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Structure linguistique: Problèmes de la constance et des variations Author(s): Mortéza Mahmoudian Source: La Linguistique, Vol. 16, Fasc. 1, Constance et Variations (1980), pp. 5-36 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248390 . Accessed: 14/06/2014 11:53 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.76.54 on Sat, 14 Jun 2014 11:53:15 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Constance et Variations || Structure linguistique: Problèmes de la constance et des variations

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Structure linguistique: Problèmes de la constance et des variationsAuthor(s): Mortéza MahmoudianSource: La Linguistique, Vol. 16, Fasc. 1, Constance et Variations (1980), pp. 5-36Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248390 .

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STRUCTURE LINGUISTIQUE : PROBLEMES DE LA CONSTANCE

ET DES VARIATIONS Morteza MAHMOUDIAN

I. Sciences et humanitis

L'une des caracteristiques - la plus importante sans doute - de la linguistique du xxe siecle est sa quete de rigueur scienti- fique dans l'examen des faits humains. Et ce ne fut pas chose aisee. D'une part, parce que longtemps les ph6nomenes humains ont 6te consideres comme rebelles 't la reflexion scientifique et a ses methodes rigoureuses; des lors, la conscience restait en la matiere la seule experience possible.

D'autre part, quand on tentait d'appliquer les methodes scien- tifiques aux faits de langage, on adoptait souvent une vue m6ca- niste des choses, si bien qu'une telle discipline ne relevait guere du domaine des humanites. L'htude de l'aspect phonique du lan- gage en fournit un exemple interessant. Les travaux phonolo- giques de Prague et d'ailleurs ont eu le m6rite de proposer des principes et m6thodes rigoureux pour l'&tude des sons du langage. Ce qui distingue essentiellement la phonologie du xxe siecle de la

phon6tique du XIXe si~cle, c'est que la rigueur des m6thodes phonologiques n'a pas abouti ' une etude physique du son; elle ne l'a pas detourn6e de ses visees linguistiques. La phonologie a ainsi rdussi 'a appliquer des methodes scientifiques tout en gardant comme objet le langage en tant que fait humain. Et par la meme, elle a mis en evidence la possibilit6 de la science dans le domaine des humanit6s.

La Linguistique, vol. 16, fasc. /I9g8o

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6 Mortiza Mahmoudian

2. Optique fonctionnelle

L'id'e fondamentale, sous-jacente aux etudes phonologiques, est qu'il est plus interessant d'orienter les &tudes sur le langage vers l'utilisation qui en est faite plut6t que vers les caracteristiques phy- siques. D'une manibre consequente, la theorie phonologique part de la definition des fonctions du langage (communication, expres- sion, appel); elle etablit une hierarchie parmi ces fonctions (par exemple : la fonction communicative prime la fonction d'expres- sion), et dans le cadre de chaque fonction elle distingue d'autres types de fonctions, en quelque sorte des sous-fonctions. (Pour ce qui est de la fonction communicative, elle permet de distinguer pour les elements phoniques une fonction distinctive, une fonc- tion demarcative, etc.) Ces fonctions fondent des m6thodes d'analyse et des criteres operatoires.

Les criteres d&finis dans et par cette optique fonctionnelle sont plus significatifs et permettent d'obtenir une vue globale du systeme de la langue t l'atude avec un appareil relativement

simple. Et ta ce niveau g6neral de la representation du systeme, l'analyse phonologique n'a nullement besoin d'indication du nombre ni de mesure chiffrde. En revanche, un examen centre sur des mesures physiques peut aboutir 'a une vue atomistique des elements isoles d'une langue, mais manque a fournir une image du syste'me.

3. Du nombre et de la mesure

Le recours L des mesures et aux methodes statistiques n'est pas en soi une vertu, et ne constitue pas une garantie de scientificitd; pas plus que 1'absence de chiffres et de donnies statistiques ne peut etre consideree comme defaut. De ce point de vue, un regard r'trospectif sur le dcbat entre phonologie et phonometrie serait interessant'.

La theorie phonologique a donne naissance at l'apreuve de la commutation qui permet de ramener les faits physiques ta leur valeur fonctionnelle. Dans la mesure oih la valeur fonctionnelle d'un ph6nomane est constante dans une communaute, point

i. E. ZWIRNER et K. ZWIRNER, Grundfragen der Phonometrie, Berlin, 1936, et Nicholas S. TROUBETKOY, Principes de phonologie, Paris, Klincksieck, 1964, P. 7-9.

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Constance et variations 7

n'est besoin d'avoir recours t des mesures et donn'es chiffries. Ainsi en est-il de la diff6rence bilabial/apico-dental de /m/ et /n] a l'initiale qui est doude de valeur distinctive dans toute la francophonie. A ce niveau de la structure linguistique - qu'on peut appeler zone centrale ou langue au sens saussurien du terme -, I'affirmation de Troubetzkoy sur la non-pertinence du nombre et de la mesure est certes valable2. Mais la theorie

phonologique a une portie plus gindrale; son application ne se limite pas aux zones oih les systemes linguistiques sont inva- riables. Des qu'on entreprend l'6tude phonologique des zones de structures oi0 des variations se manifestent, nombre et mesure trouvent leur valeur. Cela dit, la phonomitrie est critiquable, non pour son recours aux donnees chiffrees, mais parce qu'elle prend ses mesures sur les faits physiques - bruts, pour ainsi dire -, prealablement a l'identification de l'unite et du systeme. De ce fait, les etudes phonometriques, bourrees de chiffres et de tableaux, sont peu significatives; et elles ont eu peu d'influence sur le developpement de la linguistique.

La phonologie a, en revanche, crd des methodes qui livrent des unites conformes At l'intuition du sujet parlant, qui << expli- quent >> la conscience linguistique. Si la phonologie a pris valeur

d'exemple pour les autres domaines de la linguistique comme pour d'autres sciences humaines, c'est qu'elle a su proposer des m'thodes et principes rigoureux applicables 'a la subjectiviti de l'homme. Et c'est pour cela que nous commengons la discussion sur la portie et les limites de ces methodes par la phonologie; mais les conclusions que nous en tirerons - comme nous verrons plus loin - sont plus gendrales.

4. Hilrarchie des phdnomines

Que, dans une structure linguistique, certains faits soient plus importants que d'autres, cela se congoit aisement; cepen- dant, nous en donnons des exemples pour illustrer la discussion de cas pr6cis.

En phonologie frangaise, la serie des consonnes nasales comporte les phonemes /m/, /n/, /p/ et /[3/3. Pour toutes ces unites, l'iden-

2. Principes..., p. 9. 3. Voir Andr6 MARTINET et Henriette WALTER, Dictionnaire de laprononciationfranfaise

dans son usage rdel, Paris, France Expansion, 1973.

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8 Mortiza Mahmoudian

tite phonologique peut etre mise en evidence par l'Cpreuve de la commutation. Mais, dans une etude detaillke, on ne met g6nera- lement pas ces unites sur le meme plan; et si l'on veut presenter le systdme dans une perspective globale, tous ces phonemes n'y trouvent pas de place. De meme, le systeme vocalique du frangais dans une presentation generale ne fait pas etat de certaines unites dont l'identitd peut &tre ddmontrde dans certaines conditions.

Au niveau mondmatique, l'opposition << futur >>/< imparfait > parait constante. A l'oppose, on trouve dans le cadre des syntagmes verbaux des cas comme < actif >>/<< passif>> oh l'on peut d6montrer que, dans certaines conditions, les deux termes se trouvent en opposition. Cependant, il parait evident que les deux oppositions n'ont pas la meme valeur. Dans les deux domaines, phonologie et syntaxe, il est possible de multiplier a souhait les exemples, tous tendant a prouver la disparit6 de la valeur des elements.

Cette disparit6 des faits linguistiques signifie qu'on ne peut ni ne doit considerer tous les faits d'une langue sur le meme plan, et que la recherche de la structure, du systeme implique le tri et la hierarchisation des phenomines. Mais ce tri, cette hierar- chisation posent des problimes dont nous en retiendrons deux : 10 sur quoi peut-on fonder cette hidrarchie? et 20 oih arreter ce tri? Cette derniere question revient a se demander s'il est lIgitime de se contenter de deux degres dans cette distinction

(c'est-a~-dire la distinction entre constante et variable ou entre

pertinent et non pertinent), ou s'il faut envisager entre ces deux

pbles plusieurs gradations, voire un continuum. A noter que poser le problkme des fondements et de la nature

de la hierarchie des faits linguistiques ne signifie pas qu'il s'agit l1 d'un concept nouveau. Cette hierarchie a fait l'objet de

reflexions, et a trouv6 application dans nombre de descriptions, surtout en linguistique fonctionnelle. Nous pensons simplement qu'on n'a pas considir6 toute la signification theorique ni toutes les implications pratiques qui en d&coulent.

5. Communication et hilrarchie

Dans le cadre de la linguistique fonctionnelle, il est facile de donner A la premiere question une reponse qui fasse quasiment unanimitY. Si l'on admet qu'une langue a pour fonction centrale la communication - ou du moins qu'elle I'assure -, il est

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1Igitime de mesurer l'importance des faits linguistiques en terme du r6le plus ou moins considerable qu'ils assument dans la communication. Des lors, la hierarchisation peut tre fondee sur la valeur communicative, et y trouver des critbres operatoires.

Pour que la communication linguistique soit etablie, il faut que deux exigences - au moins - soient satisfaites : 10 le caractere psychique (ou mentale) : les elements linguistiques (phonemes, monemes, phrases, etc.) doivent avoir une realit' dans le psychisme du sujet4; 20 le caractere social : cette realit6 mentale doit tre non seulement celle de l'individu, mais aussi de la communaute dont il fait partie.

