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Les Concerts de Monsieur Croche – Deuxième concertMardi 20 Novembre 2018, à 20 heures 30
SALLE GAVEAU - 45 RUE LA BOÉTIE , 75008 PARIS
HENRI BARDAjoue
CHOPINPiano Steinway & Sons, Hambourg, de la Maison Régie Piano
LOCATION : Salle Gaveau, du lundi au vendredi, de 10 heures à 18 heures et une heure avant le concert, FNAC et points de vente habituels
Sur le site de la Salle Gaveau www.sallegaveau.com - Sur le site www.concertsdemonsieurcroche.com Par téléphone, à la Salle Gaveau : 01 49 53 05 07
LES CONCERTS DE MONSIEUR CROCHE - MONSIEUR CROCHE & CO.www.concertsdemonsieurcroche.com Tél. + 33 7 69 70 32 51
SAS au capital de 3 000 euros – Siren : 822 950 093 – Siret : 822 950 093 00010 N° TVA Intra : FR 83 822 950 093 – Code NAF : 7022Z - Siège Social : 8 rue Lemercier 75017 PARIS - France
PRESSE & RELATIONS PUBLIQUES : JOSÉPHINE ADJAGBENON
06 32 30 85 66 - [email protected]
PROGRAMME DU RECITALDU 20 Novembre 2018
Frédéric Chopin ( 1810 - 1849 )Quatre Impromptus
I – Impromptu en la bémol majeur, op. 29 (1837)II - Deuxième Impromptu en fa dièse majeur, op. 36 (1839 )
III - Troisième Impromptu en sol bémol majeur, op. 51 (1842)
IV - Fantaisie-Impromptu, op. posthume 66 (1834 )
Barcarolle ( 1846 ) en fa# majeur op. 60
Sonate n°2 ( 1839 ) en si bémol majeur op. 35
I. Grave - Doppio movimentoII. Scherzo
III. Marche funèbre : Lento IV. Finale : Presto
Entr’acte
Ballade n°1 ( 1831 - 1835 ) en sol mineur Op. 23
Ballade n°4 ( 1842 ) en fa mineur Op. 52
Quatre Mazurkas[ à préciser]
Sonate n°3 en si mineur ( 1844 ) en si mineur Op. 58
I. Allegro maestosoII. Scherzo (molto vivace)
III. LargoIV. Finale. Presto non tanto
Reproduction de l’interview réalisée pour Monsieur Croche
LES CONCERTS DE MONSIEUR CROCHE - MONSIEUR CROCHE & CO.www.concertsdemonsieurcroche.com Tél. + 33 7 69 70 32 51
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et publiée sur le site www.concertsdemonsieurcroche.comParis, Juin 2018
‘ Cairo Confidential ‘Un héraut très discret.
Rencontre avec le pianiste Henri Barda
PAR PIERRE BRÉVIGNON
Rendez-vous est pris dans une brasserie de la place du Châtelet, mais il aurait aussi bien pu se dérouler dans la grande salle
lambrissée du Café Riche, au centre du Caire, sous les hauts plafonds où tournent les pales indolentes des ventilateurs.
Difficile de rencontrer Henri Barda, le secret le mieux gardé du piano français, sans s’imaginer dans une scène de roman de
Michael Ondaatje ou de John Le Carré. Même lorsqu’il est présent, il reste insaisissable.
L’artiste est élusif : de trop rares disques, la plupart primés et épuisés, et une poignée d’apparitions en concert laissent aux
mélomanes un goût de trop peu. Ses années d’apprentissage avec le légendaire Ignaz Tiegerman achèvent de nimber le
personnage d’une aura de mystère.
Au terme de deux heures d’entretien, le voile se sera soulevé – un peu. Si Henri Barda porte haut la mission de faire
entendre la voix - mieux, la vérité - des compositeurs qu’il aime, il reste à l’image du demi-sourire qui le quitte rarement :
un héraut très discret.
