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1 Congrès international de l’association Henri Capitant La vulnérabilité économique Rapport français (version provisoire – avril 2018) par Olivier Deshayes Professeur de droit privé Université de Cergy-Pontoise 1 Vulnérabilité. Est vulnérable la personne que sa situation (physique, psychologique, de fortune, d’éducation, d’âge, etc.) expose à être frappée d’un mal. La vulnérabilité est donc un facteur favorisant de possibles souffrances ou préjudices, c’est-à-dire une forme particulière de faiblesse. Vulnérabilité économique. La vulnérabilité peut être qualifié d’« économique » lorsque les facteurs à l’origine de la faiblesse d’un sujet de droit sont de nature économique, c’est-à-dire procèdent de la situation de fortune de l’intéressé, ou d’un rapport de force économique défavorable noué avec autrui. A supposer même que l’on puisse isoler ces facteurs d’autres causes de faiblesse, le spectre des situations englobées demeure particulièrement vaste. Il couvre aussi bien la personne physique ou morale en situation d’impécuniosité chronique ou placée devant l’imminence de difficultés financières ponctuelles que le salarié, dépendant économiquement de son employeur, ou que l’acteur économique, le cas échéant de grande taille, qui traite avec un autre acteur dont il dépend économiquement. Problématique et plan. La question est de savoir si cette faiblesse particulière est prise en considération par le droit français et, dans l’affirmative, de quelles façons et avec quels résultats. On tâchera d’y répondre, en suivant pour l’essentiel le plan préconisé par le rapporteur général Mme le Professeur Bicquet-Mathieu, c’est-à-dire en distinguant le droit commun des contrats (I) du droit de la consommation (II). On ajoutera tout au plus un développement portant sur les rapports entre professionnels (III). Remarque préalable. A titre de remarque préalable, on fera toutefois observer que le plan suivi modifie quelque peu la perception du sujet. Il la restreint et l’élargit à la fois. Il la 1 [email protected]. Le présent rapport se présente comme une réponse aux questions posées par le rapporteur général Mme Bicquet-Mathieu.

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Congrèsinternationaldel’associationHenriCapitant

Lavulnérabilitééconomique

Rapportfrançais

(versionprovisoire–avril2018)

parOlivierDeshayes

ProfesseurdedroitprivéUniversitédeCergy-Pontoise1

Vulnérabilité. Est vulnérable la personne que sa situation (physique, psychologique, defortune,d’éducation,d’âge,etc.)exposeàêtrefrappéed’unmal.Lavulnérabilitéestdoncun facteur favorisant de possibles souffrances ou préjudices, c’est-à-dire une formeparticulièredefaiblesse.

Vulnérabilitééconomique.Lavulnérabilitépeutêtrequalifiéd’«économique» lorsque lesfacteursàl’originedelafaiblessed’unsujetdedroitsontdenatureéconomique,c’est-à-direprocèdentde la situationde fortunede l’intéressé, oud’un rapport de forceéconomiquedéfavorablenouéavecautrui.Asupposermêmequel’onpuisseisolercesfacteursd’autrescausesde faiblesse, lespectredessituationsenglobéesdemeureparticulièrementvaste. Ilcouvreaussibienlapersonnephysiqueoumoraleensituationd’impécuniositéchroniqueouplacéedevant l’imminencededifficultés financières ponctuelles que le salarié, dépendantéconomiquementdesonemployeur,ouquel’acteuréconomique,lecaséchéantdegrandetaille,quitraiteavecunautreacteurdontildépendéconomiquement.

Problématiqueetplan.Laquestionestdesavoirsicettefaiblesseparticulièreestpriseenconsidération par le droit français et, dans l’affirmative, de quelles façons et avec quelsrésultats. On tâchera d’y répondre, en suivant pour l’essentiel le plan préconisé par lerapporteurgénéralMmeleProfesseurBicquet-Mathieu,c’est-à-direendistinguant ledroitcommun des contrats (I) du droit de la consommation (II). On ajoutera tout au plus undéveloppementportantsurlesrapportsentreprofessionnels(III).

Remarquepréalable.Atitrederemarquepréalable,onferatoutefoisobserverqueleplansuivi modifie quelque peu la perception du sujet. Il la restreint et l’élargit à la fois. Il [email protected]ésentrapportseprésentecommeuneréponseauxquestionsposéesparlerapporteurgénéralMmeBicquet-Mathieu.

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restreinttoutd’abord,encequ’illaissehorschampledroitdutravail,dontonpeutpenserqu’ilconstitueundroitspécialde lavulnérabilitééconomiquetoutàfaittopique2.Ledroitpénal est également exclu de manière générale. Il n’est pourtant pas sans intérêt3. Arebours,leplanchoisiélargitaussi,ensuite,laperceptiondusujetencequ’il inviteàoffrirune large place au droit de la consommation. Le présupposé est sans doute que leconsommateurestdansunesituationdefaiblessefaceauprofessionneletqueledroitdelaconsommationestdoncpourunegrandepart,sinonpourtout,uninstrumentdeprotectiondu consommateur contre une situation de vulnérabilité économique. Il s’agit d’une visiondeschosesquiestdéfendable.Onobserveratoutefoisquesileconsommateurest,faceauprofessionnel,dansune situationquiest souventqualifiéede situationde faiblesseoudesituation déséquilibrée, cette situation n’est pas le plus souvent une situation devulnérabilitééconomiqueausensstrict.Sivulnérabilitéilya,elleprocèdebiendavantagedeconsidérations psycho-sociologiques: le consommateur, mû par l’envie de consommer –laquelleestalimentéeparledésirmimétique–n’estpastoujourslemeilleurarbitredesesintérêts.Aussil’intégrationdudroitdelaconsommationdansl’étudeincite-t-elleàdépasserla définition de la vulnérabilité économique qui a été précédemment donnée pour ysubstitueruneidéeplusgénérale(maisaussiplusvague)devulnérabilitédanslesrapportséconomiques.

Chapitre1–Droitcommundescontrats

Ledroitcommundescontratsfrançaiscomportedenombreusesrèglesvisantàassurerunéquilibreentre lesparties,tantaustadede laformationducontrat(section1)quedesonexécution (section 2). Rare sont toutefois celles qui traitent spécifiquement du cas de lavulnérabilitééconomique.Onpeutyvoiruneconséquencedeceque(i)cettefaiblessen’estquel’unedeshypothèsescontrelesquellesledroitcommunassureuneprotectionetdeceque(ii) lavocationdudroitcommunestd’appréhenderlessujetsdedroitsansdistinction,sansenfermer«lespersonnesdansdesrôlesprédéterminés»4,cequipostulequ’iln’apasàs’adresserauxpersonnesfaiblesouvulnérablesenparticuliermaisàtouslessujetsdedroit,réputéségauxetégalementdignesdeprotectionlesunslesautres.

Section1–Laformationducontrat

2V.d’ailleursC.trav.,art.L.1132-1:«Aucunepersonnenepeutêtreécartéed'uneprocédurederecrutementoudel'accèsàunstageouàunepériodedeformationenentreprise,aucunsalariénepeutêtresanctionné,licenciéoufairel'objetd'unemesurediscriminatoire,directeouindirecte(…)enraisonde(…)delaparticulièrevulnérabilitérésultantdesasituationéconomique,apparenteouconnuedesonauteur(…)».3 Sur le délit d’abus de faiblesse, v. C. pén., art. L.223-15-2 (mais le texte ne vise pas la vulnérabilitééconomique)etC. conso.,art. L.121-8. Sur ledélitdediscrimination,v.C.pén.,art.225-1:«Constitueunediscriminationtoutedistinctionopéréeentre lespersonnesphysiquessur lefondementde(…) laparticulièrevulnérabilitérésultantdeleursituationéconomique,apparenteouconnuedesonauteur(…)»(al.1).Ausujetdes personnesmorales, v. lemême texte, dans son alinéa 2. Adde, C. pén., art. 222-23 sur le harcèlementsexuelquifaitdelavulnérabilitééconomiqueunecirconstanceaggravante.4C.Labrusse-Riou,Larelativitéducontrat: lespersonnes, inLarelativitéducontrat,Travauxdel’associationHenriCapitant,éd.LGDJ,2000,p.26.

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§1er–Information

Obligationd’informationendroitfrançais.Endroitfrançais,unepartieàdesnégociationscontractuelles peut être tenue envers l’autre, indépendamment des stipulations d’unéventuelavant-contrat,d’uneobligationd’information.

D’origine jurisprudentielle, cette obligation a été récemment consacrée dans le Code civilparl’ordonnancederéformedu10février2016,àl’article1112-1.

