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CONDITIONS DE VIE ET D’ÉTUDES DE « MIGRANTS ÉTUDIANTS » AFRICAINS EN URSS ET EN RUSSIE : QUELS FACTEURS ONT PU CONTRIBUER À LEURS DIFFICULTÉS ET À LEURS STRATÉGIES D’ADAPTATION ? Ichaka Camara Presses Universitaires de France | « Journal of international Mobility » 2018/1 N° 6 | pages 45 à 75 ISSN 2296-5165 ISBN 9782130803270 DOI 10.3917/jim.006.0045 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-journal-of-international-mobility-2018-1-page-45.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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CONDITIONS DE VIE ET D’ÉTUDES DE « MIGRANTS ÉTUDIANTS »AFRICAINS EN URSS ET EN RUSSIE : QUELS FACTEURS ONT PUCONTRIBUER À LEURS DIFFICULTÉS ET À LEURS STRATÉGIESD’ADAPTATION ?

Ichaka Camara

Presses Universitaires de France | « Journal of international Mobility »

2018/1 N° 6 | pages 45 à 75 ISSN 2296-5165ISBN 9782130803270DOI 10.3917/jim.006.0045

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-journal-of-international-mobility-2018-1-page-45.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Conditions de vie et d’étudesde « migrants étudiants » africainsen URSS et en Russie :quels facteurs ont pu contribuer à leurs difficultéset à leurs stratégies d’adaptation ?

Ichaka Camara *

Résumé

Le présent article se propose de partager une partie des résultats de notre rechercheportant sur l’analyse des expériences vécues par des étudiants africains lors d’un séjourlong d’études en URSS et/ou en Russie. Ces étudiants sont considérés par le payshôte comme des migrants d’où leur appellation de « migrants étudiants ». Nous noussommes posé les questions suivantes : quels sont les facteurs contextuels qui ontmarqué le séjour de ces étudiants ? En quoi ces différents facteurs ont pu générerdes difficultés individuelles et collectives ? Quelles stratégies d’adaptation les étudiantsont-ils développées ou pas face à ces obstacles ? Tout d’abord nous rappellerons briè-vement le cadre théorique et le cadre méthodologique adoptés, puis nous présenteronsla composition et les profils des 88 étudiants africains interrogés. Enfin nous analyse-rons les liens possibles entre les facteurs contextuels et les difficultés individuelles etcollectives rencontrées par les étudiants et les diverses stratégies qu’ils ont élaboréesen vue de leur adaptation (ou non).

Mots-clés : migrants étudiants africains, conditions de vie et d’études, culture d’accueil,facteurs contextuels, difficultés individuelles et collectives, stratégies d’adaptation.

* Faculté des Sciences Humaines et Sciences de l’Éducation (FSHSE), Université desLettres et Sciences Humaines de Bamako (Mali) : [email protected]

J. Int. Mobil, 6 (2018), 45-75

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Abstract

The aim of thy article is to share a part of the results of our research dealing with theanalyzing of the experiences of African students during their long-term studies in theUSSR and, or in Russia. These students are in fact considered by the host country asmigrants, hence the designation of "student migrant". We have asked to ourselves thefollowing questions : What are the contextual factors that marked the sojourn of thesestudents ? In what way have these different factors generated individual and collectivedifficulties ? Which strategies the students have developed or not developed to facethese obstacles ? First, we will recall briefly the theoritical and methodological frame,then we will present the composition and the profiles of the 88 interviewed Africanstudents. Eventually we will analyze the possible links between contextual factors antthe individual and collective difficulties met by the African students, and the diversestrategies that they have elaborated s in order to adapt themselves or not

Keywords : African migrant students, conditions of life and of studies, host culture,contextual factors individual and collective difficulties, adaptation (inadaptation)strategies.

Introduction

Notre intérêt pour la mobilité estudiantine remonte aux années de forma-tion en sociologie à l’université d’État de Kouban. C’est pourquoi notresujet de thèse, réalisée sous la supervision d’un directeur de thèse russe,a porté sur les conditions de vie et d’études des étudiants africains en(ex)URSS et, ou en Russie. Nous nous sommes penché plus particulière-ment sur les difficultés rencontrées et les stratégies d’adaptation de cescandidats. Nous avons choisi, comme terrain d’études, la Russie et larégion de Kouban (université d’État de Kouban), car nous y avons effec-tué nos études universitaires longues jusqu’au doctorat. C’est donc avecun regard à la fois proche et distancié, selon une approche sociologique,que nous avons abordé la situation de ces étudiants venus du continentafricain dans un vaste pays qui formait également un continent en soi.En outre, peu de chercheurs européens ou même africains se sont pen-

chés sur cette « migration estudiantine » très spécifique et méconnue, sur-tout à l’époque de l’URSS. Ces étudiants sont considérés par le pays hôtecomme des migrants d’où leur appellation de « migrants étudiants ». Ce

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statut implique qu’ils restent en principe dans le pays d’études pour unedurée déterminée par leur cursus. Au terme de celui-ci, dans la majoritédes cas, ils retournent dans leur pays. Ce sont donc des « migrants tempo-raires ». Les difficultés rencontrées par ces étudiants africains (d’Afriquedu nord comme d’Afrique noire) dans leur vie quotidienne et universi-taire, et les stratégies d’adaptation (ou non) qu’ils ont pu développer, ontété peu investiguées dans un contexte lui-même longtemps méconnu,voire ignoré.Pourtant, selon des données de l’OCDE, sur le nombre d’étudiants

internationaux inscrits dans des universités étrangères, l’URSS avait unepolitique de bourses pour les étudiants étrangers très dynamique : jus-qu’en 1991, l’Union soviétique occupait le deuxième rang mondial aprèsles États-Unis en termes d’accueil d’étudiants. Mais, avec la fin del’Empire soviétique et le début de la Russie, la région a connu dès 1990une forte réduction du taux des étudiants étrangers, y compris des Afri-cains. En peu de temps, le nombre total de ceux-ci en Russie a diminuéde deux à trois fois, soit est passé de 126 500 personnes en 1990 à39 300 personnes en 1991. Ce processus, qui a atteint un « point critique »en 1993, s’est arrêté. En 2006, le taux d’étudiants étrangers en Russie estremonté, mais selon d’autres conditions d’échanges 1. En 2014 parexemple, le nombre d’étudiants en Russie s’élevait à environ 125 000 per-sonnes, parmi lesquelles les étudiants africains qui constituent un segmentspécial des « migrants étudiants ». Ces étudiants originaires de 173 paysdu monde dont 52 pays d’Afrique, ont été admis dans 787 établissementsd’enseignement supérieur russes, 562 étatiques et 174 privés, soit près destrois-quarts du nombre total des établissements russes (1 115). Le nombred’étudiants africains s’élevaient à 10 346 étudiants 2.

1 Sheregui F.E., Dmitriev N.M. i Arefiev A.L. (2002). Nauchno-pedagoguicheskih poten-cial i eksport obrazovatelnih uslug rossiskih vuzov. Moskva, stranica 22. Sheregui F.E.,Dmitriev N.M. i Arefiev A.L. (2002). [Potentiel scientifico-pédagogique et exportationde services éducatifs des établissements d’enseignement supérieurs russes]. Moscou,p. 22.

