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Contraintes mécaniques et disque intervertébral lombaire François Rannou 1,2 , Serge Poiraudeau 1 , Maïté Corvol 2 , Michel Revel 1 * 1 Service de réadaptation et rééducation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, hôpital Cochin, université René-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France ; 2 Inserm U 530, tour Lavoisier, hôpital Necker-Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France annulus fibrosus / biomécanique / cisaillement / compression / disque intervertébral / étirement / nucleus pulposus annulus fibrosus / bioméchanics / compression / intervertebral disk / nucleus pulposus / shear / stretching Le disque intervertébral est l’élément essentiel du seg- ment mobile rachidien qui permet une cohésion inter- vertébrale tout en autorisant une mobilité. C’est une structure tissulaire déformable, capable de supporter une grande variété de contraintes. Ces contraintes sont caractérisées par leur type, leur intensité et leur durée d’application. Elles sont générées par les différentes activités physiques exercées par un individu. Schémati- quement on individualise : les contraintes d’intensité élevée et de courte durée correspondant à des efforts violents, et les contraintes d’intensité faible mais de longue durée correspondant à des activités physiques quotidiennes [1]. Le disque intervertébral a une fonc- tion d’absorption et de redistribution de ces contrain- tes. Lorsque ces fonctions ne sont plus assurées (contraintes trop importantes ou survenant sur un dis- que dégénéré), des lésions tissulaires macroscopiques irréparables peuvent apparaître, comparables aux lésions observées en pathologie articulaire traumatique. Des contraintes moins importantes mais répétées peuvent probablement entraîner des lésions microscopiques peut-être secondaires à la modulation du métabolisme des cellules discales. Ces lésions, qu’elles soient micros- copiques ou macroscopiques, ont pour principale consé- quence l’apparition d’une dégénérescence discale et favorisent vraisemblablement la formation de hernie discale. La structure anatomique très particulière du disque intervertébral permet de comprendre son comporte- ment biomécanique. Le disque intervertébral non dégé- néré est un tissu non vascularisé, peu innervé, constitué en son centre du nucleus pulposus et en périphérie de l’annulus fibrosus. Le nucleus pulposus a une forme sphérique, il est constitué d’un gel hydrophile expli- quant ses propriétés hydrostatiques. L’annulus fibrosus est formé de sept à 15 lamelles concentriques consti- tuées de fibres de collagène disposées de façon oblique d’une couche à l’autre formant un angle de 120 ° entre elles et de 30 ° par rapport au plan du disque interver- tébral [2-4]. Entre ces lamelles sont enchâssées les cel- lules et leur matrice. Les fibres de la partie interne de l’annulus fibrosus sont attachées à la plaque cartilagi- neuse du plateau vertébral tandis que les fibres de la partie externe sont fixées sur le corps vertébral. L’annu- lus fibrosus apparaît comme un ligament intercorpo- réal. Des ligaments renforcent ses attaches aux corps vertébraux adjacents. Il s’agit du ligament vertébral commun antérieur, peu adhérant au disque interverté- bral, et du ligament vertébral commun postérieur qui adhère fortement par sa surface au disque intervertébral et aux bords des plateaux vertébraux [4]. * Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (M. Revel). Rev Rhum [E ´ d Fr] 2000 ; 67 Suppl 4 : 219-24 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833000000430/SSU

Contraintes mécaniques et disque intervertébral lombaire

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Page 1: Contraintes mécaniques et disque intervertébral lombaire

Contraintes mécaniques et disque intervertébrallombaire

François Rannou1,2, Serge Poiraudeau1, Maïté Corvol2, Michel Revel1*1Service de réadaptation et rééducation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, hôpital Cochin,université René-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France ; 2Inserm U 530, tour Lavoisier,hôpital Necker-Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France

annulus fibrosus / biomécanique / cisaillement / compression / disque intervertébral / étirement /nucleus pulposus

annulus fibrosus / bioméchanics / compression / intervertebral disk / nucleus pulposus / shear /stretching