Au Café Riche au Caire, aujourd'hui fermé. - Photo : X – DR
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Enfances
Né au Caire en 1941, Henri Barda a eu plusieurs enfances
entremêlées. Celle d’un enfant né musicien, que ses
parents, musiciens dans l’âme, voyaient avec stupéfaction
jouer du piano avec les deux mains, mélodie et harmonie,
sans avoir jamais rien appris. Celle d’un enfant curieux,
amoureux de la nature qui s’étalait à cette époque dans
une profusion splendide.
« Un mois par an, les eaux du Nil devenaient rouges et
recouvraient champs et jardins. Cette crue millénaire à
jamais disparue m’a laissé au cœur l’empreinte de la
plus grande beauté que j’aie pu contempler. Les
Pyramides se voyaient de partout. La ville avec respect
se tenait encore loin d’elles. Les autos, encore peu
nombreuses côtoyaient les calèches noires, menées par
un cheval patient et débonnaire, que l’on prenait en
guise de taxi après avoir marchandé. En ce temps
lointain, on n’était pas pressé, et l’odeur du candide
crottin lâché gaiement par l’animal était largement
préférable à ce que nous respirons aujourd’hui. » Enfin,
celle d’un enfant déraciné, arraché par la violence de
l’Histoire à la terre qui l’avait vu naître et grandir jusqu’à
l’âge de seize ans.
La crise du canal de Suez précipite le destin de la famille
Barda, contrainte de quitter l’Égypte pour la France.
« Dans l’avion qui nous menait en exil, tandis que nous
survolions les festons illuminés des plages d’Alexandrie,
ma mère et moi avons éclaté en sanglots.»
Henri Barda, enfant - Photo : X - DR
La Musique
Plus que son oreille absolue (« Elle ne fait pas le
musicien, pas plus que distinguer le bleu du rouge ne
conduit à une vocation de peintre »), Henri Barda
considère que sa grande chance est d’avoir la conscience
et la mémoire des intervalles. Elle lui permet de jouer et
d’improviser dans tous les tons et de transposer sans
effort les œuvres qu’il travaille ou qu’il a seulement
entendues sans passer par la partition.
« Une grande proportion de la population identifie une
musique comme gaie ou triste, mais la musique recèle de
par les intervalles qui séparent les notes et forment
mélodies et harmonies l’éventail des sentiments humains,
même ceux que l’on n’a pas encore éprouvés ni nommés.
Si l’on est capable de transposer ces harmonies dans
tous les autres tons, c’est bien que ces sentiments existent
dans les intervalles, et non exclusivement dans les notes
de la tonalité originale. Encore que la tonalité apporte
une couleur. »
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Cette familiarité avec les intervalles vient de loin : à en
croire le pianiste, c’est pelotonné dans la chambre
d’échos du ventre de sa mère qu’il a fait connaissance
avec la musique . « N’est-ce pas là ce qu’on appelle la
langue maternelle ? Ma mère chantait merveilleusement
sans y attacher d’importance; mon père jouait du piano,
principalement une petite douzaine de ses compositions
sur lesquelles il revenait en boucle, très belles,
italianisantes à la manière de Chopin, sur lesquelles il
expérimentait de menus changements pour
immanquablement revenir à la version initiale. Le radio
était allumée en permanence, et je suis certain que mon
amour de Piaf ou de Trenet, des tangos argentins et de la
musique grecque date d’avant ma naissance. Le second
concerto de Rachmaninov passait au moins, je le jure,
une fois par jour, certains passages me faisaient pleurer.
Rachmaninov n’a pas son égal pour parler de la
nostalgie de l’enfance perdue, et c’est un mystère bien
paradoxal qu’un enfant puisse déjà s’en rendre compte.
La musique n’a pas été pour moi une langue apprise.
Voyant mon père jouer du piano, J'ai dû me dire «
Aaaah, c’est ça ! » en identifiant le piano droit comme
l’instrument qui produisait ces sons tintinnabulants et
caverneux. La légende familiale veut que, longeant le
clavier dès que j’ai pu me tenir debout, j’ai égrené une à
une en montant et en descendant les notes de la gamme
chromatique et qu'au bout de quelques montées et
descentes, disait mon père, « j’avais compris ».
