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CONTES ET RÉCITS DES HÉROS DE LA - La plateforme de

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Contesetlégendesdetouspays

CONTESETRÉCITSDESHÉROSDELAGRÈCEANTIQUE

ParChristianGrenier

IllustrationsdeChristianHeinrichÉditions:NATHAN

ISBN978-2-09-252785-6

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Cesrécitspeuventêtrelusdefaçonindépendanteetdansn’importequelordre.Pourdesraisonsdecontinuitéhistorique,ilssonticiproposéschronologiquement.

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Merciàtoi,cherGilles,quiasrelu,àmademande,cesrécitsavantleurpublicationetyaspiégé…quelquesinvraisemblanceshistoriques!

C.G.

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IHOMÈRE

OULEPOÈTEAUXTROISVISAGES(VERS820AV.J.-C.)

QUANDjedébarquaisurlepetitportdel’îled’Ios,lejeunemarinquiamarraitmonnaviremelança:—Tuasde lachance,voyageur!Homèreestarrivé ici lemoisdernier.Cesoir, ilvanousraconter la

prised’Ilionoupeut-êtrelefabuleuxvoyaged’Ulysse.Profitedetonescalepourl’écouter.Ilestvieuxetfaible.C’estpeut-êtreladernièrefoisquenousentendronssesrécits.—LegrandHomère?dis-jeaumarin.Tuenessûr?—Certain!Lepoètenousasouventfaitl’honneurdesavisite.—Etilseraiticidepuistroisdécades,dis-tu?J’endoutaisfort:Homère,jevenaisdelevoirsixjoursplustôtdansl’îledeChiosoùj’avaislivréduvin

etdel’huile!

Àcetteépoque,j’avaisvingtans.Monpère,unrichenégociantdeCorinthe,m’avaitconfiéuneescadredenavireschargésdedenrées.Je

devaisparcourirtouteslesCycladespouryvendrenosprovisionsetenacheterd’autresaumeilleurprix.Cettemissiondeconfiancenemeplaisaitguère.Depuisl’enfance,monrêveétaitdedeveniraède!—Toi,poète?avaitricanémonpère.Pasquestion!Tuesmonuniquehéritier.Tuserasnégociantettu

gérerasmafortune.Déçuetamer,jeprofitaisdechaqueescalepourallerécouterlesaèdesquichantaientlesexploitsdes

hérosetdesdieux.Cesoir-là,tandisquemonéquipageallaitauportsesaouleretvoirdesfemmeslégères,jerejoignisla

placedumarchéoùsepressaitdéjàunefouleconsidérable.Dansnosîles,lesdistractionssontraresetlarenomméed’Homèreétaitgrande.Ilparcourait laGrècedepuiscinquanteanspourchanterlesexploitsd’Achilleetd’Ulysse.J’étaiscurieuxdel’entendre.Était-celemêmequeceluiquej’avaisvurécemment?Avait-il,commelesdieux,ledond’ubiquité(1)?Dèsqu’ilparut sur scène, je susqu’il s’agissaitd’un imposteur.CeluideChiosétaitmalingre, courbé

commeunebranched’olivier.Cevieillard,lui,étaitd’unetailleimposante.Cependant,lesdeuxhommesavaientdespointscommuns:unebarbeblancheetbouclée,unâgecertain.Etilsétaientaveugles!CesecondHomèrefutconduitparunjeunegarçonaucentredelaplace.Ils’assitetcalasalyreentre

sesgenoux.À présent, un silence respectueux planait sur l’assemblée. Dans la nuit violette qui tombait, on

n’entendaitquelarespirationdupublicetlastridulationentêtéedescigales.Soudain,lesdoigtsdupoèteégrenèrentquelquesnotesavantqu’ilnedéclame,d’unevoixprofondeet

vibrante:—Déesse,chantelacolèred’Achille,filsdePélée,Cettecolèrefunestequicausatantdemalheursaux

Grecs…Unmurmuredesatisfactions’élevaparmilesspectateurs.Commemoi,ilsavaientidentifiéledébutde

l’Iliade!—Filsd’Atrée,etvousGrecsauxbellescnémides,Quelesdieuxquihabitentl’OlympeVousfassentla

grâcededétruirelavilledePriam…Jemelaissaiunenouvellefoisentraînerparcettehistoire.Quelleaventure!Quelleimagination!Quelle

poésie ! Ah, pourquoi n’avais-je pas désobéi àmon père, quitté logis et patrie pour devenir un poèteambulant?Lescigalesnechantaientplus.Lanuitétaittombée.Etmoideplusenplusintrigué.Jemetournaivers

monvoisinpourluichuchoter:— Es-tu sûr que c’est là Homère ? J’ai vu récemment un autre aède qui ne ressemblait pas à… cet

Homère-ci.—C’était un imposteur !me répliqua-t-il.Mèdikès, qui se fait appelerHomère, est natif de cette île

d’Ios.Nosparentsl’ontvugrandir.Samère,quiatoujoursvécuici,estmorteilyadixans.

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J’étais stupéfait. Car à Chios, le premier Homère était entouré de centaines d’auditeurs. Toussemblaientleconnaître.—Mèdikès…murmurai-je.Comme beaucoup, l’aède avait choisi un pseudonyme dont la signification ambiguë tout à coupme

frappa:homère,engrec,signifietoutàlafois«aveugle»et«otage».LesdeuxpoètesquiprétendaientêtreHomèreétaientbienaveugles.Maisdequiauraient-ilspuêtrel’otage?À cet instant, la voix du vieillard faiblit. Bientôt, il chancela et s’interrompit. Le jeune garçon se

précipitapourl’aideràselever.Avantdepartir,leprétenduHomèreeutlaforcedelancer:—Jereviendraidemain.JeraconterailasuitedusiègedeTroie,et…—LamortdePatrocle!proposaunspectateur.—Oui,oui!LamortdePatrocle!lancèrentd’autresvoix.—Soit!admitl’aèdeensouriant.Lesgenssedispersèrent.Certainschantonnaient lespassagesqui lesavaient frappésetqu’ilsavaient

retenus.Aulieuderejoindreleport,jesuivislepoèteetsonguide.Auxfaubourgsdelacité,legarçonlaissason

protégéàlaported’unemaison.Levieillardétaitentré.Personnenel’avaitaccueilli.Ilvivaitdoncseul.Jem’approchaietgrattaiàlaporte.Bientôt,lefauxouvraiHomèrem’ouvrit.—Ehbien,Anaxos,qu’as-tuoublié?dit-ilenmefixantdesonregardéteint.—JenesuispasAnaxos,répondis-jeenlepoussantàl’intérieurdulogisobscur.Déséquilibré,épuisé,ilvacilla;jedusleretenirpourqu’ilnetombepas.Jel’aidaiàs’asseoir.D’unevoix

quigrondaitettremblaitàlafois,ilmedéclara:—Queveux-tu?Del’argent?Jen’enaipas!J’étaispartiàlarecherched’unelampeàhuile.Jefinisparendénicheruneetl’allumai.Lepoèteaveugleserebiffa:—Commentoses-tut’enprendreàmoi?Sais-tubienquijesuis?—Non,justement.Ouplutôtjecroisquetun’espasHomère.Ilsursauta.Avais-jeviséjuste?Levieillardsedéfendit:—Tute trompes,étranger !JesuisMèdikèsd’Ios. Ici, chacunsaitque jesuisHomère.D’oùviens-tu

pourendouter?—Del’îledeChios.Avantdelaquitter,j’aivuetentenduHomère.L’undevousdeuxestunimposteur.

Etjecroisquec’esttoi.Embarrassé,lepoètefronçasesépaissourcils.—JesuisHomère!s’entêta-t-ilàvoixbasse.—Soit.JevaisreveniràChiosetconfondreceluiquisefaitprendrepourtoi!—Non,nefaissurtoutpascela!Saréactionmedésarçonna.—Ahbon?Etpourquoi?QuiestcetautreHomère?Tuleconnais?Sonsilencedevenaitirritant.Jelesaisisaucouetaffirmai:—Situnemedispaslavérité,jet’envoierejoindrelesdieux!Turéglerastescomptesaveceux!Mamenacen’eutpasd’effet.Mèdikèsn’avaitpaspeurdelamort.D’unevoixpaisible,ilmurmura:—Jetesensjeuneetimpétueux.Quet’importe,aprèstout,quejesoisounonlevéritableHomère?…Et

toi,quies-tu?—ÉristhènedeCorinthe,et justementtonplusgrandadmirateur.Moiaussi j’aimeraisêtrepoète!Je

connais des passages de ton Iliade et de tonOdyssée par cœur. Voilà pourquoi plus tard je voudraispouvoiraffirmeràmesenfants:«J’aiconnulevrai,l’immenseHomère.Jel’aivuetentendu!Jemesuisentretenuaveclui…»Maintenant,levieillardsouriait.Ilsaisitmamainetdemanda:—Saurais-tugarderunsecret,Éristhène?—Ohoui!Jetejure,surtouslesdieuxdel’Olympe…—Jetecrois,inutiledejurer.Écoute-moi.Iln’yapasunseulHomère.Noussommestrois.Jerestaimuet.Jem’attendaisàtoutsaufàcela.—Lorsquej’eusdixans,m’expliquaMèdikès,onm’envoyafairemesétudesdansuneîlevoisineoùjefis

la connaissance de deux autres garçons demon âge, aveugles de naissance commemoi : Rékérion etHothonon.Trèsvite,nousdevînmesinséparables.Commetousceuxquisontprivésdelavue,nousavionslemêmegoûtpourlapoésieetlechant.Engrandissant,nousnousracontionstouràtourdeshistoires…Cellesquenosenseignantsnousavaientapprises.Maisaussicertainsrécitstraditionnelsquenosgrands-parentsnousavaienttransmis:l’histoiredelamythiquevilled’Ilion!Souvent,Hothononnousracontaitl’odysséed’unvoyageurperdusurl’océan,dontchaqueescaleétaitl’objetd’aventuresplusextraordinaireslesunesquelesautres.—Veux-tudireque…?—Oui.Nousavonsrelié tousces récits.Nous lesavonsaméliorés,versifiés,misboutàbout.Parfois,

l’und’entrenous imaginait un épisode supplémentaire.Aupoint que, quelques annéesplus tard, nousaurionsétéincapablesdedirequiavaitimaginéquoi.

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Perplexe,jemurmurai:—Jen’auraisjamaissoupçonnécetteimposture-là…—Uneimposture?Jamaisdelavie!Aussicréatifqu’ilsecroie,unauteurinventepeu.Ilestinfluencé

parseslecturesetsesrencontres.Cependant,notrerécitestoriginaletcollectif.—Etuniquementoral?—Bien sûr. Aucun de nous n’a jamais rien écrit ni dicté.Même si, déjà, quelques érudits notent de

mémoirecequenousracontons.—Nous?…Queveux-tudire?Continue!Qu’est-ilarrivé?—Leproblème,c’estquenousavionsuneseuleetmêmehistoireàconter.Etchacundenousétaiten

droitdelarevendiquer!NousavonsalorsdécidédenoussépareretdegagnernotrevieenparcourantlaGrèce, sousunseuletmêmepseudonymecomposédenos troisnoms :Homère.Ducoup,nousétionscondamnésànousressembler.Àraconterlemêmerécittoutaulongdenotrevie.Nousétionsdevenuslesotageslesunsdesautres…—Celuiquej’aivuàChios?…—C’étaitRékérion.Hothononestmortl’andernier.Ehoui,Éristhène,nousnesommesplusquedeux.—Pourquoim’as-turévélécesecret,Mèdikès?Jenet’auraispastué.—Oh,jelesaisbien!Jepréféraistelivrerlavéritécarj’aiunepropositionàtefaire…—Uneproposition?Laquelle?—Vois-tu,jevaisbientôtmourir.Rékérionnetarderapasàmerejoindre.Or,ilfaudraitquel’Iliadeet

l’Odysséenoussurvivent…—Elles survivront !m’exclamai-je, enthousiaste. Tonœuvre… votreœuvre traversera les siècles.On

l’admireraencoredansmilleans!—Àcondition,Éristhène,qu’ellesoittransmise.Apprise.Etcopiée.—Serait-celàlamissionquetuvoudraismeconfier?Déjà,moncœurbattaitdejoieetdefierté.—Oui.Maisilseraitimprudentquetusoisleseulàl’assumer.Nesoispasjaloux,Éristhène.D’autres

t’ontprécédé,ontcommencé…Rékérion,àChios,adéjàrecrutéquelqueshomérides.C’estainsiquenousappelonslesjeunesaèdesquenousjugeonsdignesdenoussuccéder.—Veux-tudire…quenousnousferonspasserpourtoi?Pourvous?—Non,bien sûr.Vous transcrirez et apprendreznos récits.Vous les ferez connaître.Plus vous serez

nombreux,plusgrandiralarenomméedecemystérieuxHomèrequelapostéritéretiendra!Aujourd’hui, je ne suis plus commerçant. Je suis devenupoète. Plus précisément l’undes nombreux

homéridesqui,duPont-EuxinauxColonnesd’Hercule,parcourent lebassinméditerranéen. Jusqu’à lamortdemonpère,j’aipucumulermafonctiond’aèdeetmonmétierdenégociant.Jeparcours les îles.Et le soir, je saisisma lyre.Devantmonpublicébloui, je commenceà réciter les

vingt-huitmille versde cesdeux épopéesqui, j’en suis sûr, deviendront leplus fabuleux récit de toutel’histoiredel’humanité.

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IIMARATHON

OULAVICTOIREENCOURANT(LE13OULE21SEPTEMBRE490AV.J.-C.)

AGILE et rapide, Philippidès escaladait la colline qui dominait la mer. Il se répétait l’objectif de samission:observerlesmouvementsdel’arméeperseetévaluerlenombredesnaviresdesaflotte…

Philippidès avait été choisi par Miltiade, qui commandait l’armée grecque, parce qu’il était l’un desmeilleurshoplites.AuxderniersJeuxolympiques,ilavaitremportélacourseets’étaitbienclassédanslelancerdudisqueetdujavelot.

Parvenuausommetdelacolline,ilrepritsonsouffleetscrutalarade.—LesPerses,murmura-t-il,cœurbattant.Ilssontbienlà!Certainsnaviresennemisavaientaccosté.D’autressemblaientstationneraularge.Ilcomptalesbateaux

etconstata,épouvanté:—Sixcents!Sixcentsnaviresarmés!Chacun d’eux transportait près de cent hommes. Environ cinquante mille combattants ! Un chiffre

dérisoirepourl’Empireperse,maiscolossalfaceauxneufmillehoplitesathéniens.—Biensûr,murmuraPhilippidès,ondoityajouterlesmillesoldatsquelavilledePlatées,notrealliée,

aenvoyés.Etpeut-être lesrenfortsqueSpartenousapromis.Ah,ceux-là,nousenaurionsbienbesoinpouraffronterl’arméeduroidesrois!

Ainsi surnommait-on Darius, le souverain perse. Le jeune hoplite soupira, sûr de périr dans cettebataille.Unemort inutile puisque l’armée persemarcherait aussitôt surAthènes qui se trouvait à 250stades(2)delà.Elleyseraitpeut-êtredemain…

Depuisunsiècle,lesPersesnecessaientd’occuperdenouveauxterritoires:laMésopotamie,laSyrie,laPalestine–etmêmel’Égypte.

—Leurstroupesdébarquent!nota-t-ilenobservantl’arméesurlagrève.EllesvontforcerlepassageetgagnerAthènesparlaterre.

Miltiade,quiavaitprévucettemanœuvre,avaitconcentrésestroupesencontrebasdelacolline,prèsdelapetitecitédeMarathon.C’étaitl’uniqueaccèsversAthènes.

—Nousnetiendronspaslongtemps,bougonnaPhilippidès.Commeils’apprêtaitàredescendre, ilvitquelerestede laflottepersesedirigeaitvers lesudaulieu

d’accoster.Quantauxpremiersnaviresquiavaientdébarquélessoldats,ilsrejoignaientlaflotteaularge!Ilcompritaussitôtlatactiquedesennemis:

—LesPersesn’ontlaissésurlabergequevingtmillesoldats–largementdequoinousvaincre!Lerestedel’armée,restéembarquésurlesnavires,vacontournerlacôteetattaquerAthènes.

Lacitéétaitsansdéfenses:elleavaitenvoyésonarméeici,danslaplainedeMarathon!Lestempesenfeu,lehoplitedescenditlacollineetarrivaenvueducampementgrec.Àboutdesouffle,

ilseprésentadevantMiltiade,lechefdel’armée.—Ehbien,Philippidès?demandalegénéraldesavoixrauque.Miltiade était avare de mots. Grand, massif, doté d’une barbe bouclée, c’était un rude gaillard que

seules,sonaudaceetsesqualitésdemeneurd’hommesavaientfaitplaceràlatêtedel’armée.—VingtmillePersessontlà!annonçalehopliteendésignantlagrèveproche.Maistrentemillesoldats

sontrestéssurlesnavires.IlssedirigentversLePirée,leportd’Athènes.Ilsvontprendrelacitéàrevers!Ilsyarriverontdemainsoirauplustard.

LefrontdeMiltiadeseplissa.Devait-ilordonneràseshommesd’abandonnerlaplaineauxPerses?DerejoindreauplusviteAthènespouraffronterleurflotte?Imprudent:leharnachementdeshoplitesétaitlourd;etaprèscetrajetdequarantekilomètres,sessoldats,épuisés,seraientdeplusprisentenailleparlesvingtmillePersesquidébarquaientnonloind’icietseraientàleurpoursuite…

Non,ilnefallaitpastomberdanscepiège.—Lesrenfortssont-ilsarrivés?demandaPhilippidès.—LesSpartiates?Inutiledecomptersureux,grommela legénéral. Ilsnousont faitsavoirque leurs

fêtesreligieusesleurinterdisentdesebattre!Ilsdoiventattendrelapleinelune.Touslesprétextesleursontbonspouréchapperaucombat.Non,monbravePhilippidès,nousnepouvonshélascompterquesur

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nous-mêmes!Miltiadeseretournapourcouverduregardseshoplitesquiseharnachaientpourlabataille.Ilposasa

mainsurl’épauledePhilippidès.—VingtmillePersesontdébarqué,dis-tu?Trèsbien.Neperdonspasuninstant.C’estnousquiallons

prendrel’offensive.—Quedis-tu?rétorquaCallimachos,l’undeschefsdel’armée.— Préfères-tu que nous les attendions ici pour nous faire massacrer ? Ils sont sans méfiance, ils se

croient les plus forts. L’effet de surprise sera total. Nous allons attaquer de front et impressionnerl’ennemi!Il fautquelesailesdenotrearméesoientpourvuesdesmeilleurshommes.Jeneveuxqu’unpetitdétachementaucentre.

—Ilnetiendrapaslongtemps!réfutal’undeslieutenants.—Justement.Ilreculera,entraînantlesPersesdanslaplainedeMarathon.Là,nouslesprendronsen

tenaille.Leslieutenantsseséparèrentpourrelayercesdirectivesàleursunités.Philippidèsregagnasonposteet

aperçutGynon.Cetesclave,qu’onvenaitd’affranchirpourl’enrôler,lepressadequestions.—D’accord,jeteracontetout.Maisaide-moiàm’habiller!Poureffectuersamissiondereconnaissance,iln’avaitgardéaucunvêtement.Latenuedehopliteétait

unvéritableharnachement.Philippidèsrangeasonglaive,ajustasesjambièresdebronzeetsacuirasse.Aumomentoùilposaitsoncasquesursatête,l’ordrederassemblementfutdonné.Iln’eutqueletempsdesaisirsalonguelanced’unemainetdel’autresonbouclier.

Enquelques instants, lesdixmille fantassins furentdéployés sur laplaine.Philippidèsétait sur l’ailegauche.Letempsétaitbeauetchaud,lesoleilculminaitauzénith.Auloin,àhuitstadesdelà,lesnaviresperseseffectuaienttoujoursdesva-et-vientdanslarade,débarquantcharsetchevaux.

Miltiadelançaunsignalqueseslieutenantsrépercutèrent:—Àl’attaque!Aupasdecourse!—Aupasdecourse?s’étonnèrentleshoplites.Ilestfou!Ilss’élancèrentpourtant,essayantdeménagerleursforces.Cinqminutesplustard,ilsétaientfaceaux

Perses!Ceux-ci,abasourdispartantderapiditéetd’audace,furentprisdecourt.Ilsétaientloind’imaginerque

lesGrecs, plus faibles en nombre, prendraient l’offensive ! Acharnés, les hoplites du centre de l’arméeathéniennefirentmêmedegrosravages.Maisbientôt,lesBarbaress’organisèrent.Desarchersorientaux,le genouà terre, envoyèrentdes voléesde flèches vers lesAthéniens…y compris vers ceuxqui, sur lesailes,entamaientleurapproche.L’uned’ellesvintsebrisersurlacuirassedePhilippidès.

Desalance,ilaffrontaunSace–unbergernomadepeurompuaumaniementdesarmes.Aprèsl’avoirtué, il constata que Miltiade avait vu juste : les Perses se laissaient prendre en tenaille par les deuxphalangesgrecquesdéployées!

LepiègeserefermasurlesBarbares.Lesarchersdurentserésigneràuncorpsàcorpsauquelilsétaientmalpréparés.

LesAthéniens,aucontraire,yétaienttrèsentraînés.Certes,deshoplitestombaient.Maisjamaisavantd’avoircausédelourdsdommagesàl’ennemi.LesPersescomprirentqu’ilsperdaientbeaucoupd’hommesetqu’ilsnereprendraientjamaisl’avantage!

Leurschefsclamèrentbientôtl’ordredebattreenretraite.—Pourchassons-les!hurlaitMiltiade.Philippidèsobéit;glaivebrandi,ilsejetaàlapoursuitedessoldatsquidétalaientverslagrève.Là,en

débandade, les Perses survivants essayaient de rejoindre leurs embarcations. Déchaînés, des hoplitesréussissaientàmonteràbordpourcombattreencore–etcertainsserendaientparfoismaîtresdunavire!

L’après-midi n’était pas achevé quand les Perses rescapés reprirent la mer. Ils abandonnaient septvaisseauxauxAthéniens.

Philippidès s’accorda un instant de répit. Il jeta un coup d’œil autour de lui. Le sol était jonché desoldats,pourlaplupartennemis.Beaucoupdeblesséshurlaient,suppliantqu’onlessoigneouqu’onlesachève.Gynon,commePhilippidès,étaitindemne.Lespertesathéniennes,quisemontaientà192morts,étaientmineuresàcôtédecellesdesPerses:ondénombraprèsde6400cadavres!

—Dariusauradumalàseremettred’unetellehumiliation!criaMiltiade.Àprésent, il fautprévenirAthènesdenotrevictoire.

—C’estvrai,s’exclamaPhilippidès.Lesnavirespersesvontprendrelavilleparsurprise!—Oh,aprèscetteraclée,jecroisquelesBarbaresneserisquerontplusàattaquer!estimaMiltiadeen

hochantlatête.Il eut un regard de commisération pour ses hommes tombés au combat. Leurs cadavres avaient été

rassemblésaupieddelacolline.Ildéclaraauxhoplitesalignés:—Nousdevonsànosmortsunesépulture(3)décente.Maisilfaudraitquel’undevousgagnelacitéau

plusvite.Qu’ilrassurelesAthéniens,lesavertissedenotrevictoire.

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À ces paroles, et malgré leur fatigue, les hoplites levèrent les yeux dans l’espoir d’être désignés. LeregarddugénéraltombasurPhilippidès.Dansungrandrire,ils’exclama:

—Nulmieuxquetoi,Philippidès,n’estcapableetdigned’êtrenotreémissaire.Neperdspasuninstant.Va!

LejeuneAthéniensentitsoncœurbondirdefierté.Déjà,Gynonl’aidaitàenleversonéquipement.Enpeudetemps,ilseretrouvapresquenu.

—Penses-tuatteindreAthènesavantlanuit?—J’yseraiavantcesoir!Ici,nuln’estplusrapidequemoi!GynonpuisMiltiadeenpersonneluidonnèrentl’accolade.Sescamaradesluifirentuneovation.EtPhilippidèss’élança!Réfrénantsonenviedefonceraupasdecourse, ilmenauntrainrapideetrégulier.Trèsvite, il laissa

derrièreluilaplainedeMarathon;ilcouraitmaintenantsurunsolsecetpierreux,sefrayaituncheminentre des buissons d’épineux, empruntait parfois un sentier – mais le plus souvent il coupait au pluscourt,leregardaccrochéausoleilquidéclinait.

Ilralentitl’allurequandilsentitlamenaced’unpointdecôté;sanss’arrêter,ilmesurasonsouffleetputbientôtreprendreuntrainencoreplusappuyé.Lajoiedecettevictoirerapideetinespéréeluidonnaitdes ailes. Il ne prenait pas garde à la sueur que le vent de sa course évaporait, à ses tempes quibourdonnaient,àsesmusclesdouloureuxquisecontractaient,àl’oppressiondeplusenplustenacequiluicomprimaitlapoitrine…

Ilcourait.Il courait d’une foulée nerveuse et souple, volontaire et mécanique, porté par l’euphorie du récent

succès.Enfin,ilaperçut,àsadroite,lemontLycabette;ilsutqu’ilétaitautermedesamission.Quandilparvintauxmursfortifiésd’Athènes,lesoleilsecouchait.Sansdiminuerdevitesse,iladressa

unsigneamicalauxgardiens,franchitlaportedelacitéets’élançadanslesrues.Lespassantss’arrêtaientpourvoirpassercetathlèteauvisageradieux.Philippidèsvenaitdetraverserlaplacedumarchéquandunedouleurviolenteleterrassa.Ils’effondra.Onseprécipitaverslui.Ilsuffoquait.Samâchoireétaitcrispée,sesmembresraides.Illui

semblaitquetoutlehautdesoncorpsétaitprisonnierd’unétau.Danslafoule,unevoixs’éleva:—C’estPhilippidès…l’undeshoplitespartiscombattrelesPerses!—Jeviens…deMarathon,murmura lecoureuravecdifficulté.Noussommesvictorieux.LesPerses…

sontendéroute!—Ah,Philippidès,s’écrièrentlesAthéniensquil’entouraient,quelsoulagementtunousapportes!—J’aifait…leplusvitequej’aipu!Lajubilationdescitoyensétaitsifortequ’uneimmenseacclamations’éleva.Uneclameurquelehéros

deMarathonentenditavantderendresonderniersouffle.Caraprèsl’ultimeeffortqueluiavaientcoûtésesparoles…ilexpira.

Aujourd’hui,Marathonrestedanstouteslesmémoires.D’abordgrâceàlacourseolympiquerappelantcetexploit;etensuitegrâceautumulusqu’onpeutvoirdanslaplainedumêmenom…Làsontensevelieslescentquatre-vingt-douzevictimesgrecquesdecettebataille.

