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Contesetlégendesdetouspays
CONTESETRÉCITSDESHÉROSDELAGRÈCEANTIQUE
ParChristianGrenier
IllustrationsdeChristianHeinrichÉditions:NATHAN
ISBN978-2-09-252785-6
Cesrécitspeuventêtrelusdefaçonindépendanteetdansn’importequelordre.Pourdesraisonsdecontinuitéhistorique,ilssonticiproposéschronologiquement.
Merciàtoi,cherGilles,quiasrelu,àmademande,cesrécitsavantleurpublicationetyaspiégé…quelquesinvraisemblanceshistoriques!
C.G.
IHOMÈRE
OULEPOÈTEAUXTROISVISAGES(VERS820AV.J.-C.)
QUANDjedébarquaisurlepetitportdel’îled’Ios,lejeunemarinquiamarraitmonnaviremelança:—Tuasde lachance,voyageur!Homèreestarrivé ici lemoisdernier.Cesoir, ilvanousraconter la
prised’Ilionoupeut-êtrelefabuleuxvoyaged’Ulysse.Profitedetonescalepourl’écouter.Ilestvieuxetfaible.C’estpeut-êtreladernièrefoisquenousentendronssesrécits.—LegrandHomère?dis-jeaumarin.Tuenessûr?—Certain!Lepoètenousasouventfaitl’honneurdesavisite.—Etilseraiticidepuistroisdécades,dis-tu?J’endoutaisfort:Homère,jevenaisdelevoirsixjoursplustôtdansl’îledeChiosoùj’avaislivréduvin
etdel’huile!
Àcetteépoque,j’avaisvingtans.Monpère,unrichenégociantdeCorinthe,m’avaitconfiéuneescadredenavireschargésdedenrées.Je
devaisparcourirtouteslesCycladespouryvendrenosprovisionsetenacheterd’autresaumeilleurprix.Cettemissiondeconfiancenemeplaisaitguère.Depuisl’enfance,monrêveétaitdedeveniraède!—Toi,poète?avaitricanémonpère.Pasquestion!Tuesmonuniquehéritier.Tuserasnégociantettu
gérerasmafortune.Déçuetamer,jeprofitaisdechaqueescalepourallerécouterlesaèdesquichantaientlesexploitsdes
hérosetdesdieux.Cesoir-là,tandisquemonéquipageallaitauportsesaouleretvoirdesfemmeslégères,jerejoignisla
placedumarchéoùsepressaitdéjàunefouleconsidérable.Dansnosîles,lesdistractionssontraresetlarenomméed’Homèreétaitgrande.Ilparcourait laGrècedepuiscinquanteanspourchanterlesexploitsd’Achilleetd’Ulysse.J’étaiscurieuxdel’entendre.Était-celemêmequeceluiquej’avaisvurécemment?Avait-il,commelesdieux,ledond’ubiquité(1)?Dèsqu’ilparut sur scène, je susqu’il s’agissaitd’un imposteur.CeluideChiosétaitmalingre, courbé
commeunebranched’olivier.Cevieillard,lui,étaitd’unetailleimposante.Cependant,lesdeuxhommesavaientdespointscommuns:unebarbeblancheetbouclée,unâgecertain.Etilsétaientaveugles!CesecondHomèrefutconduitparunjeunegarçonaucentredelaplace.Ils’assitetcalasalyreentre
sesgenoux.À présent, un silence respectueux planait sur l’assemblée. Dans la nuit violette qui tombait, on
n’entendaitquelarespirationdupublicetlastridulationentêtéedescigales.Soudain,lesdoigtsdupoèteégrenèrentquelquesnotesavantqu’ilnedéclame,d’unevoixprofondeet
vibrante:—Déesse,chantelacolèred’Achille,filsdePélée,Cettecolèrefunestequicausatantdemalheursaux
Grecs…Unmurmuredesatisfactions’élevaparmilesspectateurs.Commemoi,ilsavaientidentifiéledébutde
l’Iliade!—Filsd’Atrée,etvousGrecsauxbellescnémides,Quelesdieuxquihabitentl’OlympeVousfassentla
grâcededétruirelavilledePriam…Jemelaissaiunenouvellefoisentraînerparcettehistoire.Quelleaventure!Quelleimagination!Quelle
poésie ! Ah, pourquoi n’avais-je pas désobéi àmon père, quitté logis et patrie pour devenir un poèteambulant?Lescigalesnechantaientplus.Lanuitétaittombée.Etmoideplusenplusintrigué.Jemetournaivers
monvoisinpourluichuchoter:— Es-tu sûr que c’est là Homère ? J’ai vu récemment un autre aède qui ne ressemblait pas à… cet
Homère-ci.—C’était un imposteur !me répliqua-t-il.Mèdikès, qui se fait appelerHomère, est natif de cette île
d’Ios.Nosparentsl’ontvugrandir.Samère,quiatoujoursvécuici,estmorteilyadixans.
J’étais stupéfait. Car à Chios, le premier Homère était entouré de centaines d’auditeurs. Toussemblaientleconnaître.—Mèdikès…murmurai-je.Comme beaucoup, l’aède avait choisi un pseudonyme dont la signification ambiguë tout à coupme
frappa:homère,engrec,signifietoutàlafois«aveugle»et«otage».LesdeuxpoètesquiprétendaientêtreHomèreétaientbienaveugles.Maisdequiauraient-ilspuêtrel’otage?À cet instant, la voix du vieillard faiblit. Bientôt, il chancela et s’interrompit. Le jeune garçon se
précipitapourl’aideràselever.Avantdepartir,leprétenduHomèreeutlaforcedelancer:—Jereviendraidemain.JeraconterailasuitedusiègedeTroie,et…—LamortdePatrocle!proposaunspectateur.—Oui,oui!LamortdePatrocle!lancèrentd’autresvoix.—Soit!admitl’aèdeensouriant.Lesgenssedispersèrent.Certainschantonnaient lespassagesqui lesavaient frappésetqu’ilsavaient
retenus.Aulieuderejoindreleport,jesuivislepoèteetsonguide.Auxfaubourgsdelacité,legarçonlaissason
protégéàlaported’unemaison.Levieillardétaitentré.Personnenel’avaitaccueilli.Ilvivaitdoncseul.Jem’approchaietgrattaiàlaporte.Bientôt,lefauxouvraiHomèrem’ouvrit.—Ehbien,Anaxos,qu’as-tuoublié?dit-ilenmefixantdesonregardéteint.—JenesuispasAnaxos,répondis-jeenlepoussantàl’intérieurdulogisobscur.Déséquilibré,épuisé,ilvacilla;jedusleretenirpourqu’ilnetombepas.Jel’aidaiàs’asseoir.D’unevoix
quigrondaitettremblaitàlafois,ilmedéclara:—Queveux-tu?Del’argent?Jen’enaipas!J’étaispartiàlarecherched’unelampeàhuile.Jefinisparendénicheruneetl’allumai.Lepoèteaveugleserebiffa:—Commentoses-tut’enprendreàmoi?Sais-tubienquijesuis?—Non,justement.Ouplutôtjecroisquetun’espasHomère.Ilsursauta.Avais-jeviséjuste?Levieillardsedéfendit:—Tute trompes,étranger !JesuisMèdikèsd’Ios. Ici, chacunsaitque jesuisHomère.D’oùviens-tu
pourendouter?—Del’îledeChios.Avantdelaquitter,j’aivuetentenduHomère.L’undevousdeuxestunimposteur.
Etjecroisquec’esttoi.Embarrassé,lepoètefronçasesépaissourcils.—JesuisHomère!s’entêta-t-ilàvoixbasse.—Soit.JevaisreveniràChiosetconfondreceluiquisefaitprendrepourtoi!—Non,nefaissurtoutpascela!Saréactionmedésarçonna.—Ahbon?Etpourquoi?QuiestcetautreHomère?Tuleconnais?Sonsilencedevenaitirritant.Jelesaisisaucouetaffirmai:—Situnemedispaslavérité,jet’envoierejoindrelesdieux!Turéglerastescomptesaveceux!Mamenacen’eutpasd’effet.Mèdikèsn’avaitpaspeurdelamort.D’unevoixpaisible,ilmurmura:—Jetesensjeuneetimpétueux.Quet’importe,aprèstout,quejesoisounonlevéritableHomère?…Et
toi,quies-tu?—ÉristhènedeCorinthe,et justementtonplusgrandadmirateur.Moiaussi j’aimeraisêtrepoète!Je
connais des passages de ton Iliade et de tonOdyssée par cœur. Voilà pourquoi plus tard je voudraispouvoiraffirmeràmesenfants:«J’aiconnulevrai,l’immenseHomère.Jel’aivuetentendu!Jemesuisentretenuaveclui…»Maintenant,levieillardsouriait.Ilsaisitmamainetdemanda:—Saurais-tugarderunsecret,Éristhène?—Ohoui!Jetejure,surtouslesdieuxdel’Olympe…—Jetecrois,inutiledejurer.Écoute-moi.Iln’yapasunseulHomère.Noussommestrois.Jerestaimuet.Jem’attendaisàtoutsaufàcela.—Lorsquej’eusdixans,m’expliquaMèdikès,onm’envoyafairemesétudesdansuneîlevoisineoùjefis
la connaissance de deux autres garçons demon âge, aveugles de naissance commemoi : Rékérion etHothonon.Trèsvite,nousdevînmesinséparables.Commetousceuxquisontprivésdelavue,nousavionslemêmegoûtpourlapoésieetlechant.Engrandissant,nousnousracontionstouràtourdeshistoires…Cellesquenosenseignantsnousavaientapprises.Maisaussicertainsrécitstraditionnelsquenosgrands-parentsnousavaienttransmis:l’histoiredelamythiquevilled’Ilion!Souvent,Hothononnousracontaitl’odysséed’unvoyageurperdusurl’océan,dontchaqueescaleétaitl’objetd’aventuresplusextraordinaireslesunesquelesautres.—Veux-tudireque…?—Oui.Nousavonsrelié tousces récits.Nous lesavonsaméliorés,versifiés,misboutàbout.Parfois,
l’und’entrenous imaginait un épisode supplémentaire.Aupoint que, quelques annéesplus tard, nousaurionsétéincapablesdedirequiavaitimaginéquoi.
Perplexe,jemurmurai:—Jen’auraisjamaissoupçonnécetteimposture-là…—Uneimposture?Jamaisdelavie!Aussicréatifqu’ilsecroie,unauteurinventepeu.Ilestinfluencé
parseslecturesetsesrencontres.Cependant,notrerécitestoriginaletcollectif.—Etuniquementoral?—Bien sûr. Aucun de nous n’a jamais rien écrit ni dicté.Même si, déjà, quelques érudits notent de
mémoirecequenousracontons.—Nous?…Queveux-tudire?Continue!Qu’est-ilarrivé?—Leproblème,c’estquenousavionsuneseuleetmêmehistoireàconter.Etchacundenousétaiten
droitdelarevendiquer!NousavonsalorsdécidédenoussépareretdegagnernotrevieenparcourantlaGrèce, sousunseuletmêmepseudonymecomposédenos troisnoms :Homère.Ducoup,nousétionscondamnésànousressembler.Àraconterlemêmerécittoutaulongdenotrevie.Nousétionsdevenuslesotageslesunsdesautres…—Celuiquej’aivuàChios?…—C’étaitRékérion.Hothononestmortl’andernier.Ehoui,Éristhène,nousnesommesplusquedeux.—Pourquoim’as-turévélécesecret,Mèdikès?Jenet’auraispastué.—Oh,jelesaisbien!Jepréféraistelivrerlavéritécarj’aiunepropositionàtefaire…—Uneproposition?Laquelle?—Vois-tu,jevaisbientôtmourir.Rékérionnetarderapasàmerejoindre.Or,ilfaudraitquel’Iliadeet
l’Odysséenoussurvivent…—Elles survivront !m’exclamai-je, enthousiaste. Tonœuvre… votreœuvre traversera les siècles.On
l’admireraencoredansmilleans!—Àcondition,Éristhène,qu’ellesoittransmise.Apprise.Etcopiée.—Serait-celàlamissionquetuvoudraismeconfier?Déjà,moncœurbattaitdejoieetdefierté.—Oui.Maisilseraitimprudentquetusoisleseulàl’assumer.Nesoispasjaloux,Éristhène.D’autres
t’ontprécédé,ontcommencé…Rékérion,àChios,adéjàrecrutéquelqueshomérides.C’estainsiquenousappelonslesjeunesaèdesquenousjugeonsdignesdenoussuccéder.—Veux-tudire…quenousnousferonspasserpourtoi?Pourvous?—Non,bien sûr.Vous transcrirez et apprendreznos récits.Vous les ferez connaître.Plus vous serez
nombreux,plusgrandiralarenomméedecemystérieuxHomèrequelapostéritéretiendra!Aujourd’hui, je ne suis plus commerçant. Je suis devenupoète. Plus précisément l’undes nombreux
homéridesqui,duPont-EuxinauxColonnesd’Hercule,parcourent lebassinméditerranéen. Jusqu’à lamortdemonpère,j’aipucumulermafonctiond’aèdeetmonmétierdenégociant.Jeparcours les îles.Et le soir, je saisisma lyre.Devantmonpublicébloui, je commenceà réciter les
vingt-huitmille versde cesdeux épopéesqui, j’en suis sûr, deviendront leplus fabuleux récit de toutel’histoiredel’humanité.
IIMARATHON
OULAVICTOIREENCOURANT(LE13OULE21SEPTEMBRE490AV.J.-C.)
AGILE et rapide, Philippidès escaladait la colline qui dominait la mer. Il se répétait l’objectif de samission:observerlesmouvementsdel’arméeperseetévaluerlenombredesnaviresdesaflotte…
Philippidès avait été choisi par Miltiade, qui commandait l’armée grecque, parce qu’il était l’un desmeilleurshoplites.AuxderniersJeuxolympiques,ilavaitremportélacourseets’étaitbienclassédanslelancerdudisqueetdujavelot.
Parvenuausommetdelacolline,ilrepritsonsouffleetscrutalarade.—LesPerses,murmura-t-il,cœurbattant.Ilssontbienlà!Certainsnaviresennemisavaientaccosté.D’autressemblaientstationneraularge.Ilcomptalesbateaux
etconstata,épouvanté:—Sixcents!Sixcentsnaviresarmés!Chacun d’eux transportait près de cent hommes. Environ cinquante mille combattants ! Un chiffre
dérisoirepourl’Empireperse,maiscolossalfaceauxneufmillehoplitesathéniens.—Biensûr,murmuraPhilippidès,ondoityajouterlesmillesoldatsquelavilledePlatées,notrealliée,
aenvoyés.Etpeut-être lesrenfortsqueSpartenousapromis.Ah,ceux-là,nousenaurionsbienbesoinpouraffronterl’arméeduroidesrois!
Ainsi surnommait-on Darius, le souverain perse. Le jeune hoplite soupira, sûr de périr dans cettebataille.Unemort inutile puisque l’armée persemarcherait aussitôt surAthènes qui se trouvait à 250stades(2)delà.Elleyseraitpeut-êtredemain…
Depuisunsiècle,lesPersesnecessaientd’occuperdenouveauxterritoires:laMésopotamie,laSyrie,laPalestine–etmêmel’Égypte.
—Leurstroupesdébarquent!nota-t-ilenobservantl’arméesurlagrève.EllesvontforcerlepassageetgagnerAthènesparlaterre.
Miltiade,quiavaitprévucettemanœuvre,avaitconcentrésestroupesencontrebasdelacolline,prèsdelapetitecitédeMarathon.C’étaitl’uniqueaccèsversAthènes.
—Nousnetiendronspaslongtemps,bougonnaPhilippidès.Commeils’apprêtaitàredescendre, ilvitquelerestede laflottepersesedirigeaitvers lesudaulieu
d’accoster.Quantauxpremiersnaviresquiavaientdébarquélessoldats,ilsrejoignaientlaflotteaularge!Ilcompritaussitôtlatactiquedesennemis:
—LesPersesn’ontlaissésurlabergequevingtmillesoldats–largementdequoinousvaincre!Lerestedel’armée,restéembarquésurlesnavires,vacontournerlacôteetattaquerAthènes.
Lacitéétaitsansdéfenses:elleavaitenvoyésonarméeici,danslaplainedeMarathon!Lestempesenfeu,lehoplitedescenditlacollineetarrivaenvueducampementgrec.Àboutdesouffle,
ilseprésentadevantMiltiade,lechefdel’armée.—Ehbien,Philippidès?demandalegénéraldesavoixrauque.Miltiade était avare de mots. Grand, massif, doté d’une barbe bouclée, c’était un rude gaillard que
seules,sonaudaceetsesqualitésdemeneurd’hommesavaientfaitplaceràlatêtedel’armée.—VingtmillePersessontlà!annonçalehopliteendésignantlagrèveproche.Maistrentemillesoldats
sontrestéssurlesnavires.IlssedirigentversLePirée,leportd’Athènes.Ilsvontprendrelacitéàrevers!Ilsyarriverontdemainsoirauplustard.
LefrontdeMiltiadeseplissa.Devait-ilordonneràseshommesd’abandonnerlaplaineauxPerses?DerejoindreauplusviteAthènespouraffronterleurflotte?Imprudent:leharnachementdeshoplitesétaitlourd;etaprèscetrajetdequarantekilomètres,sessoldats,épuisés,seraientdeplusprisentenailleparlesvingtmillePersesquidébarquaientnonloind’icietseraientàleurpoursuite…
Non,ilnefallaitpastomberdanscepiège.—Lesrenfortssont-ilsarrivés?demandaPhilippidès.—LesSpartiates?Inutiledecomptersureux,grommela legénéral. Ilsnousont faitsavoirque leurs
fêtesreligieusesleurinterdisentdesebattre!Ilsdoiventattendrelapleinelune.Touslesprétextesleursontbonspouréchapperaucombat.Non,monbravePhilippidès,nousnepouvonshélascompterquesur
nous-mêmes!Miltiadeseretournapourcouverduregardseshoplitesquiseharnachaientpourlabataille.Ilposasa
mainsurl’épauledePhilippidès.—VingtmillePersesontdébarqué,dis-tu?Trèsbien.Neperdonspasuninstant.C’estnousquiallons
prendrel’offensive.—Quedis-tu?rétorquaCallimachos,l’undeschefsdel’armée.— Préfères-tu que nous les attendions ici pour nous faire massacrer ? Ils sont sans méfiance, ils se
croient les plus forts. L’effet de surprise sera total. Nous allons attaquer de front et impressionnerl’ennemi!Il fautquelesailesdenotrearméesoientpourvuesdesmeilleurshommes.Jeneveuxqu’unpetitdétachementaucentre.
—Ilnetiendrapaslongtemps!réfutal’undeslieutenants.—Justement.Ilreculera,entraînantlesPersesdanslaplainedeMarathon.Là,nouslesprendronsen
tenaille.Leslieutenantsseséparèrentpourrelayercesdirectivesàleursunités.Philippidèsregagnasonposteet
aperçutGynon.Cetesclave,qu’onvenaitd’affranchirpourl’enrôler,lepressadequestions.—D’accord,jeteracontetout.Maisaide-moiàm’habiller!Poureffectuersamissiondereconnaissance,iln’avaitgardéaucunvêtement.Latenuedehopliteétait
unvéritableharnachement.Philippidèsrangeasonglaive,ajustasesjambièresdebronzeetsacuirasse.Aumomentoùilposaitsoncasquesursatête,l’ordrederassemblementfutdonné.Iln’eutqueletempsdesaisirsalonguelanced’unemainetdel’autresonbouclier.
Enquelques instants, lesdixmille fantassins furentdéployés sur laplaine.Philippidèsétait sur l’ailegauche.Letempsétaitbeauetchaud,lesoleilculminaitauzénith.Auloin,àhuitstadesdelà,lesnaviresperseseffectuaienttoujoursdesva-et-vientdanslarade,débarquantcharsetchevaux.
Miltiadelançaunsignalqueseslieutenantsrépercutèrent:—Àl’attaque!Aupasdecourse!—Aupasdecourse?s’étonnèrentleshoplites.Ilestfou!Ilss’élancèrentpourtant,essayantdeménagerleursforces.Cinqminutesplustard,ilsétaientfaceaux
Perses!Ceux-ci,abasourdispartantderapiditéetd’audace,furentprisdecourt.Ilsétaientloind’imaginerque
lesGrecs, plus faibles en nombre, prendraient l’offensive ! Acharnés, les hoplites du centre de l’arméeathéniennefirentmêmedegrosravages.Maisbientôt,lesBarbaress’organisèrent.Desarchersorientaux,le genouà terre, envoyèrentdes voléesde flèches vers lesAthéniens…y compris vers ceuxqui, sur lesailes,entamaientleurapproche.L’uned’ellesvintsebrisersurlacuirassedePhilippidès.
Desalance,ilaffrontaunSace–unbergernomadepeurompuaumaniementdesarmes.Aprèsl’avoirtué, il constata que Miltiade avait vu juste : les Perses se laissaient prendre en tenaille par les deuxphalangesgrecquesdéployées!
LepiègeserefermasurlesBarbares.Lesarchersdurentserésigneràuncorpsàcorpsauquelilsétaientmalpréparés.
LesAthéniens,aucontraire,yétaienttrèsentraînés.Certes,deshoplitestombaient.Maisjamaisavantd’avoircausédelourdsdommagesàl’ennemi.LesPersescomprirentqu’ilsperdaientbeaucoupd’hommesetqu’ilsnereprendraientjamaisl’avantage!
Leurschefsclamèrentbientôtl’ordredebattreenretraite.—Pourchassons-les!hurlaitMiltiade.Philippidèsobéit;glaivebrandi,ilsejetaàlapoursuitedessoldatsquidétalaientverslagrève.Là,en
débandade, les Perses survivants essayaient de rejoindre leurs embarcations. Déchaînés, des hoplitesréussissaientàmonteràbordpourcombattreencore–etcertainsserendaientparfoismaîtresdunavire!
L’après-midi n’était pas achevé quand les Perses rescapés reprirent la mer. Ils abandonnaient septvaisseauxauxAthéniens.
Philippidès s’accorda un instant de répit. Il jeta un coup d’œil autour de lui. Le sol était jonché desoldats,pourlaplupartennemis.Beaucoupdeblesséshurlaient,suppliantqu’onlessoigneouqu’onlesachève.Gynon,commePhilippidès,étaitindemne.Lespertesathéniennes,quisemontaientà192morts,étaientmineuresàcôtédecellesdesPerses:ondénombraprèsde6400cadavres!
—Dariusauradumalàseremettred’unetellehumiliation!criaMiltiade.Àprésent, il fautprévenirAthènesdenotrevictoire.
—C’estvrai,s’exclamaPhilippidès.Lesnavirespersesvontprendrelavilleparsurprise!—Oh,aprèscetteraclée,jecroisquelesBarbaresneserisquerontplusàattaquer!estimaMiltiadeen
hochantlatête.Il eut un regard de commisération pour ses hommes tombés au combat. Leurs cadavres avaient été
rassemblésaupieddelacolline.Ildéclaraauxhoplitesalignés:—Nousdevonsànosmortsunesépulture(3)décente.Maisilfaudraitquel’undevousgagnelacitéau
plusvite.Qu’ilrassurelesAthéniens,lesavertissedenotrevictoire.
À ces paroles, et malgré leur fatigue, les hoplites levèrent les yeux dans l’espoir d’être désignés. LeregarddugénéraltombasurPhilippidès.Dansungrandrire,ils’exclama:
—Nulmieuxquetoi,Philippidès,n’estcapableetdigned’êtrenotreémissaire.Neperdspasuninstant.Va!
LejeuneAthéniensentitsoncœurbondirdefierté.Déjà,Gynonl’aidaitàenleversonéquipement.Enpeudetemps,ilseretrouvapresquenu.
—Penses-tuatteindreAthènesavantlanuit?—J’yseraiavantcesoir!Ici,nuln’estplusrapidequemoi!GynonpuisMiltiadeenpersonneluidonnèrentl’accolade.Sescamaradesluifirentuneovation.EtPhilippidèss’élança!Réfrénantsonenviedefonceraupasdecourse, ilmenauntrainrapideetrégulier.Trèsvite, il laissa
derrièreluilaplainedeMarathon;ilcouraitmaintenantsurunsolsecetpierreux,sefrayaituncheminentre des buissons d’épineux, empruntait parfois un sentier – mais le plus souvent il coupait au pluscourt,leregardaccrochéausoleilquidéclinait.
Ilralentitl’allurequandilsentitlamenaced’unpointdecôté;sanss’arrêter,ilmesurasonsouffleetputbientôtreprendreuntrainencoreplusappuyé.Lajoiedecettevictoirerapideetinespéréeluidonnaitdes ailes. Il ne prenait pas garde à la sueur que le vent de sa course évaporait, à ses tempes quibourdonnaient,àsesmusclesdouloureuxquisecontractaient,àl’oppressiondeplusenplustenacequiluicomprimaitlapoitrine…
Ilcourait.Il courait d’une foulée nerveuse et souple, volontaire et mécanique, porté par l’euphorie du récent
succès.Enfin,ilaperçut,àsadroite,lemontLycabette;ilsutqu’ilétaitautermedesamission.Quandilparvintauxmursfortifiésd’Athènes,lesoleilsecouchait.Sansdiminuerdevitesse,iladressa
unsigneamicalauxgardiens,franchitlaportedelacitéets’élançadanslesrues.Lespassantss’arrêtaientpourvoirpassercetathlèteauvisageradieux.Philippidèsvenaitdetraverserlaplacedumarchéquandunedouleurviolenteleterrassa.Ils’effondra.Onseprécipitaverslui.Ilsuffoquait.Samâchoireétaitcrispée,sesmembresraides.Illui
semblaitquetoutlehautdesoncorpsétaitprisonnierd’unétau.Danslafoule,unevoixs’éleva:—C’estPhilippidès…l’undeshoplitespartiscombattrelesPerses!—Jeviens…deMarathon,murmura lecoureuravecdifficulté.Noussommesvictorieux.LesPerses…
sontendéroute!—Ah,Philippidès,s’écrièrentlesAthéniensquil’entouraient,quelsoulagementtunousapportes!—J’aifait…leplusvitequej’aipu!Lajubilationdescitoyensétaitsifortequ’uneimmenseacclamations’éleva.Uneclameurquelehéros
deMarathonentenditavantderendresonderniersouffle.Caraprèsl’ultimeeffortqueluiavaientcoûtésesparoles…ilexpira.
Aujourd’hui,Marathonrestedanstouteslesmémoires.D’abordgrâceàlacourseolympiquerappelantcetexploit;etensuitegrâceautumulusqu’onpeutvoirdanslaplainedumêmenom…Làsontensevelieslescentquatre-vingt-douzevictimesgrecquesdecettebataille.
IIILÉONIDAS
OULEVAINQUEURDESTHERMOPYLES(AOÛT480AV.J.-C.)
