18 et de la science de la prévention contribuent à l’amélioration de ces connaissances.

Le modèle bio-social du développement des mésadaptations de l’enfant

Le modèle bio-social du développement des mésadaptations de l’enfant repose sur la description de ses trajectoires précoces de développement, entendues au sens de parcours de vie, qui permet de prédire certaines mésadaptations ultérieures. Il repose également sur l’étiologie et sur une approche visant à comprendre les interactions gènes-environnement. Dans cette perspective, il s’agit de documenter les aspects environnementaux de l’enfant (facteurs sociodémographiques, descripteurs de la famille, intervenants auprès des enfants, relations entre enfants, etc.). Certaines des études longitudinales actuellement en cours sont très anciennes. Par exemple, l’étude longitudinale de Dunedin en Nouvelle-Zélande a suivi le développement d’une cohorte d’environ un millier d’enfants depuis 40 ans. Dans une étude récente, Terrie Moffitt et son équipe ont mis en lumière, à partir de cette cohorte, l’association entre les problèmes de contrôle de soi à l’enfance et divers problèmes ultérieurs de développement en matière de santé mentale ou

17 Membre de la SRC, Michel Boivin est directeur du Réseau stratégique de connaissances sur le développement des jeunes enfants (RSJ-DJE) qui élabore l’encyclopédie du développement du jeune enfant. Directeur du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale de l’enfant et de l’adolescent (GRIP), il dirige un programme de recherche sur les composantes biologiques, psychologiques et sociales du développement du jeune enfant à partir d’études longitudinales comme l’Etude des jumeaux nouveau-nés du Québec (EJNQ) et l’Etude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELTEC). 18 La génomique, discipline de la biologie moderne, étudie le fonctionnement d'un organisme, d'un organe ou d’un cancer à l'échelle du génome et non plus seulement à celle d'un seul gène. L’épigénomique est l'étude de l'ensemble des modifications épigénétiques d'une cellule.

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physique et de prospérité (revenus et chômage). Néanmoins, cette étude ne tient pas compte de la petite enfance. En effet, il y a 40 ans, la période cruciale de 0 à 6 ans n’était pas nécessairement une préoccupation centrale. En revanche, une nouvelle génération d’études longitudinales comme l’ELDEQ19 permet de détailler le développement de l’enfant dès la petite enfance. L’ELDEQ et l’EJNQ ne se distinguent non par l’ampleur de leur cohorte mais par la qualité de leur suivi durant la petite enfance. L’évaluation répétée du développement de l’enfant au cours de cette période cruciale permet de documenter ses trajectoires de développement. Ainsi, quatre types de trajectoire ont été documentés dans l’ELDEQ : agressivité physique, hyperactivité, anxiété et dépression, difficultés interpersonnelles. Les trois premiers types de trajectoire abritent une minorité d’enfants de l’ordre de 15 % présentant des difficultés dès la petite enfance. Cette caractérisation précoce de l’enfant semble persister dans le temps. Il convient bien sûr de nuancer ces constats qui sont néanmoins typiques de problèmes extériorisés ou intériorisés précocement. Les études longitudinales permettent parfois de caractériser l’environnement et les expériences de l’enfant. Par exemple, l’ELDEQ permet de mesurer les trajectoires de difficultés interpersonnelles qui semblent se dessiner dès le stade de la petite enfance. Les études longitudinales permettent aussi de documenter les facteurs associés ou prédictifs des trajectoires de développement problématiques. Par exemple, la trajectoire élevée d’agressivité physique est associée à de nombreux facteurs liés aux caractéristiques de l’enfant, des parents ou du foyer. La multitude de ces facteurs montre qu’il est impossible de résumer une trajectoire à un unique déterminant. Cette complexité des déterminants a une incidence sur les politiques publiques qui ciblent des familles ou des enfants à risques. En effet, en cas de sélection d’un nombre restreint de déterminants, certains enfants vulnérables seront exclus du périmètre de ces politiques. Les études longitudinales permettent également de documenter les processus impliqués par le niveau socioéconomique ou d’autres déterminants. Par exemple, l’influence du niveau socioéconomique sur la maturité scolaire des enfants s’explique par un développement différencié du langage issu d’une exposition différenciée à la lecture. En revanche, l’ELDEQ ne permet pas de documenter les comportements de la grossesse pouvant contribuer à expliquer certaines trajectoires (nutrition, alcool, tabac). C’est pourquoi, les nouvelles études visent désormais à assurer un suivi des cohortes dès le stade de la grossesse.

Les interactions gènes-environnement : un phénomène détectable, confirmé et prévalent

L’analyse des cohortes révèle des différences interindividuelles importantes qu’un paradigme émergent explique par la complexité des interactions gènes-environnement. Ce paradigme a émergé il y a plus d’une dizaine d’années suite à la publication de deux articles dans la revue Science à l’initiative du groupe de Terrie Moffitt et d’Avshalom Caspi. Ces chercheurs ont constaté que l’association des expériences d’adversité dans la petite enfance (mauvais traitements, événements stressants) et des mésadaptations ultérieures était conditionnée par la présence d’une vulnérabilité génétique dans un gène impliqué dans la régulation de la sérotonine. Ces articles ont donné suite à une myriade d’études qui a confirmé l’association conditionnelle des expériences d’adversité et des facteurs de vulnérabilité génétique. Plus qu’un simple déterminisme, ces études accréditent la thèse d’une combinaison de contraintes biologiques et environnementales. Ce paradigme est aujourd’hui dominant dans l’explication des mésadaptations ultérieures des enfants. Il est trop tôt pour dire qu’il sera pertinent dans l’élaboration des politiques publiques. Néanmoins, il sera probablement amené à jouer prochainement un rôle important dans les débats et la conception des interventions publiques préventives.

19 L’ELDEQ assure le suivi d’un échantillon de jumeaux associés dès la naissance.

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Par ailleurs, un nouveau domaine révolutionnaire de recherche reposant sur une forme particulière d’interaction gènes-environnement et impliquant des mécanismes épigénétiques émerge. Issu d’expérimentations animales, il montre que les expériences sociales vécues en bas âge peuvent influencer l’expression génétique. Par exemple, certains environnements de maltraitance pourraient influencer l’intimité profonde de la personne humaine en affectant son expression génétique. Ce paradigme révolutionnaire nous incite à intervenir précocement pour éviter que ces événements conditionnent la vulnérabilité ultérieure des enfants.

Interventions précoces et politiques publiques : vers un universalisme proportionné ?

La pertinence des interventions précoces est appuyée par les travaux de James Heckman qui considère nécessaire d’investir davantage dans la petite enfance compte tenu de la malléabilité du développement du cerveau à cet âge.

Figure 2 - Le développement du cerveau et le retour sur l'investissement en capital humain

(James Heckman) La recherche préventive a démontré les impacts positifs sur le développement de l’enfant des interventions ciblées et des interventions universelles qui sont traditionnellement opposées. Au cours des 15 dernières années, le Québec a investi massivement dans les services parentaux et de la petite enfance et a développé une politique d’accès à faible coût aux garderies. Notre étude de fréquentation des garderies a démontré des effets protecteurs et positifs de cette politique sociale universelle20 uniquement auprès des familles vulnérables dont les parents présentaient des niveaux d’éducation moins élevés. Ces résultats soulèvent la question des limites et des défis des politiques universelles. En effet, l’implantation d’une politique universelle ne se traduit pas nécessairement par un accès universel aux services. Par exemple, l’accès aux services préscolaires a été comparé dans les provinces du Québec et de l’Ontario21. L’accès aux services à la

20 Préparation scolaire, prévention des conduites agressives. 21 L’Ontario ne bénéficiait pas d’un service d’accès universel aux garderies avant 2009.

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petite enfance est sensiblement plus important au Québec qu’en Ontario. Cependant, l’universalité de ce service au Québec ne se traduit pas nécessairement par un accès universel au service qui varie en fonction des revenus des familles. Il est de coutume d’opposer à tort les programmes universels aux programmes ciblés qui comportent chacun des mérites et des limites. Par exemple, les opérations de ciblage s’attachent généralement à certains risques tout en laissant de côté une majorité d’enfants vulnérables.

Figure 3 - Un accès différencié au service universel de garderie québécois

en fonction des revenus des familles Pour répondre aux limites et aux défis des programmes universels et ciblés, il convient de développer des programmes reposant sur une logique d’universalisme proportionné22 et se déployant à diverses échelles d’intensité proportionnelle en fonction des désavantages. Il s’agira ainsi de travailler sur l’ensemble du gradient social de façon à abaisser les contraintes d’accès aux services à un niveau acceptable. Le développement de la science du développement du jeune enfant est confronté à plusieurs défis. Un premier défi logistique renvoie à la conduite de grandes études longitudinales nécessaires à la compréhension du développement de l’enfant. Un deuxième défi tient à la difficile compréhension de l’interdépendance des gènes et de l’environnement dans le développement de l’enfant, de l’inscription biologique des expériences sociales, des diverses sources d’influence environnementale et des facteurs de succès des interventions. Un dernier défi repose sur la mobilisation de ces connaissances par la société civile et les planificateurs des politiques. En effet, nous avons besoin d’outils de communication et de transfert des connaissances, comme l’encyclopédie du développement du jeune enfant, mais aussi d’outils de mesure des états de développement des enfants et de l’utilisation des services par les populations.

22 Notion développée par Sir Michael Marmot, professeur d’épidémiologie et de santé publique à la University College of London, l’universalisme proportionné renvoie aux programmes, services et politiques qui sont universels, mais à une échelle d’intensité proportionnelle au niveau de désavantage.

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Echanges avec la salle

La nécessaire interdisciplinarité des approches du développement de l’enfant

Claude MARTIN L’interdisciplinarité des approches du développement de l’enfant est primordiale. Dans le champ de l’analyse des politiques publiques, des travaux se développent autour du thème de la « résilience sociale » (et non individuelle), c’est-à-dire la capacité d’une société à réduire les effets de déterminants pour franchir des épreuves (crise financière ou sociale). Certaines sociétés absorbent les chocs mieux que d’autres pour des raisons parfois difficiles à identifier. A mon sens, il n’existe pas de discontinuité entre les approches en termes de résilience individuelle et de résilience collective. Les experts du champ des politiques publiques ne disposent pas des outils de suivi de cohortes. Néanmoins, Michel Boivin a montré qu’il était difficile d’assurer le suivi d’une cohorte dans le temps car son environnement se modifie considérablement en l’espace de quelques décennies. Ces difficultés soulèvent des débats paradigmatiques entre les chercheurs qui considèrent que l’épicentre du changement réside dans la famille et les chercheurs qui considèrent que la famille est un résultat de facteurs environnementaux. Ainsi, les chercheurs des divers champs disciplinaires doivent appréhender dans leur continuité les observations liées à des phénomènes macro-environnementaux et micro-environnementaux. Michel BOIVIN En effet, il ne faut opposer l’approche centrée sur l’enfant des études longitudinales et l’analyse par des études transversales des phénomènes sociétaux influençant l’ensemble d’une population dans le temps. Ces deux dimensions doivent être documentées.

Trouver l’équilibre entre approche universelle et approche ciblée d’intervention

De la salle (Hélène VALENTINI, Inpes) Je suis sensible à la notion d’universalisme proportionné. L’approche en termes de groupe à risques participe à la stigmatisation d’une partie des parents tandis que l’universalisme proportionné s’attache aux gradients sociaux. Que pensez-vous de l’opposition de ces deux approches ? Michel BOIVIN Il n’est pas pertinent d’opposer ces deux approches qui ont des limites et des mérites respectifs. L’approche ciblée des groupes à risques exclut une majorité d’enfants qui se situent dans d’autres groupes, tandis que les approches universelles ne se traduisent pas nécessairement par un accès universel aux services. Dans ce contexte, il faut d’abord adopter une approche universelle avant de la décliner de manière proportionnelle.

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Les apports de l’économie et des sciences politiques

Théorie du développement humain et interventions en petite enfance

Orla DOYLE Professeur d’économie, University College of Dublin (UCD), Geary Institute, Irlande23

Depuis plusieurs années, les économistes investissent le domaine des interventions précoces en petite enfance. Leurs travaux visent à investiguer l’économie du développement humain, à déterminer si les interventions précoces réduisent les inégalités de compétences des enfants et à développer des méthodes et techniques statistiques pour évaluer l’efficacité de ces interventions. Un nouveau domaine de recherche en économie a émergé il y a dix ans sous l’influence de James Heckman pour examiner l’influence de l’environnement de la petite enfance sur le développement du capital humain. Le capital humain renvoie aux compétences, capacités et expériences permettant aux personnes d’être économiquement productives et de contribuer à la société. La théorie du développement humain repose sur cinq constats principaux : - l’environnement précoce influence le capital humain ; - des inégalités socioéconomiques apparaissent dans le développement du capital humain ; - le capital humain précoce a des influences ultérieures dans la vie ; - les programmes d’intervention précoce sont plus efficaces que la remédiation ultérieure pour promouvoir le capital humain ; - les programmes d’intervention précoce sont plus efficaces en termes de coûts que les programmes de remédiation ultérieurs. Les facteurs environnementaux jouent un rôle précoce dans le développement du capital humain. En effet, l’environnement fœtal et le comportement de la mère pendant la grossesse ont des conséquences significatives sur le développement des enfants. Par exemple, l’abus de substances psychoactives pendant la grossesse engendre des retards de développement chez l’enfant. De la même manière, la qualité de l’environnement post-natal24 et les compétences parentales sont importantes dans la formation et le développement des compétences sociales et du langage des enfants. Les inégalités socioéconomiques dans le développement des compétences des enfants apparaissent précocement. En effet, les enfants d’un faible niveau socioéconomique développent des compétences sociales et cognitives moins élevées et présentent davantage de problèmes émotionnels et comportementaux. Ces inégalités sont intergénérationnelles et augmentent avec l’âge des enfants jusqu’à devenir très difficiles à éradiquer. Par exemple, à 36 mois, les enfants de faible niveau socioéconomique disposent d’un vocabulaire plus faible que les enfants d’un statut socioéconomique plus élevé et ces inégalités naissent dès l’âge de 20 mois.