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IIILÉONIDAS

OULEVAINQUEURDESTHERMOPYLES(AOÛT480AV.J.-C.)

—Lasituationestgrave!déclaraThémistocle.Lesmembresdel’Assemblée,attentifs,approuvèrentleurdirigeantquipoursuivit:— Voilà cinq ans que notre ennemi Darius, le roi des rois, est mort. Cinq ans que son fils, Xerxès,

ruminesarancœurcontrelaGrèce.HumiliésparladéfaitequenousleuravonsinfligéeàMarathon,lesPersesveulentsevenger!Ilsapprochentd’Athènes…

—Aussi,c’estnotrefaute!lançal’undesstratèges.Rappelle-toi:quandDarius,ilyaquelquesannées,nousaenvoyédeuxémissairespournousdemanderdeluidonnerunpeudeterreetd’eauenguisedesoumission,qu’avons-nousfait?

—Nouslesavonsmisàmort,admitThémistocleensoupirant.—Nousaurionsdûnégocier !L’Empirepersenousdigère, il est cent foisplusgrandquenotrepays.

Commentrésisteràcetenvahisseur?Noscitéssonttropdivisées…—Ellesnelesontplus!tranchaquelqu’und’unevoixforte.C’était Léonidas, le roi de Sparte. Ce souverain avait la beauté d’un dieu. Impressionnée par tant

d’assurance,l’Assembléesetut.—Nosdeuxcités,AthènesetSparte,ontététroplongtempsrivales!Allions-nousaujourd’huicontrecet

ennemicommun.—Ilesttemps(4),soupiraThémistocle.MaisvoiciArthiasetBulos…L’Assembléefutstupéfaite:voilàunan,cesespionss’étaientfaitenrôlerdansl’arméeperse.Commeles

deuxhommesn’étaientpasrevenus,onlesavaitcrustuésouperdus.ArthiasetBulossemblaientpenauds.Sarcastique,Thémistoclejeta:—Ilssesontfaitcapturer,évidemment!—Ungénéralnousasurpriscommenousparlionsgrec,avouaBulos.—Et…ilnevousapasmisàmort?s’étonnaunstratège.— Non, expliqua Thémistocle d’un air sombre. Xerxès préférait qu’ils viennent rendre compte de ce

qu’ilsavaientvu.Raconte,Arthias!— L’armée perse est gigantesque ! avoua l’espion. Nous l’avons constaté de nos propres yeux. Deux

millionsd’hommes!Peut-êtretrois.Dansl’hémicycle,uncrid’effroijaillit.Ici,oncroyaitl’arméepersefortedecinqcentmillehommes.Ce

quiétaitdéjàeffrayant.—Lesgénérauxennemisparlentexactementde2641000soldats,précisaBulos.IlyalàdesAfghans,

des Indiens, des Scythes, desAssyriens…Sansparler de la cavalerie, des chars et des éléphants !À cechiffre, il faut ajouter autant d’ingénieurs, d’esclaves et de marchands qui suivent l’armée. Une villeinvestieestruinéelelendemain.Quandl’arméesedésaltère,elleassècheunerivière!

—Ilsmentent!accusaunstratège.VoilàpourquoiXerxèsleurafaitgrâce:pourqu’ilsnousdébitentcessornettes!

— Non, rétorqua Léonidas. Xerxès espère que ces révélations nous impressionneront et que nouscapituleronssanscombattre.

—Commentune tellearméea-t-ellepu franchir l’Hellespont?s’étonnaunautrestratège.Cebrasdemerestsilarge!

—Grâceàunpontdebateauxfaitdesixcentsoixante-quatorzenavires!réponditBulos.Onfouettaitlesanimaux,apeurés,pourqu’ilsavancententredespalissadesdebois.

—Despalissades?répétaLéonidas.—Oui.LesPerses lesontédifiéesà l’aideduboisdes forêtsvoisines,ajoutaArthias.Ensept jourset

septnuits,l’arméeafranchil’Hellespontàpiedsec.—Pendantce temps,poursuivitBulos, la flotte longeait la côte.LesPersesontmêmedécidéde faire

emprunterunraccourciàleursnavires:ilsontcreuséuncanaldedeuxkilomètresprèsdumontAthos!Cesrévélationslaissaientl’Assembléemuette.—LaPersepossèdedoncuneflottesiimportante?demanda-t-onenfin.

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—Milledeuxcentsvaisseaux, révélaArthias.Tousarméspar lesPhéniciensqui, commechacunsait,sontlesmaîtresdelamer.Xerxèsprogresselentement,impitoyablement.SonarméeaenvahietpillélaThraceetlaMacédoine.Aujourd’hui,ellesetrouvetoutprèsd’ici,enThessalie.

—DoncAthènesestperdue!lancèrentlesstratègesd’uneseulevoix.—Pasencore!rétorquaLéonidas.Devantl’Assembléeenétatdechoc,leroideSparteaffirma:— La montagne du Péloponnèse nous protège. Elle forme un rempart difficile à franchir pour des

millionsdesoldats.—IlspasserontparlesThermopyles!déclaraThémistocle.Cettelonguevalléeétroiteestlaseuleentrée

possible.—Exact!réponditLéonidas.Cequ’ilsignorent,c’estquecegoulet,àsasortie,nepossèdequelalargeur

d’unchemin.Deuxcharsn’yavanceraientpasdefront.C’estlàquenousattendronslesPerses!—Nousnedisposonsquedequatre-vingtmillehoplites,grommelaThémistocle.—C’estdérisoire,faceàtroismillionsdesoldatsperses!lançaquelqu’unsurlesgradins.— Oui, admit Léonidas. Seulement le défilé des Thermopyles est si exigu que les Perses devront y

pénétrerenfileétroite.Seulunpetitnombred’entreeuxseraenmesuredenousaffronter.—Certes.Maisnossoldatsfinirontparfaibliretcéder!soupiraThémistocle.Etpuisnousoublionsleur

énormeflotte…—Sinoussommesvaillantsetdéterminés,insistaleroideSparte,nousimpressionneronslesPerses!

IlssesouviennentdeMarathon.Ilshésiteront,reculeront…et–quisait?–renonceront!Le plan était audacieux. Comme personne n’envisageait de capituler sans combattre, Thémistocle,

solennel,déclara:—JeproposederemettrenotresortentrelesmainsduroideSparte.Confions-luinotrearmée.L’unde

vousyserait-ilopposé?Onvota;etLéonidasl’emporta.

Lelendemain,dèsl’aube,l’arméeathéniennesemitenmarche.ElleatteignitlesThermopylesquelquesjoursplustard.Dehautesfalaisesrocheusesfaisaientdeceboyauunegorgeétroiteetsinistre.

À présent, le jeune roi était inquiet. S’il avait proposé cette action de bravoure, c’était surtout pourreleverl’honneurdeSpartequiavaitrefusédecombattreàMarathon.

Ilrépartitseshommesavecsoin,dispersadesguetteurssurleshauteurset,pourconnaîtrelespositionsennemies,dépêchaquelqueséclaireurs.

Ilsrevinrentlesoirmême:—L’avant-gardedel’arméeapproche.Elleseralàdemain!—ArthiasetBulosn’ontpasmenti:c’estunemaréehumaine…dessoldats,dessoldats,aussiloinque

porteleregard!Léonidasdécidadeprendreunpeuderepos.Aumilieudelanuit,lechefdesagardepersonnelleletiradusommeil.Ilbondit,leglaiveàlamain.—L’arméeperse,déjà?—Non.C’estbienpire,Léonidas:nousavonsététrahis!—Trahis?Queveux-tudire?—Hiersoir,expliqualelieutenantendésignantlafalaise,unbergeraaperçunotrearméesedéployer

dansledéfilé.Ilaabandonnésesmoutonsetarejointsacité,Trachis.Seshabitantssontpassésdanslecampennemi. Ils sontsi sûrsde lavictoiredesPersesqu’ils lesontavertisdenotrepiège. Ilsespèrentainsiobtenirleurclémence.

—Descollaborateurs…lesmisérables!grondaLéonidas.Ilsedemandaits’ildevaitabandonnercepostestratégique.—Envoiedesguetteursobserverlesmouvementsdeleurarmée!Lesoleilseleva.Impatientsdesebattre,leshoplitesattendaient.Envain.C’estseulementlesoirqueles

guetteursréapparurent:—C’estunecatastrophe!LesPersesontdiviséleursforces!—Ehoui,Léonidas:àl’heurequ’ilest,leurflottelongelacôte.C’étaitcequ’ilredoutait:Athènesallaitêtrepriseàrevers!—Soit.Replionsnoshoplitesverslacitéafinqu’ilsladéfendent,décidaLéonidas.—Hélas,environcentmillehommessedirigentversledéfilé,révélal’undesguetteurs.Ilsseronticià

l’aube.Auplustardàmidi.Lejeuneroiadmiraitlatactiquedel’ennemi.SilesGrecsabandonnaientlesThermopyles,lesPersesqui

emprunteraientledéfiléparviendraientàAthènesencoreplusvite!—Nousdevonsdoncdivisernosforces,nousaussi,décida-t-il.—Pourdéfendredeuxlieuxàlafois?Noussommesdéjàsifaiblesennombre!—C’estsurtoutàAthènesquenotrearméedoitfairefront!Pourdéfendrel’accèsàcedéfilé,ilmefaut…

troiscentshommes.

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Autourdujeuneroi,lesilences’étaitfait.Gravement,ilreprit:—Ilsserontmassacrés.Mais ilspourront infligerauxPersesde lourdespertes.Retarder leuravance.

DonnerànotrearméeletempsderejoindreAthènespourqu’ellepuisseladéfendre.

Danslanuitnaissante,leshoplitesseregroupaientautourduroideSparte.D’unevoixforte,ildécréta:—Partezdèsmaintenant.ExigezquelesAthéniensquittentlacité.IlfautquelesPersestrouventune

villemorte!Jeneveuxiciquetroiscentshommesprêtsàdonnerleurvie…Àcesmots,touslessoldatsspartiatess’avancèrent.Tous.Ilsétaientdesmilliers.Parmieux,lesjeunessemblaientlesplusdéterminés;certainsn’avaientqu’un

duvetauxlèvres.Léonidassentitleslarmesluimonterauxyeux.— Je ne veux que des hommes mariés qui ont au moins un garçon dans leur foyer ! Sparte doit

survivre…Les volontaires étaient encore des centaines. Léonidas les choisit avec soin.Quand il en écartait un,

celui-cibaissait la tête,humilié.L’arméeayantquitté les lieux,nerestèrent,danscedéfilésinistre,quetroiscentsvaillantsSpartiates…etleurchef.

Commeprévu,à l’aube, lesPersesapparurentauboutdudéfilé,progressanten file indiennedans lagorge étroite. Le roi de Sparte et ses trois cents hoplites les combattirent avec fougue, méthode etdétermination.

Pendantlespremièresheuresdumatin,iln’yeutaucunevictimeducôtégrec:disciplinés,formésaucorpsàcorps,lesSpartiatespourfendaientrapidementleursennemis.LesPersesquiavançaientdanslesThermopylesdurentbientôtescaladerdescentainesdecadavres!

Côté perse, les pertes s’élevaient à plusieurs milliers mais les premiers Spartiates commencèrent às’effondrer.Car lesBarbaresne laissaientaucunreposauxGrecs ;épuisésparcecombatsansrépit, ilsdevaient faire face à un adversaire frais et dispos. Léonidas allait de l’un à l’autre de ses hommes, lesencourageaitdelavoix,venaitausecoursdeceuxquiluiparaissaientendifficulté.

Sa stature et sa vaillance forçaient l’admiration de ses ennemis. Ils se demandaient si ce colosseinvinciblen’étaitpasHéraklèsressuscité.

Aveclanuitquitombait,LéonidasespéraquelesPersesferaientunepause.Maisellefutbienlongueàarriver…

Le combat cessa quanddesnuages voilèrent la lune et le ciel étoilé.Desmourants gémissaient dansl’obscurité, souvent dans une langue inconnue. Léonidas, blessé à la jambe, tenta d’arrêter le sang quicoulait.Ilprialesdieuxdelelaisserassezvaillantpourqu’ilpuissereprendrelabatailleàl’aube…

Etils’assoupit.Auxpremièreslueursdujour,ilfutréveilléensursautpardescris:lesarcherspersesavaientprofitéde

lanuitpourgagnerleshauteurs.IlsdécochaientleursflèchessurlesSpartiatesendormis!Lecombatreprit.Léonidascomptaseshommes.Iln’enrestaitplusqu’unecentaine.Commelaveille,seshoplitessedéfendirentd’abordavecuneénergiefarouche.Mais,lafatigueaidant,

ilstombèrentlesunsaprèslesautres.Pourlapremièrefois,Léonidasdutbattreenretraite.Il gravit la falaiseet se retournapour l’affrontement final.Là, il sutquec’était la fin :dans ledéfilé,

piétinantdesmilliersdecadavresamoncelés, l’arméeperses’étiraitàpertedevue…Maissurtout, ilnerestaitplusqu’unequinzainedeSpartiatesàleurfaireface.Afindelesencourager,Léonidashurla:

—Pourlaliberté,pourlaGrèce…etpourSparte!Aumêmeinstant,uneflèchel’atteignitenpleincœur.Ilétaitmidi.

Les Perses ne franchirent les Thermopyles qu’après avoir enterré et compté leurs victimes. Ils endénombrèrentvingtmille…

Si la bataille des Thermopyles fut une défaite grecque, le sacrifice de Léonidas et de ses SpartiatespermitauxAthéniensdefuiretdeseressaisir.Repliéenonloind’Athènes,àSalamine,l’arméegrecqueutilisasaflottepourmettrelesPersesendéroutele29septembre.Etc’estl’annéesuivante,en479avantJésus-Christ,àPlatées,queXerxèss’avouadéfinitivementvaincu.

PourrendrehommageauxtroiscentshoplitestombésauxThermopyles,unmonumentfutérigéàleurmémoire.Onylisait,gravédanslemarbre:

ÉTRANGER,VADIREÀSPARTE

QUENOUSSOMMESTOMBÉSICI

POUROBÉIRÀSESLOIS.

En réalité,parmi leshommesdeLéonidas,deuxn’avaientpaspéri ;blessés, ils s’étaient simplement

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évanouis.LepremiermourutglorieusementàlabatailledePlatées.Honteuxd’avoirsurvécu,lesecondsependit.

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IVANAXAGORE

OULAPIERREDUPHILOSOPHE(VERS466AV.J.-C.)

DANSlecrépusculenaissant,untraitdefeutraversaleciel.AnaxagorecriaaupetitSocrate:—Vite!Regarde…Troissecondesplustard,ungrondementébranlaitlesol.Ébahiparceprodige,l’enfantlenichadanssa

mémoire.—Maître,qu’est-cequec’était?demanda-t-il.—Euh…pourquoipasunéclairetletonnerre?—Unoragesansnuage?C’estimpossible.Satisfait,Anaxagoreapprouva.Malgrésonjeuneâge,Socratefaisaitpreuved’uneintelligenceaiguëet

d’unecuriositéinsatiable.L’enseignantneregrettaitpasdel’avoiremmenéquelquetempsloind’Athènes,danscettenaturepropreàéveillersonesprit.—Maître,quelleestcettefuméequis’élèveàl’endroitoùl’étrangefoudreesttombée?—Jel’ignore.Viens,Socrate.Rentrons,lesoirtombe.LephilosopheentraînasonélèveverslavilledeLampsaque.Ilypossédaitunepropriétéoùilaimaitse

retirerl’été.Ilsarrivaientàdestinationquandunserviteurcourutau-devantd’eux,excitéetessoufflé.—Maître!s’écria-t-il.LesdieuxsesontmanifestésprèsdufleuveAigosPotamos!Onyavulaterrese

soulever.Lesolfumeencore…—C’estdonclàquelephénomènes’estproduit,ditAnaxagore.Ilexaminaleciel,trèsdégagé,etnotalaprésencedelalune.—Socrate!fit-ilsoudain.Cefleuven’estpassiloin.Sinouspartonsmaintenant…—Ohoui,allons-y!réponditl’enfant,lesyeuxbrillants.Ilssemirentenrouteaussitôt.Lanuittombait.—Pensez-vousquecesoitlàunsignedeZeus?demandaSocrate.—Non.Tusaisbienquecen’étaitpasunéclair(5).—Celaressemblaitplutôtà…uneflècheenflammée,n’est-cepas?Cettecomparaisonluisemblapertinente:uneflèchenéeducieletpiquantdroitverslesol!Tandis qu’ils cheminaient, les étoiles s’allumaient. C’était une soirée paisible, banale. Pourtant,

Anaxagoredevinaquecettepromenadeétaitunmomentexceptionneldanssonexistence.Lorsqu’ils parvinrent en vue du cours d’eau, ils aperçurent sous la lune, près du fleuve, un énorme

cratère qui fumait légèrement. Son diamètre dépassait trois stades. Là stationnaient de nombreuxbadauds,hésitantentreeffroietcuriosité.Danslafoule,desvoixs’élevèrent:—VoilàAnaxagore!—Ah,Maître,expliquez-nouscesignedesdieux!—Nedirait-onpasquemillecharruesviennentderetournerlaterre?—N’est-cepaslepieddeZeuslui-mêmequis’estposéici?Laterre,aprèss’êtresoulevée,s’étaitfigéeenunevastedunecirculaire.Anaxagorel’escalada,descendit

verslecentreducratère.Ilsoupçonnaitqu’avaiteulieuiciunévénementextraordinaire–maislemettresurlecomptelesdieuxétaittropfacile.Ici,lesolfumaitencoreetbrûlaitlaplantedespieds…—Rentrezchezvous!jeta-t-ilauxcurieux.Iln’arriveraplusrien.Àregret,lesbadaudss’éloignèrent.—Ils’agitd’unphénomènenaturel,ditlephilosopheàmi-voix.—Lequel?demandaSocratequi,dupied,soulevaitquelquescailloux.—Àmonavis,unobjetesttombéduciel.L’enfantrestaunlongmomentbouchebée.Puisildemanda:—LegéantAtlas,quisoutientnotreTerre,aurait-iljetécetobjet?—Jenecroispasà l’existencede cegéant,Socrate.Nià la théoried’Anaximandre. Ilprétendque la

Terreestunastreplatisolédansl’univers.Maismoi,jepense,commelesupposaitPythagore,quenotreTerreestsphérique.Qu’elleneressemblepasàundisquemaisàuneballe.

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—Et…surquoireposeraitcetteballe?Anaxagoregrimaça;iln’avaitpasderéponseàcettequestion.—Anaximandre,repritSocrate,affirmeaussiquelesétoilessontdestrousdanslatoileduciel!Etvous,

Maître,quecroyez-vous?— Qu’elles sont, comme notre Soleil, des astres qui brûlent d’un feu réel et produisent leur propre

lumière…LejeuneSocrateétaitstupéfait.Cesthéoriesétaiententotalecontradictionaveccequel’onsavait–ou

croyaitsavoir–duciel.—Anaximandre,ajoutal’enfant,assurequelaLuneetleSoleilsetrouventplusloinquelesétoiles!—Ehbienmoi,Socrate, jesuissûrque laLuneestplusprochede laTerreque leSoleiletdoncplus

petitequelui.Quantauxétoiles,vuleurfaibleclarté,ellesdoiventêtreàdesdistancesénormes.Aprèsuntempsdesilence,Socrate,incrédule,désignalesol:—Alors…unepetiteétoileseraitarrivéejusqu’ànous?Socrate s’accroupit, cherchant un objet qui aurait diffusé de la lumière. Anaxagore l’arrêta en lui

affirmant:—Oh,lesétoilesetleSoleilsontplusgrosquelemontOlympe…plusmassifsquelePéloponnèse!La

Luneelle-même,commelesautresastres,doitêtreuncorpspierreuxetpesant…Unefoisdeplus,Socrateouvritlabouche,ébahi.—SilaLuneestpesante,commentpeut-elleêtreainsisuspendue?—ImaginequelaLuneaitpuautrefoisêtrearrachéeàlaTerre!Elleestentraînéeettenueàsaplace

parl’effetdecettemêmerévolution.—Jecomprends,murmural’enfant.Encecas,desmorceauxdeLuneoudesdébrisd’autresastresnon

soumisàcetterévolutionretomberaientparfoissurlaTerre!Serait-cecequenousaurionsvu?—C’estcequejepense,oui:nousavonsaperçuunobjeterrantdansleciel.Enfrottantlesparticules

d’airensuspension,ilestdevenuincandescent…puisilapercutélaTerre!—Encecas,ditSocrate,nousdevrionsleretrouver.Fébriles, lesvoyageurss’agenouillèrentet fouillèrent lesol.Anaxagorerepéra,parmi la terreocre,un

caillounoiret luisant.Sonapparencenerappelaitriendeconnu.Àpeine l’eut-ilenmainqu’ilhurladedouleuretlelâcha.L’enfantseprécipita.—Maître!Qu’avez-vous?—Cettepierreestbrûlante!Ilsl’observèrentàdistance.Socratecriasoudain:—Regardez…Uncaillouidentique,ici!Etlà,encoreun,pluspetit!Lacuriositéétaitlaplusforte.Socrateeffleuraundescaillouxdudoigt,lecaressa–etlesaisitpourle

fairerebondirdanssapaume.—Onpeuttenirenmaincelui-cisanssebrûler…Tenez.Anaxagorepritl’objet.Malgrésapetitetaille,illuiparuttrèslourd.Perplexe,illeposaàterreprèsdu

premier.Socratedemanda:—Pourquoiya-t-ilplusieurscailloux?—Iln’yenavaitsûrementqu’un,àl’origine.Àmonavis,enheurtantlesol,ils’estbriséetsesmorceaux

sesontéparpillés.Commececi…Anaxagorepritunemottedeterre,lalança.Enretombant,elleéclataetsedispersa.Socrateéclatade

rire.—D’accord.Maisvousn’avezpasfaitgranddégât!Pourquoileprojectilequiesttombéa-t-ilprovoqué,

lui,untelcataclysme?—Parcequ’ilétaitdense,lourd–etallaitbeaucoupplusvite.L’enfantméditacesdéductionsets’exclama:—Maître,lapremièrepierrequevousavezramasséen’estplussibrûlante!Àprésent,jepeuxlatenir

dansmapaume!—Ehbien,garde-la,Socrate.Garde-laensouvenir…Tandisqu’ilsrentraientdanslanuitbaignéeparleclairdelune,l’enfantsentaitl’objetrefroidirdanssa

main.Maisilsesouviendraittoujoursdufeuqu’elleavaitportéenelle.Lefeuduciel.Unfeuquin’avaitplus

riendesurnaturel;etuncieldontlesdieuxétaientpeut-êtreabsents.

AnaxagorerevintàAthènes.Ilyrepritsescoursmagistraux.Socrategranditetfréquentad’autresenseignants.Des années plus tard, les Athéniens assistèrent à un prodige : le Soleil commença à s’obscurcir ! Sa

clartéfutlentementdévoréeparuncroissantdenuit.Àmidi,l’astredujourétaitdevenuuncerclenoir!Dans leciel,desétoilesapparurent.Puis leSoleil,peuàpeu,sedégageadecettegangued’ombreetseremitàbriller.Lelendemain,danslegymnaseoùilenseignait,Anaxagorefutinterrogéparsesélèves:—Maître,avez-vousuneexplicationauprodigecélested’hier?

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—Oui. J’appelle ce phénomène une éclipse. Au cours dumouvement régulier qui régit les astres, laLunes’estinterposéeentreleSoleiletlaTerre.PreuvequelaLuneestplusprochedenousqueleSoleil.Dansl’assembléejaillirentdescrisdestupéfactionoudedoute.Soudain,unevoixsévères’éleva:—Anaxagore…cettefois,tuvastroploin!Périclèssetenaitsurleseuildelasalle.Hommepolitiqueprestigieux,ilpassaitpourgouverneravecmodérationetsagesse.—Jesuisravidetavisite,luiditlephilosopheensouriant.Ah,jen’oubliepasquetufusautrefoisl’un

desmesplusbrillantsélèves…—Hélas,Anaxagore,jeviens,aunomdel’ecclésia,tedemanderdeneplussemerd’idéesimpies(6)!Tes

hypothèsessurlecieletl’universdéfientlesdieux…Àcetteaccusation,queréponds-tu?—Que le ciel et laTerren’ont pas besoindesdieux.Qu’il faut laisser les dieux à leurOlympe et les

hommesàleurmonde.—Nem’obligepasàromprenotrevieilleamitié,soupiraPériclès.Cessed’enseignerdetellesinepties!—Jelaissemesélèveslibresdeleursopinions.Laisse-moidonclibrededispenserlesmiennes!Danslegymnase,lesilenceétaitdevenutendu.—Anaxagore,repritPériclèsd’unevoixbasseetferme,jecontinueàt’accordermonsoutien…maispar

pitié,cessedebousculerlatradition!—Autantm’imposerlesilence!Priverunsavantouunphilosophed’hypothèsesetderéflexions,c’est

couperlesailesàunoiseau.—Situt’entêtes,ontecondamneraàl’exil.—Setaireetnepluspenserseraitpirequed’êtreexilé.Jepréfèrevivrelibreailleursplutôtqu’êtreici

prisonnier.Quelquesjoursplustard,Anaxagoreétaitchasséd’Athènes.

Ils’étaitretiréàLampsaque.L’exilsupposaitaussilaprivationdesesbiens.Anaxagore,quiavaitconnucélébritéetopulence,devint

uninconnudémunidetout.Sesanciensélèvesn’avaientmêmeplusledroitdeluirendrevisite.Ilvivaitd’aumônesetseconsacrait,malgrésondénuement,àl’écritured’unouvragemajeur:Delanature.Unjour,legrandPériclèsarrivaàLampsaque.Trèsému,ilvints’inclinerdevantlevieuxphilosophe.—NobleAnaxagore,jetesuppliedereveniravecmoiàAthènes.—En reniantmapensée ? Il n’en estpasquestion.D’ailleurs, il est trop tard : cen’estpasquand la

lumièred’unelampeestéteintequ’ilfautyverserdel’huile.—Aurais-tuoubliéAthènes,tapatrie?— Ma seule patrie est l’univers. L’homme est né pour contempler les astres, affirma le savant en

désignantleciel.

