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410 Comptes rendus / Sociologie du travail 54 (2012) 391–431 Le dixième et dernier chapitre de cet ouvrage hétéroclite 1 a l’ambition de donner au concept de compétence ses « soubassements philosophiques ». Plus nettement encore que dans les chapitres précédents, Philippe Zarifian quitte les habits du sociologue, descripteur des usages contextuali- sés d’un concept, pour se faire gardien du temple et rétablir la vérité du concept face, justement, aux mésusages ordinaires. « Trouver des soubassements philosophiques, c’est précisément savoir séparer l’authentique du simulacre et ne pas se perdre dans des débats confus ». Convoquant Hannah Arendt, Emmanuel Kant, Hans Jonas, Gilles Deleuze et Gilbert Simondon, il s’arrête sur les notions d’« initiative », « responsabilité », « événement » et « individualité » en un complexe évocateur mais qui ne donne lieu à aucune synthèse (« c’est volontairement que nous n’essayons pas, en conclusion, de reboucler chaque mot avec les autres »). Finalement, peu clôturé, toujours large et abstrait, certes enthousiasmant par l’ode à la liberté qu’il porte (conc ¸ue comme accrois- sement de « son intelligence du monde et [de] sa faculté à y intervenir »), mais peu disert sur ses conditions de réalisation, le concept de compétence pourra-t-il par cette mise au point échapper aux récupérations que dénonce l’auteur ? Nicolas Jounin Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), université Paris 8, 2, rue de la Liberté, 93200 Saint-Denis, France Adresse e-mail : [email protected] doi:10.1016/j.soctra.2012.07.006 Accélération. Une critique sociale du temps, H. Rosa. La Découverte, Paris (2010). 474 pp. [Traduit de l’allemand par Didier Renault, 1 e édition 2005] L’ouvrage de Harmut Rosa est ambitieux. Il s’agit d’une synthèse sur ce qu’est devenu aujourd’hui le rapport au temps de nos contemporains, d’un plaidoyer pour une « approche tem- porelle » dans les sciences sociales et d’une tentative de « déchiffrer la logique de l’accélération » (p. 7) qui, selon l’auteur, résume le fonctionnement du temps aujourd’hui. Harmut Rosa plaide pour une « approche temporelle » en sociologie en faisant le constat de l’échec d’une sociologie du temps entre « monographies solipsistes » et « abstractions théo- riques ». Il règne selon lui, dans ce champ de recherche, un « chaos conceptuel » dont il entend nous sortir grâce à un concept-clé, « le plus adéquat pour comprendre les transformations en cours », celui d’accélération. Il défend le principe selon lequel cette perspective temporelle assurerait « la jonction entre perspective du système et perspectives des acteurs ». Cette média- tion entre exigences systémiques et projets des individus contribuerait, selon lui, à définir le « rythme d’une époque » selon que domine la logique « occasionnelle » (présent seul), « cyclique » (passé = avenir), « linéaire ascendant » (passé > avenir) ou « linéaire ouvert » (avenir ?). 1 Il est par exemple difficile de rendre compte de l’étrange chapitre 4 autrement que dans une note à part, tant il se trouve en marge du reste du propos. Philippe Zarifian s’y interroge sur ce que peut être et ressentir un « Moins que rien » et demande dans une usine à voir l’ouvrier le moins bien classé c’est lui qui choisit de désigner cet ouvrier comme « Moins que rien ». L’ouvrier en question, dont le travail est isolé et non qualifié, développe en entretien un regard acéré sur ce qui se passe dans l’usine, qui fascine l’auteur. Par une opération de réhabilitation moraliste et surtout de confusion entre un poste et son titulaire, Philippe Zarifian conclut en affirmant que « les travaux réputés “non qualifiés” restent majoritaires à l’échelle mondiale » et que « leur qualité humaine est très largement sous-estimée ». Partant du principe que les personnes sont réductibles aux emplois qu’elles occupent (et réciproquement), il est facile ensuite de rehausser la « qualité » de l’emploi en découvrant que les personnes en question sont douées d’intelligence.