2 Arefiev A.L.et Sheregui F.E. (2012). « Inostrannih studenti v rossiskih vuzah : Dokladna tretiem vsiemirnom forume inostrannih vipusknikov sovietskih i rossiskih vuzov(Moskva, noyabre) ». Arefiev A.L., (2012). [Étudiants étrangers dans les établissementsd’enseignement supérieurs russes : Communication au troisième forum mondial des

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Les conditions de vie et d’études du pays et de l’université d’accueilmarquent généralement l’expérience vécue par tout étudiant. Qu’en est-ilpour ces étudiants africains ? Plus précisément, quels sont les facteurscontextuels et individuels qui ont marqué le séjour de ces étudiants ? Enquoi ces différents facteurs ont pu générer des difficultés d’adaptation aucontexte étranger ? Quelles stratégies individuelles et collectives les étu-diants ont-ils développées face à ces obstacles ?Face à ces questionnements, cet article se propose d’investiguer les pro-

fils de ces étudiants, leurs statuts et situations, les difficultés rencontréeset les stratégies élaborées. Pour ce, nous organiserons notre article endeux parties. Nous rappellerons brièvement le cadre théorique organiséautour du concept central « d’adaptation », puis nous présenterons noschoix méthodologiques mixtes. La seconde partie s’intéressera aux princi-paux résultats de notre analyse quantitative, puis qualitative, chaquepartie se nourrissant des témoignages des étudiants et rythmée par nosanalyses et nos hypothèses d’interprétation.

1. Bref rappel du cadre théorique et méthodologique

1.1. De la notion d’adaptation sociale

La définition de l’adaptation, de ses formes et indicateurs fait l’objet dedébats contradictoires dans de nombreuses branches scientifiques commela biologie, la psychologie et la sociologie. Ces branches entendent paradaptation, ajustement en biologie 3, assimilation et accommodation enphysiologie 4, assimilation et transformation en sociologie 5. En d’autrestermes, la définition de l’adaptation sociale ne fait pas consensus. À cetégard, deux logiques sur ce concept semblent faire école, la première

diplômés étrangers des établissements d’enseignement soviétiques et russes (Moscou,novembre)] (date de consultation 22/01/2018).

3 Morin E. (1985). La Vie de la vie, La Méthode, t. 2, Paris, Le Seuil.4 Piaget J. (1967). Biologie et connaissance : essai sur les relations entre les régulations

organiques et les processus cognitifs, Paris, Gallimard.5 Rocher G. (1992). Introduction à la sociologie générale : action sociale, organisation

sociale, changement social, Montréal, Hurtubise.

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déterministe et la seconde individualiste. La première logique dont destenants sont Émile Durkheim 6, Ralph Linton 7 et Guy Rocher 8 perçoiventl’adaptation sociale comme l’ajustement d’un individu aux valeursmajeures d’une société. Quant à la seconde logique dont des défenseurssont Max Weber 9 et Jean Piaget 10, elle présente l’adaptation socialecomme un processus et le résultat de l’interaction entre un individu etson milieu social, au cours de laquelle toutes les exigences et les attentesdes deux acteurs en présence s’accordent par assimilation et accom-modation.Par adaptation sociale, nous comprenons un processus social, au cours

duquel a lieu l’entrée d’un individu dans le système établi de relationssociales, y compris dans les conditions d’un pays concret, d’une ville,d’une culture. Au cours de ce processus ont lieu la reconnaissance etl’acceptation par un individu / un groupe des valeurs majeures du nou-veau milieu sous la reconnaissance de certaines valeurs de l’individu /du groupe par le nouveau milieu social. Par conséquent, les mécanismesd’adaptation développés par l’individu au cours de ce processus commefondements du comportement et de l’activité pédagogique comprennentà la fois une composante adaptative et une composante adaptatrice.En fonction de l’attitude des étudiants étrangers à l’apprentissage, de la

dynamique et du résultat de la formation, de la participation à la viesociale et du statut au sein d’un collectif, les sociologues distinguent lesniveaux élevés, moyens et faibles d’adaptation. Ces niveaux sont en géné-ral considérés comme trois (3) formes d’adaptation. Le niveau élevéd’adaptation présuppose une attitude positive des étudiants à l’apprentis-sage, leur respect des exigences éducatives, leur activité mentale indépen-dante. La différence du niveau moyen d’adaptation avec le haut niveau

6 Durkheim E. (1967). De la division du travail social. Paris : PUF.7 Linton R., (1986). Le fondement culturel de la personnalité. Paris : Dunod. (1re édition

1945).8 Rocher G. (1970). Action sociale in Introduction à la sociologie générale, Paris, Seuil,

p 132.9 Weber M. (1971). Économie et Société. Paris : Plon. (Traduction partielle de l’original

allemand paru en 1921).10 Piaget J., (1965). L’explication en Sociologie, Études Sociologiques. Paris : Droz.

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réside dans le fait que l’activité mentale est réalisée sous le contrôleexterne d’un adulte. Le faible niveau d’adaptation se distingue des deuxpremiers par une attitude indifférente de l’étudiant à l’apprentissage, unehumeur dépressive, des plaintes de mauvaise santé, une insuffisanced’activité mentale indépendante 11. Ces difficultés, bien sûr, sont dessignes de désadaptation éducative et sociale.Les critères (indicateurs) socialement significatifs de la maturité de tout

étudiant en contexte étranger pour un séjour long d’études sont les sui-vants : 1) la capacité à s’accommoder des activités éducatives 12 ; 2) lacapacité à obtenir des résultats dans l’apprentissage et l’autodiscipline 13 ;3) la vivacité dans la vie éducative et sociale ; 4) la capacité à évaluer demanière optimiste la vie ; 5) la capacité à maintenir la stabilité émotion-nelle ; 6) la capacité à évaluer correctement sa position dans le systèmede relations formelles et informelles 14 ; 7) la capacité de prendre des ini-tiatives dans son comportement, le désir de leadership et de succès 15.Peut-on appliquer ces indicateurs au cas de nos étudiants africains ?

Ne va-t-on pas découvrir d’autres facteurs contextuels, d’autres types dedifficultés et d’autres stratégies d’adaptation (ou pas) mises en œuvre parces étudiants avec des variables significatives entre eux en regard de leurorigine géographique, classe d’âge, sexe et autres paramètres ?

11 Shabanova M.A. (1995). « Socialnaya adaptacia v kontekste svabodi » / [Tiekst]. Shaba-nova M.A., (1995). [Adaptation sociale dans le contexte de la liberté] // Recherche socio-logique. no 9, p. 81-88.

12 Agulhon C., Ennafaa R. (2016). « Les étudiants étrangers. Des trajectoires spécifiques »,in Giret, J.-F., Van de Velde C., Verley, C. (dir.), Les vies étudiantes. Tendances etinégalités. Paris, La Documentation Française, coll. « Études & recherche ».

13 Lalive E.C. (1998). « Significations et valeurs du travail, de la société industrielle à nosjours », Traité de sociologie du travail, De Boeck Supérieur, Paris.

14 Méda D., Vendramin P. (2013). Réinventer le travail, Presses universitaires de France,Paris.

15 Pinto V., (2014). À l’école du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots », Pressesuniversitaires de France, Paris.

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1.2 Méthodologies d’enquête

Compte tenu de nos objectifs de recherche, nous avons opté pour lacollecte, le traitement et l’interprétation des données à la fois quantitativeset qualitatives.

1.2.1. Échantillon : choix et constitution

Pour opérationnaliser notre étude, nous avons eu recours à la techniquedu choix aléatoire. Dans l’impossibilité d’interroger l’ensemble des étu-diants africains rentrant dans l’enquête, nous avons opté pour une sélec-tion à partir des différents pays, villes et universités. Nous avons choisiau hasard quatre-vingt-huit (88) étudiants africains qui ont séjourné enURSS et, ou en Russie. Le questionnaire a été administré à soixante-trois(63) d’entre eux, tandis que le guide d’entretien a été introduit auprèsdes vingt-cinq (25) autres. L’actuelle génération d’étudiants africains fré-quentent les universités de Kouban, à savoir l’université d’État de Kouban,l’université de Médecine d’État de Kouban, l’université de Technologied’État de Kouban en Russie. Quant à l’ancienne génération d’étudiants,elle a étudié dans les universités Soviétiques de Moscou, Rostov, Krasno-dar, Minsk, Leningrad et Kharkov. Le corpus des entretiens est donc com-posé de 12 personnes contre 13 étudiants de la Russie constituant les25 personnes annoncées. Notre échantillon global se présente commesuit :

Tableau 1 : échantillon de l’étude

Population Échantillon

Étudiants pour l’enquête par questionnaire 63

Étudiants pour l’enquête par guide d’entretien 25

Total 88

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban) et Mali (Bamako), 2015.

