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Les contrats sociaux : textes et corrigé Corrigé : Dans le texte de Hobbes, chacun contracte avec chacun et accepte de déléguer sa puissance à un tiers (un homme ou une assemblée) qui n’est pas une des parties du contrat. Ainsi, ce tiers n’est pas lié par les clauses du contrat social. Il n’a donc aucun devoir à rendre à ceux qu’il gouverne, si ce n’est qu’il doit assurer leur sécurité puisque c’est la seule raison pour laquelle ils ont accepté de contracter. Dans le texte de Locke, chacun contracte avec chacun et accepte de déléguer sa puissance à la majorité d’entre eux. Le corps politique ou communauté est une conséquence du pacte, et non une partie du contrat. Cette communauté ne peut donc aller à l’encontre de la liberté de chacun des contractant sans se dissoudre elle-même. Voilà pourquoi elle est engagée à faire respecter non seulement la sécurité mais aussi la liberté de ses membres. Le pacte social que présente Rousseau dans le Second Discours est un contrat de dupes, c’est-à-dire qui prétend se faire dans l’intérêt de tous mais qui sert en réalité les intérêts de celui qui le propose : le riche. La forme du contrat ressemble bien à celle de Locke : chacun contracte avec chacun et accepte de déléguer sa puissance à l’association qui sera crée par ce contrat. Mais dans ce contrat aucun des hommes ne délègue ses biens à l’association. Celle-ci conservant et institutionnalisant les rapports de propriété maintient le statu quo des rapports d’oppression du riche sur ses voisins. C’est l’origine de l’inégalité sociale et politique parmi les hommes. Le pacte social que présente Rousseau dans le Contrat Social est différent. Primo : les hommes ne contractent pas entre eux, mais chacun directement avec la communauté qui est créée par le pacte. C’est donc un contrat d’une forme bien spécifique, puisque l’une des partie est aussi un effet du contrat. Mais c’est ce qui permet de dire que chacun ne contracte finalement qu’avec lui-même et reste donc tout aussi libre que dans l’état de nature (ce qui n’est pas le cas du contrat de dupes du 2nd Discours) puisque aucun particulier ne se soumet à un autre particulier. Secundo : chacun, en contractant, aliène toutes ses forces et ses biens. La

Contrats Sociaux - Corrigé Et Textes

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Rousseau, Contrat Social, livre I chapitre 6

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Les contrats sociaux: textes et corrig

Corrig:

Dans le texte de Hobbes, chacun contracte avec chacun et accepte de dlguer sa puissance un tiers (un homme ou une assemble) qui nest pas une des parties du contrat. Ainsi, ce tiers nest pas li par les clauses du contrat social. Il na donc aucun devoir rendre ceux quil gouverne, si ce nest quil doit assurer leur scurit puisque cest la seule raison pour laquelle ils ont accept de contracter.

Dans le texte de Locke, chacun contracte avec chacun et accepte de dlguer sa puissance la majorit dentre eux. Le corps politique ou communaut est une consquence du pacte, et non une partie du contrat. Cette communaut ne peut donc aller lencontre de la libert de chacun des contractant sans se dissoudre elle-mme. Voil pourquoi elle est engage faire respecter non seulement la scurit mais aussi la libert de ses membres.

Le pacte social que prsente Rousseau dans le Second Discours est un contrat de dupes, cest--dire qui prtend se faire dans lintrt de tous mais qui sert en ralit les intrts de celui qui le propose: le riche. La forme du contrat ressemble bien celle de Locke: chacun contracte avec chacun et accepte de dlguer sa puissance lassociation qui sera cre par ce contrat. Mais dans ce contrat aucun des hommes ne dlgue ses biens lassociation. Celle-ci conservant et institutionnalisant les rapports de proprit maintient le statu quo des rapports doppression du riche sur ses voisins. Cest lorigine de lingalit sociale et politique parmi les hommes.

Le pacte social que prsente Rousseau dans le Contrat Social est diffrent. Primo: les hommes ne contractent pas entre eux, mais chacun directement avec la communaut qui est cre par le pacte. Cest donc un contrat dune forme bien spcifique, puisque lune des partie est aussi un effet du contrat. Mais cest ce qui permet de dire que chacun ne contracte finalement quavec lui-mme et reste donc tout aussi libre que dans ltat de nature (ce qui nest pas le cas du contrat de dupes du 2nd Discours) puisque aucun particulier ne se soumet un autre particulier. Secundo: chacun, en contractant, aline toutes ses forces et ses biens. La volont gnrale est libre de dcider si chacun va par la suite rcuprer ses biens ou non, et elle est en ralit la seule vraie propritaire de tous les biens alins: les particuliers nen ont jamais que lusufruit. Rousseau est donc diffrent non seulement de Hobbes mais aussi et surtout de Locke: la volont gnrale nest pas que la rsultante de lassociation de volonts particulires, cest la volont du corps politique considr en tant quacteur. Et cest pour cela que leurs doctrines diffrent sur la question de la proprit.