Régime.Onpasseravitesurlerégimedel’obligationd’information,clairementprécisédansletexteetnesoulevantguèrededifficulté.Toutd’abord,ladispositionestd’ordrepublic,detelle sorte que le débiteur d’une obligation d’information ne peut pas exclure ou allégercettecharge5.Ensuite,ilappartientaudébiteurdel’informationdeprouverqu’ilatransmisles informations dues et non au créancier de prouver qu’il n’a pas reçu lesditesinformations6.Enfin,l’article1112-1impliquequelaseulesanctionpropredumanquementau devoir d’information est l’allocation de dommages et intérêts. L’annulation du contratpeutcertesavoirlieumaisuniquementsiunviceduconsentementestétabli,auxconditionsprévues à ce titre7, ce qui revient à dire que le passage par l’obligation d’informationn’ajoutealorsrienauxrègleshabituellesdesvicesduconsentement.

Conditionsd’existence.Ons’arrêteraunpeuplus longtempssur lesconditionsd’existencede l’obligation d’information. Elles sont précisées aux alinéas 1er à 3 de l’article 1112-18.Dans l’ensemble,onpeutdireque le législateur françaisaavant toutcherchéà introduiresymboliquement la jurisprudenceantérieuredans leCodecivil,enconservantà lasolutionsa souplesse et donc une part de son indétermination9. Il a toutefois pris un soin toutparticulieràérigerdesbarrières,demanièreàéviterqu’uncontractantdéçunepuissetropfacilementimputeràl’autreunmanquementàuneobligationd’information.Onrelèveraàce dernier égard que l’obligation d’information ne porte que sur les informations «dontl’importance est déterminante» et que le caractère déterminant s’apprécie lui-mêmeobjectivementet strictement :ontuncaractèredéterminant les informations«quiontunlien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties». C’est une

5C.Civ.,art.1112-1,al.5:«Lespartiesnepeuventnilimiter,niexclurecedevoir».6C.Civ., art. 1112-1, al. 4:«Il incombeà celuiquiprétendqu'une information lui étaitduedeprouverquel'autrepartielaluidevait,àchargepourcetteautrepartiedeprouverqu'ellel'afournie.7 C. Civ., art. 1112-1, al. 6: «Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, lemanquement à ce devoird’informationpeutentraînerl’annulationducontratdanslesconditionsprévuesauxarticles1130etsuivants»8C.civ.,art.1112-1:«Celledespartiesquiconnaîtuneinformationdontl’importanceestdéterminantepourle consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cetteinformationoufaitconfianceàsoncontractant(al.1)»;«Néanmoins,cedevoirneportepassurl’estimationde la valeur de la prestation(al. 2)»; «Ont une importance déterminante les informations qui ont un liendirectetnécessaireaveclecontenuducontratoulaqualitédesparties(al.3)».9 Lenouveau texte,qui traiteexclusivementde l’obligationd’information,nepréjuged’ailleursen riende lapossibleexistenceentre lespartiesd’uneobligationd’undegréplus fort:obligationdemiseengardeoudeconseil.

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façon de dire que le débiteur de l’obligation d’information n’a pas à délivrer d’autresinformations que celles qui, évidemment et objectivement, sont de nature à exercer uneinfluencedéterminantesurleconsentementdel’autrepartie,d’aprèslanatureetl’objetducontrat. Par ailleurs, l’obligation d’information ne peut jamais porter sur la valeur de laprestation (quece soit lavaleurde laprestationde l’uneoude l’autredesparties): ilestdoncimpossiblepourunepartiedereprocheràl’autred’avoirfait,sansledire,unebonneaffaire10.Enfin,peutseuleseprétendrecréancièred’uneobligationd’informationunepartiequi,«légitimement»,aignorél’informationoufaitconfianceàsoncontractant.End’autrestermes,iln’yaobligationd’informationquesilescirconstancesjustifientqu’unepartien’aitpas obtenu ou cherché une information pourtant déterminante pour elle. C’est dire si ledroitfrançaisestloindeprotégerlesinsouciants,lesparesseuxoulesnaïfs!Iln’apasmêmepour objet, à travers l’obligation d’information, de protéger les personnes vulnérables. Ilpeutnéanmoinsavoirceteffet.Particulièrement,onrelèveraqueconstitueuncasclassiqued’obligation d’information celui d’une partie économiquement faible faisant face à uncontractantréputéfortdisposantd’informationsqu’ellen’apas(situationd’asymétriedansl’information),lorsqu’ilnepeutluiêtredemandéd’obtenircesinformationsparelle-mêmeenraisondesdifficultésoudescoûtsdecetterecherche.

§2–Vicesdeconsentement

Nouveauté:abusde l’étatdedépendance. Ledroit françaisneconnaîtquetroisvicesduconsentement: l’erreur, le dol et la violence. Seule la violencemérite ici l’attention. Plusprécisément, c’est sur un cas particulier de violence, introduit dans le Code civil parl’ordonnancederéformedu10février2016,qu’ilyalieudes’arrêter11:l’abusdel’étatdedépendance.

Lenouvelarticle1143duCodecivildispose:«Ilyaégalementviolence lorsqu'unepartie,abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard,obtientdeluiunengagementqu'iln'auraitpassouscritenl'absenced'unetellecontrainteetentireunavantagemanifestementexcessif».

Jurisprudence antérieure et projets de réforme. L’histoire est susceptible d’éclairer laportéedecettedisposition.

Lajurisprudenceavaitadmis,sousl’empireduCodede1804,quepuisseconstitueruncasdeviolencel’exploitationparuncontractantdel’étatdenécessitédel’autre.Renduesdansdesaffairesparticulièresdegrandedétressed’uncontractantprovoquéepardescirconstances

10 La jurisprudence antérieure était fermement établie en ce sens, à la suite d’un célèbre arrêt «Baldus»,renduen2000:Cass.1reciv.,3mai2000,n°98-11.381 : JCPG2001, II,10510,noteJamin ;Defrénois2000,1110,obs.D.MazeaudetDelebecque;RTDciv.2000,566,obs.MestreetFages;AddeCass.3eciv.,17janv.2007,n°06-10.442:GAJciv.,n°151;RDC2007/3,p.703,obs.Y.-M.Laithieretp.798,obs.Collart-Dutilleul.11Pourlereste,lesvicesduconsentementpeuventévidemmentêtreinvoquésparunepartieensituationdevulnérabilité,maiscettecirconstancenemodifiepasl’analyse.

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extérieures aux parties elles-mêmes, ces décisions anciennes étaient toutefois rares etétaientappeléesàleresterenraisond’interventionslégislativesoffrantunesolutionprêteàl’emploi dans les hypothèses les plus problématiques (sauvetage en mer, situations deguerre).Plusrécemment, laquestionde l’utilisationduvicedeviolencearesurgidansdescasdefragilitééconomiqued’unepartie.Connuesouslenomde«violenceéconomique»,l’hypothèse est celle d’un contractant qui accepte, en raison d’une situation économiquedifficile,uncontratdésavantageux.Dans lesannées2000, laCourdecassation françaiseaadmis, dans son principe, l’annulation des contrats sur un tel fondementmais a fixé desconditions strictes: «seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendanceéconomique,faitepourtirerprofitdelacrainted’unmalmenaçantdirectementlesintérêtslégitimesdelapersonnepeutvicierdeviolencesonconsentement»12.

Lorsdel’élaborationdel’ordonnancederéformedudroitfrançaisdescontrats,ilavaitétésuggéré de consacrer un vice très large d’abus de faiblesse ou d’état de nécessité. LeGouvernementatoutefoisfaitmarchearrièreetafinalementsupprimétouteréférenceàlafaiblesse ou l’état de nécessité pour ne viser finalement que l’abus d’une situation dedépendance. La loi de ratificationde l’ordonnance, adoptée le20avril 201813, a limitéunpeuplus le texteenajoutantque levicedeviolencen’estconstituéque lorsqu’unepartieabusede l’étatdedépendancedans lequel se trouve l’autrepartie«àsonégard»,cequiexclut l’annulation des contrats dans lesquels le contractant exploite la situation dedépendancedanslaquellesetrouvel’autrepartieenversuntiers.