Nous avons considéré les séjours des étudiants africains dans des uni-versités de l’URSS et, ou la Russie en trois périodes : 1) la période sovié-tique (1960-1985) ; 2) la période de la « perestroïka » (1985-1992) ; 3) la

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période russe (de 1993 à ce jour). Chacune de ces périodes est caractériséepar des composantes culturelles, sociales, politiques, idéologiques, écono-miques, à la fois différentes et similaires qui ont pu influencer de manièresignificative les processus d’apprentissage et d’adaptation sociale desmigrants étudiants au contexte d’accueil.

1.2.2. Déroulement de l’enquête par questionnaires et entretiens

Rappelons ici que nous avons choisi comme terrain d’études la Russie etla région de Kouban (université d’État de Kouban) du fait que nous leconnaissons bien pour y avoir effectué nos études universitaires jusqu’audoctorat, ce qui a grandement facilité nos contacts avec notre public cible.Pour les questionnaires, nous sommes allés de résidence universitaire

en résidence. Après avoir décliné notre identité et expliqué la procédurede remplissage du questionnaire aux étudiants, nous le leur avons distri-bué et accordé 35 minutes pour le remplir, puis, nous avons récupéré lesquestionnaires. S’agissant du déroulement des entretiens, nous avonsmené des échanges individuels dans le cadre d’un entretien semi-structuréportant sur les difficultés d’adaptation et les stratégies adoptées. Les entre-tiens se sont déroulés dans les foyers universitaires, au sein des les familleset dans les bureaux pour les diplômés, et parfois dans un autre lieu selonla proposition des enquêtés.

2. Le séjour des étudiants africains en URSS ou en Russie :des facteurs contextuels aux facteurs individuels

2.1. Identification des étudiants africains

Pour comprendre la situation des étudiants africains, il est nécessaired’avoir en amont une idée précise de la composition de leurs profils.

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Tableau 2 : La répartition des étudiants africainsselon leurs pays d’origine en Afrique

Pays d’origine en fonction des principales Effectifs Pourcentagerégions

Afrique Occidentale 25 39,6 %

Afrique Australe 13 20,6 %

Afrique Centrale 12 19 %

Afrique Septentrionale 6 9,6 %

Afrique Orientale 6 9,6 %

Corne de l’Afrique 01 1,6 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Les représentants des pays de l’Afrique Occidentale (Nigéria, GuinéeÉquatoriale, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali et Niger) sont les plus nombreuxde notre échantillon, soit 39,6 %, contre 20,6 % des ressortissants del’Afrique Australe (Angola, Zambie et Namibie) et 19 % de ceux del’Afrique Centrale (Cameroun, Congo Brazzaville, République Centrafri-caine et Tchad). Les représentants de l’Afrique Septentrionale (Algérie,Tunisie, Maroc) et de l’Afrique Orientale (Soudan, Mozambique) sont del’ordre de 9,6 %, respectivement, contre 1,6 % de ceux de la Corne del’Afrique (Érythrée). Le nombre élevé des candidats venus d’Afrique Occi-dentale par rapport à ceux des autres régions pourrait s’expliquer par lenombre important de boursiers nigérians et équato-guinéens arrivantpour les études en Russie ces dernières années. Nous faisons l’hypothèsequ’un début de diffusion de l’enseignement russe à des fins d’échangescommerciaux dans ces pays a motivé ces nombreux départs. Les difficultésvécues et les stratégies d’insertion sociale développées peuvent varier selonl’origine géographique des étudiants.

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Tableau 3 : La répartition des étudiants africains selon leurs âges

Âges Effectifs Pourcentage

[17 ans à 20 ans] 24 38 %

[20 ans à 23 ans] 19 30 %

[23 ans à 26 ans] 15 24 %

[26 ans et plus] 5 8 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Un nombre important des étudiants, soit 38 % ont leurs âges comprisentre 17 et 20 ans, alors que 30 % sont âgés de 20 à 23 ans. La prédomi-nance de ces tranches d’âge peut se justifier par le fait que de plus en plusd’étudiants africains adolescents arrivent dans les universités russes. Nousfaisons l’hypothèse que, contrairement aux tranches d’âge avancées, cesadolescents auront plus de prédispositions à la mobilité et aux contactsavec de jeunes russes. Cette appartenance de classe d’âge peut avoir sonimportance.

Tableau 4 : La répartition des étudiants africains selon leur sexe

Sexe Effectifs Pourcentage

Masculin 45 71,4 %

Féminin 18 28,6 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Le nombre d’étudiants de sexe masculin est plus élevé, soit 71,4 % quecelui du sexe féminin (28,6 %). L’explication est que les parents ont ten-dance à envoyer beaucoup plus ces derniers à l’étranger que les filles enraison des représentations socio-culturelles, qui freinent la mobilité fémi-nine dans les pays d’origine. L’appartenance sexuelle peut être un facteurdéterminant dans l’analyse des difficultés et stratégies d’adaptation.

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Tableau 5 : La répartition des étudiants africainsselon leurs niveaux d’études à leur arrivée en Russie

Niveaux d’études des africains à leur arrivée Effectifs Pourcentageen Russie

Secondaire 43 68,2 %

Secondaire (incomplet) 13 20, 7 %

Universitaire 07 11,1 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

On voit ici qu’en général, le niveau secondaire (68,2 %) a été acquisdans le pays d’origine ou dans un pays voisin. Le niveau universitaire(11,1 %) concerne les étudiants qui viennent dans les universités russespour y effectuer divers stages et formations, y compris des études docto-rales. Enfin, le niveau secondaire incomplet d’études (20,7 %) impliquedes détenteurs du Diplôme d’études fondamentales (DEF) poursuivantleurs études dans des établissements d’enseignement professionnel.Comme l’âge, le niveau d’études du visiteur à son arrivée dans le paysd’accueil peut avoir une influence sur les difficultés rencontrées et la capa-cité d’adaptation.