Ce recours au psychique et au social dans la conception des faits linguistiques appelle des remarques :

a) de la fonction communicative retenue comme trait defini- toire du langage dicoule que tout fait linguistique doit tre congu et 6tudi6 sous son double aspect psychique et social;

b) la double dimension mentale et sociale constitue la condition sine qua non pour qu'un fait soit consider6 comme linguistique. Il semble en effet absurde d'admettre, par exemple, que tout signifi6 linguistique a une contrepartie signifiante, et de se refuser a reconnaltre que cette association signifiant/signifi6 est de nature psychique. De meme, il paraitrait peu judicieux de vouloir reconnaitre le caractere linguistique 'a un pheno- mene depourvu de toute portee sociale;

c) l'introduction des dimensions mentale et sociale ne compromet pas l'autonomie de la linguistique comme discipline scienti- fique. Il ne s'agit ni d'un retour a une vision spiritualiste ou metaphysique des phenombnes humains ni d'un sociologisme abusif. L'intention est d'expliciter ce qu'il y a d'implicite dans certains travaux;

d) l'explicitation du caractere a la fois psychique et social des faits linguistiques prdsente des avantages evidents : elle permet de priciser les fondements theoriques de certaines pratiques courantes; elle pourrait aussi conduire B l'atablissement de nouvelles procedures d'analyse, techniques d'enquete, etc.

4. On remarquera que nous employons les termes psychique et mental pour d6signer la meme realite, malgre leurs differences etymologiques. Cette meme r6alite est d6sign6e parfois par dimension individuelle, qui nous semble un terme plus approprie; car, sur cette dimension comme sur la dimension sociale, on examine a la fois le comportement linguis- tique et la conscience linguistique.

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So Mortiza Mahmoudian

Nous reviendrons plus loin sur ces points. Pour le moment, nous nous bornons B tirer une conclusion qui s'impose : si la hidrarchie se fonde sur le rble communicatif, elle se ramene ainsi d'une part h determiner la place plus ou moins importante qu'occupe dans le psychisme du sujet un fait linguistique, et d'autre part a mesurer l'extension plus ou moins grande qu'il a dans la communautd.

6. Degris de pertinence

La deuxiRme question concerne la nature de la hierarchie. Faut-il s'attendre au terme de cette hierarchisation ta une oppo- sition entre deux ordres de faits, ou envisager une distinction a trois degres, quatre degr6s, etc.? Ou encore, le r6sultat peut-il faire apparaitre une distinction bipolaire oih entre les deux extremes de multiples gradations existent ?

Noter d'abord que la question merite un examen attentif, car de sa reponse d6pend la marche ta suivre dans l'analyse des faits linguistiques. Si l'on congoit la distinction comme binaire, on est amen6 ' 6tablir deux classes - celle des 616ments pertinents et celle des non pertinents -, et a r6partir les faits entre ces deux classes mutuellement exclusives. Mais cette bipartition ne va pas toujours sans probl6mes. Il n'est pas rare que, en regard de memes faits d'exp6rience, deux linguistes optent pour deux solu- tions diff6rentes, chacun faisant valoir, en toute bonne foi, cer- taines des caracteristiques du phenombne a l'6tude; ce qui prouve l'existence de faits ta mi-chemin des deux classes << pertinent >> et < non pertinent >>. Ce rattachement d'un fait a l'une ou l'autre classe est fait parfois au nom d'un argument si t6nu que la solution adoptie apparait comme arbitraire, intuitivement non credible5.

Certains s'efforcent de sortir de cette dichotomie 6troite en introduisant une troisi&me cat6gorie qui constitue un moyen palier entre les deux p6les. Empiriquement, de telles solutions

pourraient etre valables pour un problkme determin6; sur le plan de la th6orie cependant, la question des degres de pertinence (ou des paliers de hidrarchie) reste ouverte.

5. Cf. Knud TOGEBY, Structure immanente de la languefranfaise, Paris, Larousse, I965, ods l'auteur postule l'existence d'un phoneme latent /h/ dans la phonologie franCaise en se fondant sur les habitudes phonologiques d'une petite fraction de la francophonie qui a garde ce phoneme.

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Constance et variations II

Pour rdpondre a cette question, nous revenons au crit&re de

hidrarchisation qu'est la fonction communicative. La question que nous posons est de savoir quelle propridtd de la fonction de communication justifie cette distinction bipartite entre le perti- nent et le non-pertinent. Autrement dit, la communication est-elle absolue, ou bien entre l'intercomprdhension totale et I'absence totale d'intercomprdhension diffdrents degres sont-ils envisa-

geables? Tout porte croire a la relativite de la communication. A ce propos, Martinet dcrit : << I y a tous les degrds possibles entre l'intercomprdhension immediate et l'incomprdhension absolue >>6.

La gradation dans la hidrarchie implique qu'on ne cherche pas a tout prix at ranger tout phenome'ne soit dans la catigorie des pertinents soit dans celle des non-pertinents. La pertinence doit &tre conque comme une fonction continue pouvant varier entre la valeur pleine et la valeur nulle.

II convient de remarquer qu'une telle conception des valeurs de pertinence n'exclut pas a priori l'existence d'un decoupage du continuum en un nombre ddfini d'dlements discontinus.

7. Dimension mentale

Le caractere psychique des faits linguistiques est reconnu - explicitement ou implicitement - par tous les courants de

pensde linguistiques. C'est reconnailtre implicitement le caractere mental des faits de langue que d'affirmer que << la structure distri- butionnelle existe chez les locuteurs >7, comme le fait Harris. Il est certes prdf6rable d'expliciter l'hypothese de la rdalite men- tale des phenomenes linguistiques; cela permettrait d'en tirer toutes les consequences.

Le recours a l'aspect psychique du langage est aussi tres

rdpandu. Demander au sujet parlant de se prononcer sur l'dqui- valence ou la diff6rence de deux sequences phoniques, c'est recourir a l'intuition qu'il a de sa langue.

Le problkme reel n'est done pas de reconnaltre ou non aux phenomhnes linguistiques un caractere psychique, ni non plus d'admettre ou d'interdire le recours a cette rdalitd mentale, telle qu'elle apparait a travers l'intuition. La vraie question

6. Andre MARTINET, Eliments de linguistique gindrale, Paris, Colin, I960, S 5-3- 7. Zellig S. HARRIS, Structure distributionnelle, in Langages, 20, S 1.2.

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porte sur le moyen d'accider a la realit6 psychique, et la portie de cette realitd dans la recherche linguistique.

A la question << Comment acceder aux faits psychiques? >>, on repondra qu'il n'est pas possible d'observer directement le

processus mental par l'examen du fonctionnement du syst6me nerveux. Force est done de recourir t l'intuition de l'usager. Sans ce recours, l'objet de la linguistique en tant que science humaine s'evanouit, ou bien se resume & la subjectivite du seul

descripteur. On connait les dangers de l'introspection quand celle-ci constitue le seul moyen de collecte des donnees : la

subjectivite du linguiste est alors censee correspondre 'a celle de la collectivite. Et rien ne nous dit que tel est le cas. Nous avons

par contre des raisons de croire que l'intuition du chercheur est conditionnee par des facteurs socio-geographiques, tout comme

n'importe quel locuteur. Une objection souvent formulke est que l'intuition du sujet

n'est pas constante. Mais cette objection n'est pas fondie; d'une

part parce que des enquetes - devenues classiques a la suite de celle d'Andr6 Martinet8 - prouvent que, dans des domaines

determinds de la structure linguistique, l'intuition de diverses fractions de la communautd est largement concordante. D'autre

part, cette objection repose sur l'hypothese, parfois implicite, que ressemblances et diff6rences sont absolues dans la langue. Or, si l'on admet la relativit6 de la structure linguistique, on doit reconnaitre du meme coup que, sur la dimension mentale, diffdrents phenomenes peuvent avoir des statuts diffhrents, y etre

prdsents ' des degres divers. 11 sera alors possible d'etablir une

hidrarchie entre les faits linguistiques d'apres leur statut psychique.

8. Certitude et hisitation

Le recours 5 l'intuition ne conduit pas toujours a des resultats

homogenes, mais revdle une disparit6 dans les reactions intuitives des locuteurs sollicites. Cette reaction subjective peut 6tre parfois nette et certaine, alors qu'ailleurs elle rivdle fluctuation et hisi- tation. Cette disparite vaut aussi pour le comportement lin-

guistique. Si l'on interrogeait un Parisien sur l'identit6 ou la difference

8. Andr6 MARTINET, La prononciation du fran;ais contemporain, Gentve, Droz, 1945.

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de deux suites phoniques telles que [eme] << aima o et [ene] < aine >>, il est fort probable qu'il reponde sans hesitation ni atermoiement en distinguant ces deux sequences. La reaction du meme sujet serait diff6rente si la question portait sur deux sequences comme [penje] << (vous) peiniez o et [pejle] < (vous) peignez >>; le sujet a de fortes chances d'hesiter avant de repondre, se contredire en fournissant plus d'une reponse, se declarer incapable de trancher la question, ou manifester d'une autre maniRre son incer- titude sur la question posse.

Le phenomane n'est pas specifique au domaine de la phono- logie; en monematique, les memes probl6mes peuvent etre ren- contres. Ainsi, l'opposition syntaxique est immediatement evi- dente dans la paire de phrases il travaillait aujourd'hui et il travail- lera aujourd'hui. Tel n'est pas toujours le cas. Dans les enfants admirent ce clown et ce clown est admir6 par les enfants, a-t-on affaire a deux schemes syntaxiques diffirents ou " un m6me scheme syntaxique dans ses deux variantes morphologiques? Ce qui empeche de trancher la question dans des cas pareils, c'est l'incer- titude dont font montre la reaction intuitive du sujet parlant, ainsi que son comportement linguistique.