Portéeduviced’abusde l’étatdedépendance. Il résultedunouvelarticle1143duCodecivil un certain élargissement par rapport à la jurisprudence antérieure, puisque, si ladépendanceconduisantàl’annulationpeutêtreéconomique,commeparlepassé,ellepeutaussi être d’une autre nature (notamment psychologique, affective). En revanche, larédaction finalement adoptée démontre que le législateur français n’a pas entendupermettre l’annulation pour violence des contrats conclus sous l’empire d’un état denécessitéoud’une faiblessequelconque. Il fautendéduire,à titredeprincipe,que le faitpouruncontractantd’exploiterlescirconstancesdanslesquellessetrouvel’autrepartieetauxquelles il est étranger ne constitue pas une cause de nullité du contrat conclu. Ontempèreratoutefoislarigueurdecetteconclusionenfaisantobserverquedescirconstancesextérieures aux parties peuvent placer l’une d’elles dans une situation de dépendance àl’égarddel’autre,spécialementàchaquefoisquelaconclusionducontratestleseulmoyenpour l’une des parties d’éviter la survenance d’un mal considérable. Aux circonstancesextérieurespréalabless’ajoutealorsunétatdedépendanceàl’égardducontractant,cequijustifiel’annulationpourviolenceencasd’abus.

12Civ.1ère,3avril2002,n°00-12932,arrêt«Bordas».13 L. n°2018-287 du 20 avril 2018, sur laquelle, v. O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Ratification del’ordonnanceportantréformedudroitdescontrats,durégimegénéraletdelapreuvedesobligations,JCPéd.G,2018,doctr.529.

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§3–Contratd’adhésion

Nouveauté. Les juristes français connaissentbien le contratd’adhésion,dont les contoursontétéasseztôtdécritsparSaleilles14.Maiscen’estquetoutrécemmentque lanotionafaitsonentréedansleCodecivil:àlafaveurdel’ordonnancederéformede2016.

Régime.Deuxélémentsderégimesontassociésàcettequalification:uneinterprétationenfaveur de l’adhérent (C. civil, art. 1190) et un contrôle judiciaire des clauses créant undéséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (C. civil, art. 1171). Ilsserontprésentésplusloin(v.infra).Ons’entiendraiciàladéfinitionducontratd’adhésion.

Définition.L’ordonnancede2016avaitdéfinilecontratd’adhésioncomme«celuidontlesconditionsgénérales,soustraitesàlanégociation,sontdéterminéesàl’avanceparl’unedesparties» (C. civil, art. 1110). Cette définition n’a pas été jugée suffisamment précise,notamment en raisonde la référence aux«conditions générales», lesquelles ne sont pasparailleursdéfinies.Aussilelégislateur,aumomentderatifierl’ordonnancederéformede2016parlaloidu20avril2018,a-t-ilretouchéladéfinitionducontratd’adhésion.Acompterdu1eroctobre2018,l’article1110duCodecivildisposeque«Lecontratd'adhésionestceluiquicomporteunensembledeclausesnonnégociables,déterminéesàl'avanceparl'unedesparties»15.

Laréférenceàun«ensembledeclauses»demeureunvestigedelaprécédentedéfinitionetl’onpeutdouterqu’elleéclaireparfaitementlanotiondecontratd’adhésion.Ilestd’ailleursprobablequelesjugesfrançaisaurontsurtoutégardàl’autreélémentdeladéfinitionlégale,defaitbeaucoupplusimportant:lanonnégociabilitédesclauses.Cetélémentestaucœurdelanotiondecontratd’adhésion.Il inviteàbraquerleprojecteurnonpassurlecontenudu contrat (ses clauses)mais sur la façon dont le contrat a été conclu (les circonstancesentourant la conclusion). Dès lors que les circonstances excluaient tout pouvoir denégociation véritable d’un contractant, lequel s’est donc vu imposer tout ouunemajeurepartiedesclausesducontrat,alorslecontratméritelaqualificationdecontratd’adhésion.Deux grandes hypothèses apparaissent: le contrat conclu par un consommateur avec unprofessionnel et celui conclu entre deux partenaires économiques dont l’un dépend del’autre.

§4–Lésionetclausesabusives

Lésion.Ledroitfrançaisdemeureparprincipehostileàlarévisiondescontratspourlésion.Ilnel’admetqueparexception,danslescasspécialementprévusparlaloi(vented’immeuble,partage,cessiondedroitsd’auteurs).Leprincipe–quidemeuredoncceluidel’indifférence

14V.F.Chénedé,RaymondSaleilles,lecontratd’adhésion,RDC2012,341(1repartie)et1017(2èmepartie).15Cettedéfinitionestenréalitéissuedelaloideratificationn°2018-287du20avril2018,laquelleamodifié,àcompterdu1eroctobre2018,ladéfinitionducontratd’adhésionissuedel’ordonnancedu10février2016.

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de la lésion – se trouve désormais exposé à l’article 1168: «Dans les contratssynallagmatiques,ledéfautd’équivalencedesprestationsn’estpasunecausedenullitéducontrat(…) ». Les conséquences en sont par ailleurs logiquement tirées: l’erreur sur lavaleur n’est pas une cause de nullité des contrats (C. civ., art. 1136), le contrôle dudéséquilibresignificatifneportepassurlavaleurdesprestations(C.conso,art.L.212-1;C.civ.,art.1171).

Clauses abusives (droit commun des contrats). Un contrôle des clauses abusives ouexcessivesaenrevanchefaitsonentréedansleCodecivilfrançaisen2016.Ilnes’appliquetoutefoispasàtouslescontrats,maisuniquementauxcontratsd’adhésion(surladéfinitiondesquels,v.supra).Lenouvelarticle1171disposeainsique:«Dansuncontratd'adhésion,touteclausequicréeundéséquilibresignificatifentrelesdroitsetobligationsdespartiesaucontratestréputéenonécrite(al.1er).L'appréciationdudéséquilibresignificatifneportenisurl'objetprincipalducontratnisurl'adéquationduprixàlaprestation(al.2).

Plusieursremarquesdoiventêtrefaitesàcesujet.

Premièrement,onobserveraquel’article1171duCodecivilfrançaisretientlemêmecritèreque celui adoptée en droit de la consommation (art. L.212-1), celui du «déséquilibresignificatif» entre les droits et obligations, ce qui invite – sinon à une transposition dessolutions qui y sont applicables – du moins à une convergence de raisonnements. Il estprobable, par exemple, que l’appréciation du déséquilibre en droit commun sera faite,commeendroitdelaconsommation,auregarddetouteslescirconstancesquientourentlaconclusionducontratetdetouteslesclausesducontrat,voiredetouteslesclausesd’autrescontrats avec lesquels le premier entretient des liens. De même, il est probable que ledéséquilibresignificatifendroitcommunseraprincipalementmesuré,commeendroitdelaconsommation,parcomparaisonentreleseffetsdelastipulationlitigieuseetdessolutionsdedroitsupplétifquiseseraientappliquéesenl’absencedecettedernière.

Deuxièmement, l’appréciationdudéséquilibre significatifde l’article1171duCodecivilnepeutjamaisportersurleprixconvenuousurl’adéquationentreleprixetlaprestation.C’estdire que le contrôle du déséquilibre significatif ne peut jamais équivaloir à (ni mêmeconduireincidemmentà)uncontrôledelalésion16.Ilnes’agitqued’uncontrôledesrèglesdu jeu contractuelou,pour ledireautrement,d’uncontrôledudéséquilibredespouvoirscontractuelsetnond’uncontrôledeladimensionéconomiqueducontrat.

Troisièmement, il convient d’indiquer qu’il existait déjà, en droit français, des législationsspéciales portant sur le contrôle du déséquilibre significatif dans les rapports entreprofessionnelsetconsommateurs (C.Conso.,art.L.212-1ets.)ainsiquedans les rapports

16 On notera qu’il en va de même en droit de la consommation, à une différence près toutefois: leconsommateur peut exceptionnellement contester une clause de prix sur le fondement de l’article L. 212-1lorsquecetteclausen’estpassuffisammentclaireetcompréhensible.

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entreprofessionnels(C.com.,art.L.442-6,I,2°).Or,lorsdestravauxpréparatoiresdelaloide ratification du 20 avril 2018, il a été clairement indiqué par les parlementaires que lenouveaucontrôleinstauréendroitcommundescontratsparl’article1171duCodecivilestinapplicable dans les domaines couverts par ces législations spéciales17. Si cetteinterprétationduParlementdevaitêtresuiviepar les juges–cequiseraitheureuxpour ladémocratie–, l’article1171seraitvidéd’unegrandepartdesonutilitépratique.Iln’auraitqu’une vocation résiduelle à s’appliquer: principalement entre deux particuliers (pourvuencorequel’onsoitfaceàuncontratd’adhésion).

Section2–L’exécutionducontrat

§1er–Interprétation

Lesrèglesfrançaiserelativesàl’interprétationdescontratsengénéralontétéréforméesparl’ordonnancedu10février2016.Ellesfigurentdésormaisauxarticles1188etsuivants.