Tableau 6 : La répartition des étudiants africainsselon leurs types d’hébergement occupés en Russie

Types d’hébergement occupés par les étu- Effectifs Pourcentagediants africains en Russie

Résidence universitaire 56 89 %

Appartement loué hors de la résidence 7 11 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Une grande majorité des étudiants vivent dans des résidences universi-taires, alors qu’une minorité d’entre eux louent des appartements hors dela résidence. Ces derniers sont originaires essentiellement du Maroc, dela Tunisie, de l’Algérie, du Nigéria, du Cameroun, de la Zambie, de la

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Namibie et de l’Angola. Nous faisons l’hypothèse qu’en dehors d’unesituation financière aisée, le désir de rester dans le pays d’études motivece choix. Si la location d’un appartement agrandit le cercle de connais-sances, à savoir le propriétaire de la maison, les voisins, etc., elle peut enrevanche augmenter le risque de conflits avec ces derniers. Le choix dufoyer universitaire pourrait s’expliquer par le désir des adolescents,notamment des femmes, de vivre en groupe procurant ainsi un sentimentde sécurité et par le prix plus abordable de la chambre. Ce choix peutêtre aussi motivé par le désir de retourner au pays. Être en résidenceuniversitaire joue un double rôle dans le processus d’adaptation. D’unepart, le vivre ensemble apporte aux étudiants le confort d’une certainesécurité, mais d’autre part, ils sont confrontés à l’inconfort en raison dupartage des commodités (toilettes et cuisines communes occasionnant lafile d’attente par moment, manque de produits sanitaires pour le net-toyage selon les universités).Il convient de noter que la possibilité de louer un appartement pour les

étudiants étrangers n’apparaît que pendant la « perestroïka » et demeureencore de nos jours en Russie. Elle est due à la démocratisation de lasociété ex-soviétique et à l’affaiblissement du contrôle idéologique exercésur les étudiants étrangers avant 1985. Aux yeux des autorités administra-tives de l’époque, le vivre ensemble sur un campus garantissait, d’unepart, la sécurité des étudiants étrangers et, d’autre part, la « transparence »de leur séjour.Quoi que non prohibée, la possibilité de cohabiter avec un étudiant

soviétique était soigneusement étudiée par les services de sécurité de l’uni-versité. Mais, au cours de la « perestroïka », la réglementation en lamatière s’est assouplie : il devient possible de choisir avec qui on veutvivre dans une chambre commune. Il devient également possible de vivredans un appartement hors du foyer, même si pendant longtemps les étu-diants étrangers ont conservé leurs chambres au sein de celui-ci.Chaque campus accueille les étudiants au sein des résidences universi-

taires selon ses capacités. La plupart de ces résidences ne tiennent pascompte de la visite temporaire de proches parents des étudiants et l’amé-nagement d’un lieu de culte. En effet, les étrangers vivant dans les rési-dences universitaires se heurtent à l’impossibilité d’y d’inviter ou d’yhéberger légalement des membres de leurs familles, notamment des

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conjoints et enfants en bas-âge qui pourraient les soutenir dans le proces-sus d’adaptation. La résolution de cette importante question est laissée àla discrétion du Département des étrangers, qui a le droit de la refuser.De l’avis de cet étudiant angolais de la Faculté du gaz, du pétrole et del’énergie de l’université de Technologie d’État de Kouban, 2009-2015 :« Les visites au foyer sont fortement contrôlées, l’on ne peut y inviter légale-ment ni une conjointe, ni un enfant mineur. En général, les étrangersdépensent de l’argent pour loger ceux-ci dans un hôtel en cas de visite ».Cette pratique datant de l’époque Soviétique est toujours d’actualité enRussie, elle est de nature à ralentir le processus d’adaptation.Par rapport au lieu de culte, de nombreux informateurs soulignent

l’absence d’une salle de prières sur le campus. Font face à ce problèmesurtout les étudiants musulmans, notamment ceux du Mali, du Maroc,de l’Algérie et la Tunisie, du Tchad et Soudan, de l’Érythrée, qui consti-tuent une part importante des étudiants africains. Un doctorant maliende la Faculté de droit de l’université d’État de Kouban (expulsé en 2015sans avoir terminé ses études doctorales) dit à ce propos : « Il n’existeaucune petite pièce pour les prières. Il n’y a pas non plus de mosquée danstoute la ville de Krasnodar. Nous, musulmans, avons du mal à trouver unemosquée pour y prier ».La mosquée la plus proche est en République voisine d’Adyguée, soit à

deux heures de trains de la ville de Krasnodar. Pour s’y rendre, il fautavoir une situation financière stable, et des moyens donc qui font défautà certains étudiants musulmans.Cette difficulté trouve en partie son explication dans le fait que pendant

la période soviétique la religion était séparée de l’État et l’affiliation del’étudiant à une mosquée ou une église était interdite. Cette pratique seperpétue pendant la « perestroïka », bien que l’interdiction officielle aitété levée pendant cette période. Mosquées et églises ont été construitessous la Fédération de Russie, mais elles sont encore peu nombreuses àce jour.Le facteur sécuritaire, les raisons financières et la rareté des lieux de

culte, présidant au type de logement « choisi », impliquent des stratégiesd’adaptation, et plus largement de socialisation, différentes.

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2.2. Analyse des liens entre facteurs contextuels et difficultésd’adaptation des étudiants africains

Dans cette partie nous essaierons d’identifier les différents facteurscontextuels qui ont pu avoir des effets directs ou indirects sur le vécu et lesstratégies d’adaptation (ou non) des étudiants africains au contexte russe.

2.2.1. Liens entre facteurs d’ordre temporel et difficultés d’adaptation

Le facteur temporel est déterminant du fait que les étudiants doiventrespecter de manière stricte la durée du cursus couvrant 6 ans pour leDiplôme d’études approfondies et 8 ans pour le doctorat.

Tableau 7 : Répartition des étudiants selon leurs années perçues les plus difficilesen termes de stress et d’adaptation à la Russie

Plus difficile année en termes de stress et Effectifs Pourcentaged’adaptation à la Russie

[1re année] 33 52,4 %

[2e année] 14 22,2 %

Des difficultés tout le temps 12 19 %

Sans difficulté au moment de l’enquête 2 3,2 %

Sans réponse 2 3,2 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Plus de la moitié des étudiants africains de notre échantillon notent lapremière année du séjour comme étant la plus difficile en termes de stresset d’adaptation, alors qu’une minorité souligne la deuxième année. Unpourcentage assez élevé d’étudiants, soit 19 % font face au stress et à desdifficultés tout le long du séjour, alors que 3,2 % des étudiants n’ontsignalé aucune difficulté au moment de l’enquête. Enfin, des étudiants(3,2 %) n’ont pas souhaité se prononcer. Les étudiants faisant toujoursface au stress et à des difficultés sont essentiellement ceux de la 1re année.En se référant à Hans SELYE 16, ils sont au stade d’alerte dans l’évolution

16 Selye H. (1962). Le stress de la vie (The Stress of life, 1956), Gallimard.

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du stress. Ce stade correspond au stress positif, il permet aux boursiersafricains de mobiliser les ressources nécessaires pour faire face aux diffi-cultés d’adaptation. L’état émotionnel la veille de sa première rencontreavec les camarades de classe illustre à souhait ce stress. Puis, s’enclenchele deuxième stade de l’évolution du stress, celui dit de réponse. Ce stadeconcerne surtout les étudiants de la deuxième année (22,2 %) et ceuxn’ayant pas souhaité s’exprimer (3,2 %). S’inspirant de la théorie du chocculturel élaborée par Harry Charalambos TRIANDIS 17, après la premièrecourte période commence la deuxième où les conditions pédagogiques etsociales d’un milieu non familier affectent l’adaptation. Le troisième stadede l’évolution du choc culturel correspond à celui de l’épuisement. Auquatrième stade chez les étudiants seniors, y compris les doctorants, ladépression est peu à peu remplacée par l’optimisme, la confiance en soiet la satisfaction. Bien que cette satisfaction soit difficile à qualifier detotale dans la mesure où elle est accompagnée du mal du pays. Lescontraintes de temps concernent de nombreux étudiants, ceux del’ancienne que de l’actuelle génération.

2.2.2. Liens entre facteurs d’ordre culturel et difficultés d’adaptation

Nous retiendrons comme facteurs d’ordre culturel les pratiques vestimen-taires et alimentaires. En Russie, il est clair que les Africains doivent faireface au froid et au gel en portant des habits chauds. De nombreux étu-diants sont pour la première fois de leur vie confrontés à l’habillementrusse qui consiste à enfiler pendant une bonne partie de l’année plusieurscouches de vêtements dont un sous-pantalon, un pantalon, un t-shirt, unsous-pull, un pull, un manteau, un bonnet, une écharpe et des gants 18.Ces étudiants éprouvent de l’inconfort en raison des changements radi-caux survenant dans leurs habitudes vestimentaires.