23 Les travaux d’Orla Doyle portent sur l’application des analyses et des méthodes macro-économiques à de multiples disciplines et domaines (économie du développement humain, économie du travail, évaluation des politiques publiques, interventions durant la petite enfance). 24 Environnement familial de qualité, qualité et quantité des interactions parents-enfants, etc.

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Figure 4 - Des inégalités sociales précoces dans le développement du vocabulaire

Le développement des inégalités en matière de QI, de compétences cognitives, de mémoire ou de numératie a un impact sur les performances académiques, le chômage, la santé mentale et les difficultés financières des futurs adultes. Les inégalités en matière de compétences sociales, émotionnelles et comportementales ont également un impact sur le succès des personnes dans la vie (délinquance, consommation de substances psychoactives, échec académique). Depuis peu, les économistes sont par ailleurs attentifs aux conditions de santé des enfants qui ont différents effets ultérieurs (mortalité, infections etc.).

Les interventions précoces, un investissement efficace pour réduire les inégalités entre enfants

Un nombre croissant de résultats de recherche montre que les interventions précoces ciblées sur les familles défavorisées permettent de réduire ces inégalités. Ces programmes d’interventions visent à protéger les enfants des facteurs de risques de leur environnement et témoignent d’effets à long terme dans des domaines multiples. Par exemple, le Perry Preschool Program a montré des effets positifs à long terme sur des enfants qui ont aujourd’hui 50 ans. Reposant sur deux années de VAD et suivi pendant plus de 40 ans, il a témoigné d’effets éducatifs positifs (diminution de l’enseignement spécialisé, amélioration des résultats à l’âge de 14 ans et au lycée) mais aussi d’effets à l’âge de 40 ans (meilleurs salaires, taux d’emploi et épargne supérieurs, moindre nombre d’arrestations, de crimes violents ou liés aux drogues). D’autres programmes, comme Abecedarian ou NFP, témoignent d’effets positifs similaires. Les interventions précoces sont efficaces pour des raisons biologiques et économiques. D’un point de vue biologique, les cerveaux sont plus malléables durant l’enfance et ces programmes ont le meilleur impact entre 0 et 3 ans. Les neurosciences montrent qu’une grande partie du développement du cerveau se déroule durant cette période et qu’il est plus difficile de développer des compétences par la suite. Le séquencement des circuits neuronaux relève de la génétique mais les expériences précoces peuvent déterminer la force de ces circuits et présenter un impact sur le développement des enfants.

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D’un point de vue économique, les interventions précoces sont efficaces car l’investissement durant la période 0-3 ans présente des taux de retour sur investissement plus importants que l’investissement durant la période scolaire ou post-scolaire. Elles sont ainsi moins coûteuses que les programmes de remédiation ultérieurs. Par exemple, le coût de détention d’un prisonnier en Irlande s’élève à 100 000 euros par an contre 12 000 euros en moyenne pour un programme d’intervention précoce. Les programmes bien conçus génèrent un retour sur investissement pour la société de l’ordre de 2 à 17 dollars par dollar dépensé. 20 % de ces gains reviennent aux bénéficiaires des programmes (meilleurs salaires, meilleure santé etc.) et 80 % de ces gains constituent des externalités positives pour la société (diminution de la criminalité et de l’intervention sociale, augmentation de la productivité et de la qualification de la main-d’œuvre). Le Washington State Institute for Public Policy a estimé les ratios coûts/ bénéfices d’une quinzaine de programmes d’intervention précoce. Hormis un cas, la totalité de ces programmes affiche des ratios largement bénéficiaires. Leurs retours sur investissement sont cependant variables et dépendent de leur contexte et de leurs modalités de mise en œuvre. Par exemple, le programme Good Bevahior Game présente un ratio bénéficiaire de 84 dollars.

Figure 5 - Ratio coûts/bénéfices des programmes d'intervention précoce

(source : Washington State Institute for Public Policy)

Les apports de l’économétrie à l’évaluation des interventions précoces

Les économistes peuvent également contribuer à l’évaluation de ce type de programme. En effet, l’usage de méthodes statistiques standards peut limiter la pertinence des conclusions concernant les programmes expérimentaux. Par exemple, en cas d’échantillon modeste ou d’expérimentation longue, les phénomènes d’attrition peuvent générer des biais de résultats. Dans ce contexte, de nouvelles méthodes économétriques ont été développées, entre autres par James Heckman, pour améliorer la fiabilité des résultats d’évaluation des programmes. L’environnement précoce d’un enfant est important dans sa réussite ultérieure. Les inégalités apparaissent précocement et sont

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largement tributaires des environnements familiaux. Dans ce contexte, les programmes d’intervention précoce permettent d’atténuer certaines inégalités et présentent un retour sur investissement biologique et économique plus intéressant qu’aux âges ultérieurs de la vie.

Echanges avec la salle

Promouvoir et évaluer les interventions précoces : Social Returns versus Economic Returns

Claude MARTIN Au-delà des economic returns (rendements économiques) de ces programmes, il convient d’apprécier leurs social returns (rendements sociaux et qualitatifs). En France, l’investissement précoce dans la petite enfance s’est traduit par le formidable chantier de l’école maternelle. Dès la fin du 19e siècle, Pauline Kergomard s’est engagée pour ouvrir l’accès à la préscolarisation en ciblant notamment les enfants pauvres. L’école maternelle a ensuite été étendue durant le 20e siècle pour atteindre aujourd’hui un taux de 99 % d’enfants de trois ans préscolarisés et une préscolarisation non négligeable des enfants de deux ans. Néanmoins, ce système n’a pas tenu l’ensemble de ses promesses en matière de bien-être scolaire des enfants. D’ailleurs, la France fait partie des mauvais élèves à l’échelle internationale du point de vue du bien-être des enfants dans l’enseignement secondaire. Cette situation s’explique notamment par une pression scolaire et une injonction à la performance. Les economic returns constituent une bonne base d’argumentation pour défendre les dispositifs d’intervention précoce. Néanmoins, il convient de faire prévaloir les social returns liés à ces programmes. Dans un contexte de volonté de réduction des dépenses publiques, les travaux de James Heckman rencontrent un écho considérable. Je suis heureux de constater que certains programmes permettent d’éviter 84 dollars de dépenses par dollar engagé mais cette approche, exclusivement économique, me semble insuffisante. Une fois encore, je souhaite que le souci de la pluridisciplinarité nous guide sur ce sujet. Orla DOYLE Je suis d’accord avec vous, il conviendrait d’évaluer ces social returns. Je ne suis pas une spécialiste des études coûts/bénéfices ni à l’aise avec l’approche en termes de rendements économiques pour les raisons que vous mentionnez. Par ailleurs, il apparaît difficile de mesurer l’impact d’un programme sur le bien-être ou la prise de conscience d’une personne. Vous évoquiez l’école maternelle. Pour la première fois dans notre histoire, le gouvernement irlandais a mis en place une année de préscolarité gratuite. Il envisageait d’étendre ce dispositif à une durée de deux ans mais le ministère de la Jeunesse a préféré s’assurer préalablement de la qualité de ce programme. Cette initiative est une bonne nouvelle et il convient en effet de mettre en valeur les enjeux qualitatifs des programmes face à la pression politique et aux arguments quantitatifs.

Les rendements économiques des interventions précoces, levier d’argumentation auprès des décideurs publics ?

De la salle (Hélène VALENTINI) Cet argumentaire en termes de coûts/bénéfices n’est quasiment plus utilisé au Québec car il ne convainc plus aucun décideur politique. En effet, en raison de l’absence de données économiques fiables sur la rentabilité de ces programmes, les débats portent, au Québec, sur leurs rendements en matière de santé et de bien-être. Vos données sont-elles fiables et pouvons-nous les citer ? Orla DOYLE Oui. Nous tentons d’utiliser ces données en Irlande même si un pays comme les Etats-Unis dispose d’une expérience incomparable dans l’analyse des répercussions économiques de ces programmes. Dans la plupart des pays que je visite, les arguments économiques prévalent et les économistes les

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utilisent pour convaincre les décideurs politiques d’investir dans ce type de programme. Néanmoins, ces programmes comportent également des paramètres non-objectivables dont nous sous-estimons probablement la variété des effets.

Quels dispositifs et quels professionnels pour les interventions précoces en France ? Un regard infirmier

La discipline infirmière en France

Sébastien COLSON Président de l’Association nationale des puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiant(e)s (ANPDE) infirmier-puériculteur, doctorant en santé publique et sciences infirmières, Universités de Montréal/Aix-Marseille

La spécialité infirmière-puéricultrice est accessible à partir d’un diplôme d’infirmière ou de sage-femme. Le métier de puéricultrice consiste à prendre soin des enfants pour maintenir, restaurer et promouvoir la santé, le développement, l’éveil, l’autonomie et la socialisation de l’enfant. Les puéricultrices veillent, dans le cadre de projets de soins et éducatifs pluri-professionnels, à la protection des enfants, à leur intégration dans la société et à la lutte contre les exclusions. La spécialité infirmière-puéricultrice, comme l’ensemble des professions paramédicales, fait l’objet d’un processus d’universitarisation. Contrairement à d’autres pays (Canada, Etats-Unis), la discipline infirmière n’est cependant pas reconnue en France. C’est pourquoi les données scientifiques probantes issues de cette discipline sont difficiles à mobiliser. Des échanges timides ont lieu autour des pratiques professionnelles par le biais de revues ou de congrès professionnels. Or, les revues de littérature dans le domaine de l’intervention précoce se focalisent sur les hauts niveaux de données probantes des expérimentations à l’exclusion des revues professionnelles. Ainsi, les expériences professionnelles des infirmières-puéricultrices ne sont pas toujours relayées en France.

Exemples d’interventions précoces dans les revues professionnelles infirmières

Au regard de cette relative absence des données probantes liées aux activités des puéricultrices dans la littérature internationale, je fournirai quelques exemples issus de revues professionnelles. Les séjours à la maternité étant de plus en plus courts25, les parents ont moins de temps pour se préparer au retour à domicile. C’est pourquoi certaines maternités ont développé des réunions de préparation à la sortie de la maternité. Au sein de la maternité d’expérimentation, ces réunions avaient lieu trois fois par semaine dans un cadre interprofessionnel (puéricultrices, auxiliaires de puériculture – AP –, sages-femmes). Elles étaient l’occasion d’une présentation et d’échanges autour du carnet de santé, du service de PMI, du test de Guthrie, de l’ordonnance de sortie, des soins, de l’alimentation, des conseils en cas de fièvre, de pleurs, de sorties ou de voyage, du couchage, de la prévention du syndrome du bébé secoué et des accidents domestiques. Si ces réunions de préparation à la sortie de la maternité ne sont pas généralisées, la Visite A Domicile (VAD) post-natale fait en revanche partie des missions des puéricultrices en Protection maternelle et infantile (PMI). Elle peut prendre la forme d’une visite simple ou d’un suivi à moyen ou long terme qui peut être poursuivi au centre de PMI géré à l’échelle départementale. Elle vise à répondre aux diverses demandes des parents (allaitement, alimentation, coliques, vaccinations, sommeil), à effectuer un travail de prévention (mort inattendue du nourrisson, syndrome du bébé 25 Séjours de trois jours pour une naissance par voie basse et de cinq jours pour une césarienne en France.

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secoué) et à évaluer les besoins de la famille qui peuvent déboucher sur l’intervention d’une aide-ménagère ou d’une Technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF). En l’absence de nomenclature autorisant un exercice libéral du métier de puéricultrice, les infirmières-puéricultrices libérales sont rares et sont généralement installées en tant qu’infirmière. Pourtant, l’offre de soins de proximité est restreinte en pédiatrie car les pédiatres se recentrent autour du milieu hospitalier. De plus, les horaires de la PMI sont limités et les services d’urgence sont surchargés et sollicités pour des conseils en puériculture26. L’exercice libéral de la puériculture concerne essentiellement des activités de dépistage, de prévention et d’éducation, et des soins techniques. Les puéricultrices effectuent également un accompagnement quotidien en Etablissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) plus connus sous le nom de crèche, halte-garderie ou multi-accueil, et participent à des actions d’équipe d’accompagnement à la parentalité, d’information et de prévention. Des projets pluridisciplinaires peuvent aussi être prévus dans les projets d’établissement. Enfin, les puéricultrices participent à des actions collectives. Par exemple, un Espace de rencontre parents-enfant (ERPE) en Haute-Garonne vise à valoriser les compétences parentales, à rompre l’isolement de certains parents, à offrir à l’enfant des moments de jeux avec ses parents ou ses pairs, à accompagner les familles et à prévenir les comportements inadaptés. L’ERPE repose sur une organisation pluri-professionnelle (AP, Educateur de jeunes enfants – EJE –, puéricultrice, psychologue). Le temps de rencontre avec les familles est personnalisé. Un moment de collation favorise les échanges entre parents, enfants et professionnels. Des ateliers de médiation corporelle permettent de travailler sur les interactions parents-enfants et un temps d’échange et de bilan est organisé en fin de séance.