Le disque intervertébral est l’élément essentiel du seg-ment mobile rachidien qui permet une cohésion inter-vertébrale tout en autorisant une mobilité. C’est unestructure tissulaire déformable, capable de supporterune grande variété de contraintes. Ces contraintes sontcaractérisées par leur type, leur intensité et leur duréed’application. Elles sont générées par les différentesactivités physiques exercées par un individu. Schémati-quement on individualise : les contraintes d’intensitéélevée et de courte durée correspondant à des effortsviolents, et les contraintes d’intensité faible mais delongue durée correspondant à des activités physiquesquotidiennes [1]. Le disque intervertébral a une fonc-tion d’absorption et de redistribution de ces contrain-tes. Lorsque ces fonctions ne sont plus assurées(contraintes trop importantes ou survenant sur un dis-que dégénéré), des lésions tissulaires macroscopiquesirréparables peuvent apparaître, comparables aux lésionsobservées en pathologie articulaire traumatique. Descontraintes moins importantes mais répétées peuventprobablement entraîner des lésions microscopiquespeut-être secondaires à la modulation du métabolismedes cellules discales. Ces lésions, qu’elles soient micros-copiques ou macroscopiques, ont pour principale consé-

quence l’apparition d’une dégénérescence discale etfavorisent vraisemblablement la formation de herniediscale.

La structure anatomique très particulière du disqueintervertébral permet de comprendre son comporte-ment biomécanique. Le disque intervertébral non dégé-néré est un tissu non vascularisé, peu innervé, constituéen son centre du nucleus pulposus et en périphérie del’annulus fibrosus. Le nucleus pulposus a une formesphérique, il est constitué d’un gel hydrophile expli-quant ses propriétés hydrostatiques. L’annulus fibrosusest formé de sept à 15 lamelles concentriques consti-tuées de fibres de collagène disposées de façon obliqued’une couche à l’autre formant un angle de 120 ° entreelles et de 30 ° par rapport au plan du disque interver-tébral [2-4]. Entre ces lamelles sont enchâssées les cel-lules et leur matrice. Les fibres de la partie interne del’annulus fibrosus sont attachées à la plaque cartilagi-neuse du plateau vertébral tandis que les fibres de lapartie externe sont fixées sur le corps vertébral. L’annu-lus fibrosus apparaît comme un ligament intercorpo-réal. Des ligaments renforcent ses attaches aux corpsvertébraux adjacents. Il s’agit du ligament vertébralcommun antérieur, peu adhérant au disque interverté-bral, et du ligament vertébral commun postérieur quiadhère fortement par sa surface au disque intervertébralet aux bords des plateaux vertébraux [4].

* Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (M. Revel).

Rev Rhum [Ed Fr] 2000 ; 67 Suppl 4 : 219-24© 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1169833000000430/SSU

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Les travaux portant sur les effets des contraintes méca-niques sur le disque intervertébral se sont intéressésprincipalement aux mécanismes d’apparition d’une her-nie discale et à la genèse de la dégénérescence discale.Différentes approches ont été utilisées : modélisationsmathématiques ou physiques pour évaluer les stressgénérés au sein du disque intervertébral ; travaux exvivo sur des segments fonctionnels vertébraux lombai-res pour élucider les mécanismes impliqués dans laformation d’une hernie discale ; travaux in vivo, ex vivoou in vitro sur du tissu ou sur des cellules discales pourétudier la dégradation discale.

RÉSULTAT DES CONTRAINTES EXTERNESSUR LE DISQUE

Le disque intervertébral est une structure viscoélastiquesoumise en permanence à des contraintes qui peuventêtre simples (flexion, compression ou torsion pure) ouplus complexes (compression combinée à une latéro-flexion et une torsion). Il est important de caractériserles stress intradiscaux générés par ces contraintes pourpouvoir mieux comprendre les lésions tissulaires obser-vées en pathologie humaine. Deux types d’études onttenté de répondre à cette question :– appréciation des stress mécaniques au sein du disqueintervertébral en réponse à des contraintes externessimples appliquées sur des segments fonctionnels verté-braux lombaires modélisés [5-8] ;– mesure des variations de pression intradiscale détec-tées in vivo lors de certaines postures rachidiennesimposées à l’individu [9].

Effets de contraintes simples

La réponse du disque intervertébral aux contraintes estdirectement liée à sa structure anatomique et biochimi-que. Le nucleus pulposus se comporte comme unevéritable chambre de pression générant des contraintescentrifuges sur les structures adjacentes [1, 4]. Il enrésulte la mise sous tension de ces structures et plusparticulièrement de l’annulus fibrosus, le stress princi-pal des lamelles de l’annulus fibrosus est alors unetension entraînant un étirement [5]. Cet étirement a étéévalué entre un et 13 % suivant les auteurs [6-8]. Pourla plupart des contraintes, l’étirement est principale-ment observé sur les lamelles les plus internes. Enrevanche, les contraintes en torsion entraînent un étire-ment essentiellement localisé en postérolatéral. Cesrésultats sont à rapprocher des travaux de Farfan mon-trant l’importance du rôle des contraintes en torsion

dans la formation de déchirures circonférencielles de larégion postérolatérale de l’annulus fibrosus. On peutalors émettre l’hypothèse de l’implication des contrain-tes en torsion dans l’apparition d’une hernie discalepostérolatérale par irruption de matériel nucléaire [10].

