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Conformisme et cohésion d’équipe en pédopsychiatrie Sous la direction de : Teresa PEREIRA DE CASTRO Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de cadre de santé et du master (1ère année) « Sciences de l’éducation – Cadres d’intervention en terrains sensibles » Anne-Cécile GEORGE Promotion Rogers : 2018 - 2019 Date du Jury : juin 2019 INSTITUT DE FORMATION DES CADRES DE SANTÉ SAINTE-ANNE

Conformisme et cohésion d’équipe en pédopsychiatrie · DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation des statistiques ... Institut de formation en soins

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Conformisme et cohésion d’équipe

en pédopsychiatrie

Sous la direction de : Teresa PEREIRA DE CASTRO

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de cadre de santé

et du master (1ère année)

« Sciences de l’éducation – Cadres d’intervention en terrains sensibles »

Anne-Cécile GEORGE

Promotion Rogers : 2018 - 2019

Date du Jury : juin 2019

INSTITUT DE FORMATION DES CADRES DE SANTÉ

SAINTE-ANNE

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Conformisme et cohésion d’équipe

en pédopsychiatrie

Sous la direction de : Teresa PEREIRA DE CASTRO

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de cadre de santé

et du master (1ère année)

« Sciences de l’éducation – Cadres d’intervention en terrains sensibles »

Anne-Cécile GEORGE

Promotion Rogers : 2018 - 2019

Date du Jury : juin 2019

INSTITUT DE FORMATION DES CADRES DE SANTÉ

SAINTE-ANNE

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« Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente"

St Exupéry, Lettre à un otage

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R e m e r c i e m e n t s

À mon mari, qui me dit bien souvent que je ne suis pas là même quand je suis là. La pensée tournée

vers mes problématiques littéraires et un mémoire phagocytant. Un grand merci d’avoir facilité cette

année en me permettant si souvent de pouvoir travailler les week-ends en occupant les enfants. À

Éloïse et Antoine, aussi. Le temps d’une année nous nous sommes éloignés. Devenus plus autonomes

malgré vous, vous avez compris et m’avez soutenu du haut de vos jeunes années.

J’adresse également mes remerciements à la population enquêtée, c’est-à-dire les cadres des services

de pédopsychiatrie qui se sont livrés sur leur quotidien avec la plus grande sincérité. Ils m’ont donné

envie de travailler dans ce secteur.

Je ne pourrais oublier Marie-Hélène qui m’a fait grandir par le biais de ses questionnements et a

partagé avec moi sa philosophie de management.

Je tiens à remercier Teresa PEREIRA DE CASTRO pour la confiance qu’elle m’a accordée d’emblée

dans ce travail de recherche. Elle m’a donné toute la latitude propice à la découverte des concepts,

des autres, mais aussi de soi.

Merci à Olivier BRITO et Fanny SALANNE pour leur pédagogie interactive et leur bienveillance

dans l’accompagnement de ce mémoire. Je garde un merveilleux souvenir des cours sur l’observation

à la faculté de Nanterre où nous avons appris à aiguiser notre sens de l’observation dans la bonne

humeur.

Un grand merci à mon frère Alexandre et ma collègue de promotion Émilie devenue une amie au fil

de cette année de formation. Vous avez tout deux pris le temps de relire mon travail afin que je puisse

réajuster.

Enfin, je ne peux terminer ces remerciements sans nommer Monique PENGAM. Ses qualités

humaines indéniables et ses précieux conseils ont accompagné mon parcours universitaire et mon

cheminement vers la profession de cadre de santé.

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L i s t e d e s s i g l e s u t i l i s é s

ASH : Agent des services hospitaliers

CAMSP : Centre d’action médico-social précoce

CDD : Contrat à durée déterminée

CDI : Contrat à durée indéterminée

CDS : Cadre de santé

CH : Centre hospitalier

CMP : Centre médico psychologique

DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation des statistiques

DU : Diplôme universitaire

EAJE : Etablissement d’accueil de jeunes enfants

EOH : Équipe opérationnelle d’hygiène

FP : Fonction Publique

FPT : Fonction Publique Territoriale

GED : Gestion électronique des documents

HDJ : Hôpital de jour

IDE : Infirmier diplômé d’État

IFCS : Institut de formation des cadres de santé

IFSI : Institut de formation en soins infirmiers

INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques

ISP : Infirmier de secteur psychiatrique

PMSI : Programme de médicalisation des systèmes d’information

RPS : Risques psycho-sociaux

TMS : Troubles musculo squelettiques

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T a b l e d e s m a t i è r e s

INTRODUCTION ................................................................................................... 5

1. À L’ORIGINE DU QUESTIONNEMENT .................................................... 7

2. UN CONTEXTE NORMATIF ...................................................................... 11

2.1 Le bien-être au travail menacé par les nouvelles organisations ........................................... 11

2.2 La cohésion d’équipe : un enjeu de taille ............................................................................ 12

2.3 Un conformisme attendu au profit de l’usager .................................................................... 13

2.4 Des organisations normatives .............................................................................................. 13

2.5 L’exclusion en réponse à la non-conformité ........................................................................ 14

3. LES CONCEPTS ÉCLAIRANT LA QUESTION DE RECHERCHE ..... 15

4. HYPOTHÈSE .................................................................................................. 15

5. MÉTHODE ...................................................................................................... 17

5.1 Méthode et choix du milieu d’étude .................................................................................... 17

5.2 Les limites de l’étude ........................................................................................................... 18

5.3 Le milieu d’enquête ............................................................................................................. 18

5.3.1 Un peu d’histoire ........................................................................................................... 18

5.3.2 En psychiatrie ................................................................................................................ 19

5.3.3 La situation actuelle dans le secteur hospitalier ............................................................ 21

5.3.4 Le cadre de santé entre le marteau et l’enclume ........................................................... 22

5.3.5 Le profil de la population étudiée ................................................................................. 22

6. LE CONCEPT DU TRAVAIL À LA LUMIÈRE DE LA PRESSION DE

CONFORMITÉ ET DE LA DÉVIANCE ........................................................... 25

6.1 Le travail prescrit et le travail réel ....................................................................................... 25

6.2 L’appartenance au groupe .................................................................................................... 25

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Anne-Cécile MERCIER - Mémoire de l'IFCS Sainte-Anne - Paris 2018– 2019

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6.3 Le travail en équipe ............................................................................................................. 26

6.4 Le processus de conformisation au travail .......................................................................... 27

6.5 Le processus de déviance .................................................................................................... 28

6.6 Un conformisme utile pour le groupe, utile pour l’intégration ........................................... 28

6.7 Les contextes normatifs ....................................................................................................... 29

6.8 L’excès de pression de conformité ...................................................................................... 29

6.9 Le pouvoir pour créer de la conformité ............................................................................... 30

7. ANALYSE ........................................................................................................ 33

7.1 La pédopsychiatrie, un milieu où la pression de conformité est forte ................................. 33

7.1.1 La pression des règles institutionnelles ........................................................................ 33

7.1.2 Une résistance aux protocoles ...................................................................................... 35

7.1.3 Les protocoles dès la formation en soins infirmiers ..................................................... 37

7.1.4 Le contrôle comme outil de rationalisation .................................................................. 37

7.2 La pression de conformité par le groupe ............................................................................. 40

7.2.1 Le langage, un exercice périlleux ................................................................................. 40

7.2.2 Le sacre de la connaissance en pédopsychiatrie ........................................................... 42

7.2.3 Une guerre de savoirs ................................................................................................... 43

7.2.4 Une posture professionnelle en lien avec la juste distance ........................................... 44

7.2.5 Une tenue professionnelle ............................................................................................. 45

7.2.6 Une validation par l’équipe .......................................................................................... 46

7.2.7 Pouvoir et conformisme en pédopsychiatrie ................................................................. 47

7.2.8 Les attentes uniformisées du cadre en pédopsychiatrie ................................................ 48

7.3 La cohésion d’équipe ........................................................................................................... 51

7.3.1 Une cohésion d’équipe fluctuante ................................................................................ 51

7.3.2 La convivialité comme levier de coopération ............................................................... 53

7.3.3 Le rôle du cadre déterminant dans la cohésion d’équipe .............................................. 55

7.3.4 Une déviance qui fragilise les collectifs ....................................................................... 57

7.3.5 La sanction en réponse à la non-conformité ................................................................. 60

7.3.6 La question du turnover et de l’absentéisme ................................................................ 61

7.4 Discussion ............................................................................................................................ 65

CONCLUSION ...................................................................................................... 69

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Anne-Cécile MERCIER - Mémoire de l'IFCS Sainte-Anne - Paris 2018– 2019

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BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 71

Annexe I : Grille d’entretien .................................................................................. I

Annexe II : Entretien de Martine .......................................................................... 1

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INTRODUCTION

Lorsque j’ai entamé ce travail de recherche je me suis dirigée vers le handicap psychique car

j’avais observé que celui-ci était mal accepté dans le milieu de la petite enfance. Lorsqu’on touche

à l’enfant, cet adulte en devenir, la question de l’emploi de professionnels fragiles psychiquement

pose problème. Comment concilier inclusion sociale d’un professionnel et sécurité des enfants

accueillis en crèche ?

De lectures en recherches sur le thème, je me suis aperçue que ce sujet était traité en amont avec

la validation du médecin du travail qui déclare les professionnels aptes ou inaptes à travailler au

contact du tout petit. Malgré tout, la notion de conformité des agents m’a interpellée tant elle est

prégnante dans des organisations de travail de plus en plus prescriptives avec la mise en place de

nouvelles procédures. Ces multiples protocoles, démarches qualité et autres certifications sont

arrivés avec la surmédiatisation d’erreurs humaines aussi bien en crèche qu’en milieu hospitalier.

On citera notamment les scandales sanitaires qui ont eu un impact sur la conscience collective dans

les années 80 (l’affaire du sang contaminé ou des hormones de croissance avec la contamination

par des prions pathogènes entrainant la maladie de Creutzfeltd Jakob).

Une conformité est exigée des directions aussi bien que de la société avec une pression accrue de

la part d’associations d’usagers qui font valoir leurs droits. Les institutions réagissent en

augmentant le contrôle des professionnels du terrain, engendrant des processus de stigmatisation

lorsque les erreurs sont effectives. Un système culpabilisant pour les agents en marge ou ayant

commis une erreur par gain de temps, et ce, dans un contexte où la commande de l’institution est

de réduire les process et de rationaliser. Ces contrôles permettraient aussi de rassurer les

gestionnaires et d’organiser l’activité du travail.

Comment cette mise en conformité excessive agit-elle sur les collectifs de travail ? Comment les

managers arrivent à répondre à l’injonction contradictoire de permettre la cohésion d’équipe tout

en favorisant l’individualisme, fruit des politiques de rationalisation ?

Issue du milieu de la petite enfance, j’illustrerais mes propos avec des situations vécues en crèche.

Ma recherche sera néanmoins réalisée dans un autre milieu que les structures d’accueil petite

enfance afin d’avoir un regard objectif sur les données recueillies. Elle se déroulera auprès d’une

population de cadres d’un pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Les similitudes avec

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la crèche sont nombreuses, avec un milieu exclusivement féminin et la prise en soins de l’enfant

et sa famille.

Dans la première partie, j’exposerais le cheminement de mon questionnement, le milieu d’étude

choisi ainsi que la méthode utilisée. Après avoir décrit précisément le contexte de la psychiatrie,

je présenterais les concepts du travail avec les enjeux qui s’y déroulent, la conformité et à son

opposé la déviance. Enfin je détaillerais les résultats découverts à l’issue des entretiens, associés à

une analyse en lien avec les concepts évoqués.

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1. À L’ORIGINE DU QUESTIONNEMENT

Dans mon expérience antérieure de directrice de crèche, j’ai souvent été confrontée à des

professionnels qui avaient des comportements non conformes aux attendus habituels. Je me suis

souvent posé la question « comment les manager ? ». J’ai été témoin d’une situation complexe où

la personne présentait des troubles bipolaires. J’ai pu constater des maladresses à son égard alors

que celle-ci avait commis des erreurs. Malheureusement, la situation a connu un dénouement

dramatique avec le suicide de la professionnelle. Ce sujet questionne l’intégration des

personnalités ayant un caractère pathologique au travail dans une société où le culte de la

performance est prépondérant. La différence a du mal à trouver sa place entre compétitivité et

efficience.

Forte de mes premières lectures sur le handicap psychique au travail, j’ai réorienté mon sujet de

mémoire. Le fait d’avoir été témoin d’une situation douloureuse risquait de mettre en jeu des

émotions personnelles mais aussi de biaiser mon travail de chercheur. Traiter du handicap

psychique est du ressort du médical, il fait appel à la médecine du travail pour la partie statutaire,

aux ressources humaines concernant la politique sociale de l’entreprise. Or je souhaite préciser le

sujet de ma recherche sous le prisme du management. Enfin, la question du handicap vient masquer

un sujet plus précis qui est la cohésion d’une équipe avec ses aspérités. Car au-delà d’un handicap

psychique, nous sommes tous différents. La question de l’intégration au sein d’un groupe peut

donc porter sur une multiplicité de singularités, telles que l’histoire personnelle, la trajectoire

professionnelle, la culture, un handicap ou encore le genre. Le milieu de la petite enfance est un

milieu essentiellement féminin (98% des professionnels travaillant en crèche sont des femmes

(DREES, 2014)), le fait d’être un homme peut aussi avoir un impact sur la dynamique d’une

équipe. Et à bien des égards, on peut se demander comment le manager arrive à fédérer une équipe

pour créer une cohésion quelles que soient les différences de chacun, les « sujets singuliers »

(Bénévent, 2011). Dans une équipe, un individu peut facilement se retrouver en confrontation

avec le groupe.

J’ai d’ailleurs l’exemple d’un agent d’entretien masculin embauché pour pallier des absences au

sein de la crèche où je travaillais. Un recrutement imposé car l’agent demandait à réintégrer la

fonction publique après une disponibilité. Son intégration (terme qui selon Durkheim est

« l'opération consistant à adjoindre un élément à d'autres, afin de former une totalité » et dans

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l’Encyclopédie Universalis « l’existence de croyances et de pratiques partagées et […] l'adhésion

à des buts communs à travers un principe de solidarité ») a été difficile. D’une part, il était un

homme dans un monde de femmes. D’autre part, il n’avait jamais travaillé en tant qu’agent

d’entretien mais avait fait la majorité de sa carrière en cuisine centrale. Les erreurs étaient donc

récurrentes et les techniques d’entretien ménager mal maîtrisées. Il y a eu un rejet de la part de

l’équipe. Personnellement, ma réaction fut de contacter les ressources humaines pour exiger un

autre agent maitrisant le poste. Alors même que l’une des premières missions du manager est de

garantir une performance collective en intégrant chaque agent et en mettant en exergue la force du

collectif. L’annexe à la circulaire DH/8A/PK/CT n° 00030 du 20 février 1990 concernant les

missions du cadre de santé décrit à ce propos : « Il met en œuvre des moyens permettant aux

personnes de progresser en leur faisant prendre conscience de leurs manques, en facilitant

l’expression des besoins en formation et en favorisant la participation à des actions de formation.

Il collabore étroitement avec le service de formation et détermine avec lui le type d’aide que celui-

ci peut apporter à l’équipe tant au plan individuel que collectif ».

Ses collègues n’ont pas cherché à l’aider à progresser mais ont saisi le prétexte pour se plaindre

de ses lacunes et faire valoir leurs propres compétences dans le discernement de ses erreurs. Le

collectif peut devenir une faiblesse lorsque chaque individualité essaie de sortir du lot. Comment

le manager peut-il créer un esprit de solidarité où les meilleurs aident les moins bons ? La force

d’un groupe est d’avancer ensemble, de partager un projet en commun et cette force repose en

partie sur la coopération (action de participer à une œuvre commune, Larousse).

Or il m’a souvent paru que la différence était un frein à cette coopération, en raison du rejet qu’elle

entraine. À travers cet exemple je souhaite mettre en évidence que l’intégration de l’agent était

visiblement vouée à l’échec en raison d’un double handicap : un homme parmi 20 femmes et un

manque de maitrise du poste. Aurais-je du l’encadrer autrement pour éviter le rejet du collectif ?

Molinier, professeur de psychologie sociale, parle de méfiance dans le travail en équipe, car chaque

élément intervenant dans un groupe ne se connait pas en amont. « La confiance et le vivre

ensemble ne sont pas donnés entre les partenaires de travail » (2008, p115). Et la coopération n’est

possible que s’il y a confiance. « La confiance envers les partenaires est le premier ciment direct

de la coopération voulue et entretenue » (Mucchielli, 2016, p42). Le cadre a le devoir par son rôle

de régulateur de permettre cette coopération, mais sur quels leviers peut-il s’appuyer ? Quelle

posture doit-il adopter ? Est-ce que cela suggère que le manager a déjà fait en amont un travail sur

lui-même pour accepter chaque identité ayant place au sein du groupe ? L’exemple ci-dessus vient

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renforcer cette idée : lors de cette expérience je n’étais pas prête à accepter qu’une personne ne

correspondant pas à mes attentes, vienne faire partie de l’équipe. C’est aussi en contradiction avec

les messages que l’on m’a souvent donnés à ma prise de poste « quand tu arrives dans un poste, tu

modèles l’équipe à ton image ». Laissant entendre qu’il est nécessaire de faire partir les éléments

qui n’adhèrent pas au projet ou qui ne sont pas conformes à la norme attendue. Il y a donc la

présence d’un conformisme exigé dans nos institutions. Mucchielli, psycho-sociologue, y fait

référence dans Le travail en équipe : « les expériences aboutissent à des résultats convergents en

ce qui concerne la pression de conformité, qui uniformise et nivelle les opinions au sein d’un

groupe » (2016, p22). Molinier aborde aussi cette question du conformisme dans Les enjeux

psychiques du travail (Payot, 2008) avec la notion que « l’appartenance au collectif exige du sujet

un conformisme par rapport aux attentes de son entourage proche, familial, amical ou

professionnel, impliquant adhésion et soumission aux valeurs, aux représentations, aux conduites

du groupe qui lui est assigné ou qu’il cherche à intégrer ». L’auteure détaille comment ce travail

requiert de nombreux efforts et est implicitement porté par la peur du rejet de l’autre. Elle pose

également la question de l’identité. Car tous ces efforts pour se conformer reviendraient-ils à nier

son identité ou « s’aliéner dans la volonté d’autrui » (Molinier, 2008) ? Ainsi est-ce au manager

de s’adapter à chaque identité ou à l’agent de se conformer pour espérer être intégré dans le

collectif ? Ou un peu des deux ?

Grâce à cette recherche, je souhaite comprendre comment le cadre permet la coopération et la

cohésion dans l’équipe malgré les exigences de conformité de l’institution et du groupe.

Ma recherche sera basée sur les ressorts psychiques au travail, ce qui va venir conditionner le

travail en équipe et le rôle que joue la pression de conformité dans un collectif. Elle sera tournée

vers la psychodynamique du travail et la psychologie sociale des groupes.

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2. UN CONTEXTE NORMATIF

2.1 Le bien-être au travail menacé par les nouvelles organisations

Dans une société où le bien-être au travail est devenu une question centrale, notamment depuis la

vague de suicides en 2009 dans l’entreprise France Telecom, le management bienveillant est au

cœur des politiques d’entreprises avec des plans d’action ambitieux tournés vers l’humain. On

retrouve la volonté d’inclure avec notamment la loi SAPIN II entrée en vigueur le 1er juin 2017

sur la notion de responsabilité sociale des employeurs. Les entreprises élaborent des politiques

sociales en matière de prévention des risques psychosociaux, obligation liée à l’article L. 4121-1

du Code du travail afin de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. L’ordre infirmier

a d’ailleurs mis en place un numéro vert en janvier 2018 pour les personnels de santé en détresse

et peuvent joindre 24H/24, 7jours/7 un psychologue (FranceBleu). Car se préoccuper des RPS

dans une entreprise, c’est aussi garantir une image en termes de marque employeur. Prévenir la

souffrance au travail, et à l’extrême les suicides des employés, c’est surtout garantir une bonne

image (au niveau de la société marchande), rendre attractive l’entreprise et fidéliser ses employés.

En effet, travailler la cohésion en interne devient indispensable pour fidéliser les équipes quand la

concurrence est forte et les offres d’emploi nombreuses. Notamment dans le secteur des crèches

où l’on compte plus de 13700 établissements (DREES, 2016) en France (hors Mayotte) en 2014.

Dans la FPT le salaire d’une auxiliaire de puériculture débutante est de 1537 euros brut (grille

indiciaire FP) avec une augmentation annuelle moyenne de 0,4% (INSEE, 2016). La fidélisation

ne passera donc pas en premier lieu par la rétribution salariale (faible salaire, faible augmentation).

Pour retenir les professionnels il sera question de mettre en avant la structure, son confort de travail

ainsi que sa marque employeur. Celle-ci permet d’attirer des talents. L'ambiance va primer sur le

salaire et sur la pérennité de l'entreprise. Remettre de la cohésion dans les équipes en intégrant

chacun dans le collectif est d’autant plus important dans le secteur pédiatrique car l’enfant a besoin

de repères stables pour son équilibre psycho-affectif. Fidéliser les agents devient alors un enjeu de

taille pour limiter le turnover auprès du jeune public accueilli.

Les nouvelles organisations de travail (telles les startup) misent aujourd’hui sur un système

collaboratif où les travailleurs partagent des valeurs communes et un projet commun. Selon Jean-

Marc Sauret, sociologue, le travail ne tient plus une place centrale et on observe une mutation des

comportements où la population préfèrera une vie personnelle équilibrée à un salaire mirobolant,

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et « multipliera les aventures personnelles gratuites ». Mais c’est aussi une société en crise à

l’avenir incertain où le risque de perte d’emploi est plus que jamais présent (taux de chômage en

France : 9,1% de la population active, INSEE, 2018). Les collectivités délèguent de plus en plus

au privé des compétences et ce depuis le désengagement de l’Etat en 2013 dans les dotations

allouées aux collectivités locales. Ces mesures économiques drastiques entrainent au sein des

institutions « un affaiblissement du lien social en interne […] s’ajoute au recours de plus en plus

important à la sous-traitance qui inquiète les agents : ils redoutent une perte de savoir-faire, une

perte de la dimension morale qui les rassemble et les fait exister ensemble. » (Linhart, 2009, p

137).

Cet appel à la sous-traitance entraîne des différences de statuts entre les membres d’une même

équipe, certains sont en CDD, d’autres en CDI, d’autres titulaires de la FPT. Selon Linhart,

sociologue, ce sont ces différences qui vont petit à petit désintégrer le collectif. Ce nouveau mode

de fonctionnement des collectivités, où l’on voit apparaitre une rationalisation du travail (tenir

compte du taux d’occupation des berceaux de la crèche, accueillir à toute heure les enfants pour

optimiser au maximum le nombre de places disponibles, augmenter le rythme de travail en

accélérant les adaptations des bébés pour remplir rapidement la crèche et ne pas laisser de places

vacantes, réduire les temps morts où le professionnel peut mettre en œuvre sa créativité en décorant

le lieu d’accueil des enfants), désorganise le temps social. Linhart explique dans Travailler sans

les autres comment les agents doivent s’adapter coûte que coûte. Si ce n’est pas le cas, ils se

retrouvent exclus (par leur supérieur hiérarchique ou par eux-mêmes en développant des

pathologies comme les troubles musculosquelettiques ou des pathologies psychologiques telles

que la dépression).

2.2 La cohésion d’équipe : un enjeu de taille Permettre la cohésion dans l’équipe en crèche en intégrant chacun dans le collectif, ne

contribuerait-il pas aussi à développer une forme de solidarité où chacun fait progresser autrui ?

J’ai toujours pris l’habitude de m’appuyer sur les compétences des professionnels pour former et

intégrer les nouveaux arrivants. Déléguer la transmission du savoir-être et du savoir-faire est un

confort pour le manager, mais cela ne se fait pas sans une équipe suffisamment solidaire. Selon

Durkheim, sociologue, la cohésion d’équipe fait appel à l’altruisme : « Ainsi l’altruisme n’est pas

destiné à devenir, […] une sorte d’ornement agréable de notre vie sociale ; mais il en sera toujours

la base fondamentale. […] De tels sentiments sont de nature à inspirer non seulement ces sacrifices

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journaliers qui assurent le développement régulier de la vie sociale quotidienne, mais encore, à

l’occasion des actes de renoncement complet et d’abnégation qui dérive de la communauté des

croyances à celle qui a pour base la coopération ». (1893, p207). Soit une cohésion d’équipe

coûteuse requérant des renoncements pour parler d’une même voix au sein du collectif de travail.

2.3 Un conformisme attendu au profit de l’usager Travailler auprès d’enfants requiert de la part des professionnels un contrôle des émotions afin de

garantir leur sécurité affective. Ces injonctions font appel à un savoir-être qui est

systématiquement évalué à l’entretien d’embauche, lors d’un entretien individuel annuel ou de

façon plus informelle. Ces attendus font appel à l’identité du professionnel. Le fait d’harmoniser

les pratiques et les savoirs est mis en avant constamment en EAJE mais aussi en pédopsychiatrie.

Cette harmonisation peut s’apparenter à une standardisation car elle permet un lissage des

pratiques et un contrôle à posteriori. Elle permet également de rassurer le directeur de

l’établissement sur la qualité des soins. Mais le danger d’uniformiser les pratiques, au nom de la

cohésion d’équipe, ne serait-il pas un danger dans la dépersonnalisation des approches avec les

familles, les enfants ? En effet, il arrive que certains parents préfèrent traiter avec un professionnel

en particulier car il retrouvera un point d’ancrage rassurant qui l’incitera à la confiance. Le fait

d’avoir une multiplicité de personnalités, de singularités au sein d’une équipe permet à chaque

enfant, chaque usager, de retrouver un semblable. Bénéficier dans une équipe d’éléments

singuliers, porteurs d’une plus-value, entrave-t-elle la notion d’objectif commun porté et mis en

valeur par le cadre ? La standardisation n’amène-t-elle pas un effacement de soi ?

2.4 Des organisations normatives

Afin de répondre à mes premiers questionnements sur l’attente forte de la conformité dans le milieu

du travail, j’ai mené un entretien exploratoire auprès d’une directrice de crèche ayant une

expérience de 7 ans dans le poste. La notion de conformité associée à la question de la sécurité

apparaît prépondérante. Cela rejoint les trois piliers des sociétés humaines (concept fondateur en

anthropologie) qui comprennent les normes (ce qui se fait habituellement), les croyances (ce que

l’on sait sans avoir à le prouver), mais aussi les valeurs (ce qui est bien ou le mieux) (Belkaïd et

Guerraoui, 2003, p 124). Le fonctionnement de la crèche repose autant sur des valeurs de bien-

être affectif et physique de l’enfant que sur des normes (de sécurité par exemple), et croyances

comme on ne couche pas un enfant juste après qu’il ait mangé (alors qu’aucune étude ne vient

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alimenter le fait qu’il est préférable d’attendre que l’enfant ait digéré pour le coucher). La crèche

est un microcosme qui a ses propres valeurs, normes et croyances et lorsqu’un individu vient

remettre en question ce fonctionnement, il est considéré comme déviant. Notamment lorsqu’il est

en désaccord avec le projet de la structure qui constitue le socle des pratiques, les règles de métier

(Molinier, 2008).