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410 Comptes rendus / Sociologie du travail 54 (2012) 391–431

Le dixième et dernier chapitre de cet ouvrage hétéroclite1 a l’ambition de donner au concept decompétence ses « soubassements philosophiques ». Plus nettement encore que dans les chapitresprécédents, Philippe Zarifian quitte les habits du sociologue, descripteur des usages contextuali-sés d’un concept, pour se faire gardien du temple et rétablir la vérité du concept face, justement,aux mésusages ordinaires. « Trouver des soubassements philosophiques, c’est précisément savoirséparer l’authentique du simulacre et ne pas se perdre dans des débats confus ». ConvoquantHannah Arendt, Emmanuel Kant, Hans Jonas, Gilles Deleuze et Gilbert Simondon, il s’arrête surles notions d’« initiative », « responsabilité », « événement » et « individualité » en un complexeévocateur mais qui ne donne lieu à aucune synthèse (« c’est volontairement que nous n’essayonspas, en conclusion, de reboucler chaque mot avec les autres »). Finalement, peu clôturé, toujourslarge et abstrait, certes enthousiasmant par l’ode à la liberté qu’il porte (concue comme accrois-sement de « son intelligence du monde et [de] sa faculté à y intervenir »), mais peu disert sur sesconditions de réalisation, le concept de compétence pourra-t-il par cette mise au point échapperaux récupérations que dénonce l’auteur ?

Nicolas JouninCentre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), université Paris 8,

2, rue de la Liberté, 93200 Saint-Denis, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi:10.1016/j.soctra.2012.07.006

Accélération. Une critique sociale du temps, H. Rosa. La Découverte, Paris (2010). 474 pp.[Traduit de l’allemand par Didier Renault, 1e édition 2005]

L’ouvrage de Harmut Rosa est ambitieux. Il s’agit d’une synthèse sur ce qu’est devenuaujourd’hui le rapport au temps de nos contemporains, d’un plaidoyer pour une « approche tem-porelle » dans les sciences sociales et d’une tentative de « déchiffrer la logique de l’accélération »(p. 7) qui, selon l’auteur, résume le fonctionnement du temps aujourd’hui.

Harmut Rosa plaide pour une « approche temporelle » en sociologie en faisant le constatde l’échec d’une sociologie du temps entre « monographies solipsistes » et « abstractions théo-riques ». Il règne selon lui, dans ce champ de recherche, un « chaos conceptuel » dont il entendnous sortir grâce à un concept-clé, « le plus adéquat pour comprendre les transformations encours », celui d’accélération. Il défend le principe selon lequel cette perspective temporelleassurerait « la jonction entre perspective du système et perspectives des acteurs ». Cette média-tion entre exigences systémiques et projets des individus contribuerait, selon lui, à définir le« rythme d’une époque » selon que domine la logique « occasionnelle » (présent seul), « cyclique »(passé = avenir), « linéaire ascendant » (passé > avenir) ou « linéaire ouvert » (avenir ?).

1 Il est par exemple difficile de rendre compte de l’étrange chapitre 4 autrement que dans une note à part, tant il setrouve en marge du reste du propos. Philippe Zarifian s’y interroge sur ce que peut être et ressentir un « Moins que rien »et demande dans une usine à voir l’ouvrier le moins bien classé — c’est lui qui choisit de désigner cet ouvrier comme« Moins que rien ». L’ouvrier en question, dont le travail est isolé et non qualifié, développe en entretien un regard acérésur ce qui se passe dans l’usine, qui fascine l’auteur. Par une opération de réhabilitation moraliste et surtout de confusionentre un poste et son titulaire, Philippe Zarifian conclut en affirmant que « les travaux réputés “non qualifiés” restentmajoritaires à l’échelle mondiale » et que « leur qualité humaine est très largement sous-estimée ». Partant du principeque les personnes sont réductibles aux emplois qu’elles occupent (et réciproquement), il est facile ensuite de rehausser la« qualité » de l’emploi en découvrant que les personnes en question sont douées d’intelligence.