Lorsque le disque intervertébral dégénère, le nucleuspulposus se déshydrate et ne peut plus remplir sesfonctions mécaniques hydrostatiques, il en résulte unemodification de la distribution des stress au sein dudisque intervertébral. L’annulus fibrosus n’est alors plussoumis majoritairement à des contraintes en tensionmais subit directement les contraintes en compression[5]. On comprend alors aisément que sur un disqueintervertébral dégénéré, les mécanismes impliqués dansl’apparition d’une hernie discale sont probablementdifférents de ceux observés sur un disque sain.

Pressions intradiscales enregistrées in vivo

Les données proviennent essentiellement des travaux deNachemson effectués in vivo chez l’homme [9]. Leprincipe est d’évaluer la pression au sein du nucleuspulposus chez un sujet auquel on impose des posturesrachidiennes statiques (debout, flexion du rachis, assis,allongé, port de charges). La position de référence est lastation debout. La pression intradiscale enregistrée estd’autant plus importante que le sujet est en positionassise, les membres supérieurs lestés par un poids et lerachis en flexion antérieure. Lorsque le sujet est assis oudebout rachis fléchi de 20 °, le disque intervertébralsubit une contrainte correspondant à 200 % du poidsdu corps. Si l’on ajoute un poids de 20 kg porté par lepatient la contrainte est de 300 %. Grâce à ces travaux,les localisations respectives des stress verticaux et desstress tangentiels au sein d’un disque intervertébralsoumis à une force compressive ont pu être évaluées.Les stress verticaux sont dans la partie interne du disqueintervertébral alors que les stress tangentiels sont essen-tiellement en périphérie.

Il apparaît donc que le nucleus pulposus est soumis àdes contraintes compressives alors que l’annulus fibro-sus subit plutôt des contraintes en tension. Les contrain-tes compressives subies par le nucleus pulposus sontmaximales lorsque le disque intervertébral est soumis àdes sollicitations en flexion–compression. Pour l’annu-lus fibrosus, les contraintes en tension sont observéesessentiellement dans sa partie interne sauf dans lesmouvements de torsion où elles sont localisées dans sapartie postérolatérale. Ces résultats suggèrent qu’unehernie discale puisse résulter d’un mouvement combiné

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de flexion, compression et torsion. Les études tissulairesvont en partie confirmer cette hypothèse.

CONSÉQUENCES TISSULAIRES DES CONTRAINTESMÉCANIQUES

L’hypothèse de la formation d’une hernie discale parirruption à travers l’annulus fibrosus de matérielnucléaire allant comprimer les racines nerveuses a étéétudiée par des méthodes expérimentales évaluant lesmouvements du nucleus pulposus lors de l’applicationde contraintes sur le disque intervertébral. Les contrain-tes mécaniques responsables de l’apparition d’une her-nie discale ou d’un bombement discal ont ensuite étécaractérisées. Dans tous les cas le modèle utilisé est soitun segment fonctionnel vertébral comprenant le disqueintervertébral et les deux vertèbres adjacentes, soit unsegment rachidien lombaire constitué du rachis lom-baire en entier.

Mouvements internes au sein du disqueintervertébral

Krag a étudié ex vivo les déplacements du nucleuspulposus et de l’annulus fibrosus en implantant unebille radio-opaque micrométrique en L4–L5 [11]. Descontraintes en compression, en flexion et en extensionont alors été imposées à un segment fonctionnel verté-bral. Le déplacement de la bille était apprécié par desclichés radiologiques numérisés. En compression, ledéplacement est essentiellement antérieur. En flexion,le nucleus pulposus se déplace vers l’arrière alors quel’annulus fibrosus se déplace vers l’avant. En extensionle nucleus pulposus se déplace vers l’avant et l’annulusfibrosus vers l’arrière. Sur un disque intervertébral dénu-cléé chirurgicalement, l’annulus fibrosus se déplace versle centre du disque lors des contraintes en compressionet flexion, mais il existe paradoxalement un bombe-ment périphérique du disque quel que soit le type decontraintes. Ces différentes constatations semblent indi-quer qu’en extension on induit plutôt un bombementpostérieur du disque qu’il soit dénucléé ou non. Enflexion ce bombement n’est retrouvé que si le disque estdénucléé.