2.5 L’exclusion en réponse à la non-conformité

L’entretien exploratoire révèle une attente de conformité forte, l’enquêtée précise « qu’à partir du

moment où l’équipe s’est mise d’accord » sur un consensus, « tout le monde doit s’y tenir »

(Axelle, 39 ans, directrice de crèche). Elle dit avoir fait le « deuil » d’un idéal de professionnel, ce

qui apporte une notion d’étape douloureuse dans le fait d’accepter que le professionnel soit

différent des attentes initiales. Lorsque je demande à l’enquêtée d’énumérer ses attentes, la notion

d’adaptabilité est prépondérante. Une souplesse qui pourrait s’apparenter à un certain

conformisme. En cas de déviance, la responsable rejette l’élément déviant du système « en

principe je lui explique assez vite qu’elle a besoin d’une expérience dans un autre établissement »

(Axelle, 39 ans). On peut noter que la balance entre la pression de conformité exercée par le

pouvoir hiérarchique et l’expression du potentiel de chacun semble en déséquilibre. L’interrogée

peine à retenir les agents et paradoxalement met en place des stratégies pour les faire partir en cas

de désaccord sur le projet, ce qui ne contribue pas à la stabilisation d’une équipe éducative auprès

de l’enfant.

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3. LES CONCEPTS ÉCLAIRANT LA QUESTION DE RECHERCHE

L’entretien exploratoire m’invite à définir dans la deuxième partie de ce travail de recherche le

concept de pression de conformité en corrélation avec la notion de pouvoir qui, selon Crozier,

sociologue, permet et structure le collectif (1977, p33). Pour étudier le processus de

conformisation, je m’intéresserais au champ de la psychologie sociale avec l’auteur Dominique

Oberlé (professeur de psychologie sociale à l’Université Paris Nanterre). J’aborderais également

la notion de travail sous le prisme de la psychodynamique du travail avec notamment Christophe

Dejours, psychiatre et psychanalyste français. Toujours dans le registre du travail collectif, et à

l’opposé du conformisme : je parlerais du déviant, celui qui ne respecte pas les normes établies, à

travers le concept de Becker, sociologue américain. Aussi, je choisis d’abandonner le concept

d’intégration sociale. Je pars du postulat que les agents font déjà partie de la structure, qu’ils sont

déjà inclus. Ce que je souhaite déterminer, c’est pourquoi on les rejette ? Le concept d’identité

aurait été intéressant à traiter pour identifier les différentes stratégies d’identité au travail (Renaud

Sainsaulieu) car cette mise en conformité viendrait toucher à l’identité propre de chaque individu

du collectif. Cependant, il serait trop ambitieux de traiter de ce concept dans un temps limité pour

cette recherche. L’objet de ma recherche sera donc l’excès de conformisme et elle sera formulée

de la façon suivante :

« Comment l’excès de conformisme est-il un frein à la cohésion d’équipe ? »

4. HYPOTHÈSE

Ainsi, mon hypothèse est que : « Si le cadre de santé cède à la pression de conformité

institutionnelle alors il utilise son pouvoir hiérarchique pour créer une dynamique d’équipe

délétère ne favorisant pas la fidélisation du personnel. »

Le cadre essaie de maintenir un équilibre, une balance entre valorisation des potentiels de chacun

et conformisme de l’institution en mettant en œuvre sa clairvoyance normative. Celle-ci se définit

comme « une connaissance du caractère normatif ou contre normatif d'un type de comportements

sociaux ou d'un type de jugements. Cette connaissance est indépendante du degré d'adhésion

normative » (Py et Somat, 1991, p 172). Équilibre fragile qui peut rapidement pencher en faveur

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de la conformité institutionnelle lorsque le cadre exerce un pouvoir et un contrôle dans le but de

sécuriser au maximum les procédures. Un système prescriptif ne permettant plus aux

professionnels de mettre en œuvre leur créativité, générant la peur de l’erreur et de la perte

d’emploi. Ils se mettent à fonctionner individuellement dans un état d’esprit du « chacun pour soi »

(Dejours, 2008). Ceux qui tentent de résister à la pression de conformité sont étiquetés déviants et

souffrent du décalage avec leur collègue ainsi que du manque criant de solidarité. Ils finissent par

partir. Il y a de ce fait un turnover important et un problème de fidélisation du personnel.

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5. MÉTHODE

5.1 Méthode et choix du milieu d’étude

Mes lectures ainsi que l’entretien exploratoire m’invitent à me diriger vers un autre milieu d’étude

que la crèche, à savoir le milieu hospitalier. D’une part, en choisissant le premier sujet qui était le

handicap psychique en crèche, j’ai pris conscience que je souhaitais réparer une situation

traumatisante pour laquelle plusieurs questions étaient restées en suspens. D’autre part, la

problématique de conformisme d’institution est une thématique transposable à d’autres milieux

que la petite enfance. Je souhaite profiter de ce travail de recherche pour sortir de ma zone de

confort et ne pas être biaisé par mon regard de directrice de crèche. Aussi, j’aurais l’occasion de

confronter ma question de recherche à une spécialité que je souhaite rejoindre après les études de

cadre de santé. Ce travail de recherche me permet de mieux connaître cet univers que j’ai quitté

en 2010, avec un regard neuf sur les situations.

Je me suis adressée à des cadres de santé hospitalier issus d’un même pôle de psychiatrie de

l’enfant et de l’adolescent. Une monographie qui étudie les comportements et marges de

manœuvre des cadres dans un contexte où les problématiques d’absentéisme, de turnover, de

fidélisation du personnel et de rationalisation du travail sont présents. Ma recherche est basée sur

huit entretiens semi-directifs afin de laisser une liberté de réponse et m’ouvrir des champs de

réflexions auxquelles je n’aurais pas songé. J’ai choisi d’orienter mes questions sur la cohésion

d’équipe (comment s’organise le travail en équipe ? sur quels leviers le cadre s’appuie pour

favoriser la coopération ? Y a-t-il de l’absentéisme ? du turn-over ?), les attentes du cadre

concernant les agents au travail (sont-ils à la recherche d’un idéal ? que font-ils si les agents ne

sont pas conformes aux attentes ? sur quels leviers ils s’appuient pour créer une dynamique

d’équipe ? …) mais aussi leur avis sur le travail qui serait de plus en plus prescriptif (que pensent-

ils des protocoles ?).

J’ai profité de mon stage en milieu hospitalier dans un établissement public de santé mentale pour

interroger des cadres d’unité intra et extrahospitalière. L’immersion dans le secteur m’a permis

d’avoir accès aux différents supports utilisés pour rationaliser le travail, supports qui m’étaient

jusqu’alors inconnus. En effet, depuis mon départ de l’hôpital en 2010, de nombreux dispositifs

ont été mis en place pour faciliter l’accès du personnel aux procédures. Grâce à une présence

régulière sur quatre semaines non consécutives, les cadres se sont livrés sans retenue sur leurs

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pratiques. Alors que j’effectuais en parallèle un travail sur la clinique du travail concernant

l’activité des soignants du service, j’ai pu mener des observations afin de mieux comprendre la

réalité de leur quotidien et mieux appréhender les entretiens avec les cadres. Je m’appuierais, dans

mon analyse, sur les entretiens mais aussi en filigrane sur ces observations.

5.2 Les limites de l’étude À mon arrivée dans le service de pédopsychiatrie, cela faisait 9 ans que je n’avais pas fréquenté

l’hôpital. J’étais en permanence en situation d’étonnement. Lors des entretiens, les cadres

reprécisent certains termes et approfondissent des notions car j’ai profité des entretiens pour

apprendre sur la spécialité et son fonctionnement global. Cela a occasionné de nombreuses

digressions que j’ai par la suite coupées dans les retranscriptions. À l’inverse, être dans cette

posture d’étonnement m’a facilité la tâche pour approfondir les questions et relancer. Je ne suis

pas certaine que réaliser mes entretiens en crèche m’aurait permis une aussi grande candeur auprès

des interviewés. Étant donné mon intégration en tant que stagiaire, nous nous tutoyons lors des

entretiens. Loin d’être un biais, le tutoiement a permis aux enquêtés de se livrer en toute franchise.

J’ai à chaque fois précisé le but de ma recherche, l’anonymisation des entretiens et ait demandé

l’autorisation d’enregistrer. En revanche, un cadre, arrivé dans le service depuis six mois, a refusé

d’être enregistré et la prise de note a de ce fait été fastidieuse. Enfin, une cadre était arrivée depuis

un mois dans le service et l’exploitation de l’entretien a été pauvre. Plutôt que de rester sur les

questions de la grille d’entretien, j’aurais pu orienter mes questions sur son rapport d’étonnement

et connaître ses premières impressions au sujet de la cohésion de l’équipe. Je n’ai pas su réajuster

en temps réel et n’ait pensé qu’à postériori à ces modifications.

Afin de développer les enjeux inhérents au milieu d’enquête, je propose ci-dessous une description

du milieu hospitalier, en santé mentale, avec les professions qui y travaillent et leurs missions.

5.3 Le milieu d’enquête

5.3.1 Un peu d’histoire

Hôpital vient du latin « hospitalia » qui signifie « chambre pour l’hôte » ou encore du mot

« hostis » qui signifie l’étranger. L’institution de l’hôpital a évolué depuis le moyen âge jusqu’au

XVIIIe siècle où il était un lieu d’hébergement et d’assistance aux pauvres qui avait pour rôle

d’assister et de protéger la population des malades contagieux en les accueillant à l’écart (Dodier

et Camus, 1997, p 734). Il n’y avait pas de médecins dans les hôpitaux, ceux-ci se déplaçaient au

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domicile des malades les plus aisés. En 1802, Bonaparte impose la présence d’un hôpital dans

chaque grande ville et la présence de médecins y œuvrant jours et nuits. « À Paris, la réforme

hospitalière engagée en 1801 amorce la spécialisation des structures par pathologie et redéfinit

l’organisation du service de santé autour du travail des internes, chargés de recenser les données

cliniques et anatomo-pathologiques qui permettent de faire progresser la connaissance des

maladies » (Laget, Salaün, 2004, p17). En 1905, la loi de séparation de l’église et de l’Etat

influence la structuration de l’hôpital avec une laïcisation de son corpus soignant. L’hôpital

moderne nait au XXème siècle, et est désormais accessible à toutes les classes sociales. Les

techniques évoluent, l’hôpital soigne et guérit avec des progrès considérables en matière d’hygiène

grâce aux découvertes nombreuses sur les microbes et les infections (Gentili, 2017). L’hôpital

devient une institution et un lieu de vie avec l’arrivée de services tels que les cafétérias, le point

presse, le fleuriste et dans certains hôpitaux la présence d’une médiathèque.

5.3.2 En psychiatrie

L’établissement de santé mentale où j’effectue mon travail de recherche prend en charge les

personnes ayant des troubles psychiques. Les personnes hospitalisées sont accueillies en fonction

de leur secteur géographique conformément à la loi du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation

psychiatrique. Cela permet de restaurer et de maintenir le lien social en restant proche de leur lieu

d’habitation. L’établissement compte peu de lits et privilégie la prise en charge en ambulatoire.

C’est pourquoi la population de cadres interrogée, issue du pôle psychiatrie de l’enfant et de

l’adolescent, travaillent en majeure partie dans des structures extrahospitalières. Ils sont le plus

souvent en bi-affectation sur un CMP et un HDJ et se partagent parfois les professionnels de santé

qui sont eux-mêmes en bi-affectation. Un seul cadre dirige une unité intra-hospitalière.

Les missions principales des professionnels paramédicaux, encadrés par les cadres de santé, sont

les soins apportés aux enfants par le biais de consultation ou groupe thérapeutique, de médiations,

mais aussi d’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne.

Tout comme dans le secteur des crèches, les soins prodigués sont basés sur le langage, l’écoute

des enfants et une maitrise de la relation d’aide et de ses propres émotions. Ils ont pour but de

remédier aux problématiques de l’enfant et de l’adolescent mais aussi de faire la prévention de

difficultés potentielles qui auraient des répercussions à l’âge adulte. Le principal risque lié à

l’exercice dans le secteur de la santé mentale est la violence physique et verbale répétitive des

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enfants accueillis mais aussi les phénomènes de transfert et contre transfert qui ne sont pas

seulement réservés aux psychothérapeutes (on parle de transfert lorsque le patient projette ses

émotions et sentiments sur le soignant ou thérapeute, et inversement le contre transfert engage les

projections du soignant envers le patient). Ces situations d’agressivité ou de processus psychiques

de transfert peuvent fragiliser les soignants de psychiatrie au long terme.

Outre ses problématiques, les soignants déplorent au détour d’entretiens non formalisés une

pénibilité au travail. Celle-ci aurait changé de visage depuis la loi du 13 juin 1998 sur la réduction

du temps de travail. Les soignants doivent faire le même travail en moins de temps. Selon Dejours,

il n’y aurait plus le temps d’aller aider ses collègues, ce qui conduit à un individualisme (2008).

Les soignants évoquent facilement leurs difficultés avec des horaires qui changent sans cesse, des

injonctions contradictoires ou encore le manque de temps pour prendre des pauses alors que ces

temps informels sont essentiels pour souder l’équipe en créant de la convivialité (Véga, 2004).

Donc des pauses qui se raréfient et un droit à l’erreur de moins en moins admis avec les nouvelles

politiques de gestion des risques et les recherches en qualité. La conséquence de ces mises en

tension serait l’apparition de nouvelles pathologies chez les soignants (TMS, RPS, souffrance au

travail) mais aussi des symptômes collectifs comme le turnover, l’absentéisme, ou encore le fait

de moins bien travailler. Dans le service étudié, les arrêts maladies de longue durée sont moins

fréquents que les absences de courte durée pour congés enfants malade par exemple. Mais les

chiffres sur les mouvements du personnel ne sont pas dévoilés, les entretiens avec les cadres

permettront de creuser cet élément.

Avec la création des organisations polaires depuis le plan hôpital 2007, il y a une forte demande

de polyvalence. Et c’est un fait que j’ai pu constater à de nombreuses reprises lors du stage où les

soignants étaient fréquemment invités à effectuer des remplacements dans d’autres services. Les

soignants deviennent interchangeables pour dépanner dans différentes unités au seul bénéfice de

la réduction des coûts avec un ajustement des effectifs en fonction de l’activité. Leur pratique est

lissée et ils se doivent d’être performants partout. C’est un vœu pieu car il est humainement

impossible d’être expert dans chaque domaine. Être interchangeable et se retrouver dans un service

inconnu est aussi une prise de risque et met en difficulté des soignants qui perdent leur repère. Les

soignants évoquent une lassitude et une baisse de motivation lorsque les cadres sollicitent des

volontaires pour apporter de l’aide ailleurs. Selon Dejours, ces phénomènes de remplacement au

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pied levé, de professionnels interchangeables, gomment leur sentiment d’appartenance et les

empêchent de créer un ancrage (2008).

5.3.3 La situation actuelle dans le secteur hospitalier

Les politiques de maitrise des couts instaurées depuis 1983, avec notamment le plan de

médicalisation du système d’information (PMSI) qui contrôle par des indicateurs la production

hospitalière, induit une gestion basée sur le modèle des entreprises privées (Linhart, 2009). Les

hôpitaux visent la rationalisation de l’activité avec le recours à l’externalisation de certains services

(entretien des locaux, lingerie, restauration, sécurité) qui permet un meilleur rapport qualité prix

ou encore l’emploi de salariés en intérim ou en contrat à durée déterminée pour moduler et ajuster

la masse salariale en fonction de l’activité (Linhart, 2009). Aussi depuis 2004, le financement des

établissements de santé est réalisé à partir de la T2A (Tarification à l’activité) incriminée pour

accentuer la course à l’activité. Cette logique de gestion institue parfois un management de

réduction des temps morts (appelé « lean management ») où le personnel soignant a l’impression

de ne pas avoir le temps pour mener à bien l’ensemble des missions confiées. En sociologie, ce

phénomène est appelé la qualité empêchée (Dejours, 2003). Niccolò Curatolo, auteur d'une thèse

sur le lean management à l’hôpital dit notamment « À partir du moment où l'objectif de la

démarche est de faire des économies, c'est mal parti. Il peut y avoir une dérive managériale liée à

un effet "flicage". Avec les indicateurs, les réunions fréquentes, le risque pour l'encadrement c'est

d'utiliser ces moyens pour "fliquer" le personnel pour l'atteinte des objectifs. Or l'objectif premier

est de faire progresser les gens. Si l'encadrement ne le comprend pas, cela peut être mal vécu par

le personnel » (Tec Hôpital, 2019).

La psychiatrie n’est pas sous le même régime de financement que les centres hospitaliers

classiques, son mode de financement est basé sur une dotation globale avec une part variable. La

course à l’activité ne serait à priori pas la même dans ce secteur. Lors des entretiens avec les cadres

de santé, j’ai en revanche pu constater un contrôle lié à l’activité des soignants, nous

approfondirons ce point dans l’analyse des résultats. Aussi, la psychiatrie a bénéficié d’un

éclairage particulier avec notamment le projet Ma santé 2022 dont découle divers appels à projet

pour valoriser ce secteur, désigné comme « le parent pauvre » du secteur de la santé.

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5.3.4 Le cadre de santé entre le marteau et l’enclume

Les cadres de santé, dont la formation est assez récente puisqu’elle date de 1995, ont des missions

de management telles que l’animation et l’encadrement d’équipe pluridisciplinaire, la gestion

budgétaire ou encore la planification des soins. Ils sont garants de la qualité et de la sécurité des

soins au sein des services. Les cadres de santé sont parfois mis à mal dans leur exercice avec des

injonctions contradictoires quasi-quotidiennes. On leur demande de permettre la cohésion

d’équipe, mais selon Dejours (2008) tout est mis en œuvre pour diviser les professionnels (avec

notamment les changements de service au gré des absences des uns et des autres).

Lors de mon stage, j’ai eu l’opportunité d’interroger huit cadres de santé issus de pédopsychiatrie.

Le but étant de savoir comment le travail d’équipe est organisé au sein de leurs unités et comment

font-ils face à ces nouvelles exigences de conformité au prix d’une qualité sans failles et d’un

risque zéro. La plupart ont décrit un travail où la complexité réside dans le manque de temps, la

gestion des plannings, de l’absentéisme et plus généralement les tâches administratives comme

transmettre les tableaux de service dans des délais contraints. Des tâches vécues comme

nécessaires mais rébarbatives « C’est toutes les tâches administratives, euh non pas dédiées au

pur travail mais euh… Ces tableaux d’affectation, ces tableaux de tout ce que… cette misère… où

on est sans arrêt dans la consommation de fichiers tout ça… » (Martine, CDS, 61 ans).

Les cadres en pédopsychiatrie sont majoritairement issus du secteur de la psychiatrie et ont

quasiment fait l’ensemble de leur carrière dans l’établissement. Ils prennent plaisir dans leur rôle

de coordinateur et de lien entre les soignants, les médecins, les familles « Mon rôle de cadre c’est

faire en sorte que l’équipe se sente bien pour que les soins prodigués soient de qualité »

(Véronique, 59 ans). Ils prennent également plaisir à être consultés en tant qu’expert sur des

situations en staff médical (réunion qui permet de reparler des situations des enfants afin de trouver

en équipe un consensus sur le projet de soins).

5.3.5 Le profil de la population étudiée

Ils sont dix cadres à travailler pour le pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, j’ai eu

l’opportunité d’en interroger huit durant mon enquête. La moyenne d’âge est de 51 ans. Ils ont

tous fait leur carrière en psychiatrie et dans l’hôpital où je les interroge. A l'exception de Chantal

qui est arrivée depuis six mois sur l’établissement et Sophie, présente depuis un mois seulement.

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Concernant l’ancienneté en pédopsychiatrie, 5 sont considérés comme des « anciens » du pôle

avec une ancienneté qui va de 8 ans à 32 ans.

Prénom Âge Fonction Ancienneté

hôpital

Ancienneté

pédopsychiatrie

Durée de

l’entretien

Sophie 41 ans Cadre de santé 15 ans 1 mois 46’

Géraldine 57 ans Cadre de santé

- ISP

36 ans 18 mois 37’

Stéphane 39 ans Cadre de santé 17 ans 8 ans 58’

Bilge 46 ans Cadre de santé 24 ans 9 ans 56’

Chantal 57 ans Cadre de santé

- ISP

6 mois 6 mois 1h10

Véronique 59 ans Cadre de santé

– puéricultrice

34 ans 32 ans 47’

Martine 61 ans Cadre de santé 39 ans 23 ans 1h29

Catherine 53 ans Cadre de santé

- ISP

32 ans 25 ans 1h03

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6. LE CONCEPT DU TRAVAIL À LA LUMIÈRE DE LA PRESSION DE

CONFORMITÉ ET DE LA DÉVIANCE

6.1 Le travail prescrit et le travail réel

Après une brève description du milieu étudié, il me semble pertinent de revenir sur la définition

du travail dans un système devenu de plus en plus prescriptif. Selon Davezies, c’est une « activité

déployée par les hommes et les femmes pour faire face à ce qui n’est pas donné par l’organisation

prescrite du travail » (1993, p37). La notion de travail s’attache donc à récupérer le concept de

travail prescrit et de travail réel (Leplat, 2001). Le travail prescrit serait ce qui est préconisé par

l’institution, des procédures claires, des consignes, des protocoles. Dans le cadre de mon enquête,

j’ai pu m’apercevoir que de nombreux protocoles étaient existants, disponibles le plus souvent

dans une base de données nommée GED (gestion électronique des documents). Nul n’est donc

censé ignorer les procédures et chaque dysfonctionnement (appelé également « évènement

indésirable ») fait l’objet d’une procédure d’analyse et aboutit si besoin à la création d’un protocole

ou d’une conduite à tenir qui constitue l’essence même du travail prescrit. À contrario, le travail

réel est ce qui est effectif. Ce que l’agent a dû mettre en œuvre pour obtenir le résultat attendu. Cet

écart entre le réel et le prescrit est comblé par l’intervention humaine de l’agent. C’est aussi la

mise en œuvre de l’intelligence rusée, concept de la mythologie grecque nommée la Métis, qui est

la fille d’Océan et de Téthys, c’est-à-dire la personnification de la sagesse et de l’intelligence rusée.

Travailler serait donc combler l’écart entre le réel et le prescrit en mettant en œuvre la Métis. Selon

Dejours, ce serait aussi faire l’expérience du réel avec parfois la mise en échec de ce qui est

entrepris et enfin trouver la solution pour surmonter cet échec.

6.2 L’appartenance au groupe Toujours selon Dejours (2008, p88) le travail est le fait de « mobiliser son corps, son intelligence,

sa personne pour une production ayant valeur d’usage ». Le travail a le pouvoir de changer un

individu. Il évoque dans son livre Travail, usure mentale la question de l’intégration au travail,

signe d’utilité, de reconnaissance et d’appartenance à un groupe. Le travail aurait un lien avec la

santé mentale et participerait à l’équilibre psychique de chaque individu. Car être employé au sein

d’une entreprise, ou d’une « société », c’est faire partie d’une communauté. Durkheim l’évoque

dans son livre Le suicide où il expose comment plus nous sommes intégrés moins nous avons de

risque de nous suicider. Selon Parsons s’intégrer, être inclus dans un système, c’est remplir des

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conditions en « partageant un univers symbolique et normatif commun » (1967). C’est aussi

respecter les règles de base de la structure où nous sommes employés et « se référer aux mêmes

valeurs » (Parsons, 1967). Ainsi nous sommes conformes aux attentes.

Lorsqu’un agent intègre un service, il fait l’effort d’intégrer les codes du service. On dira d’un

nouvel agent qu’il s’intègre mais Oberlé dit aussi qu’il « se l’intègre » (2012, p52) dans le sens où

il va intégrer et intérioriser psychiquement « les ressorts du groupement » (2012, p52). C’est de

cette intériorisation que nait le sentiment d’appartenance au groupe. Si un soignant arrive

nouvellement dans un service de psychiatrie, termine sa tournée de médicaments avant ses

collègues et va directement en salle de pause pour prendre un café. L’équipe profitera du temps de

pause comme moment de régulation (Véga, 2000, p153) pour mettre une pression de conformité à

l’agent. Elle lui signifiera clairement que dans le service la règle implicite est d’aider d’abord ses

collègues avant de prendre la pause-café. Il y a donc une fonction normative des groupes

d’appartenance où le soignant va ajuster ses propres actes en fonction de ce que le groupe opère.

Sans oublier que la notion de groupe est importante dans le travail d’équipe pour mener à bien

l’objectif commun (Duret, 2011, p10).

6.3 Le travail en équipe En revanche, Jean Oury, psychiatre français, soulève le paradoxe du collectif de travail où chacun

doit être envisagé avec ses potentiels propres « sa personnalité, de la façon la plus singulière » tout

en mettant en place « des systèmes collectifs ». Selon Falla (docteur en psychologie clinique) et

Sirota (docteur d’État ès lettres et sciences humaines), chaque individu dans le collectif a une tâche

primaire qui lui est confiée, mais également une autre tâche tout aussi importante : faire équipe.

C’est ainsi que le travail collectif « procède de coopérations multiples » car on ne peut « rien faire

sans les autres » (2012, p175).

Falla et Sirota insistent sur le fait que le travail coopératif n’est pas donné, il se travaille. Il suppose

« un renoncement narcissique constant » (2012, p178) de ne pas être le seul et l’unique aux yeux

du supérieur hiérarchique. Ce dernier fait constituant un « fantasme infantile qui nous habite peu

ou prou » (2012, p178). On retrouve également le rôle primordial de l’institution dans la

reconnaissance de chacun en valorisant les singularités, en les faisant exister « socialement et

politiquement comme semblables » (2012, p181).

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6.4 Le processus de conformisation au travail

On l’a démontré plus haut, le mécanisme de mise en conformité est utile à chaque individu pour

s’intégrer et faire partie d’un groupe. Ce processus peut se jouer de plusieurs manières (Oberlé,

2012, p66) :

- Par complaisance (pour ne pas faire de vagues)

- Par identification (pour plaire à un groupe qui nous attire)

- Par intériorisation (lorsque les valeurs de l’individu sont déjà celles du groupe)

- Par pression implicite (lorsqu’un groupe répond unanimement par une réponse, un individu

aimerait répondre différemment mais se met une pression pour être conforme au groupe).

La pression implicite rejoint Dejours (2008, p117) qui considère que la peur d’être rejeté en étant

en non-conformité avec les attendus et exigences du groupe vient influencer considérablement les

comportements des individus. Lors de mes entretiens, j’ai pu constater parfois ce biais de

conformité où l’enquêtée faisait d’abord référence à ses collègues avant d’établir sa réponse « je

suis pas sûre que j’ai l’impression que pffff, j’ai l’impression que les protocoles… est-ce qu’on

applique vraiment les protocoles je sais pas, bon… qu’est-ce qu’ils t’ont dit mes autres collègues ?