Vers un partage d’expériences et un transfert de connaissances des sciences infirmières ?

Ces exemples d’interventions nourrissent un partage d’expériences malheureusement circonscrit à la littérature grise. Ces interventions ont en commun le travail pluri-professionnel et en réseau, l’action de proximité et dans les milieux de vie. Elles permettent de rompre avec un isolement social, familial ou culturel et contribuent à la promotion des compétences parentales. Dans les EAJE, un label Certi’crèche a été récemment créé pour identifier les points critiques de la qualité d’accueil des enfants. Pour sa part, l’exercice libéral de la puéricultrice renforce l’offre de soins de proximité et permet le maintien de l’enfant dans son contexte familial. En revanche, ces expériences sont dépendantes du contexte social, économique et politique. Par exemple, les VAD en PMI sont dépendantes des priorités fixées par les Départements. En effet, les effectifs de puéricultrices en PMI n’ayant jamais été revus, malgré une croissance de leurs missions, celles-ci sont contraintes d’effectuer les actions prioritaires définies par la politique départementale au détriment d’autres missions. Par ailleurs, il conviendrait de renforcer le partage d’expériences et de connaissances pour diffuser certaines expérimentations et consolider une analyse des pratiques professionnelles infirmières. Enfin, il apparait nécessaire de produire des données scientifiques sur ces interventions pour favoriser leur reconnaissance. L’utilisation des données probantes par la discipline infirmière a connu en 2009 une évolution au travers de la modification du référentiel de compétences des infirmiers. Cette modification a abouti à la reconnaissance d’un grade universitaire de licence pour les infirmiers et à l’élaboration

26 Selon une thèse de médecine générale réalisée par Alexandre Djavadian en 2007 dans un hôpital de la banlieue parisienne, 65 % des consultations aux urgences pédiatriques relèvent du conseil de puériculture (pleurs, constipation, allaitement, alimentation, sommeil, rythmes, etc.).

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d’une compétence 8 « Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques » qui constituera une base pour développer une pratique infirmière réflexive. Néanmoins, il aurait préalablement fallu former les formateurs des étudiants infirmiers pour consolider cette compétence spécifique. Par ailleurs, la réforme des études de puéricultrice est retardée depuis 2009 dans l’attente d’un cadrage interministériel, alors que le programme actuel de formation des puéricultrices date de 1983. Le référentiel de compétences des infirmières puéricultrices en attente de validation comprend une compétence 8 « rechercher, traiter et produire des données scientifiques ». Nous espérons que cette compétence devienne effective le plus rapidement possible pour nourrir les pratiques quotidiennes des professionnels.

Vers une production de données scientifiques probantes par la discipline infirmière ?

Les professionnels de santé bénéficient depuis 2013 d’un programme de formation et d’analyse de pratiques professionnelles, intitulé Développement professionnel continu (DPC). Cette avancée majeure en matière d’analyse des pratiques professionnelles nécessite une mise en place généralisée qui devrait prendre au moins cinq à dix années pour être efficace. Enfin, nous observons une augmentation du nombre d’infirmiers titulaires d’un doctorat en France dans diverses disciplines (sciences infirmières, sciences de l’éducation etc.), ce qui laisse présager un renforcement de la recherche française en sciences infirmières. La reconnaissance disciplinaire des sciences infirmières est nécessaire pour développer la production et l’utilisation de données scientifiques probantes dans le champ infirmier mais aussi pour encourager le partage des savoirs scientifiques infirmiers avec d’autres disciplines. Dans cette perspective, les infirmiers espèrent une construction d’un 2e et 3e cycles universitaires en sciences infirmières pour parvenir à une reconnaissance de la recherche infirmière27. Leur objectif est d’aboutir à un système d’échanges de connaissances réunissant les scientifiques, les populations, les professionnels de terrain, les gestionnaires et les décideurs publics permettant de nourrir au quotidien la recherche, notamment dans le domaine des sciences infirmières. Thomas SAIAS Les interventions précédentes ont mis en lumière les fondements disciplinaires des programmes d’intervention précoce et les manières de les promouvoir scientifiquement auprès des décideurs publics. L’intervention de Sébastien Colson a rendu compte de la réalité des interventions de terrain en France et a soulevé la question de la production de données scientifiques. Les universitaires doivent s’emparer de l’enjeu du transfert de connaissances vers les pratiques de terrain car la France apparaît en retard dans ce domaine. D’ailleurs, les prochains débats seront l’occasion d’échanger autour de l’utilisation et du transfert des connaissances scientifiques vers les pratiques professionnelles.

27 A l’heure actuelle, un infirmier ne peut pas être investigateur principal dans le cadre d’une recherche interventionnelle biomédicale et doit disposer d’un prête-nom médical pour que son projet de recherche soit accepté par un comité d’éthique.

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Les interventions préventives chez les enfants : quelles connaissances à mobiliser pour des pratiques efficaces ?

Les données scientifiques comme outil d’élaboration de politiques de prévention

Pourquoi utiliser des programmes validés scientifiquement ?

Pierre ARWIDSON Directeur des affaires scientifiques, Inpes

La littérature scientifique a compilé 50 ans de recherche interventionnelle et plusieurs centaines d’interventions validées. Parallèlement, les projets de terrain sont nombreux mais n’aboutissent pas nécessairement à des résultats scientifiques validés. Par exemple, sur 1 575 projets identifiés en Italie en 2009, un seul programme témoignait de preuves scientifiques d’efficacité. En France, seulement 38 % des 352 interventions portant sur la prévention de l’alcool de 2004 à 2013 ont débouché sur des informations d’évaluation, selon la base de données Outil de suivi cartographique des actions régionales de santé (OSCARS). De plus, ces informations relevaient davantage d’un rapport d’activité que d’une évaluation scientifique. Pourtant, la feuille de route de la Stratégie nationale de santé (SNS) recommande de développer une prévention scientifiquement fondée. Pour ce faire, elle préconise d’importer des programmes validés ou de partir des initiatives françaises existantes pour les valider. Par exemple, la validation des programmes s’apprécie selon le National Cancer Institute (NCI) à partir de plusieurs critères : - demande de subvention octroyée par un comité scientifique ; - résultats publiés dans une revue scientifique à comité de lecture ; - reprise dans une revue systématique ; - utilisation de stratégies officielles. Selon la synthèse de l’impact des interventions préventives des revues Cochrane28, les interventions préventives sont favorables au groupe d’intervention dans 38 à 40 % des cas. Elles sont en revanche contre-productives dans 3 à 5 % des cas. Enfin, environ 58 % des interventions préventives ne génèrent pas d’impact significatif sur le groupe d’intervention. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de s’appuyer sur des programmes validés. En effet, il est impensable d’aggraver la situation de certaines personnes mais aussi de laisser prospérer des interventions aux effets non-mesurables.

28 La collaboration Cochrane est une organisation indépendante qui regroupe plus de 28 000 volontaires dans plus de 100 pays. Elle s'est formée face au besoin d'organiser de manière systématique les informations concernant la recherche médicale. Elle conduit des revues systématiques (Cochrane Reviews, méta-analyses) d'ERC d'interventions en santé.

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Figure 6 – Synthèse de l'impact des interventions de prévention dans les revues Cochrane (Fabrizio

Faggiano et al.) En France, une évaluation d’envergure a été réalisée par l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Ile-de-France, dans le cadre du Programme régional de santé (PRS)-alcool Ile-de-France. Reposant sur trois années de suivi de 600 collégiens d’un groupe-témoin et de 600 collégiens d’un groupe d’intervention, elle a révélé des résultats moins bons dans les collèges-action que dans les collèges-témoins en matière de consommation d’alcool, particulièrement chez les filles. Elle a ainsi pointé l’effet incitatif et contre-productif du programme de prévention. Ces constats montrent qu’il est nécessaire d’utiliser des programmes validés qui présentent des effets positifs sur la santé et déploient des suivis de long terme. Leur utilisation réduit considérablement les temps de conception des manuels, de formations, d’évaluations et de consolidation d’une dynamique de réseau. Ainsi, il apparait judicieux de les mobiliser en les adaptant aux capacités de son organisation et aux caractéristiques des publics-cibles. Les réticences vis-à-vis des programmes validés s’expliquent par le fait que les professionnels considèrent généralement qu’ils sont confrontés à des situations uniques qui appellent des réponses sur-mesure ou que ces programmes sont un frein à l’innovation et à la créativité. Leur utilisation est aussi freinée par les coûts de formation, d’acquisition de manuels voire de droits qu’ils induisent. Néanmoins, il convient d’évaluer systématiquement les inconvénients et les avantages du recours à ces programmes.

Où-trouver les programmes validés ?

Les programmes d’intervention validés sont disponibles dans les revues de littérature, les synthèses, les méta-analyses et les synthèses de synthèses effectuées dans différents pays. Néanmoins, ces documents délivrés sous forme scientifique ou sous un format professionnel simplifié ne sont pas intégrés aux pratiques des décideurs ou des professionnels. Cette inexploitation s’explique par l’absence de suites données à certains projets scientifiques ou à leur faible dimension pratique. Dans ce contexte, il apparait nécessaire de concevoir des manuels

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d’interventions, de mettre à disposition des porteurs de projets des formations et des informations pratiques, et de développer des études comparatives permettant de se repérer parmi les centaines de programmes existants. Dans cette perspective, le United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC) a édité une compilation des programmes validés de développement des compétences des familles29. Pour sa part, le Substances Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA) propose une base de donnés compilant 300 interventions classées selon divers critères30, dont 36 interventions précoces. 10 % de ces programmes développent des versions françaises comme « Les amis de Zippy » ou Incredible Years. La base de données du NCI compile quant à elle 146 interventions liées à la prévention des cancers. Elle comprend un module de formation à l’usage des programmes Evidence-Based permettant de combattre certaines idées reçues et de parvenir à un juste milieu entre adaptation et fidélité aux programmes validés. Enfin, la Coalition for Evidence-Based Policy classe NFP comme le programme préventif le plus fiable.

Où-trouver des études économiques sur la prévention ?

Lors du colloque scientifique de l’Inpes de 2013 consacré à l’économie de prévention, Theo Voss avait présenté un outil australien d’analyse coûts/efficacité des interventions préventives sur les maladies non-transmissibles, intitulé Assessing Cost-Effectiveness in Prevention. Cet outil classe 150 interventions selon cinq niveaux d’efficacité, des programmes les plus fiables aux programmes évitables. Néanmoins, il n’intègre pas les interventions précoces alors que les études montrent qu’un environnement adverse durant l’enfance augmente le nombre de cancers à 50 ans. La référence en matière d’études économiques des interventions préventives est le Washington Institute of Public Policy qui classe plusieurs centaines de projets en fonction de leurs ratios coûts/bénéfices. Par exemple, le NFP coûte en moyenne 10 000 dollars par famille mais présente un retour sur investissement de 2,73 dollars par dollar engagé. Trois années après son déclenchement, il connaît une diminution de coûts et ses effets bénéficiaires apparaissent au bout d’une vingtaine d’années pour perdurer jusqu’à l’âge de 50 ans. Ces effets à long terme permettent difficilement de convaincre les décideurs politiques qui fonctionnent selon une vision à court terme mais accréditent l’argumentaire économique sur les effets à plus long terme des programmes de prévention. Par ailleurs, l’Université du Colorado a engagé un travail de description des modèles économiques envisageables pour pérenniser et diffuser les programmes de prévention. En France, la responsabilité de la diffusion des programmes préventifs validés incombe aux autorités sanitaires. A ce titre, les institutions nationales ne doivent pas seulement attendre l’émergence d’une créativité de terrain mais l’accompagner par des outils. Plusieurs projets institutionnels de plateformes de formation des professionnels sont actuellement en cours. D’ailleurs, les travaux de la SNS sont l’occasion d’une réflexion autour d’un projet de plateforme mutualisée tandis que la Commission interministérielle de prévention des conduites addictives (CIPCA) entend identifier des actions prometteuses susceptibles d’être évaluées scientifiquement. Il convient ainsi de rattraper le retard français et européen en matière de recherche interventionnelle. Enfin, l’Inpes finalise un appel à projets en prévention primaire visant à développer une vision à long terme de la prévention et à encourager les chercheurs à investir ce champ de recherche.

29 Cette compilation, qui recense notamment les programmes NFP, SFP ou Incredible Years est disponible sur le site Internet de l’UNODC www.unodc.org. 30 Qualité scientifique, niveau de dissémination, etc.

