Contes Et Legendes Des Mille Et Une Nuits_nathan

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Contes Et Legendes Des Mille Et Une Nuits

Citation preview

  • TableofContents

    SHHRAZADEILEPRINCECHANGENSINGEIILENCOMBRANTCADAVREIIILASTUCIEUXPETITCHAMELIERIVLESTROISPOMMESVHISTOIREDUNETARTEAUMIELETLEAUDEROSEVILEPALAISENGLOUTIVIILEMARI,LAFEMMEETLEPERROQUETVIIILHOMMEQUIMITSAFEMMEDANSUNBOCALIXLECALIFEETLNEXLECOFFREVOLANTXILAPRINCESSEAUXYEUXDEGAZELLEXIILATOURDESMILLETRISTESSESPOSTFACEBIBLIOGRAPHIEGudulePatriciaReznikov

  • GUDULE

    ContesetLgendesdesMilleetUneNuits

    IllustrationsdePatriciaReznikov

  • SHHRAZADEJADIS, IL Y A DE CELA des lunes et des lunes, un puissant sultan nomm Schahriar

    rgnaitsurlOrient.Cethomme,jeune,debelleprestanceetdegrandsavoir,avaitunterribledfaut:souslecoupdelacolre,ilpouvaitselivrerauxpirescruauts.Onlecraignaitdonc,aussibienlaCourquedanslespaysvoisins,etchacunsefforaitdenepointluidplaire.Lors,ilvivaitenpaix,entourdesollicitude,adulparlessiens,mnagparlesautres,etcebonheuretpudurertoujourssilaDestinenesentaitmle.

    Ellesemanifestaunbeaumatin,souslestraitsdelambassadeurdePerse. Commandeur des Croyants, dclara ce dernier avec une profonde rvrence, mon

    matre, le roi Cassib, serait trs honor de votre visite. Comme vous le savez, il est g,malade,etsouhaiterait, tantquilesttempsencore,sentreteniravecvousdesasuccession.JesupplieVotreGrcedacceptersoninvitation.

    Jepartiraiaujourdhuimme,rponditSchahriar.Lesoleilnavaitpasatteintsonznithquuneescortedemillecavalierscaparaonnsdor,

    sabreaupoingetmontantdesalezansnoirs,piaffaitderrirelepalanquinroyal.Vint lheure des adieux. Schahriar embrassa son pouse, la reine Dinah, quil aimait

    tendrement.Cedpartmafflige,lumiredemesyeux!gmitcelle-cienversantunflotdelarmes.

    Jenevivraiplusquedanslattentedevotreretour!Etdordonnerque,dejourcommedenuit,lonbrltdesencensafinqueleCielrendtla

    routefavorableetencartttoutdanger.Or,ayantcheminjusquaucrpuscule,lesultansapprtaitprendredureposlorsque,

    traverslafinetoiledesatente,ilsurprituneconversationentredeuxgardes.Dinahdoittrebienaise,lheurequilest,chuchotaitlun. Certes, rpondait lautre. Les soupirants nemanquent pas, qui rvent de partager sa

    couche.Etellenyseraitpashostile,cequelondit!LeursriresfirentSchahriarleffetduncoupdecouteaudanslecur. Que lon se saisisse de ces malandrins et quon leur coupe la langue ! ordonna-t-il

    aussitt.Maiscettevengeancenesuffitpas lapaiser,car iltaithantpar leursparoles.Sibien

    quuneheureaprsminuit,ilsellasonchevaldansleplusgrandsecretetrefitlecheminensensinverse.

    Laubepointaitlorsquilatteignitlepalais.Enveloppdanssonmanteauafinquenulnelereconnt,ilseglissadanslachambreconjugale.Surlesofadebrocartque,laveilleencore,ilhonoraitdesaprsence,Dinahdormaitentrelesbrasdunbelesclavenoir.

    Avecunhurlementderage,lesultanseruasurlescoupablesetleurtranchalagorge.Puis,aveugl par une fureur incontrlable, il massacra toutes les suivantes, servantes et

  • domestiquesdelinfidle,jonchantlesoldecadavressanglants.Aprsquoi,ilsenfermadanssesappartementsetpleurasursoninfortune.

    Il y resta une semaine entire sans boire ni manger, au terme de laquelle il prit unedcision. Dsormais, afin que pareillemsaventure ne se reproduist plus, ses pouses nesurvivraientpasleurnuitdenoces.Auleverdusoleil,illeslivreraitaubourreau.

    Ainsi fut fait.daterdece jour, toutes les jouvencellessur lesquelles lesouverain jetaitsondvoludevinrentsultaneslalueurdestoilesetsteignirentenmmetempsquelles.Lors, le royaumeentier futplongdans ledeuil.Nombredepresdfigurrent leurs filles,afin de les soustraire ce sort affreux. Dautres les enterrrent vives. La rvolte gronda.Schahriarfuthonniparceux-lquijadisladulaient,etdetouteslesmosquesslevrentdespriresimplorantAllahdemettrefinlhcatombe.

    Envain.Lesttestombaienttoujours.Or le grand vizir avait une fille, Shhrazade, quil tenait en trs haute estime. Lorsque

    celle-cifutengedeconvoler,elleexigea:Prsentez-moiausultan,moncherpre,carjedsiredevenirsafemme. Malheureuse ! scria le vizir effar. As-tu donc dcid de prir comme tant de

    pauvrettesavanttoi?Pointdu tout : je veux, au contraire, faire cesser le flauenusantdun subterfugede

    moninvention.Le vizir commena par refuser, mais devant linsistance de la jeune fille, il finit par se

    laisserconvaincre:Silexisteunepersonneaumondecapablededamerlepionausultan,cestbienelle!sedisait-il.Nanmoins,iltremblaitdetoussesmembresenlemmenantlaCour.

    Noncontentedtreruseetcourageuse,Shhrazadepossdaituncharmeirrsistible.peineSchahriarleut-ilaperuequilladsira.Ildemandasamainquelleluiaccordasanssourcilier,etladatedumariagefutfixeaulendemain.

    Lonsedoutedesaffresparlesquellespassalepauvrevizir!Ilsevtitdenoir,couvritsatte de cendres et parcourut les rues de la capitale en clamanthaut et fort que son enfantchrieallaitpasserdevietrpas.

    Lepeuple,touch,fitchosadouleur,desortequelavillesemplitdelamentations.Shhrazade,poursapart,seprparait lacrmonie.Et, linversedetoutescellesqui

    lavaientprcde,montraitunvisageserein.Vousnecraignezdoncpointlamort?stonnalaugustefianc. Si telle est la volont dAllah, je my soumets humblement, rpondit-elle dun air

    mystrieux.Vintlalunedemiel.Nulnedormit,cettenuit-l.Levizirpleura,lepeuplepria,lebourreau

    aiguisa sa lame, le sultan et Shhrazade saimrent. Cependant, quand sonna minuit, lajeunefemmeditsonpoux:

    Puis-jesolliciterunefaveur,seigneur?Laquelle?Celledevousconterunehistoire.

  • Lesultanacquiesa.Linstantdaprs,lavoixdeShhrazademontaitdanslombre.Etlesimages quelle suscitait, les faits quelle relatait taient si envotants que Schahriar perdittoutenotiondutemps.

    Aupremierrayondusoleil,lajeunefemmesetut. Si Votre Majest daigne surseoir lexcution, je continuerai mon rcit la nuit

    prochaine,dclara-t-elle.Cette interruptiontant survenueaumoment lepluspalpitantdu rcit, le sultanneput

    refuser:ilavaittropenviedenconnatrelafin.IlaccordadoncShhrazadeunjourdeviesupplmentaire,quellemitprofitpourenrichirlintriguedungrandnombredepripties.Lauroresuivantetrouva,enconsquence,Schahriarpluscaptivquejamais.Et,laconteuselayantnouveaulaisssursafaim,illuioctroyaunsecondsursis.

    Ce mange se poursuivit durant mille et une nuits, dlai au terme duquel le sultan,follementprisdesonpouse,dcidatoutdebondelagarderenvie.

    Parlasuite,ilfittranscrirecescontesdansdegrandslivres,afindelesconserverdanssesarchives. Cest ainsi quils sont parvenus jusqu nous. Les douze histoires qui suivent ensont extraites. Au fil de leur lecture, cest toute la magie de lOrient qui, jaillie delimaginationenfivredunecondamnemort,vasoffrirvous

  • ILEPRINCE

    CHANGENSINGE

    DANS LA VILLE DEDAMAS vivait un jeune prince prnomm Habib, qui aimaitpassionnment la chasse. Son ardeur traquer le gibier tait telle quun jour, poursuivantunebichedansunefortprofonde, ilsemasonescorteetseretrouvaseul.Ilnencontinuapasmoinsdperonnersoncheval,desortequ lanuit tombe, lorsquilvoulutrebrousserchemin,forceluifutdadmettrequiltaitgar.

    Ilallaitdedroitegauche,danslespoirderetrouversaroute,quandunbruittrangelefittressaillir.

    lalueurdelalune,ilaperutunefemmequipleuraitchaudeslarmes.Stantapproch,illuidemandacariltaitdunnaturelcourtois:Quelleestlacausedevotrechagrin,madame?Parlez,etjemefforceraidevousveniren

    aide.cesmots,lafemmeseredressa.Et,bienquilneptdistinguersestraitsdanslombre,sa

    silhouettetaitsigracieusequilenfutmu. Gentil seigneur, rpondit-elle, je me nomme Zobide et je suis la fille dun riche

    marchand.Jemepromenaissur les terresdemonpre lorsquemoncheval,effrayparuntigre,ma dsaronne et sest enfui. Prive demonture, je ne sais comment regagnermamaison.

    Qucelanetienne,ditleprince.Ceseraunejoie,pourmoi,devousyconduire.Ayanthisslajeunefilleencroupe,ilpartitdansladirectionquelleluiindiquait.Bientt,

    ilsatteignirentunesplendidedemeure,entouredefontainesetdemassifsenfleurs.Me ferez-vous lhonneurdtremonhte ?ditZobide enmettantpied terre. Il est

    tard,etjeseraisheureusedevousprouvermareconnaissanceenvousoffrantlhospitalit.Habib accepta avec empressement et, tandis que la jeune fille donnait des ordres ses

    esclaves,ilsenfutdanslejardinjouirdelafracheurnocturne.Cependant,stantapprochdunrosierquicroissaitsousunefentreafindenrespirerle

    parfum,ilsurpritcetteconversation:Rjouissez-vous,moncherpre.Jevousairamenunjeunehommebientendre,pour

    votrerepas.Merci,mafille,jaihtedygoter.Lecuisinerons-nousenragotouensauce?Saisideffroi, leprincequiavaitreconnulavoixdeZobidesenfuittoutes jambes.

    Danssahte,ilheurtaunefemmegequivenaitensensinverse.Hol!scriacelle-cienrabattantvivementsonvoile.Ocourez-vousainsi,imptueux

    jeunehomme?

  • Savoixtaitsidouceetsonregardsibonqueleprincesesentitenconfiance.Jecrainspourmavie,rpondit-il.Carjaiouquicilonvoulaitmemanger.cesmots,uneprofondetristesseassombritlefrontdeladame.Hlas,soupira-t-elle,pourmonplusgrandmalheur,jaipousunogreetdonnlejour

    uneogresseAummeinstant,descrisclatrentautourdeux,odominaitlavoixaigudeZobide:Trouvezcemauditcavalieretamenez-le-moisanstarder,ouilvousencoteralavie!Aussitt,lejardinfutenvahidesclaves.Cestmoi quils cherchent, gmitHabib, et je nepuis leur chapper.Regardez, bonne

    dame:ilenvientdetouscts!Il se prparait mourir sous le couteau du boucher lorsque la vieille femme, levant les

    yeuxauciel,clamahautetfort:Parlesdjinnsquipeuplentlanue,quecethommesoitchangensinge!Cequifutfaitlinstant,car,voyez-vous,elletaitunpeufe.Vaetsauve-toi,dit-elleHabib.Mieuxvauttreunsingevivantquunprincemort.Aveclescrisdiscordantspropressarace,lanimalbonditdansunarbreetsenfut,sans

    treinquitparsespoursuivants.Sautantdebrancheenbranche,ilgagnalavillevoisine.Or, cette ville tait situe au bord de la mer. Sur le port, un vaisseau charg de

    marchandisessapprtaitlarguerlesamarres.Plusvifquelclair,lesingesyglissa,linsudesmarinsquivaquaientsurlepont.

    Ildemeuradeux jourscachdansunesoute,aprsquoi, tenaillpar la faim, il se renditaux cuisines dans lespoir dy drober quelque nourriture. Le cuisinier, lapercevant, alertalquipage qui le prit aussitt en chasse. Le malheureux Habib ne dut son salut qu uncordage auquel il sagrippa pourmonter au sommet du grandmt.De l-haut, il dfia sesennemis,bienmoinsagilesquelui.

    Jesuis le filsdusultandeDamas ! leurcria-t-il.Craignez le courrouxdemonpresivousmefaiteslemoindremal!

    Mais comme, en lui tant figure humaine, lenchantement lavait galement priv de laparole,ilnercoltaqueriresetmoqueries.

    Alertparlebruit, lecapitainesurvint.Parbonheur,ctaitunbravehomme.Voyantsonquipageperscuterunsinge, il lepritsoussaprotection.Sibienque,durant lerestede latraverse, leprinceensorceldemeuradanslacabinedesonnouveaumatre,quilsefforadedivertirenchangedecaressesetdefriandises.

    Au bout de plusieursmois de voyage, le naviremouilla lancre aux abords dune le orgnaitunpuissantcalife.Cedernierfitaussittmanderlecapitaine.

    Monscribevientdemourir, luiexpliqua-t-il.Jensuis fortafflig,car ilpossdaitunequalitrare:unebellecriture,grcelaquelleilrdigeaitdiligemmentcequejeluidictais.Jaicherchenvaindanstoutmonroyaumeunhommecapabledeleremplacer.Aurais-tutonbordquelquundecettesorte?