L’essentiel de tout ce qui m’a été utile, je le savais déjà à
trois ans. J’ai retrouvé une photo de moi assis au
clavier en barboteuse qui témoigne de cette époque-là;
je jouais pour être aimé, pas pour me faire admirer. »
Ignaz Tiegerman - Photo : X – DR
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Éducation musicale
Pour les parents du petit Henri, qui a maintenant six ans,
la meilleure école s’impose: ce sera le conservatoire
fondé par Ignaz Tiegerman, pianiste polonais installé en
Égypte, élève de Theodor Leschetitsky et Ignaz
Friedman. En écoutant l’enfant jouer de mémoire le
thème principal du Lac des Cygnes, Tiegerman, amusé,
décide de le confier à sa meilleure pédagogue, Sela
Menaszes.
« Je la considère comme ma mère musicale. Quant à
Tiegerman, je l’ai côtoyé presque tous les jours pendant
des années. Ce n’étaient pas des cours à proprement
parler, mais on apprend des choses d’un grand artiste
rien qu’en le regardant vivre et bouger au clavier. Il
m’appelait dans le secrétariat où travaillait ma mère
pour me jouer des pièces, souvent du Chopin. Il adorait
Chopin, qu’il interprétait de façon très fluide, presque
liquide, sans
afféterie ni emphase. Le rubato était là, jamais
ostentatoire. Peu à peu, il en est venu à me faire
travailler lui-même. La dernière année, alors que notre
départ se profilait, il m’a donné une bonne vingtaine de
leçons. Je l’ai revu quelques années plus tard à Kitzbühel
dans le Tyrol autrichien, où il disposait d’un chalet l’été,
joyeuses retrouvailles au cours desquelles nous n’avons
guère quitté le piano. »
Dans les bagages d’exil de la famille Barda, une lettre de
recommandation de Tiegerman pour Lazare-Lévy,
célèbre pédagogue. Ce dernier prendra sous son aile le
jeune garçon dès son arrivée à Paris. Leur relation sera
immédiatement lumineuse et chaleureuse, et le restera
jusqu’à sa disparition en 1964.
Lazare Levy - Photo : X – DR
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« Ma famille a fait escale pendant un an dans un
pavillon à Houilles dans la banlieue parisienne avec
trois autres familles parentes et alliées. Dans chaque
recoin un lit, un entassement dont je conserve un
souvenir ému. Première année en France, premier hiver
enneigé. Puis le groupe s’est dispersé et ma famille a
emménagé au 12 rue Blanche dans le
9e arrondissement. »
Après une longue privation, au cours de laquelle il ne
pouvait travailler que quelques heures par semaine, ici ou
là, Henri peut enfin disposer d’un piano. « Avec Lazare-
Lévy, j’ai travaillé très sérieusement les Préludes et
Fugues de Bach, les cycles de variations de Brahms,
celles de Fauré, plusieurs sonates de Beethoven, etc. Il
m’a présenté au Conservatoire dans la classe de Joseph
Benvenuti, où j’ai été admis à la troisième tentative.
Encore une merveilleuse rencontre, bien trop brève car
on m’a donné mon Premier Prix au bout de seulement
deux ans. C’est ce grand Monsieur et grand musicien qui
m’a offert mon premier récital public, le 2 décembre
1964, dans la belle salle de l’Ancien Conservatoire, où
avaient lieu les concours de Prix de toutes les disciplines.