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Echanges avec la salle

Résistances et critiques de la recherche française vis-à-vis de l’approche Evidence-Based

Claude MARTIN Cette présentation formule des pistes pertinentes pour faire progresser la recherche française qui a partiellement négligé les recherches interventionnelles en comparaison avec les pays anglo-saxons. Quels sont les freins au développement des recherches interventionnelles ? Comment atténuer les cloisonnements disciplinaires en France pour rompre avec cette frilosité ? Par exemple, les sciences infirmières en France ou les Social Policies au Royaume-Uni reposent sur des bases interdisciplinaires prometteuses. Les approches Evidence-Based suscitent chez les professionnels des craintes en raison d’une possible dérive vers un prêt-à-penser théorique reposant sur des déterminismes appuyés par des résultats scientifiques. Ils craignent également la dimension de prescription normative de ces outils. Enfin, que pensez-vous du fait que les promoteurs des programmes validés soient parfois leurs évaluateurs ? Certains porteurs de projet ont mis en évidence le coût et la marchandisation d’un programme comme Triple P. Ce type de programme génère des coûts de formation substantiels et fait l’objet d’une évaluation qui s’apparente quasiment à un conflit d’intérêts. Cette situation explique certaines résistances vis-à-vis de l’émergence de ces programmes. Pierre ARWIDSON Matthew Sanders31 est en train d’élaborer un article sur les différentes évaluations de Triple P par son équipe ou des équipes indépendantes. Par ailleurs, parmi les critères d’évaluation du NFP, la réplication d’un programme par une équipe indépendante constitue un critère de qualité du programme. Malheureusement, le concepteur d’un programme de prévention est généralement le seul intéressé par son évaluation. Le programme le plus évalué mondialement par des équipes indépendantes est le programme Drug Abuse Resistance Education (DARE) de la police américaine. La posture de la recherche française semble consister à décrire et à dénoncer des problèmes et des injustices avant d’en transférer la responsabilité au politique sans aller au-delà de l’observation. Cette tendance semble s’expliquer par une crainte du contrôle social. D’ailleurs, les programmes validés, souvent perçus comme normatifs, sont souvent mal reçus par les chercheurs français. Ces résistances sont peut-être aussi liées à la prégnance de la psychanalyse dans la recherche française qui développe une conception davantage centrée autour de l’individu.

L’amélioration des protocoles de recherche préventive

Antoine GUEDENEY Hôpital Bichat, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Je remercie Pierre Arwidson pour son apport déterminant dans le déclenchement de la première recherche interventionnelle Compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience (CAPEDP). Cette recherche en prévention de la délinquance s’était heurtée à des résistances importantes car était considérée comme une tentative de contrôle social. Dans ce contexte, l’engagement financier et moral de l’Inpes a été crucial pour la faire émerger. Pouvez-vous aborder la notion de Consolidated Standards of Reporting Trials (CONSORT) ?

31 Professeur de psychologie clinique à l’Université du Queensland, Matthew Sanders est le fondateur du programme Triple P.

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Pierre ARWIDSON Cette notion renvoie à l’amélioration historique des protocoles de recherche dans le champ de la prévention. Les acteurs de la prévention ont corrigé progressivement d’importantes erreurs méthodologiques des recherches préventives pour parvenir récemment à des critères scientifiques acceptés par tous. Ces erreurs nous amènent à nous interroger sur la pertinence des résultats des premières recherches en prévention. Antoine GUEDENEY CONSORT définit des critères méthodologiques et éthiques de recherche nécessaires pour une publication dans une revue scientifique. Je proposerai dans quelques jours à la WAIMH d’Edimbourg d’y intégrer le critère de la qualité de la supervision des intervenants de terrain par des professionnels expérimentés comme facteur-clé d’efficacité des interventions.

Réussir l’intégration des connaissances expérimentales dans l’élaboration de politiques sociales et familiales

De la construction scientifique d’un problème public à sa mise à l’agenda politique

Marine BOISSON Chargée de mission, Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP)32

Le transfert des connaissances scientifiques vers les pratiques d’accompagnement précoce des parents et des enfants est un vaste chantier en construction. Les connaissances scientifiques dans ce domaine connaissent à la fois des réussites et des échecs en matière de mise à l’agenda politique et d’appropriation professionnelle. Elles nécessitent des médiations et doivent être intégrables aux pratiques de terrain. Au sein du CGSP, je développe un point de vue à la croisée de la recherche et des pratiques de terrain. J’assume un rôle de synthèse des connaissances et d’expertise orientées vers la définition des politiques publiques. Mes remarques n’engagent pas le CGSP mais proviennent de mon expérience d’observation et de recherche-action sur la fonction parentale. La notion de mise à l’agenda renvoie à la construction et à la sélection des problèmes publics. Un problème public ne surgit pas spontanément mais est construit et mis à la connaissance des décideurs. Depuis les années 1990-2000, la recherche a largement contribué à mettre à l’agenda politique les interventions précoces auprès des parents et des enfants. Il convient également de s’interroger sur les médiations et dispositifs existants visant la production et l’intégration de connaissances scientifiques dans les pratiques professionnelles et institutionnelles ordinaires. En effet, la logique d’expérimentation engendre des modifications marginales, locales et temporaires qui n’affectent pas les routines institutionnelles et professionnelles mais en a l’ambition. Nous observons une réorientation durable de l’action publique en matière d’interventions précoces. En effet, la stratégie publique dominante reposait auparavant sur une logique de prise en charge institutionnelle ou professionnelle des difficultés de la petite enfance ou de la jeunesse33. Désormais, les modèles d’action publique reposent davantage sur des stratégies d’aide et de soutien aux familles dans une logique de co-production du développement de l’enfant. Cette évolution débouche sur une offre renforcée voire renouvelée des interventions. Pour autant, la notion de prévention précoce a connu une entrée controversée dans l’espace des politiques

32 Sociologue de formation, Marine Boisson est l’auteur de nombreuses publications sur la fonction parentale, son évolution et les moyens de la soutenir. 33 Selon Marine Boisson, cette stratégie était notamment incarnée par un modèle de protection de l’enfance consistant à protéger l’enfant contre sa famille ou par les modèles d’éducation républicaine au sein desquels l’école assumait la primauté du rôle éducatif de l’enfant.

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sanitaires et sociales, comme en témoigne la signature de la pétition du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » par 200 000 personnes. Ce déficit de consensus a généré une posture de prudence des pouvoirs publics, a retardé l’émergence de certaines politiques et a suscité des interrogations chez les professionnels.

Tendances, freins et écueils de l’intégration politique des connaissances scientifiques

La recherche française a développé une représentation pertinente des demandes et des besoins sociaux et sanitaires en matière de développement de l’enfant. Plusieurs disciplines scientifiques ont mis en lumière l’interdépendance du développement affectif, social, émotionnel et cognitif et ont incité les pouvoirs publics à intervenir dans ce champ. Elles ont également contribué à la réévaluation du rôle des parents dans le développement de l’enfant34 et à mettre en exergue des principes de justice et des mécanismes précoces de génération des inégalités sociales. Enfin, elles ont développé des études sur la mise en œuvre et l’impact d’interventions sociales. Cependant, la sélection des problèmes publics se confronte invariablement à la réalité de ressources publiques limitées. De ce fait, la recherche assume un rôle de hiérarchisation et d’arbitrage des problèmes publics qui induit des logiques d’argumentation et de rapports de force inhérentes au travail d’entrepreneur d’idées et de causes. Dans ce contexte, une première tentation consiste à développer une approche positiviste mettant en avant les recherches fondées sur des données probantes (neurosciences, économie) mais négligeant d’autres sources de savoirs. Cette approche est d’autant plus tentante qu’elle semble susceptible, comme en témoigne la convergence des travaux de James Heckman et des neurosciences, d’impressionner le décideur, mais elle présente parfois des effets pervers. Une tentation plus grave de la recherche a consisté à présenter une version simplifiée des connaissances scientifiques soulignant les apports mais occultant les limites de certaines interventions en matière de dépression maternelle ou de maltraitance. Une autre tentation réside dans l’usage excessif du benchmarking. En effet, les effets de labellisation et des programmes « vus à l’étranger » sont autant de facilités aux effets potentiellement pervers. La tentation de l’innovation pose par ailleurs le risque de la négligence des pratiques existantes. D’ailleurs, à l’introduction des interventions précoces en France, certaines publications scientifiques ont cédé à cette tentation de séduction du décideur à double-tranchant. Par exemple, le mouvement « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » a été le fruit d’instrumentalisations politiques et corporatistes mais s’explique aussi par des problèmes d’importation de programmes de soutien aux enfants et parents. Ces programmes, même validés, sont le fruit de contextes culturels. Ainsi, certains critères d’évaluation considérés progressistes aux Etats-Unis (QI, grossesse précoce, délinquance) car nés dans un contexte d’ethno-culturalisation voire de biologisation de la pauvreté peuvent être perçus comme conservateurs en France. De plus, le manque d’articulation entre les dispositifs français existants et ces programmes a pu créer un sentiment de manque de reconnaissance chez les professionnels. Ces difficultés ont été accentuées par la toile de fond d’un monde social et sanitaire sujet à des injonctions contradictoires et s’appuyant sur un modèle de formation initiale et continue à l’assise incertaine.

Freins et pistes d’intégration des connaissances aux pratiques professionnelles

Le transfert des connaissances vers les pratiques ne s’inscrit pas dans un processus linéaire, notamment parce que la France ne propose pas un contexte optimal d’intégration des connaissances scientifiques aux pratiques professionnelles. En effet, sa gouvernance est

34 Des travaux pluridisciplinaires ont ainsi porté sur le parent comme risque et remède au développement de l’enfant tandis que le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) a développé, dans les années 2000, des travaux sur le devenir des enfants des familles pauvres.

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décentralisée et son secteur de la famille et de l’enfance se situe à la croisée des périmètres des politiques sociales et sanitaires. De plus, son modèle de formation professionnelle présente des vertus de formation opérationnelle mais comporte des limites en matière d’intégration des acquis scientifiques. Pour surmonter ces problèmes structurels, il convient de s’emparer de l’enjeu d’accessibilité des connaissances. En effet, l’abondance des travaux scientifiques peut générer des effets de submersion contre-productifs. De plus, leur accessibilité est freinée par la maîtrise inégale de la langue anglaise et le niveau de langage des professionnels. Aussi, il convient de promouvoir la synthèse, le pluralisme, la gratuité et la centralité des connaissances. L’encyclopédie du développement du jeune enfant illustre l’association de ces quatre dimensions nécessaires au transfert des connaissances35. Pour renforcer cette accessibilité, il faut soutenir les revues narratives souvent critiquées pour des partis pris d’opinion mais dont la qualité d’expertise peut faire l’objet d’une norme de l’Association française de normalisation (AFNOR). Ces revues sont les seules à offrir une contextualisation historique et culturelle des connaissances et à présenter la diversité des approches interventionnelles. Elles permettent aux professionnels de se représenter et d’être inclus au champ du soutien à l’enfance et à la parentalité. En France, un site Internet dédié aux interventions précoces existe36 mais il n’offre pas une information exhaustive. Aussi, il conviendrait peut-être de créer un Groupement d’intérêt public (GIP) sur le thème des interventions précoces sur le modèle de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED). Il faut également compléter les lacunes de la recherche française qui portent aussi bien sur les objets que sur les méthodes de recherche. Par exemple, il est difficile d’articuler en France les approches Evidence-Based et les interventions précoces existantes souvent méconnues. La recherche française a peu investi les modalités de fonctionnement concret de la PMI ou d’une crèche et si certaines études sont disponibles grâce à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), leur nombre demeure insuffisant. Pour stimuler ces recherches, il faut développer une politique de recherche finalisée incitative et favoriser la rencontre des chercheurs et des professionnels, notamment au travers des pôles de ressources de recherche en travail social. Par ailleurs, il faut renforcer les approches en termes de recherche-action et de recherche-intervention qui encouragent le changement au sein des structures de terrain. A ce titre, nous examinerons attentivement le passage du programme CAPEDP au programme Promotion de la santé et de l’attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents : un outil de renforcement des services de PMI (PANJO) qui vise à mettre en œuvre des acquis scientifiques en milieu ordinaire par le biais des professionnels. Il s’agit aussi d’adapter nos outils d’évaluation (échelles d’évaluation de l’environnement institutionnel et de la qualité des prestations, indicateurs de mesure d’impact) et de repenser la formation initiale et continue des travailleurs sociaux. La formation continue est un levier primordial de changement et un vecteur de lien entre les pratiques existantes et les nouvelles connaissances. Dans une note récente de Terra Nova sur la lutte contre les inégalités, un responsable du programme « Jeux d’enfants » expliquait d’ailleurs que la formation des professionnels à ce programme est essentiellement pratique. Elle s’appuie sur leurs compétences et leurs expériences. Elle montre aux professionnels comment s’appuyer sur leurs pratiques ordinaires et n’est pas présentée comme une révolution des pratiques.

35 L’encyclopédie du développement du jeune enfant, développée au Québec, offre trois niveaux de lecture scientifique (éléments-clés, synthèse, expertise) et déploie des efforts de traduction des connaissances dans différentes langues, par exemple en langue portugaise. 36 www.interventions-precoces.sante.gouv.fr.

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Enfin, nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion sur la gouvernance française en matière de petite enfance pour combattre l’hétérogénéité des pratiques. Cette gouvernance repose sur les réseaux locaux, régionaux et des schémas départementaux mais pourrait s’inspirer des pays nordiques qui déploient des curriculums entendus comme ensemble de principes, de pratiques et d’orientations en matière de petite enfance. Par exemple, les crèches françaises développent rarement des pratiques homogènes de développement et d’éveil de l’enfant. Or, il apparaît de plus en plus difficile de se dispenser de principes généraux dans l’action en direction de la petite enfance et des parents.