—Lasituationestgrave!déclaraThémistocle.Lesmembresdel’Assemblée,attentifs,approuvèrentleurdirigeantquipoursuivit:— Voilà cinq ans que notre ennemi Darius, le roi des rois, est mort. Cinq ans que son fils, Xerxès,
ruminesarancœurcontrelaGrèce.HumiliésparladéfaitequenousleuravonsinfligéeàMarathon,lesPersesveulentsevenger!Ilsapprochentd’Athènes…
—Aussi,c’estnotrefaute!lançal’undesstratèges.Rappelle-toi:quandDarius,ilyaquelquesannées,nousaenvoyédeuxémissairespournousdemanderdeluidonnerunpeudeterreetd’eauenguisedesoumission,qu’avons-nousfait?
—Nouslesavonsmisàmort,admitThémistocleensoupirant.—Nousaurionsdûnégocier !L’Empirepersenousdigère, il est cent foisplusgrandquenotrepays.
Commentrésisteràcetenvahisseur?Noscitéssonttropdivisées…—Ellesnelesontplus!tranchaquelqu’und’unevoixforte.C’était Léonidas, le roi de Sparte. Ce souverain avait la beauté d’un dieu. Impressionnée par tant
d’assurance,l’Assembléesetut.—Nosdeuxcités,AthènesetSparte,ontététroplongtempsrivales!Allions-nousaujourd’huicontrecet
ennemicommun.—Ilesttemps(4),soupiraThémistocle.MaisvoiciArthiasetBulos…L’Assembléefutstupéfaite:voilàunan,cesespionss’étaientfaitenrôlerdansl’arméeperse.Commeles
deuxhommesn’étaientpasrevenus,onlesavaitcrustuésouperdus.ArthiasetBulossemblaientpenauds.Sarcastique,Thémistoclejeta:—Ilssesontfaitcapturer,évidemment!—Ungénéralnousasurpriscommenousparlionsgrec,avouaBulos.—Et…ilnevousapasmisàmort?s’étonnaunstratège.— Non, expliqua Thémistocle d’un air sombre. Xerxès préférait qu’ils viennent rendre compte de ce
qu’ilsavaientvu.Raconte,Arthias!— L’armée perse est gigantesque ! avoua l’espion. Nous l’avons constaté de nos propres yeux. Deux
millionsd’hommes!Peut-êtretrois.Dansl’hémicycle,uncrid’effroijaillit.Ici,oncroyaitl’arméepersefortedecinqcentmillehommes.Ce
quiétaitdéjàeffrayant.—Lesgénérauxennemisparlentexactementde2641000soldats,précisaBulos.IlyalàdesAfghans,
des Indiens, des Scythes, desAssyriens…Sansparler de la cavalerie, des chars et des éléphants !À cechiffre, il faut ajouter autant d’ingénieurs, d’esclaves et de marchands qui suivent l’armée. Une villeinvestieestruinéelelendemain.Quandl’arméesedésaltère,elleassècheunerivière!
—Ilsmentent!accusaunstratège.VoilàpourquoiXerxèsleurafaitgrâce:pourqu’ilsnousdébitentcessornettes!
— Non, rétorqua Léonidas. Xerxès espère que ces révélations nous impressionneront et que nouscapituleronssanscombattre.
—Commentune tellearméea-t-ellepu franchir l’Hellespont?s’étonnaunautrestratège.Cebrasdemerestsilarge!
—Grâceàunpontdebateauxfaitdesixcentsoixante-quatorzenavires!réponditBulos.Onfouettaitlesanimaux,apeurés,pourqu’ilsavancententredespalissadesdebois.
—Despalissades?répétaLéonidas.—Oui.LesPerses lesontédifiéesà l’aideduboisdes forêtsvoisines,ajoutaArthias.Ensept jourset
septnuits,l’arméeafranchil’Hellespontàpiedsec.—Pendantce temps,poursuivitBulos, la flotte longeait la côte.LesPersesontmêmedécidéde faire
emprunterunraccourciàleursnavires:ilsontcreuséuncanaldedeuxkilomètresprèsdumontAthos!Cesrévélationslaissaientl’Assembléemuette.—LaPersepossèdedoncuneflottesiimportante?demanda-t-onenfin.
—Milledeuxcentsvaisseaux, révélaArthias.Tousarméspar lesPhéniciensqui, commechacunsait,sontlesmaîtresdelamer.Xerxèsprogresselentement,impitoyablement.SonarméeaenvahietpillélaThraceetlaMacédoine.Aujourd’hui,ellesetrouvetoutprèsd’ici,enThessalie.
—DoncAthènesestperdue!lancèrentlesstratègesd’uneseulevoix.—Pasencore!rétorquaLéonidas.Devantl’Assembléeenétatdechoc,leroideSparteaffirma:— La montagne du Péloponnèse nous protège. Elle forme un rempart difficile à franchir pour des
millionsdesoldats.—IlspasserontparlesThermopyles!déclaraThémistocle.Cettelonguevalléeétroiteestlaseuleentrée
possible.—Exact!réponditLéonidas.Cequ’ilsignorent,c’estquecegoulet,àsasortie,nepossèdequelalargeur
d’unchemin.Deuxcharsn’yavanceraientpasdefront.C’estlàquenousattendronslesPerses!—Nousnedisposonsquedequatre-vingtmillehoplites,grommelaThémistocle.—C’estdérisoire,faceàtroismillionsdesoldatsperses!lançaquelqu’unsurlesgradins.— Oui, admit Léonidas. Seulement le défilé des Thermopyles est si exigu que les Perses devront y
pénétrerenfileétroite.Seulunpetitnombred’entreeuxseraenmesuredenousaffronter.—Certes.Maisnossoldatsfinirontparfaibliretcéder!soupiraThémistocle.Etpuisnousoublionsleur
énormeflotte…—Sinoussommesvaillantsetdéterminés,insistaleroideSparte,nousimpressionneronslesPerses!
IlssesouviennentdeMarathon.Ilshésiteront,reculeront…et–quisait?–renonceront!Le plan était audacieux. Comme personne n’envisageait de capituler sans combattre, Thémistocle,
solennel,déclara:—JeproposederemettrenotresortentrelesmainsduroideSparte.Confions-luinotrearmée.L’unde
vousyserait-ilopposé?Onvota;etLéonidasl’emporta.
Lelendemain,dèsl’aube,l’arméeathéniennesemitenmarche.ElleatteignitlesThermopylesquelquesjoursplustard.Dehautesfalaisesrocheusesfaisaientdeceboyauunegorgeétroiteetsinistre.
À présent, le jeune roi était inquiet. S’il avait proposé cette action de bravoure, c’était surtout pourreleverl’honneurdeSpartequiavaitrefusédecombattreàMarathon.
Ilrépartitseshommesavecsoin,dispersadesguetteurssurleshauteurset,pourconnaîtrelespositionsennemies,dépêchaquelqueséclaireurs.
Ilsrevinrentlesoirmême:—L’avant-gardedel’arméeapproche.Elleseralàdemain!—ArthiasetBulosn’ontpasmenti:c’estunemaréehumaine…dessoldats,dessoldats,aussiloinque
porteleregard!Léonidasdécidadeprendreunpeuderepos.Aumilieudelanuit,lechefdesagardepersonnelleletiradusommeil.Ilbondit,leglaiveàlamain.—L’arméeperse,déjà?—Non.C’estbienpire,Léonidas:nousavonsététrahis!—Trahis?Queveux-tudire?—Hiersoir,expliqualelieutenantendésignantlafalaise,unbergeraaperçunotrearméesedéployer
dansledéfilé.Ilaabandonnésesmoutonsetarejointsacité,Trachis.Seshabitantssontpassésdanslecampennemi. Ils sontsi sûrsde lavictoiredesPersesqu’ils lesontavertisdenotrepiège. Ilsespèrentainsiobtenirleurclémence.
—Descollaborateurs…lesmisérables!grondaLéonidas.Ilsedemandaits’ildevaitabandonnercepostestratégique.—Envoiedesguetteursobserverlesmouvementsdeleurarmée!Lesoleilseleva.Impatientsdesebattre,leshoplitesattendaient.Envain.C’estseulementlesoirqueles
guetteursréapparurent:—C’estunecatastrophe!LesPersesontdiviséleursforces!—Ehoui,Léonidas:àl’heurequ’ilest,leurflottelongelacôte.C’étaitcequ’ilredoutait:Athènesallaitêtrepriseàrevers!—Soit.Replionsnoshoplitesverslacitéafinqu’ilsladéfendent,décidaLéonidas.—Hélas,environcentmillehommessedirigentversledéfilé,révélal’undesguetteurs.Ilsseronticià
l’aube.Auplustardàmidi.Lejeuneroiadmiraitlatactiquedel’ennemi.SilesGrecsabandonnaientlesThermopyles,lesPersesqui
emprunteraientledéfiléparviendraientàAthènesencoreplusvite!—Nousdevonsdoncdivisernosforces,nousaussi,décida-t-il.—Pourdéfendredeuxlieuxàlafois?Noussommesdéjàsifaiblesennombre!—C’estsurtoutàAthènesquenotrearméedoitfairefront!Pourdéfendrel’accèsàcedéfilé,ilmefaut…
troiscentshommes.
Autourdujeuneroi,lesilences’étaitfait.Gravement,ilreprit:—Ilsserontmassacrés.Mais ilspourront infligerauxPersesde lourdespertes.Retarder leuravance.
DonnerànotrearméeletempsderejoindreAthènespourqu’ellepuisseladéfendre.
Danslanuitnaissante,leshoplitesseregroupaientautourduroideSparte.D’unevoixforte,ildécréta:—Partezdèsmaintenant.ExigezquelesAthéniensquittentlacité.IlfautquelesPersestrouventune
villemorte!Jeneveuxiciquetroiscentshommesprêtsàdonnerleurvie…Àcesmots,touslessoldatsspartiatess’avancèrent.Tous.Ilsétaientdesmilliers.Parmieux,lesjeunessemblaientlesplusdéterminés;certainsn’avaientqu’un
duvetauxlèvres.Léonidassentitleslarmesluimonterauxyeux.— Je ne veux que des hommes mariés qui ont au moins un garçon dans leur foyer ! Sparte doit
survivre…Les volontaires étaient encore des centaines. Léonidas les choisit avec soin.Quand il en écartait un,
celui-cibaissait la tête,humilié.L’arméeayantquitté les lieux,nerestèrent,danscedéfilésinistre,quetroiscentsvaillantsSpartiates…etleurchef.
Commeprévu,à l’aube, lesPersesapparurentauboutdudéfilé,progressanten file indiennedans lagorge étroite. Le roi de Sparte et ses trois cents hoplites les combattirent avec fougue, méthode etdétermination.
Pendantlespremièresheuresdumatin,iln’yeutaucunevictimeducôtégrec:disciplinés,formésaucorpsàcorps,lesSpartiatespourfendaientrapidementleursennemis.LesPersesquiavançaientdanslesThermopylesdurentbientôtescaladerdescentainesdecadavres!
Côté perse, les pertes s’élevaient à plusieurs milliers mais les premiers Spartiates commencèrent às’effondrer.Car lesBarbaresne laissaientaucunreposauxGrecs ;épuisésparcecombatsansrépit, ilsdevaient faire face à un adversaire frais et dispos. Léonidas allait de l’un à l’autre de ses hommes, lesencourageaitdelavoix,venaitausecoursdeceuxquiluiparaissaientendifficulté.
Sa stature et sa vaillance forçaient l’admiration de ses ennemis. Ils se demandaient si ce colosseinvinciblen’étaitpasHéraklèsressuscité.
Aveclanuitquitombait,LéonidasespéraquelesPersesferaientunepause.Maisellefutbienlongueàarriver…
Le combat cessa quanddesnuages voilèrent la lune et le ciel étoilé.Desmourants gémissaient dansl’obscurité, souvent dans une langue inconnue. Léonidas, blessé à la jambe, tenta d’arrêter le sang quicoulait.Ilprialesdieuxdelelaisserassezvaillantpourqu’ilpuissereprendrelabatailleàl’aube…
Etils’assoupit.Auxpremièreslueursdujour,ilfutréveilléensursautpardescris:lesarcherspersesavaientprofitéde
lanuitpourgagnerleshauteurs.IlsdécochaientleursflèchessurlesSpartiatesendormis!Lecombatreprit.Léonidascomptaseshommes.Iln’enrestaitplusqu’unecentaine.Commelaveille,seshoplitessedéfendirentd’abordavecuneénergiefarouche.Mais,lafatigueaidant,
ilstombèrentlesunsaprèslesautres.Pourlapremièrefois,Léonidasdutbattreenretraite.Il gravit la falaiseet se retournapour l’affrontement final.Là, il sutquec’était la fin :dans ledéfilé,
piétinantdesmilliersdecadavresamoncelés, l’arméeperses’étiraitàpertedevue…Maissurtout, ilnerestaitplusqu’unequinzainedeSpartiatesàleurfaireface.Afindelesencourager,Léonidashurla:
—Pourlaliberté,pourlaGrèce…etpourSparte!Aumêmeinstant,uneflèchel’atteignitenpleincœur.Ilétaitmidi.
Les Perses ne franchirent les Thermopyles qu’après avoir enterré et compté leurs victimes. Ils endénombrèrentvingtmille…
Si la bataille des Thermopyles fut une défaite grecque, le sacrifice de Léonidas et de ses SpartiatespermitauxAthéniensdefuiretdeseressaisir.Repliéenonloind’Athènes,àSalamine,l’arméegrecqueutilisasaflottepourmettrelesPersesendéroutele29septembre.Etc’estl’annéesuivante,en479avantJésus-Christ,àPlatées,queXerxèss’avouadéfinitivementvaincu.
PourrendrehommageauxtroiscentshoplitestombésauxThermopyles,unmonumentfutérigéàleurmémoire.Onylisait,gravédanslemarbre:
ÉTRANGER,VADIREÀSPARTE
QUENOUSSOMMESTOMBÉSICI
POUROBÉIRÀSESLOIS.
En réalité,parmi leshommesdeLéonidas,deuxn’avaientpaspéri ;blessés, ils s’étaient simplement
évanouis.LepremiermourutglorieusementàlabatailledePlatées.Honteuxd’avoirsurvécu,lesecondsependit.
IVANAXAGORE
OULAPIERREDUPHILOSOPHE(VERS466AV.J.-C.)
DANSlecrépusculenaissant,untraitdefeutraversaleciel.AnaxagorecriaaupetitSocrate:—Vite!Regarde…Troissecondesplustard,ungrondementébranlaitlesol.Ébahiparceprodige,l’enfantlenichadanssa
mémoire.—Maître,qu’est-cequec’était?demanda-t-il.—Euh…pourquoipasunéclairetletonnerre?—Unoragesansnuage?C’estimpossible.Satisfait,Anaxagoreapprouva.Malgrésonjeuneâge,Socratefaisaitpreuved’uneintelligenceaiguëet
d’unecuriositéinsatiable.L’enseignantneregrettaitpasdel’avoiremmenéquelquetempsloind’Athènes,danscettenaturepropreàéveillersonesprit.—Maître,quelleestcettefuméequis’élèveàl’endroitoùl’étrangefoudreesttombée?—Jel’ignore.Viens,Socrate.Rentrons,lesoirtombe.LephilosopheentraînasonélèveverslavilledeLampsaque.Ilypossédaitunepropriétéoùilaimaitse
retirerl’été.Ilsarrivaientàdestinationquandunserviteurcourutau-devantd’eux,excitéetessoufflé.—Maître!s’écria-t-il.LesdieuxsesontmanifestésprèsdufleuveAigosPotamos!Onyavulaterrese
soulever.Lesolfumeencore…—C’estdonclàquelephénomènes’estproduit,ditAnaxagore.Ilexaminaleciel,trèsdégagé,etnotalaprésencedelalune.—Socrate!fit-ilsoudain.Cefleuven’estpassiloin.Sinouspartonsmaintenant…—Ohoui,allons-y!réponditl’enfant,lesyeuxbrillants.Ilssemirentenrouteaussitôt.Lanuittombait.—Pensez-vousquecesoitlàunsignedeZeus?demandaSocrate.—Non.Tusaisbienquecen’étaitpasunéclair(5).—Celaressemblaitplutôtà…uneflècheenflammée,n’est-cepas?Cettecomparaisonluisemblapertinente:uneflèchenéeducieletpiquantdroitverslesol!Tandis qu’ils cheminaient, les étoiles s’allumaient. C’était une soirée paisible, banale. Pourtant,
Anaxagoredevinaquecettepromenadeétaitunmomentexceptionneldanssonexistence.Lorsqu’ils parvinrent en vue du cours d’eau, ils aperçurent sous la lune, près du fleuve, un énorme
cratère qui fumait légèrement. Son diamètre dépassait trois stades. Là stationnaient de nombreuxbadauds,hésitantentreeffroietcuriosité.Danslafoule,desvoixs’élevèrent:—VoilàAnaxagore!—Ah,Maître,expliquez-nouscesignedesdieux!—Nedirait-onpasquemillecharruesviennentderetournerlaterre?—N’est-cepaslepieddeZeuslui-mêmequis’estposéici?Laterre,aprèss’êtresoulevée,s’étaitfigéeenunevastedunecirculaire.Anaxagorel’escalada,descendit
verslecentreducratère.Ilsoupçonnaitqu’avaiteulieuiciunévénementextraordinaire–maislemettresurlecomptelesdieuxétaittropfacile.Ici,lesolfumaitencoreetbrûlaitlaplantedespieds…—Rentrezchezvous!jeta-t-ilauxcurieux.Iln’arriveraplusrien.Àregret,lesbadaudss’éloignèrent.—Ils’agitd’unphénomènenaturel,ditlephilosopheàmi-voix.—Lequel?demandaSocratequi,dupied,soulevaitquelquescailloux.—Àmonavis,unobjetesttombéduciel.L’enfantrestaunlongmomentbouchebée.Puisildemanda:—LegéantAtlas,quisoutientnotreTerre,aurait-iljetécetobjet?—Jenecroispasà l’existencede cegéant,Socrate.Nià la théoried’Anaximandre. Ilprétendque la
Terreestunastreplatisolédansl’univers.Maismoi,jepense,commelesupposaitPythagore,quenotreTerreestsphérique.Qu’elleneressemblepasàundisquemaisàuneballe.
—Et…surquoireposeraitcetteballe?Anaxagoregrimaça;iln’avaitpasderéponseàcettequestion.—Anaximandre,repritSocrate,affirmeaussiquelesétoilessontdestrousdanslatoileduciel!Etvous,
Maître,quecroyez-vous?— Qu’elles sont, comme notre Soleil, des astres qui brûlent d’un feu réel et produisent leur propre
lumière…LejeuneSocrateétaitstupéfait.Cesthéoriesétaiententotalecontradictionaveccequel’onsavait–ou
croyaitsavoir–duciel.—Anaximandre,ajoutal’enfant,assurequelaLuneetleSoleilsetrouventplusloinquelesétoiles!—Ehbienmoi,Socrate, jesuissûrque laLuneestplusprochede laTerreque leSoleiletdoncplus
petitequelui.Quantauxétoiles,vuleurfaibleclarté,ellesdoiventêtreàdesdistancesénormes.Aprèsuntempsdesilence,Socrate,incrédule,désignalesol:—Alors…unepetiteétoileseraitarrivéejusqu’ànous?Socrate s’accroupit, cherchant un objet qui aurait diffusé de la lumière. Anaxagore l’arrêta en lui
affirmant:—Oh,lesétoilesetleSoleilsontplusgrosquelemontOlympe…plusmassifsquelePéloponnèse!La
Luneelle-même,commelesautresastres,doitêtreuncorpspierreuxetpesant…Unefoisdeplus,Socrateouvritlabouche,ébahi.—SilaLuneestpesante,commentpeut-elleêtreainsisuspendue?—ImaginequelaLuneaitpuautrefoisêtrearrachéeàlaTerre!Elleestentraînéeettenueàsaplace
parl’effetdecettemêmerévolution.—Jecomprends,murmural’enfant.Encecas,desmorceauxdeLuneoudesdébrisd’autresastresnon
soumisàcetterévolutionretomberaientparfoissurlaTerre!Serait-cecequenousaurionsvu?—C’estcequejepense,oui:nousavonsaperçuunobjeterrantdansleciel.Enfrottantlesparticules
d’airensuspension,ilestdevenuincandescent…puisilapercutélaTerre!—Encecas,ditSocrate,nousdevrionsleretrouver.Fébriles, lesvoyageurss’agenouillèrentet fouillèrent lesol.Anaxagorerepéra,parmi la terreocre,un
caillounoiret luisant.Sonapparencenerappelaitriendeconnu.Àpeine l’eut-ilenmainqu’ilhurladedouleuretlelâcha.L’enfantseprécipita.—Maître!Qu’avez-vous?—Cettepierreestbrûlante!Ilsl’observèrentàdistance.Socratecriasoudain:—Regardez…Uncaillouidentique,ici!Etlà,encoreun,pluspetit!Lacuriositéétaitlaplusforte.Socrateeffleuraundescaillouxdudoigt,lecaressa–etlesaisitpourle
fairerebondirdanssapaume.—Onpeuttenirenmaincelui-cisanssebrûler…Tenez.Anaxagorepritl’objet.Malgrésapetitetaille,illuiparuttrèslourd.Perplexe,illeposaàterreprèsdu
premier.Socratedemanda:—Pourquoiya-t-ilplusieurscailloux?—Iln’yenavaitsûrementqu’un,àl’origine.Àmonavis,enheurtantlesol,ils’estbriséetsesmorceaux
sesontéparpillés.Commececi…Anaxagorepritunemottedeterre,lalança.Enretombant,elleéclataetsedispersa.Socrateéclatade
rire.—D’accord.Maisvousn’avezpasfaitgranddégât!Pourquoileprojectilequiesttombéa-t-ilprovoqué,
lui,untelcataclysme?—Parcequ’ilétaitdense,lourd–etallaitbeaucoupplusvite.L’enfantméditacesdéductionsets’exclama:—Maître,lapremièrepierrequevousavezramasséen’estplussibrûlante!Àprésent,jepeuxlatenir
dansmapaume!—Ehbien,garde-la,Socrate.Garde-laensouvenir…Tandisqu’ilsrentraientdanslanuitbaignéeparleclairdelune,l’enfantsentaitl’objetrefroidirdanssa
main.Maisilsesouviendraittoujoursdufeuqu’elleavaitportéenelle.Lefeuduciel.Unfeuquin’avaitplus
riendesurnaturel;etuncieldontlesdieuxétaientpeut-êtreabsents.
AnaxagorerevintàAthènes.Ilyrepritsescoursmagistraux.Socrategranditetfréquentad’autresenseignants.Des années plus tard, les Athéniens assistèrent à un prodige : le Soleil commença à s’obscurcir ! Sa
clartéfutlentementdévoréeparuncroissantdenuit.Àmidi,l’astredujourétaitdevenuuncerclenoir!Dans leciel,desétoilesapparurent.Puis leSoleil,peuàpeu,sedégageadecettegangued’ombreetseremitàbriller.Lelendemain,danslegymnaseoùilenseignait,Anaxagorefutinterrogéparsesélèves:—Maître,avez-vousuneexplicationauprodigecélested’hier?
—Oui. J’appelle ce phénomène une éclipse. Au cours dumouvement régulier qui régit les astres, laLunes’estinterposéeentreleSoleiletlaTerre.PreuvequelaLuneestplusprochedenousqueleSoleil.Dansl’assembléejaillirentdescrisdestupéfactionoudedoute.Soudain,unevoixsévères’éleva:—Anaxagore…cettefois,tuvastroploin!Périclèssetenaitsurleseuildelasalle.Hommepolitiqueprestigieux,ilpassaitpourgouverneravecmodérationetsagesse.—Jesuisravidetavisite,luiditlephilosopheensouriant.Ah,jen’oubliepasquetufusautrefoisl’un
desmesplusbrillantsélèves…—Hélas,Anaxagore,jeviens,aunomdel’ecclésia,tedemanderdeneplussemerd’idéesimpies(6)!Tes
hypothèsessurlecieletl’universdéfientlesdieux…Àcetteaccusation,queréponds-tu?—Que le ciel et laTerren’ont pas besoindesdieux.Qu’il faut laisser les dieux à leurOlympe et les
hommesàleurmonde.—Nem’obligepasàromprenotrevieilleamitié,soupiraPériclès.Cessed’enseignerdetellesinepties!—Jelaissemesélèveslibresdeleursopinions.Laisse-moidonclibrededispenserlesmiennes!Danslegymnase,lesilenceétaitdevenutendu.—Anaxagore,repritPériclèsd’unevoixbasseetferme,jecontinueàt’accordermonsoutien…maispar
pitié,cessedebousculerlatradition!—Autantm’imposerlesilence!Priverunsavantouunphilosophed’hypothèsesetderéflexions,c’est
couperlesailesàunoiseau.—Situt’entêtes,ontecondamneraàl’exil.—Setaireetnepluspenserseraitpirequed’êtreexilé.Jepréfèrevivrelibreailleursplutôtqu’êtreici
prisonnier.Quelquesjoursplustard,Anaxagoreétaitchasséd’Athènes.
Ils’étaitretiréàLampsaque.L’exilsupposaitaussilaprivationdesesbiens.Anaxagore,quiavaitconnucélébritéetopulence,devint
uninconnudémunidetout.Sesanciensélèvesn’avaientmêmeplusledroitdeluirendrevisite.Ilvivaitd’aumônesetseconsacrait,malgrésondénuement,àl’écritured’unouvragemajeur:Delanature.Unjour,legrandPériclèsarrivaàLampsaque.Trèsému,ilvints’inclinerdevantlevieuxphilosophe.—NobleAnaxagore,jetesuppliedereveniravecmoiàAthènes.—En reniantmapensée ? Il n’en estpasquestion.D’ailleurs, il est trop tard : cen’estpasquand la
lumièred’unelampeestéteintequ’ilfautyverserdel’huile.—Aurais-tuoubliéAthènes,tapatrie?— Ma seule patrie est l’univers. L’homme est né pour contempler les astres, affirma le savant en
désignantleciel.