Vous trouverez ci-dessous les textes des contrats sociaux dans leur version longue

La seule faon d'riger un tel pouvoir commun, qui puisse tre capable de dfendre les hommes de l'invasion des trangers, et des torts qu'ils peuvent se faire les uns aux autres, et par l assurer leur scurit de telle sorte que, par leur propre industrie et par les fruits de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, est de rassembler tout leur pouvoir et toute leur force sur un seul homme, ou sur une seule assemble d'hommes, qui puisse rduire toutes leurs volonts, la majorit des voix, une seule volont; autant dire, dsigner un homme, ou une assemble d'hommes, pour tenir le rle de leur personne; et que chacun reconnaisse comme sien tout ce que celui qui ainsi tient le rle de sa personne fera, ou fera faire, dans ces choses qui concernent la paix et la scurit communes; que tous, en cela, soumettent leurs volonts d'individu sa volont, et leurs jugements son jugement. C'est plus que consentir ou s'accorder : c'est une unit relle de tous en une seule et mme personne, ralise par une convention de chacun avec chacun, de telle manire que c'est comme si chacun devait dire chacun : J'autorise cet homme, ou cette assemble d'hommes, j'abandonne mon droit de me gouverner cet homme, ou cette assemble, cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et autorise toutes ses actions de la mme manire. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appele une RPUBLIQUE, en latin CIVITAS. C'est l la gnration de ce grand LVIATHAN, ou plutt, pour parler avec plus de dfrence, de ce dieu mortel qui nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.

Hobbes, Lviathan, livre II chapitre 17, traduction Folliot

95. Les hommes, ainsi qu'il a t dit, tant tous naturellement libres, gaux et indpendants, nul ne peut tre tir de cet tat, et tre soumis au pouvoir politique d'autrui, sans son propre consentement, par lequel il peut convenir, avec d'autres hommes, de se joindre et s'unir en socit pour leur conservation, pour leur sret mutuelle, pour la tranquillit de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre, et tre mieux l'abri des insultes de ceux qui voudraient leur nuire et leur faire du mal. Un certain nombre de personnes sont en droit d'en user de la sorte, cause que cela ne fait nul tort la libert du reste des hommes, qui sont laisss dans la libert de l'tat de nature. Quand un certain nombre de personnes sont convenues ainsi de former une communaut et un gouvernement, ils sont par l en mme temps incorpors, et composent un seul corps politique, dans lequel le plus grand nombre a droit de conclure et d'agir.

96. Car lorsqu'un certain nombre d'hommes ont, par le consentement de chaque individu, form une communaut, ils ont par l fait de cette communaut, un corps qui a le pouvoir d'agir comme un corps doit faire, c'est--dire, de suivre la volont et la dtermination du plus grand nombre; ainsi une socit est bien forme par le consentement de chaque individu; mais cette socit tant alors un corps, il faut que ce corps se meuve de quelque manire : or, il est ncessaire qu'il se meuve du ct o le pousse et l'entrane la plus grande force, qui est le consentement du plus grand nombre; autrement il serait absolument impossible qu'il agit ou continut tre un corps et une socit, comme le consentement de chaque particulier, qui s'y est joint et uni, a voulu qu'il ft : chacun donc est oblig, par ce consentement-l, de se conformer ce que le plus grand nombre conclut et rsout. Aussi voyons-nous que dans les assembles qui ont t autorises par des lois positives, et qui ont reu de ces lois le pouvoir d'agir, quoiqu'il arrive que le nombre ne soit pas dtermin pour conclure un point, ce que fait et conclut le plus grand nombre, est considr comme tant fait et conclu par tous; les lois de la nature et de la raison dictant que la chose doit se pratiquer et tre regarde de la sorte.

Locke, Second trait du gouvernement civil, chapitre 8, 95-96, traduction Mazel

Les riches surtout durent bientt sentir combien leur tait dsavantageuse une guerre perptuelle dont ils faisaient seuls tous les frais et dans laquelle le risque de la vie tait commun et celui des biens, particulier. Dailleurs, quelque couleur quils pussent donner leurs usurpations, ils sentaient assez quelles ntaient tablies que sur un droit prcaire et abusif et que nayant t acquises que par la force, la force pouvait les leur ter sans quils eussent raison de sen plaindre. Ceux mmes que la seule industrie avait enrichis ne pouvaient gure fonder leur proprit sur de meilleurs titres. Ils avaient beau dire : Cest moi qui ai bti ce mur ; jai gagn ce terrain par mon travail. Qui vous a donn les alignements, leur pouvait-on rpondre, et en vertu de quoi prtendez-vous tre pay nos dpens dun travail que nous ne vous avons point impos ? Ignorez-vous quune multitude de vos frres prit, ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop, et quil vous fallait un consentement exprs et unanime du genre humain pour vous approprier sur la subsistance commune tout ce qui allait au-del de la vtre ? Destitu de raisons valables pour se justifier, et de forces suffisantes pour se dfendre ; crasant facilement un particulier, mais cras lui-mme par des troupes de bandits, seul contre tous, et ne pouvant cause des jalousies mutuelles sunir avec ses gaux contre des ennemis unis par lespoir commun du pillage, le riche, press par la ncessit, conut enfin le projet le plus rflchi qui soit jamais entr dans lesprit humain ; ce fut demployer en sa faveur les forces mmes de ceux qui lattaquaient, de faire ses dfenseurs de ses adversaires, de leur inspirer dautres maximes, et de leur donner dautres institutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui tait contraire.