    Jen doute, Votre Grandeur, rpondit le capitaine. Mes hommes dquipage sont des

  • genssimples,etnondesrudits.Cependant,pourvousplaire, jeconsenscequilstententleurchance,etsilundeuxvousdonnesatisfaction,ilestvous.

    Ainsi fut fait.Maisduquartier-matreaudernierdesmousses,nulnepossdait le talentrequis.

    Hlas,sedsolaitlecalife,faudra-t-ilqujamais,laplacedescribedemeurevacante?Cestalorsquelesinge,perchsurlpauledesonprotecteur,rclamaparsignesquonlui

    donntlaplume.Sademande,toutdabord,fitrirelecalife.Voyezcetanimal,disait-il,quisepiquedevouloirenremontrerauxhumains!Mais la longue, dans le seul but de confondre limpudent et de se divertir de sa

    maladresse,ilfinitparaccdersarequte.OrHabib,ayantreuuneducationbrillantelaCourdesonpre,taitversdanslesarts

    et les lettres.Lacalligraphienavaitaucunsecretpour lui.Quellene futpas lasurprisedesspectateurslorsque,sousleursyeuxincrdules,iltraademmoireunversetduCoran,etcedansunecrituremillefoisplusparfaitequecelledudfuntscribe!

    Vendez-moi cette bte admirable ! sexclama le calife, et je vous paierai son poids endiamants.

    Bienquilluiencottdesesparerdusinge,auquelilstaitattach,lecapitaineaccepta.Etrepartitplusrichequilntaitvenu.

    Demeur seul, le calife appela sa fille afin quelle vnt admirer son acquisition. Laprincesseaccourutsansprendresoindesevoiler.

    MachreSaskya,jeveuxvousfairevoirnotrenouveauscribe,luidit-ilensouriant.Etmestavisquilvoussurprendrafort!

    Jenepuismeprsenterdevantunhommevisagedcouvert!sedfenditlaprincesse.Sachez,monenfant,quilnesagitpasdunhomme,maisdunsinge.Etdexhiberleprodigedontiltaitmaintenantlheureuxpropritaire.peineHabibeut-ilaperu laprincesseque, toutsingequiltait, ilentombafollement

    amoureux.Aussi, quelle ne fut pas sa joie lorsque Saskya, joignant lesmains, implora sonpredeleluiconfier,lassurantquelleveilleraitsurluicommesursonpropreenfant.

    Leroi,quinepouvaitrienrefusersafille,acquiesa,conditionquellesengagetnepaslelaisserschapper.

    Jelattacheraimaceintureparunechanedor,promit-elle,etpartoutojirai,ilira.Dslors,HabibaccompagnaSaskyadanstoussesdplacements,partageantsesrepas,ses

    amusements, sa toilette et mme son sommeil. Elle neut bientt plus dautre confident,dlaissant, pour lui, ses habituelles compagnes de jeu. Ctaitmerveille de la voir, touteheure du jour ou de la nuit, cajoler le singe captif, rire de sesmimiques, le gaver demetsdlicatsetluimanifestersatendressedemillemanires.Danscesconditions,lonsendoute,lamourduprincenefitquecrotreetembelliraufildesjours.

    Leur flicit semblaitdevoirdurerternellement lorsquunmatin,unmissairede ltatvoisinseprsentadevantlecalife.

    LesultandeDamasmenvoievousdemanderlamaindevotrefillepoursonfilscadet,leprinceMamoullian.

  • Etdeprciserque, lhritierdutrneayantdisparulorsdunepartiedechasse,ceprinceseraitunjourappelrgner,cequiferaitdeSaskyalafuturesultane.

    Lecalifedonnasonconsentementetunluxueuxvaisseaufutaffrtpourletransportdelaprincesse.Celle-ci,bienentendu,voulutemmener lesinge, faveurquesonpre luiaccordavolontiers. Durant la traverse, Habib, en proie des sentiments contraires, passait sanscessede labattement leuphorie, car si lidede retrouver sa famille le comblait, celledevoirsonjeunefrrepouserSaskyaleplongeait,enrevanche,dansunabmedejalousie.

    Laprincesse,mettantcecomportementtrangesurlecomptedumaldemer,neluientintpasrigueuretredoubladecaresses.Desortequenabordant lesrivesdamasquines,ounefoule nombreuse tait venue acclamer la fiance royale, lemalheureux singe ne savait sildevaitserjouiroupleurer.

    Ilfitbienpire:lorsqueMamoullianvoulutembrassersapromise,illemorditcruellement.Lafureurduprincefut tellequilordonnasonexcution immdiate,endpitdes larmesetdessupplicationsdeSaskya.

    Lonfutchercherlebourreau,maiscommecedernierlevaitsoncimeterrepourtrancherlattedelanimal,laprincesse,chappantauxesclavesquilaccompagnaient,sinterposa:

    Sivousletuez,prince,tuez-moiaussi!Mamoulliantait fieretombrageux.Quonost luiprfrerunsingeportasarageson

    comble.Quilensoitainsi!ordonna-t-il.Sous les protestations de la foule, que cette scne touchante avait emplie de piti, le

    bourreaulevadenouveausalame.Laprincesseplore,serrantsonsingecontresoncur,sapprtaitpasserdevietrpas,lorsque,prodige,Habibrepritsaformepremirecarnulsortilge,ditleLivredesSages,nersisteaupouvoirdunamoursincre.Lasurprisedubourreaufuttellequesalameretomba,impuissante.Etsouslesacclamationsdupeupleendlire,lesdeuxamantsstreignirentfollement.

    Tandisque le cruelMamoullian se jetait auxgenouxde son frreanen implorant sonpardon, le sultan apparut, dans toute sa splendeur. On devine sans peine avec quelstransports il accueillit son fils retrouv !Habib et Saskya furentmaris sur lheure, et lesscribesconsignrentleurhistoiredanslesannalesdupalais,afinquellesserventdexempleauxgnrationsvenir.

  • IILENCOMBRANTCADAVRE

    ILYAVAITAUTREFOISCasgar,capitalede laGrande-Tartane,unhonnte tailleurdunomdeSuliman.Unjourquilcousaitdanssaboutique,unpetitbossuvintpasser,jouantdutambourinetchantantdunevoixagrable.Aprsavoirprisplaisir lentendre,Sulimanseditquunpeudemusiquedivertiraitsafemme.

    Hol,lhomme,cria-t-il,viensdoncsouperchezmoi,tumepaierasenchansons!Lebossuacceptavolontierset, lesoirtombant, ilsserendirenttousdeuxaudomiciledu

    tailleur.Undlicieuxfumetlesyattendait.Mafemmeaprpardupoissonausafran,serjouitSuliman,cestmonplatprfr.Cestlemiengalement,approuvalebossu.Ilssemirenttableavecgrandapptit.Hlas,lebossumangeasigloutonnementquune

    arteseplantadanssagorgeetquilmourutsurlheure.Onimaginesanspeineleffroideseshtes.Silondcouvrececadavrecheznous,nousseronsaccussdecrime,disaitlafemme.Etlonnoustrancheralecou,ajoutaitlemari.Ilsselamentaientenchursurcetinjustesortquandletailleureutuneide.Amenons-lechezlemdecindelamdina.Ilnousdira,lui,cequilfautenfaire.Etlesvoilpartis,portantlepetitbossu,lunparlespieds,lautreparlatte.Lelogementdumdecinsetrouvaitenhautdunebutteolonaccdaitparunescalierde

    pierre. Posons le mort en haut des marches et sauvons-nous, suggra la femme. Cela nous

    viteradembarrassantesquestions!Le conseil tant sage, ils sy conformrent et rentrrent chez eux soulags dun grand

    poids.Or,peudetempsaprs,lemdecinsortit.Danslenoir,ilnevitpaslecorpsquiluibarrait

    lecheminetbutadessusavectantderudessequillenvoyaroulerjusquaubasdelescalier.Effray de son geste, il se porta aussitt au secours de la victime et, constatant quelle nerespiraitplus,semitgmir:

    Misrablequejesuis!Cetinfortunmaladestaitsansdoutetranjusqumaporteet, au lieu de lui venir en aide, je lai achev. Si cela vient aux oreilles du sultan, on vamarrteretmemettreenprison.

    Par prcaution, il porta le corps dans la chambre de sa femme qui, cette vue, faillitsvanouir.

    Nousnepouvonsgardercecadavreici,scria-t-elle.Ilfautnousendbarrasserauplusvite!

  • Ctaitplusfaciledirequfaire.Cependant,aprsavoirmrementrflchi, lemdecinsexclama:

    Jai trouv : nous allons lemonter sur la terrasse, et de l, nous le jetterons dans lacheminedenotrevoisin,lemarchanddhuile.

    Ayantprocddelasorte,ilssenallrent,fortsoulags.Cettenuit-l, lemarchand,quistaitattardaudbitdeboisson,senrevint lgrement

    mch.Enapercevant,lafaveurduclairdelune,unesilhouettedeboutdanssonfoyercar lemdecinetsa femme,ayantpassunecordesous lesaissellesdubossu,avaientprissoinde le laisserglisserbiendoucement jusquausol, ilcrutavoiraffaireunbandit.Sesaisissantdungrosbton,ilseruasurluietlerouadecoups.

    Ah,maudit!criait-il.Jetesurprendsvolermonhuile!Prendsa,eta,etencorea!Puissecettecorrectionttertoutjamaislenviedyrevenir!

    Cependant, le cadavre tant tomb face contre terre, la main du marchand se fit pluslgre.

    Relve-toi,dit-il,etdisparaisdemavueavantquejetefracasselecrne!Comme le bossu nobissait pas, le marchand, tonn, y regarda de plus prs. En

    constatantsamort,ilversadeslarmesamres.Quai-jefait?geignait-il.JaituunhommePltaucielquejefusserentrplustard,

    etquejeneussepointsurpriscevoleur!Jeseraispauvre,lheurequilest,maisnonpointmeurtrier!Quevais-jedevenirsilonapprendmoncrime?

    Aprs avoir longuement tergivers, il se rsolut sortir le cadavre de sa boutique pourlallerperdreunpeuplus loin.Par chance, la rue taitdserte.Chargeant lebossu sur sondos,lemarchandcourutjusqulamosque,appuyasonfardeaucontrelemurdulieusaintdesorteque,danslenoir,onleprtpourunmendiant,etrentrasecoucher.

    Chaquematin, Ali, le porteur deau, qui tait trs pieux, se rendait lamosque avantdaller au puits. Aux premires lueurs de laube, donc, il fit comme dhabitude. En sepenchantpourtersesbabouches,ilfrlalecadavrequilnavaitpasremarqu,etcedernierluitombasurledos.Persuaddtreattaqu,Alisedfenditenpoussantdetelscrisquelagardeaccourut.

    Lonsparalescombattantsavantdeconstaterquelundeuxtaitmort.ParlabarbeduProphte,ditlelieutenantdepolicesessbires,mettezcecriminelsous

    lesverrousjusqucequelesultandcidedesonsort!Or, comble demalchance, le bossu tait le bouffonde la cour.En apprenant laffaire, le

    sultanentradansunegrandecolre.Quelondcapiteimmdiatementceporteurdeau!dcrta-t-il.Ali eut beau plaider la lgitime dfense et assurer que, pour succomber quelques

    malheureux coups de poing, il fallait que le bossu ft dj bien malade, rien ny fit. Unchafaudfutdresssurlheureenplacepublique,olontranalecondamnenpleurs.Mais,commelebourreauaiguisaitsontranchoir,unevoixslevadanslafoule:

    Attendez!Attendez!Vousallezpuniruninnocent!Ctait lemarchanddhuilequi,saisideremords,salla jeterauxpiedsdusultanpourlui

    conterlavritou,dumoins,cequilcroyaittelle.

  • Fort bien, dit le sultan aprs lavoir cout avec attention.Voicima sentence : que leporteurdeauailleenpaixetquelemarchandprissesaplace.

    Maispeinecedernieravait-ilpossattesurlebillotquungrandcriretentit:Suspendezlexcution,carcestmoi,etmoiseul,lecoupable!Et le mdecin de savancer, le front bas, en donnant tous les signes dune profonde

    affliction.Dsquileutnarrsapropreversiondelvnement,lesultanditsonbourreau:Saisis-toidelui,librelemarchand,etquejusticesoitfaite!Lebourreausapprtait,pourlatroisimefois,accomplirsonuvrequand,denouveau,

    ilfutinterrompu.Netuezpascethomme,ilnarienfait!Et,sontour,Sulimanseprosternadevantlesultan.Tuavouestonforfait,malandrin?soupiracelui-ciquicommenaittrouverlafarce

    unpeusaumtre.Nonpoint,VotreGrce,jelejuresurlAlcoran!Alors,quiaoccismonbouffon?Lafatalit,Sire.Ainsi, toute la lumire fut faitesurcettehistoiredont lescurieusespriptiessecontent

    encoreaujourdhuienGrande-Tartarie,etmmejusquauxconfinsdelOrient,colportesparles voyageurs. Quant au sultan, ne pouvant venger le bossu, il lui offrit de somptueusesfunrailles,carraressontlesbouffonsquirestentdivertissantsjusquedansleurmaniredemourir!

  • IIILASTUCIEUX

    PETITCHAMELIER

    LORSQUESAMOUSSA, le chamelier, sentit venir lamort, il appela son filsKitir sonchevet.

    Tevoilseulaumondeetsans lesou,monpauvreenfant.Vois,mamaisontombeenruine et jai d vendremon cheptel pour survivre. Je ne te laisse en hritage quun vieuxchameau,toutjustebonagrmenterlachorba[1].Aussi,suismonconseil:nerestepasici,lamisreyest tropgrande.Vachercher fortunedans lespays lointainso lavieestmoinsdureetlecielplusclment.