Peu avantdemourir,Anaxagore reçut la visite d’un voyageur à la stature imposante et aux sandalesusées.Ilavaitdûmarcherlongtemps.—Quemeveux-tu,étranger?bougonnalephilosophe.—Jedéfielesloispourvenirteremercier,Anaxagore.—Meremercier?Etdequoi?—Detesleçons.Sanselles,jeneseraispasdevenuunphilosophe.—Quies-tu?Jenetereconnaispas.Lavued’Anaxagoreavaitfaibli.L’inconnuluirévéla:—Jerépandsmonenseignementcommetumel’asautrefoisappris:enparcourantetenobservantle

monde.Jemontrequenousn’avonsaccèsqu’àl’apparencedelavérité…Tesouviens-tudececi?Levoyageurtenditquelquechoseauvieillard.—Jenevoisrien,grommelacedernier.Qu’est-cequec’est?QuandAnaxagoreeutenmaincecaillounoircommelanuit,d’uncoup,ilsesouvint.D’unevoixbrisée

parl’émotion,ils’écria:—Ah,Socrate!Ilstombèrentdanslesbrasl’undel’autre.Aumilieudeseslarmes,Anaxagorebalbutia:—CherSocrate,taréputationestvenuejusqu’àmoi.Ainsi,l’élèveadépassésonmaître!Prendsgarde:

àcequel’ondit,ont’accusedecorromprelajeunesse.Tuprofessesdesopinionsimpies!—Biensûr:cesontlestiennes.—Soisprudent.Imaginequel’ontecondamneàl’exil,toiaussi!—Lacondamnationpeutêtreunhommage.Tumel’asaussiappris.Socratenecroyaitpassibiendire:sacondamnationseraitpluscruellequecelledesonmaître…

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VASPASIE

OUPÉRICLÈSATROUVÉSONMAÎTRE(432AV.J.-C.)

QUEpossède-t-ilencore,celuiquiavupartirsonépouseetdemeuresolitaireencemonde?(ÉpitaphedeMarathonisàsonépouseNicopilis)

—Jet’aime,Aspasie.Davantageencorequ’ilyavingtans.Comme chaquematin avant de partir vers la Pnyx, Périclès serra longuement Aspasie contre lui et

l’embrassa.Attendrie, elle soupira. Elle refermait la porte du logis quand un jeune homme qui attendait dans

l’ombrebonditsurleseuiletentra.—Alcibiade!s’écria-t-elle,étonnée.Toi,déjà?—Ah, chèreAspasie ! s’exclama lenouveauvenuen se jetant à sespieds. Je t’en supplie, écoutema

plainte:jemeursd’amourpourtoi!D’abordstupéfaite,ellepritlepartid’éclaterderire.—Viens,luidit-elle.Tueslepremierdesinvités.Queveux-tuboire?—Jesuistrèssérieux!affirmal’autresansserelever.Depuisquejeteconnais,jesuisamoureux…Ta

beautémefascine.Oui,jet’aime!Aspasie ne sut quelle attitude adopter. Elle n’appréciait guère Alcibiade et s’en méfiait beaucoup.

Intelligentetdébauché,lejeunehommeaccumulaitprovocationsetscandales;maisellenepouvaitpaslecongédier.C’étaitleneveudePériclèsetl’élèvefavorideSocrate!D’untonplussec,elleluijeta:—Nesoisniimpertinentnistupide.D’ordinaire,c’estauxfemmesduPiréequetut’enprends!Oublies-

tuquejepourraisêtretamère?Etsurtout,j’aimePériclèsetjeluisuisfidèle!—Oh,riennet’yoblige!Tun’espassafemme,aprèstout!Aspasieblêmitsous l’insulteetessayadesecontrôler.Enfait, le jeune insolentdisaitàvoixhautece

qu’Athènes murmurait : elle passait pour une intrigante, une courtisane qui avait séduit un hommepolitiqueimportant.—Tabeautém’atoujoursséduit,Aspasie!repritlejeuneAlcibiadeenlacouvantd’unregardbrûlant.

Taconversation,taculturesoulèventmonadmiration.TueslafemmelaplusdésirabledetoutelaGrèce!Commentpeux-tudouterdemapassion?Elle doutait surtout de sa sincérité ! Si Alcibiade la jugeait si séduisante, s’il désirait l’ajouter à ses

conquêtes,c’étaitpardéfi,parambition.OupournuireàPériclès,dontilenviaitlebonheur.Ellecherchaitcommentnepasluimontrersarépulsion.Denouveauxarrivantslatirèrentd’embarras.

Elles’exclama:—Sophocle!Phidias!Hérodote…Ah,quellejoiedevousvoir!Cestrois-làétaientdesamisinséparables.Àsoixante-quatreans,Sophocleétaitl’écrivainlepluscélèbre

dumoment.Plusjeune,l’aristocratiqueHérodoteétaitdéjàl’historienofficield’Athènes.QuantàPhidias,ilétaitlehérosdelacité:Périclèsavaitconfiéàcetarchitectelesoindelarénover.Jamaislasplendeurdesmonumentsathéniensn’avaitsuscitétantd’admiration.—Ehbien,quellesnouvelles?demandaAspasieeninvitantseshôtesàprendreplace.Elle claqua dans sesmains ; de tous côtés jaillirent des serviteurs qui s’empressèrent d’apporter des

boissonsfraîches,desvins,desfruitsetdesplatsquidégageaientunfumetexquis.— Ah, s’écria Sophocle, tu nous reçois toujours comme des princes. Participer à ton cénacle est un

plaisiretunhonneur.—Vousn’avezpasréponduàmaquestion,dit-elle.Lesnouvelles?…Unsilenceembarrassants’installa.—Mafoi,ellesnesontpastropbonnes,grommelaenfinHérodote.—Thucydide,l’opposantàPériclès,complote!expliquaPhidias.Ilreconstituedesclubsd’aristocrates

etvanouscréerdesennuis…Ce n’était pas le vrai sujet de l’inquiétude ambiante, Aspasie le devinait. Certes, Périclès faisait des

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envieux.Depuisbientôt trenteans, ilgouvernaitAthènesetétait réélu.On luiavaitconfiéuneautoritéabsoluequ’iln’avaitmêmepasréclamée!L’arrivée de Socrate fit diversion. Il aperçut Alcibiade et se précipita dans ses bras. Gênée, Aspasie

dissimulaunegrimace.—CherAlcibiade!disaitlephilosopheàsonélève.Maisquelleestcettevilainerobepourpredonttut’es

affublé?N’as-tupashonte?—Ildevrait!jetaAspasie.Maisilaimelaprovocation…—Ettonchien,Alcibiade?demandaSocrate.Celuiquetuaspayé…Combien?Septmilledrachmes?

Quellefolie!—Jeluiaicoupélaqueueavant-hier,répondit-ilavecunriresatisfait.Lesinvitésleconsidérèrentenécarquillantlesyeux.—Quoi?fitlephilosophe.Maistuesfou!Pourquoias-tufaitcela?—Quand j’aidépenséune fortunepourcetanimal, répliqua le jeunehommetrèscontentde lui, tout

Athènesenaparlépendantdeuxdécades.Maisdepuisquelquesjours,lesconversationss’apaisaient.Jevoulaistrouverunebonneraisondelesrelancer…L’anecdoten’étonnapasAspasie.LeneveudePériclèsétaitvaniteuxetcruel,ilauraittuépèreetmère

pourfairejaser.—Quelchef-d’œuvrenousprépares-tu?demanda-t-elleàSophocle, soucieusede trouverunsujetde

conversationplusintéressant.—Je travaille à unŒdipeRoi, répondit l’écrivain…Mais je doute qu’il ait lemême succès quemon

Antigone.Enfait,l’auteurquimonte,chèreAspasie,c’estEuripide.N’est-cepas,Socrate?Lephilosopheapprouva,ajoutant:—Maissespiècesontpeudesuccès.Onluireprochedes’écarterdestraditions.Pourtant,Euripidesait

mieuxquequiconquedécrirelespassionshumaines!Sonseuldéfautestdecroire,commeThucydide,lafemme inférieure à l’homme. Ilm’a confié qu’il préparait une tragédie sur lamagicienneMédée.Voussavez,cellequituasesenfantspoursevenger…—Jesuisimpatientdevoircettepièce!s’écriaSophocle.Lespersonnagesd’Euripidesontsivrais,ses

dialoguessiréalistes!J’aimeseshéros!ContrairementàceuxdenotrecollègueEschyle,quiremettentleursortentrelesmainsdesdieux,ceuxd’Euripideveulentêtremaîtresdeleurdestin!Lesilenceretomba.Ildevintsiépaisqu’Aspasieelle-mêmeressentitdelagêne.Passantducoqàl’âne,

Hérodotedemanda:—Aspasie,est-ilvraiquelamèredePériclès,sixjoursavantsanaissance,rêvaqu’elleétaitmenéedans

lelitd’unlion?—C’estexact.Etquandsonfilsvintaumonde,chacunfutfrappéparl’aspectallongéetmonstrueuxde

satête!Chacunritpolimentavantdereplongerdanslesilence.SeulAlcibiadeparaissaitàl’aise:ilsegoinfrait

enregardantAspasieavecunregardgoulu,pleindevanité,d’arroganceetd’envie.—Dites-moicequisepasse,fit-elleenlesfixantl’unaprèsl’autre.Quemecachez-vous?—CelafaitlongtempsquetuvisavecPériclès?demandasoudainPhidias.C’étaitàpeineunequestion.Plutôtuneconstatation.Presqueunreproche,faillit-ellenoter.Ouledébut

d’uninterrogatoire?Ellen’avaitaucuneraisondel’éviter.—Vingtans.Vouslesaveztoustrèsbien.—Etcommentas-tufaitsaconnaissance?insistal’architecte.Elletraduisit:Commentunejeuneinconnue,uneétrangèresansfortune,était-elleparvenueàséduire

celuiqui,déjà,passaitpourl’hommepolitiquegrecleplusenvue?—C’estsimple,révéla-t-elleavecfranchise.J’avaisseizeansquandj’ai,avecmonamieThargélie,quitté

notreîlenataledeMiletpourveniràAthènes.JedevaisyretrouvermoncompatrioteHippodamos…—L’architecte?Jeleconnaisbien!confirmaPhidiasàsesamis.—C’est luiquim’aprésentéPériclès,poursuivitAspasiedont l’émotion renaissait à l’évocationde ce

souvenir.Ilavaitquarante-troisans.Ilétaitbeaucommeundieu…Maisilétaitmarié.Depuisseptans.Etilavaitdeuxenfants.—XanthipposetParalos,rappelaPhidias.Ah,leurmèreétait…commentdire?—D’uneexcellentefamille!réponditcharitablementAspasie.—Eneffet, reconnutPhidias, et elle était la cousinedePériclès !Maisellen’avaitaucuneenvergure.

Aucuneambition.Aucuneculture.Elleétaitsipeuattachéeàsonépouxqu’elleacceptaviteledivorcequ’illuiproposa.Oh,elles’estaussiviteconsoléequetuasséduit…Confus,ilsetut.LacompagnedePériclèsrectifia:—Jen’aipasdutoutséduitPériclès.Jel’aicroisé,àplusieursreprises.Àl’agora.Authéâtre.C’estsans

doute là qu’il m’a remarquée, perdue parmi les trente mille spectateurs qui assistaient à une pièced’Eschyle.Lelendemain,Thargélieestvenuemevoirpourm’entraînerauCéramique…—LeCéramique?s’étonnaSophocle.Quelledrôled’idée!Ce faubourg était proche du jardin de l’Académie où se trouvaient les sépultures des plus glorieux

soldatstombésaucombat.

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—Jesaisqu’ils’agitd’unquartiermalfréquenté,reconnutAspasie.—Pasdu tout ! jetaAlcibiade en ricanant. J’y vais souvent.C’est toujours làque les femmes légères

vendentleurscharmes.Onytrouvedesbosquets,desporches,desabris…j’adore!—Alors tu dois le savoir,Alcibiade : quandunAthénien est amoureux…ouqu’il cherche à avoir un

rendez-vousgalant,illefaitsavoirengriffonnantsurlemurunpoèmeouunmotdoux,qu’ilsigne.Etilnomme,biensûr,lapersonnequ’ildésirerencontrer.—NenousdispasquePériclès?…bredouillaPhidias.— Non. Pas lui ! l’interrompit Aspasie. L’un de ses amis, bien intentionné, a publiquement inscrit

combienPériclès avait été séduit par celle qu’il croyait savoir senommerAspasie.Endéchiffrant cetteinscription,j’aisouri.Maisj’aisurtoutététroubléequandThargéliem’arévéléquechaquesoir,Périclèsenpersonnes’attardaitauCéramique,passaitparlejardinetrestaitquelquesinstantsàguetterducôtédecegraffiti!Jevousl’avoue:jen’aipasrésisté…—Tuesvenue?—Le lendemainsoir,oui.C’estainsiquenousavons faitconnaissance.Nousnoussommesaimés.Je

croyaisquec’étaitsanslendemain.Périclèsavouluquenousnousrevoyions.Monamourpourluidevintprofond.Àcetteépoquedéjà,ilétaitleplusloyaletleplusadmirabledeshommes.Émue par ces lointains souvenirs, Aspasie réprima un soupir. Ses amis l’observaient, visiblement

ennuyés, lorsque de nouveaux philosophes se présentèrent : Protagoras et son collègue Zénon. Deuxsavants,deshabituésdu«cercled’Aspasie».Leurmineconsternéel’alerta.—Installez-vous,ordonna-t-elle.Etannoncez-moivitecettemauvaisenouvellequevosprédécesseurs

n’osentpasmerévéler!Ilsseconsultèrentduregard.Protagorasdéclara:—Aspasie…l’Assembléedupeuplevabientôttetraduiredevantletribunalpopulairepourt’intenterun

procès.Elleaccusalecoup,fitbonnefigureettentadesourire.—Jem’y attendaisdepuis longtemps.Etdequoim’accusera-t-on?D’être la compagnedustrategos

autokrator?Deluiavoirdonnéunenfant?—Oui, répondit tout net Protagoras. Ce sont les crimes dont tu devras répondre : être une vulgaire

hétaïrequiadébauchéPériclèsl’Olympien,afficherunelibertédepenséeetdemœursquiscandaliselesAthéniens.Àleursyeux,tuesunexempledéplorablepourleursépouses.—Lesvraiesraisons,murmuraPhidias,sonttoutautres,tulesais…Ellehochalentementlatête.Cen’étaitunsecretpourpersonne:depuisvingtans,Périclèsn’agissaitquesurlesconseilsdecellequi

partageaitsavie.— Périclès néglige la cité, risqua Zénon. Il ne fréquente plus les citoyens. Il se contente d’aller à

l’Assembléeetrentreenhâtedanssonfoyer.— Pour résumer, avoua Phidias à voix basse, la population te reproche l’influence que tu as sur lui.

Souviens-toi, Aspasie, de ce que disait Thémistocle enmontrant son fils de cinq ans aux Athéniens :«Voyezcebambin!Ehbien, ilgouverne lemonde !Car ilgouvernesamère,samèremegouverne, jegouvernelesAthéniensetlesAthéniensgouvernentlesGrecs,quigouvernentlemonde…»Aspasie comprit. Elle sentit une boule luimonter à la gorge et refoula ses larmes. Qui avait, face à

l’inactivité et au chômage forcé des Athéniens, insisté pour que soient construits la halle au blé et lesnouveauxarsenaux?Qui,pourassurerlasécuritéd’Athènesetdesonport,avaitdemandéquesoitédifiéunsecondmurquirelieraitlacitéauPirée?C’étaitelle.QuiavaitconvaincuPériclèsderéquisitionnerletrésordel’îlesacréedeDélos,oùlesrichesoffrandes

dormaient,afinquepuissentêtreentreprislesgrandstravauxd’Athènes?C’étaitencoreelle.Quis’étaitbattupourque les jurésdes tribunauxsoient–oh,modestement !–rétribuésdedeuxou

troisobolesparjourafinquecettefonctionpuisseêtreaccessibleàceuxquecettetâcheprivaitdufruitdeleurtravail?Quiavaitrendugratuitslesspectaclesetlesfestivitésautrefoisréservésauxplusriches?C’étaittoujourselle.MaisAspasie,commePériclès,n’avaitjamaisvoulugouvernerlemonde!— Je n’oublie pas ton appui, dit solennellement Phidias, pour queme soient donnés lesmoyens de

rebâtirlestemplesdétruitsparlesPerses,deconstruireleParthénon,derénoverl’Acropole,etsurtoutderéaliser la statue chryséléphantined’Athéna.Cet ouvrage, quim’ademandé tantde travail, est le chef-d’œuvredetoutemavie!— Périclès et toi avez contribué à faire de la Grèce unmodèle ! renchérit Zénon. Grâce à vous, des

Athénienssansfortuneontétablidescoloniesàl’étranger.NostroiscentstrièresdecombatassurentlasécuritédetoutelaMéditerranée!—Jen’oubliepasnonplus,avouahumblementSocrate,quejetedoisl’artdel’éloquence.Oui,tum’as

beaucoupappris.Ah,pourquoin’as-tujamaisécrit?—Ellel’afait!affirmaSophocle.Ellem’amontrésesversqui…

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—Jelesailus,coupaAlcibiade.IlssonteneffetdignesdeSapho!Cecomplimentétaitambigu:lagrandepoétesseSaphopassait,elleaussi,pourunedébauchéecarelle

ne s’intéressait qu’aux femmes et à la beauté.D’un geste, Protagoras écartaAlcibiade et vint s’inclinerdevantleurhôtesse:— Je n’ai jamais lu tes œuvres, Aspasie. Mais s’ils sont de la qualité des discours de Périclès, ils

passerontàlapostérité.Danslecercledesintimes,nuln’ignoraitquec’étaitAspasiequilesrédigeait.—Etquoiqu’ilarrive,ajoutatristementZénon,tonnom,Aspasie,resteradansl’Histoire,associéàcelui

dePériclès.—Cesparolessonnentàmesoreillescommeuneoraisonfunèbre!sefâcha-t-elle.— Parce que votre temps à tous deux est révolu ! Place aux jeunes ! Que sonne enfin l’heure de

l’aristocratie!lançaAlcibiade.Danssesyeuxperfides,Aspasienelisaitplusaucunepassionmaisunméprisgoguenard.Socratemisà

part,tousjetèrentàl’éphèbeunméchantregard.D’unevoixsombre,Protagorasajouta:— Le pire, c’est que sans le vouloir, Périclès a déclenché lui-même les hostilités. Cematin, il venait

justementplaidertacauseàl’Assemblée…—Macause?fitAspasie.Queveux-tudire?—Ildemandaitquesoitchangéelaloisurlemariageetlacitoyenneté.Cette fameuse loi,Aspasie la connaissaitmieuxquepersonne : elle interdisait toutmariage entreun

citoyenathénienetuneétrangèreàlacité.Cettemesureétaitdestinéeàréserverlesprofitsdel’EmpiregrecauxseulsAthéniens.Cematin,enlaquittant,Périclèsneluiavaitriendit.Depeur,sansdoute,defairenaîtreunespoirquiseraitsûrementdéçu.—Bienentendu,poursuivitlesavant,l’Assemblées’yestopposée.—Elleaobjectéquecettepropositioncachaitunmotifpersonnel,continuaProtagoras.EtquePériclès

étaitleplusmalplacépourvouloirchangerlaloipuisquec’étaitlui-mêmequil’avaitfaitvoterautrefois.—Justeavantqu’ilnefassemaconnaissance,murmura-t-elle.Ainsi,Périclèsétaitpunipar làoù il avaitpéché : soucieuxdepréserverhier les intérêtségoïstesdes

Athéniens,illuiétaitaujourd’huiinterditd’épouserAspasie:nativedel’îledeMilet,elleétaitconsidéréecommeuneétrangère.—Jeneseraidoncpassafemme,admit-elle.Notrefilsneserajamaiscitoyen.Qu’importepuisquenous

nousaimons.—Puissiez-vousvieillirensemble!ditSocrate.

L’après-midiapprochait.Alcibiadefutlepremieràs’éclipser.Lesautres,quifaisaientpartiedugroupedesvieuxfidèles,avaientcejour-làbiendumalàlaquitter.Oneûtditqu’ilsvoulaientlaprotéger.Enfin,ilspartirentetelleattenditleretourdePériclès.Ets’ilnerevenaitpas?Si,humiliéparlerefusdel’Assemblée,ilcommettaitunefolie?Le temps coulait ; le soir était tombé. Les servantes et les esclaves s’étaient éloignés. Elle se sentit

soudainisolée,pareilleàPénélope.Cesamis,qu’elleinvitaitchaquejour,n’étaientqu’undérivatifàsonattente. Car elle ne vivait que dans l’espoir d’être près de Périclès. Lui seul, par sa présence, savaitvraimentlacombler.Enfin, la porte s’ouvrit. Dans l’ombre, elle aperçut la silhouette tant aimée. Mais ce soir, le héros

d’Athènes,Périclèsl’Olympien,étaitsecouédesanglots.Ellesejetadanssesbras.Alors,commechaquesoirquandilrevenaitdelaPnyx,PériclèsserralonguementAspasiecontreluiet

l’embrassa.Ellefutaussitôtrassurée:ilétaitlà,etc’étaitl’essentiel.

Aspasiefutjugéeetcondamnéepourcrimede«librepensée».Phidias,lui,futaccuséd’impiétéetexilé.Deuxansplustard,lapesteravageaAthènes;lepeupleestimaPériclèsresponsabledesessouffrances.

Celuidontonavaittoujourssaluél’honnêtetéetqu’onappelaitl’incorruptiblefutécartédupouvoirpuiscondamnéparuntribunalpopulaire.Ilsuccombaàl’épidémiedepesteen429avantJésus-Christ.Sonenfantillégitime,lejeunePériclès,survécut.Plustard,ilfutadmisàAthènescommecitoyen.AprèslamortdePériclès,nulnesaitcequ’Aspasiedevint.

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VISOCRATE

OUÀMORT,LEPHILOSOPHE!(VERS399AV.J.-C.)

—FAITESentrerletémoin!Maîtrisantsonémotion,Platonpénétradansl’hémicycle.Duregard,ilparcourutletribunalpopulaire–l’héliée,cinqcentunepersonnes!–etlessiègesdebois

surlesquelsétaientinstalléslesjurés,quifaisaientofficedejuges.IlvitenfinSocrate,seul,deboutfaceaumagistratquiprésidaitsurlahauteestradedresséeaufonddelasalle.Socrate,sonmodèle,sonmaître!Enl’apercevant,levieuxphilosopheadressaàsonélèveunsourireunpeufatigué.Lesrides,lalongue

barbeetlalaideurdel’enseignantdissimulaientmaluneexpressiontrèsjuvénileetpleinedemalice.Lemagistrat vérifia la présence, à sa droite, du greffier et celle, à sa gauche, du héraut public. Enfin, ildemanda:—TuesbienPlaton?Unélèvedel’accusé?—Jel’aiété.Unmurmureindignés’élevadelatribuneàdroite,cellequirassemblaitlesaccusateursdeSocrate.—Nejouepasaumalin!lançal’und’eux.NoussavonsquetufréquentesencoreSocrate.— Est-ce un crime ? De quoi l’accuse-t-on ? demanda Platon en prenant à témoin le public, massé

deboutàl’entréedutribunal.Il aperçut alors, au premier rang de la tribune, ceux qui avaient traduit Socrate en justice : le poète

Mélétos,letanneurAnytosetlerhéteurLycon,unorateurambitieuxetjaloux.—Ilnerespectepaslesdieuxetcorromptlajeunesse!grondaMélétos.Répondsànosquestionssans

finasser!Cartupourraisbien,toiaussi,devoirrendredescomptes…Platonjetauncoupd’œilducôtédelatribunedegauche,oùsepressaientlesdéfenseursdel’accusé.Ily

reconnutCritonetlejeuneetblondPhédon,quechérissaittantSocrate.Envoyantleursvisagestendus,ilcomprit qu’en prenant trop ouvertement la défense de l’accusé, il risquait plus tard d’être lui-mêmecondamné!— Explique-nous donc, ordonna Anytos, comment tu as connu Socrate et pourquoi tu as décidé de

suivresonenseignement.—Unjour,jel’aicroisédanslarue.Ilm’abarrélarouteavecsonbâtonetm’ademandéoùl’onachetait

«leschosesnécessairesàlavie».—Qu’as-turépondu?—Jeluiaiindiquéoùsetrouvaitlemarché.«Etpourdevenirhonnêtehomme,areprisSocrateenme

regardantdroitdanslesyeux,oùfaut-ilaller?»Jen’aisuqueluirépondre.Alorsilm’adéclaré:«Suis-moidonc,etjeteledirai.»Decejour,jel’aisuivi.—Vousvoyez!accusaMélétos.CeSocratepèlelesâmescommedesfruits!À quelques pas de Platon, le voisin du greffier manipulait avec dextérité les deux horloges à eau

destinéesàmesureréquitablementletempsdeparoledel’accusationetdeladéfense.—Révèle-nousquellesidéespernicieusesilt’enseignait,insistaMélétos.—Socrateatoujoursaffirméqu’iln’avaitrienàenseigner,répliquaPlaton.Iln’avaitaucundisciple.Lepublicgrondadesurprise.EtSocrate,enriant,expliqua:—C’estmotpourmot,cherPlaton,cequejedéclaraispourmadéfenseavantquetun’entres!Toutle

mondevacroirequejet’aidemandéderéciteruneleçon.Lemécontentementdesaccusateurss’accentua.Anytostempêta:—S’iln’avaitrienàenseigner,pourquoilafoulelesuivait-elledanstouteslesruesd’Athènes?—Socrate prêche la piété, répondit Platon. Il recommande lamodération, la connaissance de soi, le

respect des devoirs sociaux, l’obligation de s’instruire… Il a foi en la raison humaine !Une raison quipermetàl’hommed’atteindrelebonheur!Sadeviseest…—«Connais-toitoi-même!»achevaMélétos.Noussommesaucourant.— Socrate pense aussi que nul n’est méchant volontairement, ajouta Platon. Est-ce une pensée si

révolutionnaire?—Ilveutsesubstituerauxdieux!accusaAnytos.Ilprétendavoirétéchoisipourporterlabonneparole.