Peu avantdemourir,Anaxagore reçut la visite d’un voyageur à la stature imposante et aux sandalesusées.Ilavaitdûmarcherlongtemps.—Quemeveux-tu,étranger?bougonnalephilosophe.—Jedéfielesloispourvenirteremercier,Anaxagore.—Meremercier?Etdequoi?—Detesleçons.Sanselles,jeneseraispasdevenuunphilosophe.—Quies-tu?Jenetereconnaispas.Lavued’Anaxagoreavaitfaibli.L’inconnuluirévéla:—Jerépandsmonenseignementcommetumel’asautrefoisappris:enparcourantetenobservantle
monde.Jemontrequenousn’avonsaccèsqu’àl’apparencedelavérité…Tesouviens-tudececi?Levoyageurtenditquelquechoseauvieillard.—Jenevoisrien,grommelacedernier.Qu’est-cequec’est?QuandAnaxagoreeutenmaincecaillounoircommelanuit,d’uncoup,ilsesouvint.D’unevoixbrisée
parl’émotion,ils’écria:—Ah,Socrate!Ilstombèrentdanslesbrasl’undel’autre.Aumilieudeseslarmes,Anaxagorebalbutia:—CherSocrate,taréputationestvenuejusqu’àmoi.Ainsi,l’élèveadépassésonmaître!Prendsgarde:
àcequel’ondit,ont’accusedecorromprelajeunesse.Tuprofessesdesopinionsimpies!—Biensûr:cesontlestiennes.—Soisprudent.Imaginequel’ontecondamneàl’exil,toiaussi!—Lacondamnationpeutêtreunhommage.Tumel’asaussiappris.Socratenecroyaitpassibiendire:sacondamnationseraitpluscruellequecelledesonmaître…
VASPASIE
OUPÉRICLÈSATROUVÉSONMAÎTRE(432AV.J.-C.)
QUEpossède-t-ilencore,celuiquiavupartirsonépouseetdemeuresolitaireencemonde?(ÉpitaphedeMarathonisàsonépouseNicopilis)
—Jet’aime,Aspasie.Davantageencorequ’ilyavingtans.Comme chaquematin avant de partir vers la Pnyx, Périclès serra longuement Aspasie contre lui et
l’embrassa.Attendrie, elle soupira. Elle refermait la porte du logis quand un jeune homme qui attendait dans
l’ombrebonditsurleseuiletentra.—Alcibiade!s’écria-t-elle,étonnée.Toi,déjà?—Ah, chèreAspasie ! s’exclama lenouveauvenuen se jetant à sespieds. Je t’en supplie, écoutema
plainte:jemeursd’amourpourtoi!D’abordstupéfaite,ellepritlepartid’éclaterderire.—Viens,luidit-elle.Tueslepremierdesinvités.Queveux-tuboire?—Jesuistrèssérieux!affirmal’autresansserelever.Depuisquejeteconnais,jesuisamoureux…Ta
beautémefascine.Oui,jet’aime!Aspasie ne sut quelle attitude adopter. Elle n’appréciait guère Alcibiade et s’en méfiait beaucoup.
Intelligentetdébauché,lejeunehommeaccumulaitprovocationsetscandales;maisellenepouvaitpaslecongédier.C’étaitleneveudePériclèsetl’élèvefavorideSocrate!D’untonplussec,elleluijeta:—Nesoisniimpertinentnistupide.D’ordinaire,c’estauxfemmesduPiréequetut’enprends!Oublies-
tuquejepourraisêtretamère?Etsurtout,j’aimePériclèsetjeluisuisfidèle!—Oh,riennet’yoblige!Tun’espassafemme,aprèstout!Aspasieblêmitsous l’insulteetessayadesecontrôler.Enfait, le jeune insolentdisaitàvoixhautece
qu’Athènes murmurait : elle passait pour une intrigante, une courtisane qui avait séduit un hommepolitiqueimportant.—Tabeautém’atoujoursséduit,Aspasie!repritlejeuneAlcibiadeenlacouvantd’unregardbrûlant.
Taconversation,taculturesoulèventmonadmiration.TueslafemmelaplusdésirabledetoutelaGrèce!Commentpeux-tudouterdemapassion?Elle doutait surtout de sa sincérité ! Si Alcibiade la jugeait si séduisante, s’il désirait l’ajouter à ses
conquêtes,c’étaitpardéfi,parambition.OupournuireàPériclès,dontilenviaitlebonheur.Ellecherchaitcommentnepasluimontrersarépulsion.Denouveauxarrivantslatirèrentd’embarras.
Elles’exclama:—Sophocle!Phidias!Hérodote…Ah,quellejoiedevousvoir!Cestrois-làétaientdesamisinséparables.Àsoixante-quatreans,Sophocleétaitl’écrivainlepluscélèbre
dumoment.Plusjeune,l’aristocratiqueHérodoteétaitdéjàl’historienofficield’Athènes.QuantàPhidias,ilétaitlehérosdelacité:Périclèsavaitconfiéàcetarchitectelesoindelarénover.Jamaislasplendeurdesmonumentsathéniensn’avaitsuscitétantd’admiration.—Ehbien,quellesnouvelles?demandaAspasieeninvitantseshôtesàprendreplace.Elle claqua dans sesmains ; de tous côtés jaillirent des serviteurs qui s’empressèrent d’apporter des
boissonsfraîches,desvins,desfruitsetdesplatsquidégageaientunfumetexquis.— Ah, s’écria Sophocle, tu nous reçois toujours comme des princes. Participer à ton cénacle est un
plaisiretunhonneur.—Vousn’avezpasréponduàmaquestion,dit-elle.Lesnouvelles?…Unsilenceembarrassants’installa.—Mafoi,ellesnesontpastropbonnes,grommelaenfinHérodote.—Thucydide,l’opposantàPériclès,complote!expliquaPhidias.Ilreconstituedesclubsd’aristocrates
etvanouscréerdesennuis…Ce n’était pas le vrai sujet de l’inquiétude ambiante, Aspasie le devinait. Certes, Périclès faisait des
envieux.Depuisbientôt trenteans, ilgouvernaitAthènesetétait réélu.On luiavaitconfiéuneautoritéabsoluequ’iln’avaitmêmepasréclamée!L’arrivée de Socrate fit diversion. Il aperçut Alcibiade et se précipita dans ses bras. Gênée, Aspasie
dissimulaunegrimace.—CherAlcibiade!disaitlephilosopheàsonélève.Maisquelleestcettevilainerobepourpredonttut’es
affublé?N’as-tupashonte?—Ildevrait!jetaAspasie.Maisilaimelaprovocation…—Ettonchien,Alcibiade?demandaSocrate.Celuiquetuaspayé…Combien?Septmilledrachmes?
Quellefolie!—Jeluiaicoupélaqueueavant-hier,répondit-ilavecunriresatisfait.Lesinvitésleconsidérèrentenécarquillantlesyeux.—Quoi?fitlephilosophe.Maistuesfou!Pourquoias-tufaitcela?—Quand j’aidépenséune fortunepourcetanimal, répliqua le jeunehommetrèscontentde lui, tout
Athènesenaparlépendantdeuxdécades.Maisdepuisquelquesjours,lesconversationss’apaisaient.Jevoulaistrouverunebonneraisondelesrelancer…L’anecdoten’étonnapasAspasie.LeneveudePériclèsétaitvaniteuxetcruel,ilauraittuépèreetmère
pourfairejaser.—Quelchef-d’œuvrenousprépares-tu?demanda-t-elleàSophocle, soucieusede trouverunsujetde
conversationplusintéressant.—Je travaille à unŒdipeRoi, répondit l’écrivain…Mais je doute qu’il ait lemême succès quemon
Antigone.Enfait,l’auteurquimonte,chèreAspasie,c’estEuripide.N’est-cepas,Socrate?Lephilosopheapprouva,ajoutant:—Maissespiècesontpeudesuccès.Onluireprochedes’écarterdestraditions.Pourtant,Euripidesait
mieuxquequiconquedécrirelespassionshumaines!Sonseuldéfautestdecroire,commeThucydide,lafemme inférieure à l’homme. Ilm’a confié qu’il préparait une tragédie sur lamagicienneMédée.Voussavez,cellequituasesenfantspoursevenger…—Jesuisimpatientdevoircettepièce!s’écriaSophocle.Lespersonnagesd’Euripidesontsivrais,ses
dialoguessiréalistes!J’aimeseshéros!ContrairementàceuxdenotrecollègueEschyle,quiremettentleursortentrelesmainsdesdieux,ceuxd’Euripideveulentêtremaîtresdeleurdestin!Lesilenceretomba.Ildevintsiépaisqu’Aspasieelle-mêmeressentitdelagêne.Passantducoqàl’âne,
Hérodotedemanda:—Aspasie,est-ilvraiquelamèredePériclès,sixjoursavantsanaissance,rêvaqu’elleétaitmenéedans
lelitd’unlion?—C’estexact.Etquandsonfilsvintaumonde,chacunfutfrappéparl’aspectallongéetmonstrueuxde
satête!Chacunritpolimentavantdereplongerdanslesilence.SeulAlcibiadeparaissaitàl’aise:ilsegoinfrait
enregardantAspasieavecunregardgoulu,pleindevanité,d’arroganceetd’envie.—Dites-moicequisepasse,fit-elleenlesfixantl’unaprèsl’autre.Quemecachez-vous?—CelafaitlongtempsquetuvisavecPériclès?demandasoudainPhidias.C’étaitàpeineunequestion.Plutôtuneconstatation.Presqueunreproche,faillit-ellenoter.Ouledébut
d’uninterrogatoire?Ellen’avaitaucuneraisondel’éviter.—Vingtans.Vouslesaveztoustrèsbien.—Etcommentas-tufaitsaconnaissance?insistal’architecte.Elletraduisit:Commentunejeuneinconnue,uneétrangèresansfortune,était-elleparvenueàséduire
celuiqui,déjà,passaitpourl’hommepolitiquegrecleplusenvue?—C’estsimple,révéla-t-elleavecfranchise.J’avaisseizeansquandj’ai,avecmonamieThargélie,quitté
notreîlenataledeMiletpourveniràAthènes.JedevaisyretrouvermoncompatrioteHippodamos…—L’architecte?Jeleconnaisbien!confirmaPhidiasàsesamis.—C’est luiquim’aprésentéPériclès,poursuivitAspasiedont l’émotion renaissait à l’évocationde ce
souvenir.Ilavaitquarante-troisans.Ilétaitbeaucommeundieu…Maisilétaitmarié.Depuisseptans.Etilavaitdeuxenfants.—XanthipposetParalos,rappelaPhidias.Ah,leurmèreétait…commentdire?—D’uneexcellentefamille!réponditcharitablementAspasie.—Eneffet, reconnutPhidias, et elle était la cousinedePériclès !Maisellen’avaitaucuneenvergure.
Aucuneambition.Aucuneculture.Elleétaitsipeuattachéeàsonépouxqu’elleacceptaviteledivorcequ’illuiproposa.Oh,elles’estaussiviteconsoléequetuasséduit…Confus,ilsetut.LacompagnedePériclèsrectifia:—Jen’aipasdutoutséduitPériclès.Jel’aicroisé,àplusieursreprises.Àl’agora.Authéâtre.C’estsans
doute là qu’il m’a remarquée, perdue parmi les trente mille spectateurs qui assistaient à une pièced’Eschyle.Lelendemain,Thargélieestvenuemevoirpourm’entraînerauCéramique…—LeCéramique?s’étonnaSophocle.Quelledrôled’idée!Ce faubourg était proche du jardin de l’Académie où se trouvaient les sépultures des plus glorieux
soldatstombésaucombat.
—Jesaisqu’ils’agitd’unquartiermalfréquenté,reconnutAspasie.—Pasdu tout ! jetaAlcibiade en ricanant. J’y vais souvent.C’est toujours làque les femmes légères
vendentleurscharmes.Onytrouvedesbosquets,desporches,desabris…j’adore!—Alors tu dois le savoir,Alcibiade : quandunAthénien est amoureux…ouqu’il cherche à avoir un
rendez-vousgalant,illefaitsavoirengriffonnantsurlemurunpoèmeouunmotdoux,qu’ilsigne.Etilnomme,biensûr,lapersonnequ’ildésirerencontrer.—NenousdispasquePériclès?…bredouillaPhidias.— Non. Pas lui ! l’interrompit Aspasie. L’un de ses amis, bien intentionné, a publiquement inscrit
combienPériclès avait été séduit par celle qu’il croyait savoir senommerAspasie.Endéchiffrant cetteinscription,j’aisouri.Maisj’aisurtoutététroubléequandThargéliem’arévéléquechaquesoir,Périclèsenpersonnes’attardaitauCéramique,passaitparlejardinetrestaitquelquesinstantsàguetterducôtédecegraffiti!Jevousl’avoue:jen’aipasrésisté…—Tuesvenue?—Le lendemainsoir,oui.C’estainsiquenousavons faitconnaissance.Nousnoussommesaimés.Je
croyaisquec’étaitsanslendemain.Périclèsavouluquenousnousrevoyions.Monamourpourluidevintprofond.Àcetteépoquedéjà,ilétaitleplusloyaletleplusadmirabledeshommes.Émue par ces lointains souvenirs, Aspasie réprima un soupir. Ses amis l’observaient, visiblement
ennuyés, lorsque de nouveaux philosophes se présentèrent : Protagoras et son collègue Zénon. Deuxsavants,deshabituésdu«cercled’Aspasie».Leurmineconsternéel’alerta.—Installez-vous,ordonna-t-elle.Etannoncez-moivitecettemauvaisenouvellequevosprédécesseurs
n’osentpasmerévéler!Ilsseconsultèrentduregard.Protagorasdéclara:—Aspasie…l’Assembléedupeuplevabientôttetraduiredevantletribunalpopulairepourt’intenterun
procès.Elleaccusalecoup,fitbonnefigureettentadesourire.—Jem’y attendaisdepuis longtemps.Etdequoim’accusera-t-on?D’être la compagnedustrategos
autokrator?Deluiavoirdonnéunenfant?—Oui, répondit tout net Protagoras. Ce sont les crimes dont tu devras répondre : être une vulgaire
hétaïrequiadébauchéPériclèsl’Olympien,afficherunelibertédepenséeetdemœursquiscandaliselesAthéniens.Àleursyeux,tuesunexempledéplorablepourleursépouses.—Lesvraiesraisons,murmuraPhidias,sonttoutautres,tulesais…Ellehochalentementlatête.Cen’étaitunsecretpourpersonne:depuisvingtans,Périclèsn’agissaitquesurlesconseilsdecellequi
partageaitsavie.— Périclès néglige la cité, risqua Zénon. Il ne fréquente plus les citoyens. Il se contente d’aller à
l’Assembléeetrentreenhâtedanssonfoyer.— Pour résumer, avoua Phidias à voix basse, la population te reproche l’influence que tu as sur lui.
Souviens-toi, Aspasie, de ce que disait Thémistocle enmontrant son fils de cinq ans aux Athéniens :«Voyezcebambin!Ehbien, ilgouverne lemonde !Car ilgouvernesamère,samèremegouverne, jegouvernelesAthéniensetlesAthéniensgouvernentlesGrecs,quigouvernentlemonde…»Aspasie comprit. Elle sentit une boule luimonter à la gorge et refoula ses larmes. Qui avait, face à
l’inactivité et au chômage forcé des Athéniens, insisté pour que soient construits la halle au blé et lesnouveauxarsenaux?Qui,pourassurerlasécuritéd’Athènesetdesonport,avaitdemandéquesoitédifiéunsecondmurquirelieraitlacitéauPirée?C’étaitelle.QuiavaitconvaincuPériclèsderéquisitionnerletrésordel’îlesacréedeDélos,oùlesrichesoffrandes
dormaient,afinquepuissentêtreentreprislesgrandstravauxd’Athènes?C’étaitencoreelle.Quis’étaitbattupourque les jurésdes tribunauxsoient–oh,modestement !–rétribuésdedeuxou
troisobolesparjourafinquecettefonctionpuisseêtreaccessibleàceuxquecettetâcheprivaitdufruitdeleurtravail?Quiavaitrendugratuitslesspectaclesetlesfestivitésautrefoisréservésauxplusriches?C’étaittoujourselle.MaisAspasie,commePériclès,n’avaitjamaisvoulugouvernerlemonde!— Je n’oublie pas ton appui, dit solennellement Phidias, pour queme soient donnés lesmoyens de
rebâtirlestemplesdétruitsparlesPerses,deconstruireleParthénon,derénoverl’Acropole,etsurtoutderéaliser la statue chryséléphantined’Athéna.Cet ouvrage, quim’ademandé tantde travail, est le chef-d’œuvredetoutemavie!— Périclès et toi avez contribué à faire de la Grèce unmodèle ! renchérit Zénon. Grâce à vous, des
Athénienssansfortuneontétablidescoloniesàl’étranger.NostroiscentstrièresdecombatassurentlasécuritédetoutelaMéditerranée!—Jen’oubliepasnonplus,avouahumblementSocrate,quejetedoisl’artdel’éloquence.Oui,tum’as
beaucoupappris.Ah,pourquoin’as-tujamaisécrit?—Ellel’afait!affirmaSophocle.Ellem’amontrésesversqui…
—Jelesailus,coupaAlcibiade.IlssonteneffetdignesdeSapho!Cecomplimentétaitambigu:lagrandepoétesseSaphopassait,elleaussi,pourunedébauchéecarelle
ne s’intéressait qu’aux femmes et à la beauté.D’un geste, Protagoras écartaAlcibiade et vint s’inclinerdevantleurhôtesse:— Je n’ai jamais lu tes œuvres, Aspasie. Mais s’ils sont de la qualité des discours de Périclès, ils
passerontàlapostérité.Danslecercledesintimes,nuln’ignoraitquec’étaitAspasiequilesrédigeait.—Etquoiqu’ilarrive,ajoutatristementZénon,tonnom,Aspasie,resteradansl’Histoire,associéàcelui
dePériclès.—Cesparolessonnentàmesoreillescommeuneoraisonfunèbre!sefâcha-t-elle.— Parce que votre temps à tous deux est révolu ! Place aux jeunes ! Que sonne enfin l’heure de
l’aristocratie!lançaAlcibiade.Danssesyeuxperfides,Aspasienelisaitplusaucunepassionmaisunméprisgoguenard.Socratemisà
part,tousjetèrentàl’éphèbeunméchantregard.D’unevoixsombre,Protagorasajouta:— Le pire, c’est que sans le vouloir, Périclès a déclenché lui-même les hostilités. Cematin, il venait
justementplaidertacauseàl’Assemblée…—Macause?fitAspasie.Queveux-tudire?—Ildemandaitquesoitchangéelaloisurlemariageetlacitoyenneté.Cette fameuse loi,Aspasie la connaissaitmieuxquepersonne : elle interdisait toutmariage entreun
citoyenathénienetuneétrangèreàlacité.Cettemesureétaitdestinéeàréserverlesprofitsdel’EmpiregrecauxseulsAthéniens.Cematin,enlaquittant,Périclèsneluiavaitriendit.Depeur,sansdoute,defairenaîtreunespoirquiseraitsûrementdéçu.—Bienentendu,poursuivitlesavant,l’Assemblées’yestopposée.—Elleaobjectéquecettepropositioncachaitunmotifpersonnel,continuaProtagoras.EtquePériclès
étaitleplusmalplacépourvouloirchangerlaloipuisquec’étaitlui-mêmequil’avaitfaitvoterautrefois.—Justeavantqu’ilnefassemaconnaissance,murmura-t-elle.Ainsi,Périclèsétaitpunipar làoù il avaitpéché : soucieuxdepréserverhier les intérêtségoïstesdes
Athéniens,illuiétaitaujourd’huiinterditd’épouserAspasie:nativedel’îledeMilet,elleétaitconsidéréecommeuneétrangère.—Jeneseraidoncpassafemme,admit-elle.Notrefilsneserajamaiscitoyen.Qu’importepuisquenous
nousaimons.—Puissiez-vousvieillirensemble!ditSocrate.
L’après-midiapprochait.Alcibiadefutlepremieràs’éclipser.Lesautres,quifaisaientpartiedugroupedesvieuxfidèles,avaientcejour-làbiendumalàlaquitter.Oneûtditqu’ilsvoulaientlaprotéger.Enfin,ilspartirentetelleattenditleretourdePériclès.Ets’ilnerevenaitpas?Si,humiliéparlerefusdel’Assemblée,ilcommettaitunefolie?Le temps coulait ; le soir était tombé. Les servantes et les esclaves s’étaient éloignés. Elle se sentit
soudainisolée,pareilleàPénélope.Cesamis,qu’elleinvitaitchaquejour,n’étaientqu’undérivatifàsonattente. Car elle ne vivait que dans l’espoir d’être près de Périclès. Lui seul, par sa présence, savaitvraimentlacombler.Enfin, la porte s’ouvrit. Dans l’ombre, elle aperçut la silhouette tant aimée. Mais ce soir, le héros
d’Athènes,Périclèsl’Olympien,étaitsecouédesanglots.Ellesejetadanssesbras.Alors,commechaquesoirquandilrevenaitdelaPnyx,PériclèsserralonguementAspasiecontreluiet
l’embrassa.Ellefutaussitôtrassurée:ilétaitlà,etc’étaitl’essentiel.
Aspasiefutjugéeetcondamnéepourcrimede«librepensée».Phidias,lui,futaccuséd’impiétéetexilé.Deuxansplustard,lapesteravageaAthènes;lepeupleestimaPériclèsresponsabledesessouffrances.
Celuidontonavaittoujourssaluél’honnêtetéetqu’onappelaitl’incorruptiblefutécartédupouvoirpuiscondamnéparuntribunalpopulaire.Ilsuccombaàl’épidémiedepesteen429avantJésus-Christ.Sonenfantillégitime,lejeunePériclès,survécut.Plustard,ilfutadmisàAthènescommecitoyen.AprèslamortdePériclès,nulnesaitcequ’Aspasiedevint.
VISOCRATE
OUÀMORT,LEPHILOSOPHE!(VERS399AV.J.-C.)
—FAITESentrerletémoin!Maîtrisantsonémotion,Platonpénétradansl’hémicycle.Duregard,ilparcourutletribunalpopulaire–l’héliée,cinqcentunepersonnes!–etlessiègesdebois
surlesquelsétaientinstalléslesjurés,quifaisaientofficedejuges.IlvitenfinSocrate,seul,deboutfaceaumagistratquiprésidaitsurlahauteestradedresséeaufonddelasalle.Socrate,sonmodèle,sonmaître!Enl’apercevant,levieuxphilosopheadressaàsonélèveunsourireunpeufatigué.Lesrides,lalongue
barbeetlalaideurdel’enseignantdissimulaientmaluneexpressiontrèsjuvénileetpleinedemalice.Lemagistrat vérifia la présence, à sa droite, du greffier et celle, à sa gauche, du héraut public. Enfin, ildemanda:—TuesbienPlaton?Unélèvedel’accusé?—Jel’aiété.Unmurmureindignés’élevadelatribuneàdroite,cellequirassemblaitlesaccusateursdeSocrate.—Nejouepasaumalin!lançal’und’eux.NoussavonsquetufréquentesencoreSocrate.— Est-ce un crime ? De quoi l’accuse-t-on ? demanda Platon en prenant à témoin le public, massé
deboutàl’entréedutribunal.Il aperçut alors, au premier rang de la tribune, ceux qui avaient traduit Socrate en justice : le poète
Mélétos,letanneurAnytosetlerhéteurLycon,unorateurambitieuxetjaloux.—Ilnerespectepaslesdieuxetcorromptlajeunesse!grondaMélétos.Répondsànosquestionssans
finasser!Cartupourraisbien,toiaussi,devoirrendredescomptes…Platonjetauncoupd’œilducôtédelatribunedegauche,oùsepressaientlesdéfenseursdel’accusé.Ily
reconnutCritonetlejeuneetblondPhédon,quechérissaittantSocrate.Envoyantleursvisagestendus,ilcomprit qu’en prenant trop ouvertement la défense de l’accusé, il risquait plus tard d’être lui-mêmecondamné!— Explique-nous donc, ordonna Anytos, comment tu as connu Socrate et pourquoi tu as décidé de
suivresonenseignement.—Unjour,jel’aicroisédanslarue.Ilm’abarrélarouteavecsonbâtonetm’ademandéoùl’onachetait
«leschosesnécessairesàlavie».—Qu’as-turépondu?—Jeluiaiindiquéoùsetrouvaitlemarché.«Etpourdevenirhonnêtehomme,areprisSocrateenme
regardantdroitdanslesyeux,oùfaut-ilaller?»Jen’aisuqueluirépondre.Alorsilm’adéclaré:«Suis-moidonc,etjeteledirai.»Decejour,jel’aisuivi.—Vousvoyez!accusaMélétos.CeSocratepèlelesâmescommedesfruits!À quelques pas de Platon, le voisin du greffier manipulait avec dextérité les deux horloges à eau
destinéesàmesureréquitablementletempsdeparoledel’accusationetdeladéfense.—Révèle-nousquellesidéespernicieusesilt’enseignait,insistaMélétos.—Socrateatoujoursaffirméqu’iln’avaitrienàenseigner,répliquaPlaton.Iln’avaitaucundisciple.Lepublicgrondadesurprise.EtSocrate,enriant,expliqua:—C’estmotpourmot,cherPlaton,cequejedéclaraispourmadéfenseavantquetun’entres!Toutle
mondevacroirequejet’aidemandéderéciteruneleçon.Lemécontentementdesaccusateurss’accentua.Anytostempêta:—S’iln’avaitrienàenseigner,pourquoilafoulelesuivait-elledanstouteslesruesd’Athènes?—Socrate prêche la piété, répondit Platon. Il recommande lamodération, la connaissance de soi, le
respect des devoirs sociaux, l’obligation de s’instruire… Il a foi en la raison humaine !Une raison quipermetàl’hommed’atteindrelebonheur!Sadeviseest…—«Connais-toitoi-même!»achevaMélétos.Noussommesaucourant.— Socrate pense aussi que nul n’est méchant volontairement, ajouta Platon. Est-ce une pensée si
révolutionnaire?—Ilveutsesubstituerauxdieux!accusaAnytos.Ilprétendavoirétéchoisipourporterlabonneparole.