    Enfilsrespectueux,Kitir,quiavaitquatorzeansetntaitpasplushautquunnarghileh,fitcequavaitditsonpre.Aprsquecederniereuttmisenterre,ilgrimpasursonvieuxchameauetsejoignitunecaravanequitraversaitledsertendirectiondunord.

    Aprs plusieurs jours dune marche harassante sous un soleil ardent, les voyageursparvinrentdansuneoasiso ilsdressrent leur campement.Tandisque tous sepressaientautourdupuitspoursydsaltrer,Kitiraperutunhommebarbeblanche,assissousunpalmier,quilesregardaitavecenvie.

    Vousavezsoif,grand-pre?luidemanda-t-il.Maboucheestaussischequelesabledescollines,rponditlevieillard.Donnez-moivotrecruchequejaillelaremplir.Levieillardhochatristementlatte.Hlas,elleestperceetjenenaipointdautre.Devanttantdemisre,lecurdeKitirsemplitdepiti.Voulez-vouspartagerlamienne?proposa-t-il.Et,sansattendreunquelconqueacquiescement,ilapprochasacruchedeslvresdupauvre

    hommeetlefitboire.Or,cederniertaitunmagicienquiavaitpriscetteapparencepourletester. Ta gnrosit vient de te sauver, ainsi que tes compagnons de route, dit-il au jeune

    garon.coutebienceci:demain,lacaravaneatteindraunevilleappeleKolkhara,cequi,enlangageberbre,signifieCitdelapeur.Ilvousfaudralatraverserpourpoursuivrevotreroute. Or elle est garde par un gant deux ttes, dont lune regarde gauche et lautreregardedroiteafinqueriennchappesavigilance.Cegantdvoretousceuxquipassentsaporte,ainsiquentmoignentlesmilliersdesquelettesjonchantlesolautourdelui.

    Enentendantcesmots,Kitirsemittrembler.Nya-t-ilaucunmoyendedtournersonattention?senquit-il.

  • Unseul:luiposerunedevinettelaquelleilnepuisserpondre.Hlas,jenenconnaispas,soupiralejeunegaron.Levieillardfouilladansseshardesetensortituneamandesche.Quya-t-ildanscettecoquille?demanda-t-il.Unfruit,rponditKitir.Non,ditlevieillard,cardepuislongtemps,lesverslontmang.Desvers,alors?Non,carfautedenourriture,ilssontmortsetrduitsenpoussire.Delapoussire,alors?Non,carletempslafaitdisparatre.Kitirsegrattalefrontavecperplexit.Danscecas,ilnyarien.Tutetrompes:riennexistepas.Lejeunegaron,quinavaitplusdide,donnasalangueauchat.Larponseest:lobscurit,ditlevieillard.Et,luiayantdonnlamande,ildisparut.Lelendemain,lacaravane,parvenueauxportesdeKolkhara,futarrteparlegantdeux

    ttes.Lonimaginesanspeinelaterreurdescaravanierslavuedumonstreetdesmilliersde squelettes qui jonchaient le sol autour de lui ! Croyant leur dernire heure venue, ilspriaientAllahdelesaccueillirensonparadisquandKitirsavanaenbrandissantlamande.

    Quya-t-ildanscettecoquille?demanda-t-ilaugant.Cedernier,quisapprtaitdvorersespremiresvictimes,lesrelchaaussitt.Unfruit,rpondit-il.Non,ditKitir,cardepuislongtemps,lesverslontmang.Desvers,alors?Kitirsecoualatte.Non,carfautedenourriture,ilssontmortsetrduitsenpoussire.Delapoussire,alors?Non,carletempslafaitdisparatre.Legantgrattasesfrontsavecperplexit.Danscecas,ilnyarien.Tutetrompes:riennexistepas.Legant rflchit,puisun large sourireclaira sesvisages,montrantdesdentspointues

    pluslonguesqueledoigtettoutesrougesdesang.Jaitrouv,scria-t-il.Cestlobscurit!Cemonstreestplusmalinquejenelepensais,seditlastucieuxKitirenlui-mme.Mais

    malin,malinetdemi!Tarponsenestpaslabonne,dclara-t-il.

  • Ellelest,protestalegant.Nousallonsvrifier!Etilcassalamande.Oestlobscurit?interrogea-t-il.Jelaivuesenfuirlorsquelalumireapntrdanslacoquille,rponditlegant.Alors,trouve-la!Legantsemitcourirdroiteetgauche,larecherchedelobscuritperdue. Elle sest rfugie l, assura-t-il soudain, en avisant un petit trou dans le sol. Je

    laperois,tapieaufond!Situveuxquejetecroie,attrape-laetmontre-la-moi!ditKitir.Aussitt, legantsemitrtrcir,rtrcir, jusquatteindrelatailledunesouris.Puisil

    sautadans le trou, que le jeunegaron sempressadeboucher laidedune grossepierre,lemprisonnantainsidanslesentraillesdelaterre.

    Dslors,laCitdelapeur,libredesonoppresseur,fitlafteauxcaravaniers.LonportaKitirentriomphe,etleroidecetteville,nayantpasdenfant,ladopta.Quelquesannesplustard,lefilsduchamelierluisuccdasurletrneetsavraunsouverainsisageque,soussonrgne,KolkharachangeadenompourdevenirAboukhara.Cequi,enlangageberbre,signifieCitdubonheur.

  • IVLESTROISPOMMES

    JADISVIVAITdanslavilledeBagdadunprince,mariunesuperbefemmedontiltaitvivement pris. Or celle-ci, outre sa beaut et peut-tre bien cause delle , tait duntempramentcapricieux.Unmatin,elledclarasonmari:

    Jaienviedemangerdespommes.Hlas, rpondit le prince,mme avec lameilleure volont dumonde, je ne puis vous

    offrircequevousdemandez,carcenestpointlpoque.Sivousmaimez,vousmenprocurerez,rtorqualaprincesse.Monaffection,sigrandesoit-elle,nepeutmodifierlesloisdelanature,repritleprince.

    Quandbienmme je remuerais ciel et terre, jeninflueraispas sur le coursdes saisons. Ilvousfaudraattendre,monpousechrie,quelespommiersfleurissent,puisquilsperdentleursfleurs,puisquenaissentlesfruits,etenfinquilsmrissent.

    cesmots,laprincesseentradansuneviolentecolre. Fort bien, scria-t-elle, puisque vous refusez de satisfaire mon dsir, ma chambre

    dsormaisvousseraferme!Allahmensoittmoin:tantquejenauraipasmespommes,vousnepartagerezplusmacouche.

    Etdevantlaminedconfitedesonpoux,elleconclut,avecunsourirenarquois: Pour retrouver lardeur de mes baisers, il vous faudra attendre que les pommiers

    fleurissent, puis quils perdent leurs fleurs, puis que naissent les fruits, et enfin quilsmrissent.

    Surcesparoles,elleluitournaledos.On devine sans mal lembarras du prince. Sachant que ni pleurs ni supplications

    ninflchiraient la dcision de la princesse, et redoutant, par ailleurs, les longs mois selanguirdelle,ilneutdautrechoixquederassemblersesgens.

    Partezauxquatrecoinsdupays,leurdit-il,etramenez-moidespommesauplusvite.Onluiopposalesmmesargumentsqueceuxdont,uninstantauparavant,ilstaitservi.

    Mais il les rfuta avec enttement et promit un sac dor qui reviendrait vainqueur de laqute.

    Cent domestiques sillonnrent donc la rgion, la recherche de limpossible provende.Quatre-vingt-dix-neufdentreeuxrevinrentbredouilles,mais lecentime,plus futquesescompagnons,au lieudecourirvergerset jardins, sen fut trouverunmagicien.Sibienqulaubeduhuitimejour,ilramenatroisbellespommesdespcesdiffrentes:unerouge,uneverteetunejaune.

    Leprince,foudejoie,courutlesportersafemmequi,cetteheure,taitaubain.Maisellenelesregardapas,carlenvieluientaitpasse.

    Posez-lessurcettetable,dit-ellesonmari,jygoteraiplustard.

  • Lelendemain,leprinceserendaitauportoilavaitquelqueaffairergler, lorsquilvitpasserunmarinnubien,croquantunepommejaune.Intrigu,illappela:

    Dotiens-tucefruit,tranger?Lemarin,quitaitfortbelhommeetdepuissantestature,souritdetoutessesdents.Cestunprsentdemabien-aime,seigneur.Enentendantcela,leprinceeutlecuremplidinquitude.Ilcourutchezluidansuntat

    dextrmeagitationet,napercevantquedeuxpommesdansleplat,scria:Femme,oestpasselapommejaune?Jelignore,rponditlaprincesseavecindiffrence.Vousnelavezpasmange?Non,jenaiplusgotauxpommes,jeleurprfrelesfigues.Cesparolesconfirmrentlessouponsduprince.Ivredejalousie,ilrpudiasafemme,lui

    confisquasesbiensetlachassasurlheure.Or,ilsavaientunefillequiallaitsursesquatreans.Tandisquesesparentssequerellaient,

    elle jouait dans le jardin. Quand le prince, fort marri, vint lui apprendre la disgrcematernelle,illatrouvaenpleurs.

    Quavez-vous,monenfant?interrogea-t-il.Manourricemagronde.Etpourquelleraison?Jenepuisvousledire,carcestunsecret.Leprincesenallatrouverlanourrice.Pourquoias-tugrondmafille?Parcequelleestingrate,etquelingratitudeestlunedesseptplaiesdAllah.Qua-t-elledoncfaitdesigrave?Jaivolpourluiplaire,etaulieudprouverdelareconnaissance,elleamprismon

    larcin.Etquas-tuvol?Jenosevouslavouer,seigneur,carsimamatresse,votrepouse,venaitlapprendre,

    ellemeferaitbattre.Leprincetouffaunprofondsoupir.Parlesanscrainte,nourrice:jairpudilinfidle.Rassure,lanourriceavouaque,lematinmme,elleavaitdroblapommejaunepouren

    fairedonlapetiteprincessequienavaitgrandeenvie.Maissittquelleeutobtenulobjetdesesdsirs,elleledonnaunesclave,conclutla

    nourrice.Voillacausedemoncourroux.Leprince,troublparcetaveu,convoqualesclaveenquestion.Ctaitunjeunegaronqui,

    luiaussi,semblaitfortenpeine.Oestlapommequetadonnemafille?interrogealeprince.Hlas,monmatre,jenelaiplus.

  • Quest-elledevenue?Unmarinmelaprise.Etdexpliquerque,chargdallerqurirdesdenresaumarch, ilavaitcroisuncolosse

    nubienencoursderoute.Quecedernier,voyantsapomme, la luiavaitdemande.Etque,sursonrefus,illaluiavaitarrachedeforce.

    Mais alors, scria le prince, ceNubien nema pas dit la vrit ! Etmoi, aveugle quejtais,jaiaccusmafemmesurlafoidunmensonge!

    Comprenant son erreur, il voulut se jeter aux pieds de la princesse afin dimplorer sonpardon.Mais ileutbeau lappeleret lachercherdanstoute laville, ilne la trouvapoint.Etsavez-vouspourquoi?

    ParcequellevoguaitverslaNubie,encompagniedesonamant.Aprssarpudiation,tandisquelleerraitenlarmessurleport,elleavait,parleplusgrand

    deshasards,rencontrlemarinnubien.Celui-ci,sensiblesabeautautantqusadouleur,stait empress de la consoler, puis layant invite son bord, lui avait fait une courpressante.Aucoucherdusoleil,ellesedonnaitlui.

    Ainsi,souslemprisedelajalousie,leprinceforgea-t-ilsonpropredshonneur.

  • VHISTOIREDUNETARTE

    AUMIELETLEAUDEROSE

    ILYAVAITAUTREFOIS,engypte,unvizirdegranderenomme,dontlafemmemitaumonde des jumeaux. Ces garons beaux, aimables, de sant robuste et de frappanteressemblance,furentprnommsAmiretSamir.Commecestsouventlecaschezlesenfantsconus lemme jour, ilstaient lisparuntendreattachement,sibienquonne lesvoyaitjamaislunsanslautre.Leurpreleurdonnadebonsprofesseursquileurenseignrentlart,les lettres, les sciences, et tout particulirement lastrologie, afin que la course des toilesnetaucunsecretpoureux.Bref,onen fitdeparfaitsruditsainsiquedesgensdebonnecompagnie.

    Lorsquilseurentvingtans,leurpremourut.Lecalifealorslesconvoqua.Nousvenons,leurdit-il,deperdreunexcellentvizirquilseramalaisderemplacer,car

    il tait la fois brave et avis. Rares sont les personnes pourvues de telles qualits,maisvous, chair de sa chair, en avez hrit. Vous lui succderez donc. Comme vous tesinsparables, vous vouspartagerez sa charge galit, de sorte que cepaysnauraplusunvizir,maisdeux.Jescomptequevoussaurezvousmontrerdignesdevotreprdcesseur.

    Le calife ne stait pas tromp. Amir et Samir, malgr leur jeune ge, grrent fortsagementlesintrtsdeltat.Lgypteconnut,sousleurrgne,uneredeprospritetdepaix.

    Unsoirquilssentretenaientdesaffairescourantes,Amirditsonfrre:Ilfaudraitquenoussongionsnousmarier,afindassurernotredescendance.Jaiunesuggestionfaire,cepropos,rponditSamir:sinouspousionsdeuxsurs,

    nosliensfraternelsenseraientrenforcs.Excellenteide,approuvaAmir.Jereconnaisbienllesmarquesdevotreaffectionetjy

    adhredetoutcur.Cesnocespourraientavoirlieulemmejour,quenpensez-vous?Jenpensequecelamesied,etquejiraisencoreplusloin:supposonsquenosfemmes

    soientfcondesdurantleurnuitdenoces,etquellesaccouchentensemble,lamiennedunfilsetlavtredunefille.Nouspourrions,parlasuite,lesunir.