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—Jamaisdelavie!s’insurgeaSocrate.Autrefois,commec’estlacoutume,jesuisalléconsulterl’oracledeDelphes.Ilm’arévélé:«Entretousleshommes,tuesleplussageetleplussavant.»—Ettoi,déclaraMélétos,tul’ascru!Quelorgueil!—Non.J’aitraduitl’oracle…«Quesais-tu?»mesuis-jedemandé.«Rien!»mesuis-jerépondu.J’en

aiconcluquej’étaisleplussageparcequej’étaisleseulàsavoir…quejenesavaisrien!—Encoreunefois,ditMélétos,tufaisleraisonneur.—De ce jour, poursuivit le philosophe sans s’émouvoir, j’ai décidé deme consacrer àmamission :

j’interrogeais,provoquaismesinterlocuteurs,sansrienleurenseignerquivîntjamaisdemoi.J’essayaisd’éveillerleurintelligence,leurcapacitéderaisonnement.— Tu nous as déjà débité ces sornettes ! grogna Lycon. Tu asmême prétendu que tu tenais ce don

particulierdetamère.—Eneffet.Elleétaitsage-femme.Moi,j’essaied’accoucherlesesprits(7)…Rassemblantsoncourage,Platonlança:—Vousn’avezrienàluireprocher!Socraten’ajamaisrienaffirméquiailleàl’encontredeslois!Etil

n’ajamaisécrituneseuleligne!— Il aurait dû, grommelaMélétos. Ainsi, nous connaîtrions sa pensée, il pourrait la défendre ou se

justifier!Maisilaclandestinementintroduitdesidéesperversesdanslesesprits!— Pas du tout ! s’interposa Platon. Socrate n’a qu’une méthode : dialoguer. Faire surgir des

interrogations chez son interlocuteur ! « Penser à deux » est selon lui un art, l’essentiel du métierd’hommeetlameilleurefaçond’approcherlavérité…—Lavérité!raillaLycon.Laconnaît-ilmieuxquelesautres?—Maisilneprétendpaslaconnaître!—Exact,ricanaunhommed’âgemûrdanslatribunedel’accusation.Socrateaffirmequelavériténe

nousestpasaccessible!Platonn’encrutpassesyeux:celuiquiavaitprislaparoleétaitAristophane,unauteurdecomédiesà

succès.UndiscipledeSocratequiavaitreniésonancienmaîtreetcritiquésaphilosophie.— Ton témoignage nous est précieux, Aristophane, ditMélétos en souriant. Explique-toi. Quelle est

cettevéritédontparlaitSocrate?—Oh,ilused’uneétrangeimagepourladécrire!Une…allégorie(8).Voilà:ilprétendquenoussommes

semblablesàdeshommesenchaînésdansunecaverne.Noustournonsledosàunfeuquiprojettesurlesparoisl’ombred’objetsquedesporteursfontdéfilerdevantelles.Or,nousn’avonsjamaisrienvud’autrequecesombres,etnouslesprenonspourlavéritéelle-même!—Ensomme,conclutMélétos,pourentrevoirlavérité,leshommesdevraientsedétacheretregarderce

quelefeuéclaire?—Hélas,s’exclamaAristophane,libérés,ilsnepourraientpaslacontempler…carelleleséblouirait!Socratelevalamainpourintervenir.Malicieux,ilaffirma:—Tuasmalcompris,Aristophane.Pourconnaîtrelavérité…ilfaudraitsortirdelacaverne!Observer

lesoleil.Etrevenirdanslagrottepourémanciperceuxquiysontrestés.Danslatribunedesaccusateurs,descrisfusèrent:—Quelleprétention!C’esthonteux!— Hélas, cette dernière tâche est difficile, avoua Socrate sans tenir compte des insultes. Car en

retournantdans lacaverne,ceuxquiontvu le soleil, éblouis, risquentdes’égarerdans les ténèbres.Etd’êtrelariséedeceuxquisontrestésdansl’obscurité.Danslepublic,diversmurmuress’élevèrent,admiratifsouscandalisés.Sanslevouloir,Socraterecrutait

denouveauxadeptes…etsefaisaitdenouveauxennemis!—Quelleesttonopinion,Aristophane,surcetteétrangefable?—Cetteparaboleestunefaribole!répliqual’écrivain,sarcastique.—Elleestàl’imagedemalaideur,déclaraSocrate,unelaideurquipeutvousrenseignersurlavéritéde

moncœur.—Queveux-tudireparlà?demandaMélétos.—Qu’ilfautpréférerlavéritéàl’apparence.Etlascienceàl’opinion.Aristophanerepartitàlacharge:—Nefaut-ilpasaussiconsidérercommeunenfantillageceprétendudémonquechacunporteensoi,et

quisouffleraitcesidéesàl’accusé?—Undémon!Queréponds-tu,Socrate,àcetteautreaccusation?—Qu’ils’agitencored’uneimage!Quandvousdevezprendreunedécisionseul,nedialoguez-vouspas

avecvous-même?Nevousopposez-vouspasdesarguments?Cegéniequivoussertd’interlocuteurpeutvousdonnerdebons…oudemauvaisconseils!—VoilàlapreuvequeSocrateestunespritimpie!s’écriaLycon.—Oui,renchéritAnytos.IlveutintroduireenGrècedenouvellesdivinités!—Ilméritelamort!ajoutaMélétosensetournantverslepublic.Songestedéclenchaunsignal:dansl’assemblée,desdizainesdecitoyensvociférèrent:—Oui!Àmort!

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—IlfautcondamnerSocrate!Sursonestrade,lemagistrathésitait.Illevalamainpourapaiserlesclameursetdonnapourladernière

foislaparoleàl’accuséqui,solennellement,affirma:—Quoiquevousdécidiez,jenechangeraijamaisd’opinionnideroute!Toutefois,sachezquesivous

metuez,vousporterezpréjudiceàvous-mêmesplusqu’àmoi…L’État,voyez-vous,estcommeunnoblecoursier;satailleetsalourdeurlerendentindolent.Etjesuisl’indispensablemouchequi,enlepiquant,ne cesse de l’exciter.Ma présence est d’autant plus nécessaire que vous ne trouverez pas aisément uninsecteaussivifettêtuquemoi!—Nousenavonsassezentendu,conclutlemagistratquiobservaitlesdeuxpendulesàeau.—Attendez!ditPlaton.VousdeviezentendreXénophon?XénophonétaitparmilesplusfidèlesauditeursdeSocrate.Pourquoines’était-ilpasmanifesté?—Iln’estpasàAthènes !annonça triomphalement l’undesaccusateurs. Ilnepourradoncpasvenir

témoigner!Platonpâlit.Ainsi,ilavaitétéleseulàdéfendresonmaître.Etill’avaitfaitsimaladroitementqu’ilen

étaitconsterné.Xénophon,lui,auraitsuconvaincre.Unenouvellefois,lemagistratréclamalesilence.Ilannonça:—Procédonsauvote.Munis de deux jetons de bronze, chacun des cinq cent un jurés défila devant les urnes. Pendant ce

temps,Socratenemanifestaitaucuneémotion.Ilconsidéraitaveclamêmeironiesesaccusateursetceuxquivoulaientlegracier.Quandlesurnesfurentvidées,oncomptadeuxcentvingtetunjetonsquisollicitaientl’acquittement…

etdeuxcentquatre-vingtsquiréclamaientlamort.—Enconséquence,Socrate,déclaralemagistrat,tupérirasparlepoison.Lasentenceprendraeffet…Legreffierluichuchotaquelquesmotsàl’oreille.—…prendraeffetdanstroisdécades,aprèslesfestivitésreligieuses.Àcetteépoque,lescondamnésàmortdevaientboireunedécoctiond’uneplantetoxique,laciguë,qui

lestuaitenquelquesinstants.Platons’effondra.Socrate,ensouriant,luientouralesépaules.—Cen’estpasundrame,j’aisoixante-dixans!Lamortm’éviteralesinconvénientsdelavieillesseetle

ramollissementdel’esprit.—C’estterriblementinjuste.Vousn’avezrienfait!—Si.J’aiphilosophé.Lasalledutribunalsevidait.CeuxquiavaientcondamnéSocratesedépêchaientdequitterleslieux.Les

autres entouraient leur maître sans cacher leurs larmes ; car autrefois, en Grèce, les hommes netrouvaientpasindignedepleurer.—Philosopher,disaitSocrateenconsolantsesamis,c’estaussiapprendreàmourir.Etjesuisprêt.

Pendant ledélaiqui luiavaitétéaccordé,Socrate,danssageôle,put recevoirquelquesadeptes.L’und’eux,Criton,avaitconçuplusieursplansd’évasion.Platonrévélaauprisonnier:— Xénophon est enfin revenu. Grâce à lui, nous avons réuni une grosse somme. Les gardiens ne

demandentqu’àêtresoudoyés!—Aujourd’hui,ditCriton,parmiceuxquit’ontcondamné,certainsontmauvaiseconscience.Ilsnous

aiderontàtefairefuir.—Fuir?Pasquestion!s’entêtaitlephilosophe.Qu’ilsexécutentleursentence.S’ilssesentententort,

c’estdésormaisleurproblème.Lesfêtesreligieusess’achevèrent.Socratequittasaprison.Ce jour-là, les élèves de Socrate l’entouraient. Le philosophe, très serein, fit ses adieux à sa femme,

Xanthippe, qui tenait leur plus jeune enfant dans ses bras. Resté seul avec ses amis, il s’entretint unedernièrefoisaveceux.IlcaressalalonguecheveluredujeunePhédon,quipleuraitàchaudeslarmes.— Je suppose, lui dit-il, que ces belles boucles seront coupées demain, en signe de deuil ? Dis-moi,

Xénophon…commentvaPlaton?—Ilestmalade.C’étaitvrai.Platonneputassisteràl’exécutiondesonmaîtrebienaimé.Enfin,Socrateportalebreuvageàseslèvres,etavalalepoison.

Socratenes’étaitpastrompé,lesAthéniensregrettèrentleurdécision:sestroisaccusateursdevinrentsiimpopulaires qu’aucun citoyen ne voulut désormais allumer leur feu, répondre à leurs questions ni sebaignerdanslamêmeeau.Désespéré,Anytoss’exila.Lyconfutcondamnéàmort.EtMélétospérit,lapidéparlafoule.Quant à Platon, retiré à Mégare avec de nombreux disciples, il allait transmettre la pensée de son

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prestigieuxmaîtregrâceàsesnombreuxécrits.

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VIIDIOGÈNE

OUUNEVIEDECHIEN(413-327AV.J.-C.)

VERS 413 avant Jésus-Christnaquit, dans la villedeSinope,ungarçonappeléDiogène.Peuaprès sanaissance,samèremourut.Sonpère,Hicésias,étaitbanquier.Devenuadolescent,Diogènelesurpritunsoirentraindefondreduplombetdel’argent.—Quefabriquez-vousdonc?luidemanda-t-il,stupéfait.—Tulevoisbien,monfils:delafaussemonnaie.Commentcrois-tuquej’aiefaitfortune?—Mais…c’estmalhonnête!—Sansdoute.Maisjeneconnaisaucunmoyenhonnêtepours’enrichirrapidement.Lesméfaitsd’Hicésiasfurentbientôtdécouverts.Lesautoritésinvestirentsapropriété.Sesbiensfurent

confisqués;sonfilsetluifurentbannis.—Qu’allons-nousdevenir?selamentaDiogène.—Nousallonsnousséparer.Tuespresqueadulte,àprésent.Manès,notrefidèleesclave,estdésormais

notreuniquebien.Parsaveclui!Diogènefitsesadieuxàsonpère.QuantaufidèleManès,ils’enfuitdurantlapremièrenuitquelejeune

exilépassahorsdelacité!Diogènegémitsursoninfortune:sarichesseserésumaitaumanteauaveclequelilavaitdormietàune

écuelledebois!Apercevantsurlecoteaudesoliviersetunevignesauvage,ils’exclamasoudain:—Ai-jelieudemeplaindre?SiManèspeutvivresansmoi,jepeuxvivresanslui!Jesuisvivanteten

bonnesanté.Lanaturem’offredequoisubsister.Pourquoileshommessecompliquent-ilslavieàvouloirlagagner,puisqu’elleleurestainsiofferte?Abandonnantsessandalesaubordduchemin,Diogènedécidademépriserleshonneursetlesbiens.Et

ilsefixal’uniqueobjectifdemenerlavielaplussimpleetlaplusnaturellequifût.

Aprèsquelquesmoisd’unevieerrante,ilarrivaàAthènes.Ilassistaàquelquescoursd’Antisthène,unphilosophequiprofessait lesmêmesopinionsque lui.Puis il jugeaque lameilleure façondevivreétaitencoredenesuivrelesleçonsdepersonne!Il passa ainsi des années à Athènes, dormant à la belle étoile avec, pour oreiller, son manteau qui

tombaitenloques.Ilparcourait laville,attentifauspectaclede la rue. Il senourrissaitdesrestesquederichescitoyens

jetaientauxchiens.Unmatin,commeils’étaitréveillétrempéparuneaverse, ildécouvritsur leportungrostonneaude

boisabandonné.Illerouladevantluietchoisitdes’enfaireunabri.Ravi,ilmurmura:—Quipossèdeunlogispluscommodeetplussimpled’entretien?Quandilvoulaitdéménager…illuisuffisaitdepoussersontonneaudevantlui!Unjour,alorsqu’ilsedirigeaitversunefontaineavecsonécuelledebois,ilvitunjeunegarçonyboire

enrecueillantl’eaudanslecreuxdesamain.Admiratif,ils’écria:—Cetenfantm’enseignequejeconservaisencoredusuperflu!Etiljetasonécuelle.Parfois,ildemandaitl’aumône.Fascinésparlalibertédesondiscoursetsonindépendance,lespassants

luidonnaientvolontiersàmanger.Nombreuxétaientceuxquivenaientprendreconseil.Aupire,illesinsultait.Aumieux,illesréprimandait:—Malheureux ! Tes soucis ne sont causés que par les biens que tu possèdes : ta maison qu’il faut

entretenir, tonépousequiteréclamebijouxetvêtements, tesesclavesqu’il fautnourrir, tesenfantsquiexigent une bonne éducation, ton argent que tu veux faire fructifier, tes amis qui quémandent tonaffection…—Tues toutdemêmebiencontent,Diogène,grommelaientses interlocuteurs,d’avoir lesmiettesde

nosrepas!

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—Qu’importesitunemedonnesrien!Moi,jemecontenteraisdesrestesquemelaissentlesrats!—Tumènesuneviedechien…—Jesuisuncynique(9),répondait-il.Etc’est laplusbelleexistence!Quedemande-t-onàunchien?

Rien!Ilseprélassetoutelajournée,segavedesoleiletsenourritdelapitancequ’onluifournit.Ildortàlabelleétoileous’improviseuneniche!ajoutait-ilendésignantsontonneau.—Lechiendoitmonterlagardeetveillersurlelogisdesmaîtres!—Jevisdoncmieuxqu’unchienpuisquejen’ainimaîtrenilogis!Diogènenecessaitdeprovoqueretdesurprendrelespassants.Quandilslevirentdemanderl’aumôneà

desstatues,ilsluidirent:—Tuesdevenufou!Pourquoifais-tucela?—Pourm’habitueràrecevoirdesrefus,répondit-il.ÀAthènes,sarenomméegrandissait.Onl’enviaitsansoserl’imiter.Privédetoutbien,condamnanttout

profit,Diogèneaffichaituneattitudequi,pourl’homme,étaitunsignededignité.Unautrejour,lescitoyensdelacitélevirent,enpleinmidi,errantdanslesruesunelanterneàlamain.

Telunaveugle,ilbutaitcontrelesgens…ouilfaisaitsemblantdenepaslesvoir.Quandonluidemandacequ’ilfaisait,ilréponditavecamertume:—Jechercheunhomme.Ceuxquiréclamaientsonamitiéseréunissaientdeplusenplusfréquemmentauprèsdesontonneau.

Ilsluiaffirmaient:—Tuprofessesunemagnifiquephilosophie!Tudevraisécrireuntraitésurlerenoncementauxbiens

decemonde.—Jem’en garderai bien ! Lesphilosophes raisonnent et aboutissent à des absurdités !VoyezZénon

d’Élée:ilaréussiàdémontrer…quelemouvementn’existepas.—L’hypothèseestintéressante!lançaquelqu’un.Etsic’étaitvrai?—C’estfaux.Lemouvementexiste.Etjeleprouveàl’instant.Diogènese leva…etsemitàmarcher.Celafitrireetconvainquitceuxqui l’écoutaient.L’und’euxlui

demanda:—Selontoi,ilestinutiledephilosopher?—Pirequ’inutile:nuisible!Aucunraisonnementnepermetd’établirlamoindrecertitude.—Turemetsdonctonsortaubonvouloirdesdieux?— Jeme contente de les imiter – en admettant qu’ils existent. Le propre des dieux étant de n’avoir

besoinderien,onserapproched’autantplusd’eux…qu’onamoinsdebesoins!—Attends!Nierais-tul’existencedesdieux?—Oui.Commejenie lamagie, lessuperstitionsettous lesritesquiendécoulent!Riennemeparaît

plusridiculequelessimagréesquiaccompagnentnaissances,mariages,décès…—Lesmortsontdroitànotrerespect!—C’estlaviequ’ilfautrespecter.Silesdieuxexistaient,ilsriraientdecescérémoniesinventéesparles

hommes!—Maisalors,Diogène,àquoicrois-tu?—Au bonheur. Àmes yeux, c’est la seule vraie vertu. Et le seul vice est lemalheur. C’est pourquoi

j’exècre la guerre et fuis toute ambition.Car undésir inassouvi est déjà source de douleur. La sagesseconsiste-t-elleàchangerl’ordredumondeouàessayerdes’yaccoutumer?Croyez-moi,lesdésordresdelasociétéviennentsurtoutdeshommesquiveulentlarefaire!Unenuit,ensortantd’unetaverneoùilsavaientunpeutropbu,desjeunesgensaperçurentletonneau

deDiogène.—C’estlanichedel’anarchiste(10)!—Celuiquimépriselesbiens?Alorscommentsefait-ilquecetonneauluiappartienne?—Tuasraison!Cevieuxtonneaun’estpasplusàluiqu’ànous!—Eh,Diogène!Nousréquisitionnonstonlogis!L’un des jeunes gens semit à frapper sur l’abri ; un autre enleva les cales qui le tenaient en place.

Déséquilibré,letonneauvacilla,roula…etdévalalaruepoursefracassercontreunmur!Le raffut avait réveillé les dormeurs et attiré dumonde. On vint secourir Diogène qui, tout étourdi,

considéraitlesrestesdisloquésdesonlogis.Lesjeunesgensfurentemmenéssansménagement.—Misérables!leurcriait-on.S’attaquerauplusdémunidelacité!Lelendemain,lescoupablesfurentpunis.Diogèneprotesta:—Cetonneauétaitaussibienàeuxqu’àmoi!J’entrouveraiunautresurleport!D’ailleurs, jepeux

vivresansabri.

Cratès,unricheAthénien,abandonnasesbiensaupeupleetsemitàvivrecommelui.Diogènen’avaitquefairededisciples.Unsoir,ils’embarquasurunbateauquipartaitpourl’îled’Égine.Hélas,despiratesattaquèrentlenavire,massacrèrentl’équipage,capturèrentDiogèneetl’emmenèrent

enCrète.Là,onlemitenventesurlemarchéauxesclaves!Xéniade,unricheCorinthienquipassaitpar

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là,futintriguéparl’alluredecevieuxcaptifbarbu.—Quesais-tufaire?luidemanda-t-il.—Commander!luiréponditaussitôtDiogène.Situveuxacquérirunmaître,tuferasunebonneaffaire

avecmoi!Amusé,Xéniade l’acheta.Très vite, il comprit queDiogène était un sage. LeCorinthien cherchait un

précepteurpoursesenfants.Sanshésiter,ilconfialeuréducationàsonnouvelesclave.Diogènedevintprécepteurmalgrélui.Savienechangeaguère.Avertisdesacapture,sesamisathéniens

proposèrentàXéniadederachetercedrôled’esclavequiprétendaitcommanderàsonmaître.MaisDiogènerefusaenaffirmant:—Jenesuisl’esclavedepersonne!—Pourtant,c’estXéniadequisubvientàtoustesbesoins!—Etalors?Leslionsnesontpointlesesclavesdeceuxquilesnourrissent!—Diogène,reviens!Athènesteréclame!Nousavonsbesoindetoi.—Apprenezàvivresansmoi.Carmoi,jen’aipasbesoindevous.—Songe,Diogène,quetuesloindetachèrepatrie!—Mapatrie,c’estlaTerreentière.Jesuisuncitoyendumonde.Etjemesenschezmoiaussibienici

qu’ailleurs.LesenfantsduCorinthiengrandissaient.Quandilsquittèrentlelogis,XéniadeaffranchitDiogène.Quecroyez-vousqu’ilfit?IlserenditauportdeCorintheetdénichaunvieuxtonneau…danslequelilemménagea.C’estlàqu’ilvieillit,sansmodifiersafaçondevivre.Sarenomméeavaitfranchilesfrontières.Desétrangersvenaientdeloinconsultercemédecindel’âme.Alexandre le Conquérant en personne lui rendit visite. Ce jour-là,Diogène n’était pas auprès de son

tonneaumaisaucranium,lelieuoùs’entraînaientlessportifsdeCorinthe.Allongésurledos,lesyeuxmi-clos, les reins à peine couverts de haillons, il goûtait la chaleur de l’après-midi. Étrange rencontre quiallaitmettrefaceàfaceleplusdémunidetousleshumainsetlefuturmaîtredumonde!—Dis-moi,demandaAlexandre,quepuis-jefairepourtoi?—Uneseulechose,murmuraDiogènesansbouger.—Laquelle?Parle,tuserasexaucé!Alors,désignantd’unemain lecieletde l’autre l’ombreque faisaitAlexandresursoncorps,Diogène

réponditsimplement:—Ôte-toidemonsoleil.

QuandDiogènes’éteignit,ilavaitquatre-vingt-sixans.Encorenemourut-ilpasdevieillesse,maisenmettantfinàses jours.Onledécouvritunmatin,sans

vie,dansson tonneau.Bienqu’il fûtopposéauxcérémoniesetauxsépultures,on lui fitdes funéraillesgrandioses.ÀCorinthe,onédifiaàsagloireunsuperbetombeausurlequelsetenaitunchienenmarbreblanc.Etl’onpouvaitlire,gravéedanslapierre,cetteétrangeépitaphe(11):

Dis,chien,dequigardes-tuletombeau?Duchien.

Etquelestcethomme,lechien?Diogène.

Dequelpays?DeSinope.

Celuiquihabiteuntonneau?Lui-même.Etmaintenantilestmort

etilhabitelesastres.

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VIIIDÉMOSTHÈNE

OUL’ORATEURBÉGAYEUR(VERS374AV.J.-C.)

—NOUSPARTONSpourlajournée,Démosthène.Nousteconfionslamaison.Pasquestionquetusortes,Dédé,bienentendu.—Bi…bien,coucou…cousinApho…Apho…—Inutiled’approuver!l’interrompitThérippide.Tuterendsridicule.—Ah,Momo,qu’allons-nousfairedetoi?ajoutaDémophon.Démosthènebaissalatêteenrougissant.Lecœurgros,ilregardas’éloignerlestroishommes.Sonpèreétaitmorthuitansauparavant.Avantde

disparaître,ilavaitconfiésonfils,safilleetsesbiensàdeuxcousins,AphorusetDémophon,etàunami,Thérippide.Loinderespecterlesdernièresvolontésdurichearmurier,cessinistresindividusnégligeaientl’éducationdesesenfantsetdilapidaientsafortune.Orphelin,privédetouteinstruction,Démosthèneétaitunadolescentdequinzeansmalingreettimide.

Deplus,ilétaitaffligéd’ungroshandicap:ilbégayait!ÀAthènes,encestempsoùlesorateursétaientaussi admirés que les conquérants, c’était plus qu’un défaut : un vice.Dédé, Momo. Loin d’être desdiminutifsaffectueux,cessobriquetsdontonl’affublaitétaientpourluiunehumiliationpermanente.Restésurleseuil,ilrefoulaitseslarmesetsacolèrequandunepetitemainsaisitlasienne.—Démosthène?Parstepromener,situveux.Jegarderailamaison.Etpuisjeneseraipasseule,nos

cousinsonttantdeserviteurs!C’étaitsasœurcadetteCléobule,àpeineâgéededixans.Ému,Démosthènel’embrassaetluichuchota:—Merci.Neré…révèlepasmonabsence.Jeneseraip…paslong.Il s’éclipsa et courut rejoindre le centred’Athènes. Il aimait flâner en ville, s’instruire au contactdes

philosophes.Ilsepassionnaitpourlapolitique.Mais,gênéparsonbégaiement,iln’osaitjamaisparticiperàlamoindrediscussion.Ce jour-là, une foule considérable se pressait à l’agora. Se haussant sur la pointe des pieds, le jeune

hommetentad’apercevoirl’orateurquiharanguaitlafoule,juchésuruneestrade.—Oui,j’osem’opposerauxthèsesdeChabriasetdeTimothée!Fasciné, Démosthène fixait l’orateur. Pourtant, il n’était guère séduisant. Sa voix était aiguë,

désagréable,sesargumentspeuclairs.—Ilaraison!approuvaientlesspectateurs.Lui-même se sentait touché, prêt à être convaincu. Bientôt, il comprit que c’était la musique, le

balancement,lerythmedesphrasesquitenaientlepublicenhaleine.—Qui…quiestcetorateur?demandaDémosthèneàsonvoisin.—Voyons,petit!C’estCallistrate!Unseconddiscoursplusvéhément,mieuxconstruit,suivitlepremier.Démosthèneseraitrestéicides

heures.Ilrevintaulogisaumomentoùsescousinsrentraient.Ils’agrippaàleurvêtementetglapit:—Jeveuxsuivredesleçonsdedédé…dedéclamationetdephiphi…—…losophie?achevaAphorus.Tuveuxrire,monpauvreMomo!Sitonespritbredouilleautantqueta

langue,qued’argentgaspillé!—Tuveuxdevenirphilosophe?semoquaThérippide.—Non,pasphilosophemaiso…o…Ah!O-o…—Ohoh!Voilànotreamiquis’énerve!raillaAphorus.—Auteur?Organisateur?Euh…Orthophoniste?raillaDémophon.—Orateur!lâchaDémosthèned’uncoup.Àcemot,sescousinss’esclaffèrent.Thérippidepleuraitderire.—Orateur!MonpauvreDédé,tunepouvaispasmieuxchoisir!Démosthènes’éloigna,larageaucœur.Lesoir,ilconfiaàsasœur:—Plustard,Cléobule,jem…mevengeraidenoscousinsetdecefoufou…cefourbedeThérippide!Oui.

Jeseraio…o-o!…Ooooh…—Orateur,approuvaCléobuleenleregardantavecindulgence.