Hernie discale et bombement discal

Au cours d’une compression axiale, le nucleus pulposustransmet les forces de façon centrifuge. Ce phénomèneentraîne une déflexion compressive des plateaux verté-braux adjacents, un bombement du disque et le déve-

loppement de contraintes en tension dans l’annulusfibrosus. L’augmentation de l’intensité et/ou de la fré-quence de ces compressions axiales n’entraîne pas dehernie discale périphérique mais des fractures des pla-teaux vertébraux s’accompagnant d’une migration dematériel nucléaire au sein du corps vertébral (hernie deSchmorl) et une déformation du disque intervertébraldans le plan horizontal [12-15]. Les mêmes expériencesrenouvelées sur des disques intervertébraux dont l’annu-lus fibrosus avait été préalablement lésé en postérolaté-ral ne montrent pas la formation de hernie discalepériphérique [14]. Lors de contraintes en torsion, onobserve des déchirures circonférencielles, principale-ment localisées dans la partie postérieure et latérale del’annulus fibrosus, mais sans formation de hernie dis-cale [10]. Les effets de contraintes en torsion sur desdisques sains et des disques dégénérés ont été comparés.La résistance des disques dégénérés, évaluée par l’anglede torsion de rupture, est environ 25 % plus faible quecelle des disques sains [10]. Ces travaux suggèrent quel’apparition de hernies postérolatérales résulte decontraintes plus complexes que la simple compressionou torsion.

Adams est le premier auteur à avoir mis en évidenceex vivo les mécanismes impliqués dans l’apparitiond’une hernie discale [16]. Des segments rachidienslombaires dépourvus des arcs postérieurs ont subit uneflexion antérieure couplée à une latéroflexion, puis unecompression violente et brutale. Une hernie discalepostérolatérale est survenue dans 43 % des cas. Ceshernies sont observées majoritairement aux étagesL4–L5 et L5–S1, sur des rachis de sujets ayant entre 40et 49 ans et sur des disques intervertébraux dégradés.En revanche, lorsque la compression était cyclique et defaible intensité, une hernie ne survenait que dans 12 %des cas [17]. Il est donc probable qu’en dehors detraumatismes importants, les mécanismes d’apparitiond’une hernie discale soient multifactoriels.

Un autre mécanisme pouvant expliquer certainsconflits discoradiculaires a également été mis en évi-dence. Dans les mouvements combinés de compressionet latéroflexion, on observe un bombement discal [18].Celui-ci est observé dans la région latérale et postérola-térale de la concavité. Si le disque est dégénéré cebombement est deux fois plus important [18]. Si l’onajoute à ces observations le fait que la hauteur d’undisque dégénéré diminue, on peut comprendre quel’espace foraminal soit alors rétréci et qu’il puisse existerune irritation des racines sans présence de hernie discale

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vraie [19]. Sur des disques préalablement lésés (plateauxvertébraux préalablement fracturés) Brinckmann amontré qu’une contrainte en compression majorait lebombement discal [20]. Ce phénomène est égalementobservé sur des segments fonctionnels vertébraux ayantsubi une lésion chirurgicale radiaire du centre vers lapartie postérolatérale du disque intervertébral [21].L’association fracture vertébrale et lésions radiairespréexistantes majore encore plus le bombement. Lapréexistence de lésions discales traumatiques (fracturesou fissures) ou non (dégénérescence discale), sembleêtre un facteur majorant le bombement discal en pos-térolatéral, et donc une source potentielle d’irritationradiculaire foraminale.

CONSÉQUENCES BIOCHIMIQUES ET BIOLOGIQUESDES CONTRAINTES MÉCANIQUES

La dégradation discale : de la mécaniqueà la biologie cellulaire

La dégradation discale est un des principaux facteursassociés aux phénomènes douloureux lombaires, et pro-bablement un prérequis à l’apparition d’une herniediscale [22]. L’implication des contraintes mécaniquesdans cette dégradation est admise depuis de nombreu-ses années mais reste encore très obscure. Des étudesrécentes ont permis de caractériser les mécanismes bio-chimiques impliqués dans cette dégradation [22, 23], etdes méthodes de culture des cellules du disque interver-tébral ont été mises au point [24-27]. Ces avancéesdevraient permettre de mieux caractériser les relationsentre contraintes mécaniques et réponses biologiquesau sein du disque intervertébral.