    Ah a, quel projet admirable ! applaudit Amir. Cemariage couronnera notre ententemutuelle.Maiscependant,unequestionmetracasse,ajouta-t-ilaprsuninstantderflexion.Aucaso leschosessepasseraientcommenousvenonsde lesupposer,exigeriez-vousquemafilleapporttunedotvotrefils?

    Certes,puisquecestlacoutume.Etcombienslverait-elle,jevousprie? Trois mille sequins, trois terres cultivables et trois esclaves mles. Ce chiffre vous

    convient-il?

  • Pointdutout,jeletrouveexcessif.Netenteriez-vouspas,parcebiais,devousenrichirmes dpens ? Cette attitude est pour lemoins surprenante, vis--vis dun parent que lonprtendaimer!

    Bienquececiftditsurlemodedelaplaisanterie,Samirenpritombrage. Que voil donc un dplaisant discours ! scria-t-il. Mon fils vous fait lhonneur

    dpouservotrefille,etvousmarchandezlemontantdeladot?Ignorez-vousquenombredenotablesdonneraientcentfoispluspourallierleursouchelamienne!

    Jenaiautantvotreservice:lesprtendantsaffluentautourdemafille,etilnenestpas un qui aspire autre chose quau bonheur de la possder ! Point nest besoin de dotquandonaoffrirhauteligneetbeauvisage!

    Letonmontait,etctaitpitidevoircesdeuxjeunesgens,jusque-lenparfaitaccord,sequerellerpourdesvnementsquinauraientpeut-trejamaislieu.

    Chacunseretirade fortmchantehumeur, sibienque,dans lanuit,Samir,quiavaitdubonsens,pritunesagedcision.

    Jenepuissouffrirqueltrequimestleplusprochemetraitedecettefaon,sedit-il.Mieuxvautnousspareravantquenosrapportssedgradentjamais.

    Lors,ilsellasoncheval,semunitduncessaire,etditsesesclavesquilpartaitquelquetempsenvoyage.

    AyantquittLeCaire,iltraversaledsertendirectiondelArabie.Hlas,aprstroisjoursdemarchedanslessablesbrlants,samontureexpira,desortequildutcontinuerlaroutepied.

    Bientt, leau vint luimanquer. Tenaill par la soif, accabl par un soleil de plomb, ilcroyaitsadernireheurevenuelorsquunecaravanededrapiersquidescendaitversBassora,afindembarquersurdesnaviresmarchandsenpartanceverslegolfePersique,lerecueillit.Onlefitboire,oncalmasesfivreset,pourquelquessequins,onluilouaunchameau.

    Celalesauva.Parvenu destination, il rdait sur le port en qute dun logement lorsquil croisa un

    palanquin entour dune suite nombreuse. Ce devait tre celui dun important personnagecar, sur son passage, la foule se prosternait face contre terre. Respectueux des traditionslocales,Samirenfitautant,jusqucequunesclavevntlerelever.

    tranger,luidit-il,monmatre,legrandvizir,ajetavecbienveillancelesyeuxsurvous.Voshabitspoussireuxluiayantrvlvotretatdevoyageur,ilsouhaiteraitsavoirquivoustesetdovousvenez.

    Jesatisferaisacuriositsildaignemadmettresatable,rponditSamir.Lesclavesenfutporterlarequteaugrandviziretrevintnantiduneinvitationsouper.

    Avantdesyrendre,Samirsarrtadansuncaravansrailo,parrespectpoursonhte,ilselavaetchangeadetenue.

    Cederniertaitunvnrablevieillard,rputpoursabontetsonsensdelajustice.IlfutmuparlercitdeSamirautantqueparsabonnemine,louasaprudence,brefluifittantdecomplimentsqulafindurepasilstaientlesmeilleursamisdumonde.

    Letempsnaffaiblitpascetteamiti,bienaucontraire,aussi,unjour,legrandvizirdit-ilSamir:

  • Mon fils (car ctait ainsi quil lappelait), je suis, comme vous le voyez, dans un geavanc.Lesaffairesdeltatpsentsurmespaules.Lecielmadonnunefilleuniquequiest aussi belle que vous tes bien fait, et se trouve prsent en ge dtre marie. Depuissantsseigneursmelontdjdemande,maisjenaipumersoudrelaleuraccorder.Je men flicite aujourdhui, car, dentre tous les hommes, vous tes le plus digne de lapossder.Si,donc,vousconsentezdevenirmongendre,jevousprsenteraiausultanet,lachargequimchoittanthrditaire,vousmesuccderez.

    Samir, lonsendoute,sempressadaccepter,dautantquayantdj,par lepass, remplidesfonctionssemblables,ilsesavaitaptelesexercer.Lafilledugrandvizir,parailleurs,neluitaitpasindiffrente.Depuislongtemps,illadsiraitensecret.Iltaitdoncdoublementredevableaugnreuxvieillard.Sejetantsespieds,illeremerciaaveceffusionetjuradeluivouerunereconnaissanceternelle.

    Lemariageeut lieulasemainesuivante,avectoutelamagnificencerequise.Mais leplustrange, cest que le mme jour, au Caire, Amir, que le dpart de son frre avait laissinconsolable, convolait lui aussi. De sorte qu leur insu, tous deux accomplirent ce quilsavaientimagin,etquitaitlacausedeleurrupture.

    Neuf mois plus tard, par une trange fantaisie du hasard, lpouse dAmir mettait aumondeune fille tandis que celle de Samir donnait le jour un fils. Ce dernier fut nommHassan.

    Lesannespassrent.Hassangranditengeetensavoircar, limitationdesonproprepre,Samiravait toutmisenuvrepourquildevntunprinceaccompli.Etcomme,outresonintelligence,iltaitdunebeautpeucommune,iljouissaitdeladmirationgnrale.

    Lorsqu ilatteignitsadix-huitimeanne, lesultan,charmpartoutessesperfections, leprit son service. Hlas, ce bonheur fut de courte dure car, peu de temps aprs, Samir,victimedunaccidentdechasse,rendaitlmedanslesbrasdesonfils.

    LechagrindHassanfuttelquilsenfermachezlui,sansboire,manger,nivoirpersonne.Aulieudedurerunmoiscommeleveutlatradition,sondeuilendurasix.SaplacelaCourdemeurant vacante, le sultan qui, dans un premier temps, avait compati sa douleur,lenvoya qurir plusieurs reprises, mais sans rsultat : Hassan refusait de recevoir sesmissaires. Cette attitude finit par lasser le sultan qui, la considrant comme insultante,rsolutdesevenger.Ilordonnasagardedesesaisirdelimpudentetdeconfisquertoussesbiens.

    Par chance un jeune esclave, ayant eu vent de ces dispositions, sempressa dalerterHassan.

    Sauvez-vous,seigneur,carlesofficiersdejusticesontdjenroutepourvousarrter!Hassan,queriennavaitprparunetellepreuve,demeuraperplexe.Marrter?Maispourquoi?Dequoimaccuse-t-on? Davoir indispos un tout-puissant monarque, qui a droit de vie et de mort sur ses

    sujets.Est-cedoncuncrimedepleurersonpre?Oui,sitelestlebonvouloirdusultan.Ai-jeaumoinsletempsdeprparermesbagages?

  • Non,seigneur,partezlaminute!Hassanselevadoncdusofaoiltaitallong,chaussasesbaboucheset,nemportantavec

    luiquelecarnetquillisaitaumomentdelalerteetdanslequelSamiravaitconsignlesfaitsmarquantsdesavie,senfuitcommeunvoleur.

    Commentchapperaudangerquimemenace?sedemandait-il touten longeant lesmurslamaniredesplerins,pourtromperlavigilancedelennemi.

    Il rsolutde sembarquer surunvaisseauenpartanceversdautres contresnonsansavoir,pourladernirefois,salusonpre.Danscebut,ilserenditaucimetire,et,commelesoirtombait,dcidadypasserlanuit.

    Le tombeaudeSamirtaitunbeldificedemarbreblanc, surmontdundmesoutenupardescolonnades.Quandillaperut,Hassanneputretenirsessanglots.

    mon pre, gmit-il en se laissant tomber sur lesmarches dumonument funraire,voyez dans quel dsarroi me laisse votre absence ! Me voici, tel un paria, chass de mamaisonetquasimentprivdema libert.Quai-jedonc faitpourmriterune telle infamie,sinondevousaimerplusquemoi-mme?

    Il en tait l de ses dolances lorsquun toussotement sleva dans son dos. Se croyantrejointpar lagarde royale, le jeunehommeeutunmouvementdepanique.Mais centaitquunvieuxmarchandquiluidit:

    Envenantrendrehommagemonamiperdu,jenemattendaiscertespastrouversonfils.Quefaites-vousicicetteheure,monenfant?

    Mon pre mest apparu en rve, mentit prudemment Hassan. Il ma ordonn de merendreencelieupouryrencontrerquelquun.tes-vouscettepersonne?

    Cela se peut, car jai une dette envers lui, que sa disparition ma priv dhonorer.Maintes fois, jai tentde forcer votreportepour vous remettre largentd,mais vos gensmont chass, arguant que, tout votre deuil, vous refusiez de recevoir quiconque. Je suisdoncbienaisedevousavoirrencontrafindepouvoirmacquitterdemesobligations.

    Iltendituneboursecontenantmillesequins.Cestlecielquivousenvoie,leremerciaHassan.Javais,eneffet,grandbesoindecette

    somme.QuAllahvousaidelafairefructifier,ditlemarchandensinclinant.Tandis quil sloignait, Hassan reprit sa veillemortuaire jusqu ce que, vaincu par la

    fatigue,ilsendormtsurlespulcrepaternel.Or,cesommeileutuntmoin.Ungniequi,prfrant levoisinagedesmortsceluides

    vivants,avaitludomiciledanslecimetire,sarrtaparhasarddevantlemausole.Cequilyvit le transporta.Car le chagrinnavait en rienaffect labeautdHassan, et tel quil tait,alanguisurlapierre,onetpuleprendrepourunangeduciel.

    Lmerveillementdugniefuttelquilalertaunefedesesamies:Avez-vousjamais,aucoursdevosprgrinations,aperuunjeunehommeplusgracieux

    quecelui-ci?senquit-ilenluimontrantHassan.Lafeadmitque,eneffet,ctaitlunsuperbespcimendelaracehumaine.Cependant,ajouta-t-elle,jairencontr,auCaire,unecratureplusbelleencore.

  • Dcrivez-la-moi,exigealegnie,carjaidumalcroirequecelaftpossible. Il sagit dAcha, fille du vizir dgypte, repartit la fe. Imaginez un teint de lait, une

    chevelureplus sombreque lanuit, des yeux semblables des toiles. Imaginez encoredestraitsduneharmonie ingalable,uncorpsaussiparfaitqueceluides statues,desmainsetdespiedsdunefinesseextrme.Imaginez,deplus,unevoixsimlodieusequellesurpasse,ensduction,lechantdessirnes.Imagineztoutcela,monami,etvousserezencoreloindelaralit.

    ParlesversetsduCoran,scrialegniesaisidestupeur,siunetellemerveilleexistesurlaterre,celuiquilapossdeestleplusheureuxdeshommes!

    Hlas, cest icique les choses segtent,dit la fe.Carundestin tragiqueattend cetteperlerare.

    Intrigu,legnievoulutensavoirdavantage,et,sarequte,lafecontaceci:Lecalife,ayanteuventdessductionsdAcha,dcidaunjourdenfairesonpouse.Illa

    demanda donc son pre,mais celui-ci refusa, sous prtexte que, jadis, son frre disparuavaitsouhaitlalliancedeleursenfants.Or,ilavaitoudire,pardesrumeursenprovenancedArabie, que ce frre, rcemment dcd, avait un fils en ge de convoler. Par pitfraternelle,ilavaitdoncfaitvudenavoirdautregendrequelui.

    Ceslucubrationsnefurentpasdugotducalife,quientradansuneviolentecolre.Puisquetuddaigneslhonneurquejetefais,jevaisdonnerAchaauplusvildemes

    sujets!scria-t-il.Ilfitvenirlundesespalefreniers,quitaitborgne,contrefaitetboiteux,etordonnaque

    fttabliuncontratdemariageensonnom.Orcemariagedoitavoir lieudemainlaube,continualafe.Jequitte linstantla

    malheureuseAcha,quunetelleperspectivemetaudsespoir.Cercit,lonsendoute,indignalegnie.Lasentenceducalife insulte lanature,scria-t-il.CarsiAchaestbien tellequevous

    melavezdcrite,ellemritemillefoismieuxquelpouxquonluidestine!Jesuisdevotreavis,reconnutlafe.Sansseconcerter,tousdeuxregardrentle jeunehommeallongdanslemausole,dont

    leur conciliabule navait pas interrompu le sommeil. Et une mme pense leur vint. Ilslenlevrent doucement et, volant dans les airs une vitesse inconcevable, le dposrent,toujoursendormi,devantlepalaisducalife.

    QuellenefutpaslasurprisedHassan, lorsquilsveillaquelquesheuresplustard,deseretrouverdansunevilleinconnueoilnavaitaucunsouvenirdtrevenu.

    Afindapaisersoninquitude,legnieluiapparutsouslaformedunvieillard.Soissanscrainte,luidit-il,caruneprodigieusedestinetattend.Maisilfaut,pourcela,

    quetusuivesscrupuleusementmesordres.Nayantdautrechoix,Hassanacquiesa. Va ! commanda le gnie. Mle-toi ces gens qui entrent au palais en habits de

    crmonie et marche avec eux jusqu la salle des noces. Un mariage y est clbr en cemomentmme.Le futur poux estunmchantborgneque tu reconnatras sansdifficult.Mets-toisadroite,commesitutaislundesesproches,etdistribuelafoulelessequins

  • que tu as dans ta bourse.Noublie ni les danseurs, ni lesmusiciens, ni les suivantes de lamarie,carcestdeleurbienveillancequedpendratabonnefortune.