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Harmut Rosa diagnostique une crise du temps. « L’époque est détraquée, c’est un temps decrise, symptôme d’une crise des temps » écrit-il. Cette crise est définie comme la coexistence d’un« déchaînement de l’histoire événementielle » et d’une « immobilité des structures profondes »dans la ligne des analyses de Max Weber (la « cage d’acier »), de Paul Virilio (« immobilité ful-gurante ») et de Walter Benjamin (« indigence temporelle »). C’est aussi la co-occurence d’unesynchronisation globale (la mondialisation) et de désynchronisations partielles (des États, ter-ritoires et individus). C’est enfin « l’envahissement du post-modernisme comme fin des grandsrécits et fin du politique ».

Harmut Rosa distingue trois processus distincts subsumés dans le concept d’accélération :l’accélération technique (Internet atteint la vitesse de la lumière) ; l’accélération du changementsocial (de plus en plus d’innovations) et l’accélération du rythme de vie (dictature de l’urgenceet manque de temps généralisé). Il multiplie les exemples dans de nombreux registres : fastfood,zapping, clips, montage accéléré, musique techno, courriels, textos, contrats à durée déterminés etcouples à durée déterminés, etc. Il constate que le seul point commun à ces trois plans que sont latechnique, le social et le personnel est que tout va de plus en plus vite. Il en fait un attribut essentielde la « modernité tardive » caractérisée, depuis le milieu du xxe siècle, par une « seconde vagued’individualisation » et une « préférence généralisée pour le présent » contre un passé d’horreurs(Shoah, Goulag, Hiroshima. . .) et un futur devenu menacant (catastrophes climatiques, nucléaires,terroristes, etc.).

Harmut Rosa propose la notion d’« identité situative » pour désigner ce que devient la formeidentitaire dominante en ces temps post-modernes : un soi ponctuel, soumis à des révisions per-manentes, coupé de son passé et sans projet à long terme. Sur le modèle de celle du joueur, cetteidentité est faite d’enchaînements de vécus, de chocs non reliés entre eux, d’occasions saisies ouperdues. Cette multiplication de soi, résultant du « présentisme » incorporé dans les personnali-tés, est une composante de ce processus généralisé d’accélération provoquant stress, malaises etdépressions. L’accélération de la vie quotidienne résultant de la combinaison de l’accélérationtechnique et de l’accélération sociale provoque une crise des identités transmises et des identitésvisées aboutissant à une dictature de l’urgence et à un enfermement dans les situations vécues.

Harmut Rosa rattache ce processus temporel à la dynamique du capitalisme, telle quel’avaient analysée Karl Marx « bouleversement incessant des forces productives », Max Weber« rationalisation permanente visant la réalisation accélérée d’objectifs quantifiés » ou JosephSchumpeter « destruction créatrice » grâce à des grappes d’innovations périodiques trouvant denouveaux marchés. C’est une nouvelle configuration qu’a inaugurée la modernité tardive avecla domination du capital financier, sa circulation accélérée grâce à Internet et l’imposition de salogique d’optimisation du court terme, contre toute règle morale ou politique.

Harmut Rosa tente aussi une sorte de synthèse systémique dans la lignée de Talcott E. Parsons,Niklas Luhman et Paul Virilio (inventeur de la dromologie, science de la vitesse) en essayantd’articuler rationalisation culturelle, différenciation structurelle, individualisation identitaire etinstrumentalisation écologique en en faisant des composantes de l’accélération sociale. Celle-ciest redéfinie comme une « augmentation systémique du rythme des transformations sociales ».En cumulant, en un siècle, l’accélération de la diffusion des innovations (il a fallu 38 ans pourinventer la radiodiffusion après sa découverte théorique, quatre ans pour Internet), la compressiondu présent à partir de l’accélération des déplacements (il fallait 15 jours pour aller de Paris à Rio,11 heures aujourd’hui) et l’instabilité des liens sociaux et la multiplication des relations intimes (letaux de divorce a explosé), on aboutit à un autre « système temporel », c’est-à-dire à une nouvelleconfiguration des rapports au temps marquée par l’éclatement (« les flux financiers, intellectuels,

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culturels, politiques s’écoulent dans des sens différents »), la flexibilité, le primat de l’urgence etla panne du futur.