Echanges avec la salle

Un retard de la recherche française en matière d’interventions précoces ?

Antoine GUEDENEY Les Français ont à la fois une tendance à prendre du retard et une formidable capacité à rattraper leur retard comme l’illustre le cas du secteur informatique. Nous espérons que ce sera le cas dans le champ des interventions précoces. Une des stratégies utiles pour faire accepter des résultats scientifiques et alimenter une dynamique de recherche est d’inclure l’avis des utilisateurs aux travaux de recherche, notamment par le biais des Focus Groups. Il convient également de s’appuyer davantage sur les méthodes d’évaluation qualitative qui se caractérisent par une fiabilité scientifique croissante. Par ailleurs, il serait intéressant d’interroger les représentants de la base de données CEJD sur le nombre d’occurrences de travaux français dont je présume qu’il est faible. Je promeus cette base auprès de divers intervenants mais l’approche Evidence-Based et le recours aux bases de données en ligne sont faiblement intégrés à la culture francophone. Je termine actuellement un manuel de psychiatrie du jeune enfant auquel j’ai intégré un chapitre relatif aux VAD. Les VAD faisaient auparavant partie des pratiques des professionnels mais n’étaient pas théorisées dans les ouvrages scientifiques, au même titre que les TISF ou la recherche en prévention.

Le nécessaire transfert des connaissances de la recherche à l’action publique

De la salle (Ulrich HARTIG, Triple P International) Le programme Triple P fonctionne dans 26 pays du monde et ses manuels sont adaptés aux différentes situations nationales. Il a fait l’objet de plus de 250 publications scientifiques lors des 30 dernières années dont plus d’une centaine réalisée par des équipes indépendantes. Ainsi, son évaluation repose sur des bases totalement indépendantes. De la salle (Hélène VALENTINI, Inpes) Dans une perspective d’accessibilité des connaissances, l’INSPQ a systématisé un plan de transfert des connaissances qui doit être défini par les chercheurs au début de leurs travaux en fonction de leurs publics-cibles. Le monde de la recherche éprouve parfois des difficultés à sortir d’un certain isolement et à procéder à un transfert des connaissances utile à l’action publique. Or, la mission de ces acteurs est de produire de l’expertise pour influencer les politiques publiques.

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Les interventions préventives précoces : de l’expérimentation scientifique à la mise en place d’actions de terrain

De l’investissement philanthropique à l’expérimentation : le projet Preparing for life

Contexte d’élaboration et expérimentation du projet Preparing for Life

Orla DOYLE L’Irlande a une faible expérience en matière d’évaluation expérimentale. En 2004, le gouvernement irlandais a engagé une démarche visant à soutenir le développement, la mise en œuvre et l’évaluation de stratégies d’intervention ciblées autour des communautés défavorisées37. Dans ce contexte, le programme Preparing for Life (PFL) a été consolidé à partir de financements conditionnés par la réalisation d’une évaluation expérimentale. Par ailleurs, une cinquantaine de programmes et d’évaluations fondés sur une base expérimentale a été élaborée. Le programme PFL est un l’un des premiers programmes expérimentaux irlandais dans le domaine de la petite enfance. Géré par le Northside Partnership, il correspond à une initiative communautaire visant les zones défavorisées de Dublin et reposant sur une approche ascendante. En effet, 28 groupes communautaires fournisseurs de services se sont associés pour développer un programme répondant aux besoins de leur communauté. Face au manque de compétences linguistiques, cognitives ou de santé des enfants nécessaires pour la réussite scolaire, PFL visait à améliorer leurs niveaux de préparation scolaire en collaboration avec les parents. Dans le cadre de son évaluation par des ERC, deux groupes d’intervention - un groupe de haut niveau d’intervention et un groupe de faible niveau d’intervention – réunissant des femmes enceintes ont été constitués dans une communauté d’environ 500 personnes. Les membres de ces groupes ont reçu l’équivalent de 100 euros de matériel de développement de l’enfant, ont été encouragés à participer à des ateliers et ont bénéficié d’un accès à un travailleur social et à un service de préscolarité. Le groupe de haut niveau d’intervention a également bénéficié d’un programme de mentorat à domicile et d’un entrainement au programme Triple P. Par ailleurs, un groupe-témoin a été constitué à dix kilomètres de la communauté d’expérimentation. Ce relatif éloignement visait à éviter les effets de « contamination » des groupes d’intervention par le groupe-témoin.

37 Cette démarche s’est notamment traduite par l’évaluation expérimentale du Prevention and Early Intervention Program.

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Figure 7 – Organisation du programme Preparing for Life

Le groupe de haut niveau d’intervention a fait l’objet d’un programme de mentorat à domicile mené de la grossesse aux cinq ans de l’enfant. Chaque parent est encadré par un mentor qui intervient une heure toutes les deux semaines pour le conseiller sur l’éducation des enfants et les techniques parentales. Issus de divers horizons professionnels (éducation, services sociaux, psychologie, petite enfance), ces mentors ont été formés pendant six mois au programme Triple P. Les VAD étaient structurées autour d’un manuel formulant des recommandations de bonnes pratiques pour le développement de l’enfant aux différents âges. De plus, les parents du groupe de haut niveau d’intervention ont participé au programme Triple P. Dans ce cadre, ils étaient réunis en groupe de huit à dix parents et travaillaient à partir de différents supports38 pour développer des techniques parentales positives. PFL repose ainsi sur la combinaison d’un programme local et de Triple P, un programme évalué mondialement. PFL a ensuite fait l’objet d’une évaluation d’impact et d’une évaluation de mise en œuvre. La phase de collecte des données de l’évaluation d’impact s’est articulée autour de huit entretiens, échelonnés de la grossesse aux cinq ans de l’enfant, d’évaluations des compétences cognitives des enfants, du recueil des données physiologiques des parents et du carnet de santé des enfants. L’évaluation de mise en œuvre du programme a reposé sur de nombreuses données qualitatives issues de Focus Groups, d’entretiens semi-directifs des mentors et de données d’activité (nombre de VAD, thèmes abordés). PFL visait des femmes enceintes recrutées entre janvier 2008 et août 2010 au sein d’une maternité et de leur communauté. 233 parents ont été recrutés dans les groupes d’intervention contre 99 dans le groupe-témoin39. Pour éviter la corruption des résultats d’évaluation des précédents programmes, nous avons développé une procédure stricte évitant les permutations de personnes entre groupes d’intervention.

38 Vignettes, jeux de rôle etc. 39 115 personnes ont été assignées au groupe de haut niveau d’intervention et 118 personnes au groupe de faible niveau d’intervention. L’évaluation a utilisé 116 différentes mesures pour examiner les éventuelles différences statistiques entre les deux groupes d’intervention préjudiciables à la démarche de randomisation. Les deux groupes n’ont cependant pas présenté de différences statistiques notables.

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Nos cohortes étaient composées de mères d’un âge moyen de 25 ans essentiellement non-mariées (80 %) et en partie primipares (50 %). 40 % d’entre elles présentaient un faible niveau d’éducation (arrêt de la scolarité à 16 ans) et étaient au chômage et 50 % vivaient en logement social. 50 % des mères fumaient et environ 30 % consommaient de l’alcool durant leur grossesse qu’elles n’avaient pas planifiée dans 60 % des cas.

Impact et perspectives de déploiement du projet Preparing for Life

Notre étude d’impact a été l’occasion d’étudier les résultats néonataux et les caractéristiques du travail d’accouchement de plus de 200 cas. La comparaison des groupes d’intervention n’a pas révélé de différences d’impact en matière de résultats néonataux (durée de gestation, poids à la naissance), hormis sur le score Apgar à une minute qui ne constituait pas notre préoccupation centrale. En revanche, une plus forte proportion des mères du groupe de haut niveau d’intervention a débuté le travail spontanément et ces mères ont connu un taux moindre de césariennes. Les fiches relatives à la préparation de la naissance et les échanges avec les mentors leur ont probablement permis de mieux préparer l’accouchement et de diminuer leur stress. Notre étude a également évalué l’impact de PFL aux différents âges de l’enfant (6, 12, 18 et 24 mois) dans huit domaines40, à partir de 160 mesures différentes. Aux six mois de l’enfant, 14 % des mesures révélaient des différences statistiques entre les deux groupes, contre 9 % à 12 mois, 14 % à 18 mois et 20,5 % à 24 mois. Les effets du programme croissent avec le temps et apparaissent fortement à l’âge de 24 mois, notamment sur le développement et la santé des enfants. A 24 mois, les enfants du groupe de haut niveau d’intervention présentent moins d’asthme et d’infections pulmonaires, mangent davantage de fruits et légumes mais aussi d’aliments gras. Ils présentent en outre de meilleures compétences cognitives et de moindres problèmes comportementaux. En revanche, le programme n’a pas montré d’effets sur la santé mentale des mères. Cependant, leurs visites au médecin ont augmenté et leurs grossesses sont davantage planifiées. Les parents du groupe de haut niveau d’intervention présentaient une plus grande efficacité parentale et des sentiments plus positifs envers les enfants. De plus, leur stress et leurs problèmes étaient en diminution.

Figure 8 - Mesures d'impact du programme aux différents âges de l'enfant

40 Développement de l’enfant, santé de l’enfant, parentage, environnement domestique, santé et bien-être de la mère, soutien social, soins de l’enfant, facteurs domestiques et socioéconomiques.

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PFL présente ainsi des effets significatifs sur la santé des enfants et sur la qualité de l’environnement domestique et des interactions parentales. En revanche, il n’a pas présenté d’effets sur le poids de naissance, l’allaitement ou le bien-être maternel. Ses effets concernent davantage les aspects pratiques que psychologiques de la parentalité, notamment parce que les mentors sont essentiellement des pourvoyeurs d’informations. Les enfants bénéficiaires de PFL ont aujourd’hui de cinq mois à 36 mois et nous disposerons prochainement de résultats d’évaluation à 36 mois. La deuxième phase de PFL est en cours de déploiement notamment grâce à un soutien financier de 30 millions d’euros débloqué par le gouvernement au bénéfice des interventions précoces en matière de parentalité. L’expérimentation de PLF a ainsi servi au développement des programmes d’intervention précoces.

Echanges avec la salle

Attrition et captivité des groupes d’intervention

Antoine GUEDENEY Cette présentation offre un exemple d’étude tenant compte de trois niveaux d’intervention. Je suis jaloux du faible taux d’attrition de ce programme qui cible pourtant un public à risques. Comment êtes-vous parvenu à retenir ce public ? Orla DOYLE Aux 24 mois de l’enfant, 29 % des participants avaient décroché du programme. Nous avons pris en compte les taux d’attrition à partir d’une pondération inverse, ce qui nous a permis d’obtenir une meilleure pondération pour les publics présentant des caractéristiques similaires aux publics décrocheurs du programme. Ce faible taux d’attrition s’explique également par la faible taille de la communauté d’expérimentation qui facilite l’atteinte des publics. Antoine GUEDENEY Votre étude rend également compte également d’un effet dormant du programme au-delà des 24 mois de l’enfant.

Modalités de déploiement du projet Preparing for Life

Michel BOIVIN Quelles seront les conséquences du déploiement du programme après cette phase-test en termes de suivi des groupes ? Orla DOYLE Les personnes ayant participé au programme-test ne pourront pas bénéficier du nouveau programme pour préserver notre groupe-témoin, éviter les effets de contamination et comparer les effets à long-terme du programme entre les groupes d’intervention et une population extérieure. Antoine GUEDENEY L’analyse des performances de ce programme sera intéressante dans un contexte irlandais de restrictions budgétaires.

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Trente années de développement d’interventions précoces au Québec

Julie POISSANT Experte périnatalité et petite enfance, INSPQ41

De l’émergence d’interventions de soutien nutritionnel au déploiement d’interventions globales de soutien familial

Le Québec abrite huit millions d’habitants sur un territoire d’1,6 millions de km². Dans ce contexte, l’implantation territoriale de services à domicile se heurte à de nombreux défis. C’est dans ce contexte que le ministère de la Santé et des Services sociaux québécois développe des services universels et gratuits de soutien aux familles. Les premiers services d’interventions précoces québécois auprès des familles vulnérables remontent aux années 1980 avec notamment le service Œuf-lait-jus d’orange (OLO). Cette intervention nutritionnelle était combinée à un soutien à domicile visant les femmes enceintes à faibles revenus. D’abord expérimenté dans un seul Centre local de services communautaires (CLSC)42, ce programme visait à réduire l’insuffisance de poids à la naissance et à permettre aux femmes de mieux s’alimenter. Il visait ainsi à contrer les effets de la pauvreté et de la malnutrition sur les taux de morbidité et de mortalité périnataux. Par la suite, des programmes globaux ont été conçus pour accompagner les familles à faibles revenus généralement peu utilisatrices de services pourtant universels. Il s’agissait d’aller à la rencontre de ces familles dans une logique d’accompagnement et non de contrôle social. Dans cette perspective, le programme « naître égaux - grandir en santé » a été développé à partir des années 1990 dans trois territoires divers : le territoire urbain de Montréal, le territoire périphérique de Outaouais et le territoire enclavé de l’Abitibi. Il visait à réduire les inégalités sociales, à améliorer la santé et la qualité de vie des familles et à inclure la naissance de l’enfant dans un projet de vie des parents. Il reposait sur l’intervention d’un professionnel unique (infirmière, travailleur social) soutenu par une équipe pluridisciplinaire auprès de femmes enceintes et de parents d’enfants de 0 à 2 ans. Il reposait sur une approche écologique43 d’Empowerment des parents. Soutenue par les réseaux de santé à l’échelle régionale, cette recherche-action visait à encourager l’utilisation des services sociaux et sanitaires et de son propre réseau social informel. Elle concernait les familles caractérisées par de faibles revenus ou une sous-scolarisation. Elle débutait initialement à la 20ème semaine de la grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant, à raison d’une VAD toutes les deux semaines pouvant être complétée par des contacts téléphoniques. Ce programme s’inspire ainsi largement du SFP mais repose également sur le savoir et les expériences des intervenants et des experts de la petite enfance et de la parentalité. Son ERC a témoigné de la satisfaction de ses bénéficiaires et de son impact sur les connaissances des mères défavorisées en matière de grossesse, d’allaitement et d’accouchement. Il a généré des gains de santé mentale, de soutien social et d’alimentation durant la période prénatale. En revanche, il a montré peu d’effets sur le faible poids à la naissance, la prématurité, les retards de croissances intra-utérins ou les compétences parentales post-natales. Cet effet inégal s’explique par une implantation imparfaite du programme en matière de durée, d’intensité ou de fonctionnalité des équipes pluridisciplinaires. Par conséquent, il a fait l’objet d’ajustements au stade post-natal et son intervention a été avancée à la 12ème semaine de grossesse. De plus, il a inclus des objectifs de promotion de la santé.