17 Triandis H. C. (1994). Culture and social behavior. New-York : McGraw-Hill.18 Ou « s’habiller en pelure d’oignon »

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Tableau 8 : Répartition des étudiants selon l’observance ou nonde leurs traditions vestimentaires en Russie

Importance de l’observance par les étu- Effectifs Pourcentagediants de leurs pratiques vestimentaires enRussie

Toujours 32 50,8 %

Parfois 11 17,4 %

Rarement 12 19 %

Jamais 8 12,8 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Plus de la moitié des étudiants observe toujours leurs traditions vesti-mentaires en Russie, tandis que 17,4 % des étudiants ne l’observent queparfois. Un pourcentage assez élevé si l’on compare avec le taux d’étu-diants qui perpétuent rarement leurs traditions vestimentaires et d’autresjamais. Ainsi, un peu plus de la moitié des étudiants africains conserventleur style vestimentaire en Russie. Ceci pourrait s’expliquer par l’impactdes pratiques fondamentales dans leurs pays d’origine profondément inté-riorisées (incorporées) et difficilement remises en question malgré lesconditions contextuelles.L’alimentation reste un domaine de prédilection pour montrer la com-

plexité des difficultés d’adaptation et des relations entre biologie, cultureet environnement. L’homme est un être social et, se nourrit comme onle fait dans sa société, selon les normes culturelles qui y opèrent et défi-nissent, parmi les ressources objectivement disponibles, ce qui est comes-tible, savoureux, prestigieux, conforme aux croyances philosophiques oureligieuses, ou bien perçus comme nutritionnellement adéquat. À cetégard, des plats populaires russes tels que le bortsch 19, le pelmeni 20 et le

19 Borsch : est un potage d’origine ukrainienne préparé à base de betteraves, de légumes(haricots, chou, carottes, concombres, pommes de terre, oignons, tomates, champi-gnons) et de viande (poulet, bœuf, porc).

20 Pelmeni : est un plat d’origine russe à base de raviolis fourrés à la viande de bœuf oude porc ayant la particularité d’être épais, car traditionnellement réalisés à la main.

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khatchapouri 21 ne sont pas toujours bien accueillis par des femmesmaliennes, camerounaises et nigérianes. Or, les cantines estudiantines neles consultent pas afin d’intégrer leurs plats traditionnels dans les menus.Il n’existe aucune organisation spéciale pour l’alimentation des étudiantsafricains dans les trois universités de Kouban concernées par l’étude.Comme ces jeunes femmes mangent rarement dans les cantines. Cetteétudiante nigériane de la Faculté de droit de l’université d’État de Kouban,2008-2015, déclare à ce sujet : « Les cantines ne font pas de plats africains.Personnellement, je fais venir du pays des condiments, avec lesquels je mefais des plats nationaux à manger. Je ne côtoie pas la cantine ». Selon unelogique similaire, cette diplômée malienne de Faculté de philologie del’Institut Pouchkine de Moscou, 1966-1971, a déclaré : « Je laissais beau-coup d’habits derrière moi pour pouvoir faire de la place aux produits locauxdans ma valise ».Comme on le voit, les problèmes liés aux habitudes alimentaires des

étudiants étrangers demeurent pratiquement intacts au cours des troispériodes. Ainsi, les différences d’habitudes alimentaires et vestimentairespeuvent engendrer des résistances aux pratiques locales et entraver le pro-cessus d’adaptation des étudiants africains, anciens ou actuels, à leurcontexte russe.

2.2.3. Liens entre facteurs d’ordre éducatif et difficultés d’adaptation

Sur le plan éducatif, les deux grandes difficultés rencontrées par les étu-diants africains sont l’apprentissage de la langue russe sur une trop courtedurée et la négligence des différences de niveaux de compétences linguis-tiques entre étrangers et nationaux. En effet, de nombreux départementspréparatoires des universités russes attendent de faire le plein d’étudiantsétrangers avant de commencer les cours de langue. Cette situation lesoblige à concentrer l’apprentissage sur une période de six mois, qui s’avèreinsuffisante pour une maîtrise de la langue et une compréhension descours de base en 1re et 2e années d’études. De plus, dans les groupes où

21 Khatchapouri : est un chausson d’origine géorgienne dont la pâte, sans levain, est pétrieau yaourt et farcie de différents fromages râpés.

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il y a des Turkmènes, des Arméniens et des Africains qui sont des débu-tants en russe, le plus souvent les enseignants se focalisent sur les pre-miers. Ces difficultés se vivaient à l’époque soviétique, mais aussi à la« perestroïka ». La situation s’est un peu améliorée après l’effondrementde l’URSS (1991), lorsque des étudiants étrangers sont devenus respon-sables des anciennes Républiques soviétiques. Mais en même temps, ilsconnaissaient assez bien la langue russe et étaient adaptés à la culturerusse.En outre, il existe des écarts dans la connaissance de la langue russe

parmi les étudiants africains en raison du fait que certains d’entre eux(maliens, ivoiriens, sénégalais, nigériens, congolais, centrafricains et tcha-diens) avaient étudié le russe comme matière optionnelle à l’école secon-daire, notamment au lycée, tandis que les autres ont été confrontés à lalangue russe pour la première fois.Dans les universités russes comme ailleurs, les professeurs procèdent à

une lecture rapide de leur cours magistral. Arrivant à peine à écrire etcomprendre le sens des mots prononcés, ces étudiants ne parviennent àassimiler les leçons uniquement que lors des travaux pratiques. Un étu-diant ivoirien de la Faculté de droit de l’université d’État de Kouban,2008-2015, fait remarquer à ce sujet : « Je n’arrivais pas à écrire en tempsopportun et comprendre le sens des mots prononcés lors du cours magistral,il était rapidement dispensé. C’est seulement au cours des travaux pratiquesque je comprenais tout ».Nous pouvons dire que, contrairement à l’ex-URSS avec neuf mois

d’études, les étudiants de nos jours se heurtent à la courte durée du coursd’apprentissage de la langue russe et à la non prise en compte de la com-position des groupes où les niveaux et les besoins en langue sont trèshétérogènes. Cette organisation a objectivement des effets dommageablesaux capacités d’adaptation des candidats

2.2.4. Liens entre facteurs d’ordre économique et difficultésd’adaptation

Les facteurs d’ordre économique, dans notre cas, concernent le soutienfamilial et un emploi partiel parallèlement à leurs études. Au cours deleur séjour en Russie, une partie des étudiants du Mali, du Niger, du