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Démosthènegrandit.Il apprit seul à lire et à écrire. Il s’instruisit clandestinement en suivant les cours des philosophes

Eubulide,IséeetPlaton.Hélas,sonbégaiementl’empêchaitdeparlerenpublic,luiquibrûlaitdeclamersondésirdejusticeetdepaix.Ilmûrissait en silence et attendait samajorité avec impatience. Ce jour-là, il chassa les intrus de sa

maison:—Mi…misérables!rugit-il.Rendez-moilafortunedenosparents!—Difficile,ricanaAphorus.Nousavonstoutdépensé.—Partons!ditDémophon.Nousavonsvenduledernieresclavehier.—Bah,illuirestesasœur!semoquaThérippide.—Jevaisvousintenterunpro…unpropro…—Unprocès?Lesjugeséclaterontderireent’écoutant!Pourtant,lesjugesl’écoutèrent.Sarequêteétaitsivibranteetsesmotssijustesqu’ilgagnasonprocès

malgrésonbégaiement.—Bravopourtaplaidoirie!lefélicitalejuge.Maisnecomptepasêtredédommagé:l’argentdépensé

partescousinsétaitmalacquis(12)!Dépité,Démosthèneserasaàmoitiélecrâneetgagnalecimetière.Ilcroisasasœur;elleétouffauncri.—Zeustout-puissant!Quet’est-ilarrivé?—Jemesuistondupourexhibermondéshonneur!Jevaism’enfermerdansuntom…untombeaupour

ytravailler.Cléobule,peux-tum’apporterlesouvragesdeThucydide?J’enaibesoin.Quandellerevint,elledénichasonfrèreaccroupiquiécrivaitàlamaigrelueurd’unelampeàhuile.—VoilàlesdiscoursdeThucydide,dit-elle.EtsonHistoiredelaguerreduPéloponnèse.Démosthène…

quandsortiras-tudecetrou?—Quandmescheveuxaurontrepoussé.Quandj’aurairédigéundi…undiscours.Etquandjenebé…

bégaieraiplus.Ilarticulaitavecsoin.Cléobulevitquelesjouesdesonfrèreétaientdéformées.—Dis-moi…quemanges-tu?—Rien.J’aimisdesca…descaca…descaillouxdansmabouche!—Quellehorreur!Etpourquoi?—Pourmémé…m’efforcerdem’exprimermalgrémonhandicap.J’espèreainsimedé…débarrasserde

cebégaiement!Pendant les mois qui suivirent, Cléobule rejoignit son frère chaque jour dans son caveau. Elle le

surprenaitsouventoccupéàdéclamerdesdiscours.—Quellesnouvelles?demandait-il.Dequoiparle-t-onàAthènes?— De Philippe de Macédoine. On craint qu’il n’envahisse le pays. Hélas, tu le sais bien : les Grecs

réagissentpeu.Ilspréfèrentlediscoursàl’action!—Ilsontraison.Unorateurestpluspuissantqu’unconquérant.—Tuplaisantes?—Pasdutout.Réfléchis,Cléobule:lesconquérantsagissentparcequ’ilssontconvaincus…Convaincus

qu’ilfautleverdesimpôtsoudéclarerlaguerre.Maiscesconvictionssontrarementlefruitderéflexionspersonnelles.Carleshommespolitiquessonttroppréoccupésd’agirpoursesoucierderéfléchirpareux-mêmes.Elleécoutaitsonfrère,fascinée.Commeilavaitchangédurantcesmois!D’abordilnebégayaitplus.Sa

voixétaitposée.Sondiscoursétaitdevenuimagé,solide…sibienconstruitqu’onnepouvaits’empêcherdel’écouter.Démosthènepoursuivit:— Ils s’informent, prennent conseil… Voilà pourquoi les vrais gouvernants sont les orateurs ; ils

influencentlestyranssansmêmequeceux-cilesoupçonnent!Unmatin,Démosthènesortitdesaretraite.IlavaitrecopiéhuitfoislesœuvresdeThucydide.Ilavait

médité, écrit des centaines de harangues(13), passé des milliers d’heures à déclamer, tantôt dans soncaveau, tantôt au port, devant les vagues mugissantes. Il avait ainsi appris à maîtriser sa voix face àd’éventuellesréactionshouleuses.Aujourd’hui,ilsesentaitprêt.Ilavaittrente-cinqans.Ilseprésentaàl’ecclésiaetfitundiscoursdontlaforceetlaqualitéstupéfièrentl’auditoire.Plustard,il

plaidapourunegestionplusstrictedesfinancesdel’État.Ilétaitsiconvaincantqu’ilfutaussitôtadmisparmilesmembresduConseil.Commelesconseillersrefusaienttoujoursd’agircontrePhilippedeMacédoine,ils’exclamaunjour:—Citoyens,réveillez-vous!Désormais,lesplusrichesnepaientplusl’impôtqu’ilsdoiventàlacité.Les

plus pauvres ne s’intéressent qu’aux jeux que nous leur fournissons. Notre armée compte plus demercenaires(14)quedevolontaires.Etnotreflotteestréduiteàquelquesépavesquicroupissentdans leportduPirée.Quellenationsommes-nousdevenue,pourrefuserdeprendreenmainnotredestin?Troublésparcediscours,lesGrecs,penauds,baissaientlatête.

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— Pendant que nous dormons sur nos lauriers fanés, Philippe envahit nos colonies. Il menace nosfrontières.Ilcomplote.Ilrecrute.Ilsefaitdenouveauxalliésavecnosvieuxennemis…Démosthènesedéchaînait,multipliaitlesmétaphores(15),prenaitlepublicàtémoin.Ilmaniaitl’ironie,

le sarcasme, l’enthousiasme. Parfois, il improvisait questions et réponses. Si l’attention des auditeursfléchissait,ilchangeaitdeton,etdestyle,alternaitlesexclamationspercutantesavecdelonguesphrasespoétiques.—Quellediatribe(16)!Quelleconviction!lançaunAthéniensubjugué.—Jamais jen’ai entenduunorateur sibrillant, renchéritunautre.Niuneaussi éclatante supplique.

Oui,ilfautagir!—SinotrepassivitépermetàPhilipped’envahirnotrepatrie,conclutDémosthène,jemesupprimerai.

Jepréférerailamortaudéshonneur.Quandilrevintchezlui,Cléobuleluifitfête.—Tondiscoursafaitgrandbruit!Onneparleplusquedetoidanslaville.Tuesdevenuleplusgrand

orateurdetoutelaGrèce!Dès lors, ilmultiplia sesPhilippiques. Il affronta dans plusieurs duels oratoires Isocrate, qui voulait

qu’AthènescombatteplutôtlesPerses.Ildénonçal’undesescollègues,Eschine,untraîtreàlasoldedesMacédoniens.Etilproposaunprogrammededéfense.Hélas,quandonserésolutàréagir,ilétaittroptard:malgrél’allianced’AthènesavecThèbes,Philippe

deMacédoineenvahitlaGrèce.IlfinitparvaincrelesGrecsàChéronée,en338avantJésus-Christ.Aussitôt,Démosthène partit avec sa sœur se réfugier sur la petite île deCalaurie, près de la côte de

l’Argolide.Cléobule,quiconnaissaitlesintentionsdesonfrère,lesuppliaenpleurant:—Duranttoutescesannées,jet’aiaidé,encouragé,accompagné.Jet’aiconsacrémavie.Jen’aijamais

prisd’époux!Nemetspasfinàtesjours:aiepitiédetasœur,nelalaissepasvieillirseule!IlsavaientgravilacollineetgagnéletempledePoséidon.Là,accoudéàl’autel,Démosthèneouvritle

petitrécipientqu’ilavaitemporté.Ilregardaunedernièrefoislamer,pritlamaindesasœur,luisouritetavalalepoison.Presqueaussitôt,ils’écroula.Enlarmes,Cléobulesepenchasurlecorpsdesonfrère.—LaGrèceaperduleplusgrandorateurdetouslestemps,murmura-t-elleenguised’oraisonfunèbre.

QuelepasseurCharon,cherDémosthène,teconduiseauxChampsÉlysées…Commelevoulaitlacoutume,elleglissaunepiècedanslabouchedudéfunt,oboledestinéeàpayerle

voyageaupasseur.Enaccomplissantcegeste,ellesentitunpetitobjetdursouslalanguedeDémosthène.Elleleretira,stupéfaite.Puisleserracontresoncœur,commeunprécieuxbijou.C’étaitunsimplecaillou.

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IXARISTOTE

OUUNSAVANTENEXIL(347AV.J.-C.)

ACCOUDÉ à la poupe du navire qui s’apprêtait à cingler pour la Mysie, Aristote soupira en voyants’éloignerleportd’Athènes.Àtrente-sixans,ils’exilaitunenouvellefois!Avisantsespanièresabandonnéessurlepont,ilcria:—Capitaine!Queteshommesmettentmesdocumentsàl’abri,ilscraignentl’humidité!—Bigre,grommelaunmatelot,quelpoids!Quetransportes-tulà?—L’œuvredetoutemavie.—IlparaîtquetuesunamidePlaton?demandalecapitaine.Àcetinstant,lenaviretanguaetunepanièrebascula.Soncontenusedéversa:unecollectiondepierres,

un herbier, des boîtes d’où s’échappaient des coquillages et des insectes desséchés, enfin des rouleauxmanuscritsquisedéroulèrentetclaquèrentauvent.—Ah,quelmalheur!Vite,aidez-moi!L’équipageseprécipita.Quandtoutfutremisdanslapanière,Aristotedéclaraaucapitaine:— Je suis moins philosophe que savant. Platon ? Oui, j’ai suivi son enseignement. Mais il vient de

mourir.Aussi,jepréfèrequitterAthènescarjesuismacédonienetl’onseméfiedemoi…AutrefoisannexéeparlesPerses,laMacédoineétaitredevenueindépendante;depuispeu,elletentait

d’occuperparlaforcecertainesprovincesgrecques.Aristoteétaitl’amiduroideMacédoine,PhilippeII.Quelquesannéesplustôt,cesouverainluiavaitmêmeproposédedevenirleprécepteurdesonfils.MaisAristote,quifuyaitlesconflitsetnes’intéressaitqu’àsesrecherches,avaitdéclinél’offre.Aujourd’hui,illeregrettaitunpeu.—Sagedécision!approuvalecapitaine.Tun’avaispasdefamilleàAthènes?—Seulementunneveudetreizeans:Callisthène.J’avaiscommencésonéducation.Jemevoiscontraint

del’abandonner.Unpoissonvolantjaillitpar-dessuslebastingageets’écrasasurlepontenfrétillant.Aristoteleramassa

pourl’examiner.—Voilàunanimalquejeneconnaispas!s’écria-t-il.—C’estunehirondelledemer,fitlecapitaine,blasé.UneespècequipulluleenMéditerranée.—Attends,fitlesavantquiécartaitleslargesouïes.C’estunpoissonouunoiseau?—Plutôtunpoisson,jecrois.Entoutcas,çavitdanslamer.—Pourtantilvole?—Pasvraiment.Propulséhorsdel’eau,ilplaneetretombeaussitôt.Quelleimportance?—Jeveuxdresser l’inventairede toutes les connaissanceshumaines.Classerméthodiquementcequi

existe.Toutmepassionne.—Tout?s’étonnalecapitaine.Qu’entends-tuparlà?—Lesphénomènesduciel,lespierres,lesplantes,lesanimaux.Uninsectetournaitautourducapitaine;ill’écrasasursajoue.Aristotepoussauncriindigné.—Eh,sedéfenditlemarin,cen’étaitqu’unesaleguêpe!—Non,uneabeille.Sonintelligencetesurprendraitsituconnaissaislesrèglesdesasociété!Lanature

nerenfermequedesmerveilles.Lecapitainelequestionnaencore:—Ainsi,tupréfèresfuirenMysieplutôtqueretournerdanstonpays?—Oui.JeconnaisbienHermias,quirègnesurlescitésd’Atarnéeetd’Assos.Le capitaine réprimaun ricanement : le roideMysien’avaitpasbonne réputation, c’étaitunesclave

affranchi!— Il m’accorde l’hospitalité, expliqua Aristote. Nous étions amis à l’époque où, à Athènes, nous

fréquentionsl’AcadémiedePlaton.—Sais-tuquetuvasvivreprèsd’Ilionqui,voicimilleans,futleberceaudel’humanité!—Oh,soupiraAristote,jecroisqued’autresvillesontexistéavantelle.Depuislanaissancedumonde,

biendescivilisationssesontsuccédé,enraisondecataclysmes…oudel’écoulementdutemps!

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Désignantlacôtequis’éloignait,ilajouta:—Vois-tucepaysage?Ehbieniln’apastoujoursressembléàcequenousvoyons.Ilaévoluéluiaussi.Ébahiparcediscoursencontradictionavectouteslesreligionsettouteslescroyances, lecapitainese

tut,dubitatif.Décidément,ilavaitembarquéunbienétrangepassager!Il fallut plusieurs jours pour traverser lamer Égée. Après avoir longé l’île de Lesbos, le navire y fit

escale, àMytilène. Resté à bord, Aristote guettait la côte deMysie qu’on distinguait déjà, à cent vingtstadesdelà.Aumomentoùonlarguaitlesamarres,sonregardtombasurunarbustequipoussaitsurlequai.—Halte!hurla-t-il.Voilàunnouveauvégétalpourmonherbier!Le capitaine dut s’armer de patience. Le savant, en déracinant l’arbuste, avait aperçu des fleurs

inconnues.Ils’empressadelescueilliravantdereveniràbordetdes’extasier:—Quellefloreétonnante!Dommagequel’escaleàLesbossoitsibrève!Le même soir, le navire pénétrait dans le port d’Atarnée. Penché au bastingage, Aristote guettait

l’ambassaded’Hermias.Maisiln’yavaitlàqu’unejeunefilleaccompagnéedesixesclaves.Quand ilmitpiedà terre,elles’avançavers luiet,avecungracieuxsourire, l’abordadans lemeilleur

grec:—TuesbienlegrandAristote?L’anciencompagnond’Hermias?Jetesouhaitelabienvenue.Jesuis

Pythias,lasœurdelaitduroi.Etsafilleadoptive.Jusque-là,Aristotes’étaitpeupréoccupédes femmes.Petit,presquechauve, iln’étaitguèreséduisant

avecsesjouesmaigresetdéjàridées.Quandilétaitému,illuiarrivaitdebégayercommeDémosthène.La grâce et les attentions de Pythias le touchèrent. Tandis qu’elle donnait des ordres pour qu’on

emportelespanières,illadévoraitdesyeux.Uninsecteinconnuseposasurlajouedelajeunefemme,ilsehâtadelesaisir.Etpourlapremièrefoisdesavie,aulieudel’observeroudeleglisserdansuneboîte,ill’écrasasansregret.Arrivéaupalais,ilfutaccueilliparlesouverainquil’embrassaetl’accabladedémonstrationsd’amitié.—Aristote!Monami!Quellejoiedeterevoir!Pardonne-moiden’êtrepasvenumoi-mêmeauport…

Tuesicicheztoi.—Hermias,commentteremercier?fit-ilensetournantverssajeunehôtessequibaissaitmodestement

latête.—C’esttoi,Aristote,quim’honoresdetaprésence ici !Sais-tuquetuvasretrouver lesageetsérieux

Xénophon qui, t’en souviens-tu, était le plus attentif auditeur de Platon ? Il séjourne à Assos, la villevoisine!Viens,quejetemontretesappartementsetlabibliothèqueoùtutravaillerasàtaguise.LaMysieabritedesanimauxetdesplantesqu’iln’yanullepartailleurs!Situasbesoindemain-d’œuvre,disposedemesesclavesàtongré.Leroiremarqualesregardsdesonhôteenverssafille.—TuasdoncfaitlaconnaissancedePythias!fit-ilenélargissantsonsourire.Jeluiaisouventparléde

toi.Sais-tuqu’elleestpassionnéepartestravaux?Elleestdouéepourl’étude.Maishélas,Atarnéen’estpasAthènes !Depuisquetunousasannoncétavenue,ellen’aqu’unrêve : t’écouteret t’assister.Si tuvoulaisluifaireplaisir…—Toutleplaisirserapourmoi,bégayaAristotequines’étaitjamaissentisimaladroit.

Bientôt, à la plus grande joie d’Hermias, Aristote épousa sa fille. Installés au palais, Pythias et luivécurentplusieursmoisdansunbonheurparfait.Loindenégligersestravaux,lesavantlesmultipliait.Aristotene regrettaitpasAthènes. IlpensaitparfoisàCallisthène.Mais le sortde sonneveudélaissé

n’étaitpasdetailleàentamersoneuphorie.Pythiasavaitdonnénaissanceàunefille.Unmatin,soncollègueXénophonsurgit,horsd’haleine,danssoncabinetdetravail:—Savais-tuquenotrehôte,Hermias,complotaitcontrelesPerses?Aristotehaussalesépaules.Lapolitiquenel’intéressaitquesurleplanthéorique.Justement,ilétaiten

trainderédigerunouvrage,Dugouvernement,danslequelildétaillaitlaconstitutionde158États,deladémocratieàl’oligarchie,enpassantparlatyrannie.—Non.Euh…jecroisqu’ilaideleroideMacédoineàreprendrelecontrôledel’Empireperse.—C’estlamêmechose!grommelaXénophon.LesPerses,poursevenger,viennentd’envahirAssos.Et

ilssontauxportesd’Atarnée.Vite,faistesbagages!Aumêmeinstant,Pythiasentra,portantsonbébédanssesbras.Elleétaitenpleurs.—Aristote,monaimé !C’est terrible…Nousavonsété trahis !LesPerses sontdans lepalais, ilsont

capturémonpère!Nousdevonsfuir!—Fuir?bredouillaAristote.Il considéra, dans la bibliothèque, sonmanuscrit en cours, ses collections de végétaux, ses insectes

épinglés,sesrouleauxéparpillés.Malgrélessupplicationsdesafemme,Aristoteinsistapourtoutemporter.Impatient,Xénophonleurfit

sesadieuxets’éclipsa.

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Heureusement,lesPerses,sûrsd’êtremaîtresdupalais,étaientoccupésàinvestirleport.Lesfuyardsgagnèrent les faubourgs. De fidèles esclaves les aidèrent à rejoindre une crique où des pêcheursacceptèrentd’embarquercouple,enfantetbagages.—Lanuittombe,jenedépasseraipasLesbos!déclaralepropriétaireduminusculeesquif.Ildésignait,danslecouchant,lacôtedel’îlelaplusproche.—VapourLesbos!ditlesavantquiserraitcontreluisonépouseetsafille.Auloin,enproieàlacolèredesPerses,Atarnéebrûlait.

Aristote et Pythias s’installèrent à Lesbos. Peu après, ils apprirent la mort d’Hermias ; les Persesl’avaienttorturéetexécuté.—LesPerses,toujourslesPerses!répétaitlesavantavecamertume.PhilippedeMacédoinearaisonde

luttercontreeux!LaGrèceatoujourssuleurrésister.Finalement,l’îledeLesbosconvenaittrèsbienàAristote:ellerenfermaitunefloreetunefaunesiriches

qu’ilrepritsesrecherchesavecacharnement.Lanuit,ilexaminaitlesétoiles.IlexpliquaitàPythiasquetouslesastresétaientsphériquesetenmouvement.Parfois,jouantavecleurfillequigrandissait,ils’extasiait:—Netrouves-tupasmerveilleuxqueleshumainsseperpétuent?—Hélas,lesêtresvivantssontcondamnésàmourir,soupiraitPythias.—Oui,maisdepuislanuitdestemps,leurespèceperdure!Ils’étonnaitdeceprodigeettentaitd’encomprendrelefabuleuxmécanisme.Leurbonheur futdecourtedurée :Pythias tombamalade.Aristoteconnaissaitbien lamédecine.Pas

assezpourlaguérir.Suspenduàsonchevet,ill’assistajusqu’auderniermoment.—J’aiunerequête,luidit-elled’unevoixfaibleavantdemourir.Faisbrûlermadépouille.Conservemes

cendres.Etordonne,quandtumerejoindras,quenosdeuxcorpssoientréunis.Aristotepleuraetpromit.Lesannéespassèrent.Unjour,uninconnuseprésentachezlui:—Es-tubienAristote?CeluiquiestnéàStagireenMacédoine?—C’estmoi.Sij’encroistatenue,tuesuncompatriote!Levisiteurs’inclinaetsourit.—Je techerchedepuisdesmois.Enfin, je t’ai retrouvé !Notresouverain,PhilippeII,m’envoie. Il te

demandesitutesouviensdelalettrequ’ilt’afaitparveniràAthènes,voicitreizeans.Tantd’événementss’étaientécoulés!Aristotefitasseoirsonvisiteur.Enfouillantdanssesarchives,ilfinitparretrouverlevieuxcourrierdu

roi,sonami:«J’aiunfils.Jeremercielesdieuxnonpastantdemel’avoirdonnéquedel’avoirfaitnaîtredutempsd’Aristote.J’espèrequetuenferasunsuccesseurdignedemoietunroidignedelaMacédoine.»—Jesuisnavré,ditlesavant.Jen’aijamaisrépondu.Àl’époque,jen’auraispaspuaccepter.J’étaistrès

occupé.Iln’osapasajouter:Jelesuisbeaucoupmoinsaujourd’hui…IlavaitfaitletourdetoutcequeLesbospouvaitluioffrir.Plongédanslarédactiondehuitouvragesde

physique,ilavaitmisuntermeàsesobservationssurlafloreetlafaunedel’île.—Cetenfantdoitavoirbiengrandi!s’exclamaAristote.— Il a treize ans. Il s’appelleAlexandre. Il est aussi intelligentque vif et turbulent. Sonambition est

dévorante,soncaractèresiautoritaireetimpétueuxqu’aucunprécepteurnepeutenveniràbout!Toiseulpourraisassurersonéducation.L’ambassadeur se leva ; il ouvrit laporte,désignaau loin la trière rapideavec laquelle il était arrivé.

Solennellement,ilajouta:—PhilippeIItesuppliederejoindretonpays.D’éduquersonfils.Avectonaide,Aristote,Alexandrefera

untrèsgrandroi.—J’accepte,réponditlesavantd’unevoixquitremblaitunpeu.Ilallaitretrouversapatrie.Lavied’Aristote,le«Princedesphilosophes»,étaitloind’êtreachevée.Pendantdouzeans,ilassura

l’éducationdufuturgrandconquérant.PuisilrevintàAthènes.Àsamorten322avantJésus-Christ,on retrouva son testament…etuneurne funéraire.On laplaça

danssontombeau,commeill’avaitspécifié.C’étaientlescendresdesafemmePythias.Ilnes’enétaitjamaisséparé.

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XALEXANDRELEGRAND

OUDANSLESPASDUMAÎTREDUMONDE(VERS327AV.J.-C.)

DANSlepalaisdeMarakanda,lebanquetbattaitsonplein.Sous le regard indulgent des généraux, les soldats ripaillaient, braillaient, provoquaient les jolies

femmesbarbaresquilesservaient.—Tuboistrop,ditCallisthèneenécartantlacoupequ’Alexandres’apprêtaitàvider.—Quies-tu,rugit-il,pourosermedonnerdesordres?Dansungestepleind’affectionetdesollicitude,Callisthèneentoura lesépaulesduconquérant ; il lui

chuchotaàl’oreille:—Jesuis tonanciencamaraded’étudeet leneveud’Aristote,notreprécepteur.Et jesuissurtout ton

historiographe(17),Alexandre!C’esttoiquim’asdemandédetesuivredanscettefolleconquête,etd’enrelatertouteslespéripéties!—Celatedonne-t-illedroitdemeconseiller?—Non.Maisquedevrai-jerévéleràceuxquilironttonhistoire?QuelegrandAlexandre,leplussobre

d’entrenous,afiniparseréfugierdansl’alcool?…L’ivressetedopeettedupe,Alexandre!Refuses-tudecomprendrequel’universesttropgrandpourtonappétit?Alexandreblêmit.Iljetauncoupd’œilsursessoldats.Heureusement,ilsétaienttropoccupésàmanger,

àboireetàjouerpourprêterattentionàcettedispute.Serelevantàdemi,ilmurmura:—Attention,Callisthène,tuvastroploin:tum’insultes!—Pose-toilaquestion,insistaCallisthène:queveux-tu?Laréponseest:régnersurlaTerreentière!