Face 'a ce probl6me, l'attitude de bien des linguistes - quand ils ne remettaient pas en cause la valeur des reactions intuitives - etait de contourner cette disparite des reactions de l'informateur en recherchant de nouvelles techniques d'enqufte et de procedures de collectes de materiaux plus adaptees. Si, au lieu de discrediter ou de contourner cette variete des manifestations de l'intuition, on en tenait compte, on pourrait fonder kI-dessus la hidrarchie mentale des faits linguistiques. Cette hierarchie permettrait de distinguer entre deux pbles :

Io Zone de certitude, oii les phenombnes linguistiques sont constants dans le maniement et nets dans l'intuition du sujet parlant : ils sont immediatement comprehensibles pour l'infor- mateur et facilement accessibles dans son intuition. De tels faits occupent le haut de la hidrarchie : ils sont plus utiles, voire indispensables, ta l'tablissement de la communication.

20 Zone d'hisitation, oth les faits sont flous dans l'intuition du sujet et variables dans l'utilisation qu'il en fait : ils sont moins ais&- ment comprdhensibles et plus difficiles d'acc6s dans l'intuition. Ces phenomenes sont au bas de l'tchelle de la hierarchie, leur r6le communicatif est moins important.

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14 Mortiza Mahmoudian

Divers degres peuvent &tre envisages entre ces deux p6les, correspondant aux degrds de pertinence des faits soumis a l'examen.

9. Dimension sociale

Le caractbre social est reconnu, depuis les precurseurs et les premiers structuralistes, comme l'une des proprietes essentielles du langage. Mais le terme << social >> n'dvoquait pas au debut du siecle la meme chose qu'aujourd'hui; on attribuait le carac-

t&re social ' ce qui est commun A toute une societd. Et on en faisait le critbre de distinction entre deux ordres de faits :

langue, partie sociale et constante oppose a tout ce qui est variable (appelke parole, par exemple). On allait jusqu'' dtfinir une langue en terme de la communaute qui la parle. Mais c'est 1i precisiment qu'on trouve un problkme difficile.

Pour circonscrire les faits d'une langue d'une manidre objec- tive et independamment de l'arbitraire du descripteur, on les definit comme l'ensemble des habitudes linguistiques d'une commu- nautd. On congoit les faits de langue comme constants a travers cette communaute. Et on reconnait en meme temps que la communaute linguistique est une notion toute relative9. Il n'y a rien d'etonnant si l'on n'arrive pas a determiner si tel fait appartient a la langue ou doit en &tre distingue (et relegu a une autre

categorie de faits; parole, par exemple). Le flou du critere defi- nitoire entraine un flou dans l'objet defini : si les limites d'une communaut' linguistique sont floues, difficiles a preciser de fagon univoque, il s'ensuit qu'il sera egalement malais6 de dire si un

phenomene determine relhve de la langue de cette collectivit6. Par exemple, la difference sourde-sonore entre [p] et [b] est-elle

toujours pertinente "a l'initiale en frangais? La reponse depend de la fagon dont nous ddlimitons la communaute francophone. Nombreux sont les Nord-Africains qui parlent une varie't du

franqais sans pratiquer l'opposition [p] [b]. La difficulte de

9. Voir Leonard BLOOMFIELD, A set of postulate for the science of language, in Martin Joos, Readings in Linguistics, The University of Chicago Press, I957. Bloomfiald congoit les ressemblances et les diff6rences comme absolues en linguistique (S 2), et d6finit une langue comme la totalite des 6nonc6s qui peuvent etre produits dans une communaut6. Par ailleurs, il &crit : << En somme, le terme de communaut6 linguistique n'a qu'une valeur relative. a Cf. Le langage, Paris, Payot, 1970, S 3-8. (Ces textes ont etd publis pour la premiere fois en 1926 et 1933 respectivement.)

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Constance et variations 15

repondre ta cette question vient de ce qu'on ne saurait dire si l'Afrique du Nord fait partie de la francophoniel0.

La contradiction est evidente. Il y a en effet conflit entre la nature sociale d'une langue et le caractbre absolu de sa structure. Il faut dbs lors opter pour l'un des deux termes incompatibles entre eux. Une solution serait de faire abstraction du caractre social du langage; mais les inconvenients en sont trop nombreux et &vidents. Les seules donnees sur lesquelles est reduit k operer le linguiste sont celles qui relhvent de sa propre subjectivite ou de celle d'un informateur. Mais, alors, de deux choses l'une : ou bien le linguiste renonce h toute generalisation et consid&re que les resultats de sa recherche ne valent que pour le locuteur

auprbs duquel il a recueilli ses materiaux, voire a la limite exclu- sivement pour le corpus examine. Dans ce cas, l'intiret d'une telle etude est fort limit6 : elle nous renseigne sur les habitudes linguistiques d'un individu et non d'une communaute. Ou bien, le linguiste extrapole et digage les caracteristiques de la langue (fran- gaise, anglaise, etc.) a partir de l'examen de materiaux limit6s. Mais rien ne garantit qu'une telle gendralisation est 16gitime dans tous les cas et que, en ce faisant, on n'itend pas abusivement a toute une collectiviti les proprietes valables pour un individu (ou seulement pour cet individu dans des conditions particulibres).

La solution qui parait plus satisfaisante aujourd'hui est de reconnaitre le caractbre social du langage; ce qui conduit y. aban- donner la conception formelle de la structure linguistique (c'est-a- dire structure constituie d'unites discrktes et de rbgles expli- cites, absolues). C'est admettre que de la relativite de la structure sociale decoule la relativiti de la structure linguistique. En d'autres mots, le caractere social des faits linguistiques implique qu'ils soient variables.

IO. Consensus et dissension

Si l'on admet que la portee sociale des faits linguistiques est une proprietd relative, il est possible de hierarchiser les pheno- mbnes linguistiques selon leur extension plus ou moins grande dans la societd.

io. De ce point de vue le livre de Bruno MANN, Les gosses tu es comme (Seuil, 1976) fournit un bel exemple d'ind6termination. Est-ce du frangais ou une langue mixte, une sorte de creole? La question n'est pas facile A trancher.

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16 Mortiza Mahmoudian

Au cours d'enquetes phonologiques, on constate souvent que certaines questions regoivent la meme reponse de la part de tous les enqu6ts, alors que d'autres divisent les informateurs en groupes et sous-groupes selon la nature de leurs rdponses. Reprenons l'exemple des e1ements phoniques [m], [n], [ji], [nj]. Si l'on interroge un groupe de locuteurs parisiens, l'opposition phonologique entre [m] et [n] (dans [eme] < aim6 > et [ene] < ain a>>, par exemple) apparaitra A travers la reaction de tous les informateurs. II n'en est rien des suites phoniques [penie] < (vous) peiniez o et [pejie] << (vous) peignez o. Les informateurs sont partages : les uns distinguent les deux suites alors que les autres les confondent.

Des exemples monematiques tendraient a prouver la mime chose. Certaines s6quences de mondmes sont immidiatement reconnues comme distinctes; ainsi grand homme et homme grand. Alors que pour identifier et distinguer certaines autres suites

monematiques les avis sont partages. C'est le cas des syntagmes brave soldat et soldat brave. On peut mettre en cause les techniques d'enquete, mais il faudra d6terminer alors le facteur qui fait qu'en suivant la mame dcmarche on arrive A des resultats diff&- rents selon les diff6rentes zones de la meme structure linguistique. Il nous semble que la raison doit &tre cherchee dans le statut social diffdrent des faits linguistiques consid&res.

La diversit6 des reactions intuitives d'un groupe a l'agard de deux phenomenes linguistiques indique la diff6rence de leur statut sur le plan social. L'extension sociale des faits sera alors mesurable objectivement, et comparable d'un cas l'autre. Les faits pourront ainsi &tre ranges sur un axe dont les deux p6les sont consensus et dissension.

Dans une communaute donnee, on peut observer que certains faits linguistiques ont une extension telle que tous les membres de ce groupe tombent d'accord sur la possibilit6 de realisation de ces faits et sur leur valeur linguistique. De tels faits constituent au sein d'un systdme linguistique une zone que nous appellerons zone de consensus. Tel semble &tre le cas de l'opposition /m/ ~ /n/ B l'intervocalique.

A l'oppos6, il existe des ph6nombnes linguistiques qui, dans la meme communaut6, suscitent des reactions diff6rentes de la part des locuteurs. Nous considererons ces phenombnes comme relevant d'une partie de structure linguistique dite zone de dissension.

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Constance et variations 17

Ainsi concue, la valeur sociale des faits de langue ne les divise pas en deux cat6gories : langue et parole (ou dans d'autres terminologies schema et usage, pertinent et non pertinent, constante et variable, etc.), mais permet de situer les el6ments d'une langue t l'un des deux pbles de l'axe consensus-dissension, ou a une quelconque distance entre les pbles. Cette conception a

l'avantage de ne pas postuler l'existence d'une distinction bipar- tite dans les faits linguistiques; mais ne l'exclut pas non plus.

i 1. Hilrarchie extrinseque

Existe-t-il un rapport entre les aspects psychique (ou indi- viduel) et social du langage? A priori, l'existence d'un tel rapport n'est pas evidente, les deux hierarchies etant etablies sur des critbres independants. Cependant, si ces deux aspects se trou- vaient n'entretenir aucun rapport entre eux, un problRme cru- cial serait pose : << Laquelle des deux hierarchies est la bonne

(c'est-8a-dire correspond yi celle du systeme linguistique Ai l'etude) ? >> Et si nous ne pouvions apporter de solution thdoriquement fondde a ce problkme, la signification de ces hierarchies et la pertinence des dimensions mentale et sociale en linguistique s'en trouveraient r'duites "a fort peu de chose.