Harmut Rosa termine en tentant une « redéfinition de la modernité » (p. 307–335). Elle consisted’abord en une dissociation de « l’espace d’expérience » (le passé incorporé) et de « l’horizond’attente » (le futur intériorisé) selon les concepts développés par Reinhart Kosselleck. Désormais,« le futur sera différent du passé » et aucun temps mythique, religieux, surplombant n’assure plusle lien entre les deux. Elle renvoie ensuite à la « détemporalisation de l’histoire » qui perd ainsison sens car, de plus en plus, « les sous-systèmes sont devenus indépendants avec leurs propresstructures temporelles ». Le monde du travail n’obéit pas aux mêmes logiques que le monde dela famille ou que le monde politique d’où des conflits, tiraillements, décalages, dérèglementsmultiples. Enfin, le politique perd de sa légitimité et se réduit partout à la gestion de l’urgence, aubricolage permanent et à la désaffection des citoyens. Harmut Rosa constate une « pétrificationdes structures profondes » : selon lui, il n’y a plus de (vrais) changements dirigés, orientés, voulusmais seulement des (petits) changements incessants, imprévisibles, incontrôlables, réalisés aunom de « l’adaptation structurelle », aux antipodes de la notion de progrès issue de la philosophiedes Lumières. On comprend que l’essai de prospective finale de l’ouvrage débouche sur la thèse,à peine pondérée d’un pâle rayon d’espoir, de la « catastrophe imminente ».

On peut toutefois reprocher à Harmut Rosa son incapacité à mettre le temps au pluriel. Ontrouve partout dans son livre une conception essentiellement physique et même newtonienne de cetemps. L’accélération est sa dérivée seconde, la vitesse divisée par le temps. Ce temps « ordinaire »,« surplombant », « quantitatif », celui des horloges et des calendriers, s’impose tellement à luiqu’elle ne lui permet pas une vraie distinction des formes temporelles (celles du temps cycliqueet linéaire, du temps ascendant ou stationnaire, de l’éternité ou de l’instant). C’est ainsi que letemps subjectif est réduit à une illusion comme lorsqu’il écrit : « le temps libre, “estimé”, est lamoitié du temps libre “réel” calculé à partir des agendas ». Faute de le prendre au sérieux (commeAlbert Einstein découvrant que tous les rescapés de la catastrophe de Courrières, en 1909, disantavoir passé quatre ou cinq jours au fond de la mine à ramper alors qu’ils avaient passé 11 joursde ce temps physique, déclarait que « le temps vécu n’est pas le temps physique ») et du fait decette non-relativité du temps, de ce déni de la pluralité des temporalités sociales, Harmut Rosaamalgame, sous l’expression d’accélération, des processus très différents qui ne relèvent pas d’unemême analyse : l’accélération des processus de développement et de diffusion des innovationsscientifiques et techniques n’est pas du même ordre que « l’accélération » (en fait la densification)de leurs usages sous l’effet de leur marchandisation ni que la pression à suivre la dernière mode. . .

Une seconde critique a trait au « systémisme » de l’auteur et à son corrélat, le déterminismetechnologique et économique. On assiste, avec cet ouvrage, à un retour en force de l’explicationpar des lois générales du Système (qu’il soit technique, économique ou social) qui, converties entendances inéluctables, échappent, progressivement ou brutalement, aux acteurs qui les ont mis enbranle. Cumulant les thèses les plus radicales de la pensée critique de l’École de Francfort (MaxHorkheimer, Theodor Adorno, Jürgen Habermas) – qui dénoncaitt la colonisation des mondesvécus par le Système – et celles de Niklas Lühman, radicalisant Talcott E. Parsons en globalisantles dynamiques temporelles de l’économique, du culturel et du personnel, Harmut Rosa aboutit àfaire des « tendances immanentes à l’ordre social » (citation de Pierre Bourdieu, p. 372) un destinquasi certain de l’humanité lancée comme un bolide en accélération sur la voie d’une histoireinsensée.

