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du littoral clairement attestée par le premier niveau d’occupation et la sépulture de la Quebrada de los Burros. L’engobe (composée d’argile et d’oxyde de manganèse), analysée sur plusieurs ossements, les datations, le contexte économique de la pêche et l’étude paléoanthropologique des squelettes ont conduit les auteurs à rapporter cet ensemble archéologique et anthropologique ancien à la tradition « Chinchorro » définie tout au nord du Chili, dans une région assez proche donc. L’engobe leur fait évoquer le traitement donné aux momies « noires Chinchorro ». Danièle Lavallée et Michèle Julien font ressortir dans la conclusion générale, les principaux traits spécifiques de chacune des occupations de la Quebrada de los Burros. Elles notent que le « milieu ambiant » est resté relativement stable mais que pour autant l’exploitation des ressources naturelles a varié, selon les saisons et des activités menées dans le campement dont la préparation de réserves alimentaires à partir des innombrables coquillages rapportés. Pour les occupations de l’Holocène, elles soulignent à nouveau l’importance dominante de la pêche et de la collecte de mollusques, tandis que la chasse restait une pratique saisonnière, opportuniste en quelque sorte. Elles discutent de l’hypothèse d’une horticulture naissante d’espèces de calebasse et de maté dans le niveau le plus ancien (7), de calebasse et de haricot dans le suivant, puis dans les occupations de l’Holocène moyen, de la canna, ou balisier (Canna indica) et du yucca ou manioc doux (Manihot esculenta), et enfin (niveau 2) d’une calebasse du mate, de la canna et d’un maïs. Leurs réflexions finales sur les origines anthropologiques et les provenances archéologiques des habitants de la Quebrada de los Burros sont scientifiquement interrogatives : de fait, la fouille extrêmement minutieuse par micro-décapages successifs des occupations, l’interprétation des données spatiales couplée aux analyses spécialisées de tous les vestiges, les calages chronologiques serrés, les caractérisations paléoanthropologiques, ont fourni une masse de données largement nouvelles par rapport à l’essentiel de ce qui avait déjà été mis en évidence dans les fouilles de sites de pêcheurs de l’Archaïque ancien, au Pérou, comme au Chili. La monographie de la Quebrada de los Burros inaugure au plus haut niveau un renouvellement de la connaissance des premiers peuples côtiers de l’Amérique du Sud, soumis aux balancements climatiques et écologiques entre Pléistocène tardif et Holocène ancien. Mais au-delà, cet ouvrage témoigne magnifiquement de la vitalité et de la portée scientifiques de recherches multidisciplinaires admirablement menées et articulées : il donne à la préhistoire américaine une profondeur méritée. Denis Vialou Disponible sur Internet le 14 octobre 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.09.001 Peuplements et pre ´histoire en Ame ´riques, D. Vialou (Ed.), E ´ ditions du Comite ´ des travaux historiques et scientifiques, coll. Documents Pre ´historiques, n o 28 (2011). 492 pp., 21 Â 27 cm, illustrations couleur On attend généralement des annales publiées d’un colloque qu’elles reflètent au mieux la rencontre scientifique qui en est à l’origine. L’ouvrage Peuplement et préhistoire en Amériques, dirigé par Denis Vialou, va bien au-delà. Ambitieuse publication ouvrant sur la Préhistoire d’un continent entier, elle surpasse en ampleur et en portée l’évènement dont elle est issue. Comptes rendus d’ouvrages / L’anthropologie 118 (2014) 384390 388

Comptes rendus d’ouvrages

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du littoral clairement attestée par le premier niveau d’occupation et la sépulture de la Quebradade los Burros. L’engobe (composée d’argile et d’oxyde de manganèse), analysée sur plusieursossements, les datations, le contexte économique de la pêche et l’étude paléoanthropologique dessquelettes ont conduit les auteurs à rapporter cet ensemble archéologique et anthropologiqueancien à la tradition « Chinchorro » définie tout au nord du Chili, dans une région assez prochedonc. L’engobe leur fait évoquer le traitement donné aux momies « noires Chinchorro ».

Danièle Lavallée et Michèle Julien font ressortir dans la conclusion générale, les principauxtraits spécifiques de chacune des occupations de la Quebrada de los Burros. Elles notent que le« milieu ambiant » est resté relativement stable mais que pour autant l’exploitation des ressourcesnaturelles a varié, selon les saisons et des activités menées dans le campement dont la préparationde réserves alimentaires à partir des innombrables coquillages rapportés. Pour les occupations del’Holocène, elles soulignent à nouveau l’importance dominante de la pêche et de la collecte demollusques, tandis que la chasse restait une pratique saisonnière, opportuniste en quelque sorte.Elles discutent de l’hypothèse d’une horticulture naissante d’espèces de calebasse et de matédans le niveau le plus ancien (7), de calebasse et de haricot dans le suivant, puis dans lesoccupations de l’Holocène moyen, de la canna, ou balisier (Canna indica) et du yucca ou maniocdoux (Manihot esculenta), et enfin (niveau 2) d’une calebasse du mate, de la canna et d’un maïs.