—Jamaisdelavie!s’insurgeaSocrate.Autrefois,commec’estlacoutume,jesuisalléconsulterl’oracledeDelphes.Ilm’arévélé:«Entretousleshommes,tuesleplussageetleplussavant.»—Ettoi,déclaraMélétos,tul’ascru!Quelorgueil!—Non.J’aitraduitl’oracle…«Quesais-tu?»mesuis-jedemandé.«Rien!»mesuis-jerépondu.J’en
aiconcluquej’étaisleplussageparcequej’étaisleseulàsavoir…quejenesavaisrien!—Encoreunefois,ditMélétos,tufaisleraisonneur.—De ce jour, poursuivit le philosophe sans s’émouvoir, j’ai décidé deme consacrer àmamission :
j’interrogeais,provoquaismesinterlocuteurs,sansrienleurenseignerquivîntjamaisdemoi.J’essayaisd’éveillerleurintelligence,leurcapacitéderaisonnement.— Tu nous as déjà débité ces sornettes ! grogna Lycon. Tu asmême prétendu que tu tenais ce don
particulierdetamère.—Eneffet.Elleétaitsage-femme.Moi,j’essaied’accoucherlesesprits(7)…Rassemblantsoncourage,Platonlança:—Vousn’avezrienàluireprocher!Socraten’ajamaisrienaffirméquiailleàl’encontredeslois!Etil
n’ajamaisécrituneseuleligne!— Il aurait dû, grommelaMélétos. Ainsi, nous connaîtrions sa pensée, il pourrait la défendre ou se
justifier!Maisilaclandestinementintroduitdesidéesperversesdanslesesprits!— Pas du tout ! s’interposa Platon. Socrate n’a qu’une méthode : dialoguer. Faire surgir des
interrogations chez son interlocuteur ! « Penser à deux » est selon lui un art, l’essentiel du métierd’hommeetlameilleurefaçond’approcherlavérité…—Lavérité!raillaLycon.Laconnaît-ilmieuxquelesautres?—Maisilneprétendpaslaconnaître!—Exact,ricanaunhommed’âgemûrdanslatribunedel’accusation.Socrateaffirmequelavériténe
nousestpasaccessible!Platonn’encrutpassesyeux:celuiquiavaitprislaparoleétaitAristophane,unauteurdecomédiesà
succès.UndiscipledeSocratequiavaitreniésonancienmaîtreetcritiquésaphilosophie.— Ton témoignage nous est précieux, Aristophane, ditMélétos en souriant. Explique-toi. Quelle est
cettevéritédontparlaitSocrate?—Oh,ilused’uneétrangeimagepourladécrire!Une…allégorie(8).Voilà:ilprétendquenoussommes
semblablesàdeshommesenchaînésdansunecaverne.Noustournonsledosàunfeuquiprojettesurlesparoisl’ombred’objetsquedesporteursfontdéfilerdevantelles.Or,nousn’avonsjamaisrienvud’autrequecesombres,etnouslesprenonspourlavéritéelle-même!—Ensomme,conclutMélétos,pourentrevoirlavérité,leshommesdevraientsedétacheretregarderce
quelefeuéclaire?—Hélas,s’exclamaAristophane,libérés,ilsnepourraientpaslacontempler…carelleleséblouirait!Socratelevalamainpourintervenir.Malicieux,ilaffirma:—Tuasmalcompris,Aristophane.Pourconnaîtrelavérité…ilfaudraitsortirdelacaverne!Observer
lesoleil.Etrevenirdanslagrottepourémanciperceuxquiysontrestés.Danslatribunedesaccusateurs,descrisfusèrent:—Quelleprétention!C’esthonteux!— Hélas, cette dernière tâche est difficile, avoua Socrate sans tenir compte des insultes. Car en
retournantdans lacaverne,ceuxquiontvu le soleil, éblouis, risquentdes’égarerdans les ténèbres.Etd’êtrelariséedeceuxquisontrestésdansl’obscurité.Danslepublic,diversmurmuress’élevèrent,admiratifsouscandalisés.Sanslevouloir,Socraterecrutait
denouveauxadeptes…etsefaisaitdenouveauxennemis!—Quelleesttonopinion,Aristophane,surcetteétrangefable?—Cetteparaboleestunefaribole!répliqual’écrivain,sarcastique.—Elleestàl’imagedemalaideur,déclaraSocrate,unelaideurquipeutvousrenseignersurlavéritéde
moncœur.—Queveux-tudireparlà?demandaMélétos.—Qu’ilfautpréférerlavéritéàl’apparence.Etlascienceàl’opinion.Aristophanerepartitàlacharge:—Nefaut-ilpasaussiconsidérercommeunenfantillageceprétendudémonquechacunporteensoi,et
quisouffleraitcesidéesàl’accusé?—Undémon!Queréponds-tu,Socrate,àcetteautreaccusation?—Qu’ils’agitencored’uneimage!Quandvousdevezprendreunedécisionseul,nedialoguez-vouspas
avecvous-même?Nevousopposez-vouspasdesarguments?Cegéniequivoussertd’interlocuteurpeutvousdonnerdebons…oudemauvaisconseils!—VoilàlapreuvequeSocrateestunespritimpie!s’écriaLycon.—Oui,renchéritAnytos.IlveutintroduireenGrècedenouvellesdivinités!—Ilméritelamort!ajoutaMélétosensetournantverslepublic.Songestedéclenchaunsignal:dansl’assemblée,desdizainesdecitoyensvociférèrent:—Oui!Àmort!
—IlfautcondamnerSocrate!Sursonestrade,lemagistrathésitait.Illevalamainpourapaiserlesclameursetdonnapourladernière
foislaparoleàl’accuséqui,solennellement,affirma:—Quoiquevousdécidiez,jenechangeraijamaisd’opinionnideroute!Toutefois,sachezquesivous
metuez,vousporterezpréjudiceàvous-mêmesplusqu’àmoi…L’État,voyez-vous,estcommeunnoblecoursier;satailleetsalourdeurlerendentindolent.Etjesuisl’indispensablemouchequi,enlepiquant,ne cesse de l’exciter.Ma présence est d’autant plus nécessaire que vous ne trouverez pas aisément uninsecteaussivifettêtuquemoi!—Nousenavonsassezentendu,conclutlemagistratquiobservaitlesdeuxpendulesàeau.—Attendez!ditPlaton.VousdeviezentendreXénophon?XénophonétaitparmilesplusfidèlesauditeursdeSocrate.Pourquoines’était-ilpasmanifesté?—Iln’estpasàAthènes !annonça triomphalement l’undesaccusateurs. Ilnepourradoncpasvenir
témoigner!Platonpâlit.Ainsi,ilavaitétéleseulàdéfendresonmaître.Etill’avaitfaitsimaladroitementqu’ilen
étaitconsterné.Xénophon,lui,auraitsuconvaincre.Unenouvellefois,lemagistratréclamalesilence.Ilannonça:—Procédonsauvote.Munis de deux jetons de bronze, chacun des cinq cent un jurés défila devant les urnes. Pendant ce
temps,Socratenemanifestaitaucuneémotion.Ilconsidéraitaveclamêmeironiesesaccusateursetceuxquivoulaientlegracier.Quandlesurnesfurentvidées,oncomptadeuxcentvingtetunjetonsquisollicitaientl’acquittement…
etdeuxcentquatre-vingtsquiréclamaientlamort.—Enconséquence,Socrate,déclaralemagistrat,tupérirasparlepoison.Lasentenceprendraeffet…Legreffierluichuchotaquelquesmotsàl’oreille.—…prendraeffetdanstroisdécades,aprèslesfestivitésreligieuses.Àcetteépoque,lescondamnésàmortdevaientboireunedécoctiond’uneplantetoxique,laciguë,qui
lestuaitenquelquesinstants.Platons’effondra.Socrate,ensouriant,luientouralesépaules.—Cen’estpasundrame,j’aisoixante-dixans!Lamortm’éviteralesinconvénientsdelavieillesseetle
ramollissementdel’esprit.—C’estterriblementinjuste.Vousn’avezrienfait!—Si.J’aiphilosophé.Lasalledutribunalsevidait.CeuxquiavaientcondamnéSocratesedépêchaientdequitterleslieux.Les
autres entouraient leur maître sans cacher leurs larmes ; car autrefois, en Grèce, les hommes netrouvaientpasindignedepleurer.—Philosopher,disaitSocrateenconsolantsesamis,c’estaussiapprendreàmourir.Etjesuisprêt.
Pendant ledélaiqui luiavaitétéaccordé,Socrate,danssageôle,put recevoirquelquesadeptes.L’und’eux,Criton,avaitconçuplusieursplansd’évasion.Platonrévélaauprisonnier:— Xénophon est enfin revenu. Grâce à lui, nous avons réuni une grosse somme. Les gardiens ne
demandentqu’àêtresoudoyés!—Aujourd’hui,ditCriton,parmiceuxquit’ontcondamné,certainsontmauvaiseconscience.Ilsnous
aiderontàtefairefuir.—Fuir?Pasquestion!s’entêtaitlephilosophe.Qu’ilsexécutentleursentence.S’ilssesentententort,
c’estdésormaisleurproblème.Lesfêtesreligieusess’achevèrent.Socratequittasaprison.Ce jour-là, les élèves de Socrate l’entouraient. Le philosophe, très serein, fit ses adieux à sa femme,
Xanthippe, qui tenait leur plus jeune enfant dans ses bras. Resté seul avec ses amis, il s’entretint unedernièrefoisaveceux.IlcaressalalonguecheveluredujeunePhédon,quipleuraitàchaudeslarmes.— Je suppose, lui dit-il, que ces belles boucles seront coupées demain, en signe de deuil ? Dis-moi,
Xénophon…commentvaPlaton?—Ilestmalade.C’étaitvrai.Platonneputassisteràl’exécutiondesonmaîtrebienaimé.Enfin,Socrateportalebreuvageàseslèvres,etavalalepoison.
Socratenes’étaitpastrompé,lesAthéniensregrettèrentleurdécision:sestroisaccusateursdevinrentsiimpopulaires qu’aucun citoyen ne voulut désormais allumer leur feu, répondre à leurs questions ni sebaignerdanslamêmeeau.Désespéré,Anytoss’exila.Lyconfutcondamnéàmort.EtMélétospérit,lapidéparlafoule.Quant à Platon, retiré à Mégare avec de nombreux disciples, il allait transmettre la pensée de son
prestigieuxmaîtregrâceàsesnombreuxécrits.
VIIDIOGÈNE
OUUNEVIEDECHIEN(413-327AV.J.-C.)
VERS 413 avant Jésus-Christnaquit, dans la villedeSinope,ungarçonappeléDiogène.Peuaprès sanaissance,samèremourut.Sonpère,Hicésias,étaitbanquier.Devenuadolescent,Diogènelesurpritunsoirentraindefondreduplombetdel’argent.—Quefabriquez-vousdonc?luidemanda-t-il,stupéfait.—Tulevoisbien,monfils:delafaussemonnaie.Commentcrois-tuquej’aiefaitfortune?—Mais…c’estmalhonnête!—Sansdoute.Maisjeneconnaisaucunmoyenhonnêtepours’enrichirrapidement.Lesméfaitsd’Hicésiasfurentbientôtdécouverts.Lesautoritésinvestirentsapropriété.Sesbiensfurent
confisqués;sonfilsetluifurentbannis.—Qu’allons-nousdevenir?selamentaDiogène.—Nousallonsnousséparer.Tuespresqueadulte,àprésent.Manès,notrefidèleesclave,estdésormais
notreuniquebien.Parsaveclui!Diogènefitsesadieuxàsonpère.QuantaufidèleManès,ils’enfuitdurantlapremièrenuitquelejeune
exilépassahorsdelacité!Diogènegémitsursoninfortune:sarichesseserésumaitaumanteauaveclequelilavaitdormietàune
écuelledebois!Apercevantsurlecoteaudesoliviersetunevignesauvage,ils’exclamasoudain:—Ai-jelieudemeplaindre?SiManèspeutvivresansmoi,jepeuxvivresanslui!Jesuisvivanteten
bonnesanté.Lanaturem’offredequoisubsister.Pourquoileshommessecompliquent-ilslavieàvouloirlagagner,puisqu’elleleurestainsiofferte?Abandonnantsessandalesaubordduchemin,Diogènedécidademépriserleshonneursetlesbiens.Et
ilsefixal’uniqueobjectifdemenerlavielaplussimpleetlaplusnaturellequifût.
Aprèsquelquesmoisd’unevieerrante,ilarrivaàAthènes.Ilassistaàquelquescoursd’Antisthène,unphilosophequiprofessait lesmêmesopinionsque lui.Puis il jugeaque lameilleure façondevivreétaitencoredenesuivrelesleçonsdepersonne!Il passa ainsi des années à Athènes, dormant à la belle étoile avec, pour oreiller, son manteau qui
tombaitenloques.Ilparcourait laville,attentifauspectaclede la rue. Il senourrissaitdesrestesquederichescitoyens
jetaientauxchiens.Unmatin,commeils’étaitréveillétrempéparuneaverse, ildécouvritsur leportungrostonneaude
boisabandonné.Illerouladevantluietchoisitdes’enfaireunabri.Ravi,ilmurmura:—Quipossèdeunlogispluscommodeetplussimpled’entretien?Quandilvoulaitdéménager…illuisuffisaitdepoussersontonneaudevantlui!Unjour,alorsqu’ilsedirigeaitversunefontaineavecsonécuelledebois,ilvitunjeunegarçonyboire
enrecueillantl’eaudanslecreuxdesamain.Admiratif,ils’écria:—Cetenfantm’enseignequejeconservaisencoredusuperflu!Etiljetasonécuelle.Parfois,ildemandaitl’aumône.Fascinésparlalibertédesondiscoursetsonindépendance,lespassants
luidonnaientvolontiersàmanger.Nombreuxétaientceuxquivenaientprendreconseil.Aupire,illesinsultait.Aumieux,illesréprimandait:—Malheureux ! Tes soucis ne sont causés que par les biens que tu possèdes : ta maison qu’il faut
entretenir, tonépousequiteréclamebijouxetvêtements, tesesclavesqu’il fautnourrir, tesenfantsquiexigent une bonne éducation, ton argent que tu veux faire fructifier, tes amis qui quémandent tonaffection…—Tues toutdemêmebiencontent,Diogène,grommelaientses interlocuteurs,d’avoir lesmiettesde
nosrepas!
—Qu’importesitunemedonnesrien!Moi,jemecontenteraisdesrestesquemelaissentlesrats!—Tumènesuneviedechien…—Jesuisuncynique(9),répondait-il.Etc’est laplusbelleexistence!Quedemande-t-onàunchien?
Rien!Ilseprélassetoutelajournée,segavedesoleiletsenourritdelapitancequ’onluifournit.Ildortàlabelleétoileous’improviseuneniche!ajoutait-ilendésignantsontonneau.—Lechiendoitmonterlagardeetveillersurlelogisdesmaîtres!—Jevisdoncmieuxqu’unchienpuisquejen’ainimaîtrenilogis!Diogènenecessaitdeprovoqueretdesurprendrelespassants.Quandilslevirentdemanderl’aumôneà
desstatues,ilsluidirent:—Tuesdevenufou!Pourquoifais-tucela?—Pourm’habitueràrecevoirdesrefus,répondit-il.ÀAthènes,sarenomméegrandissait.Onl’enviaitsansoserl’imiter.Privédetoutbien,condamnanttout
profit,Diogèneaffichaituneattitudequi,pourl’homme,étaitunsignededignité.Unautrejour,lescitoyensdelacitélevirent,enpleinmidi,errantdanslesruesunelanterneàlamain.
Telunaveugle,ilbutaitcontrelesgens…ouilfaisaitsemblantdenepaslesvoir.Quandonluidemandacequ’ilfaisait,ilréponditavecamertume:—Jechercheunhomme.Ceuxquiréclamaientsonamitiéseréunissaientdeplusenplusfréquemmentauprèsdesontonneau.
Ilsluiaffirmaient:—Tuprofessesunemagnifiquephilosophie!Tudevraisécrireuntraitésurlerenoncementauxbiens
decemonde.—Jem’en garderai bien ! Lesphilosophes raisonnent et aboutissent à des absurdités !VoyezZénon
d’Élée:ilaréussiàdémontrer…quelemouvementn’existepas.—L’hypothèseestintéressante!lançaquelqu’un.Etsic’étaitvrai?—C’estfaux.Lemouvementexiste.Etjeleprouveàl’instant.Diogènese leva…etsemitàmarcher.Celafitrireetconvainquitceuxqui l’écoutaient.L’und’euxlui
demanda:—Selontoi,ilestinutiledephilosopher?—Pirequ’inutile:nuisible!Aucunraisonnementnepermetd’établirlamoindrecertitude.—Turemetsdonctonsortaubonvouloirdesdieux?— Jeme contente de les imiter – en admettant qu’ils existent. Le propre des dieux étant de n’avoir
besoinderien,onserapproched’autantplusd’eux…qu’onamoinsdebesoins!—Attends!Nierais-tul’existencedesdieux?—Oui.Commejenie lamagie, lessuperstitionsettous lesritesquiendécoulent!Riennemeparaît
plusridiculequelessimagréesquiaccompagnentnaissances,mariages,décès…—Lesmortsontdroitànotrerespect!—C’estlaviequ’ilfautrespecter.Silesdieuxexistaient,ilsriraientdecescérémoniesinventéesparles
hommes!—Maisalors,Diogène,àquoicrois-tu?—Au bonheur. Àmes yeux, c’est la seule vraie vertu. Et le seul vice est lemalheur. C’est pourquoi
j’exècre la guerre et fuis toute ambition.Car undésir inassouvi est déjà source de douleur. La sagesseconsiste-t-elleàchangerl’ordredumondeouàessayerdes’yaccoutumer?Croyez-moi,lesdésordresdelasociétéviennentsurtoutdeshommesquiveulentlarefaire!Unenuit,ensortantd’unetaverneoùilsavaientunpeutropbu,desjeunesgensaperçurentletonneau
deDiogène.—C’estlanichedel’anarchiste(10)!—Celuiquimépriselesbiens?Alorscommentsefait-ilquecetonneauluiappartienne?—Tuasraison!Cevieuxtonneaun’estpasplusàluiqu’ànous!—Eh,Diogène!Nousréquisitionnonstonlogis!L’un des jeunes gens semit à frapper sur l’abri ; un autre enleva les cales qui le tenaient en place.
Déséquilibré,letonneauvacilla,roula…etdévalalaruepoursefracassercontreunmur!Le raffut avait réveillé les dormeurs et attiré dumonde. On vint secourir Diogène qui, tout étourdi,
considéraitlesrestesdisloquésdesonlogis.Lesjeunesgensfurentemmenéssansménagement.—Misérables!leurcriait-on.S’attaquerauplusdémunidelacité!Lelendemain,lescoupablesfurentpunis.Diogèneprotesta:—Cetonneauétaitaussibienàeuxqu’àmoi!J’entrouveraiunautresurleport!D’ailleurs, jepeux
vivresansabri.
Cratès,unricheAthénien,abandonnasesbiensaupeupleetsemitàvivrecommelui.Diogènen’avaitquefairededisciples.Unsoir,ils’embarquasurunbateauquipartaitpourl’îled’Égine.Hélas,despiratesattaquèrentlenavire,massacrèrentl’équipage,capturèrentDiogèneetl’emmenèrent
enCrète.Là,onlemitenventesurlemarchéauxesclaves!Xéniade,unricheCorinthienquipassaitpar
là,futintriguéparl’alluredecevieuxcaptifbarbu.—Quesais-tufaire?luidemanda-t-il.—Commander!luiréponditaussitôtDiogène.Situveuxacquérirunmaître,tuferasunebonneaffaire
avecmoi!Amusé,Xéniade l’acheta.Très vite, il comprit queDiogène était un sage. LeCorinthien cherchait un
précepteurpoursesenfants.Sanshésiter,ilconfialeuréducationàsonnouvelesclave.Diogènedevintprécepteurmalgrélui.Savienechangeaguère.Avertisdesacapture,sesamisathéniens
proposèrentàXéniadederachetercedrôled’esclavequiprétendaitcommanderàsonmaître.MaisDiogènerefusaenaffirmant:—Jenesuisl’esclavedepersonne!—Pourtant,c’estXéniadequisubvientàtoustesbesoins!—Etalors?Leslionsnesontpointlesesclavesdeceuxquilesnourrissent!—Diogène,reviens!Athènesteréclame!Nousavonsbesoindetoi.—Apprenezàvivresansmoi.Carmoi,jen’aipasbesoindevous.—Songe,Diogène,quetuesloindetachèrepatrie!—Mapatrie,c’estlaTerreentière.Jesuisuncitoyendumonde.Etjemesenschezmoiaussibienici
qu’ailleurs.LesenfantsduCorinthiengrandissaient.Quandilsquittèrentlelogis,XéniadeaffranchitDiogène.Quecroyez-vousqu’ilfit?IlserenditauportdeCorintheetdénichaunvieuxtonneau…danslequelilemménagea.C’estlàqu’ilvieillit,sansmodifiersafaçondevivre.Sarenomméeavaitfranchilesfrontières.Desétrangersvenaientdeloinconsultercemédecindel’âme.Alexandre le Conquérant en personne lui rendit visite. Ce jour-là,Diogène n’était pas auprès de son
tonneaumaisaucranium,lelieuoùs’entraînaientlessportifsdeCorinthe.Allongésurledos,lesyeuxmi-clos, les reins à peine couverts de haillons, il goûtait la chaleur de l’après-midi. Étrange rencontre quiallaitmettrefaceàfaceleplusdémunidetousleshumainsetlefuturmaîtredumonde!—Dis-moi,demandaAlexandre,quepuis-jefairepourtoi?—Uneseulechose,murmuraDiogènesansbouger.—Laquelle?Parle,tuserasexaucé!Alors,désignantd’unemain lecieletde l’autre l’ombreque faisaitAlexandresursoncorps,Diogène
réponditsimplement:—Ôte-toidemonsoleil.
QuandDiogènes’éteignit,ilavaitquatre-vingt-sixans.Encorenemourut-ilpasdevieillesse,maisenmettantfinàses jours.Onledécouvritunmatin,sans
vie,dansson tonneau.Bienqu’il fûtopposéauxcérémoniesetauxsépultures,on lui fitdes funéraillesgrandioses.ÀCorinthe,onédifiaàsagloireunsuperbetombeausurlequelsetenaitunchienenmarbreblanc.Etl’onpouvaitlire,gravéedanslapierre,cetteétrangeépitaphe(11):
Dis,chien,dequigardes-tuletombeau?Duchien.
Etquelestcethomme,lechien?Diogène.
Dequelpays?DeSinope.
Celuiquihabiteuntonneau?Lui-même.Etmaintenantilestmort
etilhabitelesastres.
VIIIDÉMOSTHÈNE
OUL’ORATEURBÉGAYEUR(VERS374AV.J.-C.)
—NOUSPARTONSpourlajournée,Démosthène.Nousteconfionslamaison.Pasquestionquetusortes,Dédé,bienentendu.—Bi…bien,coucou…cousinApho…Apho…—Inutiled’approuver!l’interrompitThérippide.Tuterendsridicule.—Ah,Momo,qu’allons-nousfairedetoi?ajoutaDémophon.Démosthènebaissalatêteenrougissant.Lecœurgros,ilregardas’éloignerlestroishommes.Sonpèreétaitmorthuitansauparavant.Avantde
disparaître,ilavaitconfiésonfils,safilleetsesbiensàdeuxcousins,AphorusetDémophon,etàunami,Thérippide.Loinderespecterlesdernièresvolontésdurichearmurier,cessinistresindividusnégligeaientl’éducationdesesenfantsetdilapidaientsafortune.Orphelin,privédetouteinstruction,Démosthèneétaitunadolescentdequinzeansmalingreettimide.
Deplus,ilétaitaffligéd’ungroshandicap:ilbégayait!ÀAthènes,encestempsoùlesorateursétaientaussi admirés que les conquérants, c’était plus qu’un défaut : un vice.Dédé, Momo. Loin d’être desdiminutifsaffectueux,cessobriquetsdontonl’affublaitétaientpourluiunehumiliationpermanente.Restésurleseuil,ilrefoulaitseslarmesetsacolèrequandunepetitemainsaisitlasienne.—Démosthène?Parstepromener,situveux.Jegarderailamaison.Etpuisjeneseraipasseule,nos
cousinsonttantdeserviteurs!C’étaitsasœurcadetteCléobule,àpeineâgéededixans.Ému,Démosthènel’embrassaetluichuchota:—Merci.Neré…révèlepasmonabsence.Jeneseraip…paslong.Il s’éclipsa et courut rejoindre le centred’Athènes. Il aimait flâner en ville, s’instruire au contactdes
philosophes.Ilsepassionnaitpourlapolitique.Mais,gênéparsonbégaiement,iln’osaitjamaisparticiperàlamoindrediscussion.Ce jour-là, une foule considérable se pressait à l’agora. Se haussant sur la pointe des pieds, le jeune
hommetentad’apercevoirl’orateurquiharanguaitlafoule,juchésuruneestrade.—Oui,j’osem’opposerauxthèsesdeChabriasetdeTimothée!Fasciné, Démosthène fixait l’orateur. Pourtant, il n’était guère séduisant. Sa voix était aiguë,
désagréable,sesargumentspeuclairs.—Ilaraison!approuvaientlesspectateurs.Lui-même se sentait touché, prêt à être convaincu. Bientôt, il comprit que c’était la musique, le
balancement,lerythmedesphrasesquitenaientlepublicenhaleine.—Qui…quiestcetorateur?demandaDémosthèneàsonvoisin.—Voyons,petit!C’estCallistrate!Unseconddiscoursplusvéhément,mieuxconstruit,suivitlepremier.Démosthèneseraitrestéicides
heures.Ilrevintaulogisaumomentoùsescousinsrentraient.Ils’agrippaàleurvêtementetglapit:—Jeveuxsuivredesleçonsdedédé…dedéclamationetdephiphi…—…losophie?achevaAphorus.Tuveuxrire,monpauvreMomo!Sitonespritbredouilleautantqueta
langue,qued’argentgaspillé!—Tuveuxdevenirphilosophe?semoquaThérippide.—Non,pasphilosophemaiso…o…Ah!O-o…—Ohoh!Voilànotreamiquis’énerve!raillaAphorus.—Auteur?Organisateur?Euh…Orthophoniste?raillaDémophon.—Orateur!lâchaDémosthèned’uncoup.Àcemot,sescousinss’esclaffèrent.Thérippidepleuraitderire.—Orateur!MonpauvreDédé,tunepouvaispasmieuxchoisir!Démosthènes’éloigna,larageaucœur.Lesoir,ilconfiaàsasœur:—Plustard,Cléobule,jem…mevengeraidenoscousinsetdecefoufou…cefourbedeThérippide!Oui.
Jeseraio…o-o!…Ooooh…—Orateur,approuvaCléobuleenleregardantavecindulgence.