    Jeferaicommevousavezdit,bonvieillard,promitHassan.Iltintparole,sibienquetouteslesportessouvrirentdevantlui,caronleprenaitpourun

    parentdumariqui,desonct,croyaitavoiraffaireunmembredesabelle-famille.Grcecesubterfuge,ilseretrouvadoncaupieddutrneo,selonlacoutume,sigeaitlafuturepouse.

    Commentdcriresonmoilavuedecettedernire? Suis-je dans le sjour dAllah ? se demandait-il. Et cette femme est-elle une crature

    divine?Assurment,soncharmenestpasdecemonde.Tantdeperfectionsrassemblesenunseultre,envrit,celanesepeutpas.

    Et,toutenladvisageant,ilsentaitbattresoncurcommejamaisencoreilnavaitbattu.Or, tandis que ces remous agitaient Hassan, les notables, tmoins du rituel sacr, ne

    pouvaientdtacher leursyeuxde lui.Et chacun, en son for intrieur, regrettaitquilne ftpas la place du vilain borgne. Car la pleur de la fiance ne tmoignait que trop de sarpulsion,ettouslaprenaientenpiti,commesilseussentassistlhymendelacolombeetducrapaud.

    CecoupleestuncrachatlafaceduTrs-Haut,chuchotaunevoix,nonloindHassan.Untelsacrilgecrievengeanceauciel,ajoutauneautre.Etunetroisimedesuggrer:Jeunehomme,toiquiessinobledmeetdefigure,interviensdonc!Comprenantquecesmotssadressaientlui,Hassanseretourna.Maisilnevitquungros

    chatnoirquilissaitsesmoustachesenlefixantavecinsistance.Linstant daprs, lanimal qui, on laura devin, ntait autre que le gnie dont cette

    apparence servait les desseins se glissait jusquaux mollets du borgne, quil griffacruellement.Or,aummemoment,lacrmonietouchaitsafin.Ilnerestait,pourquelemariage ft valid, quune seule formalit accomplir :Achadevait tre dvtue, lave etparfumeparsessuivantesavantdegagnerlachambrenuptialeolattendraitsonpoux.

    Leborgne, dont laprsencentait pas requisedurant cesprparatifs, slanadonc lapoursuiteduchat,qui,avecunemaliceproprementfline,lgaratantetsibienquenulnelerevitjamais.

    Hassan mit son absence profit pour se faufiler dans la chambre nuptiale. Comme ilimitaitsadmarcheclaudicanteetsecachaitlevisagelaidedesonmanteau,lesgardesnyvirentquedufeu.Lors,ilsemitaulitetattendit.

    Une fois prte, Acha vint le rejoindre, les yeux baisss. Quoique baign de larmes, sonvisagenavaitrienperdudesabeaut.Souslasimplechemisedelinblanc,soncorps,malgrlapeurquilefaisaittrembler,taitsidsirablequenlavoyantapprocher,Hassansvanouitdmotion.

    Lorsquil reprit sesesprits,Achataitpenche sur lui, les traits empreintsdunprofondtonnement.

    Quites-vous?luidemanda-t-elle.Quefaites-vousdanscelit?Etoestmonmari?Jesuisvotremari,rponditHassan.

  • Commeelledemeuraitsursesgardesetquilnevoulaitpasleffaroucherparsesaveux,ilimprovisaunefable.

    Lecalife, luidit-il,na jamaiseu lintentiondevousunirunpalefrenier, fort laiddesurcrot. Tout cela ntait quune plaisanterie destine divertir la Cour vos dpens. Enralit, cest moi, heureux mortel, qua t dvolu lhonneur de vous possder. Sinon,pensez-vousquelafoule,lesgardes,etvotrepouxlui-mme,meussentlaisspntrerdanscettechambre?

    Ces paroles pleines de bon sens eurent raison des rticences de la princesse. Et, sa joienayantdgalquesonsoulagement,elledonnaaucharmantmariquonluioctroyaitdetellespreuvesdaffectionquelanuitentireysuffitpeine.

    Lebonheur,hlas, est phmre, et celui-l le futplusque tout autre.Car, tandisquaupetit jour les poux prenaient un repos bien mrit, la factieuse fe pntra dans leurchambre.Et,enlevantHassandanslatenueoilsetrouvait,cest--direenchemise,elleledposadenouveaudanslecimetiredeBassora.

    Jugez de leffarement du jeune homme lorsquil sveilla, loin de sa bien-aime et sansvtements!

    Ainsidonc,jairv,raisonnait-iltoutenpleurant.Etdurantmonsommeil,desvoleursmont dpouill. Ah, cruelle fatalit, pourquoi, aprs mavoir hiss au paradis, me fais-turetomberencoreplusbasquavant?

    Nayantmmeplusunsequinpourpayersaplacedansladiligence,ildescenditsurleportsemler la foule. En le voyant, les gens disaient : Quel est ce fou qui se promne enchemise?et,lecroyantprisdeboisson,riaientdelui.

    Tenaill par la faim, Hassan entra dans une ptisserie pour y mendier un peu denourriture.Or,leptissieravaitboncur.Ileutpitideluiet,noncontentdelenourrir,levtitgalement.Enremerciement,lejeunehommeluicontasesmsaventures,sibienquelebravehomme,mupartantdemalheurs,offritdeladopter.

    Je nai pas denfant, lui dit-il, ni personne qui lguer mon ngoce. Si cela vousconvient,jevousenseigneraimonmtier,etvoushriterezdemesbiensmamort.

    Ainsidonc,Hassan,aprsavoirtfavoridusultan,appritfaonnerdesgteaux,cedont,danssasituation,ilfutfortaise.

    Plusieurs annes passrent. Le ptissier stant retir des affaires, son fils adoptif repritson commerce et le fit prosprer. Bientt, sa renomme stendit, par-del les mers,jusquauxpaysvoisins.

    Or,pendantcetemps,quedevenaitAcha,privedesonpouxaurveildesesnoces?Dufaitquilnavaitpasemportseshabits,ellecruttoutdabordquHassantaitaubain.

    Puis,letempspassant,ellesalarma.Commeelleparlaitdunhommeentoutpointdsirable,lonpensa,autourdelle,que lhorreurdavoirpartag lacouchedupalefrenier luiavait faitperdrelesprit.SeulAmireutlidedefouillerlesvtementsdecesurprenantgendre,laiddejour,beaudenuit,etcequilytrouvaluicausaunchoc.Car,auvuducarnetdesonfrre,ilfut convaincuque,par lunces toursdepasse-passedont ledestinest coutumier, lhommequaimaitsafilletaitbienceluiquilluidestinait.IlexpdiaaussittunmessagerBassoraet,misaucourantdeladisgrcedesonneveu,dcidadegardercetteaffairesecrtejusqucequilletretrouv.

  • Aprs avoir longuement pleur, Acha, tenue en dehors de la confidence, finit par seconvaincrequesonaventuretaitsurnaturelle.LeTrs-Haut,touchparseslarmes,luiavait,supposait-elle, envoy un ange pour la secourir. Celui-ci, aprs stre dbarrass dupalefrenier,avaitprissaplace,puis,sonuvreaccomplie,sentaitretourndanslesnues.Et comme, durant leur unique nuit commune, il lavait fconde, elle porta son fruit avecdvotion. Neuf mois plus tard lui naissait un fils, quen raison des circonstances de saconceptionellebaptisaAgib,cequisignifiemerveilleux.

    Quand Agib eut sept ans, Amir, las dattendre le retour dun gendre que, depuis lesvnements conts plus haut, il navait cess desprer, dcida de partir lui-mme sarecherche.Sous couvertdunvoyagedagrment, il se rendit Bassoraencompagniede safamille.

    Tandis que ses parents vaquaient leurs occupations, le petit Agib, accompagn de sanourrice,sepromenaitdans lesruesde laville.Par leplusgranddeshasards, leurspas lesmenrentdevantlaptisseriedHassan.Cedernierprenaitlefraissurlepasdesaporte.Enapercevantlenfant,ilfutsaisiduntroubletrange.Sansdoutelavoixdusangslevait-elleen lui, car, bien quil ignort jusqu lexistence de ce fils, il ne put sempcher dprouverenversluiuneirrsistibleattirance.

    Entrez,jeuneseigneur,luidit-ildoucement.Mestartesaumieletleauderosesortentdufour,faites-moidonclhonneurdygoter!

    Avecplaisir!scriaAgibquitaitgourmand. La place dun fils de prince nest pas dans une ptisserie ! protesta la nourrice. Fi !

    Laissezdonccelaauxenfantsdupeuple!Mais elle eutbeau tempter,menacer et lui rappeler les rglesde labiensance, lepetit

    garonnevoulutpasendmordre.Queluiimportaitdesecommettreavecleshumbles?Ilavaitfaimetcelaseulcomptait,dautantquunparfumsucculentrgnaitdanslaboutique.

    Il insista tant que la nourrice finit par sincliner, condition quil taise sa faiblesse. CequAgib,quicraignaitlacolredesongrand-pre,promitvolontiers.

    Rgalez-vous, jeune seigneur, sempressait Hassan en le servant. Ces tartes sont lesmeilleuresquisoient:jentienslarecettedemamre.

    EtAgib de se rgaler, et den redemander, et den redemander encore, car ces tartes, eneffet,taientbienlesmeilleuresquisoient.

    Pendant ce temps-l,Amirntaitpas rest inactif. Il stait renduchez sabelle-sur, laveuvedeSamir,quivivait encore.Aprs streprsent, il lavait, aunomde leurs liensdeparent, invite souper. La pauvre femme, qui pleurait la fois sonmari et son fils, futtellementaisedesedcouvrirunefamilleaimantequelleaccepta.Sibienquelesoir,elleseretrouvalatableduvizirdgypte,encompagniedelpousedecedernieretdeleurfillesanssavoirquecelle-citaitgalementsabelle-filleetlamredesonpetit-fils.

    Petit-filsqui,dailleurs,manquaitlappel.OestdoncAgib?senquitAmirauprsdelanourrice.Celle-cipritunaircontrit.Jelaicouch,seigneur.lheuredurepas?

  • Oui,carilalafivre.Ctait la vrit : Agib avait tant abus des ptisseries dHassan quil souffrait dune

    indigestion.Presse de questions, la nourrice avoua ce qui stait pass. Mais, afin damoindrir sa

    responsabilit, elle assura que lenfant navait mang quune tarte. Amir, de ce fait, jugeaquelledevaittreempoisonne.

    Quelonmamneceptissierpiedsetpoingslis!ordonna-t-il.Cela fut fait.Ayantdevant lui,maissans lesavoir, lhommequil recherchaitdepuis tant

    dannes,levizirlinterrogea: Pourquoi as-tu voulu empoisonner mon petit-fils, misrable ? Rponds ou je te fais

    fouetterjusqucequemortsensuive!Hassansejetasespieds,jurantdevantDieuquilnavaitriensereprocher.Laqualitdestartesnestpasencause,dit-il.Seulelaquantitabsorbeparlenfanta

    provoqucemalaise.Tumens,criaAmir,ilnenamangquune!Ilenamangdouze!Unetelleaffirmationirritalevizir,parcequelleavaitdexcessif.Douzetartes?Temoques-tudemoi,ptissier?Personnenestcapabledabsorberdouze

    tartesdaffile!Lesmiennes,si.Etquont-ellesdoncdesiexceptionnel?CesontlesmeilleurestartesduMoyen-Orient.Levizir,incrdule,enenvoyachercher.Ygota.Compritquelonpouvaitsanspeineenmangerdouze.Etfitporterlerestanttable.Lestroisfemmesentaientjustementaudessert.Des tartesaumiel et leaude rose ! applauditAchaen lesapercevant.Ce sontmes

    ptisseriesprfres.Lesmiennesgalement,ditlaveuve,maisjenaimequecellequejeprparemoi-mme.Celles-cisontdlicieuses,pourtant,nest-cepas,mamre?Eneffet:jenaijamaisrienmangdaussibon. Je vous conseille den prendre ne serait-ce quun morceau, chre belle-sur, ajouta

    Amir.Devant tant dinsistance, la veuve, craignant de vexer ses htes, obtempra, et, ds la

    premirebouche,svanouit.Convaincutoutdebonquelestartestaientempoisonnesmais,combledeperversit,

    uniquementcertainesdentreelles,cequiexpliquaitqueniluinisafemmenisafillenaienttincommods,Amirsapprtaitchtierlecoupablelorsquelaveuverevintelle.

    Nenfaitesrien,cria-t-elle,lmotionseuleestcausedemafaiblesse!Carcestartessontfaitesselonmarecette,etcetterecette,jenelaijamaisrvlequiconque,sauf

  • Ellelanaautourdelleunregardgar.saufmonfilsHassan.cesmots,levizirfutsaisidungrandtrouble.Amenez-moileptissier,dit-ilsesesclaves.UndoublecridejoieaccueillitHassan.Monfils!Monmari!Ainsi,parletruchementdunetarteaumieletleauderose,Allahmit-ilfinauxmalheurs

    dunefamille,quinecessadelenlouer,ainsiquesadescendance,pourlessiclesdessicles.

  • VILEPALAISENGLOUTI

    NOUREDDINSACAR, le marchand de figues, fit un jour une trange dcouverte.Commeilsereposaitsoussonfiguier,deuxheuresaprsleleverdusoleil,unbruitattirasonattention:lonbchaitlechampdct.

    Quoideplusnormalquedebcherunchamp?medirez-vous.Certes,maiscechamp-lntait pas un champ ordinaire. Il appartenait un riche seigneur et, bien que fort fertile,tait,pouruneraisoninexplicable,laisslabandondepuisdenombreusesannes.

    Sonpropritaire laurait-il revendu? sedemandaNoureddinSacar.Et, dans ce cas,nedevrais-jepasallersaluermesnouveauxvoisinspourleursouhaiterlabienvenue?