Je copie un peu sur eux, qu’est-ce qu’ils t’ont dit mes autres collègues de l’HDJ ? » (Véronique,

59 ans, CDS).

- Par pression explicite qui est invite l’individu à obéir.

Cette pression s’apparente à l’état agentique : « cette soumission à l’autorité aboutit à un

phénomène de diffusion des responsabilités, car il amène chacun à considérer « qu’il ne fait

qu’obéir », rejetant ainsi la responsabilité de son acte sur son supérieur » (Oberlé, 2012, p 71).

Dans le service où j’effectue mon enquête, j’ai pu constater pour un des soignants un processus de

conformisation par identification. Prenons l’exemple de cette infirmière âgée de 20 ans qui prenait

ses fonctions. Le vocabulaire de la psychiatrie est vaste et nécessite de solides connaissances. Pour

espérer être intégrée dans le groupe, la jeune infirmière s’est documentée et a lu des ouvrages de

psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent pour se conformer et s’identifier à ce nouveau groupe.

En revanche, en réunion clinique, il arrivait fréquemment que ses mots soient repris car ils n’étaient

pas encore « conformes » à l’univers de la psychiatrie. Le processus de conformisation est

chèrement acquis et demande un effort considérable. En cas de renoncement, la personne sera

aisément considérée comme déviante. Je propose de définir ce concept devenu récurrent à travers

mes différentes lectures.

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6.5 Le processus de déviance

Howard S. Becker le définit dans Outsiders comme : « La déviance est créée par les réactions des

gens à des types particuliers de comportements et par la désignation de ces comportements comme

déviants. […] Les normes créées et conservées par cette désignation, loin d’être unanimement

acceptées, font l’objet de désaccords et de conflits parce qu’elles relèvent de processus de type

politique à l’intérieur de la société ». (1985, p41). Sont donc considérés comme déviants les

personnes qui ne respecteraient pas les normes établies par des personnes légitimées dans leur

fonction (comme des représentants de la loi, ou tout simplement le cadre d’une équipe). C’est

pourquoi la notion de pouvoir serait intéressante à étudier concomitamment aux autres concepts,

car le cadre peut tout à fait considérer un soignant comme déviant en raison d’une pratique qui le

choquera ou ne correspondra pas à ses propres valeurs et normes établies en amont. Prenons le

même agent dirigé par un autre cadre dans une situation similaire. Ce dernier ne sera peut-être pas

offusqué car ses valeurs ou normes de référence seront de connivence et il ne désignera pas de fait

la personne comme déviante. Le premier cadre exercera donc un pouvoir sur l’agent, au nom de la

hiérarchie et de sa position dans le collectif et sera en mesure de marginaliser celui qu’il

considèrera comme déviant. « Quand une des parties en cause dans la relation possède un pouvoir

disproportionné par rapport à l’autre : elle peut alors imposer sa volonté malgré l’opposition des

autres, tout en souhaitant maintenir une apparence de justice et de rationalité. » (Becker, 1985,

p212). Et dès lors que l’individu est étiqueté comme déviant, il perd en crédibilité et se trouve

confronter à la difficulté d’effectuer normalement son travail. Déstabilisé, il commettrait plus

d’erreurs. Le simple fait que le regard de l’autre posé sur lui change, induit chez lui une déviance.

Becker souligne au demeurant que la déviance n’est pas toujours intentionnelle. (1985, p48),

puisqu’elle peut être induite par l’action collective. Les agents d’un collectif agissent ensemble et

induisent constamment un ajustement de la part des différents acteurs pour être intégré dans le

collectif (processus de conformisation).

6.6 Un conformisme utile pour le groupe, utile pour l’intégration

Le conformisme viendrait de la « peur de la désagrégation identitaire, de la solitude, de l’exclusion,

de la violence » (Molinier, 2008, p134) et toucherait à l’identité propre de chaque individu du

collectif. Le piège habituel à force de vouloir rentrer à tout prix dans le cadre exigé est de

« s’aliéner dans la volonté d’autrui » (2008, p134) et d’oublier son identité sociale. Celle-la même

qui se trouve être « l’armature de la santé mentale » (Molinier, 2008, p131). Mais il ne faut pas

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oublier que toute société, tout groupe ou collectif a besoin de règles pour fonctionner. Comme

pour un enfant qui a besoin de limites pour se construire et se structurer, un collectif a besoin de

« règles de métier » (Molinier, 2008, p113). « Les règles de métier sont le produit d’accords

normatifs, c’est-à-dire d’agréments sur ce qui est considéré comme valide, correct, juste ou

légitime » (Pharo, 1991). Les règles de métier, tout comme les règles sociales (la politesse, la

présentation) sont incontournables dans le collectif de travail et constituent le socle de la cohésion

dans l’équipe. Elles organisent les relations entre chaque agent et sont utiles dans la coopération.

Molinier s’accorde à dire que le conformisme est utile à l’intégration d’un agent, mais qu’il est

possible de s’en détacher ultérieurement (après avoir fait ses preuves) sans pour autant être jugé

comme déviant (2008, p116). Le conformisme ne serait-il pas un prêt sur gage, où l’on ne

récupèrerait son identité qu’après avoir remboursé sa dette ? La dette de l’intégration au sein du

collectif de travail.

6.7 Les contextes normatifs Il y a des contextes où être doué d’originalité est valorisé comme dans le domaine de l’art bien-

sûr mais aussi du marketing ou de la science. Mais il y a certains domaines où « les propositions

minoritaires sont considérées comme déviantes » (Oberlé, 2012, p151). C’est notamment le cas

dans le secteur social où l’innovation marginale a peu de place face aux protocoles chiffrés. Lors

de mon enquête, je me suis aperçue que cette assertion était valable à l’hôpital. Pour illustrer ces

propos, je prendrais l’exemple d’un cadre de santé me confiant avoir récolté des fonds par le biais

d’une association pour installer une structure motrice (type toboggans, mur d’escalade) dans le

jardin d’un CMP. Cette initiative n’a pas été retenue car jugée trop risquée pour les enfants. Le

risque zéro prime sur l’originalité de l’initiative, mais aussi sur le bien-être de l’enfant. On

privilégiera une activité thérapeutique moins aventureuse où l’enfant ne se confrontera pas à ses

limites. En revanche il se confrontera à celles de l’adulte, aliéné dans des problématiques

institutionnelles, économiques et sociétales. Ne sommes-nous pas arrivés dans une ère où les

systèmes deviennent excessifs en matière de normes ?

6.8 L’excès de pression de conformité Selon Dejours, la pression de conformité est pathogène lorsqu’elle induit l’évaluation de la

performance individuelle et majore le « chacun pour soi » (2008, p25). Auparavant les stratégies

de défense étaient collectives, désormais face aux problématiques rencontrées les agents mettent

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en place des stratégies de défense individuelles (ses propres arrangements pour faire face aux

exigences). Lorsqu’un individu est hors norme, considéré comme déviant, il décompense et entre

dans « la pathologie de la solitude » (Dejours, 2008, p25). En cause, l’individualisme criant qui

empêche la cohésion d’équipe et donc l’entraide et la défense de ce collègue en souffrance. Dejours

évoque la peur comme moteur principal dans cet enchainement pathologique. La peur de ne pas

faire face aux nouvelles exigences que sont les objectifs à atteindre ou les menaces de mobilité

interne dans l’hôpital. Une peur qui encourage les conduites déloyales ou encore ce que nomme

Dejours les « œillères volontaires » pour signifier que les individus se détournent des situations

qui pourraient leur porter préjudice et deviennent ainsi insensibles aux problématiques de leurs

collègues. J’ai pu observer des mises à l’écart dans un des services d’enquête où le professionnel

qui n’avait pas le vocable adapté au secteur de la psychiatrie était mis en marge. L’entraide était

balayée au profit du rejet. Aussi les professionnels peuvent être amenés à fermer les yeux sur la

situation pour ne pas se mettre en danger eux-mêmes. De Gaulejac, sociologue clinicien, parle de

« dérive narcissique » où chacun essaie de tirer son épingle du jeu pour espérer être inclus ou

demeurer conforme aux nouvelles attentes institutionnelles (2011, p335).

Alors qu’il semble utopique de vouloir et même pouvoir travailler sans les autres, du fait de nos

complémentarités, on se retrouve malgré tout face à des organisations qui tentent d’effacer les

singularités au profit d’une standardisation des approches. Linhart y fait référence avec une

« homogénéisation grandissante de notre société » (2009, p14) concernant les attentes notamment.

Elle critique ouvertement la société marchande en déplorant le fait que même les activités sociales

« se sont transformées en biens et services marchands » (2009, p16). Tout comme Molinier, elle

regrette que les conditions matérielles restreintes et la précarisation des emplois aient conduit à

une désagrégation des collectifs « au profit d’une individualisation » (2008).

6.9 Le pouvoir pour créer de la conformité Lors de mon entretien exploratoire, je me suis aperçue que l’interrogée utilisait son pouvoir

hiérarchique pour structurer son collectif d’agents, instaurer des règles lors des réunions et

éventuellement se séparer des agents lorsque ceux-ci ne répondaient pas à ses attendus. Un contrôle

permanent des pratiques sous différentes formes occasionnant une fuite des compétences « où je

travaille on n’arrive pas à recruter par exemple j’ai en moyenne six sept postes qui sont euh à

pourvoir tous les ans dans l’équipe éducative » (Axelle, 39 ans, directrice de crèche). Je me suis

alors interrogée sur la question du pouvoir pour exercer une pression de conformité et ait choisi de

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prendre appui sur l’ouvrage L’acteur et le système de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977)

pour le définir. Le pouvoir serait « un artefact humain qui - en orientant le comportement des

acteurs et en circonscrivant leur liberté et leurs capacités d’action – rend possible le développement

des entreprises collectives de l’homme, mais conditionne en même temps profondément leurs

résultats » (1992, p16). Le pouvoir permet donc à une structure collective de fonctionner par la

soumission aux objectifs, aux contraintes, mais aussi par une manipulation affective. Et dans le

contexte hospitalier, j’ai pu remarquer à maintes reprises comme les relations conviviales ou le

fait d’en connaitre davantage sur la vie privée des agents pouvaient influencer les négociations

lorsqu’il s’agissait de faire revenir un agent sur des congés ou des changements d’horaires. Un lien

affectif à la limite du lien de dépendance générant une certaine redevabilité de la part de l’agent

lorsque le cadre avait accordé en amont certaines faveurs. Le cadre avait alors du pouvoir sur

l’agent.

C’est-à-dire qu’un sujet peut avoir du pouvoir sur quelqu’un en jouant sur les affects, en négociant,

ou bien en créant un lien de dépendance qui induira que la personne fera appel à lui, ou se sentira

redevable. Le pouvoir n'est donc pas toujours là où on l’attend. Un agent pourra très bien avoir du

pouvoir sur ses collègues, bien plus que le cadre lui-même en aura sur lesdits collègues. Le pouvoir

est toujours une zone d’incertitude, il est donc toujours nécessaire de l’affirmer.

Selon Max Weber, économiste et sociologue allemand, le pouvoir serait « la capacité qu’à une

personne A d’obtenir d’une personne B de faire ce qu’elle demande, ou que B fasse quelque chose

qu’il n’aurait pas fait sans l’intervention de A ».

Crozier et Friedberg décrivent les principales sources de pouvoir qui s’acquièrent et sont basées

sur la maitrise de la zone d’incertitude (1977). Nous pouvons en distinguer quatre :

- Le pouvoir d’expertise. A l’hôpital, j’ai pu constater que les médecins étaient considérés

par les soignants comme des personnes possédant la connaissance, ils avaient donc un

pouvoir indéniable sur la vie du service et les soignants.

- Le pouvoir de maitrise des relations avec l’environnement.

- Le pouvoir de maitrise de l’information et le savoir communiquer.

- Le pouvoir de maitrise des règles organisationnelles.

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7. ANALYSE

7.1 La pédopsychiatrie, un milieu où la pression de conformité est forte

« Les protocoles en fait c’est notre société, c’est le reflet de notre société… on doit tous être

pareils, et on en oublie sa personnalité et son savoir-faire ». (Chantal, 57 ans, CDS)

Ne connaissant pas le milieu d’enquête au préalable, je pensais la psychiatrie comme un milieu où

le mot protocole était absent du vocabulaire. Pour moi, l’essentiel du travail était basé sur un

savoir-être relationnel. La pression de conformité, s’il y en avait une, venait du cadre. C’est en tout

cas ce que je présume dans mon hypothèse de départ « Si le cadre cède à la pression de

conformité institutionnelle alors il utilisera son pouvoir hiérarchique pour créer une

dynamique d’équipe délétère ne favorisant pas la fidélisation du personnel ».

L’analyse que je vais mener démontre en quoi cette hypothèse est fragilisée avec la notion très

forte du groupe qui exerce en pédopsychiatrie une pression de conformité sur les agents considérés

comme déviants.

C’est ainsi que les entretiens menés auprès des huit cadres de santé m’ont amené à distinguer deux

types de mise en conformité dans le milieu de la pédopsychiatrie. Il y a les règles de conformité

institutionnelle comme les protocoles et procédures mises en œuvre par l’institution pour éviter la

déviance en termes de législation et de sécurité du patient et les règles de conformité groupales qui

vont venir valider ou invalider les agents travaillant dans l’équipe. Le tout produisant un milieu

hyper-normatif.

7.1.1 La pression des règles institutionnelles

Chaque cadre de santé s’accorde à dire qu’il y a de plus en plus de protocoles en psychiatrie mais

demeurent ambivalents en affirmant que l’apparition de ces protocoles dans leur pratique

quotidienne donnerait du sérieux à la spécialité. Mais leur apparition a d’abord suscité des critiques

de la part des acteurs du secteur « le mot protocole a été très longtemps alors je ne veux pas dire

banni, mais ça a été très vite, c’était irritant pour beaucoup…que ce soit les médecins, les équipes,

et même au niveau des cadres, dès qu’on parlait protocole, y’avait une espèce d’aversion pour ce

mot » (Stéphane, CDS, 39 ans).

Des procédures qui ont généralement été amenées en réponse à des évènements indésirables. En

conséquence, lorsqu’un problème surgit, l’institution s’appuie en priorité sur la traçabilité : les

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protocoles ont-ils été appliqués ? les soins ont-ils été tracés ? Une logique qui invite les soignants

à davantage se couvrir et passer un temps plus important dans des missions de traçabilité au

détriment du bien-être des personnes soignées. « Mais c’est vrai que la numérique dans les équipes

aujourd’hui fait que le temps qui pourrait être dévolu à un patient, être avec lui un quart d’heure

vingt minutes, autour d’une table comme ça à boire un sirop […] ben c’est des choses qu’ils n’ont

plus matériellement le temps de faire, et pourtant ce sont des temps notamment en psychiatrie qui

sont très importants parce que on prend soin de l’autre, on est avec l’autre et on lui consacre un

minimum de temps, et c’est ça qui pour la plupart du temps fait grandement défaut et pour les

patients à force de s’entendre dire « ah bah non j’ai pas le temps » « ah bah non là… » au bout

d’un moment, deux fois, trois fois, quatre fois, il pète un câble, parce que c’est la seule manière

qu’il a de se faire entendre, donc il met voilà… les choses se mettent en œuvre comme ça

naturellement, […] après on applique les protocoles, car c’est les protocoles qui prennent à

nouveau le dessus et puis comme il a été violent, qui dit violent dit FEI, déclaration d’accident de

travail, bon c’est terrifiant mais voilà et après c’est l’interne et c’est PTI et c’est… toute

l’armada. » (Catherine, CDS, 53 ans).

Les cadres qui s’accordent à donner du bénéfice aux protocoles sont soit impliqués dans des

missions institutionnelles sur l’utilisation de l’outil informatique par exemple « la validation

médicamenteuse via l’outil informatique c’est pas quelque chose de négociable, c’est une attente

dans le cadre de la certification, on peut pas passer outre » (Stéphane, CDS, 39 ans) soit

s’appuient sur ces protocoles comme outil managérial pour donner des règles « c’est inscrit que

y’a une règle pour prendre les nouvelles demandes. Y’a un support et on doit suivre le support et

euh voilà, pour les ordres de mission pour tout un tas de choses voilà pour la, la pose de congés,

même s’il faut le rappeler régulièrement, y’a des protocoles, y’a des règles voilà. » (Martine, CDS,

61 ans). Mais ces protocoles ne concerneraient pas les règles de métier, qui elles, se transmettent

tacitement entre membres de l’équipe et qui constituent le socle de la mise en conformité par le

groupe. « Les protocoles ce serait plus pour quelque chose de technique, un savoir-faire… »

(Chantal, CDS, 57 ans).

L’utilisation de l’informatique et des protocoles sert notamment à contrôler et rationaliser le travail

des équipes. Des données qui étaient impossibles à quantifier à l’ère du tout papier peuvent être

désormais tracées. « Y’a un dossier patient, y’a quelque chose qui existe, quand on voit un enfant,

on saisit l’acte, on le précise et tout, si on le fait pas c’est dommageable pour l’enfant mais à court

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terme, moi je dis maintenant à court terme parce que avant je pense qu’on était dans le moyen et

long terme, donc à court terme on peut dire que « attendez, vous avez 10 postes d’infirmiers là, je

vois que au niveau de la répercussion sur le travail ça concerne euh 8 infirmiers », bah hop on

t’en prend 2 on les met ailleurs. […] je veux dire ils ont vite fait de faire les ratios hein. […] dont

faut réexpliquer le pourquoi… alors c’est toujours paradoxal, tu dois dire que c’est pas un outil

qui sert à vous fliquer mais quand même un peu ! » (Martine, CDS, 61 ans). Le « vous » désigné

par la cadre de santé inclut l’institution et les ratios effectués par le PMSI (programme qui définit

l’activité des services hospitaliers en vue de sa rationalisation).

Une cadre de santé avoue également contrôler l’agenda des agents sur un logiciel qui trace leur

activité « la dérive c’est d’aller sur un autre site alors qu’on est prévu autre part. Donc voilà faut

être vigilant à tout ça, faut contrôler sur Cortexte les agendas ». (Chantal, CDS, 57 ans). Une

pression de conformité explicite qui a été exprimée lors d’une réunion d’équipe où la cadre a

demandé que les agents en bi-affectation respectent scrupuleusement leur activité sur les temps et

espaces dédiés. Les impératifs de bonne gestion prescrits par l’institution sont transmis par les

cadres de santé aux équipes qui exercent en permanence une pression de conformité au regard des

règles institutionnelles « un groupe d’observation c’est 4/5 enfants sur une durée de trois mois et

souvent c’est… des problèmes de comportements à l’école, donc ça pourrait dégager du temps de

consultation pour le psychologue et puis ensuite les infirmiers feront le travail. » (Chantal, CDS,

57 ans).

7.1.2 Une résistance aux protocoles

Une des cadres de santé avoue s’arranger parfois avec les protocoles notamment quand ceux-ci

viennent toucher au bien-être de l’enfant. L’application scrupuleuse des protocoles est d’ailleurs

une souffrance dans la population de cadres de santé étudiée. L’un avait eu l’idée de récolter des

fonds pour installer une structure motrice dans le jardin du CMP, essuyant un refus par allégation

d’un défaut de sécurité. Un autre s’est retrouvé face à un dilemme éthique : doit-on refuser à un

enfant de manger son repas personnel sous prétexte de la sécurité alimentaire en collectivité ? Face

à celui-ci, le cadre se conforme à ses propres valeurs « Moi je suis une vieille cadre, je suis à la

fin de ma carrière… donc y’a une maman qui nous a donné des steaks hachés hallal dans un sac

bien comme il faut et elle nous dit « qu’est-ce qu’on en fait de ça ? », alors j’aurais été dans le

protocole… j’aurais dit « bah non ça on peut pas », mais là j’ai dit « bah écoute tu les mets dans

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le congélateur et on les donnera à l’enfant », mais qu’est-ce qui est le mieux ? Donc c’est peut-

être pas bien hein… mais c’est pas grave… Alors ça pour le coup, même si y’a une descente de

l’EOH dans la structure, ça je maintiens… » (Véronique, CDS, 59 ans). Véronique a fait toute sa

carrière dans l’hôpital où je l’interroge et s’est détachée de la pression du conformisme car elle a

déjà fait ses preuves auprès de l’institution (Molinier, 2008). Elle est donc entrée dans la déviance

en se montrant résistante aux normes institutionnelles. Elle est d’ailleurs, à l’inverse de cinq de ses

collègues, mitigée concernant l’utilisation abusive des procédures qui freineraient selon elle le

travail et la créativité, mais aussi le confort de l’usager. Dans son choix de ne pas respecter le

protocole, elle se fie à des valeurs humanistes qui privilégient le bien-être de l’enfant et la relation

entretenue avec la famille.

Une autre forme de résistance aux normes est évoquée dans les entretiens avec l’avènement de

l’informatique dans les services hospitaliers. Des agents sont réticents à l’usage de ce support pour

tracer leur activité. Les cadres s’appuient volontiers sur la législation pour motiver leurs exigences

de mise en conformité. Une pression explicite qui s’accompagne souvent d’un contrôle « mon

travail il est de m’assurer quand y’a des oppositions ou des résistances de pouvoir m’appuyer

quand même sur des textes législatifs […] c’est vrai que rien que le terme contrôle chez beaucoup

ça paralyse, le cadre il est là pour contrôler… je supervise, je suis garant de la qualité de soins,

je suis garant de ce que chaque soignant qui fera partie de l’équipe sera en mesure de proposer,

voilà j’ai cette obligation d’être dans de la supervision. » (Stéphane, CDS, 39 ans).

Si les cadres adhèrent dans l’ensemble aux protocoles pour donner de la rigueur au travail en

psychiatrie et permettre la rationalisation de l’activité, ils gardent un regard critique sur leur

utilisation. Celle-ci constituerait une réponse aux plaintes adressées à l’hôpital mais aussi aux

divers plans qualité/ sécurité/ certification/ gestion des risques, ciment des pares-feux hospitaliers.

« En effet ça rassure tout le monde, c’est la tendance de l’instant, on veut que tout le monde rentre

dans une grille mais c’est plus pour se rassurer ou rassurer les directions ou se couvrir ça c’est

… c’est plus pour éviter les procédures… l’américanisation, on est un peu dans une ère comme

ça aujourd’hui. Quelque part c’est une forme d’ouverture de parapluie mais après y’en faut des

protocoles, on ne peut pas en faire l’impasse… » (Géraldine, CDS, 57 ans).

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7.1.3 Les protocoles dès la formation en soins infirmiers

Les protocoles s’inviteraient même dans les IFSI pour débuter la programmation des futurs

professionnels dès la formation. C’est en tout cas le constat de trois cadres de santé interrogés.

L’une des cadres était formatrice en IFSI avant d’intégrer un poste en pédopsychiatrie. Elle

explique comment la réflexion des instituts est portée sur l’harmonisation des pratiques

« uniformiser les pratiques, voilà c’est surtout ça. Sauf que on va s’en rapprocher au maximum

mais c’est pas possible, c’est utopique. Du coup on décline des comment faire, comment faire,

c’est un repère pour le cadre qui arrive, qui a toutes ces procédures… » (Sophie, CDS, 41 ans).

Chantal (CDS, 57 ans), quant à elle, critique la nouvelle formation infirmière qui s’appuie sur le

référentiel de 2009 (Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier) « C’est la dérive

de ne plus oser faire. C’est vraiment le risque encouru depuis les six dernières années je dirais…

En tout cas ça questionne sur le savoir-être. On est sur l’être humain, sur le corps, l’intimité… et

l’essentiel avec la personne c’est la rencontre. Et ben ça, ça n’existe plus. Les jeunes qui sortent

du diplôme, ils sont trop sur la technique, les procédures, et y’a plus cette rencontre. Les hôpitaux

doivent être lisses. Les protocoles en fait c’est notre société ». Catherine (CDS, 53 ans) corrobore

cette donnée par une robotisation des nouveaux infirmiers au détriment de leur pratique réflexive

pourtant mise en avant dans le référentiel « Est-ce qu’ils sont autorisés à penser ? de leur propre

point de vue, à quels moments ils peuvent s’interroger sur leur pratique ? […] euh qui peut

s’assurer un minimum de cohérence, un minimum de pertinence dans ce qu’ils font, pour moi c’est

là que le bât blesse ».

7.1.4 Le contrôle comme outil de rationalisation

Une des cadres se livre lors de son entretien sur son expérience en IFSI et raconte comment elle

est partie en raison du contrôle permanent qui engendrait une baisse de son autonomie dans le

travail « le contrôle c’est normal, la justification c’est normal. C’est normal d’être évalué et

contrôlé, maintenant quand c’est trop contrôlé, on perd en autonomie, on perd dans l’aspect

plaisir du travail, dans l’aspect créatif de ce que tu fais » (Sophie, 41 ans). Une rationalisation qui

entraine, comme évoqué par Dejours dans Travail, usure mentale (2008), un individualisme au

sein des équipes.

Une des cadres évoque comment dans son équipe, des professionnels choisissaient de ne pas

divulguer des informations au détriment du collectif en réponse à cet hyper-contrôle hiérarchique

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« Finalement, on est un peu trop chacun dans son coin et parfois le risque c’est de se fixer sur sa

propre problématique sans savoir que bah le collègue vit la même chose […] On attend de pouvoir

déposer des choses, et trouver ensemble une solution et parfois on est tout de suite dans la

répression alors que c’est pas ce qu’on attend nous de la … de la hiérarchie quand on

l’interpelle. » (Sophie, 41 ans). Un contrôle entravant la cohésion d’équipe mais aussi entrainant

une cascade d’évènements indésirables. Selon une autre cadre beaucoup de situations explosives

comme la violence des patients, pourraient être évitées si la pression institutionnelle n’était pas

aussi imposante « Y’a une espèce d’hyper-contrôle des choses, bien s’assurer que d’un point de

vue médicolégal tout est dans les clous sauf que au niveau de notre travail relationnel et ben on y

est plus quoi. » (Catherine, 53 ans).

Si les cadres rentrent dans une dynamique de contrôle induite par l’institution (contrôle

informatique des agendas, contrôle de l’activité), ils font aussi tampon face à cette pression et

mettent en œuvre leur clairvoyance normative (Py et Somat, 1991). Celle-ci consiste à prendre des

décisions qui ne sont parfois pas en accord avec les volontés institutionnelles mais qui facilitent

au quotidien le travail des équipes. Véronique explique ainsi comment elle laisse une marge

d’autonomie importante à son équipe « Alors si y’a quelque chose que je n’aimerais pas faire c’est

ça, je ne suis pas dans le contrôle, je suis dans l’accompagnement et pas dans le contrôle. Voilà,

alors moi je conçois par le métier de cadre comme ça, dans le contrôle, dans l’encadrement, dans

quelque chose de très rigide ». Elle tolère que des temps dédiés au travail de synthèse soient pris

pour discuter entre pairs des situations et argumente par le fait qu’en pédopsychiatrie le travail est

dense. « Ils ont besoin d’une bouffée d’oxygène, d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe, parce qu’un

enfant t’es obligé d’être derrière tout le temps, tu peux pas te dire, bon là je me repose un peu,

t’es obligé de l’avoir tout le temps sous les yeux ».