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Tchad, du Soudan, de l’Érythrée bénéficient principalement du soutiendes parents et des proches. Les États nationaux leur accordent des bourses,mais elles leur sont versées de manière irrégulière. Cet étudiant maliend’une Faculté de politologie de Rostov-sur-le-Don, 2008-2015, témoigne :« Je bénéficie essentiellement du soutien de mes parents et de mes proches.La bourse est insuffisante, elle est de l’ordre de 50 dollars par mois et, estversée en retard ».Pourtant, en ex-URSS les étudiants ne rencontraient pas ce problème

en raison du prix abordable de la vie et des études. Sont édifiants dans cesens, les propos de cette diplômée malienne de la Faculté de philologiede l’Institut Pouchkine de Moscou, 1966-1971 : « La bourse russe était del’ordre de 90 roubles, elle suffisait pour vivre et étudier. Nous n’avions pasde soucis d’argent, donc, nous ne dérangions pas les parents ».Cette situation change brutalement pendant la « perestroïka ». Les

réformes économiques initiées par le chef de l’État de l’époque, MikhaïlSergueïevitch Gorbatchev, vont échouer et provoquer une inflation. Laconséquence de cette inflation a été la disparition de certains produits debase entrant dans la consommation quotidienne de nombreux pays afri-cains : pain, sucre, savon, huile, lait, cigarettes. Il devient difficile pour lesétudiants étrangers de se procurer ces produits sur place. En outre,l’inflation fait grimper les prix des produits. Les bourses d’études ontcommencé à ne plus suffire pour assurer le quotidien. Ce sont les étu-diants russes qui vont apporter une aide précieuse aux étudiants étrangerspar l’intermédiaire de leurs parents, en leur fournissant des ces denréesde base désormais devenues introuvables.Certains étudiants étrangers commencent à faire des affaires et,

importent des vêtements étrangers qui existent en quantité insuffisanteen URSS et les revendent aux résidents locaux. Il faut dire que cette acti-vité était illégale, par conséquent, ces étudiants prenaient beaucoup derisques. Ce diplômé malien de la Faculté de journalisme de l’universitéde Léningrad, 1988-1994, note : « Dans mon foyer vivait un Nigérian quivendait secrètement de la vodka à des étudiants étrangers et soviétiques.Grâce à cela, il avait de l’argent pour mener une vie normale. C’était interdit,mais il n’avait pas peur ».En Russie de nos jours, des étudiants travaillent périodiquement en

raison du faible niveau de leur bourse, des possibilités de formation limi-tées par des restrictions budgétaires, du coût élevé de la formation, de la

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nourriture et de la vie pour ces étudiants. Ils essayent de maintenir leurindépendance financière vis-à-vis de leurs parents ou de gagner leurpropre argent de poche, souvent dans des secteurs inattendus. Ainsi, cetteétudiante nigériane de la Faculté de pédagogie, de psychologie et de com-munication, 2009-2015, déclare : « J’exerce à temps partiel dans un salonde coiffure, je tresse les cheveux pour gagner un peu de roubles ».De ce fait, les institutions d’accueil font face à de nombreux problèmes.

Les étudiants sont amenés à chômer des cours en raison du travail inter-mittent, ils ne s’acquittent pas non plus correctement des travaux à faireà domicile, puis, peinent à réussir les examens. L’établissement peut êtreinterpellé en cas de découverte par le Service fédéral des migrations deRussie de l’emploi illégal d’un étudiant africain. En effet, deux documentsautorisent un individu à immigrer en Russie pour y travailler, y comprisles migrants étudiants. Le premier est le permis de travail : il est accordédans le cadre des quotas établis annuellement par le gouvernement de laFédération. Le second est la licence : elle permet de travailler chez despersonnes physiques et morales et, est destinée aux migrants originairesde pays n’ayant pas de régime de visa avec la Russie. Seuls les citoyensdes pays-membres de l’Union douanière, notamment le Kazakhstan et laBiélorussie et, depuis 2015, l’Arménie et le Kirghizstan ayant rejointl’Union économique eurasiatique, sont autorisés à travailler en Russiesans disposer de l’un de ces deux documents 22. En outre, les entreprises,connaissant une pénurie de spécialistes, sont prêtes à embaucher des Afri-cains dans la clandestinité, ne pouvant pas établir un contrat de travailofficiel avec eux. Ces Africains se voient contraints de travailler dans l’illé-galité ce qui restreint considérablement leur statut, leur estime de soi etleur reconnaissance par la population russe. L’emploi informel des étu-diants africains conduit au fait qu’ils perçoivent leur travail réel commetemporaire, sans y associer des perspectives particulières. En d’autrestermes, les entreprises russes reçoivent des employés bon marché, maisceux-ci restent des travailleurs clandestins et sous-payés. De plus, un telemploi ne concorde généralement pas avec la formation de l’apprenant.

22 Bisson, L., (2016), Politique de l’immigration en Russie : nouveaux enjeux et outils, IFRI/Centre Russie/NEI, p. 9.

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Ainsi, aucun de nos informateurs n’a réussi à trouver du travail en rap-port avec sa spécialisation. Par exemple, ce doctorant malien de la Facultéde mathématiques de l’université d’État de Kouban, 2012-2016, dit :« J’exerce comme barman dans un bar-restaurant ». Cet autre étudiantcamerounais de la Faculté d’architecture et de design de l’université d’Étatde Kouban, 2008-2015, pour sa part, déclare : « J’exerce de tout le tempscomme manutentionnaire dans des magasins pendant le jour, puis, barmandans des night clubs la nuit ».Cette situation rend extrêmement difficile le besoin d’autoréalisation

des étudiants. Elle touche surtout les doctorants dont l’écart entre leurstatut social par le passé et celui dans le présent est particulièrementimportant. Les propos d’un diplômé malien des Facultés d’économie deMinsk et de Moscou, 1991-1997 et 2001-2005, respectivement étudiantet doctorant, illustrent bien ce sentiment de frustration : « En tant quefonctionnaire, donc, habitué à une vie active, j’ai eu de la peine à étudier enRussie en raison de l’interdiction pour un étudiant étranger d’y exercer uneactivité économique rémunérée ».En premier lieu, les visiteurs issus de familles à faible revenu éprouvent

des difficultés d’apprentissage. En plus de vivre loin de leur université,ces étudiants ne bénéficient pas de tarifs préférentiels pour les transportspublics ce qui rend difficile l’organisation quotidienne de leur vie. À cesujet, un étudiant équato-guinéen de la Faculté de droit de l’universitéd’État de Kouban (expulsé en 2015) déclare : « Je ne perçois pas toujoursla bourse à temps et mon université est loin de la résidence universitaire. Jen’ai pas non plus de carte avec les tarifs préférentiels pour les transportsen commun. Pour toutes ces raisons, je n’assiste pas aux cours comme jel’aurais souhaité ».Le tableau ci-dessous résume l’ensemble des difficultés rencontrées par

les étudiants africains.

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Tableau 9 : Récapitulation des difficultés rencontrées par les étudiants en Russie

Difficultés rencontrées enRussie par les étudiants Représentants des pays africainsafricains

Hommes et femmes du Maroc, du Soudan, de l’Algé-Difficultés linguistiques

rie, la Tunisie et l’Erythrée

Hommes de la Guinée Equatoriale, du Nigéria et duDifficultés éducatives

Cameroun

Hommes et femmes du Mali, Niger, Nigéria, Tchad,Difficultés alimentaires Sénégal, Cameroun, Congo Brazzaville, Soudan et de

la République Centrafricaine

Hommes et femmes du Mali, du Nigéria, de laDifficultés vestimentaires

Guinée Équatoriale et la Côte d’Ivoire

Hommes du Mali, du Niger, du Tchad, du Soudan,Difficultés financières

de l’Érythrée et la République Centrafricaine

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

À la lecture de ce tableau, nous constatons des tendances prédominantesdans les difficultés rencontrées par les étudiants africains selon leur prove-nance géographique, leurs pratiques culturelles et leur âge quand ilsarrivent dans le pays : ainsi les étudiants des pays arabophones du Maroc,du Soudan, de l’Algérie, de la Tunisie et l’Erythrée, les jeunes hommescomme les jeunes femmes se heurtent à la barrière linguistique. Desjeunes hommes de la Guinée Equatoriale, du Nigéria et du Camerounconnaissent des difficultés d’apprentissage. Des étudiants et étudiantes duMali, du Niger, du Nigéria, du Tchad, du Sénégal, du Cameroun, duCongo, du Soudan et de la République Centrafricaine se détournent desplats russes inhabituels. Tandis que les représentants du Mali, du Niger,du Tchad, du Soudan, de l’Érythrée et de la République Centrafricainerencontrent des difficultés financières. Il faut toutefois ajouter que lesétudiants qui suivent les 1re et 2e années sont mieux préparés pour affron-ter ces difficultés que leurs compatriotes (doctorants) arrivant en fin decycle. Contrairement aux étudiants de l’actuelle Russie, ceux de l’ex-URSSétaient malgré tout mieux préparés pour affronter ces difficultés en raisonde mesures institutionnelles spécifiques comme l’encadrement renforcé

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de l’État Fédéral et l’accompagnement pédagogique des étrangers dèsleur arrivée.Pourtant, une grande partie des étudiants africains en Russie s’adapte

avec succès aux exigences institutionnelles et éducatives, et plus largementsociales, grâce à des stratégies personnelles et, ou collectives.