Mon programme débutait par deux chorals de Bach-
Busoni, puis les Scènes d’Enfants de Schumann, suivies
de la Sonate Funèbre de Chopin et de la Sonate
n°7 de Prokofiev. Ce programme reflète naïvement ma
fascination déjà ancienne et passionnée pour Horowitz,
car mon père avait acheté quand j’avais huit ou dix ans
des 78 tours de lui qui m’avaient proprement ébahi. »
1964. À Kitzbühel en Autriche : Stefan Askenase, Tiegerman, Barda
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Trois génies
Une bourse va bientôt lui permettre d’approcher l’objet
de sa dévotion. Traversant l’Atlantique, Henri Barda
devient étudiant à la prestigieuse Juilliard School de New
York, où, quatre ans durant, il suit l’enseignement de
Beveridge Webster, un élève de Nadia Boulanger,
parfaitement francophone et spécialiste de Ravel.
L’Amérique vit alors son âge d’or musical et Vladimir
Horowitz brille à son firmament. « Dire que je
l’admirais, le mot est faible. C’était mon phare. Par
timidité et trop de respect je ne suis jamais allé sonner à
sa porte à la 94e rue. Je n’ai pas osé et je le regrette. J’ai
seulement assisté à plusieurs de ses récitals à Carnegie
Hall, la première fois en faisant la queue trois jours et
trois nuits. Horowitz avait tout pour lui: la
sensibilité, l’imagination, la fantaisie, le feu et la
tendresse, des moyens colossaux, une oreille fabuleuse.
Son génie était éblouissant, bouleversant, éclaboussant.
En lui survivait tout l’héritage des grands musiciens
russes qui étaient encore vivants quand il est né. »
Vladimir Horowitz - Photo X - DR
Dans les couloirs de la Juilliard, Henri Barda croise un
autre génie musical : le compositeur français Olivier
Greif. « Il était plus jeune que moi de neuf ans. Son
talent de compositeur était injustement éclipsé dans sa
jeunesse par sa réputation de déchiffreur phénoménal. Je
l’avais croisé presque enfant au Conservatoire, je
l’avais entendu à l’ancienne salle Berlioz au cours d’une
audition de la classe de Lucette Descaves. Il avait joué
les Variations sur un thème de Haendel de Brahms avec
une conviction stupéfiante. Je l’avais revu à la Juilliard
School, où, non content d’être disait-on l’assistant de
Luciano Berio, il était devenu je ne sais comment un
familier de Warhol et de Dali.
Plus tard, à Paris, il m’a proposé de jouer avec lui
son Tombeau de Ravel à quatre mains, une fantaisie
étourdissante dans le style du jazz avec une énorme
fugue. Il m’a ensuite confié la création de sa Sonate dans
le goût ancien puis, avec lui et la soprano Evelyne
Brunner, de la Petite Cantate de chambre, une
commande d’Antoine Livio pour le programme de Noël
de la radio de Lausanne. C’est un spiritual d’une
élévation extraordinaire sur le psaume The Lord is my
Shepherd, un chef -d’œuvre absolu.
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CD Archives INA, la "Petite Cantate de chambre"
Il avait vingt-cinq ans. Sa musique ne relevait pas
seulement d’un savoir-faire consommé, qui faisait appel
à de la polymodalité et à des mélismes obsessionnels qui
semblaient venir de la musique noire-américaine, mais
comme seuls les génies savent le faire, il avait ce don de
capter quelque chose qui parle à tous mais auquel bien
peu de gens ont accès, comme s’il puisait des merveilles
inconnues au fond d’un grand lac noir pour les offrir à
ceux qui ne savent pas pêcher. Sa foi en son talent de
compositeur était totale. Il est malheureusement mort
subitement à cinquante ans. J’ai eu la tâche
bouleversante de jouer à deux reprises après sa
disparition son extraordinaire cycle Les Chants de
l’Âme avec sa créatrice la soprano anglaise Jennifer
Smith. Il laisse une œuvre gigantesque, dont une grande
partie n’a pas encore été déchiffrée, et que l’Association
Greif s’active à publier. »
Au hasard des circonstances, l’Amérique va offrir, sans
qu’il s’en doute encore, un terrain de jeu inattendu à
Henri Barda. En 1969, lors de sa dernière année à la
Juilliard School, il assiste, en compagnie de son ami
Georges Pludermacher, de passage, à une représentation
de Dances at a Gathering, le ballet de Jerome Robbins
sur des pièces de Chopin qui venait d’être créé.