    Toutensinterrogeant, il sedirigeaitvers lahaiesparant lesdeuxparcelles.Or, cequilaperutpar-dessuscettehaielelaissapantois.

    Deux esclaves se tenaient au milieu du champ. Lun creusait le sol, lautre portait unplateauchargdevictuailles.Lorsqueletroufutassezgrandpourlepassagedunhomme,leporteur de plateau, stant band les yeux, sy introduisit. Au bout dun moment, que lemarchandde figues estima assez long, il ressortit avec son plateau vide. Ensuite, celui quicreusaitrebouchaletrou,ettousdeuxpartirent.

    Surprenanteoccupation, seditNoureddinSacar,quedouvrir le solpouryenfouirdesaliments ! Les chiens font cela, point les gens. Quelle sorte dindividu ai-je donc pourvoisin?

    Maiscommeiltaittempsdercoltersesfiguespourallerlesvendreaumarch,ilremitcesquestionsplustard.

    Le lendemain lammeheure, lemange recommena.Le surlendemaingalement.Etlesjoursdaprs.Sibienqulalongue,NoureddinSacar,quinevivaitplusquedanslattentedecemoment,chafaudantsonproposlessuppositionslesplusfolles,finitpardcider:

    Jenaurailecurnet.Unmatin,donc, aprs ledpartdes esclaves, il alla chercher saproprebche, sautapar-

    dessuslahaieetsemitcreuserlendroitolaterreavaittremue.Bientt,une trappeapparut, avecungros anneau scell en sonmilieu. Il tiradessus.La

    trappesouvrit,rvlantdesmarchesquisenfonaientprofondmentdanslesol.Devantcespectacle,NoureddinSacarneputrprimerunfrisson.Omne cet escalier ? se demandait-il. En enfer ? Sont-ce des dmons qui logent l-

    dessous?Etest-cepour lesnourrirque lesclaveauxyeuxbandsapportechaque jourdesmetsfumants?

    Lacuriosittantchezluiplusfortequelapeur,ilsemitdescendre.Au bas des escaliers se trouvait une porte quil poussa, dcouvrant une vaste pice

    richement dcore quclairaient des flambeaux. Layant traverse, il en trouva une autre,

  • puisunetroisime,etchacunedentreellestaitplussomptueusequelaprcdente.Cedoittrelademeuredequelquefefuyantlaclartdujour,sedit-il.Jaioudireque

    cescraturesontlapeausifinequunrayondesoleilsuffitlabrler.Ellesnesortentqulanuittombe,carlalueurdelalune,enrevanche,rehausseleurteint.

    SiNoureddinSacaravaitpossduneoncedebonsens, ilet immdiatementrebrousschemin, car la malice des fes est chose bien connue. De plus, elles naiment pas tredrangesdansleursoccupationsetsevengentcruellementdesintrus.Mais,nouslavonsvuplushaut, lemarchandde figuestaitcurieux,etplus ilavanaitdans lesjoursouterrain,plussacuriositaugmentait,aupointquiletprfrtrecoupenmorceauxpluttquederenoncerlasatisfaire.

    Ilparvintenfindansunvastepatioolonavaitplanttoutessortesdevgtauxcapablesde survivre sans lumire. Il y avait l des mousses, des lichens, et une telle varit dechampignonsquejamaisNoureddinSacarnavaitmmesouponnquilenexistttant.Aucentredecesparterrescouleurdecrpusculesetrouvaitunefontaine,prsdelaquelletaitassis un jeune homme. En entendant un bruit de pas derrire lui, ce dernier sursauta, seretourna,etplit.

    Partez,cria-t-ilsonvisiteur,oujenedonnepascherdevotrevie!Pasavantquevousmayezditquivoustes,etcequevousfaitesici,rponditNoureddin

    Sacar.Lejeunehommepoussaunprofondsoupir.Jyconsens,laseuleconditionquevousmepromettiezdefuir,sittlercittermin.Lemarchanddefiguessyengagea,tanttaitgrandesahtedepercerlemystredupalais

    englouti.Lefaisantasseoirauprsdelui,lejeunehommecommenasonhistoireencestermes:Jesuislefilsdunpuissantroi.Mesparentsnayantpu,quelqueseffortsquilsfissent,

    concevoir de descendance, mon pre, qui craignait de mourir sans hritier, fit appel unmagicien. Celui-ci ne le dut pas puisque neuf mois plus tard, ma mre me mettait aumonde.Manaissancedonna lieudenombreuses rjouissances.Feuxdartifice,banquets,chants et danses se succdrent la Cour durant sept fois sept lunes. Cest alors que lemalheursabattitsurmoi,car,ladernireheuredeladernirenuit,unesorcire,ennemiejure du magicien, interrompit la fte et, penche sur mon berceau, pronona cettemaldiction:Lejourdesavingtimeanne,cetenfantverrauntroisimeilcloredanssa chair. Or, quiconque regardera cet il mourra. Ainsi lai-je dcid, par les dmons, lesdjinnsetlesespritsmalinsquipeuplentlesabmes.Londevinesansmallechagrindemonpre.Aprsavoirconsulttoutceque leroyaumedOrientcomptaitdesavants,docteursetmagessansquaucunptcontrerceteffroyablesort,ilrsolutdefairebtircepalais.Jyfusemmen le jour demes vingt ans, afin dy demeurer labri des regards jusqu ce que lamortfermtmonilfuneste.

    Mais,interrompitNoureddinSacar,jenelaperoispoint,cetil.Oest-ildonc?Dansmondos.Ilvoussuffitdoncdegardervotrehabitpourquildemeurecach.Pointntaitbesoin

    devousenterrervif!Hlas,cetilexerceunpuissantcharme.Nulnepeutrsisteraudsirdelevoir.Voil

  • pourquoi,ami,jevousconjurepartoutcequejaidepluscheraumondedevousenallerviteetjamais.

    Le jeune prince fut si persuasif queNoureddin Sacar sinclina.Mais la nuit suivante, lesouvenirdupalaisprodigieuxetdesonjeuneoccupantletintveillforttard,sibienquauleverdujour,ilneputsempcherdyretourner.

    Leprince,quoiqueeffraypar saprsence, laccueillit sansdplaisir car il souffraitde lasolitude.Ilscausrentunmomentpuisillerenvoya.

    Lelendemain,NoureddinSacarrevint,chargdefiguesfraches.Puis,lejoursuivant,dungteauprparpar sa femme.Ainsi, chaquematin, sousunprtextequelconque, il rendaitvisiteaureclus.

    Bientt,lhabitudeaidant,ilsperdirenttoutemfiance.Lesortilgenoprepointsurcemarchand,serjouissaitleprince.LeCiel,afindadoucir

    montristedestin,moffrirait-ilensapersonneuncompagnondexil?EtdebnirAllahdesamansutude.NoureddinSacar,poursapart,gotaitfortleluxedusjourprincier. Quai-je faire, se disait-il, demamasure et demon champ ? Pourquoimreinter

    soignermesarbres,coupermesfruits,portermespanierssouslardeurdusoleil?Jesuisbiensotdegagnerlasueurdemonfrontcequelonmoffre,ici,profusion,sansexigerdemoidautreseffortsquuneagrableconversation!

    Ngligeantsesaffaires,ilfinitdoncparpassersesjournesentiresauprsdesonnouvelami,quinesenplaignitpas.

    Or,unsoirquilsavaientbuplusquedecoutume,leprincesendormitavantledpartdeNoureddin Sacar. Ce dernier, dont labus de vin affaiblissait les facults, voulut profiter deloccasionpourvoircetilsisoigneusementcach.

    Imaginons,sedisait-il,quetoutcecinesoitquunefable,inventeparquelqueambitieuxpourcarterleprincedutrne.Simoi,pauvremarchand,jedcouvrelesubterfugeetdjouele complot, onme vouera tant de reconnaissance que jauraimaplace laCour. Peut-tremmedeviendrai-jeministre,quisait?

    Dans cette perspective, il souleva dlicatement le vtement du prince et lui dcouvrit ledos.

    Liltaitl,aubeaumilieu,quilefixait.Lespacedun instant,NoureddinSacarredoutaque,de lapupilledecetil,nesorttun

    rayonmortelquilabatttsurplace,ouuneflchequiletranspert.Maisriendetoutcelaneseproduisit.Lilsecontentaitdeleregarder,sansluimanifesterlamoindrehostilit.Puis,peu peu, il sobscurcit jusqu ressembler leau sombre dun puits, et des images sydessinrent.

    Ces images taient toutes de paix et de douceur. Lemarchandde figues y reconnut unescne quil vivait journellement : lui-mme, causant avec le prince auprs de la fontaine.Commesilil,ayantcaptleurtte--tte,lerestituaitfidlement.

    NoureddinSacar, fascinpar ce spectacleentre tousmerveilleux,nepouvait endtachersesyeux,lorsquundtaillefrappa.

    Jeporte,l-dessus,leturbanneufqueleprincemaoffertaujourdhui.Cequejaperois

  • nesestdoncpasdrouldansunpasslointain,maisilyauneheurepeine.Celaluifutconfirmlorsquilsevit,telquilltaitlinstantmme,examinantledosdu

    prince. Que va-t-il se passer, maintenant ? se demanda-t-il. Le reflet magique ne peut que

    sarrter,puisquilarejointlaminuteprsente.Or le reflet magique ne sarrta pas et, dpassant ce moment, lui montra le futur.

    Noureddin Sacar y vit clairement le prince sveiller, surprendre son indiscrtion puis,furieux,semparerduncouteaupourluitranspercerleflanc.

    Pauvredemoi!scria-t-il,glacdeffroi.Jesuisperdu!Mparunrflexeplusfortquesaraison,ilsaisit lecouteauafindetrancherlagorgeau

    princeavantdtretuparlui.Celui-ci,brusquementarrachausommeil,esquiva la lamede justesse.Comprenantque

    savietaitenjeu,ilbonditsursespieds,pritlesecondcouteauet,commeiltaithabileaumaniementdesarmes,portauncoupmortelsonagresseur.

    Lemarchandexpiraavantdavoireuletempsdexpliquersongeste.Desorteque,jusqula fin de sa longue existence, le prince, dans la solitude du palais englouti, ne cessa de sedemander:

    Pourquoi mon seul ami, bien quaucun dsaccord, jamais, ne nous et diviss, a-t-ilvouluattentermesjours?

    Ilmourutcentanspassssansavoirobtenuderponsesaquestion.

  • VIILEMARI,LAFEMMEETLEPERROQUET

    ILYAVAITJADIS,aupaysduLevant,unmarchanddetissunommGiafar.Tenu,deparsaprofession,effectuerdelongsvoyages,lepauvrehommesouffraitdunejalousiecruelle.Carilpossdaitunefemmesibellequetoutelavillelaluienviait.

    Bienquilnetriendeprcisreprochersonpousequi,ensaprsence,semontraittoujours tendre et empresse, il la souponnait, durant sesdplacements, de recevoirdumonde. Les servantes de la dame, dment interroges, lassuraient de sa fidlit, mais lanaturefmininetant,paressence,dissimulatrice(delopiniondecemarchand,dumoins),ilnentaitpaspourautantrassur.Desortequchacundesesdparts, ilprouvaitunpeuplusdinquitudequauprcdent.

    Unjour,nytenantplus,ilsenfuttrouverunvieuxmagequilsavaitdebonconseil,afindeluiexposersonsouci.

    Jai ce quil vous faut,mon ami ! dclara ce dernier en lui tendant un perroquet auxvivescouleurs.

    Comment ce volatile, stupide entre tous, pourrait-il rsoudre laffaire qui meproccupe?stonnaGiafar.

    Illepeut,rponditlemage,carilestdoudelaparole.Giafarfitremarquerquectaitllepropredecesanimaux.Certes,acquiesalemage,maissessemblablessecontententderpterlesmotsquon

    leurapprend,tandisquecelui-ciparlecommevousetmoi.Hierencore,nousdiscutionstousdeuxdephilosophie

    Etquest-cequunperroquetdiscutantdephilosophiepeutcontre les fourberiesdunefemme?rtorqualemarchand.

    Offrezcetoiseauvotrepouse,afinquil lui tiennecompagniedurantvotreabsence.Elleenseraravieet lattacherasapersonne,desortequilseratmoindetoussesfaitsetgestes.Dslors,ilnevousresteraplus,votreretour,quluidemandercequilauravu.Etsoyez assur quil ne vous cachera rien, car, contrairement aux hommes, les btes nepratiquentpasladuplicit.

    Satisfaitdintroduireunespiondanslaplace,Giafarapportalecadeausonpouse,puissenfut,lecurlger.

    Plusieursmois passrent, et lorsqu il revint, lemarchandneut rien de plus press quedinterrogersonperroquet.Cedernierluicontaque,durantsonvoyage,ladameavaitmengrandevie,etluidcrivitparlemenutoutessesfredaines.

    Fortdecesrvlations,Giafarvoulutchtiersafemme.Maiselledmentitformellementlaccusation,enappelant,pourconfirmersesdires,autmoignagedesesservantes.

  • Leurrponsefutunanime:leperroquetavaitmenti. Nest-ce point outrageant, pour une pouse vertueuse, que dtre condamne sur les

    proposdunanimal?plaidaientlesunes.Enaccordantuntelcrditcetoiseausanscervelle,notrematrefaitpreuvedautantde

    sottisequelui,ajoutaientlesautres.Quelleque ft sa convictionprofonde, lemarchand feignit de se rendre ces raisons. Il

    embrassa sa femme, luidemandapardonet juraque,dsormais, il lui feraitune confianceaveugle.Maisctaitunerusecar, la semainesuivante,devantsabsenterpourvingt-quatreheures,ilrecommandasonperroquet:

    Observeetrends-moicomptedetesobservations. peine sonmari parti, la dame, qui en effet tait demurs lgres, voulut en profiter.