Démosthènegrandit.Il apprit seul à lire et à écrire. Il s’instruisit clandestinement en suivant les cours des philosophes
Eubulide,IséeetPlaton.Hélas,sonbégaiementl’empêchaitdeparlerenpublic,luiquibrûlaitdeclamersondésirdejusticeetdepaix.Ilmûrissait en silence et attendait samajorité avec impatience. Ce jour-là, il chassa les intrus de sa
maison:—Mi…misérables!rugit-il.Rendez-moilafortunedenosparents!—Difficile,ricanaAphorus.Nousavonstoutdépensé.—Partons!ditDémophon.Nousavonsvenduledernieresclavehier.—Bah,illuirestesasœur!semoquaThérippide.—Jevaisvousintenterunpro…unpropro…—Unprocès?Lesjugeséclaterontderireent’écoutant!Pourtant,lesjugesl’écoutèrent.Sarequêteétaitsivibranteetsesmotssijustesqu’ilgagnasonprocès
malgrésonbégaiement.—Bravopourtaplaidoirie!lefélicitalejuge.Maisnecomptepasêtredédommagé:l’argentdépensé
partescousinsétaitmalacquis(12)!Dépité,Démosthèneserasaàmoitiélecrâneetgagnalecimetière.Ilcroisasasœur;elleétouffauncri.—Zeustout-puissant!Quet’est-ilarrivé?—Jemesuistondupourexhibermondéshonneur!Jevaism’enfermerdansuntom…untombeaupour
ytravailler.Cléobule,peux-tum’apporterlesouvragesdeThucydide?J’enaibesoin.Quandellerevint,elledénichasonfrèreaccroupiquiécrivaitàlamaigrelueurd’unelampeàhuile.—VoilàlesdiscoursdeThucydide,dit-elle.EtsonHistoiredelaguerreduPéloponnèse.Démosthène…
quandsortiras-tudecetrou?—Quandmescheveuxaurontrepoussé.Quandj’aurairédigéundi…undiscours.Etquandjenebé…
bégaieraiplus.Ilarticulaitavecsoin.Cléobulevitquelesjouesdesonfrèreétaientdéformées.—Dis-moi…quemanges-tu?—Rien.J’aimisdesca…descaca…descaillouxdansmabouche!—Quellehorreur!Etpourquoi?—Pourmémé…m’efforcerdem’exprimermalgrémonhandicap.J’espèreainsimedé…débarrasserde
cebégaiement!Pendant les mois qui suivirent, Cléobule rejoignit son frère chaque jour dans son caveau. Elle le
surprenaitsouventoccupéàdéclamerdesdiscours.—Quellesnouvelles?demandait-il.Dequoiparle-t-onàAthènes?— De Philippe de Macédoine. On craint qu’il n’envahisse le pays. Hélas, tu le sais bien : les Grecs
réagissentpeu.Ilspréfèrentlediscoursàl’action!—Ilsontraison.Unorateurestpluspuissantqu’unconquérant.—Tuplaisantes?—Pasdutout.Réfléchis,Cléobule:lesconquérantsagissentparcequ’ilssontconvaincus…Convaincus
qu’ilfautleverdesimpôtsoudéclarerlaguerre.Maiscesconvictionssontrarementlefruitderéflexionspersonnelles.Carleshommespolitiquessonttroppréoccupésd’agirpoursesoucierderéfléchirpareux-mêmes.Elleécoutaitsonfrère,fascinée.Commeilavaitchangédurantcesmois!D’abordilnebégayaitplus.Sa
voixétaitposée.Sondiscoursétaitdevenuimagé,solide…sibienconstruitqu’onnepouvaits’empêcherdel’écouter.Démosthènepoursuivit:— Ils s’informent, prennent conseil… Voilà pourquoi les vrais gouvernants sont les orateurs ; ils
influencentlestyranssansmêmequeceux-cilesoupçonnent!Unmatin,Démosthènesortitdesaretraite.IlavaitrecopiéhuitfoislesœuvresdeThucydide.Ilavait
médité, écrit des centaines de harangues(13), passé des milliers d’heures à déclamer, tantôt dans soncaveau, tantôt au port, devant les vagues mugissantes. Il avait ainsi appris à maîtriser sa voix face àd’éventuellesréactionshouleuses.Aujourd’hui,ilsesentaitprêt.Ilavaittrente-cinqans.Ilseprésentaàl’ecclésiaetfitundiscoursdontlaforceetlaqualitéstupéfièrentl’auditoire.Plustard,il
plaidapourunegestionplusstrictedesfinancesdel’État.Ilétaitsiconvaincantqu’ilfutaussitôtadmisparmilesmembresduConseil.Commelesconseillersrefusaienttoujoursd’agircontrePhilippedeMacédoine,ils’exclamaunjour:—Citoyens,réveillez-vous!Désormais,lesplusrichesnepaientplusl’impôtqu’ilsdoiventàlacité.Les
plus pauvres ne s’intéressent qu’aux jeux que nous leur fournissons. Notre armée compte plus demercenaires(14)quedevolontaires.Etnotreflotteestréduiteàquelquesépavesquicroupissentdans leportduPirée.Quellenationsommes-nousdevenue,pourrefuserdeprendreenmainnotredestin?Troublésparcediscours,lesGrecs,penauds,baissaientlatête.
— Pendant que nous dormons sur nos lauriers fanés, Philippe envahit nos colonies. Il menace nosfrontières.Ilcomplote.Ilrecrute.Ilsefaitdenouveauxalliésavecnosvieuxennemis…Démosthènesedéchaînait,multipliaitlesmétaphores(15),prenaitlepublicàtémoin.Ilmaniaitl’ironie,
le sarcasme, l’enthousiasme. Parfois, il improvisait questions et réponses. Si l’attention des auditeursfléchissait,ilchangeaitdeton,etdestyle,alternaitlesexclamationspercutantesavecdelonguesphrasespoétiques.—Quellediatribe(16)!Quelleconviction!lançaunAthéniensubjugué.—Jamais jen’ai entenduunorateur sibrillant, renchéritunautre.Niuneaussi éclatante supplique.
Oui,ilfautagir!—SinotrepassivitépermetàPhilipped’envahirnotrepatrie,conclutDémosthène,jemesupprimerai.
Jepréférerailamortaudéshonneur.Quandilrevintchezlui,Cléobuleluifitfête.—Tondiscoursafaitgrandbruit!Onneparleplusquedetoidanslaville.Tuesdevenuleplusgrand
orateurdetoutelaGrèce!Dès lors, ilmultiplia sesPhilippiques. Il affronta dans plusieurs duels oratoires Isocrate, qui voulait
qu’AthènescombatteplutôtlesPerses.Ildénonçal’undesescollègues,Eschine,untraîtreàlasoldedesMacédoniens.Etilproposaunprogrammededéfense.Hélas,quandonserésolutàréagir,ilétaittroptard:malgrél’allianced’AthènesavecThèbes,Philippe
deMacédoineenvahitlaGrèce.IlfinitparvaincrelesGrecsàChéronée,en338avantJésus-Christ.Aussitôt,Démosthène partit avec sa sœur se réfugier sur la petite île deCalaurie, près de la côte de
l’Argolide.Cléobule,quiconnaissaitlesintentionsdesonfrère,lesuppliaenpleurant:—Duranttoutescesannées,jet’aiaidé,encouragé,accompagné.Jet’aiconsacrémavie.Jen’aijamais
prisd’époux!Nemetspasfinàtesjours:aiepitiédetasœur,nelalaissepasvieillirseule!IlsavaientgravilacollineetgagnéletempledePoséidon.Là,accoudéàl’autel,Démosthèneouvritle
petitrécipientqu’ilavaitemporté.Ilregardaunedernièrefoislamer,pritlamaindesasœur,luisouritetavalalepoison.Presqueaussitôt,ils’écroula.Enlarmes,Cléobulesepenchasurlecorpsdesonfrère.—LaGrèceaperduleplusgrandorateurdetouslestemps,murmura-t-elleenguised’oraisonfunèbre.
QuelepasseurCharon,cherDémosthène,teconduiseauxChampsÉlysées…Commelevoulaitlacoutume,elleglissaunepiècedanslabouchedudéfunt,oboledestinéeàpayerle
voyageaupasseur.Enaccomplissantcegeste,ellesentitunpetitobjetdursouslalanguedeDémosthène.Elleleretira,stupéfaite.Puisleserracontresoncœur,commeunprécieuxbijou.C’étaitunsimplecaillou.
IXARISTOTE
OUUNSAVANTENEXIL(347AV.J.-C.)
ACCOUDÉ à la poupe du navire qui s’apprêtait à cingler pour la Mysie, Aristote soupira en voyants’éloignerleportd’Athènes.Àtrente-sixans,ils’exilaitunenouvellefois!Avisantsespanièresabandonnéessurlepont,ilcria:—Capitaine!Queteshommesmettentmesdocumentsàl’abri,ilscraignentl’humidité!—Bigre,grommelaunmatelot,quelpoids!Quetransportes-tulà?—L’œuvredetoutemavie.—IlparaîtquetuesunamidePlaton?demandalecapitaine.Àcetinstant,lenaviretanguaetunepanièrebascula.Soncontenusedéversa:unecollectiondepierres,
un herbier, des boîtes d’où s’échappaient des coquillages et des insectes desséchés, enfin des rouleauxmanuscritsquisedéroulèrentetclaquèrentauvent.—Ah,quelmalheur!Vite,aidez-moi!L’équipageseprécipita.Quandtoutfutremisdanslapanière,Aristotedéclaraaucapitaine:— Je suis moins philosophe que savant. Platon ? Oui, j’ai suivi son enseignement. Mais il vient de
mourir.Aussi,jepréfèrequitterAthènescarjesuismacédonienetl’onseméfiedemoi…AutrefoisannexéeparlesPerses,laMacédoineétaitredevenueindépendante;depuispeu,elletentait
d’occuperparlaforcecertainesprovincesgrecques.Aristoteétaitl’amiduroideMacédoine,PhilippeII.Quelquesannéesplustôt,cesouverainluiavaitmêmeproposédedevenirleprécepteurdesonfils.MaisAristote,quifuyaitlesconflitsetnes’intéressaitqu’àsesrecherches,avaitdéclinél’offre.Aujourd’hui,illeregrettaitunpeu.—Sagedécision!approuvalecapitaine.Tun’avaispasdefamilleàAthènes?—Seulementunneveudetreizeans:Callisthène.J’avaiscommencésonéducation.Jemevoiscontraint
del’abandonner.Unpoissonvolantjaillitpar-dessuslebastingageets’écrasasurlepontenfrétillant.Aristoteleramassa
pourl’examiner.—Voilàunanimalquejeneconnaispas!s’écria-t-il.—C’estunehirondelledemer,fitlecapitaine,blasé.UneespècequipulluleenMéditerranée.—Attends,fitlesavantquiécartaitleslargesouïes.C’estunpoissonouunoiseau?—Plutôtunpoisson,jecrois.Entoutcas,çavitdanslamer.—Pourtantilvole?—Pasvraiment.Propulséhorsdel’eau,ilplaneetretombeaussitôt.Quelleimportance?—Jeveuxdresser l’inventairede toutes les connaissanceshumaines.Classerméthodiquementcequi
existe.Toutmepassionne.—Tout?s’étonnalecapitaine.Qu’entends-tuparlà?—Lesphénomènesduciel,lespierres,lesplantes,lesanimaux.Uninsectetournaitautourducapitaine;ill’écrasasursajoue.Aristotepoussauncriindigné.—Eh,sedéfenditlemarin,cen’étaitqu’unesaleguêpe!—Non,uneabeille.Sonintelligencetesurprendraitsituconnaissaislesrèglesdesasociété!Lanature
nerenfermequedesmerveilles.Lecapitainelequestionnaencore:—Ainsi,tupréfèresfuirenMysieplutôtqueretournerdanstonpays?—Oui.JeconnaisbienHermias,quirègnesurlescitésd’Atarnéeetd’Assos.Le capitaine réprimaun ricanement : le roideMysien’avaitpasbonne réputation, c’étaitunesclave
affranchi!— Il m’accorde l’hospitalité, expliqua Aristote. Nous étions amis à l’époque où, à Athènes, nous
fréquentionsl’AcadémiedePlaton.—Sais-tuquetuvasvivreprèsd’Ilionqui,voicimilleans,futleberceaudel’humanité!—Oh,soupiraAristote,jecroisqued’autresvillesontexistéavantelle.Depuislanaissancedumonde,
biendescivilisationssesontsuccédé,enraisondecataclysmes…oudel’écoulementdutemps!
Désignantlacôtequis’éloignait,ilajouta:—Vois-tucepaysage?Ehbieniln’apastoujoursressembléàcequenousvoyons.Ilaévoluéluiaussi.Ébahiparcediscoursencontradictionavectouteslesreligionsettouteslescroyances, lecapitainese
tut,dubitatif.Décidément,ilavaitembarquéunbienétrangepassager!Il fallut plusieurs jours pour traverser lamer Égée. Après avoir longé l’île de Lesbos, le navire y fit
escale, àMytilène. Resté à bord, Aristote guettait la côte deMysie qu’on distinguait déjà, à cent vingtstadesdelà.Aumomentoùonlarguaitlesamarres,sonregardtombasurunarbustequipoussaitsurlequai.—Halte!hurla-t-il.Voilàunnouveauvégétalpourmonherbier!Le capitaine dut s’armer de patience. Le savant, en déracinant l’arbuste, avait aperçu des fleurs
inconnues.Ils’empressadelescueilliravantdereveniràbordetdes’extasier:—Quellefloreétonnante!Dommagequel’escaleàLesbossoitsibrève!Le même soir, le navire pénétrait dans le port d’Atarnée. Penché au bastingage, Aristote guettait
l’ambassaded’Hermias.Maisiln’yavaitlàqu’unejeunefilleaccompagnéedesixesclaves.Quand ilmitpiedà terre,elles’avançavers luiet,avecungracieuxsourire, l’abordadans lemeilleur
grec:—TuesbienlegrandAristote?L’anciencompagnond’Hermias?Jetesouhaitelabienvenue.Jesuis
Pythias,lasœurdelaitduroi.Etsafilleadoptive.Jusque-là,Aristotes’étaitpeupréoccupédes femmes.Petit,presquechauve, iln’étaitguèreséduisant
avecsesjouesmaigresetdéjàridées.Quandilétaitému,illuiarrivaitdebégayercommeDémosthène.La grâce et les attentions de Pythias le touchèrent. Tandis qu’elle donnait des ordres pour qu’on
emportelespanières,illadévoraitdesyeux.Uninsecteinconnuseposasurlajouedelajeunefemme,ilsehâtadelesaisir.Etpourlapremièrefoisdesavie,aulieudel’observeroudeleglisserdansuneboîte,ill’écrasasansregret.Arrivéaupalais,ilfutaccueilliparlesouverainquil’embrassaetl’accabladedémonstrationsd’amitié.—Aristote!Monami!Quellejoiedeterevoir!Pardonne-moiden’êtrepasvenumoi-mêmeauport…
Tuesicicheztoi.—Hermias,commentteremercier?fit-ilensetournantverssajeunehôtessequibaissaitmodestement
latête.—C’esttoi,Aristote,quim’honoresdetaprésence ici !Sais-tuquetuvasretrouver lesageetsérieux
Xénophon qui, t’en souviens-tu, était le plus attentif auditeur de Platon ? Il séjourne à Assos, la villevoisine!Viens,quejetemontretesappartementsetlabibliothèqueoùtutravaillerasàtaguise.LaMysieabritedesanimauxetdesplantesqu’iln’yanullepartailleurs!Situasbesoindemain-d’œuvre,disposedemesesclavesàtongré.Leroiremarqualesregardsdesonhôteenverssafille.—TuasdoncfaitlaconnaissancedePythias!fit-ilenélargissantsonsourire.Jeluiaisouventparléde
toi.Sais-tuqu’elleestpassionnéepartestravaux?Elleestdouéepourl’étude.Maishélas,Atarnéen’estpasAthènes !Depuisquetunousasannoncétavenue,ellen’aqu’unrêve : t’écouteret t’assister.Si tuvoulaisluifaireplaisir…—Toutleplaisirserapourmoi,bégayaAristotequines’étaitjamaissentisimaladroit.
Bientôt, à la plus grande joie d’Hermias, Aristote épousa sa fille. Installés au palais, Pythias et luivécurentplusieursmoisdansunbonheurparfait.Loindenégligersestravaux,lesavantlesmultipliait.Aristotene regrettaitpasAthènes. IlpensaitparfoisàCallisthène.Mais le sortde sonneveudélaissé
n’étaitpasdetailleàentamersoneuphorie.Pythiasavaitdonnénaissanceàunefille.Unmatin,soncollègueXénophonsurgit,horsd’haleine,danssoncabinetdetravail:—Savais-tuquenotrehôte,Hermias,complotaitcontrelesPerses?Aristotehaussalesépaules.Lapolitiquenel’intéressaitquesurleplanthéorique.Justement,ilétaiten
trainderédigerunouvrage,Dugouvernement,danslequelildétaillaitlaconstitutionde158États,deladémocratieàl’oligarchie,enpassantparlatyrannie.—Non.Euh…jecroisqu’ilaideleroideMacédoineàreprendrelecontrôledel’Empireperse.—C’estlamêmechose!grommelaXénophon.LesPerses,poursevenger,viennentd’envahirAssos.Et
ilssontauxportesd’Atarnée.Vite,faistesbagages!Aumêmeinstant,Pythiasentra,portantsonbébédanssesbras.Elleétaitenpleurs.—Aristote,monaimé !C’est terrible…Nousavonsété trahis !LesPerses sontdans lepalais, ilsont
capturémonpère!Nousdevonsfuir!—Fuir?bredouillaAristote.Il considéra, dans la bibliothèque, sonmanuscrit en cours, ses collections de végétaux, ses insectes
épinglés,sesrouleauxéparpillés.Malgrélessupplicationsdesafemme,Aristoteinsistapourtoutemporter.Impatient,Xénophonleurfit
sesadieuxets’éclipsa.
Heureusement,lesPerses,sûrsd’êtremaîtresdupalais,étaientoccupésàinvestirleport.Lesfuyardsgagnèrent les faubourgs. De fidèles esclaves les aidèrent à rejoindre une crique où des pêcheursacceptèrentd’embarquercouple,enfantetbagages.—Lanuittombe,jenedépasseraipasLesbos!déclaralepropriétaireduminusculeesquif.Ildésignait,danslecouchant,lacôtedel’îlelaplusproche.—VapourLesbos!ditlesavantquiserraitcontreluisonépouseetsafille.Auloin,enproieàlacolèredesPerses,Atarnéebrûlait.
Aristote et Pythias s’installèrent à Lesbos. Peu après, ils apprirent la mort d’Hermias ; les Persesl’avaienttorturéetexécuté.—LesPerses,toujourslesPerses!répétaitlesavantavecamertume.PhilippedeMacédoinearaisonde
luttercontreeux!LaGrèceatoujourssuleurrésister.Finalement,l’îledeLesbosconvenaittrèsbienàAristote:ellerenfermaitunefloreetunefaunesiriches
qu’ilrepritsesrecherchesavecacharnement.Lanuit,ilexaminaitlesétoiles.IlexpliquaitàPythiasquetouslesastresétaientsphériquesetenmouvement.Parfois,jouantavecleurfillequigrandissait,ils’extasiait:—Netrouves-tupasmerveilleuxqueleshumainsseperpétuent?—Hélas,lesêtresvivantssontcondamnésàmourir,soupiraitPythias.—Oui,maisdepuislanuitdestemps,leurespèceperdure!Ils’étonnaitdeceprodigeettentaitd’encomprendrelefabuleuxmécanisme.Leurbonheur futdecourtedurée :Pythias tombamalade.Aristoteconnaissaitbien lamédecine.Pas
assezpourlaguérir.Suspenduàsonchevet,ill’assistajusqu’auderniermoment.—J’aiunerequête,luidit-elled’unevoixfaibleavantdemourir.Faisbrûlermadépouille.Conservemes
cendres.Etordonne,quandtumerejoindras,quenosdeuxcorpssoientréunis.Aristotepleuraetpromit.Lesannéespassèrent.Unjour,uninconnuseprésentachezlui:—Es-tubienAristote?CeluiquiestnéàStagireenMacédoine?—C’estmoi.Sij’encroistatenue,tuesuncompatriote!Levisiteurs’inclinaetsourit.—Je techerchedepuisdesmois.Enfin, je t’ai retrouvé !Notresouverain,PhilippeII,m’envoie. Il te
demandesitutesouviensdelalettrequ’ilt’afaitparveniràAthènes,voicitreizeans.Tantd’événementss’étaientécoulés!Aristotefitasseoirsonvisiteur.Enfouillantdanssesarchives,ilfinitparretrouverlevieuxcourrierdu
roi,sonami:«J’aiunfils.Jeremercielesdieuxnonpastantdemel’avoirdonnéquedel’avoirfaitnaîtredutempsd’Aristote.J’espèrequetuenferasunsuccesseurdignedemoietunroidignedelaMacédoine.»—Jesuisnavré,ditlesavant.Jen’aijamaisrépondu.Àl’époque,jen’auraispaspuaccepter.J’étaistrès
occupé.Iln’osapasajouter:Jelesuisbeaucoupmoinsaujourd’hui…IlavaitfaitletourdetoutcequeLesbospouvaitluioffrir.Plongédanslarédactiondehuitouvragesde
physique,ilavaitmisuntermeàsesobservationssurlafloreetlafaunedel’île.—Cetenfantdoitavoirbiengrandi!s’exclamaAristote.— Il a treize ans. Il s’appelleAlexandre. Il est aussi intelligentque vif et turbulent. Sonambition est
dévorante,soncaractèresiautoritaireetimpétueuxqu’aucunprécepteurnepeutenveniràbout!Toiseulpourraisassurersonéducation.L’ambassadeur se leva ; il ouvrit laporte,désignaau loin la trière rapideavec laquelle il était arrivé.
Solennellement,ilajouta:—PhilippeIItesuppliederejoindretonpays.D’éduquersonfils.Avectonaide,Aristote,Alexandrefera
untrèsgrandroi.—J’accepte,réponditlesavantd’unevoixquitremblaitunpeu.Ilallaitretrouversapatrie.Lavied’Aristote,le«Princedesphilosophes»,étaitloind’êtreachevée.Pendantdouzeans,ilassura
l’éducationdufuturgrandconquérant.PuisilrevintàAthènes.Àsamorten322avantJésus-Christ,on retrouva son testament…etuneurne funéraire.On laplaça
danssontombeau,commeill’avaitspécifié.C’étaientlescendresdesafemmePythias.Ilnes’enétaitjamaisséparé.
XALEXANDRELEGRAND
OUDANSLESPASDUMAÎTREDUMONDE(VERS327AV.J.-C.)
DANSlepalaisdeMarakanda,lebanquetbattaitsonplein.Sous le regard indulgent des généraux, les soldats ripaillaient, braillaient, provoquaient les jolies
femmesbarbaresquilesservaient.—Tuboistrop,ditCallisthèneenécartantlacoupequ’Alexandres’apprêtaitàvider.—Quies-tu,rugit-il,pourosermedonnerdesordres?Dansungestepleind’affectionetdesollicitude,Callisthèneentoura lesépaulesduconquérant ; il lui
chuchotaàl’oreille:—Jesuis tonanciencamaraded’étudeet leneveud’Aristote,notreprécepteur.Et jesuissurtout ton
historiographe(17),Alexandre!C’esttoiquim’asdemandédetesuivredanscettefolleconquête,etd’enrelatertouteslespéripéties!—Celatedonne-t-illedroitdemeconseiller?—Non.Maisquedevrai-jerévéleràceuxquilironttonhistoire?QuelegrandAlexandre,leplussobre
d’entrenous,afiniparseréfugierdansl’alcool?…L’ivressetedopeettedupe,Alexandre!Refuses-tudecomprendrequel’universesttropgrandpourtonappétit?Alexandreblêmit.Iljetauncoupd’œilsursessoldats.Heureusement,ilsétaienttropoccupésàmanger,
àboireetàjouerpourprêterattentionàcettedispute.Serelevantàdemi,ilmurmura:—Attention,Callisthène,tuvastroploin:tum’insultes!—Pose-toilaquestion,insistaCallisthène:queveux-tu?Laréponseest:régnersurlaTerreentière!
