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Comptes rendus

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406 Comptes rendus / Sociologie du travail 54 (2012) 391–431

L’auteur conclut (Et maintenant. . . ?) à des évolutions juridiques et réglementaires porteusesd’un renouvellement des manières d’appréhender les risques et de penser leur prévention en cequ’elles interrogent davantage les liens avec l’organisation du travail, les modes de gestion et leschoix stratégiques. Toutefois l’effectivité du « droit à la santé au travail » nécessite « des instru-ments institutionnels et des dynamiques collectives » (p. 179) qui restent à renforcer ou inventer.Arnaud Mias en propose trois : la « pénalisation de la santé au travail », un « renchérissement descoûts supportés par les employeurs en matière de prise en charge des victimes du travail », un« renforcement de la démocratie dans le travail » (p. 181).

Si la synthèse, claire et informée, est précieuse, on aurait néanmoins aimé une approche plusdialogique, tant entre les parties de l’ouvrage qu’avec d’autres travaux scientifiques. Par exemple,la première partie pose un constat fort intéressant sur la déstabilisation du système actuel degestion des risques professionnels et l’ambigüité de l’action de l’État s’agissant de la réforme dela médecine du travail ou encore de la délégation du pouvoir normatif aux partenaires sociaux. Or,les positions des acteurs en entreprise, décrites dans la troisième partie de l’ouvrage, ont partie liéeà ce cadre institutionnel : de quelle manière sa déstabilisation modifie-elle les capacités d’actiondes acteurs en entreprise ? En quoi peut-elle renouveler leurs répertoires d’actions collectives ets’inscrire alors dans des « dynamiques collectives », notamment celle d’un « renforcement de ladémocratie dans le travail » dont on peine à voir, à la lecture de cet ouvrage, sur quoi il peut sefonder ? Si des institutions nouvelles sont à inventer, qu’en est-il, du point de vue de l’auteur, deseffets du dualisme, interrogé dans de nombreux travaux, entre l’instance dédiée aux questionséconomiques — le comité d’entreprise — et celle dédiée aux conditions de travail et à la santé —le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Enfin, le sous-titre del’ouvrage Peut-on soigner le travail ? fait écho, tant ils paraissent se répondre, au titre d’un autreouvrage, paru en 2009, Soigner le travail. Itinéraires d’un médecin du travail, Erès, de GabrielFernandez dont la référence est absente du livre d’Arnaud Mias. Ces deux ouvrages ont en commund’interroger les manières de prendre en charge, dans l’entreprise, les risques professionnels etde revendiquer un espace démocratique sur les questions du travail. Si Arnaud Mias défend lerenforcement des droits et des moyens des CHSCT, Gabriel Fernandez, dans la lignée des travauxd’Yves Clot, milite davantage pour des espaces de controverses, des délibérations collectives entreprofessionnels, au plus près des situations de travail. Mettre en discussion ces travaux aurait lemérite d’interroger les manières de combiner une approche attentive aux dispositifs institutionnelsde régulations collectives et une autre, complémentaire, soucieuse de préserver les possibilitésd’un dialogue contradictoire, d’une confrontation sociale autour du travail, sa réalisation, sonsens.

Marion GillesInstitut des sciences de l’homme, centre Max-Weber, 14, avenue Berthelot,

69363 Lyon cedex 07, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi:10.1016/j.soctra.2012.06.012

La santé à cœur ouvert. Sociologie du bien-être, de la maladie et du soin, M. Drulhe,F. Sicot (Eds.). Presses universitaires Mirail, Toulouse (2011). 306 pp.

Cet ouvrage collectif, rédigé par une équipe de sociologues toulousains, entend montrer larichesse, tant au niveau micro-social des interactions qu’au niveau macro-social des institutions

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de soin, des différentes formes d’imbrication du sanitaire et du social. À partir d’une relecturedes grandes enquêtes canoniques en sociologie de la santé (par exemple Michel Foucault, TalcottE. Parsons, Norbert Elias, Erving Goffman, Anselm Strauss ou Eliot Freidson), chaque auteurs’efforce d’apporter des outils d’analyse pour penser la socialisation du corps, les maladies men-tales ou chroniques, les inégalités de santé, les transformations des politiques sanitaires et sociales,la crise de l’hôpital ou encore la prise en charge du vieillissement et du mourir.

Un premier constat, dressé notamment dans les trois premiers chapitres (rédigés par AnastasiaMeidani, Pascal Ducourneau et Francois Sicot) a trait à la médicalisation d’un grand nombred’émotions et de comportements humains qui participe d’une recherche d’auto-contrôle, de valo-risation de la performance individuelle, de responsabilisation croissante des individus. Les auteursen déduisent l’avènement d’un nouveau paradigme sociétal moins fondé sur la contrainte directeet plus sur le consentement, qui induit un raffinement de l’emprise des normes. Dans le domaine dela maladie mentale, différentes formes de déviance deviennent autant d’étiquettes pathologiquesou de catégories cliniques. Chaque époque, chaque catégorie sociale, chaque sexe possède sesformes privilégiées pour exprimer les souffrances ressenties et parler de la maladie.

Les exemples du vieillissement (Monique Membrado) — de plus en plus percu comme unmoment pathologique avec les notions de dépendance, de fragilité et l’oubli du contexte socialdans l’évaluation de l’autonomie — ou de la mort (Marcel Drulhe) — expropriée par la médecineavec le modèle de la « bonne mort » proposée par les soins palliatifs, mais accessible à une fractionseulement des malades en fin de vie — témoignent de cette normalisation sanitaire de l’existence.