On a, en theorie, des raisons de croire que ces deux ordres de faits sont paralldles. Et, comme on peut voir11, des recherches

empiriques viennent 6tayer cette vue theorique, en montrant que leur rapport est un type de corr61ation. Ainsi coincident les faits relevant des zones de consensus social et de certitude individuelle. De meme, les phenombnes ressortissant aux zones de dissension sociale correspondent ta ceux qui sont dans les zones d'hisitation individuelle. Les deux dimensions mentale (ou individuelle) et sociale se fondent des lors en une seule dimension : la dimension

extrinsbque. Les 616ments d'un systeme linguistique sont ~ hidrar- chiser sur une seule dimension dont les deux extremes peuvent &tre

appel6s zone de rigueur et zone de laxite, comme l'illustre la figure I. L'existence de cette correl1ation confirme la fonction commu-

nicative du langage, et en decoule. Ii n'y a rien d'etonnant ta ce

que les membres d'une communaut6 posshdent des syst6mes

i I. Cf. Maryse MAHMOUDIAN et Nina de SPENOLER, Constructions pluri-pronomi- nales, La Linguistique, 16, I, I98o, p. 51-75; R6mi JOLVET, La place de l'adjectif, ibid., p. 77-103, et Marianne SCHOCH et Nina de SPENGLER, Structure rigoureuse et structure lache en phonologie, ibid., p. 105-117.

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18 Mortiza Mahmoudian

Rigueur consensus certitude

hierarchie

extrins6que

dim.

sociale

dim.

mentale

dissension hesitation

Laxit6

FIG. I

linguistiques semblables, puisqu'ils s'en servent pour assurer

l'intercomprdhension. C'est ce parallelisme qui nous a permis d'dvoquer les memes faits pour illustrer a la fois l'hdsitation et la dissension. De meme, c'est grace a' ce parallilisme que les memes exemples ont pu servir pour ddmontrer l'existence du consensus et de la certitude.

Ces recherches expirimentales peuvent avoir des implications dont nous ne mesurons pas toute la porte"12. L'une des implications

12. L''tude de Thomas LAHUSEN, Allocution et soci6te dans un roman polonais du xxxe si'cle. Essai de simiologie historique (Wiener Slawistischer Almanach, 3, I979), en fournit un exemple. Elle montre que la pertinence de la distribution en zones o rigoureuses >> et < liches >> de la structure linguistique avec ses correspondances individuelles et collec- tives peut etre verifice par sa confrontation - l'extra-linguistique. L'6tude quantitative des formes d'allocution systnmatiquement recens~es dans un corpus litteraire polonais du yxje siecle d'montre l'absence d'une structure allocutoire a caractere discret, de type dichotomique tu : vous. S'il y a existence indeniable de deux p6les (rapport de reciprocit6- solidarit ; rapport de non-r6ciprocite - puissance), cette bi-polarisation ne concerne qu'une partie des interactions en cause et ne symbolise que des rapports sociaux 6galement polaris6s (aristocratie : domesticit6, bourgeoisie : travailleurs manuels, etc.). Elle est l'expression, en outre, de la rigiditt de toute une partie de la soci&t6 encore profondement fiodale. Entre les deux pbles se situe un troisieme rapport, qualifi6 d' o indecision >>, plus flou que les deux autres, sorte de zone de passage entre le rapport de puissance et celui de la solidarit6. Il concerne, et c'est significatif, des groupes sociaux interm6diaires (petite bourgeoisie, par exemple) dont la pr6carit6 du statut correspond sur le plan symbolique a une indecision du << moi social >>, ou, ce qui revient au mtme, a une euph&- misation des rapports de force objectifs. Sur le plan de la collectivit6, le rapport << flou >> n'est autre que l'expression d'une mobilit6 sociale et des grandes transformations li6es a l'entr6e de la Pologne dans l' re de la r6volution industrielle. Quant aux formes allo- cutoires, elles appartiennent a la ( structure centrale o quand elles expriment des rapports polaris6s (paradigme pronominal). Le rapport d'ind6cision a recours it la v structure marginale )> : usage plus subtil (plus < euph6mis6 >>) du pr6nom, du nom de famille, du titre, du diminutif, du terme de parent6, etc.

Cette 6tude s'inscrit dans une recherche plus large : d'autres r6sultats (non publi6s) deji' obtenus A partir de romans, de nouvelles et d'autres sources polonaises et russes de la meme epoque semblent confirmer dans une large mesure les premiers resultats.

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Constance et variations 19

est le rapprochement des conceptions psycholinguistiques et socio- linguistiques avec la linguistique tout court. On a cru longtemps que, dans l'examen des faits de langue, on devait choisir entre deux attitudes mutuellement exclusives : une option sociologique et une option psychologique. Les travaux de notre groupe mon- trent que le psychisme et le social, loin de s'exclure, se condi- tionnent et se compl6tent. Toute recherche linguistique a recours peu ou prou a ces deux aspects, et a une signification dans les deux optiques.

I 2. Hilrarchie intrinseque

Telles qu'elles ont etd conques, laxite et rigueur sont d6ter- mindes par ref6rence B l'importance des faits linguistiques dans l'individu et dans la communautd; facteurs qui sont exterieurs aux faits linguistiques eux-memes. Et c'est pour cela que nous consi- derons cette hidrarchie comme extrinsbque.

Il est aussi possible de hidrarchiser les phenomenes linguistiques en termes de facteurs internes; ce qui aboutit alors a une hidrarchie intrinseque. Dans cette optique, on ne tiendra compte que des

&1Iments et de leurs relations (syntagmatiques ou paradigma- tiques) : soit frequence et integration. L'idde de base est double : d'une part, nous pensons qu'il est possible d'&tablir ainsi une

hierarchie qui soit significative, eclairante. D'autre part, nous soutenons qu'une telle hierarchie entretient des rapports etroits avec la hierarchie extrinsbque, et qu'il sera par consequent pos- sible de ramener les deux " une seule et meme hierarchie; ce qui permettrait de deflimiter, de fagon non arbitraire, un certain nombre de zones (centrale, marginale, mediane, etc.) dans un systeme linguistique donne.

Nous voudrions d'abord montrer ' l'aide d'exemples la signi- fication intuitive de ces concepts et leur pertinence pour distinguer diverses couches de structure linguistique. L'interet de la frequence et de l'intigration en phonologie diachronique a et6 demontr6 par Andre Martinet"3. Nous porterons notre attention - la monema- tique, et plus particulibrement a son aspect synchronique.

13. Cf. Andre MARTINET, Economie des changements phonitiques, Berne, Francke, 1955. A notre connaissance, seul Henry SCHOGT a appliqud ces concepts en mondmatique dia- chronique. Cf. son Systime verbal dufranfais contemporain, La Haye, Mouton, 1968.

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20 Mortiza Mahmoudian

13. Frlquence

Si l'on examine la recurrence des unites et des complexes monematiques dans un corpus, on constate que certains d'entre eux reviennent plus frequemment que d'autres. Cette diff6rence de frequence peut constituer un critere de hidrarchisation. Si cette etude porte sur la classe du verbe, on trouve des verbes comme itre, avoir en haut de la hi'rarchie parmi les plus fr&- quents, alors que d'autres comme risoudre et clore se trouvent en bas de l'echelle parmi les plus rares.

Par ailleurs, on peut observer le comportement morphologique de ces unites dans l'usage qu'en font les locuteurs; on constate que la morphologie des verbes Rtre et avoir est d'une structure rigoureuse, alors que celle des verbes comme rdsoudre revble une structure lMche. En effet, tout francophone - ou presque - est

capable de conjuguer le verbe avoir ou Rtre. Il n'en va pas de meme pour rdsoudre pour lequel tout francophone peut h*siter ou se tromper t un moment ou un autre. II convient de remarquer que cette difference dans la maitrise des formes verbales n'est pas due a la complexite inhdrente A la morphologie de rdsoudre ni ' la simplicite de celle d'avoir. Si l'on mesure la complexite morpholo- gique par le nombre de th6mes (= variantes morphologiques) que possede chaque verbe, avoir est bien plus complique morpho- logiquement que rdsoudre.

On peut done en conclure que la haute frequence peut avoir comme consequence une structure rigoureuse; alors que la basse frdquence peut entrainer la laxit6 de structure.

14. Intdgration

Dans ce qui precede, nous avons &tabli un rapport entre fr&- quence et rigueur de structure. Qu'on ne se meprenne pas sur notre intention. Nous affirmons simplement que tous les ilements de haute frequence sont rigoureusement structures; nous ne voulons pas dire que tout ce qui ressortit a la structure rigou- reuse est doue d'une frequence elevie. En effet, il est des verbes dont la conjugaison ne pose aucun probl6me (relevent done des zones rigoureuses de structure morphologique) sans que pour autant leur frequence soit elevee. Ainsi cacaber, blattirer, qui sont des verbes de trbs basse frequence, ou gabouiller dont la frequence est nulle (puisque nous l'avons inventi de toutes piRces).

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Constance et variations 21

Ce qui rend ais6 le maniement de tels verbes, c'est le fait qu'ils partagent leurs proprietis morphologiques avec un grand nombre d'autres verbes. La grande extension de ces proprietds les rend plus accessibles dans la m6moire, en rend ainsi le manie- ment aise. Nous pouvons done dire que, dans certains cas, la rigueur de la structure est due a la forte integration d'une unite dans sa classe.

La notion d'integration suppose que l'delment soit congu comme constitud d'un ensemble de proprietis. Plus les proprietes ont de l'extension dans la classe dont fait partie l'dlement, et plus l'el- ment est integre. Inversement, est mal integr6 un dlement dont les proprihtes ne sont que peu ou pas du tout partagees par d'autres

k16ments. Cette difinition de l'intdgration n'est qu'une reformu- lation de celle que donne Andre Martinet pour les phonemes; elle est plus gendrale en ce sens qu'elle ne precise pas la nature phonologique ou mondmatique de 1'elment, et peut done &tre appliquie, toute proportion gardee, aux monemes.