En conclusion, les règles institutionnelles sont données par les cadres par pression explicite sous

la forme d’ordres et de recommandations. Socle du travail prescriptif, ces règles sont uniquement

basées sur un savoir-faire, une technique et non un comportement. Elles ne sont pas négociables

et les cadres ont tous admis qu’elles étaient nécessaires pour structurer le travail et répondre aux

commandes institutionnelles et politiques. Bien qu’admis, les protocoles sont critiqués dans le

milieu de la pédopsychiatrie car dans ce secteur c’est le soin relationnel qui est valorisé et fait

partie des missions nobles. Il y a une culture du savoir-être qui serait en psychiatrie un véritable

savoir-faire. C’est pourquoi la formation infirmière est critiquée dans le sens où l’enseignement

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de la psychiatrie n’est plus dispensé en termes de spécialité (fin de la formation ISP en 1994). Les

étudiants en soins infirmiers sont considérés comme des applicateurs de protocoles à l’état

agentique. Un état qui peut s’apparenter à la grève du zèle c’est-à-dire une application du travail

prescrit sans la mise en œuvre de l’intelligence rusée qui facilite le travail et constitue le réel du

travail. Davezies donne une définition du travail réel : « le travail, c’est la mobilisation coordonnée

des hommes et des femmes face à ce qui n’est pas prévu par la prescription, face à ce qui n’est pas

donné par l’organisation du travail » (1993). Ces nouvelles pratiques induiraient une recrudescence

de la violence des patients qui pour requérir l’attention des soignants, passeraient plus

fréquemment à l’acte. Un effet cascade qui engendre en réponse l’application de protocoles et la

création de nouveaux lorsque le problème est inédit. Le protocole devient un mode de

communication au détriment de la communication soignant-soigné qui désamorcerait les situations

sensibles.

Enfin les cadres adoptent un management basé sur le contrôle pour satisfaire les demandes

institutionnelles et justifier l’activité du service. Un fait qui peut constituer une souffrance

lorsqu’ils sont tiraillés entre les exigences hiérarchiques et le bien-être des soignants « Parce que

nous les cadres on est dans le double lien, parce qu’on dit aux équipes « attention pas trop,

protégez-vous et tout », mais on a la réalité de la liste d’attente et on leur dit « attendez là va

falloir y aller là au taf, à prendre un peu plus »… donc des fois on n’est pas toujours très clairs

hein… » (Martine, CDS, 61 ans). Après la pression de conformité liée aux règles institutionnelles,

nous allons aborder la pression de conformité dans le groupe en pédopsychiatrie.

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7.2 La pression de conformité par le groupe

« D’abord pour certains c’était le graal, quand t’étais accepté d’aller chez les enfants, c’est que

tu l’avais mérité ! pour d’autres c’était la punition, mais y’avait quand même ce sentiment que

quand t’allais travailler chez les enfants, c’était des gens qui étaient pétris de sciences et de

culture… » (Martine, 61 ans)

Au cours des huit entretiens, j’ai pu constater comment le groupe exerçait une pression de

conformité aussi bien sur les nouveaux arrivants que sur ses pairs (dont certains avaient une

ancienneté dans le poste de huit années) en faisant référence à des règles admises par l’ensemble

des acteurs de la pédopsychiatrie. Le groupe peut amener parfois le cadre à écarter le sujet déviant.

Le pouvoir du collectif devient alors supérieur au pouvoir du seul cadre du service. Les huit

témoignages de cadres convergent vers les invariants anthropologiques des sociétés humaines : les

normes (ce qui se fait habituellement), les croyances (ce qu’on sait sans avoir à le prouver) et les

valeurs (ce qui est bien ou le mieux). Un des cadres parle de « guide commun » aux soignants en

pédopsychiatrie. « Dans les unités il y a les choses non dites, transmises, alors bon… alors faut

faire avec […] Tu parles de règles de métier ? Oui des règles comme ça voilà, on dit pas

clairement faut qu’y ait toujours quelqu’un au secrétariat, mais ça se transmet » (Martine, 61 ans).

Des huit entretiens, j’ai pu recenser 4 règles de conformité à s’intégrer (Oberlé, 2012) quand on

arrive dans le service de pédopsychiatrie :

- Le langage (le vocabulaire utilisé, la façon de s’adresser à l’enfant)

- La connaissance liée au domaine de la psychiatrie (avec le courant analytique)

- La posture professionnelle, la manière dont on prend soin de l’autre ou la capacité à prendre

de la distance, apparentée au savoir-faire soignant

- La tenue

7.2.1 Le langage, un exercice périlleux

Le langage à adopter en psychiatrie doit être fin et empreint d’une analyse critique de son

environnement au préalable. Cette finesse s’exprime par la compréhension de l’ordre hiérarchique,

des liens partenariaux et n’est pas donnée lorsqu’un nouveau soignant arrive dans l’équipe. « Alors

c’est un art subtil puisqu’il faut pouvoir évoquer soit en généralité, donc ça on s’en débrouille à

peu près, la posture du pôle, la posture de l’équipe, la posture du médecin, pouvoir le retranscrire

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sans que ça vienne froisser tout le monde, y’a des impératifs faut faire avec, et puis dans des

situations particulières […] pouvoir aller chercher de l’information sans dévoiler trop de notre

part, être dans un pseudo-secret partagé » (Martine, 61 ans).

Les exigences en termes de langage sont bien souvent exprimées en réunion d’équipe où les

soignants exposent leurs situations cliniques ou leurs prises en charge. Ces réunions ont pour but

de permettre un double regard sur les situations et favoriser le travail en équipe. Un vœu pieu de

la part des cadres qui observent parfois de véritables mises à l’épreuve des agents : « Je crois, dans

toutes les questions d’équipe y’a toujours le comment je m’expose, comment je peux être jaugé,

voire jugé à certains moments, en tout cas c’est le sentiment que certains peuvent parfois avoir

euh donc c’est de faciliter ces relations-là en équipes, tous les phénomènes de groupe, […]

s’exposer en tant que tel c’est accepter de livrer des choses, et livrant des choses et ben on peut

se mettre potentiellement en situation de mise en danger » (Catherine, 53 ans).

Un autre cadre dit avoir longtemps assisté au lynchage de professionnels du service par leurs pairs

en raison d’idées divergentes mais aussi d’un vocable différent de celui attendu en

pédopsychiatrie : « Y’avait des gens qui étaient là depuis huit ans dans le service et qui se

considéraient comme jeune débutant. Mais pourquoi ? parce que les collègues leur faisaient vivre

ça, les collègues leur disaient quand elles présentaient des situations « mais ça c’est pas comme

ça qu’il fallait faire », alors pas forcément avec un mauvais sentiment mais du coup ça ne les

autorisait pas à se sentir légitimées. » (Bilge, CDS, 46 ans). Des mises à l’épreuve jouant

indéniablement sur la cohésion d’équipe par un clivage manifeste. Un des cadres exprime

comment lorsqu’il est arrivé en pédopsychiatrie, il a dû se mettre en conformité par identification

en intégrant la culture du groupe par le biais de lectures « et puis avec les enfants faut se reformer,

aller chercher, aller dans la littérature, expliciter les choses mais bon, voilà… ce qui est le plus

compliqué c’est de comprendre comment t’analyse le fonctionnement, comme partout » (Martine,

61 ans).

J’ai moi-même été mise à l’épreuve en salle de pause au cours de mon stage, où le psychologue

du service avait entamé une tirade sur les plus grands auteurs de psychiatrie concernant un conflit

interne et s’était alors tourné vers moi en me jaugeant et m’interrogeant sur mon savoir. Je m’étais

sortie de cette épreuve en citant Jean Oury (par chance, je l’avais étudié pour mon travail de

recherche). J’avais alors perçu cette épreuve comme un rite de passage. « Les communautés

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sociales se constituent à travers les formes ritualisées d’interaction et de communication qui

peuvent être verbales ou non verbales. Celles-ci sont toujours représentées sur une « scène » ; seule

cette voie performative rend possible les rôles, la cohésion, l’intimité, la solidarité et l’intégration

de la communauté » (Wulf, 2004, p10). Une épreuve qui consistait donc à m’intégrer à la

communauté de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Ces rites révèlent la violence d’une intégration au sein d’un collectif, y compris si l’épreuve est

validée car il faut fournir un effort pour montrer sa légitimité. Arnold Van Gennep a étudié ces

rites de passage et déclare qu’ils auraient pour but de rendre le nouvel arrivant « soit neutre, soit

bienfaisant » (1909, p 42). Ce qui suppose que ce nouvel arrivant serait d’emblée perçu comme un

danger. « Ils doivent prouver de loin leurs intentions et subir un stage » (1909, p44).

Les cadres décrivent des portraits de soignants intégrés dans l’équipe et ayant une influence sur le

déroulement des réunions mais aussi sur la mise en conformité de leurs pairs. Ils sont pour la

plupart dans la maitrise de la communication mais aussi des relations institutionnelles. Fort de ces

atouts, nous pouvons deviner un pouvoir exercé sur l’équipe, créant ainsi une zone d’incertitude

pour le cadre (Crozier et Friedberg, 1977).

7.2.2 Le sacre de la connaissance en pédopsychiatrie

Le langage est mis au service de la connaissance qui se doit d’être fournie en pédopsychiatrie.

Le savoir est un gage de reconnaissance dans le milieu étudié. Et l’ensemble des cadres sont

d’accord pour dire qu’il est nécessaire d’avoir un minimum de savoir pour espérer être intégré,

sans quoi le risque serait de paraitre déviant. « Ce qu’on demande c’est des infirmiers qui

s’adaptent, mais moi je préfère quelqu’un qui a une bonne connaissance dans un style de travail

que des gens qui sont touche à tout et qui survolent » (Martine, 61 ans). Il est possible notamment

d’avoir des conflits inter-équipes reliés au courant de pensée en psychiatrie. À savoir le courant

biologique, psychanalytique, comportementaliste ou encore cognitiviste.

Selon Falla et Sirota, ces conflits seraient à la base d’un déficit de porosité intellectuelle ou

l’incapacité à entendre qu’autrui puisse avoir d’autres connaissances que soi. Ils ajoutent que

« pour collaborer avec d’autres sans se sentir diminué par ceux-ci, il suffit « simplement » d’être

humain et d’assumer son incomplétude fondatrice. » (2012, p182). La plupart des cadres de santé

accepte cette donnée car cela ferait partie d’une croyance fondatrice du milieu « En même temps

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on demande pas aux infirmiers d’avoir une chapelle de référence. Mais on sait que ça existe donc

faut faire avec » (Martine, 61 ans).

7.2.3 Une guerre de savoirs

À l’issue des entretiens, on pourrait opposer deux catégories de professionnels qui exercent en

psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : ceux qui savent, qui ont un solide bagage de

connaissances, de formations, de diplômes universitaires et ceux qui ne sont pas issus de la

psychiatrie ou qui ont moins de savoirs cliniques.

Une thématique qui revient dans au moins cinq entretiens sur huit et qui génère à chaque fois des

conflits d’équipe mais aussi des mises à l’écart. Un phénomène qui contribue à faire connaitre la

pédopsychiatrie dans le secteur comme un milieu sélectif voire élitiste « Ça fait peur car la

pédopsychiatrie ça a toujours eu la réputation de… en disant que c’est des gens hyperformés,

hypercompétents, il faut avoir lu tout Klein, tout Freud, euh tout Dolto, et autre pour pouvoir

euh… » (Martine, 61 ans). « C’était la petite enfance, une équipe très qualifiée en termes de

formations et les savoirs cliniques, sur les troubles de la relation, … de la petite enfance. Donc

c’est un axe de travail qui l’intéressait, c’était l’équipe qui était un peu vue comme les experts »

(Bilge, 46 ans).

Un contexte décrié par les cadres, ils regrettent pour la plupart qu’une guerre de savoirs se joue au

sein des équipes « Dans la personnalité des infirmiers, y en a ils savent. Ils ont le savoir, parce

qu’ils ont des DU, parce qu’ils ont une double affectation au service N, parce que effectivement

ils font des bilans, ils font, enfin oui ils font des choses intéressantes, mais pour le coup, ils se

positionnent « moi je sais », et puis t’as l’autre partie de l’équipe ils ne savent pas. Et ça c’est très

embêtant parce que la richesse d’une équipe c’est justement la différence, et ça vraiment je crois

que en tant que cadre tu n’y peux pas grand-chose, c’est vraiment dans la personnalité des

équipes. » (Véronique, 59 ans).

Certains cadres ont essayé de mettre un terme à ces guerres de savoirs en mettant en place des

stratégies de mises à l’écart afin de réguler les conflits inhérents à cette pression de conformité

pathogène pour la coopération « Alors on avait un monsieur qui était là depuis des années, et qui

euh, alors qui avait une bonne connaissance clinique c’est vrai, mais du coup il intervenait euh

auprès de ses collègues en leur disant qu’ils savaient rien et plutôt que de leur transmettre ce qu’il

savait je trouvais qu’il les jugeait beaucoup, […] il m’a fait beaucoup rire quand il a dit à ses

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collègues que je l’avais convoqué dans mon bureau « bah écoute, c’est dommage que tu présentes

les choses comme ça, parce que moi j’en ai pas de bureau et que c’est moi qui suis allée dans TON

bureau, c’est comme ça que tu l’appelles hein ? » je lui dis, voilà. […] et il était référent des

stagiaires… et moi quand j’ai vu comment il traitait ses collègues j’ai demandé à ce qu’il ne soit

plus référent des stagiaires. Donc ça l’a beaucoup vexé, ça l’a beaucoup mis en opposition mais

je lui ai dis qu’il revoit son positionnement. Voilà. Et ensuite, il a quitté le service de qualité. Et

surtout je l’ai amené à quitter B. où il était installé depuis au moins quinze ans. » (Bilge, 46 ans).

Si les guerres de savoirs se jouent entre les membres de l’équipe, la notion de posture

professionnelle est une donnée attendue et évaluée aussi bien par le groupe que par le corpus

cadres.

7.2.4 Une posture professionnelle en lien avec la juste distance

Dans les différents entretiens, on peut relever que la posture professionnelle relève d’un savoir-

faire en psychiatrie où le soignant doit pouvoir être à l’écoute d’autrui sans s’impliquer

émotionnellement dans les situations « Euh la difficulté que l’on a souvent c’est l’identification

aux problèmes des enfants. Les agents qui n’ont pas assez de distance, surtout quand y’a des

séparations. Et hop que j’te prends la défense de la mère et le père c’est la pire des choses. Ben

c’est ton histoire mais c’est pas celle de l’enfant. » (Martine, 61 ans) ou encore « Alors je le dis

comme ça et ça va être un peu brusque mais qui était un véritable boulet, mais alors à tous les

niveaux, que ce soit dans le contact avec les enfants, que ce soit dans le contact avec,… des

maladresses répétées, par exemple un cas de figure, tu vas pour quitter ton travail, une famille

s’installe dans la salle d’attente, famille que tu as déjà rencontrée, et que tu t’installes à côté de

la famille, ton sac à dos entre les jambes et puis tu discutes […] en même temps on peut pas être

à toutes les places on peut pas être copain de… » (Catherine, 53 ans).

La notion de juste distance est récurrente et détermine si le professionnel est apte ou non à travailler

dans le service. Un cadre précise également le fait que le travail ne consiste pas à animer un groupe

thérapeutique avec des activités manuelles, mais bien à prodiguer des soins relationnels auprès

d’enfants ou adolescents en difficulté. Confondre ces deux domaines : l’animation et le soin, est

également perçu comme une inadaptation au poste « donc le médecin indiquait prise en charge

pour untel pour voilà, donc y’en avait que ça allait et puis d’autres où je disais « là tu vois, tu

confonds un peu… t’es un peu centre aéré ». Enfin je veux dire on fait des activités avec des

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éducateurs mais y’a un objectif, donc « revois les objectifs… tu fais de la peinture et du découpage

c’est pourquoi ? c’est pas pour faire un joli tableau. On s’en fout. Donc voilà retravaille, reforme-

toi. » (Martine, 61 ans). Du savoir-être qui devient un vrai savoir-faire « on peut être dans

l’empathie et dire « écoutez on entend votre difficulté et votre souffrance et on va faire de notre

mieux pour vous recevoir rapidement », là on dit à la personne que on a entendu et qu’on va faire

de notre mieux, mais en lui disant « oh la la la la mais oui, alors je m’engage à vous donner, à

trouver quelqu’un ! » alors que vous n’êtes pas en position de ! » (Bilge, 46 ans).

Les cadres relatent combien cette posture professionnelle est déterminante pour être accepté et

intégré dans le secteur de la pédopsychiatrie et comment ils sont parfois amenés à suggérer une

reconversion ou une mobilité vers un autre service en réponse à la non-adaptation au poste. Cette

inadaptation peut se manifester aussi bien par le langage, le savoir, la posture, mais aussi la tenue.

En effet en milieu extrahospitalier, les soignants viennent travailler en civil et ont donc la liberté

de se vêtir comme ils l’entendent. Néanmoins on peut constater dans la partie suivante que cette

liberté est toujours une gageure face au conformisme groupal.

7.2.5 Une tenue professionnelle

« Parce que nous on travaille en civil en psychiatrie, parfois il peut se trouver qu’on n’a pas

forcément une tenue adaptée, hein, je pense notamment au petit tee-shirt court qui fait apparaitre

le petit piercing sur le nombril, euh bon […] avec la population des adolescents qu’on accueille

ça peut aussi faire émerger un petit peu différentes conduites sexualisées ou autre » (Stéphane, 39

ans, CDS). Bilge, cadre de santé, témoigne également sur l’échec d’intégration d’une infirmière

dont la tenue n’était pas en accord avec les attendus du service « J’ai une infirmière, elle venait en

talon aiguille au CMP si tu veux, habiller comme [inaudible], bon elle avait le physique mais tu

m’excuses mais je crois que t’es pas faite pour ce métier-là. ». Elle explique ainsi comment elle a

été amenée à l’accompagner vers une autre voie plus adaptée à son potentiel « donc je lui ai dit

« il faut peut-être que tu fasses un bilan de compétences, essayer de garder ton métier d’infirmière

comme ça en secours mais il faut que tu revoies de ce côté-là » car elle comprenait rien au travail

qu’on faisait. »

Nous pouvons observer au travers de ces nombreux exemples d’exigences normatives en quoi

l’équipe est fréquemment le dénominateur commun dans la validation ou l’invalidation d’un des

membres de l’équipe en pédopsychiatrie.

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7.2.6 Une validation par l’équipe

Les cadres abordent la notion de validation d’un nouvel agent par l’équipe avec dans le cas

contraire des exclusions ou des difficultés d’intégration majeures. Cette validation est

intrinsèquement liée au rite de passage. Une mise à l’épreuve conçue pour sonder la valeur d’un

membre de l’équipe à travers sa maitrise du savoir-faire attendu. Un pouvoir concentré au niveau

de l’équipe qui va venir influencer les décisions du cadre : « Et puis y’a un moment, on

accompagne, on soutient, puis tu vas travailler avec tes collègues et là tes collègues te disent « bah

non là je travaille plus avec elle hein, elle en fait qu’à sa tête elle écoute pas ce qu’on dit », euh

voilà. Donc ça tu reprends » (Martine, 61 ans).

Le médecin du service peut également avoir un pouvoir sur la décision de validation d’un membre

de l’équipe « parce qu’on avait aussi le corps médical qui avait pu remarquer des choses et qui

étaient très très frileux à lui confier des prises en charge, donc nous on a vu… y avait de

l’anticipation anxieuse chez cette personne, y avait un contre transfert massif aussi de certains

enfants notamment dans des situations de maltraitance » (Stéphane, 39 ans, CDS). Un des cadre

raconte également comment cette validation avait pu se jouer entre l’équipe et l’arrivée d’un

médecin « on avait quand même un médecin chef qui était là, mais tout le monde faisait référence

à ce médecin qui n’était plus présent là ! et j’ai compris après que si on n’arrivait pas à valider

ce médecin chef qui avait pris le relais, et qui était déjà là à l’époque de cet autre médecin, c’est

que lui, à son départ, il avait désigné son successeur qui a décliné l’offre » (Bilge, 46 ans, CDS).

La validation pourra être effective si elle réunit les facteurs tels que le langage (les acronymes sont

nombreux en pédopsychiatrie), le savoir avec la connaissance des courants qui ont fait évoluer la

pédopsychiatrie, la posture professionnelle avec la juste distance professionnelle et la capacité à

être dans le soin relationnel plutôt que l’animation et enfin la tenue adaptée c’est-à-dire attestant

d’une neutralité et d’une sobriété.

L’expérience en psychiatrie est également un atout pour être accepté comme le démontre

l’expérience de Bilge, cadre de santé « je faisais donc suite à un cadre qui sortait du diplôme de

cadre aussi et avec qui ça s’était pas bien passé, et qui s’était positionné en cadre, et qui n’avait

aucun parcours en pédopsy donc qui était invalidé d’emblée… donc de savoir que je venais de

pédopsychiatrie ça les a rassurés… et le médecin chef aussi, parce que du coup j’avais pas le

positionnement quand on me parlait de ci ou de ça, j’avais pas forcément besoin de décoder,

c’était un langage que je connaissais donc parce que on parle beaucoup en sigles en pédopsy,

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CAMSP machin, donc on parle beaucoup en sigle, donc tout ça c’était déjà du langage connu

donc j’avais pas besoin qu’on me réexplique les choses je savais où était ma place de cadre. ».

Ces multiples témoignages nous ont amené à distinguer un pouvoir groupal source d’un

conformisme en pédopsychiatrie. Nous allons désormais analyser si le pouvoir est invariablement

attribué à l’équipe mais aussi à quelle fin il est mis en œuvre.

7.2.7 Pouvoir et conformisme en pédopsychiatrie

Si nous avons pu constater que le pouvoir pris par l’équipe était utilisé pour conformer, les cadres

sont parfois amenés à utiliser leur pouvoir hiérarchique comme contre-pouvoir. En effet, la

majorité des cadres désapprouvent les lynchages récurrents concernant les dissemblances de

savoirs. S’ils suivent régulièrement les équipes lors d’invalidation concernant la posture

professionnelle « Il a été orienté vers la psychiatrie adulte, parce que de toute façon ça n’aurait

pas fonctionné, où que ce soit, avec les collègues parce-que ça devenait trop compliqué, ils

passaient leur temps à récupérer ses bourdes » (Catherine, 53 ans), ils ne cautionnent pas les

guerres de savoirs et peuvent mettre en œuvre leur pouvoir pour réguler le conflit patent. C’est

ainsi que Bilge, cadre de santé a du très vite « destituer ces piliers qui avaient instauré une espèce

de pouvoir, de contrepouvoir cadre ».

Un autre cadre se sert du pouvoir de l’équipe pour mettre en conformité un agent dont la tenue

était inadéquate « que ce soit des remarques de ces pairs, des fois c’est, moi j’aime bien quand y’a

une observation qui est faite par un soignant par son ou sa collègue. […] ça peut être pas mal que

ce soit la collègue sous réserve que ce ne soit pas un persécuteur identifié euh qui lui signifie »

(Stéphane, 39 ans, CDS). Le cadre n’interviendrait que dans un second temps si la mise en

conformité n’a pu être effective par pression explicite « si y’a pas la possibilité que ce soit le

collègue ou la collègue qui intervient là mon rôle en tant que cadre de santé est d’intervenir et de

rappeler un petit peu le […] le cadre, pour rappeler le mode vestimentaire adapté pour cette

situation ». Ce n’est plus une question de pouvoir mais une question d’autorité qui incombe au

chef de service c’est-à-dire le pouvoir d’imposer ses volontés à autrui (définition du Larousse).

On note que les équipes en pédopsychiatrie sont régies par des enjeux de pouvoir et que les cadres

doivent composer avec cette donnée « alors y a des personnalités hein, y’a toujours des gens qui

veulent prendre le pouvoir. Euh y’a des vues différentes voilà. Donc ça faut toujours être vigilant

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car une équipe n’est jamais apaisée. Jamais. Ça j’ai mis du temps à le comprendre… » (Martine,

61 ans). Nous pouvons relever qu’en réponse, les cadres utilisent à leur tour leur pouvoir pour

créer une dépendance avec les soignants en leur autorisant par exemple d’arriver plus tard ou en

leur permettant d’aller à une consultation personnelle sur leur temps de travail. En échange les

cadres attendent d’eux une disponibilité. Les soignants qui ont bénéficié de privilèges se sentent

redevables. C’est ainsi que les cadres peuvent alors exercer une pression sur les agents du service.

« Je leur accorde très souvent leur jour, pourquoi ? parce que je me dis si je leur accorde pas ils

vont me péter un arrêt maladie, au lieu d’avoir une journée d’absence, je vais en avoir 8 et euh

ça j’en ai pas envie, euh… autant arranger les gens et du coup quand tu leur demandes quelque

chose ils sont plutôt partants » (Véronique, 59 ans).

Alors que les équipes ont des attentes concernant les professionnels avec qui ils travaillent, les

cadres ont aussi des critères précis liés à la psychiatrie. Sans s’être concertés sur la question de

l’idéal du professionnel en pédopsychiatrie, les attentes relevées sont uniformisées. Nous allons

les détailler ci-dessous.

7.2.8 Les attentes uniformisées du cadre en pédopsychiatrie

Les cadres interrogés se sont exprimés sur le fait qu’ils n’étaient pas acteurs du recrutement et que

de ce fait ils recevaient les professionnels tels qu’ils étaient et ne s’autorisaient pas à avoir d’attente

ou d’idéal liés à la spécialité. « Voilà « vous allez recevoir madame truc », ben d’accord hein. Et

puis même… et puis même, je trouve que l’entretien c’est un peu un jeu de dupes, enfin quand tu

vas à un entretien tu montres ton meilleur profil, le meilleur de toi-même donc voilà, donc tu vas

pas dire « oh bah non ça ça me plait pas », donc tu prends les gens comme ils sont. » (Véronique,

59 ans).

Néanmoins même si à priori ils n’ont pas voulu définir leur idéal, ils ont décrit au détour des

entretiens un portrait du « bon professionnel » en pédopsychiatrie. Nous l’avons étudié en

première partie, il s’agit tout d’abord de la posture à laquelle ils sont attachés. Elle permettrait de

prendre la distance nécessaire vis-à-vis des situations « il faut quand même quand on travaille chez

les enfants, d’être assez solides et de pouvoir mettre de la distance, ce que je vais appeler avoir

de la distance c’est ne pas coller à… euh on peut avoir de l’empathie mais pas coller ou foncer

dans le tas… » (Bilge, 46 ans).