Principed’interprétation suivant la commune intention. Leprincipedemeureque le jugedoitinterpréterlescontratsd’aprèslacommuneintentiondesparties(C.civ.,art.1188,al.1er). Le jugeobtientmêmeofficiellement lepouvoir, en casd’impossibilitéde reconstituercette volonté, d’interpréter le contrat d’après le sens que lui donnerait «une personneraisonnableplacéedanslamêmesituation»(C.civ.,art.1188,al.2),cequiestnouveau.

Existence de directives d’interprétation partisanes. A ces directives d’interprétation nonpartisanes,neutres, s’ajouteplusieurs règlesd’interprétationpartisanesoupréférentielles.Certaines relèvent du droit des contrats spéciaux (l’article 1602 impose d’interpréter lecontratdeventedanslesensleplusfavorableàl’acheteur;l’articleL.211-1ducodedelaconsommation impose d’interpréter le contrat de consommation dans le sens le plusfavorableauconsommateur(v. infra)).Uneautrerelèvedudroitcommundescontrats: lenouvel article 1190 du Code civil dispose que «Dans le doute, le contrat de gré à grés’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contreceluiquil’aproposé».

Deuxquestionsseposentausujetdecetexte.

Subsidiaritédesdirectivesd’interprétationpartisanes? Lapremièreestde savoir si cetteinterprétationestsubsidiaireparrapportàl’interprétationselonlacommuneintentiondespartiesousielleestautonomeparrapportàcelle-cietdoncprioritaire.L’hésitationvientdelaformuleparlaquelles’ouvrel’article1190:«dansledoute».D’uncôté,onpeutdireque

17V.Rapp.aunomdelaCommissiondesloisduSénatavantexamenensecondelecture,p.23:«cedispositifinstaurédans ledroitcommundescontrats[ie l’article1171]n’apasvocationàs’appliquerdans leschampsdéjà couverts par des droits spéciaux. Votre rapporteur ne peut que constater sur ce point la parfaitecohérencedestravauxpréparatoiresdelaratificationdel’ordonnance,denatureàéclairersansambiguïtélejuges’ilestsaisidelaquestion».

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le«doute»enquestionestceluiquisubsisteaprèsqu’onaittentédedécouvrirlavolontécommunedespartiesou,àdéfaut,tentédefaireparlerla«personneraisonnable»,cequirevientàdirequ’ilfaitd’abordappliquerl’article1188.C’estencesensqueseprononçaientcertains juges du fond à propos de l’ancien article 1162 du Code civil, dont est dérivé lenouvel article 119018. D’un autre côté, on peut dire que le «doute» déclenchantl’applicationdel’article1190n’estriend’autrequeledoutequijustifiel’interprétationdescontrats en général et sans lequel l’interprétation serait une pure dénaturation. Cettelecture permet d’affirmer que l’article 1190 est une règle spéciale d’interprétation,dérogeantàl’article1118ets’appliquantàsaplace19.

Valeur contraignantedesdirectivesd’interprétation? La secondequestionest cellede lavaleur normative des directives d’interprétation20. La Cour de cassation française avaitadoptéunepositiondeprincipeclaireàproposdestextesantérieursàlaréformede2016.Selon plusieurs décisions s’échelonnant entre 1807 et 1995: les règles contenues auxanciens articles1156 à1164 du Code civil n’ont «qu’un caractère interprétatif»; «ellesconstituent des conseils donnés au juge par le législateur pour l’interprétation desconventionsetnondes règlesabsoluesdont l’inobservationentraînerait l’annulationde ladécision»21.Leschoses,toutefois,n’étaientpasaussimonolithiquesqu’ilparaîtàlalecturedecesattendus.Unefoisaumoins, laCouravaiteneffetcasséunedécisiondes jugesdufond, lesquels n’avaient pas respecté la directive selon laquelle les contrats s’interprètentd’après la commune intention des parties22. Elle avait également reconnu aux directivespartisanesdesarticles1602duCodecivil(interprétationauprofitdel’acheteur)etL.211-1du code de la consommation (interprétation au profit du consommateur) valeurobligatoire23. La question est donc plus ouverte qu’il ne semble au premier abord. Elledemeure aujourd’hui pendante puisque les textes issus de la réforme de 2016 ne

18V.not.CAAix-en-Provence,26juin2002,JCP2004,II,10022,noteV.Egéa;CAReims,7janvier2004,RDC2004,933,obs.Ph.Stoffel-Munck.19Enréalité,cettelecturenepeutêtreappliquéesansretenuecarellevideraitdetouteportéel’article1188.Aussi les auteurs qui la soutiennent défendent-ils qu’elle ne s’applique pas aux contrats de gré à gré, pourlesquelsl’article1190estbiend’applicationsubsidiaire.C’estseulementàl’égarddescontratsd’adhésionqu’ily aurait lieu de préférer l’article 1190 à l’article 1188. En faveur de cette thèse: v. not. T.Revet,L’uniformisation de l’interprétation: contrats types et contrats d’adhésion: RDC2015, 199; A.EtienneydeSainte-Marie, Lesprincipes, lesdirectiveset les clauses relativesà l’interprétation:RDC2016,p.384.Cesauteurs ajoutent que la recherche de l’intention commune des parties n’a guère de sens en présence d’uncontratd’adhésion.20 Sur cette question, au sujet des règles antérieures à l’ordonnance de 2016, v. not. C. Grimaldi, La valeurnormative des directives d’interprétation, RDC 2015, 154; et, au sujet des règles prévues par le projetd’ordonnance,v.O.Deshayes,L’interprétationducontrat,JCP2015,suppl.aun°21,p.39.21 Cass. req., 18mars 1807: S.1807, 1, 361.–Adde Cass. req., 13févr. 1883: S.1883, 1, 466.–Cass. req.,16févr. 1892: S.1892, 1, 409.–Cass. 1reciv., 17oct. 1961: Bull. civ. 1961, I, n°464.–Cass. 1reciv., 19déc.1995:Bull.civ.1995,I,n°466.22Cass.1reCiv.,20janvier1970,n°68-11.420,Bull.Civ.,I,n°2423Cass.1reciv.,3février1999,Bull.Civ.,I,n°139,CCC1999,comm.127,obs.L.Leveneur;Cass.1reciv.,21janv.2003,n°00-13.342:Bull.civ.2003,I,n°19.

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contiennent pas de précision relativement à la force normative des directivesd’interprétation24.

§2–Modérationdel’exercicedesdroitscontractuels

Le droit français connaît plusieurs mécanismes de «modération de l’exercice des droitscontractuels»25. Aucun n’est toutefois suspendue à la caractérisation d’une situationvulnérabilitééconomiquedel’unedespartiesninevoitseseffetsmodifiésenpareilcas.

Abus de droit. On passera vite sur l’abus de droit, lequel n’est pas propre au droit descontrats et peut êtremobilisé pour sanctionner son auteur lorsque ce dernier utilise uneprérogativeauxfinsdenuireàautrui.

Bonnefoi.Enmatièrecontractuelle,c’estsurtout l’exigencedebonne foidans l’exécutiondu contrat qu’il y a lieu de mentionner. Posée par l’ancien article 1134 du Code civil etreconduiteàl’article1104nouveau,elleconstitueundevoirdontledéclenchementpermetdesanctionner,entrelesparties,descomportementsplusnombreuxqueceuxsusceptiblesde revêtir laqualificationd’abusdedroit et tenddoncà se substituer àelle. Peuventparexemple être neutralisés sur son fondement, l’invocation de mauvaise foi d’une clauserésolutoire, d’une clause d’essai ou d’une clause de dédit. Il ne s’agit certes pas d’unmécanismedeprotectiondelapartieéconomiquementvulnérable,maisdumoinspermet-ilde déjouer les projets déloyaux de la partie à un contrat qui tenterait d’utiliser uneprérogative contractuelle à des fins pour lesquelles elle n’a pas été accordée, et ce aupréjudicedel’autrepartie.LaCourdecassationatoutefoisposé,en2007,uneimportantelimite à destination des juges du fond. Elle a décidé que: « si la règle selon laquelle lesconventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usagedéloyald'uneprérogativecontractuelle,ellenel'autorisepasàporteratteinteàlasubstancemêmedesdroitsetobligationslégalementconvenusentrelesparties»26.C’estdirequelesjuges peuvent neutraliser l’exercice d’un pouvoir contractuel (une prérogative) utilisé demauvaise foi mais qu’ils ne peuvent pas priver le créancier de son droit de créance (lasubstance des droits et obligations), dont l’invocation ne peut donc jamais être regardéecommefautive.Bienquecettesolutionn’aitpasétéconsacréedansleCode,ilestprobable

24 En faveur de la reconnaissance de la force obligatoire des directives d’interprétation, v. not. C. Grimaldi,préc.,rappr.Ph.Malinvaud,D.FenouilletetM.Mekki,Droitdesobligations,14èmeéd.LexisNexis,2017,n°456.25Onnetraiterapas icidesprocéduresdesurendettementdesparticuliersnidesprocédurescollectivesdesentreprises.26 Com., 10 juillet 2007, Bull. civ., IV, n°188, Rapport annuel de la Cour de cassation pour 2007, éd. Ladocumentation française, 2008, p. 436; adde F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudencecivile,tome2,12èmeéd.Dalloz,2008,arrêtn°164etlescommentairescités.Surcettedécision,v.ledébat«Lesprérogativescontractuelles»,inRDC2011,639ets.