Dans cette vue, aprs avoir expos ses voisins lhorreur dune situation qui les armait tous les uns contre les autres, qui leur rendait leurs possessions aussi onreuses que leurs besoins, et o nul ne trouvait sa sret ni dans la pauvret ni dans la richesse, il inventa aisment des raisons spcieuses pour les amener son but. Unissons-nous, leur dit-il, pour garantir de loppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des rglements de justice et de paix auxquels tous soient obligs de se conformer, qui ne fassent acception de personne, et qui rparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant galement le puissant et le faible des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous-mmes, rassemblons-les en un pouvoir suprme qui nous gouverne selon de sages lois, qui protge et dfende tous les membres de lassociation, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde ternelle.

Il en fallut beaucoup moins que lquivalent de ce discours pour entraner des hommes grossiers, faciles sduire, qui dailleurs avaient trop daffaires dmler entre eux pour pouvoir se passer darbitres, et trop davarice et dambition, pour pouvoir longtemps se passer de matres. Tous coururent au-devant de leurs fers croyant assurer leur libert ; car avec assez de raison pour sentir les avantages dun tablissement politique, ils navaient pas assez dexprience pour en prvoir les dangers ; les plus capables de pressentir les abus taient prcisment ceux qui comptaient den profiter, et les sages mmes virent quil fallait se rsoudre sacrifier une partie de leur libert la conservation de lautre, comme un bless se fait couper le bras pour sauver le reste du corps. Telle fut, ou dut tre, lorigine de la socit et des lois, qui donnrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles forces au riche

Rousseau, Discours sur lorigine et les fondements de lingalit parmi les hommes, partie II

Trouver une forme dassociation qui dfende et protge de toute la force commune la personne et les biens de chaque associ, et par laquelle chacun, sunissant tous, nobisse pourtant qu lui-mme, et reste aussi libre quauparavant. Tel est le problme fondamental dont le Contrat social donne la solution.

Les clauses de ce contrat sont tellement dtermines par la nature de lacte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien quelles naient peut-tre jamais t formellement nonces, elles sont partout les mmes, partout tacitement admises et reconnues, jusqu ce que, le pacte social tant viol, chacun rentre alors dans ses premiers droits, et reprenne sa libert naturelle, en perdant la libert conventionnelle pour laquelle il y renona.

Ces clauses, bien entendues, se rduisent toutes une seule - savoir, lalination totale de chaque associ avec tous ses droits toute la communaut : car, premirement, chacun se donnant tout entier, la condition est gale pour tous ; et la condition tant gale pour tous, nul na intrt de la rendre onreuse aux autres.

De plus, lalination se faisant sans rserve, lunion est aussi parfaite quelle peut ltre, et nul associ na plus rien rclamer : car, sil restait quelques droits aux particuliers, comme il ny aurait aucun suprieur commun qui pt prononcer entre eux et le public, chacun, tant en quelque point son propre juge, prtendrait bientt ltre en tous ; ltat de nature subsisterait, et lassociation deviendrait ncessairement tyrannique ou vaine.

Enfin, chacun se donnant tous ne se donne personne ; et comme il ny a pas un associ sur lequel on nacquire le mme droit quon lui cde sur soi, on gagne lquivalent de tout ce quon perd, et plus de force pour conserver ce quon a.

Si donc on carte du pacte social ce qui nest pas de son essence, on trouvera quil se rduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprme direction de la volont gnrale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout.

A linstant, au lieu de la personne particulire de chaque contractant, cet acte dassociation produit un corps moral et collectif, compos dautant de membres que lassemble a de voix, lequel reoit de ce mme acte son unit, son moi commun, sa vie et sa volont. Cette personne publique, qui se forme ainsi par lunion de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cit, et prend maintenant celui de rpublique ou de corps politique, lequel est appel par ses membres tat quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant ses semblables. lgard des associs, ils prennent collectivement le nom de peuple, et sappellent en particulier citoyens, comme participant lautorit souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de ltat. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent lun pour lautre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employs dans toute leur prcision.

Rousseau, Contrat Social, livre I chapitre 6