Expérience bouleversante. « J’en ai pleuré d’émotion.
Certains passages étaient extraordinaires de coïncidence
entre la musique, le scénario et les gestes. » Vingt ans
plus tard, le ballet doit être créé à l’Opéra de Paris et
Robbins ouvre des auditions pour recruter son pianiste.
Henri Barda s’y présente sans y croire vraiment. Le
Maître lui fait jouer des Nocturnes de Chopin, le visage
fermé. « Parfois, il m’arrêtait : « Là il faut que ce soit
plus lent, parce que nous faisons ça et ça », et il
dansait ». Sans un sourire, il finit par lâcher: « Ok. We’ll
work ». C’est le début d’une collaboration orageuse, qui
durera dix ans.
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Jerome Robbins - Photo X – DR
« Robbins était un homme très exigeant, qui menait la vie
dure à tous ses interprètes. Je ne fis pas exception, bien
au contraire. Il me tortura à plaisir. Habitué à ses
esclaves du New York City Ballet Robbins entendait
m’imposer une musique très droite et très simple sur
laquelle les danseurs seraient en sécurité. Il me disait: «
Les applaudissements ne sont pas pour vous ! » Mais au
fil des mois de répétitions, j’ai pu recouvrer plus de
liberté, et comme je jouais par cœur, j’avais la possibilité
de varier ma manière de jouer selon ce qui se passait sur
la scène, glissant au bon moment la note sous le
chausson du danseur avec une pelle à pizzas. C’était le
grand luxe. À mesure que la première approchait, le
Maître devenait de plus en plus hystérique, permutant les
danseurs, ajoutant des répétitions… Quelques heures
avant la générale de Dances, il parlait de me remplacer !
Mais j’étais bien là pour la générale, qui l’a rassuré. On
peut la voir, par miracle, sur Youtube. Quelques
danseurs du New York City Ballet présents dans la salle
lui ayant dit qu’ils n’avaient jamais vu une
représentation pareille, Robbins s’est calmé. Quelque
orageuse qu'ait pu être notre relation de travail, qui ne
s’est jamais radoucie, j’ai trouvé passionnant de voir
Robbins au travail. Aucun professeur de piano ne fait
reprendre une seule mesure autant de fois qu’il est
nécessaire pour la rendre facile et parfaite. (Je mets à
part ma merveilleuse Madeleine Giraudeau, l’assistante
de mon professeur Joseph Benvenuti au Conservatoire.
Elle savait enseigner à travailler).
Mon rôle avec le ballet était d’être fiable, et
de baliser la piste d’atterrissage pour que la grâce
puisse descendre et s’y installer. J’ai ainsi créé un à un,
puis tous à la fois, l’intégralité des ballets de Robbins sur
Chopin au Palais Garnier. J’ai même été le seul à les
avoir tous joués, et par cœur, en un seul programme, à
Garnier et à l’étranger, ce qui équivaut à un énorme
récital Chopin. Le seul ballet In the Night m’a emmené
au Japon, à Moscou, au Brésil, à Hanoï, à Hong-Kong, à
Shanghai, à Barcelone, à New York… Chaque soirée
était différente. Parfois, je jouais presque comme je le
souhaitais, parfois pas, mais le spectacle restait beau, et
le triomphe était quand-même régulièrement au rendez-
vous. »
Faire carrière
Pendant les dix années que dure l’expérience Robbins, la
carrière de soliste d’Henri Barda accuse une certaine
stagnation. « Ç’aurait été agréable d’avoir une carrière
plus ample, de jouer de nombreuses fois le même
programme, J’ai le tort de toujours vouloir attendre
d’être prêt, de ne jamais considérer que ce que je fais est
assez bien… » Conséquence de ces excès de précaution :
peu de concerts. Au Japon, - terre d’élection inattendue, il
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se rend une ou deux fois par an. Il s’y est fait de vrais
amis et semble avoir rencontré un public qui lui est
fidèle.