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quelaCourdecassationcontinueradelaretenirsousl’empiredestextesnouveaux,issusdel’ordonnancedu10février201627.

Révisiondesclausespénales.Uneautrehypothèsedemodérationdesdroitscontractuelsrésidedans lepouvoir judiciairede révisiondesclausespénalesmanifestementexcessivesou dérisoires. D’ordre public depuis 1975, ce pouvoir est reconduit à l’article 1231-5nouveauduCodecivil28.

Exception de disproportion. Une hypothèse nouvelle mérite davantage d’attention.Introduitepar l’ordonnancedu10 février2016,ellepermet,pour ledébiteurpoursuivienexécution forcéed’uneobligationcontractuelle,d’échapperà cetteexécution (moyennantindemnisationducréancier)enopposantquecetteexécutionestd’uncoûtdisproportionnéau regard de l’intérêt de la mesure pour le créancier (C. civ., art. 1121). Parfois appelé«exception de disproportion», cet argument défensif atténue la rigueur de l’exécutionforcéeennature,àlaquelleledroitfrançaisdemeureparailleursattaché.Ilempêchequelecréanciern’«abuse»desondroitàl’exécutionforcéeencherchantàimposerunremèdequineprésentepourluiqu’unintérêtlimitéauregardducoûtpourledébiteur.Lamesureatoutefoisétéréservéeparlaloideratificationdu20avril2018auseuldébiteur«debonnefoi»,c’est-à-direàceluiquiatentéloyalementd’exécuterlecontrat.

Forcemajeure/théoriedesrisques.Lorsquedescirconstancesrépondantauxconditionsdelaforcemajeureempêchentparailleursundébiteurd’exécutersonobligationcontractuelle,il est prévu par le droit français que le contrat est suspendu si l’empêchement esttemporaireouqu’ilestrésolu,sansindemnité,sil’empêchementestdéfinitif29.Cecirevientà répartir équitablement entre les parties les conséquences de la survenance de tellescirconstances. Cette réparationégalitairen’a lieu, toutefois, que si lespartiesne sontpasconvenuesquel’uned’ellessupporteralerisquedeforcemajeure.Ditautrement:ellen’estpasd’ordrepublic.Parailleurs,laCourdecassationapréciséquel’incapacitédepayerunesommed’argentneconstituejamaispourledébiteuruncasdeforcemajeure,cequiexclutqu’il invoque l’argument pour bénéficier d’un délai de paiement ou pour obtenir larésolutionducontrat30.

27Encesens,v.d’ailleurs:J.-B.Seube:«quelavenirpourlajurisprudencesurl’usageabusifd’uneprérogativecontractuelleaprèslaréformedu10février2016?»,obs.sousCass.3èmeciv.,15déc.2016,n°15-22844,RDC2017,p.69.28C. civ., art. 1231-5: «Lorsque le contrat stipuleque celuiquimanquerade l'exécuterpaieraune certainesommeàtitrededommagesetintérêts,ilnepeutêtreallouéàl'autrepartieunesommeplusfortenimoindre(al.1).Néanmoins, le jugepeut,mêmed'office,modérerouaugmenter lapénalitéainsiconvenuesielleestmanifestementexcessiveoudérisoire (al.2). (…)Toutestipulationcontraireauxdeuxalinéasprécédentsestréputéenonécrite(al.4)».29 Lasolutionestdésormaisprévueà l’article1218duCodecivil, lequelpréciseque,encasd’empêchementdéfinitif,larésolutionalieu«depleindroit».30Cass.Com.,16sept.2014,n°13-20306,RDC2015,21,obs.Y.-M.Laithieret27,obs.O.Deshayes,JCP2014,1117, note D. Mazeaud, D. 2014, 2217, note J. François: «Mais attendu que le débiteur d'une obligation

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Révision pour imprévision. La révision pour imprévision des contrats étaittraditionnellementexclueendroitfrançais(dumoinspourlescontratsprivés),horslecasdedispositifs spéciaux. Elle est désormais admise à l’article 1995 du Code civil, introduit parl’ordonnancedu10février2016.Letexteposetoutefoisungrandnombredeconditions:ilfaut que le changement des circonstances ait été imprévisible lors de la conclusion del’accordetqu’il rende l’exécutionducontratexcessivementonéreusepourunepartie,quin’avaitpasacceptéd’enassumerlacharge.Parailleurs,letexteimposeunepremièrephasedenégociationsentrelesparties.Cen’estqu’encasd’échecdecesnégociationsquelejugepeutêtresaisiauxfinsdeprononcer l’anéantissementducontratoubiende leréviser.Endépitdesconditionsstrictes, ledispositifaétéaccueilliavecbeaucoupderéservedans lesmilieuxéconomiques.Uneclauseexcluantlarévisionpourimprévisionestpresquetoujoursinséréedanslescontrats.Savaliditén’apaslieud’êtrecontestéedèslorsquel’article1195n’est pas d’ordre public, ce qui a été confirmé par les travaux préparatoires de la loi deratificationdu20avril201831.

Délaidegrâce.Ledroitfrançaisconnaît,endehorsmêmedetouteprocéduredetraitementdesdifficultéséconomiquesd’unepersonnephysiqueoumorale,unmécanismegénéraldedélaidegrâcejudiciaire.Cemécanismeestprévuparlenouvelarticle1343-5duCodecivil(lequelnefaitquereprendreensubstance lesanciensarticles1244ets.). Ilconsisteen lapossibilité pour tout juge d’accorder au débiteur un délai de paiement, dans la limite dedeux ans, «compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins ducréancier».Acetteoccasion, lejugepeutaussi,pardécisionspécialeetmotivée,prescrireque lessommesreportéesneproduiront intérêtqu’àuntauxréduit (nepouvanttoutefoisêtre inférieur au taux légal) ouque lespaiements s’imputerontd’abord sur le capital. Parailleurs,aucunepénalitéou indemnitécontractuellenepeutêtredueenraisonde l’octroid’undélaidegrâce32.

Chapitre2–Contratsdeconsommation

LaFrance,paysmembredel’Unioneuropéenne,intègredanssonordrejuridiquelesrèglesdedroitdérivédel’Union.Unepartsignificativedesondroitdelaconsommationestainsid’origineeuropéenne.Unrapportportantspécifiquementsur ledroitde laconsommationdansl’Unioneuropéenneétantrédigé,ilneseraquestiondanslesdéveloppementssuivantsque des règles ou solutions propres au droit français de la consommation, dumoins desrèglesousolutionsnedérivantpasnécessairementdel’applicationdudroitdel’Union.

Section1–Lesinstrumentsdeprotection

contractuelledesommed'argentinexécutéenepeuts'exonérerdececetteobligationeninvoquantuncasdeforcemajeure».31Surcepoint,v.O.Deshayes,T.GeniconetY.-M.Laithier,commentairepréc.32L’article1343-5n’estpasapplicableauxdettesd’aliments.

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§1er-Nature

LedroitfrançaisdelaconsommationestcomposéderègleslégalesetréglementairesdontlamajeurepartieestcodifiéedansleCodedelaconsommation(datantde1993etréforméen2016). Il existe certesdes recommandationsd’autorités administratives (notamment lacommission des clauses abusives), des codes de conduite spontanément adoptés par desprofessionnels,voiredescodesdebonnespratiquesdontl’adoptionestimposéeparlaloi33maisilsn’ontpasdevaleurcontraignante.

§2–Instrumentsdeprotectionàvocationgénérale

Une grande part du droit français de la consommation s’applique à tous les contrats deconsommation, quels qu’en soient la qualification, l’objet ou lemontant. Elle constitue ledroit «commun» de la consommation34. En font partie les règles sur l’obligationprécontractuelle d’information, celles sur les clauses abusives, les pratiques commercialesdéloyales,oul’obligationgénéraledesécurité.