    Mais,afindentrepasdnonceparleperroquet,elleeutrecoursunstratagme.Tandisquellesedivertissait,ellecommanda lunedesesservantesdarroser lacage,uneautredagiterunetleparintermittence,etunetroisimedallumeretdteindredeschandellesintervallesrguliers,afindesimulerunviolentorage.

    Le lendemain, lorsque le marchand senquit de ce qui stait pass, le perroquet luirpondit:

    Ah,monbonmatre,lesclairs,letonnerreetlapluiemonttellementassourdiquejenairienentendu.

    Or Giafar savait, pour avoir log la belle toile, que la nuit avait t clmente. Il enconclutdoncquilavaitaffaireunmenteur,ainsiqueleluiaffirmaitsafemme.Dslors,ilrsolut de la croire sur parole et se dbarrassa de lespion emplum en le ramenant sonpropritaire.

    La dame, ravie de laubaine, put donc continuer impunment ses frasques, dautant quesonmari, suite cette leon, ne la suspecta plus jamais.En consquence, ayant tousdeuxlmeaurepos,ilsvcurentheureuxjusqulafindeleursjours.

  • VIIILHOMME

    QUIMITSAFEMMEDANSUNBOCAL

    ILTAITUNEFOISunpauvrepcheurquiavaitbiendumalnourrirsafamilleavecleproduitdesapche.Combledemalchance,leciellavaitaffligdunefemmesiacaritreque,dumatinausoiretmme,quelquefois,dusoiraumatin,elle luibrisait lesoreillesparsescris,remontrancesetrcriminations.

    Unjouro,lasduneaussicruelleexistence,iljetaitsesfiletsensoupirant,ilpritunpetitpoissondor.Enlevoyantbrillerdanslesoleillevant,lepcheurcrutdabordquectaitunducatetbnitAllahdesabonnefortune.Jugezdesadceptionlorsque,layantramensurlarive, il constata que ce ducat avait la forme dune sardine, et frtillait de la queue et desnageoires.Lors,ilseperditenlamentations:

    Ah, pauvre de moi ! gmissait-il. Que dira ma femme lorsque je lui ramnerai cerogaton,mmepasbontremang?

    Cestalorsquunevoixsuppliantesleva:Rejette-moileau,bravehomme,parpiti!Surpris,lepcheurregardaautourdelui,maisiltaitseulfacelamerimmense.Suis-jeentrainderver?sedemanda-t-il.Voilque jentendsparlersansquilnyait

    personne!Non,tunervespas,repritlavoix.Jesuiscepoissondorquetuascaptur.Ltonnementdupcheurneconnutplusdebornes.Unpoissonquiparle,celanesepeutpas!Cestquejenesuispasunpoissoncommun,maislefilsdugniedesmers.Etsitume

    dlivres,jetaccorderaitroisvux.Bienquedpasspar lesvnements, lepcheurobtempra. Ilprit lepetitpoissonet le

    rejetaleauendclarant:Voicimonpremiervu:jevoudraisnentendreplusjamaiscriermafemme.Quilsoit faitselontavolont.Vaverscesrochersquetuvois l-bas,carte lesalgues

    quilescouvrent,ettuytrouverasunbocaldeverrefinementcisel.Prends-le,donne-letafemme,et lorsquellesoulveralecouvercle,prononcecesparoles:Aboulfaouaris,matredesocans,accoursmonsecours.Aussitt,tafemmedeviendraminuscule.Mets-ladanslebocal,referme-le,ettunentendrasplussescris.

    Surcesmots,lepetitpoissondorplongeadanslesflots.Toutsedroulacommeillavaitdit.Lepcheurrentrachezlui,donnalebocalsafemme,

    etsittquelleleutouvert,cria:

  • Aboulfaouaris,matredesocans,accoursmonsecours.Aussitt,elle futrduite la tailledunesouris.Alors,dungestevif, lepcheursesaisit

    delle,lamitdanslebocaletrefermalecouvercle.Dslors,ilputjouirdunbienheureuxsilence.Etluiqui,dordinaire,avaitledosvot,se

    mitmarcherttehaute.Danslebocalpossurlachemine,ilpouvaitregardersafemmequandbonluisemblait,

    cequinemanquaitpasdagrmentcarelletaitfortjolimenttourne.Ah,luirptait-il,quetumecharmes,ainsi!Pltaucielque,pourlapaixdesmnages,

    toutes lespousesdevinssentpetitescommetoietque leurscris, comme les tiens, fussentinaudibles!LemonderessembleraitauparadisdAllah!

    Cebonheuretpudurerjusqulafindesesjourssisafemme,fatiguedespoumonerenvain,nestaitmisepleurer.

    Elle versa tant de larmes quau bout dune journe, elle eut de leau jusquaux pieds, lelendemain,jusquauxchevilles,etlejourdaprs,jusquauxgenoux.

    Cessedoncdepleureroutuvastenoyer!luidisaitlepcheur,fortinquiet.Mais,toutsonchagrin,ellenelcoutaitpas,desortequeleaumontaitinexorablement.Aprsunesemainedecergime,leniveauatteignitsesaisselles.Alorslepcheurpritpeur

    et voulut ouvrir le bocal afin de le vider. Hlas, quelques efforts quil ft pour soulever lecouvercle,celui-cidemeurascell.

    Or le niveaumontait toujours. Bientt, la petite femme eut de leau jusquau cou, puisjusquaumenton.

    Saisidepanique,lepcheurcourutverslagrveetappelalepoissondor.Cedernierparutaussitt.Queveux-tu,pcheur?Filsdugniedesmers,jevoudraisfairemonsecondvu.Etquelest-il?Quemafemmegrandisse. Quil en soit fait selon ta volont. Retourne chez toi, pose le bocal sur la table et

    prononcecesparoles:Aboulfaouaris,matredesocans,accoursmonsecours.Aussitt,tonsouhaitseraexauc.

    Lepcheursempressadobir,carleau,prsent,recouvraitlabouchedelapetitefemmeetelletaitenpassedexpirer.

    peineeut-il mis la formulemagiquequelle commenagrandir.Sous lapressiondesoncorps,lebocalexplosa.Ellecontinuadecrotrelairlibre,atteignitbienttlatailledunchien,puiscelledunenfant,puiscelledunadulte,etcontinuaencore.

    Arrte-toidonc!luicriaitsonmarieffray.Tuvastecognerauplafond!Bientt, sa tte pera le toit de lamaison tandis que, dans lemme temps, ses paules

    cartaientlesmurs.Etelle,deboutdansdcombres,continuaitdesedvelopper.Lorsquesachevelureseperditdanslesnues,lesortilgepritfin.Ah,mafemme,quelmalheur! luicriaitsonmari, levisagelevvers leciel.Comment

  • vais-jetenourrir,prsentquetuesunegante?Touslespoissonsdelocannesuffirontpasterassasier!Jesuisbienpunidavoireupitidetoi!Quenetai-jelaisseprirdansteslarmes!

    Puni, il le futplusencore lorsquesa femmeouvrit labouche.Carsavoixressemblaitaufracasdutonnerre.Etcomme,durantsonsjourdanslebocal,elleavaitaccumullesgriefssonencontre,ondevineaismentdequelmonceaudereprochesellelabreuva!

    Ensebouchantlesoreilles,linfortunpcheurcourutjusqulagrve.Filsdugniedesmers,appela-t-ilpleinegorge,jevoudraisfairemontroisimevu.Lepetitpoissonapparutaussitt.Etquelestcevu?senquit-il.Que tout redevienne comme avant, car je suis las des sortilges et de leurs funestes

    consquences.Ainsi fut fait. La femme du pcheur retrouva sa taille normale et reprit, comme par le

    pass, ses criailleries.Mais sonmari nen avait cure. Car ces inconvnients lui semblaientbienpeudechosesctdesprilsquilvenaitdefrler.

    Silestunemorale tirerdecettehistoire, lavoici : satisfaisons-nousdenotresortquelquilsoit,carencherchantlemieux,ontrouvesouventlepire.

  • IXLECALIFEETLNE

    AUBORDDELAMERDOMANstendait jadisunpetitcalifatdont lesouveraintaitconnu pour sa btise. Le cas nest pas rare, me direz-vous. Nombre de gouvernants sontaffects de cette tare, et les couronnes ont ceint, depuis que lemonde estmonde, plus decervellescreusesquedespritsrflchis.Mais,combledemalchance,Abou-Solalctait lenomducalife,noncontentdefairepreuvedunegrandestupidit,taitgalementcrueletbelliqueux,opprimantsonpeuple,cherchantnoisesesvoisinsetfaisantplusquederaisonappelauferdesonbourreau.

    Navait-il pas contraint les pcheurs, formant lessentiel de sa population, jeter leursfiletsverslecielafindecapturerlestoilesetdenenrichirsontrsor?Etnavait-ilpaslevunimptsurlerire,leconsidrantcommeunluxe?Nobligeait-ilpassessujetsternuersil avait un rhume, se gratter lorsque sa peau le dmangeait et biller quand il avaitsommeil?Sesgelesregorgeaientdemalheureux,arrtspourstrerebellscontredetelsdits-ousimplementpournavoirpusyconformer.

    UnjourquAbou-Solalprenaitlefraisdanssesjardins,ileutsoif.Or,nonloindelcoulaitunefontaine.Ilsyrenditdonc,etseretrouvaneznezavecunnequiavaiteulammeidequelui.Commelanimalallongeaitlecouverslondepoursedsaltrer,lecalifelinterpellaencestermes:

    carte-toi de l,misrable bourrique !Etne trempepas tonnaseau impurdans cettevasquedontleaumestdestine.

    Hihan!rponditlneavecindiffrence.Silence!Enmaprsence,touttrevivantsetaitetsincline,frontausol.Nonseulementlnenesinclinapas,maisilfitminedeboire,cequidcuplalacolredu

    calife.Pourlapremirefoisdepuisledbutdesonrgne,quelquunluitenaittte!Lattrapant par la queue, Abou-Solal voulut le forcer obir, mais ctait mconnatre

    lenttement de ces btes. Plus il tirait de son ct, plus lne tirait du sien, ce qui ne lesfaisaitniavancernireculercarilstaientdeforcegale.Cepetitjeuetpudurerlongtempssiundjinnfarceurntaitpassparl.Envoyantletableau,ilsesclaffa:

    Jemenvaisdonnerunebonneleoncetimbciledecalife!Sur un geste de sa part, Abou-Solal prit lapparence de lne et lne prit lapparence

    dAbou-Solal. Je vous laisse juger de la stupfaction de ce dernier lorsquil se retrouva quatrepattes,avecunimportuncramponnsonarrire-train!

    Veux-tubienmelcher,gredin!scria-t-ilsansmmeseretournercequisetraduisitparunhi-hansonore.

    Lne,toutsurprisdemarchersurdeuxpiedsetdeporterdebeauxhabits,obitaussitt,sibienquentranparllanleroialladonnerdufrontsurlavasque.

  • Il se relevait, demi assomm, lorsquil aperut son propre reflet dans la fontaine.Convaincu que lne ly avait prcd, il se jeta leau pour lattraper. Le bruit de sonplongeon alerta le jardinier propritaire de lanimal, qui, apercevant la scne de loin, sempritsursonsens.

    Nonseulementmonnepollue la fontaineducalife,sedit-ilaveceffroi,mais il la,desurcrot,claboussenytombant.Untelaffrontnepeut,certes,rester impuni.Abou-Solal,aprsavoirlivrlimpudentaubourreau,nemanquerapasdenousfairesubirlemmesort,moiettoutemafamille!

    Pardon, commandeur des Croyants ! scria-t-il en se jetant aux pieds de celui quilprenaitpourtel.Cebourricotvapayersoncrimedelse-majest,jevousendonnemaparole.Mais,parpiti,nemechtiezpas

    Lne,surprisquesonmatreftgenouxdevantluipluttquesursondos,nepipamot.Tropheureuxdesentirersiboncompte,lejardiniersaisitlecalifeparlecollet,lesortitdeleauet lerossadimportance.LonimaginesanspeinelindignationdAbou-Solal,bastonndelasorteparundomestique!

    Gardes,hurlait-il,arrtezcemaraud,etquon lexcutesur-le-champ!Quon lependepar les pieds, quon le coupe enmorceaux, quon lventre, quon lcartle ! Quil souffremillemortspouravoirosleverlamainsurmoi!

    Mais,enlangagene,cesparolessetraduisaientpardesbraimentsetdesruades,sibienqueplusilcriait,pluslejardinierlerouaitdecoups.

    La correctionneprit fin que lorsque le calife,moulu, rompu et le flanc vif, se rsignaenfinausilence.Lors,toutboitant,humbleetsoumis,ilsuivitsonmatrejusqulcurieolattendaitunmaigrepicotin.

    Entre-temps,laclochedurepasayantretenti,lneregagnalepalaiscarilavaitgrandfaim.Cependant,une fois table, ilbouda lesmetsdlicatspourrclamerdu foin.Bienque forttonn,lecuisiniersempressadesatisfairesesdsirs,sibienquetoutelaCour,cesoir-l,broutademme.Lesministreseneurent la languetouterpe,cequi lesobligeasetairependant huit jours, et leurs dames durent garder la chambre le lendemain, tant ellessouffraientduventre.

    Lorsquevint lanuit, le fauxcalife refusadecoucherdansson lit, exigeantune litiredepailleque la sultane, songranddam,dutpartager.Cequi lui irrita lapeauun telpointque,dslelendemain,ellesenfutdechezellepournyplusrevenir.Lonapprit,parlasuite,quelleavaittrouvrefugeauprsduseigneurdunpaysvoisin,hommesageetcourtoisdontelledevintlafavoriteetquilagratifiadunenombreusedescendance.