L'integration des montmes peut etre dffinie au moins a deux niveaux distincts14 : au niveau morphologique, le signifiant d'un moneme peut &tre congu comme l'ensemble des variantes morpho- logiques qui le realisent. L'int6gration morphologique d'un moneme est d'autant plus grande que le type de ses variations morphologiques et leur conditionnement sont partages par un plus grand nombre de mon6mes. Au niveau syntaxique, le moneme peut tre considir6 comme l'ensemble de ses traits combinatoires. Des lors, l'intigration syntaxique d'un mondme peut 6tre definie par l'extension de ses traits combinatoires. Un moneme est d'autant mieux integre que ses traits combinatoires valent pour un plus grand nombre de monemes. Un monkme absolument non integrd se composerait de traits combinatoires qu'il serait seul a posseder.

Pour etre op&rationnelle, la notion d'intigration demande a etre explicitie ta plus d'un egard. Elle pose des problkmes dont nous presentons deux. D'abord, le champ d'application de l'intigration doit tre precise. Ce concept est-il applicable a la fois aux unites et a leurs proprietes ? Dans l'affirmative, il recouvre quatre notions dont 1'int&'rt et la signification doivent &tre

14. Un troisieme niveau pourrait &tre envisag6 quand le domaine de l'analyse du signifii serait suffisamment explor6 pour prater A ce genre de traitement.

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22 Mortiza Mahmoudian

eclaircis'5. Ce sont la frequence lexicale (= l'extension) et la co-applicabilite pour les traits combinatoires, et la solidarit6 et la complexite (= analycitd) pour les mon6mes.

Un autre problame est de savoir si l'intigration doit tre

riservee aux seuls mondmes et traits combinatoires, ou itendue aux schemes syntaxiques tels que syntagmes, phrases, etc. L'exten- sion de la notion d'intigration aux schemes syntaxiques pourrait permettre de comprendre les raisons pour lesquelles il n'est que de regarder de plus pris est plus difficile que il ne faut pas regarder de plus pres. Pourtant, les deux phrases sont de longueur a peu prs igale; et la friquence et l'integration des unites ne semblent pas pouvoir expliquer leur difference du point de vue de la rigueur et de la laxitY.

I1 serait peut-6tre intiressant aussi d'affiner la mesure de

15. La notion d'int6gration permet de d6finir les interdependances qui existent entre les unit6s et les traits combinatoires (appel6s ci-apres regles), et de determiner leur impor- tance dans la structure d'une langue.

Quatre types de relation peuvent &tre envisages. Nous designons ci-dessous l'unit6 par u et le trait combinatoire par r (= regle). Io Relation d'une r " toutes les autres r (= co-applicabilit6 des regles); 0o - r toutes les u (= frtquence paradigmatique);

30 - u ' toutes les autres u (= solidarit6 des unites); 40

- u toutes les r (- analycit6 ou complexit6).

Io Co-applicabiliti des regles. - Pour toute regle r on peut d6finir un ensemble u(r) des unites auxquelles r est applicable. La co-applicabilit6 de deux regles ri et ri sera mesur6e par le nombre d'unites - l'intersection des deux ensembles u(ri) et u(ri), c'est-h- dire u(ri) r) u(ri). On 6tablira une hidrarchie des rkgles selon leur co-application plus ou moins grande aux unit6s. Par exemple, on dressera une liste des rkgles selon l'ordre d6croissant de leur co-applicabilit6, a savoir ri, rf, rg, ..., de fagon que u(ri) r u(rl)

. ... c u(rn) > u(rq) u u(r1) r ... u(rn) > u(rg) c n u(r) cr ... cr u(rn). 20 Friquence paradigmatique. - C'est la mesure de l'6tendue de l'application d'une

rtgle aux unit6s. Soit un ensemble de regles ri, rj, ..., rn.

On comptera les unites appar- tenant A l'ensemble u(ri) auxquelles ri est applicable. On dira que la frequence paradig- matique de ri est plus 6lev6e que celle de ri si u(ri) > u(rl).

30 Solidariti des unitis. - C'est la mesure du parallelisme entre les proprietes combina- toires des unites (c'est-a-dire dans quelle mesure les unitis partagent leurs traits combi- natoires). Pour toute unit6 u on peut definir un ensemble r(u) des rtgles qui sont appli- cables & l'unit6 u. La solidarit6 de deux unites ui et ui sera mesur e par le nombre des regles & l'intersection des deux ensembles r(ui) et r(ui), soit r(ui) r(ui). On 6tablira une hierarchie des unites selon leur solidarit6 plus ou moins grande. Par exemple, on dressera une liste des regles selon l'ordre decroissant de leur solidarit6, c'est-a-dire ui, uf , u, ..., de fagon que r(ui) n r(ul) ... . r(un) > r(uf) n r(ul) n ... r r(un) > r(ug) n rT(u)

.. r) r(un), ... 40 Analycite (ou complexitY).

- Partant du principe que la definition syntaxique d'une unit6 (significative) repose sur les traits combinatoires de celle-ci, et que chaque regle peut ^tre consid&rde comme un trait combinatoire, on peut dire dans quelle mesure la syntaxe d'un montme est plus ou moins analytique que celle d'un autre (du fait qu'a Pun est applicable un nombre plus ou moins grand de traits combinatoires qu'a l'autre). Les monemes peuvent ainsi &tre hierarchises sur l'axe analycit'/globalit6. Soit un ensemble de mon6mes ui, up, .. ., 0n. On comptera les regles appartenant & l'ensemble r(ui) applicables a l'unit6 ui. On dira que ui est plus analytique que si r(ui) > r(uj).

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Constance et variations 23

l'intdgration des monemes; au lieu de mesurer l'integration d'un mondme globalement, on pourrait determiner si, dans tel contexte

syntaxique, il est plus ou moins integr6 que dans tel autre contexte. Ce qui pourrait rendre compte du fait qu'un mon6me - sans 6tre tres rare ni particulibrement mal integre - peut etre difficile a manier dans un contexte et non dans d'autres.

15. Relation frdquence/intdgration

Nous avons vu qu'? la haute frequence d'un element cor- respond un haut degre de rigueur de structure. De m8me, une forte integration implique que l'CC1ment soit doue d'une structure rigoureuse. Ceci pose un problame : celui de la relation entre la frequence et l'integration.

Evoquons d'abord des arguments qui permettent de penser qu'une telle relation existe. En synchronie, on peut constater que les monemes les plus frequents sont gendralement les moins intigres. Par exemple, des verbes comme avoir et etre ont une integration morphologique quasi nulle. En diachronie, on peut observer que les changements analogiques (qui ont pour effet d'integrer A une grande classe morphologique les mondmes isolks ou mal intigres) n'affectent pas les verbes de haute frequence : un verbe comme pouvoir garde les deux formes /puv/ et /pov/ (dans pouvez et peuvent respectivement), produites 'a la suite de la phonologisation des variantes accentuee et inaccentude de la voyelle du radical; alors que les deux formes du verbe trouver, resultant du meme processus, se fondent en une seule. Trouver, verbe peu frequent, est ainsi integr6 a la classe morphologique des verbes 'a theme unique; mais le verbe pouvoir, trbs frequent, reste mal integri morphologiquement.

Ces exemples et bien d'autres tendent a prouver que les notions de frequence et d'intigration sont lides entre elles tant en synchronie qu'en diachronie. Les exemples donnes ci-dessus (S 13 et 14) montrent que, vus sous l'angle synchronique, les mondmes de haute frequence et de faible integration ressortissent A la structure rigoureuse, de meme qu'en rel6vent les mondmes de basse fr6quence et de forte integration. La zone de laxite de structure comporte les mondmes qui n'ont pas une fr6quence suffisante et ne sont pas bien integres.

Tout semble indiquer que, pour qu'un moneme fasse partie

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24 Mortiza Mahmoudian

de la zone centrale de la structure linguistique (donc de la zone de structure rigoureuse), il faut qu'il soit ou bien de haute frdquence ou bien de forte integration ou encore de frequence et d'integration moyennes. IL parait ainsi qu'une haute frequence comble la lacune d'une faible intdgration, de meme qu'une forte integration celle de la basse frdquence. Autrement dit, la rdsul- tante de la frequence et de l'integration doit tre dlevde pour que l'individu maitrise avec certitude un fait mondmatique, et que la communautd soit unanime lI-dessus. En d'autres termes encore, pour un degrd ddtermind de rigueur, la rdsultante de la frdquence et de l'integration est constante. Cette constante doit ndcessai- rement &tre determinde empiriquement.

C'est en terme de la valeur frdquence/integration que les

'ilments peuvent Atre hidrarchisis sur la dimension intrinseque, oh deux p6les sont a distinguer : gdndralitd et restriction. Le p61e de gendralitd correspond a la valeur maxima de la rdsultante frdquence/intdgration; une valeur minima de cette rdsultante caractdrise le pble de restriction.