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La question de pouvoir « se décaler » (expression utilisée à de nombreuses reprises dans les

entretiens) est centrale. Compte tenu du fait que les professionnels sont pour la plupart des parents,

le risque de transfert/contre transfert est élevé en pédopsychiatrie. Comme nous l’avions étudié

dans le contexte c’est un fait qui déstabilise les soignants et peut être une des causes de mobilité

volontaire ou non dans l’établissement. « Mais en pédopsychiatrie on rencontre quand même des

situations je pense, bah des situations de maltraitance par exemple, soit d’ordre sexuel, physique,

institutionnelle, très très très lourde… […] euh c’est pas simple à recevoir tout ça, je dis ce qui

est important à avoir en tête, on est d’accord, c’est toi en tant que professionnel qui est attaqué,

c’est pas toi en tant que personne » (Stéphane, 39 ans).

On peut constater que les cadres font aussi référence à leurs propres valeurs professionnelles pour

déterminer leurs attentes « ben je dirais déjà le respect de la personne. On est là pour la personne

en souffrance avant tout. […] Il faut être courageux aussi, je supporte pas la fainéantise… les

retards… partir en avance… » (Chantal, 57 ans) et « Bah l’éthique. C’est quelque chose auquel je

suis très attachée, on a un droit de réserve aussi » (Géraldine, 57 ans). Le respect des règles

professionnelles est évoqué plusieurs fois avec la ponctualité, le respect du secret professionnel et

le devoir de réserve « on est dans l’hôpital public donc le respect du service public, les valeurs en

lien avec les règles professionnelles » (Sophie, 41 ans).

Le fait de pouvoir travailler en équipe et donc d’être accepté et validé par cette équipe serait aussi

un critère pour les cadres même s’ils expliquent mettre en œuvre un accueil individualisé et soigné

pour chaque nouvelle recrue. « Donc ça veut dire qu’il y a une base minimum que je demande.

Qui est effectivement l’observation. Être capable d’observer, de mettre des mots, être capable de

reparler de son travail, de travailler, d’accepter de travailler avec la collègue. Parce que

travailler en binôme, tout le monde pense que c’est facile, que c’est quelque chose qui est aidant,

mais non, travailler sous le regard de l’autre c’est toujours compliqué. » (Martine, 61 ans). Cela

rejoint les exigences groupales qui induisent un conformisme en pédopsychiatrie où le langage

« mettre des mots » et le savoir « être capable de reparler de son travail » sont déterminants pour

être validé. Car comme l’explique ce dernier témoignage, le travail en pédopsychiatrie est basé sur

la mise en place d’ateliers thérapeutiques. Ils sont menés généralement à deux professionnels. La

notion d’évoluer constamment sous le regard de l’autre et d’être évalué par ses pairs ou le supérieur

hiérarchique est présente « quand on est en réunion et qu’on reparle d’une situation, la posture,

la façon dont on parle de la situation, je vois tout de suite si y’a… voilà et puis pour certains

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agents, enfin y’en a pas beaucoup hein, y’en a plus qu’une là qu’est un peu sous mon regard… »

(Martine, 61 ans).

Pour conclure, les attentes du cadre vont venir se calquer sur les exigences groupales (langage,

savoir, posture, tenue) car un professionnel qui dysfonctionne viendra impacter le fonctionnement

des groupes et des binômes. Les cadres expliquent comment les équipes finissent par refuser de

travailler avec tel ou tel membre de l’équipe, aboutissant ainsi à un rejet collectif. C’est la mise en

œuvre d’un rapport de force larvé à travers l’exclusion du déviant. L’accompagnement du cadre

se fera donc plutôt sur une mobilité vers un autre service, que dans un accompagnement sur le

terrain. On retrouve une forme de violence dans ce qui joue au sein des différents services de

pédopsychiatrie où des rapports de domination peuvent avoir lieu. Selon Genel « le pouvoir

impose sa force en se présentant comme légitime » (2009). Le cadre se plierait ainsi à la pression

de conformité groupale.

Les difficultés susceptibles d’être sources de déviance en pédopsychiatrie seraient :

• Se sentir attaqué par les enfants (beaucoup d’enfants autistes ou ayant des troubles du

comportement sont accueillis et peuvent se montrer agressifs)

• Les processus psychiques de transfert et contre transfert, avec notamment l’identification

aux problèmes de l’enfant pris en soin.

• Trouver la juste distance dans son implication au travail

Il est donc admis que les cadres sont en connivence avec les processus de conformisation inhérents

aux postures. Toutefois nous pouvons observer une divergence d’opinion sur les guerres de

savoirs. Les managers se positionnent autrement et peuvent procéder cette fois à l’exclusion de

personnes détenant le savoir parce qu’elles représenteraient une menace pour leur propre pouvoir.

Selon Crozier et Friedberg, « le pouvoir nait du besoin de maitrise de la zone d’incertitude »

(1977). C’est ainsi que dans les guerres de savoirs, les meneurs seraient invités à changer de

territoire. En effet au-delà de la question du savoir, il est question de guerre de territoire. Toute

société humaine existante cherche à préserver son territoire ou à l’élargir. C’est ainsi qu’une cadre

de santé relate comment un soignant s’était approprié un bureau alors qu’elle-même n’en avait pas

sur le site. Pour garder son pouvoir et sa légitimité dans le poste, le cadre est amené à encourager

des départs. Au regard de ces premiers résultats sur la conformité en pédopsychiatrie, nous

pouvons nous demander comment le cadre fait vivre la cohésion au sein de l’équipe

pluridisciplinaire.

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7.3 La cohésion d’équipe

« Une équipe n’est jamais apaisée. Jamais. Ça, j’ai mis du temps à le comprendre… je

comprenais pas pourquoi après chaque vacances c’était le bazar, mais je crois que les gens,

voilà ils ont besoin de ça. » (Martine, 61 ans).

En dépit d’un contexte hyper-normatif, la cohésion d’équipe, lorsqu’elle est présente, constitue

une force pour le collectif et est un bénéfice direct pour l’usager. Nous allons analyser comment

cette cohésion est fragile en pédopsychiatrie et peut à tout moment basculer dans la violence tacite

du collectif. Nous analyserons comment le cadre, à l’aide de leviers, permet la coopération entre

chaque membre de l’équipe.

7.3.1 Une cohésion d’équipe fluctuante

Un cadre évoque en entretien des situations où la cohésion d’équipe était fluctuante en raison de

la charge de travail. En pédopsychiatrie, les prises en charge peuvent être lourdes lorsqu’elles

renvoient à des situations de maltraitance, d’abus sexuels ou encore d’abandon « et puis des

équipes fatiguées. C’est pour ça que on est très vigilant à ce qu’ils prennent leur repos

compensateur, à prendre les congés, faut être vigilant à ça, car on est quand même un puit sans

fond. Les gens ils se reçoivent dans la tête des trucs pas faciles » (Martine, 61 ans).

La cohésion peut aussi varier en raison de personnes nommées « défaillantes » : « si y’a pas les

bases solides, si un des éléments est un peu défaillant à un moment donné et ben l’ensemble

s’écroule » (Stéphane, 39 ans). Plusieurs cadres font appel à des situations où la cohésion était

mise à mal par la déviance d’un des soignants de l’équipe. Il y a notamment la situation d’une

jeune infirmière qui venait d’intégrer le service et maitrisait faiblement les règles de sécurité en

pédopsychiatrie. L’équipe s’est emparée de cette situation pour mettre à l’écart l’infirmière. Des

tensions sont apparues et la cadre de santé raconte comment elle est intervenue pour réguler et

maintenir la cohésion dans l’équipe : « Y’a quelque temps de ça, toujours avec le petit Éric, il

l’avait occupé à lui faire faire un déguisement, une cape de Zorro, et moi en effet je l’avais vu

circuler avec sa petite cape, il était content etc, et euh, aux transmissions, euh non, dans les

couloirs j’entends « mais ça va pas elle est complètement cinglée d’avoir fait ça c’est dangereux

etc… », […] et puis une fois je sors et je dis « mais tiens vous parlez de quoi là ? » et puis

j’apprends que du coup une collègue, une jeune infirmière, qui avait du coup initié cette activité,

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avait tellement bien travaillé que du coup elle avait fait un…, une petite cordelette si tu veux pour

attacher cette cape, qui était tellement solide, que si le gamin on l’attrapait par derrière, il pouvait

s’étrangler. […] Alors plutôt que de trouver directement l’agent et lui dire « bah ce que tu as fait

c’est pas bien », je l’ai amené tranquillement aux transmissions, en disant « j’ai cru comprendre

que », valorisant le travail qui avait été fait, parce que l’intention était bonne […] et ça c’est le

fruit si tu veux d’un débat qui commence de façon houleuse, parce qu’on a plutôt tendance à

incriminer celui qui a initié » (Géraldine, 57 ans).

On remarque que cette cohésion est dépendante de la volonté du cadre. Si celui-ci décide que le

risque pris est trop important, à ce moment le professionnel rentre dans la déviance et sera exclu.

Or ici, le cadre met l’accent sur le versant pédagogique en retravaillant la notion de sécurité en

équipe. Elle se sert des erreurs pour renforcer les connaissances des soignants, et au-delà de ça

renforcer la cohésion. Elle ajoute dans son témoignage que cette volonté d’inclure est liée à la

tolérance et à la bienveillance à l’égard des professionnels « On est tous amenés dans notre

carrière à prendre des décisions, à faire des choses dont on mesure pas forcément ou la

dangerosité ou l’impact que ça peut avoir, […] mais après si on se tire à boulets rouges toute la

journée c’est sûr on va pas y arriver, faut de la bienveillance entre professionnels, si on n’est pas

capable de ça, faut peut-être faire un autre métier ».

La même cadre avance que les situations douloureuses viendraient renforcer la cohésion d’équipe

comme la prise en soins d’enfants ayant vécu des situations dramatiques ou des histoires de vie

difficiles touchant leurs propres collègues. « Alors c’est dans des trucs très graves en fait, ils se

sont mobilisés autour d’un jeune gamin qui avait un vécu abandonnique, qui avait une histoire de

vie très complexe où ce jeune garçon s’est retrouvé dans un état un peu… quand tu vois des

reportages sur la Roumanie, les enfants de Ceausescu tu vois,… où il s’est retrouvé en chambre

d’attention, où du coup il faisait pipi par terre, il étalait sa merde sur les murs, etc… ils se sont

particulièrement mobilisés pour faire en sorte que ce gamin il retrouve un…, qu’il marche, qu’il

mange, et qu’il rit, qu’il joue, qu’il retrouve de la dignité, ce qui a été le cas mais ça a été…, ça…

ça a soudé l’équipe. » (Géraldine, 57 ans).

Une autre cadre raconte comment elle a destitué deux piliers de l’équipe qui manifestement

exerçaient un pouvoir au sein du service dans une tonalité négative en étant réfractaires aux projets.

Cette destitution aurait eu un impact sur la cohésion d’équipe. Les soignants étaient partagés entre

le désir d’avancer dans les projets et leur loyauté envers leurs collègues « Ils ont supporté les

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pleurs, […] les autres, l’équipe, étaient d’accord mais ils le payaient face aux pleurs de leurs

collègues et ils leur disaient que les patients le ressentaient ». (Chantal, 57 ans). On observe dans

cette situation que le principal impacté demeure l’usager.

La cohésion d’équipe est parfois telle que des omerta naissent autour de pratiques déviantes. Un

cadre explique comment un infirmier s’autorisait à donner des somnifères aux patients la nuit pour

les faire dormir et comment elle a du lever ce problème en cassant la cohésion « t’en paie le prix

auprès des équipes faut le savoir… Même si c’était une pratique inconvenante ? Ah oui… parce

que souvent les équipes étouffent. Les équipes, elles ont plutôt tendance à s’entraider dans le

meilleur comme dans le pire » (Géraldine, 57 ans).

Une des cadres l’a vécu en tant qu’infirmière et évoque comment les collègues l’incitaient à couvrir

un professionnel « Ah oui ça je l’ai vécu et ça plus jamais… quand tu passes ton temps à surveiller

ton collègue pour savoir si il a pas boulotté tous les trucs à la pharmacie, ah non ça c’est bon

hein… Arrêtons et quand on te dit « mais non t’es en psychiatrie tu peux quand même pas attaquer

ton collègue tout ça », ah oui ? et moi j’ai le droit d’aller mal ? si on se met tous à déconner

comme ça. C’est quoi ça ? non, on est des professionnels. » (Martine, 61 ans).

Alors que la cohésion dans l’équipe est toujours sur le fil, tantôt mise à mal par les changements

et tantôt renforcée par les grands malheurs, les cadres ont chacun donné leurs leviers qui

favoriseraient la coopération dans l’équipe.

7.3.2 La convivialité comme levier de coopération

La convivialité revient dans plusieurs entretiens et seraient l’un des plus grands leviers de

coopération. Prendre le café avec les professionnels permettrait de créer du lien et par ce biais le

cadre aurait l’opportunité de se tenir informé sur la vie d’équipe. « Prendre un moment le matin

avec l’équipe, de prendre le café, de discuter de choses et d’autres, […] bon parfois c’est en lien

parce que on a une situation complexe et qu’on a besoin de tous en discuter de manière à soulager

chacun des acteurs qui pourraient se retrouver en prise directe avec quelque chose de pas facile

à gérer, […] et puis des moments où quelqu’un va raconter son weekend ou je ne sais quoi mais

l’idée c’est de favoriser ces échanges-là en confiance des uns et des autres » (Catherine, 53 ans).

Ici nous distinguons les bienfaits de la pause au travail. Sujet étudié par l’ethnologue Anne Véga

dans une enquête de terrain à l’hôpital qui dit que « lors des pauses, il s’agit moins de manger, de

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boire et de fumer que de parler pour activer les réseaux de solidarités, des formes de sociabilités

et des conflits entre acteurs, particulièrement développés à l’hôpital. La liberté de parole durant

ces temps de bavardages et de cancans permet la transgression des hiérarchies professionnelles

(cadres infirmiers, médecins) » (2004, p 139). Lors de mon enquête, j’ai pu observer les cadres

prendre part aux pauses café et aux repas en équipe. Il était effectivement question de vie

domestique mais c’était aussi l’occasion de régler un conflit naissant. Un cadre avait accepté un

adolescent dont la liaison avait été effectuée avec le service adulte, il n’était donc plus question de

l’accepter dans le service. La pause avait été l’occasion de retravailler cette erreur et d’éviter que

l’incident prenne de l’ampleur.

Un des cadres regrette que le contexte de la pédopsychiatrie soit sérieux au vu des situations

rencontrées et la pause serait selon lui essentielle pour que les soignants puissent déposer des vécus

difficiles ou tourner à la dérision des situations pour mettre la distance requise à l’exercice « quand

dans les équipes y’a de gros conflits en général les patients le perçoivent très rapidement, donc

[…] dans ma formation cadre j’ai rencontré un certain nombre de personnes mais dont cette

directrice des soins avec qui j’ai eu vraiment des bonnes accroches, et qui me dit « mais moi je

suis sidérée de voir que dans les hôpitaux, les équipes ne s’autorisent pas à rigoler, à se laisser

aller » enfin se laisser aller, toutes proportions gardées, mais beaucoup de retenue… » (Stéphane,

39 ans).

La plupart des cadres participent aux pauses dans leur service et justifient leur présence en arguant

qu’en pause il peut y avoir certes des conflits désamorcés mais aussi des règlements de compte en

lien avec la pression de conformité détaillée dans la première partie de l’analyse « Moi le matin,

je sais pas si tu as remarqué, je suis jamais avec eux au café. C’est pas parce que je bois pas de

café, parce que je pense que l’équipe elle a pas besoin qu’on soit derrière eux tout le temps. Les

gens ont besoin de se retrouver. Mais par contre y’a une époque où je déjeunais presque plus avec

eux parce que je trouvais que bah les gens ils avaient peut-être envie d’être un peu… et puis en

fin de compte j’ai repris ça […] parce que et ben il se disait des choses et il se réglait des choses

entre eux qu’étaient pas très sympas. Donc du coup le fait de la présence du cadre amène un peu

de retenue et évite les lynchages ou les choses comme ça » (Martine, 61 ans).

Une cadre de santé relate le rôle de la nourriture dans la convivialité au sein de son service et décrit

comment l’institution est venue entraver ce fonctionnement habituel avec un impact défavorable

sur la cohésion d’équipe. Alors qu’elle devait fermer l’hôpital de jour pour mettre en place une

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journée dédiée aux synthèses en équipe avec le partage d’un repas où chacun apporte une

spécialité, la fermeture a été refusée « On partage le repas et on partage un moment de vie tu vois,

sauf que, sauf que je sais pas si j’ai merdé, je sais pas ce qu’il s’est passé, quand tu fermes l’hôpital

de jour tu demandes une autorisation donc j’ai fait un courrier que j’avais fait les autres années,

mais bon cette année ça n’est pas passé, j’ai mis au directeur « je vous informe que », « JE VOUS

INFORME QUE » […] je vous demande la permission de… » (Véronique, 59 ans).

Alors que nous venons d’analyser la place de la convivialité au sein des équipes pour faire vivre

leur collaboration au sein du service, nous allons maintenant aborder les autres leviers de

coopération proposés par les cadres interrogés.

7.3.3 Le rôle du cadre déterminant dans la cohésion d’équipe

Au travers des différents entretiens j’ai pu distinguer que le cadre avait un rôle de facilitateur dans

les relations interpersonnelles et mettait en œuvre des facultés relationnelles pour aider les équipes

à résoudre leurs conflits.

Deux cadres abordent la notion de « conflictualiser » en réunion avec pour objectif que l’équipe

échange sur ses difficultés et puisse se permettre d’évoquer celles-ci « moi quand je suis arrivée,

j’ai institué une réunion d’équipe hebdomadaire le jeudi avec des informations descendantes et

avec également le fait que les difficultés puissent être exprimées en réunion d’équipe, du coup

dans la mesure du possible pour arriver à un sens commun au travail, qu’on travaille avec les

jeunes dans la même direction. Parce-que en plus à l’adolescence si on n’est pas d’accord sur la

méthode de travailler, c’est déjà compliqué l’adolescence » (Géraldine, 57 ans).

Cette capacité à conflictualiser permettrait de libérer la parole « les gens commencent à évoquer

les difficultés, et c’est là que tu t’aperçois que y’a des désaccords, et quand ils sont exprimés les

désaccords déjà t’as gagné 90% de la partie, parce qu’après justement le travail va se faire de

soi » (Géraldine, 57 ans). « Je crois que la pire des choses c’est de laisser traîner les choses…

c’est de laisser trainer le pourrissement donc il faut conflictualiser… là y’a un problème, qu’est-

ce que c’est ? » (Martine, 61 ans).

Les cadres facilitent le travail des soignants en les plaçant dans des situations qu’ils maitrisent de

préférence. Les soignants des unités extrahospitalières ont ainsi la possibilité de choisir le public

avec lequel ils sont le plus à l’aise. Tenir compte de leurs appétences permet d’organiser le travail

d’équipe en fonction du potentiel de chacun. « Par exemple vous avez des infirmiers qui vont aimer

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travailler avec des ados, d’autres plus avec les petits, voilà, de par leur formation professionnelle,

de par l’attrait qu’ils ont, y’en a qu’ont beaucoup de mal avec les autistes, d’autres qui vont

vouloir travailler qu’avec les autistes, alors moi je fais un peu par compétences » (Bilge, 46 ans).

Mais avant de reconnaitre en chacun les compétences qui permettrait une meilleure entente des

éléments dans l’équipe, le cadre explique comment il a dû affirmer sa place pour gagner la

confiance des soignants. Occuper cette place de cadre s’est résumé à l’acte de repousser l’élément

déviant qui cherchait à prendre le pouvoir au sein de l’équipe. « Dans le sens où il pouvait plus

régner, il avait plus cette prestance qu’il avait dans le truc… moi je peux te dire après coup mais

sur le moment ça a été très difficile quand même et hum voilà… et à partir du moment où l’équipe

a vu que je faisais ce que je disais, ça a été des leviers… y a une confiance qui s’est installée. »

(Bilge, 46 ans).

Toujours dans ce rôle de facilitateur, un cadre explique comment il tolère les retards des soignants

pour faire fonctionner « la mécanique » du service. Un cadre donne d’ailleurs cet exemple pour

illustrer son rôle dans l’équipe « Je verrais bien un rouage, enfin deux roues crantées qui voilà…

qui s’actionnent » (Catherine, 53 ans). Faciliter le travail des soignants serait basé sur une

négociation entre les agents et le cadre. Ces ajustements découlant de la temporalité des acteurs

constitueraient des leviers fondamentaux « ça a pas été possible avec le premier cadre sup mais

avec le deuxième ça a été possible de négocier avec. Y’avaient des agents qui arrivaient

systématiquement en retard, ben à un moment donné j’ai dit faut arrêter d’être con quoi, si

t’arrives pas à 9h, ben arrive plus tard et puis point barre, on dit que tu commences à 9h30 et puis

c’est tout. Vous avez pas besoin d’être tous au garde à vous là à 9h00. Et ben ça par contre ça a

été un levier parce qu’après quand t’as besoin, ben les gens ils se sentent un peu redevables. »

(Martine, 61 ans).

La redevabilité a été abordée dans une autre partie au sujet du pouvoir que détient le cadre en

créant un lien de dépendance avec les membres de l’équipe. Au-delà de ce lien de dépendance,

elle viendrait créer de la souplesse dans une organisation hyper-normative et constituerait une

marge de manœuvre pour huiler un système parfois étouffant. Ce serait une forme d’intelligence

rusée mettant en œuvre la créativité du cadre pour permettre la cohésion dans l’équipe.

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7.3.4 Une déviance qui fragilise les collectifs

Si toutefois les équipes participent à l’exclusion des soignants déviants, plusieurs cadres ont

témoigné sur le fait qu’ils accueillaient régulièrement des professionnels issus du secteur

hospitalier étranger à la psychiatrie (tel que la médecine, la chirurgie ou l’obstétrique) dans le but

de les inclure. Ce serait donc sous la forme d’une seconde chance que les intégrations de personnel

refoulé de l’hôpital général se dérouleraient en psychiatrie « Et puis je ne crois, très honnêtement,

je pense que c’est quelqu’un qui a été gentiment éconduit du CH et qu’on a dû lui trouver une

porte de sortie et que la psychiatrie a quand même, voilà, on peut s’imaginer qu’on peut mettre

tout et n’importe quoi mais qu’on peut mettre plus aisément quelqu’un qui serait pas dans la

capacité de travailler » (Catherine, 53 ans). Ce cadre explique comment une mutation autoritaire

induit un regard biaisé porté sur l’agent de la part de l’équipe mais aussi du cadre lui-même. C’est

l’effet Pygmalion, basé sur une étude de Jacobson Rosenthal qui démontre comment le regard

d’une personne A et ses intentions sont perçus et vont venir influencer le comportement d’une

personne B (Lecomte, 2019, p38). Ce concept rejoint celui de Becker sur la déviance qui induit

d’emblée le changement de regard des collègues portés sur le soignant en marge. La déviance se

répétera car le regard demeurera négatif.

Pour illustrer cet exemple, la cadre de santé explique comment l’arrivée de ces professionnels a

pu entraver la cohésion dans l’équipe « deux personnes qui avaient été euh mutées dans cette

équipe de manière autoritaire, donc ils sont arrivés dans un contexte on va dire pas très serein. Et

qui du coup se sont inscrits plus ou moins facilement dans l’équipe et qui ont pu, au travers de

leur fonctionnement, mettre en difficulté l’équipe par rapport justement à cette histoire de

cohésion » (Catherine, 53 ans).

Plusieurs cadres évoquent des situations où ils ont été un temps un lieu d’accueil pour les infirmiers

écartés avec pour la plupart des expériences douloureuses où l’intégration n’a pu être validée au

regard de leur déviance « C’est quelqu’un que j’ai connu moi à l’hôpital d’A, elle était infirmière

puer en chir pédia. Elle est venue travailler au service B du CH. Ça s’est pas très bien passé, elle

est allée travailler au service C, ça s’est pas bien passé, et on m’a demandé si je voulais bien la

prendre dans mon équipe, j’ai dit oui. D’accord, donnons-lui sa chance. » (Martine, 61 ans). Dans

l’entretien on apprend que son intégration s’est mal déroulée et que les soignants ont fini par

refuser de travailler avec la personne considérée comme déviante. Le cadre n’a eu d’autre choix

que de l’exclure pour préserver la cohésion de l’équipe « Et puis au bout d’un moment et ben on

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lui a signifié que « c’est peut-être compliqué pour toi de travailler en psychiatrie de l’enfant ». Et

ça a été compliqué avec la médecine du travail, et elle est allée voir les collègues syndiqués, on

leur a dit « mais on fait quoi ? Elle y arrive pas ». Donc moi je lui ai dit avec mon collègue : « tu

ne peux pas travailler dans ce pôle » ». (Martine, 61 ans). Cela rejoint le témoignage d’un autre

cadre qui observe que lorsque l’intégration ne s’est pas bien déroulée dans un service, l’individu

répète un scénario de déviance et revit l’exclusion qui en découle : « alors sans que ça soit

intentionnel, mais avec quelque chose qui se reproduit dans les fonctionnements… ou des

tentatives de reproduire des choses donc là c’est un peu compliqué quand même » (Catherine, 53

ans).

Il ressort des entretiens que ces situations d’intégration forcée, concernant des personnes ayant des

antécédents laborieux dans le travail, ont eu des répercussions sur l’équipe « mais du coup quand

t’es une toute petite équipe et que tu as tout ce que tu as à gérer […] les gens ont commencé à se

fatiguer aussi, parce que du coup tout le temps le même réceptacle, donc tu fais tu fais, et puis on

a dû faire ça cinq sept ans, et puis après j’ai dit on arrête, qu’on voit un peu ailleurs aussi… donc

là du coup on n’est plus sollicité […] donc là on va dire que c’est une équipe qui, alors avec ces

différents arrêts aussi, qui est en reconstitution, se redistribue ». (Catherine, 53 ans).

En contrepartie, trois cadres évoquent des situations où des professionnels non formés à la

psychiatrie, ont malgré tout réussi leur intégration. Mais celle-ci a pu se faire d’une part grâce à

l’intervention du cadre (situation de Géraldine au sujet de la cape de Zorro) et d’autre part en raison

de la conformisation de l’individu par une pression d’identification, à savoir le fait d’intégrer les

valeurs du groupe qui attire le soignant « parmi les deux personnes dont je t’ai parlé tout à l’heure

qui étaient venues contre leur gré, une ça lui a permis de faire ses études de psycho et du coup

d’aboutir […] je trouve que vraiment y’a des gens qui ont du potentiel, qui ont pu, ouai le terme

de rebondir je trouve que c’est important parce que y’a quelques années ouai on avait reçu une

aide-soignante qui venait du service G, qui avait une maladie grave, donc il s’agissait qu’elle

revienne dans le domaine professionnel mais plus dans le domaine où elle exerçait avant, donc en

pédopsychiatrie elle y connaissait rien. […] c’est quelqu’un qui a, qui a pu réaborder le domaine

du travail concrètement, qui a pu cheminer » (Catherine, 53 ans).

De ces témoignages de cadres de santé, nous pouvons relever que l’accueil d’une personne connue

comme déviante dans un service extérieur a des conséquences sur la cohésion d’équipe. Ces

conséquences seraient une charge de travail plus élevée (avec le fait de rattraper parfois les

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erreurs), des dissensions dans les binômes altérant le travail auprès de l’usager (avec la notion que

les soignants finissent par refuser de travailler avec le soignant déviant) mais aussi la

démonstration de lynchage en salle de pause ou de pression de conformité lors des réunions

cliniques où les professionnels exposent leur situation.