    Quantlne,ilnesecomporta,surletrne,nimieuxniplusmalquesonprdcesseur.Lesloisquildictafurenttoutaussistupides,sesdcretsaussidnusdebonsenshormislundentreeux:dsormais,toutmatrequibattraitsonneencourraitlapeinedemort.Cedontlecalifesestima,mafoi,fortsatisfait!

  • XLECOFFREVOLANT

    EN TOUTE UNE VIE DE LABEUR, un marchand de Srat avait accumul de grandesrichesses. Richesses quaprs samort, comme cest souvent le cas, son fils unique,Malek,sempressadedilapideren ftes,banquetsetdivertissements.La tabledece jeunehomme,renommedanstoutlenord-ouestdelInde,taitouvertetous,sansdistinctionderacenidecouleur.Lonypouvaitgoterlesmetslesplusrares, lesvinslesplusfins,yctoyerlesfemmeslesplusbelles,yrencontrerlespersonnageslesplusdivers.

    Or donc, un soir, un tranger en partance pour lle de Serendib y soupa par hasard.Aucours du repas, la conversation roula sur les voyages, dont certains convives vantaientlagrmenttandisquedautresenpeignaientlesdangers.

    Si lon pouvait, conclutMalek avec bonnehumeur, traverser la terre de bout en boutsansrisquerdemauvaisesrencontres,jeleferaissurlheure.

    Ces paroles suscitrent lhilarit gnrale, lexception de ltranger qui dclaragravement:

    Celaestpossible,seigneur,nevousendplaise!Les rires redoublrent, car cette affirmationavait tout lairduneplaisanterie.Ltranger

    ninsistapasmais,aprslerepas,pritsonhtepart.Jevoudraisvousmontrerunobjetdemoninvention,luidit-il.Intrigu,Maleklesuivitdanslecaravansrailoillogeait. Voyez ceci, poursuivit ltranger en dsignant un coffre de bois dune facture assez

    ordinaire.Cesontvosbagages,jesuppose,rponditMalek.Pointdutout:monmoyendetransport.Etdexpliquerquececoffreavaitlepouvoirdevoler,toutenprcisantquecentaitpasl

    leffetdunequelconquemagie,maisdunmcanismedontiltaitlauteur.DevantlincrdulitdeMalek,ltrangerluiproposaunedmonstration.Ilstransportrent

    lecoffredansunchampvoisin.L,loinduregarddescurieux,ltrangerypritplace,actionnaunlevierquisetrouvaitlintrieuretslevadanslesairs.

    JevouslaissejugerdelastupfactiondeMalekdevantceprodige.Ayantexcutunpripledanslecielnocturne,lecoffreatterritsespieds.Mecroyez-vous,prsent?ditltranger.Cettemachinenest-ellepaslemoyenleplus

    srdevoyagersansrisques?Toutenacquiesant,Malekmit ledsirdenfaire lessai,cequi lui futaussittaccord.

    On lui expliqua comment procder pour diriger lappareil, pourvu dun grand nombre deressortsetderouages.Bientt, il senvolasontouretenconutuntelplaisirquune fois

  • revenuausol,ildclara:Vendez-moicettemachine,tranger.Votreprixseralemien.La transaction fut rondementmene. Et, ds le lendemain,Malek, dont cet achat avait

    prcipitlaruine,fitsansregretsonbagagepoursenallerlaventureparlarouteduciel.Autermedunvoldedeuxjoursettroisnuits,durantlequeldserts,montagnesetocans

    staient succd sous ses yeux, il aperut une grande ville blanche o il dcida de faireescale. Il se posadoncdansunbois voisin et, ayant dissimul le coffre sous la vgtation,poursuivitsoncheminpied.

    Commeilignoraitoilsetrouvait,ilsenquit,auprsdupremierpassantquilrencontra:Commentsenommecetteville,monami?Gazna.Etquidemeuredanscepalais,l-bas,quejevoisbrillersouslesoleil? La princesse Schirine, fille du roi Bahaman. Les oracles ayant prdit quelle serait

    sduiteparunhommedebasse condition, sonprea fait difier cemonumentdemarbre,gardnuitetjourpardessoldatsenarmes,pourdjouerlaprophtie.Laprincessedemeuretout en haut de la tour, dans un appartement dont son pre seul possde la cl. Pourlatteindre,lesuborneurtantredoutdevraitpossderdesailesdoiseauousinfiltrersouslesportescommelabrise!

    Nantidecesprcieuxrenseignements,MalekparvintbienttauxportesdeGazna.Ildnadansuneauberge, et sapprtait regagner soncoffrepourpoursuivre sonvoyage lorsquilremarquaunportraitdefemmedevantlequelbrlaientdesciergesparfums.

    Frappparlabeautdesonvisage,ildemandalaubergiste:Quelleestcettepersonne?Unedesselocale? Certes, non, seigneur. Elle est aussi humaine que vous et moi, puisquil sagit de la

    princesseSchirine.Lanuit suivante,Malekneput trouver le sommeil, car le souvenirde ces traits,parfaits

    entretous,lehantait.Silepeintrenapasflattsonmodle,jpouseraicettefemme!dcida-t-il.Et,afindesenassurersurlheure,ilmontadanssoncoffreetlemitenmarche.Gagner la tour par la voie arienne fut pour lui un jeu denfant. Il se posa dans une

    cornicheaunezet labarbedesgardescesderniersayantpourmissiondesurveiller lesabordsdupalais,nonlestoits,puis,lafaveurdelobscurit,pntradanslachambredelaprincesseparlafentreouverte.

    Cequilyvitlblouit.Surun litdebrocart reposaitunecraturemille foisplusbelleque leportraitqui lavait

    tantmu.Enpense, il lacomparauneroseendormiesurunlitdemousseet,tombantgenoux,ilsemparadesamainquilembrassaavectransports.

    Aumouvementquilfit,Schirinesveillaetfutforteffrayedetrouverunhommedanssachambre.Ellevoulutcrier,mais,saisidunebrusqueinspiration,Malekladevana.

    Nayezcrainte,madame,car jesuis leprophteMahomet.LeTrs-Haut,vousprenantenpiti,maenvoyvotresecours.Endevenantmonpouseavantlesuborneurpromispar

  • lesoracles,vousdjouerezlamaldiction.Mais,protestaSchirine,stupfaite,Mahometnest-ilpasunvnrablevieillardbarbe

    blanche?Si fait,mais,nevoulantpasvous imposer latristecompagniedunbarbon, jaiprfr

    revtirlapparencedunjeunehomme.Celavousdplat-il?Unmotdevoussuffitpourqueprennefinlamtamorphose.

    Orlaprincesse,endpitdesasurprise,ntaitpasinsensiblelagrablephysiquedesonvisiteur.

    Gardez-vous-en bien ! scria-t-elle. Et ne voyez, dans mes protestations, quunrespectueuxtonnement.

    Linstant daprs, elle linvitait prendre place et appelait ses suivantes afin quellesapportassentboissonsetconfitureslaugustefianc.

    AprsunenuitpleinedagrmentsencompagniedeSchirinequi,quelsquefussentsescharmesaupremier regard,gagnaitencoretreconnue,Maleksenalla,plusprisquejamais.Ildpensalepeudargentquiluirestaitenachatsdivers,sibienquelanuitsuivante,ilapparutlaprincessepardesomptueuxatours,parfumetcouvertdebijoux.

    Elle lattendait avec impatience, ayant fait prparer, pour le recevoir, un banquet dignedunmonarque.

    Unesemainepassaendlicesdetoutessortes.Chaquenuit,lesdeuxamants,ayantsoupparmileschantsetlesdansesdesesclaves,donnaientlibrecoursleurmutuelattachement.Dans ces instantsdivins, le rossignol se taisait pourour leurs soupirs, et seul lclat de lalunepouvaitsecomparerceluidelaprincesse,transfigureparlebonheur.Auxpremireslueursdelaube,sarrachantauxbrasdesabien-aime,Maleksclipsaitjusquaucrpusculesuivant.

    Vint le jour o le roi, suivi de ses officiers, rendit visite sa fille. Quel ne fut pas sasurpriseenlatrouvantvtuecommeunejeunemarie!

    Quesignifiececi?scria-t-il,saisidunebrusqueinquitude.Celasignifie,rponditSchirine,queleProphteestvotregendre.cesmots,leroiseffondra.Honte surmoi, gmit-il, lamaldiction sest ralise.Rienne sertde lutter contre les

    dcretsduCiel!Mais la princesse fit tant et si bien quelle finit par le convaincre, avant de cder au

    dsespoir,derencontrerlludesoncur.Vousconstaterezparvous-mmesonessencedivine,assura-t-elle.Puissiez-vousdirevrai,mafillesoupiraBahaman.Carsicestlecas,jeferairigerune

    mosque dor pur pour remercier Allah de ses bienfaits. En revanche, si, comme je lesuppose,ilsagitdunimposteur,jeletueraidemapropremain!

    Ilattenditlesoiravecrsignation.Or,parhasard,unorage couvait,qui clataau coucherdu soleil. Sibienque lesombres

    nocturnes saccompagnrent dclairs et de tonnerre. Le roi, troubl, crut voir dans ledchanementdeslmentsuneffetdelacolrecleste.

  • Allahsevenge-t-ildemonincrdulit?sedemanda-t-il.Commepourluidonnerraison,lafoudresabattitsurlepalaislinstantprcisoMalek

    syposait.Cefutdoncdanslefeuducieletlefracasdelenferqueparutlejeunehomme.Bahaman,saisidecrainteetderespect,tombagenouxdevantlui. grand Prophte, scria-t-il, quai-je fait pour mriter lhonneur dtre votre beau-

    pre?Malek, que la prsence du roi avait tout dabord dcontenanc, se rjouit de ses bonnes

    dispositions.CommandeurdesCroyants, rtorqua-t-il en le relevant, sil est, dans tout lOrient, un

    monarquedignedecethonneur,cestbienvous,carvotrepitnadgalequeltenduedevosvertus.prsent,embrassezvotregendre.

    Leroi,perdudereconnaissance,sempressadobir.Cettenuit-l,leslibationsseprolongrentforttard.EtlorsqueBahamanseretira,laissant

    les fiancs en tte tte, rien ni personne aumonde net pu le faire douter de sa bonnefortune.

    Cependant, dans son entourage, tous ntaient pas dupes. Son grand vizir, entre autres,mitdesrservesquantlavracitdecetteaffaire.Ilnaccordait,poursapart,aucuncrditau soi-disantProphte et se fit fort de le dmasquer.Malheureusementpour lui, quelquesheuresplustard,unechutedechevalleterrassait,cequipassa,auxyeuxdetous,pourunepunitiondivine.

    Dslors,pluspersonnenesongeamettreendoutelidentitdeMalek,etlonseprpara,danslaliessegnrale,clbrerlesnocesdelaprincesseetduProphte.

    Des rjouissances dun luxe inou accompagnrent la crmonie. Et lhistoire et pu seterminer ici, si le souverain dun tat voisin navait choisi prcisment ce moment pourenvoyerunambassadeurGaznademanderlamaindelaprincesseSchirine.

    Lorsque cet ambassadeur apprit, de la bouche mme de Bahaman, que sa fille venaitdpouserleProphte,ilcrutquelonsemoquaitdelui.Ilnefutpasleseul:enrponsecequil prenait pour un cuisant affront, le souverain conduit leva aussitt des troupes pourenvahirGazna.

    Bahaman, qui tait pacifique, avait une arme infrieure en nombre et moins bienentrane que son irascible voisin. Se sachant promis une dfaite certaine, il courutimplorerlaidedesongendre.

    Nayezcrainte,lerconfortacelui-ci,leCielsaitreconnatrelessiens.Lanuitsuivante,laissantsonpouseendormie,ilsenfutsurvolerlespositionsennemies

    qui campaient proximit de la ville. Les tentes des gnraux taient aismentreconnaissables au drapeau qui les surmontait. Elles formaient un cercle autour de celle,toutetissedor,ologeaitleroi.

    CettedispositionservaitlesplansdeMalek.Ausommetdunemontagnevoisine,ilemplitson coffrede caillouxpuis,profitantdesombresnocturnes,dversa son chargement sur lepalaisdetoile.Onimaginesanspeine lpouvantedesassaillants,surprisenpleinsommeilparunepluiedepierres!

    Sauvequipeut!criaient-ilsencourantentoussens.NousavonsdfiMahometetilva

  • nousexterminer!Leur terreur fut tellequavantmmedavoir livrbataille, larme se replia endsordre,

    abandonnant sur place un butin considrable. Ds lors, victorieux sans avoir combattu, lepeupledeGaznaneutpasassezdevoixpourclbrersonprotecteur.

    Enivrpar lesmilliersdhommagesquimontaient vers lui,Malek crutbon,parquelquenouveaumiracle,dasseoirsonprestigedj immense.Ayantoudireque,dans leroyaumedeChine,lonembrasaitlecielparunprocdappelfeudartifice,ilsyrenditensecret aprs avoir inform son pouse que le Trs-Haut le rappelait lui pour quelques jours.Puis, ayant acquis les ingrdients ncessaires, il fit annoncer par toute la ville que latreizimenuitdelatreizimelune,lesastresdufirmamentleviendraientsaluer.

    Lon se doute que, cette nuit-l, la population entire eut les yeux levs vers la votecleste.

    Elle ne fut pas due. minuit tapantes, lobscurit semplit dunemyriade dtoiles detoutes les couleursquintaient, en fait,quede lapoixenflamme, lanceparMalekduhaut des nuages. La dmonstration dura prs dune heure, au terme de laquelle leProphte,ayant,commedecoutume,dissimulsoncoffredanslacorniche,regagnasonpalaisauroldegloire.

    Jusqulaube, lesrumeursdelafoulequichantaitses louangescharmrentsesoreilles.Lorsquesoudain

    Cene fut quun cri, tout dabord : Regardez ! Ce cri samplifia, devint semblable augrondementdelamer.Desmainssetendirent.

    Regardez!Regardez!Unegerbedeflam