I6. Zones centrales et zones marginales

La discussion sur la frdquence, l'integration et leur relation nous a conduit a parler des rapports qui lient les deux hierarchies

ZONES CENTRALES

Rigueur G ndralite repandu consensus certitude ou solidaire

hidrarchie

extrins!que

dim.

sociale

dim.

mentale

hidrarchie

intrinseque

dimension

frequence-integration

dissension hesitation rare Laxit6 Restriction ou iSOl6

ZONES MARGINALES

FIG. 2

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Constance et variations 25

extrinsbque et intrinsbque. Nous avons dit que ce rapport semble etre un type de parallelisme : au p le de rigueur de structure", cor-

respond le pOle de gendralite, la laxite coincidant avec la restriction. Il s'agit certes 1A de thbses qui doivent etre soumises a une veri-

fication empirique, et qui pourraient &tre confirmies, infirmees, modifiees ou nuancees par les r'sultats de recherches experimen- tales. Cependant, intuitivement, elles ont une certaine vraisem- blance. II parait normal que ce qui est general - par sa frequence ou par son integration - soit aussi plus rigoureusement structure :

c'est-5a-dire qu'il soit plus facilement accessible dans l'intuition du sujet, plus aise 'a la production, plus immidiat a la comprehension. On peut aussi s'attendre 'a ce que les 'l*ments de portee restreinte - due 'a leur basse frequence ou 'a leur faible integration - soient de structure lIche : d'acquisition tardive, ils sont mal incorpores dans le savoir linguistique du sujet parlant; d'oui une forte hesi- tation. Etant acquis par chaque individu dans un contexte et une situation diffirents, chacun en connait un aspect (par exemple, une variante du signifi ou une de ses combinaisons syntaxiques dans le cas des mondmes); d'oii le disaccord. Notre propos est de ramener ces concepts intuitifs ' des hypotheses explicites et verifiables; de sorte que centre et marges d'un systtme linguistique puissent ftre delimitis objectivement.

I7. Relativit6 de la structure

Dans ce qui prechde, nous avons cherch6 ' rendre la notion de pertinence relative pour sortir du cadre etroit dichotomique oh les faits doivent etre repartis en deux categories : pertinent et non-pertinent. Or, cette distinction entre pertinent et non-pertinent fonde l'analyse qui permet de degager la structure (ou le systeme) d'une langue; en ce sens que les operations conduisent a retenir certains elements comme pertinents, et d'en degager les interre- lations pour presenter les rigularites (ou la structure) selon les- quelles ils sont utilises. La relativisation de la pertinence soulbve une question : le concept de structure ne s'6vanouit-il pas & la suite de cette relativisation ?

I6. A noter que relevent des zones de rigueur de structure deux ordres de ph6no- menes : certitude et consensus peuvent se faire pour rejeter certains ph6nombnes ou au contraire pour les accepter comme faisant partie de la langue. II va sans dire que seuls ces derniers ressortissent aux zones centrales du systeme d'une langue, et entrent en ligne de compte dans le parall1lisme des deux hi6rarchies extrins~que et intrins6que.

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26 Mortiza Mahmoudian

La rdponse a cette question est double : Io Le systme formel n'est pas la seule possibilite de structure.

Si par formel nous entendons un systeme dont les elements sont discrets et les regles explicites, les configurations possibles de la structure linguistique ne se ramenent pas a ce seul systhme. Il est d'autres possibilites qu'il ne faut pas exclure d'embl6e. La structure

peut 8tre de nature statistique, ou combiner les deux aspects formel et statistique. L'approche que nous proposons n'exclut aucune de ces possibilitis.

20 La relativite de la structure est un fait tant dans l'usage du

langage que dans les descriptions linguistiques. Temoin, la rela- tivite de l'intercomprdhension au niveau de la pratique des langues. Sur le plan des descriptions linguistiques, il est interessant de

remarquer que pour trancher certaines questions le descripteur doit recourir a de nombreux arguments, alors que d'autres pro- blkmes sont resolus par l'application quasi micanique des proce- dures d'analyse. A notre connaissance, aucun phonologue ne s'est avise de faire une enquete sur l'opposition /m/ /n/ a l'initiale en frangais, alors que l'opposition /p/ ~ /nj/ en fait l'objet. Mettre sur le meme plan les phonemes obtenus par des operations aussi diff6rentes, c'est une approximation; et elle a sa raison d'etre, sa justification qui doivent etre pricisees.

18. Structure et approximation

On a souvent rapproch6 la structure des langues de structures

mathematiques; et on en a tire des conclusions quant a la nature des elements et de la structure linguistiques. Dans de telles compa- raisons - celle par exemple entre langue et multiplication -, aucune precaution n'est prise prealablement pour s'assurer que, de ce point de vue, les termes de la comparaison ne sont pas incomparables.

Nous croyons une autre comparaison plus eclairante, celle qui rapproche la division de 20 par 3 h l'op6ration qui livre les elements d'une structure linguistique. Cette division ne peut avoir, en toute

rigueur, pour quotient un nombre entier : 6 ou 7 par exemple; il doit tre determine avec quelque approximation : 6,6 ou 6,66 ou 6,666, etc. Il est certes possible de l'arrondir pour le ramener a un nombre entier (comme 6 ou 7) suivant des conventions

d'approximation. Mais, en ce faisant, on observe certains principes :

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Constance et variations 27

on precise qu'il s'agit 1l d'une approximation et non de la valeur exacte de 20/3; ensuite on admet que divers degres d'approximation sont possibles; puis on retient, dans une serie de calcul, le meme degre d'approximation : un d6cimal, deux, etc.; on adapte enfin l'approximation aux besoins pratiques que sert cette mesure.

La relativite de la structure linguistique introduirait une telle approximation dans la description linguistique. Rien ne sert d'ignorer cette approximation si elle est appelke par une propriete inherente aux donnies. En revanche, l'explicitation de cette pro- priete permet de definir - de fagon consequente et sur des critbres theoriquement fondus - les limites que doit atteindre une descrip- tion; elle rend en outre possible d'adapter le degr6 d'approximation aux objectifs d'une description. Prenons pour exemple de but pratique l'enseignement d'une langue maternelle. Selon que l'ensei- gnement s'adresse a des ecoliers au debut de leur scolarite ou qu'il vise etude et description de textes stylistiquement trbs dlabords, les exigences auxquelles doit satisfaire la description ne sont pas les memes. Une description parfaitement adaptee au premier objectif serait fort lacunaire pour le second; et inversement, la description menee dans l'autre but ne convient pas a l'enseignement de la langue aux ecoliers debutants, puisqu'elle tient compte de faits sans int&ret a ce niveau de l'apprentissage.

Entre les deux termes de comparaison existe une diff6rence notable. Dans la d6termination du quotient 20 : 3, l'approximation se fait sur une seule dimension; alors que dans la description lin- guistique plusieurs dimensions sont '

considerer; dimensions que nous croyons corre1des. Si les faits sont plus ou moins accessibles dans le psychisme du sujet, quelle profondeur subjective doit-on atteindre? Faut-il s'arreter aux faits immediatement sensibles pour l'intuition d'un non-initie ? Sur le plan social, quelle profon- deur doit-on viser ? Peut-on se contenter d'un informateur, ou faut-il recueillir ses donnees aupres de deux, trois ou plusieurs locuteurs ? Sur la dimension intrinseque, a quel degre de gendralite doit-on arreter la description, et dans quelle mesure les faits de portie limitee peuvent entrer en ligne de compte ?

Notons que le caractbre explicitement approximatif d'une analyse (ou de son resultat) n'est nullement critiquable s'il est appelk par I'objet. On ne remet pas en cause la valeur du coeffi- cient x parce qu'il est calcule avec approximation : 3,14 ou 3,1416 ou 13,14159265, etc. De meme, l'approximation explicite contenue

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28 Mortiza Mahmoudian

dans une description linguistique n'est pas un difaut ni une preuve de son caract&re non scientifique. Retenir ou exclure certains

schemes syntaxiques selon le degre de finesse de l'analyse n'est pas plus arbitraire que le maintien ou la suppression de 16 '

la suite de 3,14 en fonction de la precision que requibrent le calcul et le but qu'il poursuit. Un exemple :les schemes syntaxiques c'est moi, le directeur et le directeur, je le suis sont possibles. Faut-il faire etat des deux dans une description syntaxique du frangais ? La rdponse depend de l'objectif assigne la description. Dans la mesure

oi1 le second sch6me est beaucoup moins g6n'ral que l'autre, il

figurera seulement dans les descriptions devant incorporer les faits de cette portde restreinte et de ce degre de laxit6.

19. Problmes et perspectives

Nous avons dit ci-dessus (S 3 et 5) que les methodes phonolo- giques sont plus generales et ont une portde plus large que ne donnent a croire certaines applications classiques. Soit l'Cpreuve de la commutation. Elle repose sur deux principes :

xo on isole

une variable (phonique) - et une seule -, et on determine l'in- fluence qu'exerce sa presence ou son absence sur l'identite du signifiant (d'un mon~me ou d'un segment plus vaste); 20 pour ivaluer l'identit6 ou la diff6rence, la pierre de touche est l'intuition du sujet parlant. C'est - en d6finitive - d'apres ce jugement que le phonologue degage l'identit6 ou la difference de [p] et [b] ou de [x] et [H], l'observation de la realit6 physique n'y conduisant

pas. Or, si l'on ne postule pas l'homogeneite du systtme linguistique dans la communaute, il n'y a aucune raison de limiter cette pro- c'dure d'analyse

' la phonologie et encore moins a la zone centrale

du syst6me phonologique. En reconnaissant droit de cite a la variation dans la structure,

on peut employer ces memes principes d'analyse en mondmatique, en semantique, et sans doute dans d'autres domaines d'&tude des faits du langage. Mais, cela ne veut pas dire qu'en tous points les syst6mes phonologique, mondmatique et simantique sont sem- blables. D'abord, il y a une difference de nature entre les variables d'un domaine A l'autre : ces variables sont des elements phoniques en phonologie, des signes h double face en syntaxe et des elements du signifie au niveau semantique; ce qui a des implications consi- derables, surtout quand on considbre l'asymetrie entre la substance

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Constance et variations 29

phonique, directement observable, et la substance s6mantique qui ne l'est pas toujours ni ndcessairement. Ensuite, la configuration generale du systhme varie considerablement d'un domaine & l'autre du point de vue de proportion des constantes et des variantes. Et c'est sans doute 1 l'une des proprietes diff6renciatrices les plus caracteristiques en la matibre : les zones de variation sont consid&- rablement plus restreintes en phonologie qu'en semantique. De ce point de vue, on peut invoquer des faits qui semblent prouver que le systeme syntaxique se situe a mi-chemin des deux. Nous reviendrons sur cette comparaison plus loin (cf. S 21). Dans la mesure oh la diff6rence de structure entre phonologie et s6mantique n'est qu'une diff6rence de degr6, il n'y a aucune raison de remettre en cause les principes de l'analyse; ce qui doit &tre modifid, complete ou adaptS, ce sont les techniques et procedures d'analyse.