UneTerredontnulnesaitsielleest rondepuisquepersonnen’ena fait le tour !Etsi tuavaisvu tropgrand?—Jusque-là,mesconquêtesn’ontpassimalréussi!C’étaitvrai.Lafougued’Alexandre,soncharisme(18),satéméritéquilefaisaitseporteràlatêtedeses
soldatsdans lesaffrontements lesplusdésespérés, saclémenceet sagénérosité–aussigrandesquesacruauté dans ses vengeances –, tout cela forçait l’admiration de ses alliés comme de ses ennemis. Seshommes,quil’adulaient,l’auraientsuiviauboutdumonde.Seulementvoilà,leboutdumondeétaitloin…Ensixans, lamodestearméedu roideMacédoine– trentemillehommesetquatremille cinq cents
cavaliers–n’avaitcessédepoursuivreDarius,leroidel’immenseEmpireperse.Peuàpeu,elleavaitfiniparannexerlaMésopotamie!—Situveuxvivrevieuxetgérercetempire,repritCallisthène,tudoismodérertesappétits…Ildésignalesvins,lesvictuaillesetlesfemmesquidansaient.D’ungestelarge,ilmontralaterrassequi
dominaitlavilledeMarakandaet,au-delà,laMédie,laGédrosieetlaBactriane…— Autrefois, reprit-il, ton père t’avait recommandé de te chercher un autre royaume puisque la
Macédoineteparaissaittroppetite.Ehbien,tevoilàcomblé.—Comblé?réponditAlexandreenéclatantderire.Tumeconnaisbienmal!Héphastion,viensdonc
trinqueravecnous!Héphastionétaitlegénéralpréféréd’Alexandre.IllechérissaitplusencorequeRoxaneetParysatis,les
deuxjeunesPersesqu’ilpensaitépouser.Héphastion s’approcha. Il dépassaitAlexandre d’une tête et, comme lui, était rasé de près– se faire
couperlabarbeétaitunemodequelejeuneconquérantavaitlancéeetquel’empiresemblaitsuivre.—Prosterne-toidevantledescendantdeZeus-Ammon!Ammonétaitundieuorientalqu’Alexandreavaitadopté.Enfait,iladoptaittouteslesdivinitésdespays
qu’iloccupait.Unmoyen,affirmait-il,desefaireaccepterdespopulationslocales.Toutendonnantcetordre,Alexandres’étaitlevéentitubant.Ilallas’affalersurlefauteuilenormassif
quitrônaitderrièrelatable.Héphastion s’empara d’une couronne ornée de cornes de bélier. Il en coiffa son maître. Puis il
s’agenouilladocilementetseprosternaàlamodeorientale,lefrontfrôlantlesol.Enfin,illevasacoupeenclamantàtoutel’assemblée:
—Jeboisànotrebien-aiméAlexandre,ZeusetAmmonréincarnés!Dépité,Callisthènehaussalesépaulesetpartit.Il s’éloigna des clameurs de l’orgie et goûta le vent frais de la nuit. Il rejoignit sa chambre ; là, des
papillonsnocturnestournaientautourdesalampeàhuile;ilseprécipitaetlescapturasansmal.— Voyons, murmura-t-il en les examinant, voilà trois insectes que je ne connais pas ! Il faut les
répertorier.Aristoteseracontent!Lespapillonsdanslamain,ilcherchalaboîteoùilenfermaitsesdécouvertes.—Ah,jel’aioubliéedanslesappartementsd’Alexandre!Chaque jour, scrupuleusement, Callisthène recueillait une foule d’informations sur la population, les
arts,lessciences,lescoutumes,lafauneetlafloredetousleslieuxquel’arméetraversait.Ilsélectionnaitdesspécimensinconnusettouteslestroisouquatredécades,ildépêchaitversAthènesuneexpéditionquiles rapportait à Aristote, ainsi qu’une manne de documents. Quand ils avaient conquis et investiBabylone,quatreansplustôt,ilyavaitdécouvertdestablettesd’argiledontlatraductionavaitrévélédeuxmilleansd’observationsastronomiques.Deretourdanslesappartementsduconquérant,ilpassaprèsdelapièceoùRoxanereposait.— Enfin, une visite ! fit-elle joyeusement en quittant le lit. Viens, Callisthène ! Sais-tu quand mon
seigneuretmaîtreviendra?—Bientôt.Ilserestaure…etilsedistrait!dit-ildansunegrimace.—J’aimeraistantquetum’apprennesàlirelegrec!Connais-tucetouvrage?Alexandrelelitchaque
soir,sitardquejem’endorstoujoursavantlui.Etquandjem’éveille,ilestparti.Alexandredormaitpeu.Ilétaitbouillonnantd’activités.—C’estl’Iliade.Uneéditiontrèsprécieuse.Ildéroulalepremierrouleauetsoupirad’envie.Leurmaître,Aristote,avaitoffertcetteœuvreaujeune
roiavantsondépart.«Net’enséparejamais»,luiavait-ilrecommandé.Le texte était abondamment annoté de lamain du philosophe. Callisthène aurait donné sa vie pour
posséderl’ouvragedesononcle!En voulant le remettre enplace, samainheurta le tranchant d’une arme ; il la sortit des draps avec
précaution.—C’estsonglaive,expliquaRoxane.Ilnedortjamaissanslui.Soudain,deséclatsdevoixretinrent leurattention.Presqueaussitôt,Alexandrefitsonentrée.Ivre, il
tenaitdanssesbrasdeuxfillesderoi:lapremièreétaitcelledeDariusIII,Statire,etl’autre,Parysatis,lafilled’ArtaxerxèsIII,leroipersequiavaitprécédéDarius.Deuxprisesdeguerre.—Vois,Callisthène!s’exclama-t-ild’unevoixpâteuse.Est-cequejenetienspastoutelaPerse?Oui,je
laserrepourmieuxl’embrasser!Iljoignitlegesteàlaparolepuisrepoussabrusquementlesjeunesfilles.—Va-t’enaussi,Roxane,rejoinstesdeuxcompatriotes!Jedormiraiseulcettenuit.Dis-moi,quefais-tu
ici,toi?grogna-t-il,suspicieux.—Jesuisvenurangertroisnouveauxpapillonsdenuitdanslaboîteauxinsectes,réponditCallisthène
enmontrant, de son poing fermé, la pièce voisine où se trouvaient, entre autres, des provisions et dubutin.—Vraiment?réponditAlexandredansunméchantrictus.Permets-moid’endouter.Reconnaisquej’ai
dequoimeméfier:jetesurprendsprèsdulitdemamaîtresse,entraindemevolermonexemplairedel’Iliadeetd’ôtermonglaivedesousmonoreiller.—Quoi?Turêves!Jetedisquejevenaisde…—Tesouviens-tudece serviteurque je soupçonnaisdecomploter contremoi?ajouta le conquérant
d’unevoixplussèche.Celuiquej’aimisdepuistroisjoursàlatorture?Ehbien,ilvientd’avouer…—Qu’a-t-ilrévélé?demandaCallisthènesanss’émouvoir.—Tout!Ilconspiraiteneffet.Ilvoulaitm’assassiner.Ila livré lenomdesescomplices.Ettuenfais
partie,Callisthène…Leneveud’Aristotesefigea.Cetteaccusationétaitmonstrueuse.Inacceptable.Ilserebiffa:—Ettul’ascru?Tupensesquejeveuxtesupprimer?Moiquirelatejouraprèsjourtesfaitsetgestes?
Moiquiaigrandipendantsixansàtescôtés?—Pourquoipas?Philotas, leplushabilede tousmesgénéraux,abienvoulum’assassiner.Et ilétait
monfavori!C’étaitvrai.Àcesouvenir,Callisthènefrémit.Aprèsdelonguestorturesetdesaveux,Philotass’étaitfait
lapiderparsespropressoldats,commelacoutumel’exigeait.—Despapillons,prétends-tu?Alorspermetsquejevérifie…IlsaisitbrutalementlepoingfermédeCallisthèneettentadel’ouvrir.Levisageduroifrôlaitlesien,son
haleinepuaitlevin.—Arrête!Tuvasleslaissers’échapper!—Vas-tuouvrirtamain?Oublies-tuquenulnepeutmerésister?C’étaitl’unedesesphrasespréférées.CellequelaPythiedeDelphesavaitfiniparluijeter,malmenéeet
vaincue,parcequelefuturconquérantluiréclamaitunprésageetqu’ellerefusaitdeleluilivrer:nulne
peutterésister!JamaisAlexandren’auraitpurêvermeilleuroracle!Callisthèneouvritlamain.Troispapillonss’enéchappèrent.—C’étaitdoncvrai,bredouillaleconquérantenvoyants’envolerlesinsectes.Les éclats de voix avaient attiré les esclaves. Sur le seuil, les trois jeunes Perses demandèrent si
Alexandreavaitbesoind’elles.—Non!Laissez-nous!Alexandresemblaitpenaud,etsoucieuxdeseréconcilier.—Quepenses-tudecesdeuxnouvellesbeautés,Callisthène?demanda-t-ild’unevoixradoucie.Vois-tu,
j’aimeraislesépousertouteslestrois.—Tuplaisantes?—Lescoutumes,ici,admettentqu’onaitplusieursfemmes.Ettusaisqueseconformerauxcoutumes
localesestlemeilleurmoyendetransformersesanciensennemisenalliés.—Troisfemmes!Ont’accusedéjàd’organiserdesorgies…—Messoldatsméritentdesedistraire!Voilàdesannéesqu’ilsontquittéleurpatrie!Lareverront-ils
jamais?Quantàcesdeuxfuturesépouses,tusaisbienqu’ellesn’aurontqu’uneutilité…politique.EllesscellerontmonallianceaveclesdeuxbranchesroyalesdelaPerse!Alexandreavaitentreprisderevêtirunesomptueuserobebrodéed’argentetornéedemotifsorientaux.—Jepensaisquetuvoulaisconquérirl’Orient,raillaCallisthène.Luiapporterlacultureetlacivilisation
grecquesdontAristotenousanourris.Etjeconstate…quec’estl’Orientquit’aconquis.—CesBarbaresméritentnotrerespect!répliquadurementAlexandre.Àcertainségards,ilssontplus
civilisésetraffinésquenous.Oh,etpuisjesuislasdetesreproches,detesconseils.Jetrouvequecequetuécrissurmoncompteestdeplusenpluscritiqueetsuspect.—Qu’est-cequetuinsinues?Jenefaisquerelaterdesfaits!—Et puis tum’appelles toujoursAlexandre. Jamais tu nemenommes sous le nomdu fils de Zeus-
Ammon.—Pardonne-moi,ironisaCallisthène.JetecroyaisfilsdePhilippeII!—JeterappellequemamèreOlympiasdescenddugrandAchille.Callisthèneconnaissaitbiencetteridiculelégendefamiliale.IlsesouvenaitcommentAlexandrel’avait
entretenue dès le début de ses conquêtes, quand il avait annexé la ville d’Ilion. Là, face au prétendutombeaud’Achille,ils’étaitlonguementrecueillietavaitfaitdenombreuxsacrificesauxdieux.L’historiographehaussalesépaulesetobjecta:—Undieuadespouvoirsquetun’aspas!—N’ai-jepasdomptéBucéphale?Aucunécuyern’envenaitàbout!Ce cheval, un animal extraordinaire par sa puissance et sa taille, était devenu le coursier favori du
conquérant.Callisthèneéclataderire.—Cetanimalavaitsimplementpeurdesonombre!Ilt’asuffideluitenirlatêtefaceausoleilpourque
tul’apprivoises.C’étaitingénieuxdetapart.Ettuasvoulufairepassercelapourunmiracle!—Qui…maisquit’aexpliquécela?demanda-t-il,stupéfait.—Toi-même,quandnousétionsjeunesetquej’étaistonconfident.—Aujourd’hui,leschosesontchangé!grondaAlexandre.Drapédanssatuniqueorientale,ildéclarad’unevoixforte:—Jeveuxbientepardonnertesparolesettessouvenirsinsolents,Callisthène.Maisjeveuxquetume
rendes hommage et prêtes allégeance. J’exige que tu te prosternes devant moi, comme l’a faitHéphastion!Callisthène soupira. Il se serait peut-être prêté à cette humiliation si elle avait revêtu, comme tout à
l’heure, l’aspectd’unjeu.MaisAlexandreétaitsérieux.Sesoumettreainsià lui,cettenuit,sanstémoin,pouvaitparaîtresansconséquence.Hélas,leconquérantrisquaitd’exigerlemêmecérémonialenpublic,demain.—Jerefuse,dit-ilenhaussantlesépaules.Toutcelaestridicule!—Ainsi,tunetesoumetspas?—Ai-jebesoindem’écraserpourquetuconnaissesleprixdemonamitiéetdemonadmirationpour
toi?—C’estbiença,grommelaAlexandred’unevoixsourde.Tucomplotesdonccontremoi!Callisthèneétaitfatigué.Ileutunepenséepourlespapillonsquis’étaientéchappés.Ilavaitenvied’aller
secoucher.—Tutetrompes!soupira-t-ilsansconviction.Jen’aijamaisagiquedanstonintérêt.Ettulesaisbien.Ilvoulutquitterl’appartement.Buté,Alexandrel’enempêcha.—Tunesortiraspasavantdet’êtreprosterné!Callisthènesentitmonterunecolèrelongtempsrefoulée.D’unevoixquelafatiguerendaitimpatienteet
nerveuse,iljeta:—Nesoispasstupide.Jesuis tonallié,Alexandre !Tonplus fidèleami !Et ton frèred’études, faute
d’êtretonfrèredelait…Cequimerenddansunetriplepositiondedépendanceenverstoi.Hélas,jesais
tropbiencommentfinissenttesalliés,tesamisettesparents.Lemaîtredumondeparutd’uncoupdégrisé.—Queveux-tudire?demanda-t-ild’unevoixblanche.—Quetuasungoûtprononcépourtorturerettuertesalliés!s’emportaCallisthènequin’enpouvait
plus. Quand le satrape Bessus a tué Darius, son propre roi, pour te faciliter la tâche, au lieu de leremercier,tu l’as livréaufrèreduroiqui l’afaitexécuterdanslespiressouffrances!Voilàcommenttutraitestespartenaires…—Etmesamis?—Dois-jeterappelerquetuasexécutétonfidèlecommandantParménion,uncompatriote?—Ilcomplotaitcontremoi!affirmaAlexandre.Tulesais!—Non.Ilessayaitdetedissuaderdepoussertonarméeplusloin!Ilsefaisaitleporte-paroledeceux
quisontlasdetesuivre!EtClitos,quetuas,ilyapeudetemps,tuéd’uncoupdelanceicimême?Clitosquit’avaitsauvélaviependantlabatailleduGranique?Ilcomplotait?—Non, admit Alexandre demauvaise grâce.Mais il m’avait provoqué. Il avait misma vaillance en
doute,ilprétendaitquejedevaissurtoutmesvictoiresànossoldats…—Était-cefaux?Seul,queferais-tu?Quepourrais-tuconquérir?Sûrementpascettesagessequenous
enseignait Aristote ! Ton armée et tes amis ne te suffisent plus.Maintenant, tu veux des admirateurs.Clitosavaitunseultort:ilnet’admiraitplus.—J’étaisivre.Etluiaussi.Je…j’airegrettémongeste.—On a tenté de vous séparermais tu l’as poursuivi. Oh, je sais : après l’avoir tué, tu en as eu, des
remords!Tuasmêmevoulutesupprimer.Lavérité,Alexandre,c’estquetuasprisgoûtàl’assassinat.Etplusprochesdetoisonttesvictimes,plustugoûtesleursupplice.Cettehantiseperpétuelleducomplot,tudoislatenirdetesparents…Callisthène,stupéfaitparsapropreaudace,setutbrusquement.—Jecomprends…sifflaAlexandreentresesdents.Tuesl’undeceuxquiprétendentquej’aiparticipéà
l’assassinatdemonpère?CettehypothèsecirculaitparmilestroupesquirépugnaientàsuivreAlexandre.Comme l’historiographe, acculé, tentait de gagner la pièce attenante à la chambre, Alexandre bondit
verssonglaiveetlepointaversCallisthène.—Non!sedéfenditCallisthène, labouchesèche.C’estPausaniasqui l’atué!Tuasd’ailleurspunice
traître.Toutlemondeaadmislesfaits!—Deméchanteslanguesaffirmentquemamèreaassassinésonépoux…parcequ’elleétaitpresséede
mevoiràlatêtedupays!Onchuchotequej’auraisétésoncomplice,puisquej’étaislepremierintéressé.N’est-cepascebruitquetufaiscourir?—Non!Jetejureque…Affolé,Callisthènesutqu’ilavaitététroploin,ilvoulutfuir.Iléchappade justesseauglaivequ’onabattait sur lui.Affaiblipar l’alcool,Alexandre futdéséquilibré
parcecoupdonnédanslevide:l’armeatterritsursonproprepied.Unpeudesangsemitàcouler.Callisthènesefigea,revintsursespas,affolé,ets’agenouilla–enfin–
devantsonmaître.Maisc’étaitpourexaminerl’éraflure.Ilconstata,soulagé:—ParZeus,Alexandre…c’estheureusementsuperficiel.Tuvasbien?Non,iln’allaitpasbien:levisaged’Alexandreétaitpourpred’humiliation.Ilhurlaàgorgedéployée:—Gardes!Gardes,àmoi!Quelquessecondesplustard,ilssurgissaientdanslapièce.DésignantCallisthèneàsespieds,lemaître
deslieuxordonna:—Emparez-vousdelui.Qu’ilsoitenchaîné!—Alexandre,que fais-tu ?Attends !Songeque tu vas regretter tongeste !PenseàAristote…et à ta
proprehistoire!Désormais,quivalaretranscrire?—Jepense,ditleconquérant,qued’autrespourrontlaraconter.Emprisonné,torturé,Callisthènemourutseptmoisplustard.Enapprenantlanouvelle,Aristotefuttrèsaffecté.IlsefâchaavecAlexandre,l’accusad’avoirassassiné
sonneveu.Les conquêtes d’Alexandre touchaient à leur fin. Après être parvenu aux frontières de l’Inde, il dut
repartirverslaGrècesouslapressiondesonarmée…Maisiln’arrivapasàdestination:àlasuited’unpari–àquiboirait leplus–, il futsaiside fièvrependantdix jours.Justeavantdemourir,commesesgénérauxluidemandaientàquiilléguaitsonimmenseempire,ilréponditdansunderniersouffle:—Auplusfort.AlexandreleGrandn’avaitpastrente-troisans.
XIÉRATOSTHÈNE
OULATERREESTRONDE!(VERS240AV.J.-C.)
ÉRATOSTHÈNEétaitplongédansdescalculsquandunserviteurentradanssoncabinet.—Maître, l’étranger qui est déjà venu hier insiste pour vous voir. Il dit être porteur d’un messageimportant.Ératosthènerelevalatêteetsoupira:—C’estbon,faisentrercetimportun.Àpeinearrivé,levisiteurmitungenouàterre.Satenueindiquaitqu’ilétaitégyptien.Ildemandahumblement:—Ai-jel’honneurdefairefaceaugrandÉratosthènedeCyrène?—Oui.C’estmoi.Quies-tu?Queveux-tu?—Jem’appelleTorus.Jeviensd’Alexandrie.J’aiàteremettreunmessagedemonmaîtrePtoléméeIIIÉvergète,leroid’Égypte.Iltenditunrouleauausavant,soudainintrigué.—Relève-toi,Torus.Dis-moi,quandes-tuparti?—Ilyavingt-deuxjours.J’aidébarquéauportduPiréehiermatin.—Quelvoyage!s’exclamaÉratosthènedontleregardsongeurseperdit.À Athènes, où il était devenu un mathématicien, un géographe et un philosophe réputés, le savantgardaitlanostalgiedespayslointains−surtoutdesaLibyenatale.Ildéchiffralamissiveetdit:—Torus…sais-tucequemeproposePtolémée?—Oui:quevousdeveniezleresponsabledesabibliothèque.Ceseraitpourluiunimmensehonneur.Labibliothèqued’Alexandrie!Ellerecelaitdesmilliers…non:descentainesdemilliersdevolumes.Lesmanuscritslesplusraresetlesplusprécieuxdumonde.Pourunsavant,untrésorinépuisable.—Acceptez-vous?demandaTorus.QuitterAthènes…pourquoipas?Aprèstout,Alexandriedevenait lanouvellecapitaledumondegrec.Un siècleplus tôt,Alexandre leGrandavait conquis l’Égypte. Il enavait confié la gestionà l’unde sesgénéraux,devenuPtoléméeI.Sonpetit-fils,PtoléméeIII,cherchaitàattirerlesplusgrandssavantsdanssaville.—Quanddois-turapportermaréponse?—Sielleestpositive,j’attendrailetempsnécessaire.Etmonnavirerepartiraavecvous.—Tun’attendraspaslongtemps,monbraveTorus:j’accepte.
Le navire naviguait plein sud depuis dix jours. Sur le pont, Ératosthène scrutait souvent le ciel enmanipulant d’étranges cercles métalliques gradués. Ce jour-là, il interpella Torus qui, comme àl’accoutumée,secontentaitd’observerlesavantdeloin.—Cesobjetst’intriguent?fitlesavantenriant.Approchedonc!Au fildes jours, ilavaitapprisàapprécierTorus, ildevinaiten luiune intelligenceaiguëetunespritcurieuxdetout.Ilexpliqua:—Jenommecespetitscerclesquej’aifabriquésdesarmilleséquatoriales.Ellespermettentdemesurerlesanglesavecunemarged’erreurtrèsfaible:unquatremillième!Tuterendscompte?—Non,avouaTorus.Etjenevoispasl’utilitéd’unetelleexactitude.—Bien.Attends.Regardeoùsedirigelenavire:l’Égypte.D’aprèstoi,pourquoin’apercevons-nouspastonpays?—Parcequenousensommestroploin.—Etlesoleil,Torus,levois-tu?—Biensûr:ilestauzénith!—Lesoleilseraitdoncplusprèsdenousquel’Égypte?Torusfronçalessourcils.Puisiladmitensouriant:—Non,vousavezraison.Lesoleilestsûrementplusloinquel’Égypte.Euh…encecas,pourquoinela
voyons-nouspas?—L’horizonnousladissimule.CarlaTerreestronde,Torus!L’Égyptienéclataderire.—Allons,grandÉratosthène…c’estimpossible!—Commentexpliques-tualorsquelesmâtsdesnaviresquis’approchentdelacôteapparaissentavantleurcoque?— Ronde ? La Terre serait ronde ? répéta Torus, troublé par ces déductions. En ce cas… un navirepourraitenfaireletour?—Oui.Avecdesvivres,unbonéquipage,desventsfavorables.Etsiaucuneterreétrangèreneluibarrelaroute.—Cependant,lesnaviresquiontfranchilesColonnesd’Herculenesontjamaisrevenusdel’autrecôté.—Ilsn’ontpasétéassezloin!—Hannonlui-mêmen’ajamaispudépasserlesîlesfortunées(19) !objectaencoreTorus.Onignorecequisetrouveau-delà!—Ilexisteunmoyendesavoirsil’onpeutfaireletourdelaTerre.—Ahbon?Etlequel?—Connaîtreladistanceàparcourir!Etpourcela,ilfautcalculerlepérimètredelaTerre…—Bien,admitTorus.Maiscommentcalculercefameuxpérimètre?— Grâce à mes armilles, c’est possible ! Connaître la valeur d’un angle permet de calculer unecirconférence.—Alors,s’impatiental’Égyptien,quelestlepérimètredelaTerre?—Hélas ! soupiraÉratosthèneendésignant l’ombreque faisait lemâtdunavire sur lepont.Pour lecalculer, ilme faudrait deuxmâts identiques. L’un au nord, l’autre au sud, tous deux séparés par unegrande distance qui me serait connue avec précision. Deux observateurs effectueraient cette mesured’angleaumêmemoment.Enoutre,cesmâtsdevraientêtreverticauxetimmobiles.—Mais…lesanglesseraientidentiques!—Non.Vois-tu,depuisquenousavonsquittéAthènesetcinglonsverslesud,j’aiconstatéquel’ombredumât,àmidi,étaitchaquejourpluscourte.Leregardperdu,Torusréfléchitlonguement.—Dommage,dit-ilenfin,qu’ilyaittantdeconditionsàremplir!—Oui.Maisjenedésespèrepasdetrouverlemoyend’yparvenir.L’Égyptien reporta son regard sur lamer.Ainsi, sonpays se trouvait derrière l’horizon.Parceque laTerre était ronde. Comme une orange. Un fruit géant dont les hommes, avec un peu d’astuce et devolonté,devraientparveniràfaireletour…
À Alexandrie, Ptolémée III Évergète, dit « le Bienfaiteur », accueillit à bras ouverts le nouveauconservateur de sa bibliothèque. C’est dans ces prestigieux locaux qu’Ératosthène passa désormais sesjournées.Ilydéchiffraitettraduisaitdesrouleauxmanuscrits,étudiaitdestextesanciens,accueillaitdesvoyageursvenusconsulterunouvrage.Quotidiennement, il retrouvait là son collègue Archimède qui s’était installé à Alexandrie. Accroupisparmilesrouleaux,faceauportdominéparl’immenseetsomptueuxphare,ilsdébattaientinlassablementphilosophie,géographie,astronomie,mathématiques.
Deux années s’étaient écoulées. Ératosthène avait demandé à Ptolémée de conserver Torus à sonservice.Unjour,illevitrevenirduportavecsesarmilles.Commeprisenfaute,l’Égyptienavoua:—Je lesavaisempruntéespourcalculer l’angleque fait lesoleilavec l’ombrede l’obélisquedupalaisroyal.—Tusaisdonct’enservir?s’étonnalesavant.Qu’as-tudécouvert?— Que l’ombre grandit quand l’hiver approche. Au solstice d’été(20), au contraire, l’angle est à sonminimum : sept degrés et un cinquième.Les obélisquesdeThèbesnedessinent, paraît-il, presquepasd’ombre àmidi en été. Imagine qu’en allant plus au sud encore dans le désert, il existe un lieu où lesobjetsnedessinentplusaucuneombre!PourcalculerlepérimètredelaTerre,ilnoussuffiraitalorsdeconnaîtreladistanceentreAlexandrieetcetendroithypothétique.Troublépartantdeclairvoyance,lesavantpritparlesépaulesl’Égyptienquisoupirait:—Ah,grandÉratosthène!SinouspouvionsêtrelespremiersàcalculerlacirconférencedelaTerre…
Unsoirdeprintemps,Torus,trèsexcité,vinttrouverlesavant.—Ilyalàunvoyageur…unJuiférudit.DepassageàAlexandrie.Ilvientdusudetveutconsulterdestextessacrés.Ilm’aaffirmé…—Calme-toi,Torus.Cetétrangerestlà?Fais-leentrer.
Avecsabarbedeprophète,leJuifavaitnobleallure.Ératosthènel’invitaàs’asseoir.LevisiteurdésignaTorusetdit:— Une question de ton serviteur m’a intrigué : non, dans ma ville, il n’existe pas d’obélisque. Enrevanche,onditquenospuitsontuneparticularité:lejourdusolsticed’été,lesoleilenéclairelefond!Ondistinguealorstoutesleurspierres,quellequesoitleurprofondeur.Celanedurequ’uninstantcarlesoleiltourne.—Là,s’ilyavaitunobélisque,ilnedonneraitaucuneombre,n’est-cepas?demandafébrilementTorusàÉratosthène.Cetendroitestdoncceluiquenouscherchions?—As-tuconstatéceprodigedetesyeux?questionnalesavant.—Hélasnon!C’estpeut-êtreunelégendeetcelam’atoujourssemblésansintérêt.—D’oùviens-tu?demandaencoreÉratosthène.—Del’îleÉléphantine,enNubie.Jefaiscommercedugranitrosequ’onextraittoutprèsdelà,àSyène.Enégyptien,SyènesedisaitSouânit,dont lenomsignifiait« lemarché».Unmarchéqui longtempsavait été celui de l’ivoire. Ce qui expliquait le nom de l’île Éléphantine. Là-bas était installée une trèsanciennecoloniejuive.Cœurbattant,Ératosthènedemanda:—Connais-tuladistancequisépareSyèned’Alexandrie?—Oh!soupiraleJuif.DeSyène,ilfautnaviguertrentejourssurleNilpourrejoindreAlexandrie.—Jeveuxdire:ladistanceenstades?L’autreécarquilla lesyeuxcommesicettequestionn’avaitpasdesens.Autantdemandercombiendepoilsavaitsabarbe.—Torus,demandaÉratosthène,tusaisoùjerangelescartes?…
Quelques instants plus tard, les trois hommes étaient penchés sur des papyrus mille fois grattés,rectifiés,surchargéspardiversvoyageurs.SiletracéduNilentreAlexandrieetSyèneétaitconnudepuisdessiècles,lesdistancesrestaienttrèsfloues.Pourcorserladifficulté,lestadeégyptienétaitdifférentdustadegrec!—Siladistanceestapproximative,grommelalesavant,lecalculnevautrien.Etquiprouvequecettehistoiredepuitsestvraie?Pourvérifiertoutcela,uneseulesolution…—Serendresurplace?achevaTorus.—Exactement.Etc’estcequenousallonsfaire.
Lemarchand juifdeSyènereparti, lespréparatifs furent rapides.L’étéapprochait, il fallait fairevite.Ératosthène demanda à son ami Archimède de noter, le jour du solstice, l’angle fait par l’obélisqued’Alexandrieavecsonombre.Enfin, par un matin brumeux, le navire qui transportait Torus et le savant quitta Alexandrie pourremonterleNil.Pourarriveràtemps,ilsdevaientrejoindreSyèneenmoinsdetrentejours.Aprèsqu’ilseurentdépassélesmursblancsdeMemphis,centrecommercialimportant,letraficdevintrareetleseauxduNilplusvives.Grâceàsesinstruments,Ératosthènecalculaitladistanceparcourueetlapositiondusoleil.Unjour,versmidi,ilaffirma:—Danstroisjours,ceseralesolsticed’été.—Lecalendrierl’annoncebienplustard!objectaTorus.—Monseulcalendrierestleciel.Etl’heurevraiecelledusoleil.—Nousarriveronsdemainsoir,assuralecapitaine.Ilnes’étaitpastrompé.Lemarchandjuif,quilesattendaitàSyène,lesconduisitdèslelendemaindemaisonenmaisonenleurdésignantlesnombreuxpuits.Ératosthène,Toruset lemarchand juif s’étaientaccoudéschacunàunpuitsdifférent.Dans leciel, lesoleilsemblaitmonterenprenantplusdetempsqued’habitude.Enfin,ilatteignitlezénith!Restéàportéedevoix,Torus,lepremier,cria:—Voilà!Lesrayonspénètrentdanslepuits!— Ici aussi ! hurla le marchand.Mais les rayons n’atteignent pas le fond. Ils tournent… ah, ils ontdisparu!Ératosthèneavaitconstatélemêmephénomène.—C’étaitdoncunelégende!gémitTorus,déçu.—Non,affirmaunevieillefemmevenuetirerdel’eau.Lesoleilentretoutentierdanslespuitsunefoisparan.Ceserademain,sûrement.