UneTerredontnulnesaitsielleest rondepuisquepersonnen’ena fait le tour !Etsi tuavaisvu tropgrand?—Jusque-là,mesconquêtesn’ontpassimalréussi!C’étaitvrai.Lafougued’Alexandre,soncharisme(18),satéméritéquilefaisaitseporteràlatêtedeses

soldatsdans lesaffrontements lesplusdésespérés, saclémenceet sagénérosité–aussigrandesquesacruauté dans ses vengeances –, tout cela forçait l’admiration de ses alliés comme de ses ennemis. Seshommes,quil’adulaient,l’auraientsuiviauboutdumonde.Seulementvoilà,leboutdumondeétaitloin…Ensixans, lamodestearméedu roideMacédoine– trentemillehommesetquatremille cinq cents

cavaliers–n’avaitcessédepoursuivreDarius,leroidel’immenseEmpireperse.Peuàpeu,elleavaitfiniparannexerlaMésopotamie!—Situveuxvivrevieuxetgérercetempire,repritCallisthène,tudoismodérertesappétits…Ildésignalesvins,lesvictuaillesetlesfemmesquidansaient.D’ungestelarge,ilmontralaterrassequi

dominaitlavilledeMarakandaet,au-delà,laMédie,laGédrosieetlaBactriane…— Autrefois, reprit-il, ton père t’avait recommandé de te chercher un autre royaume puisque la

Macédoineteparaissaittroppetite.Ehbien,tevoilàcomblé.—Comblé?réponditAlexandreenéclatantderire.Tumeconnaisbienmal!Héphastion,viensdonc

trinqueravecnous!Héphastionétaitlegénéralpréféréd’Alexandre.IllechérissaitplusencorequeRoxaneetParysatis,les

deuxjeunesPersesqu’ilpensaitépouser.Héphastion s’approcha. Il dépassaitAlexandre d’une tête et, comme lui, était rasé de près– se faire

couperlabarbeétaitunemodequelejeuneconquérantavaitlancéeetquel’empiresemblaitsuivre.—Prosterne-toidevantledescendantdeZeus-Ammon!Ammonétaitundieuorientalqu’Alexandreavaitadopté.Enfait,iladoptaittouteslesdivinitésdespays

qu’iloccupait.Unmoyen,affirmait-il,desefaireaccepterdespopulationslocales.Toutendonnantcetordre,Alexandres’étaitlevéentitubant.Ilallas’affalersurlefauteuilenormassif

quitrônaitderrièrelatable.Héphastion s’empara d’une couronne ornée de cornes de bélier. Il en coiffa son maître. Puis il

s’agenouilladocilementetseprosternaàlamodeorientale,lefrontfrôlantlesol.Enfin,illevasacoupeenclamantàtoutel’assemblée:

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—Jeboisànotrebien-aiméAlexandre,ZeusetAmmonréincarnés!Dépité,Callisthènehaussalesépaulesetpartit.Il s’éloigna des clameurs de l’orgie et goûta le vent frais de la nuit. Il rejoignit sa chambre ; là, des

papillonsnocturnestournaientautourdesalampeàhuile;ilseprécipitaetlescapturasansmal.— Voyons, murmura-t-il en les examinant, voilà trois insectes que je ne connais pas ! Il faut les

répertorier.Aristoteseracontent!Lespapillonsdanslamain,ilcherchalaboîteoùilenfermaitsesdécouvertes.—Ah,jel’aioubliéedanslesappartementsd’Alexandre!Chaque jour, scrupuleusement, Callisthène recueillait une foule d’informations sur la population, les

arts,lessciences,lescoutumes,lafauneetlafloredetousleslieuxquel’arméetraversait.Ilsélectionnaitdesspécimensinconnusettouteslestroisouquatredécades,ildépêchaitversAthènesuneexpéditionquiles rapportait à Aristote, ainsi qu’une manne de documents. Quand ils avaient conquis et investiBabylone,quatreansplustôt,ilyavaitdécouvertdestablettesd’argiledontlatraductionavaitrévélédeuxmilleansd’observationsastronomiques.Deretourdanslesappartementsduconquérant,ilpassaprèsdelapièceoùRoxanereposait.— Enfin, une visite ! fit-elle joyeusement en quittant le lit. Viens, Callisthène ! Sais-tu quand mon

seigneuretmaîtreviendra?—Bientôt.Ilserestaure…etilsedistrait!dit-ildansunegrimace.—J’aimeraistantquetum’apprennesàlirelegrec!Connais-tucetouvrage?Alexandrelelitchaque

soir,sitardquejem’endorstoujoursavantlui.Etquandjem’éveille,ilestparti.Alexandredormaitpeu.Ilétaitbouillonnantd’activités.—C’estl’Iliade.Uneéditiontrèsprécieuse.Ildéroulalepremierrouleauetsoupirad’envie.Leurmaître,Aristote,avaitoffertcetteœuvreaujeune

roiavantsondépart.«Net’enséparejamais»,luiavait-ilrecommandé.Le texte était abondamment annoté de lamain du philosophe. Callisthène aurait donné sa vie pour

posséderl’ouvragedesononcle!En voulant le remettre enplace, samainheurta le tranchant d’une arme ; il la sortit des draps avec

précaution.—C’estsonglaive,expliquaRoxane.Ilnedortjamaissanslui.Soudain,deséclatsdevoixretinrent leurattention.Presqueaussitôt,Alexandrefitsonentrée.Ivre, il

tenaitdanssesbrasdeuxfillesderoi:lapremièreétaitcelledeDariusIII,Statire,etl’autre,Parysatis,lafilled’ArtaxerxèsIII,leroipersequiavaitprécédéDarius.Deuxprisesdeguerre.—Vois,Callisthène!s’exclama-t-ild’unevoixpâteuse.Est-cequejenetienspastoutelaPerse?Oui,je

laserrepourmieuxl’embrasser!Iljoignitlegesteàlaparolepuisrepoussabrusquementlesjeunesfilles.—Va-t’enaussi,Roxane,rejoinstesdeuxcompatriotes!Jedormiraiseulcettenuit.Dis-moi,quefais-tu

ici,toi?grogna-t-il,suspicieux.—Jesuisvenurangertroisnouveauxpapillonsdenuitdanslaboîteauxinsectes,réponditCallisthène

enmontrant, de son poing fermé, la pièce voisine où se trouvaient, entre autres, des provisions et dubutin.—Vraiment?réponditAlexandredansunméchantrictus.Permets-moid’endouter.Reconnaisquej’ai

dequoimeméfier:jetesurprendsprèsdulitdemamaîtresse,entraindemevolermonexemplairedel’Iliadeetd’ôtermonglaivedesousmonoreiller.—Quoi?Turêves!Jetedisquejevenaisde…—Tesouviens-tudece serviteurque je soupçonnaisdecomploter contremoi?ajouta le conquérant

d’unevoixplussèche.Celuiquej’aimisdepuistroisjoursàlatorture?Ehbien,ilvientd’avouer…—Qu’a-t-ilrévélé?demandaCallisthènesanss’émouvoir.—Tout!Ilconspiraiteneffet.Ilvoulaitm’assassiner.Ila livré lenomdesescomplices.Ettuenfais

partie,Callisthène…Leneveud’Aristotesefigea.Cetteaccusationétaitmonstrueuse.Inacceptable.Ilserebiffa:—Ettul’ascru?Tupensesquejeveuxtesupprimer?Moiquirelatejouraprèsjourtesfaitsetgestes?

Moiquiaigrandipendantsixansàtescôtés?—Pourquoipas?Philotas, leplushabilede tousmesgénéraux,abienvoulum’assassiner.Et ilétait

monfavori!C’étaitvrai.Àcesouvenir,Callisthènefrémit.Aprèsdelonguestorturesetdesaveux,Philotass’étaitfait

lapiderparsespropressoldats,commelacoutumel’exigeait.—Despapillons,prétends-tu?Alorspermetsquejevérifie…IlsaisitbrutalementlepoingfermédeCallisthèneettentadel’ouvrir.Levisageduroifrôlaitlesien,son

haleinepuaitlevin.—Arrête!Tuvasleslaissers’échapper!—Vas-tuouvrirtamain?Oublies-tuquenulnepeutmerésister?C’étaitl’unedesesphrasespréférées.CellequelaPythiedeDelphesavaitfiniparluijeter,malmenéeet

vaincue,parcequelefuturconquérantluiréclamaitunprésageetqu’ellerefusaitdeleluilivrer:nulne

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peutterésister!JamaisAlexandren’auraitpurêvermeilleuroracle!Callisthèneouvritlamain.Troispapillonss’enéchappèrent.—C’étaitdoncvrai,bredouillaleconquérantenvoyants’envolerlesinsectes.Les éclats de voix avaient attiré les esclaves. Sur le seuil, les trois jeunes Perses demandèrent si

Alexandreavaitbesoind’elles.—Non!Laissez-nous!Alexandresemblaitpenaud,etsoucieuxdeseréconcilier.—Quepenses-tudecesdeuxnouvellesbeautés,Callisthène?demanda-t-ild’unevoixradoucie.Vois-tu,

j’aimeraislesépousertouteslestrois.—Tuplaisantes?—Lescoutumes,ici,admettentqu’onaitplusieursfemmes.Ettusaisqueseconformerauxcoutumes

localesestlemeilleurmoyendetransformersesanciensennemisenalliés.—Troisfemmes!Ont’accusedéjàd’organiserdesorgies…—Messoldatsméritentdesedistraire!Voilàdesannéesqu’ilsontquittéleurpatrie!Lareverront-ils

jamais?Quantàcesdeuxfuturesépouses,tusaisbienqu’ellesn’aurontqu’uneutilité…politique.EllesscellerontmonallianceaveclesdeuxbranchesroyalesdelaPerse!Alexandreavaitentreprisderevêtirunesomptueuserobebrodéed’argentetornéedemotifsorientaux.—Jepensaisquetuvoulaisconquérirl’Orient,raillaCallisthène.Luiapporterlacultureetlacivilisation

grecquesdontAristotenousanourris.Etjeconstate…quec’estl’Orientquit’aconquis.—CesBarbaresméritentnotrerespect!répliquadurementAlexandre.Àcertainségards,ilssontplus

civilisésetraffinésquenous.Oh,etpuisjesuislasdetesreproches,detesconseils.Jetrouvequecequetuécrissurmoncompteestdeplusenpluscritiqueetsuspect.—Qu’est-cequetuinsinues?Jenefaisquerelaterdesfaits!—Et puis tum’appelles toujoursAlexandre. Jamais tu nemenommes sous le nomdu fils de Zeus-

Ammon.—Pardonne-moi,ironisaCallisthène.JetecroyaisfilsdePhilippeII!—JeterappellequemamèreOlympiasdescenddugrandAchille.Callisthèneconnaissaitbiencetteridiculelégendefamiliale.IlsesouvenaitcommentAlexandrel’avait

entretenue dès le début de ses conquêtes, quand il avait annexé la ville d’Ilion. Là, face au prétendutombeaud’Achille,ils’étaitlonguementrecueillietavaitfaitdenombreuxsacrificesauxdieux.L’historiographehaussalesépaulesetobjecta:—Undieuadespouvoirsquetun’aspas!—N’ai-jepasdomptéBucéphale?Aucunécuyern’envenaitàbout!Ce cheval, un animal extraordinaire par sa puissance et sa taille, était devenu le coursier favori du

conquérant.Callisthèneéclataderire.—Cetanimalavaitsimplementpeurdesonombre!Ilt’asuffideluitenirlatêtefaceausoleilpourque

tul’apprivoises.C’étaitingénieuxdetapart.Ettuasvoulufairepassercelapourunmiracle!—Qui…maisquit’aexpliquécela?demanda-t-il,stupéfait.—Toi-même,quandnousétionsjeunesetquej’étaistonconfident.—Aujourd’hui,leschosesontchangé!grondaAlexandre.Drapédanssatuniqueorientale,ildéclarad’unevoixforte:—Jeveuxbientepardonnertesparolesettessouvenirsinsolents,Callisthène.Maisjeveuxquetume

rendes hommage et prêtes allégeance. J’exige que tu te prosternes devant moi, comme l’a faitHéphastion!Callisthène soupira. Il se serait peut-être prêté à cette humiliation si elle avait revêtu, comme tout à

l’heure, l’aspectd’unjeu.MaisAlexandreétaitsérieux.Sesoumettreainsià lui,cettenuit,sanstémoin,pouvaitparaîtresansconséquence.Hélas,leconquérantrisquaitd’exigerlemêmecérémonialenpublic,demain.—Jerefuse,dit-ilenhaussantlesépaules.Toutcelaestridicule!—Ainsi,tunetesoumetspas?—Ai-jebesoindem’écraserpourquetuconnaissesleprixdemonamitiéetdemonadmirationpour

toi?—C’estbiença,grommelaAlexandred’unevoixsourde.Tucomplotesdonccontremoi!Callisthèneétaitfatigué.Ileutunepenséepourlespapillonsquis’étaientéchappés.Ilavaitenvied’aller

secoucher.—Tutetrompes!soupira-t-ilsansconviction.Jen’aijamaisagiquedanstonintérêt.Ettulesaisbien.Ilvoulutquitterl’appartement.Buté,Alexandrel’enempêcha.—Tunesortiraspasavantdet’êtreprosterné!Callisthènesentitmonterunecolèrelongtempsrefoulée.D’unevoixquelafatiguerendaitimpatienteet

nerveuse,iljeta:—Nesoispasstupide.Jesuis tonallié,Alexandre !Tonplus fidèleami !Et ton frèred’études, faute

d’êtretonfrèredelait…Cequimerenddansunetriplepositiondedépendanceenverstoi.Hélas,jesais

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tropbiencommentfinissenttesalliés,tesamisettesparents.Lemaîtredumondeparutd’uncoupdégrisé.—Queveux-tudire?demanda-t-ild’unevoixblanche.—Quetuasungoûtprononcépourtorturerettuertesalliés!s’emportaCallisthènequin’enpouvait

plus. Quand le satrape Bessus a tué Darius, son propre roi, pour te faciliter la tâche, au lieu de leremercier,tu l’as livréaufrèreduroiqui l’afaitexécuterdanslespiressouffrances!Voilàcommenttutraitestespartenaires…—Etmesamis?—Dois-jeterappelerquetuasexécutétonfidèlecommandantParménion,uncompatriote?—Ilcomplotaitcontremoi!affirmaAlexandre.Tulesais!—Non.Ilessayaitdetedissuaderdepoussertonarméeplusloin!Ilsefaisaitleporte-paroledeceux

quisontlasdetesuivre!EtClitos,quetuas,ilyapeudetemps,tuéd’uncoupdelanceicimême?Clitosquit’avaitsauvélaviependantlabatailleduGranique?Ilcomplotait?—Non, admit Alexandre demauvaise grâce.Mais il m’avait provoqué. Il avait misma vaillance en

doute,ilprétendaitquejedevaissurtoutmesvictoiresànossoldats…—Était-cefaux?Seul,queferais-tu?Quepourrais-tuconquérir?Sûrementpascettesagessequenous

enseignait Aristote ! Ton armée et tes amis ne te suffisent plus.Maintenant, tu veux des admirateurs.Clitosavaitunseultort:ilnet’admiraitplus.—J’étaisivre.Etluiaussi.Je…j’airegrettémongeste.—On a tenté de vous séparermais tu l’as poursuivi. Oh, je sais : après l’avoir tué, tu en as eu, des

remords!Tuasmêmevoulutesupprimer.Lavérité,Alexandre,c’estquetuasprisgoûtàl’assassinat.Etplusprochesdetoisonttesvictimes,plustugoûtesleursupplice.Cettehantiseperpétuelleducomplot,tudoislatenirdetesparents…Callisthène,stupéfaitparsapropreaudace,setutbrusquement.—Jecomprends…sifflaAlexandreentresesdents.Tuesl’undeceuxquiprétendentquej’aiparticipéà

l’assassinatdemonpère?CettehypothèsecirculaitparmilestroupesquirépugnaientàsuivreAlexandre.Comme l’historiographe, acculé, tentait de gagner la pièce attenante à la chambre, Alexandre bondit

verssonglaiveetlepointaversCallisthène.—Non!sedéfenditCallisthène, labouchesèche.C’estPausaniasqui l’atué!Tuasd’ailleurspunice

traître.Toutlemondeaadmislesfaits!—Deméchanteslanguesaffirmentquemamèreaassassinésonépoux…parcequ’elleétaitpresséede

mevoiràlatêtedupays!Onchuchotequej’auraisétésoncomplice,puisquej’étaislepremierintéressé.N’est-cepascebruitquetufaiscourir?—Non!Jetejureque…Affolé,Callisthènesutqu’ilavaitététroploin,ilvoulutfuir.Iléchappade justesseauglaivequ’onabattait sur lui.Affaiblipar l’alcool,Alexandre futdéséquilibré

parcecoupdonnédanslevide:l’armeatterritsursonproprepied.Unpeudesangsemitàcouler.Callisthènesefigea,revintsursespas,affolé,ets’agenouilla–enfin–

devantsonmaître.Maisc’étaitpourexaminerl’éraflure.Ilconstata,soulagé:—ParZeus,Alexandre…c’estheureusementsuperficiel.Tuvasbien?Non,iln’allaitpasbien:levisaged’Alexandreétaitpourpred’humiliation.Ilhurlaàgorgedéployée:—Gardes!Gardes,àmoi!Quelquessecondesplustard,ilssurgissaientdanslapièce.DésignantCallisthèneàsespieds,lemaître

deslieuxordonna:—Emparez-vousdelui.Qu’ilsoitenchaîné!—Alexandre,que fais-tu ?Attends !Songeque tu vas regretter tongeste !PenseàAristote…et à ta

proprehistoire!Désormais,quivalaretranscrire?—Jepense,ditleconquérant,qued’autrespourrontlaraconter.Emprisonné,torturé,Callisthènemourutseptmoisplustard.Enapprenantlanouvelle,Aristotefuttrèsaffecté.IlsefâchaavecAlexandre,l’accusad’avoirassassiné

sonneveu.Les conquêtes d’Alexandre touchaient à leur fin. Après être parvenu aux frontières de l’Inde, il dut

repartirverslaGrècesouslapressiondesonarmée…Maisiln’arrivapasàdestination:àlasuited’unpari–àquiboirait leplus–, il futsaiside fièvrependantdix jours.Justeavantdemourir,commesesgénérauxluidemandaientàquiilléguaitsonimmenseempire,ilréponditdansunderniersouffle:—Auplusfort.AlexandreleGrandn’avaitpastrente-troisans.

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XIÉRATOSTHÈNE

OULATERREESTRONDE!(VERS240AV.J.-C.)

ÉRATOSTHÈNEétaitplongédansdescalculsquandunserviteurentradanssoncabinet.—Maître, l’étranger qui est déjà venu hier insiste pour vous voir. Il dit être porteur d’un messageimportant.Ératosthènerelevalatêteetsoupira:—C’estbon,faisentrercetimportun.Àpeinearrivé,levisiteurmitungenouàterre.Satenueindiquaitqu’ilétaitégyptien.Ildemandahumblement:—Ai-jel’honneurdefairefaceaugrandÉratosthènedeCyrène?—Oui.C’estmoi.Quies-tu?Queveux-tu?—Jem’appelleTorus.Jeviensd’Alexandrie.J’aiàteremettreunmessagedemonmaîtrePtoléméeIIIÉvergète,leroid’Égypte.Iltenditunrouleauausavant,soudainintrigué.—Relève-toi,Torus.Dis-moi,quandes-tuparti?—Ilyavingt-deuxjours.J’aidébarquéauportduPiréehiermatin.—Quelvoyage!s’exclamaÉratosthènedontleregardsongeurseperdit.À Athènes, où il était devenu un mathématicien, un géographe et un philosophe réputés, le savantgardaitlanostalgiedespayslointains−surtoutdesaLibyenatale.Ildéchiffralamissiveetdit:—Torus…sais-tucequemeproposePtolémée?—Oui:quevousdeveniezleresponsabledesabibliothèque.Ceseraitpourluiunimmensehonneur.Labibliothèqued’Alexandrie!Ellerecelaitdesmilliers…non:descentainesdemilliersdevolumes.Lesmanuscritslesplusraresetlesplusprécieuxdumonde.Pourunsavant,untrésorinépuisable.—Acceptez-vous?demandaTorus.QuitterAthènes…pourquoipas?Aprèstout,Alexandriedevenait lanouvellecapitaledumondegrec.Un siècleplus tôt,Alexandre leGrandavait conquis l’Égypte. Il enavait confié la gestionà l’unde sesgénéraux,devenuPtoléméeI.Sonpetit-fils,PtoléméeIII,cherchaitàattirerlesplusgrandssavantsdanssaville.—Quanddois-turapportermaréponse?—Sielleestpositive,j’attendrailetempsnécessaire.Etmonnavirerepartiraavecvous.—Tun’attendraspaslongtemps,monbraveTorus:j’accepte.

Le navire naviguait plein sud depuis dix jours. Sur le pont, Ératosthène scrutait souvent le ciel enmanipulant d’étranges cercles métalliques gradués. Ce jour-là, il interpella Torus qui, comme àl’accoutumée,secontentaitd’observerlesavantdeloin.—Cesobjetst’intriguent?fitlesavantenriant.Approchedonc!Au fildes jours, ilavaitapprisàapprécierTorus, ildevinaiten luiune intelligenceaiguëetunespritcurieuxdetout.Ilexpliqua:—Jenommecespetitscerclesquej’aifabriquésdesarmilleséquatoriales.Ellespermettentdemesurerlesanglesavecunemarged’erreurtrèsfaible:unquatremillième!Tuterendscompte?—Non,avouaTorus.Etjenevoispasl’utilitéd’unetelleexactitude.—Bien.Attends.Regardeoùsedirigelenavire:l’Égypte.D’aprèstoi,pourquoin’apercevons-nouspastonpays?—Parcequenousensommestroploin.—Etlesoleil,Torus,levois-tu?—Biensûr:ilestauzénith!—Lesoleilseraitdoncplusprèsdenousquel’Égypte?Torusfronçalessourcils.Puisiladmitensouriant:—Non,vousavezraison.Lesoleilestsûrementplusloinquel’Égypte.Euh…encecas,pourquoinela

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voyons-nouspas?—L’horizonnousladissimule.CarlaTerreestronde,Torus!L’Égyptienéclataderire.—Allons,grandÉratosthène…c’estimpossible!—Commentexpliques-tualorsquelesmâtsdesnaviresquis’approchentdelacôteapparaissentavantleurcoque?— Ronde ? La Terre serait ronde ? répéta Torus, troublé par ces déductions. En ce cas… un navirepourraitenfaireletour?—Oui.Avecdesvivres,unbonéquipage,desventsfavorables.Etsiaucuneterreétrangèreneluibarrelaroute.—Cependant,lesnaviresquiontfranchilesColonnesd’Herculenesontjamaisrevenusdel’autrecôté.—Ilsn’ontpasétéassezloin!—Hannonlui-mêmen’ajamaispudépasserlesîlesfortunées(19) !objectaencoreTorus.Onignorecequisetrouveau-delà!—Ilexisteunmoyendesavoirsil’onpeutfaireletourdelaTerre.—Ahbon?Etlequel?—Connaîtreladistanceàparcourir!Etpourcela,ilfautcalculerlepérimètredelaTerre…—Bien,admitTorus.Maiscommentcalculercefameuxpérimètre?— Grâce à mes armilles, c’est possible ! Connaître la valeur d’un angle permet de calculer unecirconférence.—Alors,s’impatiental’Égyptien,quelestlepérimètredelaTerre?—Hélas ! soupiraÉratosthèneendésignant l’ombreque faisait lemâtdunavire sur lepont.Pour lecalculer, ilme faudrait deuxmâts identiques. L’un au nord, l’autre au sud, tous deux séparés par unegrande distance qui me serait connue avec précision. Deux observateurs effectueraient cette mesured’angleaumêmemoment.Enoutre,cesmâtsdevraientêtreverticauxetimmobiles.—Mais…lesanglesseraientidentiques!—Non.Vois-tu,depuisquenousavonsquittéAthènesetcinglonsverslesud,j’aiconstatéquel’ombredumât,àmidi,étaitchaquejourpluscourte.Leregardperdu,Torusréfléchitlonguement.—Dommage,dit-ilenfin,qu’ilyaittantdeconditionsàremplir!—Oui.Maisjenedésespèrepasdetrouverlemoyend’yparvenir.L’Égyptien reporta son regard sur lamer.Ainsi, sonpays se trouvait derrière l’horizon.Parceque laTerre était ronde. Comme une orange. Un fruit géant dont les hommes, avec un peu d’astuce et devolonté,devraientparveniràfaireletour…

À Alexandrie, Ptolémée III Évergète, dit « le Bienfaiteur », accueillit à bras ouverts le nouveauconservateur de sa bibliothèque. C’est dans ces prestigieux locaux qu’Ératosthène passa désormais sesjournées.Ilydéchiffraitettraduisaitdesrouleauxmanuscrits,étudiaitdestextesanciens,accueillaitdesvoyageursvenusconsulterunouvrage.Quotidiennement, il retrouvait là son collègue Archimède qui s’était installé à Alexandrie. Accroupisparmilesrouleaux,faceauportdominéparl’immenseetsomptueuxphare,ilsdébattaientinlassablementphilosophie,géographie,astronomie,mathématiques.

Deux années s’étaient écoulées. Ératosthène avait demandé à Ptolémée de conserver Torus à sonservice.Unjour,illevitrevenirduportavecsesarmilles.Commeprisenfaute,l’Égyptienavoua:—Je lesavaisempruntéespourcalculer l’angleque fait lesoleilavec l’ombrede l’obélisquedupalaisroyal.—Tusaisdonct’enservir?s’étonnalesavant.Qu’as-tudécouvert?— Que l’ombre grandit quand l’hiver approche. Au solstice d’été(20), au contraire, l’angle est à sonminimum : sept degrés et un cinquième.Les obélisquesdeThèbesnedessinent, paraît-il, presquepasd’ombre àmidi en été. Imagine qu’en allant plus au sud encore dans le désert, il existe un lieu où lesobjetsnedessinentplusaucuneombre!PourcalculerlepérimètredelaTerre,ilnoussuffiraitalorsdeconnaîtreladistanceentreAlexandrieetcetendroithypothétique.Troublépartantdeclairvoyance,lesavantpritparlesépaulesl’Égyptienquisoupirait:—Ah,grandÉratosthène!SinouspouvionsêtrelespremiersàcalculerlacirconférencedelaTerre…

Unsoirdeprintemps,Torus,trèsexcité,vinttrouverlesavant.—Ilyalàunvoyageur…unJuiférudit.DepassageàAlexandrie.Ilvientdusudetveutconsulterdestextessacrés.Ilm’aaffirmé…—Calme-toi,Torus.Cetétrangerestlà?Fais-leentrer.

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Avecsabarbedeprophète,leJuifavaitnobleallure.Ératosthènel’invitaàs’asseoir.LevisiteurdésignaTorusetdit:— Une question de ton serviteur m’a intrigué : non, dans ma ville, il n’existe pas d’obélisque. Enrevanche,onditquenospuitsontuneparticularité:lejourdusolsticed’été,lesoleilenéclairelefond!Ondistinguealorstoutesleurspierres,quellequesoitleurprofondeur.Celanedurequ’uninstantcarlesoleiltourne.—Là,s’ilyavaitunobélisque,ilnedonneraitaucuneombre,n’est-cepas?demandafébrilementTorusàÉratosthène.Cetendroitestdoncceluiquenouscherchions?—As-tuconstatéceprodigedetesyeux?questionnalesavant.—Hélasnon!C’estpeut-êtreunelégendeetcelam’atoujourssemblésansintérêt.—D’oùviens-tu?demandaencoreÉratosthène.—Del’îleÉléphantine,enNubie.Jefaiscommercedugranitrosequ’onextraittoutprèsdelà,àSyène.Enégyptien,SyènesedisaitSouânit,dont lenomsignifiait« lemarché».Unmarchéqui longtempsavait été celui de l’ivoire. Ce qui expliquait le nom de l’île Éléphantine. Là-bas était installée une trèsanciennecoloniejuive.Cœurbattant,Ératosthènedemanda:—Connais-tuladistancequisépareSyèned’Alexandrie?—Oh!soupiraleJuif.DeSyène,ilfautnaviguertrentejourssurleNilpourrejoindreAlexandrie.—Jeveuxdire:ladistanceenstades?L’autreécarquilla lesyeuxcommesicettequestionn’avaitpasdesens.Autantdemandercombiendepoilsavaitsabarbe.—Torus,demandaÉratosthène,tusaisoùjerangelescartes?…

Quelques instants plus tard, les trois hommes étaient penchés sur des papyrus mille fois grattés,rectifiés,surchargéspardiversvoyageurs.SiletracéduNilentreAlexandrieetSyèneétaitconnudepuisdessiècles,lesdistancesrestaienttrèsfloues.Pourcorserladifficulté,lestadeégyptienétaitdifférentdustadegrec!—Siladistanceestapproximative,grommelalesavant,lecalculnevautrien.Etquiprouvequecettehistoiredepuitsestvraie?Pourvérifiertoutcela,uneseulesolution…—Serendresurplace?achevaTorus.—Exactement.Etc’estcequenousallonsfaire.

Lemarchand juifdeSyènereparti, lespréparatifs furent rapides.L’étéapprochait, il fallait fairevite.Ératosthène demanda à son ami Archimède de noter, le jour du solstice, l’angle fait par l’obélisqued’Alexandrieavecsonombre.Enfin, par un matin brumeux, le navire qui transportait Torus et le savant quitta Alexandrie pourremonterleNil.Pourarriveràtemps,ilsdevaientrejoindreSyèneenmoinsdetrentejours.Aprèsqu’ilseurentdépassélesmursblancsdeMemphis,centrecommercialimportant,letraficdevintrareetleseauxduNilplusvives.Grâceàsesinstruments,Ératosthènecalculaitladistanceparcourueetlapositiondusoleil.Unjour,versmidi,ilaffirma:—Danstroisjours,ceseralesolsticed’été.—Lecalendrierl’annoncebienplustard!objectaTorus.—Monseulcalendrierestleciel.Etl’heurevraiecelledusoleil.—Nousarriveronsdemainsoir,assuralecapitaine.Ilnes’étaitpastrompé.Lemarchandjuif,quilesattendaitàSyène,lesconduisitdèslelendemaindemaisonenmaisonenleurdésignantlesnombreuxpuits.Ératosthène,Toruset lemarchand juif s’étaientaccoudéschacunàunpuitsdifférent.Dans leciel, lesoleilsemblaitmonterenprenantplusdetempsqued’habitude.Enfin,ilatteignitlezénith!Restéàportéedevoix,Torus,lepremier,cria:—Voilà!Lesrayonspénètrentdanslepuits!— Ici aussi ! hurla le marchand.Mais les rayons n’atteignent pas le fond. Ils tournent… ah, ils ontdisparu!Ératosthèneavaitconstatélemêmephénomène.—C’étaitdoncunelégende!gémitTorus,déçu.—Non,affirmaunevieillefemmevenuetirerdel’eau.Lesoleilentretoutentierdanslespuitsunefoisparan.Ceserademain,sûrement.