Leurs réflexions finales sur les origines anthropologiques et les provenances archéologiquesdes habitants de la Quebrada de los Burros sont scientifiquement interrogatives : de fait, la fouilleextrêmement minutieuse par micro-décapages successifs des occupations, l’interprétation desdonnées spatiales couplée aux analyses spécialisées de tous les vestiges, les calageschronologiques serrés, les caractérisations paléoanthropologiques, ont fourni une masse dedonnées largement nouvelles par rapport à l’essentiel de ce qui avait déjà été mis en évidencedans les fouilles de sites de pêcheurs de l’Archaïque ancien, au Pérou, comme au Chili.

La monographie de la Quebrada de los Burros inaugure au plus haut niveau un renouvellementde la connaissance des premiers peuples côtiers de l’Amérique du Sud, soumis aux balancementsclimatiques et écologiques entre Pléistocène tardif et Holocène ancien. Mais au-delà, cet ouvragetémoigne magnifiquement de la vitalité et de la portée scientifiques de recherchesmultidisciplinaires admirablement menées et articulées : il donne à la préhistoire américaineune profondeur méritée.

Denis Vialou

Disponible sur Internet le 14 octobre 2014

http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.09.001

Peuplements et prehistoire en Ameriques, D. Vialou (Ed.), Editions du Comite des travaux

historiques et scientifiques, coll. Documents Prehistoriques, no 28 (2011). 492 pp.,21 � 27 cm, illustrations couleur

On attend généralement des annales publiées d’un colloque qu’elles reflètent au mieux larencontre scientifique qui en est à l’origine. L’ouvrage Peuplement et préhistoire enAmériques, dirigé par Denis Vialou, va bien au-delà. Ambitieuse publication ouvrant sur laPréhistoire d’un continent entier, elle surpasse en ampleur et en portée l’évènement dont elleest issue.

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Le projet de ce livre est né suite au colloque Peuplements préhistoriques du continentaméricain réalisé dans le cadre du 133e Congrès national des sociétés historiques etscientifiques organisé à Québec (Canada) du 2 au 6 juin 2008. Seul consacré à la préhistoireparmi la vingtaine de colloques du congrès, il avait rassemblé une quinzaine de contributionssur différentes régions et différents thèmes des peuplements des Amériques avant l’arrivée descolons européens. Dans l’ouvrage publié, nous retrouvons la plupart des travaux présentés àcette occasion, mais aussi un nombre important d’autres contributions, qui viennent compléterles premiers sur des thématiques et des zones géographiques non abordées au cours ducolloque. Au total, Denis Vialou a rassemblé 34 chapitres, rédigés par une soixantained’auteurs venant d’institutions de sept pays d’Amérique et d’Europe et portant sur lapréhistoire de plus d’une dizaine de pays d’Amérique du Nord et du Sud. Cet aspect quantitatifqui, à lui seul, résume bien la richesse de cette publication, est doublé d’une grande qualité destravaux présentés.

Le livre est organisé en six parties, sur la base d’une combinaison de critères thématiques,géographiques et chronologiques. La première section rassemble quatre travaux qui évoquent dedifférentes façons la question des peuplements, et plus particulièrement du peuplement initial,selon une perspective continentale. Les données présentées ici sont bien éloignées du modèleconventionnel baptisé Clovis first, qu’il n’est plus nécessaire de présenter tant il a imprégnél’étude de la préhistoire américaine depuis plus d’un demi-siècle. Elles plaident pour unechronologie plus profonde de la préhistoire américaine, mais également pour une perception pluscomplexe des processus de peuplement du continent.

La partie suivante, baptisée « Une préhistoire nord-américaine du froid », traite des contextesassociés à la notion de Paléoindien, en Amérique du Nord à la toute fin du Pléistocène. L’adjectif« froid » employé dans l’intitulé doit toutefois être relativisé, car si des milieux septentrionauxsont évoqués par certains auteurs (Canada, nord des États-Unis), d’autres travaux portent sur desrégions plus tempérées (sud-ouest des États-Unis, Mexique). Ces chapitres contribuent à unemeilleure compréhension de ces populations classées dans le grand ensemble du Paléoindien. Ony évoque, bien sûr, la production des somptueuses pointes de projectile de ces groupes humains,au moyen desquelles ils chassaient de grands mammifères, mais il est aussi question d’autrescomportements techniques et économiques. Le chapitre de Kilby, par exemple, soulignel’importance du débitage laminaire et évoque l’existence et la fonction des caches de matériel quiégrainent les espaces occupés par certaines des populations associées à la culture Clovis dans lesGrandes Plaines.