3. Principales stratégies d’adaptation (ou non) des étudiantsafricains à leur contexte russe

Tout étudiant qui a choisi de faire une partie ou toutes ses études àl’étranger aspire à réussir son séjour d’études qui est aussi un séjour devie et pour ce a fait des choix, a adopté des comportements lui permettantde surmonter ou non les différences et les obstacles. Dans cette optique,nous avons distingué dans notre étude plusieurs types de stratégies.

3.1. Stratégie de dissociation

On retrouve des stratégies de dissociation chez les deux-tiers des étudiantsafricains qui décident, peu importe les opportunités, de retourner dansleur pays d’origine après la fin de leurs études. Ces étudiants ne se sententpas à l’aise en Russie, tant ils trouvent la culture « bizarre », les popula-tions locales distantes et même racistes. Parmi ce groupe, nous avonsidentifié en premier lieu des femmes. Elles sont maliennes, camerounaises,nigériennes, équato-guinéennes, tchadiennes, et en second lieu, des docto-rants. Le choc culturel ressenti pourrait s’expliquer par le fait qu’il y a detrop grands écarts entre les valeurs et pratiques de la société d’accueil etcelles transmises par leurs parents, ainsi que les comportements et rôlesattendus, en tant que femme, dans leur propre société. De plus, il s’agitpour la plupart d’entre elles de leur première expérience de mobilité :elles n’ont aucune connaissance de l’histoire politique récente du paysd’accueil. Enfin, elles sont frappées par le décalage entre les images diffu-sées par les télévisions nationales sur la société d’accueil (et sur les sociétésoccidentales) et les réalités socioculturelles auxquelles sont confrontées.Elles se retrouvent en d’autres termes dans des conflits de loyautés. Quantaux doctorants, des raisons différentes président à ces stratégies de disso-ciation du fait qu’ils ont dû renoncer à leur activité professionnelle, à un

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bon niveau de vie, en d’autres termes à leur statut dans leur pays d’ori-gine. Par ailleurs, certains d’entre eux sont père ou mère de famille. Natu-rellement, ils sont enclins à terminer au plus vite leurs études pourrejoindre les leurs.

Tableau 10 : Répartition des étudiants selon leurs projets immédiatsaprès les études en Russie

Projets immédiats des étudiants africainsEffectifs Fréquence en %

après les études en Russie

Retour au pays après les études 41 65 %

S’inscrire en formation doctorale en Russie 8 12,7 %

Rester pour travailler en Russie 3 4,8 %

Utiliser la Russie pour continuer sur l’Europe 9 14,3 %

Sans réponse 2 3,2 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Comme on peut le constater, une majorité des étudiants, soit 65 %retournent au pays à la fin des études, alors que 12,7 % des visiteursdésirent s’inscrire en formation doctorale en Russie. Un petit nombred’étudiants, soit 4,8 % restent pour travailler en Russie après les études,contre 14,3 % de ceux désirant utiliser la Russie comme pays de transitafin de continuer sur l’Europe. Ces derniers sont des Congolais, des Nigé-rians, des Centrafricains et des Camerounais désirant intégrer de bonsclubs de football. Ceux qui désirent retourner dans leur pays sont essen-tiellement des Maliens, des Sénégalais, des Ivoiriens et des Erythréens,tandis que les migrants désirant rester en Russie pour y travailler sontprincipalement des Nigérians. Les étudiants maliens, angolais, namibiens,zambiens, algériens, tunisiens et marocains sont ceux qui désirent effec-tuer leurs études doctorales en Russie.Ainsi, de nombreux Africains (65 %) optent pour le « retour au pays »

en raison des attentes des familles et des pays d’origine. Ils côtoient deuxmilieux ayant des significations différentes : celui des camarades et ensei-gnants russes et celui des réseaux de solidarité nationale et de fraternité

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africains. Le séjour en Russie est dans ce cas plus marqué par des étudiantscirculant en groupe partout. Howard BECKER 23 considère ce comporte-ment comme « déviant ». Ce comportement est perçu par les Russescomme une revendication culturelle, notamment parce que l’étudiant, ensituation de « dissociation » avec le contexte local, recourt souvent àl’usage de ses langues maternelles dans les lieux publics.

Tableau 11 : Répartition des étudiants selon la fréquence d’utilisationde leurs langues maternelles dans les lieux publics

Fréquence utilisation des langues mater-Effectifs Pourcentage

nelles en lieu public

Parfois 21 33,4 %

Rarement 12 19 %

Toujours 20 31,7 %

Jamais 8 12,7 %

Sans réponse 2 3,2 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Seuls 12,7 % des étudiants africains n’utilisent jamais leurs languesmaternelles dans les lieux publics, alors que 33,4 % le font parfois. Unpourcentage assez parlant, soit 19 % des étudiants, recourent à cette pra-tique rarement, alors que 31,7 % le font systématiquement. Cette fré-quence d’utilisation de la langue maternelle pourrait s’expliquer par larésistance à la culture occidentale de l’époque, en réduisant de l’usageimposé d’une seule langue, à savoir la langue officielle, le russe 24. Dansce cas, l’étudiant africain n’interagit avec les Russes que dans des situa-tions de communication très fonctionnelles comme à l’université car il nesouhaite pas s’investir et considère son séjour comme temporaire.

23 Becker H. (1985). Outsiders, étude sociologique de la déviance. Collection : Leçons dechoses, Métailié, p. 27-38.

24 L’usage d’autres langues comme les langues étrangères (français, anglais, portugais,espagnol, arabe, etc.) s’arrêtait à la porte de l’établissement, voire à la porte de la sallede classe.

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3.2. Stratégies d’assimilation

Rejet de sa propre culture, la stratégie d’assimilation est faiblement pré-sente chez les étudiants africains en Russie : trois (3) personnes sur 63,soit 4,8 % (voir tableau 10). Ces étudiants décrivent positivement laRussie au travers son système d’éducation, sa puissance politique et mili-taire, la beauté des filles russes. En plus d’assimiler parfaitement la langue,ils s’immergent profondément dans la culture, les valeurs et traditions desRusses et des autres peuples de la Russie. Ils écoutent fréquemment deschansons folkloriques, lisent passionnément des écrivains russes commePouchkine, Lermontov, Tchekov. Ces étudiants ne se détachent pas nonplus des programmes télévisés des chaînes nationales comme Rossia 1 et2, Rossia K, RTR Planeta et, surtout ils s’invitent dans les fêtes populairesrusses comme Maslenitsa, le Jour du défenseur de la patrie, le Jour dupain. De telles stratégies peuvent expliquer le désir de ces étudiants des’installer en Russie où ils pensent faire prévaloir leur liberté individuellecomme la consommation abusive de l’alcool, la fréquentation effrénée desnight clubs. Le poids de la tradition semble lourdement peser sur cesindividus dans leurs pays de départ. On peut observer ces stratégies chezcertains étudiants et étudiantes du Maroc, de la Tunisie et l’Algérie où lepoids de la tradition musulmane semble largement l’emporter sur leslibertés individuelles. Ils sont donc en réaction vis-à-vis de ces contrainteset adhèrent à un autre modèle qui semble leur promettre l’émancipationpersonnelle.