Lelendemain,ilsattendirentfébrilementquelesoleilmonte.Quandilarrivaauzénith,chacunavaitleregardrivévers le fonddesonpuits.Commelaveille, lesrayons léchèrent leconduit,endébusquèrentpeu à peu l’obscurité. Mais cette fois, telle une marée de lumière, ils l’illuminèrent sur toute saprofondeur!
Unmêmehurlementjaillitdetroisgorges:—Çayest!La vision fut de courte durée. Dans le fond des puits, l’eau stagnante renvoya pendant quelquessecondesunmiroiréblouissant.Cefutunmomentintense.Extrême.Inoubliable.—Cen’étaitdoncpasunelégende!murmuraÉratosthèneenseredressant,latêteenfeu.ÀSyène,ausolsticed’été,lesoleilestparfaitementàlaverticaledansleciel!— En ce moment, compléta Torus, Archimède, à Alexandrie, devrait confirmer ma mesure de l’andernier.Situasladistanceexacteentrelesdeuxvilles…—Jel’ai!ditÉratosthène.Cinqmillestadesgrecs.Lecalculestfacile,c’estunesimplerègledetrois.Uncercle a 360 degrés. Ta mesure de sept degrés et un cinquième en représente exactement lecinquantième!—Exact,confirmaTorus:7,2x50=360!—Donc,déduisitÉratosthène,si7,2représententnos5000stadesparcourus,lepérimètredelaTerreestde…cinquantefoisplus!—Impossible,bredouillaTorusenblêmissant:250000stades(21)!LaTerreseraitsivaste?C’était tout simplement terrifiant : cela signifiaitquepouraccomplir le tourduglobe, il leur faudraitcinquantefoisplusdetempsqueleurrécenttrajet.Levoyagedureraittroisannées!—Oui,ditÉratosthène.Leschiffressontformels.Ilétait, luiaussi,fortementébranléparlerésultat.Ainsi, legrandAlexandren’avaitdécouvertqu’unepetitepartiedumonde.Àl’estexistaientencoredesrégionsinexplorées!Leconquérantn’avaitparcouruqu’unsixièmedutourduglobe…
Cette nuit-là, Torus ne dormit pas. Il passa son temps à réfléchir, se plongeant tour à tour dans lescartesetlevantparfoislatêteverslalunequibaignaitdesaclartéblafardel’îleÉléphantine.Peuavantl’aube,Ératosthènesurgit.—Torus!Quefais-tuencoredebout?Vérifies-tumescalculs?—Ilssontexacts,biensûr.Troisans,c’estunsipetitmorceaudevie.—Veux-tudire…quetuenvisagesdefaireletourdelaTerre?—Oui.Sijen’yparvienspas,qu’importe!J’auraidumoinsessayé.Ératosthène voulut dissuader Torus d’entreprendre ce voyage insensé. Mais l’Égyptien était unpassionné.Etunentêté.AumomentderepartirversAlexandrie,Ératosthèneluiavoua:—Jedéploremoinstatéméritéquetafutureabsence.Tumemanqueras,Torus!Maispars.Dis-moicedonttuasbesoin.L’Égyptienrefusatouteaide.Ildésiraitallerversl’est,seul,àl’aventure,etdèsmaintenant.Ératosthènedutuserderusepourqu’ilaccepteunbaluchonetquelquespièces.Leursadieuxfurentdéchirants.DeretouràAlexandrie,ÉratosthèneseprécipitachezArchimède.Cedernierluiconfirmal’anglefaitparl’ombredel’obélisque.LebraveTorusnes’étaitpastrompé!Ératosthèneconsignaceschiffresdansunouvragequ’ilrangeadanslaGrandeBibliothèque.Ilespéraitqu’ils franchiraient le temps. Il ne suffisait pas de livrer ces calculs auxhommes, il fallait qu’ils ne lesoublient point(22). Quant à Torus, l’histoire ne dit pas ce qu’il devint. Car si elle a retenu l’exploitd’Ératosthène,ellen’apasgardélamémoiredecetétrangeetgénialÉgyptien.Jamaisilnerevint.
XIIARCHIMÈDEOUEURÊKA!
(VERS230AV.J.-C.)
—ARCHIMÈDE?Leroiestlà.—Hein?Comment?Penché sur ses calculs, Archimède parut sortir d’un rêve. Son serviteur Strabon lui désignait, sur le
seuil,leroideSyracuseentouréd’unedizainedegardes.Lesavantselevad’unbond.—Hiéron!dit-ilenluisaisissantlesmains.Quelhonneur!Etsurtoutquellesurprise!HiéronII interrogeaStrabonduregard.Leserviteurhocha la têted’unairdésolé :oui, ilavaitaverti
hiersonmaîtrede lavenueduroi ;oui, il l’avaitpriédeuxfoiscematindes’habiller.MaisArchimède,comme d’habitude, avait oublié. À peine éveillé, il s’était replongé dans ses parchemins couverts dedessinsdesphères,decubesetdecylindres…—Pardonne-moi,ditlesavantauroiens’apercevantquesesreinsétaientcouvertsd’unsimplelinge,si
j’avaissuquetuvenais…—Pasdecérémonie!réponditHiéronensouriant.Tutravaillespourmoidepuissilongtemps.Etpuis
noussommescousins!Lerois’approchapouruneaccolade–maisreculaenfronçantlenez.Archimèdedemanda:—Quemevautleplaisirdetavisitesimatinale?—Euh…ilestmidipassé,répliquaHiéron.Tuvascomprendre…Surungesteduroi,l’undesgardesposasurlatableunecouronne.Elleétaitmassive,ciselée,etsonor
brillaitdemillefeux.CebijousemblaitdémesuréenregarddupetitroyaumesurlequelrégnaitHiéron:lavilledeSyracuse,enSicile.—Magnifique!s’écriaArchimède.—Enapparence,oui,admitleroi.Ellem’ad’ailleurscoûtéunefortune.Maisjesoupçonnel’undemes
joailliersd’avoirtrichéetmélangéàl’ord’autresmétaux…del’argent.Ouautrechose.—Qu’attends-tudemoi?—Jeveuxsavoirs’iln’yaquede l’ordansmacouronne,cequi justifierait leprixque j’aipayé.C’est
simple,non?Perplexe,Archimèdesaisitl’objet.Ilétaittrèslourd.Celanesignifiaitrien.Unfaussairepouvaitavoir
mêléd’autresmétauxàl’or.Commentsavoir?Ah,s’ilavaitpufairefondrelacouronne,lemétalétrangeràl’ors’enseraitséparé!—Cequetucroissimple,Hiéron,estenfaittrèscompliqué.—Quoi?Allons,Archimède,n’as-tupasasséchélesplainesd’ÉgyptequeleNilavaitinondées(23)?Ne
m’as-tupasdéclaré«Donne-moiunpointd’appui,etjesoulèverailemonde»?C’était vrai. Grâce au levier, soulever n’importe quel poids devenait possible. Ainsi, Archimède avait
fortifiéSyracuseetaménagéleport,enéconomisantlamain-d’œuvreetlesefforts.—N’as-tupassuivilesleçonsdumathématicienEuclide?insistaleroi.N’es-tupaslefilsdel’astronome
Pheidios?N’as-tupasinventélapouliemobileetlarouedentée?Archimèdeapprouva.Leroirepritensouriant:—Iln’existeraitdoncpasderéponseàcettepetitequestion?—Ohsi!Jecroisqu’ilexisteuneréponseàtouteslesquestions.Depuis des années, Archimède observait les phénomènes physiques ; il en déduisait des lois qui
permettaientdemieuxcomprendrelemonde.—Résousceproblème,ordonnaleroi.Jeteconfiemacouronne.—Inutile,tupeuxlaremporter!—Comment?Turefusesderelevercedéfi?— Non. Mais c’est un problème théorique. J’y réfléchirai. Quand j’aurai trouvé la solution, je te
réclameraitacouronne.Leroiparti,Archimède,pensif,murmura:—Voyons…unemesured’orestpluslourdequ’unemesured’argentpuisquesadensitéestplusforte.Il
faudraitfabriquerunesecondecouronned’orpur,identique,puiscomparersonpoidsàlapremière…
Sans intérêt.Bien sûr, une telle expérience aurait résolu le problèmedu roi ;mais elle n’aurait livréaucuneloigénérale.Etc’étaitcelaqu’Archimèderecherchait!—Maître,lerepasestprêt!—Lerepas?Maisvoyons,Strabon,jen’aipasfaim!—Hier,vousaveztravaillésansmanger.Etcematin,vousn’avezencorerienavalé.Manger, dormir, s’habiller… des corvées quotidiennes qu’Archimède jugeait inutiles ! Il huma l’air
ambiant.Qu’avait-oncuisiné?—Bizarre,grommela-t-il.Cetteodeur…c’esttrèsdésagréable!Serait-celamarée,Strabon?—Cetteodeur,maître,jecroisquec’estvousquiladégagez!—Quedis-tu?Stupéfait,Archimèdesepenchaverssespiedsnus,soulevasesbras,renifla…etmanquasuffoquer.—Quellehorreur!Maistuasraison:jepuehorriblement!—Vousn’êtespasalléauxbainsdepuisunmois,Maître.Quandj’insistepourvousyemmener,vousme
disputez.—C’estintenable!Archimèdesereniflaitdepartout,épouvantéparl’odeurqu’ildégageait.—Strabon!Vite,nousallonsauxbains!—MaisMaître,lerepas…—Plustard.Jenepourraimangerentouréd’unetellepestilence!Résigné,StrabonconduisitArchimèdeàtraverslesruesdelaville.Lesavantétaittoujoursaccompagné.
Sinon,illuiarrivaitderesterassisoudeboutaumêmeendroit,songeur,touteunejournée.Oudeneplussavoircommentreveniràsonlogis!Àcetteheuredel’après-midi,Syracuseétaitdéserte.Unefouleconsidérablesepressaitauxbains.Très
fréquentésenGrèceetdanssescolonies, ilsétaientdes lieuxderéunionappréciés.Lescitadinsaisésydébattaientphilosophieoupolitique.Envoyant(etsurtoutensentant)Archimèdevenirdeloin,legérantluioctroyaunbassinoùlesavant
pourraitbarboterseulsansincommoderquiconque.Strabon s’apprêtait à laver et à frotter sonmaîtrequi,pour l’instant,debout, restait surtoutplongé…
danssesréflexions.—Maître,insistapolimentleserviteurenluitendantlamain.Ilesttempsquevousvouslaviez…Lesavant,pensif,entraenfinjusqu’àlaceinturedanslabaignoirequiétaitpleineàrasbord.Ducoup,
l’eaudébordaetruisselasurlecarrelage.Ilmurmura:—Tiens…unepetitepierrepesantmonpoidsauraittrèsvitecoulépuisquesadensitéestsupérieureà
celledemoncorps!Àdemiimmergé,ilnotaaussiquesonpoidssemblaitdiminuer.—Maître,vousallezbien?Euh…vouspouvezvousinstaller!Archimèdes’exécuta.NonpaspourobéiràStrabon,maispourvérifierlathéoriequ’ilélaborait.Ilentra
dansl’eaujusqu’aucouetfitdéborderunegrandequantitéd’eau.Ilmarmotta:—Etunepierrequiauraitmonpoidsauraitdéplacébeaucoupmoinsd’eau…Soudain,touts’éclairadanssonesprit:—Maisoui!Ladensitédel’argentétantinférieureàcelledel’or,levolumedéplacéparunecouronne
enalliageseraplusgrandquepourunecouronneenorpur!Nonseulementilavaitrésoluleproblème,maisilavaiténoncéuneloi(24).Foudejoie,ilbondithorsdelabaignoireenhurlant:—Eurêka!Eurêka(25)!—Maître!Non…attendez!Strabonsaisit laservietteets’élançaàlapoursuitedesonmaître.Enthousiasméparsadécouverte, le
savants’étaitprécipitéhorsdesbains.Àprésent,nucommeunver,ilcouraitdanslesruesdeSyracuse,impatientd’allerporterlabonnenouvelleauroi.L’incidentfitletourdelaville.Archimèdeétaitdéjàcélèbre.Cetteanecdotelerenditpopulaire.Dans les jours qui suivirent, on fondit une masse d’or d’un poids égal à celui de la couronne ; on
immergea les deux objets tour à tour dans un récipient rempli à ras bord.Onpesa avec soin les deuxquantitésd’eaurecueillies.Ellesn’étaientpaségales!L’orfèvreindélicatfutpuni.EtArchimèderécompensé.—Ah,chercousin!ditlesouverainravi.Commentteremercier?—Oh,jelesais!s’écrialesavant.Àmamort,jesouhaiteraisquesoitsculptéesurmontombeaucette
figuregéométrique…Ildésigna,sursatable,uncylindreenfermantunesphère.—Étrangedemandeenvérité!s’étonnalesouverain.Etpourquoi?—L’andernier,j’aidécouvertlerapportentrelevolumedelasphèreetceluiducylindrequilacontient.
Ilestexactementdedeuxtiers!—Soit.Jedonneraidesordres.Ilenserafaitselontavolonté.
Archimède n’était pas si vieux. Il serait encore très utile à sa patrie. Quand, plus tard, les RomainsenvahirentlaSicile,lavillefitappelàlui.—Archimède…noussommesperdus!LesnaviresdeMarcellusapprochentdeSyracuse.Ilsentreront
demaindansleport!Lesavantlesrassura:—L’envahisseurn’imaginepaslestoursquenousallonsluijouer…Eneffet,quand lesnaviresapprochèrent, ils furentaccueillisparunepluied’énormespierres : ayant
misleprincipedulevierauservicedelaguerre,lesavantavaitfaitconstruiredegigantesquescatapultes!Maissoninventionlaplussurprenantefutcelledesmiroirsardentsquelessoldats,surlesrempartsdu
port,braquèrentsurlesnaviresennemisquistationnaientdésormaisaularge:concentrantlesrayonsdusoleil,ilsmettaientlefeuauxbateauxromains!Stupéfait, le consul Marcellus voulait rencontrer celui qui faisait preuve d’une telle ingéniosité. Il
ordonnaàsessoldats:—IlmefautArchimèdevivant!Nuldoutequ’avecuntelgénie,Romedeviendraitlamaîtressedumonde…Marcellusdemandadesrenforts.Lesiègedelavilleduratroisans!Unmatin, les Romains investirent enfin le port et prirent possession des rues. Ce jour-là, toujours
accompagnédesonfidèleserviteur,Archimèdeétaitsurlaplage,occupéàtracerdesfiguresgéométriquessurlesable.Avisantlesdeuxhommes,unsoldatbondit,leglaiveenavant.LebraveStrabon,quivouluts’interposer,futtuéavantd’avoirpuavertirsonmaître!Impressionnéparcevieilhommepensifetaccroupi,lesoldatluiordonna:—Lève-toi!Tuesmonprisonnier!Àsoixante-quinzeans,Archimèden’entendaitplustrèsbien.Etsurtout,ilétaittoujoursaussidistrait.
Sansreleverlatête,ilrépondit:—Uninstant!J’achèvemoncalcul…Lesoldatcrutquecetinconnusemoquaitdelui.—N’entends-tupascequejedis?Suis-moi,c’estunordre!Archimède,têtu,n’obéitpas.Lesoldatletransperça.Ainsi,Archimèdemourutsanscomprendrecequiluiarrivait…Misaucourantdudrame,Marcellusentradansunegrandecolère. Il fitmettreàmort le soldat trop
impétueux.—Misérable!Tuasassassinéleplusgrandmathématiciendetouslestemps!Marcellus exigea qu’on rendît à Archimède les honneurs qui lui étaient dus. Il lui fit des funérailles
grandioses.Vaincueetoccupée,laSiciledevintuneprovinceromaine.
Deuxsiècless’étaientécoulés.De grands hommes voulurent se recueillir sur la tombe de leur illustre prédécesseur.Hélas, dans le
désordrequiavaitsuivilesiègedeSyracuse,latombed’Archimèdeavaitétéoubliéeoudétruite:nulnesavaitplusoùellesetrouvait!Jusqu’aujouroù,soixante-quinzeansavantlanaissancedeJésus-Christ,uncertainCicéron(26)vintassurersaquestureenSicile…EnsepromenantsurlescollinesquidominentSyracuse,ileutlabonneidéedesuivreunsentiertracé
parunsanglier.Sonparcoursleconduisitdansuneforêtd’épineux.Etlà,iltombasoudainenarrêtfaceàunédificeenmarbreblancenvahidebroussailles…Lecœurbattant,ildégagealemonument.Àsonsommettrônaituneétrangefiguregéométrique:une
sphèreentourantuncylindre!Etàsabase,engrec,étaitgravélenomduplusgrandsavantdel’Antiquité.Cicéronavaitretrouvéletombeaud’Archimède.
POSTFACE
DANSlesContesetLégendesdeshérosdelamythologie,jeprécisaisqu’unhérosest«lefruitdel’uniond’undieuetd’un(e)humain(e)».Quandilnes’agitplusdemythologiemaisd’Histoire,quiméritealorslequalificatifdehéros?«Unepersonneexemplaireparsabravoure,sesexploits,outouthommedignedegloireparsondévouementtotalàunecause,uneœuvre»,affirmeleRobert…quioubliequ’unefemmepeutêtreunehéroïne!Or,silaGrèceestlepaysoùsesontillustrésdeglorieuxguerrierscommeLéonidasouAlexandre,c’est
surtoutlanationquiadonnélesplusgrandsphilosophesetscientifiquesdel’Antiquité!D’entrée, je dus faire face à deux difficultés : d’abord choisir douze « héros » parmi… trente ou
quarante ! Et surtout, relater de façon attrayante de vraies données historiques au moyen d’unvocabulaire rigoureux. Hélas, à chaque ligne, il aurait fallu définir les termes de « barbare »,d’«académie»,d’«assemblée»,d’«ecclésia»…ExpliquerlarivalitédeSparteetd’Athènes.Préciserlestatutducitoyen…aurisquedenoyerlelecteurdansmillejustificationsounotes!Or,jevoulaisdeshistoiresvivantes,accessiblesàtous.Deuxcartesetunglossairedétaillépermettront
aulecteurexigeantd’affinersesconnaissancesetdetisserdesliensentreleslieuxetlespersonnagesdecesdouzerécits–voireavecsonmanueld’Histoire!
HOMÈRE, l’auteur présuméde l’Iliade etde l’Odyssée, a-t-il existé ?M’écartant de la contestableVied’HomèreattribuéeàHérodote,j’aipréféré,pourfairelelienaveclamythologie,évoquerl’hypothèsepassiinvraisemblabled’un«Homèremultiple»!PourlabatailledeMARATHON,j’aicédéàlalégende(crééevers180ap.J.-C.parLuciendeSamosate)
dufameuxenvoyéquiauraitcourud’unetraitejusqu’àAthènes.QuantàlabatailledesThermopyles,elleestconformeàcequel’histoirenousenalivré.Vers466avantJésus-Christ,unaérolitheabel etbienpercuté le solprèsdu fleuveAigosPotamos !
Sachant qu’ANAXAGORE vivait à la même époque et qu’il avait émis d’audacieuses hypothèsesastronomiques, j’ai imaginéqu’ilavaitpuobserver lephénomène.CommeSocrateapuêtre l’undesesélèves, la tentation était forte d’imaginer que les théories du savant avaient pu influencer le futurphilosophe…Enconsultantlacarte,jefusstupéfaitdeconstaterqu’AigosPotamossetrouvaittoutprèsdeLampsaque,lavilleoùAnaxagores’exiladansladeuxièmepartiedesavie!Ainsi,envoulantrassemblerplusieursfaitsdefaçonarbitraire,j’étaispeut-êtreentraindereconstituerunescènequis’étaitréellementproduite!CommentrésumerlesiècledePériclès,l’âged’ordelaGrèce?PourquoipasavecAspasie,seulehéroïne
durecueil?Sonfameuxcénaclemepermettaitd’introduireetdeprésenterlesplusgrandscréateursdeson temps, qui furent souvent ses hôtes. Son statut d’étrangère rejetée par les Athéniensme semblaitactuelet…édifiant.La vie de SOCRATE fut lisse, discrète. Le seul épisode marquant restait son procès, que j’ai préféré
observerparlebiaisdePlaton.Phédond’Élie,philosophediscipledeSocrate,etlecompositeurÉricSatie(quicomposal’opéraLaMortdeSocrate)mepardonnerontquelqueslibertésetdialoguespeuconformesàuneaudiencequi,danslaréalité,futmoinssimplisteoulapidaire.Monambitionétaitsurtoutd’illustrerlaméthodephilosophiquedeSocrateetderendrelemythedelacaverneaccessibleàdejeuneslecteurs!QuantàDIOGÈNE,lamodernitédesapensée,sesprovocationsenfont,selonmoi,unphilosophequin’a
rienperdudesonactualité.AvecDÉMOSTHÈNE,jevoulaisillustrerl’importanceetlaforcedel’usagedelaparolechezlesGrecs.L’immenseARISTOTEeutunevielongue,tourmentée,presqueentièrementvouéeàl’étude.Sonsortde
perpétuelexilém’apermisdefairelelien,lorsdesonretourdanssapatrie,avecceluidontilassuralafinde l’éducation : le futur Alexandre le Grand. Au lieu de relater les conquêtes de ce dernier (elles fontl’objetdebiographiesdétaillées), j’aipréféré,pouréclairersavie,condenser les faitsenunesoirée–etutiliser comme témoin Callisthène, le neveu d’Aristote, qui fut son historiographe, son compagnon derouteet…l’unedesesvictimes.Sait-onqu’ÉRATOSTHÈNE,convaincudelarotonditédelaTerre,enmesuralepérimètreavecuneinfime
marged’erreurilya…vingt-deuxsièclesetdemi?Àmesyeuxd’auteursoucieuxderéconciliersciencesetlittérature,cetastucieuxexploitméritaitd’êtrerelatéparlemenu.Soncomplice,l’ÉgyptienTorus,aétéinventépourlesbesoinsdurécit.
PourARCHIMÈDE,j’aicédéaumytheenconcentrantl’action.Carsilesavantdécouvrit(danssonbain,en effet !) la solution du problème que lui posa Hiéron, il lui fallut des années pour énoncer la loicomplexequiendécoule.Enfin,àceuxquim’accuseraientd’unmanquederigueur,jerépondrais:danscesrécits,rienn’esten
désaccord avec l’Histoire ; les lettrés retrouveront dans la bouche de mes héros leurs paroles restéescélèbres–jusqu’auxtermesdelalettrequ’envoyaPhilippeIIàAristote!Enfin,jeleurrétorqueraisqueleshéros,pourperdurerdanslamémoirecollective,réclamenteuxaussidesmythes.Aprèstout,Marathonapeut-êtrebesoindesoncoureurolympique,Archimèdedesabaignoire,Diogène
desontonneau…etdesalanterne!
GLOSSAIRE
Académie:écolephilosophiquecrééeparPlatonen387av.J.-C.Achille:hérosmythiquedel’Iliade.IlpéritlorsdusiègedeTroie.Acropole : citadelle dominant Athènes, où l’architecte Phidias édifia plusieurs monuments à la
demandedePériclès.Aède:poètedelaGrèceantique,quidéclamaitlestextesenchantant.Afghans:habitantsd’unerégiondel’Asiecentrale,entrel’IndeetlaPerse.Agora:centrereligieuxetcommercialdelacité;maisaussilieuderéuniondel’Assemblée.AigosPotamos:fleuvedelaChéronèsedeThracesejetantdansl’Hellespont.Alcibiade(-450/-405):généralethommepolitiquegrec,élevéparsononclePériclès.Élèvefavoride
Socrate.Personnageambiguetscandaleux,ileutuneviemouvementée.AlexandreIII(-356/-323) :dit leGrandouleConquérant.FilsdePhilippeIIdeMacédoine,élève
d’Aristote;ilsoumitAthèneset,entourédegénéraux,entrepritlaconquêtedetoutel’Asie.Alexandrie:villed’ÉgyptefondéeparAlexandresurledeltaduNil;centrecommercialetculturel.Ammon:dieuoriental.Anaxagore (-500/-428) : philosophe et mathématicien. Il ouvrit à Athènes la première école de
philosophieetyenseignapendanttrenteans,avantquesesopinionsetthéoriesscientifiquesn’entraînentsonexil.Anaximandre(-610/-546):philosophe,savantetcartographegrec.Anaxos:personnageimaginairequiguidel’aèdeaveugledanslerécit«Homère».Antigone : personnage mythique, fille d’Œdipe et de Jocaste. Sa légende inspira une tragédie à
Sophocle(en442av.J.-C.).Antisthène(-440/-370):élèvedeSocrate,ildevintunphilosopheprécurseurdel’écolecynique.Anytos:devenuhommepolitiqueathénien,ilfutl’undestroisaccusateursdeSocrate.Aphorus:l’undescousinsdupèredeDémosthène.Futchargédegérer(cequ’ilfitfortmal)lesbiens
etl’éducationdufuturorateur.Archimède (-287/-212) : le plus génial des mathématiciens grecs. Inventeur. Fils de l’astronome
Pheidios,ilfréquentadessavants,vécutàAlexandrieetrevintàSyracuse,savillenatale,oùilsemitauserviceduroiHiéronII.Argolide:régiondelaGrèceaunordduPéloponnèse.Aristophane(-450/-386) :auteurcomiquegrec.Polémiste, ilétait l’ennemideladémagogie,dela
violenceetdeladictature.Aristote(-384/-322):discipledePlaton.Curieuxdetout,grandnaturaliste,soucieuxd’embrasserle
savoirhumain, il fut lepremier encyclopédiste et lepèrede la logique,de laphysiqueetde lamorale.Surnommé«leprincedesphilosophes».Armilles équatoriales : dispositif ingénieux mis au point par Ératosthène pour mesurer avec
précisionlavaleurd’unangle.ArtaxerxèsIII(régnade-358à-338) : roidePerse.Fit tuerses frèrespouraccéderaupouvoir.
