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Confrontation Socio-Cognitive Entre Pairs au Cours de l’organisation du Produit de Deux Ensembles: Analyse de Quelques Mécanismes Agnès Blaye Université de Provence, Aix-en-Provence, France De trés nombreux travaux expérimentaux visant à démontrer les effets facilitateurs des interactions sociales tant au plan du développement cognitif en général qu’au plan d’acqui- sitions individuelles plus locales en résolution de problèmes, ont été réalisés au cours des dix dernières années. Ils s’appuient essentiellement sur les théories de deux auteurs: Piaget (le courant de psychologie sociale génétique, Mugny, 1985) et Vygotsky (Wertsch, 1985). Toutefois, ces travaux ne nous fournissent que des modèles trés généraux quant aux méca- nismes responsables des progrès individuels générés par l’interaction. C’est précisément à l’étude de ces mécanismes que nous avons consacré une série d’étu- des portant sur la résolution d’un problème scolaire: L’organisation du produit de deux ensem- bles (remplissage d’un tableau à double entrée dont les marges sont fNées, à l’aide des éléments de l’ensemble produit des deux marges) par des enfants de 5 à 6 ans (Blaye, 1986, 1987). Pour ce faire, nous n’avons pas exclusivement centré notre attention sur la comparai- son des progrès individuels réalisés en post-test par des enfants ayant été entraînés seuls ou à deux, mais nous avons conduit une analyse séquentielle de l’évolution des modes de réso- lution mis en oeuvre par les sujets. Ceci a été rendu possible grâce au modèle procédural d’analyse de l’activité de résolution mis au point par Bastien et coll. (1982). Sur le plan des progrès engendrés par la résolution de problème en confrontation avec un pair, on constate d’une part le rôle déterminant des conditions d’organisation de la siîuation et, d’autre part on relève des différences interdyades trés sensibles quant à la fréquence et l’ampleur des évolutions induites. En analysant certains des paramètres caractérisant la phase d’interaction, nous avons pu dégager un mécanisme tout à fait central, à savoir, la déstabilisation de la procédure systématique de résolution liée aux activités conjointes ou alternées du partenaire (pour plus de détails, voir Blaye, 1987). L’atteinte, dans le cadre de l’activité de Co-résolution, de la solution terminale correcte bien que liée positivement aux progrès, ne s’avère pas être une condition suffisante ni même nécessaire. Afin d’évaluer l’efficacité du mécanisme de déstabilisation indépendamment du con- texte d’interaction sociale qui l’avait produit, nous avons proposé à un groupe d’enfants placés en situation de résolution individuelle, une présentation de la tâche rendant impossi- ble l’utilisation d’une procédure de résolution systématique. L’effet positif de ia déstabilisa- tion s’est trouvé c o n f î î é dans ce nouveau contexte, toutefois il a été beaucoup moins sensible que dans le cadre de la confrontation entre pairs. Par ailleurs, il est apparu que seuls en ont bénéficié les sujets faisant preuve initialement d’une procédure qui, bien que systémati- que, s’avérait partiellement indépendante de la structuration ligne à ligne et colonne à colonne imposée par le tableau à remplir. La moindre efficacité de la déstabilisation de la procédure en situation de résolution individuelle, nous a conduit à prendre en compte d’autres aspects de l’activité de Co-résolution. Nous avons ainsi mis en évidence le rôle du guidage constitué par le résultat des actions déjà réalisées (cases du tableau déjà remplies) tant par le sujet lui même que par son partenaire.

Confrontation Socio-Cognitive Entre Pairs au Cours de l’Organisation du Produit de Deux Ensembles: Analyse de Quelques Mécanismes

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Page 1: Confrontation Socio-Cognitive Entre Pairs au Cours de l’Organisation du Produit de Deux Ensembles: Analyse de Quelques Mécanismes

Confrontation Socio-Cognitive Entre Pairs au Cours de l’organisation du Produit de Deux Ensembles: Analyse de Quelques Mécanismes

Agnès Blaye Université de Provence, Aix-en-Provence, France

De trés nombreux travaux expérimentaux visant à démontrer les effets facilitateurs des interactions sociales tant au plan du développement cognitif en général qu’au plan d’acqui- sitions individuelles plus locales en résolution de problèmes, ont été réalisés au cours des dix dernières années. Ils s’appuient essentiellement sur les théories de deux auteurs: Piaget (le courant de psychologie sociale génétique, Mugny, 1985) et Vygotsky (Wertsch, 1985). Toutefois, ces travaux ne nous fournissent que des modèles trés généraux quant aux méca- nismes responsables des progrès individuels générés par l’interaction.

C’est précisément à l’étude de ces mécanismes que nous avons consacré une série d’étu- des portant sur la résolution d’un problème scolaire: L’organisation du produit de deux ensem- bles (remplissage d’un tableau à double entrée dont les marges sont fNées, à l’aide des éléments de l’ensemble produit des deux marges) par des enfants de 5 à 6 ans (Blaye, 1986, 1987).