3.3. Stratégies d’acculturation

Les stratégies d’acculturation concernent environ 55,6 % des étudiants denotre échantillon.

Tableau 12 : Répartition des étudiants selon leur degré de sociabilité en Russie

Degré de sociabilité des étudiants africainsEffectifs Pourcentage

en Russie

Communication interculturelle avec les rési-35 55,6 %

dents locaux

Communication interculturelle avec les cama-rades de classes et les enseignants russes selon 11 17,4 %

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Degré de sociabilité des étudiants africainsEffectifs Pourcentage

en Russie

le besoin

Communication intragroupe avec les étu-5 8 %

diants africains

Absence de communication 1 1,6 %

Sans réponse 11 17,4 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Plus de la moitié des étudiants africains, soit 55,6 % communiquentavec des Russes au-delà des universités et des situations de communica-tion quotidienne vitales, alors que 17,4 % d’entre eux côtoient leurs cama-rades de classe et enseignants selon leurs besoins. Dans le même temps,8 % des étudiants ne communiquent qu’avec des étudiants africains,tandis que 1,6 % optent pour la marginalisation. Ces derniers n’ont niconnaissance, ni ami parmi les résidents locaux. Nous faisons l’hypothèseque les 17,4 % des étudiantes et d’étudiants de la 1re année qui n’ont passouhaité se prononcer, pour les jeunes femmes, c’est en raison de leurtimidité due à leur éducation, et, pour les jeunes hommes, c’est en raisonde la barrière linguistique. Cependant, il existe des exceptions. Contraire-ment aux étudiantes maliennes, nigérianes, sénégalaises, tchadiennes, éry-thréennes et soudanaises, les Angolaises, Zambiennes et Namibiennescôtoient sans problème les jeunes russes. Nous n’avons pas trouvé d’expli-cations plausibles à ces différences de comportements. Il faudrait sansdoute faire une analyse du statut et du rôle de la femme dans ces diffé-rentes sociétés.Ces stratégies d’acculturation caractérisent aussi les candidats potentiels

aux études doctorants (voir tableau 10) et à la migration vers l’Europe àdes fins de compétition sportive (voir tableau 10). Maximisant les oppor-tunités, ces étudiants sont optimistes et peuvent articuler sans peine, auquotidien, normes individuelles et normes collectives. Cette articulationsemble avoir un lien étroit avec le degré de résolution des difficultés.

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Tableau 13 : Répartition des étudiants africains selon leur degré de résolutiondes difficultés rencontrées en Russie

Degré de résolution par les étudiants desEffectifs Pourcentage

difficultés rencontrées en Russie

Principales difficultés résolues 27 42,9 %

Difficultés non résolues pour le moment, mais14 22,2 %

seront résolues dans l’avenir

Difficultés impossibles à résoudre 6 9,6 %

Aucune difficulté 9 14,2 %

Sans réponse 7 11,1 %

Total 63 100 %

Source : Enquêtes personnelles, Russie (Kouban), 2015.

Une partie importante des étudiants (42,9 %) a résolu les principales dif-ficultés, y compris celles éducatives, alors que 22,2 % espèrent surmonterces difficultés dans un avenir proche, 9,6 % pensent ne pas pouvoir surmon-ter les principales difficultés tandis que, 14,2 % des étudiants n’ont rencontréaucune difficulté au moment du déroulement de l’étude. Nous pouvons direque les étudiants ayant résolu (42,9 %) et espérant résoudre les principalesdifficultés (22,2 %) ont opté pour des stratégies d’acculturation. Ces straté-gies correspondraient davantage aux jeunes étudiants, jeunes femmescomme jeunes hommes, arrivés récemment en Russie.L’analyse des données permet de distinguer deux groupes d’étudiants

africains : les plus et les moins soumis à un choc socio-culturel. Contraire-ment aux seconds, les premiers n’ont pas pu faire face aux diverses diffi-cultés d’adaptation. Guidés par des représentations négatives, ils ontchoisi de vivre en endogroupe et en marge de la société russe. Ces « mar-ginaux » (1,6 %) comprennent des étudiants et étudiantes des Facultéspréparatoires et de la 1re année en provenance du Mali, de la GuinéeÉquatoriale, du Cameroun et du Tchad.Il est difficile de rattacher directement les stratégies évoquées ci-dessus

aux projets immédiats, à l’usage des langues maternelles dans les espacespublics, au port des vêtements traditionnels et au degré de sociabilité desétudiants. Car nous admettons que les stratégies susmentionnées peuventêtre antérieures à l’arrivée de ceux-ci en Russie.

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Conclusion

De nombreux étudiants africains à leur arrivée en Russie rencontrent desdifficultés de tous ordres. Les visiteurs formés en ex-URSS maîtrise mieuxle lexique professionnel. Mais, des étudiants et étudiantes du Mali, duNiger, du Nigéria, du Tchad, du Sénégal, du Cameroun, du Congo, duSoudan et la République Centrafricaine se heurtent à des plats étrangersinhabituels. Tandis que les étudiants de la Russie se heurtent à la courtedurée du cours d’apprentissage de la langue russe et au manque de diffé-renciation dans la composition des groupes d’étudiants. Les étudiants despays arabophones (Maroc, Soudan, Algérie, Tunisie et l’Erythrée), les gar-çons comme les filles, sont confrontés à la barrière linguistique. Ceux duMali, du Niger, du Tchad et de la République Centrafricaine rencontrentdes difficultés financières. Les étudiants des 1re et 2e années sont mieuxpréparés pour affronter ces difficultés que leurs compatriotes seniors(doctorants) et que les femmes étudiantes, très cadrées dans leur proprepays. Mais, les étudiants, anciens et actuels, sont confrontés à desmanières de vivre et des pratiques socioculturelles différentes dues notam-ment aux contraintes du climat. Ces difficultés conduisent parfois à desstratégies de repli, d’évitement, voire à l’inadaptation aux études et, à lavie de tous les jours, pouvant conduire à l’échec.Cependant, les contraintes contextuelles et pressions institutionnelles

qui varient d’une région à une autre et d’un établissement à un autre,pèsent différemment sur les individus, selon leurs appartenances et leursexpériences. De ce fait, en réponse aux problèmes et obstacles rencontrés,ils seront amenés à développer des stratégies, conscientes ou incons-cientes, différentes. Nous avons qualifié ces stratégies de stratégies dedissociation (l’admiration face à sa propre culture), d’assimilation(l’admiration face à la culture de l’autre) ou d’acculturation (une combi-naison des identités collectives et individuelles).Certes, notre échantillon n’est sans doute pas représentatif de toute

la population africaine accueillie dans les universités russes, mais il estsignificatif, dans l’identification que nous avons pu faire, des difficultésrencontrées et des stratégies mises en œuvre par nos étudiants.Cette étude qui s’est intéressée aux difficultés et stratégies des étudiants

africains sur trois périodes en ex-URSS et, ou en Russie nous a révélé que

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ce sont des facteurs à la fois contextuels et individuels qui avaient unimpact sur l’expérience des étudiants et leur rapport au pays hôte. Nousvoyons également que, avec l’ouverture de la Russie vers des échangesacadémiques proches du modèle européen d’une part, mais aussi l’obliga-tion croissante de séjours d’études à l’étranger dans les cursus de forma-tion universitaire et professionnelle d’autre part, font que nos jeunesgénérations, contrairement aux générations précédentes, vont développerdes pratiques mobilitaires qui vont profondément transformer les modesd’insertion des étudiants, notamment africains, dans le pays ou les paysd’accueil.

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