La dernière critique est plus épistémologique et tient dans le doute éprouvé à l’égard desdonnées « empiriques » mobilisées. Reconnaissons que Harmut Rosa a l’art d’illustrer ses thèsespar des formules du langage courant ayant une force d’évidence. Tout ne va-t-il pas de plus en

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plus vite ? Ne sommes-nous pas de plus en plus pressés par le temps ? Ne vivons-nous pas deplus en plus dans l’urgence ? Ne manquons-nous pas cruellement de temps ? Mais, ce ne sontgénéralement pas les mêmes temporalités qui sont visées par ces « évidences » (le « temps à soi »dont nous manquons n’est pas le « temps managérial ou politique » de l’urgence, ni le « tempsphysique » qui ne saurait s’accélérer puisqu’il est le paramètre de mesure de l ’accélération). Endehors de ces formules, sur quoi repose l’argumentaire de Harmut Rosa ? Les références à desenquêtes de budget-temps, d’opinions ou de comparaisons temporelles ne manquent pas, maiselles n’apparaissent pas toujours convaincantes. En fait, elles sont illustratives et peu susceptiblesd’invalider ou de relativiser les thèses avancées. Comme dans le cas des confrontations entreusages du temps à travers les agendas et discours-récits sur les emplois du temps, les temporalitésvécues, subjectives et biographiques sont sous-estimées voire invalidées face au temps calculé descalendriers et des horloges. D’où un certain malaise qui prend le lecteur au fur et à mesure de salecture : et si ce bel édifice, brillant et percutant, n’était qu’un « essai » de plus sur la catastropheimminente de la (post- ou néo-) modernité ?

Claude DubarLaboratoire Printemps (CNRS/UVSQ), 47, boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France

Adresse e-mail : [email protected]:10.1016/j.soctra.2012.06.010

Articuler vie professionnelle et vie familiale. Étude de trois groupes professionnels : lesinfirmières, les policiers et les assistants sociaux, B. Fusulier (Ed.). Presses universitaires deLouvain, Louvain-La-Neuve (2011). 250 pp.

Dès les premières recherches menées sur les femmes au travail s’est posée la question del’articulation entre vie professionnelle et vie privée pour comprendre aussi bien leurs trajectoiresprofessionnelles que leurs vécus personnels, notamment au moment de l’arrivée des enfants. Sousl’impulsion du slogan féministe « le personnel est politique », un champ de recherches interna-tional s’est ainsi construit au fil du temps qui vise à analyser les différents éléments propres à lavie privée des femmes et des hommes et qui ont un effet spécifique sur leur activité profession-nelle respective : politiques publiques (modes de garde, heures de travail ou système éducatif),normes et stéréotypes sociaux sur la maternité, sur les rôles dans le couple ou sur la place dutravail ou encore différences sociales (une ouvrière n’est pas une femme cadre), géographiquesou « ethniques ».

À partir d’une connaissance fine et cultivée du sujet, cet ouvrage prend le parti d’aborder laquestion de l’articulation entre vie professionnelle et vie privée, non plus à partir de la vie privée deshommes et des femmes, mais autour du groupe professionnel qui les accueille. Bernard Fusulier,en collaboration avec Magali Ballatore, David Laloy, Nicolas Marquis, Thibauld Moulaert, ÉmilieSanchez et Francesca Sirna, a ainsi décidé de centrer son attention sur trois groupes professionnelschoisis pour leur forme relativement constituée, la part relationnelle de leur activité et leur caractère« intermédiaire » : les infirmières, les policiers et les assistantes sociales belges. Une centained’entretiens ont ainsi été menés entre 2006 et 2009, une observation participante a été réaliséedans la police et une enquête par questionnaires a été effectuée auprès de professionnels ayant aumoins un enfant de moins de six ans (850 réponses). Cet ouvrage de grande qualité présente ainsiun modèle ambitieux visant à articuler les dimensions politiques, sociales, organisationnelles etprofessionnelles des liens entre vie professionnelle et vie privée.