Pour illustrer la port'e de nos conclusions, nous examinerons ci-aprbs quelques problkmes trbs debattus que sont la collecte des matiriaux, l'analyse du signifie et le problkme des classes d'unites.

20o. Collecte des matiriaux

L'importance des donnees linguistiques et des techniques qui permettent d'y acceder est trop ividente pour qu'on s'y appesan- tisse. Comme nous avons vu ci-dessus (cf. S 3), le vrai probl6me porte sur les moyens d'atteindre ces donn'es ainsi que la signifi- cation a leur accorder.

Quelles donnees retenir? C'est une question qui a suscite de longues discussions, mais qui a perdu de son acuite aujourd'hui. La certitude que les donndes valables peuvent &tre recueillies exclusivement par telle ou telle procedure n'existe plus. Le corpus (c'est-a-dire un ensemble de matiriaux effectivement realises) n'est plus consid&re comme le seul moyen valable; l'utilitd et la n6cessite de l'enquete semblent communement admises. Non que le corpus ait perdu toute valeur, il est irremplagable pour prouver que tels phenombnes sont rtellement utilises dans telles circons- tances, tels contextes, etc. Par les donnies qu'il fait apparaltre, le corpus conduit le descripteur a respecter les faits. II permet aussi d'apprecier l'aspect frdquentiel de la hidrarchie de certains faits. Le corpus a cependant ses limites : 10 que deux sequences - brave soldat et soldat brave par exemple - soient attesties dans un corpus ne nous renseigne pas si la position de l'Cpithkte brave est pertinente

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30 Mortiza Mahmoudian

pour le locuteur qui a prof6rd ces sequences. II faut en outre le recours au jugement intuitif d'un ou plusieurs sujets; 20 si l'on s'en tient h un corpus de taille raisonnable (c'est-&-dire un corpus dont l'analyse soit humainement possible), on n'y trouve pas suffisamment d'le1ments pour d6crire d'une maniere circonstancide les faits relevant de zones marginales. Corpus et enquete sont d&s lors complementaires et non opposables.

En affirmant le caractre indispensable de diverses techniques d'enquete, nous ne croyons pas resoudre tous les probl6mes relatifs aux donnees et aux procedures de collecte. Des questions restent ouvertes : pour le corpus, on peut se demander si l'on doit retenir seuls les materiaux realises spontanement ou aussi des materiaux dont la production a 6te sollicit6e, ou encore si l'on peut constituer le corpus entierement de materiaux sollicitis. Dans le cas de mate- riaux sollicitis, jusqu'oi peut-on aller pour susciter l'6mission des

e16ments requis ? Le corpus doit-il etre oral, dcrit ou les deux ? A quel(s) niveau(x), quel(s) registre(s) doit-il appartenir ? Etc. Au niveau de l'enquete, les problkmes sont nombreux aussi. En se bornant 'a la phonologie, on peut s'interroger sur la portee et les limites du recours aux paires minimales. Ces paires doivent-elles etre representees par 6crit ou seulement sugg6rees par des objets ou des images, ou encore par des contextes linguistiques (type exer- cice a trou) ? Dans le cas d'un recours a l'ecrit, les mots doivent-ils etre presentis isolement, en inonce ou dans un texte continu ? L'enquete doit-elle viser ce que produit le locuteur, ce qu'il croit produire ou ce qu'il pergoit ? Etc.

Nous ne croyons pas qu'on doive trancher ces questions dans l'absolu. On doit examiner l'interet et la ndcessite de chaque procedure en fonction du but poursuivi. Si l'objectif est la descrip- tion de la zone centrale d'une phonologie, plusieurs techniques aboutissent a des resultats tres proches sinon identiques. Ainsi l'identite de la consonne initiale de pomme et paume ressort quelle que soit la technique : presentation d'objets ou d'images, ou encore lecture de formes ecrites. C'est que /p/ appartient a la zone centrale, insensible aux fluctuations dues a ces facteurs (du moins pour les

francophones d'Europe). La situation serait diff6rente si l'enquete portait sur /j1/ et /nj/; les r6sultats subiraient l'influence de la

technique employee. Ici, deux remarques s'imposent : premiere- ment, pour atteindre diffirents types de faits linguistiques, des

techniques diff6rentes sont necessaires. Pour acceder a une descrip-

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tion fine, l'outil d'analyse doit tre affin6. Deuxi6mement, la diversite des resultats obtenus par des techniques diffdrentes n'im-

plique pas qu'on doive choisir l'une d'entre elles. IL se peut que chacune des techniques mette au jour un aspect du comportement linguistique. C'est ainsi que Labov decouvre un phinombne interessant chez les petits bourgeois new-yorkais : ces sujets pra- tiquent une phonologie trts proche de celle de la classe ouvridre. Ils sont cependant conscients des caracteristiques de la phonologie de la moyenne et haute bourgeoisie - niveau social auquel ils aspirent ta s'dlever -, et ils declarent les appliquer dans leur pra- tique. C'est l'utilisation de deux techniques et la confrontation des resultats obtenus qui permet de d6crire ce decalage et d'en chercher la signification7.

21. Analyse du signifi!

Soient le phoneme /t/ et le signifie du mondme << fille >> en frangais. Il serait interessant de comparer leur analyse en traits pertinents. Le phoneme /t/ s'analyse en trois traits phoniques pertinents : << apico-dental >>, << non nasal >> et << sourd >>. On pourrait analyser le signifie du moneme << fille >> en les traits simantiques << humain >>, << femelle >> et << jeune >>. Ces deux analyses ne sont pas sans analogie, mais une diff6rence notable les s6pare : les trois traits pertinents apparaissent tous dans toutes les occurrences de /t/, si l'on ne considbre que l'usage d'un individu ou d'une

communauti homogdne. Dans les memes conditions d'enquete, chacun des traits simantiques de << fille >> peut ne pas apparaitre dans un contexte ou un autre. Les phrases suivantes montrent que le trait << humain >> peut ne pas se realiser (cf. a), comme le peuvent aussi les traits << femelle >> (cf. b) et <<jeune >> (cf. c) 18

a) Minette est la fille de Mistigri; b) a force d'etre aux petits soins avec lui, tu vas en faire une fille,

de Jacques; ci) c'est une fille qui ne doute de rien; c2) ce sont des vieilles filles devotes.

A strictement parler, on ne peut dire que cette analyse s6man- tique est une analyse en traits pertinents, si pertinent qualifie

I7. Cf. William LABOW, Sociolinguistique, Paris, Minuit, 1976, chap. 4 et 5. 18. Ce probleme est traits avec plus de d'tail dans Mort6za MAHMOUDIAN et al.,

Pour enseigner lefran;ais, Paris, P.U.F., 1976, p. xo8-I so.

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les caracteristiques ndcessaires et suffisantes ta la definition d'une

unitd. On pourrait nous objecter que, & la suite de neutralisation,

certains traits pertinents cessent de se rdaliser; ainsi dans certains usages, l'opposition /t/ ,

/d/ 6tant neutraliste (dans midecin et jette fa, par exemple), la sourdite ne constitue plus un trait per- tinent. Meme en admettant que dans le cas de l'archiphondme /T/ et le phoneme /t/ on a affaire a la meme unitd19, on ne peut assi- miler les deux analyses. Ce qui apparente le phoneme et I'archi-

phoneme, c'est qu'ils ont en commun les traits pertinents << non nasal >> et << apico-dental >>. Mais, dans les exemples ci-dessus, aucun des traits semantiques ne se realise dans toutes les occurrences de << fille >>. Autrement dit, alors qu'on peut d6finir le phoneme ou l'archiphondme par un nombre de caractdristiques constantes, une telle possibilit6 ne s'offre pas h nous dans le cas du signifid des mon6mes : meme les traits caractdristiques du signifid sont variables. Nous ne croyons pas avoir rapproch6 un phoneme rele- vant de la zone centrale du syst6me phonologique et un mondme

appartenant aux zones marginales des unites significatives. De cette comparaison, on peut - nous semble-t-il - conclure que l'analyse du signifid doit dbs le depart recourir a la hierarchisation des traits pertinents. En d'autres termes, en phonologie, le nombre et la mesure n'ont aucun int6ret pour la description de la zone centrale, dans le domaine du signifid ils sont indispensables meme pour la zone centrale. Intuitivement, on admettra que << humain >>, << femelle >> et << jeune >> sont 6troitement lies au signifid de << fille >>. On nous accordera sans doute aussi que si << fragilitd >> peut tre un trait simantique du moneme << fille >> (cf. l'exemple b ci-dessus), ce trait apparait beaucoup moins frequemment dans les rdalisations du signifid << fille >>. La hidrarchisation des faits commence, dans le domaine du signifi, des la zone centrale.

L'analyse du signifid soul6ve evidemment bien d'autres pro- blkmes - comme la taille des inventaires, I'observation de la sub- stance semantique, le sens litteral et le sens metaphorique, etc. - dont nous ne traitons pas ici, notre intention etant simplement de montrer la pertinence de la hidrarchisation dans 1'Ctude du

signifid.