Lelendemain,ilsattendirentfébrilementquelesoleilmonte.Quandilarrivaauzénith,chacunavaitleregardrivévers le fonddesonpuits.Commelaveille, lesrayons léchèrent leconduit,endébusquèrentpeu à peu l’obscurité. Mais cette fois, telle une marée de lumière, ils l’illuminèrent sur toute saprofondeur!

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Unmêmehurlementjaillitdetroisgorges:—Çayest!La vision fut de courte durée. Dans le fond des puits, l’eau stagnante renvoya pendant quelquessecondesunmiroiréblouissant.Cefutunmomentintense.Extrême.Inoubliable.—Cen’étaitdoncpasunelégende!murmuraÉratosthèneenseredressant,latêteenfeu.ÀSyène,ausolsticed’été,lesoleilestparfaitementàlaverticaledansleciel!— En ce moment, compléta Torus, Archimède, à Alexandrie, devrait confirmer ma mesure de l’andernier.Situasladistanceexacteentrelesdeuxvilles…—Jel’ai!ditÉratosthène.Cinqmillestadesgrecs.Lecalculestfacile,c’estunesimplerègledetrois.Uncercle a 360 degrés. Ta mesure de sept degrés et un cinquième en représente exactement lecinquantième!—Exact,confirmaTorus:7,2x50=360!—Donc,déduisitÉratosthène,si7,2représententnos5000stadesparcourus,lepérimètredelaTerreestde…cinquantefoisplus!—Impossible,bredouillaTorusenblêmissant:250000stades(21)!LaTerreseraitsivaste?C’était tout simplement terrifiant : cela signifiaitquepouraccomplir le tourduglobe, il leur faudraitcinquantefoisplusdetempsqueleurrécenttrajet.Levoyagedureraittroisannées!—Oui,ditÉratosthène.Leschiffressontformels.Ilétait, luiaussi,fortementébranléparlerésultat.Ainsi, legrandAlexandren’avaitdécouvertqu’unepetitepartiedumonde.Àl’estexistaientencoredesrégionsinexplorées!Leconquérantn’avaitparcouruqu’unsixièmedutourduglobe…

Cette nuit-là, Torus ne dormit pas. Il passa son temps à réfléchir, se plongeant tour à tour dans lescartesetlevantparfoislatêteverslalunequibaignaitdesaclartéblafardel’îleÉléphantine.Peuavantl’aube,Ératosthènesurgit.—Torus!Quefais-tuencoredebout?Vérifies-tumescalculs?—Ilssontexacts,biensûr.Troisans,c’estunsipetitmorceaudevie.—Veux-tudire…quetuenvisagesdefaireletourdelaTerre?—Oui.Sijen’yparvienspas,qu’importe!J’auraidumoinsessayé.Ératosthène voulut dissuader Torus d’entreprendre ce voyage insensé. Mais l’Égyptien était unpassionné.Etunentêté.AumomentderepartirversAlexandrie,Ératosthèneluiavoua:—Jedéploremoinstatéméritéquetafutureabsence.Tumemanqueras,Torus!Maispars.Dis-moicedonttuasbesoin.L’Égyptienrefusatouteaide.Ildésiraitallerversl’est,seul,àl’aventure,etdèsmaintenant.Ératosthènedutuserderusepourqu’ilaccepteunbaluchonetquelquespièces.Leursadieuxfurentdéchirants.DeretouràAlexandrie,ÉratosthèneseprécipitachezArchimède.Cedernierluiconfirmal’anglefaitparl’ombredel’obélisque.LebraveTorusnes’étaitpastrompé!Ératosthèneconsignaceschiffresdansunouvragequ’ilrangeadanslaGrandeBibliothèque.Ilespéraitqu’ils franchiraient le temps. Il ne suffisait pas de livrer ces calculs auxhommes, il fallait qu’ils ne lesoublient point(22). Quant à Torus, l’histoire ne dit pas ce qu’il devint. Car si elle a retenu l’exploitd’Ératosthène,ellen’apasgardélamémoiredecetétrangeetgénialÉgyptien.Jamaisilnerevint.

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XIIARCHIMÈDEOUEURÊKA!

(VERS230AV.J.-C.)

—ARCHIMÈDE?Leroiestlà.—Hein?Comment?Penché sur ses calculs, Archimède parut sortir d’un rêve. Son serviteur Strabon lui désignait, sur le

seuil,leroideSyracuseentouréd’unedizainedegardes.Lesavantselevad’unbond.—Hiéron!dit-ilenluisaisissantlesmains.Quelhonneur!Etsurtoutquellesurprise!HiéronII interrogeaStrabonduregard.Leserviteurhocha la têted’unairdésolé :oui, ilavaitaverti

hiersonmaîtrede lavenueduroi ;oui, il l’avaitpriédeuxfoiscematindes’habiller.MaisArchimède,comme d’habitude, avait oublié. À peine éveillé, il s’était replongé dans ses parchemins couverts dedessinsdesphères,decubesetdecylindres…—Pardonne-moi,ditlesavantauroiens’apercevantquesesreinsétaientcouvertsd’unsimplelinge,si

j’avaissuquetuvenais…—Pasdecérémonie!réponditHiéronensouriant.Tutravaillespourmoidepuissilongtemps.Etpuis

noussommescousins!Lerois’approchapouruneaccolade–maisreculaenfronçantlenez.Archimèdedemanda:—Quemevautleplaisirdetavisitesimatinale?—Euh…ilestmidipassé,répliquaHiéron.Tuvascomprendre…Surungesteduroi,l’undesgardesposasurlatableunecouronne.Elleétaitmassive,ciselée,etsonor

brillaitdemillefeux.CebijousemblaitdémesuréenregarddupetitroyaumesurlequelrégnaitHiéron:lavilledeSyracuse,enSicile.—Magnifique!s’écriaArchimède.—Enapparence,oui,admitleroi.Ellem’ad’ailleurscoûtéunefortune.Maisjesoupçonnel’undemes

joailliersd’avoirtrichéetmélangéàl’ord’autresmétaux…del’argent.Ouautrechose.—Qu’attends-tudemoi?—Jeveuxsavoirs’iln’yaquede l’ordansmacouronne,cequi justifierait leprixque j’aipayé.C’est

simple,non?Perplexe,Archimèdesaisitl’objet.Ilétaittrèslourd.Celanesignifiaitrien.Unfaussairepouvaitavoir

mêléd’autresmétauxàl’or.Commentsavoir?Ah,s’ilavaitpufairefondrelacouronne,lemétalétrangeràl’ors’enseraitséparé!—Cequetucroissimple,Hiéron,estenfaittrèscompliqué.—Quoi?Allons,Archimède,n’as-tupasasséchélesplainesd’ÉgyptequeleNilavaitinondées(23)?Ne

m’as-tupasdéclaré«Donne-moiunpointd’appui,etjesoulèverailemonde»?C’était vrai. Grâce au levier, soulever n’importe quel poids devenait possible. Ainsi, Archimède avait

fortifiéSyracuseetaménagéleport,enéconomisantlamain-d’œuvreetlesefforts.—N’as-tupassuivilesleçonsdumathématicienEuclide?insistaleroi.N’es-tupaslefilsdel’astronome

Pheidios?N’as-tupasinventélapouliemobileetlarouedentée?Archimèdeapprouva.Leroirepritensouriant:—Iln’existeraitdoncpasderéponseàcettepetitequestion?—Ohsi!Jecroisqu’ilexisteuneréponseàtouteslesquestions.Depuis des années, Archimède observait les phénomènes physiques ; il en déduisait des lois qui

permettaientdemieuxcomprendrelemonde.—Résousceproblème,ordonnaleroi.Jeteconfiemacouronne.—Inutile,tupeuxlaremporter!—Comment?Turefusesderelevercedéfi?— Non. Mais c’est un problème théorique. J’y réfléchirai. Quand j’aurai trouvé la solution, je te

réclameraitacouronne.Leroiparti,Archimède,pensif,murmura:—Voyons…unemesured’orestpluslourdequ’unemesured’argentpuisquesadensitéestplusforte.Il

faudraitfabriquerunesecondecouronned’orpur,identique,puiscomparersonpoidsàlapremière…

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Sans intérêt.Bien sûr, une telle expérience aurait résolu le problèmedu roi ;mais elle n’aurait livréaucuneloigénérale.Etc’étaitcelaqu’Archimèderecherchait!—Maître,lerepasestprêt!—Lerepas?Maisvoyons,Strabon,jen’aipasfaim!—Hier,vousaveztravaillésansmanger.Etcematin,vousn’avezencorerienavalé.Manger, dormir, s’habiller… des corvées quotidiennes qu’Archimède jugeait inutiles ! Il huma l’air

ambiant.Qu’avait-oncuisiné?—Bizarre,grommela-t-il.Cetteodeur…c’esttrèsdésagréable!Serait-celamarée,Strabon?—Cetteodeur,maître,jecroisquec’estvousquiladégagez!—Quedis-tu?Stupéfait,Archimèdesepenchaverssespiedsnus,soulevasesbras,renifla…etmanquasuffoquer.—Quellehorreur!Maistuasraison:jepuehorriblement!—Vousn’êtespasalléauxbainsdepuisunmois,Maître.Quandj’insistepourvousyemmener,vousme

disputez.—C’estintenable!Archimèdesereniflaitdepartout,épouvantéparl’odeurqu’ildégageait.—Strabon!Vite,nousallonsauxbains!—MaisMaître,lerepas…—Plustard.Jenepourraimangerentouréd’unetellepestilence!Résigné,StrabonconduisitArchimèdeàtraverslesruesdelaville.Lesavantétaittoujoursaccompagné.

Sinon,illuiarrivaitderesterassisoudeboutaumêmeendroit,songeur,touteunejournée.Oudeneplussavoircommentreveniràsonlogis!Àcetteheuredel’après-midi,Syracuseétaitdéserte.Unefouleconsidérablesepressaitauxbains.Très

fréquentésenGrèceetdanssescolonies, ilsétaientdes lieuxderéunionappréciés.Lescitadinsaisésydébattaientphilosophieoupolitique.Envoyant(etsurtoutensentant)Archimèdevenirdeloin,legérantluioctroyaunbassinoùlesavant

pourraitbarboterseulsansincommoderquiconque.Strabon s’apprêtait à laver et à frotter sonmaîtrequi,pour l’instant,debout, restait surtoutplongé…

danssesréflexions.—Maître,insistapolimentleserviteurenluitendantlamain.Ilesttempsquevousvouslaviez…Lesavant,pensif,entraenfinjusqu’àlaceinturedanslabaignoirequiétaitpleineàrasbord.Ducoup,

l’eaudébordaetruisselasurlecarrelage.Ilmurmura:—Tiens…unepetitepierrepesantmonpoidsauraittrèsvitecoulépuisquesadensitéestsupérieureà

celledemoncorps!Àdemiimmergé,ilnotaaussiquesonpoidssemblaitdiminuer.—Maître,vousallezbien?Euh…vouspouvezvousinstaller!Archimèdes’exécuta.NonpaspourobéiràStrabon,maispourvérifierlathéoriequ’ilélaborait.Ilentra

dansl’eaujusqu’aucouetfitdéborderunegrandequantitéd’eau.Ilmarmotta:—Etunepierrequiauraitmonpoidsauraitdéplacébeaucoupmoinsd’eau…Soudain,touts’éclairadanssonesprit:—Maisoui!Ladensitédel’argentétantinférieureàcelledel’or,levolumedéplacéparunecouronne

enalliageseraplusgrandquepourunecouronneenorpur!Nonseulementilavaitrésoluleproblème,maisilavaiténoncéuneloi(24).Foudejoie,ilbondithorsdelabaignoireenhurlant:—Eurêka!Eurêka(25)!—Maître!Non…attendez!Strabonsaisit laservietteets’élançaàlapoursuitedesonmaître.Enthousiasméparsadécouverte, le

savants’étaitprécipitéhorsdesbains.Àprésent,nucommeunver,ilcouraitdanslesruesdeSyracuse,impatientd’allerporterlabonnenouvelleauroi.L’incidentfitletourdelaville.Archimèdeétaitdéjàcélèbre.Cetteanecdotelerenditpopulaire.Dans les jours qui suivirent, on fondit une masse d’or d’un poids égal à celui de la couronne ; on

immergea les deux objets tour à tour dans un récipient rempli à ras bord.Onpesa avec soin les deuxquantitésd’eaurecueillies.Ellesn’étaientpaségales!L’orfèvreindélicatfutpuni.EtArchimèderécompensé.—Ah,chercousin!ditlesouverainravi.Commentteremercier?—Oh,jelesais!s’écrialesavant.Àmamort,jesouhaiteraisquesoitsculptéesurmontombeaucette

figuregéométrique…Ildésigna,sursatable,uncylindreenfermantunesphère.—Étrangedemandeenvérité!s’étonnalesouverain.Etpourquoi?—L’andernier,j’aidécouvertlerapportentrelevolumedelasphèreetceluiducylindrequilacontient.

Ilestexactementdedeuxtiers!—Soit.Jedonneraidesordres.Ilenserafaitselontavolonté.

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Archimède n’était pas si vieux. Il serait encore très utile à sa patrie. Quand, plus tard, les RomainsenvahirentlaSicile,lavillefitappelàlui.—Archimède…noussommesperdus!LesnaviresdeMarcellusapprochentdeSyracuse.Ilsentreront

demaindansleport!Lesavantlesrassura:—L’envahisseurn’imaginepaslestoursquenousallonsluijouer…Eneffet,quand lesnaviresapprochèrent, ils furentaccueillisparunepluied’énormespierres : ayant

misleprincipedulevierauservicedelaguerre,lesavantavaitfaitconstruiredegigantesquescatapultes!Maissoninventionlaplussurprenantefutcelledesmiroirsardentsquelessoldats,surlesrempartsdu

port,braquèrentsurlesnaviresennemisquistationnaientdésormaisaularge:concentrantlesrayonsdusoleil,ilsmettaientlefeuauxbateauxromains!Stupéfait, le consul Marcellus voulait rencontrer celui qui faisait preuve d’une telle ingéniosité. Il

ordonnaàsessoldats:—IlmefautArchimèdevivant!Nuldoutequ’avecuntelgénie,Romedeviendraitlamaîtressedumonde…Marcellusdemandadesrenforts.Lesiègedelavilleduratroisans!Unmatin, les Romains investirent enfin le port et prirent possession des rues. Ce jour-là, toujours

accompagnédesonfidèleserviteur,Archimèdeétaitsurlaplage,occupéàtracerdesfiguresgéométriquessurlesable.Avisantlesdeuxhommes,unsoldatbondit,leglaiveenavant.LebraveStrabon,quivouluts’interposer,futtuéavantd’avoirpuavertirsonmaître!Impressionnéparcevieilhommepensifetaccroupi,lesoldatluiordonna:—Lève-toi!Tuesmonprisonnier!Àsoixante-quinzeans,Archimèden’entendaitplustrèsbien.Etsurtout,ilétaittoujoursaussidistrait.

Sansreleverlatête,ilrépondit:—Uninstant!J’achèvemoncalcul…Lesoldatcrutquecetinconnusemoquaitdelui.—N’entends-tupascequejedis?Suis-moi,c’estunordre!Archimède,têtu,n’obéitpas.Lesoldatletransperça.Ainsi,Archimèdemourutsanscomprendrecequiluiarrivait…Misaucourantdudrame,Marcellusentradansunegrandecolère. Il fitmettreàmort le soldat trop

impétueux.—Misérable!Tuasassassinéleplusgrandmathématiciendetouslestemps!Marcellus exigea qu’on rendît à Archimède les honneurs qui lui étaient dus. Il lui fit des funérailles

grandioses.Vaincueetoccupée,laSiciledevintuneprovinceromaine.

Deuxsiècless’étaientécoulés.De grands hommes voulurent se recueillir sur la tombe de leur illustre prédécesseur.Hélas, dans le

désordrequiavaitsuivilesiègedeSyracuse,latombed’Archimèdeavaitétéoubliéeoudétruite:nulnesavaitplusoùellesetrouvait!Jusqu’aujouroù,soixante-quinzeansavantlanaissancedeJésus-Christ,uncertainCicéron(26)vintassurersaquestureenSicile…EnsepromenantsurlescollinesquidominentSyracuse,ileutlabonneidéedesuivreunsentiertracé

parunsanglier.Sonparcoursleconduisitdansuneforêtd’épineux.Etlà,iltombasoudainenarrêtfaceàunédificeenmarbreblancenvahidebroussailles…Lecœurbattant,ildégagealemonument.Àsonsommettrônaituneétrangefiguregéométrique:une

sphèreentourantuncylindre!Etàsabase,engrec,étaitgravélenomduplusgrandsavantdel’Antiquité.Cicéronavaitretrouvéletombeaud’Archimède.

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POSTFACE

DANSlesContesetLégendesdeshérosdelamythologie,jeprécisaisqu’unhérosest«lefruitdel’uniond’undieuetd’un(e)humain(e)».Quandilnes’agitplusdemythologiemaisd’Histoire,quiméritealorslequalificatifdehéros?«Unepersonneexemplaireparsabravoure,sesexploits,outouthommedignedegloireparsondévouementtotalàunecause,uneœuvre»,affirmeleRobert…quioubliequ’unefemmepeutêtreunehéroïne!Or,silaGrèceestlepaysoùsesontillustrésdeglorieuxguerrierscommeLéonidasouAlexandre,c’est

surtoutlanationquiadonnélesplusgrandsphilosophesetscientifiquesdel’Antiquité!D’entrée, je dus faire face à deux difficultés : d’abord choisir douze « héros » parmi… trente ou

quarante ! Et surtout, relater de façon attrayante de vraies données historiques au moyen d’unvocabulaire rigoureux. Hélas, à chaque ligne, il aurait fallu définir les termes de « barbare »,d’«académie»,d’«assemblée»,d’«ecclésia»…ExpliquerlarivalitédeSparteetd’Athènes.Préciserlestatutducitoyen…aurisquedenoyerlelecteurdansmillejustificationsounotes!Or,jevoulaisdeshistoiresvivantes,accessiblesàtous.Deuxcartesetunglossairedétaillépermettront

aulecteurexigeantd’affinersesconnaissancesetdetisserdesliensentreleslieuxetlespersonnagesdecesdouzerécits–voireavecsonmanueld’Histoire!

HOMÈRE, l’auteur présuméde l’Iliade etde l’Odyssée, a-t-il existé ?M’écartant de la contestableVied’HomèreattribuéeàHérodote,j’aipréféré,pourfairelelienaveclamythologie,évoquerl’hypothèsepassiinvraisemblabled’un«Homèremultiple»!PourlabatailledeMARATHON,j’aicédéàlalégende(crééevers180ap.J.-C.parLuciendeSamosate)

dufameuxenvoyéquiauraitcourud’unetraitejusqu’àAthènes.QuantàlabatailledesThermopyles,elleestconformeàcequel’histoirenousenalivré.Vers466avantJésus-Christ,unaérolitheabel etbienpercuté le solprèsdu fleuveAigosPotamos !

Sachant qu’ANAXAGORE vivait à la même époque et qu’il avait émis d’audacieuses hypothèsesastronomiques, j’ai imaginéqu’ilavaitpuobserver lephénomène.CommeSocrateapuêtre l’undesesélèves, la tentation était forte d’imaginer que les théories du savant avaient pu influencer le futurphilosophe…Enconsultantlacarte,jefusstupéfaitdeconstaterqu’AigosPotamossetrouvaittoutprèsdeLampsaque,lavilleoùAnaxagores’exiladansladeuxièmepartiedesavie!Ainsi,envoulantrassemblerplusieursfaitsdefaçonarbitraire,j’étaispeut-êtreentraindereconstituerunescènequis’étaitréellementproduite!CommentrésumerlesiècledePériclès,l’âged’ordelaGrèce?PourquoipasavecAspasie,seulehéroïne

durecueil?Sonfameuxcénaclemepermettaitd’introduireetdeprésenterlesplusgrandscréateursdeson temps, qui furent souvent ses hôtes. Son statut d’étrangère rejetée par les Athéniensme semblaitactuelet…édifiant.La vie de SOCRATE fut lisse, discrète. Le seul épisode marquant restait son procès, que j’ai préféré

observerparlebiaisdePlaton.Phédond’Élie,philosophediscipledeSocrate,etlecompositeurÉricSatie(quicomposal’opéraLaMortdeSocrate)mepardonnerontquelqueslibertésetdialoguespeuconformesàuneaudiencequi,danslaréalité,futmoinssimplisteoulapidaire.Monambitionétaitsurtoutd’illustrerlaméthodephilosophiquedeSocrateetderendrelemythedelacaverneaccessibleàdejeuneslecteurs!QuantàDIOGÈNE,lamodernitédesapensée,sesprovocationsenfont,selonmoi,unphilosophequin’a

rienperdudesonactualité.AvecDÉMOSTHÈNE,jevoulaisillustrerl’importanceetlaforcedel’usagedelaparolechezlesGrecs.L’immenseARISTOTEeutunevielongue,tourmentée,presqueentièrementvouéeàl’étude.Sonsortde

perpétuelexilém’apermisdefairelelien,lorsdesonretourdanssapatrie,avecceluidontilassuralafinde l’éducation : le futur Alexandre le Grand. Au lieu de relater les conquêtes de ce dernier (elles fontl’objetdebiographiesdétaillées), j’aipréféré,pouréclairersavie,condenser les faitsenunesoirée–etutiliser comme témoin Callisthène, le neveu d’Aristote, qui fut son historiographe, son compagnon derouteet…l’unedesesvictimes.Sait-onqu’ÉRATOSTHÈNE,convaincudelarotonditédelaTerre,enmesuralepérimètreavecuneinfime

marged’erreurilya…vingt-deuxsièclesetdemi?Àmesyeuxd’auteursoucieuxderéconciliersciencesetlittérature,cetastucieuxexploitméritaitd’êtrerelatéparlemenu.Soncomplice,l’ÉgyptienTorus,aétéinventépourlesbesoinsdurécit.

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PourARCHIMÈDE,j’aicédéaumytheenconcentrantl’action.Carsilesavantdécouvrit(danssonbain,en effet !) la solution du problème que lui posa Hiéron, il lui fallut des années pour énoncer la loicomplexequiendécoule.Enfin,àceuxquim’accuseraientd’unmanquederigueur,jerépondrais:danscesrécits,rienn’esten

désaccord avec l’Histoire ; les lettrés retrouveront dans la bouche de mes héros leurs paroles restéescélèbres–jusqu’auxtermesdelalettrequ’envoyaPhilippeIIàAristote!Enfin,jeleurrétorqueraisqueleshéros,pourperdurerdanslamémoirecollective,réclamenteuxaussidesmythes.Aprèstout,Marathonapeut-êtrebesoindesoncoureurolympique,Archimèdedesabaignoire,Diogène

desontonneau…etdesalanterne!

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GLOSSAIRE

Académie:écolephilosophiquecrééeparPlatonen387av.J.-C.Achille:hérosmythiquedel’Iliade.IlpéritlorsdusiègedeTroie.Acropole : citadelle dominant Athènes, où l’architecte Phidias édifia plusieurs monuments à la

demandedePériclès.Aède:poètedelaGrèceantique,quidéclamaitlestextesenchantant.Afghans:habitantsd’unerégiondel’Asiecentrale,entrel’IndeetlaPerse.Agora:centrereligieuxetcommercialdelacité;maisaussilieuderéuniondel’Assemblée.AigosPotamos:fleuvedelaChéronèsedeThracesejetantdansl’Hellespont.Alcibiade(-450/-405):généralethommepolitiquegrec,élevéparsononclePériclès.Élèvefavoride

Socrate.Personnageambiguetscandaleux,ileutuneviemouvementée.AlexandreIII(-356/-323) :dit leGrandouleConquérant.FilsdePhilippeIIdeMacédoine,élève

d’Aristote;ilsoumitAthèneset,entourédegénéraux,entrepritlaconquêtedetoutel’Asie.Alexandrie:villed’ÉgyptefondéeparAlexandresurledeltaduNil;centrecommercialetculturel.Ammon:dieuoriental.Anaxagore (-500/-428) : philosophe et mathématicien. Il ouvrit à Athènes la première école de

philosophieetyenseignapendanttrenteans,avantquesesopinionsetthéoriesscientifiquesn’entraînentsonexil.Anaximandre(-610/-546):philosophe,savantetcartographegrec.Anaxos:personnageimaginairequiguidel’aèdeaveugledanslerécit«Homère».Antigone : personnage mythique, fille d’Œdipe et de Jocaste. Sa légende inspira une tragédie à

Sophocle(en442av.J.-C.).Antisthène(-440/-370):élèvedeSocrate,ildevintunphilosopheprécurseurdel’écolecynique.Anytos:devenuhommepolitiqueathénien,ilfutl’undestroisaccusateursdeSocrate.Aphorus:l’undescousinsdupèredeDémosthène.Futchargédegérer(cequ’ilfitfortmal)lesbiens

etl’éducationdufuturorateur.Archimède (-287/-212) : le plus génial des mathématiciens grecs. Inventeur. Fils de l’astronome

Pheidios,ilfréquentadessavants,vécutàAlexandrieetrevintàSyracuse,savillenatale,oùilsemitauserviceduroiHiéronII.Argolide:régiondelaGrèceaunordduPéloponnèse.Aristophane(-450/-386) :auteurcomiquegrec.Polémiste, ilétait l’ennemideladémagogie,dela

violenceetdeladictature.Aristote(-384/-322):discipledePlaton.Curieuxdetout,grandnaturaliste,soucieuxd’embrasserle

savoirhumain, il fut lepremier encyclopédiste et lepèrede la logique,de laphysiqueetde lamorale.Surnommé«leprincedesphilosophes».Armilles équatoriales : dispositif ingénieux mis au point par Ératosthène pour mesurer avec

précisionlavaleurd’unangle.ArtaxerxèsIII(régnade-358à-338) : roidePerse.Fit tuerses frèrespouraccéderaupouvoir.