41 Professeur associé à l’université de Montréal, Julie Poissant a piloté au sein de l’INSPQ les Services intégrés en périnatalité et petite enfance (SIPPE). 42 Le Québec compte aujourd’hui 95 Centres de santé et de services sociaux (CSSS), sortes de centres de PMI à vocation généraliste et grand public. 43 Travail sur les interactions père-mère, enfants-parents, sur le réseau social et les influences environnementales.

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De cette manière, il a été déployé dans l’ensemble du Québec entre 1997 et 2002 avec des objectifs redéfinis. Il visait ainsi à diminuer le taux de naissances prématurées à 5 % au lieu de 7 % et le taux de faible poids à la naissance à 4 % contre 6 % à l’époque. Il s’attachait également à la prévention des abus et de la négligence et s’articulait davantage autour des habiletés parentales. Cette phase de déploiement a aussi été l’occasion de renforcer une approche d’amélioration des conditions de vie et d’environnement des parents. Ainsi, si le cœur du programme continue de reposer sur l’accompagnement individuel des familles par un intervenant unique, une nouvelle stratégie vise la création d’environnements favorables par des actions intersectorielles44, généralement coordonnées par un organisateur communautaire. De plus, les interventions de groupe ont été renforcées pour limiter les déplacements et les coûts d’intervention, même si le programme repose encore essentiellement sur des VAD. Enfin, ce déploiement a été l’occasion d’insister sur l’importance d’un suivi post-natal soutenu d’une durée de deux ans.

Emergence et évolutions des services intégrés en périnatalité et petite enfance : une transformation majeure du paysage des interventions précoces

A partir des années 2000, un programme similaire au programme « naître égaux-grandir ensemble », le Programme de soutien aux jeunes parents (PSJP), a émergé pour cibler uniquement les parents de moins de 20 ans grâce à un soutien politique et financier considérable. Parallèlement, un programme de soutien éducatif auprès des enfants de 2 à 5 ans s’est développé dans le Bas Saint-Laurent pour combler le manque d’accompagnement des parents après les deux ans de l’enfant. Dans un souci de cohérence et de rationalisation des moyens, ces trois programmes ont été fusionnés pour créer les SIPPE. Les SIPPE visaient donc à promouvoir le développement de l’enfant, à diminuer leurs taux de morbidité et de mortalité et à leur assurer des conditions de vie favorables. Ils débutaient à la 12ème semaine de grossesse jusqu’aux cinq ans de l’enfant à raison d’une visite mensuelle entre l’âge de deux et cinq ans voire davantage. Leurs critères d’éligibilité étaient de faibles revenus, une sous-scolarisation (moins de 12 ans de scolarité) ou le fait d’avoir moins de 20 ans. Ils insistaient par ailleurs sur la sécurité de l’attachement dans la relation parents-enfants. Au regard de l’évolution des connaissances, des nécessités d’ajustements mises en lumière par les expérimentations et de contraintes financières et organisationnelles, les SIPPE s’inscrivent dans un processus de transformation permanent. Récemment, les intervenants ont constaté une augmentation de la toxicomanie, des troubles mentaux et des phénomènes de négligence au sein des familles bénéficiaires des SIPPE qui visaient originellement des familles certes à risques mais non en difficulté. De plus, l’intensité des visites prévue par les SIPPE soulève des enjeux de taille, d’autant que les familles bénéficiaires apparaissent moins impliquées dans le programme au fil du temps45. Par ailleurs, l’octroi de fonds publics aux SIPPE à l’échelle régionale s’est accompagné d’objectifs quantitatifs d’atteinte des publics (80 % des femmes éligibles aux SIPPE) et de nombre de VAD qui mettent parfois les intervenants dans des situations difficiles car ceux-ci conditionnent l’octroi de financements tout en ne correspondant pas nécessairement aux besoins des familles. Alors que les SIPPE connaissent actuellement une deuxième phase de transformation, leurs objectifs demeurent inchangés. Néanmoins, ils orientent davantage les enfants de deux à cinq ans vers les services de garde éducative pour diminuer le nombre de VAD, d’autant que les publics vulnérables recourent peu aux services de garde éducative. L’INSPQ travaille en étroite collaboration avec le ministère de la Famille pour diminuer les barrières d’accès aux services universels de garde éducative et y réserver des places pour les publics vulnérables dans une démarche d’universalisme proportionné. Le ministère a revu son critère d’éligibilité aux SIPPE selon l’âge car certains publics

44 Logement, transports, éducation, services de gardes, etc. 45 Ce phénomène d’attrition s’observe notamment à partir des 18 mois de l’enfant.

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de moins de 20 ans disposent d’un réseau et de ressources suffisants. De plus, il a réaffirmé que les SIPPE devaient exclusivement cibler les publics à risques et non des publics marqués par des problèmes comportementaux ou toxicomaniaques. Face à des besoins familiaux considérables, la dimension de développement de l’enfant a parfois été négligée au sein des SIPPE et est réaffirmée l’importance de consacrer au moins 20 minutes par visite à une intervention directe auprès de l’enfant. Les SIPPE sont accessibles dans 95 CSSS et soutenus par les autorités régionales de santé publique, le ministère de la Santé et des Services sociaux et l’INSPQ. Ils disposent d’un budget annuel d’environ 30 millions d’euros, atteignent 80 % des femmes ciblées et suivaient environ 20 000 familles en 2012-2013. En conclusion, je conseillerai à mes collègues français de ne pas craindre d’avancer lentement mais de craindre uniquement d’arrêter d’avancer.

De la recherche expérimentale au développement d’une intervention de droit commun : le projet PANJO

De CAPEDP à PANJO : genèse et progrès d’une démarche de transposition des connaissances scientifiques aux pratiques professionnelles

Thomas SAIAS46

Le projet PANJO est un projet fondé sur les différentes initiatives de l’Inpes depuis 10 ans et s’inscrivant directement dans la continuité du projet CAPEDP, financé par l’Institut. Il incarne la démarche de l’Inpes de transposition des résultats de recherche dans les pratiques professionnelles. Il s’appuie sur des données de recherche et sur une collaboration partenariale visant à améliorer l’accompagnement des jeunes parents. La France dispose de services de qualité, au premier desquels la PMI, dont il convient de renforcer la capacité préventive. Aussi, PANJO vise à renforcer les dispositifs de prévention précoce en s’appuyant notamment sur les VAD mais aussi sur la culture et l’expérience de santé publique des professionnels de la PMI. Les récentes études épidémiologiques montrent que la santé mentale des enfants et des adolescents n’est pas sensiblement meilleure en France qu’ailleurs. En 2003, les chefs de services de pédopsychiatrie ont d’ailleurs attiré l’attention de notre équipe sur le fait qu’un nombre croissant d’enfants était orienté vers leurs services pour des raisons ne relevant pas de leur cœur de métier (troubles du comportement, échec scolaire, retrait social). Ces phénomènes étaient notamment liés aux environnements de stress et de précarisation dans lesquels ces enfants et leurs parents évoluaient. Dans ce contexte, il est apparu que leur accompagnement quotidien pouvait constituer une entrée préventive nettement plus efficace que des stratégies réparatrices de pédopsychiatrie coûteuses et potentiellement stigmatisantes. Partant de ces constats, le projet CAPEDP a été développé et ses résultats de recherche ont permis d’attester de ses effets favorables sur le stress et le soutien parental, le développement de l’enfant et les relations des familles avec la PMI. Cependant, certains indicateurs ont révélé des marges de progrès. Par exemple, le travail formidable des psychologues à domicile a parfois tendu vers la psychothérapie au détriment de l’intervention des services de PMI. Par ailleurs, les programmes durables de VAD soulèvent des risques d’institutionnalisation de l’accompagnement à domicile de familles qui doivent également s’orienter vers la communauté.

46 Docteur en psychologie, Thomas Saïas est chargé d’expertise scientifique à l’Inpes et directeur de recherche à l’Institut de psychologie de l’Université Paris Descartes. Il a été l’ingénieur de recherche du programme CAPEDP en Île-de-France (2005-2011) qui fut le premier projet français d’évaluation d’une action d’accompagnement à domicile de long terme auprès des jeunes parents.

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Le projet PANJO : croisement des sources de connaissances et dynamique partenariale

Le projet PANJO a été inspiré par des recherches françaises elles-mêmes alimentées par des recherches québécoises47 inscrites dans un lien de filiation avec NFP. PANJO a pour objectifs la promotion de la santé maternelle et infantile et le soutien aux relations parents-enfants. Il s’appuie sur une démarche pluri-épistémologique qui a consisté à soumettre les travaux de recherche en matière d’intervention précoce et préventive aux services de PMI pour évaluer leur pertinence et leurs modalités d’intégration pratique. L’expérience de la PMI en matière de santé périnatale et mentale a été recueillie et la mutualisation de ces sources de connaissances a permis d’élaborer des documents communs à partir des documents de l’INSPQ. Les outils d’intervention préventive reconnus comme efficaces et leurs axes d’amélioration et d’articulation à l’échelle française ont été examinés. A l’issue de CAPEDP, notre équipe a investi des protocoles de recherche qualitatifs en interrogeant les intervenants à domicile, les superviseurs de programmes et leurs usagers. Cette confrontation avec l’expérience vécue des usagers des programmes offre une vision fine des axes d’amélioration des protocoles de recherche. D’ailleurs, les résultats de l’évaluation qualitative des programmes présentés par Orla Doyle sont très similaires aux résultats d’évaluation de CAPEDP, ce qui met en lumière des ingrédients-clés dans les relations à entretenir avec les familles vulnérables.

Figure 9 - Les sources de connaissances complémentaires du projet PANJO

En 2011, l’Inpes a entamé un projet de valorisation des connaissances acquises dans le domaine du soutien à la parentalité. Dans ce sillon, PANJO vise à tester un modèle reposant sur la formation et sur un dispositif renforcé de VAD. Celle-ci constitue un point d’entrée efficace pour atteindre les familles échappant aux services universels. Ces VAD porteront sur certaines thématiques ciblées et seront menées à partir d’un support d’intervention car les puéricultrices sont parfois désarçonnées face à la diversité des problématiques auxquelles sont confrontées les familles. Par ailleurs, les intervenants à domicile sont parfois confrontés à des enjeux de santé mentale. Dans ce cadre, ils doivent pouvoir compter sur une supervision effectuée par des professionnels expérimentés en santé mentale que PANJO entend systématiser.

47 « Naître égaux-grandir en santé », OLO, SIPPE.

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La formation, clé de voûte du projet PANJO

PANJO s’articule autour de deux sessions de formation élaborées par l’Inpes, en collaboration avec la PMI. Au regard du caractère universel du service de PMI, il a été décidé de former l’ensemble de ses acteurs pendant deux jours aux enjeux parents-enfants et à un vocabulaire commun dans ce domaine. Il s’agit ainsi de renforcer leurs compétences individuelles et collectives pour développer une action préventive, centrée autour des relations parents-enfants. De cette manière, les parents bénéficieront d’un service d’accompagnement renforcé quel que soit leur interlocuteur au sein de la PMI. Trois jours supplémentaires de formation des intervenants à domicile sont consacrés à la VAD. Le socle théorique principal de notre approche est la théorie de l’attachement selon laquelle le développement de l’enfant est fondé sur les relations qu’il entretient avec ses parents et son environnement48.