Disques : 1981, 2008
Son capital discographique est modeste : les
trois Sonates de Chopin (Calliope), fameusement
célébrées à la « Tribune des Critiques » d’Armand
Panigel comme à Varsovie, un récital violon-piano Liszt
avec Jean-Jacques Kantorow primé à Budapest (Arion),
la musique de chambre de Ravel (Calliope), des œuvres
d’Olivier Greif (INA, Triton, Saphir), un live in
Tokyo sorti en 2008 et plébiscité par la presse hexagonale
(Sisyphe). S’y ajoutent quelques vinyles (les trios pour
cor de Brahms et Ligeti, les sonates pour violon et piano
de Saint-Saëns, un Kreisleriana en souffrance) et une
poignée d’enregistrements jamais parus. Il paraît qu’il
n’y est pas toujours pour rien.
« Je ne me fais pas enregistrer chaque fois que je joue
quelque part. Et pourtant, j'adore enregistrer parce que
le disque a une durée de vie plus longue que celle de la
vie humaine. Et puis, être en studio, faire le montage,
c’est la meilleure façon pour moi d’être moi-même,
d’obtenir un résultat très libre en prélevant ou en
insérant tel ou tel passage, même infime. »
La grâce
Que ce soit sur scène ou au disque, Henri Barda cultive
ce que les Italiens nomment sprezzatura et que
Baldassare Castiglione, dans son Livre du
courtisan (1528), définissait ainsi : « Une certaine
nonchalance qui cache l’artifice et fait apparaître ce
qu’on fait comme venu sans peine et quasiment sans y
penser. »
« Mon but c’est qu’on ne sente jamais les coutures. Je
me reconnais dans ce conseil de Louis Jouvet. « Il ne
faut pas respirer entre les phrases.» En musique, c’est
la même chose. Il faut enchaîner, et respirer ailleurs.
Envelopper les idées successives dans un film invisible
qui efface les traces du travail. Les morceaux de
bravoure doivent faire partie du tout. Le seul pianiste
que j’ai regardé jouer de près jusqu’à mes seize ans était
Tiegerman, qui n’était pas un faiseur d’effets. »
Lorsque tous les éléments se combinent et que les
planètes s’alignent, le concert devient un pur moment de
plénitude. Comme ce soir du 11 février 1982, où les
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spectateurs de Pleyel assistent à un Concerto n°1 de
Rachmaninov touché par la grâce.
« Vous l’avez entendu ? C’est pas mal, hein ? Ma chance
c’est que le chef initialement prévu a été remplacé le
jour-même par un génie, Jacek Kasprzyk , que je ne
connaissais pas et qui a ainsi fait ses débuts à Paris. La
qualité de l’écrin qu’il m’a offert, une véritable
symphonie avec piano, m’a certainement aidé à me
lâcher. Je savais que c’était retransmis en direct à la
radio, J’ai donc pu le réentendre Il y a des choses
vraiment très émouvantes là-dedans… C’était un de mes
meilleurs concerts mais pendant que je jouais, je ne
savais pas que c’était aussi bien. J’essayais juste de
sauver ma peau. Finalement c’est quand je ne suis plus
maître de toutes mes décisions que j’ai la chance
d’approcher quelque chose d’indicible, qu’on ne peut ni
décrire ni enseigner. Quelque chose vous tombe dessus,
comme le phare d’une soucoupe volante. On est comme
forcé d’être libre..... Et puis il y a la qualité du silence.