Reconquitl’Égypte,laPhénicieetChypre.AlexandreleGrandépousal’unedesesfilles.Arthias:nom(imaginaire)d’undesdeuxespionsgrecsenvoyéschezlesPerses,etrenvoyésparDarius

àAthènes.Aspasie : femmecélèbrepar sabeauté, sonesprit, soncénacleet l’influencequ’elleeut surPériclès,

qu’elleneputépouser.Assemblée : ou ecclésia (qui discute et vote les propositions de loi). Elle réunissait les citoyens

d’Athènesquiyélisaientdixstratèges.Là,ontiraitausortlesmembresdelaBouléetdel’Héliée.Assos:villedeMysie,surlaquellerégnaitHermias.Assyriens:habitantsd’Assyrie,enHaute-Mésopotamie.Atarnée:villedeMysie,surlaquellerégnaitHermias.Athènes:principalecitédelaGrèceantique.Seulsseshabitantsavaientdroitaustatutdecitoyen.Sa

rivaleétaitSparte.Athos:montagnedeGrèce,enMacédoine.Atlas:danslamythologie,géantcondamnéàporterlavoûteducielsursesépaules.Atrée:dansl’Iliaded’Homère,roilégendairedelavilledeMycènes.Babylone:villedeMésopotamiesurlefleuveEuphrate.

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Bactriane:régiond’Asiecentraleprochedel’Afghanistanactuel.Barbare:chezlesGrecs,termedésignantunétranger.Bessus : satrape qui trahit et assassina Darius, le roi de Perse, en espérant être récompensé par

AlexandreleGrand.Bucéphale : cheval favori d’Alexandre qui le suivit dans ses conquêtes et mourut en 326 av. J.-C.

Alexandreédifia,surlelieudesamort,lavilledeBucéphalie.Bulos:nom(imaginaire)d’undesdeuxespionsgrecsenvoyéschezlesPerses,etrenvoyésparDariusà

Athènes.Calaurie:îlegrecquesurlacôtedel’Argolide.Callimachos:undesgénérauxqui,avecMiltiade,partageaitlecommandementlorsdelabataillede

Marathon.Callisthène(-360/-327) :neveud’Aristote.GranditetfutélevéavecAlexandreleGrandqu’ilsuivit

danssesconquêtesetdontildevintl’historiographe.AuteurdurécitL’Expéditiond’Alexandre.Callistrate : orateur athénien, maître de Démosthène, farouche défenseur des intérêts d’Athènes.

Condamné,acquitté,ànouveaucondamné,exilé,ilfutexécutéen355av.J.-C.Cénacle:ensembledepersonnesregroupéespourdébattredepassionsoud’activitéscommunes.Céramique : quartier d’Athènes devant son nom aux anciens ateliers de poterie. Le Céramique

extérieurs’étendaitjusqu’auxjardinsdel’Académie.Chabrias(-392/-357):généralathénien,adversaired’Agésilasetd’Épaminondas.ChampsÉlysées:danslamythologie,séjourdesâmesetdeshommesvertueux.Charon :dans lamythologie, ce« filsde lanuit»devait faire traverser lesmaraisde l’Achéronaux

défunts;ilréclamaitenpaiementunepièceplacéedanslaboucheducadavre.Chéronée:villedeBéotie;PhilippeIIdeMacédoineyvainquitlesGrecs(AthènesetThèbesalliées)

en338av.J.-C.Chios:îlegrecquequidevintlesiègedelaconfrériedesHomérides.Chryséléphantin:quiestfaitd’oretd’ivoire.Cicéron(-106/-43):hommepolitiqueetorateurromain,célèbrepoursesplaidoiriesetsesessaisde

philosophiepolitique.Cléobule:nomdelamèredeDémosthèneetnomprobabledesasœur.Clitos (ouClitus) : généralmacédonien de l’armée d’Alexandre. Il lui sauva la vie à la bataille du

Graniquemaisfutexécutéparsonsupérieurlorsd’unbanqueten328av.J.-C.Cnémides:jambièresdemétalqueportaientleshoplites.Colonnes d’Hercule : aujourd’hui, le détroit de Gibraltar, qui sépare la Méditerranée de l’océan

Atlantique.Corinthe:portdeGrèce.Cranium:àCorinthe,lieuoùs’entraînaientlesathlètes.Cratès:richeAthénienquiseconvertitàlaphilosophiecynique.Crète:l’unedesplusgrandesîlesdeGrèceentrelamerÉgéeetlamerdeLibye.Criton:discipleetamideSocratequivoulutl’aideràfuir.Cyclades:enGrèce,groupede24îlesdelamerÉgée.Cyrène:villenataled’Ératosthène,enLibye.Darius(ouDarios) :nomdonnéàplusieursroisperses.DariusIer(522–486av.J.-C.)futbattuà

Marathon par les Athéniens.Darius III, qui régna de 336 à 330 av. J.-C., fut vaincu par Alexandre etassassinéparsessatrapes.Décade:périodededixjours.Délos:îlegrecque,lapluspetitedesCyclades.Lieureligieux.Delphes : villedePhocide, enGrèce.Làofficiait la fameusePythiequi effectuaitdesprédictionsou

«oracles».Démocratie : système de gouvernement dans lequel le peuple (directement ou grâce à ses

représentants)exercesasouveraineté.Démon:espritougénie,bonoumauvais,quiprésideàladestinéedeshommes.Démophon : l’undes cousinsdupèredeDémosthène.Fut chargédegérer (cequ’il fit fortmal) les

biensetl’éducationdufuturorateur.Démosthène(-385/-322):hommepolitiqueathénien;leplusgranddesorateursgrecs.Diogène(-413/-327):philosophegrecdel’écolecynique.Drachme:monnaiegrecque.Ecclésia:assembléedupeuple(réservéeauxseulscitoyensathéniens).Égée:partiedelamerMéditerranéeentrelaGrèce,laCrèteetl’AsieMineure.Égine:petiteîledeMéditerranée.Égypte:paysd’AfriqueduNordlongtempssousladominationperse,dontilfutlibéréen362av.J.-C.

parAlexandreleGrand.Éléphantine(île):petiteîlesurleNil,nonloind’Assouan.Éphèbe:jeunehommede18ansentrantdansle«collègedel’Éphébie»pouryrecevoiruneéducation

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(militaireetcivique)appropriéeàsonrôlefuturdecitoyen.Parextension,jeuneetbeaugarçon.Ératosthène(-273/-192) : astronome, géographe,mathématicien et philosophe grec. Il inventa le

crible,lemésolabeetlesarmilles.Éristhène:nom(imaginaire)del’admirateurdel’aède,danslerécit«Homère».Eschine(-390/-314) :orateurathénienpartisandelapaixavecPhilippedeMacédoine;s’opposaà

Démosthène.Eschyle(-525/-456):poètegrecconsidérécommelefondateurdelatragédiegrecque.Eubulide : philosophegrecdu IVe siècle av. J.-C.,né àMilet. Il s’opposaàAristote et affirmaitque

l’expérienceestsourced’erreur.Euclide : mathématicien grec du IIIe siècle av. J.-C. Fondateur de l’école de mathématique

d’Alexandrie.Eurêka :mot grec signifiant : « J’ai trouvé ». Expression devenue célèbre depuis qu’Archimède la

prononçaensortantdesabaignoire.Euripide(-480/-406):poètetragiquegrec.AmideSocrate.Gédrosie:aujourd’hui,l’Afghanistan.Granique:fleuved’AsieMineure,AlexandreleGrandyvainquitlesgénérauxdeDariusIIIen334av.

J.-C.Grèce:entrelamerÉgéeetlamerIonienne,extrémitédelapéninsuledesBalkans.L’undesberceaux

de la civilisation occidentale où certaines villes (comme Athènes, Sparte, Thèbes) étaient tour à touralliéesetrivales.Gylon:grand-pèredeDémosthène.Ondénonçasafortuneainsiquesamésalliance,carilavaitépousé

uneThrace.Gymnase : outre sa fonction de salle d’entraînement, le gymnase (ou palestre) servait de lieu de

réunionetd’enseignement.C’étaitunesorted’académie.Gynon:nom(imaginaire)d’unancienesclaveaffranchi,amidePhilippidès,àMarathon.Hannon :navigateurcarthaginoisqui,en470av.J.-C.,effectuaunvoyaged’explorationau-delàdes

Colonnesd’Hercule.Ildécouvritles«îlesfortunées»(lesCanaries).Héliée:tribunalpopulaire.Hellespont:aujourd’hui,ledétroitdesDardanellesquirelielamerÉgéeàlamerdeMarmara.Hémicycle:salledemi-circulairesouventmuniedegradins.Héphastion(ouHéphestion):généraldel’arméed’Alexandre.Amiintimeetfavoriduconquérant.

IlluidonnacommeépouseunedesfillesdeDarius.Àsamort,en324av.J.-C.,Alexandreluifitrendredeshonneursdivins.Héraklès:nomgrecd’Hercule.Lepluscélèbredeshérosdelamythologie.Hercule:voirHéraklès.Hermias:roid’Atarnée,esclaveaffranchi.Hérodote(vers-484/-425):lepluscélèbredeshistoriensgrecs.Hétaïre:courtisane,leplussouventdehautrangetdebonneinstruction.Hicésias:nomdupèredeDiogène,banquiercorrompu.HiéronII:(-270/-216):roi(outyran)deSyracuse,enSicile.Ilfutunprincebonetéclairé.Hippodamos:philosopheetarchitectegrecduVesiècleav.J.-C.IlcontribuaàrénoverAthènesetà

élargirlesrues.Homère:poètegrecpeut-êtremythique,etqu’ondisaitaveugle.Plusieursvillesgrecquesprétendent

êtresonlieudenaissance.Onluiattribuel’Iliadeetl’Odyssée.Homéride:poètequichantaitlespoèmesd’Homère.Hoplite:fantassingrecpesammentarmé:casque,cuirasse,bouclierronddebronze,jambièresdefer,

lanceetépée.Hothonon:nom(imaginaire)d’unaède,danslerécit«Homère».Iliade : épopée grecque attribuée àHomère, composée de 15 537 vers et divisée en 24 « chants ».

L’Odysséeluifaitsuite.Ilion:nomgrec(àl’originedel’Iliade)delavilledeTroie.Inde : pays qui fut d’abord envahi par les Perses avant d’être atteint et occupé par les troupes

d’AlexandreleGrand,vers325av.J.-C.Indien:habitantdel’Inde.Ios:îlegrecquedelamerÉgée.Homère(dontlamèreenauraitétéoriginaire)yseraitmort.Isée:orateurgrec,maîtrederhétoriqueetavocat.IlauraitforméDémosthène.Isocrate(-436/-338):auditeurdeSocrate,adversairedeDémosthène.VoulaitunirlaMacédoineàla

Grècepourluttercontrel’invasionperse.Lampsaque:villed’AsieMineure,enMysie.Léonidas :roideSpartequi,auxThermopyles,sesacrifiaavecsestroiscentshoplitesspartiates(en

480av.J.-C.).LePirée:portd’Athènes.Lesbos(aujourd’huiMytilène):îlegrecquedelamerÉgée.

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Libye:paysd’AfriqueduNord.Lycabette:collineproched’Athènes.Lycon:orateurathénien;l’undestroisaccusateursdeSocrate.Macédoine : région de la Grèce. Son roi, Philippe II, le père d’Alexandre le Grand, commença à

conquérirleszonesvoisines.Manès:nomdel’esclavedeDiogènequilequittadèslapremièrenuitdesonexil.Marakanda(aujourd’huiSamarkandouSamarcande) :villede l’Ouzbékistanactuel.Capitale

deSogdiane,ellefutconquiseparAlexandreleGranden329av.J.-C.Marathon :plaineetvilledeGrècesituéeà40kmaunord-estd’Athènes.Premièrevictoiregrecque

surlesPerses,en490av.J.-C.Marcellus(vers-268/-208):généraletconsulromainquienvahitlaSicileen212av.J.-C.Médée :personnagedelamythologie.Cettemagicienne,amoureusedeJason,l’aidaàvolerlatoison

d’or.Puis,rejetée,elletuapoursevengerlesenfantsqu’elleavaiteusdelui.Médie:nomactueldel’Iranactuel.Mèdikès:nom(imaginaire)d’unaède,danslerécit«Homère».Méditerranée:vastemerintérieurecompriseentrel’Europe,l’Asieetl’Afrique.Mégare:villedeGrèce,enAttique,surl’isthmedeCorinthe.Mélétos:poètegrec;l’undestroisaccusateursdeSocrate.Memphis:anciennevilled’ÉgyptesurlarivegaucheduNil.Mésopotamie:vasterégionduMoyen-OriententreleTigreetl’Euphrate.Milet:villed’AsieMineure.Patried’Aspasie.Miltiade(-540/-489) :stratègeathénien.Remporta lavictoiredeMarathonsurDarius(en490av.

J.-C.).Mysie : ancienne région d’Asie Mineure. Villes principales : Pergame et Lampsaque. Fleuve : le

Granique.Mytilène:portprincipaldel’îledeLesbos,enGrèce.Nil:lepluslongfleuvedumonde.EnÉgypte,sejettedanslaMéditerranéeaunordduCaireaumoyen

d’unvastedelta.Nubie:régiondésertiquedel’Afrique,longéeparleNil.Obole:petitemonnaieathénienne.Odyssée:épopéegrecqueen24chants(12109vers)attribuée,commel’Iliade,àHomère.ŒdipeRoi:pièceécriteen430av.J.-C.parSophocle,illustrantledestind’Œdipe,condamnéparun

oracleàtuersonpèreetàépousersamère.Oligarchie :modedegouvernementoù,contrairementàladémocratie, l’autoritéestentrelesmains

depeudepersonnes.Olympe:montagnedeGrèce.Danslamythologie,séjourhabitueldesdieux–lepalaisdeZeusestà

sonsommet.Olympias:épousedePhilippeIIdeMacédoineetmèred’AlexandreleGrand.Olympien(l’):surnomdonnéàPériclès.Palestine:régionduProche-Orientdontlesfrontièresvarièrentaucoursdel’histoire.Paralos:fils(légitime)dePériclès.Parménion:généralmacédonien,lieutenantdePhilippeIIpuisd’AlexandreleGrand.Impliquédans

uncomplot,ilfutmisàmortvers330av.J.-C.Parthénon : monument le plus prestigieux de l’Acropole d’Athènes, consacré à la déesse Athéna.

Construitparl’architectePhidias.Pausanias:plusieurspersonnagesdel’Antiquitéportentcenom:ungénéralSpartiatecommandant

del’arméegrecquequiremportalavictoiredePlatéescontrelesPerses(479av.J.-C.);unécrivaingrecduIIesiècleavantJ.-C.;l’assassinprésumédePhilippeIIdeMacédoine(voir,danscerecueil,lerécitsurAlexandreleGrand).Pélée:roilégendairedesMyrmidons,personnagedel’Iliade.Péloponnèse:presqu’îledelaGrèce.Pénélope :dansl’Odysséed’Homère, femmed’Ulysse.Symbolede lafidélitéconjugale,elleattendra

vingtansleretourdesonmari.Périclès(-495/-429) :hommepolitiqueathénien,chefdupartidémocratique.Lapuissancedeson

discoursluivalutlesurnomd’Olympien.SonmaîtreàpenserfutAnaxagore.Perse:dansl’Antiquité,vastepaysdel’IndusàlaMéditerranée.Phalange : infanterie grecque. En Macédoine, bataillon de 8 000 hommes armés de lances et de

boucliers.Parextension,touteespècedetroupe.Phédon:l’undesplusfidèlesdisciplesdeSocrate.LephédonestaussilenomquedonnaPlatonàl’un

desesouvragesdanslequelilretracelesderniersmomentsduphilosophe.Phéïdios:astronome,pèred’Archimède.Phénicien:habitantdelaPhénicie.LesPhéniciensétaientréputéspourleurmaîtrisedesmers.Phidias(-490/-430):sculpteurathénien,représentantleplusillustredel’artclassiquegrec.

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PhilippeIIdeMacédoine(-382/-336):roideMacédoine,ilentrepritdedominerlaGrèceetluttacontrelesPerses.SesprojetsfurentréalisésparsonfilsAlexandreleGrand.Philippidès:nom(supposé)duhoplitequiaccomplitleparcoursMarathon-Athènesaprèslavictoire

desGrecs,en490av.J.-C.Philippiques:nomdonnéauxharanguesdeDémosthènecontrePhilippedeMacédoine.Philotas:généralmacédonienqu’Alexandreaccusadetrahison.Pirée(Le):voirLePirée.Platées:villedeGrèce,enBéotie.VictoiregrecquedePausaniascontrel’arméeperseen479av.J.-C.Platon(-428/-348):leplusgrandphilosophegrec,élèvedeSocrate,fondateurdel’Académie.Pnyx:collineprèsdel’Acropoleoùseréunissaitl’ecclésiadepuislafinduVIesiècleav.J.-C.Pont-Euxin:aujourd’hui,lamerNoire.Poséidon:enGrèce,dieudesmersetdeseaux.Priam:personnagedel’Iliade;roideTroie.Protagoras(vers-486/-420?):philosophegrecamid’EuclideetdePériclès.Ptolémée:dynastiederoiségyptiens.PtoléméeIIIÉvergète(-288?/-221) :dit« leBienfaiteur».Maîtrede touteunepartiede l’Asie

occidentale.Pythagore(-570/-480):philosopheetmathématiciengrec.Onluidoitlatabledemultiplicationetle

systèmedécimal.Pythias:sœurdelaitet/oufilleadoptived’Hermias,roid’Atarnée.Pythie:prêtressed’Apollonchargée,àDelphes,detransmettrelesoraclesdudieu.Questure : chez les Romains, charge d’une durée limitée pour l’administration d’un pays ou d’une

région.Rékérion:nom(imaginaire)d’undesaèdes,danslerécit«Homère».Rhéteur:orateurou«personneenseignantl’éloquence»,c’est-à-direl’artdebiens’exprimer.Roxane:filledusatrapepersedeBactriane,premièreépoused’AlexandreleGrand.Futassassinéeen

310ouen311av.J.-C.Saces:peupladenomaded’Asiecentrale.Salamine:îledeGrèce.UltimevictoiredesGrecssurlesPersesle27/28septembre480av.J.-C.Sapho(ouSappho):poétessegrecqueduVIIeetVIesièclesav.J.-C.Animauneconfrériedejeunes

fillesnoblesoùl’onétudiaitlapoésie,lamusiqueetladanse.Satrape:chezlesPerses,titredonnéaugouverneurd’uneprovince.Scythes:peupled’origineperse.Sicile:grandeîledelaMéditerranée.Sinope:portactueldeTurquie,surlamerNoire.PatriedeDiogène.Socrate(-470/-399):philosophegrec.Ilpassaitsontempsàdiscuterdanslesruespourypropager

sesidéesetsapensée(foidanslaraisonhumaine),quePlatonrestituadanssesécritsdialogués.Sophocle(-496/-406):grandpoètetragiquegrec,auteurd’Antigoneetd’Électre.Souânit:enégyptien,lavilledeSyène.Sparte:villegrecqueduPéloponnèse(detraditionguerrière),longtempsrivaled’Athènes.Spartiate:habitantdeSparteet,parextension,soldatcombattantoriginairedecettecité.Stagire:villedeMacédoine,patried’Aristote.Statire:filledeDariusIII,autreépoused’Alexandre.Strabon:(personnageimaginaire),serviteurd’Archimède.Stratège:enGrèce,généralenchef.Strategosautokrator:expressiongrecque.DignitésuprêmeaccordéeàPériclès.Syène(ou,enégyptien,Souânit):villebordéeparleNil.Aujourd’huiAssouan,oùfutconstruitun

grandbarrageen1970.Syracuse:villeetportdeSicile.Syrie:paysd’AsielongtempsoccupéparlesPersesjusqu’àlaconquêted’AlexandreleGrand.Thargélie:personnagepeut-êtrefictif.Amied’Aspasiequil’accompagnadeMiletàAthènes.Thèbes:villedeHaute-Égypte,anciennecapitaledel’Empireégyptien.Thémistocle (-525/-460) : homme d’État athénien doué de clairvoyance politique et d’une

remarquableéloquence.Thérippide:amidupèredeDémosthène,chargédel’éducationdesesenfantsetdelagestiondesa

fortune.Thermopyles:aujourd’hui,cedéfilé(aunordduPéloponnèse)esttrèslargeenraisondesalluvions

quis’ysontdéverséesdepuis2500ans.En480av.J.-C.,ilétait,endeuxendroits,larged’unevingtainedemètres.Thucydide (vers -460/-400 ?) : historien grec, le plus illustre du monde antique. Il fut

probablementl’élèved’Anaxagore.Timothée :généralathéniencélèbrepoursaprudenceetsamodération.MourutenexilàLesbosen

354av.J.-C.

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Torus:personnageégyptien(imaginaire)accompagnantÉratosthènedanssonexpédition.Trachis:petitecitégrecqueprochedudéfilédesThermopyles.Trière:galèrerapideàtroisrangsderames.Troie:autrenomdelavilled’Ilion.Le«siègedeTroie»estaucœurdurécithomériquedel’Iliade.Tyrannie:dansl’Antiquité,gouvernementassuré(etusurpé)parunseulcitoyendansunecitélibre.Ulysse:hérosgrecdelamythologie,personnageprincipaldel’Odysséed’Homère.Xanthippe:nomdel’épousedeSocrate.Xanthippos:deuxièmefils(légitime)dePériclès.Xéniade : riche Corinthien qui acheta Diogène, en fit le précepteur de ses enfants et, sans doute,

l’affranchitàlafindesavie.Xénophon(vers-430/-355):historien,essayisteetchefmilitairegrec.Ilfutl’élèvedeSocrate.XerxèsIer(régnade-486à-465):roidePerse,filsdeDariusIer.Cherchaàvengerl’échecdeson

pèreàMarathon.Zénond’Élée(névers-490):philosophegrec,iltentadeprouverl’impossibilitédumouvementpar

unesériedeparadoxesquisontrestéscélèbres:«laflèchequineparvientjamaisàsonbut»ou«Achilleetlatortue».Zeus : dieu suprême du panthéon grec, époux d’Héra, père des dieux et des hommes. Siégeant au

sommetdumontOlympe,ilgouvernaitlecielettouslesphénomènesphysiques.

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CHRISTIANGRENIER

Né à Paris en 1945, Christian Grenier a publié, en trente ans, une soixantaine de romans et descentaines de récits, pour la plupart dans des collections de « jeunesse ». Si la SF a toujours été sondomainedeprédilection, sapalette s’estélargiedepuis longtempsau romansocial,historique,policier,intimiste… et à la mythologie ! Auteur, dans la collection, des Douze travaux d’Hercule, Contes etLégendesdesHérosdelaMythologieetJasonet laconquêtede laToisond’or, ilchercheàréconcilierpasséetfutur,scienceetimaginaire.ChristianGrenierestconvaincuquelessciencesetlestechnologiesgénèrentaujourd’huidenouveauxmythes;maisilaaussifaitsiencetadage:situnesaispasoùaller;alorsregarded’oùtuviens…

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CHRISTIANHEINRICH

Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert un vieil ouvrage dont les pages jaunies, fragiles, contaient lesmerveilleux mythes et légendes grecs. Quelques images obscurcissaient les débuts de chapitres et neparlaient guère à l’enfant que j’étais. Pourtant, je n’ai pu résister aux chants de ces extraordinairesépopéesreluesdesdizainesdefois.Spontanément,jesaisisalorsuncrayonpourlesillustrer,exprimantainsimavisiondechacunedeshistoires,surlespagesdéjàfatiguéesdulivre.Vingt-cinqansplustard,le«beauvoyage»sepoursuitàl’évocationdecespenseurs,rêveursetguerriersdel’Antiquité.Iln’enfallaitpas davantage pour que retentisse à nouveau l’appel des sirènes comme d’une lointaine enfance, plusséduisantquejamais.Maisj’airetenulaleçondugrandUlyssequidonnaraisonàmapassion…Jesuisrestébienattachéà…monpinceauetàmescouleurs.

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1Dond’ubiquité:capacitéàêtreprésentdansplusieurslieuxdifférentsaumêmemoment.2Stade:mesurededistancecorrespondantà157,5m(250stades=40kmenviron).3Sépulture:tombeau,lieuoùestdéposélecorpsd’undéfunt.4SparteavaitprétextédescérémoniesreligieusespournepasparticiperàlabatailledeMarathon.5Maîtredesphénomènescélestes,Zeusétaitsouventreprésentélafoudreàlamain.6Impie:quin’apasdereligion,ouquivoueduméprisàlareligion.7«Accoucherlesesprits»porteunnom,c’estlamaïeutique.8Allégorie:expressionouimagesymbolisantuneidéeouunsentiment.9Engrec,cequiestrelatifauchienseditkynikos.10Anarchiste:personnequivitenrefusantlesrèglesdel’ordreétabli.11Épitaphe:inscriptionsurunetombe,àlamémoired’unmort.12 La fortune du père de Démosthène provenait surtout de son grand-père, le gouverneur Gylon,

considérécommetraîtreàsapatrieparcequ’ilavaitépouséuneBarbare–uneScythe.13Harangue:discours,leplussouventsolennel,prononcéenpublic.14Mercenaire:soldatdemétierlouantsesservicesàungouvernementétranger.15Métaphore:expressionconcrèteouimagéepermettantd’illustreruneidéeabstraite.16Diatribe:critiqueamèreetvirulente.17Historiographe:historiennomméofficiellementpourécrirel’histoired’unprinceoud’unrègne.18Charisme:autoriténaturellequepossèdeunindividu(souventunhommepolitique)surlesautres.19Filsd’Amilcar, leCarthaginoisHannon fondaune colonie aux îlesCanaries vers460avantJésus-

Christ.20Le21juin,jourlepluslongdel’année,oùlesoleilestauplushautdansleciel.21 Soit 250 000x0,1557 mètres=39 375 kilomètres. En 1789, la mesure établira 40 000 km.

Aujourd’hui, on sait que le périmètre de la Terre est de 40 075 km à l’équateur et 40 010 km auxméridiens.Lamesured’Ératosthèneétaitjusteau2/1000!

22 Pourtant, ils les oublièrent. Quant aux centaines de milliers d’ouvrages de la bibliothèqued’Alexandrie, ilsbrûlèrentdans legrand incendiequi la ravageaen l’an47avantJ.-C., à la suited’uneimprudencedeJulesCésar.

23 Lors d’un séjour à Alexandrie auprès de son ami Ératosthène, Archimède avait mis au point undispositifingénieuxde«vissansfin»quiutilisaitlaforceducourant.

24«Toutcorpsplongédansunliquidesubit,delapartdeceliquide,unepousséeverticaledirigéedebasenhautetégaleaupoidsduvolumed’eaudéplacé.»

25Motgrec:«J’aitrouvé!J’aitrouvé!»26L’undesplusgrandsécrivainsethommesd’étatromains.Voirleglossaire.