Ainsi, nous pouvons distinguer deux formes d’exclusion :

- L’exclusion par l’équipe, influençant ainsi le cadre qui finira par trancher et décider d’un

rejet du sujet. Il fera appel à l’institution pour déplacer le soignant vers un autre service.

- L’exclusion par le cadre lorsque celui-ci se sent en danger dans l’exercice de son pouvoir.

Dans ce cas de figure, l’équipe peut adhérer si elle se sent persécutée par le sujet qui serait au cœur

d’une guerre de savoirs mais à l’inverse l’équipe peut être profondément touchée par cette

exclusion en raison de sa loyauté vis-à-vis du collègue. Plusieurs témoignages de cadres nous ont

démontré en quoi les équipes pouvaient être soudées dans le meilleur comme dans le pire avec le

fait de passer sous silence des fautes lourdes de la part d’un pair. Aussi, même si l’équipe adhère

à l’exclusion d’un professionnel, celle-ci peut se sentir en danger par la démonstration de l’autorité

du cadre. Cela fragilise le collectif par l’envoi d’un message fort : si vous n’êtes pas conformes

aux attentes, vous pouvez être déplacé dans un autre service. « Mais il faut rassurer l’équipe, à

l’aider à pas sombrer. Par rapport aux autres collègues qui sont pas adaptés, qui ont mis à mal

les équipes, euh alors ça peut faire réfléchir certains qui se disent « oh lalala si les cadres ils nous

tolèrent plus ben ils nous virent » moi je l’assume, j’assume… » (Martine, 61 ans).

Dejours a décrit comment la peur pouvait être un ressort pour diriger les équipes tout en entretenant

un climat de suspicion (2008, p119). Il la classe dans la catégorie de « la peur relative à la

dégradation du fonctionnement mental et de l’équilibre psychoaffectif ». Elle résulterait de

« l’intoxication des [relations psychoaffectives] par la discrimination et la suspicion » (2008,

p120).

En réponse à cette déviance, le cadre intervient en prenant des sanctions que nous allons aborder

dans le paragraphe suivant.

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7.3.5 La sanction en réponse à la non-conformité

La sanction arrive quand le rejet devient collectif, il y a une forme d’adhésion de l’ensemble de

l’équipe pour exclure un sujet.

Nous l’avons vu plus haut, un des cadres évoque comment il utilise le groupe pour mettre en

conformité un sujet qui dévierait de la norme. Il n’intervient qu’en seconde intention lorsque le

sujet persiste dans sa déviance.

Une forme de sanction utilisée à l’encontre d’une personne déviante de l’équipe de jour consisterait

à attribuer des tâches considérées comme ingrates. Nous avions retenu que le soin relationnel en

psychiatrie était une tâche noble car elle faisait partie du cœur de métier des agents travaillant dans

ce secteur « Là, on a un problème de pharmacie, ça pèse à tout le monde cette satané pharmacie,

on a une petite pharmacie ici, mais bon faut quand même s’en occuper » (Martine, 61 ans). Il

arrive donc que les cadres occupent les professionnels à des activités non valorisées comme

l’approvisionnement de la pharmacie (rangement, vérification des dates de péremption) en réponse

à un comportement inapproprié. À noter que dans la majorité des services hospitaliers la gestion

du stock de pharmacie est souvent dévolue et reléguée aux équipes de nuit qui auraient davantage

de temps à consacrer au rangement « il était jamais seul pour une prise en charge donc ce qui veut

dire que, parce que bon en théorie même les jeunes professionnels, alors ça peut être deux fois

trois fois ou un peu plus en binôme, ils sont à même de prendre des situations individuelles, mais

là il était clairement impossible, je ne pouvais l’occuper qu’à la pharmacie » (Catherine, 53 ans).

Il peut arriver que les reproches soient abordés en entretien individuel afin de faire prendre

conscience à l’agent son hypothétique déviance « J’ai profité de l’évaluation annuelle pour dire

un peu les choses aux gens…à l’époque j’ai fait comme ça, aujourd’hui je ne ferais plus comme

ça… je n’attends pas l’évaluation annuelle pour leur dire les choses, bon j’étais jeune diplômée

[…] ben ça a été un gros choc, à tel point que mes collègues ont pu me dire… « ouai si on a laissé

les choses s’installer c’est aussi un peu notre faute », dans le sens où on a jamais osé dire les

choses clairement comme tu les as dites. » (Bilge, 46 ans).

L’exclusion ne demeure pas moins la forme la plus utilisée en réponse à la non-conformité avec

les phénomènes de lynchage et de boucs émissaires (comme abordés précédemment dans les

guerres de savoirs), mais aussi par la mutation des agents vers d’autres services. Chaque cadre

nomme pudiquement ce rejet avec des expressions comme « on les invite », « on les oriente »,

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« on les encourage ». Autant d’expressions utilisées pour un processus commun « du coup c’est

nous qui l’avons encouragé, nous, c’est parce que c’était quelqu’un qui était euh en affectation

sur une autre structure en bi affectation où elle était aussi en difficulté donc euh… voilà, il

s’agissait de pouvoir lui faire prendre conscience que c’était peut-être pas le bon service euh pour

elle. » (Stéphane, 39 ans).

7.3.6 La question du turnover et de l’absentéisme

Après étude des entretiens, nous pouvons nous apercevoir qu’il y a peu d’arrêts maladie en

psychiatrie de l’enfant à l’inverse de son voisin adulte. Les seuls arrêts maladies seraient des

congés enfants malades pris à la marge « Alors t’as des gens qui sont malades, j’ai des certificats

enfant malade… des arrêts maladies ? pas plus que ça […] J’ai l’impression que y’a pas

beaucoup d’arrêts en psy. Oh si en psy y’en a beaucoup… tiens ce serait bien que t’aille en service

adulte » (Véronique, 59 ans).

L’hypothèse avancée par les cadres de santé serait que les professionnels de pédopsychiatrie

bénéficient de nombreuses formations, ce qui les fidéliserait sur le long terme et limiterait les arrêts

maladies pour souffrance au travail « alors faudrait s’appuyer sur des statistiques, je les ai pas,

mais peu de mouvements, peu de turnover au sein de nos services, pour plusieurs raisons, déjà on

a des personnels qui sont quand même j’ai envie de dire bien qualifiés, qui ont eu quand même

des processus de formation assez denses pour travailler en pédopsychiatrie […] le fait d’avoir ces

formations ça te fait rester dans le secteur d’activité » (Stéphane, 39 ans).

Le turnover serait limité du fait des spécificités du secteur qui nécessiteraient un laps de temps

conséquent pour « se les intégrer » (Oberlé, 2012). « Chez les enfants non, y’en a moins que chez

les adultes. Alors j’ai du turnover dans le sens où je pense que c’est des erreurs de parcours. Mais

bon si on regarde sur les années, ça fait pas tant que ça. Y’a quand même des gens qui restent

longtemps, très longtemps en pédopsy. Parce que pour repérer déjà le fonctionnement en pédopsy,

c’est au moins un an de présence. » (Bilge, 46 ans). De plus dans le secteur extrahospitalier,

plusieurs cadres abondent dans le fait que les soignants ont une grande marge d’autonomie et

peuvent exprimer leur créativité « je trouve qu’ils ont besoin de savoir se débrouiller, ils ont besoin

d’une marge d’autonomie » (Géraldine, 57 ans).

Une des cadres tempère les propos de ses collègues en abordant la notion d’un changement apparu

récemment. Les jeunes infirmiers ne feraient plus toute leur carrière en pédopsychiatrie et

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multiplieraient les expériences professionnelles « Parce que chez les adultes y’a beaucoup de

turnover, chez les enfants c’est protégé, tu sais les gens ils travaillaient trente quarante ans ici, ils

bougeaient pas ils faisaient leur carrière… et là depuis quelques années, je dirais 10/15 ans y’a

une mouvance qui s’est inscrite, d’abord y’a des gens qui sont partis en retraite et puis y’a des

gens qui s’inscrivent pas dans la même dynamique, c’est-à-dire qu’ils s’inscrivent pas pour

rester » (Martine, 61 ans).

Les cadres, dont le fonctionnement de l’équipe était grevé par le turnover, relieraient ce fait à la

présence d’éléments déviants dans l’équipe. Soit car les personnes désignées comme déviantes

sont en arrêt maladie et entravent ainsi le fonctionnement du service « « Tu n’as pas une attitude

professionnelle. On peut te dire une chose, ça ne veut pas dire que derrière faut te taper huit jours

d’arrêt parce que ça t’a pas plu ». Enfin voilà faut dire les choses aux gens. » (Martine, 61 ans),

ou s’excluent d’elles-mêmes du service « Moi j’ai en tête un collègue y’a deux ans, il est parti en

l’espace de deux mois, il est parti quoi, il a quitté l’hôpital, il a quitté le service, … C’est quelqu’un

qui avait presque 25 ans de psy. Il a voulu venir chez les enfants […] c’était compliqué parce que

on peut pas faire fi de comment on a travaillé avant et comment on travaille là. […] Alors quand

notre collègue est parti du jour au lendemain, les collègues ont pas compris… on a eu un peu de

peine à comprendre bon bref… donc du coup ça déstabilise l’équipe, c’est-à-dire que du jour au

lendemain faut que tu te tapes le boulot que faisaient tes collègues car le remplacement est pas là,

pas là tout de suite. » (Martine, 61 ans).

La déviance d’un membre de l’équipe fatiguerait les équipes et concourrait à gonfler les taux

d’absentéisme dans certains services de pédopsychiatrie « Et puis après on a eu des jeunes

professionnels pour la plupart et une ancienne qui commençait aussi à fatiguer, qui portait

beaucoup aussi… » (Catherine, 53 ans).

Néanmoins les soignants qui se mettraient plus facilement en arrêt seraient les ASH « On a

finalement peu d’absentéisme quantitativement au niveau numérique. Au niveau des soignants par

contre, on a un certain nombre notamment des personnes ASH qui sont, qui peuvent être en

difficulté et qui peuvent, eux, être arrêtés sur de longues périodes. Alors en partie ça peut

s’expliquer sur des professionnels qui sont affectés sur des postes aménagés, qui ont des

restrictions médicales » (Stéphane, 39 ans). Les ASH sont des agents de nettoyage qui se

confrontent régulièrement à des tâches déplaisantes comme le nettoyage des sanitaires par

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exemple. Cette notion a été abordée par le sociologue américain Everett Hughes, il la nomme

comme étant « le sale boulot ». Lhuilier y fait référence dans un article au sujet des aides-soignants

« les aides-soignantes restent silencieuses sur la réalité des relations physiques avec les malades,

sur la réalité de ce « boulot sale » à l’occasion des tâches qui les mettent en contact avec les déchets

corporels. Tâches socialement dévalorisées, stigmatisées, généralement reconnues comme

dégradantes et laissées aux catégories sociales les plus basses. » (2005, p73-98). Ce manque de

considération autour de ces tâches pourrait également contribuer aux multiples arrêts maladies

évoqués dans ce témoignage.

Au sujet des infirmiers, un cadre dit les préserver lorsque ceux-ci prennent en soin des enfants au

vécu difficile « Quelqu’un qui est en difficulté dans sa vie personnelle et ben il faut lui permettre

de souffler même sur le temps de travail. On va pas l’assommer de travail parce que pour une

raison X elle est pas bien dans sa tête. C’est un moment à passer, faut l’accompagner, si ça devient

trop intense ben on dit faut peut-être que tu vois avec le psy du travail. Arrête-toi ou prends des

congés […] » (Martine, 61 ans). Une bienveillance qui participerait à diminuer l’absentéisme dans

cette branche de soignants.

Pour conclure, on peut déduire de ces nombreux témoignages que la pédopsychiatrie serait un

milieu préservé par le turnover en raison des formations professionnalisantes qui fidéliseraient sur

le long terme les soignants. Les principales causes de départ évoquées seraient les départs en

retraite ou la déviance si souvent citée dans ce travail de recherche. Celle-ci ébranlerait les équipes

en accentuant l’absentéisme et en fragilisant la cohésion instaurée par le cadre. Les infirmiers de

pédopsychiatrie sont très investis dans les soins relationnels, soins valorisés par le secteur, ainsi le

nombre d’arrêts maladie reste faible. À l’inverse, les arrêts maladie toucheraient essentiellement

les soignants confrontés au « sale boulot ». C’est-à-dire les ASH qui finiraient leur carrière dans

le secteur en raison de TMS. Une exclusion vers la psychiatrie devenue réservoir des personnes

déboutées des soins généraux ou des personnes considérées inaptes du fait de restrictions

médicales. Bien souvent les soignants ayant échoué en pédopsychiatrie terminent leur parcours en

psychiatrie de l’adulte « alors je sais plus comment j’avais tourné ça car il s’agit de pas casser la

personne, mais à un moment donné là y’a plus de possible, … je l’ai eu 18 mois au total. Et depuis

cette personne travaille en hôpital de jour avec les adultes et finalement ça se passe très bien. »

(Catherine, 53 ans). Enfin on constate que les cadres sont souvent favorables à l’intégration de

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personnes considérées d’emblée comme déviantes mais ils sont souvent déçus de la tournure et

des conséquences sur l’équipe engendrées par cette intégration forcée.

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7.4 Discussion

« Comment l’excès de conformisme est-il un frein à la cohésion d’équipe ? »

(Question de recherche)

« Si le cadre de santé cède à la pression de conformité institutionnelle alors il utilise son

pouvoir hiérarchique pour créer une dynamique d’équipe délétère ne favorisant pas la

fidélisation du personnel. »

Mon hypothèse venait qu'une application trop scrupuleuse des protocoles pouvait entraver la

cohésion d’équipe et ainsi créer du turnover mais aussi que le cadre avait trop d'attentes

institutionnelles concernant les professionnels. Ainsi il n'acceptait pas les écarts de la part de

membre de l’équipe. Au regard des résultats présentés ci-dessus, nous pouvons observer qu’il y a

un accroissement du nombre de protocoles en psychiatrie. Cela donnerait du sérieux à la spécialité

qui est encore considérée comme le parent pauvre de la médecine. Longtemps ce secteur a

privilégié le support papier au détriment de l’informatique. Ce virage vers le numérique crée des

résistances. Deux cadres sont investis dans cette politique de changement mais les autres CDS

s’accordent à dire qu’il est nécessaire de faire la part des choses et de garder le cœur de métier

basé sur le relationnel. L’excès de protocole impacterait surtout l’usager avec le délaissement des

soins relationnels au profit d’actes administratifs en lien avec la traçabilité de l’activité.

Les politiques de restrictions des coûts induisent désormais un contrôle accru chez les cadres de

santé qui alertent les professionnels pour se conformer à ces attentes. Ce sont des attentes qui ne

sont pas négociables puisqu’elles permettent de maintenir les ratios en justifiant l’activité presque

instantanément. Même s’ils critiquent ce système, les cadres avouent ne pas faire l’économie du

contrôle et font appliquer les règles institutionnelles. Un seul cadre rentre dans la déviance aux

yeux de l’institution en s’arrangeant avec les protocoles au bénéfice du patient.

Dans cette tonalité ambivalente où le cadre applique la loi institutionnelle mais la condamne, les

CDS épinglent la pseudo nouvelle formation IDE (qui a déjà 10 ans). Selon eux, elle n'apprendrait

pas aux futurs soignants à réfléchir mais seulement à appliquer des protocoles. Ils parlent ainsi des

effets asphyxiants de l'hypercontrôle induisant un manque de temps dans le fait de remplir de

nombreux documents, se justifier pour tout, et surtout limitant les échanges entre membre de

l'équipe. L’hypercontrôle dans son mécanisme de conformisation par pression explicite aurait donc

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un impact sur la cohésion. Mais si mon hypothèse était basée essentiellement sur cette pression

institutionnelle, je me suis aperçue que les indicateurs d’absentéisme et de turnover étaient plus en

lien avec un excès de conformisme groupal que d’un excès de conformisme institutionnel.

Alors que j’imputais au cadre de santé un management répressif à l’égard de la déviance tout en

étant très à cheval sur les protocoles, je me suis aperçue que le collectif avait ses propres attentes

liées au secteur de la pédopsychiatrie et mettait régulièrement à l’épreuve ses pairs. Des attentes

liées à un savoir, à un langage spécifique ainsi qu’à une posture professionnelle. Un cocktail hyper-

normatif à la limite de l’élitisme. Si le cadre décide d’accueillir dans le service des personnes qui

ne correspondent pas aux critères de la pédopsychiatrie, on observe une désorganisation du

collectif avec des arrêts maladies, des lynchages et des mises à l’écart aboutissant à la fragilisation

de la cohésion dans l’équipe.

Un des résultats majeurs de cette recherche est qu’en pédopsychiatrie il y a des guerres de savoirs

au sein des collectifs. Si vous n’avez pas la connaissance ou si vous n’êtes pas issu à l'origine de

la psychiatrie, vous pouvez vite être considéré comme déviant avec des manifestations de "boucs

émissaires". À moins d’avoir réussi le rite de passage avec une mise à l’épreuve en réunion clinique

où vous aurez exposé votre situation dans les règles de l’art en ayant fait, cerise sur le gâteau,

référence à un illustre psychiatre. Vous serez ainsi "validé" par l’équipe, au-delà même de la

validation par le cadre de santé. En aucun cas je partais du postulat que l’équipe pouvait être à

l’origine d’une dynamique délétère dans la cohésion d’équipe.

Dans ces guerres de savoirs, le cadre pourra suivre l’équipe car il souhaitera rétablir un équilibre

et une ambiance saine de travail. Alors il sera amené à exclure l’élément déviant en faisant appel

à l’institution pour le diriger vers un autre service. Cette notion d’exclusion est souvent associée à

la sanction. L’analyse des entretiens nous montre que deux formes d’exclusion existent dans le

milieu de la pédopsychiatrie : l’exclusion par l’équipe que nous venons d’aborder et l’exclusion

par le cadre. Celui-ci invaliderait les professionnels qui chercheraient à prendre le pouvoir par

des manœuvres d’influence, de dénigration ou encore de guerre de territoire. L’exemple était

d’ailleurs donné dans un entretien où un soignant s’appropriait un bureau au détriment du CDS

qui n’en avait pas.

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Au début de la recherche je pensais sincèrement que dans le milieu de la pédopsychiatrie, un

savoir-être était exigé pour travailler auprès de l'enfant. Je me suis aperçue au fil de ce travail que

ce savoir-être s'apparentait surtout à un savoir-faire. Les cadres ont tendance à dire que la

psychiatrie serait un peu le fourretout ou la poubelle des soins généraux car les représentations se

basent, comme les miennes auparavant, sur le fait qu’il suffit d’avoir un bon relationnel pour venir

y travailler. On pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec la crèche où le quidam pense qu’il suffit

d’être une femme pour savoir s’occuper des enfants et que cela ne requiert pas d'autres

compétences que des savoirs profanes liés à la domesticité. C’est ainsi que l’hôpital général

renvoie les professionnels déviants vers la psychiatrie.

Or à la lecture de l’analyse, nous pouvons noter que le milieu de la psychiatrie de l’enfant et de

l’adolescent est sélectif et requiert de vraies compétences en soins relationnels pour y travailler.

C’est ainsi que bien des soignants se retrouvent exclus à nouveau en reproduisant des

fonctionnements ou des comportements non conformes aux attentes du milieu. Un milieu qui

requiert aussi la capacité à mettre en place des mécanismes de défense solides pour pallier aux

processus psychiques présents dans le secteur. Notamment dans la façon de se protéger dans les

processus de transfert et contre transfert. Dans le cas de figure où les professionnels n’arrivent pas

à se distancier des situations, le cadre peut également être amené à sanctionner par le biais de

l’exclusion.

Nous pouvons donc recenser dans ce travail les déviances susceptibles d’exclure un soignant par

l’équipe de pédopsychiatrie et auxquelles le cadre adhérera pour rétablir la cohésion d’équipe : le

manque de connaissances, un savoir-faire relationnel inadéquat et une incapacité à prendre

de la distance. Comme nous l’avons vu précédemment le cadre exclura également les

professionnels cherchant à prendre le pouvoir sur lui. Des exclusions constituant le principal

facteur de turnover en pédopsychiatrie.

Les cadres abondent au fait que les professionnels de la psychiatrie de l’enfant feraient la majorité

de leur carrière dans ce secteur en raison d’une offre de formations riche et de l’existence d’un

sentiment d’appartenance fort lié à ce partage de savoirs et de valeurs spécifiques aux membres du

collectif de pédopsychiatrie. Le turnover et l’absentéisme seraient donc faibles comparés au

secteur adulte.

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En résumé, la pression de conformité est très présente en pédopsychiatrie. Mais un contre poids

existe avec la notion de convivialité mise en place par les cadres pour que l'équipe crée des liens,

se parle, tourne à la dérision des situations complexes et prenne de la distance avec leur travail.

Les cadres se décrivent comme des facilitateurs en apportant l’huile nécessaire pour faire

fonctionner tous les rouages. Par leur intervention, ils permettent la « conflictualisation » qu’on

pourrait apparenter à la « problématisation » des situations sensibles afin de dissoudre des conflits

naissants. Ils ont pour moteur le bien-être des usagers et mettent un point d’honneur à ce que les

professionnels soient bien au travail pour bien traiter les enfants pris en soin. Permettre d’arriver

plus tard, inciter à prendre les repos compensateurs, être à l’écoute des professionnels sont autant

de leviers qui facilitent le quotidien dans un service de soin.

Enfin, pour répondre à ma question de recherche si la pression de conformité est un frein à la

cohésion d’équipe : il est vrai que celle-ci met en évidence la souffrance des personnes déviantes

inéluctablement exclues de ce système hyper-normatif. Une souffrance qui se répercute et est

partagée par le collectif de travail. Le cadre crée des conditions favorables au travail et à la

fidélisation des soignants par la proposition de formation et de moments conviviaux mais il est

parfois pris dans l’étau de la pression de conformité institutionnelle et celle du groupe.

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CONCLUSION

Ce travail de recherche se termine, il m’a permis d’analyser comment l’excès de conformité

pouvait nuire à la cohésion d’équipe. J’imaginais la psychiatrie comme un milieu où les soignants

étaient forcément psychologues et dans une volonté manifeste de bienveillance à l’égard des

novices intégrant le service. Je me suis aperçue que la question était plus complexe.

La pression de conformité institutionnelle existe avec les protocoles, qui sont plus au moins

acceptés ou en tout cas mis en application par les cadres en pédopsychiatrie. Milieu qui ne

bénéficie pas d’une culture du protocole bien qu’un virage s'opère. Les règles dites de savoir-

être/savoir-faire occupent le devant de la scène pour valider ou invalider un collègue dans une

équipe. En effet ce n'est pas incontestablement le cadre qui invalide mais bien souvent un

phénomène groupal : l'équipe ! Celle-ci a clairement son mot à dire. Dans les témoignages

recueillis, seul un cadre a réussi à éviter l’exclusion d’un membre de l’équipe pour rétablir

l’équilibre et la cohésion en dialoguant avec le collectif de soignants. Une politique d’intégration

basée sur des documents d’accueil et d’information des pratiques du service pourrait être une voie

possible à étudier concomitamment au rôle que le cadre joue dans la cohésion d’équipe.

En effet, avec ce travail je cherchais à étudier son rôle et les marges de manœuvre retenues pour

faire vivre la cohésion entre les professionnels de santé. Je me rends compte à travers ces multiples

témoignages, qu’il est nécessaire de dépassionner les conflits en ne faisant pas reposer ceux-ci

uniquement sur un individu. Autrement, on se retrouve face à un problème récurrent qui est le

clivage entre « sachant » et « non sachant », entre le personnel paramédical et le personnel socio-

éducatif, entre nouveaux et anciens, entre ceux qui ont fait leur carrière en psychiatrie et ceux qui

viennent de l’hôpital général. Comme en témoignent deux cadres de santé, il est utile et nécessaire

de « conflictualiser », c’est-à-dire ancrer les situations sensibles dans un contexte institutionnel.

Permettre les échanges entre professionnels sous le regard du cadre ferait office de garde-fou. Car

c’est le rôle du cadre de veiller à la sécurité physique et psychique des professionnels et de créer

un climat propice à la coopération entre membres de l’équipe.

Alors que les situations traitées en pédopsychiatrie sont parfois dramatiques, on pourrait se

demander si mettre à l’épreuve les personnes sur leur capacité à prendre de la distance en mettant

en place des mécanismes de défense individuels serait un moyen de filtrer et de sélectionner les

éléments constitutifs d’une équipe.

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Annexe I

Annexe I : Grille d’entretien

1. Quel est votre parcours professionnel ?

2. Quelles sont vos principales missions ?

3. Quels sont les aspects positifs de votre travail ? et les aspects négatifs ?

4. Comment s’organise le travail d’équipe au sein de votre service ?

5. Si vous deviez me donner une image qui représente le collectif pour vous, ce serait

laquelle ?

6. Sur quels leviers vous appuyez-vous pour favoriser la coopération dans l’équipe ?

7. Quelles sont vos attentes principales concernant les professionnels ?

8. Si vous deviez me dire un critère qui est à vos yeux le plus important à remplir quand on

prend son poste dans votre service, quel serait-il ?

9. Si vous deviez me donner un idéal du professionnel travaillant dans votre service, il serait

comment ?

10. Sur quoi se porte votre regard en priorité le matin quand vous allez à la rencontre de

l’équipe dans le service ? et quelle serait votre première action envers l’équipe ?

11. Trouvez-vous qu’il y a beaucoup de protocoles et procédures en faveur de la qualité et la

gestion des risques ?

12. Est-ce au manager de s’adapter au professionnel ou est-ce à l’agent de s’adapter ?

13. Quelles sont les principales causes d’absentéisme dans le service ?

14. Y a-t-il beaucoup de mouvements RH dans votre équipe (recrutement, départ) ?

15. Quelles sont les raisons des départs des professionnels ?

16. Vous sentez vous reconnus par votre équipe ?

17. Comment sont vos relations avec la hiérarchie ?

18. Si vous deviez dire merci à quelqu’un, ce serait qui ?

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Annexe I

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Annexe II : Entretien de Martine

Talon identitaire : Martine est âgée de 61 ans, cadre de santé en CMP. D’abord aide-soignante, puis

infirmière, elle a fait le choix de faire sa carrière en psychiatrie. Elle dit d’ailleurs de cette spécialité,

que c’est une rencontre car elle trouvait que les patients y étaient pris en charge « d’une autre façon ».