Un dispositif renforcé de visite à domicile appuyé par des supports d’intervention et une analyse des pratiques

PANJO repose sur un dispositif renforcé de VAD. La précocité de la VAD renforce son impact car elle permet de créer des liens avec les parents, dès le stade prénatal pour ne pas avoir à les construire durant la période post-natale. Les VAD doivent aussi être fréquentes et organisées autour d’un interlocuteur unique pour consolider un lien avec la famille. En PMI, les VAD prénatales sont assurées par les sages-femmes tandis que les VAD post-natales sont assumées par les puéricultrices. Néanmoins, il apparaît intéressant d’assurer une continuité de la relation entre ces deux phases. PANJO prévoit ainsi deux visites prénatales visant à travailler sur les préoccupations de parents primipares marqués par un sentiment d’isolement social. Elles visent aussi à les sensibiliser aux comportements de santé pendant la grossesse. Ensuite, PANJO prévoit quatre visites post-natales jusqu’aux six mois de l’enfant et six visites supplémentaires jusqu’aux 12 mois de l’enfant en cas de besoin. Ces VAD post-natales visent à investir les problématiques de santé et de santé mentale en fonction des besoins exprimés par les familles. Grâce à un support d’intervention, l’intervenant pourra recentrer, le cas échéant, les discussions et consacrera au moins 20 minutes au développement de l’enfant. Pour lutter contre l’isolement social de ces familles, il convient de les orienter vers les centres de PMI et, par là même, vers la communauté. Le support d’intervention auprès des familles repose sur le socle théorique de l’attachement et aborde différentes thématiques de santé49. Ce support de 246 pages constitue également un outil de lobbying auprès des tutelles des conseils généraux en faveur du développement de la VAD. De plus, il aide les intervenants à évaluer les demandes des familles et deviendra un outil de formation des professionnels. PANJO offre un espace d’analyse de pratiques et de relations entre la PMI, les intersecteurs de psychiatrie et d’autres professionnels. Il mobilise la sphère politique, les Agences régionales de santé (ARS) et les acteurs de terrain. Il offre enfin un espace de supervision permettant aux professionnels d’être soutenus pour mieux soutenir les familles. PANJO sera évalué lors des 18 prochains mois par une recherche d’implantation. Il s’agira notamment d’évaluer si les centres de PMI se saisissent de ce dispositif reposant sur une logique préventive et une forte composante de santé mentale. Ensuite, la viabilité, l’appropriation et la conformité au droit commun du dispositif de VAD seront examinées au même titre que la pertinence du socle théorique de l’attachement. Enfin, PANJO fera l’objet d’une étude qualitative, notamment auprès des familles.

48 Selon Thomas Saïas, la théorie de l’attachement présente l’avantage d’employer un vocabulaire simple à utiliser et partageable. 49 Consommation de substances, allaitement, alimentation, vaccination, prévention des accidents domestiques etc.

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PANJO a déjà été l’occasion de former 100 personnes des services de PMI et 30 personnes à la VAD dans quatre départements50 et une quinzaine de centres de PMI inscrits dans des configurations géographiques et démographiques diverses. Notre objectif est de produire des outils utiles pour les professionnels. A ce titre, nous étudions actuellement les formations utiles à développer en partenariat avec des acteurs du champ de la formation.

Echanges avec la salle

Le retour en grâce de la théorie de l’attachement ?

Antoine GUEDENEY L’approche par l’attachement revient au cœur des interventions précoces alors qu’elle a longtemps été conçue en France comme une lubie anglo-saxonne, une théorie éthologique vue par certains comme une approche anti-psychodynamique. Grâce au modèle canadien, cette perception a changé et la définition de l’attachement s’est éclaircie. L’attachement ne désigne pas l’ensemble des relations parents-enfants mais les réponses adaptatives du bébé en situation de stress face à son environnement et aux comportements parentaux. Ce comportement de recherche de sécurité est préemptif par rapport à l’ensemble des systèmes motivationnels (dormir, manger) du petit enfant. Aussi, l’attachement constitue un objectif prioritaire des VAD.

Personnes âgées dépendantes et petite enfance, deux âges aux problématiques communes ?

Claude MARTIN Les problématiques relatives à la VAD (intégration sociale, suivi sur-mesure) s’appliquent également au champ de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. En effet, les champs de la petite enfance et de la dépendance se caractérisent par des problématiques communes qui renvoient à la notion d’universalisme proportionné. L’universalisme proportionné substitue à l’approche structurante des politiques publiques consistant à promouvoir l’égalité par un prêt-à-porter de droits une approche consistant à les proportionner au fil du temps dans une logique de sur-mesure. Cette tension se retrouve au sein de nombreux secteurs qui cherchent à approcher les besoins des personnes tout en étant encombrés par les difficultés de décodage et de réponse à ces besoins. Antoine GUEDENEY A ce titre, il est intéressant de noter que l’attachement redevient un comportement préemptif chez les personnes âgées. Thomas SAIAS Le point d’entrée par le domicile est essentiel pour favoriser l’accessibilité universelle aux services. Cependant, la visite à domicile des personnes âgées constitue parfois un facteur iatrogène qui renforce leur isolement. Aussi, Pilar Arcella-Giraux montrera comment il est possible d’accéder aux familles par le domicile pour ensuite les ouvrir sur la communauté, renforcer leur participation et leur sentiment d’utilité sociale.

50 Paris, Hauts-de-Seine, Rhône, Loire-Atlantique.

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De la construction à l’évaluation d’un programme de promotion de la santé précoce : l’exemple de l’atelier santé-ville d’Aubervilliers

Un long processus de co-construction de projet

Pilar ARCELLA-GIRAUX Médecin référent santé mentale, ARS Île-de-France51

Ancienne cité ouvrière de 74 000 habitants, Aubervilliers a une longue tradition d’accueil de populations depuis la moitié du 19ème siècle. Il s’agit d’une ville extrêmement pauvre, caractérisée par de graves problèmes de chômage, en lien avec la faible qualification d’une bonne partie des habitants. Un tiers de ses habitants a moins de 20 ans et elle compte 4 000 enfants de 0 à 4 ans.

Figure 10 - Représentation comparative des caractéristiques sociodémographiques d'Aubervilliers

Les ASV ont constitué en 2001 l’une des stratégies retenues par la politique de la ville pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé. Aubervilliers a été un des premiers terrains d’expérimentation des ASV et a très tôt bénéficié d’une dynamique professionnelle de co-construction d’une démarche de promotion de la santé52. Dans ce contexte, la proposition de développer un programme de prévention précoce, faite à l’ASV par le Bureau de la santé mentale 51 Longtemps responsable de l’Atelier santé-ville (ASV) d’Aubervilliers, l’un des premiers ASV de France, Pilar Arcella-Giraux s’est distinguée en développant de nombreux programmes de santé communautaire et de santé mentale bâtis à partir des données épidémiologiques locales. 52 Cette démarche s’est notamment traduite par la mise en place précoce à Aubervilliers d’une formation en santé communautaire destinée aux professionnels.

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de la Direction générale de la santé (DGS), a été rapidement acceptée. Elle a mobilisé un comité de maîtrise d’ouvrage réunissant des financeurs nationaux et départementaux, un comité local réunissant les acteurs intervenant auprès des familles avec des enfants en bas-âge et qui avait un rôle de co-construction du programme et un comité d’évaluation financé et animé par l’Inpes. La construction du programme par l’ASV a été longue. En effet, les premières années, entre 2003 et 2006, ont été consacrées à la phase d’analyse préliminaire. Cette analyse préliminaire incluait une étude de faisabilité/acceptabilité du projet avec une recherche bibliographique internationale et un état des lieux local pour définir des priorités d’action. Dans ce cadre, une convention entre l’ASV et la fondation de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) a été conclue et une journée d’échanges de pratiques réunissant des intervenants internationaux a été organisée autour du thème de la prévention précoce. Dès sa conception, le programme a été axé sur la promotion de la santé et non sur le dépistage, la prévention ou le traitement de pathologies. En fait, il s’agissait, avant tout, de promouvoir des conditions de vie favorables à la santé et au développement psychologique, cognitif, affectif et social des enfants. Pour ce faire, il convenait d’associer les familles et de développer une démarche inter-sectorielle. Le projet de l’ASV s’est identifié au programme Starting Well développé en Ecosse. Ce programme s’adressait à la famille et non seulement à la dyade mère-enfant. Développé par des infirmières-visiteuses avec l’appui de ressources communautaires, il portait un projet de promotion de la santé. Nos travaux préliminaires ont posé la VAD dès la grossesse comme pierre angulaire de notre programme. Ils ont réaffirmé l’importance d’une approche globale de la famille, d’une inclusion au programme de l’ensemble des nouveau-nés indépendamment de leur rang dans la fratrie et d’un accompagnement par des réponses ajustées. Ils ont surtout réaffirmé l’importance d’un pilotage transversal du programme porteur d’une approche socio-sanitaire53. Un des principes essentiels du programme est la prise en compte des déterminants socio-environnementaux de la santé avec un accent mis sur les problématiques qui étaient considérées comme prioritaires par les parents, à savoir celles liées au logement, à l’insertion sociolinguistique des parents primo arrivants et au développement personnel de la mère. Il a sélectionné un quartier d’expérimentation marqué par une forte diversité, un nombre important de naissances et accueillant une population un peu moins mobile. Enfin, il a établi un fonctionnement de travail intersectoriel.

L’approche d’universalisme proportionné appliquée à un territoire : visite à domicile, travail intersectoriel et actions collectives

Très tôt, il a été décidé que le programme s’adresserait à l’ensemble de nouveaux parents d’un territoire précarisé (approche universelle) plutôt qu’à des individus vulnérables (approche ciblée). L’une des différences importantes entre l’approche interventionnelle ciblée et l’approche universelle est que la première, focalisée sur la détection des facteurs de risque, a tendance à ignorer le contexte communautaire comme mécanisme de changement. Or, il est considéré comme essentiel dans le programme de l’ASV. Par ailleurs, l’ASV a positionné les questionnements éthiques comme enjeu central de son action et a constitué un groupe de réflexion éthique. Ce groupe a mis en avant le fait que la désignation d'individus cibles par un programme entraîne des possibilités d'étiquetage et de stigmatisation. Enfin, la réflexion éthique a affirmé la nécessité d'une démarche d’empowerment collective permettant d’un côté, de surmonter les épreuves par des liens de solidarité et, d’un autre côté de faciliter l’organisation des groupes de parents pouvant agir sur des déterminants de la santé des enfants.

53 Ce pilotage transversal s’est matérialisé par l’installation d’un comité de pilotage décisionnel et pluripartite.

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Le programme de l’ASV s’est articulé autour de trois axes : des VAD, des activités collectives et des activités de renforcement du travail en réseau. Ce programme à tiroirs permettait aux familles de sélectionner librement les formules de VAD ou d’actions collectives selon leurs souhaits ou besoins. Nos VAD, très inspirées du programme Starting Well, insistaient sur la qualité du lien entre la visiteuse-infirmière et la famille54 : par exemple, la famille pouvait la contacter hors des horaires de visite, y compris le week-end. Les bénéficiaires du programme ont salué l’approche globale des préoccupations et des difficultés des familles portées par notre programme. Pour sa part, l’étude de la fondation MGEN avait mis en lumière l’importance des espaces d’accueil parents-enfants et recommandait de les multiplier par dix. En l’absence de moyens suffisants, deux espaces parents-enfants ont été développés dans le quartier. Le programme ASV n’avait pas de locaux propres sur le quartier et était hébergé dans les locaux d’autres services dans une perspective de travail en réseau. Par ailleurs, les ateliers sociolinguistiques destinés aux parents primo-arrivants ont été instructifs pour notre équipe. En effet, alors que nous pensions qu’il fallait développer des ateliers de guidance parentale et que les besoins principaux des familles concernaient l’absence de soutien social, celles-ci identifiaient comme besoins principaux les problèmes économiques, l’accès à la garde d’enfants et à la langue. Aussi, il a été décidé de développer un atelier sociolinguistique abordant des thématiques adaptées aux préoccupations des parents et associé à une garde d’enfants. Le travail de réseau est extrêmement enrichissant. Il ne consiste pas à mettre ensemble les wagons d’un train mais de décider collectivement de modalités d’action en fonction d’un contexte et de ressources. Pour agir auprès des familles, il faut développer un travail sous forme d’entonnoir pour reprendre l’expression de l’Inpes. Ainsi, notre équipe a envoyé 1346 courriers à l’ensemble des familles attendant un bébé et 506 familles ont été visitées, selon un rythme plus ou moins intense. Lors de cette expérience, je n’ai pas été confrontée à des familles démissionnaires. J’ai rencontré des familles souvent en grande difficulté mais toujours préoccupées par le devenir de leurs enfants et déterminées à s’investir pour que ceux-ci grandissent en bonne santé.

Echanges avec la salle

Créer du lien

Antoine GUEDENEY Cette intervention, à la dimension psychosociale, marquée montre que l’attention accordée à une famille renforce son sentiment de fierté et d’estime de soi. D’ailleurs, un bénéficiaire de votre programme expliquait : « Il faut que dans ce quartier, nous redevenions fiers d’être parents ». Un autre bénéficiaire note qu’une intervenante du programme « a mis tout le monde en lien. Elle venait pour l’enfant mais elle venait pour nous tous ». La disponibilité des intervenants a contribué à tisser cette relation d’attachement, notamment par la mise en place d’une hotline.

54 Il était ainsi attendu des intervenants à domicile de témoigner de l’intérêt vis-à-vis des préoccupations de familles confrontées à des problématiques graves comme les risques d’expulsion locative.