Malgré l’expansion quantitative et qualitative du médical et l’amélioration des grands indica-teurs sanitaires, les inégalités sociales de santé se sont accrues depuis une cinquantaine d’années,comme le rappelle Valentine Hélardot. Non seulement l’utilisation du système de soin par lesdifférentes catégories sociales peut être très variable (par exemple, les démarches de préventionsont plus fréquentes dans les milieux aisés), mais les conditions de vie et de travail, le cumuldes inégalités et des difficultés tout au long de la vie, expliquent la majeure partie des écartsd’espérance de vie en bonne santé entre ouvriers et cadres. Le travail, qui a longtemps été legrand oublié des politiques de santé publique, occupe une place importante dans cet ouvrage(un chapitre rédigé par Valentine Hélardot est consacré au sujet, mais la question du travail etde l’emploi est aussi présente dans d’autres chapitres comme ceux consacrés aux inégalités ouà la protection sociale). L’intensification du travail, l’utilisation dans l’industrie de nombreusessubstances chimiques aux effets encore mal connus, la concentration des dangers et des exposi-tions sur certains emplois précaires ou intérimaires, l’alternance de périodes de chômage et depetits boulots pénibles, expliquent, selon les auteurs, pourquoi les conditions de travail et de viepeuvent être particulièrement délétères dans certains emplois.

Le champ de la santé au travail, comme le précise Valentine Hélardot, s’est construit en dehorsde celui des politiques sanitaires et a été historiquement un lieu de recherche de compromis etde compensation plutôt que de prévention en amont des dangers. La logique de la loi sur lesaccidents du travail, de 1898, ou les maladies professionnelles, de 1919, est celle de la réparationet de la responsabilité sans faute. De plus, ce système ne peut saisir qu’une petite partie desatteintes à la santé dans le travail. Non seulement une bonne part des maladies ou accidentsqui pourraient être déclarés ne le sont pas pour différentes raisons (méconnaissance de la partdes malades ou des médecins traitants, survenue tardive des troubles, pressions des employeurs,etc.), mais beaucoup de problèmes multifactoriels et complexes ne rentrent pas dans le cadrecausaliste simple des tableaux de maladies professionnelles. Les transformations contemporainesdes mondes du travail seraient notamment à l’origine de nouvelles formes d’insatisfaction et de

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souffrance au travail : injonctions contradictoires, manque de reconnaissance, perte de sens d’untravail de plus en plus rationalisé, etc.

Confrontées à ces enjeux, les institutions de protection sociale et de soin sont placées dans unesituation paradoxale de devoir prendre en charge des attentes et des inégalités croissantes dans uncontexte de rationnement des dépenses publiques pensées comme des charges. La coordinationentre les différents agents du soin semble à la fois de plus en plus nécessaire (comme le montrentles chapitres sur la relation de soin, l’hôpital et la protection sociale) pour faire face à des pro-blématiques dans lesquelles le social et le médical sont intimement imbriqués (vieillissement etautonomie, maladies chroniques, pathologies sociales, soins palliatifs, etc.). Mais elle est renduedifficile par la complexité du système, l’existence de différents modes de régulation financière(paiement à l’acte, budget global, tarification à l’activité, etc.). L’hôpital est soumis à une nou-velle gouvernance qui entend donner plus de place au gestionnaire et à l’usager alors qu’il doitassurer la coordination d’un nombre de plus en plus grand d’acteurs (multiplication des spécia-lités, technicisation des soins, diversification des paramédicaux, etc.) et le retour de la questionsociale avec, notamment, l’utilisation croissante des urgences par des populations défavoriséesou exclues des soins. Il s’agit de plus en plus, selon Valentine Hélardot et Monique Membrado,d’un ordre négocié complexe au sein duquel les rapports de pouvoir peuvent être variables d’unétablissement à un autre, d’un service à un autre. Le sentiment des soignants est alors d’avoiraffaire à un environnement hostile, dégradé, tendu.

Dans l’ensemble, cet ouvrage offre un panorama actuel et accessible d’un certain nombre detravaux en sociologie de la santé, mais la dimension collective de l’entreprise rend délicate unelecture plus transversale des modes d’analyse conceptuels des imbrications du sanitaire et dusocial. Certains chapitres privilégient une analyse plus foucaldienne et macro-sociale des phéno-mènes de normalisation tandis que d’autres mettent plutôt l’accent sur l’interaction entre acteursen situation. Si la notion de construction sociale est abondamment mobilisée, plusieurs auteursse limitent à la mise en lumière de la construction des représentations, des théories ou des caté-gories cliniques, tandis que d’autres, moins nombreux, explorent également l’aspect performatifde ces catégories, théories ou représentations. Un chapitre conclusif plus élaboré aurait permisde mieux rendre compte de l’intrication complexe entre facteurs culturels, économique, sociaux,professionnels, institutionnels dans le faconnement sociétal de la santé. L’opposition plusieurs foisévoquée entre approche médicale (naturalisation par la biologie, la génétique ou la psychologie)et sociologique (prise en compte des déterminismes et interactions sociales) aurait ainsi pu êtreaffinée, voir relativisée (mise en forme psycho-sociale du malaise, imbrication du psychologique,du social et du somatique, découvertes récentes en épigénétique, en épidémiologie sociale, etc.).De même, l’histoire, présente dans différents chapitres du livre, aurait pu être mieux exploitée.Ainsi, le moment des assurances sociales (1928–1930), si important pour comprendre notre sys-tème de santé et les rapports entre médecins et pouvoir publics, la régulation des professions desanté et l’implication des médecins libéraux dans les politiques sanitaires ou les enjeux de sociétécomme le vieillissement de la population, est-il pratiquement oublié.

Marc LoriolIDHE, CNRS - université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,16, boulevard Carnot, 92340 Bourg-la-Reine, France

Adresse e-mail : [email protected]:10.1016/j.soctra.2012.06.016