Elle se livre sur la pédopsychiatrie au début de l’entretien :

Ça fait peur car la pédopsychiatrie ça a toujours eu la réputation de… en disant que c’est des gens

hyperformés, hypercompétents, il faut avoir lu tout Klein, tout Freud, euh tout Dolto, et autre pour

pouvoir euh… et en fin de compte je suis arrivée, je me suis rendu compte que c’était pas vrai donc

déjà c’était rassurant. Et puis euh un accueil sympa les gens euh vraiment zen et tout... et je me suis

rendu compte que l’expérience d’insertion, de, chez les adultes et tout, ou en CMP, ça a aidé beaucoup

quoi, et puis formation de thérapie familiale, tout ça… ça… donc il faut appréhender, donc travailler

chez les enfants, la fonction cadre, alors ça c’est pas rien. La première chose qui m’a fait

complètement flipper quand j’ai commencé c’est ces satanés plannings, car ça on nous en parle mais

on nous forme pas directement. Donc je me suis retrouvée confrontée à ça et j’y comprenais rien,

enfin j’y comprenais rien c’était pas compliqué mais j’avais pas les modes d’emploi enfin bon je m’en

suis débrouillée. J’avais des collègues cadres qui étaient sympas et qui m’ont vite mis au jus et qui

voilà… alors par contre moi j’ai toujours gardé ça, c’est-à-dire de jamais m’éloigner du soin, jamais…

donc euh je peux de temps en temps, pas être dans une prise en charge à long terme, mais être dans

une prise en charge parce que j’ai une position hiérarchique et que c’est important pour la famille,

voilà de reprendre les choses, ça m’est arrivé aussi pour étayer des jeunes collègues, euh voilà… donc

euh, voilà… donc et puis avec les enfants faut se reformer, aller chercher, aller dans la littérature,

expliciter les choses mais bon, voilà… Ce qui est le plus compliqué c’est de comprendre comment

t’analyse le fonctionnement, comme partout.

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Et quels sont les aspects positifs de ton travail, ce que tu préfères ?

Ce que je préfère ? c’est être dans l’entour d’équipe, être là pour des situations, reprendre euh les

choses, euh entourer, aider les équipes à pouvoir mettre en place les actions, euh trouver euh les

ressources voilà, pour telles situations, trouver telles compétences. Je trouve que voilà, aider à la prise

en charge, ça c’est…. Alors ça veut dire qu’il faut être extrêmement disponible. Avoir toujours la

porte ouverte pour que n’importe quelle situation puisse être évoquée. Je dis pas que c’est une reprise,

pas en tant que on peut l’entendre en psychiatrie, mais c’est permettre aux agents de venir parler de

leur situation. Et euh voir si ils sont toujours dans le bon cadre. Ne pas se laisser embarquer par je ne

sais quel processus des fois… est-ce que c’est l’enfant qui a besoin de soins ? Comment, euh, est-ce

que vous allez contacter les parents ? Ils sont séparés, est-ce que vous allez contacter la mère, le père,

est-ce que vous avez les accords ? Remettre le cadre autour du soin, rappeler sans arrêt tout ça. Je

trouve que ça, c’est notre boulot. Alors les agents l’ont hein mais à nous d’être vigilants pour éviter

les écueils. Donc ça, c’est vraiment de l’accompagnement, du management d’équipe.

Et à l’inverse, ce qui serait…

C’est toutes les tâches administratives, euh non pas dédiées au pur travail mais euh …. Ces tableaux

d’affectation, ces tableaux de tout ce que … cette misère… où on est sans arrêt dans la consommation

de fichiers tout ça… dont on ne sait jamais à quoi ils servent. Ce qui est pour moi important, aussi…

Alors ça c’est quelque chose qu’on développe quand on est infirmier, c’est travailler avec le réseau,

alors ça… c’est une de mes priorités, il faut travailler avec les partenaires. Alors c’est un art subtil

puisqu’il faut pouvoir évoquer soit en généralité, donc ça on s’en débrouille à peu près, la posture du

pôle, la posture de l’équipe, la posture du médecin, pouvoir le retranscrire sans que ça vienne froisser

tout le monde, y a des impératifs faut faire avec, et puis dans des situations particulières, c’est-à-dire

quand il est question des enfants directement, pouvoir aller chercher de l’information sans dévoiler

trop de notre part, être sur un pseudo-secret partagé, je dis pseudo, car parfois on a affaire à des

collègues qui ne sont pas tenus aux mêmes règles que nous. Qui ont des comptes à rendre à la justice.

Nous on n’a pas de compte à rendre directement, c’est pas notre ordonnateur. Mais il faut défendre

la situation de l’enfant, donc ça… Alors y’a des fois c’est les infirmiers ou les éducateurs qui y vont,

y’a pas de soucis. Et puis moi quand j’y vais c’est parce que je représente l’institution. Je n’y vais pas

parce que ça fait beau.

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T’aurais une situation concrète par rapport à ça quand tu dis « sans trop dévoiler » ?

C’est-à-dire que par exemple, c’est souvent dans des situations, on rencontre des partenaires, par

exemple on rencontre l’aide sociale à l’enfance dans le cadre de la protection, euh nous on peut

entendre, soit l’enfant dit clairement qu’il se passe des choses compliquées et là on est tenu, hein la

loi nous demande de révéler, soit on a des éléments qui sont pas directs hein mais il faut amener les

partenaires à être vigilants par rapport à cette situation, à ce que les parents puissent être un peu plus

entourés ou, parallèlement euh par exemple vendredi matin, situation qui est évoquée au CMP d’un

enfant, de trois enfants dont on connait l’histoire depuis longtemps. Voilà ils ont arrêté les soins, y’a

une reprise de soins, donc là on se rencontre avec l’aide sociale à l’enfance donc nous ce que l’on

voit, c’est la situation de l’enfant, mais on connait aussi les parents et ce que l’on a nous comme avis,

c’est que par exemple la maman elle a des troubles psychiatriques, il faut pouvoir amener à ce que ce

soit nos partenaires qui le disent mais pas nous. Nous, on n’a pas à dire que la maman a des troubles

psychiatriques. On le sait, on le voit… mais voilà… amener à ce que les partenaires se penchent plus

particulièrement sur la situation, le papa il a des troubles aussi, donc ça c’est… (digression)

Comment tu organises le travail d’équipe en CMP ?

Donc y’a la réunion clinique tous les lundis, donc voilà, et puis euh donc euh, alors au début on fait

effectivement beaucoup de réunions d’équipe, mais en tout cas moi je vois les gens de façon

individuelle pour faire l’état de où ils en sont dans leur prise en charge, quelles capacités, quelles…

possibilités ils ont. Donc les gens savent que je suis leur activité chacun, je sais ce qu’ils font et ce

qu’ils ne font pas….

Comment tu procèdes ? Tu les vois régulièrement, tu ….

Bah, oui on se voit régulièrement, donc on se voit, mais quand y’a quelque chose qui ne va pas, je

n’attends pas. Je ne suis pas la partisane de laisser pourrir. Y’a des gens pour qui je vais dire qu’ils

continuent à se former sur tels et tels points. Y’a des gens pour qui j’ai dit tu ne feras pas telle situation,

tu es en difficulté.

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Oui, mais comment tu sais qu’ils vont être en difficulté, ils te l’expriment directement à toi ?

Oui, alors y’a des choses que j’ai pu observer et puis y’a des fois où je vois quand… quand on est en

réunion et qu’on reparle d’une situation, la posture, la façon dont on parle de la situation, je vois tout

de suite si y’a… voilà, et puis pour certains agents, enfin y’en a pas beaucoup hein, y’en a plus qu’une

là qu’est un peu sous mon regard … Voilà je lui demande, « tu prends telle situation et tu viens m’en

reparler », pour voir un peu ce qu’il en est, où elle en est.

Tu fais un accompagnement ?

Ouai. Ouai. Et un étayage et voilà, parce que on a des agents qui ont besoin de nos avis pour ça, en

nous demandant de les étayer, mais y’a un moment où il faut dire stop aussi. Faut dire aux agents

« non t’es pas fait pour travailler dans ce, dans ce genre de choses », euh la difficulté que l’on a

souvent c’est l’identification aux problèmes des enfants. Les agents qui n’ont pas assez de distance,

surtout quand y’a des séparations. Et hop que j’te prends la défense de la mère et le père c’est la pire

des choses. Ben c’est ton histoire mais c’est pas celle de l’enfant. Donc ça il faut pouvoir être vigilant.

D’accord.

Et puis après quand on connait bien son équipe, c’est aussi indiquer des prises en charge en fonction

des compétences des agents. Moi j’ai des agents qui par exemple sont compétents sur les thérapies

familiales, ben je trouve que c’est important de les utiliser.

Mais est-ce que ça t’est déjà arrivé de voir qu’un agent correspondait pas trop… enfin je ne

sais pas si tu as un profil… ?

Oui. Ah bah moi je dis que on n’est pas un centre d’animation. Donc les gens qui… je vais te prendre

un exemple tout simple, on a eu une infirmière puer, enfin ça a rien à voir avec le fait qu’elle soit

puer, elle aurait pas été puer ça aurait été pareil.

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T’inquiète.

Non mais j’te le dis. Voilà. C’est quelqu’un que j’ai connu moi à l’hôpital d’A., elle était infirmière

puer en chir. Pédia.

Ouai

Elle est venue travailler au service B. Ça s’est pas très bien passé. Elle est allée travailler au service

C, ça s’est pas bien passé et on m’a demandé si je voulais bien la prendre dans mon équipe, j’ai dit

oui. D’accord, donnons-lui sa chance. Donc elle a d’abord travaillé à l’hôpital de jour, 5 jours. Voilà.

C’était un peu difficile, donc j’ai proposé une journée et après moi je l’ai prise une journée en CMP

ici, avec un cadrage. Donc il a fallu que je cadre beaucoup sur certaines choses, par exemple les

nouvelles demandes. « Je veux bien mais là ça va pas, tu demandes trop de choses aux gens, euh il

faut pas les laisser au téléphone se déverser ». Donc on a un modèle, si on a un modèle c’est pas par

hasard. Donc y a tout un versant administratif important, motif de la consultation, mais moi je veux

pas savoir que la mère elle a eu je ne sais combien de problèmes et tout, moi ce qui m’intéresse c’est

quels sont les troubles de l’enfant ? Qu’est-ce que les parents peuvent en dire ? Point. Le reste ça

viendra se mettre dans la consultation. Mais au téléphone on permet pas aux gens de … ils sont

dépossédés, ils sont mal. Donc ça c’est voilà. Donc ça c’est des choses que j’avais repris avec elle. Je

lui avais dit « tu vas commencer à faire des prises en charge sur indication », donc le médecin

indiquait prise en charge pour untel pour voilà, donc y’en avait que ça allait et puis d’autres où je

disais « là tu vois, tu confonds un peu… t’es un peu centre aéré ». Enfin je veux dire on fait des

activités avec des éducateurs mais y’a un objectif, donc « revois les objectifs… tu fais de la peinture

et du découpage c’est pourquoi ? c’est pas pour faire un joli tableau. On s’en fout. Donc voilà

retravaille, reforme-toi. » Et puis ça devenait compliqué avec ses collègues à l’hôpital de jour.

Parce que les collègues le voyaient aussi ?

Ah oui elle était en difficulté. Dans son positionnement, dans… plein de choses. Donc moi je l’ai

prise après une journée de plus, elle a fait des groupes, des choses comme ça. Et puis y’a un moment,

on accompagne, on soutient, puis tu vas travailler avec tes collègues et là tes collègues te disent « bah

non là je travaille plus avec elle hein, elle en fait qu’à sa tête elle écoute pas ce qu’on dit », euh voilà.

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Donc ça tu reprends, oui mais c’est les autres c’est les autres et c’est les autres. Donc une fois, deux

fois, tu lui dis non, tu fais des entretiens réguliers avec elle, avec mon collègue de l’hôpital de jour,

donc on le faisait en binôme. Après elle a voulu qu’un membre du syndicat qui se mette dedans,

pourquoi pas ? allez ! plus on est de fous, plus on rit. Mais nous, on avait des arguments sur des axes

concrets, voilà, « ta ta ta ta ça va pas, faut reprendre tout, dès qu’on dit quelque chose tu pleures, tu

boudes, c’est pas possible. Tu n’as pas une attitude professionnelle. On peut te dire une chose, ça ne

veut pas dire que derrière faut te taper huit jours d’arrêt parce que ça t’a pas plu ». Enfin voilà faut

dire les choses aux gens. Et puis au bout d’un moment et ben on lui a signifié que « c’est peut-être

compliqué pour toi de travailler en psychiatrie de l’enfant ». Et ça a été compliqué avec la médecine

du travail, et elle est allée voir les collègues syndiqués, on leur a dit « mais on fait quoi ? Elle y arrive

pas ». Donc moi je lui ai dit avec mon collègue : « tu ne peux plus travailler dans ce pôle ».

Et du coup elle est partie ?

Bah elle a été mise… euh… au service D adulte. En fait elle a été réaffectée. Donc ça a été travaillé

avec la médecine du travail, ça a été travaillé avec la direction des soins, mais y’a à un moment, il

faut dire aux gens, vous ne pouvez pas travailler dans cet axe-là.

Et du coup si tu devais définir un idéal du professionnel que t’attend ?

Idéal je sais pas mais des gens qui sont en capacité de prendre des situations sans être attaqués, qui

ont assez d’assises pour comprendre que c’est une situation, certes c’est difficile d’avoir du recul, des

choses comme ça. Déjà ça. Des gens qui ont une formation sur l’observation. Qui savent observer les

enfants… qui savent observer ce qui se passe dans la famille, déjà être en capacité de me dire le

développement de l’enfant sain pour pouvoir voir ce qui ne va pas chez l’enfant ayant des difficultés.

Parce que ça si on n’est pas capable de ça, on n’y arrivera pas. Donc ça veut dire qu’y’a une base

minimum que je demande. Qui est effectivement l’observation. Être capable d’observer, de mettre

des mots, être capable de reparler de son travail, de travailler, d’accepter de travailler avec la collègue.

Parce que travailler en binôme, tout le monde pense que c’est facile, que c’est quelque chose qui est

aidant, mais non, travailler sous le regard de l’autre c’est toujours compliqué. Voilà. Et des gens qui

ont la capacité de me dire par exemple je ne peux pas travailler avec des enfants par exemple autistes,

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je peux pas, j’y arrive pas. Ben moi je préfère qu’on me le dise. Que de faire de la merdouille avec

des enfants et être en difficulté.

Après t’acceptes éventuellement de répartir autrement les prises en charge ?

Y’a des gens qui te disent moi je peux pas faire les premiers entretiens d’évaluation, ça me panique,

je suis pas bien avec ça, OK !

(Interruption)

Du coup on s’était arrêté sur l’idéal, tu souhaitais rajouter quelque chose ? Tu avais fini sur le

fait que certains agents devaient te dire s’ils ne pouvaient pas travailler avec les enfants autistes

par exemple…

Oui ou je ne peux pas travailler avec cette collègue car on n’est pas sur la même longueur d’ondes.

Je n’aime pas qu’on me dise « je n’aime pas la personne, je ne peux pas travailler avec elle », on

n’est pas ici pour s’aimer, on est là pour travailler ensemble. Mais quand on a des affinités de travail,

de hein… de…on n’a pas les mêmes chapelles, puis à un opposé qui fait que ça devient compliqué,

vaut mieux le dire, vaut mieux le dire… après on peut travailler ensemble sur d’autres choses. Mais

voilà, surtout quand on est en posture d’entretien à visée psychothérapeutique, il faut au moins avoir

un guide commun.

D’accord.

C’est-à-dire que pour moi quelqu’un qui a une pensée très ancrée vers euh les mouvements

psychanalystes, et qui se retrouve avec quelqu’un qui ne pense que neurosciences, va falloir qui

causent avant hein. Parce qu’ils ont des choses à établir, quel est leur point commun. En même temps

on demande pas aux infirmiers d’avoir une chapelle de référence. Mais on sait que ça existe donc faut

faire avec. Faut pas se leurrer hein, ce qu’on demande c’est des infirmiers qui s’adaptent, mais moi

je préfère quelqu’un qui a une bonne connaissance dans un style de travail que des gens qui sont

touche à tout et qui survolent. Voilà, moi je demande à avoir des gens compétents dans tout, mais

dans leur compétence, avoir une assise. Voilà.

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Anne-Cécile MERCIER - Mémoire de l'IFCS Sainte-Anne - Paris 2018– 2019 Annexe II

Être un peu expert

Voilà. Si je dis que je peux prendre en charge des adolescents, ben ça veut dire qu’on a quand même

vu la clinique de l’adolescent. Et qu’on ne l’a pas fait à son propre regard et à sa propre sauce. Donc

si tu veux ça on le voit, car on a eu des infirmiers qui sont venus avec des sentiments que ils savaient.

Et ça c’est dangereux, il faut avoir du doute un peu. Mais il faut aussi s’appuyer sur une clinique, de

l’observation, de qu’est ce que ça amène quand le médecin parle de Mélanie Klein, bah il faut savoir

quelle référence c’est, quand il parle de Dolto, ben faut savoir quelle référence c’est. Euh voilà, y’a

des références qui font date et qui marquent et qui sont importantes et il faut le savoir. Maintenant on

est passé à d’autres références, Cyrulnik est venu s’introduire, euh on a les neurosciences, je suis

désolée on parle des dyspraxies et tout, c’est pas ma tasse de thé je le reconnais mais faut savoir de

quoi ça parle. Faut pas être dans une tour.

Et du coup pour rebondir sur ce que tu dis, est-ce que c’est au manager de s’adapter au

professionnel ou l’inverse ?

Ah non c’est à nous de s’adapter à l’équipe. Mais il faut qu’on s’adapte pour avoir une visée. C’est-

à-dire qu’on va s’adapter pour amener l’équipe vers. Tu sais dans l’analyse transactionnelle on dit

amener vers l’étoile, que l’équipe puisse à un moment être tellement performant qu’elle puisse se

passer du cadre, moi je dis quand même attention, attention… parce que c’est pas défendre ma

chapelle à tout prix mais une équipe elle doit être performante mais elle doit avoir aussi ses hauts ses

bas, elle doit exister en tant qu’équipe traversée par tout un tas de choses, alors il faut travailler la

conflictualisation, il faut travailler euh tout ça… donc il faut s’adapter à l’équipe que l’on a, mais il

faut tenter de trouver les potentiels à développer.

Comment tu t’y prends ?

Bah faut faire de l’évaluation. Il faut … pourquoi moi quand je, quand les gens ils ont des prises en

charge et tout, Stéphane fait pareil mais moi je fais ça aussi, c’est-à-dire on revoit la personne après

« tu en es où de ta prise en charge ? » pour savoir si elle est en difficulté. Nous on est en dehors de

la prise en charge, mon objectif c’est pas de soigner l’enfant et d’avoir la meilleure approche, c’est

simplement de repérer ce qui va fonctionner, ce qui est en adéquation avec ce qui a été demandé et

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ce qui est possible de mettre en place ou pas, enfin… je veux dire j’aurais une soignante qui me dirait

« bah là il faudrait une thérapie familiale systémique avec une prise en charge psychologue deux fois

par semaine et je me charge de faire ça », bah ça va pas du tout là, c’est pas l’objectif. Tu n’es pas

dans un CMP qui pratique ce genre de choses donc on s’adapte aux capacités existantes à ce qui est

possible de mettre en place à ce que le patient ait le soin le plus adapté, on va pas aller mettre en place

une thérapie familiale sur des gens qui ont pas envie de venir au CMP, on va dépenser notre énergie

à quoi ? Donc notre boulot à nous c’est ça, c’est pas être dans une guidance pour euh trouver une

solution de soin, c’est pas l’objectif premier. L’objectif c’est de voir si le soignant a tous les atouts

pour arriver à mettre en place le soin dont l’enfant a besoin. Donc ça veut dire aussi bien matériel,

bah oui, on est chez les enfants, donc est-ce qu’il a les jeux, les jouets, et le matériel de base, une

formation ? est-ce qu’il a les compétences ? moi quelqu’un qui me dit « Je veux faire de la

médiation », ok. T’as quoi comme compétences ? « Ah bah je fais de la piscine et je vais nager ».

Non bah ça m’intéresse pas. C’est bien mais ça se forme. Donc ça va être ça puis aider à l’agent à

évoluer vers ça. Repérer les compétences de chacun et puis articuler. Voilà dans une équipe on joue

le rouage hein. On transmet beaucoup de choses. C’est vrai que tu disais tout à l’heure, beaucoup de

choses passent par toi, mais c’est pas la transmission. Parce que faut être clair, le médecin il pourrait

s’adresser directement aux infirmiers pour demander les choses, mais dans les ¾ du temps ils savent

pas à qui ils vont le demander… et puis ils vont s’adresser à lui et lui c’est pas le bon. Ils nous

demandent à nous et nous on va articuler ça. On va faire notre soupe.

Je vois bien le rôle de coordination.

Il faut le faire, et pis on doit aussi avoir un regard sur comment est l’équipe, comment sont les gens.

Quelqu’un qui est en difficulté dans sa vie personnelle et ben il faut lui permettre de souffler même

sur le temps de travail, on va pas l’assommer de travail parce que pour une raison X elle est pas bien

dans sa tête. C’est un moment à passer, faut l’accompagner. Si ça devient trop intense ben on dit faut

peut-être que tu vois avec le psy du travail. Arrête-toi ou prends des congés enfin voilà. C’est ça aussi

le cadre. C’est pas s’immiscer dans la vie des gens mais c’est de voir ce qui va et ce qui va pas et

c’est s’adapter, parce que nous notre objectif c’est que les enfants soient reçus, que ça fonctionne…

et euh voilà. Mais mon objectif moi ça va pas être que les agents prennent, prennent, prennent des

situations et qu’ils soient complètement dépassés, qu’ils y arrivent pas, qu’ils dorment pas. Parce que

ça on l’a vu. On le voit les gens qui prennent plein de situations mais ils survolent. Ils répondent à

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une attente parce que nous les cadres on est dans le double lien, parce qu’on dit aux équipes « attention

pas trop, protégez-vous et tout », mais on a la réalité de la liste d’attente et on leur dit « attendez là

va falloir y aller là au taf, à prendre un peu plus » … donc des fois nous on n’est pas toujours très

clairs hein.. Donc il faut à un moment donné dire attention là, faut faire attention… hein une collègue

qui est mal, on en parlait là… voilà. On demande pas de raconter sa vie mais voilà faut respecter ça.

Alors après… moi c’est là où c’est compliqué, moi j’ai de bonnes relations avec les gens et tout mais

je suis pas leur copain. Y’a des gens qui se rencontrent en dehors, pas de soucis, moi ça peut m’arriver

aussi pour des raisons X. Mais il faut faire très attention que ça n’interfère pas sur le travail. Faut

toujours garder la capacité de dire à l’agent ça, ça va pas, et en même temps faut laisser l’équipe

souffler sans cadre. Moi le matin, je sais pas si tu as remarqué je suis jamais avec eux au café, c’est

pas parce que je bois pas de café, parce que je pourrais boire un thé avec eux. Parce que je pense que

l’équipe elle a pas besoin qu’on soit derrière eux tout le temps. Les gens ont besoin de se retrouver.

Mais par contre y’a une époque où je déjeunais presque plus avec eux parce que je trouvais que bah

les gens ils avaient peut-être envie d’être un peu… et puis en fin de compte j’ai repris ça et Bilge

aussi parce que et ben il se disait des choses et il se réglait des choses entre eux qu’étaient pas très

sympas. Donc du coup le fait de la présence du cadre amène un peu de retenue et évite les lynchages

ou les choses comme ça…

Entre eux ?

Entre eux.

Qu’est ce qui aura pu être le détonateur de ces tensions ?

Alors y’a des personnalités hein, y a toujours des gens qui veulent prendre le pouvoir. Euh y’a des

vues différentes voilà. Donc ça faut toujours être vigilant car une équipe n’est jamais apaisée. Jamais.

Ça, j’ai mis du temps à le comprendre… je comprenais pas pourquoi avant chaque vacances c’était

le bazar, mais je crois que les gens, voilà ils ont besoin de ça. Ils ont besoin… alors… et puis des

équipes fatiguées. C’est pour ça que on est très vigilant à ce qu’ils prennent leur repos compensateur,

à prendre les congés… faut être vigilant à ça, car on est quand même un puits sans fond. Les gens ils

se reçoivent dans la tête des trucs pas faciles, on n’a pas de temps FIR pour pouvoir décharger … tout

le monde a des capacités amoindries pour la moindre raison X ou Y mais faut veiller que y’ait quand

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même un peu de bienveillance et le reprendre, et je crois que la pire des choses c’est de laisser trainer

les choses… c’est de laisser trainer le pourrissement donc il faut conflictualiser… là y’a un problème

qu’est-ce que c’est ?

Tu le fais à quel moment ?

Alors on peut faire des réunions spécifiques pour ça… voilà. Dans des entretiens individuels, alors

entretiens individuels moi je veille à ce qu’on soit… alors c’est un travail avec un collègue cadre, les

gens sont souvent en bi affectation, donc on travaille avec l’autre collègue cadre ou avec le médecin

si ça prend des proportions pas possibles.

Et les personnes acceptent que vous soyez deux à l’entretien ?

Oui parce que… bon pour certains on peut être tout seul mais y’a des moments où et puis il faut dire

les choses, moi je crois qu’il faut dire les choses.

Et ça t’a remarqué que ça aidait ?

Au moins c’est dit. Alors euh moi je suis comme tout le monde, y’a des moments où je suis très

patiente mais y’a des moments où ben ça va déborder et je trouve que ça amène jamais quelque chose

de bon, quand t’es dans la colère, quand t’en peux plus, t’en as marre de répéter cinquante fois le

même truc et puis qu’un jour ça déborde donc vaut mieux pas attendre que ça déborde et lui dire.

Voilà, la semaine dernière on a fait, enfin Bilge a pas pu être là mais on a fait une réunion pour redire

les basiques, « quand vous êtes en arrêt de travail ou que vous pouvez pas venir pour une raison ou

une absence, vous prévenez le cadre de la structure et vous passez pas par les copains ». « Vous dites

les enfants que vous avez en charge et vous passez pas par euh en disant… parce que on oublie et

voilà ». « On prévient, on se parle ».

D’accord

Là on a un problème de pharmacie, ça pèse à tout le monde de faire cette satané pharmacie, on a une

petite pharmacie ici, mais bon faut quand même s’en occuper. Et ben maintenant il va falloir prendre

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une décision, « vous arrivez pas à prendre une décision et ben nous on va la prendre, on vous le dit

quelle sera notre décision, soit vous nous apportez des éléments, vous avez réfléchi vous faites une

proposition, soit vous avez pas réfléchi et nous c’est par ordre alphabétique, on va être très bête

hein », et voilà ce sera réglé.

De pas laisser pourrir comme tu disais, et pour quelqu’un qui vient d’arriver dans la structure ?