Ilest fréquemmentprévudesrèglesspécifiquespourcertainscontrats,évinçant les règlesgénérales.Telestparexemple lecasdescontratsde fournituresdeservices financiersoudes contrats d’assurances, qui échappent en partie à l’obligation générale d’informationpourêtresoumisàuneréglementationpropre(v.C.conso,art.L.111-3,al.2).Telestencorele cas des contrats de jeu, des contrats rédigés par un officier public ou des contrats deprestationdeservicesfinanciers,quiéchappentauxrèglesgénéralessurlescontratsconclusà distance ou hors établissement (v. C. conso, art. L.221-2). Il ne s’agit toutefois qued’exceptionsponctuellesetnondelasoumissiongénéraledetelouteltypedecontratàdesrèglesspécifiquesquidérogeraiententouspointsauxrèglesdedroitcommun.

§3-Instrumentsdeprotectionpropresàcertainscontratsdeconsommationouàcertainsmodesdeconclusiondeceux-ci

Sansoriginalité,uneprotectionparticulièreestparfoisprévueparledroitfrançais.

Ellepeutl’êtreenraisondumodedeconclusionducontrat,lorsquecedernierimpliqueunrisqueparticulierpour le consommateur. Tel est le casdes contrats conclusàdistanceouhorsétablissement (ledroit français sebornesurcepointà reprendre les règlesd’origineeuropéenne,lesquellessontd’harmonisationmaximale)(C.conso,art.L.221-1ets.).

33V.C.conso,art.L.111-7quiobligeles«opérateursdeplateformesenlignedontl'activitédépasseunseuildenombre de connexions défini par décret» à diffuser aux consommateurs «des bonnes pratiques» visant àrenforcer ledevoirde loyauté. Sur cepoint, v. J.RochfeldetC. Zolynski, La«loyauté»des«plateformes».Quellesplateformes?Quelleloyauté?,DallozIP/IT,2016,p.520.34Surcedroit«commun»delaconsommation,v.spéc.N.Sauphanor-Brouillaud,C.AubertdeVincellesetE.Poillot,Lescontratsdeconsommation,Règlescommunes,éd.LGDJ,2012.

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Uneprotectionparticulièrepeutaussiêtreprévueenraisondeladangerositéintrinsèqueducontratàconclureparleconsommateur.Telestlecasdesprêts(C.conso,art.L.311-1ets.)

§4–Leconsommateurprotégé

Consommateur. Le droit français protège principalement le «consommateur», dont unedéfinitiongénéralefiguredansunarticleliminaireduCodedelaconsommationdepuis2014: «Pour l'application du présent code, on entend par : - consommateur : toute personnephysique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale,industrielle,artisanale,libéraleouagricole»35.

Non-professionnel. Il protège également parfois les «non-professionnels», dont l’articleliminaireduCodedelaconsommationdonnelàencoreladéfinition:ondoitentendrepar«-non-professionnel:toutepersonnemoralequin'agitpasàdesfinsprofessionnelles»36.Pour qu’une règle protégeant les consommateurs soit étendue aux non-professionnels, ilfauttoutefoisunedispositionspécifique.

Prise en compte de la compétence? (non). Il résulte de ces définitions que la personneprotégéeparledroitdelaconsommationl’est,nonenraisondesescompétenceslimitéesou de son inexpérience appréciées in concreto,mais uniquement pour la raison objectiveque l’actequ’elleaccomplitnes’inscritpasdans lecadred’uneactivitéprofessionnelle,cequiimpliqueuneappréciationinabstracto.Teln’apastoujoursétélecasendroitfrançaisetl’on trouve encore quelques décisions qui laissent penser qu’une protection pourrait êtreaccordée à une personne qui agit dans le cadre de son activité professionnelle dès lorsqu’elle est dépourvue de compétence particulière dans le domaine qui est l’objet ducontrat37.Cettelignejurisprudentielledevraitsetarir.Lesdéfinitionslégalessontdésormaisclaires.

Actes mixtes. Lorsque la finalité du contrat est à la fois professionnelle et extra-professionnelle, ilya lieudesuivre lessolutionspréconiséespar laCJUE: leparticuliernepeutêtreconsidérécommeunconsommateur,saufsil’usageprofessionnelestmarginal38.

35Laprésentedéfinitionrésulted’unemodificationapportéeàl’articleliminaireduCodedelaconsommationparl’ordonnancedu14mars2016.36Cettedéfinitionrésulted’unemodificationapportéeàl’articleliminaireduCodedelaconsommationparuneordonnancedu21février2017.37 Civ.1, 2 juill. 2014, n°13-16312(a contrario) : «l’art. L. 136-1 ne s’applique pas aux professionnels ayantconcluuncontratdeprestationdeservicesenrapportdirectavec leursactivités» ;Civ.3ème,4 février2016,n°14-29347: ««Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la SCI, promoteur immobilier, était unprofessionnel de l'immobiliermais pas unprofessionnel de la construction, la cour d'appel a pu retenir quecelle-cidevaitêtreconsidéréecommeunnon-professionnelvis-à-visducontrôleurtechniqueenapplicationdel'articleL.132-1ducodedelaconsommation».38CJCE20janvier2005,aff.C–464/01,«JohannGruber»,Contratsconc.consom.2005,comm.n°100,obs.G.Raymond;RTDciv.2005,p.353,noteP.Remy-Corlay.

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Situationdutiersgarant.Ondoitdéduiredetoutcequiprécèdequelapersonnephysiquequiagitcommegarantpersonnelouconstituantd’unesûretéréelleengarantiedeladetted’autrui mérite la qualité de consommateur dès lors que la fourniture de la sûreté nes’inscrit pas dans le cadre de son activité professionnelle. Il en va demême s’il s’engagecommecodébiteursolidaire.Cetteconclusionesttoutefoisprivéed’unegrandepartdesonintérêt en droit français puisque les principaux textes protecteurs des cautions et descodébiteurs solidaires, qui sont contenus dans le codede la consommation, ne protègentpas les intéressés en leur qualité de «consommateur» mais en leur qualité de cautionpersonnephysique(C.conso,art.L.331-1ets.)oudecoobligépersonnephysique(C.conso,art.L.741-2,L.742-22)s’engageantenversuncréancierprofessionnel.

Représentation.Ilestnoterque,selonlaCourdecassationfrançaise,lareprésentationd’unconsommateur ou d’un non-professionnel par un professionnel ne lui fait pas perdre saqualité de consommateur ou de non-professionnel et donc le bénéfice des règlesprotectrices. Ainsi a-t-il été jugé que la syndicat des copropriétaires, représenté par unsyndicprofessionnel,pouvaitinvoquerlebénéficedesrèglesducodedelaconsommation39.

§5–Contrequileconsommateurest-ilprotégé?

Professionnel.Ledroitfrançaisneprotègeenprincipespécifiquementleconsommateurquelorsque ce dernier contracte avec un «professionnel». La définition de cette notion estdonnéepar leCodede laconsommationdanssonarticle liminaire:«Pour l'applicationduprésent code, on entend par : (…) - professionnel : toute personne physique oumorale,publiqueouprivée, qui agit à des fins entrant dans le cadrede son activité commerciale,industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour lecompted'unautreprofessionnel».

Variétédecas.Servicepublicàcaractèreadministratif? Ilsuitde làqueont laqualitédeprofessionnels aussi biendespersonnesphysiquesquedespersonnesmorales, aussi biendespersonnesdedroitprivéquedespersonnesdedroitpublic. Il suffitque l’intéresséaituneactivitéprofessionnelle,serait-ellelibérale.Unedifficultéparticulièreseposetoutefoispourlespersonnesayantlacharged’unservicepublic.Ilconvientdedistinguer.Sileservicepublic est à caractère industriel ou commercial, l’existence d’une activité professionnellen’estpasdouteusedetellesortequeledroitdelaconsommations’applique40.Sileservice

39 Cass. 1re civ., 25 novembre 2015, n°11501347: «Qu'en statuant ainsi, alors que la représentationd'unsyndicatdecopropriétairesparunsyndicprofessionnelneluifaitpasperdresaqualitédenon-professionnel,en sorte qu'il peut bénéficier des dispositions de l'article L. 136-1 susmentionné nonobstant cettereprésentation».Surcetarrêt,v.not.N.Dissaux,Aproposdelareprésentationendroitdelaconsommation,JCP2016,463.40Ycomprisdevant les juridictionsadministrativessiellessontcompétentes:CE11 juillet2001,SociétédeseauxduNord,n°221458,PubliéaurecueilLebon,AJDA2001,ContratsetmarchésparM.Guyomar&P.Collin,Chr.,p.853;J.Amar,Del’applicationdelaréglementationdesclausesabusivesauxservicespublics,D.2001,p.2810;E.Delacour,Délégationdeservicepublicetdroitde laconsommation,Contratsetmarchéspublics

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publicestàcaractèreadministratifetcorrespondàuneactivité régalienne (justice,police,etc.), alors la nature d’activité professionnelle peut être contestée. Le droit de laconsommation ne s’applique pas. Si en revanche le service public administratif necorrespond pas à une activité régalienne et donne qui plus est lieu à une prestation deservice qui est en tout ou partie rémunérée (santé), l’application du droit de laconsommationestdéfendable.C’estparexemple lapositionde JeanCalais-AuloyetHenriTemple,pourqui«cettesolutionestdictéeparlesdirectiveseuropéennesselonlesquellesleprofessionnelpeutêtreunepersonnepublique»41.