Pour ce faire, nous n’avons pas exclusivement centré notre attention sur la comparai- son des progrès individuels réalisés en post-test par des enfants ayant été entraînés seuls ou à deux, mais nous avons conduit une analyse séquentielle de l’évolution des modes de réso- lution mis en oeuvre par les sujets. Ceci a été rendu possible grâce au modèle procédural d’analyse de l’activité de résolution mis au point par Bastien et coll. (1982).

Sur le plan des progrès engendrés par la résolution de problème en confrontation avec un pair, on constate d’une part le rôle déterminant des conditions d’organisation de la siîuation et, d’autre part on relève des différences interdyades trés sensibles quant à la fréquence et l’ampleur des évolutions induites.

En analysant certains des paramètres caractérisant la phase d’interaction, nous avons pu dégager un mécanisme tout à fait central, à savoir, la déstabilisation de la procédure systématique de résolution liée aux activités conjointes ou alternées du partenaire (pour plus de détails, voir Blaye, 1987). L’atteinte, dans le cadre de l’activité de Co-résolution, de la solution terminale correcte bien que liée positivement aux progrès, ne s’avère pas être une condition suffisante ni même nécessaire.

Afin d’évaluer l’efficacité du mécanisme de déstabilisation indépendamment du con- texte d’interaction sociale qui l’avait produit, nous avons proposé à un groupe d’enfants placés en situation de résolution individuelle, une présentation de la tâche rendant impossi- ble l’utilisation d’une procédure de résolution systématique. L’effet positif de ia déstabilisa- tion s’est trouvé c o n f î î é dans ce nouveau contexte, toutefois il a été beaucoup moins sensible que dans le cadre de la confrontation entre pairs. Par ailleurs, il est apparu que seuls en ont bénéficié les sujets faisant preuve initialement d’une procédure qui, bien que systémati- que, s’avérait partiellement indépendante de la structuration ligne à ligne et colonne à colonne imposée par le tableau à remplir.

La moindre efficacité de la déstabilisation de la procédure en situation de résolution individuelle, nous a conduit à prendre en compte d’autres aspects de l’activité de Co-résolution. Nous avons ainsi mis en évidence le rôle du guidage constitué par le résultat des actions déjà réalisées (cases du tableau déjà remplies) tant par le sujet lui même que par son partenaire.

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Par ailleurs un autre aspect déterminant de l’efficacité d’une co-résolution entre pairs semble être la prise en charge d’une part importante du contrôle de l’activité de résolution par le partenaire. En effet, dans les situations d’interactions mises en place, chacun des mem- bres de la dyade avait pour rôle (en alternance avec l’autre) de juger de la validité de la proposition (placement d’un carton dans une case donnée) de son partenaire. Ainsi pouvait se mettre en place de manière quasi systématique une confrontation de chaque résultat par- tiel avec le but que les sujets s’étaient fixé. Un certain nombre de travaux en psychologie cognitive montrent que l’absence d’auto contrôle de l’activité de résolution chez les jeunes enfants est une cause importante d’échec. Ce contrôle opéré ici par le partenaire, conduit celui-ci, en cas de désaccord, à repréciser quels sont pour lui les éléments du problème qu’il est pertinent de prendre en compte. Ces verbalisations, quoique peu nombreuses, provo- quent alors parfois une explicitation de la représentation du probIème. Cette explicitation peut favoriser une meilleure adéquation entre le but que se sont fixé les sujets et la solution attendue, mais elle peut aussi provoquer un consensus sur un objectif partiellement incor- rect. On retrouve là le caractère favorable, largement souligné par la psychologie sociale génétique, d’une opposition initiale des points de vue entre les partenaires. Celle-ci rend en effet plus improbable de tels consensus.

Ces différents résultats, quoique trés partiels, peuvent apporter, nous semble-t-il, un nouvel éclairage sur la complexité du fonctionnement des enfants dans le cadre d’activités collectives de résolution de problèmes scolaires. Toutefois, il est clair que l’approche propo- sée ici, ne s’est centrée que sur des dimensions essentiellement cognitives de l’activité. Un autre objet d’étude, complément indispensable à celui-ci, serait l’analyse des aspects plus proprement sociaux et socio-affectifs en jeu dans de telles situations.

Références

Bastien, C., Cauzinille-Marmèche, E., Mathieu, J., N’guyen-Xuan, A.. De Oliveira, A., & Pinelli, P. M. (1982). Stra- tégies de résolution de problème et classification multiplicative. Enfance, 35, 9-21.

Blaye, A. (1986). Confrontation socio-cognitive et organisation du produit de deux ensembles. Cahiers de Psycholo- gie Cognitive, 6 , 87-94.

Blaye, A. (1987). Organisation du produit de deux ensembles: Influence des interactions sociales entre pairs sur les procédures de résolution et les performances individuelles. Europeun Journal of Psychology of Educfffion, 1, 4, 29-43.

Mugny, G . (1985). Psychologie sociale du développement cognitif. Berne: Peter Lang.

Wertsch, J . V. (1985). Culture, Communication und Cognition. Vygotskian Perspectives. Cambridge University Press.