Alors il faut d’abord lui expliquer qu’il va être un peu observateur au début, tout de suite. Il faut pas

le mettre dans la position « on attend quelque chose de toi » tout de suite. « Tu vas observer un petit

peu, tu vas essayer de comprendre les mécanismes des agents, de te repérer déjà, après des accueils

avec des collègues, voilà, tu vas être introduit, soit dans un groupe parce que y’a besoin et donc on

va t’accueillir, on va te dire ce qu’on attend de toi », mais il faut prendre le temps, il faut laisser les

gens arriver, pas les laisser dans le rien faire parce que ça c’est insupportable, mais les accompagner,

les guider, les prendre en charge rapidement voilà et puis que les gens puissent dire leurs attentes,

leur expliquer ce qui est compliqué, revoir les procédures tranquillement. Parce que quand on arrive

dans une unité y’a plein de trucs machins mais il faut l’accompagner, alors moi je dis pas que y’a

besoin de référent car quand on est professionnel on a pas besoin de référent mais on a des collègues

avec qui je vais demander d’accompagner un peu plus, parce que c’est des gens qui auront une

habitude de tutorer des étudiants mais qui sauront ce qu’il faut dire, mais c’est des professionnels

qu’on accueille et c’est-à-dire que c’est des gens qui arrivent dans le service et qu’ils ont eu un

parcours professionnel ou pas, donc il faut quand même pas les prendre pour des neuneus quoi.

Oui et c’est déjà arrivé qu’une personne n’arrive pas à s’intégrer ?

Ah oui. Faut le voir souvent, mais essayer de voir ce qu’on peut proposer, si on diminue les temps

ailleurs, et puis je pense qu’il y a des gens qui se font une idée que ce qu’est le travail chez les enfants

et puis y’a une réalité qui les rattrape. Ça peut être soit personnel parce que c’est très attaquant, des

gens qui se retrouvent vite en situation et puis voilà. Moi j’ai en tête un collègue y’a deux ans, il est

parti en l’espace de deux mois. Il est parti quoi, il a quitté l’hôpital, il a quitté le service, … c’est

quelqu’un qui avait presque 25 ans de psy. Il a voulu venir chez les enfants, et voilà il s’est adapté et

tout mais bon voilà y’avait d’autres choses qui sans doute… des choses qui le chamboulaient dans sa

vie personnelle mais en même temps c’était compliqué, c’était compliqué. Parce que on peut pas faire

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fi de comment on a travaillé avant et comment on travaille là. C’est-à-dire que quand on a été habitué

à travailler tout seul, où c’est toi qui fais l’entretien et que là on te dit que tu vas travailler en binôme

et puis que voilà… et faut recevoir les parents alors que t’as l’habitude d’avoir que le patient seul. Tu

sais que quand tu viens de chez l’adulte tu reçois le patient seul alors que chez l’enfant t’es obligé de

recevoir les parents, t’es obligé de te coltiner tout ça… et voilà plein de raisons qui font que ça arrive

y a des collègues qui ont dit que … bah y avait la collègue puer qui était pas adaptée pour l’enfant

malade ayant des troubles psys. Ça a mis des années mais moi je lui ai signifié « tu n’as plus ta place,

ce n’est plus possible puisque la moindre chose te met en difficulté, tu n’arrives pas à te sortir de

« c’est les autres », non c’est toi qui te mets en difficulté et faut arrêter parce que ça te met tellement

à mal que c’est un engrenage pas possible », après on attaque le cadre, les collègues, on attaque tout

et on peut vite devenir maltraitant quand on est mal dans un travail. Avec des sujets comme les

enfants… on peut être très vite maltraitant.

Ces deux situations…. Où les professionnels avaient eu du mal à s’adapter, as-tu eu l’impression

que cela avait eu des répercussions sur l’équipe ?

Oui. Alors quand notre collègue est parti du jour au lendemain, les collègues ont pas compris… on a

eu un peu de peine à comprendre bon bref… donc du coup ça déstabilise l’équipe, c’est-à-dire que du

jour au lendemain faut que tu te tapes le boulot que faisais tes collègues car le remplacement est pas

là, pas là tout de suite. Les gens y comprennent pas, surtout quand la personne elle est partie et qu’elle

a pas dit un mot. Pourquoi elle part ? Donc y’a toujours ce sentiment, donc il faut en parler, mais en

même temps tu peux parler que de ce que tu connais…donc voilà, mais il faut rassurer l’équipe, à

l’aider à pas sombrer. Par rapport aux autres collègues qui sont pas adaptés, qui ont mis à mal les

équipes euh alors ça peut faire réfléchir certains qui se disent « oh lalala si les cadres ils nous tolèrent

plus ben ils nous virent » moi je l’assume, j’assume… bah ouai quand ça va pas je vous le dis, ça

vous plait pas peut-être mais moi c’est pas la personne seule, c’est une cohésion d’équipe, c’est du

travail, enfin quand y’a quelqu’un où il faut reprendre tout son boulot au cas par cas, moi je suis

désolée mais y’a quand même un souci. Ici on a des professionnels, enfin un cadre en chir il se

permettrait pas d’aller revoir tous les pansements d’une infirmière. Si il en est arrivé là c’est bien que

l’infirmière elle va pas. Soit on revoit toutes les bases, bon d’accord là elle a pas compris soit elle est

pas adaptée. Mais faut pas le faire seule. C’est-à-dire qu’il faut en parler à ses collègues cadres à

l’encadrement supérieur avec la direction des soins voilà, mais faut être euh…

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Appuyée ?

Appuyée, faut être soutenue, faut être droit dans ses bottes. Pis à un moment faut dire « non c’est plus

possible » parce que on a tendance, et moi je crois que ça a été le défaut de la psychiatrie d’avoir des

collègues qui allaient pas bien, qui faisaient n’importe quoi mais sous prétexte qu’on était en

psychiatrie fallait le tolérer, et ben moi ça non ! Moi j’ai travaillé avec des collègues qui étaient

complètement cinglés et qui passaient huit heures assis sur une chaise et qui pouvaient rien faire

tellement ils étaient cinglés et ben n’empêche qu’ils étaient dans l’équipe et qu’ils comptaient et au

lieu d’être trois ben t’étais plus que deux à bosser ! et ben ça moi je veux pas !

Tu l’as vécu en tant qu’infirmière ?

Ah oui ça je l’ai vécu et ça plus jamais… quand tu passes ton temps à surveiller ton collègue pour

savoir si il a pas boulotté tous les trucs à la pharmacie, ah non ça c’est bon hein…. Arrêtons et quand

on te dis « mais non t’es en psychiatrie tu peux quand même pas attaquer ton collègue il va pas bien

et tout ça », ah oui ? et moi j’ai le droit d’aller mal ? si on se met tous à déconner comme ça. C’est

quoi ça ? non, on est des professionnels. Et je crois que c’est ça qui faut ramener, c’est qu’on est des

professionnels. Et ça c’est pas tolérable, alors il faut le dire. Faut pas attendre que ça devienne explosif

car après on est dans les colères et les sentiments personnels, on est dans du ressenti. On n’est pas

très objectif, on est attaquable et attaqué. Faut pouvoir dire aux collègues « non là ça ne va pas »,

mais comme il faut pouvoir dire à un moment … là on parle beaucoup de la relation infirmière, mais

on a une équipe au-dessus de nous hein... enfin avec qui on collabore car moi je considère que le

médecin est pas au-dessus de moi, je collabore avec lui. Et c’est pas facile de s’articuler avec eux, et

c’est des gens pour qui quelque fois, ils aimeraient bien qu’on soit le bras armé quoi, pas dire pour

eux parce que pour eux voilà si… ils ont… soit ils vont attaquer, soit ils vont rien dire et ça va être à

nous d’aller dire… non chacun … moi je dis les choses en tant que ma fonction. Si eux ils ont des

choses à reprendre avec les infirmiers, c’est à eux de le faire, moi je veux bien accompagner pour

reprendre mais je vais pas dire à la place du médecin.

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Tu lui fais savoir ?

Oui. Comme je peux être clair avec le médecin, y’a des fois on n’est pas d’accord. « Ce que vous

demandez là à l’équipe c’est pas possible ». Bah oui. C’est possible pas possible, je peux mettre du

rouage, je peux mettre de l’huile pour que ça passe mieux, pis y’a des fois où je suis désolée mais ,

moi ça m’est arrivé de dire à un médecin que j’apprécie « tu peux pas demander ça à l’équipe ils ont

pas cette compétence-là »

C’était quel genre de demande ?

Madame M. a mis tout un tas de prise en charge spécifique par rapport aux troubles dys. Alors les

gens ils avaient pas forcément la compétence et puis surtout ça les intéressait pas, ils ne voyaient pas

la compétence de la psychiatrie là-dedans.

C’est de la psychomotricité ?

Oui y’a des psychomotriciennes mais y’a des orthophonistes pour tout ce qui est de la rééducation

mais y’a des moments où les gens se disent « attends c’est plus à nous ? Là on est des soignants. Là

ce qu’on nous demande de mettre en place c’est du rééducatif, par défaut du scolaire, c’est pas notre

place », voilà… et donc là faut pouvoir le redire au médecin. Là on n’est pas vraiment dans le champ

d’une équipe de psychiatrie générale. Bon elle l’a bien entendu mais voilà elle c’est son dada, mais

euh c’est compliqué parfois, comme on a eu un médecin qui demandait de mettre en place des groupes

de 12 enfants avec 2 soignants. Moi je lui ai dit « on n’est pas un centre aéré ».

Douze ?

Ouai bah elle, elle avait une vision qui était plutôt éducative, elle a beaucoup travaillé comme

psychiatrie en milieu éducatif, donc là je lui ai dis non ici c’est du soin. (digression).

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Sinon que pourrais-tu me dire à propos des protocoles ?

Ils sont nécessaires. Si, ils sont nécessaires, faut que y ait un petit 1 - petit 2. Après c’est comme tout

y’a des exceptions, d’abord il faut les connaitre, mais après il faut savoir où aller les chercher, parce

qu’on n’est pas obligé de les connaitre tous, parce qu’après on est un dictionnaire et on sort que des

protocoles, mais faut savoir où aller les chercher voilà. Donc on a la chance d’avoir sur

l’établissement, d’avoir un outil qui nous permet d’avoir un repère rapide, facile, des protocoles

existants pour les grandes lignes de l’établissement et des particularités sur certaines choses. Après

dans les unités il y a les choses non dites, transmises, alors bon… alors faut faire avec, pis y’a d’autres

choses sur lesquelles il faut être assez vigilant.

Transmises ? tu parles des règles de métier ?

Oui des règles comme ça voilà, on dit pas clairement « faut qu’y ait toujours quelqu’un au

secrétariat », mais ça se transmet.

D’accord

Par contre on dit clairement, et c’est inscrit que y’a une règle pour prendre les nouvelles demandes.

Y’a un support et on doit suivre le support et euh voilà, pour les ordres de mission pour tout un tas de

choses voilà pour la, la pose des congés, même si faut le rappeler régulièrement, y’a des protocoles,

y’a des règles voilà.

Ça te facilite le travail ?

Bah que y’ait des protocoles sur certaines choses oui, oui, … et puis de renvoyer la responsabilité des

soignants, c’est pas des enfants, c’est des professionnels. Si t’as pas été chercher l’info c’est quand

même de ta responsabilité, j’suis pas ta mère…

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Oui c’est accessible en plus… c’est sur le GED ?

Bah oui c’est sur YES enfin sur sésame si tu l’as, … mais bon nous on est là pour le rappeler, après

si l’agent fait pas l’effort bah tant pis… ça c’est comme la saisie des actes, y’a un protocole, y’a un

dossier patient, y’a quelque chose qui existe. Quand on voit un enfant, on saisit l’acte, on le précise

et tout, si on le fait pas c’est dommageable pour l’enfant mais à court terme, moi je dis maintenant à

court terme parce que avant je pense qu’on était dans le moyen et long terme, donc à court terme on

peut dire que « attendez vous avez dix postes d’infirmiers là, je vois que au niveau de la répercussion

sur le travail ça concerne euh 8 infirmiers », bah op on t’en prend 2 on les met ailleurs.

Ah oui c’est étudié

Bah bien sûr la charge de travail… enfin t’as tant d’actes, t’as une file active de tant, tant d’actes bah

je veux dire ils ont vite fait de faire les ratios hein…

Donc toi faut vraiment que tu trouves le compromis…

Donc faut réexpliquer le pourquoi… alors c’est toujours paradoxal, tu dois dire que c’est pas un outil

qui sert à vous fliquer mais quand même un peu ! … mais quand même un peu…

Disons que la confiance n’exclut pas le contrôle

Alors ça par exemple faut être très clair moi je leur dis que je peux à tout moment savoir ce que vous

faites et je peux à tout moment vous demandez ce que vous faites et je peux aller vérifier…

Parce que tu as eu des soucis par rapport à ça ?

Bah bien sûr on a toujours des agents qui marquent pas leur activité et tout « mais je l’ai fait », mais

oui c’est ça… donc faut qu’on aille….

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Ah oui…

« Et pourquoi t’as des collègues qu’ont beaucoup de boulot et d’autres qu’en ont moins, vous pouvez

m’expliquer ? » alors t’as des gens qu’ont des plus grandes capacités de travail que d’autres, il peut

y avoir des erreurs dans les saisies et tout… mais en moyenne moi je sais comment à peu près

travaillent les gens… (digression)… alors on a un exercice qui est aussi important c’est-à-dire qu’on

est garant aussi du cadre de soin et euh on est garant de ce que les gens utilisent c’est-à-dire que euh

ben il faut qu’on veille à ce que les consommations des produits de toute sorte ne soient pas entre

guillemets tout à fait délirantes. Hein c’est-à-dire qu’on n’achète pas des jouets pour faire plaisir aux

gens mais faut qu’y ait une utilité, euh faut que les gens fassent attention au matériel qui leur ait

confié. Nous on a des choix à faire quand on fait des demandes pour l’équipement, pour les travaux,

hein ça nous appartient en tant que cadre de référencer, de répertorier, les demandes de travaux, les

demandes d’équipement, et de mettre un coût, bon… les demandes de travaux on se fait aider parce

que franchement ça je sais pas faire mais équipement voilà… (digression) tu as les demandes des

agents… moi quand je suis arrivée ici je me suis fait avoir la première année, t’avais une infirmière

qui d’ailleurs est toujours présente mais bon on en a reparlé, elle me dit « voilà pour le groupe il me

faudrait des poupées », bon bah on m’avait déjà prévenue que c’était le matériel qui fallait pour les

enfants, donc poupée et puis … bon ok poupée, on va à Jouet Club faire un bon d’achat et puis « ah

oui mais il faut des poupées Corolle pour que ça sente bon »….. Et puis du coup moi j’ai pas plus

réfléchi que ça, j’ai laissé faire… mais c’était une connerie monumentale… mais remarque la poupée

a beaucoup plu puisqu’on nous l’a barbotée rapidement…

Ah oui les poupées Corolle

Donc maintenant on ne m’y reprend plus, mais bon il faut toujours... parce qu’on est garant de ça en

tant que cadre, et y’a toute cette fonction là qu’on découvre, parce que ça quand on est infirmier on

est peu sensibilisé à ça. Et puis y’en a qui vivent dans le monde des bisounours hein. Un jour on m’a

fait une demande pour acheter des bottes d’équitation pour un groupe équithérapie… et les semelles

pour les enfants, et les adultes aussi…. Là j’ai dit non… mais ils comprenaient pas pourquoi, … y’a

des demandes parfois qui sont un peu farfelues, qui partent d’un bon sentiment mais ils ont l’habitude

de penser que l’établissement c’est une mère, c’est une bonne mère et qu’elle dirait toujours oui, mais

je trouve que la meilleure des mères c’est celle qui dit non. On peut pas toujours dire c’est

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l’administration qui veut pas, moi je dis « non » « non ». Là on me demande l’achat d’un miroir, j’ai

dit « oui mais je pense que y’en a déjà dans le service donc allez chercher les anciens miroirs et on

verra après », voilà…. Y’a tout ces trucs, les travaux ? « Bah faites attention, laissez pas les lumières

allumées » euh pfff…. Et puis les travaux on apprend à prioriser, alors au début tu comprends pas,

parce que dans toi dans ton CMP, dans ton HDJ, ou autre bah tu voudrais que tout soit clean et

tout…mais y’a des administratifs qui sont là avec la calculatrice « ah oui c’est intéressant, mais les

demandes que vous avez fait ça représente le budget total de l’établissement pour l’ensemble des

services »… bon bah tu reviens vite sur terre, et après on te demande de prioriser, et quand t’as

priorisé on te demande de t’en passer. Te dire que bah ça va être reporté. Et puis on espère bien une

fois qu’on te l’aura reporté une fois deux fois que tu vas avoir oublié et c’est là où il faut être malin,

faut négocier…. Moi j’ai découvert ça, … avant jamais j’aurais fait ça, ben non faut négocier.

Tu développes d’autres talents

T’es obligé car tu as une réalité financière. Et on a beau dire on a beau faire, en même temps tu peux

le comprendre hein euh qu’ils sont pas là pour nous embêter mais ils sont là aussi pour que l’argent

soit dépensé à bon escient.

Et que l’établissement ne soit pas déficitaire

Oui pour des choses qui n’ont pas lieu, parce que quand même plein de choses qui ont été achetées et

qui ne servent pas…. On en a tous partout. (Digression).

Concernant les mouvements Rh, as-tu beaucoup de turnover ?

Alors moi dans mon équipe non, Bilge oui ! (Rires) Elle a pas de chance, elle a une équipe qui a

beaucoup bougé. Mais euh, comment on peut dire … je crois qu’on a commencé à apprendre, euh

parce que chez les adultes y a beaucoup de turnover, chez les enfants c’est protégé. Tu sais les gens

ils travaillaient trente quarante ans ici, ils bougeaient pas, ils faisaient leur carrière… et là depuis

quelques années, je dirais depuis 10/15 ans y’a une mouvance qui s’est inscrite. D’abord y’a des gens

qui sont partis en retraite et puis y’a des gens qui s’inscrivent pas dans la même dynamique, c’est-à-

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dire qu’ils s’inscrivent pas pour rester, certains restent puis d’autres tu vas voir que ben ils vont avoir

une carrière qui va se développer dans autre chose, euh une envie d’aller faire autre chose et tout, et

ça a été un peu difficile au début parce que se mélangeait ces deux types d’agents … et puis

maintenant c’est acquis hein que y’a des gens qui vont rester d’autres pas rester, certains qui sont

tout neufs dans leur métier et d’autres qui ont de l’expérience, qui ont des expériences différenciées,

ce qui n’était pas le cas avant… avant c’était sacralisé les services enfants, c’était le…. D’abord pour

certains c’était le graal, quand t’étais accepté d’aller chez les enfants, …. C’est que tu l’avais mérité !

pour d’autres c’était la punition, mais y’avait quand même ce sentiment que quand t’allais travailler

chez les enfants c’était des gens qui étaient pétris de sciences et de culture… c’est-à-dire que quand

t’étais diplômé tu allais jamais directement chez les enfants, il fallait d’abord que tu ailles faire tes

armes en structure intra, avant de venir … maintenant ça n’existe plus. Et ben je trouve ça bien. Moi

j’aime bien le brassage.

Tu trouves que ça apporte quoi ?

Ben ça apporte de la réflexion, de revivre des choses, de repenser, de se réinterroger, une ouverture

sur autre chose, et pas issus juste de la filière psy mais qui ont eu une autre trajectoire mais c’est hyper

intéressant… Matthieu qui arrive et qui a travaillé aux soins palliatifs… tu te rends compte ? soins

palliatifs… cancéro et tout… mais du coup il s’est bien adapté, on lui a donné le temps on l’a

accompagné, les agents tous, euh… faut aller vers hein… si tu restes sur ton, mais c’est compliqué,

et il a été vers et puis voilà op… et avec une envie, avec une réflexion.. et pis il interroge quand il sait

pas il pose la question… alors voilà moi je trouve que c’est le B-A BA, les gens qui ne disent jamais,

c’est pénible… et après ce qui a c’est que en tant que cadre quand tu travailles en pédopsy, tu as

différents types de personnel, ce que tu ne retrouves pas chez les adultes, et ce que tu ne retrouves

pas en MCO forcément… c’est-à-dire ici tu as le monde soignant, éducatif, et rééducatif… alors

qu’est-ce qui est le plus compliqué ? c’est le monde socio-éducatif. Alors pour une chose très simple,

euh les rééducatifs c’est des soignants donc c’est des paramédicaux, donc les bases et tout ... et les

sociaux je suis désolée mais y a l’accès, alors l’enfant sain et tout oui, mais l’enfant malade ?

présentant des troubles ? Bon y’a des gens qui se forment et tout mais ils ont quand même une

perception un peu différente, donc faut que tout ça, ça s’articule.

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Oui car toi tu les manages aussi

Oui, oui oui. Alors c’est très compliqué car c’est un double management, ils ont plus de cadre socio-

éducatifs (digression).

Et en termes d’arrêt maladie ?

Non y’a pas un absentéisme important… ça a pu être à un moment donné, mais non… non, non, c’est

fluctuant à ce qui se passe, comme partout, mais le jour où les gens accepteront de se faire vacciner,

y aura moins de problème de grippe, voilà.

Alors il reste deux questions, l’avant dernière : te sens tu reconnue par ton équipe ?

Oui bah oui… alors là je pense que j’ai dépassé le stade du besoin de reconnaissance… (rires) parce

que c’est beaucoup au début, on a besoin de savoir si on est bien dans son rôle, si on n’est pas à côté,

si, on se pose un minimum cette question, faut un peu d’introspection, oui la reconnaissance oui…

voilà faut pas être dupe… mais oui… après… voilà…

Ils font beaucoup appel à toi…

Oui parce que je suis beaucoup ici… alors ça par contre, moi je le dis et je le clame, avoir des cadres

dispatchés partout c’est une connerie monumentale.

Oui on est moins disponible

On est moins disponible, et puis pour tout un tas de bêtises qui pourraient être gérées par d’autres,

j’en suis convaincue…les équipes peuvent bosser, être sécures, assumer les choses si derrière ils ont

quelqu’un qui va tenir la maison quand ils font ça, que quand ils sortent d’une situation ils ont besoin

d’en parler… que voilà on les emmerde pas trop avec ça, on va pas leur casser les pieds pour 5 minutes

car ils arrivent en retard, il faut toujours avoir des leviers… la reconnaissance ça passe par ça aussi…

moi rapidement quand j’ai commencé j’ai vu des trucs machin, ça a pas été possible avec le premier

cadre sup mais avec le deuxième ca a été possible de négocier, avec… Y’avait des agents qui

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arrivaient systématiquement en retard, ben a un moment donné j’ai dit faut arrêter d’être con quoi, si

t’arrives pas à 9h, ben arrive plus tard et puis point barre, on dit que tu commences à 9h30 et puis

c’est tout. Vous avez pas besoin d’être tous au garde à vous là à 9h. Et ben ça, par contre ça a été un

levier parce qu’après quand t’as besoin, ben les gens ils se sentent un peu redevables. C’est un peu

de la manipulation hein mais euh voilà il faut faire avec. Faut permettre que pendant le travail, alors

parce que je suis en extra, mais si quelqu’un a une consultation médicale à 13H et ben il prend une

heure et il y va.

C’est donnant donnant

Bah voilà faut avoir un peu cette souplesse là et c’est pas ça qui va faire que ça tournera moins bien

mais simplement, mais par contre pas être… enfin c’est-à-dire que les gens qui te disent « non non je

commence à 9h » et puis que tu les vois systématiquement arriver à 9h15 et qu’ils se marquent 9h, tu

peux leur dire un jour « bah là on va peut-être rectifier les choses, d’accord ok ? », voilà on n’est pas

dupe. Pas être dupe.

Bon dernière question, à qui tu voudrais dire merci ?

Ah… plein de gens, bah je pense les premiers qui… bah je pense à une collègue qui était ma cadre,

puis ma cadre sup après et qui m’a dit « bah vas-y lance toi », parce que je crois que, je travaillais en

insertion à l’époque et j’avais pas pensé à ça, j’avais pas pensé à ce travail-là. Et qui m’a dit « mais

euh t’as fait le tour de ta profession, t’as fait plein de choses, là tu travailles en insertion mais t’es

autonome parce que c’est le boulot qui veut ça, est ce que ça te dirait pas de passer à un autre style

de travail ? » et de réfléchir déjà, d’amener cette réflexion, bah oui je peux lui dire merci parce que

on a des visions à des moments de sa vie « oh non surtout pas être cadre c’est que des emmerdes »

voilà, et elle, elle m’a montré que non ça pouvait être autrement.

Elle a cru en toi

Bah oui elle a cru en moi et puis euh y’a aussi Hugues Latour aussi c’est quelqu’un qui a cru en moi…

qui a beaucoup compté parce que effectivement il a cru en moi et que quand je lui ai dit non pour

aller dans le service E, et ben, enfin j’étais chez les adultes et quand le service E s’est ouvert on m’a

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demandé de, d’être le cadre de la structure mais moi le projet m’intéressait mais c’était de travailler

avec le docteur Galieni qui me … je le connaissais déjà et je sentais que ça allait être compliqué, …

je savais que ça allait pas le faire… mais voilà des gens comme ça qui ont compté, et puis les équipes,

parce que les cadres sont faits par les équipes, moi j’ai rencontré des gens c’était des vraies saloperies,

je te jure !! oh la la la, ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs, je te jure ! oh y’a des gens… bah

oui mais ça t’apprend à relativiser et puis te dire bon ben la roue tourne un jour ou l’autre… mais…

Ça fait grandir

Oui ça fait grandir, ça t’oblige à revoir pourquoi… bah quand je suis arrivée dans ce poste, la cadre

sup était extraordinaire, et elle m’a dit « oh bah j’ai accepté que tu viennes euh parce que tu es (rires)

tu es militante CGT ! »

(Interruption, et fin).

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MERCIER Anne-Cécile 2018/2019

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de cadre de santé

et du master (1ère année)

« Sciences de l’éducation – Cadres d’intervention en terrains sensibles »

Conformisme et cohésion d’équipe en pédopsychiatrie

Sous la direction de : Teresa PEREIRA DE CASTRO

Institut de formation des cadres de santé Ile de France – Sainte Anne Université Paris Nanterre

Résumé :

La conformité au travail est un enjeu de cohésion d’équipe. À travers une monographie dans un pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, on découvre la conformité au travers des exigences institutionnelles et d’un travail de plus en plus prescrit. L’émergence de la culture du protocole entraîne des résistances de la part des professionnels de terrain et les cadres déplorent que l’administratif prenne le pas sur le soin relationnel. Mais on note surtout une pression de conformité groupale avec des attendus et critères spécifiques au secteur entrainant des guerres de savoirs conduisant à l’exclusion des éléments dits déviants. Quel rôle le cadre joue-t-il auprès des équipes pour favoriser la cohésion, quels sont ses leviers ? Comment se positionne-t-il ? La recherche nous apprend que le cadre s’appuie sur des leviers de coopération tels que la convivialité ou l’analyse en équipe de situations de conflits pour dissiper les tensions. Tiraillé entre la volonté d’inclure chacun et la pression de conformité du collectif, il peut être amené à réguler les tensions en se conformant aux attentes de l’équipe. À savoir en rejetant l’élément déviant hors du circuit de la pédopsychiatrie.

Mots clés : Conformisme, déviance, équipe, cohésion, travail, norme, pédopsychiatrie.

L'Institut de Formation des Cadres de Santé de Sainte-Anne (Paris) n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires : ces opinions doivent être

considérées comme propres à leurs auteurs.