Représentation. Il résulte de la définition légale que lemandataire professionnel qui agitpourlecompted’unautreprofessionnelalui-mêmelaqualitédeprofessionnel.Acontrario,on peut prudemment conclure que le mandataire professionnel qui représente unconsommateurn’estpas lui-même tenuenqualitédeprofessionnel,de telle sorteque, lecontrat étant conclu entre un consommateur et un mandant n’ayant pas la qualité deprofessionnel,ledroitdelaconsommationnes’appliquepas.

Section2–Lestechniquesdeprotection

Ledroit françaisconnaît toutes lesmesuresdeprotectionrecenséesdans lequestionnairedu rapporteur général (prohibition des clauses abusives, interprétation en faveur duconsommateur,prohibitiondespratiquescommercialesdéloyales,droitderétractationdanslescontratsàdistanceouhorsétablissement,etc.).Ilyalieu,pourl’essentiel,derenvoyeraurapporttraitantdudroiteuropéendelaconsommation.

§1er-Laprohibitiondesclausesabusivesetl’exigencedetransparence

Clauses abusives. En droit français de la consommation, les clauses abusives (créant undéséquilibresignificatifentrelesdroitsetobligationsdesparties)sontréputéesnonécritesdans les rapports entre professionnel et consommateur, d’une part, mais aussi dans lesrapportsentreprofessionneletnon-professionnel,d’autrepart42(v.lesdéfinitionssupra).

Une liste des clauses irréfragablement présumées abusives et une autre des clausessimplement présumées abusives facilitent, depuis 2009, le travail du juge et la chargeprobatoirepourleconsommateuroulenon-professionnel43.

2001,Chr.N°13,p.4;JCPG2001,I,370,ChroniquededroitdesobligationssousladirectiondeJ.Ghestin,§1,etJCPE2002,I,124,obs.NSauphanor-Brouillaud.41J.Calais-AuloyetH.Temple,Droitdelaconsommation,éd.Dalloz,n°5infine.42C.conso,art.L.212-1ets.43C.conso,art.R.212-1etR.212-2.Ilestànoterqueleprofessionnelquiinsèredanssescontratsuneclausefigurant sur la liste «noire» des clauses irréfragablement présumées abusives est passible d’une amendeadministratived’unmontantpouvantaller jusqu’à3000eurospourunepersonnephysiqueet15000Eurospourunepersonnemorale:v.C.conso,art.L.241-2.

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Ilestànoterque,endroitfrançais,lesclausesquifontl’objetd’unenégociationindividuellesont soumises, comme les autres, au contrôle du déséquilibre significatif du droit de laconsommation.Seules lesclausesrelativesà ladéfinitionde l’objetprincipalducontratetcelles relatives au prix en sont exclues) une exception près: lorsqu’elles ne sont passuffisammentclairesetcompréhensibles.

Interprétation au profit du consommateur. Suivant l’article L.211-1 du code de laconsommation: «Les clauses des contrats proposés par les professionnels auxconsommateursdoiventêtreprésentéesetrédigéesdefaçonclaireetcompréhensible (al.1).Elless'interprètentencasdedoutedanslesensleplusfavorableauconsommateur(al.2)». Ainsi qu’il a déjà été dit, la Cour de cassation reconnaît force obligatoire à cettedirectived’interprétationpourlesjugesdufond44.

§2–Laprohibitiondespratiquescommercialesdéloyales

Sanctions.LaDirectiveeuropéennesurlespratiquescommercialesdéloyalesde2005étantd’harmonisation maximale, on se contentera ici d’évoquer les sanctions, lesquelles sontlaisséesàl’appréciationdesEtatsmembres.

Sanctions pénales. En France, il est prévu une sanction pénale en cas de pratiquestrompeusesoudepratiquesagressives:elleest2ansd’emprisonnementet300000eurosd’amende(art.L.132-2etL.132-11),étantentenduque«Lemontantdel’amendepeutêtreporté, demanière proportionnée aux avantages tirés dumanquement, à 10% du chiffred’affairesmoyenannuel,calculésurlestroisdernierschiffresd’affairesannuelsconnusàladatedesfaits,ouà50%desdépensesengagéespourlaréalisationdelapublicitéoudelapratique constituant le délit». En outre, la sanction peut être assortie de peinescomplémentaires.

Sanctions civiles. Il n’estprévude sanctioncivilequepour lespratiquesagressives: selonl’articleL.132-10ducodede laconsommation, lecontratconcluà lasuited’unepratiqueagressive «est nul et de nul effet». Bien qu’il n’existe pas de règle comparable pour lespratiques trompeuses, on se demande si la nullité ne pourrait pas tout de même êtreprononcéeaumotifque lecontratconclusur labased’uneattitudepénalementrépriméedevrait être nul. La question est toutefois largement théorique car le consommateur, enprésencedepratiquestrompeuses,auraleplussouventlapossibilitéd’agirennullitésurlefondement de l’erreur ou du dol. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que leconsommateurpeutaussidemanderlaréparationdesonpréjudicesurlefondementdelaresponsabilitécivile.

§3-Lesinformations(préalables)etleformalisme(pré)contractuel

44Cass.1reciv.,21janv.2003,n°00-13.342:Bull.civ.2003,I,n°19.

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Profusion des informations dues. L’information due par le professionnel est la premièretechniquedeprotectiondesintérêtsduconsommateurendroitfrançais.Symboliquement,c’estparellequedébutelecodedelaconsommation.Auxinformationsduesdanstouslescontrats(art.L.111-1ets.),s’ajoutentdestextesspécifiquesportantsurteloutelcontrat(notamment lesprêts)ou sur les contrats concluspar telou telmodede fonctionnement(notamment les contrats à distance ou hors établissement). La loi française estparticulièrementdétailléesurtouscespoints.Onprendrapourseulexemple l’informationsur lesprix,dontdesarrêtésduministrechargéde l’économieprévoientcommeelledoitêtrecommuniquéesuivantlessecteursd’activité(v.C.conso,art.L.112-1ets.).L’ensembleestàcepointmagmatiqueque lesprofessionnels sontautorisésàdemanderà laDGCCRF(directiongénéraledelaconcurrence,delaconsommationetdelarépressiondesfraudes)de prendre parti sur la conformité aux règles applicables des mesures d’affichage oud’étiquetagequ’ilsseproposentdeprendre.Demanièreplusgénérale,c’estuneantienneque de déplorer l’excès d’informations pour le consommateur et de contraintes pour lesprofessionnels. Les sanctions concrètement appliquées par les juges en cas deméconnaissancedel’obligationgénéraled’informationsontd’ailleursassezfluctuantes45etlaissent penser que ce pan du droit de la consommation n’a pas encore trouvé sonéquilibre46.

Superposition possible d’undevoir demise en gardeoud’uneobligationde conseil.Onrelèvera que l’existence d’une obligation légale d’information n’empêche pas que soitcaractérisée sur le fondement du droit commun des contrats une obligation de mise engarde ou de conseil. Tel est par exemple le cas en droit de la vente, où le vendeurprofessionnelest,selonlaCourdecassation,tenududevoirdeserenseignersurlesusagesque l’acheteur profane souhaite faire de la chose afin de le conseiller47. C’est dire que lerespect par le professionnel des obligations légales du code de la consommation ne peutêtre considéré comme suffisant à établir qu’il a fourni à son cocontractant toutes lesinformationsnécessaires.