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Concurrence et complémentarité des dispositifs publics

De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART, ARS Aquitaine) Ces VAD sont-elles organisées en lien avec le Programme d’accompagnement du retour à domicile (PRADO)55 de l’Assurance-Maladie destiné aux mères sortant tôt de maternité ? Il serait pertinent d’associer ces deux dispositifs. Pilar ARCELLA-GIRAUX Le programme de l’ASV d’Aubervilliers est antérieur au PRADO aussi nous n’avons pas eu l’occasion de travailler avec ce dispositif. Par ailleurs, le service de PMI s’était rapproché de la maternité privée d’Aubervilliers et notre équipe travaillait également avec les maternités mais il y avait une grande dispersion des lieux d’accouchement des mères. Thomas SAIAS Il serait judicieux d’associer le PRADO à une réflexion globale sur la formation des sages-femmes à l’accompagnement des familles et sur son articulation avec les services de PMI. Par exemple, sa mise en œuvre a fait chuter la file active de la PMI dans un département d’expérimentation de PANJO. Je ne souhaite pas remettre pas en cause la pertinence de son financement mais je m’interroge sur le développement de ce dispositif susceptible d’entrer en concurrence avec des dispositifs pluri-professionnels. Le PRADO peut être appréhendé comme un bon dispositif si l’on considère que les sorties précoces de maternité soulèvent un problème de santé publique. En revanche, il faut veiller à ce qu’il ne participe pas à la chute de la PMI et des dynamiques de réseau. Pilar ARCELLA-GIRAUX Par ailleurs, le programme de l’ASV était déployé en lien avec les dispositifs visant à accompagner les familles dont les enfants étaient mort-nés ou morts pendant la grossesse. De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART) Cette situation de concurrence du PRADO avec d’autres dispositifs me semble emblématique des difficultés de terrain en France.

Vers une approche universelle modulaire ?

De la salle (Maryse SIMONET, médecin inspecteur en charge de la santé mentale, DGS) Le projet PANJO développe une approche intégrée mais aussi une orientation en santé mentale assez prégnante. Plutôt qu’en termes d’universalisme proportionné, ne devrions-nous pas raisonner en termes d’universalisme modulaire ? En effet, vos retours d’expérience ont montré qu’il était parfois judicieux d’organiser un relais entre dispositifs en cas de dépression maternelle. Il est possible de développer des approches intégrées en matière de santé mentale ou de nutrition, mais il m’apparaît nécessaire de réfléchir en aval de leur déploiement à leur spécialisation et aux modalités d’organisation d’un relais avec d’autres dispositifs. Cette approche serait cohérente avec un souci éthique visant à apporter des réponses adaptées aux besoins de santé détectés. Antoine GUEDENEY Votre remarque pointe la nécessité de décrire un parcours de soins post-natal centré notamment sur la dépression post-natale.

55 Le PRADO est un dispositif de financement de visites post-natales par des sages-femmes.

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Pilar ARCELLA-GIRAUX La première famille bénéficiaire du programme de l’ASV comportait une mère schizophrénique. Il est essentiel, pour développer un programme de promotion de la santé, d’associer les diverses filières de soins et de protection de l’enfance. Cette situation, qui évidemment n’était pas la seule à avoir besoin de l’intervention des soins mais que j’utilise à titre d’exemple, ne nous a pas contraints à arrêter le programme mais à consolider des liens forts avec la filière psychiatrique et à organiser des visites conjointes pour offrir à cette personne un parcours de soins, mais aussi de promotion de la santé et d’amélioration des conditions de vie.

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Conclusion

Pour une approche globale et clinique de la complexité

Claude MARTIN Je ne sais pas si l’Inpes fait bien de me confier la conclusion de cette journée tant je me refuse, dans mon indiscipline chronique, à me laisser enserrer dans un discours de spécialiste de l’accompagnement des parents et des enfants. Je préfère plutôt dresser des passerelles entre les mondes. J’étais ravi de retrouver Michel Boivin que j’ai côtoyé sur les bancs de l’université Laval il y a 35 ans. Animé par ce sens persistant de l’indiscipline, je suis passé de la psychologie du développement à la sociologie de la protection sociale. Je dois beaucoup au sociologue Robert Castel qui m’a fortement orienté dans ma lecture des phénomènes. Il expliquait en 1981 dans la Gestion des risques que nous étions en train d’abandonner les vertus de l’approche clinique tenant compte de l’individu dans sa globalité au profit d’une approche des individus comme des dossiers, épidémiologique et probabiliste. Nous devons conserver à l’esprit ce risque de dérive. L’expérience présentée par Pilar Arcella-Giraux réunit les vertus d’une démarche sur-mesure et co-produite dont l’accessibilité et la portée s’expliquent par une approche globale et clinique de la complexité des situations et des personnes. Ces personnes présentent de nombreux facteurs de risques56 mais ne sont pas pour autant dépourvues de compétences. D’ailleurs, elles pourraient nous mettre au défi de mieux réussir qu’elles dans leur situation et nous serions alors probablement en difficulté. Michel Boivin présentait des travaux émergents en épigénétique qui montrent que nous ne sommes pas également pourvus face aux épreuves et qui posent la question de la résilience. Au regard de cette inégalité épigénétique, ces personnes devraient être brisées mais ne le sont pourtant pas. Elles semblent avoir transformé par une équation personnelle un patrimoine génétique et des expériences pour faire face à ces épreuves.

Une production des savoirs historiquement située

Un intervenant pointait la tendance de la recherche française à se borner à formuler des observations sans proposer de solutions. Idéalement, il conviendrait de ne rien abandonner d’une recherche visant à examiner comment se construit un problème mais participant aussi à l’action. Certains voudraient régler ce problème par le pari de la « recherche-action ». En tout état de cause, il ne faut pas négliger le temps de la compréhension qui génère certes un sentiment d’impuissance en raison de la complexité du monde. Nous sommes des moments dans une Histoire des savoirs en grande partie résultat d’un passé. Par exemple, dans l’Histoire des politiques familiales, notre volonté de conception de politiques universelles s’est heurtée au constat que le soutien de tous induisait une action insuffisante envers les plus démunis. Pour autant, le principe d’égalité est un formidable levier d’action. De la même manière, nous résolvons des problèmes de façon différente génération après génération. Par exemple, les femmes ont adopté des comportements de balancier en matière de fécondité au fil des générations. Ainsi, nos arrière-grands-mères malthusiennes ont engendré des grand-mères très fécondes qui ont engendré elles-mêmes des mères maîtrisant leur fécondité. Cet effet de balancier illustre une volonté de ne pas subir le sort de la génération précédente, une dynamique qui semble s’appliquer à nos savoirs. Il s’agit en effet de faire mieux en repartant des obstacles des générations précédentes, par exemple

56 Habitat, situation économique, accès au travail, etc.

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en tentant de résoudre des problèmes sous-évalués précédemment. Ces mécanismes permettent de comprendre l’importance accordée à la preuve scientifique de nos jours. J’ai apprécié les propos de Marine Boisson sur la nécessité de préserver le pluralisme de la recherche et le dialogue sur les controverses scientifiques. D’ailleurs, Cécile Delawarde rappelait ce matin les conditions de production des programmes de soutien à la parentalité qui ont émergé aux Etats-Unis lors d’une période d’inégalités sociales et économiques et de ségrégation raciale. A cet égard, il nous incombe de réfléchir au moment historique dans lequel nous vivons pour comprendre ce qui nous pousse à agir. Les approches en termes d’Evidence-Based, d’investissement social et de rendements à terme correspondent très bien à l’air du temps. Elles font écho à la réduction des capacités d’interventions publiques et aux impératifs de gestion de ressources en diminution. L’argument du rendement à terme doit être utilisé car il est aujourd’hui audible. Pour autant, il ne répond qu’à une infirme partie de nos objectifs, les Social Returns étant la finalité ultime des programmes d’intervention. En effet, les économies de moyens ne produisent pas nécessairement de bien-être. Nos méthodes scientifiques sont situées historiquement et enserrées dans un faisceau de contraintes qui valorisent certains argumentaires. Ainsi, si je suis favorable à l’argument de l’investissement social, je ne pense pas qu’il constitue une préoccupation centrale et exclusive. D’ailleurs, les évaluations qualitatives des programmes d’intervention révèlent leurs effets positifs en matière de coopération et de pratiques professionnelles.

La nécessaire coexistence des approches expérimentales et des interventions standardisées

Les interventions expérimentales, disons les expérimentations sociales, se heurtent à un dilemme. En effet, elles permettent de résoudre des problèmes que des dispositifs standards et évaluables sont incapables de résoudre. Elles sont mobilisatrices car fondées sur la participation et la co-construction des usagers et des professionnels qui écrivent en temps réel des programmes chronophages, difficilement évaluables mais générant des résultats incontestables. Néanmoins, elles sont non-reproductibles et non-transférables en l’état car elles reposent sur des initiatives ad hoc adaptées à des localités et à des systèmes d’acteurs non-interchangeables. Cette non-reproductibilité pose des problèmes d’évaluation. En revanche, ces expérimentations offrent une liberté d’agir à l’opposé des contraintes de la standardisation. Il est difficile de faire perdurer dans le temps les expérimentations car les motivations de leurs acteurs s’émoussent et ceux-ci ne souhaitent pas les reproduire à l’infini. La liberté et l’inventivité de la phase inaugurale de l’expérimentation sont incompatibles avec les processus de standardisation garantissant l’évaluation. D’ailleurs, ce dilemme prend tout son sens quand on aborde l’approche Evidence-Based, synonyme de contrainte et d’abandon de l’approche clinique. Il ne s’agit cependant pas de privilégier une façon de faire sur l’autre, mais de permettre à ces méthodes différentes de coexister. Nous avons tout intérêt à conserver à l’esprit une vision générationnelle des savoirs. Il s’agit en effet de comprendre dans quelle étape historique des interventions de promotion de la santé, d’éducation à la santé et de santé publique nous évoluons. La priorité du moment sera-t-elle permanente ? Aurons-nous à reprendre les expériences passées pour comprendre les moteurs d’action de nos prédécesseurs ? Nous devrons peut-être revisiter le moteur d’autres méthodes interventionnelles historiques. Dans ce contexte, l’approche généalogique du temps long nous permettra d’éviter les avis tranchés au profit d’une attitude qui cherche à embrasser une vision d’ensemble de la complexité.

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Antoine GUENEDEY Merci pour ce rappel sur la variété des contextes historiques d’émergence des interventions précoces. Le NFP répondait par exemple aux carences de l’action publique américaine et à un contexte de ségrégation. Merci aussi pour votre remarque sur les familles à difficultés multiples que Gilbert Diatkine avait qualifié à tort de « familles sans qualités ». Ces familles privilégient parfois le nombre d’enfants sur la qualité de leur action parentale. Cependant, il faudrait pouvoir parfois leur dire : « Si j’étais dans votre situation, je ne ferais pas mieux que vous ».

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Sigles ACSS : Académie canadienne des sciences de la santé AFNOR : Association française de normalisation ANPDE : Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes AP : Auxiliaires de puériculture AP-HP : Assistance publiques-Hôpitaux de Paris ARS : Agence régionale de santé ASV : Atelier santé-ville CAPEDP : Compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience CERC : Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale CGSP : Commissariat général à la stratégie et à la prospective CIPCA : Commission interministérielle de prévention des conduites addictives CLSC : Centre local de services communautaires CNAF : Caisse nationale des allocations familiales CNRS : Centre national de recherche scientifique CONSORT : Consolidated Standards of Reporting Trials COP : Contrat d’objectifs et de performance CPS : Compétences psychosociales CSSS : Centres de santé et de services sociaux DGS : Direction générale de la santé DPC : Développement professionnel continu EAJE : Etablissement d’accueil de jeunes enfants EHESP : Ecole des hautes études en santé publique EJE : Educateur de jeunes enfants EJNQ : Etude des jumeaux nouveaux nés du Québec ELTEC : Etude longitudinale du développement des enfants du Québec ERC : Essai randomisé contrôlé ERPE : Espace de rencontre parents-enfant GIP : Groupement d’intérêt public GRIP : Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale de l’enfant et de l’adolescent HCPF : Haut conseil de la population et de la famille IEP : Institut d’études politiques IHDP : Infant Health and Development Program Inpes : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé INSPQ : Institut national de santé publique du Québec MGEN : Mutuelle générale de l’éducation nationale NCI : National Cancer Institute NFP : Nurse Family Partnership OLO : Œuf-lait-jus d’orange OMS : Organisation mondiale de la santé ONED : Observatoire national de l’enfance en danger ORS : Observatoire régional de santé OSCARS : Outil de suivi cartographique des actions régionales de santé PFL : Preparing for Life PMI : Protection maternelle et infantile PNAS : Plan national d’action contre le suicide

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PPSM : Plan psychiatrie et santé mentale PRADO : Programme d’accompagnement du retour à domicile PRS : Programme régional de santé PSJP : Programme de soutien aux jeunes parents QI : Quotient intellectuel RAND : Research and Development REAAP : Réseaux d’écoute, d’aide et d’accompagnement aux parents RSJ-DJE : Réseau stratégique de connaissances sur le développement des jeunes enfants SAMHSA : Substances Abuse and Mental Health Services Administration SFP : Strenghtening Families Program SIPPE : Services intégrés en périnatalité et petite enfance SNS : Stratégie nationale de santé SRC : Société royale du Canada TISF : Technicienne d’intervention sociale et familiale UCD : University College of Dublin UCLA : University of California Los Angeles UE : Union européenne UNISDA : Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif UNODC : United Nations Office on Drugs and Crime VAD : Visite à domicile