C’est extraordinaire. »
Transmettre
C’est aussi à travers ses élèves que l’art d’Henri Barda
trouve à s’exprimer. En quelque quarante ans, il est passé
du conservatoire de Villeneuve-Saint-Georges où il
enseigne en rentrant des États-Unis (fraîchement diplômé
de la Juilliard School avec une distinction
exceptionnelle), à l’École Normale après avoir tenu une
classe pendant douze ans au CNSM de Paris. Il participe
aussi à des stages d’été aux Arcs, à Vittel, à Biarritz, à
Nancy, il donne des masterclasses au Japon, en Italie, en
Belgique, participe à l’Académie de musique française
fondée autour de Jean-Philippe Collard. Il s’émerveille
des talents singuliers de la jeune génération : un virtuose
japonais qui lui a joué le « Scarbo » du Gaspard de la
nuit de Ravel « comme personne » (« Mais je lui ai
quand-même donné un conseil qui lui permettra de le
jouer encore mieux, quelque chose que j’ai vu dans la
structure d’un passage mais qui lui avait échappé. Je l’ai
aussi prévenu que cela m’avait valu une tendinite de la
main gauche qui a mis des années à disparaître ! »), le
fantasque Roumain Daniel Ciobanu et la Coréenne Hyun-
Jeung Lim.
En concert au Japon - Photo : X – DR
« On me demande parfois pourquoi j’aime jouer plutôt
avec des tempi allants. Je dis que c’est plus poli, si c’est
tout aussi beau, de faire perdre moins de temps aux
auditeurs. Et j’ajoute parfois : Mon élève Hyun-Jeung
Lim, elle est encore bien plus polie que moi. Elle est hy-
per polie ! » La jeune virtuose quant à elle loue chez son
professeur « son oreille unique, qui lui permet de saisir
la relation intrinsèque et intime qui relie les notes entre
elles, la musicalité dans la distance entre une note et une
autre » et « ce souci qui est le sien de ne pas toucher aux
ADN musicaux innés en chacun » Et de conclure, comme
en écho à Henri Barda parlant d’Horowitz: « C’est un
phare. »
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La quête
« Je ne suis pas en quête de perfection mais de
vérité. Pour cela, il faut traquer et enlever tout ce qui
n’est pas vrai. Comme expliquait le cinéaste Stanley
Donen très sérieusement : « Si on veut sculpter un lapin,
il faut prendre un bloc de marbre, un ciseau et un
marteau, et enlever tout ce qui n’est pas un lapin. »
Si je ne suis pas sûr de savoir ce que je veux à la note
près, le moyen d’y arriver est d’éliminer impitoyablement
tout ce que je sais que je ne veux pas. Je suis passionné
par le texte et je veux l’approcher de façon naturelle,
instinctive. Je vois Chopin en train de composer avec un
crayon et une feuille. Il va probablement
écrire crescendo. Je le vois réfléchir, son crayon dans sa
bouche. Je m’interpose; Je veux arriver avant que la
mine touche le papier. Je veux lire ce qui dans sa tête
justifie le crescendo. L’agitation ? le rapprochement ?
l’insistance ? Arriver avant le crayon. Essayer de jouer
ce qu’il entendait. « Je suis extrêmement triste de me
croire obligé, quand je travaille une œuvre d’après une
partition, de lutter pour retrouver le naturel qui est le
mien quand j’improvise ou quand je joue dans un autre
ton. »
Les « indications du compositeur » me semblent
souvent redondantes, « Fais bien ton crescendo » crient
les bons professeurs de piano. Mais un crescendo n’est
légitime que s’il est porté par sa raison d’être. Les notes
apportent avec elles leur sens, comme cela se passe
lorsqu’on parle. La musique, c’est dire quelque chose,
pas faire de la belle élocution, avoir un beau son, être
dans le style historique, et autres soucis, vrais mais
subalternes. Le meilleur style, c’est de dire le mieux les
choses, et le plus clairement possible. Aux gens qui
entendent bien. Les autres ? je ne sais pas, les autres.
Être bien coiffé ? »
Henri Barda, futur pianiste ?
« Pour moi, la mort, ce sera d’arrêter de travailler. Je
suis au tout début de ma route, j’ai encore beaucoup à
apprendre. Je ne cherche pas à devenir mieux que moi-
même, mais à retrouver la candeur du petit garçon que
j’ai été. Je ne suis pas loin de m’admettre comme futur
pianiste. »
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