Les chapitres suivants sont consacrés, cette fois, exclusivement aux régions du Grand Nordcanadien et groenlandais au cours de l’Holocène, du Paléoesquimau à la traite des fourrures parles premiers colons européens. À noter, l’enquête passionnante de Massa et alii sur la tentative decolonisation scandinave de ces régions au cours du Moyen-Âge.

De l’arctique, la lecture de l’ouvrage nous transporte ensuite en plein cœur des tropiques sud-américaines. Un premier ensemble de travaux présente les avancées récentes des recherches surles premiers moments d’occupation, du Pléistocène final à l’Holocène ancien. Il ressort de cesétudes une formidable variabilité des manifestations culturelles, et notamment des productionslithiques, ainsi que des milieux et ressources exploités, du désert littoral chilien à la forêtéquatoriale d’Amazonie ; de la mégafaune fossile du cœur du Brésil et de la Pampa argentine auxespèces maritimes de la côte péruvienne. Les productions et les activités des groupespréhistoriques sud-américains renvoient à une mosaïque culturelle bien éloignée de la visionquasi monolithique (mais sans doute exagérée) que l’on a des sociétés nord-américaines duPaléoindien. La partie suivante, intitulée «Économie et technologie des sociétés préhistoriques

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en milieux continentaux et marins », démontre clairement la perduration de cette grandevariabilité comportementale des peuples préhistoriques d’Amérique du Sud durant les périodespostérieures, au cours de l’Holocène moyen et récent. Sont évoqués successivement les marins dePatagonie occidentale, les groupes humains des sambaquis (amas coquilliers) du littoral sud duBrésil, les pêcheurs de Martinique, les horticulteurs et fins céramistes d’Amazonie, et lespopulations des plateaux central et méridional du Brésil.

L’ouvrage se clôt par une dernière partie consacrée aux deux grandes catégoriesd’expressions symboliques de la préhistoire américaine : les pratiques funéraires et lesreprésentations graphiques, principalement les peintures rupestres, très nombreuses sur tout lecontinent.

En synthèse, malgré quelques lacunes, inévitables lorsqu’on s’engage sur un sujet sivaste (par exemple, l’Amérique centrale est absente des études présentées ici), le livrePeuplement et préhistoire en Amérique constitue un tour d’horizon complet et actualisédes recherches sur le thème. La qualité scientifique du contenu est relevée parl’excellente mise en page et le soin graphique désormais bien connus de la collectionDocuments Préhistoriques des Éditions du CTHS. L’agréable, la publication couleur en grandformat, sert ici pleinement l’utile et le nécessaire : la représentation à haute définition desobjets étudiés.

Je terminerai sur deux points que révèle particulièrement cette publication sur la préhistoireaméricaine, sans doute la plus complète en langue française de ces dernières décennies (sur34 chapitres, 26 sont rédigés en français, 8 en anglais). On peut souligner le dynamisme desinstitutions et des chercheurs hexagonaux sur cette thématique (lesquels représentent un tiers dutotal des auteurs de l’ouvrage), thématique dont la visibilité reste pourtant souvent restreinte, auprofit d’autres axes de la recherche préhistorique en France. Enfin, sur la trentaine de travauxpubliés, vingt sont consacrés à l’Amérique du Sud : les résultats de l’extraordinairedéveloppement des études dans la partie méridionale du continent imposent de repenser lespeuplements préhistoriques d’Amérique. Comme le rappelle Lavallée dans la préface du livre :les vents soufflent du Sud1.

Antoine Lourdeau

UMR 7194 Histoire naturelle de l’Homme préhistorique,Muséum national d’Histoire naturelle, département de Préhistoire,bâtiment des collections 140, 43, rue Buffon, 75005 Paris, France

Addresses e-mail : [email protected],

[email protected]

Disponible sur Internet le 18 octobre 2014

http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.09.004

Comptes rendus d’ouvrages / L’anthropologie 118 (2014) 384–390390

1 En référence au titre de l’ouvrage dirigé par L. Miotti, M. Salemme et N. Flegenheimer : Where the South WindsBlow. Ancient Evidence of Paleo South Americans, paru en 2003 (éditions du Center for the Study of the FirstAmericans – Texas A&M University).