Les contraintes mécaniques ont un rôle modulateurdans le maintien et le remodelage du tissu conjonctif.L’intégrité de la matrice extracellulaire contribue à uneréponse mécanique efficace des tissus soumis à descontraintes externes [28]. Dans le disque intervertébral,l’intégrité de la matrice extracellulaire est le résultatd’un équilibre entre synthèse et dégradation des protéi-nes matricielles (protéoglycanes et collagènes). Diffé-rents travaux ont étudié le rôle des contraintesmécaniques dans la régulation de cet équilibre en éva-luant la production de protéines matricielles de disquesintervertébraux entiers ou d’échantillons d’annulusfibrosus et de nucleus pulposus. Deux travaux récentsont pu étudier directement les modulations de synthèsede la matrice par les cellules du disque intervertébral.

Expériences sur des disques intervertébraux entiers

Une relation entre des contraintes mécaniques appli-quées in vivo et la composition de la matrice extracel-lulaire du disque intervertébral a pu être mise enévidence [29, 30]. Hutton et al. ont observé une corré-lation positive entre l’intensité et la durée de contraintesen compression appliquées à des disques interverté-braux de chiens et l’augmentation dans le nucleus pul-posus de la production de collagène de type I. Dans lemême temps, une diminution de la production ducollagène de type II et de protéoglycanes était objecti-vée. En revanche, des contraintes en traction ne modu-lent pas la synthèse de protéoglycanes par le nucleuspulposus mais diminuent la synthèse de protéoglycanespar l’annulus fibrosus [30]. Les réponses métaboliquesdu disque intervertébral semblent donc dépendre dutissu (nucleus pulposus ou annulus fibrosus) et dustimulus.

Expériences sur des échantillons tissulaires discaux

Les études sur des échantillons tissulaires discaux ontmis en évidence une modulation de la synthèse et de ladégradation de la matrice extracellulaire par les contrain-tes mécaniques [31, 32]. Ishihara rapporte que l’appli-cation d’une pression hydrostatique élevée (1 kPa)prolongée (deux heures) ou brève (20 secondes) sur deséchantillons d’annulus fibrosus (partie interne) ou denucleus pulposus diminue la production des protéogly-canes [32]. En revanche, l’application d’une pressionhydrostatique plus faible (0,1 kPa) durant 20 secondesaugmente cette synthèse. Handa montre que la syn-thèse de protéoglycanes est inhibée après applicationd’une pression hydrostatique de 0,3 kPa durant deuxheures alors qu’une pression hydrostatique de 0,03 kPapendant la même durée stimule la synthèse de protéo-glycanes des échantillons de nucleus pulposus et del’annulus fibrosus (partie interne) [31]. Dans ces deuxétudes aucun effet n’était observé dans l’annulus fibro-sus périphérique. Un seul type de contrainte (compres-sion), appliqué sur des échantillons tissulaires discaux,peut donc induire des réponses métaboliques opposéesen fonction de l’intensité et de la durée de cette stimu-lation ainsi que de la région du disque étudiée.

Stimulation mécanique des cellules du disque

Deux études se sont intéressées aux effets métaboliquesde stimulations mécaniques directement appliquées surles cellules de disques intervertébraux in vitro [33, 34].

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La première montre qu’une pression hydrostatique de0,1 kPa appliquée pendant 48 heures induit une aug-mentation de la production de collagène de type I et II,et de protéoglycanes par les cellules de l’annulus fibro-sus et du nucleus pulposus [33]. La quantité d’acidesribonucléiques messagers de collagène de type I et II etd’aggrecanes augmente dans les cellules du nucleuspulposus mais diminue dans les cellules de l’annulusfibrosus, suggérant des mécanismes de régulation diffé-rents pour chaque type cellulaire, renforçant ainsi l’idéed’une réponse métabolique du tissu spécifique à unstress mécanique donné. Dans la deuxième étude, descontraintes de type étirement et cisaillement, d’unefréquence de 0,05 Hz et d’une intensité de 20 %, ontété directement appliquées à des cellules de nucleuspulposus pour des durées variant de un à huit jours.Une augmentation de la synthèse de l’acide désoxyribo-nucléique et des protéines collagéniques a été observée[34].

Des contraintes mécaniques directement appliquéesaux cellules peuvent donc moduler la synthèse desprotéines matricielles. Les effets observés sont vraisem-blablement dépendant du type de la contrainte, de sonintensité, de sa fréquence et de sa durée et les recherchesdoivent maintenant s’orienter vers la caractérisation« d’effets doses ». Les médiateurs impliqués dans latransduction du signal mécanique dans les cellules dis-cales sont actuellement inconnus. Leur mise en évi-dence devrait permettre de mieux comprendre lesmécanismes impliqués dans la dégradation discale.

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