Reconquitl’Égypte,laPhénicieetChypre.AlexandreleGrandépousal’unedesesfilles.Arthias:nom(imaginaire)d’undesdeuxespionsgrecsenvoyéschezlesPerses,etrenvoyésparDarius
àAthènes.Aspasie : femmecélèbrepar sabeauté, sonesprit, soncénacleet l’influencequ’elleeut surPériclès,
qu’elleneputépouser.Assemblée : ou ecclésia (qui discute et vote les propositions de loi). Elle réunissait les citoyens
d’Athènesquiyélisaientdixstratèges.Là,ontiraitausortlesmembresdelaBouléetdel’Héliée.Assos:villedeMysie,surlaquellerégnaitHermias.Assyriens:habitantsd’Assyrie,enHaute-Mésopotamie.Atarnée:villedeMysie,surlaquellerégnaitHermias.Athènes:principalecitédelaGrèceantique.Seulsseshabitantsavaientdroitaustatutdecitoyen.Sa
rivaleétaitSparte.Athos:montagnedeGrèce,enMacédoine.Atlas:danslamythologie,géantcondamnéàporterlavoûteducielsursesépaules.Atrée:dansl’Iliaded’Homère,roilégendairedelavilledeMycènes.Babylone:villedeMésopotamiesurlefleuveEuphrate.
Bactriane:régiond’Asiecentraleprochedel’Afghanistanactuel.Barbare:chezlesGrecs,termedésignantunétranger.Bessus : satrape qui trahit et assassina Darius, le roi de Perse, en espérant être récompensé par
AlexandreleGrand.Bucéphale : cheval favori d’Alexandre qui le suivit dans ses conquêtes et mourut en 326 av. J.-C.
Alexandreédifia,surlelieudesamort,lavilledeBucéphalie.Bulos:nom(imaginaire)d’undesdeuxespionsgrecsenvoyéschezlesPerses,etrenvoyésparDariusà
Athènes.Calaurie:îlegrecquesurlacôtedel’Argolide.Callimachos:undesgénérauxqui,avecMiltiade,partageaitlecommandementlorsdelabataillede
Marathon.Callisthène(-360/-327) :neveud’Aristote.GranditetfutélevéavecAlexandreleGrandqu’ilsuivit
danssesconquêtesetdontildevintl’historiographe.AuteurdurécitL’Expéditiond’Alexandre.Callistrate : orateur athénien, maître de Démosthène, farouche défenseur des intérêts d’Athènes.
Condamné,acquitté,ànouveaucondamné,exilé,ilfutexécutéen355av.J.-C.Cénacle:ensembledepersonnesregroupéespourdébattredepassionsoud’activitéscommunes.Céramique : quartier d’Athènes devant son nom aux anciens ateliers de poterie. Le Céramique
extérieurs’étendaitjusqu’auxjardinsdel’Académie.Chabrias(-392/-357):généralathénien,adversaired’Agésilasetd’Épaminondas.ChampsÉlysées:danslamythologie,séjourdesâmesetdeshommesvertueux.Charon :dans lamythologie, ce« filsde lanuit»devait faire traverser lesmaraisde l’Achéronaux
défunts;ilréclamaitenpaiementunepièceplacéedanslaboucheducadavre.Chéronée:villedeBéotie;PhilippeIIdeMacédoineyvainquitlesGrecs(AthènesetThèbesalliées)
en338av.J.-C.Chios:îlegrecquequidevintlesiègedelaconfrériedesHomérides.Chryséléphantin:quiestfaitd’oretd’ivoire.Cicéron(-106/-43):hommepolitiqueetorateurromain,célèbrepoursesplaidoiriesetsesessaisde
philosophiepolitique.Cléobule:nomdelamèredeDémosthèneetnomprobabledesasœur.Clitos (ouClitus) : généralmacédonien de l’armée d’Alexandre. Il lui sauva la vie à la bataille du
Graniquemaisfutexécutéparsonsupérieurlorsd’unbanqueten328av.J.-C.Cnémides:jambièresdemétalqueportaientleshoplites.Colonnes d’Hercule : aujourd’hui, le détroit de Gibraltar, qui sépare la Méditerranée de l’océan
Atlantique.Corinthe:portdeGrèce.Cranium:àCorinthe,lieuoùs’entraînaientlesathlètes.Cratès:richeAthénienquiseconvertitàlaphilosophiecynique.Crète:l’unedesplusgrandesîlesdeGrèceentrelamerÉgéeetlamerdeLibye.Criton:discipleetamideSocratequivoulutl’aideràfuir.Cyclades:enGrèce,groupede24îlesdelamerÉgée.Cyrène:villenataled’Ératosthène,enLibye.Darius(ouDarios) :nomdonnéàplusieursroisperses.DariusIer(522–486av.J.-C.)futbattuà
Marathon par les Athéniens.Darius III, qui régna de 336 à 330 av. J.-C., fut vaincu par Alexandre etassassinéparsessatrapes.Décade:périodededixjours.Délos:îlegrecque,lapluspetitedesCyclades.Lieureligieux.Delphes : villedePhocide, enGrèce.Làofficiait la fameusePythiequi effectuaitdesprédictionsou
«oracles».Démocratie : système de gouvernement dans lequel le peuple (directement ou grâce à ses
représentants)exercesasouveraineté.Démon:espritougénie,bonoumauvais,quiprésideàladestinéedeshommes.Démophon : l’undes cousinsdupèredeDémosthène.Fut chargédegérer (cequ’il fit fortmal) les
biensetl’éducationdufuturorateur.Démosthène(-385/-322):hommepolitiqueathénien;leplusgranddesorateursgrecs.Diogène(-413/-327):philosophegrecdel’écolecynique.Drachme:monnaiegrecque.Ecclésia:assembléedupeuple(réservéeauxseulscitoyensathéniens).Égée:partiedelamerMéditerranéeentrelaGrèce,laCrèteetl’AsieMineure.Égine:petiteîledeMéditerranée.Égypte:paysd’AfriqueduNordlongtempssousladominationperse,dontilfutlibéréen362av.J.-C.
parAlexandreleGrand.Éléphantine(île):petiteîlesurleNil,nonloind’Assouan.Éphèbe:jeunehommede18ansentrantdansle«collègedel’Éphébie»pouryrecevoiruneéducation
(militaireetcivique)appropriéeàsonrôlefuturdecitoyen.Parextension,jeuneetbeaugarçon.Ératosthène(-273/-192) : astronome, géographe,mathématicien et philosophe grec. Il inventa le
crible,lemésolabeetlesarmilles.Éristhène:nom(imaginaire)del’admirateurdel’aède,danslerécit«Homère».Eschine(-390/-314) :orateurathénienpartisandelapaixavecPhilippedeMacédoine;s’opposaà
Démosthène.Eschyle(-525/-456):poètegrecconsidérécommelefondateurdelatragédiegrecque.Eubulide : philosophegrecdu IVe siècle av. J.-C.,né àMilet. Il s’opposaàAristote et affirmaitque
l’expérienceestsourced’erreur.Euclide : mathématicien grec du IIIe siècle av. J.-C. Fondateur de l’école de mathématique
d’Alexandrie.Eurêka :mot grec signifiant : « J’ai trouvé ». Expression devenue célèbre depuis qu’Archimède la
prononçaensortantdesabaignoire.Euripide(-480/-406):poètetragiquegrec.AmideSocrate.Gédrosie:aujourd’hui,l’Afghanistan.Granique:fleuved’AsieMineure,AlexandreleGrandyvainquitlesgénérauxdeDariusIIIen334av.
J.-C.Grèce:entrelamerÉgéeetlamerIonienne,extrémitédelapéninsuledesBalkans.L’undesberceaux
de la civilisation occidentale où certaines villes (comme Athènes, Sparte, Thèbes) étaient tour à touralliéesetrivales.Gylon:grand-pèredeDémosthène.Ondénonçasafortuneainsiquesamésalliance,carilavaitépousé
uneThrace.Gymnase : outre sa fonction de salle d’entraînement, le gymnase (ou palestre) servait de lieu de
réunionetd’enseignement.C’étaitunesorted’académie.Gynon:nom(imaginaire)d’unancienesclaveaffranchi,amidePhilippidès,àMarathon.Hannon :navigateurcarthaginoisqui,en470av.J.-C.,effectuaunvoyaged’explorationau-delàdes
Colonnesd’Hercule.Ildécouvritles«îlesfortunées»(lesCanaries).Héliée:tribunalpopulaire.Hellespont:aujourd’hui,ledétroitdesDardanellesquirelielamerÉgéeàlamerdeMarmara.Hémicycle:salledemi-circulairesouventmuniedegradins.Héphastion(ouHéphestion):généraldel’arméed’Alexandre.Amiintimeetfavoriduconquérant.
IlluidonnacommeépouseunedesfillesdeDarius.Àsamort,en324av.J.-C.,Alexandreluifitrendredeshonneursdivins.Héraklès:nomgrecd’Hercule.Lepluscélèbredeshérosdelamythologie.Hercule:voirHéraklès.Hermias:roid’Atarnée,esclaveaffranchi.Hérodote(vers-484/-425):lepluscélèbredeshistoriensgrecs.Hétaïre:courtisane,leplussouventdehautrangetdebonneinstruction.Hicésias:nomdupèredeDiogène,banquiercorrompu.HiéronII:(-270/-216):roi(outyran)deSyracuse,enSicile.Ilfutunprincebonetéclairé.Hippodamos:philosopheetarchitectegrecduVesiècleav.J.-C.IlcontribuaàrénoverAthènesetà
élargirlesrues.Homère:poètegrecpeut-êtremythique,etqu’ondisaitaveugle.Plusieursvillesgrecquesprétendent
êtresonlieudenaissance.Onluiattribuel’Iliadeetl’Odyssée.Homéride:poètequichantaitlespoèmesd’Homère.Hoplite:fantassingrecpesammentarmé:casque,cuirasse,bouclierronddebronze,jambièresdefer,
lanceetépée.Hothonon:nom(imaginaire)d’unaède,danslerécit«Homère».Iliade : épopée grecque attribuée àHomère, composée de 15 537 vers et divisée en 24 « chants ».
L’Odysséeluifaitsuite.Ilion:nomgrec(àl’originedel’Iliade)delavilledeTroie.Inde : pays qui fut d’abord envahi par les Perses avant d’être atteint et occupé par les troupes
d’AlexandreleGrand,vers325av.J.-C.Indien:habitantdel’Inde.Ios:îlegrecquedelamerÉgée.Homère(dontlamèreenauraitétéoriginaire)yseraitmort.Isée:orateurgrec,maîtrederhétoriqueetavocat.IlauraitforméDémosthène.Isocrate(-436/-338):auditeurdeSocrate,adversairedeDémosthène.VoulaitunirlaMacédoineàla
Grècepourluttercontrel’invasionperse.Lampsaque:villed’AsieMineure,enMysie.Léonidas :roideSpartequi,auxThermopyles,sesacrifiaavecsestroiscentshoplitesspartiates(en
480av.J.-C.).LePirée:portd’Athènes.Lesbos(aujourd’huiMytilène):îlegrecquedelamerÉgée.
Libye:paysd’AfriqueduNord.Lycabette:collineproched’Athènes.Lycon:orateurathénien;l’undestroisaccusateursdeSocrate.Macédoine : région de la Grèce. Son roi, Philippe II, le père d’Alexandre le Grand, commença à
conquérirleszonesvoisines.Manès:nomdel’esclavedeDiogènequilequittadèslapremièrenuitdesonexil.Marakanda(aujourd’huiSamarkandouSamarcande) :villede l’Ouzbékistanactuel.Capitale
deSogdiane,ellefutconquiseparAlexandreleGranden329av.J.-C.Marathon :plaineetvilledeGrècesituéeà40kmaunord-estd’Athènes.Premièrevictoiregrecque
surlesPerses,en490av.J.-C.Marcellus(vers-268/-208):généraletconsulromainquienvahitlaSicileen212av.J.-C.Médée :personnagedelamythologie.Cettemagicienne,amoureusedeJason,l’aidaàvolerlatoison
d’or.Puis,rejetée,elletuapoursevengerlesenfantsqu’elleavaiteusdelui.Médie:nomactueldel’Iranactuel.Mèdikès:nom(imaginaire)d’unaède,danslerécit«Homère».Méditerranée:vastemerintérieurecompriseentrel’Europe,l’Asieetl’Afrique.Mégare:villedeGrèce,enAttique,surl’isthmedeCorinthe.Mélétos:poètegrec;l’undestroisaccusateursdeSocrate.Memphis:anciennevilled’ÉgyptesurlarivegaucheduNil.Mésopotamie:vasterégionduMoyen-OriententreleTigreetl’Euphrate.Milet:villed’AsieMineure.Patried’Aspasie.Miltiade(-540/-489) :stratègeathénien.Remporta lavictoiredeMarathonsurDarius(en490av.
J.-C.).Mysie : ancienne région d’Asie Mineure. Villes principales : Pergame et Lampsaque. Fleuve : le
Granique.Mytilène:portprincipaldel’îledeLesbos,enGrèce.Nil:lepluslongfleuvedumonde.EnÉgypte,sejettedanslaMéditerranéeaunordduCaireaumoyen
d’unvastedelta.Nubie:régiondésertiquedel’Afrique,longéeparleNil.Obole:petitemonnaieathénienne.Odyssée:épopéegrecqueen24chants(12109vers)attribuée,commel’Iliade,àHomère.ŒdipeRoi:pièceécriteen430av.J.-C.parSophocle,illustrantledestind’Œdipe,condamnéparun
oracleàtuersonpèreetàépousersamère.Oligarchie :modedegouvernementoù,contrairementàladémocratie, l’autoritéestentrelesmains
depeudepersonnes.Olympe:montagnedeGrèce.Danslamythologie,séjourhabitueldesdieux–lepalaisdeZeusestà
sonsommet.Olympias:épousedePhilippeIIdeMacédoineetmèred’AlexandreleGrand.Olympien(l’):surnomdonnéàPériclès.Palestine:régionduProche-Orientdontlesfrontièresvarièrentaucoursdel’histoire.Paralos:fils(légitime)dePériclès.Parménion:généralmacédonien,lieutenantdePhilippeIIpuisd’AlexandreleGrand.Impliquédans
uncomplot,ilfutmisàmortvers330av.J.-C.Parthénon : monument le plus prestigieux de l’Acropole d’Athènes, consacré à la déesse Athéna.
Construitparl’architectePhidias.Pausanias:plusieurspersonnagesdel’Antiquitéportentcenom:ungénéralSpartiatecommandant
del’arméegrecquequiremportalavictoiredePlatéescontrelesPerses(479av.J.-C.);unécrivaingrecduIIesiècleavantJ.-C.;l’assassinprésumédePhilippeIIdeMacédoine(voir,danscerecueil,lerécitsurAlexandreleGrand).Pélée:roilégendairedesMyrmidons,personnagedel’Iliade.Péloponnèse:presqu’îledelaGrèce.Pénélope :dansl’Odysséed’Homère, femmed’Ulysse.Symbolede lafidélitéconjugale,elleattendra
vingtansleretourdesonmari.Périclès(-495/-429) :hommepolitiqueathénien,chefdupartidémocratique.Lapuissancedeson
discoursluivalutlesurnomd’Olympien.SonmaîtreàpenserfutAnaxagore.Perse:dansl’Antiquité,vastepaysdel’IndusàlaMéditerranée.Phalange : infanterie grecque. En Macédoine, bataillon de 8 000 hommes armés de lances et de
boucliers.Parextension,touteespècedetroupe.Phédon:l’undesplusfidèlesdisciplesdeSocrate.LephédonestaussilenomquedonnaPlatonàl’un
desesouvragesdanslequelilretracelesderniersmomentsduphilosophe.Phéïdios:astronome,pèred’Archimède.Phénicien:habitantdelaPhénicie.LesPhéniciensétaientréputéspourleurmaîtrisedesmers.Phidias(-490/-430):sculpteurathénien,représentantleplusillustredel’artclassiquegrec.
PhilippeIIdeMacédoine(-382/-336):roideMacédoine,ilentrepritdedominerlaGrèceetluttacontrelesPerses.SesprojetsfurentréalisésparsonfilsAlexandreleGrand.Philippidès:nom(supposé)duhoplitequiaccomplitleparcoursMarathon-Athènesaprèslavictoire
desGrecs,en490av.J.-C.Philippiques:nomdonnéauxharanguesdeDémosthènecontrePhilippedeMacédoine.Philotas:généralmacédonienqu’Alexandreaccusadetrahison.Pirée(Le):voirLePirée.Platées:villedeGrèce,enBéotie.VictoiregrecquedePausaniascontrel’arméeperseen479av.J.-C.Platon(-428/-348):leplusgrandphilosophegrec,élèvedeSocrate,fondateurdel’Académie.Pnyx:collineprèsdel’Acropoleoùseréunissaitl’ecclésiadepuislafinduVIesiècleav.J.-C.Pont-Euxin:aujourd’hui,lamerNoire.Poséidon:enGrèce,dieudesmersetdeseaux.Priam:personnagedel’Iliade;roideTroie.Protagoras(vers-486/-420?):philosophegrecamid’EuclideetdePériclès.Ptolémée:dynastiederoiségyptiens.PtoléméeIIIÉvergète(-288?/-221) :dit« leBienfaiteur».Maîtrede touteunepartiede l’Asie
occidentale.Pythagore(-570/-480):philosopheetmathématiciengrec.Onluidoitlatabledemultiplicationetle
systèmedécimal.Pythias:sœurdelaitet/oufilleadoptived’Hermias,roid’Atarnée.Pythie:prêtressed’Apollonchargée,àDelphes,detransmettrelesoraclesdudieu.Questure : chez les Romains, charge d’une durée limitée pour l’administration d’un pays ou d’une
région.Rékérion:nom(imaginaire)d’undesaèdes,danslerécit«Homère».Rhéteur:orateurou«personneenseignantl’éloquence»,c’est-à-direl’artdebiens’exprimer.Roxane:filledusatrapepersedeBactriane,premièreépoused’AlexandreleGrand.Futassassinéeen
310ouen311av.J.-C.Saces:peupladenomaded’Asiecentrale.Salamine:îledeGrèce.UltimevictoiredesGrecssurlesPersesle27/28septembre480av.J.-C.Sapho(ouSappho):poétessegrecqueduVIIeetVIesièclesav.J.-C.Animauneconfrériedejeunes
fillesnoblesoùl’onétudiaitlapoésie,lamusiqueetladanse.Satrape:chezlesPerses,titredonnéaugouverneurd’uneprovince.Scythes:peupled’origineperse.Sicile:grandeîledelaMéditerranée.Sinope:portactueldeTurquie,surlamerNoire.PatriedeDiogène.Socrate(-470/-399):philosophegrec.Ilpassaitsontempsàdiscuterdanslesruespourypropager
sesidéesetsapensée(foidanslaraisonhumaine),quePlatonrestituadanssesécritsdialogués.Sophocle(-496/-406):grandpoètetragiquegrec,auteurd’Antigoneetd’Électre.Souânit:enégyptien,lavilledeSyène.Sparte:villegrecqueduPéloponnèse(detraditionguerrière),longtempsrivaled’Athènes.Spartiate:habitantdeSparteet,parextension,soldatcombattantoriginairedecettecité.Stagire:villedeMacédoine,patried’Aristote.Statire:filledeDariusIII,autreépoused’Alexandre.Strabon:(personnageimaginaire),serviteurd’Archimède.Stratège:enGrèce,généralenchef.Strategosautokrator:expressiongrecque.DignitésuprêmeaccordéeàPériclès.Syène(ou,enégyptien,Souânit):villebordéeparleNil.Aujourd’huiAssouan,oùfutconstruitun
grandbarrageen1970.Syracuse:villeetportdeSicile.Syrie:paysd’AsielongtempsoccupéparlesPersesjusqu’àlaconquêted’AlexandreleGrand.Thargélie:personnagepeut-êtrefictif.Amied’Aspasiequil’accompagnadeMiletàAthènes.Thèbes:villedeHaute-Égypte,anciennecapitaledel’Empireégyptien.Thémistocle (-525/-460) : homme d’État athénien doué de clairvoyance politique et d’une
remarquableéloquence.Thérippide:amidupèredeDémosthène,chargédel’éducationdesesenfantsetdelagestiondesa
fortune.Thermopyles:aujourd’hui,cedéfilé(aunordduPéloponnèse)esttrèslargeenraisondesalluvions
quis’ysontdéverséesdepuis2500ans.En480av.J.-C.,ilétait,endeuxendroits,larged’unevingtainedemètres.Thucydide (vers -460/-400 ?) : historien grec, le plus illustre du monde antique. Il fut
probablementl’élèved’Anaxagore.Timothée :généralathéniencélèbrepoursaprudenceetsamodération.MourutenexilàLesbosen
354av.J.-C.
Torus:personnageégyptien(imaginaire)accompagnantÉratosthènedanssonexpédition.Trachis:petitecitégrecqueprochedudéfilédesThermopyles.Trière:galèrerapideàtroisrangsderames.Troie:autrenomdelavilled’Ilion.Le«siègedeTroie»estaucœurdurécithomériquedel’Iliade.Tyrannie:dansl’Antiquité,gouvernementassuré(etusurpé)parunseulcitoyendansunecitélibre.Ulysse:hérosgrecdelamythologie,personnageprincipaldel’Odysséed’Homère.Xanthippe:nomdel’épousedeSocrate.Xanthippos:deuxièmefils(légitime)dePériclès.Xéniade : riche Corinthien qui acheta Diogène, en fit le précepteur de ses enfants et, sans doute,
l’affranchitàlafindesavie.Xénophon(vers-430/-355):historien,essayisteetchefmilitairegrec.Ilfutl’élèvedeSocrate.XerxèsIer(régnade-486à-465):roidePerse,filsdeDariusIer.Cherchaàvengerl’échecdeson
pèreàMarathon.Zénond’Élée(névers-490):philosophegrec,iltentadeprouverl’impossibilitédumouvementpar
unesériedeparadoxesquisontrestéscélèbres:«laflèchequineparvientjamaisàsonbut»ou«Achilleetlatortue».Zeus : dieu suprême du panthéon grec, époux d’Héra, père des dieux et des hommes. Siégeant au
sommetdumontOlympe,ilgouvernaitlecielettouslesphénomènesphysiques.
CHRISTIANGRENIER
Né à Paris en 1945, Christian Grenier a publié, en trente ans, une soixantaine de romans et descentaines de récits, pour la plupart dans des collections de « jeunesse ». Si la SF a toujours été sondomainedeprédilection, sapalette s’estélargiedepuis longtempsau romansocial,historique,policier,intimiste… et à la mythologie ! Auteur, dans la collection, des Douze travaux d’Hercule, Contes etLégendesdesHérosdelaMythologieetJasonet laconquêtede laToisond’or, ilchercheàréconcilierpasséetfutur,scienceetimaginaire.ChristianGrenierestconvaincuquelessciencesetlestechnologiesgénèrentaujourd’huidenouveauxmythes;maisilaaussifaitsiencetadage:situnesaispasoùaller;alorsregarded’oùtuviens…
CHRISTIANHEINRICH
Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert un vieil ouvrage dont les pages jaunies, fragiles, contaient lesmerveilleux mythes et légendes grecs. Quelques images obscurcissaient les débuts de chapitres et neparlaient guère à l’enfant que j’étais. Pourtant, je n’ai pu résister aux chants de ces extraordinairesépopéesreluesdesdizainesdefois.Spontanément,jesaisisalorsuncrayonpourlesillustrer,exprimantainsimavisiondechacunedeshistoires,surlespagesdéjàfatiguéesdulivre.Vingt-cinqansplustard,le«beauvoyage»sepoursuitàl’évocationdecespenseurs,rêveursetguerriersdel’Antiquité.Iln’enfallaitpas davantage pour que retentisse à nouveau l’appel des sirènes comme d’une lointaine enfance, plusséduisantquejamais.Maisj’airetenulaleçondugrandUlyssequidonnaraisonàmapassion…Jesuisrestébienattachéà…monpinceauetàmescouleurs.
1Dond’ubiquité:capacitéàêtreprésentdansplusieurslieuxdifférentsaumêmemoment.2Stade:mesurededistancecorrespondantà157,5m(250stades=40kmenviron).3Sépulture:tombeau,lieuoùestdéposélecorpsd’undéfunt.4SparteavaitprétextédescérémoniesreligieusespournepasparticiperàlabatailledeMarathon.5Maîtredesphénomènescélestes,Zeusétaitsouventreprésentélafoudreàlamain.6Impie:quin’apasdereligion,ouquivoueduméprisàlareligion.7«Accoucherlesesprits»porteunnom,c’estlamaïeutique.8Allégorie:expressionouimagesymbolisantuneidéeouunsentiment.9Engrec,cequiestrelatifauchienseditkynikos.10Anarchiste:personnequivitenrefusantlesrèglesdel’ordreétabli.11Épitaphe:inscriptionsurunetombe,àlamémoired’unmort.12 La fortune du père de Démosthène provenait surtout de son grand-père, le gouverneur Gylon,
considérécommetraîtreàsapatrieparcequ’ilavaitépouséuneBarbare–uneScythe.13Harangue:discours,leplussouventsolennel,prononcéenpublic.14Mercenaire:soldatdemétierlouantsesservicesàungouvernementétranger.15Métaphore:expressionconcrèteouimagéepermettantd’illustreruneidéeabstraite.16Diatribe:critiqueamèreetvirulente.17Historiographe:historiennomméofficiellementpourécrirel’histoired’unprinceoud’unrègne.18Charisme:autoriténaturellequepossèdeunindividu(souventunhommepolitique)surlesautres.19Filsd’Amilcar, leCarthaginoisHannon fondaune colonie aux îlesCanaries vers460avantJésus-
Christ.20Le21juin,jourlepluslongdel’année,oùlesoleilestauplushautdansleciel.21 Soit 250 000x0,1557 mètres=39 375 kilomètres. En 1789, la mesure établira 40 000 km.
Aujourd’hui, on sait que le périmètre de la Terre est de 40 075 km à l’équateur et 40 010 km auxméridiens.Lamesured’Ératosthèneétaitjusteau2/1000!
22 Pourtant, ils les oublièrent. Quant aux centaines de milliers d’ouvrages de la bibliothèqued’Alexandrie, ilsbrûlèrentdans legrand incendiequi la ravageaen l’an47avantJ.-C., à la suited’uneimprudencedeJulesCésar.
23 Lors d’un séjour à Alexandrie auprès de son ami Ératosthène, Archimède avait mis au point undispositifingénieuxde«vissansfin»quiutilisaitlaforceducourant.
24«Toutcorpsplongédansunliquidesubit,delapartdeceliquide,unepousséeverticaledirigéedebasenhautetégaleaupoidsduvolumed’eaudéplacé.»
25Motgrec:«J’aitrouvé!J’aitrouvé!»26L’undesplusgrandsécrivainsethommesd’étatromains.Voirleglossaire.