Ig. A strictement parler I'archiphontme ne s'identifie pas au phoneme du point de vue phonologique, puisqu'il ne comporte pas les memes traits pertinents, et n'entre pas dans les memes relations (syntagmatiques et paradigmatiques).

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Constance et variations 33

22. Classes de monemes

Le concept de classe est sans doute l'un des plus repandus dans les travaux syntaxiques, a tel point que les plus virulents adversaires de la taxinomie ne s'abstiennent pas d'y recourir. Cependant, une definition pricise des classes pose nombre de problkmes auxquels aucune solution satisfaisante n'a ete apportie. Le problkme dont nous voudrions discuter ici est celui de la delimitation des classes; nous cherchons ' determiner quels criteres retenir pour le classe- ment, et sur quoi fonder le tri parmi les criteres.

En syntaxe fonctionnelle, le classement est fonda sur les latitudes combinatoires des mon6mes; verbes et noms sont consid&res comme deux classes parce que les fonctions qu'ils assument sont diff~rentes, et les expansions qu'ils admettent ne sont pas les memes. Les verbes ne constituent pas une classe homogene; il est possible et n6cessaire de les diviser en sous-classes en suivant toujours le meme

principe. Ainsi peut-on distinguer une sous-classe de verbes suscep- tible d'avoir une expansion du type << objet >> - c'est-a-dire verbes transitifs - et une autre n'admettant pas ce type d'expansion, a savoir les verbes intransitifs. La classe des verbes transitifs peut h son tour etre subdivisde selon la varidte des latitudes combinatoires de ses membres; l'une des subdivisions possibles est celle entre les verbes admettant un seul << objet >> et les verbes qui admettent un < objet second >> comme appeler (dans j'appelle Pierre Paul) ou faire (dans il fait son frare ministre). De la meme fagon, ces verbes peuvent etre subdivises selon la classe a laquelle appartient 1' < objet second >> : substantif, adjectif ou les deux. Sans pousser plus loin l'analyse des propridtis combinatoires, nous arrivons 'a une des- cription oh chaque classe ne comporte que peu d'elements, voire ?a la limite un seul20. Cela remet en cause l'intiret de la notion de classe. Faut-il la maintenir meme si dans une analyse exhaustive elle se confond avec l'unit6 ? Ou bien faut-il renoncer 'a l'exhaustivite de l'analyse ?

Pour ripondre A cette question, on remarquera d'abord que la classe est une realite dans le comportement des sujets parlants. De nombreux faits linguistiques (tels que changements analogi- ques, maniement des neologismes, phenombnes d'acquisition) res-

20. Maurice GROss arrive ' moins de deux unit6s en moyenne par classe de verbes. Pourtant, dans cette classification, il ne prend pas en compte toutes les propri6t6s syn- taxiques pertinentes. Cf. ses Mithodes en syntaxe, Paris, Hermann, 1975.

LL - 2

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teraient incomprehensibles s'il n'existait pas des classes de mondmes. On notera aussi que la classe a sa raison d'etre dans l'iconomie considerable qu'elle confbre h la structure linguistique et g son maniement. On imagine sans peine la complexite de la syntaxe d'une langue qui n'aurait pas de classes de monemes (c'est-a-dire chaque mon6me aurait ses propridtis syntaxiques sans les partager avec d'autres monemes). Force est done de maintenir le concept de classe, meme s'il entre en conflit avec l'exhaustivite.

Pour ce qui est de l'exhaustivite, nous avons vu qu'elle est relative; en ce sens que plus nous multiplions les critbres de classe- ment, plus les mondmes d'une classe ont des proprietis syntaxiques communes. La classification peut done etre affinee a souhait. Mais un classement fin presente deux inconvenients majeurs : d'une part, il aboutit ' une structure si peu economique que la classe perd sa raison d'etre. D'autre part, plus la classification est fine, plus les phenomtnes syntaxiques consid&res sont de portte restreinte et de structure lIche. Le concept de classe est, lui aussi, relatif. II est dbs lors Igitime d'arreter la subdivision des classes des qu'on atteint le seuil de l'approximation voulue. Sur le plan du comportement linguistique des locuteurs, la relativite des classes implique que les classes n'existent pas en nombre egal chez tous les membres d'une communaute. Plus grande est la maitrise de la langue et plus fines sont les classes dont dispose le sujet parlant. Inversement, les classes grossieres correspondent a une connaissance limitee de la langue11.

23. Conclusions

Dans ce qui prechde nous avons present6 et illustr6 plusieurs theses qui peuvent etre resumees ainsi : une langue est un systhme non homoghne, mais hierarchis6. Cette hidrarchie peut tre degag~e par r f6rence a l'intuition et au comportement de l'individu

(= dimension psychique : certitude vs hesitation) et par refdrence A la collectivit6 (= dimension sociale : consensus vs dissension). Les deux dimensions mentale et sociale sont corrilees, et per- mettent de mesurer la rigueur des structures (vs leur laxit6). D'autre part, les faits d'une langue sont hierarchises selon leur

21. Pour une discussion d6taill6e voir Mort6za MAHMOUDAN, Classes et unit6s en syntaxe (communication faite au VIe Colloque de la S.I.L.F., Rabat, juillet 1979, Actes A paraitre).

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frdquence et leur integration; ce qui permet de mesurer leur

generalit6 (vs restriction). Il y a correlation entre les deux dimen- sions extrinsbque et intrinsbque : generalite et rigueur de structure coincident comme le font aussi restriction et laxit6 de structure. Les theses concernant la dimension extrinsbque semblent trouver confirmation dans les recherches experimentales dont traitent les articles suivants.

Nombre de ces probl6mes ont deja fait l'objet de reflexions theoriques et de recherches empiriques. Par exemple, la dimension mentale a suscite l'int&ret de psychologue et des psycholinguistes; de meme, des sociologues et sociolinguistes se sont pench6s sur la dimension sociale. Certaines des theses sont A notre connaissance

originales; ce sont les theses concernant : Io la correlation entre l'aspect mental et I'aspect social du langage, 20 la relation entre frJquence et integration, et 30 le paralldlisme entre les hierarchies extrinseque et intrinsbque.

Mais l'intirit de ces travaux reside essentiellement dans la synthese qu'ils font de plusieurs aspects de recherches experimen- tales; synthese qui permettrait de deigager la structure des faits et de rendre la verification des hypoth6ses possibles, contribuant ainsi ' l'objectivite de la discipline linguistique. Prenons l'exemple de l'intonation; de nombreuses questions se posent a ce niveau : dans quelle mesure l'intonation est structuree (c'est-a-dire decompo- sable en elements et regles de combinaison)? Quelle place occupe- t-elle dans le systeme d'une langue (centrale, marginale...)? En utilisant des techniques d'enquete adequates

' l'examen de l'into- nation, on peut determiner dans quelle mesure un sch6me intonatif assure la transmission de l'intention du locuteur A l'auditeur. Les resultats d'une telle recherche sont loin d'etre convaincants pour tous. Les uns y trouveraient la preuve du caractre structure de l'intonation, tandis que les autres jugeraient ces schbmes into- natifs comme marginaux. La question << L'intonation est-elle structuree ? >> est mal posse, si l'on admet que la structure peut Wtre plus ou moins rigoureuse. De la relativite de la structure decoule une approximation inherente a toute recherche experimentale; ce qui fait qu'il est possible de degager des structures grossibres, 1'lmentaires, mais aussi des structures de plus en plus fines. Pour comparer la phonematique et l'intonation, il conviendrait de prendre soin que les mesures soient effectudes dans des conditions analogues : avec la meme pr6cision ou approximation et en utilisant

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des techniques d'enqu&te comparables. Autrement, la compa- raison perd son interet". Car, par des techniques d16mentaires, on d6gage les structures grossi&res (de la zone centrale du systhme linguistique); mais il faut des techniques d'enquete plus dlaborees pour atteindre les structures plus fines, les petites nuances (les zones marginales). C'est en utilisant des techniques comparables, et en observant le meme degre de precision (ou d'approximation) dans l'analyse qu'on peut rendre la comparaison entre intonation et phoneme concluante. Il est probable qu'au terme de cet examen l'intonation se revble structuree, mais de fagon beaucoup moins rigoureuse que la phonematique.

Ce que nous avons dit de l'intonation vaut aussi pour d'autres

probl~mes pendants en linguistiques tels que l'analyse du signifi6, le classement des monemes - dont nous avons parle -, ou encore la structure du lexique, celle du discours, etc. L'examen de la rigueur ou de la laxit6 de ces ph6nombnes pourrait permettre de leur reserver la place qui leur revient de droit dans le langage. Il conduirait aussi at une meilleure comprehension du jeu complexe des composantes de la communication linguistique. Hors de la linguistique, cette perspective de recherche experimentale reste en principe valable - toutes proportions gardees - pour tous les phenombnes qui assurent d'une manitre ou d'une autre la communication; ainsi la semiologie litteraire, la semiologie artis-

tique, etc. Ce, parce que nous n'avons rien postulk qui ne decoule

pas strictement de la fonction de communication. L'insistance que nous mettons sur l'aspect experimental ne

nous semble pas exageree; dans l'6tat actuel du d6veloppement de la linguistique, la verification empirique est d'une importance capitale.

Universitd de Lausanne.

22. L'importance du mime degr6 d'approximation peut etre illustr6e par le fait que l'interrogation sur l'identit6 ou la diff6rence de 6,6 et 6,63 n'est pas pertinente; les gran- deurs compardes n'ont pas la m8me approximation. En effet, 6,63 peut tre arrondi en 6,6; mais 6,6 peut provenir de l'arrondissement de quantit6 d'autres nombres, tels que 6,62 ou 6,59, etc.

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