§4–Ledroitderétractation

45V. la remarquableétudeentrepriseparN.Sauphanor-BrouillaudetS.Devaux-Bernheim, J-ClConcurrence,Consommation, fasc. 848: Pratique des sanctions de l’obligation d’information sur les caractéristiquesessentiellesdesbiensetdesservicesetsurlesprix,déc.2016.46Enfaveurdelanullitéencasdeviolationdel’articleL.111-1duCodedelaconsommation,v.N.Sauphanor-BrouillaudetS.Desvaux-Bernheim,Pasdenullitésanstexte?L'exempledel'obligationgénéraled'informationprécontractuelledudroitdelaconsommation,RDC2018,122.47Cass.1reCiv.,28oct.2010n° 09-16913F−P+B+I :D.act.2010,5 nov.2010,obs.X. Delepech ;LEDCdéc.2010,p. 10,obs.G. Pillet ;Defrénois2010,p. 2309,noteG. Rabu,RDC2011/2,p.531,obs.S.Pimont.:«ilincombeauvendeurprofessionneldeprouverqu'il s'estacquittéde l'obligationdeconseil lui imposantdese renseignersurlesbesoinsdel'acheteurafind'êtreenmesuredel'informerquantàl'adéquationdelachoseproposéeàl'utilisationquienestprévue»;V.déjàCass.1reciv.,5décembre1995,n°94-12376:«Attenduquelevendeurd'unmatérielauneobligationdeconseilàl'égarddel'acheteur(…)alorsquel'obligationdeconseilimposaitauvendeurdes'informerdesbesoinsde l'acheteuretd'informersonclientde l'aptitudedumatérielproposéàl'utilisationquienétaitprévue(…)».

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Généralités. Le droit de rétractation est un élément très important de protection duconsommateurquiconclutuncontratàdistanceouhorsétablissement.Cedroitestaccordésanscondition,sansfraispourleconsommateur(autrequelesfraisderestitutions)etsansqu’une justification ait à être fournie, et ce pendant 14 jours courant à compter de laconclusionducontratoudeladélivrancedubien(suivantlescas)48.

Interdictionfrançaisedel’exécutionpendant7jours.Ledroitfrançaisasouhaitémaintenir,dans les limites étroitespermisespar laDirectiveeuropéennedu25octobre2011 sur lesdroits des consommateurs, l’interdiction qui préexistait de tout début d’exécution ducontratconcluhorsétablissementpendantundélaide7jours(quiétait,enFrance,ledélaide rétractationavant la transpositionde laDirective).C’estpourquoi l’articleL.221-10ducodedelaconsommationdisposeque«Leprofessionnelnepeutrecevoiraucunpaiementouaucunecontrepartie,sousquelqueformequecesoit,delapartduconsommateuravantl'expiration d'un délai de sept jours à compter de la conclusion du contrat horsétablissement».

Responsabilité de l’acheteur? Le consommateur qui exerce son droit de rétractation nepeutêtrepénaliséenaucunefaçonnisevoirreprocherunquelconqueabus.Toutaupluspeut-ildevoirréparer ledommagecauséparsonfaitsi lebienrestituéaétédétériorépardesactesautresqueceuxquisontnécessairespourétablirlanature,lescaractéristiquesetlebonfonctionnementdesbiens»(C.conso,art.L.221-23,al.3).

§5–Ventedesbiensdeconsommation

Ledroit françaiscomporteplusieursmécanismesdeprotectionduconsommateurpartieàuncontratdevente.Ilsnes’appliquenttoutefoisquesileconsommateuroccupelapositiond’acheteur et qu’il fait face à un professionnel qui occupe celle de vendeur (ce qui estévidemmentlecasleplusfréquent).

Garantie des biens de consommation. On n’évoquera pas la garantie de conformité desbiensdeconsommation49, issuedudroitdel’Unioneuropéenne,sinonpourdirequecettegarantiesecumuleentouspointsaveclesrèglesdudroit«commun»delavente:garantiedesvicescachés,obligationdedélivranceconforme,etc.Leconsommateurestdoncfondé,lecaséchéant,àinvoquerledroitcommundelaventepourcontournerlaprioritédonnéeendroitdelaconsommationauxremèdesqueconstituentlaréparationouleremplacementou bien pour agir contre le vendeur à un moment où la garantie du droit de laconsommationauraitexpiré50.

48V.C.conso,art.L.221-18.49V.C.conso,art.L.217-1ets.50LagarantiedudroitdelaconsommationseprescritpardeuxansàcompterducontrattandisquelagarantiedesvicescachésduCodecivilseprescritpardeuxansàcompterdeladécouverteduvice.

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Transfertdesrisques.Ondiraenrevancheunmotdelaquestiondutransfertdesrisques.Ladirectivedu25octobre2011aobligélaFranceàmodifiersondroitenmatièredetransfertdes risquesdans les contratsdevente impliquantun transportde la chose. Làoù la règleétaitetdemeurequeletransfertdesrisquess’opèredansl’échangeduconsentement, ilaété prévu un transfert retardé au jour de la prise de possession effective du bien par leconsommateur(ouparuntiersdésignépar luietautrequeletransporteurproposépar leprofessionnel).Onrelèveraquecechangementnes’imposait,auregarddeladirective,quepourlesventesimpliquantundéplacementdel’objetvendu.OrlaFranceachoisid’enfaireunerèglegénéralepourtouslescontratsdeventeentreprofessionneletconsommateur,cequiestàlafoislogiqueetheureux.CetterèglefigureauxarticlesL.216-451etL.216-552ducodedelaconsommation.

Chapitre3–Contratsentreprofessionnels

Ledroitfrançaisdelaconcurrencecontientplusieursrèglesimportantes,destinéesnonpasdirectementàassurerlesconditionsd’unmarchéefficaceetouvert,maisàprotégercertainsacteursensituationdefaiblessecontredespartenairescommerciauxsusceptiblesd’abuserde leur position de force. Ces règles forment une partie ce qu’on appelle le droit despratiques restrictivesdeconcurrence.Elles figurent,pour l’essentiel,à l’articleL.442-6duCodedecommerce.

Ce texte, dont l’importance est considérable et qui a connu une phase d’applicationextensive (qui semble toucher à sa fin), dresse une liste de 13 pratiques qui engagent laresponsabilité de leur auteur (I) et une autre de 5 clauses ou contrats qui sont nuls (II).Même si ces listes ont été pensées dans la perspective d’une meilleure régulation desrapportsentrefournisseursetdistributeurs(c’est-à-direentrepartenairescommerciauxdusecteurde ladistribution), lespratiquesouclausesquiysontviséesconcernentenréalitétous les rapportsentrepartenaires commerciaux, cequiestextrêmementvasteet couvreaussibienlesrelationss’inscrivantdansladuréeoudanslemouled’uncontratcadrequelesrelationscontractuellesponctuellesentreacteurséconomiques.

Parmi les pratiques stigmatisées, on évoquera particulièrement les deux suivantes, qui«engagentlaresponsabilitéde[leur]auteur».

Déséquilibre significatif entre partenaires commerciaux. Tout d’abord est interdit le fait«De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligationscréantundéséquilibresignificatifdans lesdroitsetobligationsdesparties (C.com.,art. L.

51«Toutrisquedeperteoud’endommagementdesbiensest transféréauconsommateuraumomentoùcedernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prendphysiquementpossessiondecesbiens».52 «Lorsque le consommateur confie la livraison du bien à un transporteur autre que celui proposé par leprofessionnel,lerisquedeperteoud’endommagementdubienesttransféréauconsommateuràlaremisedubienautransporteur».

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442-6,I,2°).Endépitd’hésitationssubsistantes,ilsemblequecettepratiquenepourraitpasêtre sanctionnée par l’éviction de la clause qui renfermerait l’abusmais uniquement parl’allocation de dommages et intérêts. Il n’en reste pas moins que le dispositif constitue,entreprofessionnels,unpendantà l’importante législationprotégeant les consommateurscontre les clauses abusives et unedéclinaison spéciale de la dispositiondedroit commun(art. 1171 C. civ.) permettant le contrôle du déséquilibre significatif dans les contratsd’adhésion(surlesrapportsentrecestroisdispositifs,v.supra).

Rupture brutale des relations commerciales établies. Ensuite, est interdit le fait «Derompre brutalement,même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavisécrittenantcomptedeladuréedelarelationcommercialeetrespectantladuréeminimalede préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accordsinterprofessionnels» (C. com., art. L.442-6, I, 5°). Il s’agit là d’obliger les acteurséconomiquesenrelationsd’affairesà faireprécédertouteruptureoutoutediminutionduvolumedesaffairesd’unpréavisécritsuffisammentlongauregarddeladuréeantérieuredela relation. Sorte d’obligation de loyauté contractuelle concrétisée, ce devoir limiteconsidérablementlalibertéderompreuncontratouderefuserdereconduireunerelationcontractuelle et constitue un instrument efficace de protection des contractantsdépendants.